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ENTRE NOUS / Vol. 29, n o 4 Dépêches régionales é Région de l’Atlantique L es 223 pierres tombales du cimetière des pionniers de Dorchester, le plus ancien car datant de 1781, se tiennent aujourdhui bien droites, étincelantes sous le soleil de septembre. Le cimetière, situé tout près du pénitencier de Dorchester et de létablissement Westmorland, sur un terrain incliné dun demi-acre surplombant la vallée de Memramcook, était littéralement tombé en ruines au cours des siècles. Plusieurs pierres tombales étaient abîmées et certaines avaient complètement été détruites. Puis en 2001, des mois de travaux de restauration ont commencé, et, lorsquils furent terminés, les prix ont commencé à pleuvoir, dont lun des plus récents et des plus prestigieux au pays, le prix de la Fondation Héritage Canada. Le Prix dexcellence de la Fondation Héritage Canada, qui est décerné en vue « de souligner les efforts dindividus ou de groupes ayant travaillé récemment à la conservation du patrimoine de la province » a été remis aux détenus et aux employés de létablissement Westmorland et présenté à son directeur, M. Mike Corbett, lors dune cérémonie spéciale, tenue le 10 septembre 2004. Pour madame Alice Folkins, présidente de la Société historique Westmorland, qui a présenté la candidature des détenus et des employés de létablissement Westmorland, ce choix était logique : « Ce que ces hommes ont fait est tout simplement merveilleux, merveilleux ». En 2001, 70 détenus de létablissement Westmorland ont décidé quen restaurant le cimetière, ils travailleraient pour le bien de la collectivité, même sil ne sagissait pas nécessairement de la collectivité doù ils Le cimetière des pionniers de Dorchester : plus quune restauration, une résurrection Par André Veniot, pigiste Photo: Rob Stears Le 10 septembre 2004, le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, Herménégilde Chiasson (à gauche), a présenté le prix dexcellence de la Fondation Héritage Canada au directeur de létablissement Westmorland, Mike Corbett, pour les travaux de restauration que les détenus et les employés de son établissement ont effectués dans le cimetière des pionniers de Dorchester. ENTRE NOUS

Le cimetière des pionniers de Dorchester : plus qu’une ......ENTRENOUS / Vol. 29, no4 Dépêches régionales Région de l’Atlantique L es 223 pierres tombales du cimetière des

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  • ENTRE NOUS / Vol. 29, no 4

    Dépêches régionalesépêches régionalesRégion de l’Atlantique

    Les 223 pierres tombales du cimetière des pionniers de Dorchester, le plus ancien car datant de 1781, se tiennent aujourd’hui bien droites, étincelantes sous le soleil de septembre.

    Le cimetière, situé tout près du pénitencier de Dorchester et de l’établissement Westmorland, sur un terrain incliné d’un demi-acre surplombant la vallée de Memramcook, était littéralement tombé en ruines au cours des siècles. Plusieurs pierres tombales étaient abîmées et certaines avaient complètement été détruites. Puis en 2001, des mois de travaux de restauration ont commencé, et, lorsqu’ils furent terminés, les prix ont commencé à pleuvoir, dont l’un des plus récents et des plus prestigieux au pays, le prix de la Fondation Héritage Canada.

    Le Prix d’excellence de la Fondation Héritage Canada, qui est décerné en vue « de souligner les efforts d’individus ou de groupes ayant travaillé récemment à la conservation du patrimoine de la province » a été remis aux détenus et aux employés de l’établissement Westmorland et présenté à son directeur, M. Mike Corbett, lors d’une cérémonie spéciale, tenue le 10 septembre 2004.

    Pour madame Alice Folkins, présidente de la Société historique Westmorland, qui a présenté la candidature des détenus et des employés de l’établissement Westmorland, ce choix était logique : « Ce que ces hommes ont fait est tout simplement merveilleux, merveilleux ».

    En 2001, 70 détenus de l’établissement Westmorland ont décidé qu’en restaurant le cimetière, ils travailleraient pour le bien de la collectivité, même s’il ne s’agissait pas nécessairement de la collectivité d’où ils

    Le cimetière des pionniers de Dorchester :

    plus qu’une restauration, une résurrectionPar André Veniot, pigistePhoto: Rob Stears

    Le 10 septembre 2004, le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, Herménégilde Chiasson (à gauche), a présenté le prix d’excellence de la Fondation Héritage Canada au directeur de l’établissement Westmorland, Mike Corbett, pour les travaux de restauration que les détenus et les employés de son établissement ont effectués dans le cimetière des pionniers de Dorchester.

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  • 2ENTRE NOUS / Vol. 29, no 4

    provenaient. Cette initiative avait été lancée à l’établissement dans le cadre d’un programme de justice réparatrice.

    « Le cimetière était vraiment dans un état piteux », déclare M. Duncan, un détenu de l’établissement Westmorland et l’un des membres du groupe original qui a travaillé au projet. Les autres détenus ont purgé leur peine et sont partis. Dans quelques mois, Duncan partira lui aussi, mais tous ces détenus auront réussi à laisser leur marque dans la collectivité.

    « Certaines pierres étaient couvertes de lichen et de mousse. D’autres étaient complètement renversées. On n’arrivait plus à y lire ce qui était écrit. Certaines s’étaient même enfoncées dans le sol », indique Duncan, examinant le travail que lui et ses amis ont accompli.

    Le directeur de l’établissement Westmorland, M. Mike Corbett, se souvient de la façon dont tout cela a commencé. Jim, un détenu, avait eu cette idée, dans le cadre d’un programme de justice réparatrice. À ce moment, M. Corbett sentait également le besoin de resserrer les liens entre l’établissement et les résidants de Dorchester, la collectivité voisine.

    « Le projet ainsi proposé donnait l’occasion de mettre les principes de la justice réparatrice en pratique, se rappelle-t-il, et de faire quelque chose pour la collectivité qu’elle n’arrivait pas à faire elle-même ».

    Monsieur Corbett a alors rassemblé toute la population carcérale dans le gymnase, soit environ 220 détenus, « pour plaider la cause de ce projet de restauration du cimetière. Je leur ai expliqué qu’ils retourneraient tous un jour dans leur collectivité et que s’ils souhaitaient faire partie de la société libre, ils devaient commencer à contribuer maintenant. Je leur ai dit que s’ils saisissaient cette occasion de compenser pour ce qu’ils ont fait à une victime ou à une collectivité, ils pourraient sortir de prison la tête haute. Finalement, j’ai mis l’accent sur le fait que ce projet, qui avait été proposé par l’un des leurs, leur permettrait d’accomplir ces deux choses à la fois ».

    Près de 70 détenus se sont portés volontaires. « Un très bon pourcentage, mentionne M. Corbett, nous disposions maintenant de la main-d’œuvre requise et nous, les détenus, les employés et les membres du comité consultatif de citoyens, avons pris la décision de le faire. Très rapidement, une relation de travail s’est instaurée entre les responsables de notre établissement, la Société historique de Dorchester et l’Église Unie locale. »

    Leurs efforts se sont poursuivis tout au long du printemps et de l’été 2001. Un comité de planifi cation a été formé. Premièrement, les responsables du projet ont tracé le plan du cimetière et catalogué et numéroté chaque pierre. Puis, ils ont décidé par quelle partie commencer.

    « Jim avait déjà travaillé comme maçon, et il est très brillant. Il savait ce que nous devions faire et quels produits chimiques nous devions utiliser. Il fallait agir bien délicatement avec les pierres, parce qu’elles sont vieilles », explique M. Corbett.

    Les détenus ont lavé les pierres au moyen d’une solution acide, ils les ont nettoyées avec des brosses métalliques et de la vapeur, en utilisant des cure-dents sur le lettrage; enfi n, ils ont appliqué sur les pierres un revêtement de résine époxyde claire pour les protéger contre les intempéries. Ils ont dû percer plusieurs pierres pour y introduire des tiges de métal afi n de les consolider et, dans d’autres cas, ils ont dû refaire complètement la base des pierres pour que celles-ci puissent tenir encore debout.

    Cinq détenus ont travaillé à temps plein pendant le jour, tandis que les autres travaillaient en soirée et durant les fi ns de semaine – plus de 2 000 – plus de 2 000 –heures ont ainsi été données en six mois.

    « Vous pouviez percevoir avec le temps un changement chez les détenus qui participaient au projet, déclare le directeur Corbett. Au début, il s’agissait simplement d’un projet de travail, mais, à mesure que les travaux progressaient, vous pouviez ressentir toutes sortes d’émotions. Il y avait de la tristesse, lorsque les détenus nettoyaient les pierres des enfants qui étaient morts jeunes. Plusieurs avaient eux-mêmes des enfants et ils se demandaient de quoi ces enfants-là étaient morts. Il y avait également de la déférence, parce que les détenus sentaient qu’ils travaillaient à quelque chose de sacré. Et il y avait aussi de la fi erté légitime pour le travail accompli. ».

    En automne 2001, le village de Dorchester a tenu une cérémonie dans le gymnase de l’établissement Westmorland en vue d’honorer les détenus. « On aurait dit que tout le village y était, se rappelle M. Corbett, les responsables de la Société historique ont remis à chacun des détenus un prix Heritage Circle et les détenus, en retour, leur ont donné un disque compact et un livrecompact et un livrecompact décrivant l’ensemble du projet. Un sentiment de partage et d’appartenance fl ottait dans l’air. »

    Madame Folkins précise que le prix Heritage Circle, remis par la province, est une distinction très spéciale. « Il s’agit d’une distinction personnelle qui a été remise à chacun d’entre eux pour ce qu’ils ont fait. J’ai travaillé comme bénévole pendant 28 ans et je n’ai jamais reçu cette distinction », explique-t-elle en riant.

    Depuis, les détenus ont entrepris d’autres projets dans le village. Ils ont restauré l’église Saint-James et l’ont transformée en un musée du textile. « Ils ont fourni la main-d’œuvre, les échafaudages et les échelles. L’église n’a jamais été aussi belle en 32 ans », précise Mme Folkins.

    De l’avis du directeur de l’établissement, les retombées du projet ont été bien supérieures aux prévisions. « Nous avons mis en place une relation suivie positive avec le village de Dorchester et les détenus ont adhéré au programme de justice réparatrice, explique-t-il. Ils ont fourni une contribution importante à l’histoire riche de Dorchester, au tissu physique de la collectivité. »

    Regardant le cimetière d’un air pensif, M. Duncan déclare « Je n’avais jamais rêvé de quelque chose comme cela. J’ai aimé l’expérience. Vous savez, ces gens étaient aimés de quelqu’un. Alors, nous avons dorloté un peu leurs pierres. »

    À la fi n de la production du disque compact que les détenus ont préparé pour le village, ils ont écrit la phrase suivante : « Le travail du cimetière ne sera jamais terminé, mais notre passage ici a pris fi n. »

    « Vous savez, rapporte Mme Alice Folkins, quelqu’un de Dorchester a dit : «Ce n’est pas une restauration, c’est une résurrection». Cette personne a raison. ».