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SERVICE AUX COLLECTIVITÉS L’État et les partenariats public-privé au Québec par Dorval Brunelle, Sylvain Bédard, Simon Carreau et Pierre-Antoine Harvey Rapport de recherche préparé dans le cadre du Protocole UQAM-CSN-CSQ-FTQ 31 août 2004 Université du Québec à Montréal Pavillion Hubert-Aquin 1255 rue St-Denis Local A-1560 Montréal (Québec) H2X 3R9 Tel : (514) 987 3000 # 3910 http://www.ceim.uqam.ca

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SERVICE AUX COLLECTIVITÉS

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par

Dorval Brunelle, Sylvain Bédard, Simon Carreau

et Pierre-Antoine Harvey

Rapport de recherche préparé dans le cadre du Protocole UQAM-CSN-CSQ-FTQ

31 août 2004

Université du Québec à Montréal Pavillion Hubert-Aquin 1255 rue St-Denis Local A-1560 Montréal (Québec) H2X 3R9 Tel : (514) 987 3000 # 3910 http://www.ceim.uqam.ca

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Table des matières

LISTE DES SIGLES ........................................................................................... III

INTRODUCTION ............................................................................................... 1

1. LE CONTEXTE............................................................................................ 5

2. LA NOUVELLE GESTION PUBLIQUE (NGP) .................................................11

2.1. LES THÉORIES .........................................................................................................15

2.2. LES CONTRADICTIONS DE LA NGP...........................................................................19

2.3. DE LA NGP AUX PPP..............................................................................................22

3. LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL ET LES PPP................................................27

3.1. LA MODERNISATION DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE CANADIENNE .......................27

3.2. RETOUR DE BALANCIER : SCANDALE ET CRISE D’IMPUTABILITÉ.................................31

4. LES PPP AU QUÉBEC DE 1994 À 2004............................................................37

4.1. LES ANNÉES BOUCHARD..........................................................................................37

4.2. LA RÉFORME DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE........................................................42

4.3. L’ALLÈGEMENT RÉGLEMENTAIRE............................................................................49

4.4. LE DÉVELOPPEMENT DES PPP..................................................................................57

4.4.1. Les promoteurs des PPP............................................................................................... 60

4.4.2. Quelques applications .................................................................................................. 61

4.4.3. Le secteur des transports............................................................................................... 64

4.5. LES MARCHÉS PUBLICS ............................................................................................73

4.5.1. Le partage des responsabilités ....................................................................................... 74

4.5.2. La refonte du cadre réglementaire des marchés publics.................................................... 79

4.6. LE PROJET DU GOUVERNEMENT CHAREST................................................................81

CONCLUSION ................................................................................................ 107

RECOMMANDATIONS.................................................................................... 113

ANNEXE 1 – EXTRAITS DE LA LOI SUR L’ADMINISTRATION PUBLIQUE.......... 115

ANNEXE 2 – DÉCISION DU CONSEIL DU TRÉSOR DU 25 FÉVRIER 2003 ............. 119

ANNEXE 3 – RÈGLES SUR L’ALLÉGEMENT DES NORMES DE NATURE

LÉGISLATIVE OU RÉGLEMENTAIRE (RANNLR) .............................................. 123

ANNEXE 4 – TABLEAU SYNTHÈSE DES SEUILS D’OUVERTURE DES MARCHÉS

PUBLICS ........................................................................................................ 131

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ANNEXE 5 – ARTICLE DU OTTAWA CITIZEN SUR LA RÉFORME DE

L’ADMINISTRATION PUBLIQUE AU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL ....................137

ANNEXE 6 – ACTIVITÉS CIRANO ET CEFRIO...................................................141

ANNEXE 7 – CHRONOLOGIE SUR LES PPP AU QUÉBEC ...................................143

RÉFÉRENCES .................................................................................................149

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Liste des sigles

ACI Accord sur le commerce intérieur

ALENA Accord de libre-échange nord-américain

AME Alliance des manufacturiers et exportateurs

AMT Agence métropolitaine de transport

APAQ Association des propriétaires d’autobus du Québec

APPPQ Agence des partenariats public-privé du Québec

AQNY Accord de libéralisation des marchés publics du Québec et du Nouveau-Brunswick

AQO Accord de libéralisation des marchés publics du Québec et de l’Ontario

BAPE Bureau d’audiences publiques sur l’environnement

BAPPR Bureau d’accueil et de promotion des projets de renouvellement

BI Bureau des infrastructures

BM Banque mondiale

BMOPPP Bureau de mise en œuvre du partenariat public-privé

BNC Banque nationale du Canada

BPA Bureau des partenariats d’affaires

BPPP Bureau des partenariats public-privé

CCE Centre de contrôle environnemental

CCED Comité du cabinet sur l’examen des dépenses

CCIQM Chambre de commerce et d’industrie du Québec métropolitain

CCMM Chambre de commerce du Montréal métropolitain

CCPPP Conseil canadien des partenariats public-privé

CCSPP Conseil canadien des sociétés publiques-privées

CDESQ Conférence sur le devenir économique et social du Québec

CEFRIO Centre francophone pour l’informatisation des organisations

CEQ Centrale des enseignantes et enseignants du Québec

CIRANO Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations

CMPEDD Comité ministériel de la prospérité économique et du développement durable

CNFP Coalition nationale des femmes contre la pauvreté

CNRC Conseil national de recherches Canada

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CNT Commission des normes du travail

COCDMO Coalition des organismes communautaires pour le développement de la main-d’œuvre

CPBA Commission permanente du budget et de l’administration

CPI Conventions de performance et d’imputabilité

CPLF Commission de protection de la langue française

CPMQ Cabinet du premier ministre du Québec

CPQ Conseil du patronat du Québec

CRISP Conseil des responsables de l’information du secteur public

CSA Centre des services administratifs

CSN Confédération des syndicats nationaux

CSQ Centrale des syndicats du Québec

CSST Commission de santé et sécurité au travail du Québec

CT Conseil du Trésor

CTC Conseil du Trésor du Canada

CVC Conseil et vérification Canada

ENAP École nationale d’administration publique

EUA États-Unis d’Amérique

FCEI Fédération canadienne de l’entreprise indépendante

FCM Fédération canadienne des municipalités

FIIQ Fédération des infirmières et infirmiers du Québec

FFQ Fédération des femmes du Québec

FMI Fonds monétaire international

FPLQ Fédération des producteurs de lait du Québec

FSFTQ Fonds de solidarité de la FTQ

FTQ Fédération des travailleurs du Québec

GCAR Groupe-conseil sur l’allégement réglementaire

GEL Gouvernement en ligne

IPPP Institut pour le partenariat public-privé

LAP Loi sur l’administration publique

LFP Loi sur la fonction publique

LPIT Loi concernant les partenariats en matière d’infrastructures de transport

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M/O Ministère(s) et/ou organisme(s)

MAM Ministère des Affaires municipales

MAMM Ministère des Affaires municipales et de la Métropole

MCE Ministère du Conseil exécutif

MESSS Municipalités, éducation, santé et services sociaux

MEQ Ministère de l’Éducation

MRNQ Ministère des Ressources naturelles du Québec

MSSS Ministère de la santé et des services sociaux

MTQ Ministère des Transports du Québec

NGP Nouvelle gestion publique

NPM New public management

NTIC Nouvelles technologies de l’information et des communications

OCDE Organisation de coopération et de développement économique

OMC Organisation mondiale du commerce

PAPP Partenariats d’affaires public-privé

PLQ Parti libéral du Québec

PIC Programme Infrastructures Canada

PME Petites et moyennes entreprises

PM04-07 Plan de modernisation 2004-2007

PMP Politique sur les marchés publics

PPP Partenariat public-privé

PQ Parti québécois

PQAI Politique québécoise de l’autoroute de l’information

PSP Processus de sélection d’un partenaire

PUMA Public management

RANNLR Règles sur l’allégement des normes de nature législative ou réglementaire

RCACS Règlement sur les contrats d’approvisionnement, de construction et de services des ministères et des organismes publics

RDPRM Registre des droits personnels et réels mobiliers

RI Ressources informationnelles

RQ Revenu Québec

SAG Service aérien gouvernemental

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SAREG Secrétariat à l’allégement réglementaire

SCMPEDD Secrétariat du Comité ministériel de la prospérité économique et du développement durable

SCT Secrétariat du Conseil du trésor

SD Secrétariat à la déréglementation

SDI Société du développement industriel

SEAO Système électronique d’appel d’offres

SEE Sommet sur l’économie et l’emploi

SFPQ Syndicat de la fonction publique du Québec

SPQ Solidarité populaire Québec

SQ Services Québec

SRP Secrétariat de la révision des programmes

SSMP Sous-secrétariat aux marchés publics

STCUQ Société de transport de la Communauté urbaine de Québec

TIC Technologies de l’information et des communications

TPS Taxe sur les produits ou services

TVQ Taxe de vente du Québec

UAS Unité autonome de services

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Introduction

Le présent rapport de recherche est divisé en quatre sections traitant de quatre questions

étroitement liées entre elles. La première section présente le cadre général à l’intérieur

duquel s’inscrit la politique des partenariats public-privé (PPP). Ce cadre sera étudié à

deux niveaux, au niveau global, dans la mesure où les PPP découlent d’un réalignement

de fond intervenu en économie politique au cours des années soixante-dix et quatre-

vingt, et au niveau administratif, dans la mesure où les PPP s’inscrivent dans un courant

de gestion relevant de ce que l’on appelle en anglais le New Public Management (NPM)1, la

Nouvelle gestion publique (NGP), en français, ou encore le Public Management (PUMA)

pour reprendre le sigle retenu par l’Organisation de coopération et de développement

économique (OCDE). La deuxième section sera consacrée à une présentation de ce

courant de pensée fort vaste et fort éclectique que l’on désigne sous l’appellation de

« nouvelle gestion publique » à partir de quelques travaux de base, ainsi qu’à un survol

de quelques-unes de ses applications et de leur évaluation aux États-Unis d’Amérique

(EUA) et au Canada. Quant aux troisième et quatrième sections, elles s’attacheront à

suivre la conjoncture à Ottawa et à Québec, depuis les années quatre-vingt dans le

premier cas, depuis le Sommet sur l’économie et l’emploi (SEE) de 1996, dans le second,

en passant par la mise en marche des PPP par les gouvernements du Parti Québécois

(PQ) et, depuis avril 2003, par le gouvernement du Parti libéral du Québec (PLQ) de

Jean Charest. Cette section traitera également des liens entre les PPP et les accords de

commerce signés par le gouvernement fédéral depuis l’Accord de libre-échange entre le

Canada et les États-Unis d’Amérique (ALE) de 1989, en passant par l’Accord de libre-

échange nord-américain (ALENA) et l’Accord de commerce intérieur (ACI), ainsi que

les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En conclusion, nous

chercherons à dégager quelques pistes de réflexion et recommandations concernant le

positionnement des syndicats, face à l’enjeu de la libéralisation des marchés et du recours

aux PPP dans le contexte de l’approfondissement d’un modèle québécois2 de

développement en économie ouverte. Le ton et la teneur de cette conclusion s’inscriront

dans le prolongement de notre hypothèse générale de travail selon laquelle les acteurs

économiques et sociaux ne peuvent ni ne doivent, dans le contexte québécois en tout cas,

tourner le dos à la libéralisation des échanges et au libre-échangisme. Cependant, ce

genre de position de principe, loin de cautionner n’importe quelle politique de

libéralisation et le recours aux accords de libre-échange tels que nous les connaissons,

devrait d’abord et avant tout s’inscrire à l’intérieur d’une stratégie politique, économique

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et sociale de développement susceptible de bénéficier au plus grand nombre de

travailleurs et de travailleuses au Québec même.

En bref, la stratégie du mouvement syndical québécois doit et devrait contribuer,

comme par le passé, à renforcer un modèle québécois de développement qui soit en

même temps réceptif face aux contraintes qui s’abattent sur une économie ouverte, et

inflexible face aux exigences d’une production autocentrée et une redistribution

équitable de la richesse entre les hommes et les femmes, entre les générations, entre

les régions.

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Notes

1 L’expression aurait été créée en 1991, par Christopher Hood. Cela dit, il faut quand même noter que les paramètres dominants de la gestion privée, tout comme ceux de la gestion publique d’ailleurs, avaient été critiqués une ou deux décennies plus tôt par des auteurs comme C. Wright Mills ou Harry Braverman, entre autres.

2 La notion de « modèle québécois » a pu porter à controverse sans doute parce que le mot modèle renvoie aussi à l’idée d’exemplarité. Or nous l’employons ici dans le sens le plus neutre de pattern, de plan ou de schéma. D’où l’idée de recourir aux italiques pour souligner et rappeler cette interprétation au lecteur.

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1. Le contexte

Pour comprendre la portée des PPP, au-delà des justifications immédiates qu’on en

fournit en invoquant des questions d’ordre technique ou pratique, il faut mettre en

lumière leurs deux grandes sources d’inspiration, une source proche, celle que l’on

invoque le plus souvent, selon laquelle ces partenariats nous viennent d’un ensemble

d’écoles de pensée en administration publique que l’on réunit sous la NGP1, et une

source à la fois plus lointaine et plus diffuse, celle qui renvoie à la mise en oeuvre d’une

philosophie d’inspiration libérale pour qui l’État, le gouvernement et les pouvoirs publics

en général ne sont pas habilités pour produire et distribuer des biens et des services, car il

s’agirait-là de tâches et de responsabilités qui, pour des raisons d’efficacité et d’efficience,

devraient incomber d’abord et avant tout au secteur privé2.

Sans refaire ici l’histoire de ce courant de pensée libéral d’inspiration à la fois

individualiste et antiétatique, il convient au départ d’établir un lien entre l’émergence

d’une nouvelle approche face à la gestion publique et l’apparition de la notion de

gouvernance dans le discours politique et administratif au cours des années soixante-dix.

Une référence révélatrice à cet égard est sans conteste le rapport rédigé par Crozier,

Huntington et Watanuki à la demande de la Commission Trilatérale en 19753. Dans cet

ouvrage, dont le titre français pourrait être La crise de la démocratie. Rapport au sujet de la

gouvernabilité des démocraties à la Commission Trilatérale, les auteurs partent du constat que

les démocraties occidentales ont connu d’importants bouleversements au cours des

années soixante du précédent siècle et que ce renouvellement de la démocratie posait de

nouveaux défis en termes de légitimation et de gouvernabilité, des défis liés, entre autres

choses, à une perte de confiance (trust) dans le gouvernement et dans les organisations

gouvernementales. Au plan économique et politique, les transformations mises en œuvre

durant ces années auraient contribué à gonfler les déficits budgétaires des pays de

l’OCDE qui sont passés de 336 milliards $ US en 1960 à quelque 557 milliards $ US en

1971. Or, ces déficits accroissent le fardeau fiscal des citoyens et réduisent leur revenu

disponible. À leur tour, ces évolutions contribueraient à l’affaiblissement de la politique

étrangère des États-Unis d’Amérique (EUA), elles encourageraient le nationalisme

économique, elles conduiraient à la réduction des dépenses militaires et, en somme, elles

constitueraient une menace à l’hégémonie des EUA. Les causes premières de cette

poussée (« surge ») démocratique seraient le « baby boom », les changements des valeurs et

le « manque de respect pour l’autorité », la société postindustrielle et son abondance,

l’éducation et ses effets sur la généralisation d’un comportement politique dit « libéral »,

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ainsi que la syndicalisation qui contribuerait à renforcer le pouvoir de négociation de

certains groupes aux dépens des autres. Or, toute cette poussée en faveur de l’égalité

s’inscrirait dans une théorie des cycles politiques en vertu de laquelle une augmentation

de la participation politique conduirait à une intensification de la polarisation politique,

qui déboucherait sur un surcroît de méfiance vis-à-vis de la politique et du politique. À

terme, ces évolutions entraîneraient une baisse d’efficacité du politique qui produirait

une baisse de participation politique.

La conclusion que l’on tire de ces prémisses est la suivante : si l’étape actuelle correspond

à une phase du cycle où l’on assiste à une recrudescence de la participation politique et à

une exacerbation de la polarisation, il faut alors réduire les revendications et favoriser la

passivité politique4. Il convient alors d’instaurer un nouvel équilibre politique et, pour ce

faire, de réduire l’excès de démocratie. À cette fin, l’expertise, l’expérience et

l’ancienneté doivent reprendre leur place, car un système politique véritablement

démocratique et efficace repose sur l’apathie et l’absence d’implication, faute de quoi il

devient vite surchargé et il tombe dans le clientélisme, une contrainte qui pousse à

l’accroissement des dépenses sociales au détriment des dépenses de sécurité et des

dépenses militaires.

Pourquoi évoquer ce rapport et ces raisonnements dans une étude consacrée aux PPP ?

Pour deux raisons : une raison politique et une raison historique.

Au niveau politique, il ne fait pas de doute que le parti-pris essentiellement technique

et pratique qui caractérise souvent la NGP et les PPP repose sur une méfiance

fondamentale vis-à-vis de l’implication politique des groupes et des organisations,

notamment des organisations syndicales, une méfiance qui traverse de part en part la

nouvelle philosophie managériale telle qu’elle est reprise à l’heure actuelle aussi bien

par l’OCDE, que par la Banque Mondiale (BM), mais une méfiance qui imprègne

également à la fois l’esprit et la lettre des accords en cours de négociation à

l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les accords de libre-échange

négociés et signés entre les trois partenaires de l’Amérique du Nord.

Or, au niveau historique maintenant, dans le contexte canadien en tout cas, nous

disposons d’un document important qui nous permet d’établir un lien beaucoup plus

serré entre le contenu du rapport à la Commission Trilatérale et la méfiance vis-à-vis

d’une trop grande implication du politique dans la société et, vice-versa, d’une trop

grande implication des citoyens dans la politique. Ce le lien, c’est le Rapport de la

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Commission royale sur l’Union économique et les perspectives de développement du Canada

(Commission MacDonald) qui nous le fournit. En effet, si les recommandations de la

commission Macdonald concernant l’ouverture de négociations de libre-échange avec les

EUA ou celles concernant la révision du partage des pouvoirs entre le fédéral et les

provinces sont connues, ce qui l’est moins, par contre, ce sont les critiques adressées au

parlementarisme, au providentialisme et aux sociétés d’État qui imprègnent la première

partie du rapport, ainsi que les partis-pris nettement centralisateurs5, fort peu

démocratiques6, voire antisyndicaux7, qui émaillent par ailleurs le rapport de la

commission. La première partie, intitulée « Une perspective nouvelle », est celle où est

développé l’esprit dans lequel les commissaires envisagent leur travail à venir8. Après

avoir présenté « certains indices de la croissance des gouvernements, et donc des liens

qu’ils ont avec notre société et notre économie, pour révéler l’ampleur actuelle du

phénomène9 », les commissaires écrivent : « il est souhaitable et faisable de procéder à

une simplification du rôle du gouvernement dans la société et dans l’économie10 ». Plus

loin les commissaires écrivent ceci, qui reprend le raisonnement que nous avons

rencontré dans le rapport à la Commission Trilatérale : « Nos postulats démocratiques

nous incitent à croire que la croissance de l’État est directement reliée aux demandes des

citoyens, et que son importance est fonction de leur satisfaction. Aucune de ces deux

hypothèses n’est valable en soi11. » En clair, cela veut dire qu’il n’y a pas de lien

nécessaire entre la taille de l’État et les besoins sociaux ou, pour dire les choses

clairement, il y a moyen de répondre à ces besoins sans nécessairement impliquer l’État

ou les sociétés de la Couronne12.

De plus, toujours au niveau historique, mais dans le contexte québécois cette fois, nous

disposons de trois rapports qui nous permettent maintenant d’établir un lien encore plus

serré entre le Rapport de la Commission Macdonald et les modalités d’application des

paramètres de la nouvelle gouvernance à la gestion publique au Québec, ce sont : le

rapport Fortier sur la privatisation13, le rapport Gobeil sur l’organisation

gouvernementale14 et le rapport Scowen sur la déréglementation15, tous trois déposés par

le gouvernement du PLQ au printemps 1986, quelques mois à peine après son arrivée au

pouvoir16.

Cela dit, il serait à la fois réducteur et trompeur d’imputer les critiques adressées à la

gestion publique et à l’État social aux seuls néo-libéraux. Cette approche serait

décidément réductrice, puisqu’elle impliquerait que tous les autres acteurs sociaux et

tous les autres cadres d’analyse aient soutenu la façon de produire et de dispenser les

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services publics, telle qu’elle était engagée sous l’égide de l’État-providence à

l’époque. Or, tout au long des années soixante et soixante-dix, des organisations et

des mouvements sociaux, ici même au Québec, se sont élevés contre la gestion des

gouvernements en poste à Ottawa et à Québec, en attaquant aussi bien la

centralisation, la bureaucratisation, que l’État-patron17. Ce rappel est d’autant plus

important qu’il nous oblige à tenir compte d’un ensemble de critiques qui

n’appartiennent pas à la mouvance libérale, des critiques qui, au nom de la

transparence, de la démocratie, du respect du personnel et des besoins des

bénéficiaires cette fois, contestent-elles aussi le mode de gestion publique inspiré du

modèle wébérien caractérisé par la hiérarchie, la rigidité et la prolifération des

contrôles.

Ce retour en arrière nous permet de souligner à quel point le recours actuel au PPP n’est

ni improvisé ni spontané, d’une part, à quel point les formes et modalités d’application

des PPP peuvent varier selon les cadres théoriques à l’intérieur desquels ils s’inscrivent,

d’autre part. De plus, ces rappels nous montrent que, si le recours aux PPP s’inscrit dans

un contexte de globalisation et de libre-échange, et s’il doit permettre de faire face aux

contraintes imposées par l’accroissement de la compétitivité au niveau international, les

PPP visent aussi à faire face à un problème de gouvernabilité, ou mieux, de

gouvernance, un défi qui peut être interprété et mis en œuvre de deux façons opposées,

selon que l’on vise la réduction d’un soi-disant « excès de démocratie », ou selon que l’on

cherche, au contraire, à réduire le déficit démocratique inscrit dans les manières de faire

et de gérer qui prévalaient antérieurement.

La première option, celle qui repose sur l’idée d’excès de démocratie, a pour résultat

immédiat de conduire à une extension sans précédent des prérogatives des pouvoirs

exécutifs au détriment, en particulier, de ceux des Parlements, mais au détriment aussi

des responsabilités de certains acteurs sociaux et, en particulier, des syndicats dans la

définition des objectifs économiques et sociaux de la croissance. En ce sens, la

simultanéité entre les amendements au Code du travail et le recours de plus en plus

systématique aux PPP, tous deux proposés par le gouvernement actuel à Québec, loin de

relever du hasard, ou d’être le fait d’une soi-disant « ambiguïté18 » de la part du premier

ministre, s’inscrirait au contraire dans une tradition libérale à la fois centralisatrice,

antiétatiste et antisyndicale de gestion des actifs collectifs.

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Notes

1 Nous verrons plus loin que le lien entre les PPP et la NGP n’est sans doute pas aussi direct que nous le suggérons ici.

2 Ce courant abrite plusieurs écoles de pensée comme le Public Choice, l’économie de l’offre (« supply-side economics ») ou le néo-institutionnalisme, pour ne citer que ces trois-là.

3 Michel Crozier, Samuel P. Huntington et Joji Watanuki, The Crisis of Democracy : Report on the Governability of Democracies to the Trilateral Commission, New York, New York University Press, 1975.

4 L’autre volet de la stratégie proposée pour atteindre cet objectif consiste à déplacer l’attention (focus) en direction des questions économiques, comme l’inflation et l’emploi, dans la mesure où tout le monde est contre le premier et favorable au second. Et si, en première analyse, cette position peut sembler renvoyer à des programmes politiques très différents, à la vérité, comme le soutiennent les membres de la commission Trilatérale, ces programmes ne sont pas nombreux et ils auraient plutôt tendance à se ressembler.

5 Voir le Rapport de la commission sur l’Union économique et les perspectives de développement du Canada, Ottawa, 1985, Vol. 1, p. 399 et suivantes.

6 Jugement que ne dément pas la profession de foi démocratique apparaissant dans les premières pages du volume 1 et dans l’Introduction au volume 3 du rapport à l’effet que « nous devons donc renforcer le processus de démocratisation au moyen des institutions parlementaires fédérales et provinciales » (Idem, à la page 25), surtout quand on aura rappelé que cette prise de position débouche sur la recommandation mort-née concernant la sempiternelle réforme du Sénat.

7 Ceci apparaît surtout dans la réforme proposée de la Loi de l’assurance-chômage à propos de la réduction des prestations et de la période de qualification. Idem, Vol. 3, p. 510-513. Voir également la dissidence de E. Gérard Docquier des Métallurgistes unis d’Amérique, au Vol. 3, p. 601-12.

8 Il est tout de même révélateur de souligner que l’étude la plus souvent citée dans cette partie est une étude de Howard et Stanbury publiée par le Fraser Institute de Vancouver. Idem, Vol. 1, p. 43.

9 Idem, Vol. 1, p. 27. 10 Ibid. 11 Idem, Vol. 1, p. 42. 12 Notons immédiatement, parce que nous rencontrerons souvent ce problème par la suite,

que si le raisonnement ainsi formulé semble ouvrir la porte à d’autres options et à d’autres façons de faire, comme l’économie sociale ou l’économie solidaire, en définitive, c’est toujours le même parti pris en faveur du secteur privé qui prévaut.

13 Ministère des finances (1986), Privatisation des sociétés d'État : orientations et perspectives, ministre délégué à la privatisation, Québec.

14 Groupe de travail sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales (1986), Gouvernement du Québec.

15 Rapport final du Groupe de travail sur la déréglementation (1986), Réglementer moins et mieux, Québec, Les Publications du Québec.

16 À propos de la démonstration du lien entre la commission Macdonald et les « rapports des sages », voir : D. Brunelle, Droit et exclusion. Critique de l’ordre libéral, Montréal et Paris, L’Harmattan, 1993, ch. IV.

17 Ce fut le cas, entre autres, des trois principales centrales syndicales. On rappellera, à ce propos, les titres des trois pamphlets parus à l’aube des années soixante-dix : L’État, rouage de notre exploitation, de la FTQ, Ne comptons que sur nos propres moyens, de la CSN et L’École au service de la classe dominante, de la CEQ.

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10

18 J.-Jacques Samson, « L’insaisissable Charest », Le Soleil, 7 avril 2004.

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2. La Nouvelle gestion publique (NGP)

On ne peut pas comprendre toute la portée et la signification des PPP en se limitant à des

études de cas, essentiellement parce que les fondements de cette approche se trouvent

ailleurs et que, pour les étudier, il faut aller voir du côté de la NGP où ont été développés

les arguments de base qui servent à justifier et à légitimer, entre autres choses, le recours

aux PPP. Les promoteurs de la NGP partent d’un constat simple, à savoir que les

organisations bureaucratiques hiérarchiques reposent sur un ensemble de règles fixes et

que, dans la poursuite de leurs objectifs propres, ces organisations consacrent une part

importante de leurs ressources à contrôler la réalisation de ces objectifs, au lieu de

concentrer leurs ressources sur l’atteinte de résultats. C’est ainsi que tout un courant de

la NGP a développé un ensemble cohérent et interdépendant de principes qui reposent

sur la place centrale qu’occupe la relation conflictuelle entre un mandataire et son

mandant, ce que l’on appelle en anglais le « principal-agent problem », qui renvoie au fait

que, dans la poursuite de leurs objectifs respectifs, ces deux acteurs ne disposent ni des

mêmes informations ni des mêmes intentions ou intérêts. Si les premiers ont une vue

générale des objectifs de l’organisation, les seconds, pour leur part, sont interpellés par

des objectifs plus immédiats. Pour remédier à ces contraintes, la NGP propose des

interventions à deux niveaux : premièrement, au niveau d’ensemble, la NGP propose de

substituer à la démarche traditionnelle fondée sur des processus, démarche qui s’avère

très difficile à évaluer et à quantifier, une démarche alternative définie en termes de

résultats à atteindre ; et deuxièmement, au niveau ponctuel, la NGP propose, pour

favoriser l’atteinte des objectifs en question, la mise en place d’un système d’incitatifs à

l’amélioration des performances.

La plupart des défenseurs de la NGP portent au crédit de cette approche d’avoir su

dépasser les limites inscrites dans ce que l’on désignait comme le modèle wébérien de

production de biens et de services qui reposait sur une structure hiérarchique figée

opérant depuis le haut vers le bas (« top-bottom approach ») où la conception et la définition

des grands objectifs à atteindre étaient réservés à la haute administration, tandis que

l’exécution était assumée par une armée d’exécutants obéissants et soumis.

Cependant, quoi qu’il en soit des succès et des déboires de la NGP dans la production

et la distribution de certains produits et services publics, il reste que sa transposition

aux activités gouvernementales et à des services1 comme la santé, l’éducation ou la

sécurité, entre autres, a posé et continue de poser tout un ensemble de problèmes

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12

théoriques et pratiques redoutables2. Le principal problème tient à la multiplication

des parties prenantes ou « stakeholders » dans le jargon officiel. En effet, autant la

relation entre un mandant et un mandataire est relativement simple dans le secteur

privé, et ce, même si l’on fait intervenir un troisième personnage, l’actionnaire, ou le

« stockholder », autant cette relation se complique dans le secteur public. Cette

complexification est imputable à deux causes : la première tient à la multiplication

des parties intéressées qui portent et qui défendent des intérêts fortement contrastés ;

mais la deuxième cause est plus délicate à arbitrer, et elle prend sa source dans la

difficulté de concilier efficacité et équité, c’est-à-dire à concilier deux angles

d’approche éminemment politiques, l’angle individuel ou individualiste et l’angle

collectif ou collectiviste.

En effet, à part les administrateurs et les employés des organisations et autres entités

publiques, le gouvernement et le secteur public interpellent les élus, les groupes de

pression de toutes sortes, et enfin, les individus sous leur double statut, celui de citoyen

titulaire de droits sociaux et celui de simple bénéficiaire des biens et services produits ou

distribués sous leur égide. Quant à la conciliation entre efficacité et équité, le principal

défi est celui que pose l’arbitrage voire, selon certains, l’incompatibilité, entre les intérêts

que défendent les élus, leurs partis et programmes politiques, d’un côté, et les droits des

citoyens et ceux des bénéficiaires des biens et des services, de l’autre côté. On voit alors

qu’une des façons ou une des stratégies pour résoudre cette dernière incompatibilité

consiste à substituer une approche définie en termes de « client » et de « clientèle », à

l’ancienne approche qui reposait sur l’idée de citoyenneté et de solidarité. Nous

rencontrons de nouveau ici, au niveau même de la transposition de la NGP dans certains

domaines du secteur public, ce parti-pris d’apolitisme que nous avons mis en lumière

dans la première section du rapport3.

À cet égard, la rhétorique de la NGP s’appuie sur deux prétentions qui lui permettent de

s’élever au rang de nouvelle « science de la gestion ». En vertu de la première prétention,

les principes de la NGP reposeraient sur une observation empirique des « meilleures

pratiques de gestion4 », tant au niveau du secteur privé qu’au niveau du secteur public.

Ainsi, contrairement aux approches déductives, la NGP établit sa légitimité à partir

d’expérimentations et du savoir technicien5, une démarche qui confirmerait la nature

objective de ses principes et qui permettrait de les soustraire aux débats politiques. En

vertu de la seconde prétention, la NGP ferait consensus puisque la très grande majorité

des réformes qui ont été adoptées ces récentes années s’en sont inspiré6.

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13

Cela dit, il n’empêche que plusieurs analystes ont contesté la soi-disant cohérence de ces

réformes et remis en question les résultats auxquels on serait parvenu7, tandis que

d’autres ont déploré le fait que les principes de la NGP « n’[avaie]nt pas été débattus

publiquement, dissimulés qu’ils étaient dans l’ensemble des critiques négatives de

l’État8 ».

L’engouement pour la NGP tient surtout au fait qu’elle prétendrait fournir des solutions

pratiques et immédiates à ce que certains avaient identifié comme une « crise » de

l’administration publique9. Malgré la diversité des approches et des points de vues, les

promoteurs de la NGP avaient ainsi établi un diagnostic convergent concernant les

difficultés qu’affrontait le secteur public ; ce diagnostic étant composé des trois éléments

suivants :

le manque de contrôle démocratique sur l’administration publique qui agit souvent selon l’intérêt et la vision des fonctionnaires et non dans le sens du bien commun ;

l’ambition des fonctionnaires qui utilisent leur influence, leur expertise et leur savoir afin d’augmenter les budgets, leurs responsabilités et leur contrôle sur les orientations de l’État ;

l’inefficacité et la lourdeur propre à l’administration publique qui est incapable de livrer des services de qualité ou de s’adapter aux nouvelles réalités socio-économiques, deux lacunes qui imposent un fardeau financier indu.

Certains défenseurs de la NGP prétendent que ces problèmes seraient inhérents à la

structure de l’administration publique, telle qu’elle s’est développée au cours du siècle

précédent. Son organisation hiérarchique et autoritaire limite sa capacité d’adaptation et

la rend inefficace. En effet, l’administration publique moderne s’appuie sur un ensemble

de règles et de procédures, de lois et de mécanismes de surveillance qui visent à encadrer

la pratique des fonctionnaires. Ce cadre autoritaire avait été défini afin de s’assurer que

les subalternes agiraient dans le respect de l’équité, de la justice et de la probité, de

manière à réprimer les abus, la corruption, le patronage et le favoritisme. Pour éliminer

l’arbitraire, le modèle hiérarchique inspiré de Weber préconisait de substituer les

procédures administratives à l’initiative individuelle des fonctionnaires. Chaque nouvelle

situation qui se présente est rapportée aux autorités qui, au regard des normes, des

politiques et des orientations à respecter, dictent une réponse générale sous la forme

d’une nouvelle règle. La cohésion et l’efficacité de ce système imposent comme premier

devoir au fonctionnaire le respect des règles établies.

De plus, la NGP avance une autre critique importante à l’encontre du modèle wébérien

en soulignant qu’une grande part des ressources de l’administration publique est

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14

consacrée à la surveillance de l’application des règles et procédures, au lieu d’être

directement allouée à l’atteinte des objectifs visés. C’est donc pour consolider le contrôle

démocratique sur l’appareil gouvernemental et pour réduire son inefficacité économique,

que la NGP proposerait un changement radical dans la façon d’administrer les services

publics.

Il est bien connu des économistes que les monopoles peuvent abuser de leur pouvoir de

marché afin d’augmenter leur prix et livrer des services de mauvaise qualité. Comme

plusieurs services publics sont des monopoles, cette analyse fait ressortir deux sources

d’inefficacité pour l’administration publique. D’abord, comme les organisations jouissent

d’une clientèle captive qui ne peut se retourner vers un autre fournisseur, elles n’ont

aucune incitation à réduire les coûts ou améliorer la qualité. Ensuite, leur situation de

monopole et leur contrôle de l’information touchant leurs activités empêchent les

politiciens et la population de connaître le coût réel des services offerts. Assurés d’une

sécurité d’emploi et d’un revenu fixe, les fonctionnaires et gestionnaires n’auraient pas

de motivation personnelle à rendre leurs services plus efficaces. Face à l’absence de

possibilité de faire des profits ou l’improbabilité de faire faillite, les organisations ne se

sentent pas poussées à améliorer leur performance10. Enfin, la volonté des

gouvernements de fournir des services gratuits entraîne un gaspillage important pour

deux raisons : premièrement, parce que les citoyens consommeraient les services en

quantité plus grande que ce dont ils auraient réellement besoin; deuxièmement, parce que,

faute de pouvoir établir le coût réel des services en question, il y a inadéquation entre le

niveau de la demande de service et la volonté de payer de la collectivité. En

conséquence, le secteur public serait, par nature en quelque sorte, inefficace et coûteux.

La NGP propose alors, non seulement, de réformer l’administration publique afin de la

rendre plus efficace, mais également, de réévaluer sa place dans l’économie.

Dans la sous-section qui suit, nous allons d’abord présenter succinctement deux cadres

théoriques, après quoi nous chercherons à retenir les grandes lignes de force sur

lesquelles la NGP repose. Il faut ajouter, à ce propos, que la littérature spécialisée définit

parfois deux grands courants à l’intérieur de la NGP, un courant étatsunien, qui insisterait

pour accorder le plus grand poids possible au secteur privé, et un courant alternatif que

l’on rencontre en Europe surtout, qui serait plutôt favorable à la recherche de nouveaux

compromis et de nouvelles formes mixtes de production et de distribution de services

publics. C’est le premier que nous avons retenu aux fins de la présente discussion,

essentiellement parce que c’est celui qui a exercé la plus grande influence au Canada11.

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15

2.1. Les théories

Comme n’importe quel domaine du savoir, la théorie des organisations évolue et elle a

progressivement remis en question les fondements sur lesquels l’administration publique

avait été pensée au cours de l’histoire. Pour le moment, ces développements proviennent

surtout de l’expansion de la théorie économique néo-classique aux champs de l’analyse

politique et des organisations.

La théorie du « public-choice » a été la première à remettre en question l’organisation

moderne de l’administration publique. Bien qu’éclatée, cette théorie se regroupe autour

du point focal suivant : les fonctionnaires ne sont pas motivés par l’intérêt collectif, mais

plutôt par leurs intérêts personnels. Ces derniers divergent souvent de ceux des élus ou

de la population qu’ils doivent servir12. Ainsi, malgré l’encadrement par des règles et des

procédures, les fonctionnaires vont tenter de les contourner pour arriver à leur fin13. De

toutes les théories issues du « public-choice », celle qui a été développée par William

Niskanen en 1971, qui voit les fonctionnaires comme des individus qui cherchent à

maximiser leur budget, est devenue le thème central de la remise en question des façons

de faire du secteur public. Selon cette théorie, comme les gestionnaires du secteur public

ne peuvent engranger des profits, ils chercheront à assurer leur prestige, leur influence et

leur pouvoir en augmentant les portefeuilles qu’ils administrent.

La théorie fondée sur le rapport « mandant-mandataire14 », quant à elle, cherche à

expliquer les conduites en apparence irrationnelles à l’intérieur de la firme à partir de la

relation contractuelle simple entre un mandant et son mandataire. Le mandant doit, par

manque de temps, de compétences ou par nécessité, déléguer certains de ses pouvoirs à

son mandataire. Il s’attend alors à ce que ce dernier prenne des décisions, gère et dirige

dans le but d’atteindre les objectifs fixés. Cependant, il y a de fortes chances pour que le

mandataire s’éloigne des objectifs en question et qu’il se soumette à d’autres priorités,

d’abord parce qu’il est avant tout motivé par son intérêt personnel et non par celui du

mandant et, ensuite, – et c’est ici que cette théorie se distingue du « public-choice » – parce

que le mandataire peut fort bien avoir une interprétation différente de l’intérêt général de

celle de son mandant. L’idée consiste alors à transposer ce type de relation et à

l’appliquer au rapport entre les politiciens et les fonctionnaires, ou entre un ministre et

ses gestionnaires. Dans ce genre de perspective, le seul moyen de contourner la difficulté

consiste à repenser la structure des incitations de manière à faire correspondre les intérêts

personnels des gestionnaires avec les objectifs des politiques15.

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16

Au demeurant, la place de plus en plus grande qu’occupent les mouvements sociaux, les

groupes d’intérêts et le lobbying conduit à la démultiplication des interactions politiques,

avec le résultat que la relation mandant-mandataire, de relation simple, se mue en un

écheveau de relations complexes. Pour répondre à ces exigences, les administrations

publiques, à l’instar des Parlements, procèdent à des consultations des groupes intéressés

et autres parties prenantes, mais ces nouveaux intrants rendent de plus en plus difficiles

l’atteinte des arbitrages et la poursuite des objectifs établis au départ16. L’accroissement

de la capillarité entre les administrations, les publics et les parties prenantes met en

évidence ce problème majeur que représente le manque de contrôle politique sur le

secteur public17. C’est pourquoi les réformes proposées par la NGP cherchent à rétablir le

contrôle de la classe politique, c’est-à-dire des élus sur l’orientation des politiques et leur

application par les administrations publiques.

Le premier principe de la NGP est bien rendu par cette phrase choc popularisée par

Osborne et Gaebler : « Catalytic government, steering rather than rowing18 ». Le partage des

rôles entre élus et fonctionnaires doit être clarifié. L’élaboration des politiques, des

programmes et des orientations sont des responsabilités qui relèvent uniquement des

élus. Malgré leur expertise, leurs contacts et leurs connaissances, les fonctionnaires

doivent se cantonner dans un rôle d’informateurs et renoncer à toute tentative

d’influencer l’orientation des politiques. Comme la fonction fondamentalement politique

de la détermination des orientations et programmes est assumée en entier par les élus, la

fonction d’administration devient essentiellement technique. Pour assurer ce contrôle sur

l’orientation des politiques, on peut tout aussi bien renforcer le Cabinet des ministres ou

nommer des « secrétaires parlementaires » pour encadrer les sous-ministres.

En opposition directe au modèle wébérien, le deuxième principe de la NGP vise à

accroître la marge de manœuvre des gestionnaires afin qu’ils puissent utiliser leur

capacité d’innovation et d’initiative. Ce principe conduit à la décentralisation de la prise

de décision et à la réduction des contraintes réglementaires. L’exemple le plus courant de

l’application de ce principe est la création de petites unités administratives autonomes

qui répondent à une mission bien précise19. Les gestionnaires deviennent entièrement

autonomes dans leurs choix de gestion et sont les seuls responsables de l’atteinte des

objectifs fixés. Les décisions sont ainsi prises par ceux qui se trouvent au cœur des

problèmes. Ils deviennent soumis à des obligations quasi contractuelles imposées par les

politiciens sous forme de déclaration de mission, de contrat de service ou de plan

d’affaires. Par exemple, dans la plupart des administrations publiques, les règles

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17

d’embauche, de rémunération, de promotion et de congédiement du personnel sont

déterminées par des règles centralisées qui imposent une discipline commune à tous les

ministères et organisations. Ces règles limiteraient la capacité des gestionnaires

d’administrer librement leur organisation. Afin d’accroître leur marge de manœuvre, il

convient alors de prévoir une plus grande flexibilité de gestion des ressources humaines.

Chaque organisation devient responsable des choix d’allocation des ressources et doit

respecter ses limites budgétaires. En terme de main-d’œuvre, cela peut s’illustrer par la

négociation décentralisée, la remise en question de la sécurité d’emploi, l’introduction de

primes au rendement, ainsi que l’élargissement du recrutement en direction du secteur

privé.

Un troisième principe de la NGP vise à instaurer l’imputabilité, de telle sorte que les

administrateurs soient tenus responsables de leurs choix et rendent des comptes à leurs

commettants. Le gestionnaire ne devrait plus pouvoir s’abriter derrière des procédures et

règlements imposés pour justifier les problèmes de son organisation. Comme le souligne

Christopher Hood, la NGP met fin à l’anonymat des gestionnaires, ils sont désormais

tenus personnellement responsables des résultats de leur organisation20. Du contrôle a

priori omniprésent dans la bureaucratie, on passe ainsi au contrôle a posteriori. Les

fonctionnaires sont soumis à une reddition de compte complexe : rapports annuels,

évaluations des résultats et bilans des activités doivent être présentés aux politiciens et à

la population.

Cependant, pour assurer que les organismes soient bien gérés, il faut disposer

d’indicateurs de performance fiables, une exigence qui est placée au cœur des

transformations proposées par la NGP. Chaque énoncé de mission ou chaque contrat de

service doit ainsi être accompagné d’un ensemble d’indicateurs servant à vérifier si les

résultats escomptés ont été atteints. La qualité d’un programme ne s’évalue plus sur le

nombre d’argent investi ou sur la quantité de personnes engagée dans sa réalisation,

puisque l’évaluation doit désormais s’attarder sur ce qui a été réalisé, produit ou livré aux

citoyens ou aux « clients ». En ce sens, la mise au point d’indicateurs de résultats fiables

et représentatifs représente le défi principal auquel la NGP est confronté. Non seulement

il faut mesurer les rendements des organismes, mais il faut aussi mesurer les impacts

réels de ses programmes sur les problèmes visés (« imputs vs outcomes »). De nouvelles

formes de comptabilisation devraient alors être développées, afin de pouvoir attribuer

une valeur à chacune des étapes du processus de production d’un produit ou d’un

service. Cette comptabilisation est essentielle pour estimer les rendements de chacune

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des unités des organisations. La NGP devrait conduire à une réorientation des modes de

financement de l’administration publique : au lieu de couvrir les ressources utilisées, le

financement serait lié aux résultats atteints. Par exemple, un gouvernement n’assumerait

plus la totalité des dépenses d’un hôpital, il défraierait uniquement le coût des opérations

et des soins. Dans le même esprit, la rémunération et la sécurité d’emploi devraient être

directement liées à l’évaluation des résultats, et les règles de gestion des ressources

humaines seraient relâchées afin de faciliter le recours aux primes de rendements, aux

promotions ou aux congédiements, voire aux incitatifs de performance.

Pour briser le monopole des services publics et éliminer les inefficacités qui en résultent,

la NGP propose également d’ouvrir le secteur public à la concurrence. On présume que

la compétition va forcer les organisations à réduire leurs coûts, à augmenter la qualité et

à rechercher l’amélioration constante de leurs pratiques. De plus, cette concurrence

constitue un outil pour contraindre les gestionnaires à respecter les exigences et objectifs

qui sont définis dans les contrats de service ou les énoncés de missions. Les appels

d’offres, la création de marché interne, la soumission à l’épreuve du marché, la sous-

traitance et les partenariats public-privé sont des pratiques qui découlent de la mise en

œuvre des principes avancés pas la NGP, tout comme la mise en place de bons ou de

coupons de services, grâce auxquels un gouvernement attribue aux citoyens un bon

échangeable contre un service donné. Le gouvernement fixe la valeur du bon, mais le

citoyen a le libre-choix du fournisseur. Comme le citoyen connaît mieux ses besoins, il

ira vers les fournisseurs qui offrent la meilleure qualité de service.

Selon l’OCDE, le recours au marché serait une des sources principales d’efficience pour

l’administration publique :

Des dispositions s’inspirant du marché, notamment un plus large recours à la facturation aux usagers, l’introduction de marchés internes, la soumission à l’épreuve du marché et la sous-traitance, ont, dans certaines conditions, permis de rationner la demande, d’économiser des ressources et de réaliser des gains d’efficience substantiels et indéniables21.

Enfin, la création d’Unités autonomes de services (UAS) devrait permettre l’intégration

de pratiques empruntées au secteur privé dans l’administration publique. Des UAS

autonomes, gérant leur budget comme des entreprises, donc rentables, pourraient vendre

leurs services à d’autres ministères et organisations dans des secteurs comme

l’immobilier, l’informatique ou l’imprimerie.

Pour leur part, les citoyens deviennent des clients et ils peuvent désormais exiger

d’obtenir davantage pour leur argent. Destinataires ultimes des services, ils sont mieux à

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même de connaître leurs besoins et leurs goûts, tout en étant les mieux placés pour en

évaluer la qualité. La NGP prétend ainsi mettre fin à l’époque où le gouvernement

déterminait seul ce dont les citoyens avaient besoin et elle accorde une place importante

à la liberté de choix22. Pour s’assurer que les services publics sont orientés vers les besoins

des citoyens, des processus d’évaluation de la qualité des services et de consultation

doivent être mis sur pied. Le Royaume-Uni a innové en ce sens avec l’adoption de sa

« Charte des citoyens » qui déterminait clairement les droits des usagers et leur permettait

de porter plainte s’ils étaient insatisfaits. Le mécanisme des bons de service répond aussi

à cette logique. Le citoyen peut lui-même choisir le fournisseur qui répond le mieux à ses

attentes.

En définitive, c’est donc l’efficience économique qui devient l’élément central des

grandes réformes proposées par la NGP, une exigence que le fardeau de la dette rend

encore plus incontournable23. Il faudrait donc évoquer une véritable crise de la capacité

de gouverner des gouvernements et des administrations publiques, une crise qui ne

pourrait être dénouée sans le recours à de nouveaux mécanismes de gouvernance24.

2.2. Les contradictions de la NGP

L’apparente cohérence théorique entre les principes présentés précédemment a été

souvent remise en question. Nous retiendrons trois ordres de critiques dans la présente

sous-section.

Aux termes d’une première critique, la division entre fonctions politiques et fonctions

administratives s’appuie sur une conception réductrice des activités de l’administration

publique. Les services publics, parce qu’ils touchent les biens essentiels, la redistribution

des richesses, le développement social et la sécurité, comportent des enjeux politiques

importants. À chaque étape de leur mise en œuvre, non seulement les programmes

gouvernementaux font appel à des choix politiques, mais ces choix ne sont pas

nécessairement les mêmes selon qu’ils sont définis par le pouvoir exécutif ou par le

pouvoir législatif. Comme le rappelle Christopher Hood, les politiciens ont toujours été

conscients de cette fracture. Face aux réformes inspirées par la NGP, certains corps

politiques ont craint de perdre le contrôle et ils ont reculé25, comme il est arrivé aux EUA

quand le Congrès a freiné les réformes proposées par la Maison Blanche, afin de

conserver son pouvoir sur l’administration publique26. Dans d’autres cas, les législateurs

acceptent les réformes, mais viennent les contourner par la suite en exerçant un contrôle

par des canaux informels27. En fait, l’enjeu du contrôle politique sur les administrateurs

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du secteur public demeure entier et le recours à des évaluations a posteriori s’est avéré tout

aussi envahissant que l’autre. Les énoncés, les guides de bonne gestion et les vérifications

ont imposé une rigidité considérable sur l’opération des systèmes. Le principe du

monopole de la détermination des orientations de programmes par les élus et celui de la

nécessité pour l’administration publique de répondre aux besoins de leur clientèle

amènent une contradiction profonde dans les objectifs. Aucoin parle de « schizophrénie

institutionnelle28 ».

Guy Peters aborde cette difficulté sous un autre angle. Selon lui, la séparation entre le

politique et l’administration a transformé la relation entre les politiciens et les

gestionnaires en contraignant les seconds à abandonner l’espoir d’influencer les

politiques. Ceci a pour effet de couper le flux d’information et les débats qui avaient lieu

entre les fonctionnaires et les politiciens. Par prudence ou par diplomatie, les

fonctionnaires se sont mis à soumettre des propositions de politiques qu’ils savaient

conformes aux orientations idéologiques des politiciens29. L’échange et le débat auraient

ainsi cédé la place à la soumission. De plus, cette séparation aurait un avantage pour les

politiciens qui pourraient ainsi transférer le blâme vers les hauts fonctionnaires en cas de

crise30. Enfin, la séparation des fonctions politiques et administratives serait un préalable

déterminant à l’introduction du secteur privé dans les services publics. En effet, en vidant

l’administration des programmes et services de tout contenu politique, on réduirait

considérablement la distinction entre le secteur public et le privé, avec le résultat que

l’exclusion du privé de ces champs d’activités est sans fondement. C’est ce qui

permettrait de promouvoir le recours aux partenariats public-privé.

DeLeon et Green font valoir une deuxième critique à l’encontre de certains théorèmes de

la NGP quand ils posent la question suivante : « Si la NGP mise tout sur l’atteinte des

résultats, qu’a-t-elle à dire sur les moyens pris pour les atteindre31 ? » Pour dire les choses

autrement, comment concilier la priorité accordée à la recherche de performance avec le

souci d’équité, de justice et d’égalité de chance qui devraient prévaloir au sein de

l’administration publique ?

Bien sûr la NGP conçoit que la pratique des administrateurs doit être encadrée par un

ensemble de normes et valeurs déterminées par les élus. Mais lorsque l’obligation

d’obtenir des rendements et d’être efficace entre en conflit avec ces dernières, laquelle des

deux obligations doit l’emporter ? Le mode de contrôle qui est caractérisé par la

vérification des résultats a posteriori nous permet de croire que le souci d’efficacité risque

de triompher. En effet, comme les gestionnaires sont évalués au regard des résultats

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atteints, ils ont avantage à consacrer leurs énergies vers ce qui est mesurable et

comptabilisable.

Le conflit entre efficacité et équité a aussi pour théâtre le domaine des relations de travail

des employés du secteur public. Plusieurs accordaient au secteur public un rôle de leader

au niveau de l’équité, de l’amélioration des conditions de travail, de la sécurité d’emploi

et de la promotion de l’intégration de catégories de travailleurs défavorisés. Or la

poursuite de l’efficience économique vient remettre en question ces objectifs. Les

nouvelles pratiques inspirées de la NGP que l’OCDE cite en exemple démontrent bien

cette contradiction32. Une utilisation plus efficace des ressources humaines exige une

flexibilisation des modes de détermination des salaires (supprimer l’indexation, réduire le

lien entre ancienneté et augmentation, minimiser les comparaisons avec le secteur privé,

etc.) De plus, comme l’on montré les exemples des réformes entreprises par la Nouvelle-

Zélande, l’Espagne et les Pays-Bas, les changements apportés aux régimes des relations

professionnelles ont conduit à la réduction des droits syndicaux par suite de la mise en

place de liens d’emploi plus souples comme les postes temporaires et l’utilisation du

temps partiel.

Enfin, la préoccupation pour l’atteinte des résultats et l’insistance sur l’efficacité

économique posent un dilemme pour les fonctionnaires. Que faire si la satisfaction des

demandes des citoyens vient remettre en question l’atteinte des résultats fixés ? Une fois

encore, le principe de discipline des administrateurs selon leur rendement risque de

décourager l’initiative des fonctionnaires.

Un troisième ordre de critiques qui a été formulé à propos des réformes porte sur la

prétendue efficacité supérieure des services privés par rapport aux services publics33. Les

difficultés à comparer la qualité, la comptabilité et les contextes sont loin d’avoir été

surmontées et même l’OCDE qui, plus tôt, affirmait sans nuance la supériorité du

secteur privé, reconnaît que les analyses sont encore incomplètes et qu’il serait prématuré

de porter un jugement définitif sur la question34.

En attendant, portée par une méfiance profonde envers les interventions

gouvernementales, la NGP a également été mise à contribution pour critiquer la place du

secteur public dans l’économie. La NGP s’est ainsi inscrite dans la politique de réduction

du rôle de l’État et plusieurs de ses réformes ont contribué à réduire de façon

considérable la taille des fonctions publiques : diminution des effectifs de moitié et

disparition de la permanence en Nouvelle-Zélande ou réduction de 30% en Angleterre35.

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22

2.3. De la NGP aux PPP

Cela posé, quels liens peut-on ou doit-on établir entre la NGP et les PPP ? La réponse à

cette question dépend de la place qu’on accorde à la théorie dans la légitimation des

PPP. En effet, si on aborde les PPP sous l’angle pratique en avançant ou en prétendant

que le recours aux PPP se suffit à lui-même, en ce sens qu’il s’agirait d’une façon de faire

faire, au lieu de faire soi-même, on cherchera à défendre l’idée que les PPP ne relèvent

pas de la théorie, encore moins de l’idéologie, mais qu’ils relèvent de l’ordre des

pratiques innovantes. Cependant, la question du rapport à la théorie ne relève pas de

l’intentionnalité, elle relève de la nécessité : toute pratique sociale signifiante renvoie

toujours et partout à une théorie ou à une théorisation, et ce n’est pas parce que des

acteurs prétendent inscrire leurs interventions dans l’ordre des savoir-faire en dehors de

toute référence théorique que cette prétention est valide ou légitime. En clair, ceci veut

dire que les pratiques de PPP s’inscrivent pour la plupart, intentionnellement ou pas, peu

importe, dans l’un ou l’autre des cadres théoriques de la NGP, mais que rien ne

s’opposerait non plus à ce que ces pratiques sourdent d’autres cadres théoriques

alternatifs, voire rivaux. Cette précision est importante, puisqu’elle nous permet

d’évoquer la délicate question de savoir s’il n’y aurait pas lieu de penser une NGP

critique ou une tout autre nouvelle NGP qui saurait faire droit aux limites inscrites dans

les cadres théoriques existants et qui, du coup, nous permettrait d’envisager des

partenariats public-public d’un nouveau genre, un enjeu sur lequel nous reviendrons en

conclusion.

Dans sa définition la plus banale, le PPP est tout simplement un projet qui consiste à

faire appel à l’intérêt économique privé pour accomplir des tâches considérées

traditionnellement comme étatiques. Or, pour simple qu’elle puisse paraître, cette

définition escamote au fond toute la difficulté puisqu’il n’y a pas une coupure nette et

claire entre le public et le privé, il y a au contraire une gradation passablement complexe

que l’on peut rendre au moyen du schéma ci-dessous :

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Échelonnement des PPP36

On voit alors que ce qui est présenté comme étant élémentaire s’avère au fond

passablement complexe et que les statuts légaux que les acteurs économiques privés sont

susceptibles d’assumer sont nombreux et divers. C’est sans doute ce qui explique

l’extraordinaire vogue et l’engouement pour les PPP partout dans le monde à l’heure

actuelle, mais c’est aussi ce qui montre que les options sont nombreuses et que, loin de

reposer sur des improvisations pratiques, elles s’appuient au contraire sur des cadres

théoriques implicites.

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Notes

1 Les services en question ont ceci de particulier d’être d’abord et avant tout des droits à la santé et à l’éducation, etc. Or, comme l’ont souligné plusieurs analystes, la transformation d’un droit en service est une des conditions qui permet ensuite d’en confier la prestation à des entités privées. Voir Lucie Lamarche, « Les droits économiques et sociaux de la personne sous le contrôle de la société civile : de la substitution des modes de mise en oeuvre à la complémentarité », dans Borghi et Meyer-Bisch (dir.), Éthique économique et droits de l’homme, la responsabilité commune, Éditions universitaires Fribourg, Suisse, collection interdisciplinaire, série « Droits de l’homme », 1998, p. 299-333.

2 D’ailleurs, la plupart des théoriciens admettent que la NGP n’est pas transposable telle quelle au niveau du fonctionnement des gouvernements.

3 L’enjeu de l’approche « client » conduit ainsi à escamoter l’autre dimension du service public, à savoir la reconnaissance d’un droit universel à la santé et à l’éducation qui appartient à tous les citoyens collectivement et vis-à-vis desquels ils sont tous et toutes obligés individuellement, y compris celles et ceux qui ne sont jamais malades ou qui ne vont pas à l’école.

4 Peter Aucoin, The New Public Management : Canada in a Comparative Perspective, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, 1995, p. 168. L’OCDE, Osborne et Gaebler ainsi que Savoie partagent cette vision.

5 La NGP est souvent présentée comme un livre de recette ; c’est le cas de l’ouvrage célèbre de Osborne et Gaebler, ainsi que de celui de l’OCDE : David Osborne et Ted Gaebler, Reinventing Government : How the Entrepreneurial Spirit is Transforming the Public Sector, Reading, Mass., Addison-Wesley Pub. Co., 1992. OCDE, La gestion publique en mutation : les réformes dans les pays de l’OCDE, Paris, 1995, 191 p.

6 David Osborne et Peter Plastrik, Banishing Bureaucracy : the Five Strategies for Reinventing Government, Reading (Mass.), Addison-Wesley, 1997, p. 8.

7 Parmis ces critiques nous citerons plus tard Hood (1994), Aucoin (1995), Peters (1994) et Kettl (1997).

8 François-Xavier Merrien, « La Nouvelle Gestion publique : un concept mythique », dans Lien social et politique, no 41, 1999, p. 98.

9 L’OCDE n’hésite pas à utiliser le mot. OCDE, La gestion publique en mutation, p. 23. 10 Terry Moe « The new economics of organizations », dans American Journal of Political

Science, Vol. 28, no 4, 1984, p. 748. 11 Voir Michel St-Germain, « Une conséquence de la nouvelle gestion publique ; l’émergence

d’une pensée comptable en éducation », Éducation et francophonie, Vol. XXIX, no 2, automne 2001.

12 Peter Aucoin, The New Public Management, p. 32. 13 Idem. Bien que très populaire au niveau des théoriciens, c’est avant tout l’imaginaire

populaire issu de la montée de l’individualisme qui a aidé cette théorie à se répandre. En Angleterre, la série télévisée « Yes, Minister ! » a grandement contribué à imposer l’image du fonctionnaire qui veille d’abord à son intérêt.

14 Développée par Spence et Zeckhauser en 1971, parallèlement à Ross en 1973. Terry Moe « The new economics of organization », dans American Journal of Political Science, Vol. 28, no 4, 1984, p. 756.

15 Peter Aucoin, The New Public Management, p. 40. 16 Guy Peters, « Civil service reform : Misdiagnosing the patient ». Public Administration

Review, Vol. 54, no 5, septembre 1994, p. 422.

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17 Ce manque de contrôle politique des élus se mue en un manque de contrôle démocratique aux yeux des théoriciens en question, étant donné que les élus jouissent de toute la légitimité que leur confère le processus électoral pour initier leurs réformes, alors que les fonctionnaires n’auraient aucune prétention à faire valoir à cet égard.

18 David Osborne et Ted Gaebler, Reinventing government. 19 Les agences gouvernementales ou les unités autonomes de services (UAS) appartiennent à

ce genre d’arrangements administratifs. 20 Christopher Hood, « The "New Public Management" in the 1980s : Variations on a

Theme », Accounting, Organizations and Society, Vol. 20, no 2/3, 1994, p. 98. 21 OCDE, La gestion publique en mutation, p. 9. Les italiques sont de l’auteur. 22 Élément principal des réformes entreprises par Thatcher en Angleterre au début des années

80. Peter Aucoin, The New Public Management, p. 1. 23 OCDE, La gestion publique en mutation, p. 7. Il est à noter le raccourci théorique emprunté

dans cette affirmation. Les répercussions sur les taux d’intérêt, l’investissement et l’emploi ne proviennent pas directement de l’endettement, mais plutôt des politiques de la lutte à l’inflation adoptées au cours des années 80 et 90.

24 Ibid., p. 16. 25 Christopher Hood, « Paradoxes of Public-sector Managerialism, Old Public Management

and Public Service Bargains », dans International Public Management Journal, no 3, 2000, p. 16.

26 Ibid., p. 17. 27 Ibid., p. 16. 28 Peter Aucoin, « Administrative Reform in Public Management : Paradigms, Principles,

Paradoxes and Pendulums », dans Governance, Vol. 3, no 2, 1990, p. 127. 29 Guy Peters, « Civil service reform : Misdiagnosing the patient », Public administration review,

Vol. 54, no 5, septembre, 1994, p. 424. 30 Christopher Hood, « Paradoxes of Public-sector Managerialism », p. 17. 31 Peter DeLeon et Mark Green, « Cowboys and the new public management : political corruption as

a harbinger », communication pour la conférence de l’IPNM en mars 2000 en Australie. 32 OCDE, La gestion publique en mutation, p. 64. 33 L’exemple du débat sur la comparaison des services de santé privé et public est révélateur

de cette dispersion des résultats. 34 OCDE, La gestion publique en mutation, p. 16. 35 D. F. Kettl, « The global revolution in public management : driving themes, missing

links », dans Journal of Policy Analysis and Management, Vol. 16, 1997, p. 453. 36 Traduit à partir de Heather-Jane Robetrson, David McGrane and Erika Shaker, For Cash

and Future Considerations : Ontario Universities and Public-Private Partnership, CCCP, septembre 2003, p. 9.