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Dimitri BRILLAUD Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger » dans le métier infirmier Mémoire présenté pour l’obtention Du diplôme de Cadre de Santé. De la 1 ère année du Master Economie et gestion de la santé Parcours : Economie et gestion des établissements de santé. Sous la direction de Madame Fermon Béatrice Année scolaire 2016/2017 Institut de Formation des Cadres de Santé Centre Hospitalier Universitaire de Nantes Université Paris Dauphine Département d’éducation permanente

Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

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Page 1: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

Dimitri BRILLAUD

Le dossier patient informatisé :

Un « corps étranger » dans le métier infirmier

Mémoire présenté pour l’obtention

Du diplôme de Cadre de Santé.

De la 1ère

année du Master Economie et gestion de la santé –

Parcours : Economie et gestion des établissements de santé.

Sous la direction de Madame Fermon Béatrice

Année scolaire 2016/2017

Institut de Formation

des Cadres de Santé

Centre Hospitalier Universitaire

de Nantes

Université Paris Dauphine

Département d’éducation permanente

Page 2: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

Dimitri BRILLAUD

Le dossier patient informatisé :

Un « corps étranger » dans le métier infirmier

Mémoire présenté pour l’obtention

Du diplôme de Cadre de Santé.

De la 1ère

année du Master Economie et gestion de la santé –

Parcours : Economie et gestion des établissements de santé.

Sous la direction de Madame Fermon Béatrice

Année scolaire 2016/2017

Institut de Formation

des Cadres de Santé

Centre Hospitalier Universitaire

de Nantes

Université Paris Dauphine

Département d’éducation permanente

Page 3: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

AVERTISSEMENT

Les mémoires des étudiants de l’Institut de Formation des Cadres de Santé de Nantes en

partenariat avec l’Université Paris-Dauphine, sont des travaux réalisés au cours de leur

formation. Ils ne constituent donc pas nécessairement des modèles. Les opinions exprimées

n’engagent que les auteurs. Ces travaux ne peuvent faire l’objet d’une publication, en tout ou

partie, sans l’accord des auteurs, de l’Institut de Formation des Cadres de Santé de Nantes et

de l’Université Paris-Dauphine.

Page 4: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

REMERCIEMENTS

Mes premiers remerciements sont pour ma femme, Maryline, à mes côtés depuis 20 ans, et

pour mes enfants, Anaé, Soren et Calie. Merci à vous pour votre soutien, votre patience et

votre amour pendant ces dix mois.

Je remercie également Mme Béatrice Fermon, ma directrice de mémoire, pour son

accompagnement, ses conseils, sa bienveillance et ses encouragements dans l’élaboration de

ce travail.

Un grand merci à toute l’équipe pédagogique de l’Institut de Formation des Cadres de Santé

du CHU de Nantes et de l’Université Paris-Dauphine pour la grande qualité de leurs

enseignements et leur bienveillance tout au long de l’année.

Je tiens aussi à remercier tous les professionnels rencontrés au cours de notre travail de

recherche et durant nos stages de professionnalisation pour le temps accordé et les

expériences partagées.

Enfin, un énorme MERCI aux amis de la promotion qui malgré la somme de travail ont

toujours su amener un sourire, un rire et souvent un grain de folie pour faire de ces dix mois

une période inoubliable….

Page 5: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

Tables des sigles et abréviations

ANAES : Agence nationale d’évaluation de santé

ANAP : Agence nationale d’appui à la performance.

ARS : Agence régionale de santé

ASIP Santé : Agence des systèmes d’informations partagées de santé

CEE : Centre d’études de l’emploi.

CNRTL : Centre national de ressources textuelles et lexicales

DMP : Dossier médical partagé

DPI : Dossier patient informatisé.

HAS : Haute Autorité de Santé.

Page 6: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

1

SOMMAIRE

INTRODUCTION : .................................................................................................................. 3

1 LE DOSSIER PATIENT INFORMATISÉ ET LE MÉTIER INFIRMIER ............... 6

1.1 Le dossier du patient et son cadre légal ..................................................................... 6

1.2 L’informatisation du dossier patient ........................................................................ 10

1.2.1 Le contexte législatif et les incitations au déploiement du DPI ......................... 10

1.2.2 L’intérêt des établissements pour la mise en place du DPI ................................ 13

1.3 Le métier infirmier .................................................................................................... 14

1.3.1 D’une vocation sacerdotale à la soignante professionnalisée ............................. 15

1.3.2 Infirmière, professionnelle du soin et de la relation ........................................... 18

1.3.3 L’infirmière dans le contexte économique de la santé ....................................... 19

1.3.4 De l’oralité au tout écrit ...................................................................................... 21

1.4 L’objet de notre recherche ........................................................................................ 22

2 LA MÉTHODOLOGIE ................................................................................................. 24

2.1 La bonne méthode pour une bonne recherche ........................................................ 24

2.2 Le choix de l’entretien semi-directif ......................................................................... 25

2.3 Le choix du terrain et de la population .................................................................... 26

2.4 Les guides d’entretien ............................................................................................... 29

2.5 La réalisation des entretiens et les difficultés de la recherche ................................ 32

2.6 L’analyse du matériau suivant la conception du métier d’Yves Clot ...................... 34

3 D’UN IDEAL DU MÉTIER À UNE ADAPTATION DU MÉTIER ......................... 36

3.1 Infirmière, un métier choisi mais un métier difficile et contrarié .......................... 36

3.1.1 Une vocation, mais aussi un métier .................................................................... 36

3.1.2 Un métier relationnel et technique...................................................................... 38

3.1.3 Un métier difficile, un sentiment d’activité inachevée ....................................... 40

3.1.4 Un épanouissement personnel par des activités complémentaires ..................... 42

Page 7: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

2

3.2 Le DPI, un corps étranger du cœur de métier ? ...................................................... 43

3.2.1 Le dossier du patient version papier ................................................................... 44

3.2.2 Les outils numériques de communication, des outils de tous les jours .............. 45

3.2.3 Des attentes contrebalancées de craintes ............................................................ 46

3.2.4 Le DPI, un outil qu’il faut « assimiler » ............................................................. 48

3.3 Un nouvel outil pour de nouvelles relations ............................................................ 49

3.3.1 Trouver « son » utilisation de l’outil .................................................................. 50

3.3.2 Le trio soignant / soigné / ordinateur .................................................................. 52

3.3.3 Les relations et la communication entre collègues évoluent. ............................. 54

3.3.4 Des stratégies d’adaptation ................................................................................. 57

3.4 Des visions différentes de l’outil ............................................................................... 61

3.4.1 Les conformistes ................................................................................................. 61

3.4.2 Les proactifs ....................................................................................................... 62

CONCLUSION : ..................................................................................................................... 65

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................................................................. 68

Livres .................................................................................................................................... 68

Articles de revues ................................................................................................................. 68

Webographie ........................................................................................................................ 69

ANNEXES ................................................................................................................................. I

ANNEXE I : Guide d’entretien définitif : infirmière .......................................................... II

ANNEXE II : Guide d’entretien définitif : cadre supérieure de sante en charge du DPI V

Page 8: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

3

INTRODUCTION :

La tradition médicale a très longtemps marqué la relation médecin – malade par une

pratique orale de la transmission d’information. La rédaction par le médecin de documents

retraçant certaines pathologies n’avait que des buts orientés sur le métier : son apprentissage,

par la conservation d’informations relevant de cas intéressants ou son exercice, en tant que

support à la mémoire du médecin. Les premières traces de dossiers ou de relevés

d’informations de santé sur un patient remontent au IXème siècle avec les premiers cliniciens

arabes tels que Rhazès (865-925) et Avicenne (930-1037), mais il faut attendre le XIXème

siècle pour voir les premiers dossiers médicaux apparaitre au sein des hôpitaux. A partir de la

deuxième moitié du XXème siècle, le dossier médical devient un élément crucial pour

l’amélioration de la pratique de soin face à une complexification des prises en charge

médicales, un besoin de transmission d’informations pour la recherche clinique et de

conservation des informations face à des problématiques de traçabilité et de responsabilités

médico-légales.

Depuis le début des années 70 et la Loi n°70-1318 du 31 décembre 19701 portant

réforme hospitalière, il est préconisé d'effectuer, au sein d’un dossier médical, une traçabilité

des actes de soins réalisés pour la prise en charge d'un patient. A ce dossier médical, sera

adjoint progressivement, à partir de la fin des années 70, le dossier de soins infirmiers et

médicotechniques ainsi que le dossier administratif. Il faudra attendre le début des années 90

pour voir un cadre réglementaire donner un périmètre et un contenu légal au dossier patient

hospitalier avec la publication du décret n°92-329 du 30 mars 19922 relatif à l’article R710-2-

1 du code de la santé publique. Cinq ans plus tard, l’article 45 du code de déontologie

médicale rend obligatoire la constitution et la tenue du dossier patient pour l’ensemble des

praticiens hospitaliers publics, de cliniques privées et libéraux.

De nos jours, le contenu du dossier patient est encadré par le décret n°2002-637 du 29

avril 2002 relatif à l’accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les

établissements de santé en application des articles L1111-8 et L1112-1 du code la santé

1 Loi n°70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière.

2 Décret n°92-329 du 30 mars 1992 relatif au dossier médical et à l'information des personnes accueillies dans les

2 Décret n°92-329 du 30 mars 1992 relatif au dossier médical et à l'information des personnes accueillies dans les

établissements de santé publics et privés et modifiant le code de la santé publique

Page 9: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

4

publique3. Aujourd’hui, il parait plus judicieux de parler de dossier du patient afin de ne pas

induire une notion d’appartenance purement médicale du dossier. Selon la définition de

l’ANAES4 datant de juin 2003, « le dossier du patient est le lieu de recueil et de conservation

des informations administratives, médicales et paramédicales, formalisées et actualisées,

enregistrées pour tout patient accueilli, à quelque titre que ce soit, dans un établissement de

santé ». Le dossier du patient est devenu l’objet central de la gestion médico-administrative du

patient pour les établissements de santé.

En 50 ans, les professionnels du soin ont vu leur métier fortement modifié par un

passage du « tout oral » vers une pratique du « tout écrit » en réponse à de fortes évolutions et

complexification des prises en charge, au risque judiciaire et à une volonté de traçabilité

nécessaire pour répondre aux demandes institutionnelles (certification).

En parallèle, les grandes évolutions technologiques ont fait progresser les systèmes

d’informations numériques en les rendant de moins en moins coûteux et de plus en plus

performants. Le milieu de la santé a investi ces systèmes comme des outils d’amélioration de

la qualité de la prise en charge des patients grâce à la centralisation des informations

désormais effective. Les premiers logiciels étaient, soit dédiés à une gestion purement

administrative du patient, soit des logiciels spécifiquement dédiés à certaines spécialités

médicales et donc limités aux seuls services pratiquant ces activités. A partir de la fin des

années 90, les premiers logiciels de système d’information hospitalière commencèrent à se

déployer sur les établissements de santé français avec un dossier patient informatisé complet

regroupant le suivi médical et le dossier de soin paramédical.

C’est dans ce contexte que notre recherche voit le jour. En tant que manipulateur

d’électroradiologie médicale diplômé depuis 19 ans, notre activité voit très régulièrement les

avancées technologiques modifier les organisations et les pratiques professionnelles dans les

services d’imagerie, de médecine nucléaire et de radiothérapie. A l’arrivée du dossier patient

informatisé au sein de notre institution, nous avons aussi été concerné par sa mise en service

et cela nous a paru être une avancée des plus pertinentes pour une amélioration de la prise en

charge de nos patients. Ce ne fut pas le cas au sein des services de soins où nous avons été

témoin vis-à-vis de ce progrès, d’un fort ressentiment provenant du corps médical, mais aussi

3 En lien avec les articles L .1110-4, L.1111-7 et L.1112-1 du code de la santé publique issus de la loi n°2002-

303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (Loi Kouchner) 4 ANAES : Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé intégrée depuis le 1

er janvier 2005 au sein

de la Haute Autorité de Santé

Page 10: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

5

et surtout du corps infirmier. Les infirmières5, utilisatrices principales et expérimentées du

dossier de soins papier depuis de nombreuses années, ont dû du jour au lendemain laisser

leurs crayons dans la poche de la blouse pour pianoter sur un clavier d’ordinateur. Elles ont vu

l’arrivée de ce nouvel outil de prise en charge du patient bouleverser leurs activités soignantes

générant des réticences, des craintes et des appréhensions quant aux apports que cela pouvait

procurer dans leurs activités et pour la qualité des soins donnés aux patients.

Nous nous sommes interrogé quant aux raisons qui ont pu motiver ce rejet. Nous avons

pu émettre plusieurs hypothèses pour comprendre ce phénomène. Elles ont vu dans cet

ordinateur une tâche administrative de plus venant grignoter un peu plus le temps de soin

qu’elles considèrent comme le cœur de métier. Ce changement pour passer d’un outil de

recueil manuscrit vers un outil de recueil numérique met le métier en difficulté. L’outil

purement technique est un obstacle à la relation soignant-soigné en s’intercalant entre les

infirmières et les patients remettant en cause la dimension relationnelle pour laquelle certaines

infirmières font ce métier. Le DPI perturbe l’organisation du travail et impacte les relations au

sein des équipes. Ce ne sont là que des présupposés.

Notre recherche a pour objectif d’essayer de comprendre les raisons de ce frein face à

l’évolution technologique que représente le dossier patient informatisé.

Dans un premier temps, nous allons définir le contexte dans lequel ce dossier patient

informatisé a été déployé. Nous expliquerons l’histoire du DPI6, comment il s’est développé,

quelles sont les raisons de son émergence et ses apports dans le monde de la santé. Nous nous

pencherons aussi sur le métier infirmier et son histoire. Nous étayerons notre réflexion par des

apports théoriques permettant de cerner notre sujet.

La deuxième partie de notre travail sera consacrée à la présentation de la méthodologie

de recherche mise en pratique dans notre travail, à l’argumentation de nos choix d’entretiens,

de population et de terrain.

Enfin dans la troisième partie, nous présenterons les résultats des entretiens réalisés

auprès des professionnels afin de les croiser avec le contexte et des concepts et d’apporter un

éclaircissement sur notre question de recherche.

5 Nous utiliserons principalement cette dénomination au féminin dans ce mémoire de par la forte représentation

féminine au sein du corps professionnel 6 DPI : dossier patient informatisé

Page 11: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

6

1 LE DOSSIER PATIENT INFORMATISÉ ET LE MÉTIER

INFIRMIER

Dans cette première partie, nous allons présenter dans un premier temps le dossier

patient, son évolution, ainsi que la réglementation qui l’encadre du fait de l’importance que ce

dossier a pu prendre pour la société et les institutions de santé. Puis, la deuxième partie nous

permettra de présenter le contexte de l’informatisation du dossier patient mais aussi les

raisons pour lesquelles les établissements s’engagent dans cette voie. Enfin, dans la troisième

partie, nous nous intéresserons à l’un des principaux acteurs dans la tenue de ce dossier du

patient : l’infirmière. Nous reviendrons sur l’histoire du métier infirmier, sur ce qui compose

le cœur du métier infirmier, sur l’évolution du métier dans des organisations en pleine

mutation depuis 30 ans et enfin nous évoquerons la dichotomie de la transmission de

l’information pour l’infirmière.

1.1 Le dossier du patient et son cadre légal

Le dossier du patient est un objet central dans la prise en charge du patient dans un

service de soin. Il est un outil indispensable pour noter et garder une trace de tout ce qui se

fait auprès du patient, pour le patient ou au sujet du patient. Il permet de centraliser

l’ensemble des examens réalisés par le patient, de retrouver des informations médicales et

paramédicales, d’aider à la synthèse et à la décision et enfin, c’est un outil de communication

à l’attention des autres professionnels. En clair, le dossier du patient est un système

d’information car selon Christian Braesh7, enseignant-chercheur à l’université de Savoie (IAE

Savoie Mont-Blanc), « Le système d’information est un système qui est capable d’une part de

contrôler le déroulement de différents processus d’une organisation et, d’autre part, de fournir

aux gestionnaires les informations sur l’état de la structure pilotée et sur l’environnement de

l’entreprise. Il informe l’ensemble des acteurs impliqués dans le fonctionnement de

l’entreprise et collecte, diffuse, transforme et stocke des données pour fournir les informations

nécessaires à un acteur ou un groupe d’acteurs ». Aux origines, le dossier appelé « dossier

médical » n’était utilisé que par le corps médical mais depuis les années 50, un cadre légal

s’est progressivement mis en place pour donner une forme et un contenu réglementaire à un

7Christian Braesch, enseignant-chercheur à l'Université de Savoie dans le domaine de la modélisation

d'entreprise et de son système d'information.

Page 12: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

7

dossier censé représenter l’activité que les médecins réalisent pour le compte de la société.

« Après des siècles de paternalisme médical, préservant le malade de l’information et de la

vérité, et négligeant parfois la demande de consentement, c’est avec le procès de Nuremberg-

faisant suite aux exactions des nazis dans la recherche biomédicale- que s’est faite la prise de

conscience de la nécessité de réintégrer la personne dans la relation médecin/malade, c’est-à-

dire, d’un point de vue éthique et juridique, d’intégrer l’information et le consentement dans

la pratique médicale de recherche et de soins » (Lièvre, Moutel, 2010, p.2)8

Les premières réglementations encadrant le dossier du patient date de 1970 avec la Loi

n°70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière qui incite les établissements de

santé à constituer des dossiers de suivi pour chacun de ses patients. Ce ne sera que le 30 mars

1992 que le décret n°92-3299 créera l’Article 710-2-1 du Code de la santé publique dans

lequel il sera notifié qu’ « un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé

dans un établissement de santé public ou privé » tout en donnant une liste des documents

devant être établis au sein du dossier à l’admission et durant le séjour de tous patients. Cette

liste de documents obligatoires se verra élargie par différents décrets en 199410

et en 199811

avant que la LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité

du système de santé (dit Loi Kouchner) ne vienne redéfinir les droits fondamentaux des

patients. L’article 710-2-1 sera abrogé par le décret 2003-462 du 21 mai 200312

qui modifie le

code de la santé publique en y intégrant l’Article R.1112-2 qui enrichi la liste des éléments

obligatoires du dossier. Cet article sera modifié en 200613

puis en 201614

et permet de définir

le contenu d’un dossier patient depuis le 1er janvier 2017.

Parmi les documents devant obligatoirement être contenus dans le dossier du patient,

nous retrouvons le dossier de soins paramédicaux et plus particulièrement le dossier de soins

infirmiers. Depuis la fin des années 70, quelques textes officiels ont incité à la constitution

d’un dossier de soins, mais il faudra attendre le décret n°2002-194 du 11 février 2002 relatif

aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier et son article 3, pour voir

8 Astrid Lièvre et Grégoire Moutel, médecins

9 Décret n°92-329 du 30 mars 1992 relatif au dossier médical et à l'information des personnes accueillies dans les

établissements de santé publics et privés et modifiant le code de la santé publique 10

Décret n°94-68 du 24 janvier 1994 - art. 2 JORF 26 janvier 1994 11

Décret n°98-1001 du 2 novembre 1998 relatif à la commission de conciliation prévue à l'article L. 710-1-2 du

code de la santé publique et modifiant ce code 12

Décret n° 2003-462 du 21 mai 2003 relatif aux dispositions réglementaires des parties I, II et III du code de la

santé publique 13

Décret n°2006-119 du 6 février 2006 relatif aux directives anticipées prévues par la loi n° 2005-370 du 22

avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et modifiant le code de la santé publique 14

Décret n° 2016-995 du 20 juillet 2016 relatif aux lettres de liaison

Page 13: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

8

inscrite la participation du corps infirmier à la constitution et à la tenue du dossier de soins.

Ce décret sera ensuite abrogé par le décret n° 2004-802 du 29 juillet 200415

dans lequel est

inscrit que l’infirmier « est chargé de la conception, de l'utilisation et de la gestion du dossier

de soins infirmiers. »

Enfin, l’Ordre national des infirmiers, créé en 2006, a édité la première version de son

code dans lequel il est notifié que : « L’infirmier établit pour chaque patient un dossier de

soins infirmiers contenant les éléments pertinents et actualisés relatifs à la prise en charge et

au suivi. L’infirmier veille, quel que soit son mode d’exercice, à la protection du dossier de

soins infirmiers contre toute indiscrétion. Lorsqu’il a recours à des procédés informatiques, il

prend toutes les mesures de son ressort afin d’assurer la protection de ces données ». Cet

article fait référence à l’article R.4312-35 du code de la santé publique. Ce code sera

promulgué par le décret n°2016-1605 du 25 novembre 2016 portant code de déontologie des

infirmiers. Le dossier de soins infirmiers est un document individualisé relatif au patient que

l’infirmier met en place à l’admission du patient et alimente au fil des évolutions de la prise

en charge du patient. L’ANAES précise dans son rapport de juin 2003 que le dossier de soins

infirmiers est « un document unique et individualisé regroupant l'ensemble des informations

concernant la personne soignée. Il prend en compte l'aspect préventif, curatif, éducatif et

relationnel du soin. Il comporte le projet de soins qui devrait être établi avec la personne

soignée. Il contient des informations spécifiques à la pratique infirmière.» Il contient une fiche

administrative, les feuilles de transmissions infirmières, les plans ou diagrammes de soins, les

fiches de transmissions ciblées, les feuilles de surveillances spécifiques (diabète, plaies,

risques de chute, évaluation de la douleur, risque d’escarre, état nutritionnel,…) et la fiche de

liaison. L’ensemble des informations intégrées dans ce dossier de soins doit être complété par

une identification claire des auteurs qui datent et signent leurs écrits.

Nous pouvons donc observer une forte évolution du dossier du patient dans sa

composition par une multiplication des contraintes légales permettant de donner au dossier du

patient une architecture commune à tous les établissements de santé. Plus particulièrement

marquée ces 30 dernières années, cette évolution est due à des évolutions sociétales

importantes, les droits à l’information des patients ont été érigés en dogme par la Loi du 4

15

Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la

santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code. Les dispositions réglementaires des parties IV et V

du code de la santé publique font l'objet d'une publication spéciale annexée au Journal officiel de ce jour

Page 14: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

9

mars 200216

(dit Loi Kouchner). Cette loi consacre des principes essentiels qui sont « le droit

fondamental à la protection de la santé…..à la continuité des soins et la meilleure sécurité

sanitaire possible » (Art. L. 1110-1) et que « Toute personne a accès à l'ensemble des

informations concernant sa santé détenues par des professionnels et établissements de santé »

(Art. L. 1111-7). De plus, la loi précise que « deux ou plusieurs professionnels de santé

peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations

relatives à une même personne prise en charge, afin d'assurer la continuité des soins ou de

déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en

charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant

sont réputées confiées par le malade à l'ensemble de l'équipe » (Article L. 1110-4). Par

l’expression de ces droits, le législateur impose aux établissements la tenue obligatoire d’un

dossier pour chaque patient dans une extrême rigueur car il doit être le reflet de l’ensemble

des évènements survenus au cours d’une hospitalisation et la communication du dossier

patient comme élément essentiel à la continuité et la coordination des soins. Face aux risques

inhérents à la judiciarisation de la société, les établissements de santé doivent aussi pouvoir

justifier de l’ensemble des actes et procédures mises en place lors de l’accueil ou

l’hospitalisation d’un patient. Cette évolution du cadre légal entourant le dossier du patient est

aussi le résultat d’une complexification des prises en charge due aux progrès de la médecine

et des techniques qui nécessite de pouvoir suivre l’ensemble des procédures de soins réalisées

par des intervenants multiples.

Enfin, du fait de son importance, le dossier du patient est soumis à une surveillance

accrue de la part des autorités de tutelle lors de la visite de certification. Dans son manuel de

certification17

daté de janvier 2014, la Haute Autorité de Santé a défini des pratiques exigibles

prioritaires sur lesquelles elle applique un contrôle avec un niveau d’exigences renforcées lors

de ses visites d’inspection. Une de ces pratiques prioritaires surveillées est inscrite sous la

référence 14, le dossier du patient. Elle comprend deux critères que sont la gestion du dossier

et l’accès du patient au dossier, le premier critère étant évalué au regard d’indicateurs pour

l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (IPAQSS) nationaux donnant une valeur

comparative encore plus importante au critère de gestion du dossier.

Ainsi, il apparait clairement que le dossier est devenu au cours des années un objet

essentiel dans la prise en charge des patients par sa vocation à centraliser les informations

16

Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé 17

Haute Autorité de Santé, Manuel de certification des établissements de santé v2010 édité en janvier 2014

Page 15: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

10

concernant les patients dans les institutions de santé. Ce dossier devenant de plus en plus

important en termes de contenu, son informatisation devenait nécessaire.

1.2 L’informatisation du dossier patient

Les 30 dernières années ont vu les systèmes informatiques se développer de manière

exponentielle. Les premiers ordinateurs personnels sont apparus au milieu des années 80

souvent à des prix très élevés puis les progrès technologiques et les développements réalisés

dans les systèmes de stockages, les processeurs et les réseaux de communication ont permis

une baisse conséquente des coûts de production de ces systèmes mais aussi une augmentation

phénoménale des capacités de stockage et des puissances de calcul. C’est ainsi que les

entreprises ont commencé à s’équiper de systèmes d’information permettant d’aider à la

gestion et à la production. Dans la lignée des entreprises et au vu des apports de

l’informatisation, les établissements de santé se sont eux aussi « attaqués » à l’informatisation

de leurs services.

1.2.1 Le contexte législatif et les incitations au déploiement du DPI

Les établissements de santé se sont donc équipés en systèmes informatiques au sein de

leurs services administratifs dans un premier temps pour gérer entre autre les ressources

humaines et aider à l’organisation des services techniques. Puis les services

médicotechniques comme les services d’imagerie ou bien les laboratoires d’analyses

médicales ont été les premiers à investir dans des systèmes d’information dédiés à leurs

activités réciproques. Dans les années 90, les premiers services de soins se sont équipés à leur

tour en déployant des systèmes spécifiques permettant de créer et gérer des dossiers patients

propres au service mais qui souvent étaient uniquement utilisés dans une spécialité médicale

et donc non-consultables par d’autres unités et peu ou pas du tout interconnectés.

Les institutions hospitalières ont ensuite déployé des systèmes d’information

hospitaliers combinant l’ensemble des différentes briques d’applicatifs dédiés afin de pouvoir

compiler les informations administratives, médicales et paramédicales au sein d’un applicatif

unique à l’établissement qui est le dossier patient informatisé. Ce dossier patient doit être le

reflet numérique du dossier papier tel que décrit dans l’article R1112-2 du code de la santé

publique. Il y a peu de textes législatifs spécifiques régissant le dossier patient informatisé. Il

Page 16: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

11

y a bien entendu la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et

aux libertés, qui encadre l’utilisation de l’informatique et la production de bases de données

relevant d’informations individuelles privées et depuis peu, le Président de la République, sur

proposition du Ministère des Affaires Sociales et de la Santé, a signé l’ordonnance n°2017-29

du 12 janvier 201718

qui reconnait « la force probante des documents comportant des données

de santé à caractère personnel créés ou reproduits sous forme numérique et de destruction des

documents conservés sous une autre forme que numérique » permettant une avancée

supplémentaire vers le « zéro papier » dans les services de soins des établissements de santé.

C’est dans ce contexte législatif que la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a

décidé de lancer le programme « hôpital numérique » en novembre 2011 afin de développer et

moderniser les systèmes d’informations hospitaliers. Le programme hôpital numérique

s’inscrit dans une stratégie visant l’atteinte par tous les établissements de santé d’un socle

fonctionnel minimal de leur système d’information (SI), un renforcement des compétences

des équipes en charge de ces SI, une mutualisation des SI, une gestion par les Agences

régionales de santé (ARS) d’enveloppes financières d’aide aux établissements et enfin la

stimulation et la structuration de l’offre de solutions technologiques. L’objectif final de cette

stratégie est l’atteinte d’indicateurs de maturité de leur SI dans certains domaines fonctionnels

prioritaires, dont fait partie le DPI, par tous les établissements d’ici à fin 2017. Dans ce cadre,

chaque établissement peut prétendre à une aide financière de sa tutelle régionale afin de

développer son système d’information sous condition de remplir un certain nombre de pré-

requis et de démontrer les gains générés suivant les différents indicateurs définis dans le

programme. Les institutions peuvent aussi bénéficier du support de l’Agence national d’appui

à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) pour apporter une

aide au diagnostic de performance du SI et de l’Agence des systèmes d’informations

partagées de santé (ASIP Santé) pour le développement de l’e-santé19

(échanges ville/hôpital,

parcours de soins coordonnés, télémédecine,…).

Au regard de la faible réglementation entourant le dossier patient informatisé, il apparait

assez clairement que pour les établissements, la volonté de moderniser leur système

d’information n’est pas impulsée par des contraintes réglementaires imposant les systèmes

18

Ordonnance n°2017-29 du 12 janvier 2017 relative aux conditions de reconnaissance de la force probante des

documents comportant des données de santé à caractère personnel créés ou reproduits sous forme numérique et

de destruction des documents conservés sous une autre forme que numérique 19

e-santé : l’utilisation des outils de production, de transmission, de gestion et de partage d’informations

numérisées au bénéfice des pratiques tant médicales que médico-sociales

Page 17: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

12

numériques, mais plus par des contraintes législatives d’amélioration de la qualité des

prestations fournies par un établissement de santé ainsi qu’une obligation d’avoir une gestion

plus performante. Les établissements ont ainsi vu dans les systèmes d’informations

numériques le moyen de répondre à ces injonctions des tutelles. Ils ont aussi profité des

opportunités de financements que représentaient les différents plans hôpital (2007, 2012 et

numérique) pour se mettre à niveau sur les cinq domaines prioritaires fonctionnels20

. Par son

programme hôpital numérique, la DGOS veut, dans le respect de la Stratégie Nationale de

Santé21

, utiliser les SI comme « un levier au service de la modernisation de l’offre de soins au

sein des établissements de santé et de la performance de leur gestion ». Grâce à ce

programme, l’informatisation du dossier médical du patient est en cours ou achevé dans 94%

des 2689 établissements ayant répondu à l’enquête 2016 de l’observatoire des systèmes

d’information de santé (oSIS) et 90% des établissements déclarent être en cours ou avoir

achevé l’informatisation du dossier de soins ou du plan de soins. Enfin, le DPI n’est que la

première pierre du dossier médical partagé qui à terme, selon la volonté politique, doit être le

réceptacle des informations sociales et sanitaires de chaque patient. Par conséquent, l’Etat se

doit d’aider les structures de soins à mettre en place un système d’information performant afin

de pouvoir alimenter le dossier médical partagé (DMP) dont il a instauré la création sous le

nom de dossier médical personnel en 2004 par la LOI n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à

l'assurance maladie (article 5), puis relancé en 2009 par Mme Bachelot, Ministre de la Santé

et des Sports. Il est à nouveau relancé par le décret n°2016-914 du 4 juillet 2016 relatif au

dossier médical partagé en application de l’article 96 de la LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016

de modernisation de notre système de santé qui en confie la gestion à la Caisse nationale

d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) afin d’accélérer son déploiement. Le

dossier médical partagé se veut être un dossier comprenant les informations de santé

principales relevant d’un patient qui peut en gérer les droits d’accès par les professionnels.

Ce cadre réglementaire permet de comprendre les différentes incitations qui sont mises

en place pour engager les établissements dans un processus de modernisation mais il ne faut

pas omettre les intérêts propres aux établissements qui les poussent à s’équiper de ces

logiciels.

20

Résultats d’imagerie, de biologie et d’anapath, le dossier patient informatisé et interopérable, la prescription

électronique alimentant le plan de soins, la programmation des ressources et agenda patient, et le pilotage

médico-économique. 21

Stratégie Nationale de Santé, septembre 2013, 2. Organiser les soins autour des patients et en garantir l’égal

accès : la révolution du premier recours, s’appuyer sur les nouvelles technologies

Page 18: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

13

1.2.2 L’intérêt des établissements pour la mise en place du DPI

Les établissements de santé comme toutes les entreprises qui ont évolué vers un système

d’information numérique se sont heurtés à des résistances habituelles face à l’informatisation.

L’ANAP, dans son guide intitulé : « Comprendre les problématiques du dossier patient

informatisé et interopérable » nous présente quatre grandes craintes face au tout numérique. Il

y a tout d’abord le risque informatique pur avec une cyberdépendance pouvant générer des

difficultés lors des pannes, des mises à jour logicielles ou bien des pertes de données. Les

experts de l’ANAP évoquent aussi des inquiétudes sur l’ergonomie du logiciel et son

utilisation couplée au dossier papier au sein d’un même service ou entre service « DPI » et

service « papier ». Enfin, la dernière appréhension des établissements se concentre sur la

pérennité des systèmes dans le temps qui vont demander des investissements importants de

maintien à niveaux des outils et des systèmes d’exploitation.

Face à ces craintes importantes à prendre en considération, il existe des gains et

bénéfices clairement identifiés. Les établissements de santé voient dans l’utilisation du dossier

patient informatisé un moyen de centraliser les informations concernant le patient dans un

seul et unique fichier dématérialisé permettant une consultation simultanée et donc une grande

accessibilité aux informations que ce soit d’un point de vue temporel ou spatial. Cette

possibilité d’avoir accès aux informations depuis n’importe quel poste informatique à

l’intérieur ou à l’extérieur de l’institution, par toutes personnes ayant les autorisations

adéquates, est la base obligatoire pour une prise en charge coordonnée du patient entre les

différents professionnels travaillant au sein de l’établissement ou à l’extérieur, dans les

réseaux de soins ou dans les autres établissements publics ou privés.

Le déploiement du dossier patient informatisé dans un établissement est aussi un facteur

d’homogénéisation de la tenue du dossier dans toute l’institution. Cette uniformisation

permet, une fois le personnel formé, une prise en main très rapide du dossier médical ou du

dossier de soins par les professionnels évoluant d’un service vers un autre comme lors de la

mobilité des personnels soignants ou lors de la demande d’un avis spécialisé d’un médecin

d’un autre service. De plus, l’utilisation de logiciels de prescriptions permet de limiter les

risques d’erreurs de prescription par des problématiques de lisibilité de prescription ou de

recopiage erroné dans le dossier de soins.

Page 19: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

14

L’ensemble de ces bénéfices permettent aux établissements d’améliorer la prise en

charge globalisée du patient mais surtout d’apporter un haut niveau de sécurisation des soins

par la traçabilité des actions réalisées en identifiant les acteurs responsables ainsi que le

moment de la réalisation de la prescription ou du soin. Le dossier patient informatisé permet

aussi aux hôpitaux d’aider à l’amélioration de la qualité de tenue des dossiers, du parcours du

patient ou de la dispensation médicamenteuse qui sont des pratiques exigibles prioritaires

dans la version 2014 du manuel de certification de la HAS.

Enfin les institutions de santé ont aussi compris l’intérêt économique qu’elles avaient en

déployant un logiciel de dossier patient informatisé qui leur permettrait d’améliorer la qualité

de l’archivage, d’en diminuer le coût aussi bien humain que structurel (locaux) mais aussi de

permettre une récupération de l’information beaucoup plus rapide sans intervention humaine.

Par son activité de centralisation de l’ensemble des actes et activités de soins réalisés auprès

d’un patient, le DPI est aussi un outil de rationalisation de l’activité des unités de soins car il

permet de quantifier les activités de soins au plus réel de leur production mais aussi d’éviter

de multiplier des examens parfois redondants. Selon Françoise Acker22

, « pour les

responsables hospitaliers et les gestionnaires, l’informatisation des unités de soins, au niveau

local, est un des moyens disponibles pour faire face au rationnement des ressources

hospitalières et a, entre autres, pour objet d’augmenter la productivité des services de soins

considérés comme peu performants, mal organisés, et représentant donc des "gisements de

productivité" » (Acker,1995,p74). Les établissements peuvent ainsi espérer optimiser les

ressources au regard de la réalité des activités et avoir une vision médico-économique encore

plus pertinente.

Face à ce dossier patient informatisé, centre de tous les intérêts dans un hôpital, nous

retrouvons l’infirmière qui se trouve en être l’une des principales utilisatrices.

1.3 Le métier infirmier

Pour comprendre les enjeux que cette informatisation des unités de soins représente,

nous nous sommes penché sur le métier infirmier et ce qui fonde les représentations que les

infirmières ont de leur profession de nos jours.

22

Françoise Acker : sociologue au Centre de recherche médecine, sciences, santé et société, laboratoire de

l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).

Page 20: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

15

1.3.1 D’une vocation sacerdotale à la soignante professionnalisée

Quand nous regardons l’histoire du métier infirmier, il faut remonter jusqu’au XIIIème

siècle, période à laquelle apparait le terme « enfirmière » pour désigner les personnes qui

s’occupent des « enfermes » (devenu infirmes par la suite), personnes qui ne sont pas fermes

au sens où elles sont peu robustes donc malades. A cette époque déjà, l’action de prendre soin

était dévolue aux femmes. Pendant toute la période du moyen-âge, le christianisme se

développe comme religion unique et ce sont donc les ordres religieux qui organisent les

maisons de soins charitables où les religieuses font preuve d’abnégation et d’obéissance dans

une organisation très hiérarchisée comme l’étaient les congrégations. Nous pouvons citer

Jacques Saliba, sociologue à l’université Paris X qui décrit leur travail comme ceci : « La

croyance et la dévotion produisent et contrôlent l’action. Elles orientent le sacrifice de soi, de

son temps, de son activité, de sa vie, selon une démarche sacrificielle » (Saliba, 1993, p.16).

Selon l’auteur, la religion va « conférer un sens, en fournir les valeurs et les motivations ; elle

lui donnera aussi un cadre institutionnel, définira son contenu et son organisation » (Saliba,

1993, p.14) pendant les cinq siècles qui suivent, préférant les soins de l’âme aux soins du

corps, en contradiction aux demandes de respect des thérapeutiques initiées par les premiers

médecins cliniciens.

Après la Révolution Française, le développement de la médecine clinique transforme

l’hôpital en un lieu de savoirs et d’expertise à distance des notions de charité. Les médecins

acquièrent un prestige et une importance sociale qui leur permettent d’obtenir une forte

autonomie professionnelle et un pouvoir certain. Les sœurs, comme les servantes laïques,

deviennent des employées au service des médecins pour lutter contre la misère dans une

volonté de don de soi, d’engagement moral et religieux. Face aux exigences de connaissances

des techniques et thérapeutiques, il convient pour les médecins de « constituer un corps de

professionnelles du soin, répondant au double critère de la laïcité et de la compétence. C’est

l’acte de naissance de la profession infirmière » (id. p.36). Le docteur Bourneville23

ouvrira

donc en 1878 la première école d’enseignement du métier d’infirmière au sein de l’assistance

publique de Paris, ce qui légitimera la pratique infirmière comme étant le fruit d’une réelle

formation scientifique et technique.

23

Désiré-Magloire Bourneville (1840 – 1909) Neurologue français qui a participé activement au débat sur la

laïcisation des hôpitaux français.

Page 21: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

16

Durant le XXème siècle, plusieurs courants de pensées vont s’opposer sur les modèles

de professionnalisation entre laïcité et traditions religieuses. Jacques Saliba en dénombre trois,

chacun étant représenté par une personnalité charismatique. Il y aura le modèle anglo-saxon

avec Florence Nightingale24

qui défendra l’émancipation de la femme, l’amélioration de la

formation des soignantes et de l’état des hôpitaux. Elle concentrera son action sur une

formation basée sur la pratique auprès du patient dans une laïcité totale. Ce principe sera

repris par l’Etat français qui évincera toutes les religieuses des postes de soignantes générant

une grave pénurie qui mettra en évidence l’absence d’un système de formation des

infirmières. L’Etat demandera alors aux préfets de créer des écoles d’infirmières auprès de

chaque faculté de médecine avec une conception du soin entièrement centrée sur la maladie et

le corps dans laquelle le médecin doit être secondé par un personnel infirmier formé,

compétent et dévoué. Cette vision du soin et du rôle infirmier sera défendue par le docteur

Bourneville. En opposition à ce modèle, Léonie Chaptal25

, une jeune infirmière, crée son

école de formation infirmière où elle revendique une filiation du métier d’infirmière à son

passé religieux. Elle veut promouvoir pour la fonction d’infirmière une notion de sacré, de

vocation marquée par un engagement fort et des compétences reconnues. Elle défend l’idée

d’une formation minimale de deux ans où les valeurs morales sont élevées au même rang que

les connaissances techniques et intellectuelles et s’acquièrent par des cours théoriques mais

aussi par de nombreux stages variés dans les services des hôpitaux publics. Elle défendra un

statut professionnel reposant sur une législation le protégeant et une formation garantissant la

légitimité et l’autorité du diplôme d’infirmière.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’infirmière est une servante dévouée du

médecin. Selon Dorsafe Bourkia26

, « la relation infirmière/médecin a longtemps évolué sur le

mode symbolique du couple « bonne épouse obéissante » et « chef de famille » : considérées

comme de bonnes maîtresses de maison, les infirmières gardent leurs malades comme s’il

s’agissait d’enfants, en attendant les visites du médecin… » (Bourkia, 2015, p.27). Les

hôpitaux se réorganisent pour pallier aux augmentations des dépenses médicales induites par

une hausse de la demande de soins des usagers. Le rôle infirmier évolue aussi très vite, les

médecins préférant se recentrer sur des activités plus valorisantes, ils délèguent alors certaines

tâches aux infirmières qui à leur tour délègue aux aides-soignantes des tâches dont elles

24

Florence Nightingale (1820 – 1910) Infirmière britannique, pionnière des soins infirmiers modernes 25

Léonie Chaptal (1873 - 1937) Infirmière considérée comme le précurseur de l'infirmière moderne et de

l'assistance sociale en France. 26

Dorsafe Bourkia, cadre de santé formatrice en institut de formation en soins infirmiers

Page 22: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

17

avaient l’exclusivité. Ce glissement de tâches vers le bas « permet une promotion de l’activité

de ceux qui occupent la position statutaire inférieure mais elle crée aussi un « flou » dans la

délimitation des rôles et des compétences. » (Saliba, 1993, p.82). La formation infirmière

évolue aussi, elle s’allonge (33 mois), elle doit permettre aux futures infirmières d’élaborer

une démarche de soins infirmiers et d’avoir une surveillance clinique du patient adaptée en

prenant en compte la globalité du patient et non-plus la maladie. La loi du 31 mai 1978 qui

reconnait « le rôle propre » de l’infirmière est le premier acte d’émancipation et

d’autonomisation de l’infirmière qui peut réaliser certains actes sans prescription médicale.

Depuis les années 80, les responsabilités de l’infirmière ne cessent d’augmenter, les

conditions de travail se tendent sous les réorganisations du fait de maîtrises des dépenses

indispensables pour les hôpitaux, le mécontentement croît et poussera les infirmières dans la

rue au printemps 1988.

Les changements se font aussi du côté de la formation au sein des instituts de formation

en soins infirmiers (IFSI), il n’y aura plus de diplôme d’infirmier de psychiatrie (1992), le

rôle prescrit et le rôle propre sont redéfinis, des règles professionnelles sont édictées. L’Ordre

infirmier est créé en 2006 dans une défiance importante des soignants salariés qui ne

comprennent pas son rôle et son action. Les années suivantes ne verront que croître leurs

responsabilités et leurs compétences en réponse à la pénurie médicale et aux besoins de

maîtrise des dépenses de santé. En 2009, la formation passe dans un cursus de « Licence-

Master-Doctorat » (LMD) suivant les directives européennes et ceci afin de pouvoir initier des

programmes de recherche infirmière et ainsi « élever le degré de qualité des soins délivrés aux

patients et le niveau de formation, dans l’espoir que se crée un doctorat en sciences

infirmières » (Bourkia, 2015, p.33).

Le métier continue d’évoluer fortement au grès des réformes hospitalières qui se

succèdent (Loi hôpital, santé et territoires de 2009, la Loi de modernisation de notre système

de santé de 2016) et modifient les limitent de leur exercice, les organisations de leurs actions

auprès du patient et leur demandent une reconfiguration de leur travail.

Après des centaines d’années d’évolutions, le métier infirmier reste toujours très

féminisé dans « une tradition séculaire qui associe féminité et gestion de l’intimité des corps,

dans la réalité comme dans l’imaginaire culturel » (Bon-Saliba, 1993, p.92).

Page 23: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

18

1.3.2 Infirmière, professionnelle du soin et de la relation

Selon l’article 2 du décret n°2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes

professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier, la législation définit les soins

infirmiers de la sorte : « les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité

technique et qualité des relations avec le malade ». Il ressort de cette définition que le métier

infirmier est une combinaison complexe entre la réalisation d’actes techniques nécessaires au

traitement de la maladie et des interactions sociales avec le patient. Dans son activité,

l’infirmière met en exergue de nombreux types de relation pour assurer les soins nécessaires à

la guérison des patients dont elle s’occupe. Le soin infirmier repose de nos jours sur deux

notions importantes, le cure et le care, deux mots aux origines anglo-saxonnes. Le premier

désigne d’un côté l’activité curative de la maladie et donc les soins techniques permettant de

diagnostiquer ou d’éradiquer une maladie, le second désignant la notion de « prendre soin »

(to take care) où la dimension relationnelle est très fortement marquée. Pour Walter

Hesbeen27

, « prendre soin est un art, il s’agit de l’art du thérapeute, celui qui réussit à

combiner des éléments de connaissance, d’habilité, de savoir-être, d’intuition qui vont

permettre de venir en aide à quelqu’un, dans sa situation singulière » (Hesbeen, 1997, p.35).

L’infirmière exerce donc cet art au même titre que l’ensemble des personnels soignants

œuvrant dans un établissement de santé comme les kinésithérapeutes, les diététiciens, les

manipulateurs d’imagerie médicale, les aides-soignants, etc. Mais il est vrai que les

infirmières « disposent d’atouts supplémentaires et d’opportunités bien plus grande pour

exercer cet art soignant » (id. p.44). Selon l’auteur, les infirmières, par les activités qui

caractérisent leur métier, disposent de proximité plus forte et de temps d’action bien plus

importants auprès des patients et de leurs entourages « car tel est le soin infirmier, composé

d’une multitude d’actions qui sont surtout, malgré la place prise par les gestes techniques, une

multitude de « petites choses » qui offrent la possibilité de témoigner d’une « grande

attention » à la personne soignée et à ses proches, tout au long des vingt-quatre heures d’une

journée » (id. p.45).

Bien qu’aujourd’hui, la profession infirmière revendique une prise en soin du patient

dans sa globalité avec une forte implication dans la relation avec le patient, le travail infirmier

27

Walter Hesbeen est infirmier et docteur en santé publique, responsable pédagogique du GEFERS (Groupe

francophone d’études et de formations en éthique de la relation de service et de soin), Paris et Bruxelles, et

professeur invité à l’université catholique de Louvain (Belgique). Il est également rédacteur en chef de la revue

Perspective soignante.

Page 24: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

19

dans les services de soins ne s’arrête pas qu’à cette relation au patient. L’infirmière réalise des

actes purement techniques auprès des patients, elle joue aussi un rôle d’organisatrice des

activités et des soins des patients et elle sert de relais auprès des multiples intervenants de

diverses spécialités paramédicales qui interviennent auprès du patient. De plus, elle transmet

les informations nécessaires à chacun des acteurs du soin, elle participe fortement à la tenue

du dossier du patient au sein duquel elle trace l’ensemble de ses actions de soins. Et ce n’est

qu’une partie de toutes les tâches que les infirmières réalisent dans leur activité journalière.

Autant d’actes ou d’activités qu’il est facile de voir, d’identifier alors que toutes les « petites

choses » qui font la relation soignant-soigné comme les nomme Walter Hesbeen, semblent

trop peu visibles et si peu formalisées qu’elles n’apparaissent pas aux yeux des profanes.

Mais dans la réalité des activités hospitalières d’aujourd’hui, cette volonté infirmière de

globalité de la prise en soin des patients semble bien mise à mal par les bouleversements

réguliers que subissent les institutions hospitalières.

1.3.3 L’infirmière dans le contexte économique de la santé

Depuis la fin des années 70 et la reconnaissance de leur rôle propre, les infirmières ont

vu les tâches qui leur incombent s’accroitre avec la tenue d’un dossier de soins infirmiers, la

production d’un plan de soins infirmiers, la rédaction de transmissions ciblées…. Ce métier

construit sur l’oralité et la relation au patient, a vu ces nouvelles activités l’emmener sur le

terrain de la formalisation des soins et de la standardisation de l’information dans un dossier

unique. Elles ont aussi vu les institutions où elles évoluent, et par ricochet leur métier,

fortement impactés par une succession importante de réformes visant à améliorer l’efficience

médico-économique d’un système de santé dont l’accroissement des dépenses à la fin des

années 70 et au début des années 80 devenait problématique pour sa pérennité. Les différentes

lois de santé et plans ont fortement modifié l’organisation des structures hospitalières et du

système de santé. L’Ordonnance du 24 avril 199628

crée l’Agence Régionale

d’Hospitalisation qui deviendra l’ARS, renforce le Programme de médicalisation des

systèmes d’information (mis en place en 2001) pour les établissements assurant des activités

de courts séjours en médecine, chirurgie et obstétrique. Elle crée aussi L’ANAES qui

deviendra l’HAS et dont le rôle est de mettre en place une certification permettant de s’assurer

28

Ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée dite

Ordonnance Juppé

Page 25: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

20

du développement d’une démarche d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins par

les établissements de santé. Le plan Hôpital 2007, les « 35 heures » en 2001, la loi «

Kouchner » du 4 mars 2002, l’ordonnance du 2 mai 2005 avec la mise en place de la

tarification à l’activité (T2A), le plan Hôpital 2012, la loi « Hôpital, patients, santé et

territoire » du 21 juillet 2009 et enfin la loi de modernisation de notre système de santé du 26

janvier 2016 ont provoqué d’incessantes modifications des organisations hospitalières. Les

hôpitaux ont vu leur financement passer d’une dotation globale forfaitaire annuelle à une

rémunération en fonction de l’activité qui engendrera une rationalisation de l’activité et des

besoins de rentabilisation des activités avec des politiques institutionnelles de fermeture ou

d’ouverture d’activités au gré des valorisations des groupements homogènes de séjour.

Selon Mihaï Dinu Gheorghiu29

et Frédéric Moatty30

, « Les établissements hospitaliers

ont fait évoluer leur gestion de l’emploi et leur organisation du travail en raison d’une

succession de réformes et de l’exigence toujours plus affirmée de maîtriser les dépenses de

santé. L’introduction de la tarification à l’activité (T2A) a transformé le financement du

secteur, notamment celui des établissements publics, l’allocation de leurs ressources

budgétaires dépendant désormais de la production des soins. » (Gheorghiu, Moatty, 2014,

p.1). Ces transformations de paradigmes économiques et d’organisations des hôpitaux dans un

but de limitation des dépenses et d’adaptation aux évolutions des besoins de la population

n’ont pas eu qu’une influence sur la gestion financière des établissements. Les conditions

d’exercice des personnels soignants s’en trouvent clairement impactées, l’emploi qui

représente en moyenne 70% des charges d’un hôpital, est devenu une variable d’ajustement

mettant les professionnels sous tension. « Dans ce contexte de mise sous tension des effectifs,

les rythmes de travail s’accélèrent, alors même qu’en raison des exigences du secteur, les

soignants ont depuis longtemps le sentiment d’exercer leur métier sous pression » (id. p.3).

Pour ces deux sociologues, les réformes hospitalières de ces dernières décennies ont aussi

contribué à une « flexibilisation de la main d’œuvre », à une sensation « d’accentuation des

contraintes » (id. p.3). La mise en place des pôles a permis aux directions de développer la

mobilité entre les services ou les pools de remplacement au sein des pôles, avec des

incertitudes permanentes au sein des équipes de par une flexibilité qui « affaiblit le collectif

de soin et son identité ; elle rend difficile l’intégration des nouvelles recrues. La pression

29

Mihaï Dinu Gheorghiu, sociologue au Centre Européen de sociologie et de science politique, chercheur au

Centre d’études de l’emploi 30

Frédéric Moatty, Docteur en statistiques et titulaire d’une maîtrise d’ethnologie, directeur adjoint de l’unité de

recherche « Dynamiques des Organisations et du travail » au Centre d’études de l’emploi. Ses travaux

s’inscrivent dans les domaines de la sociologie du travail et des organisations.

Page 26: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

21

exercée sur les soignants engendre, par exemple, un manque de temps pour les échanges, les

transmissions ou la régulation des conflits à l’intérieur des équipes ou avec le public. » (id.

p.4).

Ces évolutions des institutions hospitalières mettent sous pression le métier infirmier

dont les fondements sont quelque peu bousculés par cette injonction de « productivité », si

péjorative pour les soignants qui la rattachent à une production industrielle de biens de

consommation mais pas à la réalisation de soins auprès de patients et de réponses à leur

besoin de santé. Maintenant, les institutions leur demandent de calculer la charge de soins

pour évaluer le coût des soins au plus près du réel de l’activité en faisant fi de la singularité

des patients et donc d’une prise en soin globale et individualisée du patient. Il leur ait aussi

demandé de remplir un dossier patient informatisé avec encore plus de traçabilité et qui

participe à la médicalisation de la gestion de leurs établissements dans un but d’optimisation

des ressources nécessaires, incluant évidemment les ressources humaines. Ce grand

changement ne va pas sans créer son lot de troubles parfois plus profonds qu’il n’y

parait : « Si l’intensification du travail à l’hôpital s’inscrit dans des évolutions communes à

l’ensemble de l’économie, elle présente aussi des spécificités. L’introduction de mécanismes

de régulation économique ne se traduit pas seulement par une course contre la montre mais

s’accompagne également d’une perte de repères sur les finalités et le sens du travail » (id.

p.3).

Ces changements dans les activités des infirmières, avec le dossier de soins, la

traçabilité pour la qualité, les transmissions écrites, ont aussi eu un impact sur les pratiques

des infirmières et en particulier sur l’utilisation de l’oralité dans les transmissions de

l’information.

1.3.4 De l’oralité au tout écrit

Depuis toujours, le métier infirmier s’est construit sur l’oralité. Les infirmières ont

toujours beaucoup transmis ou reçu de l’information par voie orale que ce soit avec les

patients, les médecins, les collègues du service ou les autres professionnels paramédicaux de

leurs institutions. Le métier infirmier a dû progressivement apprendre à transmettre les

informations par écrit avec le dossier de soins et les transmissions ciblées dans un contexte de

Page 27: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

22

recherche de fiabilité et de qualité que l’écrit permet d’apporter. Selon Michèle Grosjean31

et

Michèle Lacoste32

, « traditionnellement opposé à l’oral, fugace, soumis à l’oubli et à la

déformation par les limites mêmes de la mémoire, à la contestation du fait de l’absence de

traces, l’écrit bénéficie dans notre culture d’une aura de sérieux et de crédibilité. Stable et

garant de pérennité, il se prête à la consultation à distance, dans l’espace et le temps, et permet

un engagement durable sur des faits, livrés grâce à lui au jugement public » (Grosjean,

Lacoste, 1998, p.439-440). L’information dans les institutions est un élément stratégique pour

pouvoir se prémunir des procédures pénales et garantir une certaine standardisation dans une

organisation très complexe où la coordination des intervenants est essentielle à l’efficience du

soin : « L’intervention croissante de professionnels aux compétences différentes, le relais des

équipes, la gestion des aléas, la réélaboration des objectifs, la prise de décision à différents

échelons rendent essentielles la coopération, la communication et la circulation de

l’information et obligent à penser leur organisation » (id. p.441).

Malgré la mise en place de cette formalisation de l’activité par l’écrit, les infirmières

utilise toujours de façon prédominante l’oralité selon Marie-Andrée Vigil-Ripoche33

: « La

pratique infirmière reste aujourd’hui essentiellement une pratique hospitalière orale, peu

formalisée, souvent tacite et implicite, qui va de soi et dont la référence première est le «

Terrain » de l’hôpital » (Vigil-Ripoche, 2006, p.67). Il n’en est pas moins vrai qu’aujourd’hui,

l’institution demande l’exhaustivité du dossier du patient dans un but d’optimisation médico-

économique de son activité et la société, par la loi Kouchner de 2002, a rappelé que le dossier

pouvait être consulté par le patient à sa demande et nécessitait donc d’être parfaitement tenu.

1.4 L’objet de notre recherche

Au final, le métier infirmier, comme tous les métiers du monde soignant, a vu son cadre

d’exercice professionnel fortement évoluer aux rythmes des réformes organisationnelles de

ces trente dernières années. Ces changements ont nécessité des adaptations, des modifications

des pratiques des infirmières et ont fortement impacté les organisations des services de soin et

les conditions de travail des infirmières.

31

Michèle Grosjean, psychologue du travail 32

Michèle Lacoste, professeur en sciences de la communication (Paris XIII) 33

Marie-Andrée Vigil-Ripoche, Docteur en sociologie-anthropologie

Page 28: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

23

Le déploiement du dossier patient informatisé, nouveau changement dans la pratique du

métier infirmier, semble lui aussi apporter son lot de tensions au sein des services ce qui a

motivé notre recherche.

Plusieurs suppositions peuvent être avancées pour expliquer les raisons de ces tensions

et pour nous aider à la construction de nos guides d’entretien. La première relève de l’idéal de

métier des infirmières et des activités qui pour elles semblent essentielles dans le métier. Cette

nouvelle tâche que représente la gestion du dossier patient informatisé les éloigne-t-elle du

cœur de métier ? Nous pouvons aussi supposer que l’utilisation de l’outil informatique de

façon plus importante les mette en difficulté et que la notion d’habitude d’utilisation des outils

numériques joue un rôle dans le niveau d’appropriation du logiciel. Nous pouvons aussi nous

poser des questions sur la qualité de la formation et sur leurs compréhensions des intérêts que

revêt le DPI pour elles. Cette nouvelle évolution du métier dans une période de changements

permanents dans les institutions de soins a-t-il contraint ou modifié les relations des

infirmières avec le patient ou l’équipe médico-soignante ? Autant d’interrogations qui nous

ont permis de réfléchir sur notre question de départ et de la faire évoluer, en lien avec nos

lectures et nos échanges, vers une problématique que voici :

Comment les infirmières incorporent dans leur métier ce nouvel élément du travail qu’est le

DPI ?

Pour pouvoir apporter une compréhension à cette question, nous avons réalisé des

entretiens auprès des professionnel(les) pour entendre la parole du terrain et ainsi construire

notre réflexion et notre analyse. Pour ce faire, nous avons suivi une démarche de recherche

méthodologique que nous vous présentons dans les paragraphes suivants.

Page 29: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

24

2 LA MÉTHODOLOGIE

Notre attention doit maintenant se poser sur la méthode que nous avons déployée lors de

ce travail de recherche. Nous présenterons tout d’abord la démarche compréhensive ainsi que

le choix de l’entretien semi-directif. Puis nous nous expliquerons sur le choix d’un terrain ou

le déploiement du DPI date de moins de deux ans, sur le choix d’une population d’infirmières

avec des profils sociologiques variés ainsi que sur le choix que nous avions d’interroger une

cadre supérieure de santé en charge du DPI de son établissement. Nous détaillerons ensuite les

guides d’entretien par thèmes avant de nous pencher sur la réalisation des entretiens et les

difficultés que nous avons rencontrés pour recruter les infirmières et réaliser ces entretiens.

Pour finir, nous nous attarderons quelque peu sur le concept du métier selon Yves Clot 34

qui

nous sera utile pour comprendre les dimensions du métier infirmier.

2.1 La bonne méthode pour une bonne recherche

Max Weber35

, considéré comme un des pères fondateurs de la sociologie, a défini la

sociologie comme étant « une science qui se propose de comprendre par interprétation

l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets. » (Weber,

1995, p.28). La sociologie wébérienne s’intéresse au sens que l’individu met dans l’action, il

cherche à savoir pourquoi les personnes disent ce qu’elles disent et pourquoi elles font ce

qu’elles font. C’est une sociologie compréhensive.

Notre choix méthodologique s’inscrit dans une démarche compréhensive par laquelle

nous cherchons à saisir, par le témoignage même des sujets de l’étude, les raisons de leurs

actions mais aussi le sens de leurs actions. Pour pouvoir engager notre recherche, il était

important de pouvoir définir son périmètre par une question de départ et ainsi engager un

travail de problématisation de notre recherche. Cette question de départ est primordiale, selon

Raymond Quivy36

et Luc Van Campenhoudt37

, « la meilleure manière d’entamer un travail de

recherche en sciences sociales consiste à s’efforcer d’énoncer le projet sous la forme d’une

question de départ. Par cette question, le chercheur tente d’exprimer le plus exactement

possible ce qu’il cherche à savoir, à élucider, à mieux comprendre. La question de départ

34

Yves Clot, professeur et chercheur en psychologie du travail, titulaire de la chaire de psychologie du

travail au Conservatoire national des arts et métiers. 35

Max Weber, économiste et sociologue allemand 36

Raymond Quivy, Docteur en sciences politiques et sociales de l'Université catholique de Louvain 37

Luc Van Campenhoudt, Docteur en sociologie de l'Université catholique de Louvain

Page 30: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

25

servira de premier fil conducteur à la recherche » (Quivy, Van Campenhoudt, 1995, p.35).

Après divers temps collectifs et personnels de réflexion et de recherche, nous nous sommes

efforcé de formuler une question de départ en respectant les trois exigences essentielles qui

sont : « primo des exigences de clarté, secundo des exigences de faisabilité et tertio des

exigences de pertinence, » (ibid.). Une fois cette étape cruciale franchie, nous avons pu nous

attaquer à la phase exploratoire du travail au cours de laquelle nous avons orienté nos

recherches sur des lectures permettant d’éclairer notre sujet. Le travail de sélection des

lectures fut un travail complexe, il fallait pouvoir donner un cadre contextuel à notre

recherche sans se perdre dans une boulimie livresque dans laquelle nous pouvions nous perdre

et nous écarter de notre fil conducteur.

La posture de chercheur nécessite aussi de savoir se mettre à distance de son sujet, de

savoir mettre de côté ses prénotions38

pour qu’elles n’influencent pas l’interprétation qui sera

faite des propos tenus par l’enquêté. Lors de cette phase exploratoire, nous nous sommes

attachés à construire un guide d’entretien exploratoire afin de réaliser deux entretiens semi-

directifs auprès d’infirmières.

2.2 Le choix de l’entretien semi-directif

Pour Quivy et Van Campenhoudt, l’entretien doit permettre d’instaurer « un véritable

échange au cours duquel l’interlocuteur du chercheur exprime ses perceptions d’un événement

ou d’une situation, ses interprétations ou ses expériences, tandis que, par ses questions

ouvertes et ses réactions, le chercheur facilite cette expression, évite qu’elle s’éloigne des

objectifs de la recherche et permet à son vis-à-vis d’accéder à un degré maximum de sincérité

et de profondeur » (id. p.170). Le choix de l’entretien semi-directif est un choix raisonné, il

permet à la fois de laisser une certaine ouverture à la parole de l’interviewé tout en permettant

à l’intervieweur de maintenir l’entretien dans le cadre de sa recherche, en guidant la personne

interviewée dans un cheminement intellectuel permettant d’élaborer son raisonnement

progressivement. L’entretien se veut aussi être individuel afin de ne pas offrir aux regards

d’éventuels collaborateurs le propos d’une personne enquêtée qui se verrait ainsi contrainte

dans sa liberté de parole. Notre travail fut donc de construire un guide d’entretien exploratoire

qui soit à la fois structuré et progressif intégrant des questions claires, ouvertes et concises.

Une fois ce guide élaboré, nous partons sur le terrain pour réaliser les deux entretiens

38

Prénotion : Connaissance spontanée, générale, tirée de l'expérience, antérieure à toute réflexion (CNRTL)

Page 31: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

26

exploratoires auprès d’infirmières. L’analyse de ces deux entretiens nous permettra de reposer

clairement la problématique, de revoir légèrement notre guide d’entretien exploratoire pour

qu’il devienne le guide d’entretien définitif que nous administrerons auprès de notre

population cible. Les personnes interviewées seront choisies suivant le terrain d’investigation

que nous aurons choisi.

2.3 Le choix du terrain et de la population

Lors du choix du terrain d’investigation, nous avons pris le parti de sélectionner une

institution dont les services de soins étaient en phase de déploiement du dossier patient

informatisé. Notre choix s’est ainsi porté sur un centre hospitalier universitaire de plus de

12000 agents dont le déploiement du DPI avait commencé deux ans auparavant. Nous

voulions pouvoir interroger des infirmières qui utilisaient le dossier informatisé depuis

suffisamment longtemps pour qu’elles puissent avoir un certain recul sur l’usage qu’elles en

faisaient. Mais nous voulions aussi qu’elles puissent se souvenir des conditions d’utilisation

du dossier patient papier afin de leur faire exprimer leurs expériences antérieures

d’organisation de leurs activités.

Ce choix de terrain restreignait assez fortement notre panel d’établissements

susceptibles d’entrer dans le cadre de notre recherche. De plus, nous devions aussi composer

avec un emploi du temps qui ne nous permettait pas de prospecter des établissements

géographiquement trop éloignés. Les établissements périphériques (départements voisins par

exemple) étaient soit équipés du dossier patient informatisé depuis plus de 5 ans, donc trop

ancien pour pouvoir interroger les personnels sur le moment du changement, ou bien dans les

tout premiers déploiements et n’offraient donc pas assez de recul aux équipes sur cette

évolution technologique. Il nous paraissait essentiel de ne pas enquêter sur des terrains qui

venaient d’être intégrés au dispositif de DPI depuis moins d’un à deux mois afin de ne pas

être dans le moment potentiellement tendu que peut-être une telle évolution des pratiques dans

une unité de soins. Nous avons donc réalisé l’ensemble de nos entretiens exploratoires et

définitifs au sein du même établissement mais sur différents services.

Notre volonté fut d’interroger uniquement les infirmières car l’objet de notre

questionnement reposait uniquement sur leurs expériences du DPI et leurs ressentis face à

cette évolution. Nous n’avions pas de volonté sélective sur les services auprès desquels nous

voulions enquêter, ni sur un type de profil sociologique privilégié. Au contraire, nous avons

Page 32: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

27

cherché à avoir des entretiens auprès d’infirmières (ou d’infirmiers) d’âges variés,

d’expériences variées et travaillant dans des services de niveaux techniques variés. Ainsi,

nous avons pu enquêter auprès d’infirmières provenant de service de soins de suites, de

cardiologie, de soins intensifs de pneumologie, de service de réanimation médicale, d’unité

neurovasculaire, de service de médecine polyvalente d’urgences et une infirmière travaillant

au sein d’un service de suppléance l’amenant à travailler sur plusieurs services d’un même

pôle.

Au fur et à mesure de la réalisation de nos entretiens, il nous parut important de pouvoir

mettre en perspective les propos et informations issus des entretiens réalisés auprès des

infirmières avec une vision plus institutionnelle des motivations, des enjeux et des

problématiques que peut générer le déploiement d’un dossier patient informatisé. Nous nous

sommes donc penché sur la construction d’un deuxième guide d’entretien afin de pouvoir

interroger un cadre supérieur de santé en charge du déploiement du DPI dans son institution.

Nous avons pris contact avec Mme LAURENT, cadre supérieure de santé travaillant au sein

de la Direction des systèmes d’information et d’organisation d’un centre hospitalier de 1600

agents, afin de pouvoir obtenir un entretien. Cette vision promettait d’être triplement

intéressante car elle émanait d’une personne qui avait réalisé le déploiement du DPI 8 ans

auparavant, qui continuait de déployer des briques complémentaires depuis et qui participait

aux réunions du collège d’experts de l’ANAP en charge du programme Hôpital numérique

afin de produire des documents d’aide à la décision et au déploiement d’un DPI.

Voici un tableau récapitulatif de l’ensemble des personnes interrogées que ce soit durant

la phase exploratoire ou au cours de l’enquête définitive. Ce tableau permet d’avoir un aperçu

des profils sociologiques des différentes personnes ayant participé à ce travail de recherche.

Page 33: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

28

Tableau 1: Profils sociologiques de l'échantillon

Entretiens exploratoires

Entretien Nom/Prénom

(d’emprunt)

Age

(ans) Etablissement Service

Année

d’obtention

du diplôme

Ancienneté

dans

l’établissement

(ans)

Ancienneté

dans le

service

(ans)

IDE 01 RENAULT

Corinne 45 CHU

Soins de

suites post-

chirurgicales

1992 22 10

IDE 02 ROUX

Delphine 34 CHU Cardiologie 2002 13 11

Entretiens définitifs

Entretien Nom/Prénom

(d’emprunt)

Age

(ans) Etablissement Service

Année

d’obtention

du diplôme

Ancienneté

dans

l’établissement

(ans)

Ancienneté

dans le

service

(ans)

IDE 01 DUPOND

Justine 31 CHU

Soins

intensifs de

pneumologie

2010 4 3

IDE 02 MARTIN

Pauline 29 CHU

Soins

intensifs de

pneumologie

2009 7 6

IDE 03 RICHARD

Augustin 38 CHU

Service de

réanimation

médicale

2002 14 8

IDE 04 ROBERT

Antonin 26 CHU

Service de

réanimation

médicale

2012 4 4

IDE 05 THOMAS

Laurine 39 CHU

Unité neuro-

vasculaire 2009 7 4

IDE 06 PETIT

Maryline 43 CHU

Service de

médecine

polyvalente

d’urgence

1997 19 6

IDE 07 DUBOIS

Adeline 28 CHU

Service de

suppléance

d’un PHU

2010 7 4

CSDS

en

charge

du DPI

LAURENT

Christine 55 CH

Direction des

systèmes

d’information

et

d’organisation

1983 IDE

1989 CDS 16 11

Page 34: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

29

2.4 Les guides d’entretien

Le travail de préparation des entretiens demanda une grande rigueur pour pouvoir

produire des guides ouverts tout en gardant un certain cadre à l’entretien, ce qui demande

d’avoir des questions simples mais qui doivent faire parler la personne interviewée sur les

thèmes qui soit en lien avec la question de recherche. L’objectif était que les acteurs décrivent

leurs activités, en étayant leurs dires de faits et de descriptions circonstancielles, tout en

essayant de les faire parler du sens qu’ils donnent à leurs actions. Pour Quivy et Van

Campenhoudt, le guide d’entretien doit permettre au chercheur de laisser venir « l’interviewé

afin que celui-ci puisse parler ouvertement, dans les mots qu’il souhaite et dans l’ordre qui lui

convient. Le chercheur s’efforcera simplement de recentrer l’entretien sur les objectifs chaque

fois qu’il s’en écarte et de poser les questions auxquelles l’interviewé ne vient pas par lui-

même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que possible » (id. p.171).

Il nous fallait aussi proposer dans nos guides d’entretien une certaine progressivité que

nous avons organisé en élaborant des guides d’entretien divisés en thèmes permettant à la

personne interrogée d’entrer progressivement dans le vif du sujet et ainsi produire une

connaissance et un matériau le plus propice à répondre à notre objet de recherche. Les

entretiens exploratoires que nous avions tout d’abord réalisés, nous ont permis de ramener un

contenu intéressant que nous avons décidé d’intégrer dans l’analyse définitive. Le guide

d’entretien exploratoire semblant pertinent, nous avons que très peu modifié son contenu en

rajoutant quelques questions de relance afin de produire le guide d’entretien infirmier définitif

qui nous a servi lors de nos entretiens suivants.

Le guide d’entretien infirmier39

se base sur 5 grands thèmes.

Le 1er thème : Présentation de la personne avec son déroulé de carrière.

L’objectif de ce premier thème est de mettre en confiance la personne interviewée car le

début d’un entretien est un moment primordial pour déterminer le contexte de réalisation de

l’ensemble de l’entretien. Pour Stéphane Beaud40

, « on peut dire, sans exagérer, que les

premiers moments de la rencontre sont stratégiques : ils marquent un climat, une

« atmosphère » dans laquelle se déroulera ensuite l’entretien » (BEAUD, 1996, p.238).

39

Annexe I : Guide d’entretien infirmier, p II-IV 40

Stéphane Beaud : sociologue

Page 35: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

30

Ce thème nous permet de connaitre l’histoire de vie professionnelle de la personne et de

connaitre l’organisation de son lieu d’exercice et la place qu’elle y occupe.

Le 2ème

thème : L’idéal du métier.

Notre volonté dans ce thème est de comprendre les raisons qui ont amené l’infirmière à

embrasser cette carrière, quelles valeurs et quelles activités sont les plus représentatives de ce

métier d’infirmière. Nous voulons aussi nous attarder sur les ressentis que la personne peut

avoir aujourd’hui sur son métier et son évolution mais aussi sur le niveau d’appréciation

qu’elle a de son métier par sa capacité à se projeter professionnellement dans 5 ans. Une

dernière question nous permet de comprendre si elle estime toujours autant son métier ou bien

si elle apporterait quelques bémols à une personne désirant se lancer dans des études

d’infirmière.

Le 3ème

thème : L’utilisation du numérique dans le privé.

Dans cette partie de l’entretien, nous cherchons à évaluer le niveau de maîtrise de l’outil

informatique de la personne. Nous voulons savoir quelles sont les utilisations que la personne

fait des moyens technologiques d’information et de communication dans sa vie privée et si

cette utilisation lui parait indispensable ou non. Le but final est de faire parler la personne

pour qu’elle nous exprime son ressenti sur la place que prennent ces nouvelles technologies

dans sa vie personnelle.

Le 4ème

thème : Avant le DPI, le dossier papier.

Nous souhaitons faire parler la personne sur son activité, la faire décrire l’utilisation

qu’elle pouvait avoir du dossier papier patient dans son exercice professionnel pour

comprendre la place que ce dossier prenait dans l’activité quotidienne d’une infirmière et les

éventuelles difficultés qu’elles pouvaient rencontrer dans son utilisation. Une question

s’attache aussi à savoir si la personne utilisait déjà des outils informatiques professionnels

avant le déploiement du DPI.

Le 5ème

thème : Le déploiement du DPI.

Cette partie de l’entretien est la plus importante du guide, elle comprend plus de la

moitié des questions. Nous cherchons à apprécier l’organisation du déploiement au sein du

service, les éventuelles prénotions des futurs utilisateurs et le rôle de ces utilisateurs sur ces

phases de déploiement. Nous demandons aussi à la personne de décrire son utilisation du DPI

Page 36: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

31

au quotidien afin de la faire parler des éventuels gains ou difficultés que ce changement peut

générer. Enfin nous cherchons à évaluer l’impact relationnel que le DPI peut avoir sur les

relations et moments importants qu’une infirmière peut avoir avec dans son activité

(transmissions orales, relations soignant/soigné, relations au sein de l’équipe).

A la fin de ce thème, nous finissons l’entretien par une dernière question qui nous

permet de laisser la parole à la personne afin qu’elle puisse compléter ses propos sur l’objet

de notre recherche ou bien exprimer d’autres idées ou pensées qui lui paraissent importantes.

Le guide d’entretien destiné à un cadre supérieur de santé en charge du DPI fut créer au

cours de la réalisation des entretiens auprès des infirmières ce qui permit d’adapter le guide

d’entretien cadre supérieur de santé41

aux informations que nous avions déjà pu obtenir de la

part des infirmières.

Nous n’avons intégré à ce guide que 3 grands thèmes.

Le 1er thème est identique au premier thème du guide d’entretien infirmière et poursuit

les mêmes objectifs.

Le 2ème

thème : Les raisons de la mise en place du dossier patient informatisé et son

déploiement.

Dans cette partie de l’entretien, nous voulons que la personne nous raconte l’histoire de

l’arrivée et du déploiement du DPI au sein de son institution en nous présentant les raisons du

choix de la mise en place d’un DPI, les motivations, les enjeux que cela implique et aussi les

difficultés que cela a entrainé dans le déroulé du projet ou bien dans les unités de soins. Nous

désirons aussi profiter de ses connaissances en tant que membre du collège d’expert de

l’ANAP.

Le 3ème

thème : Le retour d’expérience après 12 ans d’utilisation.

Dans ce dernier thème, notre objectif est d’avoir une sorte de retour d’expérience de la

personne sur son rôle, sur l’évolution du DPI dans l’institution et de la faire s’exprimer sur ses

ressentis sur les éventuels effets du DPI sur l’activité quotidienne des infirmières

(organisation, transmissions, relationnel, gains ou pertes). A la fin de l’entretien, la parole est

laissée à la personne interviewée pour qu’elle puisse amener à notre connaissance des

informations qu’elle pense être importante.

41

Annexe II : Guide d’entretien cadre supérieur de santé, p V-VII

Page 37: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

32

A présent que le terrain et la population ont été choisis et que nos outils d’entretien sont

prêts, il est temps de se lancer dans le bain de l’enquête de terrain.

2.5 La réalisation des entretiens et les difficultés de la recherche

Nous partons donc en recherche des infirmières intéressées pour nous témoigner leur

expérience. Cette phase de recherche fut complexe. Il fallait dans un premier temps trouver

des relais dans notre entourage pour pouvoir nous indiquer les services au sein desquels le

déploiement du DPI était réalisé et ensuite contacter les cadres des différentes unités pour

pouvoir leur présenter le thème général du projet de recherche afin qu’ils puissent en parler

aux équipes. Cela nous a demandé de la pugnacité et de nombreuses relances pour pouvoir

obtenir des réponses. Nous nous sommes souvent heurté à des refus, les personnes ne désirant

pas consacrer du temps personnel à la réalisation des entretiens car la possibilité de réaliser les

entretiens durant leur journée de travail ne leur était pas toujours offerte. Sur les dix entretiens

réalisés, six l’ont été sur le temps de travail, avec les contraintes de dérangements potentiels

que cela comporte, et les quatre autres ont été réalisés sur le temps personnel des infirmières.

Il n’y a eu que deux entretiens qui se soient déroulés en dehors des services sinon les

entretiens se sont déroulés dans une pièce du service ce qui a occasionné pour certains

entretiens des arrêts dans le déroulé, soit à la demande de la personne qui voulait s’enquérir de

la prise en charge de ses patients par ses collègues ou bien pour des sollicitations de la part

des collègues des personnes interrogées.

L’ensemble des entretiens ont été enregistré sur un dictaphone avec l’accord des

participants à qui nous avions apporté la garantie de l’anonymisation des retranscriptions et la

confidentialité de nos entretiens. Les entretiens ont duré entre 50 minutes et 1 heure et 25

minutes (avec une moyenne de 65 minutes par entretien).

Nous avons pris conscience par la réalisation des premiers entretiens exploratoires de la

charge psychique importante que cela demandait, notre concentration doit être totale pour

pouvoir saisir le sens de chacune des paroles prononcées. Nous avons essayé au fur et à

mesure d’adopter une posture de chercheur avec une écoute attentive tout en cherchant à aider

les personnes interviewées à élaborer ou approfondir son discours. Cette posture nous a

demandé un effort afin de discipliner notre subjectivité car nous sommes porteurs de

prénotions sur chacun des métiers qui interviennent dans notre cadre professionnel et en cela,

nous devions prendre garde lors de nos questions de relance à ce qu’elles ne soient pas trop

Page 38: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

33

inductives au risque de s’exposer à ce que Pierre Bourdieu42

appelle : « l’effet d’imposition

que les questions naïvement égocentriques ou, tout simplement distraites peuvent exercer et

surtout, de l’effet en retour que les réponses ainsi extorquées risquent de produire sur

l’analyste, toujours exposé à prendre au sérieux, dans son interprétation, un artéfact qu’il a

lui-même produit » (Bourdieu, 1993, p.1394). Ce fut particulièrement le cas lors de certains

entretiens durant lesquels les personnes interrogées étaient peu loquaces nécessitant des

questions de relance régulières qui ont mis à rude épreuve le jeune chercheur débutant que

nous sommes.

Nous avons aussi constaté que de nombreux cadres de santé que nous avions contactés,

nous ont proposé des rencontres avec des infirmières qui avaient un statut de référente sur le

DPI au sein de leur service. Nous avions précisé lors des prises de contact qu’il n’y avait

aucun critère de sélection mais au final, nos entretiens ont été réalisés à 75% avec des

professionnels référents du DPI (7 personnes sur 9 entretiens). Cela nous pose question dans

le sens où nous nous demandons si c’était un choix du cadre du service ou des professionnels

de nous mettre en relation avec des référents soit par peur des non-référents d’être en

difficulté face aux questions ou bien par volonté des référents d’exposer leurs ressentis sur ce

nouvel outil. Toujours est-il qu’il nous semble important de garder ce biais d’échantillonnage

à l’esprit lors de l’analyse de nos entretiens car il nous parait possible que les réponses

apportées lors des entretiens soient quelque peu influencées par une appropriation plus forte

de l’outil DPI du fait d’une formation initiale plus poussée et d’une intentionnalité dans la

valorisation de l’outil.

Enfin, notre dernier entretien fut réalisé auprès de la cadre supérieure de santé en charge

du déploiement du DPI au sein de son institution d’exercice. Cet entretien fut plus ouvert car

nous n’avions pas d’autre entretien avec une personne du même profil professionnel, ce qui

nous laissait assez libre de pouvoir nous écarter un peu du guide d’entretien ou d’ajouter

éventuellement des questions en réaction au discours de notre interlocutrice. Mais cela a aussi

nécessité une forte concentration pour pouvoir saisir l’ensemble des propos afin de réagir et

de faire compléter la moindre information qui pourrait enrichir notre matériau.

Cette étape importante de notre recherche terminée, il nous restait maintenant à analyser

le contenu de tous ces entretiens.

42

Pierre Bourdieu, sociologue

Page 39: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

34

2.6 L’analyse du matériau suivant la conception du métier d’Yves

Clot

L’ensemble de nos entretiens ont été retranscrits, cela nous a demandé un travail

considérable, mais ces heures passées à écouter et dactylographier nos enregistrements nous

ont aussi permis de nous imprégner un peu plus des discours des soignants rencontrés.

Pour pouvoir construire notre analyse, nous nous sommes appuyé sur l’ouvrage d’Yves

Clot intitulé « Travail et pouvoir d’agir » et particulièrement sur sa conclusion où l’auteur

tend à montrer que le mot métier est aussi un concept. L’auteur explique que « le métier a

plusieurs vies simultanées et c’est ce qui rend possible son développement » (Clot, 2008,

p.258). Ces vies ou dimensions du métier sont au nombre de quatre et cohabitent dans le

métier.

La première dimension décrite par Yves Clot est la dimension « impersonnelle », elle

représente le métier « consigné dans les tâches prescrites » (ibid.) par les organisations et les

institutions. Elle représente la formalisation du métier dans les lois qui le régissent et dans les

protocoles, fiches de tâches ou de postes qui encadrent son activité. Elle peut sembler assez

rigide et figée mais le contexte socio-économique peut parfois faire bouger cette dimension du

métier comme le précise l’auteur : « Il arrive donc que la prescription impersonnelle d’origine

hiérarchique anticipe sur le développement d’un métier et que des réformes institutionnelles

fortes soient la source d’un renouvellement de la créativité professionnelle » (id. p.259).

Les deuxième et troisième dimensions du métier sont les dimensions qui se jouent

« entre professionnels et en chacun d’eux dans la motricité des dialogues où se réalisent ou

non les échanges intrapersonnels et interpersonnels sur le réel du travail » (id. p.258). La

dimension intrapersonnelle représente l’expression personnelle du métier que l’infirmière

porte en elle, c’est son appropriation du métier et sa façon personnelle de l’exercer. La

dimension interpersonnelle est, quant à elle, la représentation du métier construit par les

échanges, les confrontations d’idées et de façon de voir ou faire le métier par les

professionnels. « Il s’agit du travail collectif pour accomplir la tâche et la repenser ensemble

dans l’activité conjointe » (ibid.). Ces deux dimensions contribuent par leur expression à

construire la quatrième dimension du métier qu’Yves Clot nomme : « la dimension

transpersonnelle ».

Page 40: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

35

Cette dimension, le psychologue du travail la définit comme « l’histoire et la mémoire

professionnelle » (ibid.) du métier « puisqu’elle n’appartient à personne, est un moyen

disponible pour tous et chacun, traverse les générations et même chaque professionnel »

(ibid.). Elle est l’accumulation des expériences et des connaissances permettant aux

professionnels de faire évoluer leur métier comme nous la décrit Jean-Luc Roger43

quand il

dit qu’elle est « l’objet et le résultat du travail que le collectif fait sur lui-même pour

conserver, transmettre et finalement « retenir » sa mémoire du travail, et « refaire » le métier

tout en le faisant » (Roger, 2007, p.20).

Au final, l’ensemble de ces dimensions, combinées entre elles, permettent à un jeune

professionnel qui débute dans son activité de commencer à exercer avec sa dimension

intrapersonnelle, son idée du métier qu’il a pu éventuellement se forger dans son cursus de

formation. Son exercice du métier va s’inscrire dans la dimension impersonnelle liée aux

prescriptions de tâches encadrées par son institution et la réglementation. Ensuite, il va

construire son métier par les échanges avec ses collègues qui vont lui permettre de relier les

dimensions interpersonnelle et transpersonnelle par la transmission de l’histoire du métier par

les collègues plus expérimentés. Cette grille de lecture nous permet de mieux comprendre les

différentes dimensions du métier qui sous-tendent sa pratique et la réalisation des activités,

mais aussi comment le métier peut évoluer suivant le développement ou les contraintes que

subit le métier.

43

Jean-Luc Roger, psychologue du travail au Conservatoire national des arts et métiers.

Page 41: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

36

3 D’UN IDEAL DU MÉTIER À UNE ADAPTATION DU

MÉTIER

Un métier évolue au fil du temps et des mouvements des organisations. Une jeune

infirmière arrive pour la première fois en stage avec ses idées d’idéal du métier et parfois cet

idéal se trouve bousculé par la réalité de l’activité. Dans cette troisième partie de notre travail,

nous allons essayer de comprendre comment les infirmières que nous avons interrogées, ont

dû adapter leur métier à ce nouvel outil qu’est le DPI. Nous verrons comment ces infirmières

ont choisi leur métier et comment elles le vivent aujourd’hui. Puis, nous aborderons la

question du dossier du patient, de l’utilisation des outils numériques et enfin de l’utilisation

du DPI. Ensuite nous nous attarderons sur les changements que le DPI a pu provoquer dans

les différentes relations que les infirmières entretiennent avec les professionnels et les

patients. Enfin, nous finirons par une présentation des différents niveaux d’appropriation du

DPI par les infirmières.

3.1 Infirmière, un métier choisi mais un métier difficile et contrarié

Les infirmières que nous avons interrogées nous ont toutes exprimé les raisons de ce

choix de métier et les représentations qu’elles avaient sur leur idéal de métier. Cette partie de

notre travail nous permet de comprendre ce choix de métier et de comprendre les implications

de ces professionnelles dans un métier de soins relationnels et de soins techniques. Nous

aborderons aussi la difficulté de réaliser ces activités avec un sentiment d’inachevé et pour

finir nous évoquerons une des raisons qui font que ces infirmières restent dans le métier

malgré ces difficultés.

3.1.1 Une vocation, mais aussi un métier

L’utilisation de ce terme de « vocation » prête souvent à discussion auprès des

professionnels de santé qui voient en lui une forte connotation religieuse due aux origines du

métier extrêmement marquées par les congrégations religieuses qui ont été pendant longtemps

les principales organisatrices et actrices du soin. Nous nous orientons plus sur le terme de

« vocation » au sens de « inclination, penchant marqué pour une profession exigeant

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dévouement et désintéressement (enseignement, médecine, recherche scientifique) ».

(CNRLT)44

. Les infirmières que nous avons interrogées, dans la grande majorité, nous ont

parlé d’une réelle motivation, d’une envie, d’un réel choix réfléchi dans leur engagement

professionnel. Leur motivation reposant essentiellement sur les valeurs personnelles qui

définissent quelles soignantes elles veulent être comme Mme Martin nous l’explique : « Donc

moi j’ai choisi d’être infirmière depuis toujours, j’ai toujours voulu être infirmière. Au départ

c’était vraiment pour le contact avec les patients, je recherchais vraiment un métier où je

pouvais apporter de ma personne et également avoir beaucoup d’échanges avec les

patients ». Mais il apparait aussi que ce choix est parfois très réfléchi et découle d’une volonté

de pratiquer un métier qui soit à la fois en accord avec les valeurs personnelles, mais qui

émane aussi parfois d’un raisonnement très concret, utilitariste45

. Mr Augustin, infirmier de

réanimation, semble très clair sur ce point : « Et puis en sortie de bac, je voulais une

formation pas trop longue et qui débouchait sur un secteur où il y avait du travail. Donc

c’était une réflexion qui s’est déroulée de cette façon. C’est ce qui correspondait à ma volonté

donc un métier dans la santé et une formation de trois ans et quelques mois, ce qui reste

correct en termes de durée ». Pour lui, être infirmier, c’est un métier au sens d’une

« occupation, profession utile à la société, donnant des moyens d’existence à celui qui

l’exerce » (CNRTL) plus qu’une vocation. Enfin pour d’autres, il apparait que ce choix de

métier s’est avéré être un second choix comme pour Mr Robert sans que cela ne soit, au final,

une frustration : « Au départ j'avais cette idée de vouloir faire un métier dans les soins, dans

la médecine sans forcément cibler tout de suite le métier d'infirmier, je savais que ça pouvait

être une possibilité, je n’ai pas forcément d’infirmier dans ma famille mais j'en connais. Donc

c'est vrai qu'au départ, j'ai choisi plutôt une voie large vers la médecine, la fac de médecine

ou le métier de dentiste qui me plaisait, le métier d'infirmier peut-être aussi. Donc, c'est un

peu aléatoirement, j'ai tenté aussi sans en être certain forcément, mais des gens qui font ça

par vocation ça existe mais finalement ils ne sont pas si nombreux que ça. Et du coup, une

fois l'aventure lancée, j'étais quand même motivé, intéressé et j'ai intégré l'école d’infirmier à

Tours en 2009 et finalement, l'envie et l'intérêt ont été exponentiels au fur et à mesure des

mois, des stages, des apports théoriques et du coup des années. Petit à petit j'ai conforté mon

projet, je me suis projeté comme futur professionnel, on travaille à l’IFSI la posture donc tout

ce pourquoi je voulais faire ça avec des choses qui m'intéressaient, des valeurs, aussi. »

44

CNRTL : Centre national de ressources textuelles et lexicales 45

Nous entendons ici l’adjectif utilitariste comme découlant de l’utilitarisme : Doctrine qui fait de l'utile, de ce

qui sert à la vie ou au bonheur, le principe de toutes les valeurs dans le domaine de la connaissance comme dans

celui de l'action.

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38

Nous comprenons dans leurs propos tout au long de nos entretiens que quelles que

soient leurs motivations, les infirmières aspirent à un idéal de métier marqué par les valeurs

des soignants que sont le respect de l’autre, de sa dignité, l’empathie, la générosité, l’écoute,

l’esprit d’équipe, mais il apparait aussi pour certaines un intérêt intellectuel dans le métier.

Parfois, ce choix de métier est aussi très rationnel en lien avec une idée d’employabilité et de

débouché sur le marché du travail.

Mais au-delà de ces considérations de choix, le métier est aussi imprégné de

représentations professionnelles selon différents types de soignants exerçant à la fois des soins

relationnels et des soins techniques.

3.1.2 Un métier relationnel et technique

Pour Anne Véga46

, il existe plusieurs représentations des femmes soignantes. La

première représentation est « l’infirmière curative, experte en pathologie, secondant le

médecin » (Vega, 1997, p.109), c’est le modèle de « l’infirmière technicienne hospitalière…..

assimilé à des savoirs techniques valorisés et à des pratiques de soins efficaces et visibles »

(ibid.). La deuxième représentation est l’infirmière centrée sur la relation au patient, une

professionnelle qui s’intéresse à « l’aspect relationnel des soins et représentant la dimension

humaine à l’hôpital » (ibid.). A l’opposé, madame Véga décrit « la soignante religieuse,

« cornette », axée sur des soins moraux, serviable, secourable, faisant son métier par vocation,

humanisme, sinon par compassion » (ibid.). Ces trois typologies de « représentations

professionnelles sont construites à partir de notions communes ayant un caractère idéal »

(ibid.). Cette classification des infirmières n’est pas aussi nette et tranchée, chaque infirmière

n’est pas vouée à rentrer dans une case permettant de définir son « style ». Une infirmière est

un mélange de toutes ces représentations, mais chacune définit son idéal de métier à sa façon,

se construit et représente son cœur de métier différemment, c’est la dimension personnelle de

son métier que chacun apporte avec soi dans son exercice professionnel. Lors de nos

entretiens, nous avons pu ressentir une certaine dominante de l’une ou l’autre de ces

représentations chez les infirmières interrogées. Nous avons pu clairement identifier deux

catégories de professionnelles, la troisième représentation de la femme soignante, la

« cornette » selon la typologie de Mme Véga, n’ayant pas de représentante dans notre

échantillon d’infirmières.

46

Anne Véga, anthropologue et ethnologue de l'Ecole de hautes études en sciences sociales

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39

La première catégorie est celle des infirmières mettant en avant la technicité du métier.

« En fait tout le côté scientifique, le côté de l’apprentissage du corps humain, de savoir toutes

les différentes parties, comment ça marche au niveau médical et puis après moi j’aime bien

tout ce qui est technique aussi. Je suis assez manuelle donc j’aime bien tout ce qui technique

dans ce côté de métier et puis le rapport avec le patient. Comment dirais-je ? Et bien le

contact humain quoi, finalement et puis aussi le travail en équipe » (Mme Roux). Ces

« infirmières techniciennes » (Véga, 1997, p.109) valorisent aussi la partie relationnelle de

leur métier mais elles expriment une certaine appétence pour les gestes techniques, les

procédures de soins nécessitant des connaissances médicales plus poussées. C’est dans cette

technicité qu’elles peuvent ressentir un certain épanouissement professionnel, les soins

relationnels ne venant qu’en complément des soins techniques : « Et puis également, j'associe

finalement aux soins techniques des soins relationnels qui me plaisent aussi énormément dans

la prise en charge des familles des patients et du patient en lui-même » (Mr Robert)

La deuxième catégorie regroupe les « infirmières relationnelles » (ibid.). Nous

retrouvons dans ce groupe, les infirmières qui mettent au premier plan la relation avec le

patient comme élément principal de l’activité d’une infirmière dans un service de soin.

« J’avais envie de m’occuper des autres, d’un métier relationnel, euh, me rendre utile. Pour

la société. » (Mme Renault). « Après, mes motivations, c'était surtout de prendre soin plus que

soigner, plus dans la démarche ou la notion du « take care » en anglais. C'est pour ça que je

m’y retrouvais assez bien en gériatrie parce qu'on a une prise en charge assez globale de la

personne et pas centrée juste sur la pathologie ou sur un point ponctuel…..C'est-à-dire qu'on

fait des soins techniques, on est auprès du patient, on a toute une dimension relationnelle

avec la prise en compte de la partie émotionnelle de ce que vit le patient et je trouvais que

c'était intéressant d'avoir cette richesse-là » (Mme Petit). Nous observons dans ces propos la

valeur dominante de l’humanité, de la dignité du patient en mettant au centre du soin le

patient et donc la qualité de la relation soignant/soigné, allant même jusqu’à donner une

grande valeur « thérapeutique » à la relation : « Je suis vraiment portée sur le relationnel

avec le patient, pour moi ça fait partie du soin et c'est même plus important parfois que les

soins techniques. Donc le plus important pour moi c'est d'être auprès du patient, c'est d'être

avec le patient, de mettre en place toutes les choses nécessaires à son bien-être, pour soigner

la maladie…….Et je pense que plus je vieillis et plus le relationnel finalement, on se rend

compte que si le patient n'est pas bien au niveau psychologique et bien les soins que l'on fait

ne sont pas de qualité suffisante en fait pour lui. Donc on peut faire tous les soins qu'on veut,

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le patient ne sera jamais forcément super bien s’il est angoissé et que finalement on fait les

soins et qu'on parte comme ça, il restera toujours avec son angoisse et parfois ça peut

majorer d'autres troubles. » (Mme Dubois). Cette dimension relationnelle du métier semble

être pour ces infirmières un pilier de leur conception du métier comme l’écrit Françoise Acker

en 2005 : « L’écoute et l’accompagnement des patients qui a pour objet de les aider dans

l’expérience qu’ils font des différentes dimensions de la maladie : acceptation du diagnostic,

perturbations de leur vie personnelle et sociale en raison des conséquences de la maladie et

des traitements….constituent une norme professionnelle centrale ». (Acker, 2005, p.170).

Ainsi, nous avons pu observer que chacune des personnes interrogées concevait son

exercice professionnel selon ses propres valeurs mais, comme nous l’avons vu auparavant

avec les dimensions du métier d’Yves Clot, la dimension intrapersonnelle du métier s’exerce

en symbiose avec les dimensions interpersonnelle et transpersonnelle sous la contrainte de la

dimension impersonnelle édictant la prescription du métier. Mais, comme toute notion

d’idéal, que l’on peut définir comme ce « qui possède toutes les caractéristiques, toutes les

qualités propres à son type, mais qui paraît difficilement réalisable »47

, le métier idéal n’est

pas le métier exercé.

3.1.3 Un métier difficile, un sentiment d’activité inachevée

Lors de nos entretiens, nous avons aussi interrogé les personnes sur ce qui, pour elles,

faisait qu’une journée avait été bonne ou mauvaise. Notre intention était de comprendre ce

qui, dans leur activité professionnelle, est source de satisfaction ou de contrainte dans

l’exercice de leur métier. Une réponse est revenue très fréquemment, c’est la satisfaction du

travail accompli et le travail de qualité. Mme Renault nous décrit justement une mauvaise

journée : « Alors rarement je me dis que ma journée a été bonne. Euh, parfois c’est plus dans

l’autre sens quand les journées sont difficiles parce que la charge de travail a été lourde,

parce qu’on a parfois un sentiment d’inachevé que ce soit au niveau relationnel avec les

patients, les familles ou la prise en charge, voilà on a pas réussi à faire tout ce qu’on voulait

faire, c’était désorganisé. C’est plus quand c’est désorganisé que ça me déplait, en fait, que

j’ai plus ce sentiment d’avoir mal travaillé ». Pour Mme Roux, elle nous décrit aussi cette

insatisfaction : « Si je pars et que j’ai pas réussi à faire tout ce que je m’étais mis comme

objectif en arrivant, je ne vais pas sortir satisfaite. » Nous pouvons comprendre à travers ces

47

Idéal, définition du Larousse

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41

propos un fort attachement à la réalisation de la tâche mais cela entraine une insatisfaction sur

la qualité du travail provoquant parfois une perte de sens ou du moins de compréhension dans

l’activité comme nous l’explique Mr Richard : « Pour ce qui est des prescriptions, on abat, on

abat, on abat et le soir on se dit : « Ok, j’ai fait plein de choses mais rien n’a été coordonné et

rien n’a été logique dans ma prise en charge parce qu’on m’a demandé de faire ça, après on

m’a demandé ça, après j’ai été interpelé par une famille qui voulait ça » et puis on n’arrive

pas à mettre un lien entre toutes les actions, un fil conducteur sur notre journée. C’est très

récurrent et c’est fatiguant de faire de l’abattage. ». Nous comprenons ici que l’activité des

infirmières dans les services de soin est très ancrée dans l’action et la répétition de tâches à

effectuer dans un délai imparti. Walter Hesbeen nous explique que « être centré sur la

succession de tâches à effectuer est ce qu’il y a de plus désastreux pour la construction de

l’identité infirmière car elle vide le soin infirmier de contenu, de sens. Cela va véritablement à

l’encontre du processus qui mènerait à plus de reconnaissance car une tâche ne nécessite

qu’un exécutant plus ou moins spécialisé » (Hesbeen, op. cit. , p.73).

Cette activité de « tâcheronne » comme l’appelle Mme Roux, n’apporte que du

mécontentement de la part des infirmières qui ne se retrouvent pas pleinement dans leur

exercice du métier. Leurs valeurs soignantes sont confrontées à la dure réalité du métier et

cette confrontation du « métier idéal » au « métier réel » est génératrice de souffrance, de

stress et de démobilisation. Les infirmières sont frustrées par la réalité du travail réalisé qui ne

correspond pas au travail souhaité ou idéalisé. «Une mauvaise journée, c'est quand on a été

dans « le jus » on va dire toute la journée. On a fait que des soins, qu’il y avait trop de travail

et qu'on n'a pas l'impression d'avoir abouti notre travail, de ne pas l’avoir fait jusqu'au bout.

Et c'est quoi faire le travail jusqu'au bout ? Et bien c’est de prendre en charge le patient en

globalité, de vraiment avoir le temps de lui faire ses soins, de lui parler, de l'écouter et de ne

pas être à courir partout » (Mme Dubois). Elles regrettent de voir le cœur de leur métier être

de plus en plus phagocyté par des contraintes ou des tâches qu’elles doivent assumer et qui les

empêchent de pouvoir passer plus de temps auprès du patient, « On peut dire qu’on nous en

demande toujours plus, ça c’est sûr, je pense que c’est un fait établi et que je peux voir même

sur les 2-3 ans que j’ai passé dans le service….. C’est-à-dire qu'on va, petit à petit, nous

donner des tâches un petit peu supplémentaires : « Tient finalement c’est vous qui allez

commander tel matériel, finalement c'est vous qui allez gérer telle organisation au sein du

service. ….. Ça me gêne un petit peu parce que quand je suis rentré à l’école d’infirmière ce

n’était pas quelque chose à laquelle j'aspirais, d'être productive. Je pensais que j'aurais plus

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de temps pour m'occuper vraiment des gens. Mais après ce n’est pas pour ça qu'on le fait mal

mais effectivement cela nous demande de l'organisation derrière pour se dégager un peu

temps et pour profiter de s'asseoir deux minutes avec les patients et pouvoir être à leur

écoute. » (Mme Dupond). Yves Clot, dans son livre intitulé « Le travail à cœur », parle de

« qualité empêchée » pour énoncer ce malaise ressenti par les travailleurs, un malaise qui

provient d’un sentiment de travail mal fait ou inachevé au regard de la qualité de travail

espéré par ces travailleurs : « la souffrance n’est pas d’abord le résultat de l’activité réalisée.

C’est ce qui ne peut pas être fait qui entame le plus. La souffrance trouve son origine dans les

activités empêchées, qui ne cessent pourtant pas d’agir entre les travailleurs et en chacun

d’eux sous prétexte qu’elles sont réduites au silence dans l’organisation » (Clot, 2010, p. 165).

3.1.4 Un épanouissement personnel par des activités complémentaires

La question se pose alors de savoir comment ces infirmières font pour rester dans un

métier si exigeant à l’origine, et maintenant si contraint et source de malaise voire de

souffrance. Sur notre échantillon d’infirmières, nous avons constaté une forte implication des

personnels dans des activités complémentaires ou parallèles comme le tutorat des stagiaires, la

formation aux gestes d’urgences, au raisonnement clinique, les commissions ou bien référents

pour le dossier patient informatisé ou en soins palliatifs. Ces activités périphériques au cœur

de métier semblent apporter un certain exutoire à ce « travail empêché » comme Mme

Dubois, qui quand nous lui posons la question sur ce qui fait que son métier lui plait, nous

répond : « Alors, ce qui fait que mon métier me plait, en fait ce n’est pas vraiment mon métier

enfin mon cœur de métier, c'est vraiment tout ce qui est annexe. Je suis référente en soins

palliatifs et donc ça, ça me plaît beaucoup, de pouvoir mettre en place des choses pour les

patients, de conseiller mes collègues, de travailler avec certains médecins de soins

palliatifs…. En fait c'est vraiment tout ce qui est annexe au cœur de métier parce qu’à l’heure

actuelle, sur la prise en charge du patient, on est moins bons avec les effectifs et donc moi j'ai

besoin de ma petite soupape un peu en faisant autre chose que mon cœur de métier……

j’essaye de faire au mieux mais je reste frustrée sur certains points parce qu'on a un manque

de temps pour faire les soins, pour parler aux personnes et donc ça me frustre beaucoup et

c'est pour ça que je cherche à faire d'autres choses annexes pour ne pas rester dans cette

frustration et risquer ne pas m'épanouir dans mon travail. » La recherche d’épanouissement

professionnel ne se fait plus uniquement par la réalisation des activités propres au cœur du

métier devenues trop éloignées de leur idéal de métier.

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43

Pour Mme Roux, cet investissement dans des activités complémentaires au service

infirmier permet son épanouissement personnel mais elle y voit aussi un moyen de faire

progresser l’équipe et le métier par l’échange et le partage sur l’activité, ce qu’Yves Clot

appelle « instituer les conflits sur la qualité de l’activité » (id. p. 162) pour débattre sur le

« travail bien fait » : « Ce qui me plait aussi, vu que ça fait un moment que je suis dans ce

service-là, c’est de faire des choses à côté parce que je maîtrise plus les choses maintenant

dans le service et donc je vais pouvoir m’investir dans des choses à côtés qui pourront aider

mes collègues qui, elles aussi, pourront faire d’autres choses à côté et comme ça, ça permet

de s’entraider entre nous sur différents sujets. Avoir des référentes comme on a une collègue

référente pansements, ça aide dans la prise en charge du patient et puis pour nous, on peut

lui montrer le pansement si on a une difficulté et ça permet de justement avoir moins de

difficultés ». Cet engagement reste un complément au cœur de métier dans un but de mieux

faire et vivre son métier, on pourrait assimiler ces activités à une sorte de bouée permettant de

se maintenir «à flot» dans l’activité : « mon métier principal reste auprès du patient mais je

trouve ça intéressant de pouvoir développer des choses en parallèle pour pouvoir justement

mieux revenir à mon métier et améliorer mes pratiques grâce à ça ».(Mme Dupont)

Par leurs histoires personnelles et leur façon de vivre le métier, les infirmières nous ont

expliqué les ressentiments qu’elles avaient face à une activité trop peu en phase avec leur

idéal du métier. L’arrivée du dossier du patient informatisé est une perturbation

supplémentaire dans ce métier, mais en quoi l’informatisation du dossier du patient peut-il

être source de changement dans les pratiques professionnelles des infirmières ?

3.2 Le DPI, un corps étranger du cœur de métier ?

Le DPI n’est en fait que l’informatisation d’un dossier patient que les infirmières

utilisent depuis de nombreuses années. De plus, elles utilisaient déjà des logiciels métiers

durant leurs activités mais de façon plus ponctuelle ainsi que des outils de communication et

d’information numériques dans leur vie personnelle. La question est de savoir comment les

infirmières appréhendent ce « nouvel acteur » dans l’activité de soin et comment elles peuvent

se l’approprier.

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44

3.2.1 Le dossier du patient version papier

L’utilisation du dossier papier par les infirmières interrogées étaient très rodées, il

faisait partie de leur activité professionnelle et étaient donc un élément du cœur de métier.

Elles avaient leurs habitudes, elles passaient du temps chaque jour à le compléter ou le lire et

il était bien intégré dans la suite des tâches qu’elles devaient réaliser tout au long de leur

journée de travail. Elles étaient bien conscientes des enjeux du dossier papier en termes de

traçabilité, en tant que preuve de leur activité, mais aussi médico-légale comme nous le

souligne Mme Martin : « Et bien ça permettait d’avoir une surveillance rapprochée du

patient et de surveiller le fait qu'on fait bien les choses demandées, d'avoir une traçabilité. »

ou bien Mr Robert : «C'est aussi rendre compte de mon travail en inscrivant tout ce que je

fais et puis c’est aussi médico-légal. C'est ça l'intérêt fort.» Mais ces professionnels étaient

aussi lucides quant aux risques inhérents à cette activité de retranscription manuelle dans le

dossier. Mme Roux se rappelle très bien de ses difficultés pour comprendre les écritures et

faires des retranscriptions dans les dossiers et donc ses craintes : « Les difficultés déjà c’était

de relire les prescriptions, parfois c’était un peu fouillis et c’était aussi un peu risque

d’erreur quand même. Surtout au début, on réécrivait des prescriptions qui étaient écrites par

le médecin sur une page qu’on réécrivait, on réécrivait beaucoup en fait. Donc déjà on

perdait du temps pour ça parce qu’on était tout le temps dans la réécriture. ». De plus, elles

identifiaient aussi les problématiques de disponibilité du dossier qui devait être unique et donc

accessible que par une personne à la fois, « On courait beaucoup derrière parce que les

médecins l'avaient et il n’y avait qu’un dossier par patient. Après c'était la visite du médecin

donc souvent on n'avait pas le dossier » (Mme Dubois), ce qui générait des systèmes de

double retranscription des informations avec un risque en terme de qualité de l’information

transmise : « donc on faisait nos soins qui étaient notés sur une autre feuille qui était à côté. »

(Mme Dubois).

L’ensemble des professionnels interrogés lors de nos entretiens utilisaient déjà des

outils informatiques dans leurs services réciproques en plus du dossier patient papier. Il y

avait surtout un logiciel de prescription pharmaceutique informatisé et un logiciel de gestion

des demandes de brancardages. Mais les infirmières utilisaient l’ordinateur de façon limitée

pour préparer les médicaments et quand nous demandons à Mr Richard la durée d’utilisation

qu’il avait de l’ordinateur avant le DPI, il nous répond : « Sur une journée, une estimation,

j’essaie de me rappeler, oui j’aurais dit 10 % du temps soit 1 heure environ à 1h30 maxi sur

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45

notre ordinateur. ». Sur notre échantillon, les réponses apportées nous permettent d’obtenir

une fourchette de temps allant de 30 minutes à 1 heure 30 minutes par jour. Et lorsque nous

posons la même question de temps d’utilisation mais cette fois-ci sur le dossier papier, Mme

Dupond déclare : « Beaucoup plus, sur une journée complète de travail, je dirais peut-être

trois heures », ce qui correspond à la valeur supérieure de temps exprimé par notre

échantillon qui se situe entre 2 et 3 heures d’utilisation du dossier papier par jour. Au final,

nous observons que les infirmières déclarent qu’elles passaient entre 2h30 et 4h30 par jour à

réaliser des activités autres que du soin auprès des patients, activités que nous appellerons des

« activités de traçabilité, de renseignement et d’organisation » du soin.

3.2.2 Les outils numériques de communication, des outils de tous les

jours

Lors de nos entretiens avec les infirmières, nous avons aussi cherché à évaluer leur

niveau d’appropriation des outils numériques d’information et de communication dans leur

vie privée pour essayer de comprendre d’éventuelles appétences ou parfois des blocages face

à l’outil informatique en tant que tel. Nous avons pu constater dans leurs propos qu’elles se

considéraient comme des utilisatrices quotidiennes des outils informatiques, mais pour des

utilisations simples et basiques. Elles estiment que ce sont des outils nécessaires mais pas

indispensables pour certaines et qu’in fine, cette évolution vers un monde plus numérique est

une évolution un peu contrainte, mais aussi souhaitable et qu’il faut suivre sous peine de se

trouver dépassé : « Et bien souhaitable, on n’a pas trop le choix finalement. On est obligé de

s’y résoudre, parce que tout va vite, tout évolue vite, et si on ne suit pas, comme dans nos

professions, si on ne suit pas les évolutions, on est vite décalé. Donc on est bien obligé. Et

puis en mode de communication aussi quelque part, après si on est anti-SMS, anti-mail, on va

perdre des contacts » (Mme Renault). Elles sont aussi très conscientes du gain de temps

apporté par ces outils qui sont des facilitateurs d’accès à l’information : « Oui, je pense que

c’est facilitant c’est-à-dire que l’on a accès à beaucoup de choses en peu de temps et on peut

avoir des informations de l’autre bout du monde en trois clics donc je pense que c’est une

évolution positive » (Mme Dupond). Ce sont aussi des outils qui simplifient les activités très

variées de la vie personnelle comme nous l’explique Mme Martin : « maintenant on fait

tellement de choses par internet, comme par exemple regarder les choses sur Internet avant

de se déplacer en magasin, au niveau administratif, on peut faire des choses par internet.

C'est sûr que ça simplifie quand même, il n’y a plus de besoins de faire les courriers, c'est

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46

vrai que ça simplifie énormément la vie. ». Enfin, Mr Martin nous précisent que pour lui, les

outils numériques lui permettent d’organiser sa vie personnelle : « Ça organise une partie de

ma vie, c'est un outil qui m'aide à organiser donc ma vie ».

Au final, nous avons pu comprendre dans les propos tenus par les infirmières de notre

échantillon qu’elles ne se considéraient pas comme des geek48

, mais comme des utilisatrices

averties et conscientes des apports à leur vie personnelle de ces outils. « Je ne sais pas si c’est

souhaitable mais c’est l’évolution de la société actuelle. Après c’est difficile de rester en

marge, il faut être conscient des risques et des dangers. C’est un outil comme tous les autres

outils, à partir du moment où on comprend à quoi ça sert et les dangers, et comment bien s’en

servir, ce n’est ni plus ni moins qu’un outil, il y a aussi beaucoup d’avantages en termes de

réactivité, de rapidité de diffusion d’une information, un gain de temps. » (Mme Petit). Nous

avons pu interroger des infirmières âgées de 26 à 45 ans sans pouvoir faire de distinction de

discours entre des jeunes infirmières nées avec l’informatique et les moyens de

communications numériques et des plus anciennes dont l’apprentissage des outils

informatiques ne s’est fait qu’à l’âge adulte. Toutes ces expériences personnelles de

l’utilisation des outils numériques de l’information et de la communication ont clairement

généré chez les infirmières des attentes vis-à-vis du déploiement du DPI dans les services de

soins mais aussi des craintes.

3.2.3 Des attentes contrebalancées de craintes

Les infirmières placent dans le DPI des espoirs de gain de temps, d’accessibilité à toutes les

informations concernant le patient et d’une amélioration de la qualité de la tenue du dossier

comme nous l’expose Mme Dubois : « Je trouvais ça bien que l'on ait tout sur informatique,

que finalement ça serait peut-être un petit peu plus facile d'utilisation……. Et bien le fait de

ne pas recopier 10 fois les choses parce qu'en fait quand on fait une entrée dans un service,

on écrit une macro cible, quand il part dans un autre service, on refait une macro-cible. C'est

de la perte de temps, finalement maintenant on coche des cases et voilà ». Dans son article

« Informatisation des unités de soins et travail de formalisation de l’activité infirmière »,

Françoise Acker nous explique les attentes des infirmières quant à l’informatisation du dossier

du patient. Dans un premier temps, elles attendent un gain de temps et de sécurité : « A un

48

Définition de geek : Fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc., toujours à l’affût des

nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques (Larousse)

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47

niveau pratique, les infirmières des services attendent une meilleure efficacité de la gestion de

l'information et une sécurité accrue obtenue par la suppression des retranscriptions, un gain de

temps dans les saisies, une planification automatique des actes à partir des prescriptions

médicales, un accès rapide et permanent à des informations produites par d'autres services,

soit une autonomie plus grande dans la recherche d'informations, dans l'utilisation de leur

temps de travail, une maîtrise plus aisée de l'identification et de l'ordonnancement des actions

à entreprendre » (Acker, 1995, p.75). Mais elles voient aussi une possibilité de s’emparer de

ce nouvel outil pour améliorer la qualité des soins qu’elles délivrent : « L'outil informatique,

notamment avec une présentation ordonnée des informations à recueillir, une diffusion des

protocoles de soins, une planification automatique des soins à partir des prescriptions

médicales et des objectifs de soins infirmiers, l'enregistrement plus systématique des actions

infirmières que requiert la gestion de la trajectoire de maladie du patient, devraient fournir aux

infirmières les moyens d'avancer dans l'évaluation de la qualité des soins et d'améliorer les

pratiques. » (id. p.76).

Malgré ces visions de gains potentiels, les infirmières que nous avons interrogées

semblaient encore relativement inquiètes quant aux conditions de déploiement du système :

« On était plus inquiets de savoir comment ça allait se faire, dans quelles conditions ? Parce

que forcement l'installation de ce genre de logiciel ça pose des problèmes. On veut savoir si

on allait avoir des renforts à ce moment-là, qui allait nous aider, dans quelles conditions ça

allait se faire quoi ? C'était vraiment ça qui nous inquiétait. En combien de temps, à quelle

période ? » (Mme Roux). Il y avait aussi des inquiétudes en lien avec la nouvelle organisation

que cela allait entrainer : « Les craintes, c'était la peur d'avoir du mal à se « dépatouiller »

entre le patient et l'ordinateur, c'était en termes d'organisation, de savoir si on allait avoir

assez de matériel pour tout le monde et si ça tombe en panne, comment on fait ? » (Mme

Thomas). Ce DPI, comme tout changement dans les organisations de travail, apporte avec lui

des réticences et des craintes. Pour Norbert Alter49

, les organisations, les institutions sont en

mouvement permanent, elles évoluent sans cesse ce qui fait que les changements deviennent

des situations banales et fréquentes (Alter, 2000). Il définit le changement comme « une

transformation de l’un des éléments de l’organisation du travail, ou de l’organisation toute

entière. Le changement correspond ainsi à la comparaison entre deux états des relations de

travail et de la nature des activités » (id. p.119-120). Selon l’auteur, ces changements peuvent

avoir des effets positifs ou négatifs, suivant les points de vue, mais en tout état de cause, ils

49

Norbert Alter, sociologue à l’Université Paris Dauphine

Page 53: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

48

sont générateurs de transformation aboutissant à « un nouvel état du tissu social et

organisationnel » (id. p.120). Face à ce nouvel outil, les infirmières interrogées ne se sentent

pas les mieux armées par la formation pour pouvoir s’adapter à ce changement. C’est avec un

certain sentiment d’insécurité qu’elles se projettent dans la mise en pratique de cette

formation. Les modifications dans l’organisation de leur travail qu’elles entraperçoivent dans

le déploiement du DPI les interrogent sur leurs capacités à pouvoir gérer à la fois cet outil tout

en gardant une relation au patient adaptée.

3.2.4 Le DPI, un outil qu’il faut « assimiler »

L’arrivée du DPI dans les équipes apportent son lot de craintes et de personnels réfractaires

comme nous l’explique Mme Dupond : « Et après, il y a toujours dans toutes les équipes des

personnes qui sont réfractaires au changement et voilà, le fait du changement en lui-même, ça

rebute plus d’une personne alors que notre travail est le même, c’est juste le mode de saisie

des informations qui n’est plus le même. Mais les informations sont toujours présentes ». Elle

notifie quand même que pour elle, le travail, entre autre le travail de transmission et

d’information, est juste réalisé de façon différente. Malgré le fait que les professionnels des

services utilisaient déjà l’outil informatique, son utilisation encore plus importante peut

occasionner des difficultés dans la réalisation de l’activité du fait d’une appropriation

déficiente de l’ordinateur en tant qu’objet de production. Xavier Berbain50

et Etienne

Minvielle51

nous explique que « l'acquisition technique de l'instrument informatique va

essentiellement se faire dans l'action, c'est-à-dire, pour le personnel de l'unité de soins, en

situation de prise en charge des patients. » (Berbain, Minvielle, 2001, p.88) et « La

méconnaissance instrumentale semble donc impliquer des dysfonctionnements liés à une perte

de fluidité dans l'enchaînement des activités ainsi qu'à une augmentation des facteurs

d'incertitude. Paradoxalement, la meilleure disponibilité des informations grâce à

l'informatisation est diminuée par une accessibilité précaire due à la faible maîtrise de

l'outil. » (id. p.89). Ces difficultés nous ont été confirmées lors de nos entretiens, « il y a eu

des difficultés au départ pour faire à la fois le travail quotidien ici et s'adapter à l'arrivée du

logiciel, pour faire comme avant, entrer les informations mais sur l'informatique, en prenant

50

Xavier Berbain, Docteur en sciences médicales 51

Etienne Minvielle, Professeur en sciences de gestion à l’Ecole des hautes études en santé publique, praticien

hospitalier à Gustave-Roussy, directeur de la qualité, gestion des risques et relation au patient

Page 54: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

49

du temps qui n'était pas du coup du temps qui était donné aux patients ou aux soins donc oui,

ça c'était quand même une difficulté pour pas mal de gens ».(Mr Robert).

Face à ces difficultés d’appropriation de l’outil, le temps passé sur l’informatique

semble « du temps perdu dans la relation de soins » pour les infirmières. Quand nous

interrogeons Mr Robert sur le temps qu’il passe par jour de travail sur l’ordinateur, voici ce

qu’il nous dit : « je ne sais pas si c'est beaucoup mais oui deux heures sur 12 heures de temps

passé sur l'ordinateur. Ce n'est peut-être pas assez, plutôt 2h30 parce que si on passe du

temps à écrire les transmissions ou bien à lire les documents, ça rajoute des minutes. ». Mme

Thomas nous confirme cette évaluation : « Avec tous les coups d'œil qu'on jette tout au long

de notre activité, c'est difficile à quantifier, je dirais que peut-être, en cumulé on n'est pas loin

de trois heures ». En comparant ce temps estimé au temps cumulé de travail sur le dossier

papier et les logiciels de prescriptions avant le DPI (entre 2h30 et 4h30), nous pouvons nous

interroger sur ce ressenti exprimé par les infirmières.

De plus, le niveau d’aisance avec le matériel informatique varie fortement d’une

personne à une autre conduisant donc à des écarts d’appropriation des fonctions du logiciel du

dossier patient. Encore faut-il relativiser ces difficultés lors d’un déploiement de DPI réalisé

entre 2015 et 2016 (pour les infirmières que nous avons interrogé) car le niveau de maîtrise de

l’outil est bien plus haut de nos jours qu’il ne l’était quand, par exemple, Mme Laurent (cadre

supérieur de santé) a déployé le DPI dans l’établissement où elle exerce. Le niveau

d’acculturation n’était pas le même : « Ce n'est pas l’outil qui leur pose problème

contrairement ce qu'on peut penser. Entre 2006 et fin 2008, personne ne savait tenir une

souris, ou c'était compliqué. Dans les formations certaines n'avait jamais eu d'ordinateur.

Dans les formations que l'on fait aujourd'hui, tout le monde a son ordinateur, ce n’est plus

l’outil informatique qui est un problème, mais vraiment pas. » Le fonctionnement de l’outil ne

pose plus autant de problèmes mais il reste quand même source de difficulté dans

l’organisation du travail et dans les relations.

3.3 Un nouvel outil pour de nouvelles relations

Comme un artisan doit d’abord savoir manier un nouvel outil pour pouvoir développer

de nouvelles capacités de travail, les infirmières doivent aussi trouver une nouvelle façon de

travailler avec ce nouvel outil qu’est le DPI. Les infirmières doivent développer leur façon

Page 55: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

50

personnelle de travailler avec le DPI, mais elles doivent aussi prendre en compte l’interaction

avec l’ordinateur dans leur façon de gérer leurs relations avec le patient et les collègues.

3.3.1 Trouver « son » utilisation de l’outil

Lors de nos entretiens exploratoires puis nos entretiens définitifs, nous avons essayé

d’avoir des interviews avec des infirmières qui utilisent le DPI depuis plusieurs mois afin de

ne pas nous trouver dans la phase de tensions potentielles qui peuvent perdurer quelques

semaines après le déploiement. Le but de cette démarche était de pouvoir obtenir un discours

« apaisé » et un retour d’expérience plus serein. Malgré cette précaution, les reproches au

sujet du DPI restent vivaces comme pour Mme Martin qui déclare : « Quand je me suis lancée

dans le métier d’infirmière, je ne pensais pas qu’on puisse avoir une aussi grosse partie de

secrétariat. Parce que moi, j’appelle ça faire du secrétariat, la saisie informatique c’est du

secrétariat ». Il est vrai que, comme nous en avons parlé dans les paragraphes précédents, un

outil informatique demande une prise en main et l’utilisation d’un clavier est moins innée et

demande plus de temps. Mme Roux, référente pour le DPI dans son service, nous a exprimé le

ressenti que pouvaient avoir ses collègues : « Après ce qui ressort de façon générale de la

part de mes collègues, c'est que c'est quand même beaucoup plus consommateur de temps que

le dossier écrit, c'est ce qu'elles trouvent. ». L’ordinateur est devenu un élément essentiel dans

les activités des infirmières : « Et bien il me suit, enfin pour le premier tour, il me suit partout.

Après, pour les soins de 10 heures à midi, quand on pose les perfusions par exemple, il reste

en salle de soins et après de midi à 14 heures on est sur l'ordinateur pour refaire le tour,

noter les transmissions et bien re-noter tous les soins qu'on a faits. » (Mme Dubois).

Une fois les premières difficultés passées, les infirmières finissent par trouver leur façon

de faire, leur façon de faire le métier avec ce nouvel « agent » du travail. « Moi

personnellement, j'ai trouvé ma façon de faire et je l'utilise partout, tout le temps. Pour faire

les relevés d'informations, on va plus se mettre dans la salle de soins, pour être plus au

calme. Mais moi en ce qui me concerne, j'ai tendance à tout faire au fur et à mesure. On a des

ordinateurs portables donc on peut se déplacer sans problème. Quand on a une entrée on va

directement dans la chambre avec un ordinateur puis on note tout au fur et à mesure et du

coup on ne réécrit pas, c’est l’avantage. Parce que avant, on avait tendance à prendre les

informations et après on réécrivait. » (Mme Roux). Et les gains apportés par le DPI

deviennent plus facilement identifiables au fur et à mesure que chacun construit sa nouvelle

façon de réaliser ses activités : « Eh bien oui, sur certains points, c'est vrai que l'on gagne du

temps finalement. Avec le recul. Au départ on en perd beaucoup parce qu’on se noie dans

Page 56: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

51

l’information et on cherche les choses …….Avant vraiment à partir de 12h30 c'était le rush,

c'était vraiment compliqué à mettre en œuvre parce qu’on avait la prescription médicale qui

était recopiée par le médecin et donc nous on avait toute la programmation à faire sur la

journée à la main et ça, on n’a pu à le faire et ça nous permet de gagner beaucoup de temps.

C’est la même chose pour la préparation des bilans sanguins avec les feuilles, maintenant

une fois que c'est prescrit, on a juste à imprimer les feuilles le matin et c'est un réel gain de

temps. Vraiment. » (Mme Dupond). Les infirmières, au travers des propos qu’elles nous ont

tenus, ont toutes identifié les gains de sécurisation du travail et donc la sécurisation du soin

pour le patient ainsi que la disponibilité des informations concernant le patient.

Mais pour pouvoir mettre en place de nouvelles pratiques optimisées avec le DPI,

Xavier Berbain et Etienne Minvielle nous expliquent qu’il existe, selon eux, trois dimensions

d’apprentissage de l’outil. « Une première dimension concerne le rapport de l'acteur à sa

manipulation de l'outil informatique afin de lui permettre de réduire sa méconnaissance

instrumentale. L'apprentissage y est alors technique » (id. p.94). Cela se résume, dans le cas

des infirmières que nous avons interviewées, a « la prise en main », la maîtrise fonctionnelle

de l’outil et du logiciel et pour laquelle, nous avons pu avoir un aperçu de la variabilité des

niveaux atteints. Pour les auteurs, ce premier niveau doit être atteint pour pouvoir se lancer à

l’assaut du deuxième niveau. La « seconde dimension replace cet acteur face à ses pratiques

quotidiennes de travail et s'interroge sur la manière dont il insère l'utilisation de l'informatique

dans la réalisation d'activités précises. À ce stade, l'apprentissage n'est plus purement

individuel mais peut s'inscrire dans le cadre du collectif de travail » (ibid.). Ce stade

correspond à la recherche de « son » utilisation personnelle du logiciel pour reconstruire sa

dimension intrapersonnelle du métier mais il s’insère aussi dans une dimension

interpersonnelle du métier par la construction de nouvelles pratiques ou organisations

collectives du service. Nous reviendrons sur la troisième dimension de l’apprentissage lors de

notre dernier chapitre

Pour certaines infirmières, cette recherche de « son » utilisation se réalise par un

système d’essais/erreurs : « Eh Bien, j'ai été à tâtons, j’ai fait plusieurs essais, j'ai essayé de

faire évoluer ma façon de faire. J'ai essayé de voir par rapport à la façon dont je

m'organisais dans les tâches de ma journée, comment je peux remplir ça sans que ce soit

compliqué. Comme on travaille en binôme, si on rentre trop d'informations quand on fait le

premier tour avec l’aide-soignante, du coup l’aide-soignante doit attendre. Donc il ne faut

pas que ça ait un impact non plus sur son travail. Donc moi j'ai essayé plusieurs façons de

Page 57: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

52

faire, essayer de réfléchir par rapport à ça et puis maintenant j’ai trouvé ma façon de faire »

(Mme Roux). Chaque infirmière, grâce aux multiples possibilités offertes par le logiciel, peut

trouver des fonctionnements différents : « Après il y a des façons de faire différentes mais il

faut quand même que tout le monde mette les informations au même endroit pour qu'il y ait

une harmonisation dans la façon de faire. Si l'infirmière A met la diurèse du matin à tel

endroit et puis l’infirmière B dans une transmission ciblée et qu'une autre dans la feuille de

surveillance ça devient difficile. Il faut que l'on retrouve l'information au même endroit donc

on a harmonisé en faisant des réunions, en discutant, et puis moi personnellement j'avais

travaillé aussi pour savoir ce qui semblait le plus pertinent en discutant avec mes collègues. »

(Mme Roux). La dimension de l’échange interpersonnel permet d’harmoniser ces nouvelles

procédures au sein du service, voire au sein de l’institution avec les comités de référents DPI.

C’est un travail de réflexion qui s’était déjà réalisé pour le dossier papier mais qui s’était fait

progressivement, sur plusieurs décennies au fur et à mesure des innovations techniques ou des

évolutions réglementaires. Chaque service avait pu ensuite adapter certains documents aux

spécificités de leurs activités. Pour le DPI, ce travail d’harmonisation est imposé par le

logiciel lui-même qui propose un système basé sur des listes d’actes ou actions proposant une

multitude de possibilités pour intégrer l’information au dossier. Les infirmières se retrouvent

alors face à de nombreux chemins d’information différents qui complexifient leur

appropriation du logiciel, le travail d’adaptation du groupe est alors nécessaire pour ne plus se

perdre dans un dédale de possibilités.

Mais ce n’est pas là le seul travail que l’infirmière doit réaliser pour intégrer ce nouvel

outil à sa pratique. Le travail relationnel de l’infirmière avec les patients est aussi impacté par

cette évolution professionnelle.

3.3.2 Le trio soignant / soigné / ordinateur

Durant le déploiement et les débuts de l’utilisation du DPI, la relation de l’infirmière

avec le patient semble pâtir de ce nouvel arrivant dans la relation de prise en soin du patient.

Pour Mme Martin, « ça a créé une barrière en plus. Déjà je passe moins de temps avec le

patient et le fait d'être rivée sur mon ordinateur et bien c'est une barrière à la communication

avec mon patient. ». On comprend alors que Mme Martin se sent un peu plus éloignée encore

de ce qui, pour elle, est le cœur du métier, la relation soignant/soigné. Et parfois, ce sentiment

peut être démultiplié quand c’est le patient lui-même qui questionne la professionnalité de

Page 58: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

53

l’infirmière comme nous le raconte Mme Martin : « Le patient : « Ah, l'infirmière, elle est

encore sur son ordinateur », ça je l'ai entendu …….. Ça touche ma personne, ça touche aussi

mon côté professionnel parce que si le patient dit ça, il considère que quand je suis sur

l'ordinateur, je ne suis pas dans sa prise en charge de soins, alors que ce n’est pas le cas, je

m’occupe quand même de lui quand je suis sur mon ordinateur. Et c'est plus dans ce sens-là,

je pense que le patient pense que, quand je suis sur l’ordinateur, je ne prends pas soin de

lui ».

Nous avons pu aussi entendre de la part des infirmières des questionnements quant à

leur qualité de communication avec les patients dans le sens où elles expriment la

problématique d’une focalisation de leur attention sur l’utilisation du système : « Ça peut être

un piège là aussi. C'est vrai que les premiers temps, on était tellement focalisé sur

l'ordinateur qu'on a perdu ce contact visuel avec le patient et ce relationnel. » (Mme Petit).

« On pose des questions et parfois on est devant l'écran à cliquer selon les réponses et donc il

faut faire attention à toujours être en communication avec le patient. » (Mme Thomas). Et

quand nous demandons à Mme Thomas comment elle procédait avec le dossier papier et si

elle l’utilisait pendant qu’elle discutait avec le patient, elle nous répond : « Oui il était là mais

souvent il était fermé. On intégrait, on enregistrait les renseignements et à la sortie de la

chambre, on remplissait le dossier papier mais là maintenant, l'ordinateur est dans la

chambre du patient.......c’est notre organisation, après il y a toutes les manipulations

informatiques qui peuvent perturber la mémorisation des informations c'est pour ça que je dis

que le temps d'appropriation de l'outil est important. ». Nous comprenons dans leurs discours

que cet « étranger », l’ordinateur, interfère dans une relation qu’elles veulent être simple et

sans artifice ou intermédiaire.

Enfin, cet ordinateur, pas sa présence physique, perturbe aussi leur positionnement vis-

à-vis du patient et donc la relation ne leur parait plus aussi « directe ». « Après ce qui est

difficile avec l’ordinateur, c’est que soit on se met face au patient et on est caché derrière

l’écran, soit on se met à côté de lui et on discute mais il peut voir le nom d’autre patient donc

il y a un problème de confidentialité. Moi c’est vrai que je ne sais pas toujours comment bien

me positionner avec l’ordinateur, entre l’ordinateur et le patient. Il y a une espèce de

triangulaire qui fait que, on ne sait pas trop comment se mettre. Tout à l’heure avec un

patient, je suis en train de valider son traitement et tout ça et puis je me rends compte qu’à

côté, il y a les fenêtres des autres, deux autres noms. ». Mme Renault semble ne pas savoir

encore comment se positionner pour garder une relation « directe » et sans intermédiaire avec

Page 59: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

54

le patient sans pour autant mettre en jeu la confidentialité des dossiers des autres patients.

Nous avons bien saisi par ces différents témoignages la difficulté que cet ordinateur procure

par sa simple présence dans une relation de soins qui représente un élément essentiel du

travail infirmier. Mais son utilisation affecte aussi les relations des infirmières avec leurs

collègues.

3.3.3 Les relations et la communication entre collègues évoluent.

Lors de la réalisation de nos entretiens, nous nous sommes aussi intéressé aux relations

que les infirmières entretiennent avec leurs collègues infirmières, aides-soignantes ou

médecins depuis la mise en place du DPI. Une des premières évolutions à nous être signalé

par les infirmières interrogées, c’est l’implication plus forte des aides-soignantes dans le

remplissage du dossier du patient. Mme Renault constate « que pour certaines aides-

soignantes qui n’écrivaient pas avant dans nos cibles, finalement maintenant elle note des

petites choses, un peu plus, qu’elle constate que ce soit sur l’état cutané du patient, des

choses comme ça, ou bien quelques fois, elles vont nous dire qu’elles ont constatées tel ou tel

truc : « eh bien, écrit-le », elles le font, alors qu’elles ne le faisaient pas par écrit avant. Pour

ça c’est bien, il y a peut-être un peu de leur part aussi au niveau des aides-soignantes, plus de

traçabilité dans le diagramme de soins, au niveau nursing et tout ça, c’est davantage fait je

trouve. ». Et Mme Roux d’enchérir : « Après moi comme je l'ai dit, pour les aides-soignantes

je trouve qu'elles s'approprient plus le dossier qu'auparavant. Du coup ça c’est bien parce

que les entrées on ne les faisait quasiment pas en binôme mais maintenant c'est tout de suite

on le fait en binôme, l'aide-soignante va rentrer ce qui est informations dans le logiciel et puis

nous on va faire plus les soins, poser notre perfusion, faire l’ECG, les soins techniques et puis

on les rentre après. Donc pour les entrées, oui, je trouve qu'il y a plus de travail en binôme.

Et même pas que pour les entrées, je trouve que les aides-soignantes s’approprient plus le

dossier qu'elles ne pouvaient le faire auparavant. ». Cette notion de l’implication des aides-

soignantes dans le travail de remplissage du dossier de soins semble être valorisée par les

infirmières qui y voient une reconfiguration du travail en binôme auprès du patient permettant

à chacune d’être plus à l’écoute et en relation avec le patient.

Les relations entre les infirmières ont aussi évolué avec l’utilisation du DPI. Le moment

des transmissions écrites dans le dossier, généralement fait en fin de matinée ou d’après-midi

est devenu pour certaines un moment de travail solitaire : «ça nous a peut-être éloigné aussi

Page 60: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

55

comme je le disais tout à l'heure parce qu’on se retrouve toutes face à nos ordinateurs dans

notre bureau au moment des transmissions, dans notre bulle et donc je pense que ça nous a

un petit peu éloigné ». « Le dossier papier, on avait le classeur qui était ouvert et si on

parlait, je suivais ce qui se passait alors que là, avec l’ordinateur, il faut qu’on soit concentré

sur l'ordinateur et je ne peux pas taper sans regarder » (Mme Dupond). Mais nous avons

aussi pu comprendre que ces transmissions écrites n’étaient pas aussi utilisées que ça par les

infirmières lors des périodes de transmissions orales au changement d’équipe du fait de la

complexité du logiciel pour retrouver toutes les informations concernant le patient : « Avant

on prenait facilement le dossier de soins et on lisait les informations, les antécédents et tout

ça mais maintenant, j’ai l’impression que les gens, certaines personnes sont peut-être un peu

plus réticentes à ouvrir le dossier, à aller chercher dans le dossier patient la note du médecin

qui décrit les antécédents, les modes de vie du patient et les choses comme ça et du coup je

pense que dans les transmissions, on ne relit pas forcément ce qu’on a écrit. C’est-à-dire que

les collègues qui étaient là le matin par exemple, quand elles me font les transmissions pour

l’après-midi, elles ne vont pas revoir les transmissions qu’elles ont faites, elles font ça de

tête. » (Mme Dupond). Il peut alors se poser la question de la qualité et de l’exhaustivité des

informations échangées lors de ces transmissions.

Pour Mme Laurent (CSDS)52

, la problématique entourant les transmissions est tout

autre : « On voit bien quand on a informatisé les transmissions ciblées, la problématique ce

n’est pas l’outil du logiciel, c'est le contenu qu'il faut travailler. On va dire : «

informatiquement on va perdre par ce que on va perdre en volume » mais j'ai dit : « ce n’est

pas grave que l'on perde en volume si on gagne en pertinence ». Le problème c'est que quand

on écrit des romans de transmission ciblée, ce n'est plus pertinent. ». Elle nous explique par

son propos ses questionnements quant à la façon dont sont produites les transmissions ciblées

et transmises les informations oralement aux infirmières : « Moi, honnêtement, ça reste très

personnel mais je pense qu'on pourrait se passer de transmission sur les problématiques du

patient, elles sont écrites, je les lis, si c'est pour me relire les transmissions qui sont écrites

qu'on leur fait une transmission orale, je me demande quelle est la pertinence de la chose. Je

sais lire, je peux lire les transmissions écrites et je n’ai pas besoin qu'on me les lise. Oui, on

pourra s'en passer dans la prise en charge de patients. Ce dont on ne peut pas se passer, c’est

de l’échange oral et c'est là qu’il faut faire la différence. Si c’est pour lire ce que l’on a écrit,

on peut s’en passer, par contre si c'est effectivement utiliser ce petit temps qui se réduit, on ne

52

CSDS : cadre supérieur de santé

Page 61: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

56

peut pas enlever les relais, c’est ce qu’ils ont fait sur les douze heures, ils ont retiré ce temps

de relais mais informellement, il existe parce qu’en tant qu'individu, on a besoin d'échanger

mais le problème c'est que on devrait plutôt se poser sur le problématique, échanger sur la

problématique. Si c'est juste pour dire la problématique ou les informations qui sont

présentes dans dossier, l'infirmier de relève peut les lire. » (Mme Laurent). Pour Mme

Laurent, les infirmières devraient profiter de cette évolution du dossier patient pour travailler

la qualité et la pertinence de leurs transmissions ciblées afin de pouvoir récupérer ce temps de

transmission pour échanger sur les éléments périphériques aux patients et sur le métier et

ainsi, travailler la dimension interpersonnelle du métier.

Enfin, un des effets de l’hyper-accessibilité de l’information depuis (presque) n’importe

quel poste informatique de l’hôpital, c’est que les médecins peuvent consulter et intervenir sur

le dossier du patient à tout moment. Auparavant, les infirmières avaient quelques

« indicateurs » d’une éventuelle modification des prescriptions dans le dossier d’un patient car

elles voyaient le médecin prendre le dossier et donc elles surveillaient le retour du dossier

pour faire un contrôle de son contenu. « Alors ça, on l'a ressenti du coup. Il y avait moins de

relations médico-soignantes, ça été relevé assez rapidement. L'explication, c’est que du coup

maintenant ils peuvent prescrire à distance, donc ils sont au staff, ils peuvent prescrire

quelque chose et nous on revient et on n’est pas au courant ». (Mr Richard). Cette situation

de non-connaissance d’une nouvelle information dans le dossier de soin provoque chez les

infirmières une certaine insécurité, la peur de passer à côté de l’information ou de la découvrir

trop tard et que l’action soit réalisée tardivement ou qu’elle se retrouve à la charge de

l’infirmière de relève. « Sur certains aspects, au niveau de la communication entre les

personnes, on se rend compte qu'un médecin peut très bien faire sa visite tout seul, faire ses

prescriptions, faire son observation sans venir nous voir, sans retransmettre une information

parce qu'il se dit qu'en fait l'infirmière peut voir tout ce qu'il fait. Donc on a perdu au niveau

relationnel, c'est le piège en fait, on essaie de ne pas tomber dedans mais on n'est plus obligé

entre guillemets de se parler » (Mme Petit). Cela obligeait les infirmières à retourner

régulièrement sur chaque dossier pour consulter d’éventuelles modifications des prescriptions

en générant une forme de stress supplémentaire.

Au travers de tous ces témoignages, nous comprenons que l’utilisation de ce DPI

modifie les relations, la communication et l’organisation des infirmières avec les patients et

leurs collègues. Pour pallier ces changements, certaines ont mis en place des stratégies

d’adaptation.

Page 62: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

57

3.3.4 Des stratégies d’adaptation

La mise en place du DPI et donc l’utilisation d’un outil contenant toutes les

informations concernant le patient, était censée permettre le passage des services de soins vers

le « zéro papier ». Mais face à un logiciel que les infirmières ne trouvent pas forcément adapté

à leurs pratiques, certaines stratégies d’adaptation se sont mises en place allant à l’encontre

des injonctions des tutelles de synchronisation et de traçabilité de l’activité dans un dossier

patient unique et exhaustif. « Après on a toujours à côté une feuille cartonnée qui fait un petit

peu un résumé, c’est ça qu’on a pas dans ce logiciel d'ailleurs, c’est qu'on n'a pas d'endroit

où il y a un résumé du patient avec le motif d'entrée, ses antécédents, ce qu'il a en court

comme traitement, s'il a des allergies, son régime, son poids, enfin voilà, un résumé, un

condensé..........Si on doit le voir sur l'ordinateur et bien pour voir toutes les informations, ça

va nous prendre beaucoup plus de temps et sur l’ordinateur, il n’y a pas d’endroit qui peut

remplacer cette feuille-là » (Mme Roux). Le logiciel ne pouvant permettre de faire apparaître

sur un seul visuel l’ensemble des informations utiles pour les infirmières lors de leurs

transmissions, elles ont maintenu des fiches, des « petits papiers » qui existaient déjà avec le

dossier patient papier. Pour Mme Thomas, « un support de transmission qui n'est pas

institutionnel on va dire. ……Pour nous rassurer je pense et pour avoir quelque chose de plus

accessible et plus vite. Déjà on a peu de temps de transmission, on n’a pas envie de faire

d’heures supplémentaires parce qu’on en fait déjà souvent et que cliquer pour aller sur

chaque patient et recliquer parce que les informations ne sont pas accessibles sur une seule et

même page, c’est pénible ». Pour Xavier Berbain et Etienne Minvielle, la difficulté

d’utilisation de l’outil informatique et donc les lenteurs générées peuvent aussi « engendrer

une crainte qui pousse les utilisateurs à entretenir un double système de gestion de

l'information : l'un par l'informatique, l'autre par le papier. Cette situation a l'effet pervers de

ralentir l'activité en obligeant les acteurs à gérer deux systèmes avec une double saisie, l'une

manuscrite et l'autre informatique ». (Berbain, Minvielle, 2001, p.88)

Ce travail de retranscription « invisible » est un travail permettant aux infirmières de

donner du sens à leurs pratiques ou leur activités, pour elles ou pour l’équipe comme nous

l’explique mesdames Mayère53

, Bazet54

et Roux55

: « Dès lors, le travail invisible consiste à

53

Anne Mayère, professeure en sciences de l’information et de la communication, université Toulouse 3 54

Isabelle Bazet, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, université

Toulouse 3

Page 63: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

58

réinscrire ces histoires, ces durées et ces trajectoires, à pointer les événements significatifs qui

en ponctuent leur déroulement, alors que le système informatisé lisse l’ensemble des

enregistrements en un flot sans faits saillants. Une autre caractéristique importante de ce

travail invisible tient à ce qu’il imbrique étroitement travail individuel et travail collectif, au

sens où ce qui est écrit l’est soit d’emblée pour d’autres, soit pour soi de façon à pouvoir en

faire état à d’autres que soi. C’est dire que ce travail invisible est un travail collectif de

construction de sens, alors que la conception du système informatisé pensait la question du

sens pré-résolue par le statut attribué aux« données » » (Mazière, Bazet, Roux, 2012, p.133).

Nous pourrions penser que cette stratégie ne serait que provisoire, le temps de s’approprier un

peu plus le logiciel, mais Mme Laurent (CSDS) confirme que huit ans après, ils sont toujours

là : « Je ne voudrais pas les voir mais si, il y en a parce qu’elles s'en servent pour elles. Ce

qu’on ne voit plus, je pense mais je ne suis pas toujours dans les services, mais je crois que ce

qu'on ne voit plus, c'est un recopiage de ce que j'ai à faire. Ça, je pense que nous avec le

logiciel qu'on a, on a réussi à ne pas avoir ce type de recopiage par les équipes soignantes.

….. Par contre la transmission globale, et c'est parce que le logiciel ne le fait pas très bien,

mais la transmission globale, l'infirmière a son secteur, ce qu'elle a besoin c'est une vision de

tout son secteur et en face des annotations que j'appelle « annotations pense-bête » c'est-à-

dire que sa collègue lui fait des transmissions orales, effectivement elles pourraient aller

relire toutes les transmissions ciblées mais elles s’annotent des choses. Donc il y a des

services qui ont développé des outils presque informatiques, qui se sont faits un tableau et qui

sert à toutes les infirmières les unes après les autres ce qui n'est pas idiot, comme ça elles

n’ont pas à le refaire mais oui, ça on en a encore ». Selon Mme Laurent, il apparaît que les

éditeurs sont intéressés, pour des questions financières, par le développement du logiciel pour

des problématiques concernant l’organisation médicale mais pas pour les problématiques

soignantes.

Le logiciel de DPI est un outil de concentration de toutes les informations concernant le

patient, il pourrait donc être possible de se dire que le temps de transmission orale entre les

équipes de soignantes ne soit plus réalisé. Pour les infirmières interrogées, cela n’est pas

possible : « Je pense que c'est important (les transmissions orales) encore parce que ça

permet d'échanger déjà, après les informations qu'on dit à l’oral, on peut retrouver

globalement ce que l’on met dans les transmissions écrites mais comme avant quoi. Après les

55

Angélique Roux, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, université

Toulouse 3

Page 64: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

59

transmissions orales, ça permet d'avoir un échange aussi sur notre patient, sur son suivi.

Maintenant avec l'ordinateur, on n’étaye pas donc là ça permet de pouvoir étayer des

informations écrites donc c'est plus complet avec les informations orales. » (Mme Roux).

Pour elles, ce temps permet d’étayer l’histoire du patient avec des éléments qui n’ont pas

forcément besoin de se retrouver dans le dossier : « Je pense que c'est vraiment une tradition

soignante, enfin de l'hôpital en général. C'est vrai que c'est peut-être le moment où l'on peut

formaliser ou dire à l'oral des choses qu'on n’écrit pas forcement, sur un ressenti, plus de

notre ressenti infirmier par exemple : « la famille est venue, ça ne s'est pas trop bien passé »

mais on ne note pas forcement dans le dossier. C’est vraiment des choses qu'on peut se dire à

l'oral. Parce qu'il y a des choses peut-être qu’il n’est pas forcément nécessaire de noter, mais

que les collègues peuvent savoir par exemple : « l'épouse est venue, elle a pleuré dans le

couloir parce que la situation est difficile.», on ne met pas forcement ça dans le dossier ».

(Mme Dubois). Ou bien, l’oral peut permettre d’exprimer des hypothèses : « Ça dépend parce

que parfois on n’est pas sûr de nous, parce que parfois on émet des hypothèses sur lesquelles

on n’est pas forcément d'accord, on n’a pas grand-chose sur lequel s'appuyer pour étayer

cette hypothèse et ce sont des ressentis qui peuvent être pris comme du jugement ou des

choses comme ça peut-être. Mais simplement je pense qu'on perdrait dans le métier infirmier,

dans la clinique de perception des choses importantes. Je pense. » (Mme Dupont). Ces

moments semblent être essentiels pour permettre aux infirmières de prendre en soin le patient

dans sa globalité, donc avec les éléments extérieurs à la maladie et aux soins, et ainsi raconter

l’histoire du patient. Pour Mesdames Mayère, Bazet et Roux, les logiciels de dossier patient

informatique permettant de traiter l’information « comme un process linéaire dans lequel

chaque nouvelle saisie s’ajouterait aux précédentes comme autant d’items successifs et

d’instants juxtaposés. Les soins sont modélisés comme une liste d’actions successives, le

patient étant figuré en entrée et en sortie du process, sans boucles de rétroaction entre actions,

entre domaines d’intervention, et avec les patients et leur entourage » (Marrast, cité par

Mayère, Bazet et Roux, 2012, p.123). Mais cette vue linéaire de la maladie et des activités de

soins, représentée par une liste d’actions, ne peut permettre d’expliciter toute la complexité

d’une prise en soins « soumise par excellence aux aléas, aux imprévus » (id. p.122) et qui

selon les auteurs ressemble plus à un « récit » pour lequel « les écrits illégaux » permettent de

combler les manques de précision du logiciel. L’oral, quant à lui, sert d’explicitation à ces

écrits pour les rendre moins laconiques et éviter les problèmes de subjectivité de la personne

qui écrit et d’interprétation de la personne qui lit. (Grosjean, Lacoste, 1998).

Page 65: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

60

Enfin, la dernière stratégie mise en place par les infirmières face aux modifications

provoquées par l’utilisation du DPI, n’est en fait que l’organisation d’un temps de

communication et d’échange médico-soignant. Mme Petit nous avait expliqué que les

médecins pouvaient prescrire sans qu’elle n’en sache rien ce qui l’obligeait à une attention

importante sur chacun des dossiers de patients dont elle s’occupait : « Donc il faut être

vigilant parce qu'on n'est pas toujours à regarder ce qui est écrit et puis il y a des infos qui

peuvent se perdre là aussi ou bien des priorités. Si on me prescrit un bilan en urgence, je

préfère qu'on vienne me le dire et voilà, je le fais tout de suite parce que je peux être à faire

autre chose, j’avance dans mes soins et je ne suis pas forcement à regarder si j'ai eu une

prescription urgente. S’il y a des choses urgentes, je préfère que le médecin vienne me voir et

me le disent. Donc on essaie de faire un point avec les internes avant qu'ils ne partent manger

le midi pour voir s'ils n'ont pas eu des infos entre-temps. C’est une dérive qu’on a eu au début

et qu'on peut avoir encore de temps en temps, de moins se parler entre guillemets, c'est un

peu dommage. ». Cette perte de relation avec les médecins du service est aussi une

problématique importante pour les infirmières. Elles ont besoin d’échanger avec les

prescripteurs afin de pouvoir donner du sens aux prescriptions qui leur sont faites par les

médecins : « Parce que parfois, on a besoin de faire les liens quand il y a un examen qui

apparaît, ça nous permet de discuter, de pouvoir poser nos questions…. on ne va pas

forcément les voir toute la matinée dès qu’il y a une information mais ils viennent faire un

petit échange en fin de matinée, on a les transmissions avec eux en début de matinée et puis

en fin de matinée ou début d'après-midi, ils viennent nous voir pour transmettre des

informations. » (Mme Dubois). Enfin, ces échanges avec les médecins permettent aux

infirmières de se rassurer sur la compréhension qu’elles ont des prescriptions comme nous

l’explique Mr Robert : « c'est important aussi de favoriser les échanges oraux avec le

médecin qui lui, a une part importante aussi dans le logiciel au niveau des prescriptions donc

on a essayé de mettre en place des temps de convergence orale avec l'outil informatique pour

ne pas avoir besoin tout le temps de revenir dessus et de se poser 10000 questions sur les

prescriptions et re-balayer toutes les prescriptions ensemble afin d'écarter toutes les

questions ». Ces moments de convergences médico-soignantes permettent aux infirmières de

diminuer un peu l’insécurité de l’activité dans un métier où l’inattendu est très présent étant

données les évolutions parfois imprévisibles de la maladie.

Page 66: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

61

3.4 Des visions différentes de l’outil

Tout au long des entretiens que nous avons réalisés, les infirmières nous ont décrit la

façon dont elles réalisaient leurs activités. Nous avons pu ressortir de tous ces matériaux deux

typologies de professionnels face aux changements provoqués par le DPI. Pour nommer ces

deux catégories, nous empruntons à Alain Paul Martin, expert dans la négociation raisonnée et

dans la gestion des grands risques et enseignant universitaire aux Etats-Unis et au Canada, le

terme de gestion proactive56

. Ainsi nous pouvons nommer deux groupes de professionnels :

les conformistes et les proactifs.

3.4.1 Les conformistes

Dans la notion de conformiste, nous entendons par là une personne qui se conforme

passivement aux usages établis, aux traditions (définition CNRTL). Une partie des

professionnels interrogés nous ont expliqué avoir intégré le logiciel du DPI dans leurs

pratiques en réalisant les actions attendues sans réellement chercher à faire de cet outil une

opportunité pour essayer de rapprocher l’activité de leur idéal de métier. Pour certains, l’outil

doit s’adapter à la pratique des professionnels comme pour Mme Dupond : « Disons qu'il y a

eu des adaptations au début, j'ai un peu tâtonné mais très rapidement avec l'équipe, on s'est

dit que c'est le logiciel qui devait s'adapter à notre pratique et pas l'inverse. C'est-à-dire

qu’au départ, la solution de facilité, c'est de se dire que nous on va changer et on va faire

comme ça et plus comme ça, ce sera plus facile avec l'informatique. En fait, nous, on ne s’y

retrouve pas là-dedans et notre organisation c'est un peu notre repère, je pense que le fait de

garder notre organisation et de rajouter juste l'informatique par-dessus et donc de faire avec

l'informatique en gardant son organisation de base, c’est ce qu'il y a de plus judicieux et c'est

comme ça que l’on va pouvoir garder nos repères. ». La volonté affichée est de maintenir

l’organisation existante sans se demander si cette organisation ne pourrait pas y gagner à

évoluer avec le déploiement du DPI. Nous pouvons peut-être évoquer ici la problématique de

la formation à un outil important dans l’activité, voire également la qualité de cette formation.

Les infirmières interrogées ont toutes bénéficié d’une formation et plusieurs d’entre-elles nous

ont exprimé la faiblesse à leur yeux de cette formation : « Après on est toutes allées en

formation de quatre heures, ça nous a paru être un truc assez compliqué et puis on s’est dit :

56

Gestion proactive : gestion qui anticipe les résultats à fournir à un problème donné.

Page 67: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

62

« on verra bien sur le tas ». C’est-à-dire que cette première formation qu’on a eue, n’était

pas du tout en adéquation avec ce qu’on a, ce qui s’est passé dans le service……. On nous a

envoyé vers des trucs qu’on n’avait pas utilisés et c’était pas du tout, ce n’était pas bien

pratico-pratique donc aucun intérêt. On s’est plus débrouillé sur le tas. En plus c’était une

perte de temps, un coût pour l’hôpital je pense. » (Mme Renault). Pour Mr Berbain et

Minvielle, cela peut s’expliquer par le fait que « Les formations étant souvent dispensées par

les distributeurs des logiciels, ceux-ci intègrent rarement des modules simples de

compréhension des systèmes. Ces formations sont principalement orientées sur la découverte

des fonctionnalités et oublient trop souvent qu'elles s'adressent à un public néophyte »

(Berbain, Minvielle, op. cit., p.95). Nous comprenons par-là que la formation doit être adaptée

à son public et aussi être régulière pour que chaque professionnel soit en mesure de se

réinterroger sur son utilisation du logiciel comme nous l’explique Mme Laurent (CSDS) :

« Alors j’ai mis en place depuis le départ des ateliers DSI. Ces ateliers ont lieu une fois par

mois, il dure 1h30 et donc les soignants, que ce soient les nouveaux ou les anciens, viennent

sur inscription en passant par leur cadre, ils viennent et moi je réponds à leurs questions. Ils

sont dans une salle équipée d’ordinateurs avec le logiciel DPI et s’ils me disent : « moi, je ne

suis pas à l’aise sur la planification d’une perfusion » on fait en temps réel une simulation de

l'utilisation du logiciel. Les nouveaux agents n’ont pas de formation à l'arrivée, ils ont accès

en ligne à la documentation de formation, ce sont les équipes avec lesquelles ils travaillent

qui les forment. Par contre s’ils ne sont pas à l’aise, ils peuvent venir à l’atelier qui suit dans

le mois où ils arrivent. Mais en fait, c'est un peu à leur demande, on ne peut pas les sortir des

services pour les former spécifiquement au logiciel. Ça, c’est le rôle du cadre et des équipes

des services de former les nouveaux arrivants. ». La formation régulière, que ce soit par des

temps de formations institutionnelles ou par de la formation informelle avec les échanges dans

les équipes soignantes, semble être un moyen important de faire évoluer les positions des

professionnels quant au métier. Au final, cet aspect « formation » est essentiel pour que les

infirmières puissent faire bouger leurs représentations du métier pour pouvoir passer d’un rôle

d’acteur « réactif » (action faite en réaction à une sollicitation, le DPI) à un rôle d’acteur

« proactif »

3.4.2 Les proactifs

Quand nous utilisons le terme de proactif, nous l’entendons dans le sens qu’il désigne

une personne entreprenante, qui prend des initiatives, qui agit de lui-même sans attendre

Page 68: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

63

d’avoir une instruction ou une demande57

. Dans le cadre de notre recherche, nous voyons dans

ce qualificatif le moyen de louer les capacités professionnelles de certaines infirmières qui ont

vu dans le DPI une ressource leur permettant d’essayer de faire que leurs activités se

rapprochent de leur idéal de métier. Certaines y ont vu le moyen de pouvoir reprendre du

temps d’échange et de relationnel avec le patient comme Mme Dubois : « je suis revenue à la

relation que j'avais avant et j'ai même envie de dire qu’on gagne un peu de temps avec ce

dossier et donc j'ai retrouvé un petit peu de temps auprès du patient pour pouvoir vraiment

prendre le temps de parler un petit peu ». Elle a su adapter son utilisation de l’outil pour

gagner ce temps de communication en tête à tête avec le patient : « Alors mon ordinateur

reste toujours à l’extérieur de la chambre, je ne le rentre pas. Parce que je trouve que quand

on rentre avec, souvent on se trouve derrière l’écran, on regarde le patient par-dessus et il y

a un problème de communication. Je n'ai pas envie de toujours être derrière mon écran donc

je prépare tous mes soins à l’extérieur, je rentre dans la chambre et comme ça je suis

vraiment là pour le patient et pas à noter des choses. Je fais mon soin, je pars, je ressors et là

je vais noter les informations dans le dossier ». Et quand nous lui demandons comment se

comporte ses collègues, elle nous dit : « il y en a plein qui disent ; « on est toujours sur

l'ordinateur, on voit plus le patient. » Après, j'ai envie de dire, c'est sa pratique propre et c'est

sûr que si j'ai envie d’être toujours sur l’ordinateur, je serai toujours sur l’ordinateur. Si je

ne m'accorde pas le temps d'aller auprès du patient et bien je serais sur mon ordinateur.

Après chacune a sa façon de faire et j'ai envie de dire que c’est peut-être qu’elles n’ont pas la

bonne utilisation de l’outil en fait ». Alors, elle nous explique que ses collègues faisaient

comme elle avec le dossier patient papier, ce à quoi nous lui demandons si elle sait pourquoi

elles ont changé leur façon de faire : « Oui, je ne sais pas pourquoi maintenant elle rentre

avec. Après peut-être que ça a été vu avec l'hygiène et puis le circuit du médicament, que

c'était pas mal de rentrer l'ordinateur, comme ça on est au pied du patient pour donner les

médicaments mais bon quand on est devant la porte, je ne vois pas trop de différence.

Certaines veulent respecter ce qui est dit et donc moi j'adapte un peu vis-à-vis des consignes

données ». Nous comprenons clairement ici que Mme Dubois, malgré les injonctions

institutionnelles, a su organiser son activité avec le DPI pour pouvoir maximiser la qualité de

ses interactions avec les patients.

Certaines infirmières cherchent aussi à faire évoluer leurs pratiques comme Mme Petit

qui a décidé de ne plus utiliser les « petits papiers » pense-bêtes : « C'est plus compliqué d’où

57

Définition issue du site Reverso Dictionnaire, http://dictionnaire.reverso.net/francais-definition/proactif

Page 69: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

64

le fait que ces petites fiches cartons soient restées et sont encore là, des petites fiches que moi

je ne regarde plus mais parce que j'ai essayé de trouver des solutions sur le DPI pour avoir

ces mêmes infos et c'est pour ça que je vais sur le plan patient pour avoir justement les

examens et avoir une vision à la journée sur les examens ou sur la semaine mais on n'a pas

une vue synthétique de tous ces éléments-là et il faut ouvrir plein de petites choses à droite et

à gauche et c'est vrai que c'est difficile de passer d’un support à un autre et j’ai des collègues

qui ont beaucoup de mal…… il faut s'y habituer, petit à petit on trouve des astuces mais ça

demande un effort, il faut aller chercher……… Je pense que les fiches, c'est une béquille qu'il

faut enlevé enfin qu'on aurait dû enlever depuis longtemps mais tant qu'il y a une solution, on

ne va pas en chercher une autre et donc pour moi c'est pour ça que je ne la regarde plus et je

me suis obligée à trouver dans le logiciel une autre façon de faire ». Elle nous démontre par-

là son intentionnalité et sa « proactivité » dans son utilisation de l’outil en cherchant à

améliorer ses pratiques mais aussi à faire progresser ce DPI : « Après, j'essaie de contacter

quand j'ai un souci, l'équipe du dépannage informatique, qui me passe l’équipe du fabricant.

Ou bien je fais des mails ou des FEI quand j’ai un souci pour faire remonter un petit peu les

difficultés du terrain et essayer d'apporter des améliorations. C'est arrivé plusieurs fois et on

a réussi à obtenir des petites choses qui nous simplifient quand même le travail ». Dans une

partie précédente de notre travail, nous avons évoqué les dimensions de l’apprentissage des

outils informatiques selon Xavier Berbain et Etienne Minvielle. Les deux premiers niveaux,

« l’apprentissage technique » et « l’apprentissage gestionnaire » sont indispensables pour

pouvoir atteindre le dernier niveau de l’apprentissage qui est l’apprentissage organisationnel :

« la dernière dimension dépasse l'individu et la maîtrise d'activités ciblées pour comprendre

comment l'organisation elle-même peut évoluer pour profiter des améliorations dont est

porteuse l'informatique de gestion. L'apprentissage est alors organisationnel. Comme nous

allons le montrer, ces trois dimensions constituent différents niveaux d'une même démarche. »

(id. p.94) Cet apprentissage gestionnaire doit permettre aux professionnels de mettre en place

de nouvelles pratiques pour développer ou améliorer les processus de travail en incluant

l’outil informatique avec ses gains potentiels, ce qu’expriment Mme Petit : « Par rapport au

dossier informatisé, comme je le disais tout à l'heure pour les outils de communication dans

la vie personnelle, et bien là aussi c'est un outil comme un autre après à nous d'apprendre à

s'en servir, d'être un petit peu curieux pour aller chercher les astuces, pour mieux l'utiliser au

quotidien. Et voilà, comme tout outil ce n'est pas miraculeux mais il faut savoir l'utiliser

correctement et s'adapter. ». Il faut une certaine intentionnalité et de l’adaptabilité pour

progresser et construire une nouvelle évolution de son métier.

Page 70: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

65

CONCLUSION :

Les institutions hospitalières ont vu depuis une quarantaine d’années de nombreuses

réformes bouleverser leurs organisations en réponses à des demandes sociétales croissantes en

matière de santé mais aussi sous la contrainte d’une situation financière moins florissante. Les

attentes des usagers sont de plus en plus importantes, les prises en charges des patients sont de

plus en plus complexes et coûteuses mais les moyens de l’Etat ne sont pas inépuisables, bien

au contraire. Les différentes réformes qui se sont succédées dans le monde hospitalier ont eu

pour but de mieux adapter les offres de soins aux besoins de la population mais aussi

d’apporter une plus grande performance économique aux établissements dont les ressources

financières sont fortement contraintes.

De leur côté, les infirmières ont vu aussi fortement évoluer leur métier durant cette

même période : leur rôle propre est reconnu à la fin des années 70, leur formation est

réorganisée en 1992 avant la réingénierie de 2009 l’intégrant dans un cursus de licence-

master-doctorat. Un Ordre infirmier est institué en 2006 qui permettra d’élaborer un code de

déontologie rapprochant un peu plus ce métier d’une profession au sens sociologique. Leur

exercice professionnel évolue aussi dans le même temps, caractérisé par des gestes techniques

et des procédures thérapeutiques qui deviennent de plus en plus complexes. Les organisations

des services sont mises à rude épreuve dans un contexte de tension financière permanente. Le

patient, quant à lui, est reconnu comme un acteur essentiel dans la démarche de soin et ses

droits fondamentaux sont institués par la loi Kouchner en 2002. L’ensemble de ces

changements s’accompagne d’une difficulté pour les infirmières à donner du sens à leur

travail.

Parallèlement, un élément essentiel dans le suivi médical et paramédical va voir son

importance augmenter de façon exponentielle que ce soit par son utilité dans la prise en soin

pluridisciplinaire du patient ou bien par la charge de travail supplémentaire qu’il nécessite de

la part des professionnels hospitaliers : c’est le dossier du patient. Son cadre légal va être

constitué à partir de la fin des années 70 et son contenu ne cessera de croître durant les 30

années qui suivront pour en faire le reflet unique et le plus exhaustif possible de tous les

évènements survenus durant l’hospitalisation d’un patient. Enfin, de par son importance dans

les organisations hospitalières, il est aussi devenu un point de contrôle et de suivi primordial

pour les tutelles des établissements de santé.

Page 71: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

66

Les institutions, dans ce contexte de forte pression économique, voient alors dans

l’informatisation du dossier patient un moyen d’améliorer leur performance générale et plus

particulièrement la qualité des soins et la gestion économique de l’établissement. Le DPI est

un outil permettant une homogénéisation des pratiques, une meilleure traçabilité, mais aussi

une rationalisation des activités par un suivi au plus près de la production des activités de

soins. Le DPI est aussi un moyen de réorganisation de l’offre de soins pour permettre la

circulation des informations entre les structures et ainsi améliorer le développement du

parcours de soins. Pour les infirmières, ce nouvel outil de travail est vu à la fois comme un

gain potentiel en termes de temps et d’accessibilité de l’information, mais aussi comme un

« corps étranger » dans un métier technique et relationnel où le travail, de plus en plus centré

sur la réalisation de la tâche, les éloigne de leur idéal de métier.

Notre recherche s’appliquait donc à essayer de comprendre comment les infirmières

peuvent intégrer à leur métier un nouvel outil qui vient contraindre leur exercice professionnel

par une autonomie diminuée du fait d’un travail formaté, d’une augmentation des

responsabilités avec une traçabilité accrue et une perturbation de leurs activités relationnelles

avec le patient et leurs collègues.

La méthode compréhensive que nous avons adoptée pour réaliser ce travail de recherche

nous a permis de mieux comprendre en quoi l’outil DPI est source de difficultés pour les

infirmières. L’utilisation purement technique de l’outil informatique et du logiciel n’est pas

une activité innée. Sa présence dans les moments de relation avec le patient semble

compliquer la communication et les relations entre professionnels se voient modifier par cette

nouvelle disponibilité de l’information. Dans ce contexte, certaines infirmières rencontrées

nous ont expliqué avoir mis en place des procédés palliatifs en maintenant une grande

utilisation de l’oral comme complément à une information numérique censée être exhaustive

et en gardant « les petits papiers » dans les poches ou sur les chariots afin d’y annoter les

informations leur semblant essentielles. D’autres infirmières nous ont, quant à elles, parlé de

leurs intérêts à faire du DPI un facteur d’amélioration de leur pratique afin de pouvoir se

rapprocher de leur cœur de métier. C’est ainsi que nous avons défini une double typologie des

utilisateurs du DPI. Il y a d’un côté les « conformistes » qui utilisent le DPI comme il est

attendu sans chercher d’avantage de gain et de l’autre côté, il y a les « proactifs » qui font

preuve d’initiatives dans l’utilisation de cet outil pour faire évoluer leur métier.

Page 72: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

67

Ainsi, nous avons pu comprendre au terme de ce travail que pour que le DPI, « corps

étranger » au métier relationnel de soignant, soit assimilé par le corps professionnel infirmier,

il faut une certaine intentionnalité à faire évoluer ses pratiques et bouger ses représentations

du métier. Pour Xavier Berbain et Etienne Minvielle, « il y a construction, innovation, au sens

où l'utilisateur adapte son utilisation de l'informatique en fonction des objectifs qu'il poursuit

dans son travail et de la valeur d'usage qu'il accorde à l'informatique pour atteindre ces

objectifs. » (id. p.103) Une question se pose alors quant à la valeur d’usage que les infirmières

donnent au DPI et les moyens dont elles disposent pour découvrir cette valeur. La formation

sur le DPI, sur laquelle les infirmières ont été assez critiques, ne devrait-elle pas permettre aux

professionnels d’apprendre plus que les fonctionnalités pures du logiciel ? Ne devrait-elle pas

aider les acteurs à construire le sens qu’ils donnent à l’action autant que construire l’action

elle-même ? Ces nouvelles pratiques se construisant aussi dans la réalité de l’action et donc

sur le long cours, qu’en est-il de la construction collective du métier par les échanges

professionnels et les retours d’expériences ? Autant de questions qui ouvrent la voie à de

nouveaux axes de réflexion et d’étude possibles.

Page 73: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

68

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Direction Générale de l’Offre de Soins. Atlas des SIH 2016. [en ligne] disponible sur

http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/atlas_sih_2016_vf_10052016_web.pdf consulté le

05/04/2017

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) [en ligne] disponible sur

http://www.cnrtl.fr/

http://www.etymo-logique.com/le-mot-du-jour/infirmieres-journee-mondiale-des/

http://monhopitalnumerique.fr/

http://social-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/e-sante/sih/hopital-

numerique/Hopital-Numerique

Page 76: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

I

ANNEXES

Page 77: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

II

ANNEXE I : Guide d’entretien définitif : infirmière

Date de l’entretien :

Lieu de l’entretien :

Bonjour, je me présente, je m’appelle Dimitri BRILLAUD et je suis étudiant cadre de santé à

l’IFCS de Nantes.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour le temps que vous m’accorder pour la réalisation

de cet entretien. Dans le cadre de mes études, je réalise un travail personnel de recherche

sociologique dont le thème général est le dossier patient informatisé.

Je souhaiterais que vous puissiez vous exprimez le plus librement possible, il n’y a ni bonne,

ni mauvaise réponse.

Si vous le permettez, je vais réaliser un enregistrement de notre discussion et prendre des

notes afin de pouvoir faciliter mon travail d’analyse a postériori. Bien sûr, je vous garantis

l’anonymat et la confidentialité de nos échanges.

Avez-vous des questions au sujet de l’entretien ?

1er

Thème : Présentation de la personne avec son déroulé de carrière.

1-Pouvez-vous vous présentez et me parlez de votre parcours professionnel ?

2-Pouvez-vous me présenter le service au sein duquel vous travaillez ?

2ème

Thème : L’idéal du métier.

3-Pouvez-vous m’expliquer les raisons qui vous ont amené à devenir infirmière ?

4-Quelles sont pour vous les activités les plus représentatives du métier d’infirmière ?

5-Aujourd’hui, qu’est-ce qui fait que votre métier vous plait ?

6-Qu’est-ce qui, dans votre activité professionnelle, fait que vous puissiez-vous dire en

rentrant chez vous que la journée a été bonne ?

6bis- Qu’est-ce qui, dans votre activité professionnelle, fait que vous puissiez-vous dire en

rentrant chez vous que la journée a été mauvaise ?

7-Comment caractériseriez-vous l’évolution de votre métier entre le début de votre carrière et

aujourd’hui ?

7bis- Donnez-moi 3 mots qui caractérisent selon vous l’évolution de votre métier entre le

début de votre carrière et aujourd’hui. Pouvez-vous me les expliquer ?

8-Où vous projetez-vous professionnellement dans 5 ans ?

9-Conseilleriez-vous ce métier à un de vos proches ? (fils/fille, neveu/nièce)

Page 78: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

III

QR- Si oui/non, pourquoi ?

3ème

Thème : L’utilisation du numérique dans le privé.

10- Dans votre vie privée, quels outils numériques d’information ou de communication

possédez-vous ?

10bis- Quelles utilisations en faites-vous ?

QR-Quand les utilisez-vous, pour quelles raisons ?

11-L’utilisation de ces outils vous parait-elle être essentielle pour vos activités personnelles ?

En quoi est-ce essentiel ? (ou non suivant réponse)

11bis- Est-ce une évolution souhaitable ? En quoi est-ce souhaitable ?

11ter- Comment faisiez-vous avant ?

4ème

Thème : Avant le DPI, le dossier papier ?

12-Pouvez-vous me décrire l’utilisation que vous faisiez du dossier patient papier dans votre

activité de tous les jours ?

12bis- A quel moment remplissiez-vous le dossier ? Intérêt de transmettre les infos sur

papier ? A qui ? Quelles informations vous paraissaient primordiales ? Quelles étaient les

difficultés de cette transcription ? Aviez-vous des consignes d’écriture ? Le dossier était-il

organisé avec des documents normalisés ? Aviez-vous des espaces d’écriture libre ?

13-Quelle était votre utilisation de l’informatique dans votre activité professionnelle avant le

DPI ?

+QR : Logiciel métier dédié ? Fréquence ?

5ème

Thème : Le déploiement du DPI

14- Quand avez-vous entendu parler du DPI ? Dans quelles circonstances ? Par qui ?

14bis- Que pensiez-vous du DPI ava nt son déploiement ?

15-Comment s’est déroulé le déploiement du dossier patient informatisé au sein de votre

service ?

+/- QR tutorat par experte DPI, formation ?

16-Avez-vous eu un rôle dans le cadre du déploiement du DPI ?

Si oui Lequel ? Qui vous a donné ce rôle ? Pour quelles raisons ? Avez-vous apprécié que

l’on fasse appel à vous ? Pourquoi ?

Si non De votre point de vue, pourquoi n’a-t-on pas fait appel à vous ? Le regrettez-vous ?

Pourquoi ?

Page 79: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

IV

17- Pouvez-vous me décrire l’utilisation que vous faites du dossier patient informatisé dans

votre activité de tous les jours ?

17bis- A quel moment remplissez-vous le dossier ? Où se réalise ce travail de transcription ?

Est-ce aisé ou bien compliqué de remplir le dossier ? En quoi est-ce aisé ou compliqué ?

Comment faîtes-vous pour pallier ces difficultés ? Avez-vous des consignes

d’écriture (restrictions)? Des espaces d’écriture libre ?

18-Le déploiement du DPI a-t-il modifié la façon dont se déroulent les transmissions ?

19-Selon vous, l’utilisation de l’oral lors des transmissions est-elle importante ?

19bis- Les transmissions pourraient-elles ne se faire que par l’écrit ? Pourquoi ?

19ter- Les transmissions sont-elles un moment important pour l’équipe ?

20-La mise en place du DPI a-t-elle modifié votre organisation de travail dans votre

quotidien ?

Si oui En quoi ?

Si non Racontez-moi comment vous faites pour que votre organisation ne soit pas

modifiée ?

20bis- Avez-vous vu de nouvelles activités apparaitre pour vous ou les aides-soignantes ?

21-Diriez-vous que le DPI a amélioré vos conditions de travail ? En quoi ?

22-La mise en place du DPI a-t-elle modifié l’organisation du service ?

Si oui En quoi ?

Si non En quoi ? Comment comprenez-vous qu’elle ne soit pas modifiée ? Racontez.

23-De votre point de vue, pensez-vous que l’utilisation du DPI a modifié votre relation avec

le patient ?

Si oui En quoi ?

Si non En quoi ? Comment comprenez-vous qu’elle ne soit pas modifiée ? Racontez.

24-Pensez-vous que l’utilisation du DPI a modifié les relations au sein de l’équipe

paramédicale ?

Si oui En quoi ?

Si non En quoi ? Comment comprenez-vous qu’elle ne soit pas modifiée ? Racontez.

25-Enfin, une dernière question et puis notre échange sera terminé. Avez-vous quelque chose

à ajouter à notre entretien sur les thèmes abordés ou bien un autre?

Je vous remercie pour votre participation.

Page 80: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

V

ANNEXE II : Guide d’entretien définitif : cadre supérieure de sante en

charge du DPI

Date de l’entretien :

Lieu de l’entretien :

Bonjour, je me présente, je m’appelle Dimitri BRILLAUD et je suis étudiant cadre de santé à

l’IFCS de Nantes.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour le temps que vous m’accorder pour la réalisation

de cet entretien. Dans le cadre de mes études, je réalise un travail personnel de recherche

sociologique dont le thème général est le dossier patient informatisé.

Je souhaiterais que vous puissiez vous exprimez le plus librement possible, il n’y a ni bonne,

ni mauvaise réponse.

Si vous le permettez, je vais réaliser un enregistrement de notre discussion et prendre des

notes afin de pouvoir faciliter mon travail d’analyse a postériori. Bien sûr, je vous garantis

l’anonymat et la confidentialité de nos échanges.

Avez-vous des questions au sujet de l’entretien ?

1er

Thème : Présentation de la personne avec son déroulé de carrière.

1- Pouvez-vous vous présenter et me parler de votre parcours professionnel ?

2- Pouvez-vous me présenter le service au sein duquel vous travaillez ainsi que

l’établissement?

2ème

Thème : Les raisons de la mise en place du dossier patient informatisée et son

déploiement.

3- Racontez-moi l’histoire de l’arrivée et du déploiement du DPI dans votre établissement.

QR : Pouvez-vous m’expliquer les raisons pour lesquelles l’institution à décider de

mettre en place le DPI?

Quel était l’objectif principal du Centre hospitalier ?

Comment le DPI a été déployé ?

Qui a porté ce déploiement ? (recours à un cabinet d’expert ou portage interne)

Y’a-t-il eu des personnes difficiles à convaincre ? Lesquelles ?

De votre point de vue, quelles étaient les raisons de leurs réticences ?

Considérez-vous que le DPI soit aujourd’hui complétement déployé dans votre

établissement ? Si non, quelles seraient les prochaines étapes ?

Combien de temps a-t-il fallu pour que le DPI soit complétement déployé ?

Etait-ce le temps initialement programmé ? Si non, pourquoi a-t-il fallu plus/moins de temps ?

Page 81: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

VI

Quelle organisation de conduite de projet a été mise en place ?

Quel était votre rôle pour le déploiement du DPI ? Comment avez-vous

procédé face aux personnes opposantes ?

4- Quel était votre rôle lors de la phase de projet ?

5- Quel était le niveau d’équipement informatique des unités de soins avant le DPI ?

6- Les infirmières ont-elles eu un rôle au moment de la réflexion sur le choix du DPI ? Au

moment de la mise en place du DPI ? Au moment de son déploiement ?

Si oui/non, pourquoi ?

7- Selon vous, la mise en place du DPI (son déploiement) a-t-elle modifié les organisations

des services?

Si oui/non, pourquoi ?

8- Suivant votre expérience en tant que membre du collège d’experts pour le programme

Hôpital numérique, quelles sont les principales raisons de déploiement d’un DPI dans les

établissements de santé ?

QR Raisons légales ?

Raisons économiques ?

Raisons organisationnelles ?

Améliorations de la qualité/traçabilité ?

9- Pensez-vous qu’il soit possible d’atteindre l’objectif « zéro papier » à l’hôpital ?

Si oui/non, pourquoi ?

10- Selon vous, le dossier patient informatisé est-il un outil permettant une meilleure gestion

de l’institution ?

Si oui/non, pourquoi ?

11- Quelles ont été les réactions des infirmières lors du déploiement ?

3ème

Thème : Le retour d’expérience après 12 ans d’utilisation.

12- Quel est votre rôle maintenant ?

13- Quel regard avez-vous sur l’évolution du DPI au sein de l’institution ?

14- Comment qualifieriez-vous le niveau d’appropriation du DPI par les équipes ?

15- Selon vous, le DPI a-t-il modifié la communication entre les infirmières et les autres

professionnels (médecins du service, professionnels des services médicotechniques) ?

16- Aujourd’hui, comment se déroule les déploiements des nouvelles briques du logiciel ?

Page 82: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

VII

Observez-vous des résistances lors de ces évolutions ?

17- Pour vous, quels sont les gains apportés par un DPI pour les infirmières ?

A l’opposé, quels sont les contraintes apportées par le DPI pour les infirmières ?

18- Selon vous, les infirmières ont-elles modifié leur organisation de travail personnelle

depuis la mise en place du DPI ?

Si oui, comment et pourquoi ?

Si non, pourquoi ?

19- Selon votre expérience sur votre institution ou en tant qu’expert du programme Hôpital

numérique, l’utilisation du DPI a-t-elle modifié la façon dont se déroule les transmissions

orales aux changements d’équipes (ici ou sur d’autres établissements) ?

20- Pensez-vous qu’un jour, les transmissions orales aux changements d’équipes ne se fassent

plus et que seules les transmissions écrites soient utilisées ?

Si oui/non, pourquoi ?

21-Selon vous, l’utilisation du DPI a-t-elle modifié la relation soignant/soigné pour les

infirmières ?

Si oui/non, pourquoi ?

Enfin, une dernière question et puis notre échange sera terminé. Avez-vous quelque chose à

ajouter à notre entretien sur les thèmes abordés ou bien un autre?

Je vous remercie pour votre participation.

Page 83: Le dossier patient informatisé : Un « corps étranger

Dans un contexte hospitalier très remanié ces dernières décennies, soumis à

de fortes progressions des besoins en matière de santé et contraint par un contexte

économique difficile, les hôpitaux ont dû s’adapter, se réorganiser et rationnaliser

leurs offres de soins pour améliorer leur performance générale. Un des leviers pour

pouvoir mieux suivre et gérer les unités de soins a été de développer des systèmes

d’information comme le dossier patient informatisé. Dans ce travail, nous nous

somme intéressé à l’utilisateur principal de ce dossier patient, l’infirmière. Nous

avons cherché à comprendre comment les infirmières incorporent ce nouvel outil de

rationalisation dans un métier à la fois relationnel et technique.

Notre recherche s’est réalisée dans une démarche compréhensive basée sur

des entretiens semi-directifs réalisés auprès d’infirmières utilisant un dossier patient

informatisé au sein d’unités hospitalières, afin de croiser leurs expériences et

ressentis sur cet outil. Nous nous sommes donc attaché à analyser les données,

étayées par nos lectures, pour essayer de répondre à notre questionnement.

Les propos recueillis nous ont permis de discerner les difficultés des

infirmières à réaliser leur métier dans le respect de leurs valeurs. Le dossier

informatisé est intégré dans les pratiques techniques et relationnelles différemment

suivant les professionnels, générant des évolutions du métier par des pratiques

nouvelles ou des stratégies d’adaptation. Il apparait deux typologies de

professionnels face à ce dossier que nous identifions comme les conformistes et les

proactifs, les premiers utilisant l’outil comme attendu sans chercher de gain pour le

métier, les seconds décidant d’optimiser leurs pratiques de l’outil pour faire évoluer

le métier et se rapprocher de leur idéal de métier.

MOTS CLES Dossier patient informatisé - Infirmière - Idéal de métier - Relation

Outil informatique - Proactivité