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1 Le changement international par les relations Sud-Sud. Les liens du Brésil, du Chili et du Venezuela avec les pays en développement d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient. Élodie Brun Thèse de doctorat, Science politique, spécialisation Relations internationales, IEP Paris, 2012. Version spéciale pour le cours de travaux dirigés « Les grands enjeux de l’Amérique latine », du Master 1 de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine (IHEAL), année 2012-2013 Extrait du chapitre 2 sur la densification actuelle des relations Sud-Sud (p. 129-211) : L’existence d’une relance des relations Sud-Sud n’est plus à démontrer : la lecture des coupures de presse de ces dix dernières années ainsi que le nombre croissant d’articles académiques à ce sujet, surtout concernant le Brésil, permet de s’en convaincre. En revanche, l’étude plus détaillée de la construction de ce nouveau réseau s’avère pertinente pour comprendre les évolutions matérielles de l’insertion internationale des pays d’Amérique du Sud, mais aussi les changements du système mondial. Dans quels domaines nos trois cas approfondissent-ils leurs liens avec le monde en développement ? Dans quelle mesure constate-t-on des ressemblances avec la période précédente ? Quelles sont les originalités et quels sont les enjeux ? Pourquoi choisir d’élargir le spectre de sa politique extérieure vers le Sud quand on est un État sud-américain ? Les asymétries matérielles du système international restent criantes - par exemple dans les domaines économiques et diplomatiques 1 - ; dès lors, tenter d’ancrer son pays d’une manière plus universelle et diversifiée permet d’espérer en amoindrir les effets. Pour les gouvernements de Lula au Brésil, de la Concertación puis de la Coalición por el cambio au Chili et d’Hugo Chávez au Venezuela, construire une diplomatie globale revient à favoriser le développement des rapports Sud-Sud. La reprise récurrente de l’idée d’un monde pluriel dans les discours sud-américains en est l’illustration. Les représentants des trois pays reprennent l’idée selon laquelle un monde multipolaire amoindrit les déséquilibres mondiaux qu’ils subissent. Le leader vénézuélien dessine sa vision à partir d’une réflexion de Simón Bolívar qu’il applique au monde contemporain. Dans les Escritos del Libertador de 1813, le Libérateur explique que les ambitions des Nations européennes, puis celles des États-Unis, entraînent la soumission des autres parties du monde. Ces dernières doivent alors en retour établir un équilibre, afin de nuancer la prépondérance des plus puissants. « Je l’appelle l’équilibre de l’univers et il doit entrer dans les calculs de la politique américaine », écrit-il 2 . À de multiples reprises, Hugo Chávez justifie son action par la création d’un monde « pluripolaire », favorisé par les relations Sud-Sud : « Seulement unis, à partir de notre conscience, de notre courage, de notre volonté, nous parviendrons à atteindre ce que Simón 1 Les présidents Luiz Inácio Lula da Silva et Sebastián Piñera se sont d’abord rendus en Europe ou en Amérique latine avant de voyager dans les pays en développement. La moitié des exportations de pétrole vénézuélien part vers les États-Unis. Ceux-ci sont de même encore le premier investisseur dans la sous-région. 2 Socorro RAMIREZ, dir., Venezuela Hoy, Bogotá : Universidad Nacional de Colombia, 2008, p. 314 : citation du passage et de la référence. Extrait original : « Yo llamo a esto el equilibrio del universo y él debe entrar en los cálculos de la política americana ».

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Le changement international par les relations Sud-Sud. Les liens du Brésil, du Chili et du Venezuela avec les pays en développement

d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient.

Élodie Brun

Thèse de doctorat, Science politique, spécialisation Relations internationales,

IEP Paris, 2012.

Version spéciale pour le cours de travaux dirigés « Les grands enjeux de l’Amérique latine », du Master 1 de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine (IHEAL), année 2012-2013

Extrait du chapitre 2 sur la densification actuelle des relations Sud-Sud (p. 129-211) :

L’existence d’une relance des relations Sud-Sud n’est plus à démontrer : la lecture des coupures de presse de ces dix dernières années ainsi que le nombre croissant d’articles académiques à ce sujet, surtout concernant le Brésil, permet de s’en convaincre. En revanche, l’étude plus détaillée de la construction de ce nouveau réseau s’avère pertinente pour comprendre les évolutions matérielles de l’insertion internationale des pays d’Amérique du Sud, mais aussi les changements du système mondial. Dans quels domaines nos trois cas approfondissent-ils leurs liens avec le monde en développement ? Dans quelle mesure constate-t-on des ressemblances avec la période précédente ? Quelles sont les originalités et quels sont les enjeux ?

Pourquoi choisir d’élargir le spectre de sa politique extérieure vers le Sud quand on est un État sud-américain ? Les asymétries matérielles du système international restent criantes - par exemple dans les domaines économiques et diplomatiques1 - ; dès lors, tenter d’ancrer son pays d’une manière plus universelle et diversifiée permet d’espérer en amoindrir les effets. Pour les gouvernements de Lula au Brésil, de la Concertación puis de la Coalición por el cambio au Chili et d’Hugo Chávez au Venezuela, construire une diplomatie globale revient à favoriser le développement des rapports Sud-Sud. La reprise récurrente de l’idée d’un monde pluriel dans les discours sud-américains en est l’illustration. Les représentants des trois pays reprennent l’idée selon laquelle un monde multipolaire amoindrit les déséquilibres mondiaux qu’ils subissent. Le leader vénézuélien dessine sa vision à partir d’une réflexion de Simón Bolívar qu’il applique au monde contemporain. Dans les Escritos del Libertador de 1813, le Libérateur explique que les ambitions des Nations européennes, puis celles des États-Unis, entraînent la soumission des autres parties du monde. Ces dernières doivent alors en retour établir un équilibre, afin de nuancer la prépondérance des plus puissants. « Je l’appelle l’équilibre de l’univers et il doit entrer dans les calculs de la politique américaine », écrit-il2. À de multiples reprises, Hugo Chávez justifie son action par la création d’un monde « pluripolaire », favorisé par les relations Sud-Sud : « Seulement unis, à partir de notre conscience, de notre courage, de notre volonté, nous parviendrons à atteindre ce que Simón

1 Les présidents Luiz Inácio Lula da Silva et Sebastián Piñera se sont d’abord rendus en Europe ou en Amérique latine avant de voyager dans les pays en développement. La moitié des exportations de pétrole vénézuélien part vers les États-Unis. Ceux-ci sont de même encore le premier investisseur dans la sous-région. 2 Socorro RAMIREZ, dir., Venezuela Hoy, Bogotá : Universidad Nacional de Colombia, 2008, p. 314 : citation du passage et de la référence. Extrait original : « Yo llamo a esto el equilibrio del universo y él debe entrar en los cálculos de la política americana ».

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Bolívar - notre Libérateur - appelait ‘l’équilibre de l’univers’, c’est-à-dire un monde pluripolaire »3. Adoptant une lecture similaire, le président Lula a déclaré : « Un monde pluriel - ou ‘multipolaire’ comme il se dit parfois - n’est pas un vœu pieux de diplomates ou d’universitaires idéalistes. Il s’agit d’une exigence des temps qui courent. (…) Pour affirmer la démocratie au plan international, il est nécessaire de reconnaître que la pluralité des visions est légitime »4. Décentraliser les relations internationales par un rapprochement Sud-Sud constitue alors une concrétisation de cette aspiration à un monde pluriel, sans pour autant que cela ne signifie la diminution des partenariats Nord-Sud. Si les asymétries internationales demeurent prégnantes, celles-ci ne doivent pas non plus nous empêcher d’apprécier l’intensification des rapports Sud-Sud en cours. En effet, le réseau dessiné à partir de la moitié des années 1950 se reconstruit à l’aube du 21e siècle et, surtout, ses fils sont plus nombreux et ses mailles plus resserrées. La densification matérielle par le Sud témoigne par conséquent d’une prolifération et d’une complexification des flux mondiaux.

Le changement qui a lieu en termes matériels ne reflète pas une dynamique nouvelle, mais plutôt un processus en approfondissement. L’intérêt d’inclure le Chili et le Venezuela à notre étude prend ici toute sa justification. Comme Pierre Hassner le souligne, le phénomène des pays émergents symbolise ce dynamisme actuel, sans pour autant qu’il n’en recouvre l’ampleur à lui seul5. Dépasser l’analyse des États dits émergents nous oblige à multiplier les facteurs d’analyse. D’une part, divers acteurs étatiques participent à la revitalisation des relations Sud-Sud ; d’autre part, les stratégies élaborées par chacun peuvent varier, voire diverger. [...]

A - Un filet politique agrandi et resserré

[…]

1) Un véritable ballet diplomatique

Détecter l’existence d’un resserrement matériel des liens diplomatiques passe en premier lieu par le décryptage des visites de haut niveau qui expriment une motivation gouvernementale - par le temps et les coûts dédiés à cette activité -, et représentent des moments privilégiés de dialogue direct entre dirigeants. Ces voyages symbolisent l’application des orientations diplomatiques prônées dans les discours. Force est alors de constater que la relance des relations Sud-Sud se traduit de prime abord par un impressionnant défilé diplomatique des présidents brésiliens, chiliens et vénézuéliens dans le monde en développement, avec un approfondissement plus marqué concernant les pays émergents6. […]

3 Discours prononcé lors du VIIe Sommet de l’Union africaine, à Banjul, le 1er juillet 2006, in MPPRE, Libro amarillo 2006, p. 649-651. Extrait original : « Sólo nosotros unidos, partiendo de nuestra conciencia, de nuestro coraje, de nuestra voluntad, podremos lograr lo que Simón Bolívar - nuestro Libertador - llamaba “el equilibrio del universo”, es decir un mundo pluripolar ». 4 Discours d’ouverture du Colloque « Brésil : Acteur Global », à Paris, le 13 juillet 2005, in Discursos Selecionados do Presidente Luiz Inácio Lula da Silva, Brasilia : FUNAG, 2008, p. 53. Extrait original : « Um mundo plural - ou “multipolar”, como às vezes se diz - não é um desejo piedoso de diplomatas ou acadêmicos idealistas. É uma exigência dos dias que correm. (…) Para afirmar a democracia no plano internacional, é preciso reconhecer que a pluralidade de visões é legítima ». 5 Pierre HASSNER, « Un train peut en cacher un autre », in Christophe JAFFRELOT, dir., L’enjeu mondial, les pays émergents, Paris : Presses de Sciences Po, 2008, p. 311. 6 Les données suivantes sont le résultat d’un recensement dont la méthodologie est explicitée à l’annexe n° 4, p. 130.

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b) Une hausse spectaculaire des visites

La densification des liens diplomatiques s’impose en effet au regard du nombre des visites diplomatiques présidentielles. La hausse des déplacements dans des États du Sud est telle qu’elle en devient visible sous forme de cartes7. Le président Lula a effectué 55 visites parmi les pays en développement, Hugo Chávez, 65, et les dirigeants chiliens, 23. En ce qui concerne l’Afrique, le dirigeant brésilien s’est rendu dans 23 pays au cours de 13 voyages dont 6 tournées8, totalisant 34 visites, soit le plus grand nombre au monde sur la période. Par exemple, début 2010, Luiz Inácio Lula da Silva s’est déplacé deux fois plus sur ce continent que son homologue chinois, Hu Jintao9. Lors de sa dernière tournée de juillet 2010, le chef d’État brésilien a honoré des destinations inédites - Guinée équatoriale, Kenya, Tanzanie et Zambie, ce qui indique une volonté de poursuivre l’élargissement du réseau brésilien en Afrique. Le Venezuela a été encore plus actif. Son président s’est déplacé 22 fois en Asie (dont deux visites privées), parcourant 9 pays. Mais, surtout, Hugo Chávez a effectué 26 visites au Moyen-Orient (dont deux privées), il affirme ainsi son intention de s’allier avec les pays pétroliers. La tournée de 2000 a d’ailleurs eu pour but l’organisation d’un sommet de l’OPEP. L’activisme du dirigeant est récompensé par la nomination de l’un de ses bras droits, Alí Rodríguez Araque, au poste de Secrétaire général de l’institution la même année.

Les visites présidentielles ne suffisent parfois pas pour démontrer l’intensification des relations diplomatiques. Le Moyen-Orient a été visité par le président Lula à dix reprises, notamment dans le cadre de trois tournées en 2003, 2009 et 2010. Cette région concentre un nombre en apparence relatif de déplacements présidentiels. Pourtant, une analyse des voyages du ministre des Relations extérieures révèle l’importance de la zone pour la diplomatie brésilienne. Celso Amorim s’est de fait rendu 39 fois au Moyen-Orient (excluant Israël), en 2005 puis entre 2008 et 201010. Le rythme des contacts de haut niveau s’avère donc très dense, et les visites présidentielles n’en sont que la partie la plus visible11. Dans cette perspective, l’offensive diplomatique vénézuélienne en Afrique mérite une attention particulière. Ce continent est devenu un axe majeur de la politique extérieure menée par l’équipe d’Hugo Chávez. Les 18 visites effectuées dans 9 pays, concentrées autour de 2006, ne permettent pas d’apprécier dans son ampleur le renforcement de ces rapports extrarégionaux12. Effectivement, selon les informations que nous avons rassemblées, Hugo Chávez s’est réuni avec au moins 23 chefs d’État africains en marge d’événements internationaux13. Ces rencontres participent à la densification réelle des liens diplomatiques du Brésil et du Venezuela envers leurs partenaires en développement.

La diplomatie chilienne présente un profil particulier. Elle n’atteint pas le même degré d’universalité dans ses relations extérieures que les deux autres cas, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’adopte aucune stratégie Sud-Sud. Alors ambassadeur du Chili auprès des Nations Unies à New York, Heraldo Muñoz écrit : « Considérant les ressources limitées

7 Cf. annexe n° 5, p. 189. 8 Les dates des tournées sont les suivantes : novembre 2003, juillet 2004, avril 2005, février 2006, octobre 2007 et juillet 2010. 9 « L'Afrique vibre au rythme du Brésil », Jeune Afrique, 24 février 2010. 10 Cf. annexe n° 4, tableau n° 8, p. 131. 11 De même en Asie, le chef de l’État brésilien a effectué 11 déplacements dans seulement 6 pays mais de nombreuses visites ministérielles ont eu lieu, témoignant de la mise en relation continue avec les pays de cette région. Cf. annexe n° 4, p. 147-149. 12 L’Afrique devient en 2004 un des pôles de pouvoir selon la conception du président vénézuélien. Pour plus de détails sur l’évolution de la place africaine dans la diplomatie chaviste, voir Camille FORITE, Chávez et l’Afrique, Paris : IHEAL, 2011, p. 53-84. 13 Cf. annexe n° 4, p. 169-175. De plus, selon les Libros amarillos 2006 et 2007, le Venezuela a chronologiquement reçu 18 puis 16 visites de représentations asiatiques et moyen-orientales, et 18 puis 21 en provenance d’Afrique. MPPRE, Libro amarillo 2006, p. 319-320 et 325-341 ; Libro amarillo 2007, p. 478-581 et 516-517.

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du gouvernement, nous devons impulser une politique extérieure de positionnement sélectif dans des régions non-prioritaires comme l’Afrique, par exemple, en renforçant quelques représentations « pivots » peu nombreuses mais bien dotées dans des pays clés. (…) [En destinant] plus et de meilleurs fonctionnaires diplomatiques dans des pays offrant des perspectives de prospérité pour le Chili, comme en Inde et en Chine »14. L’Afrique et le Moyen-Orient ne constituent pas des priorités pour les gouvernements chiliens. Le nombre de visites présidentielles laisse toutefois apparaître un intérêt certain pour ces régions depuis la transition démocratique, qui se traduit par un rapprochement progressif. Faute de moyens suffisants, la politique extérieure se veut sélective mais elle n'en demeure pas moins très active sur les zones ciblées. En cela, elle incarne l’une des multiples voies de resserrement matériel à l’œuvre pendant la relance. Les autorités chiliennes ont ainsi confirmé la vocation asiatique de leur pays qui avait été ravivée pendant la dictature. Les présidents Ricardo Lagos, Michelle Bachelet et Sebastián Piñera se sont rendus à 18 reprises dans 9 pays d’Asie en développement, soit plus que leur homologue brésilien Lula15. L’ancien ministre des Relations extérieures Ignacio Walker en conclut à propos de l’Asie-Pacifique : « Nous avons découvert un second voisinage ces dernières années »16. Un autre ex-ministre estime que le trio Union européenne-États-Unis-Asie-Pacifique représente la pierre angulaire de la stratégie d’insertion internationale chilienne, ce qui atteste de l’importance aujourd’hui atteinte par la région asiatique17. Les visites se sont enchaînées à un rythme fulgurant, signe d’un resserrement des liens diplomatiques entre nos trois pays étudiés et les États en développement d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient. Elles ont de plus permis d’élargir l’éventail des partenaires. […]

La diversification des politiques extérieures passe aussi par l’extension des réseaux diplomatiques. Cette reconnaissance légale participe au resserrement des liens politiques entre les pays en développement. Des trois pays étudiés, le Venezuela est le premier à établir des relations avec tous les pays africains en novembre 2008, lors de la signature d’un texte officiel avec Madagascar18. Ce résultat scelle l’aboutissement d’une politique très véloce menée par le vice-ministère pour l’Afrique : de 1999 à 2008, 22 pays ont été reconnus19. Il en est de même pour le Brésil depuis avril 2010, par l’acte signé avec la République centrafricaine20. Les autorités chiliennes poursuivent une politique plus modeste, à un rythme moins soutenu que le Venezuela. Elles ont reconnu le Bénin en août 201021 mais au total elles maintiennent des

14 Heraldo MUÑOZ, « Los desafíos de la política exterior y de la cancillería », Diplomacia, n° 102, avril-juin 2005, p. 9 et 12. Extrait original : « Considerando los recursos limitados del gobierno, debemos impulsar una PE de posicionamiento selectivo en regiones no-prioritarias como África, por ejemplo, reforzando unas pocas pero bien dotadas representaciones ‘pivotes’ en países claves, desde donde cubrir adecuadamente grupos de países (…). Destinar más y mejores funcionarios diplomáticos a los países que más ofrecen perspectivas de prosperidad para Chile, como India y China ». Le PIB du Chili est presque deux fois inférieur au vénézuélien en 2009, par exemple. 15 Cf. annexe n° 4, p. 131-133 : ce calcul fonctionne même si l’on compte à partir de 2003 pour le Chili. 16 Ignacio WALKER, « La política exterior chilena », Estudios Internacionales, n° 155, octobre-décembre 2006, p. 25. Extrait original : « En los útlimos años hemos descubierto un segundo barrio o vecindario ». 17 Miguel INSULZA, Ensayos sobre política exterior de Chile, Santiago : Los Andes, 1998, p. 39. 18 Nous n’incluons par le Soudan du Sud, créé en juillet 2011. « Venezuela y Madagascar establecen relaciones diplomáticas », Boletines del MPPRE, 14 novembre 2008. 19 La chronologie des reconnaissances est la suivante : 1999 : 1 ; 2003 : 1 ; 2005 : 7 ; 2006 : 8 ; 2007 : 4 ; 2008 : 1. MPPRE, « Relaciones internacionales Venezuela-África 2005-5008 », Powerpoint interne, octobre 2008, p. 12-17. 20 « Estabelecimento de relações diplomáticas com a República Centro-Africana », Note du MRE n° 262, 29 avril 2010. 21 « Chile establece Relaciones Diplomáticas con la República de Benín », Bulletin du MINREL, 31 août 2010.

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liens officiels avec moins de 40 pays africains22. L’ouverture diplomatique s’est simultanément développée envers l’Asie et le Moyen-Orient. Le Brésil a établi des relations diplomatiques avec l’Afghanistan en 2004 et avec le Bhoutan en 200923 ; le Venezuela a fait de même avec Brunei, le Laos, le Timor oriental et le Vietnam en 200524. Pour terminer, les trois pays ont reconnu l’existence d’un État palestinien, qui débouche sur l’ouverture de relations diplomatiques25.

Le rapprochement diplomatique en cours se renforce encore avec la participation des pays sud-américains à des organismes régionaux extracontinentaux. C’est ainsi que le Brésil est devenu membre observateur de la Ligue des États arabes en décembre 2002, suivi par le Chili en janvier 2005, et par le Venezuela en juillet de l’année suivante. Un processus identique s’est déroulé concernant l’Union africaine (UA) avec laquelle le Brésil établit un dialogue institutionnel en 2005, puis à laquelle le Venezuela adhère comme membre observateur en décembre de la même année, et le Chili en 2007. Enfin, le Brésil a lancé un dialogue politique stratégique Brésil-CEDEAO en juillet 201026 et le Venezuela a intégré ce dernier organisme en tant qu’observateur en février 201027. En reconnaissance de ces adhésions, Hugo Chávez a eu l’honneur d’être le premier président non-africain à s’exprimer lors de la réunion annuelle de l’UA en juillet 2006, à Banjul, capitale de la Gambie28. Le président Lula, quant à lui, a été le premier dirigeant latino-américain à s’adresser devant la Ligue arabe en décembre 200329, avant de participer en tant qu’invité d’honneur au Sommet de l’Union africaine (UA) tenu à Syrte en 200930. Approfondissement et élargissement sont donc des facteurs de densification matérielle avec les pays en développement ; ce qui n’empêche pas l’épaisseur des relations de varier en fonction des partenaires.

c) Le poids notable des pays émergents

Certains pays attirent plus l’attention gouvernementale brésilienne, chilienne et vénézuélienne que d’autres. Les diplomaties peuvent en effet à la fois élargir le nombre de leurs partenaires tout en définissant certaines cibles prioritaires avec lesquelles elles vont établir des rapports plus denses : le concept de « partenariat stratégique » est alors souvent évoqué. Il apparaît de manière tellement récurrente dans la rhétorique diplomatique que sa définition en devient confuse. Il s’agit dans tous les cas d’un lien qui se veut prioritaire, durable, constant, à facettes multiples et porteur de bénéfices réciproques pour les deux partenaires31. Les États en développement ainsi sélectionnés correspondent-ils avec les pays

22 Bibliothèque du Congrès national chilien, « Relaciones político-económicas entre Chile y el continente africano », BCN Informe, 1er août 2011, p. 1. 23 « Comunicado Conjunto sobre o estabelecimento de relações diplomáticas entre o Brasil e o Butão - Nova York, 21 de setembro de 2009 », Note du MRE n° 469, 21 septembre 2009. 24 MPPRE, Libro Amarillo 2005, p. 328. 25 « Venezuela y Palestina establecen relaciones diplomáticas », Boletines del MPPRE, 27 avril 2009 et « Presidente lança pedra fundamental da embaixada palestina », ANBA, 31 décembre 2010. 26 CEDEAO = Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. « I Cúpula Brasil - Comunidade Econômica dos Estados da África Ocidental (CEDEAO) – Declaração Conjunta – Ilha do Sal, Cabo Verde, 3 de julho de 2010 », Note du MRE n° 433, 7 juillet 2010. 27 Cette année-là, le Venezuela assiste également au XVII e Sommet de l’ASEAN. MPPRE, Libro amarillo 2010, p. 264 et 307. 28 El mundo en 5 líneas, Caracas : MPPRE, 2006, p. 24. 29 « Em discurso inédito na Liga Árabe, Lula volta a falar do processo de paz no Oriente Médio », ANBA, 9 décembre 2003. 30 « Lula será convidado de honra em cúpula da União Africana », Folha de São Paulo, 26 juin 2009. 31 Par multifacette nous entendons un rapprochement politique, économique, coopératif, culturel, éventuellement militaire et multilateral.

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les plus visités ? La diplomatie brésilienne cherche à construire de tels partenariats avec au moins huit États du Sud […]. Dans La Nueva Etapa et le Plan Simón Bolívar, publiés les gouvernements vénézuéliens, l’Inde, l’Iran, la Chine, la Malaisie, la Syrie et le Vietnam sont présentés comme des cibles privilégiées32.

Les pays émergents font l’objet d’une attention particulière dans les trois politiques extérieures étudiées. Concrètement, ce sont les partenaires où les présidents se rendent le plus. L’Afrique du Sud est l’État le plus visité de son continent par le Brésil (4) et le Chili (2) ; elle arrive au troisième rang pour le Venezuela (2). Par exemple, entre 2006 et 2007, plus de 20 missions techniques sud-africaines sont réalisées avec le Chili, notamment pour échanger dans le domaine de la lutte contre la pauvreté33. L’association avec le Brésil est telle que des diplomates évoquent déjà le besoin d’une redéfinition pour marquer une nouvelle étape34. L’Inde se détache également : elle est la destination la plus prisée en Asie pour le Brésil (3) – à égalité avec la Chine ; et la seconde pour le Chili (2) et le Venezuela (4 visites dont 2 privées). La République populaire de Chine accumule les superlatifs : il s’agit du pays asiatique le plus visité par le Brésil (3), le Chili (4) et le Venezuela (6). La Chine et le Brésil ont scellé le premier partenariat stratégique Sud-Sud dès 1993. Le président Lula s’est déplacé avec la plus grande délégation de l’histoire brésilienne à Pékin en mai 2004 : neuf ministres, six gouverneurs et environ 400 entrepreneurs35. Enfin, la Chine est devenue l’un des deux principaux partenaires du Chili, avec les États-Unis ; ces deux pays ont fait l’objet du même nombre de déplacements présidentiels entre 2001 et 200936. Fort d’une histoire diplomatique continue, le Chili incarne aujourd’hui le pays des premières expériences chinoises en Amérique latine : établissement des relations diplomatiques (pour l’Amérique du Sud), soutien à l’entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), reconnaissance comme économie de marché et signature d’un traité de libre-échange. Plus anecdotique, le président Hu Jintao aurait dû être le premier dirigeant à rendre officiellement visite à Sebastián Piñera en avril 201037.

Certains partenaires se détachent particulièrement en fonction des priorités propres à chacun de nos trois cas. La vocation asiatique du Chili explique les diverses visites en Corée du Sud, à Singapour, au Vietnam ainsi qu’en Inde. En ce qui concerne le Venezuela, nous avons déjà souligné la concentration des déplacements d’Hugo Chávez dans les pays pétroliers du Moyen-Orient38. Le président vénézuélien a voyagé 10 fois en Iran (dont une visite privée), il s’agit du nombre de déplacements le plus élevé parmi tous ses partenaires du Sud39. D’autres membres de l’OPEP sont confirmés en tant qu’associés historiques : Algérie

Solange Dias da SILVA, As relações sino-brasileiras: a construção de uma parceria estratégica, Mémoire de master, Relations internationales, São Paulo, Université catholique de São Paulo, 2005, p. 113 et Antônio Carlos LESSA, « A diplomacia universalista do Brasil: a construção do sistema contemporâneo de relações bilaterais », Revista Brasileira de Política Internacional, n° 41, 1998, p. 31. Ce dernier ajoute que le partenariat peut être flexible dans le temps. 32 L’Afrique du Sud a également été oralement qualifiée de partenaire stratégique. « Forging a ‘Strategic Alliance’ », IPS, 4 septembre 2008. 33 http://chileabroad.gov.cl/sudafrica/relacion-bilateral/relaciones-bilaterales/ (06/12/2010). 34 Les présidents Lula et Thabo Mbeki se sont rencontrés à au moins 16 reprises entre 2003 et 2008. « Parceria com Brasil passa por redefinição », Folha de São Paulo, 22 avril 2009. 35 José Luis LEÓN-MANRÍQUEZ, « China-América Latina: una relación económica diferenciada », Nueva Sociedad, n° 203, mai-juin 2006, p. 40. 36 CEPAL, « La República Popular de China y América Latina y el Caribe: hacia una relación estratégica », Document n° LC/L.3 224, avril 2010, p. 24. 37 La visite a été reportée en raison d’un tremblement de terre en Chine. Ignacio WALKER, « La política exterior chilena », Estudios Internacionales, n° 155, octobre-décembre 2006, p. 33 et « El Presidente de China, Hu Jintao, será la primera visita oficial que recibe Piñera », El Mercurio, 31 mars 2010. 38 Cf. annexe n° 4, tableau n° 15, p. 135. 39 Des partenaires émergent aussi en dehors du monde en développement comme la Russie avec neuf visites.

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(4), Libye (6) et Arabie saoudite (4). Le chef d’État a également été sept fois au Qatar40. Des cibles visées au début de sa présidence, notamment l’Indonésie et la Malaisie avec 3 visites, ont depuis été délaissées au profit de la Syrie (3) et du Vietnam (2)41. Les réorientations diplomatiques expliquent le moindre nombre de déplacements dans ces pays. […]

e) Le rôle démultiplicateur des regroupements interrégionaux

Pour des diplomaties en développement aux moyens souvent limités, les sommets internationaux représentent une opportunité de pouvoir rencontrer plusieurs partenaires à la fois. De fait, des rassemblements déjà existants sont redynamisés, comme l’OPEP par le Venezuela, ainsi que la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) et la Zone de paix et de coopération de l’Atlantique Sud (ZPCAS) par le Brésil42. Divers mécanismes interrégionaux ont de plus été créés récemment dans le but de favoriser des échanges directs et sans intermédiaire au sein du monde en développement. Le président Lula a eu l’idée d’une rencontre entre les États de l’Amérique du Sud43 et ceux de la Ligue arabe, cette volonté s’est traduite par l’organisation du Sommet ASPA (Amérique du Sud-Pays Arabes) à Brasilia en mai 2005.

Les élans sud-américains génèrent en retour d’autres initiatives de la part de leurs partenaires, au-delà du cadre bilatéral. Dès 1998, Singapour a suggéré l’institution d’un Forum de coopération Amérique latine-Asie de l’Est (FOCALAE), qui s’est concrétisé lors de la première réunion ministérielle de mars 2001 à Santiago du Chili44. Par la suite, en 2003 est lancé le Forum de dialogue Inde-Brésil-Afrique du Sud (IBAS) sur une proposition de cette dernière45 ; et en 2005, le président nigérian Olusegun Obasanjo soumet l’idée d’une rencontre interrégionale sur le modèle de ce qui existe entre l’Afrique et d’autres partenaires comme la Chine ou l’Inde. Cette proposition aboutit au Sommet Amérique du Sud-Afrique (ASA) tenu à Abuja en novembre 200646. […]

Une véritable diversification des diplomaties de l’Amérique du Sud est à l’œuvre au travers de stratégies diverses. Elle est le résultat simultané de l’approfondissement et de l’élargissement des liens qui unissent les gouvernements brésiliens, chiliens et vénézuéliens avec le monde en développement. L’appréciation de la qualité et de la durabilité de ce rapprochement intergouvernemental réside dans les effets que produisent ces visites sur les trois diplomaties ici étudiées.

40 Les passages au Qatar sont parfois dus à des escales techniques obligatoires pour se rendre en Asie, mais elles débouchent souvent sur l’organisation de réunions de travail. 41 L’Indonésie était membre de l’OPEP jsuqu’en 2009. 42 Pour constater l’engagement du Brésil au sein de la CPLP, cf. chapitre V-A-b, p. 380-381. Lancée en 1986, la ZPCAS était tombée dans l’oubli jusqu’au Sommet ministériel de Luanda en 2007. Cláudio Oliveira RIBEIRO, « A política africana do governo Lula (2003-2006) », Tempo Social, 21(2), 2009, p. 193 et Paulo G. Fagundes VISENTINI, « South-South Cooperation, Prestige Diplomacy or ‘Soft Imperialism’? Lula’s government Brazil-Africa Relations », Século XXI, 1(1), janvier-décembre 2010, p. 69-70. 43 La région est ensuite représentée par l’Union des Nations sud-américaines (UNASUR), organisation intergouvernementale créée en 2008. Elle rassemble les 12 États sud-américains et constitue un mécanisme supplémentaire d’intégration régionale. 44 Le Japon participe également à cette initiative. 45 « A aliança Índia-Brasil-África do Sul », Valor Econômico, 15 septembre 2006 et Paulo G. Fagundes VISENTINI, Analúcia Danilevicz PEREIRA, « As bases do IBAS: o desenvolvimento e a inserção internacional da Índia, do Brasil e da África do Sul », in IBAS, Brasilia : FUNAG, 2009, p. 43-44. 46 « L’union fait la force », Le Potentiel, 30 novembre 2006.

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2) L’enracinement institutionnel des relations politiques intergouvernementales

Pour qu’un élan intergouvernemental s’enracine, les contacts doivent se poursuivre au-delà des rencontres présidentielles. Trois conséquences principales, qui témoignent de cette continuité, sont ressorties de nos recherches : l’ouverture d’ambassades, la signature d’accords, qui débouchent sur la création de mécanismes de suivi, et la réforme des Ministères des relations extérieures.

a) Un réseau d’ambassades étendu

Dans la logique de l’intensification des relations, que ce soit par la reconnaissance diplomatique ou par l’approfondissement d’une association, le réseau des ambassades sud-américaines s’est fortement agrandi47. Le Venezuela a commencé par activer des cellules diplomatiques longtemps délaissées, comme ce furent les cas pour le poste d’ambassadeur en Arabie saoudite qui était resté vacant depuis 4 ans jusqu’en 1999 ou encore pour huit pays africains avec lesquels des liens officiels existaient mais sans accréditation diplomatique48.

De 2003 à 2010, les autorités brésiliennes ont autorisé la création ou ont réactivé presque 40 ambassades dont 17 en Afrique, 6 en Asie et 3 au Moyen-Orient, auxquelles est adjoint un bureau de représentation diplomatique à Ramallah en 200449. Hugo Chávez a également élargi son réseau en établissant 10 nouvelles ambassades en Afrique, 3 en Asie et 2 au Moyen-Orient50. Le Chili participe aussi à ce mouvement. Trois nouvelles structures ont vu le jour en Algérie (2001), au Vietnam (2005) et aux Émirats arabes unis (2009)51. De manière générale, l’Afrique a été particulièrement mise à l’honneur dans cette dynamique puisque le Brésil est passé de 16 à 34 représentations et le Venezuela de 8 à 1852.

Les partenaires du Sud répondent à cet élan en ouvrant à leur tour des ambassades dans les trois pays en question. L’Algérie en 2002, le Vietnam en 2003 et la promesse du Koweït en 2010 en sont quelques exemples pour le Chili53. 13 nouveaux États africains ont installé une représentation diplomatique à Brasilia depuis 2003, permettant au Brésil de faire partie

47 Cette tendance est globalisée ; le Brésil est ainsi passé de 150 postes dans le monde à 230 de 2003 à 2010 et de 1 000 diplomates en service à 1 400 sur les cinq dernières années. Celso AMORIM, op. cit., p. 226. 48 MPPRE, Libro amarillo 1999, p. 183 et « Emerge un nuevo mapa diplomático entre África y Venezuela », Boletines del MPPRE, 4 mai 2005. 49 Pour l’Asie en développement et le Moyen-Orient, le dernier projet d’ambassade à Kaboul est en voie de concrétisation fin 2010, de même que le transfert de l’ambassade pour l’Irak d’Amman à Bagdad. Des consulats ont également été ouverts en Chine (Canton, Hamamatsu, Shanghai), Inde (Bombay), Liban (Beyrouth) et Turquie (Istanbul). En 2011, 4 nouvelles ambassades devraient être ouvertes en Afrique. 50 Nos résultats s’arrêtent à 2007, d’autres ouvertures en Asie en développement étaient envisagées. Une des deux ambassades au Moyen-Orient, en Jordanie, était en phase de création, un consulat faisant office dans l’attente. Un consulat a été ouvert à Shanghai en 2005 ainsi qu’un bureau de représentation à Ramallah. MPPRE, Libro amarillo 2006, p. 305 et Libro amarillo 2007, p. 525. 51 Le nombre d’ambassades au Chili est fixé par une loi, ce qui limite les ouvertures de structures nouvelles. Des consulats ont en outre été implantés en Chine (Shanghai, 2005) et en Turquie (Izmir, 2007 et Mersin, 2008). « Ministro inauguró Embajada de Chile en Emiratos Árabes », Bulletin du MINREL, 18 octobre 2009, « "Para construir una plataforma mundialista necesitamos una organización de clase mundial" », Bulletin du MINREL, 24 novembre 2010 ; http://chileabroad.gov.cl/turquia/relacion-bilateral/comercio-relaciones-bilaterales (06/12/2010). 52 Le Chili a maintenu 5 ambassades en Afrique. 53 « Canciller Moreno firma acuerdos de cooperación entre Chile y Kuwait », Bulletin du MINREL, 27 juillet 2010.

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des pays les mieux dotés au monde avec 29 ambassades de ce continent54. Le Qatar, la Palestine, suite à sa reconnaissance comme État par le Brésil, et la Ligue arabe55 - par une mission -, sont au nombre des nouveaux représentants du Sud et l’Afghanistan projette de se joindre au mouvement. Au moins quatre États africains sont nouvellement représentés à Caracas, en plus des cinq pays historiquement présents56, ce qui reste cependant en deçà des efforts vénézuéliens à l’égard de ce continent. La Palestine, quant à elle, a ouvert une ambassade et la Corée du Nord a émis une demande d’autorisation pour créer un bureau commercial57.

Le réseau diplomatique se globalise mais son universalité reste à atteindre. Les gouvernements de Lula ont ouvert de nombreuses ambassades sans que celles-ci ne soient apparemment toujours bien dotées58. De leur côté, les autorités chiliennes ont décidé de fermer un bureau commercial au Liban en 2004 et une dizaine de pays africains demeurent sans représentation diplomatique en 200559. Dans l’ensemble toutefois, les réseaux diplomatiques s’élargissent significativement. La multiplication des accords bilatéraux participe également à l’approfondissement des liens Sud-Sud. […]

c) La réforme des Ministères en faveur du Sud

Afin d’assurer la pérennité de leurs initiatives Sud-Sud, les présidents Luiz Inácio Lula da Silva et Hugo Chávez ont mis leurs Ministères des relations extérieures en adéquation avec les orientations de leur politique. Le Ministère chilien n’échappe pas non plus à cette tendance. Le Chili a entamé de longues discussions à propos de la nécessité d’une réforme de son service diplomatique. Le regroupement de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe au sein d’une seule direction géographique à la Direction générale des relations économiques internationales (DIRECON) a été remis en cause60.

Une réforme d’Itamaraty a été adoptée durant les mandatures de Lula, suite à l’élargissement de la présence brésilienne en Afrique. Le Département Afrique et Moyen-Orient a été divisé en deux ; et au sein du nouveau Département exclusivement africain, une troisième Division est créée (DAF- I, DAF-II, DAF-III) 61. Par conséquent, la région moyen-orientale se voit dotée d’une division autonome, en plus de la création du poste d’ambassadeur extraordinaire pour le Moyen-Orient en 2004, qui se focalise sur le processus

54 Celso AMORIM, « Brazilian Foreign Policy under President Lula (2003-2010): an Overview », Revista Brasileira de Política Internacional, n° 53, numéro spécial, 2010, p. 234. 55 La Ligue arabe a déjà disposé d’un bureau au Brésil auparavant. « Liga Árabe formaliza missão no Brasil », ANBA, 24 avril 2007. 56 Nous ne comptons pas la République arabe saharouie. Le Maroc a retiré son ambassade en 2008. La Gambie, le Bénin, le Soudan et la Guinée équatoriale sont les nouveaux arrivants. MPPRE, « Relaciones internacionales Venezuela-África 2005-2008 », Powerpoint interne, 14 octobre 2008, p. 20-21 et « Gobierno Nacional designa nuevo Embajador de Venezuela en la República de Guinea Ecuatorial », Boletines del MPPRE, 7 janvier 2011. 57 « Canciller Nicolás Maduro Moros y su homólogo Riad Al- Malki inauguran Embajada Palestina en Venezuela », Boletines del MPPRE, 27 avril 2009 et MPPRE, Libro amarillo 2007, p. 589. 58 Georges D. LANDAU, « Reflexões sobre a atual política externa brasileira », Revista de Economia & Relações Internacionais, 8(16), janvier 2010, p. 44. 59 Cela signifie qu’une accréditation est possible mais qu’aucun diplomate n’est venu se présenter dans le pays concerné pour l’exercer depuis son ambassade de rattachement. Luis Manuel SOTO CRUZ, « Antecedentes acerca de las relaciones diplomáticas entre Chile y los países del continente africano », Document de travail, printemps 2005, 27 p. 60 « Cancillería: en pos de la modernización », El Mercurio, 23 septembre 2008 et « Cámara de Diputados aprobó proyecto de Modernización de la Cancillería », Bulletin du MINREL, 18 août 2009. 61 Cláudio Oliveira RIBEIRO, « A política africana do governo Lula (2003-2006) », Tempo Social, 21(2), 2009, p. 189-190.

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de paix israélo-palestinien62. Enfin, l’évolution du traitement accordé au Forum de dialogue IBAS symbolise une volonté de pérennisation des liens noués. Le mécanisme de coordination du Forum (CIBAS), doté d’un diplomate en 2003, est transformé en Division (DIBAS), rattachée au Département des mécanismes régionaux (DMR). En février 2010, elle se compose de sept fonctionnaires, ce qui traduit l’importance acquise par le Forum au sein de la diplomatie brésilienne, mais également son ancrage dans le fonctionnement du Ministère63.

Au Venezuela, le décret n° 3 402 du 23 décembre 2004 remodèle le Ministère du pouvoir populaire pour les relations extérieures (MPPRE). Désormais, cinq vice-ministères le structurent, organisés par zones géographiques : Afrique, Amérique latine et les Caraïbes, Amérique du Nord, Asie-Moyen-Orient-Océanie et Europe. Cette répartition reflète la vision idéologique d’Hugo Chávez des cinq pôles64. Alors que quatre personnes étaient en charge des questions relatives à l’Afrique, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Océanie jusqu’en 2004, le seul vice-ministère pour l’Afrique possède 18 fonctionnaires cinq ans plus tard. Sa création marque un moment charnière dans la conduite de la politique africaine des gouvernements vénézuéliens. […]

La densification des relations diplomatiques est donc doublement avérée. D’une part, les pays étudiés ont élargi l’éventail de leurs partenaires à partir de leurs héritages historiques respectifs ; et d’autre part, les gouvernements actuels œuvrent à une meilleure institutionnalisation de leur diplomatie, ce qui constitue un gage de durabilité et de constance. Lors de sa dernière tournée africaine, le président Lula a déclaré : « J’ai passé sept ans à semer, maintenant je vois des plantes chargées, les fruits sont prêts. Je dois passer à la récolte »65. Que va-t-il chercher justement ? Si la volonté gouvernementale apparaît cruciale dans le resserrement matériel, la diversification des domaines impliqués s’avère indispensable à tout rapprochement, ceci tout particulièrement dans le secteur économique.

B - Échanges économiques : une densification contrastée

L’économie a historiquement joué un rôle déterminant dans l’évolution des rapports Sud-Sud puisque c’est l’épuisement du modèle d’industrialisation par substitution des importations (ISI), suivi de la crise de la dette, qui a en partie entraîné le reflux des liens entre les pays en développement66. Les sphères économiques et politiques apparaissent donc intrinsèquement liées ; cependant, les effets de l’une sur l’autre ne sont en rien automatiques. Notamment, la hausse des échanges commerciaux ne résulte pas exclusivement des orientations diplomatiques gouvernementales, nous observerons d’ailleurs le découplage entre ces deux canaux d’intensification des relations Sud-Sud67. De même, les choix en matière de politique extérieure ont de multiples motivations, bien au-delà du champ économique. […]

La relance des dynamiques Sud-Sud s’effectue dans un contexte de forte croissance économique et d’essor du commerce international68. Toute densification matérielle doit dès lors comporter un volet économique que nous analyserons autour de deux axes principaux : tout d’abord le commerce, et ensuite les flux financiers.

62 « Brasil terá embaixador extraordinário para o Oriente Médio », ANBA, 19 avril 2004. 63 Adriana Mesquita Corrêa BUENO, Política externa brasileira e coalizões do Sul: O Fórum de Diálogo Índia-Brasil-África do Sul (IBSA), Mémoire de master, Relations internationales, São Paulo, Programme San Thiago Dantas, 2010, p. 110. 64 MPPRE, Libro amarillo 2005, p. 95. 65 « Vou colher o que plantei, diz Lula », O Globo, 9 juillet 2010. 66 Cf. chapitre I-B-1, p. 95-106. 67 Cf. tableau n° 2, p. 157. 68 Sur le rôle de l’économie, cf. chapitre IV-C-3-a, p. 342-343.

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1) La hausse réelle d’un commerce concentré

[…] Les relations de l’Amérique du Sud avec leurs partenaires en développement s’inscrivent dans une hausse généralisée des échanges Sud-Sud. Entre 2000 et 2010, la participation de ces flux au commerce mondial passe de 14% à 23% alors que les liens Nord-Sud croissent à peine et tandis que ceux Nord-Nord diminuent en part relative. Les deux derniers continuent toutefois d’être plus importants. Le profil du commerce international évolue très rapidement puisqu’en 2010, les économies du Sud englobent 40% des exportations mondiales69. Pour le moment néanmoins, les échanges entre les pays en développement demeurent très concentrés ; 60% proviennent en effet des relations interasiatiques et 26% des flux entre l’Asie en développement et les autres régions du Sud (auxquelles s’ajoutent les anciennes Républiques soviétiques pour ce calcul). Malgré tout, le commerce Sud-Sud prend une place de plus en plus importante dans l’insertion internationale de l’Amérique latine et des Caraïbes. Si l’on exclut le Mexique, les flux avec le monde en développement représentent 53% des exportations latino-américaines (38% avec le Mexique), dont 20% sont de nature interrégionale et 13% se destinent à l’Asie en développement70.

La hausse des échanges Sud-Sud du Brésil, du Chili et du Venezuela s’effectue cependant d’une manière déséquilibrée, en faveur d’un petit nombre de partenaires. À ce titre, les gouvernements brésiliens et chiliens cherchent à encourager les flux avec plus de pays en développement, via des accords progressifs de libre-échange. Nous aborderons ce point après avoir analysé le resserrement des liens commerciaux Sud-Sud.

a) L’augmentation accélérée des échanges commerciaux

Tableau n° 1 : Évolution des relations commerciales Sud-Sud jusqu’en 2008 (en %)

Brésil (2003-2008)

Chili (2000-2008)

Venezuela (1999-2008)

Amérique latine et Caraïbes (1999-2008)

Amérique du Sud (1999-2008)

Afrique 321,13 244,30 69,32 672,44 645,42

Asie en dév. sans Chine 300,41 329,24 692,99 361,40 392,89

Chine 411,61 770,93 1750,77 1276,05 1324,82

Moyen-Orient 219,80 291,22 697,97 428,19 439,32 Source : Élaboration propre à partir de UN Comtrade

[…] Un premier résultat est sans appel : les échanges du Brésil, du Chili et du Venezuela ont tous spectaculairement augmenté depuis l’arrivée au pouvoir de gouvernements favorables au rapprochement avec les pays en développement (Tableau n° 1).

De plus, les liens Sud-Sud s’accroissent plus rapidement que l’évolution globale du commerce externe de ces pays (+205,36% pour le Brésil, +269,54% pour le Chili et +289,21% pour le Venezuela71).

Toutefois, […] si la hausse réelle des échanges est généralisée - souvent à partir de niveaux très bas -, l’augmentation relative des flux dans le commerce total des pays évolue de

69 Dans le rapport, trois raisons principales sont invoquées pour expliquer cette mutation : le déplacement de la production manufacturière dans les pays du Sud, la libéralisation du commerce et la croissance économique de certains pays en développement. CEPAL, Panorama de la Inserción Internacional de América Latina y el Caribe 2010-2011. La región en la década de las economías emergentes, Rapport annuel, septembre 2011, p. 55. 70 Ibid., p. 56-58. 71 Résultats calculés à partir des données de UN Comtrade.

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manière moins abrupte. Hormis en ce qui concerne l’Asie en développement (à cause de la situation spécifique de la Chine), les relations ont historiquement atteint des taux relatifs plus élevés. Les records en valeurs nominales révèlent une densification commerciale Sud-Sud, mais qui se trouve en phase de rattrapage, si on les compare avec les données relatives historiques72. De même, certains échanges ne se stabilisent pas dans les cas du Chili et du Venezuela avec l’Afrique. Contrairement au resserrement diplomatique clairement approfondi, les échanges commerciaux entre l’Amérique du Sud et ses partenaires en développement se reconstruisent plus qu’ils ne se créent, exception faite de l’Asie. Si les liens historiques avec l’Afrique et le Moyen-Orient ont connu des niveaux relatifs plus hauts ; par contre, leur dynamisme ne s’est pas inscrit dans la durée et les pics d’échanges n’ont pas eu lieu au même moment. En revanche, la relance actuelle se présente plus modestement mais elle apparaît davantage généralisée et pérenne, comme l’illustrent les réactions à la crise internationale actuelle.

Une réaction historique face à la crise internationale de 2008-2009 Historiquement, la chute du commerce Sud-Sud est presque toujours liée à une crise

économique interne ou internationale. Par exemple, la diminution des prix des hydrocarbures en 1986, la crise de la dette à partir de 1982, la crise asiatique et la crise financière en Amérique du Sud à partir de 1997 ont eu ce genre de conséquences. Un phénomène nouveau semble pourtant se profiler à partir de 2009. Pour la première fois en effet, l’éclatement d’une crise financière puis économique mondiale ne génère pas l’effondrement des relations Sud-Sud. Ces échanges ont diminué pour le Brésil et le Chili, notamment ceux avec l’Afrique dans les deux cas, et ceux avec le Moyen-Orient pour le second pays. Cependant, les flux avec l’Asie en développement, la Chine et le Moyen-Orient (sauf pour le Chili) ont continué à augmenter en dépit de la rétraction globale du commerce externe qui touche les économies concernées. Les liens n’ont néanmoins pas chuté de manière drastique. Dès 2010, ceux avec l’Asie en développement, y compris la Chine, et le Moyen-Orient, retrouvent en général leurs niveaux de 200873.

La résistance des échanges Sud-Sud dans ce contexte difficile n’est pas forcément signe d’embellie économique pour les trois pays. La variation des balances commerciales et leurs soldes parfois négatifs rappellent que l’intensification des relations entraîne des défis supplémentaires74. Le resserrement entre les États du Sud ne rime donc pas forcément avec l’amélioration généralisée de leur sort, même s’il peut y concourir, comme pour le Brésil et le Chili. Leurs balances commerciales avec les pays en développement restent positives pendant cette crise, et ce notamment grâce à la diversification de leur insertion économique internationale.

Des partenaires commerciaux en développement de plus en plus nombreux Le taux de participation du monde en développement dans le commerce extérieur du

Brésil, du Chili et du Venezuela confirme la hausse du nombre des partenaires. Les profils varient néanmoins en fonction de chaque pays75. Dans les trois cas, les flux avec les États-Unis et l’Union européenne (UE), diminuent en termes relatifs ; seules les exportations chiliennes et vénézuéliennes vers l’UE se maintiennent76. Le Brésil présente la diversification par le Sud la plus approfondie, avec une participation de plus en plus importante de l’Asie en

72 L’importance des relations économiques Brésil-Moyen-Orient s’explique par les importations pétrolières et la hausse des prix suite au premier choc pétrolier. 73 Cf. annexe n° 10, tableaux n° 22 et 24, p. 235 et 237 et chapitre IV-C-3-c, p. 345-348. 74 Cf. annexe n° 11, p. 238-239 ; pour une analyse des défis, cf. chapitre V-B-2-a, p. 408-415. 75 Cf. annexe n° 12, p. 240-241. 76 En général, le commerce en volume augmente.

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développement et de l’Afrique. Pour le Chili et le Venezuela en revanche, seule l’Asie en développement, et surtout la Chine, joue un rôle dans la multiplication de leurs échanges avec le monde ; l’Afrique et le Moyen-Orient restent des partenaires minoritaires. Selon toute vraisemblance, le commerce extérieur vénézuélien continue à présenter une forte concentration autour des exportations vers les États-Unis77. Les gouvernements d’Hugo Chávez ne disposent ainsi presque pas de cet instrument dans l’élargissement de l’insertion internationale de leur pays ou comme élément de renfort à leur volonté politique de se rapprocher du monde en développement.

Tableau n° 3 : Nombre de partenaires en développement du Brésil, du Chili et du Venezuela Pays Brésil Chili Venezuela

Partenaires 2003 2008 2010 2000 2008 2010 1999 2008 2010

Afrique (/53) 51 53 52 43 41 47 19 36 38

Asie en dév. avec Chine (/22) 22 21 21 19 20 20 11 18 20

Moyen-Orient (/14) 13 13 13 13 13 13 5 14 14 Source : Élaboration propre à partir de UN Comtrade NB : Taiwan n’est pas inclus.

Au sein du Sud, le nombre de partenaires économiques se diversifie (Tableau n° 3), l’universalité est presque atteinte, à l’exception du Venezuela en Afrique. Cependant, plusieurs relations restent instables avec des partenaires différents en fonction des années, ce sont notamment les cas du Chili en Afrique et du Venezuela en Asie en développement […]. Certains États commencent toutefois à émerger en haut du classement, en tant qu’acheteur et/ou fournisseur78. La concentration globale des échanges mondiaux des trois pays étudiés saute aux yeux : en 2008, la Corée du Sud représente le sixième importateur de produits chiliens et le Nigeria le sixième exportateur vers le Brésil, mais avec des pourcentages très faibles (5,49% et 3,87% respectivement). La crise n’a pas eu d’effets notoires sur le classement des partenaires du Sud extrarégionaux, les exportateurs améliorent même parfois leur participation. Dans l’ensemble, les échanges Sud-Sud maintiennent un profil très, voire extrêmement concentré, tout autant en ce qui concerne les partenaires que les produits.

Un resserrement imparfait : la concentration des partenaires L’approfondissement des relations économiques passe par la distinction d’une poignée

de partenaires qui englobent la majorité des échanges. Si des évolutions existent, quoique modestes, pour le Brésil, ce phénomène demeure flagrant pour le Chili et le Venezuela. À chaque fois et sur toute la période, seuls deux ou trois États du Sud concentrent la majorité des échanges79. L’Afrique du Sud, l’Angola, le Nigeria et l’Égypte se détachent pour l’Afrique ; la Chine, la Corée du Sud et Taïwan pour l’Asie ; l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ainsi que la Turquie pour le Moyen-Orient. Les exportations brésiliennes se dirigent notamment vers l’Asie en développement, voire des pays arabes acheteurs de denrées agricoles. Les importations sont également dominées par l’Asie en développement pour nos trois cas, avec une participation des producteurs d’hydrocarbures, en particulier africains, pour le Brésil et le Chili. En général, ce sont des pays émergents ou exportateurs de pétrole qui occupent les premières places. La région asiatique confirme sa position de partenaire commercial de plus en plus important, tout particulièrement la Chine. Celle-ci est devenue la première acheteuse et la deuxième importatrice au Chili dès 2008 et au Brésil dès 2009. Au

77 Pour une explication sur les données vénézuéliennes, cf. annexe n° 9, p. 233. 78 Cf. annexe n° 13, p. 242-244. 79 Cf. annexe n° 14, p. 245-246.

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Venezuela, malgré la concentration des échanges, la Chine est parvenue à se hisser à la troisième place de ses importations en 2008 talonnant la Colombie, et la dépassant dès 2010. L’Inde, la Corée du Sud et Taïwan se situent de même parmi des associés économiques de choix. […]

Dans tous les cas, l’extraordinaire expansion chinoise se détache clairement. Les échanges Sud-Sud se composent presque pour la moitié, et parfois plus, des seuls flux avec la Chine, en particulier après la crise de 2008. Sans le facteur chinois, les relations commerciales Sud-Sud du Brésil et du Chili diminueraient. Celles avec la Chine sont devenues la principale source de croissance des exportations de plusieurs économies sud-américaine ; le géant asiatique joue un rôle prépondérant dans la relance […]. La multiplication des partenaires économiques de l’Amérique du Sud a donc progressé, même si les échanges restent souvent marginaux. Cette observation est valable pour les autres pays du Sud.

En effet, l’Amérique latine et les Caraïbes ne s’affirment pas dans les échanges des autres régions en développement80. Malgré une amélioration timide en termes relatifs, et sauf concernant les importations en provenance d’Afrique et les liens avec le Moyen-Orient, l’Amérique latine et les Caraïbes ne représentent jamais plus de 5% du commerce externe de leurs partenaires du Sud. L’Asie en développement apparaît dès lors plus importante pour la région que l’inverse. Il est clair que les différences de taille empêchent certaines petites économies d’acquérir une meilleure représentativité dans les économies émergentes, telle est la situation du Chili au regard de la Chine ; mais y compris de plus grandes économies, comme celle du Brésil, ne se démarquent pas forcément. Cette remarque ne doit pas être automatiquement généralisée puisqu’en 2008, des exceptions se détachent, ainsi en est-il des importations de l’Égypte (5,43%), des exportations de la Corée du Sud (7,18%), et des échanges avec le Nigeria (7,17% pour les exportations vers la région et 11,27% pour les importations). La participation de la sous-région et donc des trois pays étudiés demeure encore faible. La concentration révèle en apparence des déficits de densification, elle peut pourtant paradoxalement aussi contribuer à l’établissement de rapports économiques stratégiques.

Des échanges parfois stratégiques : l’importance sectorielle du commerce Sud-Sud […] La concentration des produits échangés associée à la faible participation de

l’Amérique latine et des Caraïbes dans le commerce extérieur des autres régions en développement pourrait laisser conclure à un faible resserrement matériel. Cet état des lieux globalement modeste cache pourtant l’existence de flux spécifiques de plus en plus importants pour chacun des partenaires81. En effet, les relations commerciales présentent des concentrations sectorielles telles qu’elles peuvent devenir stratégiques82. En 2008, alors que le Brésil et le Chili atteignent moins de 3% des importations chinoises (2,08% pour le premier et 0,76% pour le second), le Brésil représente 33,35% des achats chinois de graines de soja, 27,60% de ceux d’huile de soja, 42,78% de ceux de viande bovine et le Chili englobe 50,32% des importations chinoises de cuivre affiné ou encore 33,02% de celles de raisin frais. Or, ces produits sont essentiels à la croissance de l’économie asiatique ; le soja constitue l’un des

80 Cf. annexe n° 15, p. 248-249. 81 Cf. annexe n° 17, p. 258-261. 82 Plusieurs études parviennent à des conclusions similaires : Pedro COELHO, Flávio Sombra SARAIVA, dir., Fórum Brasil-África, Brasilia : IBRI/FUNAG, 2004, p. 189 et Daniel SASLAVSKY, Ricardo ROZEMBERG, op. cit., p. 11 et 16-17. D’autres économistes analysent l’importance sectorielle par les effets à la hausse sur les prix dus à l’émergence chinoise : Jonathan R. BARTON, « A Study of the Impact of China’s Global Expansion on Chile », Working Paper n° 6, ESRC, février 2009, p. 14-17 ; Rhys JENKINS, Enrique Peters DUSSELS, dir., China and Latin America, Bonn, Mexico : DIE, 2009, p. 53-59 et Kevin P. GALLAGHER, Roberto PORZECANSKI, The Dragon in the Room, Standford : Standford University Press, 2010, p. 23.

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aliments de base de la population chinoise et le cuivre est un produit indispensable au secteur de la construction83. Réciproquement, la Chine se positionne de plus en plus comme le fournisseur incontournable de certains biens manufacturés tels que l’électroménager, les équipements de bureau, les appareils de télécommunication, les vêtements et les jouets (plus de 40% en général). Un profil identique de relations s’applique pour les échanges avec la Corée du Sud.

Plus globalement, le Brésil détient une prépondérance parfois impressionnante sur certaines importations du monde arabe, spécialement en ce qui concerne le sucre (plus de 95% des achats de l’Algérie, de l’Égypte, du Maroc et de la Syrie en 2008), le poulet (92,10% des achats égyptiens, 79,18% des saoudiens, 75,51% pour les Émirats arabes unis) et la viande bovine (84,63% des importations algériennes). Les partenaires en développement sont également très importants pour le Brésil puisqu’ils lui fournissent 78% du pétrole qu’il importe et 72,89% du phosphate naturel84. Le Moyen-Orient est devenu le principal acheteur de poulet brésilien et le Nigeria, le premier fournisseur de pétrole du Brésil. Le secteur agroalimentaire symbolise ici les interdépendances créées par les flux commerciaux : si le Brésil domine plusieurs importations de biens de consommation dans les pays arabes, son agriculture nécessite certains des produits en partie achetés à ces mêmes partenaires, c’est le cas du phosphate qui est utilisé comme engrais dans l’agriculture. Il existe donc des échanges Sud-Sud essentiels aux économies concernées. […]

b) L’institutionnalisation comme forme d’encouragement

L’approfondissement de la densification matérielle dépend de sa durabilité. L’institutionnalisation des liens vise en ce sens à les ancrer au-delà des alternances politiques. C’est avec cette intention que les gouvernements brésilien et chilien signent des accords progressifs de libre échange (TLE)85. […]

Depuis les mandats de Ricardo Lagos au Chili et de Luiz Inácio Lula da Silva au Brésil, les initiatives se sont multipliées de part et d’autre. Tous ces accords expriment un dynamisme renouvelé86. Le Chili est précurseur en la matière puisqu’il est le premier pays latino-américain avec lequel la Corée, la Chine, la Turquie et la Malaisie s’engagent. De même, les accords du Mercosur avec l’Inde, l’Union douanière d’Afrique australe (SACU) et l’Égypte sont sans précédent dans la région. Le TLE Chili-Chine s’avère en outre le premier au monde que le géant asiatique entérine à l’échelle bilatérale.

La multiplication des projets d’accords de libre-échange - dix pour le Mercosur ainsi que pour le Chili - reflète les orientations diplomatiques adoptées par les gouvernements en place. […]

83 De plus, la Chine dispose de moins de 10% de terres arables pour plus de 20% de la population mondiale. Elle est la principale concommatrice mondiale de soja et de ses dérivés, ainsi que du cuivre et du fer-acier. Elle représente la principale importatrice du soja et du minerai de fer brésiliens, mais aussi du cuivre chilien. Fernando PIMENTEL PUGA et al., « O comércio Brasil-China: situaçao atual e potencialidades de crescimento », Textos para Discussão n° 104, BNDES, avril 2004, p. 6-7. 84 Pour le phosphate naturel : Algérie (13,30%), Égypte (10,99%), Maroc (48,60%). NB : Le Maroc représente 91,46% des importations vénézuéliennes de ce produit. Pour le pétrole brut : Algérie (10,03%), Angola (13,12%), Nigeria (39,68%), Arabie saoudite (15,18%). 85 Les gouvernements d’Hugo Chávez ne pratiquent pas de telles négociations dans le cadre Sud-Sud extra-régional, ce qui ne signifie pas qu’ils n’adoptent aucune stratégie d’encouragement et d’institutionnalisation, notamment à travers des fonds conjoints, cf. infra, p. 179-182. 86 Cf. annexe n° 18, p. 262-263. Les initiatives peuvent provenir des pays extrarégionaux, comme dans le cas de la Jordanie avec le Mercosur. « Jordânia firma acordo marco com Mercosul », ANBA, 3 juillet 2008.

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Ensuite, la volonté politique de faire vivre les projets se manifeste par la conclusion de plusieurs accords : trois pour le Mercosur et sept pour le Chili. Ces réussites permettent d’avancer dans le processus d’institutionnalisation. Après avoir obtenu l’ouverture des marchés de leurs principaux partenaires économiques, les autorités chiliennes ambitionnent l’élargissement des premiers accords. Tout d’abord, elles s’engagent rapidement dans la poursuite des négociations. Avec la Chine, un chapitre concernant les services a été conclu et des discussions à propos de la libéralisation des investissements sont en cours. Dans le même registre, elles ont obtenu la continuation du dialogue visant à approfondir l’Accord partiel avec l’Inde et le TLE avec la Corée du Sud87. […]

Les relations commerciales du Brésil, du Chili et du Venezuela présentent des profils très différents. Inégales, concentrées, stratégiques, toutes sont en hausse malgré des résultats à la portée variée. Ainsi, si le nombre de partenaires économiques s’améliore, tel n’est pas encore le cas de leur déconcentration. En voie d’approfondissement, les échanges ne se développent pas non plus toujours en faveur des pays sud-américains. L’économie ne se résume cependant pas au seul commerce. Elle peut être l’objet de stratégies multilatérales - l’OPEP représente une bonne illustration -, ou encore s’exprimer par d’autres voies, notamment financières. Dès lors, la diversification affiche des évolutions plurielles et de nouveaux défis, toujours dans une dynamique de densification.

2) Des flux financiers encore en devenir

[…]

a) Faiblesse des flux financiers Sud-Sud

Il ressort de notre recherche que si les flux financiers Sud-Sud augmentent, leur participation aux économies brésilienne, chilienne et vénézuélienne demeure minime jusqu’en 2009. La région latino-américaine sort d’une période de recul dans ce domaine : après avoir reçu beaucoup de flux à la fin des années 1990, ceux-ci ont fortement chuté suite aux crises financières […]. Depuis le début du siècle, la tendance est à nouveau à la hausse, et les fonds provenant du Sud - eux-mêmes en augmentation - s’inscrivent dans ce mouvement. Pour le moment, la majorité des investissements Sud-Sud s’effectue au sein de l’Asie, suivis par les envois de cette région vers l’Afrique88. L’Amérique latine et les Caraïbes ne constituent pas un acteur de premier plan dans ce domaine. Le Brésil et le Chili font partie des pays les plus attractifs de l’Amérique du Sud. Le premier englobe la moitié des flux entrants en 2008 ; deux ans plus tard, le Chili est le troisième récepteur latino-américain. Le Venezuela en revanche connaît un solde négatif régulier, certainement lié à la stratégie gouvernementale de nationalisation89.

87 DIRECON, Relaciones económicas entre Chile y China: evaluación a cuatro años del TLC, Rapport, 1er octobre 2010, p. 4 : sept rondes ont été effectuées en octobre 2010. « Chile continúa profundizando su relación con Asia », Bulletin de la DIRECON, 6 août 2010 : une IIe réunion d’approfondissement a eu lieu avec l’Inde. « Canciller Moreno visita Corea del Sur para ampliar el TLC », La Nación, 28 avril 2010. 88 Cf. annexe n° 19, carte n° 7, p. 264. D’une manière générale, les flux intrarégionaux sont relativement plus importants que les interrégionaux. Les IDE entre pays en développement (y compris les États en transition) ont augmenté de 2 à 60 milliards de US$ de 1985 à 2004. CNUCED, World Investment Report, Rapport annuel, 2006, p. XXIV. 89 CNUCED, op. cit., 2009, p. 64 ; CEPAL, La inversión extranjera directa en América Latina y el Caribe 2008, Rapport annuel, 2009, p. 37 et 39 ; BID/CEPAL, « El arco del Pacífico latinoamericano: construyendo caminos de complementación e integración con Asia », Document n° LC/R.2 166, 15 octobre 2010, p. 37.

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Jusqu’en 2009, les flux financiers Sud-Sud ne sont pas déterminants pour les économies des trois pays, leur poids apparaît même marginal. Tout d’abord, le nombre potentiel de participants est limité au sein du monde en développement ; de plus en plus de pays ont des capacités de financement mais à de petites échelles90. Au Chili, les États-Unis contribuent à 21,3% du total des flux entrants en 2007 et à 56,2% en 200991 ; au Venezuela, ils concourent à hauteur de 20% en 2006 (et 24% pour le Panama, un paradis fiscal). Les Pays-Bas tiennent le haut du tableau avec 18,8% au Brésil, suivis par les États-Unis avec 16% en 2009. Les investisseurs du Sud sont historiquement peu nombreux au Chili : seuls deux pays en développement apparaissent comme sources d’investissements en 2009 et trois en 2007. La situation brésilienne s’apparente à la chilienne. En 2009, selon la Banque centrale brésilienne (BCB), les IDE proviennent de 108 pays, dont 28 en développement plus Taïwan. Cependant, aucun de ces derniers ne concourt significativement aux flux financiers entrants au Brésil. Le premier d’entre eux est la Corée du Sud mais elle ne se positionne qu’en 24e place dans le classement, avec une participation de 0,4%. […] Au Venezuela en 2006, les cinq principaux pays d’origine des investissements accumulent 73% des flux entrants et aucun d’entre eux n’est en développement et extrarégional. Les autorités vénézuéliennes notent néanmoins un intérêt croissant de la part des entreprises chinoises et iraniennes92. […]

c) Espoir ravivé dans le sillage de la crise

Les déclarations d’intérêt et les visites s’accélèrent à partir de 2007. Les représentants de la Corée du Sud et de Singapour confirment leur attention à l’égard de l’Amérique du Sud, mais bien plus, les autorités d’Arabie saoudite, du Koweït, de Libye, des Émirats arabes unis, d’Algérie, du Qatar, de la Corée du Sud, de l’Inde et de Singapour manifestent un intérêt nouveau pour la région […]. En 2009, deux initiatives sont lancées : un Forum annuel d’investisseurs Amérique latine-Chine - il réunit 800 participants en 2010 - et le Gulf Latin America Leaders Council qui aspire à attirer les fonds souverains des pays du Golfe arabique en Amérique latine93. Les intérêts éveillés commencent à se traduire en acte.

L’année 2010 révèle en effet un changement potentiel dans le domaine des flux financiers. Si la crise financière entraîne une chute des investissements entre pays en développement en 2009, une forte reprise a lieu dès l’année suivante94. D’ailleurs, en 2010, les IDE Sud-Sud englobent pour la première fois 47% des flux globaux (contre 27% en 2007). Cette progression est en partie due à la situation toujours difficile dans les pays développés. Alors que les IDE dans les États du Sud augmentent de 10%, ils diminuent de 7% dans ceux du Nord. Il convient de préciser en outre que l’investissement mondial reste encore inférieur à son niveau d’avant la crise. Au sein du monde en développement, l’Amérique latine et les Caraïbes améliorent leur participation en tant que récepteur d’IDE, leur part passe de 5% en 2007 à 10% en 2010. Les mouvements Sud-Sud demeurent cependant minoritaires avec 22% de l’ensemble, malgré leur caractère plus dynamique que les flux traditionnels95.

http://www.inversionextranjera.cl/index.php?option=com_content&view=article&id=136&Itemid=102 (03/03/2010). 90 Les analyses suivantes se fondent sur les données des annexes n° 19 et 20, p. 264-270 et 271-285. 91 Pour 2009, il s’agit d’une estimation. 92 Il est difficile d’être plus précise car aucune des données en circulation ne se ressemble. 93 http://www.gllc.org/english/?page_id=2 (15/03/2010). 94 La chute des IDE entrants en 2009 a été de 42% en Amérique latine et aux Caraïbes. CNUCED, World Investment Report, Rapport annuel, 2009, p. 40-41 ; CNUCED, World Investment Report, Rapport annuel, 2010, p. XVII et « Brasil registró en 2010 récords de inversión extranjera y de déficit externo », Efe, 25 janvier 2011. 95 CEPAL, Panorama de la Inserción Internacional de América Latina y el Caribe 2010-2011. La región en la década de las economías emergentes, Rapport annuel, septembre 2011, p. 60 ; CNUCED, World Investment Report, Rapport annuel, 2011, p. XII.

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Des accords plus importants sont annoncés et de nouveaux partenaires se manifestent. La visite du dirigeant chinois Hu Jintao au Brésil en 2010 est l’occasion de la signature de contrats dans les domaines de la production pétrolière, de la sidérurgie ou encore de l’électricité. La compagnie chinoise Sinopec investit notamment 7,1 milliards de US$ pour acquérir 40% de Repsol Brasil. La Chine a également augmenté sa présence au Chili et au Venezuela96. Selon la CEPAL, en 2010, les entreprises d’origine chinoise atteignent 9% des IDE entrants en l’Amérique latine et aux Caraïbes, ce qui représente environ 15 milliards de US$. La Chine se propulse de la sorte à la troisième place des investisseurs étrangers derrière les États-Unis et les Pays-Bas. Concrètement, tandis que les investissements chinois ne s’élevèrent qu’à 255 millions de US$ entre 1990 et 2009 au Brésil ; ils culminent à environ 9,5 milliards seulement pour l’année 2010. Plus de 90% de ces flux se dirigeraient vers les secteurs des hydrocarbures et des mines, ce qui confirme les domaines favorisés par les acteurs chinois lors des années précédentes97.

De plus, des partenaires jusqu’alors timides se montrent plus audacieux depuis 2009, spécialement les fonds souverains arabes et asiatiques comme la Qatar Investment Authority (QIA), l’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) ou Temasek de Singapour. Ces mouvements se font surtout en faveur du Brésil, mais des projets sont aussi à l’étude au Chili et au Venezuela. La moitié des investissements indiens au Brésil entre 2002 et 2009 ont de même eu lieu ces deux dernières années […]. Toutefois, les chiffres de 2010 ne permettent pas de conclure sur la durabilité de ces flux. Tous les IDE entrants de ces dernières années se sont effectivement avérés très instables. Par exemple, le Brésil en reçoit 45 milliards de US$ en 2008, mais ils chutent à 26 milliards l’année suivante, avant de remonter à 48 milliards en 201098. […]

Dans son ensemble, la relance économique ne présente pas un profil homogène. Cet état des lieux éclaté rend impossible l’appréciation du monde en développement comme un bloc unifié. Nous pouvons toutefois dégager deux constantes valables pour le Brésil, le Chili et le Venezuela. Le mouvement de rattrapage commercial et l’aspect naissant des flux financiers attestent de l’internationalisation de leurs économies par le Sud. Il y a par conséquent eu coïncidence entre les projets gouvernementaux et l’essor des échanges avec les pays en développement. Ceux-ci ne dépendent pas seulement des volontés politiques mais aussi de l’intérêt d’autres acteurs, de l’évolution des cours mondiaux, du contexte global ou encore du profil de l’économie nationale. En ce sens, les liens économiques se transforment en facteurs importants de durabilité des relations Sud-Sud. Ils favorisent de surcroît la mise en relation du monde en développement, ce qui a des retentissements sur la création et l’élaboration d’autres politiques.

C - Une diplomatie solidaire à la mode

Les activités de coopération n’ont historiquement pas été l’apanage des pays riches ; les gouvernements brésiliens en ont mis en place dès les années 1970 et leurs homologues vénézuéliens ont participé aux opérations du Fonds OPEP. L’originalité des « nouveaux donateurs » ne réside pas tant dans leur apparition récente, contrairement à ce que pourrait

96 « China fortalece negocios con minería chilena », La Nación, 14 avril 2009. « Alianza Repsol-Sinopec en Brasil: la unión de un gigante energético en América Latina », Infolatam, 28 octobre 2010 ; « Sinopec compra 40% da Repsol Brasil por US7,1 bi », O Globo, 1er octobre 2010. 97 CEPAL, « La República Popular China y América Latina y el Caribe. Hacia una nueva fase en el vínculo económico y comercial », Document n° LC/L.3 340, juin 2011, p. 25. 98 CNUCED, World Investment Report, Rapport annuel, 2011, p. 22.

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amener à croire leur appellation ; elle s’explique plutôt par l’intensification de leurs activités solidaires et par la multiplication de leur nombre. La diplomatie solidaire devient une composante obligée des politiques extérieures, telle une suite logique à la diversification des partenaires au Sud. Le statut de pays en développement ne représente plus une barrière mais au contraire une justification, il devient un instrument assumé au service de l’action extérieure99. Le développement s’assimile à un objectif collectif pour l’accomplissement duquel chacun est invité à participer à sa concrétisation universelle. La coopération Sud-Sud serait spécifique par rapport aux traditionnelles logiques d’aide Nord-Sud car elle relie entre eux des pays aux défis similaires et dont les expériences communes permettent une plus grande efficacité des projets100. Chacun apporte son savoir-faire en vue d’aider ses partenaires à sortir de la pauvreté, ce qui favorise en même temps le rapprochement des pays concernés. […]

Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), instance onusienne historiquement en charge d’étudier ces relations, la coopération Sud-Sud signifie que des pays en développement cherchent à s’aider entre eux par le partage de connaissances et de savoir-faire techniques ou économiques101. Cette définition nous semble restrictive au regard de la variété des activités constatées sur le terrain. Nous proposons donc d’utiliser le terme de « diplomatie solidaire » qui permet d’élargir l’éventail des actions concernées. Nous incluons sous ce label les projets de coopération technique, c’est-à-dire le transfert de connaissance dans des domaines d’expertise du pays donateur, et scientifique, que nous entendons comme la collaboration d’instituts et d’universités, ce qui comprend la mise en place de bourses d’études. De plus, ces dernières années sont apparues de nouvelles modalités d’expression de la solidarité, telles que l’allégement de la dette et l’assistance humanitaire102, que nous étudierons dans un deuxième temps. Enfin, l’aide reçue par les pays étudiés en provenance d’autres États du Sud est également abordée. Le choix a été fait d’exclure l’octroi de prêts du champ de la diplomatie solidaire parce qu’il suppose un remboursement et aussi du fait que, dans nos cas d’études, il est surtout utilisé pour soutenir des activités économiques103. Or, la coopération Sud-Sud se déclare exempte d’intérêts économiques104.

[…] les estimations sur l’état réel de la diplomatie solidaire varient beaucoup entre elles, ce qui impose une grande prudence analytique. Cependant, elles s’accordent sur un point : toutes les facettes de la diplomatie solidaire ainsi que l’engagement des trois pays augmentent ces dernières années, ce qui nous autorise et nous incite à nous pencher sur cet aspect de la densification matérielle105. Le point de départ historique de la diplomatie solidaire a été la coopération technique, qui reste l’activité privilégiée des actions brésiliennes et chiliennes. La hausse du nombre de projets dans ce domaine ne suffit pas pour résumer le rapprochement en cours ; de nouvelles modalités d’action émergent en effet, contribuant à la

99 Celso AMORIM, « A cooperação como instrumento da política externa brasileira », ViaABC, juin 2006. ABC/IPEA, Cooperação brasileira para o desenvolvimento internacional: 2005-2009, Rapport, décembre 2010, p. 8 : introduction de Marcio Pochmann, président de l’IPEA et de Marco Farani, directeur de l’ABC. 100 Notre objet n’est pas ici de réfléchir aux ambiguïtés des discours sur la coopération Sud-Sud mais de nous concentrer sur son intensification. Pour leur analyse, cf. chapitre V-A-2-b, p. 383-393. 101 http://ssc.undp.org/faq/ (14/12/2010). 102 Comme nous l’avons déjà souligné, les autorités brésiliennes n’incluent pas cette dernière dans leurs rapports sur la coopération Sud-Sud mais les partenaires qu’elles viennent de mandater pour faire un bilan de leurs opérations ont décidé de la prendre en compte. Voir Guilherme de Oliveira SCHMITZ, João Brigido Bezerra LIMA, Rodrigo Pires de CAMPOS, « Cooperação Brasileira para o Desenvolvimento Internacional: primeiro levantamento de recursos investidos pelo governo federal », Boletim de Economia e Política Internacional, n° 3, juillet-septembre 2010, p. 35-45. 103 Cf. supra, p. 179-181. 104 Cf. chapitre V-A-2-b, p. 383-385. 105 Pour un état des lieux des principales estimations, cf. annexe n° 23, p. 291-292.

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diversification des liens existants. Parmi celles-ci, nous détachons la coopération scientifique, la coopération triangulaire Sud-Sud, l’allégement de la dette et l’assistance humanitaire.

1) La recrudescence du nombre de projets

a) La confirmation brésilienne

Le Brésil est celui des trois pays étudiés dont la diplomatie solidaire présente le profil le plus varié et l’engagement le plus important, ce qui correspond avec la proportionnalité de ses moyens d’action, en comparaison avec le Chili et le Venezuela. Selon des chiffres communiqués par l’Agence brésilienne de coopération (ABC), le budget octroyé à l’Afrique a été multiplié par 1 733,5% entre 2003 et 2009 et il représente 50,8% des moyens mis à disposition par l’Agence. La distance géographique rend les projets plus ou moins coûteux. Les activités menées en Amérique latine et aux Caraïbes sont ainsi moins onéreuses et plus nombreuses, ce qui n’ôte rien à l’importance nouvelle accordée au continent africain106. L’Asie et le Moyen-Orient voient également leur budget augmenter de 621,5%, avec une participation totale à hauteur de 10,6% des ressources de l’ABC107. Il est toutefois difficile de différencier la part des projets financés seulement par le Brésil de ceux concrétisés en partenariat avec des pays tiers ou des organisations internationales, puisque la précision n’est pas systématique.

Le nombre d’accords et de pays bénéficiaires s’élargit à partir de 2003, en particulier en Afrique. Alors qu’en 2007, l’ABC évoque 125 projets avec ce continent, à différentes étapes d’exécution, le gouvernement en recense presque 300 au moment du bilan des deux mandats du président Lula. 21 partenaires africains étaient concernés en 2007 - selon le rapport de l’ABC - contre 40 en 2010, et ce nombre augmente de 2 à 8 pour l’Asie et le Moyen-Orient sur la même période […]. L’approche de la fin du second mandat du leader brésilien n’a pas ralenti la cadence, ce qui témoigne d’une volonté gouvernementale de s’inscrire sur le long terme, dans une stratégie qui dépasse un programme politique particulier. De mars à novembre 2010, 4 accords ont été souscrits avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), 6 avec la Guinée-Bissau, 7 avec l’Angola, 3 avec la Syrie, 7 avec la Zambie et 5 avec le Mozambique, dans les seuls domaines de la coopération technique et scientifique […].

La coopération touche des secteurs prioritaires, spécifiques aux réussites nationales brésiliennes. Cette particularité confirme que les thématiques de la diplomatie solidaire Sud-Sud varient en fonction des parcours nationaux des pays donateurs. Le bilan sectoriel des activités du Brésil par région en 2007 présente cinq domaines principaux en Afrique : la santé (22,42%), la formation professionnelle (21,79%), l’agriculture (17,26%), l’éducation (15,53%) et le développement social (5,54%)108.

En se fondant sur des programmes nationaux d’excellence, les projets de coopération incluent de plus en plus d’entités qui se transforment en des agents actifs de l’approfondissement des relations Sud-Sud. La diplomatie solidaire brésilienne engage une multitude d’institutions publiques dont certaines ont connu une diversification importante de

106 Environ 400 projets sont comptabilisés, via l’ABC, en Amérique latine et aux Caraïbes contre 300 en Afrique. Secrétariat de la présidence de la République, « Política Externa », Balanço de Governo 2003-2010, Axe IV Livre 1, décembre 2010, p. 55-56. 107 Itamaraty, « Anexo. Cooperação Internacional. Cooperação bilateral prestada. », Fiche préparatoire n° 7.1.1. au Balanço de Governo 2003-2010, 2010, p. 12 et 14. Voici les montants rendus publics : Afrique : de 524 068,48 US$ à 9 608 816,64 US$ entre 2003 et 2009 ; Asie et Moyen-Orient : de 278 962,30 US$ à 2 012 682,60 US$ entre 2003 et 2009. 108 ABC, op. cit., juillet 2007, p. 58 : cette répartition correspond au profil général de la coopération brésilienne.

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leurs activités avec des partenaires en développement. Ainsi, parmi les secteurs prioritaires, les organismes qui s’occupent de la santé ont internationalisé leurs activités vers le Sud. Le Brésil dispose en effet de programmes nationaux de lutte contre le Sida ou contre certaines maladies tropicales (paludisme, anémie falciforme), dont les résultats sont très positifs109. Fortes de cette expérience, les autorités ont développé 53 projets avec 29 partenaires en développement extrarégionaux dont 22 africains110. La Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), qui est une institution de science et technologie rattachée au Ministère de la santé, poursuit de cette manière son ancrage international par le Sud. En 2008, le président Lula inaugure le premier bureau international de la Fondation à Maputo, capitale du Mozambique […]. Au début des années 2000, les rapports d’activités de la Fiocruz dévoilent des projets internationaux surtout multilatéraux et en direction des pays lusophones. Puis, le nombre de partenaires croît au cours de la décennie, notamment grâce à sa participation à des campagnes de vaccinations internationales […]. La Fondation reçoit plus de 70 étudiants lusophones africains entre 2001 et 2004, contre seulement 30 au cours des vingt années précédentes111.

Dans le domaine agricole, c’est l’Entreprise brésilienne de recherche agropastorale (Embrapa) qui est le plus souvent sollicitée car elle dispose de technologies de pointe en matière de culture tropicale et d’énergie renouvelable. 50 accords auraient été signés avec 18 pays africains de 2003 à 2010112. Entre 2008 et 2009 seulement, 250 personnes d’origine africaine ont bénéficié d’une formation de la part des différentes unités de l’Embrapa113. Au Moyen-Orient depuis 2001, l’Entreprise a travaillé en Irak, au Liban et dans les Territoires palestiniens114. Avec l’élargissement de ses activités internationales, l’Embrapa se diversifie et institutionnalise ses nouvelles orientations. Selon l’ABC, l’agriculture est le domaine qui suscite le plus d’intérêt de la part des Africains, d’où l’installation d’un Bureau de l’Entreprise au Ghana en 2008 et de représentants au Mali, au Mozambique et au Sénégal deux ans plus tard115. En mai 2010, l’Embrapa a également inauguré à Brasilia un Centre d’études stratégiques et de formation en agriculture tropicale, le CECAT, qui permet de répondre à plus de demandes […]. De nouvelles institutions s’initient également à la coopération, telles que la Caixa Econômica Federal, une banque publique qui appuie les gouvernements dans l’octroi d’assistance technique. Depuis 2009, elle coordonne une activité en développement urbain au Mozambique116. […]

Les pays lusophones sont en effet les principaux récepteurs de projets117. Dans le rapport de 2007, les cinq principaux récepteurs africains sont tous lusophones et englobent

109 En généralisant l’accès aux soins depuis 1996, les gouvernements brésiliens, appuyés par des organisations non-gouvernementales, ont réussi à endiguer l’expansion du VIH. En 2005, la situation brésilienne était de 610 000 personnes infectées dont 160 000 en traitement. I CNPEPI, Brasilia : FUNAG, 2007, p. 64. 110 D’autres partenaires non-africains sont concernés tels que la Chine, la Thaïlande, le Timor oriental, le Liban et l’Autorité palestinienne. Secrétaire général de l’ONU, État de la coopération Sud-Sud, Rapport n° A/62/295, 23 août 2007, p. 10, Secrétariat de la présidence de la République, op. cit., p. 36 et 40 et « Cooperação técnica brasileira em saúde », ViaABC, mars 2007, 24 p. 111 Fiocruz, Relatório de Atividades 2001-2004, Rapport, mai 2005, p. 78. 112 ABC, Dialogue Brésil-Afrique Sur la Sécurité Alimentaire, la Lutte Contre la Faim et le Développement Rural, Rapport, 2010, 136 p. et Secrétariat de la présidence de la République, op. cit., p. 37. 113 Beatriz da Silveira PINHEIRO, Antonio Carlos PRADO, Elisio CONTINI, « Capacitação Internacional em Agricultura Tropical: A Experiência da Embrapa », in I Curso para diplomatas africanos, Brasilia : FUNAG, 2011, p. 116. 114 « Embrapa firma acordo de cooperação com Egito », ANBA, 20 mai 2010. 115 Beatriz da Silveira PINHEIRO, Antonio Carlos PRADO, Elisio CONTINI, op. cit., p. 113. 116 Tadeu Morato MACIEL, « A cooperação Sul-Sul como contribução estratégica para a política externa brasileira », Intervention lors du IIe Symposium de « postgraduation » en relations internationales du Programme San tiago Dantas, São Paulo, 16-18 novembre 2009, p. 20 et « Caixa implementa ações de cooperação técnica em Moçambique », Note de l’ABC, 11 septembre 2009. 117 Le site de l’ABC est très clair sur ses priorités : suivre les engagements présidentiels et ministériels ; puis s’intéresser aux pays d’Amérique du Sud ; à Haiti ; aux pays lusophones africains ainsi qu’au Timor-Leste ;

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77,25% des actions destinées à ce continent : Cap-Vert (19,52%), Guinée-Bissau (18,06%), Mozambique (17,15%), Angola (13,26%) et São Tomé-et-Principe (9,46%). De même, le Timor-Leste reçoit 95,63% de la coopération octroyée à l’Asie, au Moyen-Orient et à l’Océanie. Entre 2005 et juillet 2010, cette concentration se confirme puisque 66,91% du budget de l’ABC se destinent aux pays lusophones […]

Le Brésil fait ainsi véritablement partie des nouveaux donateurs, mais d’autres pays participent également à l’évolution de la diplomatie solidaire.

b) Émergence de « nouveaux nouveaux donateurs »

Les diplomates chiliens, malgré une stratégie plus modeste et ciblée, développent aussi ces dernières années une politique de coopération qui leur permet de tisser des liens avec des partenaires non prioritaires. Cette stratégie a le double avantage de diffuser une bonne image du Chili à l’international et de ne pas l’isoler de régions qui pourraient l’intéresser à l’avenir. C’est l’Agence de coopération internationale (AGCI) qui a la charge de cette politique, en particulier au moyen du Programme de coopération technique entre pays en développement qui gère les projets d’assistance technique et l’attribution de bourses gouvernementales.

Il est difficile de connaître le volume des activités chiliennes parce que toutes n’apparaissent pas dans le rapport de l’Agence, notamment lorsque celle-ci ne participe pas à leur financement. Selon l’AGCI, la très grande majorité des fonds est destinée à la région latino-américaine et caribéenne. De 2006 à 2009, seuls 1,45% des ressources déclarées par l’Agence sont attribués à des bénéficiaires en développement non-régionaux, à savoir le Mozambique (1,35%), la Chine (0,06%) et la Sierra Leone (0,04%). Ces trois pays n’apparaissent parmi les récepteurs de la coopération chilienne qu’en 2008 et 2009. La présentation thématique fait état de quatre projets au Mozambique (dont deux en renforcement institutionnel, un en éducation et un en développement productif) et un en Sierra Leone (en renforcement institutionnel)118. Tout comme au Brésil, la coopération est promue dans des domaines d’excellence nationale, tels que le secteur minier, la pêche ou la modernisation de l’administration. Des cours ouverts aux pays lusophones existent sur la formation des directeurs administratifs119. Mais contrairement au géant sud-américain, le Chili circonscrit ses partenaires privilégiés. […]

En dépit de sa modestie, la coopération chilienne est en voie d’expansion ; il en est de même pour celle du Venezuela.

Hormis des financements octroyés au Fonds OPEP, en très grande partie destinés aux pays caribéens, les autorités vénézuéliennes ont historiquement réalisé peu d’activités avec des partenaires extrarégionaux. En revanche, le président Hugo Chávez insiste de manière récurrente sur la notion de solidarité comme pilier de son projet politique. En interne, une part plus importante du PIB a été investie dans des programmes sociaux, principalement des

ensuite aux autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes ; enfin, appuyer la CPLP et lancer des initiatives triangulaires avec des pays développés et des organismes internationaux. http://www.abc.gov.br/abc/coordenacoesCGPDIntroducao.asp (21/02/2011). 118 Selon le rapport de l’Agence, les montants sont les suivants : Chine : 8 326 US$, Mozambique : 58 808,72 US$ puis 127 612 US$ et Sierra Leone : 5 822,5 US$ sur un total annoncé de 13 839 220, 53 US$. Le budget 2010 a subi de grandes modifications suite au tremblement de terre dans le Sud du pays du 27 février. AGCI, Informe Estadístico 2006-2009, Rapport, février 2010, p. 22-23. 119 « 5ta edición internacional del curso de alta dirección en administración pública », Bulletin de l’AGCI, 2 août 2010.

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Misiones Sociales. Au niveau régional, le projet ALBA120 a, entre autres, promu une intégration axée sur les questions sociales. Cette orientation a des répercussions au-delà des frontières régionales, notamment en Afrique. Suite à la reconnaissance diplomatique de tous les pays de ce continent, le vice-ministère pour l’Afrique a entamé l’encadrement juridique de ces liens. Comme au Brésil, les gouvernements vénézuéliens élaborent un cadre légal leur permettant d’effectuer des projets bilatéraux de manière plus continue. Avant 1999, seul le Sénégal avait signé un Accord-cadre de coopération avec le Venezuela ; en 2010, 32 sont répertoriés, auxquels il convient d’adjoindre celui conclu avec la Ligue arabe […]. De plus, des documents similaires ont été concrétisés avec l’Iran en 2004, puis avec la Palestine, la Syrie et la Turquie en 2009121.

Ces multiples accords ont débouché sur la mise en place de projets de coopération. Une Direction de coopération internationale, Unidad África, travaille à la coordination entre les différentes activités et propose de nouveaux thèmes de discussions122. Les domaines de prédilection de l’action vénézuélienne sont l’énergie, la santé, l’éducation, l’habitat et l’eau123. Cette description se retrouve dans l’éventail des textes signés avec l’Afrique : coopération dans les secteurs énergétique, sanitaire, éducative et agricole avec la Guinée-Bissau, le Ghana et l’Érythrée124. Les gouvernements d’Hugo Chávez se sont particulièrement démarqués dans le secteur de la santé, en proposant à plusieurs gambiens malades du cœur de recevoir des soins à Caracas et en promettant de s’engager dans la lutte contre la malaria125. Mais leur projet phare, baptisé Apadrina una escuela en África, concerne l’éducation. Il consiste à fournir du matériel scolaire, voire à rénover les locaux d’écoles africaines. Initialement lancé de manière expérimentale à Addis Abeba, capitale de l’Éthiopie, en 2006, le programme s’est étendu à 16 pays et en vise 21 deux ans plus tard. Entre 125 000 et 150 000 enfants bénéficieraient des efforts vénézuéliens. De nouvelles tâches sont prises en charge, comme la reconstruction de bâtiments ou encore la mise en place de transport scolaire (par exemple l’achat de pirogues pour des villages isolés au Bénin) […]. Enfin, la coopération vénézuélienne s’institutionnalise également puisqu’un Fonds autonome pour la coopération internationale existe au sein de la Banque de développement (BANDES) auquel s’ajoute depuis juillet 2007 le « Fonds pour soutenir le financement de projets de développement social et humanitaire en Afrique », doté de 10 millions de US$126. Ce dernier a déjà été sollicité pour la construction de logements sociaux au Mali et au Bénin et d’infrastructures en Gambie127. Les gouvernements d’Hugo Chávez ont développé une stratégie de coopération dont les réalisations commencent à être visibles. Dans le cadre de la diplomatie solidaire, l’intensification des liens apparaît beaucoup plus importante que dans le domaine commercial.

120 L’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique-Traité de commerce des peuples (ALBA-TCP) est une organisation régionale lancée en 2005. Cf. chapitre V-B-1-a, p. 397-398. 121 « Siria y Venezuela suscriben acuerdo marco », Boletines del MPPRE, 3 septembre 2009 ; « Venezuela y Turquía firman acuerdo de cooperación y mecanismo de diálogo político », Boletines del MPPRE, 23 octobre 2009 ; « Venezuela y Estado de Palestina firman convenios de cooperación », Boletines del MPPRE, 28 novembre 2009 : le Venezuela a reconnu l’existence de l’État palestinien début 2009, d’où la terminologie. 122 MPPRE, Libro amarillo 2007, p. 587. 123 ECOSOC, Trends in South-South and triangular development cooperation, Background Study for the Development Cooperation Forum, avril 2008, p. 27. 124 « Presidente Chávez recibe a primer ministro de Guinea Bissau Carlos Gomes », Boletines del MPPRE, 21 octobre 2009 ; « Delegación de alto nivel de Ghana de Visita Oficial en Venezuela », Boletines del MPPRE, 18 mars 2010 ; MPPRE, Libro amarillo 2006, p. 332. 125 MPPRE, Memoria y cuenta año 2009, Rapport des activités pour l’Assemblée nationale, p. 148 ; « Venezuela es el tercer país latinoamericano con presencia en África », MINCI Prensa presidencial, 30 août 2008 et « Venezuela no controla la malaria pero irá a África a combatirla », El Nacional, 2 février 2006. 126 MPPRE, Libro amarillo 2006, p. 339 et Aáron LIENDO, África en el contexto global actual, Caracas : MINCI, Ideas Claves, 2008, p. 46. 127 MPPRE, « Relaciones internacionales Venezuela-África 2005-2008 », Powerpoint interne, 14 octobre 2008, p. 47 et « Banco de Desarrollo Económico y Social otorga US$ 135 millones a otros países », El Nacional, 14 mars 2008.

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Les trois pays à l’étude renforcent tous leur coopération Sud-Sud extrarégionale, quelle qu’en soit la proportion, avec une attention particulière à l’égard du continent africain. Nous avons remarqué que le processus se fonde souvent sur les affinités héritées des périodes précédentes. Un aspect complémentaire de la diplomatie solidaire réside ensuite dans les échanges scientifiques. […]

La diplomatie solidaire représente donc un axe supplémentaire privilégié par les gouvernements brésiliens, chiliens et vénézuéliens dans leurs stratégies à l’égard des pays du Sud depuis le début des années 2000. En dépit de modalités d’actions diverses et de mouvements parfois naissants, un resserrement matériel apparaît et s’amplifie tout au long de cette décennie. La volonté de participer au développement mondial tout en permettant à ces acteurs d’affirmer leur capacité de réussite est indéniable. Des contacts se nouent dans des domaines historiquement peu sollicités. Nous avons précisé dès l’introduction de ce chapitre que la durabilité des relations entre les pays en développement s’avère indispensable pour créer des liens de solidarité. Or, la diversification des thématiques dans le rapprochement Sud-Sud implique l’engagement d’un plus grand nombre d’entités de part et d’autre, ce qui participe à l’ancrage de ces initiatives dans les politiques extérieures.