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Le contrôle de constitutionnalité (jurisprudence du Conseil constitutionnel) PRESENTATION La Constitution du 4 octobre 1958, adoptée par référendum le 28 septembre 1958, fonde le régime de la V e République. Cette Constitution, élaborée initialement afin de donner les moyens à l’exécutif de mettre fin à la crise algérienne en acquérant une certaine stabilité, s’est finalement inscrite dans la durée et a fait à plusieurs reprises la preuve de sa capacité à encadrer juridiquement des situations nouvelles et imprévues telles que la cohabitation entre un chef de l’Etat issu d’une formation politique et une assemblée nationale majoritairement dominée par une autre formation politique. Cette longévité et cette adaptabilité de la Constitution du 4 octobre 1958 contraste singulièrement avec le passé récent d’un pays où, plus de vingt fois déjà depuis 1789, on a changé de Constitution. Aussi, l’idée très française selon laquelle la Constitution peut changer le monde en contribuant au « bonheur de tous » selon la belle formule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, n’est sans doute plus si importante aujourd’hui. Ce qui prime avant tout c’est la conscience de l’opinion, et plus particulièrement des juristes français, que la Constitution représente désormais non seulement un rempart juridique solide contre les dérives toujours possibles du pouvoir politique, mais encore un pilier sur lequel repose tout l’édifice juridique français.

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Le contrôle de constitutionnalité (jurisprudence du Conseil constitutionnel)

PRESENTATION

La Constitution du 4 octobre 1958, adoptée par référendum le 28 septembre

1958, fonde le régime de la Ve République. Cette Constitution, élaborée initialement

afin de donner les moyens à l’exécutif de mettre fin à la crise algérienne en acquérant

une certaine stabilité, s’est finalement inscrite dans la durée et a fait à plusieurs

reprises la preuve de sa capacité à encadrer juridiquement des situations nouvelles et

imprévues telles que la cohabitation entre un chef de l’Etat issu d’une formation

politique et une assemblée nationale majoritairement dominée par une autre

formation politique. Cette longévité et cette adaptabilité de la Constitution du

4 octobre 1958 contraste singulièrement avec le passé récent d’un pays où, plus de

vingt fois déjà depuis 1789, on a changé de Constitution. Aussi, l’idée très française

selon laquelle la Constitution peut changer le monde en contribuant au « bonheur de

tous » selon la belle formule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,

n’est sans doute plus si importante aujourd’hui. Ce qui prime avant tout c’est la

conscience de l’opinion, et plus particulièrement des juristes français, que la

Constitution représente désormais non seulement un rempart juridique solide contre

les dérives toujours possibles du pouvoir politique, mais encore un pilier sur lequel

repose tout l’édifice juridique français.

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La Constitution applicable actuellement en France ne se limite pas au seul texte

de la Constitution du 4 octobre 1958. En effet, aux 96 articles que compte

actuellement ce texte, il faut ajouter les 17 articles de la Déclaration des droits de

l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, les 18 alinéas du préambule de la

Constitution du 27 octobre 1946, ainsi que les 10 articles de la Charte de

l’environnement de 2004 (cf. : Documents, I). En somme, la Constitution écrite de la

République française prend la forme d’un « bloc de constitutionnalité » comportant

141 articles. L’explication de ce phénomène d’agrégation des normes

constitutionnelles en un bloc homogène réside dans le fait qu’en 1958, le souci

premier des constituants n’était pas de doter la France d’une Constitution complète

comprenant notamment une charte des droits fondamentaux, mais plutôt de

rationaliser le régime parlementaire afin de mettre fin à l’instabilité gouvernementale

chronique qui avait provoqué les chutes successives des IIIe et IVe Républiques. C’est

pourquoi, les rédacteurs de la Constitution de 1958 ont porté leur attention

presqu’exclusivement sur le système normatif et sur l’équilibre institutionnel des

pouvoirs dans le corps même de la Constitution. S’agissant des droits fondamentaux,

ils se sont bornés à introduire dès la première phrase du Préambule la formule selon

laquelle « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de

l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la

Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».

On aurait pu penser que cette référence à deux textes constitutionnels antérieurs était

purement symbolique. Il n’en a rien été dans la mesure où dans sa décision du 16

juillet 1971, Liberté d’association (cf. : Documents, décision n° 2), le Conseil

constitutionnel a reconnu la valeur juridique du Préambule de la Constitution de

1958 et, par voie de conséquence des deux textes auquel celui-ci renvoie. Cette

décision de 1971 est évidemment capitale car elle a eu pour résultat d’enrichir la

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Constitution de 1958 d’un catalogue de droits fondamentaux comprenant aussi bien

des « droits-libertés » et des « droits-garanties » comme ceux inscrits dans la

Déclaration de 1789, que des droits collectifs ou « droits-créances », tels que ceux

prévus par le Préambule de la constitution de 1946.

Une nouvelle étape a été franchie avec l’adoption par le Congrès le 28 février

2005 de la Charte pour l’environnement de 2004. Celle-ci élève au rang

constitutionnel certains droits fondamentaux qualifiés parfois de droits de la

« troisième génération » dans la mesure où ils correspondent à une préoccupation

née il y a moins de trente ans. Mais surtout cette Charte assigne aux autorités

publiques des objectifs à valeur constitutionnelle que devront poursuivre la

législation et la réglementation. En ce sens, cette Charte ne possède qu’une faible

densité normative et son impact devrait être essentiellement symbolique bien qu’elle

constitue désormais la quatrième source du bloc de constitutionnalité. Il en résulte

que la Constitution française apparaît désormais comme un texte constitutionnel

moderne, supportant parfaitement la comparaison avec des constitutions plus

récentes puisqu’elle comprend non seulement des dispositions relatives aux

institutions, aux pouvoirs publics, mais aussi à toute la gamme des droits

fondamentaux constitutionnels, de la première à la troisième génération.

En outre, il faut souligner que dans la décision du 16 juillet 1971, Liberté

d’association, le Conseil constitutionnel a consacré l’existence de « principes fon-

damentaux reconnus par les lois de la République », c’est-à-dire concrètement de

normes constitutionnelles dégagées par le Conseil constitutionnel à partir du texte

des grandes lois républicaines adoptées sous les trois premières républiques. Ces

principes, dont l’existence est constatée par le juge constitutionnel, ont

essentiellement vocation à combler les lacunes du texte constitutionnel de base. Leur

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nombre est faible et depuis une quinzaine d’années, le juge constitutionnel français

en « découvre » rarement de nouveaux. La liste de ces principes fondamentaux

reconnus par les lois de la République paraît donc se limiter à dix principes : la

liberté d’association, les droits de la défense, la liberté individuelle, la liberté

d’enseignement, la liberté de conscience, l’indépendance de la juridiction

administrative, l’indépendance des professeurs d’université, la compétence exclusive

de la juridiction administrative en matière d’annulation des actes de la puissance

publique, l’autorité judiciaire gardienne de la propriété privée immobilière, et enfin,

depuis 2002, la proportionnalité des peines applicables aux mineurs.

L’impact de la décision du 16 juillet 1971 démontre l’importance grandissante

du Conseil constitutionnel. Au fil de sa jurisprudence, cette juridiction, créée par la

Constitution de 1958, a modifié en profondeur l’ordre juridique français. En effet, dès

lors que le respect de la Constitution est garanti par un juge, celle-ci occupe

réellement le rang de norme fondamentale. Cette évolution, récente en France

contrairement à la plupart des autres pays européens ou aux États-Unis, a pour

conséquence de soumettre tous les citoyens comme toutes les autorités publiques au

respect de la norme suprême de l’État : la Constitution. Ce phénomène est important

car, comme le législateur lui-même est tenu au respect de la norme fondamentale,

cela entraîne une pacification, une régulation, de la vie politique française par le droit

constitutionnel. Dans ce contexte, la Constitution n’est plus constituée de vagues

principes philosophico-politiques, mais bien d’un corps de règles juridiques

effectives, et donc contraignantes, pour le corps social et politique dans son

ensemble.

Il en résulte un phénomène de constitutionnalisation du Droit, c’est-à-dire une

irrigation de l’ordre juridique par la Constitution. Comme on l’observe également en

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droit comparé, notamment dans les pays qui ont une longue expérience du contrôle

de constitutionnalité, la Constitution française est devenue la source première,

fondamentale, de toutes les branches du droit. Ainsi, on ne peut plus méconnaître

aujourd’hui l’existence d’un socle constitutionnel, ou de bases constitutionnelles, du

droit civil, du droit pénal, du droit administratif, du droit social, etc. De même, force

est de constater que la plupart des débats majeurs qui agitent la société française

contemporaine, comme par exemple : la réforme de la décentralisation, la

redéfinition de la laïcité et de l’égalité républicaine ou encore la nécessité d’une

protection accrue de l’environnement doivent aujourd’hui être posés d’abord en

termes constitutionnels. Néanmoins, il faut remarquer que cette évolution n’est sans

doute pas encore parvenue jusqu’à son terme. En effet, en France, le contrôle de

constitutionnalité apparaît comme lacunaire dans la mesure où il ne s’exerce que sur

les lois votées par le Parlement mais non encore promulguées. S’agissant des lois

promulguées, il a été envisagé à plusieurs occasions de créer une « exception

d’inconstitutionnalité » ou plutôt, pour être exact, de confier au Conseil

constitutionnel la mission de trancher des questions préjudicielles d’ordre

constitutionnel qui lui seraient posées par les juridictions de l’ordre judiciaire ou

administratif. À l’évidence, si une telle réforme devait voir le jour, il en résulterait un

progrès considérable de l’État de droit et aussi, plus prosaïquement, une meilleure

connaissance des ressources contentieuses de la Constitution en particulier chez les

praticiens du droit, qu’ils fussent juges ou avocats.

Pour toutes ces raisons, la connaissance de la jurisprudence du Conseil

constitutionnel apparaît comme une condition nécessaire à une bonne

compréhension des bases essentielles du droit français. A cette fin, il faut, en premier

lieu, évoquer la compétence du Conseil constitutionnel français (I) ; avant, en second lieu,

de décrire à grands traits la jurisprudence du Conseil constitutionnel français (II).

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I – La compétence du Conseil constitutionnel français

L’article 56 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que le Conseil

constitutionnel comprend neuf membres nommés pour des mandats d’une durée de

neuf années et des membres de droit à vie, en l’occurrence les anciens présidents de

la République. Les neuf membres nommés sont désignés par le président de la

République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale, chacune

de ces autorités nommant un membre tous les trois ans. La création tardive du

Conseil constitutionnel a constitué l’une des innovations majeures du nouvel ordre

constitutionnel instauré en 1958 dans la mesure où, en France, le mythe de la

« souveraineté parlementaire » a déployé ses effets avec une vigueur particulière

depuis la fin du XVIIIème siècle et que, par voie de conséquence, il a été extrêmement

difficile de faire admettre l’existence même d’un contrôle de conformité des lois à la

Constitution.

S’agissant plus précisément de la question de ses compétences, l’élément

déterminant à souligner de prime abord est que le Conseil constitutionnel s’estime

doté d’une compétence d’attribution. Cela revient à dire qu’il ne se reconnaît

compétent que dans la mesure où la Constitution lui a expressément attribué

compétence. Ainsi, au motif que la Constitution ne lui a pas attribué de compétence

dans ces cas précis, le Conseil se refuse toujours à vérifier la conformité à la norme

fondamentale des lois adoptées à l’issue d’un référendum comme il l’a jugé dans sa

décision du 6 novembre 1962, Loi référendaire (cf. : Documents, décision n° 1),

ou encore des lois constitutionnelles comme il l’a jugé, cette fois dans une décision

du 26 mars 2003, Révision constitutionnelle (cf. : Documents, décision n° 10). De même,

il décline sa compétence pour contrôler la conformité des textes législatifs dont il est

régulièrement saisi par rapport aux normes internationales, considérant que sa

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mission se limite à la vérification de leur conformité par rapport à la Constitution.

C’est la solution de principe qui découle de son importante décision du 15 janvier

1975, Interruption volontaire de grossesse (cf. : Documents, décision n° 4).

Tout en restant généralement fidèle à cette ligne de conduite, le Conseil

constitutionnel a néanmoins progressivement étendu le champ de ses trois

principaux domaines de compétences

Le Conseil, autorité constitutionnelle - En vertu de l’article 16 de la

Constitution, le Conseil doit être consulté sur la réunion des conditions requises et

sur les mesures d’application prévues par cet article. Dans ce cas, il émet un avis

motivé et publié.

D’après l’article 7 de la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel, saisi par

le gouvernement, constate l’éventuel empêchement provisoire ou définitif du

président de la République.

Toujours selon cet article, le Conseil peut être appelé à se prononcer sur le

report éventuel de la date de l’élection du président de la République en cas

d’empêchement ou de disparition d’un candidat dans les conditions fixées par ledit

article.

En vertu de la loi référendaire du 6 novembre 1962 modifiant l’article 7 de la

Constitution et des lois organiques antérieures sur l’élection du président de la

République, il reçoit les présentations de candidatures, s’assure du consentement des

personnes présentées et vérifie qu’elles ont produit sous pli scellé une déclaration de

situation patrimoniale.

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Le Conseil, juge électoral - Le Conseil constitutionnel est un véritable juge de

l’élection pour trois séries d’élections ou de votations.

En premier lieu, pour les élections présidentielles, le Conseil constitutionnel est

chargé de juger les réclamations relatives à la liste des candidats qu'il a lui-même

établie, ainsi que les réclamations relatives à la régularité des opérations électorales.

Le Conseil est également chargé de vérifier les comptes de campagne des candidats.

En second lieu, pour les élections législatives et sénatoriales, le Conseil est

chargé de juger le contentieux des inéligibilités et le contentieux des incompatibilités

ainsi que toute contestation relative à l'élection d'un député ou d'un sénateur. Ces

contestations représentent la part la plus considérable du contentieux électoral

proprement dit. Le Conseil est également chargé du contentieux du financement des

dépenses électorales. Il doit alors être saisi par la Commission nationale des comptes

de campagne et des financements politiques, soit que le compte de campagne n'ait

pas été déposé dans le délai prescrit, soit que le compte ait été rejeté, soit encore qu'il

y ait eu dépassement du plafond des dépenses électorales autorisées.

En dernier lieu, le Conseil est chargé de juger les réclamations relatives aux

opérations référendaires proprement dites.

Le Conseil constitutionnel, juge constitutionnel - Le Conseil a également à se

comporter en véritable juge constitutionnel, soit qu'il ait à vérifier à la demande du

gouvernement si le Parlement n'a pas excédé sa compétence, soit qu'il ait à vérifier la

conformité de certaines normes à la Constitution. Dans le premier cas, il apparaît

comme un juge régulateur de compétences, dans le second comme le juge de la

constitutionnalité de certaines normes.

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D’une part, le Conseil constitutionnel apparaît comme un juge de la régulation

des compétences dans la mesure où il contrôle le respect de la Constitution qui

comporte des dispositions relatives au domaine réservé au législateur, lequel

bénéficie de compétences d'attribution (art. 34, 53, 66) et au domaine relevant

a contrario de l'autorité réglementaire, laquelle bénéficie de la compétence de droit

commun (art. 37). Comme cette répartition constitutionnelle des matières a été

instituée pour le seul profit du gouvernement, ce dernier est seul chargé de prendre

les initiatives nécessaires pour la faire respecter par le législateur. C'est pourquoi les

articles 41 et 37, alinéa 2, lui permettent de saisir le Conseil constitutionnel. En vertu

de l'article 41, le Conseil constate si l'irrecevabilité opposée par le Premier ministre à

une proposition de loi ou à un amendement d'origine parlementaire l'a été à bon

escient ou à tort. En vertu de l'article 37, alinéa 2, le Conseil constate si un texte

organiquement législatif ne comporte pas des dispositions matériellement

réglementaires, ce qui, dans l'affirmative, permettrait au gouvernement de le

modifier par décret. Depuis 2003, selon l'article 74 nouveau, il leur appartient aussi

sur saisine de l'assemblée d'une collectivité d'outre-mer, de constater qu'une loi

promulguée postérieurement au statut de la dite collectivité se situait bien « dans le

domaine de compétence de cette collectivité », ce qui lui permet de la modifier.

Ce faisant, le Conseil n'intervient que pour décider, par référence à la Constitution,

de la qualification, législative ou réglementaire, des matières sur lesquelles porte le

texte qui lui est soumis. Quelle que soit la décision du Conseil, ce texte subsiste tel

quel. Simplement, l'erreur de qualification qui avait pu être commise à son sujet est

rectifiée. C'est essentiellement en tant que juge régulateur des compétences que le

Conseil a été appelé à intervenir jusqu'au début des années 1970. Ce rôle a, depuis

lors, beaucoup perdu de son importance.

1

D’autre part, le Conseil agit comme juge de la constitutionnalité des normes

dans plusieurs cas précis. La Constitution a institué un contrôle de conformité à ses

dispositions d'un certain nombre de normes infra-constitutionnelles, à savoir les

règlements des assemblées parlementaires (art. 61, alinéa 1), les lois organiques

(art. 61, alinéa 1), les lois ordinaires (art. 61, alinéa 2) et les engagements

internationaux (art. 54). On ajoutera que depuis la loi organique n° 99-209 du 19 mars

1999 mettant en œuvre les articles 76 et 77 nouveaux de la Constitution, le Conseil

constitutionnel peut être appelé à se prononcer sur la constitutionnalité d'une « loi

du pays » adoptée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

En toute hypothèse, l'intervention du Conseil en tant que juge constitutionnel

présente plusieurs caractéristiques communes. D’abord, il décide sans recours

possible du sort du texte qui lui est déféré et qu'il confronte aux dispositions

constitutionnelles, puisqu'une norme déclarée non conforme se voit privée de la

possibilité d'accéder à une existence juridique et ne peut entrer en application.

Ensuite, ses décisions étant revêtues de l’autorité absolue de chose jugée (art. 62,

alinéa 2), son activité est nécessairement de nature juridictionnelle. Il en résulte que,

dans la pratique, c’est de très loin cette mission du Conseil comme juge

constitutionnel qui occupe aujourd’hui la plus grande part de son activité.

C’est pourquoi, il convient à présent de focaliser l’analyse sur sa jurisprudence.

1

II – La jurisprudence du Conseil constitutionnel français

A l’origine, dans l’intention des rédacteurs de la Constitution, le rôle du Conseil

constitutionnel devait essentiellement être celui d’un « régulateur de l’activité

normative des pouvoirs publics » (L. Favoreu, Revue du Droit public, 1967). La mission

principale du Conseil constitutionnel aurait dû consister à veiller à ce que, par

application du principe de séparation des pouvoirs découlant de l’article 16 de la

Déclaration de 1789, l’autorité législative et l’autorité réglementaire disposent de

domaines d’interventions propres. La raison d’être de cette volonté des constituants

résidait dans le souci d’éviter que ne se reproduisent les dérèglements qui avaient

marqué les IIIème et IVème Républiques en confiant au Conseil constitutionnel la

mission de veiller au respect du domaine de la loi et du règlement. Cependant, cette

voie de contrôle s’est rapidement tarie dans la mesure où le Conseil constitutionnel a

jugé dans sa décision du 30 juillet 1982, Blocage des prix et revenus, que, « … si les

articles 34 et 37, alinéa 1er, de la Constitution établissent une séparation entre le domaine de

la loi et celui du règlement, la portée de ces dispositions doit être appréciée en tenant compte

de celles des articles 37, al. 2 et 41; que la procédure de l’article 41 permet au Gouvernement

de s’opposer au cours de la procédure parlementaire et par la voie d’une irrecevabilité à

l’insertion d’une disposition réglementaire dans une loi, tandis que celle de l’article 37, al. 2, a

pour effet, après la promulgation de la loi et par la voie d’un déclassement, de restituer

l’exercice de son pouvoir réglementaire au Gouvernement et de donner à celui-ci le droit de

modifier une telle disposition par décret : que l’une et l’autre de ces procédures ont un

caractère facultatif; qu’il apparaît ainsi que, par les articles 34 et 37, alinéa 1er, la Constitution

n’a pas entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire

contenue dans une loi, mais a voulu, à côté du domaine réservé à la loi, reconnaître à

l’autorité réglementaire un domaine propre et conférer au Gouvernement, par la mise en

œuvre des procédures spécifiques des articles 37, alinéa 2 et 41, le pouvoir d’en assurer la

1

protection contre d’éventuels empiétements de la loi; que, dans ces conditions, les députés

auteurs de la saisine ne sauraient se prévaloir de ce que le législateur est intervenu dans le

domaine réglementaire pour soutenir que la disposition critiquée serait contraire à la

Constitution » (cf. : Documents, décision n° 6). Ceci signifie clairement que les

empiètements du législateur, hors de son domaine réservé, dans le domaine

réglementaire ne conduisent pas nécessairement à des annulations des dispositions

concernées. Bien évidemment, cette interprétation vide de presque tout son intérêt le

contrôle de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir

réglementaire.

C’est la raison pour laquelle, au-delà de ce contentieux institutionnel, il paraît

plus important de porter l’attention sur le contentieux substantiel en évoquant ici la

jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au contrôle de constitutionnalité,

d’une part, des lois ordinaires ; et , d’autre part, des engagements internationaux.

Le contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires – Le contrôle exercé par le

Conseil n'est obligatoire et systématique que pour les règlements des assemblées et

pour les lois organiques (art. 61, alinéa 1er). Pour les lois ordinaires, le contrôle est

facultatif puisqu'il n'est exercé que si le Conseil est saisi dans les conditions fixées par

l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, à savoir par le président de la République, le

premier ministre, le président du Sénat ou le président de l’Assemblée nationale.

Depuis une révision constitutionnelle du 29 octobre 1974, ce droit de saisine a été

étendu à des groupes de parlementaires composés soit de plus de soixante sénateurs,

soit de plus de soixante députés. Dans le cadre spécifique de l'article 61, alinéa 2, le

contrôle exercé par le Conseil constitutionnel est un contrôle préventif ou a priori,

c'est-à-dire intervenant sans doute après le vote de la loi mais préalablement à sa

promulgation. Il a pour conséquence qu'en principe une loi promulguée, que le

1

Conseil constitutionnel n'ait pas été saisi ou qu'il ait rendu une décision de

conformité, est irréprochable et incontestable et ne doit plus pouvoir faire l'objet

d'une contestation à quelque titre que ce soit. Ce mode de contrôle a donc pour

principal avantage d'assurer l'intangibilité des lois promulguées et par voie de

conséquence une grande sécurité juridique. Mais le contrôle préventif présente aussi

quelques inconvénients. D'une part, si une loi promulguée n'a pas été déférée en

temps utile au Conseil constitutionnel, soit par négligence, soit par indifférence des

parlementaires d'opposition, elle ne peut plus être remise en cause alors que,

peut-être, sa conformité à la Constitution est douteuse. D'autre part, le contrôle de

constitutionnalité est forcément limité aux lois qui depuis 1958 ont été (ou seront)

votées et qui ont été (ou seront) soumises avant promulgation au Conseil

constitutionnel, sans que jamais la constitutionnalité des lois antérieures à 1958

puisse faire l'objet du moindre contrôle alors que celui-ci pourrait se révéler

nécessaire. C’est la raison pour laquelle, depuis 1989, il existe un débat sur le point de

savoir s’il ne faudrait pas permettre aux juridictions judiciaires et administratives de

saisir le Conseil constitutionnel de questions préjudicielles de constitutionnalité afin

que celui-ci les tranche définitivement. Une telle réforme aurait comme vertu de

mettre en œuvre un contrôle de la constitutionnalité des lois aussi bien avant leur

promulgation, qu’après, c’est-à-dire au moment où la loi produit ses effets.

Quoiqu’il en soit, la jurisprudence du Conseil constitutionnel français en

matière de contrôle de constitutionnalité des lois occupe désormais une place

prépondérante au sein de l’ensemble des décisions que peut rendre cette juridiction.

Et, bien que la protection offerte aux citoyens par le système français de contrôle de

constitutionnalité des lois ne soit qu’indirecte, force est de constater qu’à l’heure

actuelle les textes législatifs les plus importants échappent rarement au filtre du

contrôle exercé par le juge constitutionnel. A cet égard, deux grandes tendances de la

1

jurisprudence du Conseil constitutionnel français peuvent être soulignées : d’une

part, celui-ci s’efforce de préserver la structure fondamentale de l’Etat et, d’autre

part, il garantit une protection accrue des droits fondamentaux.

S’agissant, en premier lieu, de la structure fondamentale de l’Etat, il apparaît

que le Conseil porte une attention particulière au maintien de l’unité et de

l’indivisibilité de la République qui découle de l’article premier de la Constitution de

1958. Ainsi, le Conseil constitutionnel a-t-il censuré la reconnaissance par le

législateur de l’existence d’un « peuple corse » dans la décision du 9 mai 1991, Statut

de la Corse (cf. : Documents, décision n°9). De même, l’indivisibilité de la République

s’oppose à la reconnaissance de droits spécifiques à des minorités. En ce sens, le

Conseil constitutionnel a déclaré incompatibles avec la Constitution des stipulations

de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (décision du 25 juin

1999). Mais il a aussi considéré que la conception républicaine de l’égalité et de

l’indivisibilité de la souveraineté interdisait la création par le législateur de quotas

fondés sur des discriminations expressément interdites par la Constitution, comme

celles fondées sur le sexe. C’est la solution qu’il a retenue dans sa décision du

18 novembre 1982, Quotas par sexe (cf. : Documents, décision n° 7). Par exemple aussi,

l’indivisibilité de la République empêche que certaines politiques publiques soient

soumises à une différenciation en fonction des territoires. Le Conseil constitutionnel

juge en particulier que les conditions essentielles d’application d’une loi relative aux

libertés publiques ne peuvent dépendre des décisions des collectivités territoriales et

ne peuvent donc être différentes selon les collectivités (décision du 1 3 janvier 1994,

Révision de la loi Falloux). De la sorte, le principe d’indivisibilité se combine

étroitement avec le principe d’égalité qui a acquis une valeur positive et

constitutionnelle depuis une décision du 27 décembre 1973, Taxation d’office (cf. :

Documents, décision n° 3). C’est dans ce cadre général que s’inscrit la

1

décentralisation. Cette dernière correspond, dans la Constitution de 1958, au principe

de libre administration des collectivités locales proclamé à l’article 72. Elle demeure

donc essentiellement administrative, même si les articles 72 et suivants de la

Constitution ont été profondément modifiés par la révision constitutionnelle du

28 mars 2003 (cf. : Documents, décision n° 10). Pour s’en tenir aux principales

dispositions, et mises à part les règles spécifiques applicables outre-mer, la libre

administration des collectivités locales s’exprime, dans la Constitution, à travers

quelques grands principes. Les collectivités locales s’administrent librement par des

conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour exercer leurs

compétences. Elles peuvent procéder à des référendums locaux. Elles doivent

disposer des ressources financières nécessaires. Dans le même temps, le préfet,

représentant de l’Etat, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et

du respect des lois (décision du 25 février 1982, Décentralisation).

S’agissant, en second lieu, des droits fondamentaux, le Conseil constitutionnel

développe depuis sa décision du 16 juillet 1971, Liberté d’association (cf. : Documents,

décision n° 2), une jurisprudence protectrice des droits et libertés fondamentaux qui

le conduit à garantir peu à peu tous les droits classiquement reconnus par les

constitutions modernes. Pour ne se limiter qu’à quelques illustrations, le Conseil

protège bien évidemment les « droits-libertés », ou droits de la première génération,

tels que le droit de propriété comme il l’a fait, par exemple, dans sa décision du

16 janvier 1982, Nationalisations (cf. : Documents, décision n° 5). Malgré certaines

hésitations, le Conseil constitutionnel, parce qu’il ne dispose pas d’un fondement

textuel solide en ce domaine ne consacre pas à proprement parler une hiérarchie

entre les droits fondamentaux constitutionnels permettant de soutenir que les droits

appartenant à cette première catégorie seraient des droits de « premier rang »,

comme peuvent être conduites à le faire d’autres cours constitutionnelles

1

européennes telles que le Tribunal constitutionnel fédéral allemand. Lorsque

l’occasion lui a en été offerte, le Conseil constitutionnel a toujours repoussé cette

éventualité et ce, même si la consécration constitutionnelle du droit fondamental en

question aurait pu permettre une telle reconnaissance. Un bon exemple peut être

trouvé avec sa décision du 10 octobre 1984, Entreprises de presse (cf . : Documents,

décision n° 8), où il a mis en œuvre la liberté de la presse qui prend pourtant sa

source dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du

26 août 1789 qui dispose que « … la libre communication des pensées et des opinions est

un des droits les plus précieux de l’Homme ». Une telle formulation aurait pu conduire à

penser qu’il existerait une hiérarchie entre les droits fondamentaux prévus par la

Constitution. En réalité, il n’en est rien et lorsque le Conseil constitutionnel se trouve

confronté à une situation juridique mettant en jeu plusieurs droits fondamentaux, il

procède à une conciliation entre ces normes de valeur constitutionnelle égale.

C’est ainsi qu’il a procédé notamment dans sa décision du 16 janvier 1982,

Nationalisations (cf. : Documents, décision n° 5).

Le Conseil constitutionnel protège aussi les droits fondamentaux que l’on

pourrait qualifier de « droits-garanties » tels que le droit au juge ou le droit au procès

équitable. Cette jurisprudence a aujourd’hui acquis une importance singulière en

particulier pour ce qui est des garanties offertes aux justiciables dans le cadre du

procès pénal. Plusieurs décisions importantes jalonnent la jurisprudence du Conseil

constitutionnel français : la décision du 19 janvier 1981, Sécurité-Liberté, par exemple,

et, plus près de nous, la décision du 2 mars 2004, Evolutions de la criminalité (cf. :

Documents, décision n° 11). Dans cette décision particulièrement importante,

le Conseil constitutionnel rappelle des exigences classiques telles que la nécessité de

définir les infractions pénales en « termes suffisamment clairs et précis » en vertu du

principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, ou encore que soit

1

assurée la publicité des débats lorsque la juridiction de jugement se voit reconnaître

le pouvoir de prononcer une sanction privative de liberté, etc.

Mais le rôle du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de

constitutionnalité ne se limite pas à vérifier la conformité des actes votés par le

Parlement national avec la norme fondamentale de l’ordre juridique interne. Il lui

incombe aussi de vérifier la compatibilité du « droit venu d’ailleurs » selon la belle

formule du Doyen Vedel, avec la Constitution.

Le contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux – En premier

lieu, s’agissant des rapports entre les engagements internationaux et la loi, l’article 55

de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que : « Les traités ou accords régulièrement

ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous

réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Sur le

fondement de cette disposition, le Conseil constitutionnel aurait pu exercer un

contrôle de la conformité des lois aux engagements internationaux de la France, ce

qui en aurait fait le « juge naturel » de la loi par rapport à l’ensemble des normes,

constitutionnelles et internationales, qui lui sont supérieures. Cependant, il refuse de

sanctionner les violations indirectes de l’article 55 résultant de la méconnaissance par

une loi ordinaire des dispositions d’un engagement international. Ce refus a été

clairement exprimé par le Conseil dans sa décision du 15 janvier 1975, Interruption

volontaire de grossesse (cf. : Documents, décision n° 4).

Le Conseil avait été saisi, conformément à l’article 61, par soixante députés

d’une demande en vérification de la conformité à la Constitution de la loi sur

l’interruption volontaire de grossesse, au motif notamment que cette loi aurait

méconnu les dispositions de l’article 2 de la Convention européenne des droits de

l’homme et aurait par conséquent contrevenu au principe posé par l’article 55.

1

Dans sa décision, le Conseil indique, dans des termes d’un caractère suffisamment

général pour fixer le droit applicable en la matière, qu’il ne lui appartient pas,

« lorsqu’il est saisi en application de l’article 61, d’examiner la conformité d’une loi aux

stipulations d’un traité ou d’un accord international ». Il estime, en effet, qu’il y a une

différence de nature entre le contrôle que peut postuler l’article 55 et le contrôle de la

conformité des lois à la Constitution prévu par l’article 61. Cette différence tient

notamment à ce que la supériorité des engagements internationaux présente un

caractère à la fois relatif et contingent, parce que le traité ou l’accord a un champ

d’application limité et parce que cette supériorité n’existant que pour autant qu’il y

réciprocité peut varier dans le temps alors que la primauté de la Constitution sur les

lois internes est générale, absolue, définitive. C’est pourquoi la sanction prévue par

l’article 62, à savoir l’interdiction de promulguer une loi déclarée non-conforme à la

Constitution paraît inadaptée par son caractère lui aussi « absolu et définitif » au

problème que pose l’éventuelle contradiction entre une loi interne et les normes

inscrites dans un traité ou un accord international. Aussi bien le Conseil relève-t-il

qu’une loi contraire à un traité n’est pas nécessairement contraire à la Constitution.

On comprend parfaitement, dans ces conditions, que le Conseil, qui ne peut être saisi

en cette matière que par la voie de l’article 61, n’ait pas accepté d’intégrer dans le

contrôle institué dans cet article celui assez différent que suppose l’article 55. Mais si

on veut que ce dernier ne demeure pas lettre morte, il faut tout de même qu’il donne

lieu à un contrôle qui ne peut donc être exercé que par les juridictions judiciaires

(Cour de cassation, 24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre) et administratives

(Conseil d’Etat, 20 octobre 1989, Nicolo).

La seule exception à cette orientation jurisprudentielle bien établie du Conseil

constitutionnel concerne l’hypothèse où une loi nationale transposant une directive

communautaire s’écarte de la norme de droit communautaire dérivé qu’elle est

1

censée mettre en œuvre (Décisions du 10 juin 2004, Economie numérique et du 27 juillet

2006, Identité constitutionnelle de la France ). Cette jurisprudence se justifie, par la

distinction que relève le Conseil constitutionnel entre, d’une part, les « engagements

internationaux » de la France stricto sensu et, d’autre part ses « obligations

communautaires » (cf. : Documents, décision n° 12). Les conditions d’applicabilité des

premiers résultent de l’article 55 de la Constitution, alors que l’application des

secondes découle désormais de l’article 88-1 de la Constitution qui ouvre une voie

d’accès privilégiée au profit du droit communautaire, ce qui en retour implique

nécessairement un contrôle renforcé.

En second lieu, s’agissant cette fois des rapports entre les engagements

internationaux et la Constitution, l’article 54 dispose que : « Si le Conseil

constitutionnel, saisi par le président de la République, par le premier Ministre, par le

président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a

déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution,

l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut

intervenir qu’après révision de la Constitution ». Seuls sont susceptibles de faire l’objet

d’un contrôle, les engagements qui nécessitent, avant leur ratification ou leur

approbation, une autorisation du Parlement, c’est-à-dire ceux visés par l’article 53.

Ce n’est qu’à leur égard qu’il peut être demandé au Conseil constitutionnel, de

vérifier la compatibilité de leurs clauses avec la Constitution. C’est ce qui ressort très

directement des termes mêmes de l’article 54, lequel lie étroitement le contrôle exercé

par le Conseil constitutionnel à l’autorisation de ratifier ou d’approuver, autorisation

qui doit être donnée par une loi votée par le Parlement ou par une loi référendaire.

Le Conseil constitutionnel peut être saisi des engagements internationaux par

le président de la République, le premier ministre, le président de l’une des

assemblées parlementaires et depuis la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 par

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soixante députés ou soixante sénateurs. Si le Conseil déclare l’engagement

international compatible avec la Constitution, alors le gouvernement peut décider de

procéder à son approbation ou de faire procéder à sa ratification. En revanche, si le

Conseil déclare l’engagement international incompatible avec la Constitution, alors le

gouvernement est tenu, soit de renoncer à l’approbation ou à la ratification, soit de

faire réviser au préalable la Constitution. Cette déclaration d’incompatibilité

intervient lorsque les engagements internationaux en question comportent « … une

clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés

constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la

souveraineté nationale … ». C’est ce qu’a jugé à nouveau le Conseil constitutionnel

dans sa décision du 19 novembre 2004, Traité constitutionnel (cf. : Documents, décision

n° 12), à propos de la compatibilité entre le traité établissant une Constitution pour

l’Europe et la Constitution française. L’autorisation de ratifier ce traité a été

subordonnée à une révision préalable de la Constitution de 1958, en particulier des

articles 88-1 et suivants. La difficulté réside dans le fait que cette modification de la

Constitution est bien intervenue, à la suite d’un vote du Congrès le 28 février 2005,

alors même que le référendum du 29 mai 2005 devant conduire au vote d’une loi de

ratification a échoué. Cette révision constitutionnelle est donc aujourd’hui en

suspens, tant que la ratification du traité ne sera pas effective.

Néanmoins, il est permis de penser que cette formule choisie à l’article 54 de la

Constitution de 1958 est à la fois habile et souple. Elle est habile car en évoquant une

éventuelle révision de la Constitution pour que celle-ci soit mise en harmonie avec le

projet d’engagement international litigieux, elle semble faire référence aux principes

de la primauté du droit international sur le droit interne, évoquée par l’alinéa 14 du

Préambule de 1946, auquel renvoie le Préambule de 1958. Elle est souple car elle

laisse toute liberté aux autorités étatiques pour procéder à cette révision, ce qui

2

implique, dans la réalité des choses, la primauté de la Constitution sur l’ensemble

des normes applicables dans l’ordre juridique interne.

Ferdinand Mélin-Soucramanien

Professeur de droit public à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV

Directeur du Centre d’études et de recherches comparatives sur

les constitutions, les libertés et l’Etat (C.E.R.C.C.L.E.)

Chaire U.N.E.S.C.O. Droits de l’homme, culture

de la paix et développement durable

Eléments bibliographiques

F. Mélin-Soucramanien, Constitution de la République française, 4ème édition, Dalloz, coll. « A savoir », Paris, 2006 P. Pactet et Ferdinand Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, 25ème édition, Sirey, Paris, 2006 L. Favoreu et L. Philip (avec la collaboration de P. Gaïa, R. Ghévontian, F. Mélin-Soucramanien et A. Roux), Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 13ème édition, Dalloz, coll. « Grands arrêts », Paris, 2005