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UNIVERSITE Lille II-Droit et santé Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales MEMOIRE de D.E.A, D.E.A Droit et Justice, mention Justice. Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat Au XVIIIe siècle A partir d’une sentence de l’officialité de Cambrai de 1750 Par Emmanuel Leprohon Directeur de mémoire : M. Tanguy Lemarc’Hadour année2000-2001

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UNIVERSITE Lille II-Droit et santé

Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales

MEMOIRE de D.E.A,

D.E.A Droit et Justice, mention Justice.

Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat

Au XVIIIe siècle

A partir d’une sentence de l’officialité de Cambrai de 1750

Par Emmanuel Leprohon

Directeur de mémoire : M. Tanguy Lemarc’Hadour année2000-2001

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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SOMMAIRE :

Chapitre I le déroulement d’un procès devant l’officialité

Section I L’instruction

Section II le jugement

CHapitre II L’intervention du pouvoir royal

Section I/ la procédure de l’appel comme d’abus

Section II/ L’opposition du Parlement de Flandre au Parlement

de Paris

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Tout au long de son histoire jusqu'à la révolution, la France a vu s'opposer deux

puissances judiciaires, l'Etat royal et l'Eglise. A travers un arrêt de l'officialité de

Cambrai nous allons essayer de montrer les relations, parfois difficiles, entre l'Eglise et

le pouvoir royal en matière de juridiction pénale.

Il s'agit, en fait, d'étudier comment la justice du Roi, justice temporelle, va

prendre le pas sur la justice d'Eglise, justice spirituelle.

La justice d'Eglise a ses origines dans les premiers temps du christianisme. En

effet, entourés de païens, les chrétiens avaient pris l'habitude de régler entre eux leurs

différends. La justice d’Eglise répondait au conseil des Ecritures : « Réglez vos

différends entre vous » et donc à la nécessité, apparue de bonne heure dans des

communautés soucieuses de faire respecter les règles établies, de disposer d'une

instance pour les rappeler et en imposer l'observation.

On entend par justice d'Eglise, la justice qui appartient en propre à l'Eglise, non

pas des juridictions seigneuriales appartenant à des seigneurs ecclésiastiques. Depuis le

début du 4ème siècle, avec la reconnaissance du christianisme par l'empire romain1 et la

prise en compte de ses institutions, la juridiction épiscopale fut reconnue par l'Etat, prêt

à lui porter assistance en assurant pour sa part l'exécution des sentences. Sa compétence

alla en s'élargissant, qu'il s'agisse de la juridiction du mariage et la vie familiale ou la

répression d'infractions qui étaient à la fois des manquements à la morale chrétienne et

des troubles à l'ordre public.

Par la suite, l'Empire chrétien reconnut aux évêques une juridiction arbitrale. Les

tribunaux ecclésiastiques de droit commun fonctionnent, eux, d'une autre manière. Pour

être efficace, cette justice devait être exercée par l'Autorité.

L'évêque est le juge ordinaire de son diocèse (il est le berger de son troupeau), il

délègue son pouvoir de juger à un clerc instruit en droit canon et en droit romain,

l'official qui préside un tribunal appelé l'officialité. Les décisions de ce tribunal sont

jugées en appel par l'officialité métropolitaine, dont les jugements sont susceptibles de

recours devant la juridiction pontificale, la Rote2.

1 Constitution de Constantin, 3182 La salle où siégeaient les juges était en forme de roue

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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La procédure appliquée est de type romain. L'official exerce une juridiction en

matière religieuse, disciplinaire, civile et répressive.

Les liens étroits qui s'instaurèrent entre l'Eglise et la société politique à l'époque

carolingienne ne purent que servir le développement de la juridiction ecclésiastique.

Avec la ruine de l'ordre carolingien et de sa justice, dans l'attente de nouvelles structures

politico-sociales, l'Eglise et ses institutions subsistent seules ou presque.

La justice d'Eglise va donc connaître un temps d'essor aux 11e et 13e siècles.

Pendant le « 1er moyen-âge », la juridiction ecclésiastique croît en importance.

Des données multiples favorisent son développement :

1. Absence de rivaux dangereux : Princes et seigneurs, à quelques exceptions

près, sont peu soucieux du droit. Ils légifèrent peu, laissent à la coutume le soin de

façonner des règles, juger ne les intéresse guère.

2. Des données positives servent les justices d'Eglise : Elles sont en général

assez proches; L’évêque est au chef lieu du diocèse. Souvent elles viennent aux fidèles,

lors des visites pastorales de l'évêque ou de ses archidiacres. Ses juges appliquent un

droit, celui que leurs fournissent canons conciliaires, statuts épiscopaux et les décrétales

pontificales. En cas de lacune du droit canonique, le droit romain, que plusieurs de ses

clercs ont étudié, fournit un complément.

Plus instruits, mieux préparés à leur tâche, les juges d'Eglise ont, peut être plus

que les autres, le sens de leur devoir. Dire le droit et rendre la justice font partie de leur

« ministère »3.On peut espérer d'eux, connaissance, disponibilité, sens de la justice.

Enfin, la justice d'Eglise est mieux organisée. Des textes, hérités de la Rome

antique, lui ont fourni les éléments d'une procédure romano-canonique (droit des

preuves, voies de recours, assistance judiciaire).

La juridiction ecclésiastique est d'abord compétente à l'égard des membres du

clergé. Ceux-ci échappent, en principe, aux juridictions séculières. Il en est de même

pour les croisés, les veuves et les étudiants.

3 Au sens fort du terme, c’est à dire que rendre la justice est pour eux une vocation.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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A côté de cette compétence rationae personnae, les tribunaux ecclésiastiques

jouissent d'une compétence rationae materiae, à raison de l'objet du litige. Les cours

épiscopales ont une connaissance exclusive de tout ce qui touche aux biens d'Eglise, aux

sacrements : Mariage, fiançailles, légitimité des enfants, séparation de corps, les

problèmes de dot et de douaire, ainsi que de l'exécution des conventions confirmées par

serment ou celles des testaments.

L'Eglise veut connaître des manquements à sa loi qui relèvent des devoirs de la

vie religieuse. Il peut s'agir de questions où elle est seule intéressée et dans ce cas, la

compétence du juge ecclésiastique n'est pas contestée. Mais il s'agit aussi, assez

souvent, de questions mixtes, qui intéressent à la fois l'Eglise et la société séculière, le

meilleur exemple étant celui de l'appréciation de la validité du mariage. Ici les conflits

de compétence iront en se multipliant, lorsque les juges royaux se montreront soucieux

de contrôler tous les aspects de la vie sociale.

La juridiction épiscopale est normalement assurée par un agent spécial, l'official.

C'est un délégué de l'évêque qui juge en son nom4.

Paul Fournier5 montra, dès 1880, que l'official se rencontre dès la seconde moitié

du 12e siècle et que la complexité du droit et de la procédure, conséquences de la

renaissance du droit romain, expliquait l'apparition des officiaux.

Au milieu du 12e siècle, les évêques se font remplacer dans leur curia par un

délégué temporaire qui statue avec quelques assesseurs. Les textes le signalent sous le

nom d'officialis. L'official, juge ordinaire, est attesté pour Reims en 1182 et 1198. A

Paris, on trouve deux officiaux en 1205 ; à Arras, un seul official en 1210. L'énorme

diocèse de Cambrai a trois officiaux au début du 13e siècle.

4 Dans la Bulle Romana ecclesia, Innocent IV les définit : qui generaliter de causis ad ipsorum(episcoporum) forum pertinentibus eorumdem vices supplendo cognoscant… unum et idem consistoriumsive auditorium (cum episcopis constituentes).

5 Les officialités au Moyen-Age, Paris, 1880

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Le développement des officiaux et même, dans certains diocèses, leur création,

furent stimulés par la constitution Romana ecclesia de 12466. L'organisation de

l'officialité demeure assez mal connue pour le 13e siècle, les plus anciens registres

d'officialité ne datant que du 14e siècle.

Concernant la justice royale, l'empereur carolingien s'était dit justicier. Le roi

capétien voulut faire de même. La mission du roi est de faire régner la justice dans tout

son royaume, d'assurer par ses juges son observation. Tâche impossible pour les

premiers capétiens dont l'autorité effective ne dépasse pas un modeste territoire. Mais le

projet subsiste et l'extension progressive du pouvoir royal sur le territoire en permet la

mise en œuvre. Assistée d'un personnel, qui lui aussi augmente, soutenue par ses

légistes, qui allèguent les textes romains et affinent les moyens d'intervenir, la royauté,

du 12e au 14e siècle, s'étend progressivement sur tout le royaume. De plus en plus la

justice du roi s'oppose aux tribunaux d'Eglise. C'est le début de cette lente entreprise que

sera la reconquête de la justice sur l'Eglise.

Avec Philippe le Bel, le conflit prendra tout son ampleur.

Il s'agit de voir sommairement la lente séparation de la royauté et de la papauté

romaine, c'est-à-dire l'émergence de ce que l'on a appelé l'Eglise gallicane, émergence

qui va permettre au pouvoir royal de mieux contrôler les juridictions ecclésiastiques.

A la fin du 13e siècle, le heurt de Boniface VIII et de Philippe le Bel marque un

moment décisif à partir duquel l'Eglise de France s'achemine vers un statut nouveau,

définitivement acquis au début du 14e siècle, elle prend rang d'Eglise gallicane

directement placée sous l'autorité royale.

Philippe le Bel et ses légistes veulent assurer l'indépendance d'un Etat qui

désormais s'affirme.

6 Cette constitution est un règlement important sur la juridiction ecclésiastique et la compétence desofficialités.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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De leur côté, Boniface VIII et ses conseillers restent fidèles à la doctrine de la

papauté depuis Grégoire VII. Sans distinguer entre temporel et spirituel, ils défendent la

supériorité du pape vis à vis des princes. Au plus fort du conflit, en 1302, l'envoyé du

pape affirme qui plus est que cette supériorité doit s'exercer dans le domaine temporel

aussi bien que spirituel, car le pape est « maître de toutes choses, temporelles et

spirituelles ». La volonté d'indépendance du roi, quant à elle, s'exprime clairement dès

la fin du 13e siècle7. Tout au long du 13e siècle, la compétence des juridictions

ecclésiastiques a été l'objet d'attaques plus ou moins vives de la part des juges royaux.

En réduire le domaine leur paraissait servir au mieux leur maître, étendre son autorité et

sa supériorité.

Le conflit bonifacien marquait la fin d'une époque et d'une certaine idée de la

papauté et des attributions de l'Eglise. La volonté d'indépendance de l'Etat français

s'affirmait, elle ne fera que croître. La querelle du roi et de la papauté concourt à

l'apparition d'une doctrine et d'une Eglise gallicanes.

La querelle ayant opposé Boniface VIII et Philippe le Bel a pour conséquence et

l'indépendance du roi dans l'exercice de son autorité temporelle et une certaine méfiance

du clergé du royaume devant la papauté.

Sur ces prémices se greffent deux événements, internes à l'Eglise universelle, qui

concourent à l'apparition de ce que l'on appelle l'Eglise gallicane.

Ø La restauration du « droit ancien » de l'Eglise

La crise du grand schisme d'occident (1378-1417) est née de l'élection

successive de deux papes (installés l'un à Rome, l'autre à Avignon). D'abord soutien

actif du pontife d'Avignon, le roi de France devant l'inanité des efforts déployés pour

résorber le schisme, s'engage plus avant.

7 Discours de Philippe le Bel aux envoyés du pape le 20 avril 1297 : « le gouvernement temporel de sonroyaume appartient au roi seul et nullement à un autre que lui ».

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Avec l'appui d'un concile d'universitaires et de dignitaires ecclésiastiques, il

décide en 1398 de ne plus reconnaître aucun pape. Durant cette soustraction

d’obédience, le clergé du royaume prend l'habitude de se tourner vers le roi pour

recevoir les bénéfices ecclésiastiques, lui verser des impôts.

Le schisme, cependant, n'est qu'un aspect de la crise générale de l'Eglise, selon

les clercs celle-ci doit se réformer. Aussi canonistes et théologiens invitent-ils les

princes temporels à procéder eux-mêmes à cette réforme. En France, le roi interviendra

au nom de l'ordre de l'Eglise rompu par les excès de la papauté. Les clercs comptent sur

le roi pour les affranchir des empiétements romains et rétablir le droit ecclésiastique,

celui des « anciennes libertés et franchises » de l'Eglise du royaume. Cette politique est

consacrée par deux ordonnances de 1407, considérées parfois comme l'acte de naissance

du gallicanisme. Le roi affirme « que lesdites églises et lesdits droits ecclésiastiques

doivent être ramenés à leur liberté ancienne, les y ramenons... ». On a alors féliciter le

roi d'avoir solennellement, par arrêt enregistré au Parlement, promulgué les anciennes et

légitimes libertés de l'Eglise gallicane.

Cette politique pourtant ne laisse pas d'être ambigu : à restaurer le « droit

ancien », à distendre les liens entre clergé et papauté, le pouvoir séculier n'en tire-t-il

pas profit pour mieux étendre son autorité sur l'Eglise ? . La Pragmatique Sanction de

Bourges répond ces questions.

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Ø La pragmatique Sanction de Bourges

En 1438, Charles VII met à profit les difficultés rencontrées à l'intérieur de

l'Eglise. Avec l'appui d'une assemblée d'ecclésiastiques réunis à Bourges, il introduit

dans le royaume, par ordonnance qualifiée de Pragmatique Sanction, les décrets du

concile de Bâle non sans les modérer.

Ce texte adopte les thèses du gallicanisme ecclésiastique en ce qu'en France, «

la puissance infinie et absolue du pape n'a point lieu » et qu'elle est maintenue dans les

limites de la législation conciliaire. C'est la mise en œuvre d'une politique gallicane par

laquelle le roi et le clergé s'accordent à réduire l'ingérence du siège romain dans le

gouvernement de l'Eglise de France, celle-ci est affranchie temporellement et

disciplinairement de la tutelle de Rome. La pragmatique ne laisse cependant pas au

clergé une pleine autonomie. A partir de 1438, le roi invoque le texte chaque fois qu'il y

trouve son compte, l'écarte dans le cas contraire. Des dispositions concernaient le droit

des sacrements (le mariage notamment), le mariage des clercs, le service du culte. Le roi

et les princes étaient autorisés à recommander certains candidats aux fonctions d'évêque

ou d'abbé. Ainsi libéré pour partie des interventions et des textes pontificaux, le clergé

de France passait largement sous contrôle du roi. Une « Eglise gallicane » s'instaurait.

Mais restait au roi à affirmer son autorité, notamment par rapport à la justice

ecclésiastique et pour ce faire revenir sur les prérogatives des tribunaux spirituels en

matière de justice, justice propre à l'Eglise qui regroupe le for interne ( juridiction

spirituelle ) et le for externe ( juridiction temporelle ).

Son pouvoir appuyé sur des structures gouvernementales et administratives, le

roi est peu à peu en mesure de regrouper les habitants du royaume et les forces

politiques sous ses prérogatives souveraines.

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« Grand débiteur de justice », le roi a pour office principal de la faire régner. En

ce domaine, il se heurte à d'autres traditionnels détenteurs de justice et notamment

l'Eglise, qui entravent l'affirmation de sa prérogative judiciaire comme le maintien de

l'ordre public royal. Cependant, sa prérogative devient peu à peu une réalité dans le

royaume.

Au 14e siècle, la justice du roi intensifie la lutte contre les officialités

diocésaines, qu'elle poursuit avec succès au 15e siècle. Le roi est redevable de cette

suprématie acquise à la persévérance de ses officiers et juristes comme à l'organisation

de ses cours de justice.

Il n'en alla pas de même dans toutes les régions, si dans le royaume de France,

les parlements gallicans avaient en grande partie dépouillé les juridictions

ecclésiastiques de leurs prérogatives judiciaires, les officiaux avaient gardé aux Pays-

Bas, selon la tradition des pays ultramontains8 une compétence étendue.

Notre étude nous a conduit à nous intéresser de plus près à l'officialité de

Cambrai, exemple unique de par sa nature puisqu' « [elle] réunit dans sa personne deux

titres incompatibles partout ailleurs : Celui de juge ecclésiastique du diocèse et de juge

civil ordinaire du Cambrésis »9. C'est un souvenir de l'époque féodale puisqu'en 1007,

l'évêque de Cambrai obtient de l'empereur Henri II une charte réunissant le pouvoir

temporel à son autorité spirituelle.

Cette situation est également liée à la promulgation aux Pays-Bas du concile de

Trente mais surtout des pouvoirs que l'archevêque a su conserver comme duc de

Cambrai.

Le plus ancien document où il est fait mention de l’official de Cambrai comme

juge civil est la loi portée en 1249 par l’évêque Nicolas, pour confirmer la loi Godefroi.

8 par opposition à ca que l’on a appelé les pays gallicans9 Guyot, répertoire de jurisprudence civile, criminelle, canonique, bénéficiale, tome 12,p364-365, Paris,1789.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Un acte du 22 janvier 1381, porte qu’une femme se pourvût devant l’official,

comme juge ordinaire, pour raison d’un douaire qu’elle prétendait sur une maison qui se

vendait à la justice du marché ; et que l’official, en cette qualité de juge ordinaire, fit

défense, sur certaines peines, à la justice du marché et aux échevins de passer outre à la

vente, au préjudice du douaire10.

L'évêché de Cambrai apparaît au 4e siècle, il dépend alors de l'Eglise

métropolitaine de Reims. En 1559 il est élevé au rang de métropole11, son territoire est

réduit mais l'Eglise de Cambrai est élevée au rang d'archevêché, son diocèse regroupe

quatre archidiaconés12, subdivisés en quinze décanats.

Pendant la révolte des Pays-Bas, l'archevêque perd son autorité temporelle, le roi

d'Espagne qui reprend la ville en 1595 ne lui restitue pas sa souveraineté sur le

Cambrésis.

Suites aux différentes guerres13 qui eurent lieu, le diocèse sera divisé en deux et

donc soumis à deux souverainetés différentes. Par le traité de Nimègue de 1678,

Cambrai et plus de la moitié du diocèse passe sous domination française, tandis que le

Nord du Hainaut reste espagnol. Jusqu'en 1713 et le traité d'Utrecht, le diocèse reste

coupé en deux avec le Hainaut et le Cambrésis français et le Hainaut autrichien.

Par l’avènement de Louis XIV, la France prend possession de ses régions. En

1677, la ville de Cambrai signe une capitulation, dans laquelle le roi de France s'engage

à respecter les privilèges locaux, il confirme les pouvoirs de l'official en matière

judiciaire.

10Ibid., p 36511 Par la réorganisation des diocèses des Pays-Bas par la bulle Super Universas.12 Le Cambrésis, le Brabant, le Hainaut et Valenciennes.13 Pendant presque 80 ans, de 1635 à 1713, le diocèse est fréquemment ravagé par les guerres qui sesuccèdent entre français, espagnols et impériaux.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Louis XIV confirma la juridiction de l’official, en accordant par l’article 13 de la

capitulation de Cambrai, « que la juftice feroit adminiftrée, comme elle l’avoit été ci-

devant par l’official, et officiers, tant de l’archevêque, que des chapitres, féodaux,

magiftrats et autres, ayant juridiction, ésquelles ils feroient maintenus, chacun à fon

égard »14.

En 1681, plusieurs difficultés s’élèvent au sujet de la manière dont l’official

exerce sa juridiction.

La contestation fut évoquée au conseil d’Etat, le procureur général du conseil

souverain de Tournai prétend que « l’official ne doit pas seulement être considéré

comme juge ecclésiastique puisqu’il exerce dans Cambrai et le Cambrésis, une

juridiction ordinaire au nom de l’archevêque […] »15

Dans un arrêt du 21 janvier 1682, le conseil d'Etat affirme : « Le sieur

archevêque de Cambrai et son official pourront connaître des affaires et jugements ainsi

qu'ils le faisaient avant la réduction de Cambrai à l'obéissance de Sa Majesté avec

défense (... ) aux juges de Sa Majesté de troubler ledit sieur archevêque ni son official

dans la juridiction qui lui appartient, dans l'étendue de la ville et diocèse de Cambrai. »,

le même arrêt porte que l’official sera tenu de justifier en tous actes et jugements qui

émaneront de lui, la qualité en laquelle il procédera, soit de juge ecclésiastique ou de

juge ordinaire, Louis XIV voulant qu’en cas d’appel de ses jugements en ladite qualité

de juge ordinaire, les « appellations » soient relevées et jugées au grand conseil

souverain de Tournai, et non ailleurs, « défendant à tous autres juges d’en connaître »16.

Dès lors on entrevoit assez facilement les conflits qui vont naître dans la région

du Cambrésis et opposant les juridictions royales et l'officialité de Cambrai.

C'est ce que nous nous proposons d’étudier à travers une affaire17, qui eut lieu en

1750 devant l’officialité de Cambrai, l’affaire Delwarde-Vaixin.

14Guyot, Répertoire de jurisprudence civile, criminelle, canonique, bénéficiale, tome 12, p365, Paris,1789.15 Ibid. p 36616 Ibid. p 36617 Archives Départementales du Nord, cote 5G 411.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Comment l'officialité exerce-t-elle sa compétence juridictionnelle ?

Quels vont être ses rapports avec le pouvoir royal ?

A travers l’affaire Delwarde-Vaixin, il est aisé d’étudier deux axes de l’histoire

des relations entre l’officialité et la justice royale.

Le premier axe est celui de la procédure, en effet l’officialité applique stricto

sensu l’ordonnance criminelle d’août 1670 faite à Saint Germain en Laye.

L’officialité agit comme une juridiction laïque, l’official va punir un crime

suivant l’ordonnance royale.

Le deuxième axe de réflexion est le sens de résolution du conflit, il s’agit

d’étudier la lutte contre les juridictions ecclésiastiques par le pouvoir royal. Lutte

moderne, puisque la royauté souffre de voir les compétences de ses juridictions, dans

une région privilégiée, le Cambrésis, en concurrence avec les juridictions

ecclésiastiques.

Mais au-delà de cette lutte on observe un second affrontement, au sein même de

la justice royale, entre le Parlement de Paris et le Parlement de Flandre, en effet

l’official va être confronté à deux arrêts du Parlement de Paris le déclarant incompétent

à poursuivre les prévenus. C’est le Parlement de Flandre qui va venir au secours de

l’official de Cambrai en déclarant nuls et incompétements rendu les arrêts rendus par le

Parlement de Paris, bien plus, le Parlement de Flandre va entériner la solution de

l’official par un raisonnement jurisprudentiel qui mérite d’être développé, ce que nous

feront par la suite.

Nous étudierons donc, dans un premier temps le déroulement du procès dans

l'affaire Delwarde-Vaixin devant l'officialité de Cambrai (Chapitre I), avant de voir

quelles sont les relations de l'officialité avec le pouvoir royal tant dans l'exécution des

sentences que dans la procédure de l'appel comme d'abus (Chapitre II).

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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CHAPITRE l : le déroulement d'un procès devant l’officialité

Les prévenus Delwarde et Vaixin sont poursuivis pour concubinage par le

promoteur qui veut les emprisonner. Or ils déclarent s'être unis devant un ministre

protestant.

Par l'intermédiaire de cet arrêt, il est intéressant d'observer comment

1'instruction d'une affaire par l'officialité se déroule (section I), et de voir la sentence

prise contre les prévenus pour avoir bafoué le sacrement du mariage (section II).

Section l : L'INSTRUCTION DE L'AFFAIRE

Comme dans tout procès criminel, l'affaire est d'abord instruite par celui qui joue

le rôle du ministère public au sein de l’officialité, le promoteur. C'est lui qui en l'espèce

est à l'origine de l'instruction. Il convient donc d'étudier la place que tient ce personnage

dans l'instruction ( I ) avant d'étudier l'instruction elle-même ( II ).

l/ Le promoteur, personnage central de l'instruction

Le premier archevêque, Maximilien de Berghe avait doté en 1564 son officialité

d'un statut.

Le premier concile provincial de Cambrai réuni en 1565 souhaita que tous les

tribunaux ecclésiastiques de la province adoptent le même style de cour.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Malheureusement les troubles que connurent les Pays-Bas ainsi que les diverses

susceptibilités ne permirent pas cette réalisation.

Lors du 3e concile provincial de 1631, l'archevêque Van Den Burch relance la

proposition qui est acceptée. En 1634, le statut des cours ecclésiastiques de la province

de Cambrai est notifié et publié. L'official, prêtre licencié en droit ou théologie,

chanoine du chapitre cathédrale, est choisi par l'archevêque pour présider l'officialité.

Il siège en habits, prononce et signe lui-même les sentences et doit tenir

personnellement un registre des causes. Tous les officiers de la cour, dont les principaux

doivent être licenciés en droit, sont placés sous son autorité.

A. l'apparition du promoteur

Du fait de l'évolution de la procédure l’évêque a, de toute évidence, très tôt

délégué à une tierce personne le soin de promouvoir les enquêtes et de les poursuivre.

Dans l'affaire Delwarde-Vaixin, c'est le promoteur de l'officialité qui est le

requérant. En effet, informé qu'un couple, parents au deuxième et troisième degré de

consanguinité, se déclarent légitimement mariés devant un ministre de la religion

prétendument réformée, vivent et demeurent ensemble, le promoteur va demander à

l’official l'autorisation d'instruire l'affaire et de sanctionner les accusés.

L'official au fil du temps a donc délégué au promoteur le soin de promouvoir les

enquêtes puis les poursuites.

A Reims, Edouard Fournier18, a pu déceler les étapes de l'officialisation du

promoteur de justice. En 1269, un mémoire détaille le fonctionnement de l’officialité et

de son personnel.

18 L’Eglise et les origines du ministère public, mémoire de l’Académie d’Arras, 3e série, t.XII, 1933, p3-30, puis de façon plus développée dans L’origine du vicaire général.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

17

Il comprend un registrator, dont une des missions consiste à punir les

délinquants. Il a la charge de mettre en œuvre l'action de l'official pour tous les cas qui

parviennent la cour.

En 1329, à Reims toujours, un nouveau personnage est apparu, le procurator

curie ad excessos corrigendos deputatus, le procureur de la cour chargé de corriger les

abus. C'est entre 1269 et 1286 qu'est apparu ce procureur. Il semble bien qu'il ait lui-

même désigné, en cas d'empêchement, un ou des promoteurs pour le remplacer, mais les

fonctions et les titres apparaissent identiques dès la seconde moitié du 14e siècle.

Au début du 14e siècle, on sait que le registrator a disparu des officialités, alors

que le promotor y joue un rôle important, poursuivant crimes et délits et se joignant le

cas échéant aux plaignants. Les promoteurs, en nombre variable, sont le plus souvent

choisis par l’official parmi les procureurs de la cour.

B/ le rôle du promoteur dans la procédure

Le promoteur joue un rôle actif. On le voit par exemple se constituer

« demandeur » contre un individu qui a frappé un prêtre, c'est à dire qu'il entend prouver

que les faits sont vrais. Il en est de même dans l'affaire étudiée Delwarde-Vaixin.

Le promoteur peut aussi vouloir poursuivre une instance que les parties veulent

abandonner, mais c'est l'official qui décide de la poursuite.

Devant l'officialité archidiaconale de Paris, les promoteurs au nombre de trois en

1434 et de cinq au 16e siècle, ont pour mission d' « aider l'official dans la connaissance

des délits et des crimes, [de] lui en permettre, par leurs recherches et la préparation des

affaires, une plus facile punition »19.

Ils jouent bien un rôle d'accusateur public, saisissant la justice ex officio. Ils

recherchent les infractions et leurs auteurs, dénonçant ceux-ci.

19 L.Pommeray, l’officialité archidiaconale de Paris aux 15e et 16e siècles. Paris, 1933, p.125 et s.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

18

Le promoteur intervient comme partie jointe ou de son propre chef.

Dans le premier cas, il assiste « pour l'intérêt de la justice »20 la partie et la

soutient sur le plan juridique et pour l'ensemble de ses demandes. Dans la seconde

hypothèse, qui nous intéresse ici, le promoteur agit seul, sa tâche est lourde, puisqu'il est

chargé d'enquêter afin d'établir les faits dont il demande la punition, puis de déposer les

résultats de l'enquête auprès de l'official, qui juge alors sa suffisance.

La fonction du promoteur est particulièrement nette dans deux procès célèbres,

ceux de la condamnation et de la réhabilitation de Jeanne d'Arc.

Dans la procédure conduisant à la condamnation, l'évêque Pierre Cauchon, qui

présidait le tribunal, avait décidé, avec les autres membres, de désigner des officiers

chargés de s'informer des faits et des paroles de Jeanne. Jean d'Estivet, chanoine de

Bayeux et de Beauvais, fut nommé à l'office de promoteur ou de procureur général de la

cause.

Il reçut solennellement pouvoir de « se présenter et de comparaître au cours du

procès et en dehors, de se constituer partie contre ladite Jeanne, de donner, transmettre,

administrer, produire et montrer des articles, interrogatoires, témoins, lettres,

instruments et autre genre de preuve, d'accuser et dénoncer, examiner et faire interroger,

de faire requérir et conclure dans l'affaire contre cette même Jeanne et d'exercer tout ce

qui, de droit ou de coutume, est connu comme relevant de l'office de promoteur ou de

procureur »21.

On retrouve le promoteur lors de l'ouverture du procès ordinaire.

Il propose alors un certain nombre d'articles contre Jeanne, il présente tout

simplement un réquisitoire.

Dans le procès en nullité de la condamnation, plusieurs promoteurs se succèdent

et jouent un rôle exactement inverse, intervenant comme partie jointe à la famille de

Jeanne.

20 ibid. p.484.21 J.Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, t.1, Paris 1841, p.7

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

19

On le voit, le promoteur occupe une place centrale dans le déroulement d'une

instruction devant l'officialité. En l'espèce, c'est lui qui est à l'origine des poursuites.

Pour qu’un péché devienne au regard de l’Eglise un crime ou un délit, il est

nécessaire qu’il se soit manifesté au for extérieur, condition de sa répression.

Les statuts de 1634 interdisent au promoteur de mener toute information contre

des personnes non diffamées22.

Les prévenus Delwarde et Vaixin, parents du deuxième au troisième degré de

consanguinité vivent ensemble, demeurent ensemble et déclarent publiquement qu'ils se

sont légitimement mariés à Tournai par-devant un ministre de la religion prétendument

réformée.

La poursuite du promoteur ne s’exerce en réalité qu’en raison du mauvais

exemple qu’exerçent sur le peuple chrétien les prévenus en « fournissant au prochain

l’occasion d’une ruine spirituelle » selon l’expression de saint Thomas.

Informé par le curé de la paroisse des accusés, le promoteur après une succincte

vérification des faits requiert qu’il soit accordé permission d’informer contre les

accusés. Celui-ci a recours à l'official.

Il déclare reprendre pour son office acte de la plainte et demande à l'official la

permission de faire informer du contenu de cette plainte. C'est l'official, dépositaire de

l'autorité juridictionnelle ecclésiastique, qui a donné permission au promoteur d'instruire

l'affaire.

Le scandale est la caractéristique ou du moins l’accompagnement habituel de la

faute publique : tout acte scandaleux sera de la répression des tribunaux au for externe.

Le promoteur affirme d’ailleurs que la situation a « provoqué un grand scandale

dans la paroisse » et même « dans les lieux circonvoisins ».

Pour instruire l’affaire, le promoteur, bien qu'élément central de la procédure,

n'est pas seul. Il a à sa disposition de nombreux auxiliaires.

22 Specialiter contra non diffamatos informationem fieri vertamus

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

20

L’officialité dispose en effet d'un appariteur, c'est lui qui tient le rôle de

l'huissier de justice de l'officialité.

Il rédige toute la procédure d'instruction, les assignations à comparaître et va

chercher les accusés afin de les amener devant le promoteur pour qu'ils soient entendus

comme témoins.

Ce personnage est présent tout au long de la procédure d'instruction, c'est lui qui

a la charge, par la rédaction de tous les actes, de garder une trace de la procédure.

L’officialité dispose également parmi ses auxiliaires de justice de commissaires.

La question se pose de savoir de qui dépend ce personnage du commissaire, dépend-t-il

de l’official ou reçoit –il ses instructions du promoteur ?

Il semblerait qu’il dépende uniquement du promoteur puisqu’en l’espèce, à

chacune de ses interventions, le commissaire rend compte de ses actes au promoteur qui

à son tour va en rendre compte à l’official, le commissaire ne contacte jamais

directement l’official. Il s’agit vraisemblablement plus d’un auxiliaire du promoteur

chargé de l’aider à mener à bien son instruction que d’un auxiliaire de l’official.

C'est devant ce personnage que vont être amenés et entendus les témoins de

l'affaire en l'espèce.

Le commissaire a un rôle d'audition des témoins, il est aidé en cela du greffier de

l'officialité, chargé de rédiger les actes d'audition dans une langue que comprennent les

témoins.

Enfin même si dans les faits le promoteur est l'élément central de la procédure en

l'espèce, il ne faut pas oublier le rôle primordial joué par l'official lui-même. C'est lui le

délégué de l'évêque, c'est sur lui que l'évêque s'est déchargé de sa fonction

juridictionnelle.

L'official, même s’il reste en retrait, prend part à l'instruction à tous les niveaux.

Il est le juge ordinaire de l'officialité, c'est lui qui est à l'origine de tous les actes de

procédure puisque le promoteur est obligé de lui faire part des actes qu'il entend faire.

De plus, seul l'official a le pouvoir de permettre au promoteur d’exécuter ces

actes.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

21

Reste que dans les faits que nous avons été amenés à étudier c'est le promoteur

qui est le « moteur » de la procédure.

Il en est à l'origine. Il va en outre être présent tout au long de l'instruction

puisque c'est lui qui va donner des directives aux différentes composantes de l'officialité

afin de mener à bien cette instruction.

II/ LE DEROULEMENT DE L'INSTRUCTION

On l'a vu, le promoteur va reprendre pour lui les plaintes qu'il a reçu, il intervient

donc auprès de l'official de son propre chef, c'est à dire ex officio. Il est donc chargé

d'enquêter afin d'établir les faits dont il demande la punition.

Le promoteur demande à l'official la permission de faire informer du contenu de

la plainte.

Ayant reçu l'accord de l'official, le promoteur peut alors ouvrir l'instruction de

l'affaire. Il est libre, semble-t-il, d'instruire l'affaire comme il l'entend, il n'a pas à

répondre de ses actes devant l'official. Simplement pour tout acte demandé, le

promoteur doit recevoir l'aval de l'official, autorisation qu'il recevra chaque fois en

l'espèce.

Dans l'affaire Delwarde-Vaixin, le promoteur va demander à l'appariteur de

rédiger les assignations à comparaître des différents témoins à même de corroborer la

rumeur publique et les dires des prévenus qui se prétendent légitimement unis malgré

leur empêchement mariage. En l'espèce, le promoteur, Louis-Nicolas Roseleun,

demande l'assignation à comparaître de six témoins.

L'appariteur de l'officialité, A.J Boidin, porte aux domiciles des différents

témoins les assignations à comparaître. Les témoins sont alors priés de se présenter à

l'officialité sous huitaine pour y être entendu par le commissaire de l'officialité.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

22

Pour récolter les différents témoignages le commissaire est aidé dans sa tâche

par le greffier de l'officialité, en charge de rédiger les dires des témoins dans une langue

qu'ils connaissent.

La procédure d'audition est stricte, chaque témoin doit présenter son assignation

au commissaire avant de pouvoir répondre aux questions posées. Une fois l'assignation

présentée, les témoins doivent prêter serment devant Dieu de dire la vérité. Chaque

déposition une fois terminée, est signée de la main du greffier, de la main du

commissaire et de la main du témoin qui vérifie ainsi la véracité de la transcription par

écrit de ses dires.

En l'espèce, chaque témoin y va de ses observations sur le couple Delwarde-

Vaixin.

J.Bauduin, cabaretier à Quiévry, affirme que les personnes Delwarde et Vaixin,

habitent ensemble, prétendent être mariés malgré leur troisième degré de consanguinité

et de plus n'approche plus de l'église paroissiale depuis leur mariage, ce qui choque

ostensiblement les catholiques.

Locquet, fermier, affirme connaître les prévenus, savoir qu'ils sont parents et dit

que d’après la rumeur publique ils se sont mariés devant un ministre du culte protestant.

Dhollande, marchand de bestiaux, abonde dans le même sens ainsi que

Deladoeuille, tailleur d'habits.

L’officialité de Cambrai, en tant que juge criminel, respecte l’ordonnance

criminelle de 1670 quant à l’audition des témoins et respecte la procédure à appliquer.

Cette procédure est conforme aux articles 4, 5, 9 et 11 du titre 6 intitulé « des

informations »23

Chaque témoin répond à une série de questions préalablement précisées.

Il semble que le promoteur, ce qui serait assez logique, ait précisé au

commissaire de l'officialité les questions auxquelles il voulait que les témoins répondent

pour affirmer ou infirmer la plainte sur la base de laquelle il a ouvert l'instruction.

23 Isambert, Ducrusy et Taillandier, recueil des anciennes lois françaises, tome 18, p. 381 et 382, Paris,1829.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

23

On le voit, il y a une procédure très stricte qui accompagne l'audition des

témoins, il y a, sous-jacent, une volonté de garantir à l'accusé la possibilité de se

défendre comme nous le verrons plus tard.

Après l'audition des témoins, le rapport écrit de l'audition, rédigé par le greffier

est transmis au promoteur qui va alors se mettre à rédiger ce que l'on peut appeler

« l'acte d'incrimination ».

D'après les conclusions du promoteur, les personnes Delwarde et Vaixin sont

accusées de concubinage incestueux avec scandale.

A. les faits reprochés

Ø l'empêchement de parenté

Elevé à la dignité de sacrement, le mariage devient au moyen-âge de la

compétence législative et judiciaire de l'Eglise. Les questions matrimoniales furent

parmi celles où la compétence ecclésiastique s'est étendue le plus largement. L'époque

décisive à cet égard fut la fin du 11e siècle ; à cette époque de prépondérance de la

juridiction ecclésiastique, l'exercice du monopole judiciaire pose l'établissement du

monopole législatif.24

La compétence ecclésiastique, en matière de divorce et de séparation de corps

avait été affirmée par Réginon de Prüm au 10e siècle, puis par les conciles de Reims de

1049 et de Lillebonne de 1080. Le concile de Tours de 1060 prévoit le contrôle

épiscopal des séparations pour consanguinité. Alexandre II affirme la compétence de

l'évêque pour apprécier la parenté et, éventuellement, faire cesser l'union.

24 P.Daudet, L’établissement de la compétence de l’Eglise en matière de divorce et de consanguinité,Paris, 1941

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

24

La procédure de contestation de l'empêchement de parenté met en évidence le

rôle juridictionnel de l'évêque. Celui-ci seul est compétent.

Les institutions ecclésiastiques inférieures ne peuvent apprécier la parenté dont

la preuve est faite par un juramentum parentelae emprunté à la vieille procédure

synodale.

Le concile de Clermont de 1130 écarte comme suspectes les déclarations de

parenté émanant des époux ou des proches. Il n'admet que celles des tiers. On

s'achemine ainsi vers l'accusatio publica que connaîtra le droit canonique classique.

L'évêque intervient soit avant le mariage pour en empêcher la célébration, soit après,

pour faire cesser la vie commune.

En l'espèce, c'est bien l’accusatio publica qui alerte le promoteur et le décide à

agir contre les prétendus époux Delwarde-Vaixin.

Bien que ce ne soit plus l'évêque qui soit compétent exclusivement, en raison,

comme il a été dit, de l'évolution des procédures qui l'a conduit à se décharger de ses

compétences juridictionnelles sur l'official, la solution n'est pas très différente puisque

l'official est seul compétent pour apprécier la validité d'un mariage et les éventuels

empêchements qui l'accompagnent.

Du fait de l'existence de cet empêchement de parenté les prévenus sont donc

accusés de concubinage incestueux, et comme l'officialité a été prévenue par le biais de

son promoteur par l’accusatio publica, le concubinage incestueux est déclaré avec

scandale.

Il s’agit nettement d’une poursuite criminelle, contre un crime qui est l’inceste.

Il s’agit d’un crime que Guy de Rousseaud de la Combe qualifie de crime de luxure25.

« L’inceste est un crime qui le commet par la conjonction entre personnes

parents ou alliées, jusqu’à certains degrés, parmi ceux qui sont déterminés par les lois

civiles et canoniques sur les empêchements du mariage »26.

25 Guy du Rousseaud de la Combe, Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août1670, p 32, Paris, MDCCLIII26 Ibid.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

25

Nous nous trouvons ici dans le cadre d’un crime mixte qui est de la compétence

des deux juridictions, ecclésiastique et royale.

La juridiction ecclésiastique est donc compétente.

L’official agit ici en tant que juge criminel, l’accusation portée contre les

prévenus est une accusation criminelle au sens de l’ordonnance de 1670.

Il s'agit ici d'une intervention de l’officialité à posteriori puisque le mariage a

déjà été célébré, les personnes Delwarde et Vaixin s'étant déplacés à Tournai pour voir

leur union célébrée.

C'est là que se situe le deuxième grief fait à l'union des prévenus.

Ceux-ci sont allés s'unir à Tournai devant un ministre de la religion

prétendument réformée.

Ø La lutte contre le protestantisme

Outre le fait que les prévenus soient parents au troisième degré de parenté, ils

sont, en outre, allés devant un ministre du culte protestant bénir leur union, ce qui n'est

pas du goût de l'officialité de Cambrai et de l'Eglise catholique en générale.

Le protestantisme est né d'un mouvement révolutionnaire du 16e siècle dans

l'Eglise chrétienne d'occident, qui met fin à la suprématie du pape et aboutit à la création

des églises protestantes.

En France, depuis 1516, un concordat entre le roi et le pape avait placé l'Eglise

française en grande partie sous l'autorité royale.

Depuis le 13e siècle, la papauté s'était affaiblie en raison de l'avidité, de

l’immoralité et de l'ignorance de beaucoup d'ecclésiastiques à tous les niveaux de la

hiérarchie.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

26

L'installation des papes en Avignon au 14e siècle, puis le grand schisme

d'occident porta un coup sévère à l'autorité de l'Eglise. Le clergé reconnaissait la

nécessité d'une réforme.

La réforme pénétra en France au début du 16e siècle sur l’initiative de Lefèvre

d'Etaples.

Les membres de cette première Eglise protestante nationale en France étaient

appelés huguenots. Malgré tous les efforts déployés pour les supprimer, leur nombre

s'accrut considérablement et la division de la France en deux camps entraîna les guerres

de religion (1552-1598). Grâce à Henri IV et l'édit de Nantes de 1598, les protestants

eurent droit à certaines libertés. Cet édit fut révoqué par Louis XIV en 1685, et le

protestantisme banni du royaume.

Le principal grief semble-t-il que l'Eglise catholique avait à faire aux protestants

était qu'ils prônaient une religion fondée sur la foi individuelle, guidée par les

enseignements de la Bible,la Bible étant l'unique source d'autorité morale.

Les protestants s'efforçaient aussi d'éliminer de la religion tout ce qui n'était pas

spécifiquement prescrit dans les Ecritures. L'Eglise catholique a alors dû se sentir

menacer dans ses prérogatives, elle qui avait su si bien préserver son essor jusqu'à

devenir une puissance quasi égale à celles des rois.

En l'espèce, les prévenus sont donc partis devant un ministre du culte protestant

pour se marier, ils se sont donc soustraits à l'autorité de l'Eglise catholique alors que

celle-ci, par le biais du prêtre de la paroisse de Quiévry avait refusé de les unir. Il s'agit

ici, semble-t-il, d'une volonté, de la part des autorités tant ecclésiastiques que royales,

de lutter contre la prolifération du protestantisme qui aboutirait à priver l'Eglise

catholique et à fortiori l’officialité de ses prérogatives.

Il faut ici distinguer la situation des Pays-Bas et de la France.

Si par l’intervention du roi Henri IV, les protestants étaient tolérés en France il

n’en été pas de même dans les anciens Pays-Bas espagnols, En effet le protestantisme y

était strictement interdit.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

27

Les autorités espagnoles et les populations étaient catholiques et farouchement

anti-protestants.

Dès lors ces populations, dans les capitulations des villes de cette région,

demandaient toujours un article exprimant leur volonté de ne pas tolérer de protestants

dans l’enceinte de leur ville.

Louis XIV dans les premières années de son règne avait maintenu les privilèges

accordés aux protestants par Henri IV.

Par suite, et par un changement de position controversée27, Louis XIV reviendra

sur l’apport de son aïeul en prenant toute une série de dispositions contre les protestants

puis pour finir par révoquer purement et simplement l’édit de Nantes.

Tout comme pour l’inceste nous sommes ici dans un cadre criminel. En effet par

une suite d’édits antérieurs à l’édit portant révocation de l’édit de Nantes (1598), daté

d’octobre 1685, le roi va réduire les libertés des protestants.

En juin 1680, Louis XIV fait promulguer un édit « portant défenses aux

catholiques, sous peine d’amende honorable et de bannissement perpétuel, de quitter

leur religion pour professer la R.P.R., et aux ministres de cette religion de les recevoir

en religion »28. Louis XIV affirme que « […] nous voyons souvent avec déplaisir que

des catholiques se prévalent eux-mêmes de la concession de cette liberté pour passer en

la R.P.R., contre nos intentions et celles desdits rois nos prédécesseurs, à quoi le plus

souvent ils sont portés par séduction ou par l’intérêt imaginaire de leur fortune

particulière : Et jugeant important d’empêcher la continuation d’un si grand scandale,

sans néanmoins rien changer aux libertés et concessions accordées à ceux de ladite

R.P.R., […], voulons et nous plaît que nos sujets de quelque qualité qu’ils soient, faisant

profession de la religion catholique, ne puissent jamais la quitter pour passer en la

R.P.R. pour quelque cause que se puisse être. »29.

27 Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de français, collection pluriel chez Hachette, Paris, 1997, p183 et s.28 Isambert, Ducrusy et Taillandier, Recueil des anciennes lois françaises, tome 19, Paris 1829, p 250.29 Ibid.

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28

Par un autre édit daté de 1683, louis XIV interdit aux ministres de la R.P.R. de

recevoir les catholiques à faire profession en religion sous peine d’amende honorable et

de bannissement30, «[…] nous avons résolu d’y pourvoir en imposant auxdits ministres

une peine plus dure et plus sévère.

Savoir faisons, que pour ces causes, etc. ; voulons et nous plaît que les ministres

de la R.P.R. qui recevront à l’avenir aucun catholique à faire profession de ladite

R.P.R.ou les souffrirons dans les temples et prêches, et y recevront aussi aucuns de ceux

de ladite R.P.R. qui l’auront abjurée et embrassé la catholique, soient condamnés à faire

amende honorable et au bannissement perpétuel hors de notre royaume, avec

confiscation de tous leurs biens […] ».31

Enfin en octobre 1685 à Fontainebleau Louis XIV prend le dernier acte de sa

politique de « despotisme religieux »32 en révoquant l’édit de Nantes. Il y affirme que

« l’exécution de l’édit de Nantes, et de tout ce qui a été ordonné en faveur de ladite

R.P.R. demeure inutile […] »33. Dans son article premier, l’édit de Fontainebleau

énonce « Que la Religion Catholique, Apoftolique & Romaine foit feule exercéé dans

notre Royaume, Pays & Terres de notre obéiffance ; défendons à tous nos Sujets de

quelque état, qualité & condition qu’ils foient, de faire aucun exercice de Religion,

autre, que ladite Religion Catholique […] »34.

Le fait pour les prévenus de s’être unis pardevant un ministre de la R.P.R. et de

se proclamer eux-mêmes protestants est donc bien un crime punissable selon

l’ordonnance criminelle de 1670 tout comme le crime d’inceste.

C’est donc pour cela que les prévenus sont poursuivis par l’officialité de

Cambrai sur la base de ces deux griefs.

A partir de là les griefs ayant été expliqués à l'official par le promoteur, celui-ci

demande l'assignation à comparaître des prévenus pour témoigner.

30 Ibid, p. 419.31 Ibid.32 Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de français, op. cit.33 Isambert, Ducrusy et Taillandier, recueil des anciennes lois françaises, op. cit.34 Guy du Rousseaud de la Combe, Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août1670, p 592, op.cit.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

29

L'official charge, par l’intermédiaire du promoteur, le commissaire d'ouïr les

accusés au consistoire35 de l’officialité.

L'official prend alors un décret d'ajournement personnel contre les prévenus

Delwarde et Vaixin.

B/ la procédure elle-même

Dès lors que le décret d'ajournement personnel contre les personnes Delwarde et

Vaixin a été pris par l'official, l'appariteur a en charge d'assigner les accusés..

Ø Une instruction très formaliste

La procédure suivie devant l'officialité est une procédure héritée de la procédure

romano-canonique, ce qui veut dire qu'elle est très formaliste.

En effet, comme on va le voir par la suite, de nombreux actes jalonnent cette

procédure d'instruction.

Suite à l'assignation formulée par l'appariteur de l'officialité, les accusés sont

sensés comparaître sous huitaine devant le commissaire pour être entendus sur les faits

qui leurs sont reprochés. Mais les accusés font défaut à l'assignation qui leur est faite.

35 Longtemps, la justice de l’évêque fut rendue sur le parvis de l’Eglise ; Mais le trouble de cet usage le fitprohiber au 13e siècle et le tribunal siégea dans une salle du palais épiscopal qui reprit le vieux nom dutribunal impérial, le consistorium.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

30

Le promoteur va alors en informer l'official et lui demander qu'ils soient pris au

corps et conduits à la prison de l'officialité pour être ouïs et interrogés sur les faits qui

leurs sont reprochés. L'official ordonne alors que soient exécutées les conclusions du

promoteur, il transforme le décret d'ajournement en décret de prise de corps.

Il fait obligation aux accusés de s'y soumettre sous peine de voir leurs biens

saisis. L'appariteur de l'officialité va alors rédiger l'assignation de prise de corps.

L’officialité, juridiction ecclésiastique, est compétente pour ce qui relève du

mariage, sacrement. Mais cette juridiction a-t-elle la possibilité de contraindre les

prévenus à se présenter devant elle pour être auditionnés ? .

Il semblerait en l'espèce que oui, en effet suite au décret de prise de corps

ordonné par l'official, l'appariteur va se déplacer au domicile des accusés accompagné

de ses assistants pour les arrêter et les faire emprisonner. Une perquisition au domicile

des prévenus est même faite pour vérifier qu'ils sont bien absents, l'ordre est intimé au

nom de l'Eglise à la sœur du sieur Delwarde présente au domicile de laisser entrer

l'appariteur et ses assistants.

L'appariteur fait part de l'absence des prévenus à leur domicile au promoteur qui

en averti aussitôt l'official. L'official ordonne alors à l'appariteur de procéder à un

nouvel acte d'instruction. Il se rend alors, toujours accompagné de ses assistants, sur la

place du marché et par un cri public assigne à nouveau les accusés à comparaître.

Il renouvelle l'acte devant la porte principale de l'officialité et une nouvelle fois

devant le domicile des prévenus.

Du fait de l'absence de comparution des prévenus, le promoteur de l'officialité

requiert que « soit ordonné que les témoins ouïs en l'information devront être recoller

en leurs dépositions et que le recollement vaudra confrontation aux accusés ».

L'official l'ordonne et donne assignation aux témoins à comparaître au

consistoire de l'officialité pour être recollés en leur déposition contenue dans

l'information. L'assignation est faite par l'appariteur de l'officialité.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

31

Le recollement a lieu devant l'official Mutte lui-même. Il s'agit en fait de

demander aux témoins s’ils persistent dans leurs dépositions. Le formalisme est le

même que lors de leur audition (durée de 6 heures-signatures).

Suite au recollement, le promoteur requiert que la contumace soit déclarée bien

instruite contre les accusés et que lesdits Delwarde et Vaixin soient déclarés dûment

atteints et convaincus de s'être mariés par-devant un ministre de la religion

prétendument réformée en la ville de Tournai malgré l’incompétence de ce ministre et

l'empêchement public de consanguinité.

Ø Une instruction rapide

La procédure suivie devant l'officialité, en plus d'être très formaliste donc

protectrice des intérêts des différentes parties en présence, a aussi le mérite d'être

rapide. En effet la plainte du promoteur date du 4 septembre 1750, l'information est

tenue le 11 septembre 1750, le promoteur rend ses conclusions le 15.

Le décret d'ajournement personnel contre les accusés est pris le 16 septembre.

Ledit décret est signifié le 18. Le défaut est signifié au promoteur le 10 octobre

1750, celui-ci rend ses conclusions le 13. Le décret d'ajournement est transformé en

décret de prise de corps le 14, signifié le 22 octobre, le procès verbal de perquisition est

du 22 octobre.

Suite à la non-comparution des accusés, il ait procédé à une nouvelle assignation

par cri public du 1er janvier 1751, pour laisser aux accusés le temps de se présenter

devant l'official. Le clergé a la prétention de pouvoir faire citer un accusé, absent, par un

cri public et à « son de trompe » par l’autorité du juge d’Eglise.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

32

Il semble qu’il puisse le faire puisque cette forme de procédé était très ordinaire

chez les juges royaux et est conforme à l’article 8 du titre 17 de l’ordonnance criminelle

de 167036

Suite à l'absence de comparution des accusés, le promoteur rend ses conclusions

le 15 janvier. Le jugement du 26 porte que les témoins seront recollés et que le

recollement vaudra confrontation aux accusés, l'ordonnance est du même jour et

l'exploit d'assignation des témoins pour être recollés du 12 février. Le recollement a lieu

le 15 février 1751. Le promoteur rend ses conclusions définitives le 5 mars.

Il n’est généralement pas nécessaire d’user complètement de la procédure

extraordinaire pour obtenir les preuves nécessaires à la condamnation. L’official obtient

généralement assez facilement la soumission des accusés. Dans le cas contraire il

revendique le droit d’exercer la procédure extraordinaire avec recollement et

confrontation.

En l’espèce par l’absence des prévenus, l’official met en oeuvre cette procédure

extraordinaire comme il le fera au moment de leur arrestation où la procédure se

justifiera par l’opiniâtreté des accusés qui refusent d’avouer leur crime.

En tout l'instruction n'aura duré que six mois preuve que la procédure suivie

devant l'officialité de Cambrai est assez rapide en plus d'être très formaliste, il faut y

voir la volonté de ne pas vouloir voir bafouer le sacrement du mariage et laisser la

rumeur publique s'amplifier.

Suite donc à l'instruction, terminée le 5 mars 1751, l'officialité va rendre son

jugement contre les accusés Delwarde et Vaixin.

36 Guy du Rousseaud de la Combe, Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août1670, p.185, Paris, MDCCLIII.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

33

Section II : LE JUGEMENT

Le promoteur de l'officialité dans ses conclusions du 5 mars 1751 va demander

que les prévenus soient déclarés dûment atteints et convaincus de s'être mariés par-

devant un ministre du culte protestant en la ville de Tournai et de s'être considérés mari

et femme malgré l’incompétence de ce ministre et l'empêchement public de

consanguinité.

Malheureusement l'absence des prévenus à la procédure oblige l'officialité à

rendre une sentence par contumace ( I ). Suite au rendu de cette décision, se pose la

question du pouvoir de coercition de l'officialité en matière d'exécution de ses sentences

( II ).

I/ UN JUGEMENT PAR CONTUMACE

Le promoteur va jouer son rôle de ministère public et requérir contre les

prévenus des peines visant à les punir du trouble qu'ils ont commis.

A charge pour l'official de prendre les peines qui lui sembleront appropriées

pour réparer ce trouble.

Mais il ne pourra le faire, faute de comparution des prévenus, que par

contumace.

Comme en matière pénale, aujourd’hui, l'accusé devant l'officialité peut ne pas

être présent, il est alors jugé par contumace. En effet, il se peut que l'accusé se soit

soustrait à la main de la justice ou qu'il ne soit pas constitué prisonnier après le décret

de prise de corps.

La conséquence de l'absence de l'accusé a pour effet que la procédure n'a aucun

caractère contradictoire.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

34

On peut en voir les effets en l'espèce où le promoteur fait procéder au

recollement des témoins alors que les prévenus ne sont pas présents.

L’officialité va quand même, malgré l'absence des prévenus, rendre un

jugement37.

A/ Le prononcé du jugement

Le promoteur, après avoir demandé à l'official que la contumace soit déclarée

bien instruite contre les accusés, demande que ledit prétendu mariage soit déclaré nul et

fait « défense [ aux accusés Delwarde et Vaixin ] de se considérer comme mariés

ensemble et au curé de ce lieu d'enregistrer le baptême de leurs enfants si aucuns

naissent, autrement que comme des enfants incestueux et concubinaires ».

Le promoteur joue son rôle de ministre public de l'officialité et va requérir

contre les prévenus des peines visant à réparer le trouble commis. Il requiert que

l'accusé soit conduit en la maison des bons fils à Armentières, l’accusée en la maison

des repenties de Valenciennes pour y faire pénitence pendant six mois. Pendant ce

temps, tous les mercredis et vendredis ils jeûneront et se confesseront tous les quinze

jours et feront une confession générale pour se disposer à rentrer. Ils réciteront tous les

jours les sept psaumes de la pénitence et seront condamnés aux dépens.

L'official, en tant que juge ecclésiastique rend alors son jugement par contumace

sur les conclusions de son promoteur.

« La peine ecclésiastique bien que rétributive reste dans sa finalité primaire ou

secondaire, curative, réformatrice et perfectionnelle.La fin essentielle du droit pénal

canonique est l’amendement du coupable.

37 Voir annexe n°1.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

35

Le délinquant est un pécheur qu’il faut sauver »38.

Mais le délit est différent du péché dans la mesure où par le scandale qu’il

provoque, il trouble l’ordre social chrétien. Or il est du devoir de l’Eglise de protéger

l’ordre social et de le restaurer par la sanction prononcée. La peine ecclésiastique a,

comme les peines laïques, pour finalité de détourner les sujets de commettre des délits

par la menace des sanctions et l’exemple de leur application.

Pour assurer ces fins le juge disposait de peines vindicatives qui, sans exclure

l’amendement, visaient surtout la réparation du délit et l’intimidation du coupable. Le

juge disposait aussi de diverses pénitences tendant plus particulièrement à

l’amendement du coupable.

Mais le juge ecclésiastique ne doit punir que dans un esprit de mansuétude

comme le prescrivait le concile de Trente39 et les statuts de 1634 de l’officialité de

Cambrai, enjoignent de recourir à des peines modérées et que le juge choisira avec

discernement selon la qualité du crime et des personnes.

L’official prononce la nullité du mariage et la cohabitation qui s'en est suivie

incestueuse et concubinaire. Il décide la séparation immédiate des deux époux Delwarde

et Vaixin et décide que pendant deux mois ils seront conduits dans des maisons de piété

pour se remettre « dans les voies du Salut par la pratique de bonnes œuvres (...) et pour

y faire pénitence ».

Ils y effectueront une confession générale et tous les mercredis et vendredis ils

jeûneront.

Ils exécuteront tous les jours à genoux cinq fois l'oraison dominicale et la

salutation angélique. A leur sortie, ils se présenteront à leur curé dans l'église paroissiale

de Quiévry avant la messe paroissiale, à genoux à l'entrée du chorus, devant les fidèles,

ils demanderont à haute voix pardon à Dieu.

38 T.Lemarc’Hadour, la répression de la criminalité conjugale au XVIIIe siècle, l’exemple des Pays-Basfrançais, Lille, 1996, p.477.39 « Les évêques se souviendront qu’ils sont pasteurs et qu’ils doivent gouverner leurs sujets, non pourles dominer, mais pour les chérir comme des enfants et des frères [...].Lorsque, en raison de la gravité dudélit, la verge est indispensable, on saura joindre la rigueur à la mansuétude, la justice à lamiséricorde. »Ibid.p.478.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

36

De plus l'official interdit aux deux prévenus d'avoir à l'avenir aucune habitude

suspecte, mais de se conduire de manière plus exemplaire.

Il est intéressant à ce stade de l’affaire de faire le rappel d’une affaire menée

devant l’officialité de Cambrai, il s’agit de l’affaire Cordier40.

C’est le début du mouvement de spoliation de la compétence du juge

ecclésiastique cambrésien.

Le 16 juillet 1735, le procureur général Vernimen interjette appel comme d’abus

d’une sentence de l’officialité de Cambrai du 4 juillet.

Une peine publique et infamante avait été prononcée contre les prévenus en

l’espèce.

Le procureur général s’insurge contre la peine prononcée par l’official. Il

conteste le droit de l’official à prononcer d’autres peines que des peines canoniques.

Face à cette volonté de la priver de ses prérogatives, la juridiction ecclésiastique

va réagir. L’official et le promoteur s’accrochent à leurs prérogatives. L’autorité

judiciaire ecclésiastique estime que la poursuite et la répression de ces crimes sont de

son devoir qu’elle accomplit de manière désintéressée.

Alors que l’affaire Cordier est pendante devant le Parlement, Daniel Oudart41

fait appel comme d’abus de la « plainte et permission d’informer tenus en conséquence

du décret d’ajournement personnel contre luy donné par l’official de Cambray comme

juge ecclésiastique le 13 avril dernier et tout ce qui s’en est suivi ». Le procureur

général fait lui aussi appel comme d’abus.

Par arrêt de règlement du 17 mai 1736, tout en confirmant la compétence de

l’official selon les termes stricts des concordats de 1447 et 1541 et l’arrêt de règlement

du conseil du 21 janvier 1682, le Parlement fait défense à l’official de faire pareilles

procédures à l’avenir dans des cas semblables à peine de dépens, dommages et intérêts

des parties.

40 A.D.N, 5G4.41 A.D.N, 5G134.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

37

Cette jurisprudence constante du Parlement explique certainement la relative

discrétion des peines prononcées par l’official en l’espèce Delwarde-Vaixin42.

Tout au long du 18e siècle, le Parlement viendra contester la capacité de

l’officialité, cherchant à la cantonner dans un rôle plus spirituel que répressif.

L’official a, on le voit, la volonté de ne pas encourir les « foudres » du

Parlement de Flandre.

L'official permet au surplus au promoteur d'implorer au besoin l'assistance du

bras séculier pour l'exécution de la sentence qu'il vient de rendre.

B/ L'arrestation des prévenus

Suite à son jugement, l'official va donc permettre au promoteur d'« implorer »

au besoin l'assistance du bras séculier pour l'exécution de la sentence qu'il vient de

rendre.

Cela signifie-t-il que le promoteur, si le besoin ne s'en fait pas sentir, pourrait se

passer du bras séculier dans l'exécution de la sentence ?

Il semblerait bien que oui, il ressort de l'arrêt que l'exécution de la sentence que

nous verrons plus tard ne nécessite pas l'intervention du bras séculier.

Mais pour l'heure, l'official vient de rendre son jugement par contumace, il va

alors décerner un décret de prise de corps à l’encontre des accusés Delwarde et Vaixin.

C'est alors que va intervenir la maréchaussée sans que l'on sache très bien dans

l'arrêt qui lui demande son intervention. Toujours est-il que le sieur Dennuc, dit le

Georges, fait prisonnier les accusés et les conduits à la prison de la tour du chapitre de

l'église métropolitaine. Il les remet au geôlier de la prison qui les enferme.

42 nous y reviendrons plus lion dans notre développement, voir Chap. II, Section II, I B.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

38

On peut supposer que la maréchaussée est intervenue sous l’ordre de l’official.

Il ne faut pas semble-t-il confondre ici la permission que donne l’official au

promoteur d’ « implorer » l’assistance du bras séculier et l’arrestation des prévenus.

Implorer le bras séculier nécessite un jugement de l’autorité royale qui ordonne

l’exécution de la sentence de l’officialité. En l’espèce il s’agit plus d’ordonner à la

maréchaussée d’intervenir. En effet l’ordonnance criminelle de 1670 dans son titre X

intitulé des décrets, de leur exécution et des élargissements, article 15 énonce

« Enjoignons à tous gouverneurs, nos lieutenants généraux des provinces et villes,

baillis, sénéchaux, maires et échevins, de prêter main forte à l’exécution des décrets et

de toutes les ordonnances de justice, même aux prévôts des maréchaux, vice-baillis,

vices-sénéchaux, leurs lieutenants et archers, à peine de radiation de leur gages en cas

de refus […] »43.

Toutes formes de décrets peuvent être mis à exécution, ce qui a même lieu pour

les décrets donnés et décernés par les juges d’Eglise, lesquels peuvent être mis à

exécution partout et en tout lieu du royaume, sans avoir besoin de demander aucun

pareatis aux juges royaux. Ceux-ci sont même obligés de prêter main forte et toute aide

et secours dont ils seront requis par les juges d’Eglise. C’est ce qui ressort de l’édit de

169544.

L'arrestation des deux prévenus a pour effet de « purger la contumace », le

procès est à recommencer. L'affaire sera alors jugée devant l'official dans la forme

contradictoire.

En effet, par leur arrestation les prévenus sont amenés dans la prison du chapitre

de l'église métropolitaine, là, ils sont entendus par l'official lui-même, accompagné bien

sur du greffier de l'officialité.

43 Isambert, Ducrusy et Taillandier, recueil des anciennes lois françaises, tome 18, p.390, Paris, 1829.44 Guy du Rousseaud de la Combe, op. cit., p303.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

39

La procédure d'audition contre les prévenus commence, elle regroupe toutes les

caractéristiques de la procédure d'audition devant les témoins.

Il y a sous-jacent le soucis de garantir à l'accusé la possibilité de se défendre.

L'audition doit prendre au moins six heures et le greffier doit recueillir les dépositions

fidèlement par écrit dans une langue qu'il connaît.

Les accusés sont entendus par l'official les trois, quatre et sept juin 1751.

Si dans un premier temps Marie-Claire Vaixin se montre coopérative avec

l'official, il n'en est pas de même pour Pierre-Phillippe Delwarde.

En effet celui-ci se contente de répéter qu'il ne veut pas répondre devant la cour

et qu’il estime s'être marié légitimement45. Marie-Claire Vaixin quant à elle accepte

dans un premier temps de répondre aux questions de l'official et d'y répondre en étant

sous serment.

Elle affirme alors savoir le lien de parenté qui l'unit à Pierre-Philippe Delwarde,

elle affirme également s'être convertie au protestantisme et être enceinte. Mais par la

suite, lors des autres interrogatoires elle refusera de répondre aux questions tout comme

Pierre-Philippe Delwarde.

Les accusés sont ensuite confrontés aux différents témoins de l'instruction en vu

de répondre à l'obligation procédurale de confrontation des témoins aux prévenus, ainsi

que du fait de la purge de la contumace qui annule la procédure de recollement

précédemment effectuée.

La confrontation se fait d'abord devant Marie-Claire Vaixin puis ensuite devant

Pierre-Philippe Delwarde. Chaque témoin réitère ses observations sur le couple en

affirmant n'avoir aucun grief contre l'un d'entre eux. A chaque prévenu il est demandé

s’il connaît la personne qui témoigne devant lui.

La confrontation est retranscrite par écrit par le greffier de l'officialité, signée

par lui, par l'official et le témoin, les accusés refusant de signer.

45 Il semble que l’on puisse retrouver ici les préceptes du protestantisme qui rejette tout ce qui estextérieur à la Bible

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

40

Dès lors que la procédure est terminée se pose la question de savoir si la

juridiction ecclésiastique a véritablement le pouvoir d'exécuter ses sentences.

II/ UN POUVOIR DE COERCITION DE L'OFFICIALITE ?

Dès lors que les prévenus sont retenus prisonniers à la prison du chapitre de

l'église métropolitaine, la question se pose de savoir si l'officialité peut mettre à

exécution ses sentences elle-même ou demander l'aide du bras séculier.

On l'a vu au niveau de l'arrestation des prévenus les autorités locales semblent

coopérantes mais qu'en est-il au niveau de l'emprisonnement et de l'élargissement des

prévenus, voire de la question de la mise en œuvre des sanctions ?

A/ L'emprisonnement et l'élargissement des prévenus

L'arrestation des prévenus n'a semble-t-il pas posé de problème puisque les

autorités locales, la maréchaussée en l'espèce, ont collaboré.

C'est le cavalier de la maréchaussée Dennuc, dit le Georges, qui s'est chargé,

suite au décret de prise de corps décerné par l'official d'arrêter les prévenus et de les

amener à la prison du chapitre de l'église métropolitaine.

Une fois arrivés à l'église métropolitaine, les accusés Delwarde et Vaixin ont été

emmenés dans leur cellule par le geôlier de l'officialité.

On peut donc affirmer que l'officialité dispose d'un véritable pouvoir de

coercition quant à l'emprisonnement des prévenus qu'elle est chargée de juger.

En effet elle dispose d'une geôle située au sein même de l'église métropolitaine,

elle n'a pas à passer par le bras séculier pour faire garder les prévenus accusés par elle

d'avoir commis un délit ou un crime relevant de sa compétence.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

41

La collaboration à ce niveau des autorités royales ne semble pas poser de

difficultés majeures. Le promoteur chargé d'arrêter les prévenus grâce au décret de prise

de corps décerné par l'official peut compter sur la bonne collaboration de la

maréchaussée de Quiévry.

L'Eglise possède bien les moyens matériels et le pouvoir de mettre en prison des

prévenus. Si la question ne semble pas se poser concernant des clercs qui par leur nature

religieuse sont soumis à l'autorité de l'Eglise, au vu de leur privilège de clergie.

En effet, celui qui est en possession d'état de clerc jouit du privilège de

juridiction d'ordre public, qui lui vaut d'être traduit devant les seules cours d'Eglise.

Pour battre en brèche ce privilège, la justice royale met au point un arsenal. Le

procès possessoire, premier temps de la constatation ou contestation de l'état de clergie,

relevait de la juridiction laïque46. Ainsi prétend-elle vérifier l'état de clergie : pour être

rendu au juge ecclésiastique, la personne doit « estre en habit et tonsure de clerc » ; si

son état est manifeste encore faut-il que le clerc ait un genre de vie compatible avec sa

charge, s'il se livre à des occupations séculières, le juge royal réclamera sa réduction à

l'état de laïc.

Or en l'espèce il ne s'agit pas de clercs mais simplement de paroissiens de

l'église de Quiévry accusés de s'être mariés devant un ministre de la religion

prétendument réformée malgré l'empêchement à mariage qui les concernait.

L'officialité, au vu de la présente espèce dispose donc bien d'un véritable pouvoir

d'emprisonnement concernant les personnes qui vont à l’encontre de ses lois.

Une autre question permet de s'interroger sur le pouvoir coercitif de l'officialité,

il s'agit de la question de l'élargissement qui se pose au juge ecclésiastque dans la

présente affaire. L’official va même jusqu’à faire une consultation juridique pour être

sûr de ne pas être en tort. L’official semble embarrassé, il demande conseil à des juristes

pour se protéger et protéger ses compétences.

46 En 1400, le procureur du roi énonçait : « Le roi et la juridiction lay ont la cognoissance des robes declercs et sont robes de clercs ou non ».

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

42

En effet suite à leur arrestation, avant même la confrontation devant les témoins,

se pose la question de la mise en liberté des détenus.

La question se pose de savoir si en l'état des choses, n'ayant eu d'abord qu'un

décret d'ajournement personnel décerné contre les accusés transformé ensuite en un

décret de prise de corps, faute pour les prévenus d'avoir satisfait au décret

d'ajournement, ils ne devaient pas être élargis, c'est à dire remis en liberté.

La question se posait en vertu de l'article 21 du titre 10 et l'article 12 du titre 15

de l'ordonnance criminelle.

Le conseil estime que les accusés ont commis un crime grave et sont punissables

des plus grandes peines ecclésiastiques. De plus devant être confrontés aux différents

témoins de l'affaire, les accusés ne doivent pas être élargis.

L'article 21 du titre 10 de l'ordonnance criminelle porte bien que les accusés

contre lesquels il n'y aura pas eu originairement de décret de prise de corps, seront

élargis après l'interrogatoire, s’il ne survient de nouvelles charges, ou par leur

reconnaissance ou par la déposition de nouveaux témoins. Mais les articles 22 et 23 du

même titre font savoir qu'aucun prisonnier pour crime ne peut et ne doit être élargi que

par sentence du juge.

Il apparaît en l'espèce qu'il est survenu de nouvelles charges contre les accusés

au sens de l'ordonnance, par leur reconnaissance des faits contenue dans les

interrogatoires et ce malgré le fait que dans le second interrogatoire, ils n'aient pas

voulu prêter serment.

Ces reconnaissances sont donc suffisantes pour empêcher qu’en attendant la

confrontation des témoins aux accusés, ces derniers ne soient pas élargis. De plus les

remettre en liberté ne ferait qu'augmenter le scandale de la paroisse et les laisser vivre

dans leur concubinage incestueux au lieu de les en punir. Enfin, les remettre en liberté

serait leur laisser la possibilité de corrompre les témoins.

Dès lors la décision est prise de laisser en prison les détenus pendant tout le

temps de la confrontation pour y subir ensuite les peines qui seront prononcées par le

juge ecclésiastique.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

43

On le voit donc assez clairement dans l'espèce, concernant l'emprisonnement des

détenus, l'Eglise dispose de moyens matériels et d'un pouvoir coercitif de rétention des

prévenus dans ses prisons.

Reste la question de l'exécution des peines.

B/ L'exécution des peines prononcées

L'official, en tant que juge ecclésiastique réitère son jugement par contumace sur

les conclusions de son promoteur.

Il prononce la nullité du mariage et la cohabitation qui s'en est suivie incestueuse

et concubinaire.

Il décide la séparation immédiate des deux époux Delwarde et Vaixin et décide

que pendant deux mois ils seront conduits dans des maisons de piété pour se remettre

« dans les voies du Salut par la pratique de bonnes œuvres (... ) et pour y faire

pénitence ».

Ils y effectueront une confession générale et tous les mercredis et vendredis ils

jeûneront. Ils exécuteront tous les jours à genoux cinq fois l'oraison dominicale et la

salutation angélique.

A leur sortie, ils se présenteront à leur curé dans l'église paroissiale de Quiévry

avant la messe paroissiale, à genoux à l'entrée du chorus, devant les fidèles, ils

demanderont à haute voix pardon à Dieu.

De plus l'official interdit aux deux prévenus d'avoir à l'avenir aucune habitude

suspecte, mais de se conduire de manière plus exemplaire.

Reste la question de l'exécution des peines, concernant la nullité du mariage

celle-ci ne pose pas de problèmes puisque, le mariage, sacrement relevant de la

compétence de l'Eglise, est de la compétence de l'officialité.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

44

Le problème se pose en ce qui concerne l'exécution des peines plus «

temporelles », il faut entendre par-là, l'emprisonnement chez des religieux, l'exécution

des pénitences et la demande de pardon au sein de l'église.

Les différents juristes au fil des années ont reproché à cette justice d'Eglise d'être

imparfaite car le juge ecclésiastique n'a que le pouvoir de juger et non celui de mettre

ses jugements à exécution, il doit passer par le bras séculier.

Il faut voir dans la question de la possibilité pour l'Eglise de faire exécuter ses

sentences, la question du « territoire ecclésiastique »47.

La notion de territoire en matière de juridiction peut avoir deux sens, au sens

concret, il s'agit d'un périmètre dans lequel un tribunal accomplit souverainement tous

les actes que comporte sa fonction, au sens abstrait il s'agit du pouvoir d'exécuter une

décision de justice.

Le territoire est considéré comme le prolongement du pouvoir de justice pour la

mise en application de la sentence. A l'intérieur de ses limites, les magistrats disposent

du jus terrendi, id summovendi, l'expression contient à la fois la notion de périmètre et

la notion de contrainte. L'Eglise a-t-elle un territoire à raison de sa juridiction spirituelle

?

Pierre de Cugnières, le premier président du Parlement en 1335, ne conteste pas

à l'Eglise la compétence sur le fonds du litige, mais seulement le droit de prise et

d'exécution des sentences. C'est la première fois en France que l'on contestait

publiquement à la juridiction ecclésiastique le droit de faire des actes judiciaires.

Suite à un procès entre l'évêque de Paris et le procureur général du 13 mars

1393,1'avocat du roi développe la distinction du diocèse et du territoire. L'évêque peut

prononcer des sentences mais est toutefois incapable de les faire exécuter, il doit passer

par le bras séculier car il ne possède pas de territoire.

Il semblerait pourtant en l'espèce que le diocèse dispose d'un véritable pouvoir

de contrainte dans l'exécution de sa sentence.

47 Cette question a déjà été évoquée dans Le songe du Verger, pour cela voir la thèse de M. Royer,L’Eglise et le royaume de France au 14e siècle d’après le « songe du vergier » et la jurisprudence duParlement, Paris, 1961

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

45

Les peines prononcées ont pour but la réparation du trouble qui est la première

étape vers la réintégration du fautif dans la communauté des fidèles.

Dans la décision d 'élargissement il est reconnu à l'officialité de faire subir aux

accusés les peines qui seront prononcées par le juge.

On connaît mal les moyens dont disposait l’officialité pour faire exécuter ses

sentences. Si le recours au bras séculier est attesté pour la partie autrichienne du

diocèse, on ignore s’il a été utilisé efficacement dans la partie française.

A cet instant de l'affaire, la situation semble claire puisque les accusés sont

détenus dans la geôle de l'officialité. Mais va intervenir le parlement de Paris auprès

duquel les prévenus Delwarde et Vaixin ont formé un appel comme d'abus contre la

décision de l'officialité. Dès lors se pose la question des relations de la juridiction

ecclésiastique avec les hautes instances juridictionnelles royales.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

46

CHAPITRE II : L'intervention du pouvoir royal

Suite à leur arrestation par les cavaliers de la maréchaussée et leur remise au

geôlier de l'officialité, les prévenus Delwarde et Vaixin produisent à l'official un arrêt

du Parlement de Paris sommant l'officialité de stopper la procédure.

Les prévenus sont en effet aller devant le Parlement de Paris former un appel

comme d'abus contre la décision de l'official les concernant.

Le Parlement de Paris ordonne de faire cesser l'affaire et interdit la prise de

corps décernée contre les prévenus. Va suivre une intervention du Parlement de Flandre

qui va venir « au secours » de l'officialité.

Il convient donc d'étudier dans un premier temps la procédure de l'appel comme

d'abus introduit devant le Parlement de Paris ( section l ), pour ensuite voir la réaction

du Parlement de Flandre qui se pose, et c'est étonnant, comme défenseur de l'officialité (

section II ).

Section l / La procédure de l'appel comme d'abus

La procédure de l'appel comme d'abus a été introduite en France afin de

permettre la lutte contre les autres juridictions en concurrence avec la juridiction royale.

Cette procédure a été utilisée contre les juridictions ecclésiastiques, à une époque où

elles représentaient un risque face à l'affirmation du pouvoir royal ( I ). Cette procédure

a permis de lutter contre les officialités, à travers l’œuvre des gens du roi, avec la

volonté sous-jacente de lutter contre les abus de cette juridiction et de la priver de ses

compétences ( II ).

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

47

I/ L'INTRODUCTION DE L'APPEL COMME D'ABUS EN FRANCE

A/ Son origine

En France, la réaction contre la justice d'Eglise s'est amorcée dès le 13e siècle et

dès le départ le Parlement a joué un rôle important :

« Ce rôle s'est accru au 14e siècle, à la faveur de la faiblesse des premiers Valois,

ces princes, contestés sur le plan national et contraints de faire face à l'Angleterre sur le

plan international, n'avaient ni les moyens ni le courage d'entamer une lutte ouverte

contre un clergé actif et influent. Ils n'ont donc pas hésité à se décharger du problème

sur les parlementaires »48.

En 1329, lors de l’assemblée de Vincennes, l'avocat du roi Pierre de Cugnières

dénonce les nombreux abus des tribunaux ecclésiastiques, abus que Philippe IV

condamne en laissant au Parlement la responsabilité de les combattre.

C'est pourtant au roi que devrait revenir cette tâche : à une époque où il réussit à

imposer sa souveraineté et où l'Eglise commence à prendre un caractère national plus

marqué, il lui appartient en effet d'accorder son clergé et ceux qui, pour son compte,

représentent la puissance temporelle.

« Cette image du roi « arbitre » des conflits entre les puissances spirituelle et

séculière triomphe dans Le songe du vergier, paru en 1376 : « Sous nos yeux, pour

ainsi dire, les deux grandes rivales viennent implorer la lumière de justice du roi » ; c'est

donc au roi lui-même, et non au Parlement, qu'aurait dû revenir l'arbitrage des conflits

entre les deux puissances, et notamment des conflits de juridictions »49. Mais les

circonstances en ont décidé autrement.

48 V.Demars-Sion, les monarchies européennes aux prises avec la juridiction ecclésiastique : l’exempledes anciens Pays-Bas espagnols, Revue du Nord, juillet-septembre 1995, p.538.49 ibid., p.539.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

48

En pratique, tout au long du 14e siècle, les interventions du Parlement se

multiplient. Mais ce n'est qu'au 15e siècle que la procédure de l'appel comme d'abus fait

vraiment son apparition à la suite de nouveaux démêlés entre la royauté française et la

papauté : la Pragmatique Sanction de Bourges de 1438 va faire naître de nombreux

conflits dont les Parlements sont appelés à connaître

L'appel comme d'abus est donc une création jurisprudentielle.

A la fin du 13e siècle et d'avantage encore au 14e siècle, dans le cas où une

officialité empiéterait sur la juridiction laïque, le Parlement, mais lui seul, cherche à

faire annuler l'acte résultant de cet excès de pouvoir, en contraignant la cour d'Eglise à

le faire elle-même en exerçant une pression par la saisie de son temporel, c'est à dire des

immeubles compris dans les bénéfices ecclésiastiques. Au 15e siècle, le Parlement

s'arroge peu à peu le droit d'annuler lui-même un acte de l'autorité ecclésiastique sur

appel dirigé contre ce dernier, ainsi tout acte qui contredirait les dispositions de la

Pragmatique sanction de Bourges, réglant les rapports du roi et de l'Eglise gallicane,

peut-il être annulé.

Dès 1448, la cour souveraine connaît de tel cas d'appel ; bientôt qualifié «

d'arrêt rendu sur appel comme d'abus », aussi bien interjeté par les particuliers que par

les procureurs du roi et aboutissant à une déclaration d'abus et de cassation.

Cet appel connaît à partir du règne de François 1er son épanouissement et sa

forme définitive puisqu'il commence à s'appliquer à des matières purement spirituelles.

Il est à noter que ce mécanisme de l'appel comme d'abus ne sera pas introduit

partout en France à la même époque, l’appel comme d’abus était inconnu aux Pays-Bas

méridionaux et Louis XIV, en renouvelant les usages et privilèges des provinces

conquises, avait maintenu la procédure du recours au conseil, usitée dans les pays sous

domination espagnole, pour régler les conflits entre les juridictions ecclésiastiques et

séculières.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

49

Cette procédure était destinée à régler, comme la procédure de l’appel comme

d’abus, les conflits entre juridictions ecclésiastiques et séculières, c’est une création

royale, imposée par Philippe II dans les anciens Pays-Bas bourguignons soumis à sa

domination entre 1559 et 1585.

Cette procédure était différente selon les cas, lorsque le juge ecclésiastique était

victime d’un empiètement de la juridiction laïque, le recours devait être adressé au roi

lui-même ou à son conseil privé. Lorsqu’il était coupable d’un empiètement, le recours

pouvait être porté devant les cours de justice.

Louis XIV avait confirmé cette procédure par un arrêt du conseil du 28 février

1676.

En Flandre où, du fait du contexte historique particulier, le mécanisme de l’appel

comme d’abus ne sera introduit, par une déclaration du roi, que le 18 janvier 1719.

Le roi fait ainsi de l’officialité de Cambrai une cour originale mais qui, sous la

surveillance du Parlement, tend à se franciser.

Tout empiétement du juge ecclésiastique sur le domaine temporel est donc

sanctionné par le biais de la procédure d'appel comme d'abus.

Pour assurer une efficacité maximale à cette procédure et permettre ainsi un

contrôle réel de la justice d'Eglise, le pouvoir royal a adopté diverses mesures du type

de l'ordonnance de 1510 qui impose de préciser dans toute assignation devant un

tribunal ecclésiastique « les faits et conclusions du demandeur » de façon à « empêcher

que les laïcs ne soient citer impunément et sans motifs devant les juges d'Eglise [... ]. ».

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

50

B/ Sa mise en œuvre en l'espèce

Les prévenus Delwarde et Vaixin, lors de leur arrestation et de leur présentation

devant l'official, lui présentent un document du Parlement de Paris.

Les accusés, pour se soustraire aux peines que « mérite leur délit public », selon

l'official, se sont avisés d'interjeter appel comme d'abus devant le Parlement de Paris qui

par son arrêt du 16 octobre 1750 a reçu lesdits Delwarde et Vaixin appelant comme

d'abus.

Le Parlement de Paris juge l'appel pour bien relevé, leur accorde audience au

premier jour, ordonne que les informations et autres procédures extraordinaires seront

apportées au greffier criminel de la même cour.

Le parlement de Paris ordonne que le décret d'ajournement personnel et la

conversion de celui-ci en prise de corps soit stoppé. Il est donc fait interdiction au

promoteur de l'officialité de Cambrai de continuer l'information et de mettre à exécution

le décret de prise de corps à peine de nullité et mille livres d'amende.

L'arrêt fut signifié le 26 octobre au promoteur par l'huissier avec sommation de

déferrer aux défenses qui y sont faites, sans cependant que l'huissier qui a laissé copie

de cet arrêt, en ait voulu montrer l'original quoi qu'interpellé à ce sujet par le greffier de

l'officialité. Suite à cet arrêt le promoteur a saisi le Parlement de Flandre. Celui-ci a

rendu un arrêt contradictoire à celui du Parlement de Paris permettant à l'officialité par

son promoteur de poursuivre la procédure. Mais l'intervention du Parlement de Paris ne

s'est pas arrêtée là.

Par un second arrêt du 8 juin, il a été présenté un second arrêt à l'official.

Ce second arrêt fait mainlevée aux prévenus Delwarde et Vaixin de

l'emprisonnement de leurs personnes et ordonne de les laisser sortir de prison. Pour ce

faire le geôlier de l'officialité se retrouve contraint par corps.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

51

Le parlement de Paris fait alors incarcérer le geôlier de la prison du chapitre de

l'église métropolitaine qui refusait d'obéir.

Il est aisé de penser que c'est là une volonté de priver l'officialité de ses

compétences.

Le pouvoir royal avait maintenu les spécificités de la région de la Flandre après

son annexion au royaume de France, il semble que cette politique de conciliation n'ait

été qu'une façade.

Il y a une volonté d'assimilation par la douceur de la région par la procédure de

l'appel comme d'abus.

II LA VOLONTE DE PRIVER L'OFFIClALITE DE SES

COMPETENCES

A. Le rôle du ministère public

On peut penser qu'en l'espèce le ministère public du Parlement de Paris a eu à

cœur de montrer sa bonne volonté à son souverain. Le ministre public a pour fonction

première de veiller sur les intérêts patrimoniaux du roi et de veiller à l'intégrité du

domaine royal50 Mais au-delà d'une position purement conservatrice des droits et

prérogatives du roi, le ministre public en a aussi poursuivi l'extension constante dès la

fin du 13e siècle. En effet dès le 14e siècle, le roi n'agit plus directement en justice mais

sous le nom de son procureur51.

50 Biens du roi, revenus qu’il perçoit, prérogatives dont il jouit.51 D’où l’adage : « nul en France ne plaide par procureur hormis le roi »

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

52

Ainsi s'explique l'intervention du ministère public dans l'extension des droits et

prérogatives du roi, notamment en faveur d'une compétence, sinon exclusive du moins

la plus large possible, des juridictions royales au détriment des autres détenteurs de

pouvoirs judiciaires comme l'Eglise.

La lutte menée par les gens de justice contre les prétentions de l'Eglise fut aussi

difficile que la controverse doctrinale fut animée.

L'action menée par les gens du roi fut couronnée de succès car confirmée par la

jurisprudence du Parlement et entérinée par les ordonnances royales, elle a par exemple

conduit les officialités à renoncer dès le 14e siècle à la connaissance des causes

concernant les clercs mariés ou les clercs marchands.

C'est grâce au droit canonique lui-même que le ministère public assurait le

règlement des conflits52.

Le parquet s'engage dans la lutte contre les prétentions ecclésiastiques.

Après avoir abandonné le droit de juger les affaires dans lesquelles elles

n'avaient qu'une compétence concurrente, les cours d'Eglise vont progressivement être

dépouillées d'une partie de leur compétence exclusive concernant les contrats jurés, les

matières bénéficiales. Ce dépouillement sera encore plus ressenti dans les causes

matrimoniales, « le ministre public a eu un rôle déterminant dans l'émergence d'une «

pratique française » du mariage exigeant comme conditions du mariage le consentement

des parents et une célébration solennelle devant le curé »53 Ces conditions nouvelles

tranchant avec la conception purement consensuelle de l'Eglise54.

Le formalisme que l'Eglise elle-même avait développé après le concile de Trente

est renforcé pour éviter les mariages clandestins, source de mésalliance.

52 Par l’interprétation des décrétales de Boniface VIII on est arrivé à écarter le privilège du for pour lesclercs qui se montraient indignes de leur état. De même par l’interprétation de la décrétale clerici, leparquet força les évêques à abandonner à la juridiction laïque la connaissance des clercs mariés dans lesprocès civils.53 S.Dauchy, Histoire du parquet sous la direction de JM.Carbasse, Droit et Justice, PUF, 2000.54 « On a vu dans l'intervention du parquet l'origine des démarches tentées au 14e siècle pour fairereconnaître cette nouvelle exigence au concile de Trente et même l'origine de l'Edit d'Henri II de 1556,édit qui énonce tous les éléments de la thèse défendue par le procureur du roi en 1403 : obligation duconsentement des parents, majorité matrimoniale de la femme fixée à 25 ans et sanction civile del'exhérédation pour inobservation des nouvelles règles ».Ibid.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

53

Une réglementation royale, réaffirmant ces conditions, sera ensuite promulguée

par l'Ordonnance de Blois de 1579.

Tout au long des 17e et 18e siècles, le parquet veillera à l'application stricte de

cette réglementation.

Celui qui est en possession d'état de clerc jouit du privilège de juridiction d'ordre

public, qui lui vaut d'être traduit devant les seules cours d'Eglise, mais qui n'a cessé de

s'étendre à des personnes de plus en plus nombreuses échappant de ce fait à la

juridiction royale et ne correspondant plus, aux yeux de ceux qui la constituent, à

l'image du clerc. Pour battre en brèche ce privilège, la justice royale met au point un

arsenal. Le procès possessoire, premier temps de la constatation ou contestation de l'état

de clergie, relevait de la juridiction laïque.

Ainsi prétend-elle vérifier l'état de clergie : pour être rendu au juge

ecclésiastique, la personne doit « estre en habit et tonsure de clerc » ; si son état est

manifeste encore faut-il que le clerc ait un genre de vie compatible avec sa charge, s'il

se livre à des occupations séculières, le juge royal réclamera sa réduction à l'état de laïc.

Si nécessaire le parquet va même jusqu'en cour d'Eglise pour tenter d'apporter la

preuve de la laïcité. Surtout, les juristes établissent la théorie des cas privilégiés,

pendant des cas royaux, qui crée au profit des juridictions royales un privilège de

juridiction, tant au criminel qu'au civil.

Au civil, le privilège du for s'amenuise. Au 13e siècle déjà, les officialités étaient

incompétentes pour tout ce qui concernait les tenures féodales des clercs et leurs causes

réelles immobilières. Bientôt, le roi s'immisce dans les causes portant sur les bénéfices

ecclésiastiques conférés par l'évêque, au nom de l'ordre public, lorsque qu'une

contestation s'élève entre deux attributaires d'un même bénéfice, le juge royal s'impose

en matière possessoire, dès les premières années du 14e siècle, les juges laïcs

connaissaient au moyen de l'action en complainte le possessoire des bénéfices

ecclésiastiques.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

54

Par-là une brèche est ouverte : en droit canonique, le bénéfice n'est pas un objet

susceptible de possession par n'importe qui ; il ne peut être possédé qu'à un certain titre

que le juge royal ne peut manquer d'examiner, intervenant alors dans le débat de fond55.

Il en alla de même pour les causes personnelles des clercs, notamment des

causes plaidées à propos des contrats passés devant notaire qui relèvent du juge royal

pour leur exécution.

En matière civile, L'Eglise va perdre une à une ses compétences exercées sur les

laïcs. Il en va ainsi dans le domaine des contrats, où le déclin du serment entraîne la

disparition de l'intervention du juge d'Eglise, et dans le domaine des testaments, dès les

15e et 16e siècles (la compétence de l'Eglise s'expliquait, au Moyen-Age, par le fait que

les testaments servaient à faire des legs pieux parfois réparateurs des torts accomplis par

le de cujus de son vivant pour assurer 1e salut de son âme).

En matière matrimoniale, là aussi l'Eglise est dépouillée de ses compétences.

Le mariage étant un bien, une voie pour le salut, l'Eglise affirme son caractère

consensuel56. Compétente quant à la formation du lien, l'Eglise l'est aussi au Moyen-

Age pour tout ce qui en découle, relations conjugales, personnelles et même parfois

pécuniaires, légitimité des enfants, relâchement du lien.

Dans un mouvement qui s'amorce au 14e siècle, les juristes gallicans parviennent

petit à petit à dépouiller l'Eglise de ses compétences en matière matrimoniales. Les

aspects connexes du sacrement échappent à l'officialité, mais le lien matrimonial

continue, lui, à lui appartenir (encore que la justice royale se réserve de punir, à partir de

la fin du 16e siècle, et sans revenir sur la validité de leur mariage, les époux

clandestinement mariés, sans le consentement de leurs parents).

55 En matière bénéficiale, le possessoire dont étaient juges les tribunaux laïcs suffisait pour enlever toutintérêt au pétitoire dont les tribunaux d'Eglise avaient la connaissance théorique.56 Mais l'Eglise en a toutefois réglementé les conditions de fond de formation : Les époux doivent savoir àquoi ils s'engagent et être capables d'assurer les fins du mariage, de consentir à la propriété réciproque deleur corps, à une communauté perpétuelle et exclusive de vie.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

55

Elles perdent leur compétence en matière d'effets pécuniaires du mariage et elles

voient les juges laïcs empiéter sur les questions purement spirituelles touchant à la

formation, la validité du lien conjugal.

B. La volonté de court-circuiter l'officialité

« Quand Louis XIV prend possession d'une partie des Pays-Bas espagnols, entre

1667 et 1678 dans le cadre de la guerre de Dévolution, il intègre au royaume des

provinces « originales » du point de vue de la situation des autorités ecclésiastiques : les

officiaux y bénéficient d'une position tout à fait privilégiée par rapport à leurs collègues

français »57.

Cet état de fait ne plaît évidemment pas au roi de France car il contrarie ses

desseins unificateurs. Mais le souverain entend éviter de froisser ses nouveaux sujets ;

l'assimilation dont il rêve, et qui conduira à la ruine de la juridiction ecclésiastique, ne

se fera donc que de manière progressive..

« La France et les Pays-Bas ont été balayés par la même vague de contestation

de la justice d'Eglise mais en France cette vague a dégénéré en raz de marée (qui a

emporté la juridiction ecclésiastique) tandis qu’aux Pays-Bas elle est restée contenue

grâce aux digues dressées par les souverains »58.

En France comme aux Pays-Bas, on a voulu amoindrir la compétence des

officiaux aux matières spirituelles mais il fallait avant tout définir ces matières.

57 V.Demars-Sion, Les monarchies européennes aux prises avec la justice ecclésiastique : l’exemple desanciens Pays-Bas espagnols, Revue du Nors, juillet-septembre 1995, p.551.58Ibid.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

56

La France a très vite opté pour une définition stricte qui s'est imposée à travers la

jurisprudence des Parlements soutenus par le pouvoir royal.

« Les souverains des Pays-bas, quant à eux plus conciliants, ont accepté une

définition plus souple : les divers concordats conclus sous leur autorité tolèrent

l'existence de « causes mixtes » dans lesquelles les officiaux peuvent intervenir en

compétition avec les juges laïques (sur le fondement du système de la prévention) ; ils

admettent aussi que les juges d'Eglise continuent à statuer sur certaines questions civiles

liées à des causes spirituelles, en vertu de la théorie de l'accessoire. En pratique, la

juridiction des officiaux reste très étendue dans toutes les causes personnelles touchant

aux mœurs : défloration, inceste, adultère... ; dans toutes ces matières, les officiaux

peuvent être saisis par prévention et statuer sur les éventuelles conséquences civiles

(allocation de dommages et intérêts, de dot, d'aliments... ). En revanche, leur

compétence a été pratiquement réduite à néant dans les questions réelles ; en effet, selon

le droit et les placards et les édits de par-deçà, et concordats faits avec le Saint Siège, les

juges ecclésiastiques ne peuvent prendre connaissance des actions réelles »59.

Cette compétence étendue a évidemment suscité de nombreux conflits avec les

Magistrats locaux.

Ces conflits, ouverts dès le 15e siècle, se prolongeront jusqu'au 17e siècle

notamment à Lille et à Cambrai.

« Soucieux de ménager la susceptibilité de ses nouveaux sujets, Louis XIV est

prêt à bien des concessions ; la conquête française est donc suivie d'une période de

transition pendant laquelle les anciennes solutions sont censées continuer à s'appliquer.

Mais ces concessions ne sont que transitoires : dès l'instant où il estimera que le

temps a fait son œuvre, le pouvoir procédera à l'assimilation dont il a toujours rêvé »60.

59 Ibid.60 Ibid, p 555.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

57

Fidèle aux traditions et aux maximes politiques des conquérants, Louis XIV est

partisan de « la manière douce » ; c'est pourquoi, dans les Capitulations des différentes

villes qui se sont soumises à son autorité, il a permis aux peuples de la Flandre de

conserver les lois qu'ils avaient reçues des ducs de Bourgogne et des princes de la

Maison d'Autriche, et de les maintenir dans leurs franchises, privilèges et usages.

Appliqué au cas particulier de la juridiction ecclésiastique, cet engagement royal

suppose le maintien de la compétence des officiaux dans les cadres tracés avant

l'annexion c'est dire sur la base des concordats.

Telle est apparemment l'intention du roi : à Cambrai par exemple, il a

formellement accepté de conserver l'organisation judiciaire préexistante et a

expressément confirmé la juridiction de l'official.

« Pour garantir l'exécution de ces Capitulations, Louis XIV a institué le Conseil

de Tournai (futur Parlement de Flandre) qu'il a composé de juges indigènes afin de

rendre aux peuples des pays conquis une Justice selon leurs mœurs »61.

Très vite les Magistrats locaux passent à l'attaque et tentent d'introduire le

système français de l'appel comme d'abus.

S'ouvre alors une nouvelle période en 1715 à la suite du traité dUtrecht (1713)

qui a mis fin à la guerre de succession d'Espagne.

« Ce traité a confirmé la souveraineté française sur une partie des Pays-Bas

espagnols tout en enlevant à Louis XIV certaines de ses conquêtes du 17e siècle : c'est

ainsi que la France a gardé Cambrai mais a perdu Tournai »62.

C'est donc à Cambrai que va se dérouler le combat contre la justice d'Eglise.

61 Ibid.62 Ibid, p.561.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

58

« Le roi de France considère que le moment de mettre en chantier la politique

d'assimilation est enfin venu ; il est conforté dans ce sentiment par l'attitude du

Parlement de Flandre, définitivement installé à Douai depuis 1714, qui commence,

semble-t-il, à appliquer officieusement le système de l'appel comme d'abus. Par la

déclaration du 18 janvier 1719, il franchit le pas et décide de rétablir l'usage des appels

comme d'abus en Flandre »63.

C’est un modèle de mauvaise foi : dans ses motifs, le roi s'efforce de démontrer

qu'il ne porte pas atteinte aux particularismes locaux alors que son seul but est de

normaliser la situation de la province.

« Il affirme que les appels comme d'abus ont été autrefois en usage en Flandre

avant la cession de la souveraineté faite au roi d'Espagne, il considère donc qu'il est

normal que cette procédure ait recommencé à s'appliquer après le retour de la province

sous domination française et il va même jusqu'à prétendre que cette procédure n'a

jamais vraiment disparu en Flandre puisque les appels comme d'abus ont été conservés

par l'ordonnance de Philippe II du 8 janvier 1559 servant de règlement pour le Grand

Conseil de Malines »64.

Il ne fait pourtant aucun doute que ce texte introduit bel et bien une innovation.

« Le Procureur général au Parlement de Flandre lui-même s'en montre

convaincu lorsqu'il déclare, dans un réquisitoire prononcé en 1724 que « la voye d'appel

comme d'abus étoit cy-devant inconnue au Parlement de Flandre, Sa Majesté l'a

introduite en cette cour par une déclaration de 1719 » »65.

A partir de là va pouvoir commencer la campagne de spoliation du juge

ecclésiastique tant désirée par Louis XIV.

Reste que dans la région du Cambrésis cette campagne quoi qu’on ait pu en dire

ne commencera pas de suite, le Parlement de Flandre continuant à permettre à

l’officialité de statuer dans certaines affaires criminelles.

63 Ibid.64 Ibid.65 Ibid, p.562.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Section II / L'opposition du Parlement de Flandres

l/ UNE POSITION ETONNANTE...

A/ Le parlement de Flandre, garant des compétences de

l’officialité ?

Par deux fois, on l'a vu, le Parlement de Paris est intervenu pour empêcher

l'officialité de terminer l'instruction du procès et son exécution. Somme toute cette

intervention peut se comprendre.

La position du Parlement de Flandre l'est un peu moins.

Par deux fois également le Parlement de Flandre va venir infirmer la décision du

Parlement de Paris et permettre au promoteur de continuer la procédure d'instruction et

l'official de mettre à exécution sa sentence66.

« Avec la conquête de la région par Louis XIV, le conseil souverain,

démembrement du conseil de Malines, s'installe à Tournai en 1668.

Du fait de la petitesse de son ressort ( dans un premier temps : Tournai, Lille,

Douai, Orchies) il est privé du titre de Parlement. Il ne l'obtiendra qu'en 1686.

En 1709, le Parlement s'exile à Cambrai en raison de la prise de Tournai par

l'ennemi. Après le traité d'Utrecht il revient à Douai par une décision royale de 1713.

La réforme Maupeou le transforme en conseil supérieur en 1771.

Rétabli par un édit de novembre 1774, il subsistera jusqu'à la fin de l'ancien

régime »67.

66 Voir annexe n°3.67 P.Bufquin, le parlement de Flandre à douai, Histoire de la Justice n°8-9, 1995-1996, p.181-189.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

60

Le parlement de Flandre est compétent pour juger en première instance les

privilégiés, c'est à dire les parlementaires eux même, les chevaliers des grands ordres

royaux, les fonctionnaires et les chapitres.

Il était juge d'appel des juridictions du Nord de la France. Ses arrêts n'étaient pas

soumis à cassation mais, le cas échéant, à une révision qu'il exerçait lui-même au sein

d'une chambre à laquelle se joignaient des parlementaires du conseil souverain d'Artois

et des professeurs d'université.

En l'espèce pour justifier sa décision dans son premier arrêt, le parlement de

Flandre énonce que le village de Quiévry, lieu de commission du délit et du domicile

des accusés étant situé dans la province du Cambrésis, cette province n'étant pas dans le

ressort du Parlement de Paris mais dans celui du Parlement de Flandre, la cour estime

que l'arrêt du Parlement de Paris est nul et incompétemment rendu.

Il en sera de même dans le second arrêt.

La position du Parlement de Flandre peut paraître étonnante tant il est vrai que le

procureur général près de la cour, Gilles de Vernimen, n'est absolument pas un

ultramontain mais plutôt un gallican, respectueux des directives royales en la matière de

juridiction ecclésiastique.

Il ne faut pas rechercher l'explication de la position du Parlement de Flandre

dans la volonté de rompre avec la politique royale gallicane mais plutôt comme une

volonté de s'affirmer comme un véritable Parlement face au Parlement de Paris et donc

à une volonté de maintenir sa compétence régionale.

Mais le Parlement, au cours du 18e siècle, tendra à franciser la jurisprudence de

l’official de Cambrai, par une série d’arrêts qui fixent sa jurisprudence.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

61

Au début du 18e siècle, l’official de Cambrai avait la possibilité de prononcer

une peine d’exposition. « Mais cette peine impliquait nécessairement une certaine

publicité et emportait l’infamie des coupables. Elle heurtait alors les convictions

gallicanes du Parlement de Flandre et de son procureur général qui finirent par s’y

opposer »68.

Dans l’affaire Cordier69, le procureur général exposait « zélé pour le bon ordre et

fort éloigné de désapprouver le zèle pour l’inceste commis avec scandale et

persévérance, il ne trouve pas même la punition proportionnée à l’énormité du crime,

mais ce prétexte de zèle ne doit pas franchir les bornes qu’il y a entre le sacerdoce et

l’empire ». Il expliquait plus loin qu’ « il y a abus de prononcer l’amende honorable

contre les laïcs qui ne sont pas les justiciables d’un official, Elle emporte infamie,

surtout quand elle se fait en dehors de l’auditoire dans lequel toute la juridiction

ecclésiastique est enfermée, ecclesia territorium non habet. Les peines qui sont au

pouvoir de l’Eglise sont bornées par les canons à des pénitences et des jeûnes, à des

censures ecclésiastiques, à la déposition... qui sont toutes spirituelles »70.

« Contestant la capacité de l’Eglise à prononcer des peines infamantes, le

procureur général reprenait l’argument classique des juristes gallicans qui avait

contribué aux 15e et 16e siècles de ruiner dans le royaume la compétence criminelle des

officialités : L’absence de territoire de l’Eglise qui l’empêche de prononcer certaines

peines comme le bannissement ou l’exposition publique »71.

« A partir de ce moment, l’official n’osa plus prononcer d’exposition au pilori,

ni de promenade dans les rues de Cambrai autour de l’enceinte du palais

archiépiscopal »72.

68 T.Lemarc’Hadour, La répression de la criminalité conjugale au XVIIIe siècle, l’exemple des Pays-Basfrançais, Lille, 1996, p.479.69 A.D.N, 5G4.70 Tanguy Lemarc’Hadour, la répression de la criminalité conjugale au XVIIIe siècle, l’exemple desPays-Bas français,, Lille, 1996, p.481 et s.71 ibid., p.481.72 ibid. p.483.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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B/ La volonté de maintenir sa compétence régionale et de punir le

crime d’inceste

Si le parlement de Flandre déclare nul et incompétemment rendu l'arrêt du

Parlement de Paris c'est avant tout parce qu'il estime qu'il a été lésé dans sa compétence.

En effet le parlement a toujours considéré que son rôle était principalement de

défendre les coutumes locales contre les envahissements de la centralisation, et de

défendre les intérêts de ses membres contre l'autorité royale.

Il ressort du premier arrêt rendu par le Parlement de Flandre qu'il s'estime seul

compétent pour connaître des contestations qui naissent entre les habitants de son

ressort, surtout lorsque ces contestations consistent en appel soit des juges ordinaires,

soit des juges ecclésiastiques en cas d'abus, dés que les juges sont les uns et les autres

dans le même ressort.

Dans le second arrêt la position du Parlement de Flandre est plus nette.

Les prévenus Delwarde et Vaixin interjettent une nouvelle fois appel comme

d'abus devant le Parlement de Paris.

La décision du Parlement de Paris est signifiée à l'official, lequel se rend devant

le Parlement de Flandre pour contester une nouvelle fois la décision du Parlement de

Paris.

Il semblerait que le Parlement de Flandre ait été vexé de cette nouvelle tentative

par les prévenus de porter leur affaire à Paris. Le Parlement de Flandre considère en

effet cet acte comme un attentat contre son autorité.

La cour réitère l’incompétence du Parlement de Paris et ordonne que l'arrêt

obtenu par les prévenus soit déclaré nul et incompétemment rendu, elle seule étant

compétente pour juger des appels contre des juridictions situées dans son ressort.

Le parlement ordonne la remise en liberté du geôlier de l'officialité, emprisonné

pour ne pas s'être soumis à l'arrêt du Parlement de Paris.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

63

La cour permet également à l'official de continuer la procédure.

Le parlement de Flandre défend l’officialité parce que les sentences de

l’officialité de Cambrai relèvent de sa compétence territoriale exclusive.

Il y a eu atteinte, de la part des prévenus à sa compétence territoriale. Seul le

Parlement de Flandre est compétent pour juger des affaires concernant des habitants de

son ressort ou des juridictions de son ressort.

Le Parlement de Flandre a déclaré nuls les arrêts du Parlement de Paris. Il

rappelle qu'il est compétent pour juger en appel des abus commis par l'officialité.

Mais le parlement de Flandre défend également l’officialité parce qu’il est aussi

d’accord avec elle, sinon le Parlement de Flandre se contenterait d’annuler l’arrêt du

parlement de Paris et prendrait ensuite la même décision que celui-ci.

Or il ne le fait pas, ceci s’explique par la situation privilégiée des officialités

dans les anciens Pays-Bas français mais aussi par la jurisprudence du Parlement de

Flandre qui semble dire qu’il ne faut pas laisser ce crime impuni. Il faut quand même

que quelqu’un poursuive ce crime.

Il s’agit pour le Parlement de Flandre de fixer sa jurisprudence par rapport aux

compétences de l’officialité.

Par une suite de décisions, le Parlement de Flandre va venir affiner sa position et

déterminer les moyens d’action de l’officialité de Cambrai.

Dans l’affaire Cordier que nous avons déjà évoqué, Gilles et Marie Catherine

Cordier avaient été, pour punition de leur inceste, condamnés à « une amende honorable

suivie d’une promenade humiliante dans les rues de Cambrai, avant une exposition

d’une heure au pilori de l’officialité »73. Le procureur général, Gilles de Vernimen,

expliquait qu’en agissant ainsi, en imposant des peines infamantes l’officialité avait

répondue de manière disproportionnée au crime qu ‘elle avait à juger.

73 Ibid. p.481

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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Le procureur contestait donc la capacité pour l’officialité de prononcer des

peines infamantes puisque l’Eglise n’a pas de territoire propre, ce qui l’empêche de

prononcer des peines d’exposition publique. Le procureur obtint une victoire dans cette

affaire après que le Parlement ait prononcé l’abus en 1736. A partir de cet instant

l’official n’osa plus prononcer d’exposition au pilori, ni de promenades dans les rues de

Cambrai.

Par cet arrêt, le parlement a jeté la première base de sa jurisprudence en

affirmant que l’officialité ne pouvait plus punir de peines infamantes dans quelque

matière que ce soit.

Dans un deuxième arrêt, l’affaire Oudart, en 1736, ou il est question d’adultère,

le parlement de Flandre conteste à l’officialité le droit de faire des procédures

criminelles dans de telles espèces.

On pourrait penser qu’au vu de ces deux affaires, Cordier et Oudart, l’official

soit privé de ses compétences en matière criminelle et ne puisse plus en connaître. Si

l’official n’a plus le droit de prononcer des peines infamantes et donc punir l’inceste par

des peines que mériteraient les criminels, ni user de la procédure criminelle, il n’a plus

le droit d’en connaître.

Mais on le voit dans l’espèce étudiée tel n’est pas le cas. On peut alors affirmer

que le parlement de Flandre a, par l’affaire Delwarde, affiné sa jurisprudence. Si le juge

ecclésiastique ne peut plus prononcer de peines infamantes, il peut malgré tout

condamner les personnes reconnues coupables d’inceste par des peines ecclésiastiques

en suivant la procédure criminelle.

Il semble que la jurisprudence Oudart ne doit s’appliquer qu’en matière

d’adultère cela expliquerait l’intervention du Parlement de Flandre contre l’official

de Cambrai dans cette affaire et dans l’affaire que nous étudions présentement.

Le Parlement de Flandre est venu dans l’affaire Delwarde préciser sa

jurisprudence, il semble dire qu’il faut quand même laisser quelqu’un poursuivre le

crime d’inceste. L’officialité de Cambrai est donc compétente pour poursuivre ce crime

et punir les coupables selon le Parlement de Flandre.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

65

Il faut punir les coupables non pas par des peines infamantes puisque l’officialité

ne le peut plus depuis l’affaire Cordier mais elle peut le faire par des peines

ecclésiastiques de pénitences.

La position du Parlement de Flandre n'est donc pas si étonnante que cela quand

on y regarde de plus près, il s'agit pour lui de lutter contre la centralisation par le

maintien de sa compétence territoriale et de ne pas laisser un crime impuni.

La position du Parlement de Flandre est donc en l’espèce favorable à l'officialité.

II/... FAVORABLE A L'OFFICIALITE

A/ La solution d'espèce

Le Parlement de Flandre ordonne la remise en liberté du geôlier de l'officialité et

condamne les prévenus Delwarde et Vaixin à lui payer des dommages et intérêts.

De plus, le parlement permet à l'officialité de continuer à instruire l'affaire et à

condamner les prévenus à des peines et à les faire exécuter. Il interdit aux prévenus

Delwarde et Vaixin de se servir de l'arrêt du Parlement de Paris.

Le Parlement de Flandre fixe donc sa jurisprudence à l’encontre du Parlement de

Paris en affirmant que l’officialité de Cambrai est compétente pour juger du crime

d’inceste commis par les prévenus selon la procédure criminelle en vigueur à condition

pour l’officialité de ne pas prononcer de peines infamantes.

Les prévenus sont donc condamnés.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

66

L'official prononce la nullité du mariage et la cohabitation qui s'en est suivie

incestueuse et concubinaire.

Il décide la séparation immédiate des deux époux Delwarde et Vaixin et décide

que pendant deux mois ils seront conduits dans des maisons de piété pour se remettre «

dans les voies du Salut par la pratique de bonnes œuvres (...) et pour y faire pénitence ».

Ils y effectueront une confession générale et tous les mercredis et vendredis ils

jeûneront. Ils exécuteront tous les jours à genoux cinq fois l'oraison dominicale et la

salutation angélique. A leur sortie, ils se présenteront à leur curé dans l'église paroissiale

de Quiévry avant la messe paroissiale, à genoux à l'entrée du chorus, devant les fidèles,

ils demanderont à haute voix pardon à Dieu.

De plus l'official interdit aux deux prévenus d'avoir à l'avenir aucune habitude

suspecte, mais de se conduire de manière plus exemplaire.

Toutes ces peines, de nature canonique, sont tout à fait, selon les juristes

gallicans de la compétence des juridictions ecclésiastiques.

Toutes ces peines visent plus particulièrement l’âme du pécheur et si l’official

demande assez souvent un certificat de l’exécution des confessions et pénitences, ce

certificat ne peut apporter la preuve que d’une exécution formelle.

L’efficacité spirituelle d’une pénitence est en effet soumise à une certaine

collaboration du condamné. La sincérité est une condition de son efficacité.

Le prononcé de ces peines ne pouvait alors faire l’objet d’un quelconque conflit

avec le Parlement de Flandre. « Il ne s’est jamais formé de doutes sur le pouvoir

qu’avaient les officiaux d’imposer toutes les peines ecclésiastiques. Il n’en est pas de

même pour les peines temporelles ; de toutes celles que nous avons rappelé, il n’y a

proprement que les aumônes à quoi le juge d’Eglise puisse condamner aujourd’hui ses

justiciables, clerc ou laïque ; Encore est-il obligé... d’en ordonner l’application à des

oeuvres pies » énonce Durand de Maillane74.

74Les libertés de l’Eglise gallicane, Paris, 1880 in la répression de la criminalité conjugale au XVIIIesiècle, l’exemple des Pays-Bas français, Lille ? 1996, p. 481.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

67

On le voit la solution du Parlement de Flandres est une solution favorable à

l'officialité, mais ce ne sera qu'une position temporaire du Parlement, la lutte contre les

juridictions ecclésiastiques n'en reste pas là.

Après 1740, les pénitences se multiplient. Les peines prononcées par l’official,

avant de disparaître sont de moins en moins vindicatives et de plus en plus salutaires.

Dans le courant du 18e siècle, l’officialité de Cambrai apparaît de plus en plus

cantonnée à un rôle spirituel.

B/ Une solution temporaire

Les ordonnances royales interviennent pour définir les compétences des

juridictions ecclésiastiques et les réduire considérablement.

Loyseau estimait que, par l'ordonnance de 1539, François 1er « avait réduit en six

lignes la justice ecclésiastique au juste point de la raison ». En avril 1695, louis XIV

prend un édit concernant la juridiction ecclésiastique, point d'aboutissement de sa stricte

politique gallicane.

L'édit soumet le clergé, l'Eglise de France et ses tribunaux à une étroite tutelle de

la monarchie.

Au départ, l'official de Cambrai a tenté de résister en rappelant au roi les

engagements pris dans les capitulations et s'abritant derrière l'usage immémorial. Pour

établir cet usage, il a constitué un impressionnant dossier composé de divers certificats

de notoriété, de multiples copies de sentences, attestations délivrées par tous les

officiaux flamands (Tournai, Gand, Bruges, Malines, Anvers, Liège... ).

Mais ce combat n'est qu'un combat d'arrière garde, livré sans conviction : le juge

ecclésiastique se sait vaincu d'avance.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

68

Il ne se fait guère d'illusion sur la décision du Conseil du roi dont il a sollicité

l'intervention ; son pessimisme transparaît dans une lettre du 9 mars 1738 (sans doute

adressée au promoteur) : « Peut-on se flatter de quelque succès à cet égard ? Je sens

bien qu'une affaire mal enfilée est sujette à plus de difficultés surtout quand il est

question de persuader sur des choses qui ne sont point d'usage ni de pratique dans le

royaume et quand le penchant des juges séculiers à restreindre la juridiction

ecclésiastique dans toutes les occasions qui se présentent s'y oppose ».

Effectivement, le Conseil du roi entérine la décision du Parlement et l'official

comprend que son sort est scellé : il ne tentera même pas de protester contre l'arrêt de

1752 qui lui porte pourtant le coup de grâce et consacre la généralisation d'un modèle

français ; en effet cet arrêt a fixé (en Flandre) la même jurisprudence qui a lieu par toute

la France et a réformé l'abus.

A la suite de cet arrêt, l'official de Cambrai est obligé de rentrer dans le rang : sa

compétence a vécu dans la partie française du diocèse tout au moins car dans la partie

située aux Pays-Bas autrichiens elle résiste beaucoup mieux.

Les officiaux ont renoncé à se battre et ont abandonné la partie.

Les événements de 1789 vont contribuer à clôturer le débat dans la mesure où

les officiaux se trouvent légalement exclus par la législation révolutionnaire.

Par la loi des 16 et 24 août 1790 les officialités sont exclues du nouveau schéma

judiciaire ; de même, leur juridiction traditionnelle est ébranlée par la loi du 20

septembre 1792 qui laïcise l'état civil et introduit le divorce en France. L'Eglise perd

donc le droit de statuer sur le mariage qui n'est plus considéré comme un sacrement

mais comme un simple contrat civil.

Les juridictions ecclésiastiques n'ont donc pas résisté aux attaques conjuguées

du roi, de ses gens de justice et de sa doctrine. En moins d'un siècle, elle est devenue par

principe purement spirituelle, c'est à dire, en pratique, purement symbolique.

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

69

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à travers la pratique du Nord, Lille, 1986

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Thèse de M. Tanguy Lemarc’Hadour La répression de la criminalité conjugale

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

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PLAN :

INTRODUCTION :

q Rappel historique de l’évolution de l’Eglise gallicaneq Rappel du développement de la juridiction de l’Eglise : l’officialité

Chapitre I le déroulement d’un procès devant l’officialité

Section I L’instruction

I/ le promoteur, personnage central de l’instruction

A/ son apparition

B/ son rôle dans la procédure

II/ le déroulement de l’instruction

A/ les faits reprochés

Ø L’atteinte au sacrement du mariage

Ø La lutte contre le protestantisme

B/ la procédure elle-même

Ø Une instruction réglementée

Ø Une instruction rapide

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Les relations juridictionnelles entre Eglise et Etat au XVIIIe siècle

75

Section II le jugement

I/ Un jugement par contumace

A/ la procédure suivie

B/ l’arrestation des prévenus

II/ un pouvoir de coercition de l’officialité ?

A/ la question de l’emprisonnement et de l’élargissement des

détenus

B/ le prononcé des peines et leur exécution

TRANSITION :

q Lutte contre les juridictions d’Eglise, le cas particulier de la

région de la Flandre.

q Volonté royale de rompre avec ce particularisme.

CHapitre II L’intervention du pouvoir royal

Section I/ la procédure de l’appel comme d’abus

I/ son introduction en France

A/ son origine historique

B/ sa mise en oeuvre en l’espèce

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76

II/ la volonté de priver l’officialité de ses compétences

A/ le rôle du ministère public

B/ la volonté de court-circuiter l’officialité

Section II/ L’opposition du Parlement de Flandre au Parlement

de Paris

I/ une position étonnante...

A/ le Parlement de Flandre, garant des compétences de

l’officialité ?

B/ la volonté de maintenir sa compétence régionale et de punir le

crime d’inceste

II/ ... favorable à l’officialité

A/ la solution en l’espèce

B/ une solution temporaire