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Mars 2005, vol. 5, n° 1 Droit, déontologie et soin 79 C HRONIQUES Le concept de dépendance, enjeux et limites de la professionnalisation des métiers de l’aide à domicile Géraldine ANTOINAT Master 2 professionnel « Droit et management des structures sanitaires et sociales », IFROSS, Lyon III. Résumé Le secteur de l’aide à domicile aux personnes âgées occupe aujourd’hui une place de choix au sein de l’actualité sanitaire et sociale. Les pouvoirs publics souhaitent leur développement et leur réglementation. En d’autres termes, le secteur doit se professionnaliser. Mais il s’agit là d’un défi d’envergure, brouillé par l’apparition du concept de « dépendance ». Quels sont donc les enjeux et les limites de cette démarche ? Comment appréhender le vieillissement ? Qui doit s’occuper des personnes âgées ? Les pouvoirs publics, ainsi que les responsables privés, attendent de l’essor des services d’aide à domicile l’émergence de nouvelles activités et la créa- tion d’emplois. Cependant, ces services soulèvent des problématiques inédites et diverses : politiques de l’emploi, rapports entre les générations, articulation des politiques publiques, etc. Les services d’aide à domicile aux personnes âgées constituent un défi pour la société, tant par leur fort contenu relationnel que par l’intrication qu’ils impliquent du privé, du public et de l’associatif. En France, le processus de définition de la politique à destination des per- sonnes âgées est lent et hésitant, soumis aux aléas du calendrier politique et des promesses électorales. C’est ainsi que suite à près de dix années de débats et de rapports officiels, le choix a été fait en 1994 d’expérimenter un nouveau dispo- sitif au sein de quelques départements pilotes. Cette expérimentation donna lieu à l’adoption de la loi provisoire du 24 janvier 1997, instituant la prestation spé- cifique dépendance. Mais cette loi n’ayant permis de couvrir qu’une très faible proportion des besoins des personnes âgées, le gouvernement a souhaité élargir

Le concept de dépendance, enjeux et limites de la professionnalisation des métiers de l’aide à domicile

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Le concept de dépendance, enjeux et limites de la professionnalisation des métiers de l’aide à domicileGéraldine ANTOINAT

Master 2 professionnel « Droit et management des structures sanitaires et sociales », IFROSS, Lyon III.

Résumé

Le secteur de l’aide à domicile aux personnes âgées occupe aujourd’hui uneplace de choix au sein de l’actualité sanitaire et sociale. Les pouvoirspublics souhaitent leur développement et leur réglementation. En d’autrestermes, le secteur doit se professionnaliser. Mais il s’agit là d’un défid’envergure, brouillé par l’apparition du concept de « dépendance ». Quelssont donc les enjeux et les limites de cette démarche ?

Comment appréhender le vieillissement ? Qui doit s’occuper des personnesâgées ? Les pouvoirs publics, ainsi que les responsables privés, attendent del’essor des services d’aide à domicile l’émergence de nouvelles activités et la créa-tion d’emplois. Cependant, ces services soulèvent des problématiques inédites etdiverses : politiques de l’emploi, rapports entre les générations, articulation despolitiques publiques, etc. Les services d’aide à domicile aux personnes âgéesconstituent un défi pour la société, tant par leur fort contenu relationnel quepar l’intrication qu’ils impliquent du privé, du public et de l’associatif.

En France, le processus de définition de la politique à destination des per-sonnes âgées est lent et hésitant, soumis aux aléas du calendrier politique et despromesses électorales. C’est ainsi que suite à près de dix années de débats et derapports officiels, le choix a été fait en 1994 d’expérimenter un nouveau dispo-sitif au sein de quelques départements pilotes. Cette expérimentation donna lieuà l’adoption de la loi provisoire du 24 janvier 1997, instituant la prestation spé-cifique dépendance. Mais cette loi n’ayant permis de couvrir qu’une très faibleproportion des besoins des personnes âgées, le gouvernement a souhaité élargir

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les conditions d’accès à cette prestation : ce fut l’objet de la réforme instituantl’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Cependant, à peine un an aprèssa mise en œuvre, les projets de réforme étaient déjà à l’examen pour s’assurerdu financement de cette prestation, face à l’ampleur des demandes et à la mobi-lisation inquiétante des conseils généraux, principaux financeurs. Le chemin versune prise en charge satisfaisante des personnes âgées semble donc encore long…

Or, outre l’enjeu purement financier que représente le vieillissement de lapopulation, notamment en ce qui concerne la pérennité de nos régimes deretraite par répartition, se pose également la question du nombre de placesdisponibles au sein des différentes institutions qui accueillent les personnesâgées qui ne peuvent plus vivre chez elles. Et c’est justement là que commenceà poindre l’intérêt des politiques qui favorisent le maintien à domicile despersonnes âgées. En effet, quelle meilleure alternative au placement en institu-tion que celle du maintien à domicile ? Le maintien à domicile ne nécessite pasla construction (ni l’entretien) de structures importantes. Par ailleurs, il neperturbe pas les habitudes des usagers. Enfin, les services d’aide à domicilepermettent de garantir à chacun, même aux âges les plus avancés de la vie, lelibre choix de son mode de vie.

Il s’agit d’offrir une palette, la plus large possible, en matière de choix devie. Or, cet objectif correspond au mouvement législatif qui caractérise l’actua-lité sanitaire et sociale et qui vise à garantir les droits des usagers1. Mais cettereconnaissance aujourd’hui accordée aux métiers de l’aide à domicile, impliquede profondes évolutions pour ce secteur majoritairement associatif et bénévole.Le contexte juridico-économique actuel (explosion de l’activité depuis la miseen place de l’APA, nouvelles exigences légales, nouvelles contraintes économi-ques et financières, etc.) impose ainsi la professionnalisation des métiers de l’aideà domicile. Mais qu’entend-on par « professionnalisation » ?

Il nous faut distinguer deux sortes de « professionnalisation » : la profes-sionnalisation entendue par les dirigeants des structures d’aide à domicile (struc-tures majoritairement associatives à ce jour) et la professionnalisation vouluepar les tutelles du secteur social et médico-social. Selon les dirigeants des asso-ciations prestataires2, l’aide à domicile a déjà connu diverses vagues de profes-sionnalisation : création du métier de travailleuse familiale, extension desservices de l’aide ménagère aux personnes âgées, intégration des professionnelsde santé (centres de soins, services de soins infirmiers à domicile – SSIAD –,etc.), création des services de portage de repas à domicile, création de haltes-garderies, d’accueils périscolaires, etc. La professionnalisation est donc ici enten-due comme l’adaptation des services aux nouveaux besoins de la population.

1. Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale ; loi n° 2002-303 du 4 mars2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.2. Aide à domicile en milieu rural. 1945/1995. 50 ans de service à domicile. Naissance et développementd’un mouvement associatif de proximité, l’ADMR. ADMR éditeur, 1995.

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Mais cette mécanique apparemment bien huilée se trouve aujourd’huiconfrontée au véritable défi de la « professionnalisation », concept ici entendude manière bien plus large que précédemment. Il s’agit d’une sorte de profes-sionnalisation « par le haut ». De plus, ce concept revêt désormais de multiplesdimensions qui ne s’arrêtent plus à la seule adaptation des services aux nouveauxbesoins des publics en difficulté. Aujourd’hui, il s’agit d’offrir un service dequalité, respectueux des nouvelles exigences légales et financières. En effet, levieillissement de la population a révélé d’importants problèmes au sein dusecteur de l’aide à domicile : pénurie des personnels et défaut de qualification.C’est sans doute pourquoi nous assistons aujourd’hui à une prise de consciencedes pouvoirs publics : ceux-ci se sont lancés dans une importante réforme desétablissements et services sociaux et médico-sociaux, réforme qui intègre désor-mais les services d’aide à domicile dans le champ de l’aide sociale. Il s’agit d’unevéritable révolution. Cela implique, pour ces associations d’aide à domicile, unencadrement plus strict et une gestion plus rigoureuse. Par ailleurs, cette prisede conscience s’est également traduite par la volonté de remédier à la pénuriede personnels qui frappe le secteur de l’accompagnement des publics en diffi-culté. En 19993 la France comptait 7 000 services d’aide à domicile détenteursde l’agrément qualité, agrément qui habilite à intervenir auprès de publicsfragiles : personnes âgées, personnes handicapées et familles ayant des enfantsde moins de trois ans. Ces services comptabilisaient près de 210 000 personnes,dont 99 % de femmes, et présentaient un sérieux défaut de qualification : 48 %du personnel ne possédait pas de diplôme professionnel et n’avait bénéficiéd’aucune formation spécifique.

Comment, dans ces conditions, recruter et former des personnels qualifiéspour faire tourner les établissements et services et faire face aux besoins crois-sants liés au vieillissement de la population ? C’est pourquoi, le concept deprofessionnalisation est aujourd’hui omniprésent dans le secteur de l’aide àdomicile. Néanmoins, au-delà des bonnes intentions qui ont initié le mouvementde professionnalisation, leur concrétisation semble poser plus de problèmesqu’elle n’en résout. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés aux enjeux etaux limites de cette professionnalisation.

I – La prise en charge de la dépendance, enjeu central de la professionnalisation de l’aide à domicile

La loi du 2 janvier 2002 définit l’action sociale et médico-sociale commel’action qui « tend à promouvoir, dans un cadre interministériel, l’autonomie etla protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté, àprévenir les exclusions et à en corriger les effets. Elle repose sur une évaluationcontinue des besoins et des attentes des membres de tous les groupes sociaux,

3. DREES. Le personnel des services d’aide à domicile en 1999, Etudes et résultats, n° 297, mars 2004.

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en particulier des personnes handicapées et des personnes âgées, des personneset des familles vulnérables, en situation de précarité ou de pauvreté, et sur lamise à disposition de prestations en espèces ou en nature. Elle est mise en œuvrepar l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les orga-nismes de Sécurité sociale, les associations, ainsi que par les institutions socialeset médico-sociales ».

Cette définition dépeint un secteur très hétérogène, composé d’acteurs etde publics multiples. Néanmoins, elle révèle également l’existence d’une lignedirectrice forte : l’action sociale doit se baser sur une évaluation continue desbesoins. La loi incite ainsi à la recherche de l’adéquation parfaite entre l’offrede services et les besoins de la population. Mais cette fameuse évaluation desbesoins pose problème. En effet, se pose la question de savoir comment évaluerles besoins des personnes âgées. Or, pour cela, encore faut-il savoir ce que l’onentend par « personnes âgées ». À partir de quel âge est-on considéré commeune « personne âgée » ? Le service d’aide à domicile concerne-t-il toutes les per-sonnes définies comme « âgées », ou existe-t-il des sous-critères d’intervention ?Par ailleurs, et surtout, ces questions sont marquées par le concept de « dépen-dance ». Qu’implique-t-il exactement ?

C’est en 19974 qu’apparaît, pour la première fois dans la loi française, lacatégorie des « personnes âgées dépendantes ». Cette adoption du terme de« dépendance » permet enfin aux personnes âgées (60 ans et plus) ayant besoind’aide dans les actes de la vie quotidienne de bénéficier d’une législation spé-cifique. Il s’agit de la prestation spécifique dépendance (PSD). En effet, jusque-là, les personnes dites « âgées » (60 ans et plus) relevaient de la loi du 30 juin19755, relative à la prise en charge des personnes handicapées, et pouvaientprétendre, lorsqu’elles avaient besoin d’aide, à l’attribution de « l’allocationcompensatrice de tierce personne » (ACTP), en fonction de leur degré d’inca-pacité et du montant de leurs ressources. Cela fait donc huit ans que lespouvoirs publics français appliquent deux politiques sociales différentes, selonqu’il s’agit de s’adresser aux personnes handicapées ou aux personnes âgéesdépendantes.

Mais cette situation subit actuellement un profond mouvement de remiseen cause, à plusieurs niveaux. En effet, comment parler de politique de prise encharge des personnes dépendantes sans savoir précisément ce que l’on entendpar « dépendance » ? Qu’est-ce que la dépendance ? Peut-on réduire le champde la vieillesse à celui des personnes dépendantes ? Quelles frontières établirpour distinguer la « dépendance » du handicap ?

4. Loi n° 97-60 du 24 janvier 1997, loi tendant, dans l’attente du vote de la loi instituant une prestationd’autonomie pour les personnes âgées, à mieux répondre au besoin des personnes âgées, par l’institutiond’une prestation spécifique dépendance.5. Loi n° 75-534 du 30 juin 1975, loi d’orientation en faveur des personnes handicapées.

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Nombreux sont ceux qui déplorent la ségrégation sociale engendrée par lamise en place de la PSD. En effet, d’un point de vue de pure logique, il peutparaître regrettable que les personnes soient traitées différemment selon qu’ellesaient plus ou moins de 60 ans (ACTP pour les moins de 60 ans et PSD pour les60 ans et plus) alors qu’elles ont pour caractéristique commune d’avoir besoinde l’aide d’une tierce personne pour pouvoir mener leur vie quotidienne. Il peuten effet paraître parfaitement artificiel d’opter pour le critère de l’âge commevariable discriminante permettant de décider du besoin d’aide de la personne.Il semble donc légitime de s’interroger sur la pertinence de l’existence de deuxlégislations indépendantes, l’une concernant la dépendance, l’autre concernantle handicap, surtout au sein de l’environnement actuel, environnement qui asensiblement évolué depuis les débuts du processus de dissociation. D’autantque cette distinction implique en outre la question spécifique du vieillissementdes personnes handicapées : en effet, actuellement, une personne handicapée quiatteint l’âge de 60 ans perd le bénéfice de la prise en charge spécifique à laquelleelle avait droit en tant que personne handicapée et se retrouve traitée commen’importe quelle personne âgée de 60 ans et plus. Deux phénomènes doiventêtre à prendre en compte si l’on veut saisir l’intérêt de ces questionnements :d’abord le critère de l’âge ne permet plus de déduire l’état de dépendance d’unepersonne, ensuite l’augmentation de l’espérance de vie des personnes handica-pées nécessite que l’on prenne en considération la question spécifique de leurvieillissement.

Comme l’explique P. Berthet6, les « personnes âgées » sont définies commeles personnes ayant atteint l’âge de 60 ans, alors que les personnes handicapéesse définissent par référence à la reconnaissance de leur handicap par l’une desinstances chargées de cette évaluation. Selon lui, il s’agit d’un clivage purementadministratif : certes, ces indices ont l’avantage de permettre la déterminationdes textes applicables, mais ils ne sont guère pertinents quant à la définition dela prise en charge adéquate nécessaire à la personne. Il rappelle d’ailleurs, enguise d’argumentation, que les études montrent qu’il n’existe pas de corrélationsdirectes entre l’augmentation des incapacités et le seuil de 60 ans. Et, de manièreencore plus précise, il évoque l’enquête HID7 qui démontre, qu’avant 80 ans,les incapacités, difficultés ou impossibilités de réaliser les actes élémentaires dela vie quotidienne sont rares. Ainsi, même si nous ne pouvons pas nier que lespersonnes âgées et les personnes handicapées disposent de spécificités qui leursont propres, en revanche, celles-ci ne sont pas exclusivement liées à l’âge. Ellesrésultent des difficultés et incapacités des personnes à accomplir seules certainsactes. Selon P. Berthet « il y a quelquefois plus de points communs entre la priseen charge nécessitée par une personne handicapée mentale et une personne

6. P. BERTHET, Handicap et dépendance : même combat, Le journal de l’action sociale et du développementsocial, n° 87, mai 2004, pages 19 à 27.7. Enquête « Handicap-Incapacité-Dépendance », confiée à l’INSEE, sur recommandation des expertsconsultés par la Mission de Recherche du Ministère des Affaires Sociales (MIRE) courant 1994.

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atteinte de la maladie d’Alzheimer, qu’entre cette personne et une personnehandicapée physique ».

Il apparaît donc indéniable que leurs besoins se rapprochent de plus enplus. Il s’agit en effet d’assurer une aide aux actes de la vie courante, ainsi qu’unaccompagnement dans la vie sociale. Par ailleurs, au-delà de cette question desbesoins, les attentes des personnes âgées et handicapées sont également trèsproches : elles souhaitent toutes pouvoir décider elles mêmes de leur mode devie (à domicile ou en établissement) et réussir à s’intégrer (ou à rester intégrées)dans la société.

Les choses paraissent donc très confuses. Certes, il est intéressant d’avoirenfin pensé à élaborer une prise en charge spécifique aux personnes âgées, maisil ne faut pas faire de ségrégation par l’âge. Nous sommes quelque peu perdus.Mais une chose semble sûre : nous disposons aujourd’hui d’outils susceptiblesd’assurer une évaluation commune des besoins, qu’il s’agisse de personnes âgéesou de personnes handicapées. En effet, la récente naissance du diplôme d’Étatd’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) incite clairement à ce que l’intervenant àdomicile soit le même pour tous, personnes âgées et personnes handicapées.Ainsi, les titulaires de ce diplôme acquièrent des compétences générales liées àl’état de dépendance, quelle que soit la source de cette dépendance. Par ailleurs,la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale oblige àfusionner comptablement les deux activités que sont l’aide aux personnes âgéeset l’aide aux personnes handicapées. Pourtant, du côté des politiques d’action,on distingue encore nettement ces deux publics : d’un côté, on cherche à réfor-mer la loi d’orientation de 1975 en faveur des personnes handicapées et, del’autre, on établit un véritable plan en direction des personnes âgées8, sorted’aboutissement des différents tâtonnements récents (PSD, APA…). Néanmoins,il est aisé de constater que ces deux politiques adoptent sensiblement les mêmesconcepts : évaluation globale des besoins, plan d’aide individualisé, ouverturedu plan d’aide à toutes les dépenses nécessaires, etc.

Ainsi, il semblerait malgré tout qu’un fil conducteur commun unisse cesdeux politiques. On a le sentiment que le mouvement législatif actuel relatif àla citoyenneté porte ses fruits dans le secteur de l’action sociale, tout comme ilporte ses fruits dans celui de l’organisation sanitaire : on parle d’accès auxdroits, de prise en charge globale et continue, de satisfaction des besoins…Nous avons l’impression qu’une sorte d’osmose est en train d’envelopper lessecteurs sanitaire, social et médico-social. Mais le défi est de taille : le futurafflux des personnes handicapées parmi les publics des services d’aide à domi-cile à destination des personnes âgées va non seulement nécessiter plus de per-sonnels, mais il va également demander plus de compétences ou, tout du moins,des compétences adaptées. Or, nous allons voir maintenant qu’il s’agit là de

8. Plan « Vieillesse et solidarité ».

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limites fortes à la professionnalisation des métiers de l’aide à domicile tels qu’ilsexistent aujourd’hui en France, c’est-à-dire des services majoritairement asso-ciatifs et bénévoles.

II – La dépendance comme facteur limitant la professionnalisation de l’aide à domicile

Aujourd’hui, il devient impératif d’intégrer la dimension qualitative dansl’ensemble des politiques menées par les organismes du secteur social et médico-social. En effet, il s’agit désormais d’une exigence légale : évaluation interne dela qualité de service, évaluation externe qui conditionne l’accréditation et/oul’autorisation de fonctionnement, démocratie sanitaire, etc., sont les maîtresmots des dernières moutures du législateur. Ainsi, il ne suffit plus de créer desstructures comme bon nous semble et d’embaucher massivement, encore faut-ilgarantir que le personnel recruté détienne les compétences nécessaires, compé-tences qui doivent être de haut niveau et coïncider avec les besoins sanitaires etsociaux de la population. La qualité constitue aujourd’hui le thème central detoutes les politiques et actions menées dans les champs du sanitaire et du social :plan Juppé de 1996, loi du 2 janvier 2002, loi du 4 mars 2002, ordonnancesMattei de septembre 2003. C’est pourquoi, l’aide à domicile « moderne » doitdésormais pouvoir assumer tout un ensemble de tâches qui ne relèvent plusuniquement du ménage. Le vieillissement de la population et l’augmentationprogressive du nombre de personnes dépendantes, ainsi que l’apparition dedépendances parfois très lourdes, nécessitent de plus en plus de compétencesd’ordre relationnel et, surtout, d’ordre paramédical.

Ainsi, une aide à domicile doit aujourd’hui pouvoir concevoir des menuséquilibrés et adaptés aux besoins alimentaires des personnes âgées, être capabled’accompagner une personne âgée lors de ses déplacements quotidiens (afind’assurer ses levers et couchers par exemple), etc. Les formations actuellesparlent de « manutention », de « rôle professionnel », de « nutrition », de « pre-miers secours » ou encore de « déontologie ». Autant de termes jusqu’à présentinconnus dans le vocabulaire courant des aides à domicile. Or, la formationdans ce secteur manque singulièrement de structuration, malgré les effortsdéployés. Mais les choses sont en train de changer sensiblement. Avec le Fondsde modernisation de l’aide à domicile (FMAD), pour la première fois, l’État sedote d’un dispositif novateur et d’un outil budgétaire adapté aux enjeux lui per-mettant, en partenariat avec les employeurs et les organismes compétents, depromouvoir, d’encourager et de soutenir des actions de professionnalisation,ainsi que des expérimentations visant à structurer le secteur de l’aide à domicileet à développer la formation des salariés tout en améliorant les services rendusà l’usager (actions de qualification, conventions départementales, actions localesd’amélioration de la qualité des services). Par ailleurs, et surtout, le ministèrede l’Emploi et de la Solidarité a lancé en mai 2000 des travaux en vue de la

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construction d’une filière des formations de l’aide à domicile. L’objectif était defaire du DEAVS le diplôme de référence de la filière. Aujourd’hui la formationse compose de thèmes variés, tels la connaissance des publics aidés, les patho-logies et processus invalidants, l’ergonomie, la santé et l’hygiène, l’alimentation,l’entretien du cadre de vie, l’action sociale, l’animation, l’exercice professionnel,la responsabilité et la déontologie, la communication, etc.

C’est ainsi qu’en application de l’arrêté du 26 mars 2002, l’auxiliaire devie sociale, « en fonction des potentialités et incapacités constatées, décline sesfonctions selon deux logiques d’intervention : aider à faire (stimuler, accompa-gner, soulager, apprendre à faire) et faire à la place de quelqu’un qui est dansl’incapacité de faire seul ». Cela implique donc une nouvelle vision, une nou-velle appréhension de la fonction d’aide à domicile : pour les salariés il s’agitd’intégrer des compétences gérontologiques.

L’arrêté précise en outre que l’auxiliaire de vie sociale doit développer descompétences techniques et relationnelles pour des fonctions transversales, tellesle diagnostic de la situation, l’adaptation de l’intervention, la communication etla liaison avec les autres professionnels. Nous sommes donc bien ici en présenced’un mouvement important d’élargissement du rôle dévolu aux aides à domi-cile : celles-ci doivent en effet intégrer des missions de diagnostic et de suivi despersonnes chez lesquelles elles interviennent et, surtout, travailler en ayant àl’esprit le schéma général du secteur social et médico-social afin de participeractivement et efficacement à la coordination des différentes interventions.

La professionnalisation des aides à domicile implique donc de profondschangements. Or, lors de nos échanges avec les différents acteurs du secteur,nous avons pu entrevoir un certain paradoxe : en effet, ceux-ci font état d’unevision relativement novatrice de la professionnalisation (diversification descompétences, intégration d’une dimension gérontologique, respect du secret pro-fessionnel, maîtrise de l’impact affectif du métier, etc.), tout en montrant deprofondes inquiétudes quant à l’organisation future du métier. Ainsi quel’exprime un médecin coordinateur d’une antenne APA 71. « Le risque d’unetrop grande professionnalisation est que les aides à domicile se mettent à refuserde faire des tâches ménagères. D’autant que le service d’aide aux personnes âgéesconcerne en réalité deux niveaux d’intervention : l’intervention auprès despersonnes peu ou pas dépendantes et l’intervention auprès des personnes dépen-dantes. Cette dernière comprend une dimension gérontologique, avec un rôle desurveillance et d’aide à la toilette ».

Nous touchons donc là à une sorte de clivage intraprofessionnel auquel ilconvient de réfléchir : cette situation d’hétérogénéité des compétences entre lesdifférentes aides à domicile doit-elle mener à distinguer deux métiers différents,l’aide ménagère et l’aide « gérontologique » ? Ou alors, doit-on prôner le « tout

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formation » et avoir pour objectif de n’employer, à terme, que des personnesayant le titre d’auxiliaire de vie sociale ? Tout en sachant que cela signifierait ladisparition d’un des rares métiers encore ouverts aujourd’hui aux personnes peuou pas qualifiées. De plus, une enquête menée par la DREES auprès des servicesd’aide aux personnes à domicile (SAPAD) en 1999 et 2000 a mis en évidence ladiversité des publics ayant recours à une aide à domicile. En effet, seul un tiersd’entre eux présente une dépendance physique, parmi lesquels 10 % sont lour-dement dépendants et 24 % nécessitent une aide pour sortir de leur domicile.Les deux autres tiers des usagers ne sont aidés que pour les tâches ménagères.C’est ce que l’on appelle pudiquement « l’aide de confort ». Se pose donc la ques-tion de la pertinence de l’éventuelle obtention d’un taux de 100 % d’aides àdomicile titulaires du DEAVS. Ne serait-ce pas un magnifique gaspillage ?

Par ailleurs, cette évolution du rôle des aides à domicile, outre le fait qu’ellesemble engendrer une certaine dualité au sein de la profession, pose égalementle problème des frontières avec les professions de santé et, notamment, celui dela frontière entre auxiliaires de vie sociale et aides soignant(e)s. La législationprévoit que les professionnels de santé sont habilités à intervenir au domiciledes usagers dès lors que l’intervention en question est prescrite médicalement :si la toilette a été prescrite médicalement il faut nécessairement faire intervenirun(e) aide soignant(e) ; par contre, en l’absence de prescription médicale, l’aideà domicile est habilité à intervenir. Mais s’agit-il d’une distinction pertinente ?Ou, plutôt, cette distinction reste-t-elle pertinente face à la montée en chargedes auxiliaires de vie sociale, professionnels dont le bagage de compétences tendà se rapprocher singulièrement de celui des aides soignant(e)s ?

L’arrivée du DEAVS semble en effet remettre en cause la pertinence de cecritère de la prescription médicale. La dimension gérontologique de ce diplôme(nutrition, premiers secours, veille et alerte, manutention, etc.) laisse penser quela toilette peut devenir un acte couramment pratiqué par les aides à domicile.Néanmoins, il est vrai que cela ne les habilite pas pour autant à s’occuper despansements et/ou injections éventuellement nécessaires.

Ainsi, des clarifications restent nécessaires, notamment sur les notions desoins et d’aide, seules susceptibles de déterminer les métiers en charge d’effectuerces actes. En fait, se pose finalement la question de savoir s’il ne serait pas per-tinent de réglementer purement et simplement la profession d’aide à domicile.

III – La dépendance, une problématique questionnant l’avenir des prestataires de services d’aide à domicile

Les développements précédents, relatifs aux enjeux et aux limites querecouvre le concept de dépendance au sein du mouvement de professionnalisa-tion des métiers de l’aide à domicile, posent inéluctablement la question de l’ave-nir des prestataires de services d’aide à domicile, d’autant que ce secteur

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d’activité est aujourd’hui essentiellement constitué d’associations à fonctionne-ment largement bénévole. La loi du 2 janvier 2002, loi rénovant l’action socialeet médico-sociale, marque ici une évolution importante, pour ne pas dire unerévolution, de l’activité d’aide à domicile.

Les services d’aide à domicile à destination des personnes âgées et des per-sonnes handicapées sont désormais intégrés dans le champ de l’aide sociale. Or,cette intégration est source de nombreux changements dans les modes de fonc-tionnement. Tout d’abord, les services d’aide à domicile sont désormais soumisau régime de l’autorisation, en complément de l’agrément qualité qui leur étaitjusque-là délivré. Cette réforme procède, notamment, d’une volonté de rationa-liser le secteur. Ensuite, la loi de janvier 2002 prévoit une série de dispositionsconcernant les droits des personnes accueillies dans un établissement, ou prisesen charge par un service, qui n’existaient pas dans l’ancienne loi du 30 juin1975. Le législateur a ainsi voulu afficher clairement sa volonté de mettre lapersonne au centre des préoccupations, de la faire davantage participer à la viecollective et de la placer comme véritable actrice de sa santé et de son projet devie. D’autre part, la mise en œuvre de la loi du 2 janvier 2002 va profondémentmodifier le fonctionnement comptable actuel des associations d’aide à domicile.En effet, désormais, chaque service prestataire va devoir élaborer des budgetsprévisionnels sur cinq ans, budgets qui serviront de base à la tarification dontle conseil général aura la charge. Il s’agit bien évidemment d’une chance pourles associations de faire enfin reconnaître leurs coûts, grâce à une prise encompte des coûts réels d’intervention. Mais cela signifie également un encadre-ment plus strict, ainsi qu’une gestion et une organisation plus rigoureuses. End’autres termes, l’activité d’aide à domicile devient, pour partie, une activitéadministrée.

Toutes ces évolutions posent finalement la question de l’avenir des asso-ciations d’aide à domicile : sont-elles vouées à disparaître, vont-elles être absor-bées par le mouvement d’institutionnalisation apparemment en cours, ou vont-elles relever le défi qui se présente à elles et affirmer leur place sur ce marchéporteur ?

Plusieurs réflexions actuellement en cours semblent aller dans le sens d’unepréservation des associations d’aide à domicile mais, bien entendu, sous lacondition de respecter les nouvelles normes en vigueur. A ce sujet, le récentrapport Briet-Jamet, commandé par le premier ministre lors de l’annonce de lacréation de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) àl’automne 2003, formule un certain nombre de propositions sur les missions dela CNSA, dont la création est effective depuis la promulgation de la loi du30 juin 2004 et, plus globalement, sur le dispositif de prise en charge de ladépendance. Les rapporteurs proposent un dispositif de prise en charge articuléautour de deux fonctions : une fonction centrale de fixation des normes, de péré-quation financière, d’orientation et de pilotage d’ensemble (fonction assurée par

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la CNSA) ; et une fonction locale de gestion et d’organisation (dont le respon-sable serait le département). Les responsabilités des conseils généraux seraientainsi fortement accrues, puisque un tel dispositif impliquerait de leur transférerla gestion et l’organisation de la prise en charge des personnes handicapées, priseen charge qui relève actuellement de la DDASS. Par ailleurs, le rapport proposede leur transférer une nouvelle compétence tarifaire et de financement surcertaines prestations légales actuellement à la charge de l’assurance maladie etde l’État9. Les financements correspondants seraient versés aux conseils géné-raux par le biais de dotations venant de la CNSA.

Ces propositions amèneraient donc à donner au conseil général la respon-sabilité globale de la prise en charge spécifique de la dépendance, sans distinguerentre intervention sociale et intervention sanitaire. Le conseil général deviendraitainsi l’autorité compétente unique dans le cadre de la loi de 2002. Il délivreraitseul l’autorisation administrative de fonctionnement et fixerait seul les tarifs.De son côté la CNSA aurait un rôle de régulateur dans plusieurs domaines : elleserait la garante de l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire (définitiond’outils méthodologiques à vocation nationale, suivi des politiques menées auniveau local avec la mise en place d’un système d’information national, analysedes pratiques et diffusion des bonnes pratiques, définition d’orientations derecherche), ainsi que la garante d’une bonne répartition des équipements sur leterritoire (élaboration de contrats d’objectifs à caractère pluriannuel avec lesdépartements, assortis de financements).

Ces propositions, si elles étaient adoptées, participeraient à une transfor-mation profonde des services d’aide à domicile : il s’agirait de passer d’une acti-vité en « libre service » (même si largement conditionnée, notamment par lespolitiques des différents organismes financeurs) à une activité administrée. Or,cette transformation semble inéluctable si la société souhaite pérenniser l’aide àdomicile comme modalité de prise en charge de la dépendance. Néanmoins,même si ce rapport présente une cohérence certaine en confiant à un seul acteurla prise en charge de la dépendance, il suscite également plusieurs interrogations.

Tout d’abord, la CNSA n’aurait en pratique que peu de pouvoirs de régu-lation des politiques locales face aux compétences nouvelles des conseils géné-raux. Or, l’exemple de l’APA nous a prouvé qu’il existe une inégalité très fortede prise en charge entre les différents départements. Pourtant, le dispositif pro-posé par le rapport n’apporte aucun élément correctif à ce sujet. Au contraire,il risquerait d’accroître les inégalités puisqu’il ferait entrer la responsabilité du

9. Il s’agirait des financements « soins » des établissements et services pour personnes âgées (EHPAD etSSIAD) et des établissements et services pour personnes handicapées. Mais une distinction serait tout demême opérée entre les soins spécifiques liés à la perte d’autonomie et ceux qui relèvent du droit commun(hospitalisation, visites médicales…). Ces derniers resteraient de la responsabilité directe de l’assurancemaladie.

C H R O N I Q U E S

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volet soins de la prise en charge de la dépendance dans les compétences dévoluesaux départements.

Ensuite, se poserait la question du financement de l’action sanitaire confiéeaux départements. Le rapport préconise une recette fiscale (part de la CSG oude la TIPP) plutôt qu’un transfert de financement venant de l’assurance maladieet retracé dans la loi de financement de la Sécurité sociale. Or, cette dispositionviendrait à séparer les financements soins de la perte d’autonomie, des autresfinancements soins assurés par l’assurance maladie. Cela ne nous semble pascohérent et cela laisse poindre des inquiétudes relatives à l’évolution des dota-tions soins financées par la fiscalité. Comment celles-ci suivront-elles l’évolutiondes besoins de prise en charge de la dépendance, sachant par ailleurs que cesdotations ne feraient plus l’objet de discussions au Parlement ?

Ce rapport Briet-Jamet pose donc un certain nombre de problèmes.Néanmoins, il présente l’avantage d’aborder des problématiques importantes etd’évoquer des sujets pertinents. Il permet enfin d’ouvrir une discussion globaleet intelligente relative à l’avenir de la prise en charge de la dépendance en France.

La dépendance nous impose de revoir entièrement notre conception dessecteurs du sanitaire et du social. Il nous faut décloisonner ces deux secteurs,encourager coopération et coordination, recruter et former en conséquence, touten assurant un encadrement strict de ces différentes évolutions. En effet, lescontraintes financières et l’exigence de qualité imposent une certaine réglemen-tation. Or, il nous faut aujourd’hui considérer la prise en charge à domicilecomme faisant partie intégrante du paysage sanitaire et social.