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le bai greco roman
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En dépit de nombreux vestiges conservés autour de la Méditerranée, et de la remarquable synthèse que lui aconsacrée René Ginouvès en 1962, le bain grec reste mal connu du public et des spécialistes de l’Antiquité. Lamodestie des édifices balnéaires et le caractère utilitaire, voire prosaïque, du bain face à d’autres monuments jugésplus nobles, l’expliquent en partie. Le raffinement, le nombre et l’ampleur des thermes d’époque romainecontribuent également à ce relatif effacement : l’omniprésence dans le paysage archéologique méditerranéen desruines imposantes des thermae a longtemps occulté l’originalité des pratiques plus anciennes. Mais c’est bien enGrèce, dès le Ve s. av. J.-C., que fut inventé le bain collectif.
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>>Le bain grecà l’ombre des thermes romains
LE BAIN GREC À L’OMBRE DES THERMES ROMAINS
Par Thibaud FOURNET
>> CNRS, Institut français du Proche-Orient à Damas (Syrie)
et Bérangère REDON,
>> Membre scientifique, Institut français d’archéologie orientale au Caire (Égypte)
Les bains hellénistiques de Karnak, construits sur le quai bordant l’entrée ouest du temple d’Amon. Cliché S. el-Masekh, Cfeetk.
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profilées, accueillait les baigneurs qui y pratiquaient une
toilette « par affusion », à l’eau chaude. Les bains comp-
taient en moyenne une vingtaine de ces cuves, le plus
souvent réunies en couronne dans une pièce circulaire, la
tholos*. Certains édifices, plus particulièrement en Égypte
ptolémaïque, comptaient deux tholoi, doublant ainsi leur
capacité d’accueil. Une vasque sur pied, le loutérion*, ou
un simple lavabo complétait parfois le dispositif.
À ces cuves plates, dédiées au bain d’hygiène, s’ajou-
tent d’autres équipements qui, peu à peu, augmentent
le confort d’édifices initialement bien sommaires.
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LA NAISSANCE DU BAIN GRECes Grecs croyaient aux vertus thérapeutiques
de l’eau et aux bienfaits de ses plaisirs, mais
ils ne disposaient que rarement d’installa-
tions sanitaires privées et les bains de gymnase étaient
réservés à une minorité. Ils ont donc développé la pra-
tique du bain – ailleurs privée et intime – dans un cadre
collectif. Les (parfois mauvaises) rencontres qu’il per-
mettait comme le confort qu’il offrait en ont fait le suc-
cès. « Mais quelle raison as-tu de blâmer les bains
chauds ? Parce que c’est une pratique très mauvaise, qui
rend l’homme lâche ». Ce célèbre dialogue entre les rai-
sonnements juste et injuste, tiré des Nuées d’Aristo-
phane (v. 1045), illustre les réticences de ceux qui
voulaient revenir aux joies simples (mais fraîches) de
l’ancienne éducation, au moment même où la jeunesse
dorée de la cité plébiscitait les nouvelles pratiques bal-
néaires. Combat d’arrière garde : les sources écrites et
les vestiges démontrent l’engouement de toutes les
couches sociales pour le bain collectif dès la fin du
Ve/début du IVe s. av. J.-C. Le peuple en a fait construire
de nombreux à son usage, selon le Pseudo-Xénophon,
et Théophraste en fait le cadre régulier des aventures
des héros qu’il croque dans ses Caractères.
LE BAIN GREC, MODE D’EMPLOI Un corpus d’environ 80 édifices mis au jour en
Méditerranée permet de restituer sans ambiguïté le
fonctionnement du bain collectif grec, ou balaneion*. La
cuve plate – pyelos en grec ancien – en est l’équipement
le plus caractéristique. Ce siège individuel, aux courbes
L
La rotonde occidentale des bains de Taposiris Magna en Égypte. En partie creusés dans le rocher, ces bains exceptionnellement bien conservés sont fouillés depuis 2003 par les auteurs de cet article,dans le cadre de la Mission française des fouilles de Taposiris Magna. © Mfftm.
Reconstitution de la construction et du fonctionnementd’une cuve plate. Dessin Th. Fournet.
Vue des bains de Taposiris Magna (Égypte).
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LE BAIN GREC À L’OMBRE DES THERMES ROMAINS
Étuves, baignoires individuelles ou collectives
permettaient au baigneur, après s’être lavé, de
prolonger le plaisir du bain. Les édifices com-
portaient en outre des vestiaires, des salles
d’attente, et d’autres espaces moins clairement
identifiables sur le terrain, mais destinés à des
opérations que les textes viennent heureuse-
ment éclairer : massages, onctions, etc.
L’iconographie – figures peintes sur des
vases principalement – et les textes précisent
les gestes et les ustensiles du bain, même si le
cadre le plus fréquemment représenté semble
être celui du gymnase ou de la fontaine (à
l’époque archaïque). Jeunes gens, hommes ou
femmes, raclent leur peau à l’aide du strigile,
dont la forme en spatule permettait d’ôter la
crasse mêlée à l’huile. Ils utilisent l’aryballe,
petite fiole contenant des huiles parfumées ou
des détergents à base de potasse. Chez Théo-
phraste, le profiteur éhonté s’approprie l’huile
de son voisin pour s’en oindre ; le répugnant,
velu comme une bête, se frotte avec une huile
rance. Sur certains vases, les jeunes femmes du
vase disposent également de peignes et
d’éponges.
Hommes et femmes étaient strictement sé-parés dans les thermes romains et les hammamsmédiévaux, soit dans le temps (jours d’ouvertureou horaires alternés), soit dans l’espace (avec laconstruction de bains doubles), même si les nom-breux rappels à l’ordre des autorités attestent dunon-respect fréquent de cette séparation.
Les textes antiques indiquent que les deuxsexes fréquentaient les bains grecs ; reste à sa-voir s’ils le faisaient en même temps. La présence,surtout en Égypte, d’édifices à deux rotondes, etla mention, dans certains papyrus égyptiens,d’une « tholos des femmes », semblent indiquerqu’au moins dans certains cas, cette séparationse faisait au sein même des édifices : une partierestait mixte, tandis que l’autre, celle où l’on selavait à proprement parler, séparait hommes etfemmes.
Toutefois certaines questions subsistent :qu’en est-il des édifices, très nombreux, à uneseule rotonde ? Certains espaces, non dédoublés,ont-ils pu être réservés à un seul des deux sexes ?Les espaces dédiés au « bain de délassement »(baignoires collectives ou individuelles, étuves)peuvent-ils vraiment avoir été mixtes ? Est-il pos-sible que seule la toilette dans la cuve plate ait im-pliqué une complète nudité, et qu’ailleurs cettemixité reste possible dans une semi nudité ? Il estprobable que là comme ailleurs les solutions aientété multiples. La notion de nudité en elle-mêmeest fluctuante et devait être perçue différemmenten Égypte ou en Sicile. La nature des installations,laissant plus ou moins de place à la promiscuitédes corps (bassins collectifs versus baignoires indi-viduelles), semble d’ailleurs, à l’époque hellénis-tique, distinguer l’Orient de l’Occident. n
>> La délicate question de la mixité dans les bains
Coupe à figures rouges (début du Ve s. av. J.-C.) figurant une femme vêtue près d’un louterion et tenant un miroir et un unguentarium (vase à parfum ou à huile). Musée du Louvre.Avec l’aimable autorisation de J.-L. Martinez, conservateur en chef du Patrimoine, musée du Louvre.
Plan simplifié des bains de Kiman Faris (Crocodilopolis) dans le Fayoum. C’est l’édifice le plusdéveloppé découvert à ce jour en Égypte (fouillé en 1963 par M. Abd el-Khachab) ; il associeune double rotonde à de nombreuses salles dédiées au bain de délassement dans des baignoires individuelles. Dessin Th. Fournet.
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D’ATHÈNES À L’ÉGYPTE : ÉVOLUTION ET DIFFUSION DES MODÈLES
Si certains temples, des palais ou de riches demeures
proche-orientales, égyptiennes et minoennes ont très tôt
pu comporter des installations d’hygiène – douche, cuve,
baignoire – les pratiques y restaient individuelles. Les pre-
mières attestations archéologiques d’un bain réellement
collectif, à Athènes et à Olympie, remontent au Ve s. av.
J.-C. C’est assurément le contexte politique, culturel et
social de la Cité, dans laquelle l’individu se subordonne
à la collectivité, qui explique cette innovation, sans doute
également favorisée par la mentalité grecque et notam-
ment son rapport au corps et à la nudité. Cette dernière
devient la caractéristique du citoyen, du jeune éphèbe
formé dans les gymnases, et même des Grecs face aux
Barbares, pour qui « être nu, même pour un homme, est
source de honte » (Hérodote, Histoires I, 10, 3).
De Grèce continentale, le bain collectif va dès la fin
du IVe siècle se diffuser vers les autres régions peuplées
de Grecs. Ainsi, même la bourgade d’Antandros en Asie
Mineure possédait, au IVe s. av. J.-C., un tel établisse-
ment (Théophraste, Histoire des Plantes V, 6, 1). Mais la
véritable explosion du cadre géographique intervient
après les conquêtes d’Alexandre (334-323). Par la suite,
et à partir du modèle original élaboré en Grèce à
l’époque classique, se développent au cours des IIIe et
IIe s. av. J.-C. trois modèles régionaux en Occident, en
Grèce propre et en Égypte. Le premier, principalement
en Sicile (Morgantina, Syracuse, Mégara Hyblaea, etc.),
développe de manière très homogène des techniques
de chauffage sophistiquées, aujourd’hui bien connues. Il
se démarque par la présence, parallèlement à la tholos et
à ses cuves plates, d’un bassin d’immersion collectif et
d’une étuve, l’un et l’autre chauffés par le sol. Le second,
Carte de répartition des bains de type grec en Méditerranée. Th. Fournet, B. Redon sur un fond de carte MOM, Lyon (O. Barge).
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en Grèce, suit cette même évolution vers plus de
confort, en particulier thermique, mais cette fois au
profit d’installations individuelles juxtaposées, plutôt
que réellement collectives.
Le troisième, en Égypte, n’est bien connu que de-
puis quelques années : des fouilles récentes, à Taposiris
Magna, Tell el-Herr, Bouto, Karnak, Tell Gomaimah,
ainsi que des travaux de prospections dans le Fayoum,
ont permis d’actualiser le corpus, qui regroupe au-
jourd’hui près de 50 % des édifices de type grec connus
à ce jour, loin devant la Sicile ou la Grèce (l’Asie
Mineure a, pour une raison encore mal expliquée, livré
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LE BAIN GREC À L’OMBRE DES THERMES ROMAINS
Plan simplifié des bains de Mégara Hyblaea et de Morgantina (Sicile). Les premiers ont été fouillés en 1962-1964 par l’École Française de Rome sous la direction de G. Vallet et Fr. Villard ; les seconds ont été mis au jour par H. L. Allen(université de l’Illinois) et sont à nouveau réexaminés par S. Lucore (Tokyo) depuis 2003. Dessin Th. Fournet.
« Au roi Ptolémée, salut de la part de Thamounisd’Hérakléopolis. Je suis lésée par Thôthortaïs, qui est éta-blie à Oxorhyncha dans le nome arsinoïte. La premièreannée [de Ptolémée IV], au mois d’Hathyr, alors que jerésidais à Oxorhyncha et que je m’étais rendue au bain,la susmentionnée arriva, me trouva en train de me baigner dans une cuve plate de la tholos des femmes etchercha à m’en faire sortir. Mais comme je ne sortais pas,me méprisant car je suis étrangère au lieu, elle me rouade coups, me frappant au hasard sur tout le corps ; puiselle arracha la chaîne de mon collier de perles de pierres précieuses ».
Lieux de sociabilité tels qu’ont pu l’être les gymnases,les théâtres ou les agorai, les bains sont le cadre de scènes
de la vie quotidienne, des vols (du manteau aux bijoux)aux violences. Les papyrus conservés en Égypte permet-tent de faire revivre la pratique du bain par le biais de cesincidents. L’on trouve ainsi mention de disputes entrefemmes ou entre clans ; dans un texte, une femme seplaint également d’avoir été ébouillantée (à dessein selonl’accusation…) par un garçon de bain ; dans un autre, unhomme, qui avait refusé d’aider un soldat à se laver, sefait rouer de coups par les esclaves de ce dernier. L’exem-ple cité ci-dessus (Pap. Enteux. 83, daté de 221 av. J.-C.)montre à quel point cette documentation, au delà du pit-toresque des situations décrites, complète ce que l’archéologie ou l’iconographie apporte à la restitutiondes pratiques. n
>> Faits divers aux bains
Papyrus Enteux, 83. © Institut de Papyrologie de la Sorbonne.
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Plan simplifié des bains de Gortys d’Arcadie (Grèce).C’est à partir de l’étude de ce bain que R. Ginouvès a entrepris la première synthèse sur les balaneia. Dessin Th. Fournet, d’après le plan publié par R. Ginouvès en 1959.
très peu d’édifices balnéaires pour cette époque.
L’inscription des sacrilèges mentionne pourtant plu-
sieurs balaneis [gérants de bain] à Sardes à l’arrivée
d’Alexandre). Ces découvertes permettent de relativi-
ser le rôle de l’Occident hellénistique dans le processus
d’évolution du modèle ou, plutôt, de lui trouver un
pendant oriental dans l’Égypte des Ptolémées : au lieu
de développer, comme les bains occidentaux, la tech-
nique du chauffage au service du bain collectif (dans
des piscines ou des étuves), les bains égyptiens, tout
aussi sophistiqués, vont conserver une pratique « indi-
viduelle » du bain public. Et même si ce dernier
connaît en Égypte un succès immense – le moindre vil-
lage semble devoir s’offrir son (ou ses) balaneion(a) –,
on s’y baigne toujours seul, les uns à côté des autres. Pa-
radoxalement, et malgré ce succès égyptien, le Proche-
Orient hellénistique semble quant à lui ignorer le bain
collectif, qui ne s’y implantera durablement qu’avec les
conquêtes romaines. Il faut peut-être y voir l’expression,
là encore, d’une réticence des populations locales face
au bain collectif, liée, au moins en Égypte, à des pré-
cautions hygiéniques. L’Égypte ptolémaïque a adapté
le modèle, l’Orient l’a, en l’état actuel de nos connais-
sances, apparemment refusé.
UNE ARCHITECTURE INNOVANTEÉdifice technique, le bain fait office, tout au long
des époques classique puis hellénistique, de lieu d’ex-
périmentation architecturale. Moins figé par la tradi-
tion que d’autres types de constructions – en particulier
l’architecture religieuse –, il développe des solutions
innovantes, qui répondent à un souci de confort de plus
en plus prononcé. La couverture des salles circulaires,
en coupoles ou en dômes coniques, ou des salles
rectangulaires de plus en plus vastes, inaugure des
solutions originales : fuseaux de terre cuite emboîtés à
Morgantina (Sicile), voûte clavée à crossettes à Taposi-
ris Magna (Égypte), voûte nervurée préfabriquée à
Frégelles (Italie), les traces de cette créativité ne man-
quent pas. Mais c’est dans le domaine du chauffage que
les constructeurs ont fait preuve de la plus grande
Les tubes de terre cuite formant la voûte, désormais effondrée, de la tholos des bains de Morgantina. Cliché S. K. Lucore.
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inventivité. Dès la fin du IVe s. av. J.-C. et surtout aux
IIIe/IIe siècle, des dispositifs de chauffage souterrain sont
ainsi mis en place partout en Méditerranée : à Gortys
d’Arcadie (Grèce), ils prennent la forme de conduits
souterrains ou de couronnes chauffantes ; en Grande
Grèce, on trouve des couloirs profonds en forme de
bouteille, ainsi que des canaux de chauffe ; en Égypte
enfin, sont attestées des couronnes souterraines et des
parois chauffantes, véritables radiateurs muraux. Dans
tous les cas, il s’agit de produire l’eau chaude (dans des
chaudières et réservoirs) destinée aux ablutions prati-
quées dans les cuves plates ou à l’alimentation des bas-
sins d’immersion ; de réchauffer les espaces dans
lesquels évoluaient les baigneurs, mais aussi leurs équi-
pements : bassins collectifs, étuves, baignoires. La géné-
ralisation du chauffage, s’il améliore encore l’efficacité
du nettoyage grâce à la sudation, permet surtout au bai-
gneur de se livrer, après s’être lavé, à un vrai bain de dé-
lassement, qui deviendra par la suite l’une des
caractéristiques majeures du bain romain.
LE BAIN ROMAIN EST-IL GREC ? Comparer le bain grec au bain romain est un exer-
cice facile : l’édifice romain, souvent vaste et lumineux,
est chauffé par un dispositif d’hypocaustes (chauffage
par le sol) associé à des parois chauffantes et à une chau-
dière. Le baigneur est mené, suivant un plan le plus sou-
vent rétrograde, d’une salle tiède à une salle chaude
munie de bassins collectifs et d’un labrum (vasque sur
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LE BAIN GREC À L’OMBRE DES THERMES ROMAINS
Yvon Thébert remarquait en 2003 la grande homogé-néité des pratiques et des édifices de type grec de part etd’autre de la Méditerranée à l’époque hellénistique. Deuxdécouvertes récentes viennent encore illustrer cette remar-quable cohérence :
– Le bain de Karnak (découvert en 2007 par l’équipe duService des Antiquités Égyptiennes menée par MansourBoraik et fouillé par Salah el-Masekh) est situé auxportes du grand temple d’Amon. Il présente toutes lescaractéristiques d’un bain grec classique, organisé au-tour de deux tholoi comportant chacune 16 cuves plates.Il se distingue toutefois des autres exemples égyptienspar une décoration très soignée, perceptible aussi biensur les murs (enduits peints) que sur les sols (mosaïquesfines et variées). Les accoudoirs des cuves plates bordantles accès aux deux tholoi présentent en outre la particu-larité inédite d’être profilés en forme de dauphins plon-geant vers l’intérieur de la salle. Dans un contexte peuhellénisé, le répertoire clairement méditerranéen de ladécoration et le soin apporté à sa réalisation destinentprobablement l’édifice à un public particulier, peut-êtreles officiels (soldats ?) ptolémaïques établis ou en visiteen Thébaïde.– À Marseille, un établissement balnéaire a été mis aujour dans les années 1990. Muni d’un système de chauf-fage similaire aux exemples siciliens, il pouvait accueillirdans son unique tholos jusqu’à 36 baigneurs, ce qui enfait, à ce jour, la rotonde balnéaire la plus vaste de Méditerranée. La décoration est là encore particulière-ment soignée, le sol de mortier de la tholos étant décoréde deux bandes concentriques peintes en rouge. n
>> De Marseille à Karnak…
Les accoudoirs des cuves plates de Karnak présentent la forme de dauphins profilés, plongeant vers l’intérieur des deux tholoi du bain ; les nageoires et le corps du dauphin sont peints en rouge, tandis que les yeux et les dents du dauphin sont faits de stuc rapporté. Cliché S. el-Masekh, Cfeetk.
La salle 7 des bains de Taposiris Magna avec ses deux baignoiresd’immersion individuelles et, en bas du cliché, au premier plan, son dispositif de paroi chauffante. © Mfftm.
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• BOUSSAC (M.-FR.), FOURNET (TH.), REDON (B.) dir. — Le bain collectif en Égypte, Actes du colloque Balnéorient, Alexandrie, 1-4 décembre 2006, Le Caire, 2009.
• BROISE (H.) — La pratique du bain chaud par immersion en Sicileet dans la péninsule italique à l’époque hellénistique, Xenia Antiqua, 3,1994, pp. 17-32.
• GINOUVES (R.) — Balaneutikè, Recherches sur les bains dans l’Antiquité grecque, Paris, 1962.
• MEYER (B.) — BALANEIA, Recherches sur les bains publics en Égypted’après les papyrus, Thèse inédite, université Paris IV, 1982.
• THÉBERT (Y.) — Thermes romains d’Afrique du Nord et leur contexteméditerranéen. Études d’histoire et d’archéologie, Rome, 2003.
>> Bibliographie
pied), avant de retourner vers une salle tiède puis une
salle froide. Le labrum a remplacé la cuve plate, et le bain
chaud et collectif devient l’aboutissement du parcours.
Les travaux récents ont démontré que la pratique
romaine du bain collectif découlait directement de celle
développée par les populations grecques. La transition
de l’une à l’autre, mise en évidence par H. Broise,
s’observe en Italie dès le IIe s. av. J.-C. Les bains de
Frégelles (près de Rome) en donnent une illustration
exemplaire : le premier état de l’édifice suit encore le
schéma grec et compte, outre des cuves plates, un proto-
hypocauste en bouteille, tandis que le second, daté du
dernier tiers du IIe s. av. J.-C., adopte un parcours rétro-
grade et une technologie (hypocauste à pilettes)
typiquement romaine.
Toutefois, quelques avatars du bain grec continuent
d’exister, alors même qu’il est abandonné dans son
foyer d’origine, en Grèce, aux IIe/Ier s. av. J.-C. L’évolu-
tion du bain grec au début de l’époque impériale
donne ainsi naissance en Égypte à un bain original,
hybride, qui combine des éléments grecs (tholos à cuves
plates), romains (latrines, circuit double et rétrograde)
et gréco-égyptiens (parois chauffantes, baignoires
individuelles).
La longévité du modèle gréco-égyptien n’empêchera
pas, toutefois, les thermes romains de finalement s’im-
poser en Égypte, tout d’abord dans les forteresses des
déserts, ensuite dans les grandes villes, sous l’influence
des élites métropolitaines soucieuses d’équiper leurs cités
au mieux. Les bains romains jouent alors, par la surface
qu’ils occupent dans les villes et par leur monumenta-
lité, un rôle essentiel dans tout l’Empire. Ils incarnent et
affichent désormais, pour quelques siècles, la puissance
de l’empereur, de la province ou de la cité. n
Remerciements
Les auteurs remercient P. Ballet (université de
Poitiers), M. Boraik (Conseil Suprême des Antiqui-
tés d’Égypte, co-directeur du Cfeetk), J. Gascou (di-
recteur du centre de Papyrologie de la Sorbonne),
S. K. Lucore (co-directrice de la mission de Mor-
gantina, Sicile) et J.-L. Martinez (directeur du
Département des antiquités grecques, étrusques et
romaines du Musée du Louvre), d’avoir donné leur
autorisation de reproduire dans cet article des
illustrations provenant de leurs archives.
Partie centrale des bains de Bouto (2e phase) : au premier plan, on distingue l’arase d’une baignoired’immersion, caractéristique du bain grec ; à l’arrière-plan, les latrines. La mission française de Bouto,dirigée par P. Ballet (Université de Poitiers) a entrepris l’étude des bains de la ville en 2008, sous laconduite de G. Lecuyot (CNRS) et B. Redon (IFAO). Cliché G. Lecuyot, B. Redon.
Plan simpli é des bains de Tell el-Herr, dans le Delta oriental.L’édi ce juxtapose les éléments du bain grec (tholos,cuveplates) et ceux du bain romain (itinéraire rétrograde,bains doubles, latrines à sièges). Dessin Th. Fournet.
POUR EN SAVOIR PLUS
L’histoire du bain collectif
depuis son origine grecque
est au cœur du programme
« Balnéorient » (Balaneia,
thermes et hammams), dirigé
par M.-F. Boussac (université
de Paris Ouest–Nanterre)
et soutenu par l’Agence
nationale pour la Recherche
(ANR). Voir :
http://balneorient.hypotheses.org
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