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L'art oratoire

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L'ART ORATOIRE

Page 3: L'art oratoire

DU MÊME AUTEUR

Le problème scolaire en Alsace et en Lorraine (en collaboration avec Paul BARRET). Edit ions « Temps F u t u r » Librairie S. U. D. E. L., Paris, 1948.

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« QUE SAIS-JE ? » LE POINT DES CONNAISSANCES ACTUELLES

N° 544

L'ART ORATOIRE

par

Jules SENGER

QUATRIÈME ÉDITION

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

1967 VINGT-SIXIÈME MILLE

Page 5: L'art oratoire

DÉPOT LÉGAL 1 édition 3e trimestre 1952 4e — 4e — 1967

TOUS DROITS de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays

© 1952, Presses Universitaires de France

Page 6: L'art oratoire

I N T R O D U C T I O N

« Je vois que dans la vie des hommes c'est la parole et non l'action qui conduit tout », fait dire Sophocle à Ulysse dans la tragédie Philoctète. En effet, l 'ar t oratoire, ou art de parler avec éloquence, d'émouvoir et de persuader la foule, a joué un rôle capital des origines de l'histoire à nos jours. Il ne s'est pas toujours substitué à l'action, souvent il a poussé les peuples à agir. Il a fondé des empires ou détruit des institu- tions, prétendait Cicéron. En interprétant les rumeurs sourdes qui circulaient dans le pays, en donnant une expression au mécontentement confus, un bu t précis à l'agitation désor- donnée, l'éloquence oratoire a déclenché des révolutions.

De tout temps et en tout lieu, les foules ont tressailli à la parole véhémente des grands orateurs. Car l 'ar t oratoire s'adresse au sentiment comme à la raison ; il s'impose à l'homme le plus passif et le plus indifférent ; il constate ses effets et s'adapte aux assemblées comme aux circonstances.

L 'ar t oratoire, s'il a connu des modifications au cours des siècles, n 'a cependant rien perdu de son prestige dans la vie publique. Bénéficiant de la technique moderne, il peut exercer sa tyrannie sur les foules dépourvues d'esprit critique. N'a-t-il pas conduit certaines nations à la plus épouvantable catas- trophe ?

Aussi, cet art qui jouit d'un tel pouvoir, a fait l 'objet d'une étude approfondie dès ses origines les plus lointaines. E t ce fut la naissance de la rhétorique, qui est l'ensemble des règles et préceptes propres à donner aux discours le maximum d'effet.

L'art oratoire devint également une branche de la littérature et conquit une place respectable dans l'enseignement. La rhétorique, jusqu'au début de ce siècle, constituait une connais- sance indispensable à la culture générale. Aujourd'hui ce mot n'éveille plus guère qu'une idée péjorative, synonyme de phraséologie.

Cependant, lorsqu'on consulte les ouvrages modernes qui traitent de l 'art oratoire, on constate l 'unanimité des auteurs sur les deux points suivants :

De nos jours, la parole en public joue un rôle de plus en plus grand dans la vie.

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L'enseignement, tel qu'il est donné dans les diverses écoles, ne se préoccupe nullement de la préparation, même lointaine, des futurs orateurs.

C'est ainsi que dans son Essai sur l'éloquence judiciaire, Maurice Garçon écrit :

« Nous vivons un temps où la parole prend de plus en plus d'importance. Tout pouvoir appartient en effet, au moins pour le principe, à une majorité qu'il faut toucher et qu'on atteint mieux par des discours que par des écrits. Cependant rien n'est fait pour enseigner l 'art oratoire. »

Il déplore que même le futur avocat soit obligé de s'engager dans une carrière difficile avec des armes imparfaites :

« Si l'on examine la formation du magistrat appelé à requérir et de l'avocat appelé à plaider on constate que l 'un et l 'autre qui devront exprimer leurs pensées presque exclusivement sous la forme orale, ne reçoivent aucun enseignement destiné à leur apprendre l'exercice de leur profession.

« Au collège, il n'est point question de discours même écrit : la composition est réduite à peu de chose. On exige de l'élève qu'il étale des connaissances plutôt qu'on ne s'occupe de lui apprendre le style. A la Faculté, les maîtres se confinent dans l'explication de la loi et son interprétation, ils tracent le tableau des doctrines mais ne prennent pas garde que, pour utiliser ces connaissances, il faudra recourir à la logique et aux règles de la composition dont on ne parle pas. »

C'est encore dans les séminaires qu'on a maintenu le plus longtemps la vieille rhétorique et les leçons d'éloquence, pour la préparation des futurs prédicateurs. Longtemps les prêtres furent les seuls orateurs ayant reçu un enseignement métho- dique dans l 'art de la parole en public. Mais, là aussi, on s'empressa de supprimer un enseignement qualifié de suranné, au lieu de le réformer en lui appliquant les principes de la pédagogie moderne.

Récemment encore, dans son livre L'art de parler au peuple, le chanoine Henri Morice dénonça cette lacune de l'enseigne- ment :

« E t pourtant, chose incroyable, cet art difficile entre tous est peut-être celui qu'on étudie le moins. Est-il exagéré de dire que neuf députés sur dix n'ont jamais pris une leçon de diction ? La plupart des prédicateurs sont dans ce cas : ils apprennent leur métier en l'exerçant. Il n 'y a guère que les artistes dramatiques, c'est-à-dire des amuseurs de profession, qui se donnent une formation sérieuse. Les défenseurs de la justice et de la vérité se contentent d'ouvrir la bouche et de parler comme ils peuvent. »

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Non seulement les auteurs, mais également les éditeurs jettent ce cri d'alarme et reprochent aux instituteurs et aux professeurs de ne pas enseigner l 'art de la parole à leurs élèves et les accusent d'être eux-mêmes dépourvus de toute formation sérieuse en la matière. Cette critique a été appuyée par un ministre de l 'Education nationale, M. Mallarmé qui écrit :

« Dans un temps comme le nôtre où la parole joue un rôle éminemment actif dans tous les milieux et pour toutes les affaires, dans des pays de démocratie où les orateurs sont sur tous les forum comme dans toutes les réunions, dans une société où la parole s'est substituée partout à l'écriture pour discuter et pour résoudre, il devient indispensable d'enseigner cette science de la voix humaine comme on enseigne la culture physique ou l'harmonie du maintien. » (Préface de L'orateur, par A. WICART.)

C e p e n d a n t , r i e n n ' a é t é t e n t é p o u r i n t r o d u i r e d a n s les p r o g r a m m e s sco la i res u n e n s e i g n e m e n t d e l ' a r t o r a t o i r e . L e p r o b l è m e r e s t e d ' a c t u a l i t é .

L e s p a r t i s p o l i t i q u e s e t les o r g a n i s a t i o n s o u v r i è r e s p a r c o n t r e o n t o u v e r t des cou r s p o u r l a f o r m a t i o n d e m i l i t a n t s c a p a b l e s d e p r e n d r e la p a r o l e d a n s d e s r é u n i o n s p u b l i q u e s . B e a u c o u p de ces i n i t i a t i v e s se s o n t t e r m i n é e s p a r u n é c h e c t o t a l , p o u r n e p a s a v o i r t e n u c o m p t e de la c o m p l e x i t é d e c e t a r t q u i n e s a u r a i t ê t r e e n f e r m é d a n s d e u x o u t r o i s d o u z a i n e s

d e p r i n c i p e s . N o u s n o u s p r o p o s o n s , d a n s ces p a g e s , d e r e t r a c e r

les é v o l u t i o n s d e l ' a r t o r a t o i r e e t d e s o n e n s e i g n e - m e n t , d e p u i s les o r ig ines à nos j o u r s .

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PREMIÈRE PARTIE

C H A P I T R E P R E M I E R

L ' A R T O R A T O I R E C H E Z L E S G R E C S

I . — L e s o r i g i n e s d e l ' a r t o r a t o i r e

L ' é l o q u e n c e t r o u v e ses origines d a n s les t e m p s les p lus reculés de l 'h is to i re . L a m y t h o l o g i e g recque lui a t t r i b u e les p r e m i e r s b i en fa i t s de la civi l isat ion e t la f o r m a t i o n des pre- mières sociétés. J u p i t e r , t ouché des misères des h u m a i n s , f i t descendre a u mi l ieu d ' e u x l ' E l o q u e n c e guidée p a r Mercure . Mais elle ne se c o m m u n i q u a q u ' a u x mor t e l s doués d ' u n e v ive in te l l igence e t ces h o m m e s privi légiés c réè ren t la société e t l ' i ndus t r i e , qui , à l e u r t o u r , d o n n è r e n t na i s sance à t ous les a r t s .

I s o c r a t e d i t que n o u s ne dif férons des au t r e s a n i m a u x q u e p a r la pa ro le . Le t a l e n t de p e r s u a d e r à nos pare i ls t o u t ce q u e n o u s voulons , n o u s a dél ivrés de la vie sauvage , fo rmé la société, b â t i les villes, é t ab l i les lois, i n v e n t é les ar ts .

Be l in de Bal lu écr i t dans son His to i re crit ique de l'éloquence : « U n e fois q u ' o n a sent i l ' i m p o r t a n c e d ' u n a r t , e t qu ' i l a

o b t e n u l ' e s t ime universel le , on é tud ie ses pr inc ipes , on les r a s s e m b l e en u n corps de doc t r ine , on les enseigne, e t voilà l ' a r t fo rmé . »

Il n ' e s t pa s d o u t e u x q u ' e n Grèce l ' en se ignemen t de l ' a r t o ra to i r e r e m o n t e à la p lus h a u t e an t i qu i t é .

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I I . — H o m è r e , l e p r i n c e d e s o r a t e u r s

Les p lus anciens m o n u m e n t s de l ' é loquence g recque , p a r v e n u s j u s q u ' à nous , son t les d e u x célèbres poèmes , l ' I l i a d e e t l ' Odyssée.

H o m è r e é t a i t considéré c o m m e u n e sor te de m a î t r e un ive r - sel. D a n s ses d e u x l ivres , les j eunes Grecs a p p r e n a i e n t , n o n s e u l e m e n t la l ec tu re , la g r a m m a i r e , l ' h i s to i re e t l a m o r a l e , ma i s é g a l e m e n t l ' a r t de p a r l e r en pub l ic . I l s en a p p r e n a i e n t p a r c œ u r les p r i n c i p a u x passages . X é n o p h o n , d a n s son B a n - quet, m e t en scène u n p e r s o n n a g e qu i p r é t e n d avo i r su, é t a n t e n f a n t , r éc i te r de m é m o i r e d ' u n b o u t à l ' a u t r e , l ' I l i a d e e t l ' Odyssée.

Aussi , selon P l a t o n , les a d m i r a t e u r s d ' H o m è r e , lui décer- n è r e n t le t i t r e d ' é d u c a t e u r de la Grèce. A u j o u r d ' h u i enco re on c o n t i n u e à r e c o m m a n d e r l a l e c t u r e de l ' I l i ade e t de l ' Odyssée à ceux qui v e u l e n t se pe r f ec t i onne r d a n s l ' a r t d ' éc r i re e t d a n s l ' a r t de la parole .

« H o m è r e ne do i t p a s s e u l e m e n t ê t r e cons idéré c o m m e le père des poè tes , il es t é g a l e m e n t le p r ince des o r a t eu r s . I ls se sont fa i t gloire de l ' im i t e r e t de le r e c o n n a î t r e p o u r l e u r chef . Cicéron le r e g a r d e c o m m e son p r e m i e r m a î t r e . D e n y s d 'Ha l i - carnasse , Quin t i l ien , Long in , H e r m o g è n e , D é m é t r i u s de P h a - lère, t o u s les c r i t iques éclairés le r e g a r d e n t c o m m e le p lu s é loquen t des écr ivains . C 'es t la source à laquel le o n t puisé t o u s ceux qui o n t aspiré à l ' i m m o r t a l i t é p a r le t a l e n t de la pa ro l e ou p a r la sub l imi té d u s tyle . Quel est , en effet , l ' o r a t e u r qu i a t r a i t é les pass ions avec p lu s d ' a r t e t de v é r i t é ? Quels d i scours son t compa rab l e s à ceux que r e n f e r m e l ' I l i a d e ? P e u t - o n e x p r i m e r avec p lus de cha l eu r e t de noblesse l a colère, l 'o rguei l o u t r a g é , e t t o u s les m o u v e m e n t s qu i a c c o m p a g n e n t ces pas- sions ? P e u t - o n les r e n d r e avec p lus d ' éne rg ie q u e le p o è t e ne l ' a f a i t d a n s la d i spu t e d 'Achi l le e t d ' A g a m e m n o n ? Quoi de p lus t end re , de p lus con juga l que les a d i e u x d ' H e c t o r e t d ' A n d r o m a q u e ? L a po l i t ique l a p lus p r o f o n d e r ègne d a n s le d iscours d 'U lys se a u x Grecs p r ê t s à s ' e m b a r q u e r e t à r e n o n c e r au siège de Troie. I l suffi t de l ire ce m o r c e a u p o u r ê t r e con- v a i n c u que dé j à l ' a r t de p a r l e r é t a i t r é d u i t en pr inc ipes . Ic i l ' on ape rço i t d i s t i n c t e m e n t t o u t e s les divis ions art if iciel les d u discours , Exorde, Propos i t ion , N a r r a t i o n , Pérora i son . T o u t e s les f i g u r e s y sont employées , t o u s les l ieux com- m u n s mis en œuvre . (BELIN DE BALLU, His to i re de l'élo- quence.)

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I I I . — L e s o r i g i n e s d e l a r h é t o r i q u e

A t h è n e s é t a i t la p a t r i e de l ' é loquence . D a n s ses écoles se f o r m a i e n t de g r a n d s o r a t e u r s p a r la force des exemples . U n e v é r i t a b l e t héo r i e de l ' a r t o ra to i r e , u n recueil des p r inc ipes n ' a p p a r a î t q u ' a u V siècle av. J . -C.

L a rhétorique, ou t e c h n i q u e de l ' a r t de p e r s u a d e r p a r la pa ro le , es t née , n o n pas à A t h è n e s , ma i s en Sicile alors h a b i t é e p a r u n e p o p u l a t i o n à l ' i m a g i n a t i o n v ive , « u n e race à l ' e sp r i t aiguisé e t n a t u r e l l e m e n t f a i t p o u r la d i spu t e », d i t Cicéron.

Ce p e u p l e c o n n u t u n e longue série de p rocès p o u r r écupé re r ses d ro i t s e t ses b iens spoliés p a r les t y r a n s . Les anciens pro- p r i é t a i r e s ou leurs hér i t ie rs a v a i e n t r ecours a u x t r i b u n a u x civils p o u r faire va lo i r l eur d r o i t de p ropr i é t é .

A c e t t e é p o q u e e u r e n t l ieu, à Syracuse , de g r a n d s d é b a t s po l i t iques d e v a n t l 'écclésia popu la i r e , p o u r d i scu te r des affai res de l ' E t a t .

S a v o i r p a r l e r en pub l i c p r e n a i t de p lus en p lus d ' i m p o r t a n c e . Des écoles spéciales f u r e n t créées. Le S y r a c u s a i n Corax e t son disciple Tis ias p u b l i è r e n t u n v é r i t a b l e t r a i t é , ou techné, qu i n ' e s t pa s a r r ivé j u s q u ' à nous , ma i s que d ' a u t r e s o r a t eu r s m e n t i o n n e n t d a n s leurs écri ts . A u t é m o i g n a g e d 'Ar i s to t e , C o r a x e t Tis ias son t les f o n d a t e u r s de la rhé to r ique .

I l s emble q u e Corax se p r o p o s a i t e s sen t i e l l ement d ' ense igner a u x n o m b r e u x p l a ideu r s de son p a y s la m a n i è r e de gagne r l eur cause d e v a n t les t r i b u n a u x . Sa techné a d o n c a v a n t t o u t

une u t i l i t é p r a t i q u e , sans la m o i n d r e p r é t e n t i o n a r t i s t ique , e t s ' e n f e r m a i t r i g o u r e u s e m e n t d a n s le genre judic ia i re . L a r h é t o r i q u e es t ouvr iè re de pe r suas ion , d i sa i t sa déf in i t ion . N o u s igno rons les règles f ixes e t les p rocédés de compos i t ion qu ' i l p récon isa i t . Selon A. e t M. Croiset , « la r h é t o r i q u e nais- s an t e es t dé j à t r ès habi le , t r è s rouée ; m a i s elle n ' e s t ni phi lo- soph ique , ni a r t i s t i q u e , e t elle semble p l u t ô t u n e é t u d e à l ' u sage de ce r t a ins p ra t i c i ens q u ' u n e g y m n a s t i q u e généra le de l ' e sp r i t e t u n e force p a r t o u t a p p l i c a b l e » (H i s t . de la litté- ra ture grecque) .

I V . — L e s s o p h i s t e s

Les p r e m i e r s m a î t r e s qu i ense ignèren t la parole à Athènes f u r e n t les sophistes, p r écu r seu r s des rhé t eu r s , qu i p r é t e n d a i e n t d é v e l o p p e r la « facu l té de j uge r , de pa r l e r e t d ' ag i r ».

R a p p e l o n s q u e le j e u n e A thén i en , a u x V e t I V siècles, f r é q u e n t a i t l 'école de l ' âge de six ou sep t ans j u s q u ' à l ' âge

Page 12: L'art oratoire

de d ix -hu i t ans. L ' é d u c a t i o n c o m p r e n a i t t ro is p a r t i e s : les l e t t res , la m u s i q u e e t la g y m n a s t i q u e .

A d ix -hu i t ans , l ' ado le scen t e n t r a i t d a n s l 'éphébie, i n s t i t u t i o n d ' E t a t c o m p a r a b l e au service mi l i ta i re . Il y d e m e u r a i t d e u x années e t a v a i t des loisirs p o u r c o m p l é t e r son é d u c a t i o n à l 'école des sophis tes . Ceux-ci lui ense ignè ren t la science de la vie p r a t i q u e , l a po l i t ique , la m o r a l e e t la r h é t o r i q u e . Ce t t e dernière p r i t , p e u à p e u , la p lace l a p lu s i m p o r t a n t e d a n s l ' éduca t ion . R i e n d ' é t o n n a n t en cela, p u i s q u e l ' é loquence é t a i t l ' i n s t r u m e n t nécessai re de l ' i n f luence po l i t ique , en u n t e m p s où « t o u t d é p e n d a i t d u p e u p l e e t le p e u p l e d é p e n d a i t de la pa ro l e » (Fénelon) .

L ' e n s e i g n e m e n t des sophis tes p o u v a i t se d iv iser en q u a t r e p rocédés :

1° Les l ec tures p u b l i q u e s ; 2° Les séances d ' i m p r o v i s a t i o n ; 3° L a c r i t ique des poè tes ; 4° Les d i spu t e s ér is t iques .

Les lectures publ iques é t a i e n t des conférences sur des su je t s les p lu s divers , rédigées en u n b e a u l angage e t déc l amées d e v a n t u n aud i to i r e s o u v e n t t r ès var ié .

Les séances d ' improvisa t ion d o n n a i e n t l ieu à de longs exposés en réponse à des ques t ions posées p a r les a u d i t e u r s . Les sophis tse se v a n t a i e n t , n o n s e u l e m e n t de p a r l e r d ' a b o n d a n c e e t s p o n t a n é m e n t sur t o u t su je t , ma i s de c o m m u n i q u e r ce d o n à leurs disciples. I ls a v a i e n t des idées t o u t e s fa i tes sur u n g r a n d n o m b r e de su je ts , qu i d ' a i l l eurs é t a i e n t assez l imi tés à ce t t e époque .

L a crit ique des poètes é t a i t u n e sor te de l ec tu re exp l iquée des œ u v r e s d ' H o m è r e ou d 'Hés iode , sur laquel le se gref fa i t u n e vé r i t ab le d i spu te phi lo logique tel le que celle r a p p o r t é e p a r A r i s t o p h a n e dans la scène des Grenouilles, ou encore des cons idé ra t ions sur les règles de ve r s i f i ca t ion e t de g r a m m a i r e ,

Les disputes éristiques ou exercices de d i a l ec t ique é t a i e n t des c o m b a t s de paroles. P a r t a n t d u p r inc ipe qu ' i l n ' ex i s t e pas de vér i té universel le , m a i s s e u l e m e n t des opin ions indivi - duelles e t var iab les , l ' on conc lua i t que sur t o u t s u j e t il es t possible de sou ten i r d e u x p ropos i t ions con t rad ic to i re s . « L 'é r i s - t i que é t a i t u n a r t vé r i t ab le , a y a n t sa n a t u r e p r o p r e e t ses lois. A u d é b u t de la séance, on d i s t r ibue les rôles. C 'es t d ' o r d i n a i r e au sophis te que r ev i en t le rôle d ' i n t e r r o g a t e u r ; c ' e s t lui, p a r conséquen t , qui gouve rne l a discussion. L ' u n des a s s i s t an t s a spéc ia l ement la mission de répondre . . . Mais les a u t r e s a u d i t e u r s ne sont pas s i m p l e m e n t j uges des coups. Si le p r e m i e r

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répondant s'est avoué vaincu, un second entre en lice, à sa place. » (Octave Navarre.)

La sophistique a certes exercé une grande influence sur l'éloquence. Les sophistes avaient de nombreuses connaissances utiles qu'ils communiquaient à leurs disciples. (Sophiste vient de sophia, sagesse.) Ils aimaient l'éclat et le faste dans la parole, le vocabulaire, le style et même dans la tenue et le geste. Leurs élèves apprenaient à parler d'abondance, mais surtout à argumenter. L'abus que les sophistes faisaient de leurs talents, leur prétention d'avoir toujours raison, quel que soit le parti qu'ils défendaient, rendaient bientôt leur nom odieux.

V . — L ' i n f l u e n c e d ' I s o c r a t e

Isocrate d'Athènes (436-338 av. J.-C.), élève du célèbre rhéteur Gorgias, a formé les grands orateurs de la Grèce. Le rôle qu'il a joué dans l'éducation est inappréciable. C'est lui qui a fait entrer la rhétorique dans les études régulières des jeunes Athéniens en lui conférant, en dehors de son utilité pratique, un caractère vraiment éducatif. La rhétorique devient un instrument de culture. Isocrate a reconnu les rapports très étroits de la parole et de la pensée. « Apprendre à bien parler, disait-il, c'est apprendre à bien vivre. » Un discours est pour lui essentiellement une œuvre d 'art ; il accorde toute l'importance à la pompe du style, à la noblesse des expressions, à l'harmonie des périodes. Il met dix années à composer son célèbre Panégyrique d'Athènes ; Plutarque l'en blâme sévère- ment : « Considérez un peu, je vous prie, dit-il, la bassesse de cœur de ce sophiste, qui consuma la neuvième partie de sa vie à composer un seul discours. »

V I . — L a r h é t o r i q u e d ' A r i s t o t e

Aristote (384-322 av. J.-C.) le plus grand philosophe de l'Antiquité, véritable esprit encyclopédique, a étendu son influence, non seulement sur la culture grecque et latine, mais sur toute la culture française. De son Organon ou traité de logique, le Moyen Age a tiré les armes de la scolastique, de sa Rhétorique, la plus ancienne qui nous est parvenue, on a extrait la matière de tous les traités de l 'art oratoire, anciens et modernes. La rhétorique, selon Aristote, « consiste dans la faculté de découvrir tous les moyens possibles de se faire croire sur tout sujet ». En examinant les procédés employés par les grands orateurs, elle en tire des règles et des conseils.

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1967. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France) ÉDIT. N° 29 705 IMPRIMÉ EN FRANCE IMP. N° 20 381

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