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Monsieur Jean-Claude CHEYNET L'aristocratie byzantine (VIIIe - XIIIe siècle) In: Journal des savants. 2000, N° pp. 281-322. Citer ce document / Cite this document : CHEYNET Jean-Claude. L'aristocratie byzantine (VIIIe - XIIIe siècle). In: Journal des savants. 2000, N° pp. 281-322. doi : 10.3406/jds.2000.1638 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_2000_num_2_1_1638

L'aristocratie byzantine (VIIIe - XIIIe siècle)

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Monsieur Jean-ClaudeCHEYNET

L'aristocratie byzantine (VIIIe - XIIIe siècle)In: Journal des savants. 2000, N° pp. 281-322.

Citer ce document / Cite this document :

CHEYNET Jean-Claude. L'aristocratie byzantine (VIIIe - XIIIe siècle). In: Journal des savants. 2000, N° pp. 281-322.

doi : 10.3406/jds.2000.1638

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_2000_num_2_1_1638

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L'ARISTOCRATIE BYZANTINE (VIIF-XIIT s.) *

La notion d'aristocratie ne se laisse pas facilement appréhender dans le monde byzantin, comme l'a noté M. Angold dans l'introduction à l'ouvrage collectif qu'il a dirigé sur l'aristocratie byzantine. La notion d'élites, encore plus large, ne permet pas davantage de définir la nature de l'aristocratie. C'est pourquoi les historiens de l'Empire byzantin se sont représenté ce groupe de manières si diverses. De plus, l'idée qu'on se fait de l'évolution économique de Byzance au Moyen Age a changé depuis cinquante ans. On imaginait alors une sorte d'âge d'or du monde rural aux viic" et vme siècles et, en conséquence, une sorte de déclin inexorable de l'Empire où les élites tenaient le rôle d'exploiteurs des paysans, conduisant l'État à l'impuissance et à sa perte '. Un des plus remarquables partisans de cette vision pessimiste, G. Ostrogorsky, proposa, il y a trente ans, une synthèse des caractères de cette aristocratie, résultat de ses recherches antérieures, qui influença durablement l'historiographie 2. Mais déjà, certains, tels P. Lemerle, A. Holweg ou D. Jacoby, contestaient ses points de vue et, depuis, de nombreux travaux ont modifié les perspectives qu'il offrait ; je propose donc une mise au point, centrée principalement sur les viiie-xnie siècles, sans oublier que l'évolution du groupe dirigeant s'inscrit dans le cadre d'un millénaire d'histoire.

Trois thèmes éclairent bien le champ des recherches : le caractère héréditaire ou à tout le moins transmissible de la position sociale par le privilège de la naissance, la constitution et les formes de la fortune des élites, et enfin l'usurpation éventuelle des fonctions régaliennes.

* Je remercie vivement J. Lefort, qui a bien voulu relire ce texte et me faire part de certaines observations.

Pour les abréviations se reporter à la tin de l'article. 1. Pour une analyse de cette nouvelle perception sur l'histoire rurale, cf. J. Lefort, Rural

Economy and Social Relations in the Countryside, DOP 47, 1993, p. 101-113. 2. Ostrogorsky, Anstocracy, p. 1-32. Il faut noter qu'une bonne partie de son article est

consacrée au dernier siècle de Byzance, à un moment où la situation avait nettement changé par rapport aux siècles precedents.

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Le rôle de la naissance *

R. Guilland a donné plusieurs contributions sur la « noblesse byzantine » 4, expression qui suppose l'existence d'un groupe dirigeant fondant ses droits sur la naissance et la transmission des privilèges 5. Parmi les byzantinistes, une telle position est originale dans la mesure où le droit, à Byzance, n'a jamais distingué un groupe spécifique au sein de la société byzantine, même parmi les sénateurs. A l'époque protobyzantine, le Sénat de Constantinople, sur le modèle romain, constituait une classe assez nombreuse, d'environ deux mille familles, dont la composition dépendait largement de la volonté impériale 6. Ce mode de recrutement explique le renouvellement constant de l'aristocratie protobyzantine. Peu de familles se maintenaient au plus haut niveau au-delà de trois générations. Les Appions d'Egypte ne font pas exception, avec guère plus d'un siècle de prééminence. L'appartenance au Sénat valait aux bénéficiaires certains privilèges dont le moindre n'était pas la dispense de coûteuses liturgies, mais ne rompait même pas définitivement les liens avec leur cité d'origine.

Le Sénat ne disparut pas dans la tourmente du VIIe siècle. Les empereurs maintinrent leur contrôle sur le recrutement, fondé sur les dignités et les charges qu'ils octroyaient. Aux xe-xie siècles, toute dignité égale ou supérieure au protospatharat ouvrait les portes de cette assemblée. La naissance n'était point pour autant méprisée, puisque Y eugéneia des parents prédisposait à une grande carrière. Les fils succédaient aux pères par la force des réseaux familiaux

3. Les débats sur la nature de l'aristocratie byzantine sont anciens et la littérature sur ce sujet abondante. Parmi les études les plus notables, retenons l'ouvrage collectif, Byzantine Aristocracy, notamment l'introduction par l'éditeur, AI. Angold, et en dernier heu Kazhdax-Roxchey, Aus- toc razia, p. 67-108.

4. Ces articles ont été regroupés dans R. Guiluxd, Recherches sur les institutions byzantines I, Amsterdam 1967, p 15-150. On trouve des contributions au titre éclairant : La noblesse de race à Byzance, La collation et la perte ou la déchéance des titres nobiliaires à Byzance, La transmission héréditaire des titres nobiliaires à Byzance.

5. L'emploi du terme noblesse est parfois assez lâche. Ainsi, dans un livre récent, K. F. Werner (Naissance de la noblesse, Paris 1998) désigne comme noblesse l'aristocratie issue de la fusion des sénateurs gallo-romams et des proches compagnons des rois germaniques.

6. Sur le Sénat, l'ouvrage de référence reste celui de A. Christophilopoulou/H fy'J'^/.Ar-o: zlz 70 B'jIavTî.vov xpaTor, Athènes 1949. Sur le recrutement du nouveau Sénat en Orient, voir en dernier lieu, C. Zuckerman, Tv\o reform's of the 370s : recruiting soldiers and senators in the div ided Empire, REB 56, 1998, p. 79-139, notamment p. 130-135. L'auteur montre que le nouveau Sénat n'est pas de même nature que son modèle romain : les sénateurs étaient beaucoup plus nombreux à Constantinople qu'en Occident. Ils étaient soumis a une contribution pour exercer, le plus souvent fictivement, la charge de préteur. Cette sorte d'impôt extraordinaire fut destiné à financer le développement de la nouvelle capitale.

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qui conduisaient les empereurs à choisir parmi les mêmes familles de fidèles les hauts fonctionnaires, civils et militaires, dont ils avaient besoin.

L'exemple de l'Occident, où les invasions germaniques ont entraîné précocement la dislocation de l'Empire et la constitution de royaumes barbares, devrait nous aider partiellement à comprendre ce qui s'est passé en Orient. Paradoxalement nous sommes mieux informés sur l'Occident que sur l'Orient. Cependant la comparaison est difficile entre les deux parties de l'ancien Empire romain. D'une part les conséquences des invasions germaniques, que certains minimisent à l'extrême, font l'objet de discussion. Toutefois, il paraît acquis que la continuité entre Rome et les premiers royaumes barbares est très forte ~. En revanche l'unanimité ne se fait plus sur la nature des élites et des structures de l'Empire carolingien. D'autre part, nous venons de le dire, la composition des élites diverge dans les deux parties de l'Empire. En Orient, faute de sources s, on se gardera d'avancer des hypothèses trop fermes. Cependant, il est certain que l'Empire du vnie siècle diffère profondément de celui du VIe siècle, tant dans ses structures économiques disparition des cités, ruralisation administratives constitution d'armées provinciales et paiement de l'impôt largement en nature, que dans son environnement spirituel perte de confiance dans la victoire impériale et dans l'éternité de Rome et recherche d'intercesseurs plus efficaces, saints, reliques et icônes. Ce tableau suggère que les transformations de l'Orient auraient été plus complètes qu'en Occident, résultat paradoxal t;, quand on sait qu'à Byzance, le pouvoir impérial s'est maintenu, certes affaibli, mais sans rupture, et que l'administration a toujours uvré dans les provinces à partir d'une capitale, souvent menacée, mais jamais tombée io.

7. Sur ce point, je me réfère à l'ouv rage de K. F. Werner cite précédemment. 8. Les sceaux constituent, en dehors de la Chionique de Théophane et de YHistone abiégée du

patriarche Nicéphore, notre principale source prosopographique pour les vil1 et vin' siècles. Elle n'a pas encore ete exploitée comme elle le mérite. Si l'on ne peut, en l'absence de patronvmes avant le Xe siècle, reconstituer des familles, on peut repérer les noms étrangers, les prénoms rares caractéristiques d'un genos donne.

9. La continuité des institutions romaines en Occident est sujet a vif débat. Voir en dernier heu les remarques de Ch. Wickham, The Fall of Rome Will not take Place, dans Debating the Middle Ages ed bv L. L. Little and B. H. RosEnwein, Oxford 1998, p. 45-57.

10. Comme le notent ajuste titre A. Ka/hdan et A. Wharton Epstein, Chance (p. 4) : « To condemn the seventh and eighth centuries as a Dark Age ot decline and collapse would be misleading simplistic ». En dépit de cette observation, les mêmes auteurs me paraissent exagérer le chaos politique de ces deux siècles. En effet, durant le vu1 siècle, les descendants immédiats d'Heraclius connaissent de longs règnes, et au vin1 siècle, il en va de même avec les Isaunens. La première chute de Justinien II et ses consequences, l'instabilité dv nastique, engendre la seule v raie crise du pouvoir imperial, entre 695 et 717. La fin de la dvnastie isaurienne tragihse a nouveau le

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Ces transformations n'entraînèrent pas ipso facto un changement radical des élites, les familles établies étant souvent les mieux placées pour conserver les principales charges de l'Empire. Si les nombreux échecs militaires ont dû provoquer un renouvellement des officiers supérieurs, destitués en cas d'échec ou morts au combat, la situation a changé dès l'époque des Isauriens, quand les stratèges de thème restèrent de nombreuses années à la tête de la même circonscription 11. Les chefs de l'administration civile, à l'abri derrière les murs inviolés de la capitale, pouvaient conserver ou étendre le réseau d'influence qui garantissait la transmission des postes au sein de leurs familles.

Il n'est guère possible d'analyser en détail l'origine des familles, leurs liens de parenté et les fonctions qu'ont exercées leurs membres avant la fin du Xe siècle, lorsque les noms de famille transmissibles se sont multipliés et ont été relevés de plus en plus fréquemment dans les sources narratives et sur les sceaux de fonctionnaires. C'est pour cette raison que A. Kazhdan a choisi cette date comme point de départ de son ouvrage maintenant classique, qui a fourni des résultats importants IZ. L'auteur a montré qu'en dépit des troubles politiques du XIe siècle, les principales lignées, dont une partie notable apparaît au temps de Basile II, survivent aux nombreux coups d'Etat. Un groupe de familles unies aux Comnènes prend les commandes de l'État lorsqu' Alexis Comnène s'empare du pouvoir en 1081. Désormais les meilleurs postes et les plus hautes dignités s'obtiennent en fonction de la parenté avec l'empereur régnant. Nul ne conteste ce tableau et P. Magdalino a récemment analysé le système de gouvernement autour de Manuel Comnène pour aboutir à de proches conclusions I3. De fait, il est certain que le rôle du sang est devenu primordial dans la définition de la haute aristocratie. Les fonctions les plus élevées sont réparties entre les parents de l'empereur, et la haute dignité de sebaste est spécialement créée pour souligner les liens familiaux avec la dynastie. La carrière d'un homme nouveau ne connaît vraiment son apothéose que si elle passe par un mariage avec une parente de l'empereur, de rang plus ou moins

pouvoir. Mais il faut relativiser ces difficultés : durant les premières années du règne de Basile II, entre 976 et 989, Byzance connaît des guerres civiles qui impliquent l'ensemble des forces armées et entraînent un recul spectaculaire des frontières en Orient et davantage encore en Occident.

1 1. A titre d'exemple, Artavasde aida de façon décisive Léon III à s'emparer du trône en 717. En récompense il devint, peu après, son gendre et reçut le commandement de l'Opsikion. Il était encore en place en 741, quand il disputa le trône à son beau-frère Constantin.

12. A. P. Kazdan, Social 'nyj sostav gospodstvujuscego klassa Vizantii XI-XIIvz'., Moscou 1974. Compte rendu par Irène Sorlin, TM 6, 1976, p. 367-380. Une nouvelle édition entièrement refondue et fort augmentée vient de paraître : K.azhdan-Ronchey, Aristocrazia.

13. P. Magdalino, The Empire of Manuel I Komnenos 1 143-1 180, Cambridge 1993, p. 228- 266.

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éloigné, selon le degré de réussite. Au même moment prédomine l'exaltation des valeurs militaires au sein de cette aristocratie dont l'empereur- guerrier devient le modèle, ce que A. Kazhdan considère comme un fait nouveau, l'opposant à l'idéal philanthropique de l'empereur des siècles précédents.

Cependant on ne souscrira pas à toutes les conclusions de A. Kazhdan, notamment sur les dates qu'il assigne à certaines évolutions de l'aristocratie. Ainsi, l'emploi massif par les empereurs de leurs parents aux plus hauts postes est antérieur au règne d'Alexis Ier Comnène. Les épigones de la dynastie macédonienne, tout particulièrement les empereurs Doucas, avaient montré la voie : conscients de la fragilité de leur pouvoir, cette méthode de gouvernement leur paraissait un gage de pérennité dynastique. Comme les empereurs Doucas ne régnèrent pas longtemps et dans la mesure où ils mêlèrent leur sang à celui des Comnènes, le phénomène n'a pas été pleinement perçu, ce qui importe peu, puisqu'il s'agit en fait du même groupe aristocratique. Mais il y avait eu des précédents plus lointains, certes moins marqués.

Fait beaucoup plus important, il ne me paraît pas sûr que certains caractères attribués aux élites des xie-xne siècles soient si neufs, tout particulièrement, le poids de Y eugéneia, la bonne naissance. Les chercheurs s'accordent à admettre l'émergence d'une nouvelle aristocratie à partir du ixe siècle '4. Pour autant qu'on puisse le savoir, elle provient presque exclusivement d'Asie Mineure, et on est fondé à penser qu'elle justifie sa prééminence parce qu'elle est à la pointe du combat contre les musulmans. Son apparition correspond à l'adoption très progressive d'une anthroponymie plus développée où un nom transmissible capitalise la gloire des ancêtres I5. La question est de savoir si cette aristocratie diffère profondément de celle de la fin du XIe siècle, comme A. Kazhdan le laisse entendre, raison pour laquelle son étude ne remontait pas au-delà du règne de Basile IL Subsidiairement, on peut s'interroger sur l'idée même d'une « nouvelle aristocratie », car les VIIe et vine siècles sont à ce point

14. F. Winckelmann, Byzaiitiiusche Rang-und Amteistiukttn un 8. und 9.Jahrhundeit, Berlin 1985. Idem, Ouellenstudien zui herrschenden Klasse von Byzanz un 8. und 9. Jahiltundeit, Berlin 1987. Voir aussi les commentaires de J H \ldon, A Touch of Class, dans Reclitshistorisihes Journal 7, 1988, p. 37-50.

15. Evelvne Patlagean, Les débuts d'une aristocratie bvzantine et le témoignage de l'historiographie : système des noms et liens de parentés aux IX1'-X1 siècles, Byzantine Anstociacy, p 23-43. Y compléter par J.-Cl. Cheynet, L'anthroponvmie aristocratique à Bvzance, dans L'anthioponymie, document de Thistoue sociale des mondes méditeiianéens médiévaux, éd. par M. Bocrin, J.-M. Martin et F. Menant, Rome 1996, p 267-294, où sont pris en compte les nombreux sceaux contemporains. Yoir aussi A. Kazhdan, The Formation of Bvzantine Familv Names in the 9th and ioth Centuries, Byzantinoslaz ica 58, 1997, p. 90-109.

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Les empereurs et leurs proches (prem

ière moitié du ix" s.)

Bardaneslouikos domestique des Sholes = Donnina

Nicéphore Ier

liene= Léon IV

Constantin VI

Theophanô = Staurakios Piokopia = Michel Il'r I

Bardas li>iuu e

stiatege des Ai meniaques pali laiche

Bivenis Iiene = l.eon Skleios

stiatege du Péloponnèse Ihecle = Michel II = Euphios)ne

\

Léon V = 1 héodosia

Baidas stratège

Giégoue stratège

Hélène = Manuel Domestique des Scholes

1 héophile = Theodora Bardas

PetronasSophia = Constantin

'Kalomana

César domestique

Babout/ikios Iiene = Theophobe

des Scholespatine et stratège

: ArsaberJean VII patnaiche

Michel III = Cudocie = Basile Ier AntigoneIrène =

domestique des Se holesS} mbatios logothete du diome

lui aise palliare lie

liène = Seme

PhòuosTaraise

pati laichepatine

Les empeieuis sont en caiacteres gras et les patiiaiches en italiques. Tous les entants connus ne sont pas poités sur le tableau et l'oidio de pnniogenituie n'est pas systeniatiquenient lespecte.

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dépourvus de sources narratives que beaucoup de conclusions ont été tirées d'une argumentation a silentio 1(i.

Peut-on d'abord considérer que le premier membre connu d'une lignée en est nécessairement le fondateur, marquant l'ascension d'une famille jusqu'alors modeste ? Plusieurs facteurs militent contre une réponse positive. En premier lieu, les noms de famille n'étaient pas parfaitement stables ; celui d'Abastaktos, par exemple, concurrença un temps celui de Lécapène qui l'emporta parce qu'il devint dynastique. Ensuite, la lignée maternelle a parfois primé. Manuel, le premier des Comnènes qui, en 978, s'illustra pour le compte de Basile II face à Bardas Sklèros révolté, est désigné par certaines sources sous le nom de Manuel Erôtikos, très probablement parce qu'il avait pour mère une femme issue des Erôtikoi, race renommée elle aussi. Peut-on dès lors compter les Comnènes comme une famille apparue sous le règne de Basile II ? Ce n'est pas sûr. D'une part, Manuel, nommé stratège autokratôr par l'empereur, n'était peut-être pas un tout jeune homme et avait sans doute acquis sous les empereurs précédents la célébrité dont le gratifie l'historien Bryennios. D'autre part, son père, inconnu des sources, avait tout de même épousé une femme de bonne naissance, ce qui implique, compte tenu de l'endogamie sociale byzantine, que son propre génos n'était pas tenu pour négligeable l7. Autre exemple, celui des Kontosté- phanoi. Le premier membre connu de cette famille, Etienne, domestique des Scholes en 986, fut en partie responsable de la sévère défaite de Basile II face aux Bulgares, cette année-là. Skylitzès rapporte qu'Etienne était surnommé Kontostéphanos en raison de sa petite taille lS. Ici apparaît un nom qui va se transmettre, mais cela n'implique pas que le premier à le porter ait été un homme nouveau. En tout cas Kontostéphanos ne devait pas sa carrière, sûre-

10. On a peu utilisé un document généalogique donné en annexe de la Chronique Bieve du patriarche Nicéphore (éd de Bonn, p. 755-750), la généalogie dite de Yalentinien III, qui trace le stemma des descendants de cet empereur jusqu'à des contemporains de Maurice. Ch. Settipani, dans une étude restée inedite, a commente ce stemma qui permet d'établir un lien entre les dv nasties byzantines des v^-vn1" siècles

17. Les sources désignent Manuel comme Erôtikos, ce qui suggère que les contemporains jugeaient son ascendance maternelle plus relev ee. Même dans ce cas, un tel mariage suppose que les talents de l'époux aient déjà trouvé à s'exprimer. Il est possible que le père de Manuel se soit prénommé Isaac, prénom transmis ensuite à l'aîné des descendants. Un Isaac tut stratège de Thrace et stratège de Macédoine dans la seconde moitié du Xe" siècle, lors de la conquête de la Bulgarie par Tzimiskès ou dans les années suivantes (I. Jordanov, Pecatite ot stiategijata z- Presidi-, Sofia 1993, n"s 234-236 = Thrace, n"

279 = Macédoine) ; il pourrait s'agir du père de Manuel. 18. Skylitzf.s, p. 331. Même cette précision est sujette à caution. Kmnamos (éd. de Bonn,

p. 97) parlant d'un lointain descendant, parfait homomme, affirmait encore qu'on l'appelait ainsi parce qu'il était de petite taille.

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ment déjà longue '9, à Basile II, car l'empereur n'était maître de l'Empire que depuis peu de temps.

S'il est difficile de suivre les alliances matrimoniales avant le IXe siècle, des indices suggèrent cependant que la stabilisation de l'aristocratie militaire a commencé avec la dynastie isaurienne, qui s'établit avec Léon III (717-741) et se renforça avec son fils, Constantin V (741-775). Cette dynastie s'est perpétuée assez longtemps pour constituer un encadrement durable. L'absence de noms de famille transmissibles interdit de suivre lesdites familles, à quelques exceptions près, qui sont fort intéressantes. Les Xilinitai, les Rentakioi, déjà cités avant l'avènement de Léon III, eurent une longue postérité. Constantin V comptait parmi ses proches un patrice, Kamoulianos 2°. Théodore Kamoulia- nos devint stratège des Arméniaques sous Constantin VI 2I. Quelques décennies plus tard, Jean Kamoulianos, métropolite de Chalcédoine, s'opposa aux iconoclastes 22. Le protospathaire David Kamoulianos, exilé pour avoir comploté contre Romain Lécapène vers 919, sans doute parce qu'il était proche des Phocas, reçut des lettres du patriarche Nicolas Mystikos 23 ; ensuite, nous perdons la trace de cette famille, après plus d'un siècle et demi d'existence. Ce fut Constantin V qui promut un Mélissènos, stratège des Anatoliques, et offrit à cette lignée la place de premier rang qu'elle conserva plusieurs siècles. La troisième épouse de l'empereur, Eudocie, l'apparentait précisément aux Mélis- sènes 24. En septembre 788, les Arabes remportèrent une victoire près de Kopidnadon (Podandos ?), dans le thème des Anatoliques, où un tourmarque de ce thème, de bonne réputation, nommé Diogénès, trouva la mort z$. Le nom est peu banal, ce qui rend presque certain son apparentement aux Diogénai des Xe et XIe siècles, tous liés aux Anatoliques. Une aristocratie anatolienne se met

19. Nous manquons d'informations sur les fonctions exercées antérieurement par Etienne ; cependant le poste de domestique des Scholes, le premier de l'armée, n'est pas confié, à cette époque, à jeunes stratèges inexpérimentés, mais constitue le couronnement d'une longue carrière.

20. Sciiptores origtnum Constantinopolitanaium, éd. Th. Preger III, Leipzig 1907, p. 258. L'évêché de Kamouliana dépendait de Cesaree de Cappadoce.

21. Théophane, p. 468. 22. Yie de Iôannikios, AASS II nov., p. 357. Sur le personnage, cf. St. Efthymiadks, Notes

on the Correspondence of Theodore the Studite, REB 53, 1995, p. 155. 23. Nicholas I , Patriarch of Constantinople, Letters, ed. and trans, by R. J. H. Jenkins and L.

G. Westerink, CFHB YI, Washington DC 1973, Lettres n"s 69 et 70. 24. Scriptor incerti's, éd. de Bonn, p. 359-360. Scriptorincertus. Introductione di E. Pinto.

Testo critico, traduzione e note a cura di F. Iadevaia, Àlessine 1987, p. 69-70. 25. Théophane, p. 463.

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en place z(> et elle était déjà plus sensible qu'on ne l'a dit à la gloire des armes. Selon A. Kazhdan, le goût de la prouesse sur le champ de bataille, lié à la glorification de l'aristocratie, n'est guère antérieur au XIe siècle 2". Il souligne que Théophane professe bien peu d'admiration pour les victoires de Constantin YT, ce qui est indéniable 28. Mais Théophane et le patriarche Nicéphore, les seuls chroniqueurs du règne, détestent l'iconoclasme de Constantin V et ne représentent assurément qu'une partie de l'opinion. L'ardent attachement des soldats à leur empereur ne fait aucun doute et lorsque les Bulgares, après leur victoire sur Michel Ier en 811, menacèrent la capitale, nombre de vétérans ou plutôt de sympathisants de Constantin V se rendirent sur le tombeau de l'empereur. Ils firent croire que Constantin leur était soudain apparu, chevauchant, pour prendre la tête des armées 2g. Sans doute, comme au Xe siècle, les habitants de la capitale étaient-ils plus réservés que ceux de l'Asie Alineure à l'égard des officiers qui affrontaient les musulmans, mais en Asie Mineure aux IXe et Xe siècles, des indices sûrs permettent du moins d'affirmer que le souvenir des héros restait vivace 3°.

Les militaires n'étaient pas les seuls à fonder des lignées d'avenir. Le père de Théodore Stoudite, Phôteinos, né entre 720 et 735, avait été « tamias ton basilikôn chrèmatôn », qu'il faut comprendre sans doute comme sacellaire 3I ; son grand-oncle maternel, zygostatès, c'est-à-dire contrôleur du poids et de la qualité des monnaies 3Z. Zôè Karbonopsina, épouse de Léon VI, était l'arrière

26. Bardanios, domestique des Scholes sous Nicéphore Itr, possédait une propriété à Bonita, dans le thème des Anatoliques, où sa tille Irène accueillit Théodore Stoudite exilé (Theodon Studitele epistulae, éd. G. Fatouros, I-II, Berlin - New York 1992, n" 146, 1. 8).

27. Kazhdan-Wharton-Epstein, Change, p. 104-110. 28. Ibtd., p. 7. 29. Théophane, p. 501. 20. A la tin du ixe siècle, les exploits des akrites étaient célébrés en Paphlagonie. Selon une

schohe d'Aréthas de Cesaree (mort en 932) : « Ces maudits Paphlagomens, ayant fabriqué je ne sais quelles chansons traitant de héros fameux, vont les chanter de maison en maison pour ramasser quelques sous »> (C. Jouanno, Digenis Akritas, le liéios des fiontièies. Une épopée byzantine, Brépols 1998, p. 103-104). C'est à la même époque que les Doukai et les Argyroi acquirent leur reputation. Léon VI, affolé par la defection d'Andronic Doukas, chercha à le rallier par l'amnistie la plus totale. En 913, Constantin, fils d'Andronic, encourage par le fervent soutien de ses soldats d'Asie Mineure, tenta un coup de force à Constantinople, où il bénéficiait d'importantes complicités, mais il échoua (Skylitzf», p. 186-188 et p. 198-199).

31. Le sacellaire, successeur du cornes sacianim laigitianuni, contrôlait les finances de l'Etat (N. Oikonomidfs, Les listes de piéséance byzantines des IX' et X' siècles. Introduction, texte, traduction et commentaire, Pans 1972, p. 312).

32. Sur Theodore Stoudite et sa famille, voir Th. Pratsch, Theodoios Studttes (7)9-826 J zziischeii Dogma und Piagnici, Francfort s/Mam, 1998. On connaît une trentaine de parents de Theodore. Parmi ceux-ci, une cousine, Théodotè, épousa l'empereur Constantin VI.

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petite-fille de Phôteinos, stratège des Anatoliques, parent de Théophane le Chroniqueur 33, lui-même de bonne race, puisque fils d'un stratège de la Mer Egée et gendre d'un patrice 34. La famille de Taraise, né bien avant 750 et promu patriarche en 784, nous est connue par la Vie du patriarche et quelques autres sources. Georges, son père, était patrice et questeur, et son grand-père paternel, Sisinnios, patrice et comte des Excoubites une des plus hautes charges militaires de l'Empire. Son grand-père maternel, Taraise, patrice, est vraisemblablement le Taraise qui porta une lettre de Léon de Synada au patriarche Germain. Ajoutons que le frère du patriarche Taraise, nommé Sisinnios, comme leur grand-père paternel, était un officier de l'armée byzantine, qui fut libéré d'une prison franque en 798 35. Avec ces personnages dont les plus anciens sont nés nettement avant 700, nous sommes au plus près de la brèche qui nous sépare de l'ancienne aristocratie sénatoriale.

Autre trait que nous retrouvons ultérieurement, dans une même famille coexistent des civils, des ecclésiastiques et des militaires. Par ailleurs, la famille de Taraise compta ensuite plusieurs patriarches dans ses rangs, dont Phôtios, des fonctionnaires illustres et de hauts dignitaires, et on lui connaît encore des descendants au début du XIe siècle. Or cette lignée ne nous a pas laissé trace d'un nom de famille. Ce constat nous rappelle à nouveau ce principe : il ne faut pas déduire de l'absence des noms de famille qu'il n'existe pas d'aristocratie de sang. Si nous voulons introduire une nuance, le nom transmissible aurait été, semble-t-il, plus utile aux notables provinciaux, donc plutôt aux militaires qu'aux élites constantinopolitaines toujours proches du Grand Palais. L'hagiographie liée à la querelle iconoclaste permet d'éclairer la place de cette aristocratie au vme siècle 3<\

Au début du IXe siècle, nos connaissances se précisent : à plusieurs grandes lignées déjà solidement établies, s'ajoutent rapidement de nouvelles familles 37,

33. Théophane Continué, p. 76. 34. Toutes les références dans Herlong, Kinship, p. 102-103. 35. The Life of the Patriarch Tarasios by Ignatios the Deacon (BHG 1698), Introduction, Text,

Translation and Commentary by St. Efthymiadis, Aldershot 1998, p. 6-1 1. L'éditeur de la Vie note en passant qu'à l'exception du Sicilien Méthode, tous les patriarches de l'époque iconoclaste ont un « noble background ». Rappelons que le patriarche Germain était fils d'un patrice, Justinien, exécuté pour avoir participé au complot qui aboutit à l'assassinat de l'empereur Constant II en 668. Le nom, peu banal, du patrice suggérerait des liens avec la famille de Justinien I".

36. Cf.inftap 300-301. 37. Pour un bref, mais solide aperçu sur l'évolution au IXe siècle, voir W. Treadgold, The

Byzantine Revival, 782-842, Stanford CA, 1988, p. 367-371. On peut aussi consulter P. Y.anno- poulo.s, La société profane dans Tempne byzantin des VIIe, vme et IXL siècles, Louvain 1975.

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telles les Choirosphaktai, les Monomachoi, les Môrocharzanioi, les Génésioi ^s. Lorsque Nicéphore Ier constitua le nouveau tagma des Hicanates, il mêla, dit-on, les fils d'archontes de l'ancienne aristocratie à ceux des nouveaux venus 3l). Les chroniqueurs iconodoules présentent un certain nombre de partisans de l'iconoclasme comme des hommes sans passé pour les déconsidérer, indice que dès le Xe siècle, date de rédaction des chroniques, la naissance était un critère positif. De fait, les futurs empereurs Léon V ou Michel II étaient apparentés entre eux et avaient épousé des héritières. Léon l'Arménien, loin d'être un pauvre soldat sorti du rang, était fils d'un patrice nommé Bardas 4° ; il avait obtenu la main de la fille d'un autre illustre Arménien, le patrice Arsavir, et il était probablement neveu de Bardanios dit Tourkos, ancien domestique des Scholes 4I. Une fille de ce dernier avait épousé le futur Michel IL Léon Sklèros, stratège du Péloponnèse, était le beau-frère de Michel et, en même temps, du stratège Bryennios 42. N'oublions pas que ces immigrés arméniens étaient issus

38. Les Choirosphaktai sont attestés avant le fameux Léon, magistre et parent de Leon YI. Un Choirosphaktès est cité dans la Vie de sainte Theodora de Thessalonique, comme garde du corps d'un empereur iconoclaste qui se livra à des voies de fait sur une abbesse de Thessalonique, parente de la sainte (S. A. Paschalides,'0 fiió: -7t: óaio'vjpooA'j-i^oc (-)zoì)óìpx: -7t: èv WeaaxXovr/cr,. \i'r^ rtn rt ~zpl ~rt: fxz~:y.()zGZCù: to'j -i'j.ifSJ Âsiôàwj ~7t: óaix: (-)ôOo*copxc, Thessalonique 1991, p. 106). Les Monomaques sont attestés dès la fin du vme s. : cf. D. Papachryssanthou, Un confesseur du second iconoclasme, la vie du patrice Nicétas (f 836), TM 3, 1968, p. 309-351. Les Môrocharzanioi, auxquels se rattachait le patriarche iconoclaste Jean Grammatikos, étaient liés à la famille impériale par Arsavir, frère du patriarche, qui avait épousé Alane, sur de l'impératrice Theodora (Théophane Continué, p. 154, 175). Sur les Génésioi, voir A. Markopoulos, Quelques remarques sur la famille des Génésioi aux ixc-xc siècles, ZRVI 24-25, 1986 p. 103- 108.

39. Scriptor Incertus, p. 425 40. Le père de Léon, le patrice Bardas (Génesios, II § 4), est sans doute à identifier au stratège

des Arméniaques de 77 1 . Il aurait donc été promu par Constantin V. En 780/78 1 , Bardas fut surpris par Irène à comploter pour mettre sur le trône un fils de Constantin V (Théophane, p. 445 et P- 454)-

41. Le nom de Tourkos peut suggérer que Bardanios était un proche de la famille impériale : Bardanès indique une origine arménienne, mais Tourkos à cette date, bien antérieure à l'arriv ée des Hongrois, désigne un Khazar. Bardanios pourrait être issu d'une union entre un Khazar et une Arménienne. Ce Khazar pourrait avoir appartenu à l'entourage de la première épouse de Constantin Y, une princesse khazare, qui lui donna un fils, son successeur Léon IY. Sur Bardanios, et. E Kountoura-Galakè, 'H z-y.vy.c>-xn rt -o~j Bacò'àv/] Toópxov, Symmeikta Y, 1983, p. 203-215.

42. L'entourage de Bardanios, successivement domestique des Scholes, stratège des Thracé- siens, stratège des Anatoliques, d'autre part la famille de Leon Y et les circonstances de l'accession de ce dernier au trône ont été étudiées récemment par D. Turnfr, The Origins and the Accession ot Leon Y (813-820), JO B 40, 1990, p 171-203, qui propose de séduisantes hypothèses généalogiques.

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des meilleures familles de leur patrie d'origine dont les Mamikonian +3, les Artzrouni, les Gnouni, les Bagratides. Ils étaient nombreux et probablement tous apparentés entre eux : ainsi s'établissaient des liens de syngambria entre maints hauts dignitaires 44.

Bien avant Léon VI, les empereurs avaient placé leurs proches à la tête des commandements-clés de l'armée. L'impératrice Irène s'est appuyée sur sa famille athénienne, les Sarakontapèchai, durant son règne personnel, lorsqu'elle manquait de soutiens 45. La tendance s'accentue, ou plutôt se perçoit mieux dans les sources, plus abondantes au temps des Amoriens et notamment sous Théophile et Michel III, car les principaux postes étaient aussi tenus par des parents ou des affins. Les fils, les gendres, les neveux succédaient aux pères, beaux-pères ou oncles : Léon l'Arménien fut stratège des Anatoliques comme son oncle par alliance, Bardanios. L'indigence de nos sources et l'absence de noms de familles nous privent d'informations. En dépit de ces manques, on relève des nominations exemplaires :

Artavasde, beau-frère de Léon III, comte de l'Opsikion (717-741), Michel Mélissènos, beau-frère de Constantin V, stratège des Anatoliques,

43. Les Mamikonian portent des prénoms caractéristiques, Mousèhos, Artavasde, ce qui permet de les repérer dans les sources. Grégoire Mousoulakios (fils de Mousèhos) était comte de l'Opsikion en 778 (Théophane, p. 451). Alexis Môsèlè, drongaire de la Yeille (un des chefs de l'armée), devint stratège des Armeniaques en 790 (Théophane, p. 466). Ses descendants se distinguèrent jusqu'au XIe siècle.

44. Curieusement, l'immigration arménienne de la fin du IXe et du Xe siècle a suscité beaucoup de commentaires, en raison du sang arménien qui coulait dans les veines de Basile, fondateur de la dynastie macédonienne, alors que celle du vmc siècle, sans avoir été négligée, a reçu moins d'attention. Pourtant, à observer la liste des stratèges des grands thèmes d'Asie Mineure sous Léon IV, en 778/779, donnée par Théophane (p. 451), la prépondérance des Arméniens est manifeste, puisque à part le premier nommé, tous sont de sang arménien :

Michel Laehanodrakôn, stratège des Thracésiens Artavasde (un Mamikonian), stratège des Anatoliques Tatzatès, stratège des Bucellaires Yaristérotzès, stratège des Armeniaques Grégoire, fils de Mousoulakios.

45. En mars 799, quand un chef slave de l'Hellade complota pour placer sur le trône les fils de Constantin V, Irène envoya contre lui le patrice Constantin Sarakontapèchvs ainsi que le spathaire Théophyiacte, fils de Constantin et neveu de l'impératrice. Dans cette affaire, il est remarquable que Constantin, agissant sans doute à titre de stratège de l'Hellade, ait detenu un poste d'autorité dans sa région d'origine, et qu'il ait mené sa tâche accompagné de son fils (Théophane, p. 473-474). Les Sarakontapèchai survécurent à la chute d'Irène : lorsque l'impératrice fut renversée en 802 par Nicéphore, le patrice Léon Sarakontapèchvs participait au complot (Théophane, p. 476). Cette famille est encore attestée par des sceaux aux xi" et xnL siècles On reconnaît là bien des traits caractéristiques de l'aristocratie aux siècles suivants : exercer des fonctions là où se trouvent les domaines familiaux, commander entouré des siens, survivre aux changements de régime.

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Nicétas, patrice, nobellissime, comte de l'Opsikion, frère de Léon IV +6, Bardas, neveu de Léon V, stratège de Thracésiens, Grégoire, neveu de Léon V, comte de l'Opsikion, Katakylas, cousin de Michel II, comte de l'Opsikion, Manuel, domestique des Scholes, oncle maternel de Théophile, Théophobe, stratège, parent par alliance de Théophile, Bardas, domestique des Scholes, oncle maternel de Michel III, Pétrônas, domestique des Scholes, oncle maternel de Michel III.

Cette liste ne prétend pas à l'exhaustivité, mais prouve que l'habitude de nommer des parents aux commandements les plus importants est bien antérieure au Xe siècle. On constate que l'Opsikion est souvent aux mains d'un parent. Sans doute ce thème a-t-il perdu quelque peu de son importance stratégique dans la seconde moitié du vnie siècle, lorsque sa superficie fut amputée par la création de nouveaux thèmes et que la menace arabe recula, mais il gardait toute sa valeur politique, puisqu'il couvrait toujours la capitale. On ne pourrait pas dresser une liste aussi dense de généraux apparentés à l'empereur au VIe siècle, bien que le changement en ce sens, perceptible dès la mort de Justinien, se renforce sous Maurice et Héraclius, tous deux soucieux de fonder une dynastie 47. Ce dernier, parvenu au pouvoir par un coup d'Etat, confia souvent l'armée, quand il ne la commandait pas, à son cousin Nicétas ou à son frère Théodore.

Les empereurs iconoclastes et leurs successeurs immédiats s'appuyaient donc sur leur famille, comme plus tard les Comnènes, certes de manière bien moins systématique, mais en colonisant déjà l'armée plus que les hautes fonctions civiles. Sans doute n'ont-ils pas créé, comme ces derniers, un titre spécifique pour leurs parents. Ce n'était pas indispensable, puisque à cette époque, les dignités de césar et de nobellissime, quand elles étaient attribuées, l'étaient toujours à des proches parents de l'empereur. Quant à la plus haute des dignités conférée régulièrement à l'époque, celle de magistre, elle fut, un temps, un quasi-monopole de la famille amorienne élargie 4S.

46. Sceau inédit de la collection Zacos. Nicétas avait ete promu nobellissime par son père Constantin Y en 769 et fut emové dans un monastère par sa belle-sœur l'impératrice Irène en décembre 780 (Theophane, p. 444 et p 454).

47. Les empereurs du siècle précédent étaient tous morts sans descendance. 48. La liste des magistres sous Théophile et Michel III s'établit ainsi : Alexis AIôselè, gendre

de Théophile, Constantin Baboutzikios, Arsa\ir, beaux-frères de Théophile, Manuel et Serge Xiketiatès, oncles de l'impératrice Theodora, Bardas et Fetronas, treres de Theodora, Théophobe, beau-frère de Theodora.

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S'il faut encore une preuve que la naissance constitue une distinction dès le vme siècle, ajoutons qu'on trouve mention dans Théophane, à plusieurs reprises, de jeunes officiers auxquels des dignités modestes ont été accordées, mais qui sont identifiés comme les fils de fonctionnaires ornés de titres autrement plus prestigieux : le spathaire et prôtostratôr Constantin, fils du patrice Barda- nès 49, le spathaire Constantin, fils de Vicarios, domestique des Excubites 5°. C'est bien l'image de pères soucieux de pousser leur progéniture 5I. A partir de ces seules informations, on ne peut rien dire de plus sur les ancêtres des pères. Il n'était pas d'usage, car c'était inutile, de faire mention de ses grands-parents. Cependant, c'est à cette époque — vnie-ixe siècles — que la tradition de donner à l'aîné des petits-fils le nom du grand-père paternel s'établit définitivement.

Enfin, toujours par Théophane, nous savons que l'empereur Philippikos avait le projet d'organiser une entrée solennelle à Constantinople le jour de la Pentecôte 713 et d'inviter les citoyens de la ville d'ancien lignage, mais il fut entre-temps renversé par un coup d'Etat S2. Cette précision est d'autant plus remarquable que le siècle précédent aurait pu bouleverser les couches sociales supérieures, mais on constate que la notion d'ancienneté du lignage restait pertinente. Un siècle plus tard, une anecdote suggère que la notion d'aristocratie restait fortement ancrée dans l'imaginaire social. Bardanios Tourkos, qui commandait toutes les troupes d'Orient, songeait à se révolter. D'un naturel prudent, avant de tenter l'aventure, accompagné de quelques-uns de ses officiers, issus du rang, il se rendit auprès d'un moine fort pieux et célèbre pour son don de prophétie. Le moine prédit à Bardanios un échec, mais comme le général s'en allait avec ses hommes, fort dépité, le moine le rappela et lui dit : « Stratège, une fois encore, je t'avise et te conseille de ne même plus songer à ce que tu avais projeté ; sinon, sache bien qu'il en résultera pour toi yeux crevés, fortune confisquée. Mais des trois hommes qui t'ont présenté ton cheval, celui qui te soutenait alors que tu t'apprêtais à monter sera le premier à s'emparer du trône, celui qui tenait le frein sera le second ; quant au troisième, qui tenait l'étrier

49. Théophane, p. 438. Les \ îes de saints des vme et IXe siècles offrent de nombreux exemples supplémentaires.

50. Théophane, p. 454. 51. Aux viic-vmr siècles, certains jugent utile de marquer des relations familiales du type « fils

de » sur leurs sceaux, d'autant plus que leurs pères occupaient une haute fonction. Par exemple, Jean, vestianos, tils de Serge (Zacos-Veglery, n" 2060), Théodose, fils de Kallonas (Zacos- Veglery, n" 2475) Sur ce point voir aussi J. Nesbitt, Double names in early Byzantine Lead Seals, DOP 31, 1977, p. 1 1 1-121.

52. Théophaxe, p. 383.

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droit pour ton pied, il se fera acclamer, mais n'obtiendra pas le trône et périra de la plus misérable des morts. »> Bardanios était en effet entouré des futurs empereurs, Léon V et Michel II, et de Thomas le Slave, qui se rebella contre Michel. Alors Bardanios éclata de rire, estimant que la réputation du moine était totalement infondée, car, écrit le chroniqueur, le général « tenait compte, bien sûr, de la qualité des personnes, qui lui faisait mépriser cette prophétie : un patrice, assis sur le trône des domestiques, investi de toute la puissance possible, d'une origine éclatante, d'une illustre maison, allait manquer son but tandis que des gens obscurs, vivant de leurs gages, incapables de dire de qui ils étaient nés, s'élèveraient à la sublimité du trône impérial ? 53 » Comment ne pas comparer ces paroles à celles de Constantin Dalassènos, deux siècles plus tard, s'insur- geant de la montée sur le trône de Michel IV le Paphlagonien et « s'étonnant de ce que, alors qu'il y avait tant d'honnêtes gens, issus de maisons illustres, et d'une naissance distinguée, on leur eût préféré à tous et proclamé maître et empereur un homme de rien, qu'on pouvait louer à trois sous par jour. » 54

Cette aristocratie du IXe siècle présente déjà une autre caractéristique, qui se retrouve ultérieurement, sa capacité à survivre aux coups d'Etat qui marquèrent l'époque, même si des choix malheureux ont pu entraîner la chute de certaines familles. Déjà au siècle précédent, Michel Lachanodrakôn, qui gouverna le thème des Thracésiens sous Constantin V, dont il appliqua fidèlement les consignes, servait encore dans le même thème 55 sous Irène. Pourtant l'impératrice avait complètement rompu avec la politique du grand empereur isaurien et mené une purge au sein de l'armée des tagmata, lorsque les soldats avaient interdit la tenue du concile prévu à Constantinople en 786. Or, Michel commandait toujours au temps de Constantin VI, qui avait chassé sa mère du pouvoir.

Certaines familles illustres au temps des premiers Macédoniens étaient déjà en place au début du IXe siècle ou bien en cour sous les Amoriens. — Eudocie Ingérina était issue des Inger et des Martinakioi. Or un Inger était métropolite de Nicée vers 825 et n'était donc sûrement pas récemment venu de Scandinavie 5f). Anastase Martinakios était fonctionnaire sous Léon V. —

53. Skylitzes, p. 10. Trad. B. Flusm. Ce discours est évidemment reconstitué, mais il ne faut pas l'attribuer à Skyhtzès, auteur du XIe siècle, car ce dernier utilise des sources antérieures sans les dénaturer.

54. Skylitzfs, p. 393. 55. En 781/2, il tut vaincu dans une rencontre avec les Arabes (Theophane, p. 456). 56. Sur Inger et sa famille, cf. C. Mango, Eudocia Ingérina, the Xormans and the Macedon

ian Dynasty, ZRVI 14-15, 1973, p. 17-27 = Byzantium and its lmas,e. History and Culture of the Byzantine Empiì e and its heiitage, Londres 1984, n" XV.

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Théophanô, issue de la même lignée et future épouse de Léon VI, était liée par le sang à trois empereurs 57. — Les Choirosphaktai, dont l'ancêtre, nous avons vu, fut un farouche partisan de l'iconoclasme, étaient apparentés à Léon VI 58 et restaient aux premiers rangs de l'aristocratie à la fin du XIe siècle. — Un Kratéros, stratège des Anatoliques, fit fouetter Théodore Stoudite en 819 59. Léon Kratéros, lui aussi stratège des Anatoliques, reçut, lors du baptême du jeune Léon VI, quelques cheveux de l'enfant 6o. Les Kratéroi possédaient un splendide oikos à Constantinople. Ce palais devint la résidence de Romain Lécapène, qui le transforma en monastère, le Myrélaion 6l. Théophanô, l'épouse de Romain II, était fille d'un Kratéros hz. Ultérieurement, les Kratéroi ne sont plus connus que par des sceaux datables des xie-xne siècles, avant de retrouver une place de premier plan, à la faveur du bouleversement consécutif à la prise de Constantinople en 1204. — Prenons comme dernier exemple celui des Katakalôn/Katakoilas : le premier de ce nom à s'illustrer fut stratège de l'Opsikion et défendit avec obstination Michel II contre Thomas le Slave 63. Un de ses descendants fut domestique des Scholes sous Léon VI 64. Les Katakalôn continuèrent à briller au cours des siècles suivants, jusqu'à intégrer l'aristocratie des Comnènes 65.

A la fin du IXe siècle, Léon VI posait crûment la place de Y eugènia dans le choix des généraux et de leurs subordonnés, et il ne fait pas de doute que le mot est pris ici au sens propre. L'empereur adopta un compromis, qui correspondait à la politique implicite des empereurs précédents : appartenir à une famille illustre était certes un avantage considérable, mais il ne fallait pas écarter ceux

57. Herlong, Kinship, p. 119-121. 58. Léon Choirosphaktès, haut dignitaire et diplomate sous Léon VI, était parent de la

quatrième épouse de l'empereur. 59. Herloxg, Kinship, p. 139-143 et Efthymiadis, op. cit. (n. 22), p. 159-160. 60. De Cenmoniis, éd. Bonn, p. 622. 61. C. Mango, Le développement urbain de Constantinople ( IVe -VIIe siècles) , Paris 19902,

P- 59- 62. Plusieurs chroniqueurs nous présentent la belle impératrice comme née de famille

obscure, l'un d'eux (Skylitzès, p. 240) la disant même fille de cabaretier, sans craindre l'invraisemblance. Le jeune empereur, dont on ne sollicitait pas vraiment l'avis, était traditionnellement marié à une fille de bon lignage. Une nouvelle fois est ainsi illustré le peu de crédit qu'on peut accorder aux chroniqueurs sur la définition sociale des personnages qu'ils mentionnent.

63. Skylitzès, p. 31, 33, 37, 38. 64. Constantine Porphyrogenetus, De admimstrando impeno, éd. G. Moravcsik, traduction

anglaise par R. H. J. Jenkins, Washington DC 19672, p. 206. 65. Constantin Katakalôn Euphorbènos, un des généraux les plus actifs d'Alexis Comnène

(Anne Comnène, Alexiade, éd. B. Leib, Paris 19672 II, p. 194, 195, 201, 212).

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L'ARISTOCRATIE BYZANTINE (VIIT-XIIT SIÈCLE) 297

que leurs qualités personnelles recommandaient pour ces fonctions M\ Au Xe siècle, c'est sur ce critère d'eugènia que furent nommés les généraux commandant en Anatolie. Quoiqu'on puisse distinguer plusieurs clans parmi les grandes familles anatoliennes, elles étaient toutes apparentées et monopolisaient les grands postes (domestique des Scholes, stratège des principaux thèmes), avec l'aval des empereurs Macédoniens. Lorsqu'un de ces puissants généraux, Nicéphore Phocas, parvint au trône, il gouverna en s'appuyant sur ses proches parents : un neveu, pourtant incompétent, Manuel, fut envoyé en Sicile et y périt avec son armée ; un autre neveu, Jean Tzimiskès, fut promu domestique des Scholes ; un cousin germain, Eustathe Maléïnos, devint le premier stratège d'Antioche reconquise ; Léon, frère de l'empereur, brillant général qui abandonna l'armée, occupa le poste de logothète du drome, jugé très lucratif. Si Nicéphore avait réussi à établir une dynastie, elle aurait présenté des caractères proches de celle des Comnènes, ce qui est naturel, ces derniers étant, eux aussi, liés à l'Anatolie, même s'ils étaient établis à Constantinople au moment de leur coup d'Etat.

En résumé, une aristocratie, certes largement ouverte, est déjà en place au IXe siècle. Elle est fondée sur le service des empereurs, qui font appel à leurs parents et aux lignées qui ont déjà fourni des fonctionnaires, mais cela n'interdisait nullement aux hommes nouveaux de trouver leur place. Le plus souvent la puissance d'une lignée passait par la brillante carrière militaire de son fondateur. Deux phénomènes complémentaires favorisaient l'appel à de nouveaux venus. D'une part la stérilité de certains couples et les lourdes pertes au combat provoquaient sûrement l'extinction de certaines familles, obligeant à recruter des hommes neufs ; d'autre part les effectifs de l'administration impériale gonflaient à proportion de l'extension territoriale. Cette expansion vigoureuse des effectifs a atténué les rivalités et limité les heurts entre héritiers et ambitieux de basse extraction et a facilité l'intégration de nombreux Arméniens ou autres étrangers, sans réaction xénophobe notable.

La notion d'aristocratie reconnaît une place eminente aux liens du sang et à l'hérédité dès la seconde moitié du vnie siècle. Seul trait peut-être archaïque, il semble qu'au IXe siècle encore, les membres d'une famille ne soient pas

66. Léon VI, Taktika, IV, 3 ; II, 25. Commentaire de ce texte, avec une interprétation differente, dans Irène A. Antonopouloi1, II « ap!/77ozpxT''x » n-.r> B'j^âvTio — MacT'jpîc. xrró ex Tzy.-iv.y. tom Asovtx — t to'j ^Ioov'j, II"' \\y.vz~t.'/;rtvivJj laTopr/.ó — 'jve^cio, Thessalonique 1993, P- I53"I59- Ajoutons qu'il faudrait étudier les fonctions occupées par les parents de Léon VI et tout particulièrement ceux de sa quatrième femme, Zôè Karbonopsma, qui lui a donné son héritier mâle : Léon Choirosphaktès, Léon Rhabdouchos, Himénos ont joué les premiers rôles.

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toujours distingués pour leurs talents personnels, mais pour leur appartenance à un génos, groupe plus large que la famille nucléaire, alors qu'ultérieurement l'accent est mis davantage sur l'individu. Un phénomène à certains égards parallèle est discernable dans la transmission de l'Empire. On passe d'une conception où toute une famille est élue et dont tous les hommes sont associés au gouvernement de l'État à un système où seul un des fils, en principe l'aîné, règne 67.

L'aristocratie et la terre

II n'est pas question, ici, de revenir sur l'histoire agraire de Byzance qui a fait l'objet de récentes études 6S, mais de considérer la nature des rapports entretenus entre les paysans et les grands propriétaires laïcs. La législation macédonienne du Xe siècle a imposé l'idée d'une profonde dégradation de la situation des paysans, alors que les empereurs ont tenté de s'opposer à un changement de statut juridique, parfois voulu par les paysans eux-mêmes, car leur condition économique n'empirait pas nécessairement sous ce nouveau statut.

Selon un point de vue longtemps dominant, la terre était cultivée pour la plus grande partie par de nombreux petits propriétaires libres qui, le cas échéant, lâchaient la charrue pour rejoindre les contingents de leurs thèmes et battre les envahisseurs 6q. Mais cet équilibre idyllique aurait été rompu au Xe siècle par l'appétit des puissants qui, en dépit des efforts de quelques bons empereurs — Romain Lécapène et Basile II ont droit au tableau d'honneur — , auraient absorbé les terres des petits propriétaires, ce qui aurait entraîné toutes sortes de conséquences désastreuses. L'affaiblissement de l'armée des thèmes aurait empêché l'Empire de se défendre au XIe siècle, les pauvres paysans auraient été écrasés de charges imposées par des propriétaires avides, au point que, pensa-t-on longtemps, l'économie rurale au XIe siècle aurait connu une phase de déclin. Inutile de faire longuement justice de ces idées fausses : l'armée des thèmes n'était plus efficace dès l'époque des grandes conquêtes du Xe siècle 7°. Tout le monde s'accorde sur l'idée d'une croissance, lente sans

67. G. Dagron, Empeteur et prêtre. Etude sur le « césaiopapisme » byzantin, Pans 1996, P- 49-54-

68. Kaplan, Les hommes et la terre, auquel s'ajoutent un long compte rendu critique de A. Kazhdan et la réponse de l'intéressé (Byzantinoslavica 55, 1994, p. 66-88 et p. 89-95) ainsi que l'article cité supia n. 1 .

69. Une fois de plus, le savant qui popularisa cette vision favorable au rôle des Slaves fut G. Ostrogorsky, qui suivait les savants russes du début du siècle.

70. La seule v raie question est de savoir si l'organisation des thèmes fut jamais efficace auparavant, puisqu'entre 640 et 741 elle fut incapable de remporter une victoire importante en rase

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aucun doute, mais continue, de l'économie byzantine du ixc au XIIe siècle au moins, même si l'impact négatif de l'invasion turque sur l'xAsie Mineure, qui est assuré, est mal mesurable 7I.

Reste à examiner le rapport entre aristocratie et grande propriété. Il n'est pas niable que le Xe siècle marque l'expansion de la propriété aristocratique, sinon on ne comprendrait pas pourquoi les empereurs eurent le sentiment d'une crise sociale qui mettait en péril les moyens propriétaires parmi lesquels ils recrutaient les soldats des thèmes 72. Est-ce à dire qu'auparavant, elle était quasiment dépourvue de terre ? Cela paraît invraisemblable. Sans doute notre documentation est-elle pauvre et les deux grands propriétaires toujours cités, Philarète, beau-père de Constantin VI, et la veuve Daniélis, mère adoptive de Basile Ier, sont trop singuliers pour donner lieu à généralisation. Ainsi l'estimation de la fortune de Philarète est inspirée directement du Livre de Job 7^, ce qui rend assez vains tous les commentaires sur la composition de cette fortune. Quant à la veuve Daniélis, sa condition est incertaine, peut-être s'agit-il d'une archontissa slave du Péloponnèse. La hauteur de sa fortune, qu'elle transmit en bonne part au futur empereur Basile, devait justifier que le futur empereur Basile le Macédonien eût été très riche avant même d'éliminer Michel III 74.

campagne face aux Arabes. A partir de Constantin V, l'armée centrale des tagmata, restaurée, seconde les thèmes dans toutes les campagnes majeures. Sur la médiocre qualité des soldats thématiques au xc siècle, v oir par exemple, G. Dacron — H. Mihâescu, Le tiaité sur la guérilla de Vempeteur Xicéphoie Photas, Pans 1986, p. 275-283. Sur le statut du soldat des thèmes, voir en dernier l'étude très complète de J. Haldon, Military service, military lands, and the status of soldiers : current problems and interpretations, DOP 47, 1993, p. 1-67, repris dans State, At my and Society in Byzantium, Aldershot 1995, n" VII.

71. Pour les vni^-ix1 siècles, voir \V. Treadgold, The Byzantine Revival, 782-842, Stanford CA, 1988 ; pour l'époque postérieure, voir M. Hendy, Byzantium, 1081-1084 : An Economie Reappraisal, Ttansactions of the Royal Histoiical Society, ser. 5, 20, Londres 1970, p. 31-52, repris dans Idem, The Economy, Fiscal Admimstiatwn and Coinage of Byzantium, Northampton 1989, n" II et du même, « Bvzantium, 1081-1204 » : The Economy revisited, Twenty Years On, ibid. n" III, et en dernier lieu A. Harvey, Economic Expansion in the Byzantine Empite 900-1200, Cambridge 1989.

72. La creation de la categorie des terres dites stratiotiques, transmissibles et rendues inaliénables, est sans doute à mettre en rapport avec cette dégradation de la condition des moyens propriétaires au cours des IXe et xc siècles plutôt qu'av ec l'établissement des armées thématiques au vil* siècle.

73. I. BroijSselle, Recheiches tut les elites dirigeantes de la société byzantine fix1' siècle — irc moitié du X1 siècle), Thèse inédite de l'Université de Pans I, 1986, p. 329-330.

74. Avec les dons de Daniélis, Basile acheta en Macédoine « des propriétés suffisantes pour assurer à toute sa parente une large aisance •>, devenant lui-même un grand propriétaire (Skylitzes, p. 122-123). Basile accusa Michel III d'avoir v idé les caisses de l'Etat en faveur de ses compagnons, or Basile avait ete l'un d'eux.

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Les indices ne manquent pas qui suggèrent l'existence de grands domaines avant le Xe siècle. Tout d'abord, si l'on considère que les biens monastiques proviennent le plus souvent de patrimoines aristocratiques, et que les fondations monastiques se multiplient à partir de la seconde moitié du vme siècle 75, notamment en Bithynie, on admettra que l'aristocratie résidant à Constantinople était déjà dotée d'importants biens-fonds dans cette province, ce qui ne saurait surprendre, vu la facilité d'accès par mer. E. Kountoura-Galakè a étudié récemment ce milieu, largement iconodoule dans la seconde moitié du vine siècle 76. Les saints iconodoules, quasiment tous issus de bonne famille — nous avons vu que ce n'est pas un topos hagiographique 77 — étaient héritiers d'importantes fortunes. Les parents d'Etienne le Jeune, victime de la colère de Constantin V, habitaient les beaux quartiers de la capitale, dans une maison de belle proportion 7H, à quelques pas du palais dit de Constance, propriété d'un autre héros des iconodoules, Théodore Stoudite 7<->. Cette richesse ne doit pas étonner puisque plusieurs parents de ces saints avaient exercé de hautes charges dans les bureaux financiers : le père de Théodore Stoudite avait sans doute été sacellaire, Théo- phane le Confesseur, tout jeune, avait été dioecète de la région de Cyzique, ville dont il avait reconstruit à ses frais la forteresse. Il hérita de son père de nombreuses propriétés sur certaines desquelles il fonda des monastères. Le moine Atha- nase, avant de se retirer au monastère de Médikion, exerçait une charge dans le service du logothésion (génikon) ; il était issu d'une bonne famille 8o. Constantin V se serait montré hostile à cette aristocratie constantinopolitaine qui, à ses yeux, transférait trop de biens fonciers aux monastères familiaux, les rendant inaliénables, et cette pratique expliquerait pourquoi l'empereur confisqua une partie des biens de ces monastères. Sa politique à l'égard du thème des Thra- césiens, où son fidèle Lachanodrakôn appliqua scrupuleusement ses consignes et dispersa de nombreux moines, se justifierait de la même manière. On peut se demander si cette aristocratie n'était pas déjà présente dès le VIIIe siècle dans un thème fertile et le plus éloigné du front arabe. Dans ce cas, la répartition

75. Voir par exemple les fondations de Platon, de Théodore Stoudite, de Théophane. 76. Éléonora Kountoura-Galakè, 0 RvZavnvoz /i/.t/'jo; y.ai >/ xmvovia to>v « ^Lhotuvoiv

At('')V(i)V », Athènes 1996, particulièrement p. 185-204. 77. Kazhdax et Wharton-Epstein, Change, p. 7 sont d'un avis contraire, mais sans expliciter

les raisons de leur opinion. 78. La Vie d'Etienne le Jeune par Etienne le Diacre, introduction, édition et commentaire par

AI. -F. Auzépy, Aldershot 1997, p. 91. 79. Vie de Théodore Stoudite (version C) éd. B. Latysev, Vizantiskij Vremenik 12, 1914,

p. 262. 80. Kountoura-Galakè, op. cit., p. 188.

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géographique des biens de l'aristocratie constantinopolitaine, qu'on connaît pour le XIe siècle et qui montre une concentration en Bithynie et dans l'Asie Mineure occidentale, serait déjà largement en place beaucoup plus tôt.

Les biens des monastères étaient à cette date cultivés principalement par des parèques, ce qui explique les vigoureuses protestations de Théophane contre Nicéphore Ier, qui avait imposé de nouvelles taxes sur ces paysans. On peut supposer qu'il en allait de même, sur des domaines laïcs. En outre, en 866, lors de la brève guerre civile qui opposa le comte de l'Opsikion, Pèganès, à Basile Ier qui venait d'être promu coempereur par Michel III, de nombreux domaines appartenant à l'aristocratie constantinopolitaine furent incendiés 8l. Le vocabulaire employé, les domaines (agroi) appartenant à des puissants (dynatoi), évoque celui des novelles du Xe siècle. La grande propriété n'était probablement pas limitée aux environs de la capitale, ni même à l'Asie Mineure. Une sainte du nom de Theodora appartenait à une excellente famille originaire d'Égine. Elle se réfugia avec son époux à Thessalonique, lorsque l'île fut ravagée par les Arabes. Une fois veuve, elle fit trois parts de sa fortune, deux-tiers pour les pauvres et le reste pour un monastère qui reçut cent pièces d'or, trois esclaves et d'autres biens non précisés S2. On peut en conclure — si l'anecdote est exacte, mais l'hagiographe se devait de ne pas commettre d'invraisemblance — qu'au début du IXe siècle, une famille venue d'une province lointaine pouvait compter sur une réserve monétaire d'au moins trois cents pièces d'or. Une inscription de Skripou en Grèce, datée du rxe siècle, fait allusion à la fortune foncière du fondateur d'une église, un protospathaire, épi ton oikeiakôn, ce qui faisait de lui un vrai notable dans sa province 83. Enfin, N. Oikonomidès a montré récemment qu'au début du Xe siècle, lorsque les empereurs engagèrent le combat pour la défense de la petite propriété, celle-ci était sans doute déjà minoritaire dans plusieurs régions, dont le riche thème des Thracésiens, ce qui corrobore notre opinion : ce thème était depuis longtemps le centre de grands domaines *4.

81. Théophane Coxtixi'e, p. 240 : Pèganès et son complice « tzoaac/jz àypoù:: :wv xarà -çj [iani/.iàa ^ovxtgjv — 'jp-oÂ/jTavTcr » . Ld Vie de Pierre cl'Atroa décrit la société bithynienne où le saint accomplit des miracles. Il guent un jour le tils d'une femme de rang sénatorial. Leur heu de résidence était Xicee, mais ils séjournaient aussi longuement sur un domaine situé à la campagne, à proximité du monastère de Pierre ( Vie de Pierre d'Atroa, § 51).

82. Vie de Theodora, op. ut. n. 38, p. 104-106. 83. Dernière edition a\ec commentaire, N. Oikoxomides, Pour une nouvelle lecture des

inscriptions de Skripou en Béotie, T\I 12, 1994, p. 479-493. 84. N. Oikoxomides, The Social Structure of the Byzantine Countryside in the First Half or

the Xth Century, Hrjiu 1- 1 y.T a 10, 1996 p. 105-125. Dans la Vie de Pierre d'Atroa, apparaît Eustathe,

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La fortune aristocratique provenait de trois sources, dont l'importance relative variait selon la position sociale plus ou moins élevée du détenteur :

— Les biens patrimoniaux, constitués en majeure partie de domaines fonciers. Les terres héritées prédominaient dans la composition des fortunes de l'aristocratie résidant en province et peut-être dans celles des fonctionnaires civils servant à Constantinople quand ils investissaient dans les boutiques de la capitale 8s.

— Les donations foncières des empereurs, souvent viagères, parce que conditionnelles. Ainsi Constantin Leichoudès, futur patriarche, bénéficia du charisticariat des Manganes, la vaste fondation de l'empereur Constantin Monomaque, dotée de biens dans tout l'Empire, et ordinairement les mésazontés du XIe siècle (responsables officieux du gouvernement) jouirent d'immenses concessions de revenus. Beaucoup de hauts dignitaires se virent octroyer par les empereurs de vastes oikoi à Constantinople, oikoi qui changèrent souvent de mains, car leur attribution dépendait de la position officielle des bénéficiaires Sf). Plus généralement, la donation ou dôréa peut être conditionnelle et n'implique pas une perte définitive pour le donateur. De toute manière, un système de distribution des biens qui fonctionne sans épuiser la fortune publique suppose un retour régulier à cette dernière pour équilibrer à long terme les sorties. A partir de la reconquête en Asie Mineure au Xe siècle et surtout à partir de Basile II, les donations — et les ventes — de terres publiques sont moins fréquentes, car l'empereur a décidé d'exploiter directement ces domaines, réorganisés en puissantes curatories *7.

curateur des biens du protospathaire Staurakios. Sous Alichel II, Pierre prévient Eustathe que l'empereur Michel II soupçonne son maître de comploter contre lui. Cet Eustathe était originaire du thème des Thracésiens, et il ne serait pas impossible que Staurakios ait fait choix d'un homme du cru pour gérer ses biens, qui dans ce cas seraient situés dans ce thème (Vie de Pietre d'Atioa, §57)-

85. N. Oikonomidès, Quelques boutiques de Constantinople au Xe siècle : prix, loyers, imposition (cod. Century Patmiacus 171), DOP 26, 1972, p 345-356, repris dans Byzantium fiom the ninth centuiy to the fourth Crusade : studies, texts, monuments, Aldershot 1992, n" VIII.

86. P. Magdalino, Constantinople médiévale. Etudes sur révolution des sUuctures m haines, Paris 1996, p. 42-48. La récompense accordée aux lieutenants qui abandonnèrent Bardanios Tourkos lors de sa revolte est exemplaire de ce point de vue. Léon, le tutur empereur, en même temps que la charge de tourmarque des fédérés, se vit accorder l'oikos de Zenon, et Michel, autre tutur empereur, reçut, en même temps que la fonction de komès tes koitès, l'oikos de Kananos (Theophane Continué, p. 9).

87. Sur ce point voir en dernier heu, J. Howard-Johnston, Crown Lands and the Defence of Imperial Authority in the Tenth and Eleventh Centuries, Byzantinische Foischungen XXI, 1995, p. 75-100.

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Les successeurs de Basile II ont suivi la même politique, ce qui explique pourquoi ils cessèrent, à partir de Romain III, de contrôler l'expansion des grands propriétaires, puisque l'enjeu avait disparu, d'autant plus que le mode de recrutement militaire n'impliquait plus une masse de soldats propriétaires.

Enfin les dignités et les charges, auxquelles étaient attachées des rogai, les premières étant viagères, les secondes révocables ad nutum. G. Weiss, puis G. Litavrin ont souligné depuis longtemps que les titulaires de hautes dignités, c'est-à-dire l'élite de l'aristocratie, ceux que les textes désignent comme les egkritoi, les proteuôntés, tiraient un plus grand revenu du versement des rogai que de leurs biens fonciers patrimoniaux 88. Les éléments permettant d'évaluer approximativement les revenus et la fortune d'un notable sont disponibles dans peu de cas, qui portent seulement sur des fortunes récentes (Attaleiatès, Pakou- rianos) ou moyennes (Boïlas). Un rapide raisonnement à partir d'estimations nécessairement grossières conduit à une conclusion identique pour les fortunes mieux assises. Un Nicéphore Phocas, magistre et domestique des Scholes, recevait en principe deux rogai, l'une qu'on peut estimer à 16 livres d'or pour sa dignité de magistre, et une somme inconnue, mais élevée pour sa charge de domestique, la première de l'armée byzantine, soit sans doute 40 livres d'or, pour le placer à parité avec le stratège des Anatoliques 8cj. Si l'on admet que le revenu net de la terre n'était guère supérieur à 3 '/2 % 9°> ^ faudrait un capital foncier de l'ordre de 500 livres pour obtenir un revenu de 16 livres, et ajouter 1 100 livres de plus pour les 40 livres de la charge. Ce total semble supérieur à celui des plus grandes fortunes foncières connues, celles qui ont été confisquées, par exemple les biens de A'Ianuel Kamytzès vers 1200. On ignore le prix de la terre en Cappadoce au Xe siècle. Admettons cependant que le modios de terre (environ i/ioe d'hectare) valait en général un demi-nomisma (c'était la valeur de la terre arable de qualité courante, selon une instruction fiscale du

88. G. WeiB, Vermôgenbildung der Byzantiner m Privathand. Methodische Fragen einer quantitativen Analyse, Byzantina 11, 1982, p. 75-92 ; G. G. Litwrin, Otnositel'nye razmerv i sostav imuscestva provincial'noj vizantijskoj aristokratsu vo vtoroj polov ine xi veka, Vizantijskie Oceikt 2, 1971, p. 164-168 ; J.-Cl. Cheynet, Fortune et puissance de l'aristocratie (x^-xn1 siècle), dans Hommes et lichesses II, p. 199-213.

89. Nicéphore Phocas, avant d'être promu domestique, était à la tête du thème des Anatoliques, fonction la mieux rémunérée de l'armée d'après les listes de rogai plus anciennes.

90. Pour ces estimations cf. N. Oikonomidfs, Terres du tisc et revenu de la terre aux x'-xi1' siècles, dans Hommes et richesses II, p. 331.

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XIe siècle 91 ; en Cappadoce, riche en terres de pâture, ce prix était sûrement moins élevé). En se plaçant dans cette hypothèse, un capital de 500 livres (36 000 nomismata) représenterait une terre de 72 000 modioi, et un capital de 1 100 livres près de 160 000 modioi 93, soit au total 232 000 modioi. Rappelons que les plus puissants monastères de l'Athos, ceux de Lavra et d'Iviron, possédaient en Macédoine respectivement 50 000 et 80 000 modioi (dont une partie était de faible rapport).

Il est remarquable que Nicéphore Phocas, devenu empereur, ait immédiatement promu son frère, Léon, curopalate, et son vieux père, Bardas, césar, deux titres qui comportaient des rogai bien supérieures à celle de magistre. Autrement dit, il est raisonnable d'affirmer que même pour les familles les plus puissamment établies dans les provinces, le service de l'empereur constituait la première source d'enrichissement. À un échelon plus modeste, comme celui de Boïlas, la situation est un peu différente ; Boïlas ne semble pas avoir reçu directement de l'empereur une charge, à Constantinople ou en province, mais avoir servi les Apokapai, des Géorgiens, qui occupaient de hautes fonctions militaires. Le titre de protospathaire, auquel était attaché un traitement d'une livre, importe moins, dans son cas, que ses biens-fonds, qui lui fournissaient un revenu de plusieurs livres 93.

On voit à quel point les donations impériales sont importantes pour le maintien du statut social à chaque génération, car elles sont souvent conditionnelles. On pourrait donc interpréter la pression qu'exercent les puissants au xe siècle contre les faibles comme une tentative d'acquérir, indépendamment du pouvoir central, un capital foncier qui ne serait pas remis en cause à chaque génération, puisqu'il aurait été constitué par des achats à des personnes privées, quel qu'ait été le degré de consentement de ces dernières. Pour cette raison, sont visés dans ces novelles en premier lieu les fonctionnaires, les plus menacés par le retournement de faveur, le cas de Philokalès étant sur ce point exemplaire 94. La novelle de Basile II qui s'attaque aux Phocas et aux Maléïnoi ne

91. Geometries du fisc byzantin, édition, traduction, commentaire par J. Lefort, R. Bondoux, J.-Cl. Cheynet, J.-P. Grélois, V. Kravari, avec la collaboration de J.-M. Martin, Paris 1991, P- 253-

92. Nous ignorons le prix des grands domaines et des villages. Le peu d'indications dont nous disposons suggère que les transactions s'effectuaient à un prix de 15 à 20 livres d'or. Nicéphore Phocas aurait dû posséder au bas mot 80 domaines ou villages pour que ses revenus fonciers égalent son traitement.

93. Lemerle, Cinq études, p. 23. 94. Cet eunuque, issu d'une famille modeste, devenu protovestiaire de Basile II, avait acheté

tout le village d'où il était originaire, contrairement à la législation en vigueur. Basile II, dont il était

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leur reproche pas leur fortune, mais le fait d'avoir exercé pendant plusieurs générations des fonctions d'autorité (dynasteia) .

On a conservé un extrait de l'interrogatoire de Santabarènos, accusé de complot par Léon VI. André, domestique des Scholes, lui demande de la part de l'empereur : « Où sont l'argent et les biens qui appartiennent à ma couronne ? ». Réponse de l'accusé : « Ils sont chez ceux à qui l'empereur de l'époque les a donnés. Mais puisque celui qui vient de monter sur le trône les recherche aujourd'hui, il a pouvoir et de les chercher et de les prendre » 95. Les donations impériales sont donc fréquemment remises en cause sans soulever de protestations majeures, sauf au XIe siècle, quand la succession des empereurs provoqua une rotation rapide des biens. Michel Attaleiatès se plaint de l'ingratitude des empereurs nouvellement au pouvoir à l'égard des serviteurs de leurs prédécesseurs et a invité, avec succès, Nicéphore Botaneiatès à légiférer pour limiter cet abus gh.

G. Ostrogorsky concluait que « landholding was economic fondation of the aristocracy's position », en s'appuyant sur l'opinion de Kékauménos, selon qui rien ne valait mieux que les revenus de la terre 97. Aujourd'hui, il apparaît clairement que chez les plus puissants des aristocrates, priment les dons de l'empereur 9S. Le sentiment de Kékauménos ne peut être considéré comme Y opinio communis du temps, mais celle d'aristocrates provinciaux, qui étaient

pourtant par sa charge fort proche, l'obligea à restituer et à raser les splendides bâtiments que le protovestiaire s'était fait construire, N. Svoronos, Les Novelles des empereurs macédoniens concernant la terre et les stratiotes. Introduction, édition, commentaires. Edition posthume et index établis par P. Gounaridis, Athènes 1994, p. 203.

95. Théophane Continué, p. 355. 96. L. Burgmann, A law for emperors : on a chrysobull of Nikephoros Botaneiatès, dans Nezv

Constantines, The Rhythm of Imperial Renezval in Byzantium, 4th- 1 3th Centuries, éd par P. AIag- dalino, Aldershot 1994, P- 247_257- Attaleiatès a sans doute participé à la rédaction de la novelle. La novelle interdit de confisquer sans motif légitime les biens des parents et serviteurs des empereurs qui avaient perdu le pouvoir.

97. Ostorgorsky, Aiistocracy, p. 29. 98. Basile Lécapène, eunuque de sang impérial, qui gouverna l'Empire entre 976 (date de la

mort de Jean Tzimiskès) et 986 (lorsque son jeune petit-neveu, Basile II, décida de gouverner par lui-même) adopta une solution originale, en s'attribuant d'immenses domaines dans les provinces nouvellement conquises en Orient. Déjà Jean Tzimiskès, revenant de campagne, était passé par la Cilicie et avait interrogé les autochtones sur le nom des propriétaires des terres qu'ils cultivaient ; il s'entendit répondre qu'elles appartenaient à Basile. L'empereur fut surpris et scandalisé que le sang verse par les armées romaines en Orient ait enrichi un seul homme. Il mourut avant d'avoir pu corriger cette situation, et certains insinuèrent que Basile l'avait fait empoisonner (LéoN Diacre, éd. de Bonn, p. 176-177). Une telle richesse explique que Basile ait pu compter trois mille serviteurs et fidèles dans son palais de Constantinople, nombre sans équivalent chez les autres aristocrates bvzantins.

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méfiants envers une capitale où se faisaient et se défaisaient les carrières et dont la position dépendait réellement de la fortune foncière héritée. De plus, il est maintenant bien établi que les aristocrates, aussi bien en province qu'à Constantinople, s'engageaient résolument dans les activités commerciales, souvent par l'intermédiaire d'hommes de paille ".

Quel était le statut de l'aristocratie devant l'impôt IO° ? De nombreux documents concernent les exemptions d'impôt (ou exkousseia) accordées par l'empereur à de grands propriétaires, le plus souvent des monastères, puisque seules nous sont parvenues des archives monastiques. L'exkousseia a été comparée à l'immunité occidentale IQI. La réalité paraît bien différente. En règle générale jusqu'en 1204, l'exemption ne comprend pas la totalité des impôts et notamment pas l'impôt foncier de base, mais seulement un certain nombre de charges complémentaires, du reste assez lourdes (25 % du total) : l'avantage n'est donc pas mince I02. De plus il est possible que les empereurs se soient montrés moins généreux envers les laïcs qu'à l'égard des monastères I03. Les procédés fiscaux employés sont connus dès l'époque romaine. Comme l'a bien montré N. Oikonomidès, on est passé de l'exemption de toute une catégorie, par exemple les clercs, à des exemptions accordées à des groupes restreints ou à des individus, ce qui fonda la fiscalité sur les relations personnelles caractéristiques de l'époque médiévale I04.

On peut aussi se demander dans quelle mesure les privilèges impériaux étaient respectés. G. Ostrogorsky, s'appuyant sur la demande faite par les moines de Patmos à l'empereur Manuel Comnène pour obtenir une dispense complète de toutes charges, conclut à l'accroissement des privilèges. En réalité les moines, qui avaient reçu d'Alexis Comnène des exemptions de charges et de nombreuses donations, se trouvaient dans l'impossibilité de faire respecter leurs droits sous les successeurs d'Alexis car les praktôres (fonctionnaires du fisc) de l'île de Samos, dont Patmos dépendait théoriquement, exigeaient du

99. Sur ce point voir A. Giardina, Modi di scambio e valori sociali nel mondo bizantino (iv-xii secolo), Mercati e mercanti nell'alto medioevo : l'area euroasiatica e l'area mediterranea (Settimane di studio del centro italiano medioevo 40, Spolète 1993, p. 575-578 et D. Jacoby, Silk in Western Byzantium before the Fourth Crusade, BZ 84/85, 1991/1992, p. 476-480. A Constantinople, les aristocrates louaient aussi une partie des boutiques de luxe de la ville (N. Oikonomidès, Quelques boutiques de Constantinople cité n. 85).

100. Cf. Oikonomidès, Fiscalité, p. 153-263. 101. G. Ostrogorsky, Pour l'histoire de l'immunité à Byzance, Byzantion 28, 1958, p. 165-

254- 102. Kaplan, La terre et les hommes, p. 554-555 ; Oikonomidès, Fiscalité, p. 130. 103. Ibidem, p. 195. 104. Ibidem, p. 177-178.

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monastère des fournitures dont ils s'emparaient, le cas échéant, de force. Après une démarche auprès de Manuel Comnène, les moines obtinrent la confirmation de tous leurs droits antérieurs, conformément aux documents qu'ils avaient présentés. En outre, tout praktôr de Samos ou tout autre fonctionnaire qui ne respecterait pas ces dispositions, rendrait au quadruple ce qu'il aurait prélevé à tort '°5. Cette affaire illustre la difficulté pour les bénéficiaires à faire respecter leurs droits, les agents du fisc s'efforçant constamment de revenir sur des avantages qui diminuaient d'autant les revenus fiscaux de leur circonscription ; or ils y étaient intéressés dans une certaine mesure, notamment quand ils avaient affermé leur charge. Lorsque le bénéficiaire conservait la bienveillance impériale, comme Saint-Jean de Patmos, et souvent les grands couvents de l'Empire, cette pression du fisc pouvait être écartée, mais il est facile d'imaginer ce qu'il advenait à une famille qui avait perdu l'estime de l'empereur Io6.

La signification sociale de l'institution de la pronoia a provoqué un vif débat, mais celui-ci est désormais, me semble-t-il, clos io7, même si des désaccords subsistent sur tel ou tel point IoX. L'attribution d'une pronoia consiste en la cession d'un revenu fiscal, le plus souvent pour rémunérer les serviteurs de l'Etat, plus particulièrement les militaires dans la seconde moitié du XIIe siècle. Selon G. Ostrogorsky, la pronoia, déjà largement répandue au temps d'Alexis Ier Comnène, aurait constitué une étape capitale dans le processus de désagrégation du pouvoir central, car elle donnait aux pronoiaires le contrôle fiscal des populations r°9. P. Lemerle a montré qu'aucun texte ne peut

105. Patmos I, n" 20 (1 158). 106. En 1029, l'higoumène d'Iviron, l'un des plus puissants couvents athonites, fut accusé de

crime de lèse-majesté et le monastère subit la confiscation d'une partie de ses biens. On voit qu'à cette occasion d'autres, tel l'evêque d'Ezova, profitèrent de la faiblesse temporaire des Géorgiens pour usurper d'autres biens (Ivnon I, p. 48-49, p. 55-56).

107. Les principales études sur ce sujet sont présentées en detail par A. Kazhdan, Pronoia : The History of a Scholarly Discussion, hit acuititi al contacts in the Mediezxil Mediterianean, Frank Cass Journals, Londres 1996, p. 133-163. L'auteur note que dans sa thèse, publiée en 1952, il donnait déjà à cette institution son sens restreint et technique et, que de ce fait, il avait ete v îv ement critiqué par les historiens soviétiques d'alors. Voir en dernier heu, P. Magdalino, The Byzantine Army and the Land : From Stiatiotikon Ktema to Military Pronoia, Byzantium at War (9th- 12th c.) , Athènes 1997, p. 36.

108. Par exemple, A. Kazhdan ne considère pas que la « donation de parèques » par Manuel Comnène a de nombreux soldats soit en rapport avec la pronoia.

109. G Ostrogorsky a consacre un ouvrage entier a la question de la pronoia, explicitement intitulé « Poui l'Instane de la féodalité byzantine >, Paris 1954. La thèse d'Ostrogorsky est encore défendue aujourd'hui par C. Pavlikianov, Mspr/.cr ~xzy~ rtz rtGZ'.: G/z~iy.y. \xz t);v 'i-jZxv-ivr, 'ïz'/jÙxz /ix [iz riy<~>rl -\: bjtszilzi: ^zia'xzvcov cy7pa90.1v y~J> S, y.z/z~.'j -7t: \J.'s>7t: Wz^in-f^: \y:'jzx: n~'jv "AOcovx z-yj.zzy.ix: Bj^vt'.vojv y.xi Mîtxov^xvtivÔjv Mô/.ctcLv, 6, 1 994-1995 (Melanges Lava- gnini), p 249-266.

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3o8 JEAN-CLAUDE CHEYNET

être avancé pour justifier une généralisation de la pronoia avant Manuel Comnène Ito. N. Oikonomidès, après avoir rappelé les opinions contradictoires, analyse la nature avant tout fiscale de cette institution ri1. Il la considère, ajuste titre, de même nature à certains égards que l'exemption. Elle permettait de corriger une des imperfections de l'exkousseia, qui avait, en principe II2, l'inconvénient d'être définitive, donc héréditaire. Il note enfin que « le pro- noiaire [...] se comporte comme s'il était devenu propriétaire terrien par donation » II3, et bénéficiait d'une exemption complète, y compris de l'impôt foncier II4 ; mais en même temps il ne dispose pas de tous les droits de ce dernier, puisqu'il n'a pas la liberté d'aliéner la terre. Il peut à son tour concéder à titre viager une partie de sa pronoia à ses propres serviteurs II5. En revanche, et c'est fondamental, quand le bénéficiaire cesse son service, il perd sa pronoia. L'institution ne garde ses caractères originaux qu'avec un pouvoir central fort, ce qui fut encore le cas sous les premiers Paléologues llf>.

i io. P. Lemerle, The Agranan History of Byzantium fi oui the Origins to the Tzveltfth Centuiy, Galvvay 1979, p. 239 et n. 1.

111. C'est aussi l'opinion de P. AIagdalino, The Byzantine Army and the Land, cité n. 107, p. 36.

112. En principe, car les exemples ne manquent pas où un empereur est revenu sur les exemptions accordées par ces prédécesseurs et jugées trop généreuses Basile II déclara nuls tous les actes de Basile Lécapène qui avait gouverné l'Empire durant sa propre minorité, à moins qu'ils ne fussent contresignés par lui-même (Michel Psellos, Chronogiaphie, éd. Renauld, Paris 19672 I, p. 13). En 1057, lorsque Isaac Comnène parvint au pouvoir, il annula une grande partie des exemptions accordées antérieurement, pour renflouer les caisses de l'Etat (Psellos, Chrono graphie, II, p. 120).

113. Oikonomidès, Fiscalité, p. 223. 1 14. Du moins en apparence, puisque l'attribution d'une pronoia correspond à un salaire,

donc à un service effectué par le bénéficiaire. 1 15. N. Oikonomidès, Liens de vassalité dans un apanage byzantin, dans \ It-róz, Studies m

honour of Cyril Mango, Leipzig 1998, p. 257-263. Les termes vassalité et apanage me paraissent inappropriés. Traditionnellement, les hauts fonctionnaires byzantins devaient rémunérer une partie de leurs subordonnés. Quand ils étaient payés en numéraire directement par l'Etat, ils rétrocédaient une partie de leurs revenus à ceux qui les servaient. Quand ils furent payés par le moyen de la pronoia, ils agirent de même, concédant à leur tour une fraction de leur pronoia. Cette modification n'implique pas de transformation sociale.

1 16. Que, dans les provinces byzantines occupées durablement par les Latins après 1204, les pronoiaires aient fait passer des pronoiai pour des biens héréditaires, est une autre question.

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L'ARISTOCRATIE BYZANTINE (VIIT-XIir SIECLE) 309

DÉVOLUTION DE POUVOIRS RÉGALIENS

La levée de l'impôt

Nous venons de voir que la pronoia, qui autorise un serviteur de l'État ou plus généralement le bénéficiaire d'une libéralité impériale à substituer ses propres agents à ceux du fisc pour percevoir l'impôt, s'est développée sous les Comnènes. Les pronoiai étaient souvent modestes, puisqu'elles rémunéraient jusqu'au simple soldat. Il faut concevoir l'existence de listes de contribuables, établies dans les bureaux du fisc, ordonnées selon une logique comptable, affectant l'impôt de certains parèques dans un village, celui d'autres dans d'autres villages, parfois éloignés les uns des autres, jusqu'à obtenir la somme attendue 1 17. Cette technique permettait de ne pas transformer une dépendance fiscale en une dépendance sociale II8.

Reste le cas des quelques grandes dotations reçues par de puissants personnages, dont il n'est pas sûr qu'elles aient toujours pris la forme d'une pronoia. Nicéphore Mélissènos, candidat malheureux à l'Empire et beau-frère du vainqueur de la compétition, reçut, en dédommagement de son désistement et de la perte de ses biens pris par les Turcs, les revenus fiscaux de la région de Thessalonique ainsi que des domaines fonciers dont il redistribua aux siens une partie. Les fonctionnaires de la région se déclaraient ses « hommes ». Nous sommes ici très près de la dévolution de fonctions administratives sur des terres privées. Malheureusement, nous ignorons si par ailleurs Mélissènos était également duc de la région, ce qui justifierait l'action de fonctionnaires sous ses ordres I19. Il ne faut pas accuser Alexis Comnène d'avoir innové, même si, à en juger par les protestations des moines de Lavra dont les terres étaient concernées, une telle situation était jusque-là inconnue dans la région de Thessalonique. Déjà, selon Yahya d'Antioche, Basile II avait offert, en plus de la très haute dignité de curopalate, les impôts de deux provinces IZO à Bardas Sklèros vaincu

1 17. Yoir l'analyse détaillée de M. Bartousis, The Late Byzantine Army, Philadelphie, 1992, p. 162-190.

1 18. Sur la remise des « parèques », voir le formulaire et le commentaire publiés par N. Oikonomidès, Contribution à l'étude de la pronoia au XIIIe siècle. Une formule d'attribution de parèques à un pronoiaire, REB 22, 1964, p. 158-175 = Documents et eudes sur les institutions de Byzance (vnt-xvt s.), Londres 1976, n" YI.

1 19 La liste des ducs de Thessalonique sous Alexis Comnène est lacunaire. 120. Histone de Yahyâ-ibn-Sa'îd d'Antioche, Continuateti! de Sa'id-ibn-Bitiiq, éd. et trad, par

I. Kratchkovsky, A. Yasiliev, II PO 23, 1932, p 427. Peu après Basile ajouta un don de cent livres d'or (ibid., p. 430).

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3 io JEAN-CLAUDE CHEYNET

et âgé, mais qui avait inspiré à l'empereur les plus grandes craintes mêlées d'admiration pour son génie de grand capitaine. Si le terme arabe employé, qatai et non iqta, est pertinent, cela signifie que le bénéficiaire ne se substitue en rien à l'Etat, ce qui ne saurait surprendre puisque Basile II, au moment où il venait de sortir victorieusement d'une guerre civile, n'allait pas abandonner la moindre de ses prérogatives.

Les armées et les forteresses privées

L'existence d'armées privées conforterait les partisans d'une aristocratie féodale. A l'époque protobyzantine, les généraux recrutaient des soldats attachés à leur personne et rémunérés sur leur cassette, les bucellaires. Le fameux Bélisaire en avait réuni plusieurs milliers autour de lui. Ces soldats étaient toutefois introduits dans le cadre de l'armée régulière et lorsque Bélisaire cessa d'exercer sa charge, ses bucellaires ne furent pas démobilisés et se virent confier d'autres fonctions. Les discussions sur la nature de ces soldats ne sont pas closes. J. Gascou a souligné qu'ils étaient présents dans tout l'Empire où ils accomplissaient des tâches publiques IZI.

L'armée médiobyzantine ne connut rien de semblable, même si les récits sur les activités d'un stratège et de « ses » soldats laissent un doute sur la nature du rapport qui unissait ces combattants à leur chef : s'agissait-il d'un lien personnel ou étaient-ils simplement soumis à l'autorité que l'empereur avait confiée au général ? Le stratiote entretenait dans le meilleur des cas quelques valets d'armes. Les officiers supérieurs de l'armée étaient entourés de quelques gardes du corps dont le nombre resta toujours modeste, bien que les chroniqueurs laissent parfois entendre que l'intervention de ces auxiliaires ait pesé dans les affaires militaires. Nicéphore Botaneiatès, duc d'Antioche, dépourvu de troupes régulières pour affronter Turcs et bédouins voisins, engagea sa garde personnelle aux côtés de miliciens locaux à peine armés 1ZZ. Quelques années plus tard, en 1078, le même Botaneiatès, devenu empereur, repoussa l'usurpation de Nicéphore Basilakès entouré entre autres de ses gardes, « qui n'étaient pas en petit nombre » I23. Nous ignorons l'effectif de l'escorte du rebelle, mais ces soldats ne paraissent pas avoir joué un rôle important dans la bataille qui vit sa défaite finale.

121. J. Gascou, L'institution des Bucellaires, BIFAO 76, 1976, p. 143-156. 122. Attaleiatès, p. 96. 123. Attaleiatès, p. 299.

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L'ARISTOCRATIE BYZANTINE (VIIU-XIIU SIÈCLE) 3n

Parfois, il semble qu'un officier combatte l'ennemi avec ses proches. Théophane Continué rapporte que le premier Argvros acquit sa renommée en combattant les musulmans. Argvros, écrit-il, rencontra à l'improviste les Pau- liciens et les Arabes de Melitene et il les mit en fuite avec ses hommes (anthrôpoi) IZ+. Skylitzès, reprenant le même épisode, comprend que ces « anthrôpoi » étaient des gens de sa maison « oikogéneis » 125. Or Argvros était tourmarque, c'est-à-dire l'un des principaux officiers du thème. Il est difficile d'imaginer que ce soldat expérimenté se soit aventuré, sans ses troupes, dans sa circonscription à portée de l'ennemi. Sans doute faut-il admettre que ses proches étaient inscrits dans les rôles militaires publics, comme ce fut le cas des compagnons de l'Arménien Mélias dans le premier tiers du Xe siècle, de ceux de Harald et de ses Varanges, ou de Pakourianos et de ses Géorgiens au siècle suivant.

On a souvent souligné que les notables entretenaient une suite importante et G. Ostrogorsky en a conclu que « non seulement une Gefolgschaftswesen féodale, typiquement médiévale, existait à Byzance, mais qu'elle aurait acquis à partir du xie siècle une influence considérable » 12b. Cet accroissement des troupes privées au moment même où disparaissait l'armée des paysans- propriétaires expliquerait la décadence de l'Etat byzantin aux prises avec une aristocratie incontrôlable et aurait rendu quasi inévitable la catastrophe de 1204. Le personnage clé de ce scénario, le pronoiaire, était censé vouloir s'affranchir de l'autorité centrale, entouré des siens et maître de terres arrachées à la puissance publique que cultivaient des paysans ressemblant aux serfs de l'Occident, « soumis à l'arbitraire seigneurial ».

Pour connaître la nature de cette escorte, il faut en mesurer l'importance. On cite toujours le conseil de Kékauménos selon lequel, lorsqu'une révolte éclate, il faut avertir par lettre le basileus et gagner un abri fortifié avec sa « oyjJLiAiy », ses esclaves, ses hommes libres et ses chevaux 127. Le même Kékauménos rapporte la révolte des Valaques de Larissa qui n'osèrent pas s'engager dans une rébellion contre l'empereur sans l'avis de Nikoulitzas, un parent de

124. Théophane Continué, p. 374. 125. Skylitzès, 189. 126. Ostrogorsky, Anstociacy, p. 12. H. Ahrvveiler considère aussi que de petits dynastes

locaux, « entourés de leurs " hommes ", de leurs vestiantes, et de leurs serv iteurs, constituaient des milices privées et un appareil rudimentaire leur permettant de gérer des régions plus ou moins étendues. » (Société, p. 1 17).

127. Kékauménos, Conseils et léctts, p. 248

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Kékauménos, qui disposait de ses hommes et de son « laos » personnel 12H. De son côté, Nikoulitzas craignait tellement les Valaques qu'il se sentit contraint de suivre le mouvement et de prendre la tête des rebelles. Sans doute Kékauménos s'efforce-t-il de justifier l'attitude d'un parent, mais l'excuse devait offrir une certaine crédibilité. Ce récit prouve seulement que dans une petite ville de province, il fallait compter avec un notable entouré de ses proches et abrité dans une maison forte.

Deux documents offrent un aperçu sur la composition de cette suite aristocratique. Dans leurs testaments successifs, en 1090 et en 1098, Symbatios Pakourianos, officier d'origine géorgienne, et son épouse Kalè prennent des dispositions envers leurs serviteurs libres ou esclaves. Symbatios laisse des legs à deux de ses « hommes » et à des esclaves qui pourront partir avec leurs armes et leurs chevaux. Kalè, devenue veuve et sans enfant, fait à son tour des legs à neuf de ses hommes et à sept affranchis. Certains bénéficiaires étaient déjà nommés dans le testament du défunt, Apelgaripès et Th... qui pourrait être identique à Théodore Iôannokampitès cité par Kalè. Une partie importante des serviteurs de Symbatios était probablement restée au service de son épouse Izg. Un autre officier, Eustathe Boïlas, se préoccupe, dans son testament, du sort de ses serviteurs ; il nomme explicitement neuf d'entre eux, qu'il libère de l'esclavage, et il précise qu'il en avait affranchi d'autres auparavant I3°. Ces deux textes permettent d'affirmer que ces personnages d'un rang assez important, Boïlas était hypatos et protospathaire en 1059, Pakourianos, curopalate en 1090, ne disposaient sans doute pas de plus d'une vingtaine de serviteurs mâles, nombre suffisant pour en imposer sur le plan local, mais pas de nature à inquiéter les autorités.

Certains des serviteurs de Boïlas et de Pakourianos étaient, à en juger par leurs noms, caucasiens ou petchénègues, d'anciens prisonniers de guerre. Ils n'étaient donc pas recrutés localement et n'entraient pas au service de leur maître par le biais de son influence sur les paysans du lieu I3L À chaque génération, le chef de famille devait renouveler les effectifs affaiblis par l'installation des affranchis sur des terres octroyées par legs.

128. Kékauménos, Conseils et récits, p 256. Laos est à prendre, dans ce contexte, dans le sens de troupe.

129. Iviron II, actes n" 44 (1090) et n" 47 (1098). 130. P. Lemerle, Cinq études, p. 26-27. 131. Il ne faut pas en déduire qu'un tel cas ne se présente pas. On peut trouver des exemples

de propriétaires qui font le coup de main avec leurs paysans. Mais ces troupes ne sont pas de force à tenir tête à un régiment de soldats professionnels.

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L'ARISTOCRATIE BYZANTINE (VIIT-XIIT SIÈCLE) 313

Ces deux exemples ne concernent pas les premiers personnages de l'État, qui entretenaient sans doute des suites plus imposantes. Certains employaient des serviteurs auxquels ils donnaient les mêmes titres que recevaient à la cour ceux qui exerçaient les mêmes fonctions auprès de l'empereur. Ainsi pour en rester au IXe siècle, Basile le Macédonien fit ses premières armes à la cour byzantine, en tant que prôtostratâr I32 de Théophile, parent de l'empereur Michel III ■-". Eustathe, le premier des Argyroi connu, avait occupé une fonction identique auprès du césar Bardas, oncle de l'empereur Michel III et maître effectif de l'Empire durant la minorité de son neveu I34. Apostyppès, un des généraux de Basile Ier, entretenait lui aussi un prôtostratôr et un cubicu- laire I35. Avec les trois mille hommes que le parakoimomène Basile Lécapène pouvait mobiliser et armer à Constantinople à la fin du Xe siècle, nous atteignons le nombre maximum qu'un aristocrate byzantin pouvait rassembler à l'époque médiévale. Mais, rappelons-le, Basile n'est pas représentatif, car, fils d'empereur, il fut pendant plusieurs années le véritable maître de l'Empire. De plus, son renvoi par Basile II, désireux de gouverner par lui-même, se fit sans trouble important. A la fin du xic et au XIIe siècle, on pourrait à nouveau donner des exemples de maisons importantes, mais uniquement au sein de la proche parenté impériale et donc, en principe, sous le contrôle du souverain.

En résumé, les aristocrates, plus particulièrement les officiers, étaient entourés d'une maison d'importance proportionnelle à leur rang. Cela suffisait pour qu'ils causent quelques troubles en province s'il leur prenait fantaisie de vider leurs querelles de voisinage par la force. Les Mavroi pouvaient empiéter sur les biens gérés par le curateur de Milet ; un Choirosphaktès s'emparer du champ d'un monastère, en faisant rosser par ses hommes l'higoumène qui protestait I36, ou Romain Sklèros se venger des succès remportés par son

132. Littéralement : premier écuyer. A la cour, ce dignitaire commandait la cavalerie, mais chez un particulier, il s'occupait des chevaux.

133. Skylitzès, p. 120-121. Ce Théophile aimait à s'entourer d'hommes robustes comme Basile et leur offrait de somptueux vêtements de soie.

134. Georges le Moine, éd. de Bonn, p. 830. Il est difficile de dire si Eustathe est dit prôtostratôr de Bardas parce qu'il le servait personnellement, ou si Eustathe occupait cette fonction à la cour au moment où Bardas y était tout puissant.

135. Theophane Continué, p. 307. De telles fonctions font penser à une vaste maison. Cependant, quand Apostvppès fut soupçonné de complot contre l'empereur, il n'eut d'autre ressource que de s'enfuir avec ses fils et il se fit rattraper puis arrêter après une vive éehauffourée, qui vit la mort de ses tils. Il est clair que c'est une petite troupe qui est intervenue.

136. The Life of Saint Xikon, Text, Translation and Commentary by Denis F. Sullivan, Brookhne 1987, p 195-197. Cette histoire édifiante est révélatrice. Michel Choirosphaktès, homme remarquable, qui ne le cédait à personne dans le Péloponnèse, devint, sous l'emprise du démon,

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3i4 JEAN-CLAUDE CHEYNET

collègue Georges Maniakès en pénétrant dans son oikos et en outrageant son épouse I37, ou encore un Alexis Kapandritès s'emparer d'une veuve et de ses biens I3S. Mais il est inutile de disposer de centaines d'hommes, pour de telles entreprises, toutes provinciales, et il n'y avait pas là matière à inquiéter les autorités impériales. On ne saurait en aucun cas parler d'armées privées à Byzance avant l'époque des Paléologues I39. Je ne connais qu'une exception, celle des princes arméniens qui abandonnèrent leurs royaumes de gré ou de force au cours du XIe siècle pour être établis en Asie Mineure. Ils furent autorisés à conserver autour d'eux leurs azat et nakharar, constituant une « légion noble » qui, sans atteindre les nombres élevés cités par les historiens arméniens, se comptaient en centaines, voire en milliers d'hommes pour Gagik, ancien souverain d'Ani. Nous ignorons s'ils furent intégrés dans les rangs de l'armée byzantine, mais les sources ne mentionnent pas de régiments arméniens aux côtés des tagmata francs ou bulgares. Les Turcs se chargèrent de disperser les Arméniens de Cappadoce à la fin du siècle. L'expérience, de courte durée, ne fut pas très heureuse, puisque ces soldats ne protégèrent ni leurs patrons, ni leur peuple face aux envahisseurs et n'apportèrent pas de secours efficace aux Byzantins.

A plusieurs reprises les chroniqueurs rapportent que des rebelles se sont réfugiés dans leurs forteresses, ce qui a suggéré à certains que les aristocrates

jaloux de la prospérité du monastère tonde par Nikon. Les paysans d'un métoque de ce monastère auraient lésé ceux qui cultivaient les terres voisines de Choirosphaktès. Ce dernier monte une expédition contre le métoque, recrutant une bande nombreuse, car les proches de ce notable ne suffisaient apparemment pas à la réalisation de son dessein. Il s'empara du vieux moine qui gérait le métoque, sans doute avec l'aide de quelques moines, le roua de coups et mit le feu à des palissades. Une belle victoire donc, qui a nécessité une mobilisation exceptionnelle. Même en tenant compte du caractère particulier de ce récit, qui croira que Choirosphaktès se trouvait à la tête d'une véritable armée ?

137. Skylitzès, p. 427. Les Sklèroi, une des premières familles de l'Empire dans la première moitié du XIe siècle se comportaient de façon particulièrement brutale. Les manglavites (gardes du corps) d'un autre Sklèros, magistre, frappèrent un prêtre qui intenta un procès au magistre devant le tribunal impénal {Peita, Zépos IV, p. 176).

138. Sur cette querelle entre deux familles de notables locaux, voir en dernier heu, C. G. PlTSAKis, Questions « albanaises » de droit matrimonial dans les sources juridiques byzantines, dans The Mediaeval Albanians, éd. Ch. Gasparis, Athènes 1998, p. 177-187.

139. Les exemples de milices privées, celles de Maurix, Bourtzès, Gabras, qui réintégrèrent les corps de l'armée régulière, cités par H. Ahrvveiler (Société, p. 118), sont ambigus. D'autres noms pourraient être ajoutés à la liste, ceux d'Apokapès à Edesse ou de Brachamios à Antioche. Dans tous les cas il s'agit d'officiers de l'armée byzantine, qui ont perdu la liaison avec le pouvoir central du fait des invasions turques. Ils ont simplement regroupé les troupes encore en état de se battre pour organiser la résistance de manière autonome. Il est vrai que l'instabilité du pouvoir central, quand les empereurs se succédèrent sur le trône à un r\thme accéléré, dans le dernier tiers du XIe siècle, les a parfois placés en position de rebelles.

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L'ARISTOCRATIE BYZANTINE (VIIT-XIIT SIÈCLE) 315

s'appuyaient sur des lieux fortifiés pour affirmer leur autonomie, ou à tout le moins constituer une « structure d'autodéfense ». Sans doute, durant un court moment, à la fin du XIe siècle, les invasions et la pénurie du Trésor obligèrent l'État à trouver des solutions neuves pour défendre la population, et des particuliers se virent confier le soin de construire ou de restaurer des kastra, dont ils obtenaient en échange la possession temporaire durant une ou deux générations I4°. Nous connaissons quelques exemples concrets. Grégoire Pakourianos, Géorgien qui finit domestique des Scholes d'Occident, laissa ses biens au monastère qu'il avait fondé. On relève parmi eux plusieurs kastra dont deux qu'il avait construits près de Sténimachon, en Bulgarie. Christodule de Patmos obtint également le droit de construire une tour sur son île menacée par les pirates turcs. Comme l'ajustement noté M. Whittow, aucun de ces établissements ne paraît fort important, ni placé dans des positions stratégiques majeures I+I, à l'exception, peut-être, des deux kastra de Sténimachon, alors simple chôrion. L'emplacement, bien choisi, dominait la plaine de Philippou- polis et devint, à partir de la fin du xne siècle, un enjeu important pour le second Empire bulgare, ce qu'il ne semble pas avoir été auparavant. Pakourianos en revanche ne détenait pas le kastron de Philippoupolis, toujours resté aux mains du duc byzantin, ni ceux de Mosynopolis ou de Périthéorion, à l'intérieur desquels il possédait des biens. Ces deux dernières villes disposaient de garnisons de l'armée régulière I42.

En Anatolie, toutes les grandes constructions défensives, mises en place pour s'opposer aux Turcs, résultèrent d'une décision personnelle des empereurs : les murailles de Melitene furent rebâties sur ordre de Constantin X Doukas ; nous savons par des inscriptions commémoratives que Romain IV Diogénés fortifia les villes de Sôzopolis, de Sinope et d'Euméneia pour bloquer les routes d'invasion I43. Quelques décennies plus tard, une fois bien avancée la reconquête de l'Asie Mineure occidentale, le programme de fortification de la

140 N. Oikoxomidès, The Donations of Castles in the Last Quarter of the i ith Century, Polychionwn. Festscluift F. Dolger, Heidelberg 1966, p. 413-417,

141. M. Whittoyv, Rural Fortifications in Western Europe and Byzantium, Tenth to Twelfth Century, Byzantinische Foisclntngen 21, 1995, p. 57-74.

142. Mosynopolis axait sen 1 de base à Basile II lors des campagnes contre la Bulgarie (Skylitzes, p. 343, 351, 354, 356, 357), ainsi qu'à Michel IV (ibidem, p 414) ; à Périthéorion, Xicéphore Basilakês, général qui s'était revolte en 1078, établit une garnison, rapidement chassée après sa défaite (Attalfiatf.s, p. 299).

143 Monuments and Documents f mm Eastern Asia and Western (ìalatia (YV. H. Bickler, \V. M. C\lder, \V. K. C. Gt thrif) MAMA IV, Manchester 1933, n" 149, p. 58 (Sôzopolis) ; The Byzantine Monuments and Topoyaphy of the Pontos, A. Bryfr and D. Winfifi.d, Washington DC 1985» p 74. Pour Eumeneia, communication de Th. Drew -Bear.

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nouvelle frontière face aux Turcs fut mené à bien, supervisé par Alexis, Jean et Manuel Comnène. Même sous le règne d'Isaac Ange, qui passe pour marquer un affaiblissement net de l'autorité impériale, ce fut toujours l'empereur qui prit soin de reconstruire l'importante forteresse en Orient à laquelle il donna son nom l*+.

Les aristocrates ne séjournaient pas dans leurs forteresses. Elles n'étaient pas destinées à subir un siège en règle, tout juste à repousser des bandits de rencontre. En ville, leur oikos leur permettait seulement de retarder l'assaut des troupes en cas de rébellion et de leur laisser le temps de s'enfuir. Cela ne signifie pas que les autorités ne durent jamais livrer assaut contre des villes ou des kastra tenus par des notables, les exemples sont au contraire fort nombreux. De même que les généraux entraînèrent les soldats soumis à l'autorité que leur avait conférée l'empereur, des chefs rebelles soulevèrent des villes où ils comptaient de nombreux sympathisants : les Phocas à Cesaree de Cappadoce au Xe siècle, ou Théodore Mangaphas à Philadelphie au xne siècle I45. Ces événements n'impliquent nulle dévolution d'une autorité militaire à l'aristocratie byzantine.

Je crois qu'il faut renoncer à découvrir une quelconque forme de privatisation des armées I+6, et sans doute aussi de la flotte I47. Bien entendu, les aristocrates, parmi lesquels se recrutaient la grande majorité des officiers, entretenaient des liens étroits avec les hommes de troupe. Selon toute vraisemblance, les familles de ces derniers vivaient souvent sur leurs domaines, ou du moins dans les régions où se faisait sentir leur prestige social. Les grands hommes de guerre, les Kourkouas, Phocas, Diogènes, Comnènes, s'attachaient leurs soldats par les victoires qui épargnaient leur sang et par la distribution du butin qui les enrichissait. Cet attachement des hommes à leur chef était encore plus profondément ressenti lorsqu'ils étaient étrangers, une solidarité naturelle les unirait face à la majorité grecque dont ils se méfiaient. Si les généraux se révoltaient, ils pouvaient s'appuyer sur leurs troupes, dont l'encadrement venait souvent de la même province qu'eux et qui comptait de leurs parents I48.

144. H. Ahrweiler, Choma-Aggélokastron, REB 24, 1966, p. 278-283. 145. Cheyxet, Pouvoirs, p. 24-25, 36-37, 123, 134-135. 146. Je conclus plus nettement dans ce sens que je ne le faisais dans Pouvoirs, p. 303-306. 147. Au XIIe siècle, le praktôr de Samos évoqué plus haut, qui inquiétait les moines de Patmos,

abordait dans l'île, tel un pirate, avec ses propres navires (Patmos I, n" 20, 1. 20-21). Il faut rappeler qu'au xiic siècle la marine byzantine n'a jamais réussi à contrôler totalement l'espace égéen.

148. Quelquefois un contingent était constitué par l'entourage d'un chef ethnique, ce qui brouillait la distinction entre serviteurs et soldats de l'Etat, tels Grégoire Pakourianos et ses compagnons géorgiens.

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Ce n'est pas une situation spécifique de l'Empire byzantin médiéval, tout gouvernement pouvant être confronté au danger d'un coup d'État militaire accompli par des généraux trop populaires. La république romaine finissante avait connu cette situation, lorsque les soldats de Marius, Sylla, César et tant d'autres suivaient aveuglément leurs chefs, persuadés de sauver l'État.

La justice G. Ostrogorsky, après d'autres, considérait que les avantages accordés aux

grands propriétaires en matière de justice s'apparentaient à l'immunité judiciaire connue en Occident. Il en voulait pour preuve le chrysobulle octroyé par Constantin Monomaque aux moines du monastère impérial de la Néa Monè de Chios. De ce document qui permettait aux moines de n'être jugés que par le tribunal de l'empereur, et non par les juges du thème qui n'avaient pas le droit de pénétrer dans le monastère I4y, il tirait une double conclusion, que les moines étaient soustraits à la justice ordinaire et en second lieu que l'higoumène de la Néa Monè avait un droit de justice sur les dépendants de son monastère. Il estimait enfin que cet avantage accordé à des gens d'Eglise ne leur était pas spécifique, et que de puissants laïcs pouvaient également obtenir une telle faveur. En fait, rien dans le texte ne laisse supposer des usages si contraires à la tradition byzantine, et A. Kazhdan s'est opposé à l'interprétation de G. Ostrogorsky dès 1961 '5°.

Revenons au document de la Néa Monè. Il était tout à fait possible d'intenter une action contre le monastère, même si l'on en dépendait. Certes le procès se déroulerait devant l'autorité publique, à Constantinople, ce qui est peu commode si le plaignant ne peut assumer le prix du voyage et supporter les frais d'un long séjour. Encore faut-il noter sur ce dernier point que certains empereurs avaient pris des dispositions pour atténuer l'inégalité des conditions qui faussait le bon déroulement des procès. Romain Lécapène établit des hôtels pour les provinciaux {exôtikoï) qui venaient à Constantinople devant les tribunaux 's1. L'appel direct à l'empereur présentait aussi des inconvénients qu'expérimentèrent les moines de Chios, maltraités par l'impératrice Theodora, qui leur était beaucoup moins favorable que son prédécesseur Constantin Monomaque. L'interdiction faite au juge d'entrer sur les terres du monastère n'implique que la dispense du kaniskion dû à cette occasion.

149. Zépos, I, p. 629-631. 150. Le point de vue de A. Kazhdan a été repris récemment par X. Oikoxomides, Tò

hv/.y.n-v/Jj -povouîo -?tz Xéac \lov7,; Xîom, Symmeikta 1 1, 1997, p. 49-62. 151. Theophane Coxtinté, p. 430.

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Kékauménos, dans un passage fameux des Conseils, recommandait à ses enfants, s'ils vivaient dans leur demeure sans exercer de charge et si le peuple de la province leur obéissait, de se montrer équitables, suggérant que les notables exerçaient la justice. Il ne fait aucun doute qu'ils servaient d'arbitres pour régler des querelles locales. Dans le récit de Kékauménos, on voit des hommes condamnés par leurs amis et compagnons, c'est-à-dire sans que la justice impériale intervienne. En revanche, il semble que la sanction devait être confirmée par le notable local, auquel Kékauménos conseille tolérance et philanthropie IS2. La nature des actes incriminés n'est pas précisée, mais on imagine qu'il s'agit de querelles de voisinages, de vols mineurs, de ces modestes conflits décrits quelques siècles plus tôt dans le Code rural. Il n'y a pas usurpation d'un pouvoir régalien. En effet, il est certain que les tribunaux impériaux ne s'encombraient pas de telles affaires, vu la modestie des enjeux.

Les notables se gardaient bien d'empiéter sur la justice impériale. Selon le même Kékauménos, Nikoulitzas le Jeune, son parent, voulut empêcher la rébellion de quelques chefs valaques, mais il n'osa intervenir directement en tuant ou aveuglant les séditieux, car il ne pouvait agir, en dépit de l'urgence, sans un ordre impérial I53. Notons également que les documents de la pratique n'ont gardé aucune trace de ce qui pourrait apparaître comme une décision de justice privée. En Crète, nous en avons la preuve a contrario. Venise s'étant substituée à l'empereur après 1204, il est de ce fait possible de se faire une idée des droits des archontes grecs de l'île. La plus puissante famille, celle des Kallergai, qui avaient lutté pour maintenir intacts leurs droits et dont l'ascendant social fut toujours reconnu par les paysans grecs, ne paraît jouir d'aucun droit de justice I54. Au XIIIe siècle, une querelle entre deux paysans fit intervenir un pronoiaire dans le règlement, fournissant le premier et le seul exemple de ce qui a parfois été interprété comme une délégation de justice en faveur d'un militaire. Un pronoiaire latin, Syrgaris, fit trancher un conflit opposant deux

1 52. Kékauménos, Conseils et récits, p. 232. « Peuple de la province » traduit ó Àaò; z7tc /6>zy.z. Ce texte est un des rares à révéler l'influence sociale du notable sur les petites gens, lorsqu'il est dépourvu de charge officielle et vit chez lui comme un particulier (ÎSicÎjt/;:). Selon Kékauménos, il faut laisser les habitants juger eux-mêmes les coupables, puis intervenir pour alléger le châtiment décidé. Ainsi le notable sera bien vu, même par les condamnés. Kékauménos se soucie au plus haut point de l'opinion publique.

153. Idem, p. 254-256. Les contestations fiscales relevaient à coup sûr également de lajustice impériale, comme en témoigne la documentation conservée.

154. Ch. Maltezou, Bvzantine « consuetudmes » in Venetian Crete, DOP 49, 1995, p. 269- 280.

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villageois à propos de la possession de dix oliviers par les oikodespotai (propriétaires) de sa pronoia. En clair, une assemblée de village régla une discorde intestine, le notaire du village enregistrant la décision I55. Le pronoiaire en réalité n'intervint pas. En somme, rien de nouveau par rapport aux siècles antérieurs.

L'empereur n'a jamais abandonné ses prérogatives en matière de justice, en partie parce qu'elles étaient trop liées à la fiscalité. Notre vision de la justice byzantine est souvent faussée par la présomption que les jugements étaient biaises en faveur des puissants. Or, la lecture de nombreux jugements amène à conclure que les tribunaux appliquaient simplement les lois. Ainsi dans le procès qui opposa le couvent athonite de Lavra à un bureau du fisc, celui de la mer, à propos du paiement d'une taxe sur le vin vendu par le monastère dans la capitale. Présidé par un haut fonctionnaire entouré de nombreux assesseurs, le procès s'est achevé par la victoire du contribuable, victoire qu'il faut se garder d'interpréter comme une défaite de l'État face à un privilégié Is6. Bien entendu, cela ne signifie pas que l'accès à la justice était aisé pour tous, que les tentatives pour influencer les juges I57, par la corruption ou par des perspectives d'heureuse carrière I58, n'étaient pas plaie commune des tribunaux byzantins.

En conclusion, on peut tout d'abord distinguer trois phases dans l'évolution de l'aristocratie byzantine. A l'époque protobyzantine domine une aristocratie de fonction attachée au prince et au recrutement très ouvert. La crise du VIIe siècle voit l'effacement des élites en place. L'absence de documentation ne permet pas de savoir si la rupture est vraiment complète entre les familles en place au temps d'Héraclius, dont certaines, peu nombreuses, remontaient au Bas-Empire, comme la dynastie d'Héraclius elle-même, et la nouvelle aristocratie, dont, en dépit du peu de sources disponibles, on peut dire qu'elle prend corps sous les Isauriens, puisque nous suivons déjà la postérité de quelques généraux de l'entourage de Constantin V. Cette aristocratie, qui se renforce au

155 F. Miklosich-I. Mûller, Acta et Diplomata Graeca medii aeri sacta et profana, IV, Vienne 1871, p. 80-84.

156 P. Magdalixo, Justice and Finance in the Byzantine State, Ninth to Twelth Centuries, dans Laic and Society in Byzantium, Xinth-Tu-elth Centuries, éd. b\ A. E. Laiou and D Simox, Washington DC 1994, p. ni-114.

157. Sur les conséquences juridiques de la pression exercée sur les fonctionnaires, voir, H. Saradi, On the « archontike » and « ekklesiastike dynasteia » and « prostasia » in Byzantium with Particular Attention to the Legal Sources. A Study in Social History of Byzantium, Byzantion 64, 1994, p. 314-351. Gandas, juriste du xir siècle, rappelle dans un commentaire qu'au cours d'un procès, certains refusaient de témoigner par crainte de tovJ ap/ovTor H'jvy.n~tiy..

158. A. Kazhdan, Some ()bser\ations on the Byzantine Concept of Law : Three Authors of the Ninth through the Twelth Centuries, dans Laiou-Simon, p. 210-212.

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cours des siècles suivants, en même temps que se redresse l'Empire, n'a rien de « féodale », dans la mesure où, jusqu'au XIe siècle, les autorités impériales l'ont toujours contrôlée, lui interdisant toute véritable autonomie dans les provinces où elle résidait, même lorsqu'elles lui confiaient l'autorité sur lesdites provinces. Enfin, à partir de la seconde moitié du XIe siècle, comme tous les commentateurs l'ont noté, elle se ferme progressivement au profit de la parenté impériale.

Seconde conclusion : l'aristocratie possède dès le IXe siècle, et sans doute dès le siècle précédent, une bonne partie des traits qui furent les siens jusqu'à la fin de l'Empire. La famille impériale est distinguée par l'attribution des titres les plus élevés et des charges les plus importantes, sauf pendant le règne de Basile II et, peut-être, pendant le règne personnel de Constantin VII. Cette élite au sein de l'aristocratie consolide ses liens internes par des mariages croisés. Il est vrai qu'à partir du règne des Doukas, cet aspect se renforce pour aboutir à l'oligarchie des Comnènes, mais il n'y a pas là d'innovation complète. Cette aristocratie détient de grands domaines, sans doute dès l'origine, ce qui lui permet un enracinement local jusqu'au XIe siècle. Ses richesses sont toutefois fortement accrues par les rogai attachées aux dignités et par les exemptions fiscales. Mais ces faveurs impériales sont reprises aussi facilement qu'elles ont été accordées.

Les liens des aristocrates avec la terre les font, bien entendu, apparaître aux yeux des populations locales comme leurs chefs naturels, mais sans que les droits de l'empereur soient amoindris, car ils ne disposaient pas de forces privées ou de places fortes où les soldats de l'empereur n'auraient pas pu pénétrer. Cette aristocratie, née du service de l'empereur, n'a jamais cessé de lui être liée, pas même à l'époque des Comnènes. A cette époque, la principale différence, qu'il ne faut pas exagérer, c'est la fermeture progressive aux hommes neufs, alors que l'aristocratie n'avait cessé d'être régénérée, jusqu'au XIe siècle, par de nouveaux apports, notamment étrangers. Cette aristocratie était hiérarchisée de fait, mais pas en droit. Si nobles occidentaux et aristocrates byzantins étaient un peu surpris de leur comportement réciproque à l'égard de leurs chefs respectifs, les conquérants latins adaptèrent facilement leur système politique dans les provinces conquises après 1204, en autorisant, en fonction des antagonismes locaux, les notables grecs à y participer I59.

159. D. Jacoby, Les archontes grecs et la féodalité en Morée franque, TMz, 1967^.421-481. Etudiant les archontes grecs de Morée, D. Jacoby constate que « le vocabulaire féodal exprime une échelle de valeurs, des attitudes, qui sont restées totalement étrangères à l'état d'esprit et à la mentalité byzantines. » Voir aussi Idem, From Byzantium to Latin Romania : Continuity and Change, Mediterranean Historical Review 4, 1989, p. 1-44.

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Que les empereurs n'aient jamais abandonné leurs prérogatives n'a pas interdit aux plus ambitieux de leurs serviteurs de constituer, dans les provinces comme à la cour, des factions puissantes, appuyées sur de vastes clientèles, qui ont finalement, en de rares occasions, menacé le pouvoir lui-même, non pour imposer des réformes favorables à leurs libertés, mais pour exercer la même autorité que celle des souverains dont ils convoitaient la succession.

Jean-Claude Cheynet.

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