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UNIVERSITE DE LILLE 2 DROIT ET SANTE FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES ET SOCIALES LE CONTROLE DU DEPASSEMENT DU SEUIL DES MARCHES PUBLICS Mémoire pour le DEA de Droit Public Année Universitaire 2001/2002 Par Bruno VILLALVA Sous la direction de Monsieur le Professeur Xavier VANDENDRIESSCHE, Vice-Président de l’Université de Lille 2

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UNIVERSITE DE LILLE 2DROIT ET SANTE

FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES,POLITIQUES ET SOCIALES

LE CONTROLE DU DEPASSEMENT DU SEUIL

DES MARCHES PUBLICS

Mémoire pour le DEA de Droit PublicAnnée Universitaire 2001/2002

Par

Bruno VILLALVA

Sous la direction de Monsieur le Professeur Xavier VANDENDRIESSCHE,Vice-Président de l’Université de Lille 2

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LE CONTROLE DU DEPASSEMENT DU SEUILDES MARCHES PUBLICS

« Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ; mieux vaudrait un sage ennemi ».

LA FONTAINE

Livre VIII. Fable 10 « L’ours et l’amateur des jardins ».

L’utilisation des seuils est fréquente en droit positif. Le droit civil1, le droit du travail2, le droit

fiscal3 ou encore, par exemple, le droit des concentrations économiques font couramment

appel à la technique des seuils pour doser le degré de droit applicable à un fait. L’emploi des

seuils sert ainsi à proportionner- en fonction d’un objectif précis – le droit convenable à une

situation donnée4. Pour sa part, le droit des marchés publics n’excepte pas à cette règle5.

L’ancien code des marchés publics prévu par le décret n° 64-719 du 17 juillet 1964 faisait un

usage important des seuils puisqu’il en prévoyait six6 s’échelonnant de 300 000 F TTC à 1

300 000F HT. Le nouveau code des marchés publics issu du décret n° 2001-210 du 7 mars

2001, qui le remplace, n’a pas échappé à la tentation d’y recourir. Mais, il a simplement

1 Au fil des années, le droit civil donne à l’enfant-mineur de plus en plus de droit lui permettant ainsi d’accéder àune totale capacité juridique. C’est le système de la pré-majorité.2 Le décompte des effectifs sert à la mise en place des organes de représentation du personnel c’est à dire lesdélégués du personnel, les déléguées syndicaux, les comités d’entreprises ou les comités d’hygiène, de sécuritéet des conditions de travail. Voir l’ouvrage de Jean Pélissier, d’Alain Supiot et d’Antoine Jeammaud : « Droit dutravail » Précis-Dalloz 20ème édition 2000 page 610 et suivantes ; Voir également la thèse de C. SACHS-DURAND : « Les seuils d’effectifs en droit du travail » LGDJ 1985.3 Par exemple, les obligations déclaratives des contribuables sont définies en fonction du chiffre d’affaires horstaxe qu’ils réalisent. On distingue ainsi le régime de l’évaluation réelle normale, le régime de l’évaluation réellesimplifiée et le régime des micro-entreprises. Voir par exemple Maurice COZIAN : « Précis de fiscalité desentreprises » Litec 2001 pages 187 et suivantes. L’imposition forfaitaire annuelle est également calculée enfonction du chiffre d’affaires.4 Pour paraphraser le Doyen CARBONNIER, on pourrait dire que les seuils s’inscrivent sur une échelle du droitqui va du moins de droit au plus de droit.5 Les délégations de service public recourent également aux seuils (de 450 000 F et 700 000 F). Voir l’article L1411-12 du code général des collectivités territoriales. Lire également la récente réponse ministérielle, à laquestion écrite de Marcel-Pierre Cleach du 24 janvier 2002 JO Sénat n° 35268 page 218, portant sur le calcul desseuils prévus en matière de délégation de service public par la loi Sapin.6 L’ancien code prévoyait ainsi un seuil de 300 000 F TTC pour les achats sur factures, un seuil de 700 000 FTTC pour les marchés négociés, un seuil de 900 000 F TTC pour l’appel d’offres avec publicité au BOAMP, unseuil de 900 000 F HT pour l’appel d’offres avec publicité communautaire pour l’Etat, un seuil de 1 300 000 FHT pour l’appel d’offres avec publicité communautaire pour les collectivités locales. Le seuil des marchés demaîtrise d’œuvre était variable selon l’importance des marchés. Les seuils allaient de 450 000 F TTC à 1 300000 F TTC.

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cherché à simplifier la tâche des acheteurs publics en réduisant leur nombre à trois7. On

trouve désormais un seuil de 90 000 Euros HT, un seuil de 130 000 Euros HT et un seuil de

200 000 Euros HT. Pour résumer très simplement, sous l’empire des nouvelles dispositions,

les marchés qui ne dépassent pas 90 000 Euros HT constituent des marchés sans formalités

préalables. Ceux qui sont compris entre 90 000 Euros HT et 200 000 Euros HT pour les

collectivités territoriales (ou 130 000 Euros HT concernant l’Etat) sont conclus au terme

d’une procédure de mise en concurrence simplifiée. Enfin, les marchés qui excèdent le seuil

de 200 000 Euros HT (ou de 130 000 Euros HT pour l’Etat) sont passés selon les règles de

l’appel d’offre.

Cela étant rappelé, les seuils des marchés publics remplissent des objectifs distincts et ont, de

ce fait, ont une utilité variable8. L’ancien code des marchés publics comportait cinq catégories

de seuil. Ainsi, il y avait des seuils de publicité9, des seuils de mise en concurrence (dits

également, seuils de procédure) pour les commandes hors marchés et les marchés négociés

inférieurs à 700 000 F TTC par exemple, des seuils rendant obligatoire la réunion des

commissions spécialisées des marchés10, un seuil de 300 000 F TTC imposant la passation

d’un marché formel et un seuil rendant obligatoire l’avance forfaitaire. Le nouveau code,

quant à lui, prévoit un seuil de passation pour les marchés sans formalités préalables11, ceux

adoptés selon la procédure de mise en concurrence simplifiée12, ou d’appel d’offres13, ainsi

que les marchés de maîtrise d’œuvre14 ; un seuil de publicité nationale15 ; un seuil de délai de

7 Pour être complet, on doit ajouter que les marchés de fournitures ou de services d’un montant supérieur à 750000 Euros HT ainsi que les marchés de travaux qui excèdent 5 000 000 Euros HT doivent être précédé d’un avisde préinformation lequel sera publié au Journal Officiel des Communautés Européennes. De son côté, le droitcommunautaire possède ses propres seuils. Les seuils communautaires sont de 34 000 000 F HT pour lesmarchés de travaux et de 1 350 000 F HT pour les marchés de fournitures et les marchés de services.8 Sur ces seuils, voir F. OLIVIER : « Les seuils du Code des marchés publics » Contrats et marchés publics Août2001 page 30 ; Voir la définition du terme seuil donné par Michel GUIBAL : « Mémento des marchés publics »Le Moniteur 1996.9 L’avis de la procédure de l’appel d’offres devait être obligatoirement publié au Bulletin Officiel d’Annoncesdes Marchés Publics lorsque le marché était supérieur à 900 000 F HT.10 Les commissions spécialisées (à savoir la Commission des marchés de bâtiment et de génie civil, laCommission des marchés d’aéronautiques, de mécanique, de matériels électriques et d’armement, laCommission des marchés électronique et de télécommunications, la Commission des marchés d’informatique, laCommission des marchés d’approvisionnements généraux) sont chargées, au-delà d’un certain seuil, d’examinerpréalablement à leur passation les marchés de l’Etat et d’émettre un avis. Voir les articles 206 à 221 du code desmarchés publics.11 Voir l’article 28 du nouveau code des marchés publics.12 Voir l’article 32 du nouveau code des marchés publics.13 Voir l’article 39 du nouveau code des marchés publics.14 Voir l’article 74 du nouveau code des marchés publics.15 Voir l’article 40 du nouveau code des marchés publics.

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réception des candidatures16 ou de réception des offres17, un seuil pour le paiement de

l’avance forfaitaire18 ou celui des acomptes19, ainsi, qu’un seuil relatif à la composition de la

Commission d’appel d’offres des communes20 ou au paiement direct du sous-traitant.

Parmi ces différents seuils, le seuil de 300 000 F TTC de l’ancien code des marchés publics,

fixé par le décret n° 90-553 du 3 juin 1990, a été sans doute l’un des plus importants de tous21.

En effet, ce seuil était à la fois un seuil de marché et un seuil de procédure, c’est à dire qu’il

imposait en cas de dépassement concomitamment aux acheteurs publics la production d’un

marché public et la mise en œuvre des dispositions contraignantes du code pour la sélection

du cocontractant. Ce seuil prévoyait ce que l’on appelait les achats sur factures, les

commandes hors marchés ou encore les travaux sur mémoires. Les dispositions applicables à

ces commandes dites hors marchés - précisément parce qu’elles dérogeaient fortement à ces

règles - se trouvaient aux articles 123 et 321 de l’ancien code des marchés publics22. Cette

double numérotation correspondait alors au partage du code entre les marchés d’Etat et ceux

des collectivités territoriales. Avec le nouveau code des marchés publics, les commandes hors

marchés ont été remplacées par les marchés sans formalités préalables. Ceux-ci sont

désormais prévus par les articles 28, 29 et 30 du nouveau code. Mais en réalité, seuls les

contrats conclus dans le cadre de l’article 2823 sont les véritables successeurs des travaux sur

mémoire des articles 123 et 321 de l’ancien code des marchés publics.

16 Voir les articles 57 et 61 du nouveau code des marchés publics.17 Voir les articles 57, 61, 58 et 66 du nouveau code des marchés publics.18 Voir l’article 87 du nouveau code des marchés publics.19 Voir l’article 89 du nouveau code des marchés publics.20 Voir l’article 22 du nouveau code des marchés publics.21 Ce seuil était autrefois de 150 000 F, puis le décret 85-42 du 8 janvier 1985 publié au Journal Officiel du 12janvier (page 428) l’a fixé à 180 000 F.22 Les articles 123 et 321 de l’ancien code des marchés publics prévoyaient : «Il peut être traité en dehors desconditions fixées par le présent titre : 1° Pour les travaux, les fournitures ou les services dont le montant annuelprésumé, toutes taxes comprises, n’excède pas la somme 300 000 F ; 2° Pour les achats dans les conditions lesplus avantageuses de denrées alimentaires périssables sur foires ou marchés ou sur les lieux de production sanslimitation de montant ».23 L’article 28 du nouveau code des marchés publics dispose : « Les marchés publics peuvent être passés sansformalités préalables lorsque le seuil de 90 000 Euros HT n’est pas dépassé.En cas de marchés portant sur des fournitures ou des services, les numéros pertinents de la nomenclature et lesréférences des fournisseurs ou des prestataires sont transmis par l’ordonnateur au comptable assignataire.Le règlement des prestations peut avoir lieu sur présentation de mémoires ou factures ».

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L’article 2924 traite en effet des achats de denrées périssables tandis que l’article 3025 porte sur

certains marchés passés sans formalités en raison de leur objet et non de leur montant ; ce sont

des marchés qui sont complètement déconnectés de la notion de seuil.

Les marchés sans formalités préalables de l’article 28 du nouveau code fixent un seuil de 90

000 Euros HT, ce qui correspond dans l’ancienne monnaie à 590 361 F HT ou encore 706 072

F TTC. Comparé au seuil des articles 123 et 321 de l’ancien code, on constate donc que ce

seuil a quasiment été doublé et qu’il correspond presque environ à celui de 700 000 F TTC

prévu sous l’ancien code des marchés publics en matière de procédure d’appel d’offres

obligatoire.

Traditionnellement, le respect de la computation du seuil des marchés publics est assuré par le

juge administratif26, juge naturel du code des marchés publics. Toutefois, un autre juge de

droit public assure le contrôle des dispositions de ce code et vient donc concurrencer le juge

administratif : il s’agit du juge financier. En effet, la Cour des Comptes et les Chambres

régionales des comptes sont chargées du contrôle juridictionnel des comptables publics et du

contrôle de la gestion des ordonnateurs des administrations publiques nationales ainsi que des

collectivités territoriales et des établissements publics locaux. A cette occasion, et en

application de règles qui leurs sont propres, les juges financiers sont amenés à jeter un regard

différent sur les marchés publics conclus par les décideurs publics. Ce phénomène de

concurrence entre le droit administratif et le droit de la comptabilité publique, et par voie de

conséquence entre les juges chargés d’en assurer l’observance ne doit cependant pas

étonner27. Le rôle du « juge financier, juge administratif » c’est à dire le rôle de juge

24 L’article 29 du nouveau code des marchés publics prévoit : « En deçà du seuil de 130 000 Euros HT pourl’Etat et de 200 000 Euros HT pour les collectivités territoriales, les marchés publics peuvent être passés sansformalités préalables pour les achats, dans les conditions les plus avantageuses, de denrées alimentairespérissables sur foires ou marchés ou sur les lieux de production ».25 L’article 30 du nouveau code des marchés publics, enfin rappelle : « Les marchés publics qui ont pour objet :1° Des services juridiques ; 2° Des services sociaux et sanitaires ; 3° Des services récréatifs, culturels et sportifs; 4° Des services d’éducation ainsi que des services de qualification et insertion professionnelles, sont soumis,en ce qui concerne leur passation aux seules obligations relatives à la définition des prestations par référence àdes normes, lorsqu’elles existent, ainsi qu’à l’envoi d’un avis d’attribution. La liste des services relevant descatégories mentionnées ci-dessus est fixée par décret. Les contrats ayant pour objet la représentation d’unepersonne publique en vue du règlement d’un litige ne sont soumis qu’aux dispositions du présent article ainsique des titres Ier et II du présent code ».26 Il y a en matière de marchés publics quatre juges administratifs : le juge des référés, le juge de l’excès depouvoir, le juge du contrat, le juge de l’astreinte. Voir Dominique POUYAUD : « La sanction de l’irrégularitédans la passation des marchés » Droit Adm, avril 1998 page 4 et suivantes.27 Sur les phénomènes de concurrence entre le juge administratif et le juge financier, voir l’ouvrage fondamentalde Stéphanie DAMAREY : « Le juge administratif, juge financier » Dalloz, 2001, 538 pages. Pour ne prendrequ’un exemple propre au sujet traité, on rappellera que le Conseil d’Etat a consacré le principe du droit

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administratif que joue le juge financier n’est plus à démontrer28. Le droit des marchés publics,

et notamment la question du seuil de ceux-ci, est ainsi au confluent du droit administratif et du

droit de la comptabilité publique. La matière des marchés publics en effet multiplie les points

de contact ou pour reprendre une expression déjà employée possède « des zones frontières »29.

Pour être précis, il faut ajouter encore que la question de la computation du seuil des marchés

publics ne se limite pas cette double approche ; car, à côté des juges administratifs et

financiers, l’administration joue un rôle non négligeable30. Pour des raisons tenant à la relative

rapidité de son intervention, elle délivre sous forme de réponses ministérielles31, de

circulaires, d’instructions ou d’avis donnés par la Direction des affaires juridiques32 des

interprétations administratives. Son intervention permet alors de fixer le sens d’un texte

législatif ou réglementaire dans un temps relativement court et évite de devoir attendre

budgétaire selon lequel l’autorisation de dépenser ne vaut pas celle de contracter. Voir CE du 13 novembre 1953Chambre syndicale des industries et du commerce des armes, munitions et articles de chasse, Recueil page 487.28 L’expression est de Michel LASCOMBE et Xavier VANDENDRIESSCHE. Voir l’Avant-propos au colloqueconsacré au « Conseil d’Etat, juge financier » Revue française de Finances Publiques n° 70, juin 2000 pages 9 etsuivantes ; Le juge administratif « de droit commun » n’est donc pas le seul juge à connaître de cette matière.L’expression juge de droit commun est tirée de l’article de Michel LASCOMBE et XavierVANDENDRIESSCHE : « Chronique de droit public financier » RFDA 2000 page 173. Il importe de lire cettechronique inaugurale dans la mesure où elle scelle définitivement les enjeux de ce regard croisé. On peut y lireles observations suivantes : « Il est donc nécessaire de déterminer, d’une part si le juge financier a la mêmeapproche des notions du droit administratif que le juge administratif lui-même et d’autre part, si lajurisprudence financière influe sur le fonctionnement même de l’administration, autrement dit si celle-ci tientcompte de ces décisions et observations pour se réformer et s’adapter » ou encore « Nous tenterons donc derechercher comment le juge administratif et le juge financier se complètent ou s’opposent dans l’application desrègles du droit administratif » ou encore « Cette analyse conduira nécessairement à se poser la questioncontroversée de l’étendue du pouvoir du comptable et du juge financier dans l’appréciation de la légalité desactes administratifs et donc de la contrariété éventuelle des analyses dans ce cadre ». Voir enfin la récente étudede Michel LASCOMBE : « Le juge des comptes, juge administratif ? » Mélanges Jean WALINE 2002 pages 639et suivantes.29 La Revue du Droit Public est partie, dans sa livraison n° 4 de l’année 1998, à la recherche des « zonesfrontières » c’est à dire des liens qu’entretient le droit administratif avec d’autres droits et notamment le droitfinancier. La Revue a confié à Jean-Pierre CAMBY (pages 953 et suivantes) le soin de traiter des relationsnouées entre ces deux branches du droit public. En réalité, on peut se poser la question de savoir si le droit publicfinancier à des zones de contact avec le droit administratif ou s’il ne recouvre pas, contrairement à ce quesoutient Jean-Pierre CAMBY, en totalité ce droit à la manière du droit fiscal à l’égard des autres branches dudroit. La comptabilité - qu’elle soit commerciale ou publique - a vocation à traduire en terme de flux financiersl’ensemble des faits et actes juridiques. Plus rien dès lors ne saurait lui échapper.30 La DGCCRF intervient dans le contrôle des marchés publics. La DGCRF a fait savoir dans son rapport pourl’année 2000 qu’elle avait renforcé son contrôle sur ceux-ci (le nombre de lettres d’observations envoyées eneffet est en augmentation). Des sanctions ont même parfois été prises à cette occasion par le Conseil de laconcurrence.31 Sur le rôle des questions posées aux ministres, on renverra à la lecture de Bruno OPPETIT : « L’essor desréponses ministérielles » Droit et modernité PUF-Doctrine juridique 1998 pages 137 et suivantes.32 La Direction des affaires juridiques a repris au sein du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie(MINEFI) les attributions de la Commission centrale des marchés. Elle est chargée notamment d’émettre desavis sur les questions posées par les acheteurs publics ou les entreprises candidates à un marché public. Même sises avis n’ont pas en soi de valeur juridique, l’habitude a été prise de les suivre tant que le juge ne les a pas remisen cause. Dans les faits, ils servent donc de guide à l’ensemble des acteurs de la commande publique.

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plusieurs années que la jurisprudence vienne préciser le sens d’une disposition qui, jusque-là,

était ou paraissait obscure. Ces réponses, ces avis forment un ensemble appelé doctrine

administrative33 qui doit être regardée comme l’instauration d’une procédure de consultation

officielle et gratuite de l’Administration semblable à la procédure romaine du rescrit34.

De cette profusion des sources – juridictionnelles et administratives - il en résulte un certain

désordre qui rend la question du dépassement du seuil des marchés publics particulièrement

difficile à appréhender. Même si le Professeur Pierre DELVOLVE a pu soutenir que le droit

des marchés publics tend à s’unifier, l’affirmation contraire ne semble pas dénuée de

fondement. Pour lui, en effet le droit des marchés publics a « reçu une impulsion qui

contribue à son unification. Celle-ci n’est pas totale. Il reste bien des éléments de divergence.

Du moins le mouvement est-il lancé. Il se manifeste par deux tendances : - d’une part, la

notion de marché public s’étend ; d’autre part, le régime des marchés publics se renforce »35.

Et l’éminent auteur d’ajouter que « dans leur volonté d’assurer le respect des règles régissant

les marchés publics, les pouvoirs publics, tant communautaires que français, ont institué de

nouveaux mécanismes de contrôle, dont l’aménagement, comportant extension des solutions à

de nombreux types de contrats, révèle encore une tendance à l’unification »36. En réalité, il ne

faut pas négliger que le contentieux des marchés publics est écartelé entre plusieurs juges

(juge administratif, juge financier, juge pénal, juge civil, Conseil de la concurrence et Cour

d’Appel de Paris, et juge des référés précontractuels) et que cet éclatement juridictionnel n’est

pas propice, contrairement à ce que prétend Pierre DELVOLVE, à l’unification de cette

branche du droit37. On sait trop bien, en effet, que la multiplication des juridictions contribue

33 La Direction Générale des impôts, laquelle relève également du MINEFI, a aussi mais avec certainesspécificités sa doctrine administrative.34 Sur cette notion, on lira avec beaucoup de profit l’article de Bruno OPPETIT : « La résurgence du rescrit »Droit et modernité PUF-Doctrine juridique 1998 pages 153 et suivantes. D’une manière générale, sur la questiondes avis en droit, on conseillera, même si, de manière surprenante, la Commission centrale des marchés n’y estpas abordée, l’ouvrage rédigé sous la direction de Thierry REVET : « L’inflation des avis en droit » Economica-Etudes juridiques 1998, 203 pages.35 Voir Pierre DELVOLVE : « Vers l’unification du droit des marchés publics ? » Mélanges Roland DRAGOEconomica 1996 page 227.36 Voir Pierre DELVOLVE : « Vers l’unification du droit des marchés publics ? » Mélanges Roland DRAGOEconomica 1996 page 236.37 Pierre DELVOLVE reconnaît d’ailleurs partiellement cette donnée incontournable en rappelant que «l’unification n’est pas telle qu’elle ait conduit à attribuer à un même ordre de juridiction le contentieux de tousles marchés publics : elle laisse subsister la dualité de juridiction (contrat administratif – contrat de droit privé)et corrélativement la dualité de compétence (administrative – judiciaire). Mais, s’agissant de faire respecter lesmêmes règles par des procédures et avec des pouvoirs juridictionnels identiques, on peut s’interroger sur lalégitimité de la division d’un même contentieux entre deux ordres de juridiction distincts ». Voir PierreDELVOLVE : « Vers l’unification du droit des marchés publics ? » Mélanges Roland DRAGO Economica 1996page 237.

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le plus souvent à développer les phénomènes de concurrence et à favoriser les divergences

jurisprudentielles38.

La question du seuil des marchés publics, enfin, est étroitement liée à celle, primordiale, de

leur prix. C’est pourquoi selon Michel GUIBAL « le prix est, avant tout, le seul critère

présent dans toutes les procédures d’attribution des marchés publics, quelles qu’elles soient.

Il est aussi un critère important, sinon essentiel, de la notion de marché public elle-même.

Dans ces conditions, il est un des éléments majeurs de la préparation des marchés et de leur

mise en concurrence, mais aussi de leur exécution. Si l’on ajoute à cela que le prix est

nécessairement payé avec des deniers publics, il devient évident que tout ce qui le concerne

est constitué par des éléments fondamentaux de l’élaboration des marchés publics :

détermination de sa hauteur, de la méthode d’analyse de l’offre dont il fait l’objet, de ses

modalités de calcul, de la technique de ses variations et de la procédure de paiement »39. On

signalera d’ailleurs que l’absence de prix d’un marché ou son imprécision sont sanctionnées

par la nullité du contrat40. Le prix prévu par un marché est définitif41 ; sa modification est

donc en principe interdite. L’Administration dispose cependant du pouvoir de modification

unilatérale du contrat et peut mettre à la charge de l’entreprise des prestations supplémentaires

qui entraîneront une augmentation du prix du marché42.

A la faveur de l’édiction du nouveau code des marchés publics, le calcul du seuil des

commandes hors marchés, concernant le passé43, et des marchés sans formalités préalables,

s’agissant du présent, a profondément évolué. Le droit des marchés publics est passé d’une

représentation statique ou figée et qui était sans rapport avec les réalités économiques à une

vision plus concrète des pratiques administratives et de la vie commerciale. La mise en place

du nouveau code des marchés publics correspond ainsi à l’abandon d’une méthode de

38 Il suffit de rappeler que la montée en puissance des droits de l’homme – d’aucuns, comme Michel Villey,parlent même à ce propos d’idéologie - au cours de la fin du XXème siècle s’est accompagnée de lamultiplication des juridictions chargées d’en assurer la protection (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, Courde Cassation, Cour des Droits de l’Homme et Cour de Justice des Communautés Européennes) et du choc deleurs jurisprudences.39 Voir Michel GUIBAL : « Marché publics des collectivités territoriales. Régime général » JurisclasseurCollectivités territoriales 1995 Fasc. 770 n° 26 ; Relativement à cette question, on peut également lire de VictorHAÏM : « Prix et règlement des marchés » Jurisclasseur administratif 1998 Fasc. 650.40 CE 9 mars 1960 Massada Recueil Lebon page 187.41 CE 21 mai 1990 Société Roudet, Req n° 79506.42 Sur ces points, voir LAMY Droit public des affaires (sous la direction de Lucien RAPP et PhilippeTERNEYRE) 2001 n° 2520 et suivants.43 En pratique, les délais d’apurement juridictionnel laisseront pendant quelques mois encore les dispositions del’ancien code des marchés publics en pleine lumière.

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computation du seuil des marchés publics fondée sur le fournisseur au profit d’une méthode

plus réaliste qui préconise l’identification exacte de la prestation44. La computation du seuil

des marchés publics enregistre ainsi le passage d’une conception juridique ( Chapitre I ) à

une conception économique ( Chapitre II ).

44 La compréhension du nouveau code ne pouvant se faire sans le détour par les dispositions et les applicationsde l’ancien, il a paru nécessaire de lui consacrer un chapitre.

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CHAPITRE I – LE PASSAGE D’UNE CONCEPTION JURIDIQUE DE

LA COMPUTATION DU SEUIL DES MARCHES PUBLICS

On estime habituellement que les achats sans factures ont concerné plus de la moitié des

commandes publiques45. Ce vif succès s’explique pour deux raisons essentielles : les

commandes hors marchés sont tout d’abord soustraites, au moment de leur passation, aux

procédures de publicité et de mise en concurrence préalables prévues par le code des marchés

publics, ce qui leur confère une très grande simplicité ; les dispositions prévues par le titre I

des livres II et III intitulé « Passation des marchés » du code ne s’appliquant pas à elles46

Elles permettent ensuite aux décideurs publics d’agir avec une certaine rapidité et de satisfaire

leurs besoins dans des délais très brefs.

Compte tenu de cette utilisation importante, la passation des commandes hors marchés aurait

pu être une anodine formalité. En réalité, rien de tel. La méthode de calcul du seuil des achats

sans factures s’est avérée totalement inadaptée aux circonstances économiques ( Section I )

de sorte que, parfois contre leur gré, ses usagers47 se sont trouvés dans des situations

juridiques particulièrement délicates ( Section II ).

SECTION I – UNE DEFINITION INADAPTEE :

La définition du seuil des marchés publics des articles 123 et 321 de l’ancien code des

marchés publics a été à l’origine d’une simplicité biblique qui la rendait totalement

compréhensible pour tous ( A ). Mais, en contrepartie de cette indéniable qualité, la définition

45 Voir Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveau Code desmarchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 4.46 Réponse ministérielle à Questions écrites de Jacquot n° 14789 JO Assemblée nationale 3 août 1998 page 4291; Moniteur TP 28 août 1998 page 29. Le Conseil d’Etat a jugé par exemple que la lettre du maire invitant lesdirecteurs des écoles primaires de sa commune à préférer, en cas d’égalité d’offres, les fournisseurs locaux n’estpas un acte administratif faisant grief si les fournitures commandées par les directeurs d’école sont d’un montantinférieur au seuil de 300 000 F TTC. Cette solution s’explique par le fait que le code des marchés ne leur est pasprécisément applicable. Voir CE 26 mai 1997 Commune de La Courneuve, Revue du Trésor n° 11 novembre1997 page 700.47 Dans son Rapport de 1996 (page 17) la Mission interministérielle d’enquête sur les marchés publics déploraitque les mémoires et achats sur factures se développent en dehors des prescriptions réglementaires. Selon elle, «cet espace de liberté (article 123 et 321 du code des marchés publics) apparaît ainsi comme un espace de non-droit qui peut donner lieu à tous les abus ». Citation extraite de Christine BRECHON-MOULENES : « Libertécontractuelle des personnes publiques » AJDA 1998 pages 648. Créée par la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991, la

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des commandes hors marchés a présenté rapidement l’inconvénient majeur de ne plus

coïncider avec les réalités économiques ( B ).

A – UNE DEFINITION SIMPLE

La définition du seuil des contrats conclus en application des articles 123 et 321 du code des

marchés publics a été l’œuvre de l’Administration ( 1 ). Bien que strictement entendue, les

juges ont pourtant autorisé certains dépassements ( 2 ).

1 – Une définition « administrative »

C’est à l’Administration ( a ) que l’on doit d’avoir donné aux utilisateurs du code des marchés

publics une méthode de computation du seuil des articles 123 et 321 et d’avoir ainsi créé la

théorie des « trois mêmes » ( b ).

a - Une interprétation administrative

Assez étonnamment, les articles 123 et 321 du code des marchés publics n’avaient pas prévu

de quelle manière le calcul du seuil des achats sans factures devait être effectué. Ce sont donc

deux instructions administratives du 29 décembre 197248 et du 10 novembre 1976 prises

respectivement pour l’application du code des marchés publics aux marchés d’Etat et aux

marchés des collectivités locales qui, en commentant le code de 1964, ont posé la règle

applicable. Selon l’instruction de 1972, par exemple, le seuil devait s’apprécier en

considération des prestations identiques ou similaires passées avec un même fournisseur au

cours d’une même année civile par un même acheteur, appelé « unité administrative ». De son

côté, l’instruction du 10 novembre 1976 disposait très exactement que « les commandes

doivent porter sur des prestations (travaux, fournitures ou services) de nature identique ou

similaire » et précisait que « par prestations de nature identique ou similaire, il faut entendre

toutes celles qui sont relatives à une même activité professionnelle du prestataire ». Toujours

selon cette instruction, le prix du contrat devait être prévisible puisqu’elle posait le principe en

vertu duquel « le montant présumé 49 doit être apprécié dans le cadre d’une même année

mission interministérielle d’enquête sur les marchés et (depuis 1993) les conventions de délégation de servicepublic a notamment pour mission de veiller au respect des atteintes au principe de la mise en concurrence.48 On notera que l’instruction du 29 décembre 1972 rappelle dans son article 1er que les actes pris en applicationdu code des marchés publics doivent respecter les règles de la comptabilité publique.49 La référence au montant annuel présumé est explicitement tiré de l’article 123 du code des marchés publics.

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civile pour les commandes passées par l’ensemble des services d’une même collectivité … à

un même fournisseur ».

Il est importe de faire observer, à ce propos, que ces deux instructions étaient en réalité des

circulaires parfaitement illégales. En effet, en application d’une jurisprudence constante du

Conseil d’Etat50, une circulaire ne doit rien ajouter au texte de loi ou réglementaire qu’elle est

chargée d’interpréter. Si elle va au-delà de la simple explication et qu’elle est innovante, on

considère qu’elle devient réglementaire et qu’elle peut alors être annulée sur le fondement de

l’incompétence de l’autorité qui la prise.

La théorie des « trois mêmes » a ensuite été reprise sous forme d’instructions administratives

par les services de la Direction de la Comptabilité Publique afin de servir de guide aux

comptables publics. Puis, en raison des lois de décentralisation de 1982 et de l’apparition de

pratiques divergentes sur l’ensemble du territoire, les pouvoirs publics ont décidé de doter

l’ensemble des comptables publics locaux d’un instrument unique. C’est ainsi que le décret n°

83-16 du 13 janvier 1983 pris consécutivement à la mise en place de la décentralisation,

lequel a été remplacé depuis lors par le décret n° 88-74 du 21 janvier 1988 et le décret n° 92-

1123 du 2 octobre 1992, a fixé la liste des pièces justificatives et demandé aux comptables

publics dans son annexe à l’article D-1617-19 du code général des collectivités territoriales «

de prendre en considération les commandes de nature identiques ou similaires dans l’année

civile à un même fournisseur ». Comme on peut le constater, ce texte était identique à celui

prévu dans les instructions de 1972 et 1976, la seule différence étant, mais elle est

d’importance, qu’il ne faisait plus référence à la notion de prévisibilité du montant de la

commande.

b - La théorie des « trois mêmes »

La simple lecture des instructions administratives comme de la nomenclature du décret

pièces-justificatives laissait une impression de facilité quant à l’application de ce triptyque. A

première vue, il ne semblait guère difficile de savoir ce qu’est un même fournisseur, une

même prestation et moins encore une même année. La seule difficulté aurait dû être celle de

savoir si les prestations prévues par la relation contractuelle entraient ou non dans le champ

d’application du code des marchés publics. C’est ainsi qu’il a été jugé que les prestations de

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services consistant dans le recours à une société de main d’œuvre intérimaire51, dans la

surveillance, le gardiennage d’un parking52, le sponsoring53, la location de véhicules

automobiles54 entraient dans le champ d’application du code des marchés publics55 et que par

suite, la production d’un marché public était obligatoire dès le dépassement du 300 000 F

TTC. Pourtant, à côté de ces hypothèses, les juges ont parfois autorisé, en dehors des

prescriptions de la doctrine des « trois mêmes », le dépassement de ce seuil.

2 – L’autorisation de dépassements

Les juges ont accepté le dépassement du seuil de 300 000 F TTC prévus par les articles 123 et

321 du code des marchés publics lorsque celui-ci a été minime ( a ) ou encore lorsqu’il a

présenté un caractère imprévisible pour l’acheteur public ( b ).

a - Les dépassements minimes

Sous l’ancien code, les dépassements minimes du seuil ont été traités comme une absence

totale de dépassement et le juge financier se bornait le plus souvent à enjoindre pour l’avenir

le comptable de respecter les règles financières56. Récemment encore, dans une affaire57 où

les dépassements étaient inférieurs à 30 000 F (plus exactement 16 999 F et 27 798 F) la Cour

des comptes a eu l’occasion de rappeler qu’elle tolérait ces dépassements.

On remarquera que cette attitude n’a jamais été l’apanage que du seul droit des marchés

publics. Elle existe également en droit fiscal avec la tolérance légale58 ou encore en droit des

50 Voir CE Ass 29 janvier 1954 Institution Notre-Dame du Kreisker.51 CRC Aquitaine 13 juillet 2000 Régie du port d’Arcachon, n° 2000-0113.52 CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur 23 janvier 2001 Commune du Luc en Provence, n° 2000-1127.53 CRC Rhône-Alpes 8 juin 2000 Département de la Loire, n° 2000-102.54 Cour des comptes 6 juillet 2000 Chambre d’agriculture du Finistère, n° 26421.55 Sur-le-champ d’application des règles relatives aux commandes hors marchés, Voir Cour des Comptes 25 mai2000 Commune de Remiremont n° 25923.56 Voir en ce sens Cour des Comptes 23 novembre 1998 Institut de physique du globe de Paris, n° 21081. Maisdans cette affaire, de manière surprenante car contre toute attente, la Cour n’a pas mis en débet le comptableconcerné. Voir également Cour des comptes 21 juin et 30 septembre 1999 Institut national des langues etcivilisations orientales (INALCO) n° 23775.57 Cour des comptes 6 juillet 2000 Ecole nationale supérieure de mécanique et des micro-techniques deBesançon, n° 26854, Revue du Trésor 2001 page 375.58 Voir article 1733 du code général des impôts.

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obligations avec l’erreur de contenance lors de la vente d’un terrain59 où, en application de

l’adage latin Parum pro nihilo reputatur60, l’on identifie le peu au rien ; le parum au nihil.

Pourtant, de manière générale, ce courant jurisprudentiel autorisant de légers dépassements ne

pouvait qu’induire en erreur les utilisateurs du code. En effet, à partir de quel montant devait-

on considérer que le dépassement n’était plus minime, de 35 000 F, de 40 000 F ou bien de 50

000 F ? En laissant libre cours au stratégie de grignotage, ce courant jurisprudentiel a été en

réalité la négation même de la notion de seuil61.

b - Les dépassements imprévisibles

En outre, les juges ont estimé que les dépenses présentant un caractère imprévisible62

n’entraient pas dans la détermination du seuil. Selon l’instruction, les dépenses prévisibles

étaient « celles de fonctionnement courant pour lesquelles des crédits globaux sont

généralement reconduits d’une année sur l’autre, et, d’autre part celles correspondant à des

opérations individualisées dans le budget de la collectivité ». En toute logique, le juge

financier a alors estimé que des travaux d’entretien courants63 étaient des dépenses

prévisibles. A l’inverse, ont été regardées comme imprévisibles, les dépenses consistant dans

la mise aux normes sportives (l’homologation) du stade de Bastia suite à sa destruction

partielle du fait de l’effondrement d’une tribune64. Dans cette affaire, il a été jugé que la

circonstance qu’une entreprise ait été chargée d’exécuter des travaux identiques à ceux

résultant de cet accident n’était pas de nature à leur faire perdre leur caractère imprévisible.

59 Voir article 1619 du code civil.60 Traduction : « peu et rien sont un tout ».61 En marge, signalons que les changements successifs du taux de TVA ont une incidence sur le seuil de 300 000F TTC. En cas de dépassement consécutif à une modification du taux de la TVA, il a été considéré que ledépassement était minime et que, partant, il n’était pas nécessaire de recourir à un marché de régularisation.62 La notion de prévisibilité n’est pas propre aux commandes hors marchés. Ainsi, le recours au marché négociéest permis en cas d’urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles. Cette condition n’estcependant pas remplie lorsque, devant l’arrivée de nouvelles familles, une collectivité territoriale passe unmarché négocié de travaux pour augmenter la capacité d’accueil d’une école. Voir CAA Paris 31 octobre 1995SARL Debruyne et Etezd, Req n° 94PA01442 et 94PA016666, Juris-data n° 049614. La publication d’un avisd’appel public à la concurrence au BOAMP est obligatoire lorsque le seuil est franchi. Toutefois, le dépassementde ce seuil n’entraîne pas l’irrégularité de la procédure de passation du marché négocié lorsque les deuxconditions suivantes sont respectées : la collectivité publique a procédé à une évaluation sincère et raisonnabledu montant du marché et qu’elle n’a pas cherché à le sous-évaluer. Voir CE 14 mars 1997 Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Département des Pyrénées-Orientales, Req n° 170319, Juris-data n° 050352 ; Voir Quotidienjuridique 1997 n° 65 page 2 note.63 Cour des comptes 12 février 1999 Agence comptable des services industriels de l’armement, n° 23635, Revuedu Trésor 2001 page 188.64 CRC Corse 5 décembre 2000 District de Bastia, n° 00-059.

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Dans le cadre de cette jurisprudence, il appartenait à la personne publique d’apporter la

preuve que le dépassement du seuil était la conséquence de dépenses fortuites ou

imprévisibles65. Ce caractère s’appréciait alors au moment du paiement de la dépense66. De

son côté, le comptable devait pouvoir présenter les justifications qui lui avaient permis de

regarder le dépassement du seuil comme étant la conséquence de dépenses imprévisibles67.

D’un maniement délicat, cette jurisprudence obligeait surtout les acheteurs publics à procéder

à une évaluation des seuils d’une manière sincère et raisonnable68. Ainsi, le juge administratif

a estimé que la personne publique n’appréciait pas de manière sincère et raisonnable le seuil

de 300 000 F TTC dès lors que, par le passé, ce seuil avait déjà été dépassé69.

Pour clore ce point, l’autorisation de dépassements, aussi minimes ou imprévisibles soient-ils,

semble être contraire à la logique qui sous-tend l’existence des seuils.

B – UNE DEFINITION IRREALISTE

Très rapidement, comme par épuisement, la théorie des « trois mêmes » a atteint ses propres

limites ; il est apparu que ni l’identification du service responsable du marché, ni celle du

fournisseur n’étaient une chose aisée. De la même manière, les notions de prestations

identiques ou de même année civile se sont montrées à l’usage d’une grande complexité. Pour

remédier à ces inconvénients, l’Administration sous différentes formes (questions

ministérielles auprès le plus souvent du Ministre de l’Economie ou saisine de la Commission

centrale des marchés) et les juges (administratifs et financiers) ont cherché alors à étoffer une

définition devenue imparfaite70.

Sont envisagées les conditions tenant aux parties au contrat ( 1 ) ainsi que celles relatives à la

prestation prévue par celui-ci ( 2 ).

65 Cour des Comptes 2 octobre 1996 Commune de Le Barp, Revue du Trésor 1997 page 108.66 CRC Pays de Loire 3 février 1998 Commune de Saumur, Revue du Trésor 1998 page 263.67 Voir le même arrêt Cour des comptes 12 février 1999 Agence comptable des services industriels del’armement, n° 23635, Revue du Trésor 2001 page 188.68 Voir CAA Bordeaux 1998 n° 98-013309 Préfet de la Charente-maritime, Lamyline.69 TA Lyon 6 octobre 1999 Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône, RD Immob 2000 page 167 obs F.LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX.70 La lecture de la « doctrine administrative » et de la jurisprudence laisse sur ce point une impression de trèsgrand fouillis dont l’effet premier a certainement été de déconcerter les utilisateurs du code des marchés publics.

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1 - Les conditions tenant aux parties cocontractantes

Il est utile de revenir sur la définition de l’acheteur ( a ) et du fournisseur ( b ).

a - La notion d’acheteur

Pour commencer, le Ministre de l’Intérieur a eu l’occasion de préciser qu’une commune ne

pouvait constituer une association dans le but de lui faire procéder à des achats supérieurs à

300 000 F TTC. En effet, il faut y voir là un détournement de procédure dans la mesure où cet

achat échappe à la fois au code des marchés publics, aux règles prévues en matière de

comptabilité publique et au contrôle de la légalité71.

En dehors ce cas grossier de détournement des règles, le Ministre a fait savoir que pour

apprécier les commandes passées par un même service de l’Etat, il fallait prendre en compte

celles qui sont « passées par l’unité administrative à la tête de laquelle se trouve la personne

responsable des marchés ou pour l’ensemble des services d’un même établissement public ».

Rejoignant la position de l’instruction administrative prise pour l’application du code des

marchés publics, le Ministre a estimé que le dépassement du seuil s’appréciait au niveau de la

Direction départementale de l’équipement et non au niveau de ses propres subdivisions, les

arrondissements72.

S’agissant de l’appréciation de la notion de commandes passées par un même service, la

commission centrale des marchés a fait savoir que les universités ont le statut d’établissement

public et que, par suite, c’est à leur niveau que devait se déterminer le seuil des marchés

publics. Ce faisant, la commission centrale des marchés publics a rejeté l’appréciation du seuil

au niveau des subdivisions, des unités administratives (laboratoires, écoles etc…) qui

composent l’université73. En sens contraire, la Direction de la Comptabilité Publique avait

pourtant rappelé par une circulaire n° 31053 du 1er juin 1990 que l’appréciation se faisait par

71 Réponse ministérielle à Questions écrites JO Sénat 13 décembre 1990 page 2657.72 Réponse ministérielle à Questions écrites JO Sénat 18 octobre 1990 : Moniteur des TP 7 décembre 1990 page310.73 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 276 septembre-octobre 1993 page 5. On rappellera quecette position particulièrement « centralisatrice »a été critiquée par A. FROMENT-MEURICE : « Responsabilitépécuniaire des comptables publics à raison du paiement irrégulier de commandes hors marchés » RFDA 1994pages 23 et suivantes.

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UFR. Puis, le juge des comptes74 a décidé que le calcul devait être effectué au niveau de

l’université (et non par UFR). Cette position s’explique par le fait que seule l’université

dispose de la personnalité morale. Dans un arrêt75 qui a semblé remettre en cause toutefois la

décision rendue le 10 septembre 1998 par la Chambre Régionale des Comptes d’Aquitaine, la

Cour des comptes a posé le principe selon lequel la détermination du seuil s’appréciait

différemment selon qu’une délégation de signature avait été accordée ou non par le Président

de l’Université aux directeurs des UFR. En cas de délégation, le calcul des seuils devait être

entrepris au niveau de chaque unité76.

Concernant les collectivités locales, le seuil était apprécié au niveau de l’ensemble des

services77, en cumulant même, le cas échéant, les achats du budget principal avec ceux des

budgets annexes.

b – La notion de fournisseur

La notion de fournisseur n’ayant pas fait l’objet d’une réelle définition, certains ont affirmé

que le numéro de SIRET ou la raison sociale permettraient d’identifier les fournisseurs. En

réalité, cette recommandation n’était pas acceptable dans la mesure où il était relativement

facile de tourner la règle des « trois mêmes ». Puisqu’il n’était pas obligatoire, en effet, selon

les instructions de 1972 et 1976, de totaliser l’ensemble des commandes similaires passées

avec plusieurs fournisseurs, il suffisait alors de recourir de manière fictive à la sous-traitance

ou encore de fractionner la commande entre diverses entreprises (le plus souvent des filiales)

d’un même groupe. Ainsi, par exemple, la commission centrale des marchés soutenait au

début des années quatre-vingt que la notion de fournisseur devait s’apprécier sans tenir

compte des liens que celui-ci pouvait avoir avec d’autres sociétés78. Cette position était

surprenante car elle omettait l’existence des groupes de sociétés. Fort heureusement, cette

74 CRC Aquitaine 10 septembre 1998 Université de Bordeaux-II Revue du Trésor 1998 page 742.75 Cour des comptes 8 octobre 1998 Université de Paris IX Dauphine n° 20862.76 En réalité, cette décision n’a pas réglé toutes les difficultés car les directeurs d’UFR peuvent avoir la qualitéd’ordonnateur secondaire en application de la loi et non sur le fondement de délégation par le Président del’Université.77 CRC Bretagne 16 janvier 1998 Commune de Lannion Revue du Trésor 1998/3 page 265.78 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 182 novembre-décembre 1981 page 4.

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attitude n’a été ni celle de la Cour de Discipline Budgétaire et financière79 ni celle du juge des

Comptes80.

D’une manière tout aussi inconséquente, l’instruction préconisait de totaliser l’ensemble des

commandes passées avec un même fournisseur au cours d’une même année civile. Ainsi,

lorsqu’une seule entreprise effectuait des prestations de nature diverses, il fallait pour

apprécier le seuil cumuler toutes les dépenses du service avec le même fournisseur81.

2 - Les conditions tenant à la prestation prévue au contrat

Il convient d’étudier la prestation prévue au contrat à travers son objet ( a ) et sa durée ( b ).

a – La nature de la prestation

La difficulté a résidé dans le fait de savoir ce qu’il fallait entendre concrètement par «

prestation de nature identique ou similaire ». Une fois encore, certains avaient émis l’idée

selon laquelle le numéro du SIRET suffisait pour identifier, sans coup férir, les prestations

fournies par une même entreprise. Interrogée par les acteurs de l’achat public, la Commission

centrale des marchés a fait savoir que, pour elle, étaient des prestations relevant de la même

activité professionnelle, et devaient être par suite additionnées pour l’appréciation du seuil,

l’achat de mobilier de bureaux et l’entretien de ce mobilier82, l’achat de fourniture de bureaux

en grosses quantités et l’achat de papiers83 (imprimés par exemple), la réalisation de travaux

de blanchissage et la location de linge84, l’achat de photocopieurs et l’achat de matériel de

PAO85, l’achat de ciment, de gravillon, de sable, de briques, de parpaings et l’achat de

ferraille86, les prestations de travaux de peintures et les prestations d’étanchéité87, les

79 Voir CDBF 11 et 12 décembre 1991 : Marchés publics n° 269 novembre 1992 page 20. Dans cette espèce,plusieurs entreprises appartenant en réalité à un même groupe s’étaient réparties les commandes portant sur desprestations de nature identique.80 Voir CRC Nord-Pas-de-Calais 16 juin 1999 n° 99-0128 Lycée Carnot à Bruay-la-Buissière, RFDA 2000 page1126. En l’espèce, pour dégager sa responsabilité le comptable public affirmait en être en face de plusieursprestataires. Une seule société cachait en réalité deux fournisseurs.81 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 196 septembre 1983 page 3. Le fondement de cettedoctrine administrative était qu’une entreprise ne peut avoir deux objets distincts. Voir également en ce sensRéponse ministérielle à Questions écrites n° 5504, JO Assemblée Nationale 9 mai 1994 page 2342.82 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 202 juin 1984 page 6.83 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 202 juin 1984 page 6.84 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 208 mars 1985 page 6.85 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 244 septembre 1989 page 4.86 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 249 mai 1990 page 4.

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prestations de travaux d’électrification, d’assainissement et celles relatives à des travaux de

voirie88, les prestations de routage d’imprimés et celles d’affranchissement89, l’achat de

panneaux de signalisation, de plaques de rues et l’achat de pots de peinture, de diluant, et de

papiers peints servant aux ateliers de régies communales même si on pouvait légitimement

penser que cette assimilation n’était pas totalement évidente90. De même, elle a estimé que les

prestations de travaux d’aménagements des parkings et les prestations de travaux de voirie

(aménagement des trottoirs et assainissement pour les eaux pluviales) relevaient de la même

activité professionnelle91. En revanche, la Commission a décidé que n’appartenaient pas à la

même activité professionnelle les frais de routage confiés à une entreprise et les frais

d’affranchissement payés directement aux services postaux92.

En dépit de cette énumération, il était encore souvent difficile de dire si les prestations étaient

de nature identique ou similaire. La Commission a alors rappelé93 qu’il était possible de se

référer à la nomenclature des produits, travaux et services annexée à l’instruction sur le

recensement économique et la notification des marchés des collectivités locales et de leurs

établissements publics. On remarquera d’ailleurs que pour la Cour des comptes cette

nomenclature a été le document de référence à destination des comptables publics pour

effectuer le classement des dépenses. Selon la Commission, toutefois, l’appartenance de biens

ou de services à des rubriques différentes de la nomenclature relative au recensement des

marchés publics n’interdisait pas de regarder ces achats ou ces services comme relevant de la

même activité professionnelle. Ainsi, elle a décidé que l’achat de viande surgelée, de poisson

surgelé et d’autres produits alimentaires surgelés devaient être additionnées pour

l’appréciation du seuil94. De la même manière, elle a considéré que les prestations de services

d’un électricien et les prestations de fournitures (vendues par lui sans être posées)

appartenaient à la même activité professionnelle même si ces différents produits n’étaient pas

classés dans les mêmes rubriques de la nomenclature95.

87 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 253 novembre 1990 page 6.88 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 254 décembre 1990 page 4.89 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 2/97 page 3.90 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 277 novembre 1993 page 7.91 CRC Acquitaine 19 octobre 1995 Sieur C, Comptable de la Commune de Le Barp, Revue du Trésor n° 3-4mars-avril 1996 page 189.92 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 2/97 page 3.93 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 244 septembre 1989 page 4.94 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 208 mars 1985 page 6.95 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 208 mars 1985 page 6. Ainsi également, les travauxd’entretien de la voirie urbaine et des routes de campagne sont des prestations identiques. Pourtant, lanomenclature classe ces travaux dans deux rubriques différentes. Voir en ce sens Marchés Publics n° 202.

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La question de la qualification des prestations des commandes hors marchés n’a pas échappé

aux différents juges de droit public. Mais les approches n’ont pas été strictement identiques

dans la mesure où le juge des comptes s’appuie sur une nomenclature établie à partir du

recensement économique des marchés tandis que le juge administratif est libre de porter

n’importe quelle appréciation sur les prestations qui sont l’objet de la commande96.

Le juge financier, tout d’abord, a vu dans l’achat de pneumatiques neufs et d’occasion deux

prestations distinctes97. De même, il a considéré que la prestation de transport de déchets

urbains et l’arrangement d’un terrain de mâchefers produits par ces déchets n’étaient pas

identiques98. Mais, à l’inverse, il a jugé que des travaux d’adduction d’eau, de modification

des bordures de trottoirs, de réfection de la chaussée étaient des travaux de génie civil et qu’ils

constituaient une prestation unique99.

De son côté, le juge administratif a toujours vérifié si les prestations avaient bien, au-delà de

leurs libellés, un contenu identique. Puis, progressivement, pour éviter le tronçonnage des

marchés hors commandes, il a eu recours à la notion d’opération prévue par l’article 104-I-

10° du code des marchés publics pour les marchés négociés passés après une mise en

concurrence préalable100.

A l’aide de cette notion, le juge administratif s’est forgé un instrument de contrôle du

dépassement des seuils des marchés publics particulièrement efficace ; elle lui a permis en

effet de transcender les notions de fournisseurs, de prestations et d’annualité et de regarder

comme formant une unité des contrats conclus avec plusieurs fournisseurs, portant sur des

96 On constate que les juges administratifs et financiers ne font pas référence au même texte pour apprécier lanotion de « prestation de nature identique ou similaire ». Les juges administratifs recherchent si les prestationsont une nature commune alors que les comptables publics, dont les comptes sont soumis ensuite à la juridictiondes juges financiers, doivent se borner à classer les mandats de paiements en fonction de leur objet sachant quecette opération de classification a été effectuée par la nomenclature économique.97 Cour des comptes 20 octobre 1998 Régie départementale des transports de l’Ain ; « Considérant que, pours’assurer que le seuil de passation des marchés est respecté, le comptable peut totaliser séparément les achatsde pneus neufs et les achats de pneus réchapés ».98 Cour des comptes 30 mars 2000 Syndicat intercommunal pour l’incinération des déchets du pays de Quimper,Revue du Trésor 2001 page 33.99 CRC Centre 29 août 2000 Commune de Déols, n° 2000-0528.100 Cet article offre la possibilité de conclure, après une mise en concurrence, des marchés négociés « pour lestravaux, fournitures ou services dont la valeur n’excède pas, pour le montant total de l’opération, un seuil de700 000 F TTC ».

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objets différents et intervenant même parfois sur plusieurs exercices budgétaires101. La

principale difficulté a alors été pour lui de dégager les éléments permettant de définir

l’existence d’une opération. Celle-ci repose sur un faisceau d’indices ; la concordance de

temps, de lieu, et d’action sont autant de signes de l’existence d’une seule opération102. Sont

par exemple des éléments dont le juge tient compte la parution des formalités de publicités «

le même jour dans les mêmes publications »103 ou encore la durée totale d’exécution104.

Pour le juge administratif, a constitué une opération unique la fourniture de béton par une

entreprise pour des travaux différents (huit marchés avaient été passés) mais commandée le

même jour par la personne publique105. l’achat de véhicules auprès d’entreprises différentes106,

la réalisation de trottoirs, à quatre endroits différents d’un quartier par quatre marchés

distincts entre les mêmes parties107. De même, le Conseil d’Etat108 a jugé qu’« alors même

que des deux marchés portaient sur des produits lactés susceptibles d’être distribués à

différentes catégories d’élèves et qu’ils faisaient l’objet d’une imputation sur des chapitres

différents du budget de la caisse des écoles, il s’agissait sous l’apparence de marchés

distincts de la réalisation d’une même opération ».

101 On parle à son propos d’unité fonctionnelle.102 Pour la commission centrale des marchés, les critères de fonctionnalité et de programmation financièrepermettent de repérer l’existence d’une opération. Il faut tenir compte de la nature des prestations réalisées, de lasimilitude de leur objet, des modalités de leur réalisation, de la simultanéité des décisions d’achats et de l’unitéde l’imputation budgétaire. Commission centrale des marchés : marchés publics n° 216 mars 1986 page 7 etCommission centrale des marchés : marchés publics n° 280 mars 1994 page 5.103 TA Orléans 28 octobre 1999 Préfet Eure et Loir BID DGCCRF n° 3/2000 page 14.104 CAA Paris 11 octobre 1994 Editor Tennog Droit Adm 1994 n° 37.105 TA Fort-de-France 3 décembre 1991 Préfet de Région de la Martinique c/ Commune Schoelcher Marchéspublics n° 266 juin-juillet 1992 page 15.106 TA Rennes 20 mars 1991 Préfet du Morbihan c/ Ville de Vannes Marchés Publics 1992 n° 263 page 16. Danscette espèce, six marchés portant sur le renouvellement du parc automobile avaient été conclus avec troisentreprises différentes.107 CE 26 septembre 1994 Préfet d’Eure et Loir RD Immob 1995 page 96 observations F. LLORENS et Ph.TERNEYRE. Au cas particulier, les trottoirs ont tous été réalisés à la même date et selon des techniquesidentiques. Constitue une opération la passation de cinq marchés, dont trois passés avec la même entreprise,portant sur le déplacement des réseaux EDF et France Télécom, du changement de la canalisation d’eau potable,de la mise en conformité des réseaux d’évacuation des eaux pluviales et des eaux usées, d’installation d’unnouvel éclairage public et d’aménagement de la voirie. Voir TA Rouen 7 mai 1996 Préfet de l’Eure Droit Adm1996 commentaire n° 418.108 CE 29 juillet 1994 Caisse des écoles d’Epinay-sur-Seine. En outre, le Conseil d’Etat a jugé que la conclusionde deux marchés entre les mêmes parties et dont l’objet est identique, à savoir la réalisation de travaux de voirieportant sur une même propriété, traduit l’existence d’une même opération. Voir CE 26 juillet 1991 SectionCommune de Sainte-Marie de la Réunion, Req n° 117717 RFDA 1991 page 966 conclusion H. LEGAL. Demême, les marchés négociés qui sont passés avec un même fournisseur pour des fournitures courantes identiquessont irréguliers s’ils dépassent globalement, c’est à dire sur la durée totale de l’opération d’équipement, le seuilde 700 000 F TTC. Au cas particulier, il s’agissait d’équiper 10 lycées en mobilier et fournitures pour unmontant total de 1 875 399,72 F. Voir CE 14 janvier 1998 Conseil régional de la Région Centre, Req n° 155409,JCP E, 1998, n° 6, page 201.

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Au fil des années, la notion d’opération est ainsi devenue un moyen de contrôle efficace des

marchés négociés pris sur le fondement de l’article 104 alinéa 10 du code des marchés

publics109. Toutefois, son emploi n’était pas exempte d’un certain empirisme110 ; ainsi il a été

jugé que ne constituait pas une opération, la passation d’un marché unique lequel était

composé de prestations distinctes111, la démolition de plusieurs lycées à des dates et selon des

techniques différentes112, ou encore, et assez curieusement, la division d’un marché en

plusieurs lots dans le but d’éviter les formalités de publicité au BOAMP113.

Devant les effets positifs obtenus par l’emploi de cette notion, le juge administratif a décidé

d’en faire application aux contrats conclus sur le fondement des articles 123 et 321 du code

des marchés publics114. Ainsi, pour la première fois, dans une affaire où la commune de Saint-

Ave avait confié à une société la réalisation de travaux de terrassement et de voirie d’un foyer

pour personnes âgées pour un montant s’élevant à 509 135 F HT, le juge administratif a

estimé qu’il avait eu méconnaissance des articles 250 et 321 du code des marchés publics.

Pour le juge, des travaux réalisés par ailleurs par la même entreprise mais relatifs cette fois à

l’aménagement d’une placette de la commune ne formait pas avec les précédents travaux une

seule et même une opération115. Par la suite, le juge administratif a renouvelé son appel à la

109 CE 8 février 1999 Syndicat intercommunal des eaux de la Gatine, Requête n° 156333, Conclusions(essentielles) de Catherine Bergeal « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le conseil syndical dusyndicat intercommunal des eaux de la Gâtine a passé deux marchés négociés relatifs, d’une part à des travauxd’étanchéité des cuves des châteaux d’eau « Des Granges » sur la commune Le Busseau et de « La Cotinière »sur la commune de Secondigny pour un montant de 696 015, 96 F TTC ; que, dans les circonstances de l’espèce,ces travaux approuvés par deux délibérations du même jour à des dates rapprochées qui devaient être effectuéssur les mêmes ouvrages et qui ont pour objet d’assurer la réfection des châteaux d’eau et leur fonctionnementsont relatifs à une même opération au sens de l’article 104 alinéa 10 du code des marchés publics nonobstant lacirconstance que ces marchés avaient fait l’objet de deux avis d’appel à la concurrence ; que le montant globalde ces travaux artificiellement dissociés s’élevait ainsi à 1 395 874, 56 F TTC excédant le seuil prévu par lesdispositions réglementaires précitées ; que, dès lors, le syndicat intercommunal ne pouvait recourir à laprocédure des marchés négociés … ». Pour une décision récente, voir TA Cergy Pontoise 27 mars 2001 Préfetde Seine-Saint-Denis n° 9915221/3.110 On citera pour appréhender les difficultés l’exemple donné le commissaire du gouvernement CatherineBergeal sur l’arrêt CE 8 février 1999 Syndicat intercommunal des eaux de la Gatine, Requête n° 156333 ; « Soitune collectivité locale décidant de refaire l’étanchéité et les peintures extérieures de ses châteaux d’eau. Doit-onconsidérer qu’il s’agit d’une seule opération pour l’ensemble, de deux opérations relatives chacune à unchâteau d’eau, de deux opérations dont l’une est de la peinture portant sur deux châteaux d’eau et l’autred’étanchéité portant sur deux châteaux d’eau, ou de quatre opérations, à distinguer par château d’eau et parnature d’opération ? ».111 CE 12 décembre 1994 SARL Viale Vendôme RD Immob 1995 page 317.112 CE 13 février 1987 Bonhenry Req n° 47971 RDP 1988 page 1422.113 TA Grenoble 12 janvier 2001 Préfet de la Haute-Savoie c/ Commune de Thorens-Glières. Cette formalités’impose dès que le marché excède 900 000 F.114 Mais les applications sont restées plutôt rares. Selon les auteurs du LAMY Droit public des affaires (sous ladirection de Lucien RAPP et Philippe TERNEYRE) 2001 n° 2117. « Il semble qu’une seule décision ait examinéla validité d’une commande au regard de la notion d’opération ».115 TA Rennes 16 décembre 1992 Préfet du Morbihan c/ Commune de Saint-Ave, Revue des Marchés Publics1993 n° 275 page 12 conclusions Zimmermann.

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notion d’opération dans un cas où il s’agissait de savoir si l’on pouvait cumuler les règles des

marchés négociés et celles des commandes sans factures116.

Prenant acte de cette évolution jurisprudentielle, l’administration a eu l’occasion de rappeler

qu’une collectivité publique ne pouvait procéder à un achat sur facture avec une entreprise si

une autre entreprise était déjà titulaire d’un marché pour la même opération117. Puis, la

Direction des affaires juridiques118 a fait savoir que « les notions d’opérations et de

prestations homogènes peuvent jouer alternativement pour l’appréciation des seuils des

articles 123 et 321. Si les achats ou prestations relevant d’une même opération sont d’un

montant supérieur à 300 000 F, il convient de passer un marché public. S’ils ne relèvent pas

d’une même opération, il faut distinguer selon qu’ils portent sur des prestations homogènes.

Dans l’affirmative, il conviendra de totaliser tous les achats ou prestations correspondant à

des commandes engagées au cours de l’année pour les comparer au seuil de déclenchement

des procédures formalisées ». Récemment, elle a rappelé que l’inscription d’une opération sur

deux budgets successifs ne permettait pas de fractionner un marché119.

Il est singulier d’observer que la notion d’opération est très proche en réalité de celle de

groupe de contrat, usitée en droit privé. Celle-ci peut être définie comme « un ensemble de

contrats distincts qui se rattachent les uns aux autres, soit parce qu’ils portent, en tout ou en

partie, sur un même bien, soit parce qu’ils se contribuent, ou participent, à une même

opération »120. La définition donnée par la doctrine civiliste montre bien l’interdépendance

que différents contrats peuvent entretenir. Recensant les avantages que procure cette notion,

116 CAA Lyon 23 juin 1994 Société Merx, Société Bernard Krief Séléction et M. Bernard Krief, Req n° 93-00608, Revue de Droit Immobilier 1996 page 63, obs F. LLORENS et Ph. TERNEYRE. « Les quatreprestations commandées par la commune avaient, bien que désignées sous des libellés différents, en réalité, lemême objet ; il n’est pas contesté que les trois entreprises contractantes de la commune appartenaient au mêmegroupe de sociétés ; dans ces conditions, sous l’apparence de quatre contrats conclus avec trois entreprisesjuridiquement distinctes, il s’agissait de la réalisation d’une même opération dont le montant global s’élevait à340 000 F HT, dépassant ainsi le seuil prévu par l’article 321 du code des marchés publics ». Au cas particulier,le marché consistait en l’octroi de prestations (dont l’objet était identique) à trois entreprises d’un même groupe.Il s’agissait d’une étude sur la communication et la promotion en matière de tourisme, d’une étude économiqueet sociale sur l’emploi et d’une mission de conseil en relations avec la presse nationale et internationale pour lapromotion du tourisme. En l’espèce, la Cour a jugé que les commandes passées par trois entreprises devaient êtreadditionnées pour l’appréciation du seuil de 300 000 FTTC. Les prestations portaient des libellés différents maisrelevaient en réalité d’une même opération.117 JO Sénat Q 16 septembre 1999 page 3073 Gazette des communes 25 octobre 1999 page 72.118 Voir en ce sens DAJ, Courrier, Revue des marchés publics 2000 page 7.119 Voir DAJ : marchés publics n° 1/2001 page 7.120 Cette définition est celle de Jacques FLOUR, Jean-Luc AUBERT, Eric SAVAUX : « Les obligations. Tome 1: L’acte juridique » Armand Colin, 2000, 9ème édition, page 335.

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les mêmes auteurs rappellent qu’elle permet de traiter globalement des situations présentant

une profonde parenté121 et de faire prévaloir, avant toutes choses, la réalité économique122.

b – Le cadre temporel de la prestation

Sur l’année de rattachement d’une commande hors marché, il fallait regarder l’ensemble des

dépenses réglées au cours de l’année civile123. Puis quelques années plus tard, le ministre124 a

estimé que pour l’appréciation du seuil de 300 000 F TTC, il fallait totaliser les achats

homogènes qui correspondent aux commandes engagées au cours de l’année. S’agissant des

marchés d’assurance, le seuil de 300 000 F TTC s’appréciait en tenant compte de la valeur

estimée du contrat sur sa durée totale si elle est inférieure ou égale à quatre années125. Pour les

contrats de location et les contrats de crédit-bail, le calcul du dépassement du seuil s’effectuait

en tenant compte de la totalité des loyers ou des redevances sur la durée du contrat126.

Comme on le constate, les pouvoirs publics, et notamment le juge administratif qui avait

développé une jurisprudence constructive, ont cherché tout au long de cette période à pallier

les imperfections de la théorie des « trois mêmes » laquelle permettait un peu trop aisément le

fractionnement ou le saucissonnage des commandes127. Mais, en agissant au coup par coup,

ils lui ont également fait perdre sa clarté.

121 Ainsi, ils parlent de « l’intérêt d’une homogénéité des situations juridiques ». Jacques FLOUR, Jean-LucAUBERT, Eric SAVAUX : « Les obligations. Tome 1 : L’acte juridique » Armand Colin, 2000, 9ème édition,page 335.122 Selon Jacques FLOUR, Jean-Luc AUBERT, Eric SAVAUX cette théorie, qui bouscule le principe de l’effetrelatif des contrats prévu par l’article 1165 du code civil, permet de garantir « une communauté de finéconomique ».Voir Jacques FLOUR, Jean-Luc AUBERT, Eric SAVAUX : « Les obligations. Tome 1 : L’actejuridique » Armand Colin, 2000, 9ème édition, page 336 ; Plus loin, ils rappellent que cette théorie sert à mettre «en lumière certaines solidarités de la vie économique ». Voir Jacques FLOUR, Jean-Luc AUBERT, EricSAVAUX : « Les obligations. Tome 1 : L’acte juridique » Armand Colin, 2000, 9ème édition, page 337 ; PourMme BRECHON-MOULENES, « la notion d’opération appelle celle de groupe : groupe de contrats ouensemble contractuel … ». Voir Christine BRECHON-MOULENES : « Synthèse » AJDA 1994 page 124.123 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 212 août 1985 page 3.124 Réponses ministérielles à Questions écrites JO Sénat 18 juillet 1996, Revue du Trésor n° 11 novembre 1996page 692 ; à lire « Le rythme de l’engagement comptable est sans incidence sur le choix de la procédure dumarché. Si les achats ne relèvent pas d’une même opération, il y a lieu de distinguer selon qu’ils portent ou nonsur des prestations homogènes. Dans l’affirmative, il conviendra de totaliser tous les achats correspondant à descommandes engagées au cours de l’année, pour les comparer au seuil de déclenchement des procéduresformalisées. Le fait qu’elles ne soient payées qu’au cours de l’année suivante ne conduira naturellement pas àles prendre en compte pour l’appréciation des seuils, une deuxième fois, lors de leur paiement ».125 Circulaire du ministre de l’Economie 27 juillet 1998 relative à la passation des marchés publics de servicesd’assurance, Gazette des communes 26 octobre 1998 page 67.126 Voir en ce sens : Réponse ministérielle à Questions écrites de Dominique Braye JO Sénat 18 juillet 1996.127 Cette attitude se retrouve également dans la volonté du juge administratif de procéder à la recherche duvéritable gestionnaire du service public. Voir CE 11 mai 1987 Divier RFDA 1988 page 780 conclusions O.SCHRAMECK. On peut rapprocher de l’arrêt Divier qui a consacré la notion de transparence de la personne

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SECTION II – DES CONSEQUENCES DANGEREUSES

Du fait de son inadaptation, la méthode de computation du seuil prévue par les articles 123 et

321 du code des marchés publics a été le vecteur de risques importants pour les deux

principaux acteurs de la commande publique que sont le comptable et l’acheteur publics. En

cas de dépassement du seuil, en effet, ces deux protagonistes sont menacés d’être sanctionnés

selon des modalités différentes ; il faut dès lors envisager la situation du comptable ( A ) puis

celle de l’acheteur ( B ).

A – POUR LE COMPTABLE PUBLIC

Avant d’examiner de quelle manière le contrôle du dépassement du seuil des marchés publics

a profondément évolué sous l’influence de la Cour des Comptes et des Chambres régionales

des comptes ( 2 ), il convient liminairement de rappeler le contexte dans lequel les comptes du

comptable public sont contrôlés par les juges financiers ( 1 ).

1 – Le contrôle des comptes du comptable public :

Le contrôle des comptes du comptable public est effectué par la reddition des écritures ( a )

qui peut être alors l’occasion d’une mise en débet ( b ).

a - L’obligation de reddition des comptes

L’opération de jugement des comptes des comptables publics s’appelle la reddition des

comptes. Tout comptable doit ainsi rendre ses comptes au moins une fois dans l’année afin

que le juge des comptes en assure le contrôle. La Cour des comptes - en dernier ressort - pour

les comptables principaux et les Chambres régionales des comptes - en premier ressort -

s’agissant des comptables des collectivités territoriales et de leurs établissements publics

procèdent aux opérations d’apurement.

morale de droit privé, une affaire dans laquelle il a estimé que les contrats passés par des personnes privées sontsoumis au code des marchés publics dès lors qu’elles ne sont en réalité que le bras agissant d’une collectivitépublique. Dans cette hypothèse également, la personne privée a été reconnue comme étant fictive, transparente.CAA Nancy 15 avril 1993 Département de la Marne, Droit administratif 1993 n° 348.

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Le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité

publique prévoit dans ses articles 11, 12 B et 13 que le comptable exerce un contrôle de la

validité des dépenses128. Outre ces fonctions de conseil, le comptable doit

traditionnellement129 s’assurer au moment du paiement de l’habilitation de l’ordonnateur, de

la disponibilité des crédits, de l’exacte imputation budgétaire130, de la régularité de l’acte

d’engagement, de la régularité externe des justifications de la dépense, de l’exactitude des

calculs de liquidation, de l’absence de prescription ou de déchéance ainsi que de l’absence de

saisie-arrêt ou de compensation131.

En matière de marchés publics, plus précisément, il doit contrôler que les pièces justificatives

que lui présente l’ordonnateur sont bien celles qui sont prévues par la nomenclature132. La

liste des pièces justificatives est fixée par le décret n° 83-16 du 13 janvier 1983 lequel a été

modifié le 21 janvier 1988 puis le 2 octobre 1992133. Très court, le décret pièces-justificatives

ne comprend que 5 articles seulement ; mais il renvoie à une annexe qui contient un chapitre

(portant le numéro 42) consacré aux paiements des marchés publics.

Le comptable qui constate à l’occasion de son contrôle une irrégularité doit suspendre, en

application de l’article 37 du décret du 29 décembre 1962, tout paiement et en informer

l’ordonnateur sur le fondement de l’article 15 de la loi du 2 mars 1982. Aux termes de cet

128 L’article 12 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant Règlement général sur la comptabilitépublique (RGCP) dispose que « les comptables sont tenus d’exercer : en matière de dépenses le contrôle : de laqualité de l’ordonnateur ou de son délégué ; de la disposition des crédits ; de l’exacte imputation des dépensesaux chapitres qu’elles concernent selon la nature ou leur objet ; de la validité de la créance dans les conditionsprévues à l’article 13 ci-après ». L’article 13 prévoit « en ce qui concerne la validité de la créance, le contrôleporte sur : la justification du service fait et de l’exactitude des calculs de la liquidation ; l’intervention préalabledes contrôles réglementaires et la production des justifications ».129 Voir Cour des Comptes 13 octobre 1966 Régie des Rhues à Condat-en-Féniers, Recueil de la Cour desComptes page 103.130 Le paiement de prestations sur des crédits non prévus à cet effet est une violation du principe de spécialité descrédits. En l’espèce, le règlement avait pour but de dissimuler le dépassement du seuil légal des marchés. Courdes Comptes (Référé) 9 août 1990 Ministre de la Recherche, Arrêts, jugements des juridictions financières,Berger Levrault, 1990 page 233.131 Sur cette question voir Jacques MAGNET : « Les comptables publics » LGDJ-Systèmes 1995 pages 58 etsuivantes. Le comptable public doit également vérifier que la transmission du contrat au représentant de l’Etataux fins de contrôle de sa légalité a bien été effectuée. Voir Chambre régionale des comptes de Corse 24septembre 1992 Syndicat intercommunal d’enlèvement des ordures ménagères de Lavatoggio, Recueil Cour desComptes Page 85.132 Voir Cour des Comptes 20 septembre 1973 Cazenave et Mazerolles comptables du service départemental deprotection contre l’incendie de Meurthe-et-Moselle, Revue administrative 1974 n° 160. Selon le ConseillerMAGNET « Le principe est donc assez simple toute la nomenclature, rien que la nomenclature ! » Citationextraite de Eric SAGALOVITSCH : « Le comptable public et l’exécution financière des marchés publics locaux» Bulletin juridique des contrats publics n° 14 page 3.133 L’article 47 du règlement général sur la comptabilité publique fixe pour l’Etat les pièces justificatives quidoivent être produites au comptable.

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article, il est en effet « tenu de motiver la suspension du paiement »134. Par suite, il demandera

la production d’un marché de régularisation.

b - La sanction : la mise en débet

Seuls fonctionnaires légalement autorisés à manier des fonds publics, les comptables publics

engagent leur responsabilité pécuniaire en cas de mauvaise exécution des règles relatives aux

opérations financières. Selon, en effet, l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23

février 1963 « la responsabilité du comptable public se trouve engagée dès lors qu’un déficit

ou un manquant en deniers ou en valeurs a été constatée, qu’une recette n’a pas été

recouvrée, qu’une dépense a été irrégulièrement payée … »135. Appelée débet136 (ou mise en

débet), cette responsabilité, dont la nature est spéciale au sein du droit public, conduira à une

condamnation du comptable public au paiement sur son patrimoine privé des sommes

indûment payées en cas de dépenses ou de celles qu’il n’a pas perçues en cas de recettes. Le

comptable doit alors rembourser à la collectivité publique sur ses propres deniers les fonds

manquants.

S’agissant de la mise de jeu de la responsabilité du comptable, deux observations doivent

cependant être faites : d’une part, elle ne nécessite pas la moindre appréciation sur son

comportement car ce sont, comme il est coutume de le dire, les comptes qui sont jugés et non

les comptables137 ; d’autre part, la responsabilité du comptable est une responsabilité pour

faute présumée. Toutefois, cette présomption n’est pas irréfragable et supporte la charge

contraire.

Pour éviter sa mise en débet, le comptable public ne peut pas produire un marché de

régularisation postérieurement à un paiement irrégulier138. Car la régularité d’un paiement

s’apprécie à la date à laquelle il a été effectué et non rétroactivement.

134 Voir l’article L 1617-3 du code général des collectivités territoriales.135 La loi de 1963 prévoit que le comptable engage sa responsabilité « dès lors qu’une recette n’a pas étérecouvrée, qu’une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par la faute du comptable, l’organisme publicintéressé a dû indemniser un autre organisme public ou un tiers ».136 Le débet est ce que doit le débiteur. Outre la mise en débet d’origine juridictionnelle, la responsabilité descomptables peut être également mise en oeuvre par la voie administrative ; dans ce cas, il revient au ministre desfinances de prendre un arrêté de débet (ou mise en débet administrative).137 Lire l’article L 111-1 du code des juridictions financières.138 CRC de La Réunion 8 décembre 1992 Comptable de l’Hôpital Saint-Louis Revue du Trésor mai 1993.

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En revanche, pour échapper au paiement des sommes payées irrégulièrement139, le comptable

pourra demander et obtenir au Ministre des Finances la remise gracieuse du débet. De sorte

que la responsabilité des comptables publics est le plus souvent ineffective140. Reste que la

mise en débet d’un comptable est toujours regardée comme une bévue dans la carrière d’un

fonctionnaire ; et que même si elle ne donne que très rarement lieu à des mesures

disciplinaires, elle pourra empêcher sinon retarder un déroulement de carrière satisfaisant141.

Pour cette raison, tout comptable public cherchera à l’éviter. En cas du moindre doute, la

décision de suspension du paiement142 d’une dépense permet au comptable d’éviter une mise

en débet. Inversement, et cela complique singulièrement la tâche des comptables publics, le

défaut ou le retard de paiement du créancier de la personne publique par le comptable permet

d’engager la responsabilité de cette dernière et donne droit par conséquent au versement d’une

indemnité143. En cas de condamnation de la personne publique au paiement d’une indemnité,

celle-ci peut demander au comptable public de lui rembourser cette somme sur le fondement

de l’action récursoire144. Si payer peut être une chose dangereuse pour le comptable public,

l’abstention ou l’atermoiement n’est pas recommandé non plus.

2 – Le contrôle du dépassement du seuil par le comptable public :

La responsabilité financière des comptables publics à raison du dépassement du seuil des

marchés publics date de la jurisprudence Soldevilla ( a ). En raison de sa juvénilité, son

application a toutefois nécessité quelques adaptations ( b ).

139 La demande de décharge de responsabilité pour cas de force majeure est également susceptible d’exonérer lecomptable de sa responsabilité.140 Lorsque le ministre refuse totalement ou partiellement d’accorder par faveur la remise du débet au comptable,le paiement est principalement effectué par une association dont sont membres tous les comptables publics :l’association française de cautionnement mutuel.141 Comme par exemple l’accès à un poste comptable d’un indice plus élevé. On pense au poste convoité dereceveur particulier des finances.142 Le comptable qui suspend le paiement peut être contraint d’y procéder en cas de réquisition de l’ordonnateur.L’article 8 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 prévoit que « lorsque les comptables publics ont,conformément aux dispositions de l’article 37 ci-après, suspendu le paiement de dépenses, les ordonnateurspeuvent requérir les comptables de payer, sous réserve des dispositions propres à chaque catégoried’organismes publics ». Du point de vue du comptable, l’ordre de réquisition (pourvu qu’il soit valable) entraînel’exonération de la responsabilité personnelle pécuniaire. La réquisition de l’ordonnateur permet alors untransfert de responsabilité (voir l’article L 1617-3 alinéa du code général des collectivités territoriales). La loi definances n° 63-156 du 23 février 1963 a précisé dans son article 60-I que « les comptables publics ne sont paspersonnellement et pécuniairement responsables des opérations qu’ils ont effectuées sur réquisition régulièredes ordonnateurs ».143 Voir Cour des Comptes 12 septembre 1984 Robiliard, agent comptable du collège de Paul-Langevin àRouvroy, Recueil de la Cour des Comptes page 122 ; ou encore Conseil d’Etat 30 octobre 1959 Ministre desFinances c/ Murat, Recueil Lebon page 566.

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a – L’avènement de la jurisprudence Soldevilla

En 1993, pour la première fois145, la Cour des comptes a constitué en débet un comptable qui

avait payé une commande hors marché excédant le seuil de passation des marchés. Jusqu’à

cette date, la Cour se bornait à enjoindre pour l’avenir « de veiller à l’application des

dispositions prévues par les articles 123 et 321 du Code des marchés publics ». En se fondant

sur la rubrique 40.3 du chapitre 4 intitulé « travaux, fournitures, services » de la liste des

pièces justificatives annexées au décret du 13 janvier 1983, la Cour a estimé que la disposition

selon laquelle il y a lieu « de prendre en considération les commandes de nature identique ou

similaire dans l’année civile à un même fournisseur » était opposable aux comptables. Il

s’ensuit que le comptable public doit procéder à la totalisation des mandats transmis par

l’ordonnateur et demander la production d’un marché en cas de dépassement du seuil. Dans

cette espèce, la Cour a jugé qu’en cas de franchissement du seuil, le comptable public engage

sa responsabilité pour les mandats qui excèdent le seuil et non pour la totalité des paiements

(contrairement à ce qu’avait estimé la Chambre régionale des comptes de Corse)146. Ainsi, le

débet est constitué dès le paiement du premier mandat qui permet le dépassement du seuil147.

Durant toute une décennie, les juridictions financières ont largement fait application de cette

jurisprudence Soldevilla148 rendant parfois la mission des comptables très ardue. Pour illustrer

144 Voir Conseil d’Etat Ass 28 juillet 1951 Laruelle et Delville, Lebon page 464 ; Conseil d’Etat Sect 22 mars1957 Jeannier, Sirey 1958 page32 conclusions Kahn ; ainsi que l’article 60-IV de la loi du 23 février 1963.145 Cour des Comptes 1er juillet 1993, Mme Soldevilla, comptable public du syndicat intercommunald’électrification de la Corse et département de Corse-du-Sud : Rec. C. Comptes 1993, page 79 ; Revue duTrésor n° 12, déc, 1993 page 791. Voir également GAJF, 4ème édition n° 17 page 161 ou Rev Adm n° 277, noteA. FROMENT-MEURICE.146 Concernant le moment du franchissement du seuil, la Chambre régionale des comptes de Corse a jugé que lefranchissement du seuil doit être apprécié dès que le cumul des mandats excède le seuil. Pour elle, la mise endébet couvre l’ensemble des mandats payés par le comptable, y compris ceux qui sont inférieurs au seuil(notamment le premier mandat payé par le comptable). Pour justifier sa position, la Chambre s’appuie sur lecaractère prévisible des dépenses. Selon elle, il appartient au comptable d’apprécier le caractère prévisible dudépassement. La position de la Chambre a pu être influencé par l’instruction du 10 novembre 1976 qui demandeaux ordonnateurs (et non aux comptables publics) de prendre en compte le caractère prévisible du dépassement.La Cour des comptes n’a pas retenu cette analyse et a rejeté le critère de la prévisibilité. Pour la Haute juridictionfinancière, il ne faut pas faire application de l’instruction du 10 novembre 1976 (qui s’adresse aux ordonnateurset non aux comptables) mais de la nomenclature du décret du 13 janvier 1983 laquelle ne comprend que troiscritères (et non le caractère prévisible). Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que « la régularité dupaiement doit s’apprécier au jour de son exécution ».147 Certaines questions n’ont cependant pas été résolues par la jurisprudence Soldevilla. En effet, que doit faire lecomptable lorsque le dépassement du seuil survient par la mise en paiement le même jour de plusieurs mandatsqui pris isolément sont inférieurs au seuil. Le comptable doit-il rejeter l’ensemble des mandats ou seulementcelui ou ceux qui permettent le dépassement du seuil en se fondant sur leur numérotation ?148 Pour des exemples, voir Cour des comptes 10 novembre 1999 Chambre d’agriculture du Finistère, n° 24564.CRC Nord-Pas-de-Calais 12 mai 1999 Commune de Gravelines, n° 99-0117. CRC Rhône-Alpes 27 janvier 1999Syndicat intercommunal des eaux de Basse Ardèche, n° 99-009. CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur 29 mars

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cela, on évoquera une affaire149 dans laquelle le dépassement du seuil a été rendu possible en

imputant les dépenses sur deux chapitres distincts. En procédant de la sorte, il était

particulièrement difficile au comptable de faire le rapprochement entre les deux dépenses dès

lors qu’elles étaient ventilées sur plusieurs comptes. En dépit de ces circonstances, la Cour

des Comptes a décidé que la responsabilité était engagée pour le montant total de la facture

qui avait permis le dépassement du seuil et non pour les sommes payées excédant 300 000 F

TTC150.

b – Les adaptations de la jurisprudence Soldevilla

La jurisprudence Soldevilla a fait l’objet de quelques ajustements. En l’absence d’une

nomenclature semblable à celle existante pour les collectivités locales, le juge financier n’a

pas pu transposer la jurisprudence Soldevilla aux comptables nationaux. Il lui a donc fallu

recourir à l’instruction administrative d’application des marchés publics de 1972 qui diffère

de la nomenclature pièces-justificatives en ce qu’elle fait référence à la notion de prévisibilité

des dépenses151.

La Cour des Comptes152 a précisé ensuite de quelle manière la condition tenant à l’annualité

devait se comprendre. Selon la Cour, le seuil de 300 000 F TTC doit être apprécié en

additionnant, non pas les factures payées au cours de l’exercice budgétaire, mais les

commandes passées au cours de l’année civile conformément aux règles suivies en matière de

comptabilité d’engagement153. Un problème subsistait cependant. A partir de quel moment

devait-on considérer qu’une commande est passée ? Les juridictions financières154 ont fait

1994 Sieur B, Comptable du département des Alpes-Maritimes Revue du Trésor janvier 1995 page 43. CRCAquitaine 2 septembre 1998 Commune de Tarnos, Revue du Trésor 1998 page 745.149 Cour des comptes 25 novembre 1999 Payeur général du Trésor, n° 24767.150 Cette solution est rigoureuse car elle met parfois à la charge du comptable bien plus que le montant dessommes qui ont dépassé le seuil. En l’espèce, le mandat payé à tort s’élevait à 291 756 F ; le montant total dumarché était de 548 406,40 F.151 Cour des Comptes 3 mars et 17 mars 1997 Mmes Guillemet et Perrier, comptables de l’Université de ParisIX-Dauphine, Recueil page 21.152 Cour des Comptes 6 mai 1999 Syndicat intercommunal pour l’informatique (SIPI) à Aubagne; n°22839 :Revue du Trésor n° 12n, déc, page 786.153 Comme l’on fait observer les Professeurs Michel LASCOMBE et Xavier VANDENDRIESSCHE cet arrêt vaen pratique poser un certain nombre de problèmes aux comptables publics. Comment en effet vont-ils savoir àquelle date les commandes ont été passées. Voir Michel LASCOMBE et Xavier VANDENDRIESSCHE Revuedu Trésor n° 12 décembre 1999 page 786.154 Cour des comptes 27 janvier 2000 Commune de Saint-Victoret, n° 25031, Revue du Trésor 2001 page 27.

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savoir que c’est la date du bon de commande155 qui permet de dire qu’une commande a été

passée et non la date de l’établissement du devis (qui lui est antérieure), la date de facturation,

la date d’émission du mandat ou la date de paiement (lesquelles lui sont postérieures)156.

Au terme de cet examen, on constate donc que l’exercice de la mission confiée aux

comptables publics a été rendue de plus en plus difficile en raison des positions

jurisprudentielles adoptées par le juge financier. Certains d’entre eux ont même cherché,

comme le font les acheteurs publics, dans la doctrine administrative quelque repère, mais le

juge des comptes leur a signifié que les interprétations ministérielles ne leur étaient pas

opposables et qu’ils devaient ne pas en tenir compte lorsqu’elles n’étaient pas conformes aux

vérifications dont ils ont la charge d’effectuer157.

Cette situation ne pouvait manquer de rejaillir par contrecoup sur les acheteurs publics. «

Victime expiatoire », comme l’écrit Simon FROMONT158, le comptable a alors

corrélativement exercé une contrainte plus forte sur l’acheteur. De sorte, qu’il est permis de

s’interroger sur la pertinence de l’idée selon laquelle l’application de la législation par les

ordonnateurs sur les marchés publics serait caractérisée par la souplesse tandis que les règles

budgétaires applicables par les comptables sont marquées du sceau de la rigidité159.

En tout cas, même si les comptables publics ont empêché, par leur attitude vigilante digne des

pâtres, à de nombreux acheteurs publics de s’écarter de la règle, ils n’ont pû éviter à tous de

155 Cette solution traduit le principe de droit budgétaire selon lequel l’autorisation de dépenser ne vaut pasobligation de dépenser (et donc de contracter). Voir CE 13 novembre 1953 Chambre syndicale des industries etdu commerce des armes, munitions et articles de chasse, Recueil page 487.156 Voir également CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur 5 septembre 2000 Commune de Carcès, n° 2000-0741. Lasolution rendue par la CRC Provence-Alpes-Côte d’Azur dans l’arrêt Commune de Carcès a été confirmée par laCRC Nord-Pas-de-Calais le 21 juin 2000 (Commune de Brebières, n° 2000-0188) et la CRC Rhône-Alpes le 6octobre 2000 (Commune de Viviers, n° 2000-253). Cet arrêt précise surtout que l’établissement du devis ne doitpas être pris en compte pour le calcul du seuil.157 Cour des Comptes 4 mai 1995 Barbette, receveur municipal de la commune de Canteleu, Recueil page 37avec les conclusions, Revue du Trésor 1995 page 545.158 Simon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droit public financier » Thèse Lille 2001page 387. C’est très justement qu’il affirme (page 458) que « l’ordonnateur voit immanquablement sa liberté demanœuvre se réduire » ou (page 570) que par sa jurisprudence « la Cour des comptes influe obligatoirement surl’application, par l’ordonnateur, des formalités prescrites par le Code des marchés publics ».159 Telle est la thèse de D THOMAS : « Les relations entre le droit des marchés publics et le droit budgétaire etcomptable » RDP 1997 pages 1101 et suivantes. On peut au contraire penser que le droit relatif aux marchéspublics (c’est à dire aussi bien le Code des marchés publics que les règles de la comptabilité publique) s’appliquetout autant aux ordonnateurs qu’aux comptables. Autrement dit, il n’y aurait pas d’un côté un droit applicableaux décideurs publics - le code des marchés publics - et d’un autre un droit - les règles comptables et budgétaires- qui concerne les seuls comptables publics.

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connaître les affres de l’irrespect des dispositions des articles 123 et 321 du code des marchés

publics.

B – POUR L’ACHETEUR PUBLIC

Les ordonnateurs160 sont des décideurs publics. Si l’on exclut les marchés publics nationaux

qui sont passés par les ministres et les préfets (ou autres chefs de services déconcentrés), il y a

en France 37 000 communes, presque autant de centres communaux d’action sociale et de

caisses des écoles auxquels il faut ajouter 19 000 établissements publics de coopération

intercommunale, 100 départements, 26 régions et environ un millier d’établissements publics

départementaux et régionaux. Au total, on dénombre au plan local pas moins de 94 000

ordonnateurs. Il faudrait y inclure presque 8000 collèges et lycées ainsi que les quelques 300

offices publics d’habitation à loyer modéré et offices publics d’aménagement concerté. Les

conséquences du dépassement du seuil des marchés publics sont désastreuses pour tous ces

hommes et ces femmes chargés d’engager juridiquement la collectivité dont ils assurent la

gestion publique.

Assez paradoxalement, les comportements qui s’affranchissent des règles relatives au seuil

des marchés publics ne trouvent pas de sanction dans le droit des marchés publics ( 1 ). A tout

le moins sur ce point, le droit des marchés publics est en effet un droit en quête de sanction

administrative. Depuis quelques années, en revanche, le respect du seuil des marchés publics

est assuré par d’autres branches du droit que le droit administratif . La répression des

dépassements des seuils lui est alors extérieure ( 2 ).

1 – Une sanction administrative introuvable

On affirme traditionnellement que le prononcé de la nullité d’un contrat par le juge a pour

effet de provoquer la disparition rétroactive du contrat irrégulièrement formé. Chacune des

parties a alors droit à la répétition, c’est à dire à la restitution des prestations accomplies : du

prix payé par l’une et des biens fournis ou des services accomplis par l’autre. Comme

160 Il faut distinguer l’ordonnateur de la personne responsable du marché. Cette dernière peut être amenée par lejeu des délégations de signature ou de pouvoir à signer le marché pour le compte de l’ordonnateur.

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l’enseigne la doctrine privatiste, qui applique l’adage latin Quod nullum est nullum producit

effectum161, l’annulation d’un contrat a les effets d’un contrat à l’envers.

En l’espèce, le juge administratif reste le premier défenseur du droit des marchés publics et

n’hésite aucunement à déclarer la nullité des contrats qui violent le seuil prévu par les articles

123 et 321 du code des marchés publics ( a ). Toutefois, force est d’admettre que devant la

complexité des problèmes que pose l’annulation des contrats excèdant le seuil de 300 000 F

TTC, la nullité qu’il prononce est très imparfaite ( b ).

a – La nullité des marchés :

Parce que l’atteinte aux règles de passation des marchés publics est une chose grave, le

Conseil d’Etat juge de manière constante que les marchés irrégulièrement conclus sont

entachés d’une nullité absolue. Le Conseil d’Etat a jugé que la commande verbale d’une

commune est illégale dès lors que le code des marchés publics nécessitait un écrit162. Au

surplus, la Haute juridiction163 estime que cette nullité est un moyen d’ordre public qui peut

être soulevé d’office par le juge.

L’attitude de rigueur qui est celle du juge administratif lorsqu’il est en présence d’un marché

public irrégulier se retrouvent-elle également lorsqu’il est confronté à un marché de

régularisation ? On sait en effet que la production d’un marché de régularisation est nécessaire

lorsque le comptable public a décidé de bloquer le paiement d’une dépense. Le recours à ce

type de régularisation permet au comptable public de payer l’entreprise tout en dégageant sa

161 « Ce qui est nul est de nul effet ».162 CE 1er octobre 1969 Société des Etablissements Privés Recueil Lebon page 411. De plus en cas de non respectdu formalisme imposé par le code des marchés publics (cahier des charges, acte d’engagement, signatures,notification…) du fait du franchissement du seuil de 300 000 F TTC, le marché n’est pas exécutoire. Et laresponsabilité de la collectivité publique peut être engagée part ailleurs. Voir CE 26 février 1988 OPHLM deVilleneuve-Saint-Georges, Req n° 78530, Juris-data n° 005152, Droit Administratif 1988, 237 et 262.163 CE Section 22 novembre 1942 Bongrand et Dupin Rec page 335 ; CE Section 26 mars 1965 Vve et DlleMoulinet Rec page 208 ; CE Section 29 janvier 1982 Martin RDP 1983 page 234. Sur ce dernier arrêt : «Considérant qu’il résulte de l’instruction que pour faire procéder à l’installation du chauffage central dans songroupe scolaire, la commune de Moussy-le-Neuf a conclu avec M. Martin, entrepreneur, un marché de gré à gréde 49 392 F accompagné de cinq mémoires d’achat sur factures portant le montant total du marché 79 369, 79 Fhors taxes, que le recours à cette procédure constitue une méconnaissance volontaire des dispositions desarticles 279 et 310 du code des marchés publics régissant les contrats passés par les communes de moins de5000 habitants qui faisaient obligation à la commune de Moussy-le-Neuf de procéder à une adjudication ou à unappel d’offres ouvert dès lors que le montant du marché dépassait 50 000 F ; que par suite le contrat passé entreladite commune et M. Martin est nul et n’a pu faire naître aucune obligation à la charge de l’entrepreneur … ».

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responsabilité164. Ces marchés, qui institutionnalisent les entorses faites aux règles de

passation des marchés publics, sont une technique d’évitement tout à fait critiquable165. En

effet, le recours aux marchés de régularisation ne permet pas d’oublier que le formalisme et

surtout les règles de mise en concurrence ont été écartés : l’attributaire du marché ayant déjà

été choisi et, le plus souvent, le marché déjà complètement exécuté.

Les marchés de régularisation sont donc un mal nécessaire, un pis-aller. Avec beaucoup de

réalisme, la Commission centrale des marchés a reconnu qu’ils ont «pour seul objet de

permettre le règlement des sommes dues au prestataire par le comptable public et n’ont pas

pour effet d’effacer l’irrégularité commise, ni les conséquences qu’elle peut avoir en cas de

recours contentieux »166. La commission a rappelé que leur illégalité tient à l’interdiction,

prévue par l’article 250 du code des marchés publics, de commencer l’exécution d’un marché

avant même sa conclusion167. Malgré l’avantage indéniable qu’il procure, un marché de

régularisation est illégal et peut par suite faire l’objet d’une annulation par le juge

administratif168.

Sauf cas très limités, comme par exemple le règlement des dépenses (d’un montant supérieur

à 300 000 F) présentant un caractère imprévisible169, le Conseil d’Etat juge que le recours aux

marchés de régularisations est illégal170. Cette illégalité trouve son origine dans les articles 39

et 250 du code des marchés publics lesquels prévoient que « Les marchés doivent être notifiés

avant tout commencement d’exécution »171. C’est pour cette raison que le juge administratif

164 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 2/95-96 page 4.165 Ainsi, pour que le paiement par le comptable public soit financièrement régulier, il est nécessaire de produireun acte administrativement irrégulier.166 Voir Marchés publics n° 216 et 219. On dit parfois que les marchés de régularisation ne régularisent rien.167 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 216 mars 1986 page 6.168 Commission centrale des marchés : marchés publics n° 277 novembre 1993 page 7.169 Cour des comptes 7 avril 1999 Syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable du Haut-Châtelleraudais,n° 22580.170 Voir en ce sens CE 27 mai 1998 n° 165109 Commune d’Agde, RD Immob 1998 page 361 obs F. LLORENSet Ph. TERNEYRE (recours à un marché de régularisation pour rectifier la passation d’un marché négocié sansmise en concurrence préalable dans des conditions illégales). Dans ses conclusions, le commissaire dugouvernement, Mme Catherine BERGEAL s’exprimait alors ainsi : « nous pensons qu’un marché conclu alorsque les travaux ont déjà commencé voire sont terminés …. ne peut servir de base juridique au paiement deprestations effectuées avant sa conclusion » ; Voir également TA Strasbourg n° 1052-82 du 24 février 1983,Commune de Fessenheim c/ SA Lack et Cie. CAA Marseille 21 novembre 2000 Commune La Grande Motte n°97MA 05398 Contrats et marchés publics août 2001 page 14 commentaire G ECKERT. Sur l’illégalité d’unmarché de régularisation, voir encore TA Saint-Denis-de-la-Réunion 18 avril 1990 Préfet de la Réunion, Recueildes arrêts des TA et CAA 1990 Litec 1992 n° 233 page 311. Voir CE 2 novembre 1988 Préfet Hauts-de-Seinec/OPHLM Malakoff et Société NCR, Moniteur des Travaux Publics 23 décembre 1988 page 46, Juris-data n°000115.171 Le nouveau code reprend à l’identique cette règle dans son article 79.

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annule également les délibérations des conseils municipaux par lesquelles le maire est

autorisé à signer des marchés de régularisation172.

Si le juge administratif est prompt à annuler les contrats qui ne respectent pas les dispositions

des articles 123 et 321 du code des marchés publics, il éprouve davantage de difficulté à

imposer aux parties le rétablissement de la situation initiale.

b – Une nullité imparfaite :

Lorsqu’il décide de prononcer la nullité d’un contrat, le juge administratif devrait en bonne

logique ordonner à la fois la restitution du prix et des biens ou des prestations accomplis. La

pratique est cependant tellement éloignée de ce canevas que l’on peut se demander s’il ne

cherche pas en réalité à maintenir le contrat illégalement conclu. En d’autres termes, la nullité

est indolore car sans effet173.

Plusieurs raisons expliquent cette situation contrastée. Les contrats conclus par

l’Administration, tout d’abord, ont pour objet de faciliter l’accomplissement de mission de

service public ou, de manière plus neutre, d’intérêt général. Dans une étude consacrée à la

nullité pour vice du consentement, le Professeur Yves WEBER174 constatait que ce cas de

nullité restait peu utilisée et avançait que le contrat administratif est fondé sur la notion de

172 Voir TA Nice 21 décembre 1993 Préfet des Alpes-Maritimes.173 Mme Dominique POUYAUD constate que « la sanction la plus fréquente de l’irrégularité d’un contrat n’estpas la nullité ». Voir Dominique POUYAUD : « La nullité des contrats administratifs » LGDJ 1991 page 287.Plus loin, elle affirme que « la violation de l’ordre public ou l’incompétence n’aboutissent que très rarement à lanullité de la convention ». Voir Dominique POUYAUD : « La nullité des contrats administratifs » LGDJ 1991page 288. Selon elle « la première caractéristique qui saute aux yeux est la grande pénurie d’arrêts constatant lanullité des contrats administratifs. Contrastant avec la multiplicité des irrégularités affectant ces contrats, avec larichesse des annulations en droit privé ou en excès de pouvoir et avec la relative abondance des nullités partiellesdes contrats administratifs, les conventions de droit public font très rarement l’objet de jugements de nullité ».Voir Dominique POUYAUD : « La nullité des contrats administratifs » LGDJ 1991 page 359. Pour D.THOMAS « Le respect des procédures de passation et d’exécution des marchés n’est que superficiel car lessanctions afférentes aux violations ne sont qu’illusoires. Il n’en est pas de même pour les comptables qui sontsoumis à des sanctions rigoureuses égales au montant de leur erreur ». Voir D THOMAS : « Les relations entrele droit des marchés publics et le droit budgétaire et comptable » RDP 1997 page 1132.174 Voir en ce sens le lumineux article d’Yves WEBER : « La théorie des vices du consentement dans lescontrats administratifs » Mélanges Roland DRAGO Economica 1996 page 337 ; D’une manière générale, onretrouve en droit privé une attitude similaire du juge civil consistant à « sauver » des contrats de l’annulationgrâce à la théorie des nullités facultatives. On lira à ce propos la thèse d’Olivier GOUT : « Le juge etl’annulation du contrat » PUAM 1999 Préface Pascal ANCEL spécialement la deuxième partie pages 337 etsuivantes.

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service public. Le sauvetage des contrats175 s’explique par la volonté du juge de ne pas

perturber trop profondément le fonctionnement de l’administration. Et d’avancer que « si le

juge administratif privilégie le maintien des conventions, ce ne peut être que parce que celles-

ci sont conclues de manière générale en vue du bon fonctionnement du service public dont il

entend avant tout assurer la continuité »176. Dans quelle mesure ce propos relatif aux vices du

consentement ne s’applique-t-il pas également mutatis mutandis au formalisme prévu par le

code des marchés publics ?

En pratique, on voit mal, par exemple, le service administratif d’une mairie restituer les

photocopieurs, les imprimantes reliées à ses ordinateurs qu’il utilise quotidiennement et qui

sont essentiels à l’exercice de ses travaux suite à l’annulation par le juge administratif du

contrat par lequel ils ont été acquis. Cette position est renforcée par le fait que ni

l’administration, ni le fournisseur n’ont un réel intérêt au rétablissement ex ante de la

situation177. Enfin, des difficultés techniques – lorsque les restitutions portent sur des

prestations de services – peuvent se poser. Certains observateurs reconnaissent très bien

d’ailleurs que « dans la pratique, les préfets sont réticents à déférer les marchés auprès du

juge administratif car l’annulation d’un marché, surtout lorsque les irrégularités sont

formelles conduit à la mise en jeu de responsabilités et de situations comptables forts

complexes. En outre, les très rares sanctions qui sont prononcées interviennent de façon trop

tardive pour être véritablement dissuasives »178.

Ces éléments laissent à penser que la nullité est une chimère et que «… l’on pourrait presque

écrire, comme on le fait de l’ouvrage public, qu’un contrat administratif mal formé ne se

détruit pas, à cause du service public dont il est porteur »179. Devant tout cela, la

jurisprudence administrative s’est résigné à ne pas détruire complètement les marchés conclus

en dehors des dispositions du seuil de 300 000 F TTC. La question s’est posé alors de savoir

175 Pour Dominique POUYAUD « il a tendance dans le contentieux contractuel à assurer avant tout la stabilitédes conventions ». Voir Dominique POUYAUD : « La nullité des contrats administratifs » LGDJ 1991 page360.176 Selon le Professeur Yves WEBER « ce qui fait la spécificité d’un droit c’est son fondement, et que, tant quese perpétuera l’impératif du service public, droit public et droit privé ne sauront constituer un seul droit ». Voiren ce sens Yves WEBER : « La théorie des vices du consentement dans les contrats administratifs » MélangesRoland DRAGO Economica 1996 page 340.177 Il est rare que les parties à un contrat saisissent le juge d’une demande aux fins d’annulation lorsqu’ellesprofitent de cet accord.178 Voir en ce sens les auteurs du LAMY Gestion et finances des collectivités locales 2000 page 537-12.179 Voir en ce sens Yves WEBER : « La théorie des vices du consentement dans les contrats administratifs »Mélanges Roland DRAGO Economica 1996 page 340.

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comment procéder au paiement de l’entreprise cocontractante ? Trois moyens s’offrent au

juge.

Le Conseil d’Etat a jugé dans un considérant de principe180 que « le cocontractant de

l’Administration dont le contrat est entaché de nullité est fondé à réclamer, en tout état de

cause, le remboursement de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il

s’est engagé ». Cet arrêt consacre la théorie de l’enrichissement sans cause181 appelée

également action de in rem verso. Le recours à la théorie de l’enrichissement sans cause, qui

est un quasi-contrat, permet d’indemniser pour des raisons tenant à l’équité l’exécution de

travaux, la fourniture de prestations qui ont été effectué sur le fondement d’un contrat jamais

conclu, d’un contrat qui a été annulé ou en dehors des prévisions d’un contrat182.

La transaction prévue par l’article 2044 du code civil reste un autre moyen de régler le

fournisseur183 en cas d’annulation du marché par le juge administratif. La Cour des comptes a

reconnu la possibilité de recourir à la transaction184 en cas d’annulation d’un marché pour

résoudre les difficultés qui en découlent. Le Tribunal Administratif de Lyon a cependant pris

récemment une position qui fragilise le recours à la technique de la transaction en estimant

qu’elle n’était pas permise lorsqu’elle « n’a eu d’autre but que de permettre aux parties de se

soustraire à l’application des dispositions de livre III du Code des marchés publics, qui

hormis les cas prévus à l’article 321 du même code, imposent la passation d’un marché »185.

Il semblerait cependant que les juges du fond reconnaissent désormais la régularité du recours

à la transaction et contrôlent son contenu lors de la demande d’homologation186.

L’indemnisation du cocontractant de l’Administration peut enfin être obtenue par le recours

aux règles de la responsabilité extra-contractuelle.

180 Voir en ce sens CE 19 avril 1974 Société Entreprise Louis Segrette, AJDA 1974 page 453 ; CE 23 mai 1979n° 00063, Commune de Fontenay-le-Fleury, Rec Lebon 1979 page 226.181 Sur le recours au quasi-contrat, lire Simon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droitpublic financier » Thèse Lille 2001 pages 115 et suivantes.182 Ainsi, G. BAYLE rappelle que l’enrichissement sans cause « concilie la protection des finances publiques etle besoin d’assurer l’efficacité et la continuité de l’action administrative ». Citation extraite de l’ouvrage deSimon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droit public financier » Thèse Lille 2001page 117.183 Cette opinion a été avancée par M. FABRE.184 Voir en ce sens Cour des Comptes 26 mars 1992 Maire de Vallauris, Rev Adm 1993 page 141.185 Voir en ce sens TA Lyon 6 octobre 1999 n° 99-01238 Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône, RDImmob 2000 page 167.186 Voir TA Versailles 24 décembre 2001 Saman c/ Société IBM France, req n° 01-4621 ; TA Melun 4 décembre2001 Ministre de la Défense, req n° 01-3402.

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Les difficultés - ou les réticences - que le juge administratif éprouve pour sanctionner

efficacement le dépassement du seuil des marchés publics ont conduit d’autres juges à se

substituer à lui187.

2 – Des sanctions extérieures au code des marchés publics

Il n’est pas sain que des dispositions ne trouvent pas par elle-même le respect qui leur ait dû et

que, pour continuer à jouer leur rôle, elles doivent appeler en renfort d’autres branches du

droit188. Concrètement, la sanction du dépassement du seuil ne porte plus alors sur le contrat

mais sur ceux qui l’ont conclu. On fait pression sur les acteurs de la commande publique dans

l’espoir qu’ils respecteront les dispositions du code des marchés publics189. En l’espèce, le

seuil des marchés publics trouve son application par le truchement de deux droits répressifs :

le droit pénal ( b )190 et dans une moindre mesure le droit public financier ( a ).

On observera enfin pour clore ce point que le droit de la concurrence s’est remontré jusqu’à

présent dans sa lutte contre les manquements aux articles 123 et 321 du code des marchés

publics d’une totale et rare ineffectivité191. Comme le déplore MICHEL BAZEX « lorsqu’on

reprend les décisions du Conseil de la concurrence intervenues depuis le début dans le

187 Les auteurs du LAMY constatent d’ailleurs avec Philippe TERNEYRE qu’il y a « une véritableincompatibilité entre contentieux de l’annulation et droit des marchés publics ». Voir en ce sens LAMY Gestionet finances des collectivités locales 2000 page 537-12.188 Simon FROMONT parle à ce propos « des législations périphériques au droit de la commande publique »Voir Simon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droit public financier » Thèse Lille2001 page 442.189 Ce phénomène n’est pas propre à l’objet de cette étude. On a constaté que lorsqu’un référé précontractuel estintenté, les collectivités publiques ne s’empressent pas, contrairement à une idée répandue, de signer lesconventions de délégation de service public par crainte bien davantage du juge pénal que du juge administratif. Iln’y a donc pas de course aux signatures.190 Pour Florian LINDITCH, « l’intervention croissante du juge pénal dans le droit des marchés publics conduità poser la question d’un possible déclin de la sanction traditionnellement assurée par les juridictionsadministratives ». Voir Florian LINDITCH : « Le droit des marchés publics » Dalloz / Connaissance du droit,2ème édition 2002 page 107. Selon Florian LINDITCH, cette évolution entraîne « une forme de compétition entreles différents juges de l’achat public et … pour pouvoir conserver le rôle moteur qui est le sien, le jugeadministratif doit reprendre périodiquement l’initiative ….» Voir Florian LINDITCH : « Le droit des marchéspublics » Dalloz / Connaissance du droit, 2ème édition 2002 page 12.191 Un auteur constatait avec un certain étonnement en 1996 que le juge administratif ne fasse pas application auxmarchés publics de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.Voir Patrick SCHULTZ : « Eléments dudroit des marchés publics » LGDJ 1996 pages 73 et 74.

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secteur des marchés publics, on constate qu’aucune sanction n’a jamais été prononcée contre

les acheteurs publics »192.

a –Une sanction ineffective : le droit public financier

Créée par une loi du 25 septembre 1948, la Cour de discipline budgétaire et financière a

mission de juger et sanctionner les ordonnateurs qui procèdent irrégulièrement à

l’engagement, à la liquidation, à l’ordonnancement ou au mandatement des marchés

publics193. L’absence de marché194 en cas de dépassement du seuil prévu par les articles 123

et 321 du code des marchés publics ou le fractionnement des commandes 195 sont des

comportement qui peuvent conduire les ordonnateurs à être poursuivis devant la Cour de

discipline budgétaire et Financière. De même, la production d’un marché de régularisation

peut entraîner la condamnation de l’ordonnateur devant la Cour de Discipline Budgétaire et

Financière196. Malgré ces arrêts, le résultat est trompeur dans la mesure où les ministres, ainsi

192 Voir en ce sens Michel BAZEX : « Le Conseil de la concurrence et les marchés publics » AJDA 1994 page106. Le titre de la deuxième partie de cet article est intitulé « L’absence de répression des comportements desacheteurs publics ».193 Les infractions susceptibles d’être sanctionnées par la CDBF sont énumérées aux articles L 313-1 à L 313-14du code des juridictions financières. L’article L 313-4 par exemple porte sur le non-respect des règles relatives àl’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens, l’article L 313-6 sur l’avantage injustifiéprocuré à autrui. Pour des applications, voir par exemple CDBF 6 novembre 1992 sur le favoritisme ; CDBF 11-12 décembre 1991 n° CDBX 9210999X (s’agissant du fractionnement sur trois exercices avec trois fournisseursd’une commande de blanchissage de son linge par un centre hospitalier ; la sanction a été de … 5 000 F) ainsique CDBF 22 janvier 1992 n° CDBX 9210300X sur le découpage artificiel des prestations.194 Voir CDBF 30 octobre 1985 Martin et Demoget JO 3 mai 1986 page 5992.195 Voir CDBF 28 avril 1987 Benoît et Souquières JO 13 novembre 1987 page 13234 ou encore CDBF 11décembre 1991 MM. Dehu et Belmokthar Recueil Cour des comptes 1991 page 136. Voir également Cour descomptes 5 août 1997 Lettre du Président, n° 16841, Recueil de la Cour des Comptes page 303.196 Voir par exemple CDBF 22 janvier 1992 Cuvelier et Gonzalez, Revue du Trésor 1993 page 35. Les faits decette affaire sont édifiants : « considérant que l’article 321 du code des marchés publics prévoit qu’il peut êtretraité sur mémoire ou sur simple facture par les communes pour les travaux, fournitures ou services dont ladépense n’excède pas un seuil, dont le montant, au moment des faits, était de 180 000 F pour la catégorie descommunes à laquelle le centre de formation des personnels communaux était rattaché ; considérant que lecentre de formation des personnels communaux a acquis, au cours des années 1985 et 1986, de micro-ordinateurs pour un total de 2,3 millions de francs ; qu’il a acheté notamment 28 macintosh, dont 18 ont étépayés pour 697 980 F en 1985, et 10 pour 304 767 F en 1986 ; que sur les 18 macintosh acquis en 1985, 12 l’ontété auprès de la société Galilée informatique ; que bien que ces résultats aient dépassé le seuil précité, ils n’ontpas fait l’objet d’aucun marché et ont été réglés sur simple facture ; que, de même, des brochures intituléesCahier du centre de formation des personnels communaux ont été imprimées par la société Fricotel ; que cestravaux, dont le coût a dépassé 259 000 F en 1985 et 305 000 F en 1986 n’ont pas fait l’objet d’un marché, leseuil de l’article 321 était de 150 000 F au moment des faits ; que, si un marché de travaux d’imprimerie portantle numéro 85-22 a bien été conclu le 10 septembre 1985 par le centre avec la société LY2 pour un montant de321 000 F, des prestations importantes ont été exécutées par cette même société, en dehors du marché, soitavant sa conclusion, en 1985, soit postérieurement, en 1985 et 1986 ; que le montant de ces travaux hors marchéa dépassé 352 000 F en 1985 et 347 000 F en 1986 ». ou encore CDBF 26 juin 1992 Le Coz, Simon, Duchêne,Dupeyron, Lavenir et Loing Recueil Lebon page 632.

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que les élus locaux197 depuis 1971, ne sont pas justiciables cette juridiction. Et la circonstance

que la Cour de discipline budgétaire et financière ait jugé que « la personne responsable du

marché au sens des dispositions du code des marchés publics » puisse être regardée comme

l’auteur d’une infraction198 n’enlève rien à ce constat.

Le bilan reste donc maigre et « on peut se demander si sa fonction n’est pas plus d’intimider

que de réprimer »199. Reste qu’en attendant une hypothétique montée en puissance de la Cour

de discipline budgétaire et financière, laquelle inciterait les ordonnateurs et leurs représentants

à mieux respecter le seuil des marchés publics, le droit pénal est devenu le seul et le véritable

instrument de contrainte pour les acheteurs publics en cas de dépassement du seuil des

marchés publics. Bien plus qu’une annulation dont les effets sont platoniques, les acheteurs

publics ont commencé avec le droit pénal à comprendre les dangers qui les menaçaient en cas

de dépassement du seuil des marchés publics.

b – Une sanction efficace : le droit pénal

A partir des années quatre-vingt dix, la lutte contre la corruption publique a conduit le

législateur a inclure dans le code pénal200 plusieurs délits concernant la passation des marchés

publics. Outre les délits de corruption passive et active prévus respectivement par les articles

L 432-11 et L 433-1 du nouveau code pénal, les deux principales incriminations en sont le

délit de prise illégale d’intérêts appelé également délit d’ingérence201 et le délit d’avantage

injustifié prévu par l’article 432-14 et désigné encore sous le terme de délit de favoritisme. Ce

délit de favoritisme202 a été créé par l’article 7 de la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 relative à la

197 En application de la loi du 29 janvier 1993, les élus locaux peuvent toutefois être justiciables de la Cour dediscipline budgétaire et financière lorsqu’ils ont procuré à autrui un avantage injustifié par l’usage irrégulier deleur pouvoir de réquisition (article L 312-2).198 Voir CDBF 7 février 1989 Denis Recueil Lebon page 411.199 Voir André PAYSANT : « Finances publiques » Armand Colin 1999, 5 ème édition, page 234. Voirégalement pour une même appréciation Michel LASCOMBE et Xavier VANDENDRIESSCHE : « Les financespubliques » Dalloz / Connaissance du droit, 4ème édition, 2001 page 169.200 Le nouveau code pénal est entré en vigueur le 1er mars 1994.201 Voir les articles 432-12 et 432-13 du nouveau code pénal.202 L’article 432-14 du code pénal prévoit « est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 Eurosd’amende le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service publicou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent del’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt nationalchargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personneagissante pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui unavantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet degarantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public».

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transparence et à la régularité des procédures de marché203. Il vise notamment la passation de

commandes204 excédant le seuil prévu par les articles 123 et 321 du code des marchés publics

ainsi que la conclusion des marchés de régularisation205. S’agissant d’un délit quasiment

objectif, la constitution de cette nouvelle infraction ne nécessite pas d’un élément

intentionnel206. Par voie de conséquence, le niveau de formation et d’expérience suffit pour

considérer qu’une personne a une connaissance suffisante de la réglementation applicable aux

marchés publics et qu’elle peut être pénalement poursuivie sur le fondement de cette

disposition207. De surcroît, cette pénalisation des marchés publics a été facilitée par la

multiplication des autorités chargées de veiller à leur respect. La mission interministérielle

d’enquête sur les marchés, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de

la répression des fraudes, le Conseil de la concurrence, le service central de prévention de la

corruption, le préfet dans le cadre du contrôle de la légalité, ainsi que le juge financier

peuvent avertir le juge pénal de faits susceptibles de recevoir la qualification de délit de

favoritisme208.

Dans ces conditions, les effets ne sont pas fait attendre trop longtemps. Ainsi, la circulaire

98.4/G3 du 2 juillet 1998 relative au premier bilan d’application du délit de favoritisme dans

les marchés publics et les délégations de service public209 rappelle que les condamnations

pénales proviennent fréquemment du recours injustifié à l’achat sans facture par le biais du

fractionnement de la commande lequel est le plus souvent obtenu par l’émission de fausses

factures par des entreprises amies de celle qui est attributaire du marché afin de diminuer le

montant, la date ou la nature des prestations. Pour le Président de la mission interministérielle

d’enquête sur les marchés, le constat est sans appel : les achats sur factures « constituent l’un

des terrains de prédilection de la fraude dans les marchés. On sait combien ces prestations,

203 Cette loi a également créé la Mission interministérielle d’enquête sur les marchés publics.204 Voir Cass crim 12 novembre 1998 Marcel Graud, pourvoi n° 97-85333 ; Cass crim 30 juin 1999 requête n°4460 et Cass crim 29 décembre requête n° 5678.205 Voir en ce sens Cass crim 2 avril 1998 JCP Ed Ent 1998 page 2000.206 Voir en ce sens Cass crim 2 avril 1998 JCP Ed Ent 1998 page 2000 ou encore Cass crim 15 septembre 1999Droit Pénal mars 2000 n° 28 page 12 observations VERON. En sens inverse cependant, Réponse ministérielle n°1881, JO Sénat (Questions) 25 mai 2000 page 1881 et CA Paris 20 janvier 2000 BJCP 2000 n° 14 page 66.207 Le manquement à l’obligation de mise en concurrence pour une commande supérieure à 300 000 F TTC pardes prévenus qui ont déjà exercé des responsabilités similaires dans des collectivités territoriales révèlel’existence d’une intention coupable. Voir en ce sens Cass crim 7 mars 2000 n° 99-84117.208 Pour un exemple concernant le juge financier, voir CRC Rhône-Alpes 26 avril 1994, avis n° 94-37. Dans cecas, le ministère public de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes en informe qui leMinistre de la Justice, qui le représentant du Parquet de la juridiction compétente.209 Il est utile de signaler que 33 condamnations impliquant 40 personnes ont été prononcées de 1991 à 2001.Voir Haritini MATSOPOULOU : « Marchés publics. Liberté d’accès et égalité des candidats » JurisclasseurCode Pénal 2001 article 432-14, n° 5.

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attribuées sans aucune garantie propre à assurer la régulation de leur dévolution, ont été à

l’origine des pratiques corruptrices …. »210.

* * *

Au final, l’irréalisme de la méthode de computation du seuil des marchés publics a été la

source d’une très grande insécurité juridique211 : les comptables publics risquaient de plus de

plus souvent en cas de paiement injustifié une mise en débet ; et les acheteurs publics étaient

exposés à des condamnations pénales212 puis, consécutivement à celles-ci, à subir des revers

électoraux213. Pour ces raisons, et d’autres plus techniques comme celle relative au relèvement

du seuil des commandes hors marchés214 qui évite le recours à des procédures plus lourdes

(telles que la procédure d’appel d’offres) et inadaptées pour les petites communes, les élus

locaux ont alors sollicité la modification des règles de la commande publique.

Dès 1995, un parlementaire, M. TRASSY-PAILLORGUES, a été chargé par le

Gouvernement de préparer un nouveau code des marchés publics. La lettre de mission du

Premier Ministre Alain JUPPE demandait alors aux rapporteurs de bien vouloir : « unifier et

simplifier les législations existantes, afin de les rendre plus accessibles aux usagers et aux

citoyens (…) envisager une évolution du droit de la commande publique qui permette de

donner à celle-ci un cadre juridique cohérent et adapté à la réalité économique actuelle, dans

210 Voir Gérard PANCRAZI : « Le délit de favoritisme et le nouveau code des marchés publics » Contrats etmarchés publics Juris-classeur mai 2001 page 5.211 Laquelle résulte principalement de « l’absence d’unité du droit des marchés publics locaux ». Voir EricSAGALOVITSCH : « Le comptable public et l’exécution financière des marchés publics locaux » Bulletinjuridique des contrats publics n° 14 page 10. On rapprochera la sécurité juridique de « l’objectif de valeurconstitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ». Voir CC 16 décembre 1999 Codification.212 Il est remarquable sur ce point qu’un des meilleurs spécialistes de la matière assigne (essentiellement ?) aunouveau code la mission d’éradiquer le risque pénal. Voir la quatrième de couverture de Florian LINDITCH : «Le droit des marchés publics » Dalloz / Connaissance du droit, 2ème édition 2002 où il s’interroge sur le point desavoir si le décret sera suffisant « pour mettre fin à la pénalisation actuelle de la commande publique ».Pessimiste, un auteur affirme que le juge pénal « ne devrait pas subir la répercussion de cette réfection » ouencore « la survenance d’un nouveau code des marchés publics ne devrait pas freiner le juge pénal dans sonaction ». Voir Simon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droit public financier » ThèseLille 2001 pages 220 et 242. D’une manière plus générale, Christine MAUGÜE parle de « la montée enpuissance du droit pénal des contrats publics ». Voir Christine MAUGÜE : « Les variations de la libertécontractuelle dans les contrats administratifs » AJDA 1998 page 700. Sur la pénalisation de l’actionadministrative et son incidence sur la légalité administrative, on lira également l’article de Florian LINDITCH :« Droit pénal et droit administratif : à propos des nouvelles responsabilités des élus » pages 179 et suivantes, etspécialement les pages 192 à 194 in « Juger les politiques. Nouvelles réflexions sur la responsabilité desdirigeants publics » sous la direction de Jean-Jacques SUEUR L’Harmattan 2001.213 La pénalisation de la vie administrative met le plus souvent - et c’est une chose heureuse - les élus dans unesituation politiquement délicate.

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le strict respect des principes de transparence des choix et d’égalité de la concurrence, et qui

puisse également procurer à l’acheteur public une sécurité juridique accrue … étudier les

moyens d’atteindre ces objectifs et de contribuer à une simplification significative des textes

actuels … »215. Au cours du mois de juin 1996, les principaux intéressés, les élus locaux, ont

fait l’objet d’une consultation. De ces travaux est sorti le rapport TRASSY-PAILLORGUES

lequel a donné lieu en mars 1997 au dépôt du projet de loi « ARTHUIS-GALLAND ». Mais

ce texte n’a pas abouti suite au changement brusque de majorité gouvernementale intervenue

au cours du mois de juin 1997. Après avoir déposé un nouveau projet de loi, le nouveau

gouvernement a rédigé un décret au cours de l’année 2001 qui a cherché à se nourrir des

expériences du passé.

CHAPITRE II – A UNE CONCEPTION ECONOMIQUE DE LA

COMPUTATION DU SEUIL DES MARCHES PUBLICS

Préparé par la Direction des Affaires Juridiques avec le concours de la Direction Générale de

la Comptabilité Publique et celle de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression

des Fraudes, le décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 a porté sur les fonts baptismaux le 9

septembre 2001, date de son entrée en vigueur, un nouveau code des marchés publics.

Reposant sur la volonté d’une meilleure prise en considération des réalités économiques –

conformément à une forte demande de la doctrine qui regrettait le retard pris par le droit des

marchés publics sur le droit fiscal216, le droit des sociétés ou encore le droit de la concurrence

- ce nouveau Code des marchés publics a cherché, à la différence de son prédécesseur, à

donner aux acheteurs publics une méthode de calcul des seuils qui soit sûre voire infaillible.

Le souci de réalisme217 qui a animé les rédacteurs de ce nouveau codex a trouvé son

aboutissement dans l’article 27. Cet article218, véritable bréviaire du calcul des seuils, sert en

214 Voir par exemple : réponses ministérielles à Questions écrites de Alfred Recours n° 50235 JO AssembléeNationale 11 décembre 2000 page 7001.215 Citation extraite de Frédérique OLIVIER et Eric BARBRY : « Règles générales de formation des marchéspublics » Jurisclasseur Administratif 1998 Fasc. 635 n° 50.216 Concernant le réalisme du droit fiscal, on lira l’article de Maurice COZIAN : « Propos désobligeants sur une« tarte à la crème » : l’autonomie et le réalisme du droit fiscal » Les grands principes de la fiscalité desentreprises Litec 1996 pages 3 et suivantes ; voir également la thèse de Gauthier BLANLUET : « Essai sur lanotion de propriété économique en droit privé français. Recherches au confluent du droit fiscal et du droit civil »LGDJ 1999 Préface P. CATALA et M. COZIAN.217 Voir Florian LINDITCH : « Le droit des marchés publics » Dalloz / Connaissance du droit 2000, page 102.218 Article 27 du nouveau code des marchés publics : « Lorsqu’il est fonction d’un seuil, le choix de la procédureapplicable est déterminé dans les conditions suivantes.

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effet à computer le seuil de procédures de mise en concurrence. Il permet ainsi de déterminer

les cas dans lesquels il est possible de recourir à marché sans formalités préalables, à un

marché passé après une mise en concurrence simplifiée ou bien encore à un marché conclu en

application de la procédure de l’appel d’offres.

En outre, le décret du 7 mars 2001 a prévu que l’article 27 entrerait en vigueur non pas le 9

septembre 2001, comme la plupart des dispositions du code, mais le 1er janvier 2002. Le choix

de cette date s’explique par la volonté de laisser au Gouvernement le temps de prendre les

arrêtés interministériels nécessaires à sa mise en oeuvre. On peut penser également que l’on a

cherché à simplifier la vie des acheteurs publics en faisant coïncider l’entrée en vigueur de cet

article avec le début d’une nouvelle année civile. Mais dans l’intervalle219, que faire ? Les

procédures engagées à partir du 9 septembre sur le fondement du nouveau code des marchés

publics ne pouvant plus se référer à l’ancien code lequel a été abrogé, il a été recommandé de

computer les seuils en cherchant à identifier des prestations homogènes puisque le seuil de 90

000 Euros HT est entré en vigueur avec la fin des vacances scolaires220. Pour d’autres, à partir

du 9 septembre 2001, il faudrait appliquer les nouveaux seuils mais en calculant selon la

méthode jurisprudentielle définie sous l’empire de l’ancien code. En tout état de cause, une

ancienne responsable politique, Mme Florence PARLY, a fait savoir que les comptables

I – En ce qui concerne les travaux, est prise en compte la valeur de tous les travaux se rapportant à une mêmeopération ou à un même ouvrage, quel que soit le nombre d’entrepreneurs auxquels la personne responsable dumarché fait appel.II – En ce qui concerne les fournitures, est prise en compte, quel que soit le nombre de fournisseurs auxquels lapersonne responsable du marché fait appel : a) si les besoins de la personne publique donnent lieu à unensemble unique de livraisons de fournitures homogènes, la valeur de l’ensemble de ces fournitures ; b) si lesbesoins de la personne publique donnent lieu à des livraisons récurrentes de fournitures homogènes, la valeurde l’ensemble des fournitures correspondant aux besoins d’une année. Le caractère homogène des fournituresest apprécié par référence à une nomenclature définie par arrêté interministériel.III – En ce qui concerne les services, est prise en compte, quel que soit le nombre de prestataires auxquels lapersonne responsable du marché fait appel : a) si les besoins de la personne publique donnent lieu à unensemble unique de prestations homogènes et concourant à une même opération, la valeur de l’ensemble de cesprestations ; b) si les besoins de la personne publique donnent lieu à des réalisations récurrentes de prestationshomogènes et concourant à une même opération, la valeur de l’ensemble des prestations correspondant auxbesoins d’une année ; c) si les besoins de la personne publique donnent lieu à la réalisation continue deprestations homogènes, la valeur de l’ensemble de ces prestations sur la durée totale de leur réalisation. Lecaractère homogène des prestations de service est apprécié par référence à une nomenclature définie par arrêtéinterministériel.IV – En ce qui concerne les marchés comportant des lots, est prise en compte la valeur estimée de la totalité deslots ».219 Sur cette interrogation voir Réponses ministérielles à la Question écrites de Jean-Paul Bacquet du 16 juillet2001 JOAN Q 10 septembre 2001 page 5182.220 Sur cette question voir F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Questions de seuils » Contrats etmarchés publics novembre 2001 page 2 ; De manière générale sur l’entrée en vigueur du nouveau code, on liral’article de Roland VANDERMEEREN : « La mise en œuvre du nouveau Code des marchés publics » Bulletinjuridique des contrats publics n° 16 pages 237 et suivantes.

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publics avaient reçu des consignes221 pour que la période transitoire se déroule dans de bonnes

conditions.

Autre nouveauté de ce code, les marchés de l’article 28 sont désormais des marchés publics.

Par voie de conséquence, le seuil de 90 000 Euros HT n’est plus un seuil de marché mais

seulement un seuil de procédure.

Relativement à la computation des seuils, les objectifs du nouveau code des marchés publics

sont extrêmement élevés ( Section I ). Ils pourraient bien de ce fait rester parfaitement

inaccessibles ( Section II ).

SECTION I : UNE REFORME AMBITIEUSE

La simple lecture du décret du 7 mars 2001 ne suffisant pas à la compréhension de la réforme

du code des marchés publics, le Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a pris

pour son application le 28 août 2001 une instruction. Ce document, qui remplace les

instructions du 29 décembre 1972 et du 10 novembre 1976, rappelle que le choix de la

procédure dépend en principe du montant des achats ou prestations à réaliser.

Afin de rompre avec les pratiques anciennes, le nouveau code repose sur une solide

préparation de la commande publique222. Il importe dès lors de savoir quelle démarche devra

suivre l’acheteur public ( A ) avant même de commencer à computer les seuils selon les règles

prévues par l’article 27 ( B ).

A – LA NAISSANCE D’UNE DOUBLE OBLIGATION

221 Réponse à la question écrite de M. Jean-Louis Bianco du 21 janvier 2002 n° 1644 JO Assemblée nationale 23janvier 2002 page 743 Sur cette période transitoire et pour l’année 2002 entière, la Direction générale de lacomptabilité publique a donné pour consigne aux comptables publics de considérer avec bienveillance le respectdes règles de computation des seuils (voir la circulaire non publiée du 8 février 2002).222 L’arrêté du 13 décembre 2001 définissant la nomenclature prévue aux II et III de l’article 27 du code desmarchés publics donne un ordre d’examen des questions qu’il est nécessaire de se poser avant de passer unmarché. Selon ce texte : « la démarche à accomplir par l’acheteur public va donc se dérouler en plusieurs temps: 1 – Il va définir son besoin. 2 – Il va ventiler les fournitures ou les services à acheter entre les différentesfamilles homogènes identifiées par les rubriques à quatre chiffres de la nomenclature. 3 – Au sein de chaquefamille de fournitures ou de services, il va isoler les achats relevant d’une acquisition unique et regrouper ceuxentrant dans la catégorie des achats récurrents. 4 – Pour les services, il va également pouvoir isoler, au sein des

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Préalablement avant toute computation du seuil, le nouveau code des marchés publics met à la

charge de ses utilisateurs une obligation de prévision des besoins ( 1 ) et une obligation de

détermination exacte de la nature du marché ( 2 ).

1 – L’obligation de prévision des besoins

L’obligation prévisionnelle des besoins n’est pas en soi une nouveauté223. L’ancien code des

marchés publics prévoyait bien dans ses articles 75 et 272, lesquels n’étaient toutefois pas

applicable au commandes hors marchés en ce qu’ils étaient inclus dans le titre I des livres II et

III portant sur la passation des marchés, que « les prestations qui font l’objet des marchés

doivent répondre exclusivement à la nature et à l’étendue des besoins à satisfaire. Le service

intéressé est tenu de déterminer aussi exactement que possible les spécifications et la

consistance de ces prestations avant tout appel à la concurrence et toute négociation ». Mais

cette obligation était restée en pratique trop souvent qu’un vœu pieux224. De manière répétée,

d’ailleurs, la Cour des Comptes soulignait dans ses rapports « l’impréparation notoire et

l’insuffisance de la définition initiale des besoins des collectivités signataires de marchés.

Cela aboutit, dans bien des cas, à une augmentation substantielle du coût prévisionnel et par-

là du coût de la réalisation »225.

L’expérience de l’ancien code a alors convaincu que le dépassement du seuil des marchés

publics - tout comme le recours intempestif aux avenants226 - résultait le plus souvent, et hors

le cas des violations caractérisées, d’une mauvaise programmation de l’acte d’achat.

Coûteuse, la dépense pouvait alors entraîner de lourdes charges pour les budgets publics dans

un système économique où « le régime normal des prix étant celui de la liberté, la hauteur du

achats ponctuels ou des achats récurrents d’une même famille homogène, des achats correspondant à uneopération ».223 La prévision est nécessaire : il faut que les dépenses soient inscrites dans le budget en vertu du principe del’autorisation budgétaire.224 S’agissant de définition préalable des besoins prévue par l’article 75 du code, le Ministre rappelait récemmentencore que « la détermination de la procédure de mise en concurrence des fournisseurs doit procéder d’uneévaluation préalable des besoins. Cette prévision est indispensable pour ne pas se retrouver a posteriori dansune situation où l’on a fractionné des commandes qui auraient dû globalement faire l’objet d’une procédure depublicité et de mise en concurrence ». Voir réponse ministérielle à Questions écrites de Dominique Picollet JOSénat 18 juillet 1996.225 Voir D THOMAS : « Les relations entre le droit des marchés publics et le droit budgétaire et comptable »RDP 1997 page 1111 ; L’auteur cite pour illustrer son propos les rapports au Président de la République de laCour des comptes des années 1993 (page 212) et 1994 (page 322).226 Les commandes hors marchés dissimulaient parfois d’ailleurs des avenants à des marchés déjà conclus.

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prix est théoriquement déterminée par le jeu de la concurrence »227. Trop souvent, soumises

au jeu de l’offre et la demande, les collectivités voyaient s’envoler228 au fil des négociations le

prix de leurs marchés publics. En conséquence, les auteurs du nouveau code ont pensé qu’il

fallait mettre en place un système de computation des seuils qui oblige impérativement les

acheteurs publics à évaluer et programmer avec précision leurs besoins.

C’est pourquoi le nouveau code indique que la prévision des besoins doit être préalable ( a ) et

précise ( b ).

a – Une obligation préalable

Dans le but rendre la commande publique plus efficace et d’éviter le gaspillage des deniers

publics, l’article 1er du nouveau code des marchés publics met à la charge des acheteurs

publics une stricte « définition préalable des besoins »229. Le non-respect de cette obligation

d’ailleurs comme cela a été observé « est susceptible de constituer une irrégularité au regard

des règles budgétaires, en ne permettant pas de rattacher les dépenses engagées au titre du

marché à l’autorisation accordée par l’assemblée délibérante lors du vote du budget, ou en

les rattachant artificiellement à une section ou à un chapitre du budget sans rapport avec

l’objet réel de la prestation »230.

b – Une obligation précise

Puis, l’article 5 du nouveau code a pris le soin de rappeler que « la nature et l’étendue des

besoins à satisfaire sont déterminées avec précision par la personne publique avant tout

appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d’un appel à la concurrence. Le

227 Lire M GUIBAL : « Marché publics des collectivités territoriales. Régime général » JurisclasseurCollectivités territoriales 1995 Fasc. 770 n° 29. Le simple fait d’abandonner les commandes hors marchés auprofit des procédures formalisées permet une baisse significative des prix. Voir CRC Languedoc-Roussillon 26décembre 2000 LOD Centre hospitalier d’Alès.228 Qui n’a pas en tête ces exemples de marchés dont le prix initialement prévu a été pulvérisé ? Lesdépassements de prix résultent soit du changement du contenu du projet en cours d’exécution, soit du délai quisépare la prise de décision par les autorités de leur réalisation par l’attributaire du marché.229 Article 1er du nouveau code des marchés publics : « I – Les marchés publics sont les contrats conclus à titreonéreux avec des personnes morales de droit public mentionnées à l’article 2, pour répondre à leurs besoins enmatière de travaux, de fournitures ou de services. Les marchés publics respectent les principes de liberté d’accèsà la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. L’efficacitéde la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics sont assurées par la définition préalable desbesoins, le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence ainsi que par le choix de l’offreéconomiquement la plus avantageuse ».

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marché conclu par la personne publique doit avoir pour besoin exclusif de répondre à ces

besoins ». Cette définition des besoins doit être effectuée de manière la plus précise possible

car si les besoins sont sous-estimés, les conditions de mise en concurrence du code des

marchés publics ne seront pas considérées comme ayant été respectées231 ; et si, à l’opposé, ils

sont sur-estimés, la collectivité publique pourra voir sa responsabilité engagée232.

En cas d’impossibilité pour une personne publique de définir ses besoins avec précision233,

elle peut recourir notamment aux marchés fractionnés (marchés à bons de commande et

marchés à tranches conditionnelles) qui sont prévus par l’article 72234. Ceux-ci présentent

alors l’avantage de moduler les achats en fonction des besoins connus ainsi que des crédits

disponibles235.

2 – L’obligation de détermination des marchés

Après avoir défini ses besoins, la collectivité publique doit déterminer le type de marché

qu’elle entend conclure. A la différence de l’ancien code, l’article 1er-II impose dorénavant

aux acheteurs publics de distinguer, avant même de chercher à computer le seuil selon les

règles de l’article 27, si le marché projeté est un marché de travaux, un marché de fournitures

ou bien un marché de services236. Si le code distingue trois types de marchés ( a ), la nature de

ces marchés est parfois troublée du fait de l’existence de marchés complexes ( b ).

230 Voir Cyrille EMERY : « Passer un marché public » Delmas 1ere édition 2001 page 117.231 L’imprécision du marché est sanctionnée par la nullité du contrat. Voir CE 29 décembre 1997 Départementde Paris Recueil Lebon page503. Voir également CRC Auvergne 31 octobre 2000 LOD à la commune de Puy-en-Velay. Dans leurs observations, les juges financiers ont estimé que le défaut de précision du marché avaitfaussé l’effectivité de la mise en concurrence.232 Voir CE 18 novembre 1988 Ministre de l’Intérieur c/ SARL Les voyages Brounais Recueil Lebon page 964.233 En dépit de la volonté des rédacteurs du décret, certaines dispositions du code portent la marque del’impossibilité pour les collectivités publiques de définir clairement leurs besoins. Il s’agit par exemple desmarchés de maîtrise d’œuvre, de la procédure d’appel d’offres sur performance des marchés de définition ouencore des marchés négociés de l’article 35-I-2° du code.234 Elle peut également recourir à l’appel d’offres sur performances prévues aux articles 36, 68 et 69 du nouveaucode.235 Ces marchés sont souvent utilisés dans le milieu hospitalier. Le nombre de patients et la nature despathologies n’étant pas déterminés à l’avance, il est difficile de prévoir la quantité et le type de médicaments àacheter.236 Article 1er du nouveau code des marchés publics : « II - Les marchés publics de travaux ont pour objet laréalisation de tous travaux de bâtiments ou de génie civil à la demande d’une personne publique exerçant lamaîtrise d’ouvrage. Les marchés publics de fournitures ont pour objet l’achat, la prise en crédit-bail, la locationou la location-vente de produits ou matériels. Les marchés publics de services ont pour objet la réalisation deprestations de services. Un marché public relevant d’une des trois catégories mentionnées ci-dessus peutcomporter à titre accessoire, des éléments relevant d’une autre catégorie. Lorsqu’un marché public a pour objetà la fois des services et des fournitures, il est un marché de services si la valeur de ceux-ci dépasse celle desproduits à fournir ».

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a – La répartition tripartite des marchés

L’article 1er du nouveau code des marchés publics prévoit dans son II que : « les marchés

publics de travaux ont pour objet la réalisation de tous travaux de bâtiments ou de génie civil

à la demande d’une personne publique exerçant la maîtrise d’ouvrage ». L’instruction

administrative est venue préciser que la personne publique doit se comporter en maître

d’ouvrage au sens de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage

publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée. Les marchés de travaux excluent

donc les ventes en l’état futur d’achèvement ainsi que les baux emphytéotiques administratifs

lesquels ne confient pas à la personne publique la maîtrise de l’ouvrage.

Reprenant les termes de la directive communautaire relative aux marchés de fournitures, le

nouveau code définit ensuite cette catégorie de marchés comme ceux qui « ont pour objet

l’achat, la prise en crédit-bail, la location ou la location-vente de produits ou matériels ».

Concernant ces dernières, on notera que sont visées indistinctement les locations avec ou sans

option d’achat. Les marchés de fournitures peuvent comporter accessoirement des travaux de

pose et d’installations ; ces travaux ne changeant pas la nature du marché. En revanche, ne

sont pas considérés comme des marchés de fournitures, les marchés portant sur des ventes,

des locations-ventes ou des contrats de crédit-bail dont l’objet est un bien immobilier.

L’article 1er dispose enfin que « Les marchés publics de services ont pour objet la réalisation

de prestations de services ». Les marchés de services ont pour objet la réalisation de

prestations de services courantes ou spécifiques. Ils appartiennent à une catégorie attrape-tout

dont la vocation, dans une société tournée de plus en plus vers les services, sera de toute

évidence de s’enrichir.

b – La situation des marchés complexes

Il s’agit là de marchés qui, soumis à un phénomène d’hybridation, s’écartent des canons

habituels. Les marchés mixtes sont prévus par l’article 1er du code des marchés publics lequel

dispose que « un marché public relevant d’une des trois catégories mentionnées ci-dessus

peut comporter à titre accessoire, des éléments relevant d’une autre catégorie. Lorsqu’un

marché public a pour objet à la fois des services et des fournitures, il est un marché de

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services si la valeur de ceux-ci dépasse celle des produits à fournir ». Ce sont des marchés

qui portent à la fois sur des fournitures et des services. Dans ce cas, on considère que ce sont

des marchés de services si la valeur de ceux-ci dépasse celle des fournitures et des marchés de

fournitures dans l’hypothèse inverse. Il incombe alors à l’acheteur public de rechercher quelle

est la prestation dominante (de services ou de fournitures) pour qualifier le marché envisagé.

On notera sur ce point que les marchés de travaux sont insusceptibles de donner lieu à des

marchés mixtes dans la mesure où les travaux ont une nature attractive ; le marché est alors

automatiquement qualifié de marché de travaux (y compris s’il comporte l’incorporation de

fournitures). Cette position est à rapprocher de celle déjà adoptée par la Cour de Justice des

Communautés Européennes237.

B – LA COMPUTATION DU SEUIL DES DIFFERENTS MARCHES

L’Instruction du Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie du 28 août 2001 prise

pour l’application du code des marchés publics est l’outil essentiel pour comprendre la

logique de l’article 27 du nouveau code. Il est fait observer en premier lieu que la computation

des seuils est effectuée au niveau de la personne responsable du marché. Par conséquent,

comme le rappelle l’instruction du 28 août 2001, « lorsque la personne responsable du

marché autorise, sous son autorité, certaines personnes à procéder à des achats sur factures

ou sur mémoires, c’est le montant total des achats effectués de la sorte qui est comparé aux

seuils en vigueur ». En second lieu, et surtout, le seuil est calculé comme le prévoit l’article

27 indépendamment du nombre d’entrepreneurs, de fournisseurs ou de prestataires. Cette

avancée par rapport à la lettre de l’ancien code est le résultat de la transposition des directives

communautaires portant sur les marchés publics. Il s’est agi de lutter efficacement contre la

pratique consistant à fractionner – le fameux saucissonnage - les marchés entre plusieurs

entreprises.

On distinguera les marchés de travaux ( 1 ) des marchés de fournitures ou de services pour

lesquels il est nécessaire de se référer à une nomenclature ( 2 ).

1 – Les marchés de travaux :

237 Voir CJCE 14 avril 1994 Gestion Hotelera Internacional, Aff C-331/92, Rec I page 1329.

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Selon l’article 27 du nouveau code des marchés publics « est prise en compte la valeur de

tous les travaux se rapportant à une même opération ou à un même ouvrage, quel que soit le

nombre d’entrepreneurs auxquels la personne responsable du marché fait appel ». Les

travaux concernent aussi bien les travaux neufs que les travaux d’entretien et de maintenance.

La computation des marchés portant sur des travaux est effectué en ayant recours à la notion

d’opération ( a ) ou bien à celle d’ouvrage ( b ).

a - La notion d’opération

Déjà employée sous l’ancien code par le juge administratif238, la notion d’opération permet

d’appréhender un acte économique dans sa fonctionnalité, de le regarder comme un tout

parfaitement homogène parce que s’insérant dans un projet global. La réfection des toitures de

plusieurs écoles seront par exemple traitées uniformément. Toutefois, on ne saurait considérer

comme relevant d’une seule et même opération la conclusion simultanée d’un marché de

fournitures (des livres, par exemple) et d’un marché de travaux (la construction d’une

bibliothèque).

Pour illustrer le propos, l’instruction administrative rappelle qu’un conseil municipal peut

prendre une délibération par laquelle il décide la réalisation de travaux de peinture dans les

locaux de la mairie et d’une école. Dans ce cas, et parce que la dépense a été prévue par une

seule délibération, il faut additionner le montant total des travaux portant sur les deux

bâtiments239.

238 Voir CAA Marseille 2 mai 2000 District de Bastia, Req n° 97MA01245. Selon cet arrêt, « Considérant qu’ilrésulte de l’instruction, d’une part, que les différentes phases de l’opération de restructuration du stade ArmandCesari à Furiani appartenaient à une même opération tendant à l’édification d’un seul ouvrage destiné àremplir par lui-même une fonction économique, dont le montant des travaux de la phase 1 déjà réalisés s’élevaità 39 728 649 F et d’autre part, que la phase 2 des travaux de restructuration dudit stade a fait l’objet d’undossier unique de financement en date du 1er mars 1995, avec une estimation globale, d’où il résulte que ladépense prévisionnelle du montant des travaux de construction de cette phase, qui comprend la tribuneprincipale nord et sa couverture, des compléments de travaux relatifs à l’éclairage, aux extérieurs et auxreliquats et des travaux correspondant à des sujétions particulières, s’élevait à 44 500 000 F ; que lacirconstance que l’opération a été scindée en trois sous-ensembles est sans influence sur le caractère defonctionnalité économique unique de l’ouvrage envisagé au sens des dispositions susrappelées ; qu’ainsi lemontant estimé du marché, qui devait prendre en compte l’ensemble des travaux susmentionnés, s’établissait àun montant supérieur au seuil fixé par l’arrêté du 9 février 1994 ; que par suite, la procédure de l’appel d’offreétait irrégulière à défaut de publicité au journal officiel des communautés européennes … ».239 La position donnée par l’instruction est surprenante car elle risque d’inciter les conseils municipaux à prendreautant de délibérations qu’il y a de travaux à accomplir pour ne pas dépasser le seuil. Comme s’il suffisait de

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b - La notion d’ouvrage

Issue du droit communautaire240, la notion d’ouvrage est définie par l’article 1er de la directive

n° 93/37 du Conseil du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des

marchés publics modifiée par la directive 97/52 du 13 octobre 1997. Selon ce texte « on

entend par « ouvrage » le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil

destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique »241.

2 - Les marchés faisant référence à une nomenclature :

L’article 27 a prévu dans son II et III que la computation du seuil des marchés de fournitures

et des marchés de services devait être effectuée par référence à une nomenclature regroupant

des familles de produits ou de services selon un critère d’homogénéité. L’arrêté du 13

décembre 2001 a défini la nomenclature générale applicable à l’ensemble des marchés publics

relevant de la méthode des seuils. Cette nomenclature n’est cependant pas destinée à

s’appliquer à tous. Les laboratoires de recherche ont demandé à bénéficier de règles de

computation plus souples que les autres acheteurs compte tenu de la spécificité de leur activité

et de la nature particulière des produits et services qu’ils utilisent. C’est ainsi qu’a été pris

l’arrêté du 24 décembre 2001 relatif à la nomenclature prévue par l’article 27 du code des

marchés publics, applicable à certaines activités de recherche.

Le caractère homogène des prestations de fournitures est déterminé dans une nomenclature

qui énumère « une liste des familles de produits ». Selon l’instruction, cette nomenclature «

présente plusieurs rubriques assorties d’un numéro et d’un intitulé ; chaque rubrique

regroupe des produits élémentaires qui constituent une famille homogène et doivent en

multiplier le nombre de délibérations pour tourner les règles de computation du seuil. On peut légitimementpenser que, soucieux de donner son plein effet à la notion d’opération, le juge ne suivra la position del’administration240 Voir en ce sens CJCE 5 octobre 2000, C-16/98, Commission CE c/ République française, Droit adm déc 2000page 18 ; Application de la notion d’ouvrage laquelle a une fonction technique et économique. La Cour a estiméque les travaux d’électrification effectués sur le réseau de distribution électrique portaient sur le même ouvrage.Les travaux portant sur les réseaux d’éclairage public de plusieurs syndicats intercommunaux ne portent pas enrevanche sur un seul ouvrage. Pour la Cour, il importe peu que plusieurs entités juridiques distinctes aient passéplusieurs marchés portant sur un même ouvrage. Cette jurisprudence permet de faire échec aux tentatives desaucissonnage des constructions puisqu’il n’est plus possible de scinder en plusieurs lots un ouvrage.241 Voir également les directives « travaux » et « secteurs spéciaux ».

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conséquence être agrégés. C’est à la personne responsable du marché qu’il appartient de

définir le caractère homogène des fournitures…».

Ainsi, chaque nomenclature comprend des catégories de fournitures ou services. Chaque

catégorie, rubrique ou groupe242 se décompose en familles homogènes, ce qui permet

d’affiner la nomenclature243. Les produits ou services sont ainsi regroupés à l’intérieur d’une

même rubrique par l’intermédiaire d’un numéro à 4 chiffres qui permet de les identifier. Si

l’on prend par exemple en matière de fournitures, la rubrique des denrées alimentaires

laquelle porte le numéro 10, on peut distinguer 15 familles de produits. La famille dont le

numéro est 10.01 porte sur les « denrées alimentaires surgelées ou congelées ». D’une

manière générale, on remarquera que la nomenclature est très détaillée244 ; il n'y a pas moins

de 11 familles homogènes pour la rubrique des produits d’habillement laquelle est intitulée «

Produits, textiles, cuirs habillements » et prend le numéro 14.

Le seuil s’apprécie donc par famille de fournitures ou de prestations homogènes. En matière

d’assurances, par exemple, une commune passera deux marchés distincts si elle contracte

séparément une police d’assurances couvrant les risques lié à l’utilisation de ses véhicules

(numéro 65.03) ou à la construction de bâtiments (numéro 65.04).

Mais l’arrêté ajoute que « toutefois, si l’acheteur public décide de regrouper plusieurs

fournitures ou plusieurs services appartenant au sein d’un seul marché, même si celui-ci est

alloti, c’est le montant global du marché qui devra être comparé aux seuils et non pas le

montant famille par famille ou lot par lot de produits qu’il regroupe ». Lorsque des marchés

de fournitures ou de services portent sur plusieurs familles de fournitures ou de services, le

seuil du marché en question est calculé en totalisant l’ensemble des achats ou des services.

Reprenons, l’exemple précédent, si la commune décide de passer un seul marché d’assurances

pour les deux types de risques, elle devra comparer le montant total de ce marché au seuil.

Cette hypothèse n’est assurément pas d’école car on voit mal la personne responsable du

marché passer plusieurs marchés lorsqu’elle acquiert plusieurs familles de fournitures ou de

services auprès d’une seule et même entreprise fournisseur.

242 La nomenclature générale détermine 29 rubriques de fournitures et 27 rubriques de prestations de services ; lanomenclature recherche prévoit 11 groupes de prestations de services.243 L’instruction rappelle que le contenu des familles homogènes n’est pas figé et qu’il peut donc évoluer.

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La personne responsable du marché doit ensuite ne pas omettre « de mentionner clairement

dans le marché le numéro et la rubrique de la nomenclature correspondant. Ces informations

sont transmises au comptable »245.

a – Les marchés de fournitures

L’article 27 dispose : « est prise en compte, quel que soit le nombre de fournisseurs auxquels

la personne responsable du marché fait appel : a) si les besoins de la personne publique

donnent lieu à un ensemble unique de livraisons de fournitures homogènes, la valeur de

l’ensemble de ces fournitures ; b) si les besoins de la personne publique donnent lieu à des

livraisons récurrentes de fournitures homogènes, la valeur de l’ensemble des fournitures

correspondant aux besoins d’une année. Le caractère homogène des fournitures est apprécié

par référence à une nomenclature définie par arrêté interministériel ».

Le calcul des seuils des marchés de fournitures est plus complexe que celui des marchés de

travaux. L’achat de fournitures se fait d’une part par référence à une nomenclature246. Il existe

enusite deux modes distincts de computation des marchés de fournitures : il convient

d’apprécier soit le montant de l’ensemble unique des livraisons de fournitures homogènes ;

soit le montant de l’ensemble des livraisons récurrentes de fournitures homogènes acquises

par la collectivité publique au cours d’une même année, l’article 27 ne précisant pas s’il s’agit

d’une année civile ou non.

1 – L’ensemble unique de livraisons de fournitures homogènes :

Les fournitures homogènes relevant d’un ensemble unique doivent être additionnées sans tenir

compte de la règle de l’annualité. Il s’agit d’un besoin unique qui peut faire l’objet de

plusieurs livraisons sur une ou plusieurs années comme par exemple l’achat du mobilier d’une

école. Si une commune achète des denrées alimentaires, comme par exemple de la pâtisserie,

244 Les budgets devront alors suivre le détail de la nomenclature.245 La transmission des numéros des rubriques au comptable assignataire est une obligation qui entérine lajurisprudence financière. Elle a été prévue expressément par l’article 28 du nouveau code. Curieusement, ledécret du 2 mars 2001 n’a pas imposé pareille exigence aux autres procédures de mise en concurrence. Il s’agitsans doute d’un oubli que tant l’instruction du 28 août 2001 que l’arrêté du 13 décembre 2001 ont entenducombler.246 La référence à la notion de fournitures homogènes n’est pas une totale nouveauté dans notre droit. En effet,l’arrêté du 9 février 1994 chargé de mettre en œuvre les seuils communautaires des contrats de location faisaitdéjà mention à une nomenclature.

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qu’elle servira à l’occasion du fête, il faut considérer que cet achat est un ensemble unique de

livraisons de fournitures homogènes et non pas une livraison récurrente de fournitures

homogènes. Si cette fête présente un caractère répété, en raison d’une tradition locale, l’achat

de gâteaux sera regardé comme une livraison récurrente. Autre exemple, l’achat de livres

destinés à équiper une nouvelle bibliothèque doit être regardé comme l’achat d’un ensemble

unique de livraisons de fournitures homogènes et non pas comme une livraison récurrente de

fournitures. Il en va différemment si les livres achetés correspondent au volume d’achat

annuel qu’effectue une bibliothèque pour renouveler et/ou enrichir son fonds. Dans ce cas, il

s’agira alors d’une livraison récurrente de fournitures homogènes.

En tant que notion fonctionnelle (il n’est pas possible par exemple d’acheter des tables sans

les chaises ou des ordinateurs sans les équipements périphériques qui les accompagnent) la

notion d’ensemble unique est voisine de celle d’opération et joue un rôle similaire ; elle a

vocation à englober des achats distincts autour d’un projet commun.

2 – Les livraisons récurrentes de fournitures homogènes :

Ce sont là les besoins courants, répétitifs d’un service, comme par exemple l’achat de papier,

de fourniture de bureau, le renouvellement pour cause d’obsolescence des ordinateurs d’un

service administratif ou encore l’achat de seringues pour un établissement hospitalier. Dans ce

cas, le calcul du seuil s’effectue dans le cadre d’une année civile sauf si la personne

responsable du marché a décidé de passer un marché formalisé sur plusieurs années. Le

recours à un marché formalisé présente deux avantages certains : elle n’est pas dans

l’obligation toute les années de reprendre des démarches commerciales ; de plus, elle peut

profiter de la pluriannualité du marché comme argument commercial pour obtenir au cours de

la négociation une baisse des prix.

Concernant les marchés mixtes, le seuil se calcule en toutes hypothèses en cumulant

l’ensemble des dépenses de fournitures ou de services.

b - Les marchés de services :

L’article 27 prévoit enfin que « est prise en compte, quel que soit le nombre de prestataires

auxquels la personne responsable du marché fait appel : a) si les besoins de la personne

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publique donnent lieu à un ensemble unique de prestations homogènes et concourant à une

même opération, la valeur de l’ensemble de ces prestations ; b) si les besoins de la personne

publique donnent lieu à des réalisations récurrentes de prestations homogènes et concourant

à une même opération, la valeur de l’ensemble des prestations correspondant aux besoins

d’une année ; c) si les besoins de la personne publique donnent lieu à la réalisation continue

de prestations homogènes, la valeur de l’ensemble de ces prestations sur la durée totale de

leur réalisation. Le caractère homogène des prestations de service est apprécié par référence

à une nomenclature définie par arrêté interministériel ».

L’appréciation des seuils des marchés de prestations de services est plus difficile encore que

pour les marchés de fournitures. La fréquence de la prestation est appréciée différemment

selon qu’elle est ponctuelle, récurrente ou continue. Ensuite, l’article 27 fait référence en

matière de prestations de services à l’année.

1 – L’ensemble unique de prestations homogènes concourant à une même opération :

L’ensemble unique de prestations homogènes est un besoin isolé, spécifique. Pour illustrer ce

cas, il est possible de citer l’étude de restructuration d’un quartier confiée à un cabinet

d’urbanisme ou la location de chambres d’hôtel (par exemple, une prestation d’hébergement)

dans le but d’accueillir un colloque réunissant l’ensemble des communautés urbaines

françaises. Dans ces exemples, la réfection d’un quartier ou l’organisation d’un symposium

consacré à l’intercommunalité sont bien des évènements uniques qui ne sont pas voués à se

répéter. Cet ensemble unique de prestations homogènes doit ensuite concourir à une même

opération, c’est à dire poursuivre la réalisation d’un objectif bien précis qui est librement et

subjectivement, pourrait-on dire, définie par la personne responsable du marché247.

L’instruction précise que des indices comme le contenu des prestations, la similitude des

modalités de réalisation des prestations ou la concomitance des décisions d’achats de ces

prestations sont autant de signes de l’existence d’une seule et même opération. Ainsi, ne

relèvent pas de la même opération et doivent donc être totalisé séparément une formation sur

247 Pour Christine MAUGÜE « la notion d’opération doit être entendue comme un projet présentant une unitéfonctionnelle. Cette notion conduit à ne pas s’arrêter, pour les services, à la notion de services homogènes et àintroduire une distinction plus fine, qui permettra de n’agréger que les services d’une même catégorie ayantconcouru au même projet. Ainsi, à titre d’exemple, le montant de toutes les études commandées par unepersonne publique n’aura pas nécessairement à être cumulé pour déterminer la procédure applicable : desprestations d’études dont la nature est a priori homogène pourront faire l’objet d’une comptabilisation distincte

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l’euro et une formation pour la préparation aux concours administratifs, l’impression d’un

dépliant portant sur une application informatique et l’impression d’un guide relatif à la taxe

professionnelle. Dans ces deux cas, il s’agit bien de la même prestation homogène formant un

ensemble unique mais ce sont des opérations distinctes car elles ont été voulues comme telles

par leurs initiateurs. L’opération est donc définie par référence à un faisceau d’indices.

2 – Les réalisations récurrentes de prestations homogènes concourant à une même

opération

A l’inverse du cas précédent, il s’agit de besoins répétitifs. Les contrats de maintenance du

matériel informatique ou les contrats de surveillance et de gardiennage d’un bâtiment

administratif en sont des exemples topiques. De même, le service de la formation

professionnelle propose à échéance régulière (toutes les années dans l’hypothèse la moins

favorable) aux agents des actions de formations basiques (entraînement à la communication,

valorisation des ressources humaines, maîtrise du traitement de texte ou du tableur)

Comme en matière de livraison récurrente de fournitures homogènes, les réalisations

récurrentes de prestations homogènes (qui ont pour objet une opération identique) sont

appréciées dans le cadre de l’année. Toutefois, là également, comme pour les livraisons

récurrentes, la personne responsable du marché a la possibilité de décider « d’organiser ses

achats sur un plus long terme » et de passer par voie de conséquence un marché pluriannuel.

La personne responsable du marché devra alors estimer le marché sur sa durée totale. Pour

des raisons pratiques, on peut penser que les collectivités publiques auront tendance à préférer

la pluriannuelle à l’annualité.

3 – Les réalisations continues de prestations homogènes :

Ce sont des besoins qui s’exécutent continuellement dans le temps comme par exemple les

contrats de maintenance, de nettoyage ou d’assurance. La computation du seuil de ce type

particulier de prestation s’apprécie en fonction de la durée prévue au contrat. Cette durée248 ne

peut pas cependant être trop importante car elle serait contraire au principe d’efficacité prévu

si elles ont des objets différents et sont réalisées dans le cadre de projets distincts ». Voir Christine MAUGÜE :« La réforme des procédures » Bulletin juridique des contrats publics n° 16 page 199.248 Voir l’article 15 du nouveau code des marchés publics.

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par l’article 1er du nouveau code des marchés publics ainsi qu’à son article 5, lequel

confirmant la jurisprudence du Conseil d’Etat249, rappelle que « le marché conclu par la

personne publique doit avoir pour objet exclusif de répondre à ces besoins ».

L’appréciation des réalisations continues de prestations homogènes sur la durée totale du

marché rend le recours aux bons de commande quasiment impossible dans la mesure où les

prestations continues donnent lieu à l’établissement d’un forfait global. Quoiqu’il en soit, en

cas de signature de marchés à bon de commande, il faudra alors estimer le montant du marché

sur sa durée totale. De même, les marchés à tranches conditionnelles doivent être appréciés en

tenant compte du montant global de la tranche ferme.

Il existe enfin des marchés particuliers : les marchés allotis et les marchés reconduits. En

application de l’article 27 du nouveau code, les premiers sont appréciés en cumulant les lots.

Quant aux marchés reconduits, il faut tenir compte en vertu de l’article 15 du code du montant

total des reconductions.

En marge de ce qui précède, on observera que l’arrêté du 13 décembre 2001 a repris la notion

d’achats imprévisibles existante sous l’ancien code. L’arrêté énonce dans un premier temps

que « le caractère imprévisible du besoin nouveau ne peut avoir aucune incidence sur le

choix de la procédure à mettre en oeuvre pour réaliser l’acquisition ». Puis, dérogeant, il

affirme que « si des achats ont déjà été réalisés sans formalités préalables en raison de leur

montant et que le montant des achats correspondant au besoin nouveau imprévisible fait

passer le montant total des acquisitions pour la même famille homogène au-dessus du seuil de

90 000 Euros HT, les marchés précédemment passés sans formalités préalables ne seront pas

considérés comme rétroactivement entachés d’illégalité ». Cette dérogation remet en cause la

lettre de l’article 27, sinon l’esprit du nouveau code des marchés publics qui repose sur l’idée

de programmation des besoins250. Par suite, on peut se demander avec le Professeur Florian

LINDITCH si le Conseil d’Etat n’invalidera pas cette disposition251.

*- *-*

249 Voir en ce sens CE 3 août 1996 Commune de Petit-Bourg (Requête n° 165075).250 Actuellement en cours de préparation, un guide à destination des comptables publics précise que les achatsimprévisibles doivent être rattachés dans la catégorie des « achats ponctuels ».251 Voir en ce sens Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveauCode des marchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 7.

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Pour résumer la philosophie générale des règles de computation du nouveau code des marchés

publics, on doit dire que l’article 27 est un article gigogne - Florian LINDITCH parle très

justement à son propos de « démultiplication des seuils » - qui donne aux personnes publiques

une étonnante liberté de programmation. Toutefois, ce que les collectivités publiques gagnent

en liberté, elles le perdent en sécurité. Car rien ne permet de dire que les autorités de contrôle

partageront la même vision qu’elles feront de leurs besoins et du découpage des prestations de

fournitures en ensemble unique. C’est pourquoi selon le Professeur LINDITCH le concept de

sincérité est amené à prendre un certain essor252.

SECTION II : UNE REFORME INAPPLICABLE

Le nouveau code des marchés publics ne paraît avoir conquis tous les acteurs de la commande

publique. Plusieurs questions de parlementaires (chargés de relayer les interrogations des

acheteurs) aux ministres expriment d’ailleurs très bien le désarroi ambiant. Ainsi, il a été

demandé si le nouveau code des marchés publics n’était pas pour les acheteurs publics une

source d’insécurité juridique253 ou encore, si les autorités locales pouvaient consulter les

Chambres régionales des comptes sur la manière de conclure leurs marchés publics ainsi que

leurs conventions de délégations de service public254. Il n’est pas douteux que les questions

posées seront certainement fréquentes255.

La raison de cette inquiétude provient principalement des règles de computation des seuils

prévues par l’article 27 du nouveau code. S’il est vrai, comme l’a affirmé Paul Valéry, que «

tout ce qui est simple est faux, mais ce qui n’est pas simple est inutilisable »256 l’article 27 est

252 Voir Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveau Code desmarchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 7.253 Réponses ministérielles à la Question écrite de Philippe Leroy du 27 décembre 2002 n° 37388 JO Sénat 14mars 2002 page 790.254 Réponses ministérielles à la Question écrite de Mme Nicole Feidt du 6 août 2001 n° 64831 JO Assembléenationale 5 novembre 2001 page 6323. La réponse est négative. La question posée montre surtout la distance quisépare la mise en œuvre de ces contrats des risques qu’ils font encourir à leurs signataires.255 Pour un exemple récent on renverra à Réponses ministérielles à la Question écrite de Mme Roselyne Bachelotdu 19 novembre 2001 n 69069 JO Assemblée nationale 11 mars 2002 page 1407. La question portait sur lecalcul du seuil en matière de services d’architecture et d’ingénierie. Elle est topique en ce qu’elle traduit letrouble qui anime les utilisateurs du code.256 Citation extraite de l’ouvrage de Cyrille EMERY : « Passer un marché public » Delmas 1ere édition 2001page 147.

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assurément à ranger au rayon des instruments juridiques complexes257. Dès lors, cet article

risque d’avoir un puissant effet d’éviction sur l’article 28 même si les problèmes de

computation des seuils induits par cette disposition ne se limitent évidemment pas à la seule

détermination du dépassement du seuil des marchés sans formalités préalables258.

De sorte que les marchés sans formalités préalables risquent fort de tomber en désuétude.

L’article 27, ce pavé de l’ours jeté dans la figure de l’acheteur, suppose une gymnastique

ménagère pour n’importe quel achat public ; on peut se demander s’il ne va susciter très

rapidement une forte réaction de rejet de la part des acteurs de la commande publique. Il

convient de poser la question de la pérennité de l’article 27 ( A ) mais également celle de

l’article 28 ( B ).

A – L’AVENIR DE L’ARTICLE 27 ?

L’avenir de l’article 27 est en jeu : deux raisons majeures laissent à penser que son espérance

de vie est limitée. Tout d’abord, l’article 27 est un mécanisme dont la maîtrise n’est pas une

chose aisée pour les acteurs de la commande publique ( 1 ). Le contrôle, ensuite, de la

computation du seuil des marchés sans formalités préalables ne semble pas pouvoir être

assuré efficacement par les juges administratifs et financiers ( 2 ).

1 – Un outil complexe

L’assise intellectuelle de l’article 27 est instable, mal assurée au regard de l’objectif de

sécurité juridique que lui ont assigné les rédacteurs du nouveau code. Ce quiproquo

méthodologique n’est sûrement pas étranger aux interrogations pratiques que cet article pose

et posera durant les années futures. D’un point de vue théorique, l’article 27 pose plusieurs

problèmes. Les notions d’ouvrage, d’opération ou d’ensemble unique sont des standards259,

des concepts flexibles qui laissent à l’interprète ultime - en l’occurrence le juge - le soin d’en

fixer les contours. Ce dernier a donc en vertu de son pouvoir d’interprétation une grande

liberté d’appréciation des faits qui lui sont soumis. En procédant à la qualification juridique

257 Le droit fiscal connaît, lui, le précompte mobilier ; les règles de cet instrument juridique sont si complexesque de nombreux praticiens s’arrangent pour ne jamais devoir le mettre en œuvre.258 Pour deux exemples concernant la procédure d’appel d’offres, on renverra à Thierry BEAUGE : « La réformedu code des marchés publics commentée » AFNOR 2001 pages 54 et suivantes.

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des faits, le juge va procéder à la subsomption des faits. Pourrait alors s’ensuivre le choc de

deux libertés, celle de programmation des acheteurs d’une part et celle des juges chargés

d’interpréter le texte d’autres part.

De même, l’article 27 fait référence à une nomenclature qui permet de définir ce que sont des

fournitures et des prestations homogènes. Cette nomenclature se présente comme - autrefois la

planification économique - l’incarnation de l’anti-hasard puisqu’elle a justement pour but

d’éviter que les acteurs de l’achat public aient le moindre doute sur l’homogénéité des

prestations de fournitures ou de services. La nomenclature a pour vocation à restreindre au

maximum le pouvoir d’interprétation - et d’hésitation - des acteurs de l’achat public. Elle

accrédite l’idée que les autorités normatives peuvent tout prévoir. Elle apparaît donc comme

un élément stabilisateur par rapport à l’ancien code des marchés publics. Va-t-elle pour autant

parvenir à donner aux ordonnateurs, aux comptables publics, et aux juges chargés de les

contrôler un vade-mecum efficace pour computer les seuils ? On en doute… Le recours à une

nomenclature repose sur le mythe de la complétude, le mythe de l’absence de lacunes des

textes. Cette attitude rappelle celle des Révolutionnaires qui, par méfiance des juges,

pensaient que la Loi pouvait absolument tout prévoir. Or, comme tout langage, la langue

juridique est un univers de sens260. Le sens, la clarté d’un texte ou d’une disposition n’est

jamais arrêté, n’est jamais un acquis définitif261.

Ces quelques éléments théoriques permettront d’éclairer les innombrables difficultés tenant à

la mise en oeuvre de l’article 27. L’énumération des questions liées à l’application de l’article

259 Les notions générales au contenu indéterminé, les notions-cadres ou notions floues sont nombreuses en droit :les bonnes mœurs, l’ordre public, la faute, l’urgence, la dignité humaine.260 Sur ce point, Herbert Hart parle de « la texture ouverte du droit ». Voir H.L.A. HART « Le concept de droit »trad. M. VAN DE KERCHOVE, Bruxelles, Fac. univ. Saint-Louis 1976 page 155. Ainsi, il existe « au-delà d’un« noyau de sens clair » d’un concept, une zone de pénombre qui l’entoure, de sorte que si un certain nombre decas types rentrent assurément dans l’extension du terme, il existe également un certain nombre de cas limitesdont il est difficile a priori douteux de savoir s’ils sont ou non visés par lui ». François OST et Michel VAN DEKERCHOVE : « Jalons pour une théorie critique du droit » Publ. Fac. Univ. Saint-Louis Bruxelles 1987 page356. Dans la même ligne, il est possible de renvoyer à la théorie des jeux de langage développée par le SecondLudwig Wittgenstein dans ses « Investigations philosophiques ».261 On rappellera que la loi du 31 décembre 1957 a décidé de transférer aux tribunaux judiciaires le contentieuxde la responsabilité extra-contractuelle résultant des dommages causés par un véhicule. En apparence simple, lanotion de véhicule s’est montrée particulièrement extensive. Ont été considérés comme un véhicule les bacs (TC15 octobre 1973 Barbou), les charrettes (CE 25 juin 1986 Mme Curtol) voire un radeau (Cour de Cass Civ 1ere 8janvier 1964) ou une luge de secours. Sur ce point, lire René CHAPUS : «Droit administratif général » Domat-Montchrestien 2000 Tome I, pages 873 et suivantes. Ce qui fait dire au grand philosophe du droit, CharlesPERELMAN : « Concrètement quand il s’agit d’un texte rédigé dans une langue ordinaire, dire que le texte estclair, c’est souligner le fait qu’en l’occurrence, il n’est pas discuté … ». Citation extraite de l’ouvrage de BenoîtFRYDMAN et Guy HAARSCHER : « Philosophie du droit » Dalloz-Connaissance du droit 1998 page 14.

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27 ne sera pas envisagée dans le même ordre de présentation de la réforme (prévision des

besoins ; distinction du type de marché ; étude pour chaque marché de la méthode de

computation, selon que le marché fait ou non référence à une nomenclature, selon qu’il est

récurrent ou non, etc…). A cette méthode, il a semblé préférable de distinguer les questions

qui sont anciennes et pour lesquelles le nouveau code n’a apporté aucune réponse de celles

qui complètement nouvelles prennent leurs racines dans la réforme du mois de mars 2001.

Pour faire bref, on pourrait dire que le nouveau code n’a pas su résoudre toutes les questions

existantes relatives à la computation du seuil des marchés publics ( a ) mais qu’il en a créé de

nouvelles ( b ).

a – La non résolution des questions anciennes

Trois questions sont à envisager.

1 – Les frontières des marchés de l’article 27 sont poreuses

L’article 27 repose sur la distinction entre les marchés de travaux, de fournitures, et de

services. Si la disposition est nouvelle en droit des marchés publics, le problème est lui plus

ancien. Il convient en effet de se poser la question de savoir si cette répartition tripartite est

bien pertinente ? N’existe-t-il pas un risque pour l’acheteur public de se trouver, dans certains

cas, dans l’impossibilité de dire s’il se trouve en présence d’un marché de travaux, de

fournitures ou de services ?

Incontestablement, l’étude de la jurisprudence montre qu’il n’est pas toujours facile de dire si

l’on est en présence de marchés de travaux ou non car il faut distinguer les marchés portant

sur des travaux immobiliers des marchés de prestations de maintenance portant sur des

immeubles262. A l’inverse, divers travaux sont assimilables à des travaux immobiliers. Le

Conseil d’Etat a jugé que des travaux de déblaiement, de terrassement263 ont la nature de

travaux immobiliers. Les marchés de travaux doivent également être distingués des marchés

262 Voir en ce sens TA Lille 28 mars 2000 Préfet de la Région Nord-Pas-de-Calais, Préfet du Nord c/ Communede Marquette-Les-Lille, BJCP 2000 n° 12 page 321, conclusion G.PELISSIER.263 Voir CE 29 avril 1983 SEM d’aménagement urbain de Saint-Jean-de-Luz, Droit adm 1983 com n° 246.

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de fournitures, notamment lorsque le bien mobilier s’incorpore à un immeuble264. Les

marchés de travaux impliquent par ailleurs que la collectivité publique assure la maîtrise de

l’ouvrage. C’est pourquoi, les contours des marchés de travaux ne sont pas nets ; ils peuvent

au surplus être confondus avec la vente en l’état futur d’achèvement, le bail emphytéotique

administratif ou encore la location avec option d’achat.

De leur côté, les marchés de services doivent être distingués des marchés de fournitures et des

conventions de délégation de service public ou des contrats de louage de service. Certaines

prestations peuvent contenir autant de fournitures que de services. Comme le constate Laurent

RICHER, « le marché de services est en voie de diversification constante compte tenu du

développement de nouveaux services allant du nettoyage de locaux aux services

informatiques. La notion de service n’est pas des plus précises ; on peut considérer qu’est un

marché de services le contrat d’entreprises qui a un objet autre que des travaux à caractère

immobilier. Les frontières ne sont cependant pas immuables : ainsi les contrats pour le

ramassage des ordures ménagères ont été jadis qualifiés de marchés de travaux publics, alors

qu’ils sont aujourd’hui considérés comme des marchés de services »265.

Enfin, les contrats exclus du champ d’application du code des marchés publics, notamment

ceux prévus par l’article 3-3° du code lesquels portent sur l’acquisition ou la location de

terrains ou d’immeubles qui ne sont pas pris en crédit-bail, sont susceptibles de laisser planer

de nombreux doutes. Avant de savoir si ce type de contrat est soumis au code et si les

dispositions de l’article 27 lui seront applicables, la collectivité publique devra commencer

par procéder à une fine analyse de son financement.

On le voit, en distinguant entre marchés de travaux, de fournitures ou de services, le nouveau

code oblige les acheteurs publics à identifier avec précision le type de contrat qu’ils entendent

conclure et cela ne sera pas forcément chose facile.

2 – La détermination de la personne responsable du marché

264 Voir CAA Bordeaux 30 décembre 1991 Société Alarm Vidéo Systèm, à propos de la vente d’un système detéléalarme à un centre communal d’action sociale. Les juges ont estimé qu’en raison de l’emprise du boîtier dansle mur, il s’agissait d’un marché de travaux et non de fournitures.265 Laurent RICHER : « Droit des contrats administratifs » LGDJ 2ème édition 1999 page 329 ; Et l’auteurd’ajouter (page 330) « Mais ce n’est pas à l’intérieur de la catégorie des marchés de services qu’existent les plusgrosses difficultés de délimitation : le problème le plus délicat est celui de la distinction entre marché deservices et délégation de service public ».

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Sur ce point, le nouveau code des marchés publics n’apporte rien puisqu’il reprend et

confirme les solutions adoptées par le code de 1964. En conséquence, les questions,

notamment pour les commandes passées au sein des Universités, qui étaient apparues sous

l’ancien code continueront de se poser. Plus gênant encore, la prise en considération du seuil

au niveau de la personne responsable du marché est contraire à l’évolution vers une plus

grande déconcentration administrative et financière266. Signalons pour tempérer ce propos que

l’article 7 du nouveau code donne la possibilité à l’Etat et aux établissements publics

nationaux dont les différents services disposent d’un budget propre de procéder eux-mêmes à

l’achat de leurs besoins. Toutefois, l’article 7 précise que ces services « peuvent coordonner

la passation de leurs marchés » en procédant à la désignation en leur sein d’un service

centralisateur. En bref, le nouveau code admet les achats « décentralisés » au sein d’une

personne publique mais préfèrerait qu’ils fassent l’objet d’une coordinations. Cela dit, il

semble difficile de croire que ce qui n’a pas été fait hier sera faire demain.

2 - Les marchés de travaux

Avant même l’entrée en vigueur du nouveau code, les difficultés liées à l’emploi des notions

d’opérations et d’ouvrage étaient connues.

α- La notion d’opération

Sur ce point, la méthode de computation des marchés de travaux issue de l’article 27

concrétise la jurisprudence du Conseil d’Etat auquelle il faudra à nouveau se référer267. Le

nouveau code des marchés publics n’innove donc pas et on continuera à utiliser la méthode du

faisceau d’indices (la similitude des achats, la proximité des achats par exemple) mise en

266 Pour Florian LINDITCH « comment expliquer aux services de tel conseil général que désormais les travauxde bâtiments qu’ils soient relatifs aux collèges, aux services centraux ou aux services d’action sociale devrontêtre coordonnés par un seul « Service marché » ? Comment expliquer encore qu’il devra en aller de même desfournitures de bureau ou des abonnements de presse, qu’il s’agisse de ceux des services techniques, sociaux,culturels, éducatifs de villes comme Paris, Lyon, Marseille, alors que leurs agents ne se sont jamais rencontréset sont parfois localisés aux quatre coins de la ville ? ». Voir Florian LINDITCH : « Le droit des marchés publics» Dalloz / Connaissance du droit, 2ème édition 2002, pages 72 et suivantes. La philosophie du nouveau codesemble donc remettre en cause sur ce point la déconcentration administrative et financière développée cesdernières années. Le nouveau code oblige les personnes publiques à centraliser leurs achats pour évaluercorrectement le seuil. Voir également l’exemple donné par Patrice COSSALTER : « Les marchés sansformalisme préalable » Territorial / L’essentiel Sur 2002 page 43.

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place par la Haute juridiction administrative. Par suite, les problèmes posés sous l’empire de

l’ancien code continueront à être au cœur des marchés portant sur des travaux. Les travaux

d’entretien et de maintenance portant sur plusieurs immeubles bâtis d’une commune forment-

ils une même opération ou bien existe-t-il autant d’opérations qu’il y a d’immeubles ? De

même, faut-il distinguer les différents travaux d’entretien et de maintenance en fonction du

corps de métier intervenant (plâtrier, plombier, carreleur, etc…) ou considérer qu’ils

appartiennent à la même opération ?

Deux auteurs268 regrettaient avec une certaine dose de naïveté que la notion d’opération n’ait

pas été définie par les rédacteurs du décret. On voit mal comment on aurait pu le faire. Pour

autant, cette absence de définition n’est pas un bienfait269 ; elle laisse et laissera les usagers du

nouveau code dans une profonde incertitude à chaque fois qu’il s’agira de savoir si les

marchés de travaux entrepris relèvent d’une seule et même opération ou de plusieurs

opérations. Du coup, les acheteurs ne trouveront pas l’élément de sécurisation promis par le

nouveau code.

β - La notion d’ouvrage

La notion d’ouvrage posera des difficultés dans la mesure où elle perturbe celle d’entité

adjudicatrice. Pour deux auteurs « l’introduction de la notion communautaire d’ouvrage ne

simplifie nullement les choses. Même si elle possède une dimension concrète supérieure à

celle d’opération, il convient de remarquer qu’elle transcende la notion d’entité adjudicatrice

et que, dès lors, une procédure de publicité devrait être organisée pour un « ouvrage » réalisé

par plusieurs marchés de travaux passés par des entités adjudicatrices différentes »270. En

effet, on peut, au sens du droit communautaire, avoir un ouvrage effectué par différentes

collectivités publiques.

267 Voir les arrêts CE 26 septembre 1994 Préfet d’Eure-et-Loir et CE 8 février 1999 Syndicat intercommunal deseaux de la Gâtine268 Voir F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Questions de seuils » Contrats et marchés publicsnovembre 2001 page 2.269 Voir en sens contraire Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans lenouveau Code des marchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 4. Cet auteur parle « desbienfaits d’une absence de définition ».270 Voir Sophie PIGNON et Denis BANDET : « Le nouveau Code des marchés publics : quelques éclairagespratiques » AJDA 2001, page 368.

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Pour conclure, on se demandera si en faisant référence aux notions d’opération et d’ouvrage,

les concepteurs du nouveau code n’ont pas introduit une distinction qui ne présente aucune

utilité? En effet, la notion d’opération semble englober celle d’ouvrage. Florian LINDITCH

soutient que les notions d’opération et d’ouvrage sont très proches et que, en réalité, la notion

d’ouvrage est « une sous-catégorie » de celle d’opération271. Si tel est bien le cas, pourquoi

avoir eu recours à deux notions ? Il serait préférable de considérer que seule la notion

d’opération importe véritablement et de réserver l’usage de la notion d’ouvrage aux seuls

marchés de travaux relevant, en raison de leur coût, du droit communautaire.

En définitive, comme deux auteurs ont pu l’affirmer : « Les nouvelles règles de cumul de

montant ne résolvent pas entièrement les difficultés antérieures, notamment en maintenant,

sans la préciser outre mesure, la notion d’opération pour les travaux et les services »272. Pour

atténuer l'assaut qui vient d’être fait contre les marchés de travaux de l’article 27, on doit dire

que si « l’incertitude demeure en matière de marchés de travaux et l’introduction de la notion

communautaire d’ouvrage n’est pas de nature à la lever. Il reste que l’on ne voit pas vraiment

quel critère aurait pu mettre fin aux certitudes »273.

b – L’apparition de problèmes nouveaux

La lecture de l’article 27 suscite de nouvelles interrogations ; comment se servir de la

nomenclature ? Que faut-il entendre par achats récurrents ? Qu’est-ce donc un ensemble

unique ou une réalisation continue ? A quoi, enfin, renvoie la notion d’opération pour les

marchés de services ? Ce sont là quelques questions posées par cette nouvelle disposition.

α – La référence à une nomenclature

C’est une nomenclature, on l’a vu, qui précise le caractère homogène des fournitures et des

services. Sur le principe même de cette nomenclature, on signalera qu’elle risque d’être

rapidement dépassée et qu’elle devra suivre les évolutions techniques et technologiques.

271 Voir en ce sens Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveauCode des marchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 4. La notion d’ouvrage est issue del’article 1-c de la Directive 93/37 sur les travaux.272 Voir Sophie PIGNON et Denis BANDET : « Le nouveau Code des marchés publics : quelques éclairagespratiques » AJDA 2001, page 369.273 Lire Sophie PIGNON et Denis BANDET : « Le nouveau Code des marchés publics : quelques éclairagespratiques » AJDA 2001, page 368.

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L’existence d’une nomenclature pour les achats de fournitures et les prestations de services

part du principe un peu vain qu’il est possible de tout prévoir, qu’il est possible d’anticiper

tous les besoins des personnes publiques. En réalité, l’idée d’une nomenclature semble être

morte-née. Ou bien en effet elle cherche à l’exhaustivité en recensant le maximum de

fournitures et de services et elle sera rapidement frappée du syndrome macédonien, de même

qu’elle ne remplira pas sa fonction en permettant de rester presque constamment sous le seuil

de 90 000 Euros compte tenu de son extrême précision ; ou bien elle reste dans l’imprécision

en référençant que quelques produits et services et elle sera source d’insécurité juridique car

les acheteurs publics ne sauront pas si tel achat relève ou non de tel numéro de la

nomenclature ou de tel autre.

Au-delà de ces difficultés théoriques, les acheteurs devront dans certains cas faire preuve

d’imagination pour appliquer la nomenclature actuelle. A quelle catégorie ou rubrique doit-on

rattacher un produit ou un service ; puis, ensuite pour aboutir à un numéro à quatre chiffres, à

quelle famille ce produit ou ce service correspond-t-il ? Il ne faudrait pas que l’espace de

liberté que la nomenclature prévoit s’entrouvre sur un océan de perplexité. On observera

d’ailleurs que ce travail d’épluchage nécessitera de mettre à contribution l’entreprise

cocontractante. Le poissonnier devra par exemple en effet préciser si ses produits ont été

surgelés (numéro 10.02) ou non (numéro 10.08). Cette participation forcée des fournisseurs à

l’élaboration des marchés des acheteurs publics est en elle-même contraire à l’idée de

simplification de la commande publique.

Un projet de « guide pour la mise en oeuvre de l’article 27 » est actuellement en cours

d’élaboration par les services du MINEFI. Selon ce guide, le titulaire d’un marché

bénéficierait d’une exclusivité d’approvisionnement sur la totalité des fournitures ou des

services relevant d’un même rubrique de la nomenclature274. Or il est rappelé que chaque

rubrique se décompose en sous-rubiques : les familles. Outre que cette présentation ne

correspond pas aux prescriptions édictées par l’article 27, et qu’elle donne une rente de

situation au premier entrant dans une rubrique contraire aux principes les plus essentiels du

droit de la concurrence, elle illustre surtout la volonté du MINEFI de simplifier un dispositif

particulièrement complexe. En procédant de la sorte, les services de la comptabilité publique

espèrent-ils peut être pouvoir ainsi identifier la totalité des éléments d’une rubrique par un

274 Voir Cyrille EMERY : « Une interprétation de plus de l’article 27 du nouveau CMP ! » L’Actualité de laCommande et des Contrats Publics n° 10 / avril 2002 pages 15 et suivantes.

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fournisseur désigné une fois pour toute. A chaque rubrique, son fournisseur ou son prestataire.

On pensait que le nouveau code avait abandonné toute référence à la notion de fournisseur au

profit de celle de prestation mais voilà que devant le caractère protéiforme de la seconde, elle

réapparaît.

Ce guide préciserait par ailleurs qu’en cas de marché comportant des produits et des services

relevant de plusieurs familles, il conviendrait alors de retenir le numéro de nomenclature de la

prestation dominante pour référencer l’achat ou le service. Ainsi, on donnerait un seul numéro

à un achat par exemple comportant des produits relevant de plusieurs nomenclature. Là

encore, on constate que les services de la comptabilité publique cherche à simplifier au

maximum le travail des comptables publics en modifiant le système introduit par le

Gouvernement. Pour chaque livraison de fournitures à caractère mixte (c’est à dire

comportant des fournitures appartenant à plusieurs numéro de la nomenclature) l’acheteur

public devra « consolider » son achat. Par delà son illégalité patente, la méthode de calcul

préconisée par le guide va de plus conduire à un dépassement plus rapide du seuil de 90 000

Euros puisque tous les achats seront agrégés à un seul numéro – le numéro dominant - de la

nomenclature. La difficulté restera cependant de déterminer ce que sera dans chaque cas la

prestation dominante ; sans doute, l’examen de la facture et du prix de revient de chacun des

produits permettra de définir quelle est la prestation dominante. La nomenclature de l’article

27 avait cherché le détail et la liberté , le guide au contraire obéirait à une logique de

réunification des numéros de la nomenclature afin de permettre un meilleur contrôle.

Pour finir, il ne semble pas que les craintes provoquées par le guide275 soient réelles. En

pratique, on est disposé à croire que les acheteurs publics qui passeront des commandes

comprenant des produits appartenant à plusieurs familles homogènes au sein d’une même

rubrique voire à plusieurs familles homogènes pris dans des rubriques différentes n’hésiteront

pour des raisons de commodité dans le suivi de leur achat, mais également de respect de leur

275Il est évident que, pour les comptables publics, le suivi des achats de fournitures et des prestations de servicessera une difficulté peu commune. Prenons par exemple le cas des achats de produits, plus simple que celui desprestations de services. Le même numéro à quatre chiffres de la nomenclature d’un produit peut être l’objet autitre d’une même année civile d’un achat faisant partie d’un ensemble unique, d’un achat récurrent, et semble-t-il, d’un achat regroupé au sein d’un marché de services si sa valeur est inférieure à celle des prestations deservices. Sur plusieurs années, la situation se complique sérieusement dans la mesure où ce même numéro àquatre chiffres peut être utilisé à trois ans de distance pour la satisfaction de deux achats d’ensemble unique etd’un achat récurrent. Enfin, le calcul est rendu difficile par le fait qu’un achat récurrent peut avoir une duréetotale ne correspondant pas aux années civiles. Dans ce cas, le montant d’achat dans la famille homogène est-iltoujours de 90 000 Euros HT ou bien est-il de ce montant moins celui de l’achat homogène ?

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cocontractant, à conclure, comme ils en ont la possibilité un seul marché, lequel leur fera

immanquablement dépasser le seuil de 90 000 Euros HT.

De même, on regrettera que le régime juridique de certaines fournitures comme celui des

livres ou de la presse demeure particulièrement incertains. Pour certains ces achats sont exclus

du champ du code des marchés publics alors que d’aucuns pensent au contraire qu’ils y

entrent dès lors que la nomenclature y fait référence.

Florian LINDITCH fait observer que le décret de mars 2001 se situe à un niveau plus élevé

dans la hiérarchie des normes que les arrêtés ministériels du mois de décembre 2001 ; il en

déduit que les contradictions qui existent ou existeraient entre le décret et ces arrêtés

ministériels doivent être résolus à l’avantage de celui-là276. Selon lui, l’article 27 obéit à une «

logique synthétique »277 c’est à dire sur une identification précise des besoins tandis que les

deux arrêtés reposent sur une conception arithmétique et donc sur l’addition des fournitures et

services composant ces besoins. Au terme de sa démonstration, il affirme que l’adoption de la

méthode développée par les deux arrêtés conduirait à ruiner la liberté de programmation des

administrations. A dire vrai, son propos semble est davantage une mise en garde que

l’expression de la réalité, la logique de l’addition étant d’une simplicité qui favorisait le

contrôle. La lecture de l’arrêté du 13 décembre 2001 ne laisse planer aucun doute sur le fait

que l’achat en double exemplaire d’une même fourniture ne doit pas être classé dans la même

rubrique des fournitures homogènes si l’un de ces achats appartient à un ensemble unique et

que l’autre relève d’une livraison récurrente ou encore si les deux achats, mais cela est moins

probable, donnent lieu à la livraison de deux ensembles uniques.

β – L’annualité

Se pose ensuite la question de savoir si la référence à l’année pour la computation des

marchés récurrents de fournitures et de services correspond à l’année civile278. Pour certains,

« en l’absence de précision expresse de l’article 27, rien ne permet de considérer que

276 Voir Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveau Code desmarchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 6.277 Voir Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveau Code desmarchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 6.278 Sous l’ancien code des marchés publics, il était possible de passer une commande d’un montant de 300 000 FTTC quelques jours avant le 31 décembre d’une année et de passer la même commande pour le même montantquelques jours après le 1er janvier de l’année suivante.

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l’annualité évoquée est celle de l’année civile »279. On espère qu’il n’en ait rien et que la

notion d’année renvoie bien à l’année civile, laquelle coïncide au surplus avec l’exercice

budgétaire, et non à un périodicité de douze mois dont le point de départ est librement fixé par

l’acheteur public280. Si l’on devait admettre que les besoins d’une année se computent sur une

période de 12 mois, cela obligerait les comptables publics à vérifier pour chaque marché son

point de départ. Autant dire, que ce serait un pas de plus vers le raffinement de la matière ….

χ – Les notions d’ensemble unique et de récurrence

En matière de marchés de fournitures ou de services, les rédacteurs de l’article 27 ont

introduit une distinction qui tend à donner aux acheteurs publics encore davantage de liberté

et à leur éviter de dépasser trop fréquemment les seuils. Ces marchés sont en effet soumis à la

distinction entre les livraisons ou prestations d’un ensemble unique et celles qui sont

récurrentes. Comme on peut le remarquer, le nouveau code n’a pas repris à son compte les

distinctions traditionnellement utilisées en droit civil pour distinguer les contrats. Selon la

doctrine civiliste, les contrats à exécution instantanée sont des contrats281 dont « les

obligations sont susceptibles d’être exécutées par des prestations uniques, non répétées »

tandis que les contrats à exécution successive (ou contrats successifs) sont des contrats dont

les prestations s’exécutent dans le temps (comme par exemple, le contrat de bail ou le contrat

d’assurance). Ajoutons encore, pour être complet, que ces derniers connaissent une variante :

les contrats à exécution échelonnée. Ceux-ci282 « font simplement se succéder dans le temps

des prestations qui pourraient rationnellement constituer autant de contrats distincts, mais

qui sont considérées comme formant un tout en raison de l’unité de l’acte originaire ». De ces

distinctions savantes, le nouveau code n’a rien retenu et a préféré forger ses propres concepts.

On remarquera cependant que l’arrêté du 13 décembre 2001 assimile la notion de livraison

d’un ensemble unique à une achat ponctuel (ou à une acquisition unique). Devant tant

nouveauté, il a peut être semblé préférable de donner aux utilisateurs une notion plus

compréhensible.

279 Voir Frédérique OLIVIER : « Le nouveau droit des marchés publics. Une lecture pratique » Droitadministratif, Juillet 2001 page 6.280 Dans cette hypothèse, le délai d’une année court-il à compter de la date de notification de la premièrecommande ou bien, car cela mériterait encore confirmation, à compter de la date de mandatement ?. Si, parexemple, une commande d’un montant de 60 000 Euros HT portant sur la livraison de fournitures homogènes estpassée le 15 avril, elle empêchera la personne publique de passer une deuxième commande identique d’unmontant de 30 000 Euros HT avant le 14 avril de l’année suivante.281 Voir Jean CARBONNIER : « Droit civil. Les Obligations » PUF-Thémis 22ème édition 2000 page 271.282 Voir Jean CARBONNIER : « Droit civil. Les Obligations » PUF-Thémis 22ème édition 2000 page 271.

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Car, à vrai dire, la distinction entre les marchés formés d’ensemble unique et ceux d’éléments

récurrents paraît très incertaine. Tout d’abord, la notion d’ensemble unique est le mariage des

contraires. Comment voudrait-on en effet que des biens (ou des services) hétérogènes

participent par leur union à la satisfaction d’un besoin ? Le terme « ensemble » fait penser à la

diversité alors que le terme « unique » conduit à l’inverse vers l’uniformité. D’un point de vue

pratique, les rédacteurs du code demandent à ses utilisateurs de computer le seuil de l’article

27 en prenant en compte l’acquisition de produits variés mais tendant à la réalisation d’un

projet et de les identifier à travers le numéro d’une famille homogène …Sans doute faut-il

deviner que la notion d’ensemble unique à vocation agréger les biens et services pour éviter

les fractionnements283. En ce sens, cette notion n’est pas très éloignée de celle d’opération en

matière de travaux.

Contrairement ensuite à ce que peut laisser penser la lecture de la nomenclature annexée à

l’arrêté du 13 décembre 2001, il n’y a pas de famille de fournitures qui ne peut donner lieu à

la livraison d’un ensemble unique de fournitures homogènes. Ainsi, à la faveur d’une fête

locale ou d’une tradition régionale, une personne publique peut être amenée à se faire livrer

des produits carnés surgelés ou des produits de la mer.

En plus de sa difficile compréhension, la notion d’ensemble unique n’est pas facilement

identifiable par rapport à celle de récurrence. Supposons qu’une fête municipale par exemple

soit organisée pour la première fois dans une commune et que, devant le succès populaire

rencontré, le maire décide de la reconduire l’année suivante. Dans pareil cas, va-t-on

considérer que la deuxième année donne lieu à une livraison récurrente ou considérer au

contraire que, faute de tradition bien établie, les deux années constituent chacune un ensemble

unique ? Un autre problème risque de se poser très rapidement : l’ensemble unique de

livraisons de fournitures homogènes s’apprécie sur une durée qui excède une année, le plus

souvent sur deux années. Mais à supposer que la livraison d’un ensemble unique de

fournitures homogènes s’effectue, pour une raison quelconque, sur plus de deux années, ne

va-t-on pas alors considérer que la troisième année ou la quatrième année constituent des

livraisons récurrentes de fournitures homogènes. Si tel devait être le cas cela entraînerait une

confusion entre la livraison d’un ensemble unique de fournitures homogènes et la livraison

283 L’acheteur va additionner différentes familles homogènes parce qu’ensemble elles forment un tout. Parexemple, l’achat pour un congrès de boissons alcoolisées, de boissons à base de jus de fruits, d’apéritifs.

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récurrente de fournitures homogènes. Ce risque ne paraît pas étranger au fait que la

nomenclature ne parle pas d’ensemble unique mais d’acquisition unique ou encore d’achat

ponctuel (par exemple, pour la création d’un nouveau service ou le renouvellement du

mobilier d’un service).

Pour cette raison, certains préconisent de considérer que les biens ayant un caractère récurrent

soient réglés sur la section de fonctionnement du budget tandis que ceux qui ne présentent pas

un tel caractère le soient sur la section d’investissement284. Bien que séduisante, cette solution

ne résout rien car il est précisément difficile de savoir si l’enregistrement comptable d’un bien

relève de l’une ou l’autre285. La seule chose de sûre, c’est qu’« il n’est pas certain que les

comptables publics veuillent prendre le risque de distinguer les achats récurrents de ceux qui

le sont pas. Il sera plus facile et peut-être plus prudent pour l’administration comptable de

considérer que, dans un numéro de nomenclature donné, le seuil de 90 000 Euros ne doit pas

être dépassé, achats récurrents ou non. Il est vrai que cette interprétation n’est pas conforme

à la lettre du texte de l’article 27. Elle est toutefois plus prudente dans l’attente d’une

jurisprudence et d’une doctrine claire »286.

En considérant que la confusion entre les notions d’ensemble unique et de récurrence n’ait pas

lieu, le travail de contrôle des comptables publics en restera pas moins d’une prodigieuse

difficulté puisque pour des fournitures homogènes (c’est à dire appartenant à la même

rubrique de la nomenclature) pourront faire simultanément l’objet d’une livraison d’un

ensemble unique et d’une livraison récurrente287. Tel est le cas par exemple d’une collectivité

qui simultanément achète des bureaux pour un nouveau service et des bureaux en

remplacement de ceux usagers d’un autre service.

Si l’on veut brouiller le tableau, on peut encore imaginer le cas d’une commune qui pour

répondre plusieurs besoins décide de faire l’acquisition de deux - ou plus - ensembles uniques

284 Sur cette hypothèse, voir Patrice COSSALTER : « Les marchés sans formalisme préalable » Territorial /L’essentiel Sur 2002 page 60.285 Cette distinction repose sur la différence entre les biens immobilisés et ceux comptabilisés comme descharges courantes.286 Voir Patrice COSSALTER : « Les marchés sans formalisme préalable » Territorial / L’essentiel Sur 2002page 61.287 Pour Patrice COSSALTER « le véritable problème d’interprétation se posera lorsqu’une administration aurapar exemple pour 100 000 Euros d’achat dans le numéro de nomenclature. Il sera alors tentant de considérerque, sur ces 100 000 Euros, moins de 90 000 Euros correspondent à des achats récurrents, le reste à des achatsnon récurrents ». Voir Patrice COSSALTER : « Les marchés sans formalisme préalable » Territorial /L’essentiel Sur 2002 page 61.

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de fournitures homogènes et de deux - ou plus – livraisons récurrentes. Dès lors, on risque

surtout d’assister à des pratiques consistant à découper les programmations pour rester sous le

seuil de 90 000 Euros288. Prenons par exemple, une collectivité qui à l’intention d’acquérir des

ordinateurs pour un montant supérieur à 90 000 Euros et supposons qu’elle veuille rester en

dessus de ce seuil pour éviter la lourdeur des procédures du code, elle devra alors prétexter

plusieurs besoins : deux ensembles uniques ou bien encore un besoin répondant à un

ensemble unique et une livraison récurrentes de fournitures. Libre à elle ensuite d’affecter les

ordinateurs où bon lui semble. Seule la totalisation de l’ensemble des ordinateurs dans la

même catégorie aurait permis d’éviter ce dévoiement.

δ – Les notions de récurrence et de réalisation continue

Pas plus que la précédente, la distinction entre les notions de récurrence et de réalisation

continue ne sera simple à utiliser.

Une prestation de services dont la réalisation est continue est un contrat successif au sens du

droit civil. Pourtant, au sens de l’article 27, un marché de services portant sur le nettoyage

pourra avoir tantôt un caractère récurrent (nettoyage des locaux administratifs), tantôt un

caractère continu (nettoyage d’une place publique), tantôt enfin une prestation formant un

ensemble unique (nettoyage d’une place après une manifestation exceptionnelle). Comme on

le voit dans cet exemple, la même prestation de nettoyage peut être définie différemment

selon les besoins de la collectivité publique.

ε – La notion d’opération de services

La notion d’opération de services est placée sous le signe de liberté puisqu’elle permet aux

personnes responsables du marché de moduler leurs actions publiques en fonction des

catégories d’usagers ( par exemple, les personnes âgées ou les jeunes enfants). La notion

d’opération offre aux acheteurs publics ainsi la possibilité de varier leurs interventions. Le

danger pourtant est que les autorités de contrôle devront découvrir le but que la collectivité

288 L’absence de cumul des dépenses relatives à une formation sur l’euro et une formation pour la préparationaux concours administratifs est contestable. Car évidemment la première sert également à la réussite auxconcours. On peut imaginer qu’une personne publique mette en place autant de formation qu’il y a de matièresau programme d’un concours. Cet exemple montre surtout que la libre définition des besoins par les utilisateurs

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s’est fixé et bien souvent donc de sonder ses intentions. Un auteur affirme que l’article 27 «

consacre donc pleinement la notion d’opération et espère qu’elle n’est pas contestable et ne

sera pas contestée en renvoyant à une nomenclature de référence qui sera transmise aux

comptables publics »289. C’est au contraire qu’il faut s’attendre. Pour rester sous le seuil de 90

000 Euros HT, les collectivités publiques qui restent maître de leur programmation comme l’a

rappelé l’Instruction d’application du 7 septembre 2001 pourront avoir tendance à multiplier

leur opérations de services. Et cette hypothèse ne sera assurément pas un cas d’école tant

l’habitude a été prise par les différents services d’une personne publique de passer

directement leurs commandes. Or, on sait que désormais les commandes portant sur le même

objet doivent être centralisés au niveau de la personne responsable du marché.

Si comme le précise l’Instruction, la notion d’opération de services est « une souplesse

apportée aux achats publics » ; en contrepartie, elle « ne doit faire l’objet d’aucun

détournement, notamment sous la forme d’un fractionnement abusif entre ces prestations très

proches qui relèvent d’une même opération ». S’agit-il d’un présage, un volonté de conjurer

le mauvais sort ?

Pour Florian LINDITCH, la notion d’opération en matière de services n’est pas utilisée dans

l’arrêté du 13 décembre 2001 à son rendement maximum. Ce dernier prévoit en effet que «

l’évaluation …se fera donc au sein d’une même famille homogène de services en isolant les

services correspondant à une même opération »290. Il faut, selon cet auteur, en déduire qu’une

même opération ne peut comprendre ni des fournitures et des services appartenant à des

familles différentes ni même des services de familles différentes. Ce point de vue n’est pas

partagé ; l’arrêté ne pouvait de toute évidence sérier tous les cas d’application. Certains

d’ailleurs apparaîtront avec la pratique. On peut simplement dire pour lever les inquiétudes

que rien n’empêche de considérer qu’une opération de services puisse regrouper des

fournitures et des services relevant de familles – nécessairement – différentes. Cela découle

de l’obligation faite à l’acheteur public de déterminer, préalablement à la computation des

seuils, si le contrat qu’il projette de conclure est un marché de fournitures ou un marché de

services. Concernant la deuxième crainte exprimée par l’auteur, on peut avancer qu’elle

du code laisse la porte ouverte à tous les excès, sinon à toutes les erreurs d’appréciation sur le découpage desbesoins.289 Lire Antony TAILLEFAIT : « Le nouveau droit des marchés publics. Les aspects financiers et comptables »Droit administratif, Juillet 2001 page 15.

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trouve son origine dans la rédaction défectueuse du décret. L’article 27 en effet lie

expressément « prestations homogènes » et « opération » laissant sous-entendre que les

prestations non homogènes ne peuvent concourir à la formation d’une seule et même

opération. Mais cette position ne paraît pas logique. Comment admettre que des fournitures et

des prestations forcément non homogènes puissent être rassemblées sous la bannière d’un seul

et même marché et que les concernant la computation obéisse à la même règle et que dans le

même temps des prestations de services, certes non homogènes, mais participant à la

réalisation d’une même opération ne puisse pas être computer uniformément ? Cela n’aurait

aucun sens… Il faut donc considérer que l’arrêté n’interdit pas à une opération de services de

comprendre plusieurs familles de prestations homogènes et que celles-ci soient amalgamées

lors de la computation du seuil. Cela ressort de la notion d’opération même qui est un concept

fonctionnel.

En conclusion sur ce point, deux auteurs291 ont écrit que les dispositions de l’article 27

n’étaient en réalité que de « fausses nouvelles règles de calcul des seuils ». Au même

diapason, des praticiens292 affirment que le rehaussement des seuils dans le nouveau code des

marchés publics n’est qu’un leurre, un faux-semblant293 dans la mesure où la définition des

besoins est beaucoup plus exigeante que par le passé.

L’article 27 contraint les collectivités à programmer leurs besoins294. La programmation est

une liberté qui dans les mains des collectivités publiques doit permettre de définir quelles sont

les opérations, les actions qu’elles entendent mettre en œuvre295. La démultiplication des

290 Voir Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveau Code desmarchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 7.291 Voir Sophie PIGNON et Denis BANDET : « Le nouveau Code des marchés publics : quelques éclairagespratiques » AJDA 2001, page 367.292 Voir Dominique DEPORCQ et Philippe SCHMIDT : « Les vertus en trompe-l’œil du nouveau Code »POUVOIRS LOCAUX Les cahiers de la décentralisation n° 51/2001, page 113.293 M. GUIBAL rappelle par exemple que « si l’ancien seuil de 300 000 F TTC est passé à 90 000 Euros HT,pour autant, la notion d’opération s’est largement précisée au point de ne laisser que rarement échapperl’obligation de recourir à une procédure formalisée ». Voir le commentaire de Michel GUIBAL sous l’article 27: « Code des marchés publics » Le Moniteur 2001.294 « L’innovation du code est donc là : si elles veulent recouvrer un peu de la liberté perdue avec la suppressionde l’achat sur facture par an et par fournisseur jusqu’à 300 000 F …, les collectivités publiques devrontapprendre à programmer à bon escient de manière à dégager plusieurs opérations ». Voir Florian LINDITCH :« Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveau Code des marchés publics » Contrats etmarchés publics février 2001 page 5.295 Pour illustrer cette liberté, Florian LINDITCH rappelle que la collectivité « pourrait décider quel’aménagement d’une place ne requiert pas de bancs ou de mobilier urbain, quitte dans un second temps àlancer une nouvelle opération précisément consacrée à l’acquisition de mobilier... à condition que ce soit pourl’ensemble de la commune et non pour la place en question ». Voir Florian LINDITCH : « Qui a peur de

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seuils que l’article 27 autorise donne l’impression que la computation des seuils repose sur

l’entière subjectivité des acheteurs publics au risque de les enfermer dans une sorte de

solipsisme juridique296. Cet espace de liberté, comme si trop de liberté était contraire à

l’action, pourrait bien être cependant à l’usage un piège pour les acheteurs publics. On peut se

demander si les collectivités - surtout les plus petites pour lesquelles le relèvement du seuil a

été effectué - seront réellement en mesure de prévoir dans l’infime détail leur besoin futur.

L’article 27 est d’une utilisation tellement difficile que l’on peut se demander si les petites

communes auront les compétences nécessaires pour arriver à le mettre en œuvre297. Un

comble pour une réforme qui avait pour but de les aider !

En définitive, l’article 27 oscille constamment entre plusieurs logiques contradictoires298 :

d’une part éviter le fractionnement des commandes lesquels mettent hors jeu les seuils du

code des marchés publics en consolidant, en agrégeant produits et services et d’autre part

donner aux acheteurs publics la plus grande liberté contractuelle possible pour satisfaire leurs

besoins299. Le premier objectif est recherché par l’emploi des notions d’opération ou

d’ouvrage concernant les marchés de travaux, par l’indifférence au nombre d’entrepreneurs,

de fournisseurs ou de prestataires, par le recours à la notion d’ensemble unique ; le second,

par la mise en place d’une nomenclature servant à identifier les fournitures et prestations

homogènes, par le recours à la notion d’opérations de services, etc… Dans ces conditions, il

est difficile de vouloir une chose est son exact contraire300.

l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveau Code des marchés publics » Contrats et marchés publicsfévrier 2001 page 5.296 Si on abandonne les règles de computation à l’entière subjectivité des acteurs, il risque d’y avoir autantd’article 27 qu’il y a d’acheteurs publics.297 Pour celles-ci, et même si dans un article dont l’intitulé rappelle le ton espiègle des comptines, FlorianLINDITCH n’y a vu là que l’introduction de nouvelles méthodes de travail, l’article 27 va être un épouvantail.Voir Florian LINDITCH : « Qui a peur de l’article 27 ? Réflexion sur les seuils dans le nouveau Code desmarchés publics » Contrats et marchés publics février 2001 page 4 et suivantes.298 Le débat de fond est celui de l’équilibre à trouver entre l’ordre public et la liberté contractuelle. Selon lesauteurs du LAMY « la liberté de contracter et celle de déterminer le contenu du contrat sont, comme l’ensemblede l’action administrative, régies par le principe de légalité qui limite tout à la fois les compétences et lesprérogatives des personnes publiques et de leurs agents. A cela s’ajoutent des considérations d’ordre comptableet budgétaire, spécifiques au droit public, qui ne peuvent que limiter les marges de manœuvres des personnespubliques. Si les personnes publiques, dès lors, bénéficient d’une liberté contractuelle, celle-ci ne peut avoir,fondamentalement, la portée généralement attribuée ce principe : le principe de la liberté contractuelle despersonnes publiques ne peut, par essence, malgré des caractéristiques communes, avoir la même portée que leprincipe de la liberté contractuelle des personnes privées ». Voir LAMY Droit public des affaires (sous ladirection de Lucien RAPP et Philippe TERNEYRE) 2001 n° 1869.299 Selon Pierre JOXE, ancien Premier Président de la Cour des Comptes : « la problématique du droit desmarchés publics vise fondamentalement à encadrer la décision sans paralyser l’action ». Citation extraite deSimon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droit public financier » Thèse Lille 2001page 364.300 Tiraillé entre sécurité et liberté, l’article 27 n’a pas véritablement pris parti.

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Nul doute que l’article 27 exige désormais à tout acheteur public d’être un bon juriste doublé

d’un bon gestionnaire. Cet article rappelle à ceux qui l’auraient oublié que l’achat public est

avant tout une affaire de professionnels. L’Instruction du 28 août 2001 ne rappelle-t-elle

d’ailleurs pas dans son commentaire de l’article 5 du code de « la nécessité de

professionnaliser l’achat public ». Nul doute encore que cette disposition essentielle du

nouveau code des marchés publics incitera le juge financier à réitérer sa demande de mise en

place d’un service achat301.

2 – Un contrôle juridictionnel impossible

Outre les difficultés tenant à sa mise en œuvre, l’article 27 place le juge administratif ( a ) et

financier ( b ) dans une situation embarrassante : le premier voit son pouvoir d’intervention

restreint par le Législateur tandis que l’office juridictionnel du second est potentiellement sur

le point de changer de nature.

a – Pour le juge administratif

Sous les auspices de l’ancien code des marchés publics, la possibilité de soumettre au juge

administratif les commandes hors marchés a été âprement discutée. Ainsi, le Conseil d’Etat a

jugé que, sauf cas exceptionnels302, les achats sur factures, dont le formalisme est réduit à sa

plus simple expression (échange de lettres), étaient des contrats de droit privé303. N’étant pas

par ailleurs des marchés publics, le juge administratif a estimé ensuite, contrairement à la

position de l’Administration 304, que les commandes inférieurs à 300 000 F TTC n’avaient pas

à être transmises au contrôle de la légalité du préfet305.

L’article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes

à caractère économique et financier (MURCEF) a modifié les données en disposant que « Les

301 Voir Simon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droit public financier » Thèse Lille2001 page 384.302 Il en va différemment en effet lorsque la commande hors marché a pour objet l’exécution de travaux publics.303 CE 19 avril 1985 CNRS c/ Société Trindel : Marchés publics n° 217 avril-mai 1986 page 32. Cette solution aconfirmé la doctrine administrative. Voir Commission centrale des marchés : marchés publics n° 208 mars 1985page 6.304 Réponse ministérielle à M. L Souvet JO Sénat 31 août 2000 n° 23798 page 3028. Selon cette réponse, latransmission s’imposait dès que le contrat était écrit.305 CAA Bordeaux 27 mars 2000 Ferrault n° 98-02022.

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marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats

administratifs »306. Désormais, l’ensemble des marchés publics sont des contrats

administratifs307 et il ne peut plus y avoir des marchés publics de droit privé308. Cette

disposition qui vise à contrecarrer l’arrêt Commune de Sauve309 rendu par le 4 juillet 1999 par

le Tribunal des conflits, et remet en cause l’arrêt multiséculaire Société des granits

porphyroïdes des Vosges du Conseil d’Etat a pour objectif de créer un bloc de compétence au

profit du juge administratif. Dès lors, certains ont pu légitimement croire que les marchés

publics seraient, étant tous sans exception des contrats administratifs, soumis à l’obligation de

transmission au représentant de l’Etat310 et que le dépassement des seuils serait alors contrôlé

par les services de la préfecture !

Mais ce choix n’a pas été celui du Législateur. Outre les contrats qui ont pour objet la

représentation d’une personne publique en vue du règlement d’un litige (article 78 alinéa 2 du

code des marchés publics) cette obligation de transmission au préfet ne concerne pas les

marchés passés sans formalités préalables en raison de leur montant311.

Bien que parfaitement compréhensible compte tenu du nombre important de marchés sans

formalités préalables conclus chaque année par les collectivités territoriales et par le fait que

ces contrats ne requiert en principe aucun écrit312, cette situation n’en demeure pas moins

306 Sur la loi MURCEF, on peut lire l’article d’Eric DELACOUR : « La loi MURCEF : aspects de droit public »Droit administratif 2002 pages 5 et suivantes.307 Pour une critique raisonnée de cette disposition, on renverra à l’article de Guylain CLAMOUR : « LoiMURCEF : les enjeux de « l’administrativisation » des marchés publics » Dalloz 2002 pages 593 et suivantes.308 A dire vrai, cette question n’est pas admise par tous. La CAA de Lyon vient, le 27 avril 2002, dans une affaireSociété MAJ blanchisserie de Pantin, de demander sur le fondement de l’article L 113-1 du CJA au Conseild’Etat si les marchés sans formalités préalables sont des contrats administratifs comme le prévoit l’article 2 de laloi MURCEF.309 Concernant l’existence de marchés privés soumis au code des marchés publics, trois hauts magistratsaffirmaient pourtant encore quelques années plus tôt « Nous croyons simplement qu’en pratique il est peuvraisemblable qu’une telle situation se rencontre, de telle sorte que cette querelle paraît très théorique ». Voiren ce sens Michel ROUGEVIN-BAVILLE, Renaud DENOIX DE SAINT-MARC, Daniel LABETOULLE : «Leçons de droit administratif » Hachette Supérieur 1989 page 193.310 Voir les articles L 2131-2, L 3131-2 et L 4141-2 du code général des collectivités territoriales ainsi quel’article 78 du code des marchés publics. A titre d’exemple, l’article 2131-2 du CGCT fait obligation auxautorités communales de transmettre, sur le fondement de l’article 2131-1 dudit code, au Préfet « les conventionsrelatives aux marchés et aux emprunts ainsi que les conventions de concession ou d’affermage de servicespublics locaux ».311 Voir les articles L 2131-2-4°, L 3131-2-4°, L 4141-2-3° du code général des collectivités territoriales ainsique l’article L 6145-6 du code de la santé publique ; ces textes sont issus de l’article 11 de la loi MURCEF. Lireégalement l’article de F. RAYNAL : « Contre l’obligation de transmettre au contrôle de légalité les contrats dedroit privé des hôpitaux publics » JCP Cahiers de droit de l’entreprise 2001 n° 1 page 12.312 Un auteur s’interroge sur la compatibilité de la procédure de déféré qui requiert un écrit avec ledéveloppement annoncé par l’article 56 du nouveau code des marchés de la dématérialisation des procédures. Al’avenir devrait en effet se développer les procédures numériques. Voir en ce sens Jean-Gabriel MADINIER : «

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regrettable. Même si, par le passé le contrôle de la légalité n’a pas eu l’efficacité escomptée et

que les préfets n’ont eu que trop souvent tendance à procéder à des « classements en

opportunité »313 on aurait pu penser que l’occasion était venue de permettre aux représentants

de l’Etat de mettre leur capacité d’expertise en avant et de prévenir les excès les plus

flagrants.

Et ce n’est pas l’existence du référé précontractuel prévue par l’article L 551-1 du code de

justice administrative dont l’objet est la suspension et l’annulation des procédures de

passation des marchés publics qui ne respectent pas les obligations de publicité ou de mise en

concurrence prévu qui semble être en mesure d’assurer le respect des dispositions de l’article

27 du nouveau code des marchés publics314. Plus que le droit, la science administrative nous

apprend en effet que les entreprises sont réticentes à introduire un recours contre la personne

publique qui les a écartées d’une commande. Un ancien Chef du bureau du contrôle de

légalité à la Direction Générale des Collectivités Locales315, ne rappelait-il pas, il y a peu de

temps encore, que le Préfet est « un requérant privilégié, seul tiers au contrat … habilité à

exercer un recours en excès de pouvoir à son encontre. Peu d’entreprises osent engager un

recours sur les conditions de la passation de contrats dont elles ont été évincées, par peur

sans doute des « représailles » dont elles pourraient être ultérieurement victimes dans l’accès

à la commande publique locale. Il y a là une « culture » du contentieux qui n’est pas encore

bien développée en France et dont l’absence est heureusement compensée par l’intervention

préfectorale ». Le propos n’a malheureusement pas été entendu …

La solution choisie par l’article 11 de la loi MURCEF est critiquable car dans le même temps

cette loi a décidé de renforcer les pouvoirs des autorités exécutives des collectivités

territoriales. Dans son article 9, codifié à l’article L 2122-22 du Code général des collectivités

territoriales316, elle prévoit désormais que « le maire peut, en outre, par délégation du conseil

municipal, être chargé en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (…) 4° De prendre

Les collectivités locales et la réforme des marchés publics » Bulletin juridique des contrats publics n° 16 pages209 ; Sur cette question, on renverra au décret n° 2001-846 du 18 septembre 2001 pris en application du 3° del’article 56 du Code des marchés publics et relatif aux enchères électroniques. Cela dit, pourquoi le contrôle de lalégalité ne devrait-il pas s’adapter, lui aussi, à l’économie du XXIème siècle ?313 L’expression est tirée de l’ouvrage de Henry-Michel CRUCIS : « Droit des contrôles financiers descollectivités territoriales » AJDA. Le Moniteur 1998 page 195.314 Plus généraliste, le référé-suspension de l’article L 521-1 du CJA peut permettre de censurer la passation d’unmarché public illégal.315 Voir Pierre BRUNELLI : « Le contrôle de la légalité » LGDJ-Politiques locales 1998 pages 88 et 89.316 Disposition identique pour les départements (article L 3221-11) et les régions (article L 4231-8)

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toute décision concernant la préparation, la passation, l’exécution et le règlement des

marchés de travaux, de fournitures et de services qui peuvent être passés sans formalité

préalable, lorsque les crédits sont inscrits au budget ; (...) »317. Le maire peut donc obtenir

une délégation du Conseil municipal pour passer des marchés sans formalités préalables et en

l’informer qu’à l’occasion d’une séance ultérieure.

Cette mise à l’écart du juge administratif repose sur l’idée qu’il ne peut rien faire et que le

seul contrôle efficace est celui des comptables publics car systématique et préventif318. S’il y a

un fond de vérité dans ce propos, la confiance placée jusqu’à présent dans les autorités

financières de contrôle pourrait bien désormais décevoir.

b – Pour le juge financier

Suite à l’adoption de ce nouveau code, la position du juge financier n’est guère plus

confortable que celle du juge administratif. Dorénavant, en effet les marchés sans formalités

préalables sont des marchés publics et la jurisprudence Soldevilla qui reposait sur l’exigence

de la production d’un marché a perdu de son principal attrait. Le juge financier ne peut plus

exiger la production d’un marché pour le dépassement du seuil de l’article 28.

Corrélativement, le décret pièces-justificatives qui avait été le point de départ de cette

jurisprudence salutaire est devenu inutilisable pour la computation des seuils de l’article 27 et

ses jours seront désormais comptés319. Le juge financier, et avant lui le comptable public,

317 L’ancien article L 2122-22 du code général des collectivités territoriales disposait : « Le maire peut, en outre,par délégation du conseil municipal, être chargé en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (…) 4° Deprendre toute décision concernant la préparation, la passation, l’exécution et le règlement des marchés detravaux, de fournitures et de services qui peuvent être passés en la forme négociée en raison de leur montant,lorsque les crédits sont inscrits au budget ; (…) »318 Voir en ce sens les propos de Michel LASCOMBE et de Xavier VANDENDRIESSCHE : « Chronique dedroit public financier » RFDA 2001 pages 485 et suivantes. Or, « on sait bien que ni le déféré administratif, ni lademande de saisine du juge à la suite de l’intervention d’un particulier ne sont des moyens efficaces de réaliserun contrôle des milliers d’actes que des collectivités territoriales et les établissements publics prennent chaqueannée ». Selon D. THOMAS : « … le contrôle de légalité ne permet pas toujours de déceler les libertés prisespar les ordonnateurs envers le droit des marchés. Dans ces conditions, force est de constater que le comptable,fonctionnaire de l’Etat, puis le juge financier auront la tâche essentielle de les découvrir par l’intermédiaire ducontrôle financier ». Voir D THOMAS : « Les relations entre le droit des marchés publics et le droit budgétaireet comptable » RDP 1997 page 1112. Ou encore (page 1103) « De nombreux ordonnateurs ne respectent pas ledroit des marchés. Le contrôle de la légalité ne démontre pas, dans bien des cas, son efficacité. La justiceadministrative est trop lente pour être effective. Par conséquent, un contrôle financier qui s’exerce tout au longde l’exécution d’un marché peut-il compenser un contrôle de la légalité peu efficient ? Autrement dit lecomptable est-il le garant de l’emploi du Code des marchés ? ».319 Avec l’entrée en vigueur du nouveau code des marchés publics, « un nouveau contrôle comptable du seuild’achat sur factures devra se mettre en place. Or ce contrôle du respect des seuils est victime du choc entre le «décret pièces justificatives » (rubrique 40 renvoi 38) et le Code des marchés publics (article 27) ». Lire Antony

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devront désormais exercer le contrôle du dépassement des marchés conclus en application de

l’article 28 en s’inspirant fortement des prescriptions prévues par l’article 27. Cela est-t-il

possible ? Pour répondre à la question , il est nécessaire de rappeler dans quel contexte

intervient le juge financier.

La Cour des Comptes a eu l’occasion de rappeler que « même entaché d’un vice, un acte

administratif sort son plein effet tant que la nullité n’en a pas été reconnue par l’autorité

compétente pour statuer sur sa légalité »320.Cette décision a été une manière de spécifier – ou

de borner - les compétences de chacun : au juge administratif le respect de la légalité

administrative ; au juge financier celui de la légalité financière. Il est constant que « le

contrôle de régularité financière est en principe un simple contrôle de forme, notamment de

production des justifications exigées par la nomenclature… »321.

Ainsi, en application d’une jurisprudence solidement établie par le Conseil d’Etat, les

comptables publics ne sont pas juges de la légalité des actes administratifs322. Le Commissaire

du Gouvernement, Mme GREVISSE, a conclu sur l’arrêt Ministre de l’Economie et des

Finances c/ S. Balme que les comptables publics « n’ont pas le pouvoir de se faire juges de la

légalité des décisions administratives ». Dans la lignée de sa jurisprudence Balme, la Haute

juridiction administrative a eu l’occasion de réitérer sa position323. Plus récemment encore, le

Conseil d’Etat a rappelé dans une affaire concernant le CHRU de Besançon que le comptable

n’avait pas le pouvoir de se faire juge de la légalité interne des décisions administratives324.

TAILLEFAIT : « Le nouveau droit des marchés publics. Les aspects financiers et comptables » Droitadministratif, Juillet 2001 page 15.320 Cour des Comptes 28 mai 1952 Marillier, Receveur de la commune de Valentigney, GAJF, n° 15 pages 148 etsuivantes.321 Voir Henry-Michel CRUCIS : « Droit des contrôles financiers des collectivités territoriales » AJDA. LeMoniteur 1998 page 303. L’auteur cite notamment ROMIEU, FABRE et J. MAGNET pour lesquels lecomptable public ne doit pas procéder à une « appréciation personnelle » (ROMIEU), à un « raisonnementjuridique au fond » (FABRE) mais doit se borner à effectuer « principalement » un contrôle « de légalité externe» (J. MAGNET). Pour sa part, Gaston JEZE écrivait que les comptables publics ne devaient pas chercher àévaluer l’opportunité des décisions des ordonnateurs sous peine de commettre « un empiètement surl’administration active ».322 CE Section 5 février 1971 Ministre de l’Economie et des Finances c/ S. Balme, AJDA 1971 page 173.323Voir Cour des Comptes 26 novembre 1991 Mme Baglione-Costa, agent comptable du centre hospitaliergénéral d’Antibes, Rec page 104 ; Voir par exemple CE 10 février 1997 Ibeau Requête n° 172307 Droit adm1997 page 21.324 CE 8 septembre 1997 Ministre de l’Economie et des Finances Revue du Trésor 2001 page 22. Sur l’arrêt du 8septembre 1997 et sur ses conséquences sur le respect, de manière générale, de la légalité par les autoritésadministratives, on lira la vive réaction de Michel LASCOMBE et de Xavier VANDENDRIESSCHE : «Chronique de droit public financier » RFDA 2001 pages 485 et suivantes. On rappellera que les ProfesseursMichel LASCOMBE et Xavier VANDENDRIESSCHE ont invité les juridictions financières à reprendre à leurcompte la solution jurisprudentielle de l’arrêt de la CAA de Lyon Société Merx. Voir Michel LASCOMBE et

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De son côté, la Haute Juridiction Financière a accepté la position prétorienne du Conseil

d’Etat en admettant que le juge financier n’avait à apprécier ni l’opportunité ni la légalité

interne des décisions de l’ordonnateur325.

Ce courant jurisprudentiel est cependant hautement critiquable pour plusieurs raisons : dans la

mesure où il interdit au comptable d’exercer son contrôle sur les ordonnateurs ; parce que le

juge administratif ensuite, n’est pas systématiquement saisi et que le respect de la légalité des

actes n’est alors plus assuré. Dans ces conditions « il faut estimer que le comptable n’est plus

qu’un simple exécutant des décisions prises par l’ordonnateur, c’est à dire un simple caissier

»326.

Par-dessus tout, les fondements de la jurisprudence Balme sont fragiles. La distinction entre

légalité externe et légalité interne est difficile à définir en droit administratif ; et cette

dichotomie ne paraît avoir d’ailleurs d’autres vertus que pédagogiques. En effet, le

détournement de pouvoir (c’est à dire l’illégalité de l’action tenant aux buts poursuivis) peut

se confondre avec l’illégalité tenant avec la violation de la loi - l’erreur de droit – (c’est à dire

avec l’illégalité tenant aux motifs de l’acte). Dans un article éclairant, Marie-José GUEDON

rappelle tour à tour que la violation directe de la loi peut se confondre avec l’incompétence,

de même que l’erreur de fait et l’erreur de droit, l’erreur sur les motifs et le détournement de

procédure, et (surtout pour notre propos) le vice de forme (substantielle) avec le fond du

droit327. Cela démontre la porosité, la malléabilité des cas d’ouverture du recours pour excès

de pouvoir. Il est établi que le juge administratif préfère censurer l’Administration sur le

fondement de l’erreur de droit que sur celui, moralement plus critiquable, du détournement de

pouvoir.

Xavier VANDENDRIESSCHE à la Revue du Trésor n° 12 décembre 1999 page 786. Cette attitude si elle étaitsuivie conduirait à déplacer les bornes de la légalité financière.325 Cour des Comptes 21 janvier 1988 Mlle Benoist, Receveur de la commune de Civray, Recueil page 125 pourlaquelle « le comptable n’est pas juge de la légalité des actes administratifs ». . Cour des Comptes 26 novembre1991 Mme Baglione-Costa, agent comptable du centre hospitalier général d’Antibes, Rec page 104. Dans l’arrêtde 1988, elle reconnaît que « le comptable n’est pas juge de la légalité des actes administratifs ».326 Voir Michel LASCOMBE : « Le juge des comptes, juge administratif ? » Mélanges Jean WALINE 2002 page654.327 Voir M-J. GUEDON : « La classification des moyens d’annulation des actes administratifs : réflexion sur unétat des travaux » AJDA 1978 pages 85 et suivantes (dans la deuxième partie intitulée « Relations etinterférences entre les différents moyens »).

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Car comme le rappelle cet auteur, « la légalité est « une » : elle est indivisible »328. Par une

formule imagée, Marie-José GUEDON rappelle que les cas d’ouverture du recours pour excès

de pouvoir qui sont fondés sur la distinction entre la légalité externe et la légalité interne

s’enchevêtrent en réalité comme les anneaux de l’Olympisme329.

Derrière l’interdiction faite aux comptables publics de se faire juge de la légalité

administrative se cache une question majeure : celle du strict cantonnement du juge financier

qui ne doit pas empiéter, selon le Conseil d’Etat, sur les compétences naturelles de la

juridiction administrative. Cette position obéit à phénomène de concurrence entre des

juridictions dans la conquête de l’espace juridique et non à un découpage scientifique d’une

discipline.

Au cas présent, la computation des seuils de l’article 27 tourne irrémédiablement le dos à la

jurisprudence Balme. Des concepts comme ceux d’opération ou d’ouvrage pour les travaux,

d’ensemble unique, de livraison récurrente pour les fournitures et de prestations récurrentes

pour les services, ou encore de prestation continue pour les seules prestations vont forcément

obliger le comptable public, dans un premier temps, puis le juge des comptes, dans un second,

à porter une appréciation sur les conditions de fond du droit des marchés publics330.

Déterminer si une livraison est récurrente ou non est bien davantage que savoir si une

condition de forme est satisfaite. On remarquera d’ailleurs pour bien faire comprendre la

révolution que l’article 27 introduit que sous l’ancien code, le comptable et le juge des

comptes avaient abandonné l’usage de la notion d’opération au juge administratif pour ne pas

sortir de leur sphère de compétence, c’est à dire « de porter atteinte à la notion de contrôle

328 Voir M-J. GUEDON : « La classification des moyens d’annulation des actes administratifs : réflexion sur unétat des travaux » AJDA 1978 page 87. Selon Bernard CASTAING : « Contrôles externes » JurisclasseurCollectivités territoriales 1997 Fasc. 2090 n° 50. « Et, comme le contrôle de la légalité externe d’un acte est unecomposante du contrôle de la légalité de cet acte, il en découle que le contrôle de la légalité effectué par lescomptables porte sur des éléments du contrôle a posteriori de l’acte ».329 Voir M-J. GUEDON : « La classification des moyens d’annulation des actes administratifs : réflexion sur unétat des travaux » AJDA 1978 page 85. Selon le Conseiller d’Etat François Gazier « Une même irrégularitéselon la manière dont elle est décelée et dénoncée peut bien souvent constituer aussi bien une incompétencequ’un défaut de base légale, un vice de procédure qu’un détournement de pouvoir, un détournement deprocédure qu’une erreur de fait ». Voir M-J. GUEDON : « La classification des moyens d’annulation des actesadministratifs : réflexion sur un état des travaux » AJDA 1978 page 85 ; Citation extraite de F. GAZIER : «Essai de présentation nouvelle des ouvertures du recours pour excès de pouvoir en 1950 » EDCE 1951 pages 83et suivantes.330 Contrairement aux conséquences de la jurisprudence Soldevilla laquelle reposait sur le décret pièces-justificatives.

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extrinsèque de régularité de la dépense » ou « d’abandonner la vision mécanique du contrôle

des comptes »331.

La seule question qui subsiste donc - et qui n’est pas des moindres - est celle de savoir

comment, devant ce qui est une véritable deminutio capitis, le Conseil d’Etat va-t-il réagir ? Si

les comptables publics s’emparent des dispositions du code des marchés publics et qu’ils

obtiennent l’aval des juges financiers, les juridictions administratives risquent de ne plus être

maîtres pour longtemps de la question du dépassement des seuils des marchés publics. Si, au

contraire, les comptables sont bridés dans leur contrôle par les chambres régionales des

comptes, la Cour des comptes ou le Conseil d’Etat, la réforme, et l’espoir qu’un contrôle soit

effectué sur le dépassement des seuils, aura échoué. En tout cas, il faut espérer que l’on

assistera, pour reprendre une fois encore l’expression du Président B. GENEVOIS, à « un

dialogue des juges ».

On conclura en disant que les règles édictées par l’article 27 sont néfastes. Leurs mises en

oeuvre sont d’une difficulté sans pareille. Inspirées par des préoccupations de saine gestion, le

louable objectif des concepteurs du code est hors d’atteinte. Par suite et « au vu de ce qui

précède, on peut légitimement se demander si la nomenclature a un grand avenir devant elle,

tant elle semble difficile à appliquer »332. Et de poser alors abruptement la question : « Ne

serait-il pas plus prudent de la supprimer ? »333. C’est pourquoi d’aucuns334 se demandent si

la révision des règles de computation des seuils ou celles du recours aux marchés

complémentaires de l’article 35 n’est pas d’ores et déjà prévisible ? Au niveau du contrôle

ensuite, les notions développées par l’article 27 vont mettre les juges administratifs et

financiers dans une position de concurrence dont le vainqueur ne sera peut être pas le code

des marchés publics.

331 Lire Simon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droit public financier » Thèse Lille2001 page 427. Voir également du même auteur (page 401) « Si la Cour autorisait le comptable à recourir à lanotion d’opération, elle bouleversait la nature des contrôles opérés par ce dernier. En effet, cela s’apparenteraitsans doute à un contrôle de la régularité intrinsèque de la dépense, donc de la légalité, puisqu’elle le conduiraità envisager la satisfaction des besoins de même nature auprès de différents fournisseurs ou la réalisation d’unbesoin précis par le concours d’une pluralité d’intervenants différents. En limitant le calcul des seuils parfournisseurs, pour des prestations de même nature et par année civile, la Cour évitait l’écueil de la notiond’opération ».332 Voir Cyrille EMERY : « Une interprétation de plus de l’article 27 du nouveau CMP ! » L’Actualité de laCommande et des Contrats Publics n° 10 / avril 2002 page 17.333 Voir Cyrille EMERY : « Une interprétation de plus de l’article 27 du nouveau CMP ! » L’Actualité de laCommande et des Contrats Publics n° 10 / avril 2002 page 17.334 Voir en ce sens Florian LINDITCH : « Le droit des marchés publics » Dalloz / Connaissance du droit, 2ème

édition 2002, page 73.

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B – L’AVENIR DE L’ARTICLE 28 ?

Récemment une question intéressante a été posée à un Ministre335. Elle préfigure peut-être la

tentation que certaines collectivités publiques pourraient avoir pour échapper à la difficile

computation des seuils prévue par l’article 27 du nouveau code. Cette attitude consisterait à

rattacher artificiellement des prestations relevant de l’article 27 à celles prévues par l’article

30 (lesquelles ne se computent pas mais doivent être conformes à un objet). Au cas d’espèce,

il s’agissait de savoir si la restauration et le transport d’enfants qui fréquentent un centre de

loisirs sans hébergement peuvent bénéficier de la procédure de l’article 30 du code ? La

réponse a été négative car ces prestations sont hors du champ d’application de l’article 30.

Pour le Ministre, « les services connexes tels que les transports des enfants ou la restauration

n’y ont pas été intégrés dans la mesure où ils relèvent de secteurs concurrentiels pour

lesquels les procédures de droit commun du code des marchés publics doivent s’appliquer ».

Les marchés sans formalités préalables de l’article 28 du nouveau code présentent de

nombreux avantages336 : ils ne sont pas soumis à une procédure particulièrement astreignante

comme les autres marchés ; ils peuvent être passés sans écrit337 ; il n’est pas nécessaire

d’obtenir une délibération du conseil municipal ; le contrôle par le préfet n’est pas

systématiquement assuré et une simple lettre ou un bon de commande suffit pour engager la

dépense dès lors que le budget a ouvert des crédits suffisants. De plus, ils sont dispensés de la

formalité de la publicité préalable prévue par l’article 40, de délais de publicité, de la

rédaction d’un rapport écrit, de la nécessité de définir le besoin à partir, selon l’article 6 du

code, de normes homologuées. Enfin, le rapport de présentation de l’article 75, la publication

de l’avis d’attribution prévue par les articles 80 et 81 sont exclus. Ces quelques exemples

335 Réponses ministérielles à la Question écrite de Robert Bret du 14 février 2002 n° 38557 JO Sénat 18 avril2002.336 En regard de ces atouts, il faut rappeler que le nouveau code a procédé à un durcissement des conditions depassation des marchés publics (voir les articles 5 à 19 et 39 à 56). Il s’agit pêle-mêle des dispositions suivantes :l’avis de préinformation au JOCE (article 39), de l’avis d’appel public à la concurrence (article 40), de la mise àdisposition des pièces nécessaires à la consultation des candidats à un marché (article 41), le règlement de laconsultation (article 42), les règles relatives aux conditions fiscales, sociales et professionnelles des candidats(articles 43 à 47), la présentation de l’offre sous la forme d’un acte d’engagement (article 48), la possibilité deprésenter un devis et des variantes au projet de l’Administration (articles 49 et 50), les critères de sélection(articles 52 à 54).337 La seule exception concerne les prestations de maîtrise d’œuvre prévue par le décret n° 93-1268 du 29novembre 1993 portant application de la loi MOP. En pratique pourtant, et compte tenu de leur montantrelativement élevé de 90 000 Euros, les marchés sans formalités préalables seront le plus souvent matérialiséspar un écrit sous forme d’une lettre de commande, d’un bon de commande, d’une facture voire même un contrat.

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montrent bien que, contrairement à qu’il est prétendu par certains, les formalités entourant les

marchés de l’article 28 ne sont pas susceptibles d’en affaiblir l’intérêt338.

Malgré cela, l’avenir des marchés sans formalités préalables paraît funeste ( 1 ). De plus, la

lente, mais inexorable, montée en puissance du droit de la concurrence au sein du droit

administratif est sur le point de leur faire perdre définitivement tout fondement ( 2 ).

1 - La fin des marchés sans formalités préalables

Les marchés de l’article 28 ne sont-ils pas amenés à disparaître ? Devant la complexité de

l’article 27, les acheteurs publics ne vont-ils pas délibérément choisir de recourir

systématiquement à une procédure formalisée et, partant, d’abandonner la procédure des

marchés sans formalités préalables. Cette possibilité présente l’avantage en premier lieu de ne

pas prendre le risque339 de dépasser le seuil de 90 000 Euros HT en raison d’une erreur de

computation du seuil de l’article 27. En second lieu, le recours systématique aux procédures

formalisées, comme par exemple la mise en concurrence simplifiée, permet de disposer pour

chaque famille de fourniture ou service homogène d’une réserve d’achat au moins égale à 200

000 Euros HT (ou 130 000 Euros HT s’agissant de l’Etat).

Le déclin de l’article 28 trouve sa cause dans le recours aux procédures formalisées ( a ) et

dans la promotion, voulue par le nouveau code des marchés publics, des procédures de

regroupement des commandes publiques ( b ).

a - Par le recours aux procédures formalisées

On peut redouter que les acheteurs publics décident délibérément d’écarter la procédure de

l’article 28. L’ancien code des marchés publics permettait à l’Administration de recourir à

l’une des trois procédures de passation des marchés publics (l’adjudication, l’appel d’offres

ou le marché négocié) alors même que les conditions des commandes hors marchés étaient

338 Lire sur ce point l’article de Muriel ECHEGUT : « Les marchés sans formalités préalables » Contrats etmarchés publics Janvier 2002 pages 4 et suivantes. Pour elle (page 6) « les formalités auxquelles sont assujettisles marchés sans formalités préalables sont parmi les plus essentielles et les plus contraignantes d’un point devue administratif » ou encore. « … elles se traduisent inévitablement par des procédures administrativesrelativement lourdes pour les acheteurs publics et apparaîtront souvent disproportionnées, lorsqu’elless’appliqueront à des achats de faibles montant ».339 Les risques sont pénaux (le délit de favoritisme existe toujours), financiers et politiques.

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satisfaites. Les acheteurs pouvaient donc choisir de se placer volontairement340 sous une

procédure plus contraignante. Aujourd’hui également, rien n’empêche un acheteur public de

préférer conclure un marché selon les règles de la procédure de mise en concurrence

simplifiée plutôt que celles des marchés sans formalités préalables. On rappellera d’ailleurs

que l’article 26 du code dispose qu’il est toujours possible de recourir à la procédure de droit

commun de l’appel d’offre et cela quelque que soit le montant du marché à passer.

Lorsque les besoins des collectivités publiques ne sont pas connus avec précision et qu’ils

sont au surplus récurrents, elles peuvent recourir à la technique des marchés à bons de

commande. Cette possibilité a même été recommandée par le ministre dans plusieurs réponses

à des questions écrites ainsi que par la commission centrale des marchés341. Enonçant les

difficultés liées à l’application de l’article 27, un praticien affirme que « le « pragmatique »

estimera pour sa part qu’il faut … ,dans bien des cas, passer des marchés à bons de

commande sur plusieurs années avec des bordereaux de prix détaillés après avoir procédé à

une estimation la plus fine possible de ces mêmes besoins, cela en concertation avec

l’ensemble des services de la perception »342. La contrepartie de ce choix est que

l’appréciation du seuil de l’article 27 est effectué en tenant compte de la durée totale du

marché. Dans ce cas, le seuil de 90 000 Euros HT risque fort d’être très rapidement

dépassé343.

Enfin, les acheteurs publics sont vivement incités à passer des marchés pluriannuels pour

négocier de meilleurs prix auprès de leurs cocontractants comme pour éviter, année après

année, de relancer de nouvelles procédures d’achat. Ce faisant, ils doivent alors évaluer le

340 Voir ce sens CE 15 octobre 1982 SA Affichage Giraudy, Droit Adm 1982 n° 375. Dans cet arrêt, il a été jugéqu’une collectivité publique a toujours la possibilité de passer un marché public alors qu’elle pourrait se borner àpasser une commande hors marché. Voir également pour une illustration CAA Paris 24 juin 1999 n° 97-03210,Commune de Noisy-Le-Sec. Les personnes publiques peuvent passer un marché négocié même si le marché estinférieur à 300 000 F TTC. Elles ne sont pas contraintes de conclure une commande hors marché.341 Voir en ce sens Réponses ministérielles à Questions écrites n° 12829 JO Assemblée Nationale 6 juin 1994page 2880 ; Réponses ministérielles à Questions écrites n° 5504 JO Assemblée Nationale 9 mai 1994 page 2342; ainsi que Commission centrale des marchés : Marchés publics n° 268, 1992 page 8 et Commission centrale desmarchés : Marchés publics n° 2/95-96 page 4. Sous l’ancien code des marchés publics, il était recommandé - etdonc possible - également de recourir en cas de doute sur le montant prévisible d’un marché de recourir aumarché négocié.342 Voir Jean SARFATI : « Nomenclature des achats : vers des marchés… de détails ? » La Lettre du Cadre n°226 février 2002 page 61.343 Les personnes publiques peuvent également recourir aux marchés à tranches conditionnelles. Comme pour lesmarchés à bons de commande, le seuil se compute sur la durée totale du marché. Sur les marchés à bons decommandes et à tranches conditionnelles, voir l’article 72.

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seuil de l’article 27 sur la durée totale de leur marché ce qui n’est assurément pas favorable

aux marchés de l’article 28.

On peut penser enfin que, dans certains cas, les collectivités publiques auront recours à la

procédure des marchés négociés de l’article 35-I-2° du code des marchés publics pour éviter

de computer les seuils en application de l’article 27. L’article 35-I-2° du code des marchés

publics leur donne la possibilité de conclure un marché sans limitation de montant « lorsque

la prestation de services à réaliser est d’une nature telle que les spécifications du marché ne

peuvent être établies préalablement avec une précision suffisante pour permettre le recours à

l’appel d’offres ».

Certaines dispositions du code des marchés publics (ou des règles de la comptabilité publique)

sont susceptibles enfin de limiter l’intérêt pour les marchés sans formalités préalables auprès

des entreprises cocontractantes ; ainsi, le paiement d’acomptes n’est pas autorisé pour ce type

de marchés. De même, en application du 1er alinéa de l’article 87-I du code des marchés

publics, une avance forfaitaire ne peut être accordée de plein droit qu’aux seuls titulaires des

marchés excédant le seuil de 90 000 Euros HT. En d’autres termes, le versement d’une telle

avance est laissé à la volonté de la personne responsable du marché.

b - Par le recours au groupement des commandes publiques

Pour tourner les difficultés liées à la mise en œuvre de l’article 27, les collectivités publiques

– principalement les petites communes – pourront avoir tendance à grouper leurs

commandes344 pour ne pas prendre le risque de franchir le seuil de 90 000 Euros. Les

groupements d’achats345 apparaissent comme un moyen pour les collectivités locales, qui

n’ont pas de service d’achat performant, de « disposer d’une expertise technique et financière

suffisante »346. L’article 8 du nouveau code347 leur donne la possibilité de constituer des

344 Sur cette pratique des commandes groupées, on lira la chronique de Daniel CHABANOL : « Larationalisation de la commande publique » Bulletin juridique des contrats publics n° 16 pages 201 et suivantes.345 L’article 8-II du nouveau code des marchés publics prévoit que « chaque membre du groupement s’engage,dans la convention, à signer avec le cocontractant retenu un marché à hauteur de ses propres besoins, tels qu’illes a préalablement déterminés ».346 Simon FROMONT : « Le droit des marchés publics à l’épreuve du droit public financier » Thèse Lille 2001page 478.347 Le groupement de commandes prévu à l’article 8 du nouveau code des marchés publics résulte de la prise encompte de la montée en puissance de l’intercommunalité.

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groupements locaux de commandes publiques348. Au-delà des économies d’échelle qui en

sont induites, cette procédure (qui sous l’ancien code était placée sous la présidence du préfet

par le biais de la commission départementale des commandes publiques) permet de mutualiser

les procédures de passation des marchés publiques. On peut penser d’ailleurs que les toutes

petites communes qui sont membres d’un établissement de coopération intercommunale «

délégueront » à ce dernier la mission de procéder à l’acquisition des biens dont elles ont

besoin comme le leur permet l’article 8-I- 2° du nouveau code des marchés publics.

Dans le même esprit, on signalera enfin la possibilité prévue par l’article 9 du nouveau code

des marchés publics aux collectivités territoriales de solliciter l’Union des Groupements

d’achats Publics (UGAP) laquelle joue le rôle d’une centrale d’achat. Le décret n° 2001-887

du 28 septembre 2001349 (qui est venu préciser le décret n° 85-801 du 30 juillet 1985) donne

aux collectivités locales la possibilité de conclure des contrats de commandes d’un montant

maximum de 200 000 Euros HT selon les règles applicables aux marchés sans formalités

préalables. Ainsi, en passant par ce puissant intermédiaire, une collectivité locale se

déchargera en premier lieu des tracas liés à la mise en œuvre du code et pourra en second lieu

acheter sans formalités préalables pour un montant multiplié par deux.

Le regroupement de la commande publique va enfin se poursuivre par la progression de

l’intercommunalité. Deux spécialistes des questions locales rappellent que dans un avenir

proche, le nombre d’acheteurs publics sera réduit ; au lieu d’avoir 36 779 communes, la

France ne comptera plus que 3500 communautés de communes, 130 communautés

d’agglomérations et 20 communautés urbaines350. Comme les besoins des établissements

publics de coopérations intercommunales sont supérieurs aux collectivités qui les composent,

le seuil de 90 000 Euros HT sera aisément dépassé. La mise en place de structures

intercommunales351 mettra cependant les comptables publics dans une situation ardue pour

348 Sur les problèmes comptables posés par la désignation, en vertu d’un mandat, d’un coordonnateur commeétant responsable de l’exécution et du règlement du marché, il faut lire les pertinentes observations de CyrilleEMERY : « Passer un marché public » Delmas 1ere édition 2001 page 192.349 Tirant les conséquences de la jurisprudence CAMIF, le décret n° 2001-887 du 28 septembre 2001 fait, saufexception, obligation aux acheteurs publics de respecter le code des marchés publics lors de la passation decommandes avec l’UGAP. Voir CE 27 juillet 2001 CAMIF JCP Ed G 2001 I n° 318 Observations S.BRACONNIER.350 Voir Dominique DEPORCQ et Philippe SCHMIDT : « Les vertus en trompe-l’œil du nouveau Code »POUVOIRS LOCAUX Les cahiers de la décentralisation n° 51/2001, page 116. Ces données sont tirées duRapport MAUROY.351 Sur les relations entre collectivités locales et établissement public de coopération intercommunale, on peutlire de Cyrille Emery : « Intercommunalité et contrats entre personnes publiques » AJDA 2000 page 592.

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assurer le respect de la computation des seuils. Les établissements publics de coopération

intercommunale pourraient être tentés de fractionner leurs achats avec les collectivités locales

qui les composent352. Pour éviter ce subterfuge, il serait nécessaire qu’un seul comptable

public soit chargé du contrôle de l’établissement public de coopération intercommunale et

l’ensemble des collectivités locales qui en sont membres. Et qu’il dispose de logiciels

informatiques lui permettant d’effectuer des recoupements.

2 - L’avènement du droit de la concurrence

Jusqu’à présent, le seuil des commandes hors marchés était à la fois un seuil de marché et un

seuil de procédure. Avec le nouveau code des marchés, le seuil des marchés sans formalités

préalables n’est incontestablement plus un seuil de marché ; mais est-il resté toujours pour

autant un seuil de procédure ? Rien n’est moins sûr. Qu’il soit issu de l’article 1er du nouveau

code des marchés publics ( a ) ou bien du code de commerce ( b ), le droit de la concurrence

est sur le point de gommer définitivement la distinction entre les marchés publics inférieurs à

un montant de 90 000 Euros HT et ceux qui lui sont supérieurs353.

a – Par l’article 1er du nouveau code des marchés publics :

Il y a fort longtemps déjà que le Conseil d’Etat354 a consacré le principe de l’égalité d’accès à

la commande publique. Sous l’ancien code, la liberté d’accès aux marchés publics des

entreprises était prévue expressément par l’article 47 même si elle comportait quelques

réserves ou restrictions. Par ailleurs, le Conseil d’Etat a jugé qu’il n’existait pas de principe

général du droit imposant à l’Administration une mise en concurrence des éventuels

cocontractants lors de la passation des contrats administratifs ; pour la Haute juridiction,

l’obligation de mise en concurrence n’existe donc que pour les seuls marchés publics355.

352 Pendant longtemps, le fractionnement a consisté pour une personne publique à recourir à plusieurs entreprisesprivées. A l’avenir, il pourrait bien prendre une forme nouvelle consistant à saucissonner un achat entre plusieurspersonnes publiques. La notion communautaire d’ouvrage devrait permettre de freiner les pratiques éventuellesde saucissonnage du code entre collectivités locales.353 Pour l’aspect commercial de la question, on renverra à la lecture de la thèse d’Olivier GUEZOU : « Ententeset marchés publics » Thèse Nanterre. « Le rapprochement insensible des différentes procédures (du modèle typeque constitue l’appel d’offres) » plaide d’ailleurs en réalité pour l’abandon de la technique des seuils.L’expression est de Florian LINDITCH. Voir Florian LINDITCH : « Le droit des marchés publics » Dalloz /Connaissance du droit, 2ème édition 2002, page 29.354 CE 9 juillet 1948 Bourgade.355 Voir en ce sens CE 12 octobre 1994 Chambre syndicale des agents d’assurances des Hautes-Pyrénées RFDA1995 page 20 Conclusions DANDELOT.

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Logiquement donc, elle n’a pas prévu d’obligation de mise en concurrence avant l’attribution

d’un marché inférieur à 300 000 F TTC356. Mais depuis, les choses ont changé…

Dorénavant, l’article 1er du nouveau code reprend ce principe en prévoyant dans son

paragraphe I que « les marchés publics respectent les principes de liberté d’accès à la

commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.

L’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics sont assurées

par la définition préalable des besoins, le respect des obligations de publicité et de mise en

concurrence, ainsi que par le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ». Quelle

est la portée de cet article sur le seuil de l’article 28 du nouveau code des marchés publics ?

Pour certaines personnes, et non des moindres, l’incidence de cette disposition serait

quasiment nulle. Un praticien, Patrice COSSALTER357 affirme tout d’abord que les

dispositions de l’article 1er ne s’imposent pas aux marchés sans formalités de l’article 28 pour

au moins trois raisons. En premier lieu, l’obligation de définition préalable des besoins n’est

prévue par l’article 28 lequel est inséré dans une section intitulée « Absence de formalités ou

modalités particulières de passation ». En second lieu, si les rédacteurs du décret avaient eu

l’intention de soumettre les marchés de l’article 28 à une telle obligation, ils l’auraient fait

savoir expressément comme cela a été le cas des contrats de l’article 30. En dernier lieu,

l’article 6 dispose que les marchés de l’article 28 ne sont pas soumis à l’obligation de

référence aux normes homologuées. Pour lui, « la définition du besoin n’est pas juridiquement

obligatoire » et il ajoute qu’« il s’agit donc d’un problème d’opportunité et non d’un

problème juridique »358.

356 Voir Dominique DEPORCQ et Philippe SCHMIDT : « Les vertus en trompe-l’œil du nouveau Code »POUVOIRS LOCAUX Les cahiers de la décentralisation n° 51/2001, page 113 ; et de citer en ce sens CE 24janvier 1990 n° 62.781 Mme Paule Martinetti. Dans cet arrêt le Conseil d’Etat a déclaré : « aucun principegénéral du droit n’imposait à la ville de faire appel à la concurrence pour procéder au choix de sescocontractants ». Voir également LAMY Droit public des affaires (sous la direction de Lucien RAPP et PhilippeTERNEYRE) 2001 n° 2084. « Il reste que, même en matière de marché public, le principe de mise enconcurrence ne vaut que pour les contrats dont le seuil excède le montant de 300 000 F TTC fixé par les articles123 et 321 du Code des marchés publics ».357 Sur ces arguments, lire Patrice COSSALTER : « Les marchés sans formalisme préalable » Territorial /L’essentiel Sur 2002 pages 32 et également 73.358 Sur ces arguments, lire Patrice COSSALTER : « Les marchés sans formalisme préalable » Territorial /L’essentiel Sur 2002 pages 33 et 73. Il est frappant de constater que pour cet auteur l’obligation de définition desbesoins n’est pas obligatoire ! Comme s’il était envisageable de commencer à computer sans avoir préalablementdéterminé avec précision ses besoins.

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Plus curieusement ensuite, à une question d’un parlementaire portant sur le fait de savoir si,

sur le fondement de l’article 1er du nouveau code, la mise en œuvre systématique d’une

procédure de mise en concurrence était obligatoire pour les marchés des articles 28, 30 et 35-

III, Mme Florence PARLY a répondu359 que cette procédure ne s’appliquait pas aux marchés

sans formalités préalables.

Ces deux avis sur la portée de l’article 1er ne pourront que surprendre. L’article 1er du nouveau

code renverse les principes existants. Sous l’ancien code des marchés publics, l’acheteur

public avait toujours, même sous le seuil de 300 000 F, la possibilité de recourir aux

procédures prévues par le code mais cela n’était pas pour lui une obligation. Aujourd’hui,

l’article 1er s’applique dès le premier euro dépensé360. Par suite, les acheteurs publics doivent

s’astreindre à procéder à une mise en concurrence sommaire afin de choisir l’offre

économiquement la plus avantageuse. Ainsi, même les marchés non formalisés ne peuvent

laisser à la personne publique la possibilité de faire n’importe quoi…c’est à dire de choisir

discrétionnairement n’importe quelle entreprise. Elles doivent veiller à sélectionner leurs

cocontractants selon des critères objectifs. L’instruction du 28 août 2001 rappelle que l’article

28 ne prévoit pas la mise en place d’une mise en concurrence formalisée mais elle

recommande en application de l’article 1er du code des marchés public aux personnes

publiques de faire jouer la concurrence avant de passer un marché sans formalités préalables.

En outre, même si les juridictions administratives ne font pas dans un premier temps, ce que

l’on peut sérieusement douter, une application rigoureuse de cet article aux marchés passés

sans formalités, il est certain que les juridictions pénales verront dans les marchés sans

formalités conclus en violation de cet article un délit de favoritisme. Dans ce cas, la question

des seuils risque d’être malmenée sous la poussée des juridictions pénales361. Comme le

359 Réponses ministérielles à la Question écrite de Jean-Louis Bianco du 23 janvier 2002 n° 1644 JO Assembléenationale 23 janvier 2002 page 743. Pour l’ancienne Secrétaire d’Etat au Budget « il n’y a aucune obligation demise en concurrence pour ces marchés, même si celle-ci reste possible ». Cette réponse est par ailleurs infondée ;à lui seul, le droit communautaire est en mesure d’obliger à une mise en concurrence et une publicité. Il en estdéjà ainsi en matière de concession de service public CJCE 7 décembre 2000 Telaustria.360 Autrement dit, les principes du droit de la concurrence commence à s’appliquer bien avant le franchissementdu seuil de 90 000 Euros HT.361 Le délit de favoritisme est constitué dès que la liberté d’accès et l’égalité des candidats prévues par les articles1er et 5 du code sont entravées. Il s’ensuit que la personne publique devra procéder du moins de manièreinformelle à la recherche du meilleur cocontractant. Car « si la réglementation des marchés autorise desmarchés, « sans formalités préalables » ou « sans publicité ni mise en concurrence », elle ne dispense pasl’acheteur de l’application du droit commun et ne lui permet donc pas de décider arbitrairement de l’utilisationdes fonds publics. Un marché sans mise en concurrence n’est pas un marché sans droit ». Voir Gérard

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conseille un spécialiste des juridictions pénales : « Afin d’éviter toute contestation ultérieure,

on ne peut que suggérer aux acheteurs d’être en mesure de justifier du respect des obligations

de fond qui s’imposent à eux. Ils peuvent à cette fin conserver les devis qu’ils ont pu solliciter

auprès des fournisseurs ou d’entrepreneurs et les renseignements obtenus à l’occasion de la

recherche de produits ou de prestations, par exemple quant à leur prix, leur qualité ou, le cas

échéant, le caractère exclusif de la prestation »362.

Le garde des Sceaux a informé par voie de circulaire datée du 4 mars 2002 les membres du

Parquet que les règles énoncées par l’article 1er du nouveau code des marchés publics étaient

des règles de fond qui s’imposent à tous les contrats conclus sous les auspices dudit code et

que donc les marchés sans formalités préalables y sont assurément soumis. Cette circulaire

rappelle que le manquement à l’article 1er peut être poursuivi pénalement sur le fondement du

délit de l’octroi d’avantage injustifié. On observera que les prescriptions de l’article 1er

rejoigne la définition du délit de favoritisme.

Concrètement, et afin d’éviter qu’une entreprise évincée d’un marché sans formalités

préalables demande la condamnation pénale de la personne publique ainsi que l’annulation de

la décision de conclure le contrat, il est vivement conseillé aux personnes responsables du

marché de consulter un minimum de trois entreprises et surtout de bien conserver les preuves

de leurs pourparlers commerciaux363. En tous les cas, dans cette recherche du meilleur

cocontractant possible, elles doivent proportionner leur effort en fonction du montant de la

prestation projetée. Pour ce faire, l’acheteur public devra au préalable assurer une publicité

minimale364 pour que toutes les entreprises susceptibles d’être intéressées par le marché

puisse se présenter à lui.

PANCRAZI : « Le délit de favoritisme et le nouveau code des marchés publics » Contrats et marchés publicsJuris-classeur mai 2001 page 5.362 Voir Gérard PANCRAZI : « Le délit de favoritisme et le nouveau code des marchés publics » Contrats etmarchés publics Juris-classeur mai 2001 page 5.363 La présentation de devis et d’étude (sous forme écrite ou de simple fax) par la collectivité publique paraîtessentielle si elle veut pouvoir prouver qu’elle a effectué des recherches sérieuses. En bref, elle doit apporter lapreuve que la conclusion du contrat a été précédée de négociation avec plusieurs entrepreneurs.364 Pour Muriel ECHEGUT « Simplement, à défaut d’être formelle puisqu’elle ne s’exprimera pas au traversd’avis de publicité, elle sera « informelle », mais elle devra néanmoins être réalisée et l’acheteur public devra seménager la preuve du respect de cette obligation ». Lire Muriel ECHEGUT : « Les marchés sans formalitéspréalables » Contrats et marchés publics Janvier 2002 page 6. Ce phénomène n’est pas propre au droit desmarchés publics. Suite aux conclusions du Rapport Bouchery relatif à la prévention de la corruption, la loi du 29janvier 1993 a imposé aux délégations de service public une obligation de publicité dans le but de renforcerl’information et la transparence.

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Par suite, on peut penser que la question du dépassement du seuil de l’article 28 risque d’être

rapidement dépassée ; en s’insinuant dans le droit des marchés publics, le droit de la

concurrence, dont l’inspiration est communautaire365, érode ses concepts les plus anciens et

porte atteinte à sa légitimité même.

b – Par l’ordonnance du 1er décembre 1986 :

Le droit de la concurrence a pour but notamment de réprimer les ententes et les abus de

position dominante. Jusqu’à ce jour, le juge administratif a refusé de considérer les ententes

entre les acheteurs publics et ses cocontractants comme étant des ententes au sens des

dispositions du droit de la concurrence. En d’autres termes, il a estimé que l’ordonnance n°

86-1243 du 1er décembre 1986 (codifiée désormais aux articles L 410-1 et suivants du code de

commerce) ne pouvait pas se substituer au droit des marchés publics lequel doit être regardé

comme le droit de la concurrence des marchés publics366. Mais pour le Professeur GUIBAL

cette attitude ne saurait perdurer. Et de rappeler ensuite « que le droit des marchés publics soit

un droit public de la concurrence est une évidence, même si son acceptation n’est pas

toujours clairement affirmée. Que les personnes publiques soient soumises au droit commun

de la concurrence est un principe aujourd’hui acquis, même si cette soumission est rarement

proclamée. Alors, pour quelle raison se lèvent tant de réticences pour admettre que les deux

droits de la concurrence appliqués à la conclusion des marchés publics ne sont ni

contradictoires, ni antinomiques, mais complémentaires ? Peut-être un manque de rigueur

dans la référence et l’application des critères propres au droit commun de la concurrence

365 Voir CJCE 18 novembre 1999 Unitron Scandinavia et 3-S, C-275/98, Rec page I-8291, point 31 ; CJCE 7décembre 2000 Teleaustria Verlags GmbH, Telefonadress GmbH et Telekom Austria AG, C 324/98 ; VoirDominique DEPORCQ et Philippe SCHMIDT : « Les vertus en trompe-l’œil du nouveau Code » POUVOIRSLOCAUX Les cahiers de la décentralisation n° 51/2001, page 114 ; La Cour a jugé que le droit de la concurrences’applique même lorsque la situation en cause est exclue du champ d’application d’une directive communautaire.Pour arriver à cette solution, la Cour a dégagé un principe en s’inspirant des traités. En droit communautaire, laquestion des seuils a également fait l’objet d’un semblable débordement. En raison de l’effet direct desdispositions contenues dans les traités communautaires, la Cour de Justice des Communautés Européennes faitapplication des principes posés aux articles 6, 30, 52 ou 59 du Traité de Rome indépendamment du montant de lacommande publique.366 Voir LAMY Droit public des affaires (sous la direction de Lucien RAPP et Philippe TERNEYRE) 2001, n°1993.

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»367. Dans la même veine, il a été écrit que « le droit des marchés publics est avant tout un «

droit de la concurrence » pour la distribution de la commande publique »368.

Mais ce raisonnement n’est cependant pas celui du Conseil de la concurrence369 qui applique

l’article 7 de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 (devenu depuis l’article L 420-1

du Code de commerce). On peut se demander, dans ces conditions, si l’attitude du juge

administratif a un avenir ? Depuis peu, en effet, le Conseil d’Etat a accepté de contrôler sur le

fondement du droit interne de la concurrence les contrats publics370. Que le juge administratif

accepte que le droit de la concurrence investisse le code des marchés publics et la question du

seuil des marchés publics, particulièrement ceux de procédure, deviendra alors que très

secondaire371.

* * *

L’actuel code des marchés publics, et plus singulièrement son article 27, ne semble donc pas

avoir été rédigé pour s’installer dans la durée372. Tout d’abord, et cela a été abondamment

367 Voir en ce sens Michel GUIBAL : « Droit des marchés publics » JCP Entreprise et affaires n° 35, 2000, page1323. Sur un mode quelque peu différent : « Le Code des marchés publics, plus qu’un code de la concurrence,est un code de la consommation, et probablement le premier du genre compte tenu de son ancienneté ». Voir ence sens Michel BAZEX : « Le Conseil de la concurrence et les marchés publics » AJDA 1994 page 103.368 Voir LAMY Droit public des affaires (sous la direction de Lucien RAPP et Philippe TERNEYRE) 2001 n°2082.369 Concernant le contrôle des ententes anticoncurrentielles, le Conseil de la concurrence a rendu en 1996 sur lefondement de cette disposition 16 décisions portant sur la passation de marchés publics. Voir LAMY Droitpublic des affaires (sous la direction de Lucien RAPP et Philippe TERNEYRE) 2001, n° 1993.370 Voir CE Section 3 novembre 1997 n° 169907, Société Million et Marais , GAJA 12ème édition Dalloz 1999,pages 816 et suivantes ; Voir CE Section 26 mars 1999 n° 202-260 Société EDA AJDA 1999 p. 247, concl. J.-HStahl, note M. Bazex. S’agissant du droit des marchés publics, on renverra au jugement rendu par le TribunalAdministratif de Rouen. Voir TA Rouen 28 avril 2000 Entreprise Jean Lefebvre Normandie, AJDA 2000 page842, note C. BRECHON-MOULENES.371 Voir en ce sens Florian LINDITCH : « Le droit des marchés publics » Dalloz / Connaissance du droit, 2ème

édition 2002, page 77. « Il semble donc que dans un proche avenir l’on pourra voir le juge administratifcondamner pour entente la personne publique qui, pour rester en deçà des seuils rendant obligatoire la mise enconcurrence, fractionne sa commande en deux marchés … ou encore convainc le titulaire du marché d’en sous-traiter une partie importante à des entreprises locales (voir par exemple CE 29 juillet 1998 Commune deLéognan) ». Et encore (page 78) « il faut donc espérer que la jurisprudence Million et Marais permettra demettre fin à l’immunité des personnes publiques résultant de la solution antérieure. Immunité d’autant plusinacceptable que la compétence exclusive du Conseil de la concurrence ne permettait jusqu’alors que depoursuivre l’entreprise titulaire du contrat (au titre de l’abus de position dominante), alors que les clausesfigurant dans le contrat avaient bel et bien été acceptées par la collectivité publique elle-même, et pouvaientmême avoir été introduites à son initiative. La logique contractuelle la plus élémentaire doit donc pouvoir enfinêtre respectée. Elle veut en effet que les deux parties (et plus seulement le cocontractant de l’administration)soient également tenues pour responsables des effets anticoncurrentiels du marché qu’elles ont passé ensemble».372 Sur les carences du nouveau code, voir le commentaire de F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Unnouveau code pour les marchés publics » Contrats et marchés publics avril 2001 page 6.

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relevé, le code n’a pas été l’œuvre du Législateur. Par suite, les questions concernant les

collectivités territoriales n’ont pas toutes été traitées. Les articles 34 et 72 de la Constitution

rendent l’intervention du Parlement nécessaire. Il n’est pas certain que le Conseil

constitutionnel admet aujourd’hui que la matière ne relève pas, dans la plupart de ses aspects,

du domaine législatif373. Les marchés publics sont d’une part des contrats qui en tant que tels

doivent être regardés comme des « obligations civiles et commerciales » au sens des

dispositions de l’article 34 de la Constitution ; ils affectent d’autre part « la libre

administration des collectivités locales » prévues aux articles 34 et 72 de la Constitution.

Ensuite, le droit des marchés publics reste un droit éparpillé, morcelé : des directives

communautaires, des lois éparses, comme la loi MURCEF374, la loi NRE375 ou la loi MOP376

ont pour objet cette matière. Au niveau communautaire, la commission européenne s’est

donnée pour mission d’unifier dans un futur proche les trois directives relatives aux travaux,

aux fournitures et aux services.

Pour finir, d’autres contrats administratifs, tels que, par exemple, les conventions de

délégation de service public viennent de faire l’objet d’une réforme377 sans que leur

modification soit l’occasion d’embrasser la totalité des contrats administratifs. Pour le coup, il

serait particulièrement bienvenu que la France se dote d’un Code des contrats publics378.

373 En effet, la jurisprudence Ordre des architectes du Conseil d’Etat confirmant l’habilitation faite par leLégislateur au Gouvernement d’intervenir en matière de marchés publics paraît de nos jours de plus en plusfragile du fait de l’importance prise par la jurisprudence constitutionnelle. Voir CE 29 avril 1981 AJDA 1981page 429 ou encore plus récemment CE 30 juin 1999 Département de l’Orne et Société Gespace France RecueilCE page 227.374 Cette loi comprend en effet un titre 1er qui est intitulé « Marchés publics, Ingénierie publique et Commandepublique ».375 Cette loi consacrée aux nouvelles régulations économiques a un spectre particulièrement large qui va du droitdes concentrations économiques au droit des sociétés. Voir Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001.376 La loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrised’oeuvre privée.377 La loi MURCEF consacre son article 3 à la définition de la délégation de service public.378 Voir en ce sens Laurent RICHER : « Droit des contrats administratifs » LGDJ 2ème édition 1999 page 314 ; Etl’auteur de conclure « Force est de constater que les améliorations viennent souvent du législateur. Verrons-nous en France une Loi sur le contrat administratif ? ». Voir la conclusion générale de Laurent RICHER : «Droit des contrats administratifs » LGDJ 2ème édition 1999 page 525.

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Luc SAÏDJ : « Finances publiques » Dalloz 3ème édition 2000

II – Ouvrages spécialisés, thèses :

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sous la direction de Stéphane BRACONNIER

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LAMY : « Gestion et finances des collectivités locales » 2000

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CODE DES JURIDICTIONS FINANCIERES (par Matthieu CONAN, Alain DOYELLE,

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CODE DES MARCHES PUBLICS (par François LLORENS, Pierre SOLER-COUTEAUX,

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CODE DES MARCHES PUBLICS (par Michel GUIBAL, avec la collaboration de Nicolas

CHARREL) Le Moniteur 2001

CODE GENERAL DES COLLECTIVITES TERRITORIALES (sous la direction de Jean-

Claude DOUENCE) Dalloz 2001

III – Articles :

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LE CONTROLE DU DEPASSEMENT DU SEUILDES MARCHES PUBLICS

Introduction

CHAPITRE I – LE PASSAGE D’UNE CONCEPTION JURIDIQUE DE

LA COMPUTATION DU SEUIL DES MARCHES PUBLICS

Section I – UNE DEFINITION INADAPTEE

A – Une définition simple

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1 – Une définition « administrative »

a - Une interprétation administrative

b - La théorie des « trois mêmes »

2 – L’autorisation de dépassements

a - Les dépassements minimes

b - Les dépassements imprévisibles

B – Une définition irréaliste

1 – Les conditions tenant aux parties au contrat

a - La notion d’acheteur

b - La notion de fournisseur

2 – Les conditions tenant à la prestation prévue au contrat

a - La nature de la prestation

b - Le cadre temporel de la prestation

Section II – DES CONSEQUENCES DANGEREUSES

A – Pour le comptable public

1 – Le contrôle des comptes du comptable public

a - L’obligation de reddition des comptes

b - La sanction : la mise en débet

2 – Le contrôle du dépassement du seuil par le comptable public

a – L’avènement de la jurisprudence Soldevilla

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b – Les adaptations de la jurisprudence Soldevilla

B – Pour l’acheteur public

1 – Une sanction administrative introuvable

a - La nullité des marchés

b - Une nullité imparfaite

2 – Une sanction extérieure au code des marchés publics

a - Une sanction ineffective : le droit public financier

b - Une sanction efficace : le droit pénal

CHAPITRE II – A UNE CONCEPTION ECONOMIQUE DE LA

COMPUTATION DU SEUIL DES MARCHES PUBLICS

Section I – UNE REFORME AMBITIEUSE

A – La naissance d’une double obligation

1 – L’obligation de prévision des besoins

a – Une obligation préalable

b – Une obligation précise

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2 – L’obligation de détermination des marchés

a – La répartition tripartite des marchés

b - La situation des marchés complexes

B – La computation du seuil des différents marchés

1 – Les marchés de travaux

a – La notion d’opération

b – La notion d’ouvrage

2 – Les marchés faisant référence à une nomenclature

a - Les marchés de fournitures

b - Les marchés de services

Section II – UNE REFORME INAPPLICABLE

A – L’avenir de l’article 27 ?

1 – Un outil complexe

a – La non résolution des questions anciennes

b – L’apparition de problèmes nouveaux

2 – Un contrôle juridictionnel impossible

a – Pour le juge administratif

b – Pour le juge financier

B – L’avenir de l’article 28 ?

1 - La fin des marchés sans formalités préalables

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a - Par le recours aux procédures formalisées

b - Par le recours au groupement des commandes publiques

2 - L’avènement du droit de la concurrence

a - Par l’article 1er du nouveau code des marchés publics

b - Par l’ordonnance du 1er décembre 1986

Conclusion