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Le compte-rendu radiologique en meilleure forme Liliane Ollivier*, Christian Leclère**, Jérôme Leclère*** * Département d’Imagerie, Institut Curie, Paris, France ** CNRS, Institut Gaspard-Monge, Informatique-Linguistique, Université de Marne-la-Vallée *** Département d’Imagerie, Institut Gustave Roussy, Villejuif, France

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Le compte-rendu radiologique

en meilleure forme

Liliane Ollivier*, Christian Leclère**, Jérôme Leclère***

* Département d’Imagerie, Institut Curie, Paris, France

** CNRS, Institut Gaspard-Monge, Informatique-Linguistique,

Université de Marne-la-Vallée

*** Département d’Imagerie, Institut Gustave Roussy, Villejuif, France

Notre objectif est de montrer que la rédaction des comptes-rendus radiologiques est affectée d’une dérive contagieuse dont les signes sont le foisonnement de locutions impropres et la répétition systématique de termes inutiles.

À partir de l’analyse d’exemples, nous étudions la forme des comptes-rendus : concision, style, sémantique. Les exemples cités sont, bien entendu, tout à fait authentiques, il s’agit de comptes-rendus relevés dans des dossiers de patients.

En 1904, Hickey introduisit le terme « interprétation ». En 1922, il constatait que le style des « rapports » était toujours individualiste et excentrique. Il proposa de les standardiser pour « éviter la verbosité et encourager la concision et la clarté ». Près d’un siècle plus tard, on lit beaucoup de comptes-rendus comportant de multiples répétitions de mots, des tics de langage superflus et incorrects. Ces formulations relèvent d’automatismes irréfléchis et sont parfois tellement envahissantes qu’elles nuisent à la compréhension et donc à la crédibilité de l’analyse. Si l’on se donne la peine de mieux construire les textes, on constate qu’il est possible d’être beaucoup plus court tout en gagnant en précision.

Les principales qualités du compte-rendu sont celles qui le rendent utile pour le clinicien : la clarté, la concision et la corrélation avec le contexte clinique.

La concision

La concision Félix Fénéon par Paul Signac

Monsieur Félix Fénéon (1861-1944),

un nom prédestiné à la concision, journaliste et critique d’art, était unspécialiste des phrases courtes. Il tenait dans Le Matin, en 1906, une chronique de faits divers intitulée « Nouvelles en trois lignes », dont voici quelques exemples :

« Madame Fournier, M. Voisin, M. Septeuil se sont pendus : neurasthénie, cancer, chômage. »

« M. Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges, qui jouait au billard, s'est crevé l'oeil gauche en

tombant sur sa queue. »

« C’est au cochonnet que l’apoplexie a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois. Sa boule roulait

encore qu’il n’était déjà plus. »

Concision et brièvetéExemple d’une petite partie d’un très long compte-rendu :

La concision

La description complète des résultats (éléments positifs et éléments négatifs pertinents) doit être brève et dans un ordre logique de priorité.

La concision n’empêche nullement la précision, mais elle est souvent plus difficile que la longueur. Pascal nous le dit dans Les Provinciales, à la fin de la 16ème lettre : "Je n'ai fait celle-ci [cette lettre] plus longue que parce que je n'ai pas eu le loisir de la faire plus courte » et Voltaire, qui reconnaissait que « la plupart des bons mots sont des redites » (Essai sur les mœurs et l'esprit

des Nations), le confirme dans sa correspondance : « Je vous écris une longue lettre car je n’ai pas le temps de vous en écrire une courte. »

Le temps du lecteur est précieux et, si le compte-rendu est trop long, le clinicien ne lira souvent que la conclusion.

Montesquieu nous en averti : « Le lecteur se tue à abréger ce que l’auteur s’est tuéà allonger. »

La répétition et le sens des mots

• À la lecture des comptes-rendus radiologiques, on constate, très souvent, 3 anomalies :

– La répétition systématique de certains mots ou expressions

– qui sont souvent impropres dans le sens où ils sont employés

– et superflus, allongeant et alourdissant inutilement le texte.

• La contagion est étonnante : les mêmes locutions, inutiles et impropres, se retrouvent dans un très grand nombre de comptes-rendus de radiologues d’horizons différents.

Les tics de langages

• Dans les médias :

– « J’ai envie de dire » : a remplacé le « j’veux dire »

– « Jour pour jour » ou mieux : « presque jour pour jour » : « il y a presque 6 ans, jour pour jour » (Le Figaro; 8 sept 2007)

– « Voilà », « et tout », « tout à fait », « comme ça » et le « à partir de là » du footballeur

– « en fait » (très en vogue chez les jeunes)

– et la fulgurante ascension de « sur » : « j’habite sur Lyon », « je travaille sur Paris… », « on est sur un arôme de fruit rouge… », « on est sur des gens qui ont besoin d'un suivi psychiatrique » …

• Dans les comptes-rendus :

– Le sacro-saint « au niveau », aussi envahissant qu’inutile

– « Au plan » : au plan pulmonaire…

– « Du point de vue » : du point de vue parenchymateux….

– « On observe la présence… »

– « Il existe… », « existence… »

– « On retrouve », « on ne retrouve pas »

– « Ce jour »

au niveau de

•• « Au niveau » est la

vedette incontestée des locutions répétitives dans les (au

niveau des) comptes-rendus.

• On la trouve dans (au niveau de)

toutes les phrases, quand ce n’estpas 2 à 3 fois dans la même phrase :

« Au niveau abdominal, persistance de

la lésion au niveau du dôme hépatique »

Exemple : compte-rendu comportant un total de 20

« au niveau »

Patient ayant eu un primitif rénal gauche et des localisations secondaires au niveauthoraco-abdominal.

Technique : L’examen est réalisé d’emblée après injection de produit de contraste en coupes hélicoïdales de 5 mm jointives aussi bien au niveau thoracique qu’au niveau abdominal en deux hélices.

Résultats :

Au niveau cervical inférieur, présence d’un syndrome de masse pouvant correspondre à une thyroïde plongeante…..

Au niveau de la loge de Baréty, on observe la volumineuse adénomégalie avec centre nécrotique qui semble être diminué par rapport à l’examen précédent…

On retrouve la présence d’adénopathie au niveau sous-carénaire de taille quasiment inchangée. Toutefois au niveau de cette adénopathie sous-carénaire on observe un centre nécrotique de petite taille non présent lors de l’examen précédent.

suite ------�

D’un point de vue parenchymateux, on retrouve un nodule tissulaire du lobe supérieur droit au niveau du segment dorsal mesurant ce jour 27 mm, ce qui a donc diminué par rapport à l’examen du 18 juin 1999. Persistance également du nodule au niveau du lobe inférieur droit. Au niveau de la zone hilaire droite, on retrouve le même aspect actuellement que lors de l’examen du 27 août.

Au niveau abdominal, persistance de la lésion au niveau du dôme hépatique qui mesure ce jour 39 mm. Deuxième lésion au niveau d’une bifurcation sus-hépatique visible lors de l’examen précédent. Au niveau périphérique, on observe également la troisième lésion qui est de taille et de morphologie quasiment inchangée. Absence de nouvelle lésion mise en évidence en particulier au niveau du foie gauche.

Au niveau rénal droit, on observe la présence de deux voussures sans altération de la prise de contraste. Présence au niveau de la zone surrénalienne gauche d’une masse arrondie prenant le contraste.

Par ailleurs absence d’adénopathie au niveau abdominal supérieur ou au niveau pelvien. Aspect normal de la loge de néphrectomie gauche.

Conclusion :

Discrète diminution des adénopathies en particulier au niveau médiastinal. Stabilisation des images hépatiques.

L’expression « au niveau de » a au moins deux

sens en français

1 - Elle peut donner une indication « locative »assez précise signifiant au sens propre ou figuré « à la hauteur de » :« L’eau est monté au niveau du plancher »

« Cet enfant n’est pas au niveau de la classe »

2 - Ou être employée comme une locution prépositionnelle vague signifiant « en ce qui concerne » : « au niveau du plancher, j’ai pensé mettre du parquet »

Au niveau n'a pas du tout le même statut dans « L’eau est montée au niveau du plancher » (= jusqu'au niveau du plancher) et dans :

« Au niveau du plancher, j'ai pensé mettre du parquet (= pour ce qui concerne le plancher)

Dans cette deuxième phrase, « niveau » a complètement perdu son sens propre (locatif)"à la hauteur de » . Il en trouve un autre, dû au contexte, dans « au niveau abdominal »,

qui veut aussi bien dire: « en ce qui concerne l’abdomen » que « dans l’abdomen.»

Sens 1 : au (même) niveau : à la hauteur de

Ce sens correct de « au niveau »,

c’est à dire sur le même plan

horizontal , à la même hauteur, est

employé, à juste titre, dans les

comptes-rendus pour indiquer une

position relative par rapport à un

organe ou un repère anatomique :

« cette adénopathie est au niveau

de la bifurcation carotidienne »

Dans notre exemple « au niveau »

est employé trois fois dans ce sens :

au niveau de la zone hilaire droite

(quoique le niveau de la zone…)

au niveau sous-carénaire

au niveau d’une bifurcation sus-

hépatique

Sens 2 : au niveau de : en ce qui concerne

Dans les comptes-rendus, « au niveau »

est très souvent employé dans le sens :

« en ce qui concerne » :

« au niveau abdominal » :

en ce qui concerne l’abdomen

Cet emploi n'est pas incorrect, il est

d'ailleurs répertorié par le Larousse :

« Au niveau de, en ce qui concerne

quelque chose, relativement à, pour ce

qui est de : Au niveau de la pensée, cet

ouvrage est faible" (Grand Larousse

Usuel, 1997).

Mais on peut s’étonner de sa profusionrépétitive.Dans l’exemple précédent « au niveaude » est employé 9 fois dans ce sens :

au niveau thoraco-abdominal

au niveau thoracique

au niveau abdominal

au niveau cervical

au niveau abdominal

au niveau rénal droit

au niveau abdominal supérieur ou au niveau

pelvien.

au niveau médiastinal.

Au niveau de : en ce qui concerneLes puristes n’ont pu empêcher ce sens nouveau, non locatif, d’être consacrépar l’usage intempestif qui en a été fait

Au niveau de : dans, à l’intérieur de

Mais l’utilisation la plus fréquente de« au niveau de » est incorrecte, ambiguë, à la place de « dans » (à l’intérieur de) :au niveau de cette adénopathie ; au niveau du

segment dorsal ; au niveau du lobe inférieur

droit ; au niveau du dôme hépatique ; au

niveau du foie gauche ; au niveau de la zone

surrénalienne….

Au niveau de la loge de Baréty :

quand on entre chez la concierge, onn’est pas au niveau de sa loge, on estbien dans sa loge. Personne nedirait : « Madame la gardienne m’a invité au niveau de sa loge, boire un petit

verre de vin cuit » et pourtant c’est cette tournure que l’on trouve à foison dansles comptes-rendus radiologiques.

Au niveau : un joker prépositionnel

« Au niveau » peut, bien sûr, être employé dans certains cas, mais c’est sa

répétition systématique qui fait douter du niveau de réflexion et d’analyse

du radiologue.

« Au niveau » est une espèce de « joker » prépositionnel qui permet de ne

pas chercher la préposition juste ou une tournure plus concise.

C’est une facilité répétitive qui a eu son heure de gloire (c’était il y a

quelques années le tic de langage le plus flagrant) et qui est restée comme

le parasite le plus répandu dans les comptes-rendus médicaux en général et

radiologiques en particulier.

Les « au niveau » sont inutiles, on peut les supprimer et

aussi alléger le texte

Exemple :

« Au niveau de la loge de Baréty, on observe la volumineuse adénomégalie avec centre

nécrotique qui semble être diminué par rapport à l’examen précédent puisque ce

jour elle est mesurée à 34 mm au lieu de 45 mm. On retrouve la présence

d’adénopathie au niveau sous-carénaire de taille quasiment inchangée par rapport

à l’examen précédent. Toutefois au niveau de cette adénopathie sous-carénaire on

observe un centre nécrotique de petite taille non présent lors de l’examen

précédent. »

= 76 mots

L’adénopathie à centre nécrotique de la loge de Baréty mesure 34 mm (45 mm sur

l’examen précédent). La taille de l’adénopathie sous-carénaire est stable avec

apparition, au centre, d’une petite zone de nécrose. »

= 33 mots : plus de 50% de mots en moins, aucune perte de sens, aucun des « au niveau » n’est nécessaire.

Autres locutions fréquentes

Du point de vue…

Au plan…

Du point de vue parenchymateux

Un point de vue, au sens propre, est un

endroit d’où l’on voit le mieux un paysage et

au sens figuré une manière d’examiner

quelque chose (Larousse). Certains adjectifs,

qui qualifient un « type » de point de

vue, sont corrects : « du point de vue légal »

est le point de vue de la légalité, du droit.

Mais on voit mal un parenchyme se gratter la

tête avant d’exposer son point de vue ou le

radiologue se poster sur le belvédère

parenchymateux pour admirer la campagne

environnante.

Au plan pulmonaire

Concurrençant le « au niveau » et le« du point de vue » nous rencontronstrès fréquemment le « au plan » : « auplan hépatique », « au plan pulmonaire »…

Même s’il n’y a plus du tout le sens de"plan" dans l'expression, on peut critiquer sarépétition systématique et, pour sourire,rappeler que la surface des alvéolespulmonaires mises à plat est d’environ 200 mètres carré et que donc « au planpulmonaire » représente déjà un belappartement !

Autres termes ou expressions très

souvent répétés

Absence de

Présence de, ou on observe la présence de…

Il existe ou existence de…

On retrouve

On ne retrouve pas

Les répétitions

Certains termes, très fréquemment

employés dans les comptes-rendus, sont

corrects mais leur profusion alourdit

considérablement l’ensemble. D’autant

que, le plus souvent, ils sont, là encore,

soit inutiles, soit employés à la place

d’un mot plus simple et plus court.

Absence de

L’exemple le plus fréquent est « absencede » employé à la place de « pas de »

C’est surtout la répétition systématiquede « absence de » qui est lourde, surtoutquand il s’agit de toute une listed’éléments négatifs sans aucun rapportavec le contexte clinique.S’il est important d’insister sur leséléments négatifs pertinents, il est inutilede signaler toutes les « absences » quin’ont rien à voir avec la pathologie,comme l’absence de splénomégalie oud’anévrisme aortique, dans le cas d’uncancer du rein métastatique.

• Suivi évolutif après néphrectomie droite et hépatectomie partielle : extraits du compte-rendu :

• - Au niveau ganglionnaire : Absence

d’adénomégalie décelable au niveaucoelio-mésentérique et au niveau du rétro-péritoine médian.

• - Au niveau des autres organes : Absence d’anomalie morphologique pancréatique. Absence de splénomégalie. Absence de syndrome de masse surrénalien. Au niveau du rein gauche, on retrouve les kystes connus. Pas de dilatation des cavités pyélo-calicielles. Absence d’anévrisme aortique.

• - Au niveau de la loge de néphrectomie droite : Pas de syndrome de masse tissulaire anormal mis en évidence.

• - Au niveau de la cavité péritonéale : Absence d’épanchement. Absence de masse péritonéale décelable et de gâteau épiploïque.

• Au niveau du pelvis : Pas de syndrome de masse tissulaire anormal mis en évidence. Absence d’adénomégalie…

Présence de, on retrouve, on ne retrouve pas

« Présence de », également très fréquent, est souvent précédé de l’inutile « on observe », ce qui donne : « Au niveau rénal droit, on observe la présence… ». Les variantes les plus courantes étant « il existe » ou « existence » comme : « au niveau de la région cicatricielle, existence d’une fibrose ». Pourquoi pas « aspect de fibrose de la région cicatricielle » ?

« On retrouve » précède également souvent la « présence », ce qui est lourd, mais correct lorsqu’on analyse, à nouveau, une lésion connue. De même pour « on ne retrouve pas », si une lésion a disparu ou si elle n’est plusvisible.

Mais, bien souvent, « on retrouve » est employé à mauvais escient, à la place de « on découvre », « on met en évidence ».

Exemple :

Scanner thorax, abdomen, pelvis : Réévaluation d’une LLC (adénopathie cœliaque à l’échographie

abdominale).

Technique :

• Coupes axiales balayant thorax, abdomen, pelvis sans injection.

• Opacification digestive par voie haute.

• Patient allergique à l’iode.

Résultats :

• Au niveau thoracique :• On retrouve de manière nette une infiltration ganglionnaire médiastinale apparaissant plus

ou moins importante suivant les régions.• On ne retrouve pas d’épanchement pleural droit ou gauche.• On ne retrouve pas de manière nette d’adénopathie hilaire.• On retrouve une opacité parenchymateuse de la lingula évoquant plutôt un phénomène de

pneumopathie ou de trouble de ventilation.• Présence également au niveau de cul de sac pleural gauche du même type d’opacité.• On retrouve une infiltration ganglionnaire discrète sus-claviculaire droite, plus importante

en sus-claviculaire gauche.• Plus bas, dans les régions axillaires, on ne retrouve pas de manière nette d’adénopathie.

Exemple (suite)

Au niveau abdomino-pelvien : • Coupes non jointives sur le foie en raison des mouvements respiratoires différents.• Il existe une hépatomégalie.• On ne retrouve pas de manière nette sur les coupes réalisées (qui ne sont pas jointives)

d’image focale.• On retrouve une splénomégalie homogène.• On retrouve une infiltration ganglionnaire importante de la région du hile splénique, de

l’origine du tronc cœliaque, de l’axe aortico-cave dans sa globalité, de l’axe mésentérique supérieur.

• L’infiltration ganglionnaire massive descend jusqu’au niveau de la bifurcation iliaque.• À ce niveau, on retrouve une discrète infiltration ganglionnaire bilatérale.• En inguinal, on ne retrouve pas de manière nette d’adénopathie.• On retrouve par contre en latéro-vésical droit et gauche la présence d’images volumineuses

asymétriques aux dépens du côté droit, évoquant également des phénomènes ganglionnaires.• Absence d’anomalie nette visible au niveau de la région pancréatique ou des reins.Conclusion :

• Infiltration ganglionnaire extrêmement importante au niveau thoracique et abdomino-pelvien avec hépatomégalie et splénomégalie.

• Trouble de ventilation au niveau du poumon gauche.

Le courant impressionniste

Le courant impressionniste

« Le nodule apparaît bien limité, plutôt échogène, relativement homogène avec

toutefois une petite touche d’hétérogénéité au niveau postérieur. »

La petite touche est poétique, elle

transforme le banal cliché

échographique en tableau, en

œuvre d’art. Malheureusement

nous retombons immédiatement

« au niveau » postérieur ….

Le courant impressionniste

On trouve dans la conclusion des

mammographies : « L’impression est à la

bénignité»

« La radiologie est certes un art mais son

courant impressionniste l’éloigne de la

rigueur indispensable imposée par un

dépistage efficace » (Dr Benoit Lucet).

Autres bizarreries

• « Inhomogène » : quelque chose qui n’est pas homogène est hétérogène, « inhomogène » est barbare même s’il existe depuis peu dans le dictionnaire.

• Le « syndrome de masse » est très en vogue, il n’y a plus une masse surrénalienne mais un syndrome de masse dans la loge surrénalienne.

• « Phénomènes … » :« On retrouve la présence d’images volumineuses asymétriques aux dépens du côté droit, évoquant également des phénomènes ganglionnaires. »

« On retrouve une opacité parenchymateuse de la lingula évoquant plutôt un phénomène de pneumopathie. »

Le compte-rendu parapluie

Décelable

Visible

Mis en évidence

Absence de

Ce jour

Le compte-rendu parapluie

Le style traduit, consciemment ou

inconsciemment, l’angoisse de mal

faire, de se tromper, de passer à

côté de quelque chose, d’où

les « décelable » et « visible » qui

ne sont pas répréhensibles mais qui

sont souvent ajoutés dans des

phrases alambiquées : « Absence

d’adénomégalie décelable au niveau

coelio-mésentérique » au lieu de

« pas d’adénomégalie cœliaque ou

mésentérique » (on peut ajouter

« décelable » mais ce n’est pas une

obligation, plutôt une protection).

• « Absence de syndrome de masse

visible » : la masse étant à la fois absente et non visible, le radiologue n’a vraiment aucune raison de la mettre en évidence et se trouve donc deux fois protégé.

• « Absence de nouvelle lésion mise

en évidence au niveau du foie

gauche ». Ici le « mise en évidence » est une formule de prudence qui veut dire « décelée par la technique et par moi-même ». « Pas de nouvelle lésion dans le foie gauche », est plus direct, moins « protecteur », mais c’est ce qui intéresse le clinicien.

• « Ce jour » est un autre mode de protection : « D’un point de vue

parenchymateux, absence de nodule

tissulaire décelable ce jour ». Demain peut-être, mais en tout cas, pas aujourd’hui.

Les absences non justifiées

Les « absences non justifiées » sont

également un moyen de se

protéger, de montrer que tout a été

regardé, mais elles vont contre la

pertinence de l’analyse. Elles

montrent le caractère systématique

de l’examen et non pas l’acuité de

la prise en compte du problème

spécifique posé par le prescripteur,

dans un contexte clinique précis.

Dire : « absence de masse de la

région corporéo-caudale du

pancréas », lors de la surveillance

d’une patiente opérée d’un cancer de

l’ovaire, n’a aucune justification

connue, alors que « pas de masse

ovarienne » chez une patiente ayant

un adénocarcinome digestif est

parfaitement validé par Monsieur

Friedrich Krükenberg lui-même.

Le mythe du risque zéro

La prudence est compréhensible,

d’autant plus justifiée que le mythe du

risque zéro progresse dans la société

et, avec lui, le nombre de procès,

notamment contre les radiologues.

Le document qui va être imprimé à

une valeur médico-légale. Il peut

ressurgir un jour ou l’autre, et c’est de

plus en plus fréquent, dans un cadre

inhabituel, celui des robes noires et

non plus des blouses blanches.

« Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique »

THOMAS DIAFOIRUS

Le fait que le patient soit susceptible de lire lecompte-rendu peut conduire le radiologue àmaquiller la réalité en la dissimulant sous unvocabulaire volontairement incompréhensible.S’il est justifié de ne pas employer des motschoquants, comme « métastase », la périphrasene doit pas, pour autant, être systématique etdevenir un mode permanent de rédaction,surtout si l’examen est normal comme dans :« Absence d’objectivation de secondarité

hépatique » ; dans la mesure où il n’y a pas delésion (décelable ce jour), il n’y a aucuneraison d’utiliser un jargon magique et d’adopterle style de Monsieur Purgon.

Conclusion

• Depuis de nombreuses années, on observe une forme contagieuse de comptes-rendus dans lesquels se multiplient des mots inutiles, des tics de langage alourdissant le texte et obscurcissant le raisonnement, qui semble alors éloigné de la question clinique. Le compte-rendu, qui est le moyen de communication le plus constant avec les médecins et les chirurgiens prescripteurs, est essentiel pour éviter les critiques, toujours promptes, et établir la confiance.

• Le compte-rendu doit répondre le plus directement possible aux questions posées. Il est inutile de faire part de tous nos doutes. Il faut savoir aller à l’essentiel, àl’utile, au pertinent. Le compte-rendu nous engage, reflète le sens clinique et celui des responsabilités. Le développement, sans doute rapide et souhaité par beaucoup, du compte-rendu formaté et informatisé fera probablement disparaître beaucoup des locutions superflues et expressions répétitives. On y gagnera en efficacité, même si on y perd un peu de sel. La vague informatique emportera les nostalgiques de la prose narrative.

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