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L’ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC Hicham EL HABBOULI Doctorant ED SHOS Rennes I Contrat Assurance takaful L’adaptation de l’assurance conventionnelle à la sharia (droit islamique) fut encouragée durant la seconde moitié du vingtième siècle par des initiatives menées à l’échelle internationale 1 .Il en est ainsi de la première Conférence internationale sur l’économie islamique (La Mecque, 1976). Mais, la contribution la plus importante est celle du Grand Conseil des oulémas musulmans (Académie de l’organisation de la conférence islamique) tenu à Jeddah en 1985 et qui a abouti à un accord sur l’assurance portant sur les éléments suivants : - le contrat d’assurance commerciale, tel que le pratiquent les compagnies d’assurance commerciale, comporte une part importante d’incertitude, qui le rend insuffisant. Il est par conséquent prohibé ; - le contrat alternatif respectant les principes des transactions islamiques est le contrat d’assurance coopérative. Celui-ci est construit sur les principes de contribution volontaire et d’assistance mutuelle. Ces considérations s’appliquent aussi à la réassurance, qui doit également être fondée sur les principes d’assistance mutuelle ; 1 R.Ghueldre,C-Edelamare-Deboutteville, A.Makhlouf : Le Takaful : l’assurance sharia-compatible, Actualités Lamy Assurances, n° 215avril 2014, p.1.

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L’ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC

Hicham EL HABBOULI Doctorant

ED SHOS Rennes I

Contrat – Assurance takaful

L’adaptation de l’assurance conventionnelle à la sharia (droit islamique) fut

encouragée durant la seconde moitié du vingtième siècle par des initiatives

menées à l’échelle internationale1.Il en est ainsi de la première Conférence

internationale sur l’économie islamique (La Mecque, 1976). Mais, la

contribution la plus importante est celle du Grand Conseil des oulémas

musulmans (Académie de l’organisation de la conférence islamique) tenu à

Jeddah en 1985 et qui a abouti à un accord sur l’assurance portant sur les

éléments suivants :

- le contrat d’assurance commerciale, tel que le pratiquent les compagnies

d’assurance commerciale, comporte une part importante d’incertitude, qui le

rend insuffisant. Il est par conséquent prohibé ;

- le contrat alternatif respectant les principes des transactions islamiques est

le contrat d’assurance coopérative. Celui-ci est construit sur les principes de

contribution volontaire et d’assistance mutuelle. Ces considérations

s’appliquent aussi à la réassurance, qui doit également être fondée sur les

principes d’assistance mutuelle ;

1 R.Ghueldre,C-Edelamare-Deboutteville, A.Makhlouf : Le Takaful : l’assurance sharia-compatible,

Actualités Lamy Assurances, n° 215avril 2014, p.1.

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- l’académie appelle les pays musulmans à fonder des coopérations mutuelles

dans le domaine de l’assurance et de la réassurance2.

A l’heure actuelle presque tous les jurisconsultes musulmans sont d’accord

pour considérer que deux formes d’assurance sont admissibles, si les

placements sont des actifs conformes à la charia3 :

- L’assurance mutuelle, car elle est basée sur la contribution volontaire et sur

l’assistance mutuelle dans un but de droiture et de vertu ;

- L’assurance sociale, car elle implique une coopération sociale et une protection

mutuelle sans recherche de profit.

L’alternative islamique à l’assurance conventionnelle se nomme Takaful, terme

arabe dont l’étymologie dérive de Kafalah qui signifie « garantie mutuelle ».4

Forme islamique d’assurance mutuelle, le Takaful est un accord entre membres

d’un groupe donné et aux intérêts communs, appelés participants, qui décident

collectivement de se garantir les uns les autres contre un certain nombre de

revers ou de pertes potentiels, clairement définis dans l’accord, par

l’intermédiaire d’un fonds commun alimenté par les ressources de chacun des

membre du groupe et qui doit servir à indemniser les participants5.

Le fonds est investi conformément au droit islamique et sa gestion avisée doit

procurer des profits. Il s’agit donc d’une entraide solidaire par l’intermédiaire

d’une mutualisation des risques et des ressources6.

2 Swiss Ré : L’assurance dans les pays émergents -présentation et perspectives de l’assurance islamique, Swiss Re, Sigma n° 5/2008. 3 Id.

4 R.Ghueldre,C-Edelamare-Deboutteville, A.Makhlouf : op.cit.

5 F. Guéranger : Finance islamique- Une illustration de la finance éthique, p 189 et 190, Dunod Paris, 2009. 6 Id.

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I. Les principes de l’assurance Takaful

L’assurance islamique renvoie à tous les concepts d’assurance islamique, tandis

que le Takaful général (Non Vie) et le Takaful famille (Vie) concerne certains

modèles particuliers d’assurance, séparant les fonds des preneurs d’assurance

et des actionnaires7.

A. Les principes inhérents à l’établissement d’un fonds Takaful

Le fonds Takaful implique :

- La séparation des fonds des preneurs d’assurance et ceux des actionnaires :

l’opérateur n’est qu’un manager des contributions de la communauté des

sociétaires et doit calculer toutes les charges d’exploitation et les faire supporter

par le fonds.

- L’engagement à distribuer les bénéficies techniques aux preneurs d’assurance : la

compagnie Takaful s’engage à redistribuer les bénéfices à ses sociétaires ;

- L’évitement des actifs non conformes à la charia : L'investissement doit être

essentiellement effectué dans des actions cotées de sociétés dont l'activité n'est

pas incompatible avec la charia. Est ainsi exclu l'investissement dans des sociétés

dont l'activité principale concerne les secteurs du tabac, de l'alcool, des produits

à base de porc, des services de la finance conventionnelle (banque, assurance,...),

de l'armement et de la défense, du jeu et du divertissement (casino, jeu de hasard,

cinéma, pornographie, musique,...)8. Les sociétés Takaful doivent également

respecter les trois filtres financiers pris en considération à ce jour par le « Sharia

7 Swiss Ré : op.cit.

8C.Mouhammed Patel membre d’ACERFI (Audit, Conformité Et Recherche en Finance Islamique), disponible

sur- www.acerfi.org.

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Board du Dow Jones Islamic Market ». Ce système de filtres financiers permet de

ne pas investir dans des sociétés trop endettées9.

- La création d’un conseil de surveillance de la charia, qui supervise les opérations

d’assurance et contrôle leur conformité à la charia : les conseils de la charia

peuvent être internes à chaque société, comme c’est le cas dans les pays du Golfe

ou centralisés au niveau d’un pays, comme en Malaisie.

B. L’opérateur Takaful

L’opérateur TAkaful, en général une société anonyme, perçoit une commission

proportionnelle fixe (cotisation de Wakala), une commission basée sur les résultats

(Moudaraba), ou une combinaison des deux. En cas de déficit de souscription,

l’opérateur Takaful n’a pas le droit de le couvrir. Il doit à la place octroyer un prêt sans

intérêt (Qard Hassan), qui sera remboursé par les futurs excédents du pool de

souscription. La durée du contrat Takaful doit aussi être précisée. Enfin, les preneurs

d’assurance sont les participants à l’assurance vie Takaful, aussi nommée Takaful

famille10.

Les produits Takaful sont vendus par des entreprises entièrement islamiques, dont

toutes les opérations commerciales sont effectuées conformément à la charia. Sinon, ils

peuvent aussi être commercialisés par le guichet islamique d’une institution financière

conventionnelle, via une fenêtre Takaful (Takaful window), qui permet aux clients

d’acheter des produits et des services conformes à la charia. Ces institutions peuvent

aussi vendre des produits classiques11.

9 M.H.Douceret : Le Takaful en France demain : fiction ou réalité ?, Thèse professionnelle MBA ENASS, p.19,

2010. 10

Swiss Ré : op.cit. 11

Ibid.

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Pour l’assurance Vie (Takaful famille), un le fonds d’investissement doit être alimenté.

Les contributions que versent les assurés participants alimentent un fonds de garantie

comme dans le cas du Takaful général (dommages) afin de se couvrir contre les risques,

mais aussi une composante d’épargne et d’investissement qui viendra alimenter un

compte d’investissement du participant. Cette part de la contribution ne fait pas partie

de la couverture mutuelle de risque. Elle sert à construire un capital qui sera distribué

aux participants ou à ses ayant droits à l’expiration du contrat. La part qui va au fonds de

garantie qui sert à assurer le risque est moins importante que la partie qui va à l’épargne

et la constitution d’un capital. S’il est admis que la partie risque est considérée comme

une donation irrévocable et conditionnelle, la partie épargne est la propriété de

l’épargnant et c’est pourquoi il dispose d’un compte d’investissement du participant, ce

qui n’existe pas dans le Takaful général. L’épargnant ne peut être dépossédé de ses

droits et ne transfert pas de manière irrévocable sa propriété au fonds. Le fonds Takaful

d’investissement n’est donc pas détenu collectivement mais individuellement par les

participants12.

L’opérateur a la responsabilité de réaliser des investissements profitables pour cette

partie de la contribution Takaful. Les excédents dégagés par le fonds de garantie lorsque

le montant des primes est supérieur aux indemnisations et aux réserves constituées,

reviennent aux assurés participants. De leur côté, les excédents dégagés par les activités

d’investissement sont partagés par les assurés participant et l’opérateur suivant un ratio

établi au préalable13.

Que ce soit pour le Takaful général ou pour le Takaful famille, les droits de propriété des

fonds ne sont jamais transférés à l’opérateur. Cela veut dire qu’en cas de liquidation de

12

M.H.Douceret : : op.cit, p.23. 13

Ibid p.24.

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l’opérateur, ses créanciers ne peuvent pas solliciter les actifs du fonds gérés par

l’opérateur afin de récupérer leur dû14.

La rémunération des opérateurs est fonction du modèle d’exploitation choisi.

Les différents modèles d’exploitation

Le critère de distinction des différents modèles d’assurance Takaful est la manière dont

se répartissent les bénéfices techniques entre la société et ses assurés15.

La plupart des sociétés d'assurance Takaful s'organisent selon quatre modèles : Wakala

et Moudharaba, le contrat combinant entre les deux et le Waqf :

- Le Modèle Wakala (basé sur la cotisation) : l’idée de base est que l’adhérent à un

système de solidarité verse par tranches une somme donnée entre 20 et 60 ans. S’il

décède avant l’âge de la retraite, les héritiers légitimes reçoivent le montant du principal

versé jusqu’à la date du décès, les bénéfices accumulés à cette date et la somme que le

décédé aurait payé s’il avait vécu jusqu’à l’âge de 60 ans16;

- Le Modèle Moudharaba (participation aux bénéfices) : cette technique prône le

partage équitable des risques et des bénéfices, en associant le prêteur et l’emprunteur.

C’est une technique utilisée également dans le domaine bancaire. Cette forme de finance

associative qui inspirera le système de commandite en droit français, relève d’une

logique similaire à celle du capital risque popularisé par la «nouvelle économie»17 ;

14

Id.

15 Ibid p.24.

16

R Bouchoul et A.Chenini : les perspectives de l’assurance islamique dans les pays émergents – cas

de l’Algérie, les sociétés d’assurances Takaful et les sociétés d’assurances traditionnelles entre la

théorie et l’expérience pratique, Faculté des sciences économiques, commerciales et sciences de

gestion Université de Sétif – Algérie, 25 et 26 avril 2011, disponible sur : www.univ

ecosetif.com/seminars/Takaful/24.pdf. 17

Ibid.

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- Modèle Hybride ( Wakala/Moudharaba ): la pratique la plus courante au Moyen

orient est une combinaison des deux premiers contrats, Wakala pour la gestion

technique et Moudharaba pour l’investissement ;

Certaines autorités de réglementation financière et des organisations

internationales telles l’AAOIFI recommandent le modèle hybride, car il permet

de tirer parti des points forts des deux modèles. C’est d’ailleurs la pratique la

plus courante au Moyen-Orient : wakala pour la gestion technique et

Moudaraba pour l’investissement18.

- Modèle Waqf : Présent au Pakistan, ce modèle prévoit le versement d’une

contribution initiale par l’opérateur au fonds Takaful. Les assurés y versent des

contributions supplémentaires, qui sont ensuite utilisées pour régler les sinistres.

L’opérateur reçoit une commission de souscription fixe. Quant aux assurés, ils reçoivent

les fonds restants dans le pool lorsque tous les sinistres ont été réglés19.

II. L’introduction du Takaful au Maroc et en France

A. Au Maroc

Il importe de décrire la vision du Maroc par rapport à la finance islamique et ensuite

présenter les principaux axes du projet de loi intégrant le contrat Takaful dans le code

des assurances.

1. Finance islamique au Maroc

Le Maroc a évolué à plusieurs points de vue sauf en ce qui concerne la finance islamique.

L’intérêt de l’Etat pour cette branche ne s’est manifesté que récemment. Il a fallu attendre

18

M.H.Douceret : op.cit, p.26. 19

Ibid.

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2007 pour voir les premiers produits alternatifs20

proposées par les banques conventionnelles.

Cette expérience s’est vouée à l’échec et ce, en raison de l’absence d’une approche intégrée

de la finance islamique. Ainsi, à ce jour, les produits bancaires alternatifs sont commercialisés

avec des produits d’assurance conventionnelle.

Depuis 2012, il y eut un regain d’intérêt pour la finance islamique porté par l’avènement d’un

gouvernement dirigé par un parti islamiste21

, par la demande populaire22

et finalement par le

contexte international morose marqué par un assèchement des liquidités et une augmentation

du risque systémique. Cette nouvelle vague s’est ainsi concrétisée par la préparation et la mise

en place de trois textes légaux :

- Le projet de loi n° 103-12 relative aux établissements de crédit et

organismes assimilés, dont un chapitre est consacré aux banques

participatives23 ;

- la loi n°119-12 modifiant et complétant la loi n°33-06 relative à la

titrisation de créances et la loi n°24-01 relative aux opérations de

pension.

Cette loi consacre une partie aux produits obligataires islamiques

Sukuks)24 ;

- Un projet de loi n° 059-13 modifiant et complétant la loi n° 17-99 portant

code des assurances de loi sur le Takaful 25;

20

Appellation officielle des produits banciares islamiques (Ijara, Moucharaka et Mourabaha). 21

Parti Justice et Développement (PJD). 22

Selon une enquête CDVM-IFAAS en 2011 79% des marocains seraient très intéressés par la

finance islamique-Enquête annexée à une étude du CDVM intitulée : Sukuk, quel potentiel de

développement au Maroc?, disponible sur www.cdvm.gov.ma. 23

Texte en instance d’approbation par le parlement 24

Loi promulguée par le Dahir n°1-13-47 du 13 mars 2013 et publiée au B.O n° 61184 du 5/9/2013. 25

Texte en instance d’approbation par le Conseil du Gouvernement

Page 9: L'ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC Hicham EL

En analysant les trois textes, deux constats majeurs se dégagent. Premièrement,

l’Etat marocain n’a opté pour une loi globale dédiée à la finance islamique et

partant, on peut déduire l’absence d’une vision intégrée de l’Etat pour le

secteur de la finance islamique. Deuxièmement, ces projets de loi sont à

différents niveaux d’avancement. Ainsi, la loi sur les Sukuks est déjà en vigueur,

le projet de loi sur les banques participatives est en instance d’approbation par

le parlement et enfin le projet de loi sur le Takaful n’est encore approuvé par le

Conseil du Gouvernement. Ce scénario risque de rendre les nouvelles

dispositions moins effectives et partant risque de reproduire la même méfiance

actuelle envers les produits alternatifs.

Aussi, la complémentarité entre les trois blocs de la finance islamique est d’une

importance capitale pour la réussite de la finance islamique au Maroc. En effet, afin de

commercialiser des financements immobiliers, une banque de détail islamique a besoin

de contrats Takaful. Pour fructifier les primes collectées, les compagnies Takaful ont

recours à des placements dans les Sukuks ainsi que dans les fonds d’investissements

islamiques. Ces derniers sollicitent les acteurs institutionnels comme les banques et

compagnies d’assurance pour leur financement.

2. Présentation des principaux axes du projet de loi n° 059-13 intégrant le contrat d’assurance Takaful

dans le code des assurances

Le projet de loi donne des définitions précises pour certains concepts de

l’assurance Takaful. Il s’agit du concept «Assurance Takaful » défini par l’article

2 du projet de loi comme étant « l’opération d’assurances fonctionnant

conformément aux préceptes de la Charia, basée sur le don et sur l’entraide

entre un groupe de personnes physiques ou morales appelées participants qui

contribuent mutuellement dans l’objectif de couvrir les risques prévus au

contrat d’assurance Takaful ».

Page 10: L'ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC Hicham EL

Le texte précise qu’en assurance Takaful, le risque est supporté par la

collectivité des participants, l’entreprise d’assurances et de réassurance

percevant une rémunération au titre de la gestion de l’assurance Takaful.

Aussi, certains principes de base concernant l’assurance Takaful ont été

introduits. Il s’agit de l’avance Takaful qui consiste à obliger l’entreprise

d’assurance gestionnaire de l’opération d’assurance Takaful de combler

d’éventuels déficits générés par cette opération par des avances sans intérêts.

Ces avances sont récupérables sur les excédents futurs. De même, les excédents

techniques et financiers réalisés dans le cadre de l’assurance Takaful sont

répartis entièrement entre les participants après déduction, le cas échéant, des

avances Takaful. La répartition de ces excédents techniques et financiers ne

peut avoir lieu qu’après constitution des différentes provisions et réserves.

Le projet de loi introduit également le principe de la spécialisation des

entreprises d’assurances agréées pour pratiquer les opérations d’assurance.

Ainsi, l’agrément pour les opérations d’assurances Takaful ne pourra être

accordé à une entreprise agréée pour d’autres opérations d’assurances, ce qui

exclut la possibilité de créer des guichets Takaful au sein d’assurances

conventionnelles. Les compagnies existantes désirant aborder le marché

Takaful devront créer des entités juridiques distinctes.

A l’instar de la Malaisie, le projet de loi a attribué la certification de la

conformité des opérations à un Comité à la Charia pour la Finance. Ce comité

est créé au sein du Conseil Supérieur des Ouléma.

Concernant l’obligation d’information à la charge de l’assureur, le projet de loi

dispose que le contrat d’assurance Takaful doit prévoir : les modes de

rémunération de l’assureur au titre de la gestion de l’assurance Takaful et le

montant de cette rémunération, les modalités de répartition des excédents

Page 11: L'ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC Hicham EL

entre les participants ainsi que la politique de placement de l’entreprise

d’assurances et de réassurance.

2. En France

Le développement en France de la finance islamique en général et de

l’assurance islamique en particulier est intiment lié à la résolution de la

question se rapportant à la compatibilité du droit français avec les principes de

l’assurance islamique. Mais, la question essentielle de la compatibilité ne met

pas obstacle à l’émergence d’un marché de niche de l’assurance islamique.

1. Compatibilité du droit français avec les principes de l’assurance islamique

Outre le fait qu’il partage avec la Sharia des principes semblables (comme la

prohibition de l’usure, l’encadrement du jeu, le principe de l’objet déterminé ou

déterminable des conventions, le respect des bonnes mœurs, etc.), le droit

français contient de nombreuses dispositions permettant d’accommoder la

finance islamique, que ce soit en matière de gestion collective ou plus

généralement en matière de financement corporate26.

Ainsi, des aménagements juridiques ont été amorcés par une note de l’AMF

datant du 17 juillet 2007 qui admet le recours à des critères extra-financiers

pour sélectionner les actifs dans lesquels investit un OPCVM se déclarant

conforme à « la loi islamique». Ce texte constitue l’une des premières prises de

position, si ce n’est la première, d’une autorité française visant directement la

finance. D’autres textes se sont succédé, telles les dernières instructions fiscales

du 24 août 2010 relatives aux contrats nommés les plus utilisés27.

26G.Saint Marc :La finance islamique : une alternative pour financer l’économie française ?, Bulletin Joly Bourse, 01 avril 2009 n° 2, P. 153.

27 O.Rochdahou : la réception de la finance islamique en France, Revue Banque n° 759, Avril 2013.

Page 12: L'ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC Hicham EL

Cependant, à ce jour aucune mesure afférente à l’assurance Takaful n’a été

prise par les pouvoirs publics français.

En dépit de l’absence d’un cadre juridique spécifique à l’assurance Takaful, la

question de la compatibilité du droit des assurances français avec la charia

demeure une question d’appréciation ou d’interprétation, à la charge des

conseils de la charia. Ces derniers peuvent de décider si un produit conforme à

la loi nationale, est également conforme à la charia.

Ainsi, concernant l’exigence de cantonnement des actifs imposée par la sharia

et non prévu en droit français, il est néanmoins possible de recourir à un

cantonnement contractuel pour se conformer au mieux aux exigences du droit

islamique. Une telle solution paraît opportune, même si les participants

demeurent exposés au risque de faillite28.

Par rapport à la définition du champ des garanties, la couverture de certains

risques spécifiques et plus précisément le cas du suicide pose problème en

assurance Takaful. La levée de cet obstacle peut être d’ordre contractuel. Ainsi,

en France, un assureur possède toujours la faculté de commercialiser des

produits ne comportant pas de garantie décès. Il en est ainsi de l’offre de

produits d’épargne sharia compatibles proposée par Allianz Life Luxembourg

ou encore du contrat Takaful famille distribué par la société d’assurance vie

Swiss Life29.

Pour l’assurance vie, la question de la compatibilité est moins difficile. En effet,

de nombreux contrats vie en euros ne comportent pas d’autre garantie de taux

qu’une garantie à 0%. Les sommes versées en supplément de la prime résultent

28

R.Ghueldre,C-Edelamare-Deboutteville, A.Makhlouf : op.cit. 29

Ibid.

Page 13: L'ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC Hicham EL

uniquement d’un partage de bénéfices entre l’assureur et l’assuré. La prime

elle-même n’est pas soumise à un partage de sort. Les contrats en unités de

compte quant à eux, au regard de leur mécanisme financier, sont totalement

compatibles avec les règles islamiques30.

2. Marché de l’assurance islamique en France

Le Takaful peut constituer un moyen efficace pour intégrer dans l’assurance

vie, une partie non négligeable de population française à savoir la population

musulmane31.

Certes, en matière d’épargne, la cible est restreinte et le marché potentiel est

probablement un marché de niche. Les musulmans de France ne sont pas

majoritairement fortunés et par conviction, peu portés sur l’épargne. Mais il

existe des segments dans cette population qui sont assurément en capacité

d’épargne32.

Pour réponde aux besoins de segment de la population, les assureurs

européens ont commencé à s’intéresser au marché de l’assurance Takaful.

Le premier produit d’assurance Takaful distribué en France est le contrat

« Sharia Compliant» présenté en 2009 par Allianz Life Luxembourg sur l’île de

la Réunion.

En 2012, Swiss Life, a lancé son contrat « Salam-Epargne & Placement ». Ce

contrat de type multi-supports est adossé à la Sicav Salam-Pax, fonds de fonds

30

M.H.Douceret: op.cit, p.71.

31D’après un rapport publié en juillet 2013 par l’Institut national d'études démographique intitulé

« Sécularisation ou regain religieux : la religiosité des immigrés et de leurs descendants », la

population musulmane en France est estimé entre 4,3 millions de musulmans et 3,98 millions, soit,

une hypothèse moyenne, 4,1 millions. 32

Ibid : op.cit.p.78.

Page 14: L'ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC Hicham EL

comprenant des OPCVM conformes aux principes de la finance éthique et

islamique33.

Un autre assureur luxembourgeois Vitis Life, a lancé en début de l’année 2014,

un contrat dénommé « Amâne Exclusive Life »34.

Les cibles principales des deux contrats d’assurance-vie sont avant tout les aux

résidents français de confession musulmane. Mais, ils peuvent également

concerner les personnes intéressées par la finance islamique, qui se veut

éthique, responsable et non-spéculative.

Les deux contrats sont certifiés par le Comité Indépendant de la Finance

Islamique en Europe.

Le montant minimal de la prime pour l’accès au contrat « Salam » de Swiss Life

est fixé à 3000 euros, tandis que le contrat « Amâne » de Vitis Life est réservé à

une clientèle fortunée, puisque le montant minimal de souscription est fixé à

250 000 euros35.

On constate donc, que les acteurs présents sur le marché de l’assurance Takaful

sont des opérateurs étrangers et la grande majorité des acteurs français est en

situation d’attentisme et d’observation.

L’absence des assureurs français est justifiée par la crainte d’encourir une perte

d’image liée à la commercialisation d’un produit communautaire à caractère

religieux et partant risque d’être en contradiction avec la règle de la laïcité.

33

Swiss Life : Communiqué de presse, 4 juillet 2012, disponible sur - www.swisslife.f 34

Fiche produit disponible sur : www.vitislife.com. 35

Ibid.

Page 15: L'ASSURANCE TAKAFUL EN FRANÇE ET AU MAROC Hicham EL

Pourtant l'assurance Takaful obéit en effet à des préceptes moraux et non à des

principes religieux ; elle ne contrevient donc pas aux de notre pays. Par ailleurs

elle possède de nombreux points de convergence avec le droit français et il

semble relativement aisé de lever les contraintes pour pouvoir disposer des

outils nécessaires au lancement d’une offre Takaful36.

36

M.H.Douceret: op.cit, p.85.