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Le gramophone de Me Jo de Philippe Miglioli Pour demander l'autorisation à l'auteur : [email protected] Durée approximative : 90 minutes Personnages Yvonne, fermière 50 ans Auguste, fermier 54 ans Thérèse, leur fille 27 ans Joséphine, dite Madame Jo, sœur d’Auguste – 63 ans Lilas, ancienne employée de Me Jo 30 ans Madame Trousanfond, une voisine âge indéfinissable Le curé. Albert, fils d’Auguste et Yvonne – 26 ans Alfred, maquereau Synopsis : Eté 1946, quelque part en Normandie. La guerre est finie et les règlements de compte entre Français sont un mauvais souvenir que l’on essaie d’oublier. Dans la ferme d’Auguste, la vie retrouverait son cours normal si un beau jour d’été, alors que la famille revient d’enterrer l’ancêtre, ne débarquait Joséphine, dite Madame Jo. Celle-ci est venue demander l’hospitalité à son père dont elle ignore le décès, car à cause de la loi Marthe Richard, elle doit fermer son entreprise commerciale. Ce ne serait qu’un désagrément mineur si Mme Jo n’avait embarqué avec elle une petite valise, pleine de billets de banque, et une de ses ex-employées qui ne lui appartiennent pas vraiment… sans oublier un gramophone et un tableau. Tout ça sème le désarroi dans la paroisse et ces indélicatesses mettent la famille en danger quand débarque un ancien ‘associé’ de Mme Jo. Et en plus, l’amour s’en mêle ! Décor : Pièce commune d’une ferme : buffet, table, chaises, meuble sur lequel reposera le gramophone. Au premier acte, trois rangs de draps et de linge sont à sécher en travers de la pièce, coupant celle-ci en deux, de jardin à cour, à l’acte 2, il n’en restera plus qu’une rangée. Accessoires indispensables : gramophone à manivelle, tableau de Van Dongen, image de Ste Thérèse de Lisieux. Vêtements des années 40. Yvonne : robe de deuil, robe de travail et tablier Auguste : costume de deuil, vêtements de travail Thérèse : robe de deuil, blouse boutonnée Joséphine : robe rouge moulante et chapeau rouge. Déshabillé vaporeux Lilas : robe simple, mais sexy. Culotte et chemise de nuit courte. Madame Trousanfond : robe noire stricte Le curé : soutane. Albert : costume de marin, vêtements de travail Alfred : costume rayé et chapeau.

Le gramophone de Me Joleproscenium.com/Textes/TextesL/LeGramophoneDeMeJo.pdfEt puis, cette façon que t’avais de regarder les gens à l’église, comme si tu voulais leur clouer

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Le gramophone de Me Jo de Philippe Miglioli

Pour demander l'autorisation à l'auteur : [email protected] Durée approximative : 90 minutes Personnages

Yvonne, fermière – 50 ans Auguste, fermier – 54 ans Thérèse, leur fille – 27 ans Joséphine, dite Madame Jo, sœur d’Auguste – 63 ans Lilas, ancienne employée de Me Jo – 30 ans Madame Trousanfond, une voisine – âge indéfinissable Le curé. Albert, fils d’Auguste et Yvonne – 26 ans Alfred, maquereau

Synopsis : Eté 1946, quelque part en Normandie. La guerre est finie et les règlements de compte entre Français sont un mauvais souvenir que l’on essaie d’oublier. Dans la ferme d’Auguste, la vie retrouverait son cours normal si un beau jour d’été, alors que la famille revient d’enterrer l’ancêtre, ne débarquait Joséphine, dite Madame Jo. Celle-ci est venue demander l’hospitalité à son père dont elle ignore le décès, car à cause de la loi Marthe Richard, elle doit fermer son entreprise commerciale. Ce ne serait qu’un désagrément mineur si Mme Jo n’avait embarqué avec elle une petite valise, pleine de billets de banque, et une de ses ex-employées qui ne lui appartiennent pas vraiment… sans oublier un gramophone et un tableau. Tout ça sème le désarroi dans la paroisse et ces indélicatesses mettent la famille en danger quand débarque un ancien ‘associé’ de Mme Jo. Et en plus, l’amour s’en mêle ! Décor : Pièce commune d’une ferme : buffet, table, chaises, meuble sur lequel reposera le gramophone. Au premier acte, trois rangs de draps et de linge sont à sécher en travers de la pièce, coupant celle-ci en deux, de jardin à cour, à l’acte 2, il n’en restera plus qu’une rangée. Accessoires indispensables : gramophone à manivelle, tableau de Van Dongen, image de Ste Thérèse de Lisieux. Vêtements des années 40.

Yvonne : robe de deuil, robe de travail et tablier Auguste : costume de deuil, vêtements de travail Thérèse : robe de deuil, blouse boutonnée Joséphine : robe rouge moulante et chapeau rouge. Déshabillé vaporeux Lilas : robe simple, mais sexy. Culotte et chemise de nuit courte. Madame Trousanfond : robe noire stricte Le curé : soutane. Albert : costume de marin, vêtements de travail Alfred : costume rayé et chapeau.

ACTE 1

Scène 1

Yvonne, Auguste, Thérèse

L’action se passe en 1946, dans la pièce principale d’une ferme. La scène est traversée par des cordes à linge sur lesquelles sèchent des draps. Derrière ce rideau, on devine une porte qui donne sur la cour. Les draps se soulèvent et entrent Yvonne, Thérèse et Auguste, tous les trois en grand deuil.

YVONNE Bon sang ! Il aura tout fait pour nous enquiquiner jusqu’au bout, celui-là !

AUGUSTE Celui-là ! Celui-là ! Je te rappelle que c’est de mon père que tu causes. Alors un peu d’égard, hein !

YVONNE Pfft !

AUGUSTE Et puis, cette façon que t’avais de regarder les gens à l’église, comme si tu voulais leur clouer le bec ! Tu n’as même pas versé une larme !

YVONNE Et pourquoi que je l’aurais fait ? Pour qu’ils aillent dire que je faisais semblant ? Ils n’auraient pas eu tort d’ailleurs ! De toute façon, quoi que je fasse, pour eux, je serai toujours l’étrangère ! Et puis je ne suis pas une hypocrite, moi. Je ne vais pas faire semblant d’avoir du chagrin quand je n’en ai point.

AUGUSTE Il n’empêche ! Un peu de respect pour le défunt est de mise.

YVONNE Ah ! Parce qu’il m’en montrait, lui, du respect ! (À Thérèse.) Et puis toi, arrête- donc de pleurnicher et mouche-toi ! Et va te changer avant de tremper ta robe.

THERESE, en reniflant Je ne pleure pas, c’est le rhume. J’ai attrapé froid à l’église. (Elle se mouche bruyamment, puis éclate en sanglots en se laissant tomber sur une chaise.)

YVONNE Ah ! Ça suffit maintenant, va te changer, je te dis, et redescends vite fait. Il y a le linge à s’occuper et la journée n’est pas finie. Allez file ! (À Auguste.) N’empêche que ton père, il aurait pu choisir de mourir un autre jour que celui de la lessive ! Que ça nous a empêché de la mettre à sécher dans le pré. Regarde-moi ça, les draps ne sont même pas secs.

AUGUSTE Comme si on choisissait le jour où qu’on meurt ! Il aurait sûrement bien voulu vivre encore un peu, le vieux ! Au moins jusqu’aux moissons. Il aimait bien les moissons.

YVONNE Tout en se changeant, moitié sur scène, moitié en coulisses

Lui ! Ce qu’il aimait surtout aux moissons, c’est la boisson ! Parce que, pour ce qui est de trimer, il ne fichait plus rien que de nous donner du tracas, ton vieux.

AUGUSTE Eh ! Et t’aurais voulu qu’il fasse quoi, à son âge ? Hein ? Je te le demande. Allez ! Va ! Ce n’était pas un mauvais bougre et il ne vous donnait pas tant de tracas que ça !

YVONNE On voit que ce n’est pas toi qui t’en occupais. A croire qu’il le faisait exprès de se salir juste après qu’on l’avait changé ces temps-ci. Et cette façon qu’il avait de me fixer avec ses yeux moqueurs pendant que je lui tirais son froc.

THERESE Moi, ça ne me gênait pas. Je l’aimais bien le pépé. Il rigolait toujours quand je m’occupais de lui. Pis faire ça ou nettoyer la soue aux cochons, je ne vois pas bien la différence. Au moins, lui il n’essayait pas de me mordre.

YVONNE Mordre, peut-être pas, mais pincer, il ne s’en privait pas !

THERESE Il ne m’a jamais rien fait de bien méchant. Et si ça lui faisait du bien de me taquiner un peu, du moment qu’il ne me manquait pas. Et pis, bien souvent il me reconnaissait même pas, il m’appelait sa petite Marion. Je lui ai demandé qui c’était, cette Marion, il a rigolé et il m’a fait comme ça : ‘Eh bien, mais c’est toi, ma Marion, c’est toi, voyons !’. Que je savais plus si c’était du lard ou du cochon, moi !

YVONNE Ouais ! Ben vaut peut-être mieux ne pas savoir !

AUGUSTE Mais dis moi, Marion, c’est-y pas le nom de la femme à Georges, celui de la Chênaie, ça ?

YVONNE Non ! Tu crois ? Oh ! Le bougre !... Bon ! En attendant, toi, allez, oust ! File te changer. Ce n’est pas jour de fête aujourd’hui. Il y a du travail et ta robe elle est faite pour enterrer, pas pour trimer. Alors, maintenant que ça, c’est fait, tu l’enlèves ! Tu la ressortiras pour mes funérailles. Ce qui ne saurait tarder avec la vie que me mène ton père depuis son retour d’Allemagne. Thérèse repasse sous les draps et disparaît.

AUGUSTE On aurait pu inviter les gens à boire un coup, tout de même. Ça se fait ! Ils vont dire qu’on n’est que des radins !

YVONNE Tout en préparant des légumes qu’elle jette dans une bassine d’eau.

Eh bien qu’ils disent ! On dirait qu’ils n’ont que ça à faire depuis que la guerre est finie, chercher des poux dans la tête des autres ! Et puis, les inviter pourquoi ? Hein ? Pour qu’ils fourrent leur nez partout en buvant notre cidre et en mangeant notre pain et notre cochon ? Ah ! Pour sûr qu’ils voudraient bien savoir ce qu’il t’a laissé le vieux. Je les vois d’ici à fouiller dans les armoires pour voir s’il n’aurait pas caché quelque magot sous le linge et à calculer les hectares de mauvaise terre qu’il a laissés.

AUGUSTE Tu penses qu’à mal, ma pauvre Yvonne. Ça te gâte les sangs et c’est de ça que tu mourras, pas par ma faute ! Eh quoi ! Après les misères qu’on a connues pendant la guerre, la vie a repris son cours et ce n’est que du bon voisinage.

YVONNE Tu parles ! Moi, je sais ce que c’est que la vraie misère ! Et ce n’est pas parce que tu m’as mariée, que je l’ai oublié. Le goût du rat crevé et des patates pourries, je n’ai pas attendu la guerre pour en tâter ! Et ici, il n’y en a pas beaucoup qui l’ont connu, ce ragoût-là. Il y en a même qui se sont fait plus de beurre que de mouron pendant l’occupation.

AUGUSTE Mais c’est du passé tout ça. Faut oublier !

YVONNE Oublier ! Oui ! Ton père, il n’a jamais oublié, lui, que j’étais qu’une bonniche qu’il a engagée à la mort de sa femme. Il ne m’a jamais traitée autrement, même après notre mariage. (Elle rit soudain.) Je me souviens du jour où tu as pris ton courage à deux mains et que tu lui as annoncé que t’étais le père des deux aînés et que tu voulais régulariser. Tu y auras mis le temps, j’en étais au huitième mois du troisième !

AUGUSTE Tu parles si je m’en souviens. J’ai mouillé ma chemise, oui !

YVONNE Et tu te rappelles aussi ce qu’il t’a répondu ?

AUGUSTE Allons, Yvonne, à quoi bon remuer tout ça ?

YVONNE Il t’a bien dit que j’avais qu’à mieux serrer les cuisses et que de toute façon, rien ne disait qu’ils étaient de toi, les deux bâtards ! Alors tu m’excuseras du peu, mais compte pas sur moi pour le pleurer maintenant, ton père.

AUGUSTE

Il faut le comprendre aussi. Après tout, c’est lui qui te voulait et il n’a pas bien aimé que je te courtise.

YVONNE Ce que j’ai à c’t’heure, je ne le dois à personne, je ne l’ai pas volé. J’ai assez trimé pour vous. Quant à ton père, je ne suis pas une fille à ça, moi. S’il avait envie de faire le coq, l’avait qu’à aller au bourg, c’est pas les poules qui manquent là-bas.

AUGUSTE Eh ! Eh ! Il n’avait pas attendu tes conseils et il ne s’en privait pas le sagouin. Il y a pas longtemps encore, quand on allait à la foire. Après avoir fait un petit tour, il me disait comme ça ‘j’ai une petite affaire à régler et je te retrouverai tout à l’heure pour rentrer !’ Moi, je savais bien de quelle affaire il causait ! Il allait traîner vers la gare, oui ! Je crois même qu’il avait une régulière…

YVONNE Et toi, tu n’y allais jamais du côté de la gare ? Pour voir les horaires des autocars, peut-être ! Hein ?

AUGUSTE Pardi non, ce que tu peux être suspicieuse. Tu le sais bien que si j’y vais, c’est pour toper et boire un coup après que j’aie conclu avec un maquignon.

YVONNE Toper avec un marchand, peut être, mais je me doute bien que tu n’en restes pas là ! Oh, après tout, je m’en fiche ! Au moins, comme ça, tu me laisses en paix quand tu rentres. Bon ! Trêve de bavardage, tu ferais bien de te changer toi aussi, faudrait pas que t’oublies qu’il y a de l’ouvrage. La ferme, elle ne va pas s’arrêter de tourner parce que le vieux n’y est plus et les vaches, elles ne vont pas se mettre au pré toutes seules. Faudra voir à rentrer le foin aussi. Le vent a tourné et il se pourrait bien qu’il pleuve avant la fin de la semaine.

AUGUSTE Oh ! Yvonne, tu ne vas pas me dire ce que j’ai à faire, à cette heure ! Occupe-toi plutôt de tes poules et de nous faire chauffer la soupe pour ce soir. (Il s’apprête à sortir.) N’empêche qu’on aurait pu les inviter à trinquer ! Ça se fait, par ici ! YVONNE Ouais ! C’est ça, on aurait pu et on ne l’a pas fait ! Voilà !... Qu’est-ce qu’elle fabrique, ta fille ? Il ne faut pas trois heures pour enlever une robe et mettre une blouse, quand même ! On a les draps à sortir et à resserrer ce qui est sec. Sinon tout va encore sentir le chou. (Appelant.) Thérèse, tu te dépêches, bon sang de bonsoir ou t’as décidé de rester là-haut jusqu’à la chute des pommes ?

THERESE, rentrant dans la pièce sans s’être changée Il y a deux drôles de bonnes femmes qu’arrivent sur le chemin.

YVONNE Et c’est qui, ça encore ? On n’a dit à personne de monter ! Boudiou ! Encore quelques paroissiennes qu’en n’ont pas eu pour leur argent ! Attends donc un peu, tu vas voir comment je te les reçois, ces deux-là !

AUGUSTE, s’arrêtant sur le pas de la porte Yvonne ! Tu ne peux pas traiter le monde comme ça. Et puis je te rappelle que je suis chez moi, alors je reçois qui je veux et quand je veux ! Que ce soit bien entendu. Sacré bon sang de bonsoir, ce n’est pas une bonne femme qui va faire la loi chez moi ! Ah mais !

THERESE En tout cas, c’est pas des gens qu’on connaît, elles ne sont pas du bourg. Je n’en ai jamais vu habillées de la sorte dans tout le canton. On dirait des dames qui reviendraient d’un bal de la préfecture.

YVONNE Des dames de la ville ! C’est qui que ça peut être, ça alors ? Va donc voir, Auguste. Et si tu ne connais pas, t’envoies promener. T’as qu’à dire qu’on est en grand deuil et qu’on ne reçoit pas ! Et pis, même si tu connais, tu les fais déguerpir. On a autre chose à faire que de recevoir, à cette heure !

AUGUSTE Moi, je vais me changer et faire un tour aux bêtes. Si tu dois encore jouer les mauvaises avec le monde, je préfère ne pas y être. (Il sort.)

YVONNE C’est bien de ton père, ça ! Quand il y a quelque chose à régler, il se débine toujours. Va donc y voir, toi !

Scène 2

Yvonne, Thérèse, Me Jo, Lilas

On entend une voix de derrière les draps.

Me JO Houhou ! Il y a quelqu’un ? Houhou !

YVONNE C’est pourquoi ? On n’a besoin de rien !

Me JO Où êtes-vous ?... (Elle émerge de sous un drap. Elle est vêtue d’un tailleur rouge très décolleté et porte un chapeau fantaisie de même couleur.) Ah ! Vous voilà. Viens donc Lilas ! Par ici !

YVONNE Où c’est-y que vous vous croyez pour entrer comme ça chez les gens ? On n’a besoin de rien ni de personne, je vous dis ! Si vous ne déguerpissez pas sur le champ, je m’en va sortir la pétoire et je saurai bien vous montrer le chemin, moi !

Lilas émerge à son tour. Elle est blonde, les cheveux coupés courts, vêtue de vert émeraude. Elle redresse son chapeau déséquilibré par les draps.

LILAS Ben dites donc. J’ai bien cru que je trouverais jamais la sortie ! Mesdames, bien le bonjour.

YVONNE Allons bon ! En voilà une deuxième. Mais c’est quoi ces oiseaux-là ?

Me JO Eh bien, Vonnette, tu me remets pas ?

YVONNE Et pourquoi que je devrais vous remettre. Ce serait-y qu’on a élevé des cochons ensemble ?

Me JO Mais c’est moi, Jo !... Joséphine !

YVONNE Je connais point de Joséphine, moi. La dernière que j’ai connue, elle a été emportée par un bombardement, à ce que m’a dit mon époux ! Dieu ait son âme.

Me JO Ah ! Alors, c’est comme ça qu’il m’a rayée de la carte, l’Auguste ! Dans un bombardement ! Ça n’ m’étonne pas de mon salopiaud de frère, ça !

YVONNE Votre frère ! Quoi ? Vous êtes donc la Joséphine, la sœur à mon Auguste ? Ben ça, alors. Il m’a dit que vous étiez morte et enterrée ! Ben ça alors ! Regarde, Thérèse, c’est ta tante, cette dame-là !

THERESE Ah bon ! Bonjour, madame.

Me JO Appelle-moi donc tata, ma fille… Thérèse !... Thérèse !...

THERESE Oui, madame ?

Me JO Dis moi : quel âge que t’as ?

THERESE Je vais sur mes 28 ans, madame.

LILAS Oh ! On a presque le même âge ! Moi, je vais sur mes trente.

Me JO

Appelle-moi donc tata, je te dis, tu m’agaces avec tes « madame » ! (Dans un bref sanglot.) Ça me rappelle la maison. (Se reprenant.) Et comment ça se fait que t’es encore à la ferme ? De mon temps, à ton âge, il y a longtemps qu’on était placée… ou mariée ! Ce qui revenait au même, la plupart du temps !

THERESE Ah, mais c’est que j’ai été placée, pendant près de dix ans ! Chez des bourgeois de la ville : un notaire et sa dame. De bien bonnes personnes ! Et puis mes patrons sont morts quand les alliés sont entrés dans la ville. Un obus ! Une fâcheuse erreur, comme ils ont dit, les Américains. Heureusement pour moi que j’étais sortie voir les troupes passer. Il est tombé en plein dans le salon et, ‘Boum !’ plus de maison. Mes patrons qu’étaient à la fenêtre, en train d’agiter des petits drapeaux bleu blanc rouge, ils ont été projetés jusqu’au mur de la maison d’en face. Tués nets, sur le coup ! Les pauvres.

LILAS Ben ça alors ! Oh oui ! Les pauvres gens. Nous à Paris, on n’en a presque pas eu des bombes. Mais en banlieue, il parait que ça tombait dru ! À Billancourt, surtout à cause des usines. Des coups de feu, ça oui, on en a eu, surtout les derniers jours. Même qu’une fois, il y en a qui étaient perchés sur le toit de la maison d’en face. Des francs tireurs qu’on m’a dit après. Les autres filles et moi, on s’était réfugiées dans le salon et on tremblait de peur en se serrant les unes contre les autres. Je crois bien même que j’ai prié !

Me JO Lilas, tu causes, tu causes, que tu ferais mieux de te taire ! (à Thérèse.) Et depuis, t’as pas cherché d’autres patrons.

THERESE Ben, en ce moment, les gens, ils n’ont pas trop la tête à ça. Alors, en attendant, je suis revenue à la ferme.

YVONNE Et à son âge, ce n’est pas bien facile de la recaser. En attendant, elle se rend utile ici.

Me JO Oui ! Vingt-huit ans, ça commence à faire !

THERESE Le mois prochain !

Me JO Mais dis-moi ! Ça fait que t’es née en 19, ça ! Après la ‘der des der’ !

THERESE Ben oui, en 19 !

LILAS Moi, je suis née en plein milieu…

Me JO, riant Ah ! Ah ! Ah ! Mais oui, je me souviens ! C’est toi que l’Auguste avait fabriquée en rentrant du front. Ah ! Ça nous avait bien fait rigoler, Germaine et moi.

LILAS Germaine ?

Me JO Oui, Germaine, c’était notre soeur, elle est morte de la tuberculose. Ah ! Il était en manque le pauvre Auguste ! Nous, on était assises là, à cette table, toutes les trois, ta mère, Germaine et moi, à gratter les légumes. La nuit était tombée et le vieux était aux bêtes, je me souviens. Tout à coup la porte s’est ouverte et on a vu ton père entrer comme un fantôme.

YVONNE Tu vas pas raconter, ça tout de même !

Me JO Je vais me gêner ! Il nous a regardées toutes les trois, puis tout d’un coup, il a marché vers ta mère, il l’a prise par le bras et, sans dire un mot, il l’a traînée jusqu’à l’escalier. Pas trois minutes après, on a entendu le sommier qui couinait de tous ses ressorts ! (Elle rit.) Ça n’a pas duré longtemps. Germaine et moi, on tendait l’oreille, le couteau pointé vers le plafond, mais non, plus rien ! Silence… Un peu après, voilà t’il pas ma Yvonne qui redescend, toute décoiffée, les bas sur les talons, l’air un peu gêné, avec un petit sourire en coin et au même instant on entend des ronflements à faire trembler les murs.

YVONNE Arrête, voyons ! Regarde, tu me fais rougir ! (Elle rit.) Ah ! C’était un sacré gaillard, mon auguste, à l’époque. (Elle soupire.) Il a bien changé depuis… (Elle regarde son ventre et soupire.) Moi aussi ! Oh ! Ce que tu me fais dire devant ma fille !

Me JO Eh ! Elle a vingt-huit ans, ta Thérèse, quand même !

LILAS Et à vingt-huit ans, il y longtemps qu’on a vu le loup !

THERESE Le loup ! Ah ! On voit bien que vous êtes de la ville, vous. Il y a belle lurette qu’il n’y a plus de loup par ici !

LILAS De quoi elle cause ?

Me JO Hou là, là, ben il y a du travail à faire, dis donc ! Je crois que tu avais raison, Vonnette… J’aurais peut-être pas dû raconter ça !

THERESE Allez ! Ma tante, je me moque. Je sais bien ce que c’est que le loup.

Me JO Tu m’as fait peur.

YVONNE Thérèse ! Qu’est-ce que ça veut dire ?

Me JO Oh ! Eh ! Yvonne !... Tu devais donc avoir dans les trois ans quand je suis partie… Ça y est, je me souviens, la petiote toute rachitique ! Ben t’as rien grandi et pas mal épaissi depuis ! T’étais pas trop dégourdie si je me rappelle bien ! Tu tenais à peine sur tes guiboles et tu pissais encore dans ta culotte. J’espère que ça s’est arrangé depuis ! Dis-moi, t’es la combientième, toi ?

THERESE La quatrième, ma… tante.

YVONNE Oui, la quatrième et unique fille parce que, après, il y a encore eu deux autres gars ! Puis la source s’est tarie, si c’est ça que vous voulez savoir.

Me JO Tu me disais ‘tu’, tout à l’heure !

YVONNE Ouais, ben ça ne me vient pas comme ça de dire ‘tu’ et vous ne resterez peut-être pas assez longtemps pour que ça me revienne !

Me JO Eh ! Va savoir ! Je risque de rester plus longtemps que tu ne penses. Mais on verra ça plus tard. L’est pas là, mon assassin de frère ?

YVONNE Il a tué personne ! Pourquoi que vous dites ça ?

Me JO Eh ! C’est tout comme, non ? Puisqu’il m’a poignardée dans le dos avec une bombe.

YVONNE Dame ! Ces derniers temps, ça n’aurait rien eu de bien surprenant, hein ! Nous, rien qu’au bourg, on en a eu quinze, des morts, entre les Américains et les Allemands D’ailleurs, ce ne sont pas ces derniers qu’auront causé le plus de dégâts par ici. Et je ne parle pas des règlements de compte entre Français.

Me JO Est-ce que tu les regretterais, par hasard, les Fridolins ?

YVONNE Les Fridolins ?... Ah !... les Allemands ! J’ai pas dit ça. Faudrait pas faire courir des bruits de la sorte, hein. Avec les mauvaises langues, on a vite fait de vous faire une réputation. Et quand il y a du bien à récupérer, il y a souvent des patriotes de la dernière heure qui se réveillent !

Me JO Ouais ! Ben on dirait que vous êtes pas mieux lotis par ici qu’à Paris ! Ah là, là ! Cette maudite guerre, elle va finir par tuer autant de gens après que pendant ! Et le vieux, il est pas là ?

YVONNE Comment, vous n’êtes pas au courant ?

Me JO Au courant de quoi ?

YVONNE Eh bien qu’il a passé, tiens ! La semaine dernière et là, on vient juste de le mettre en terre. C’est-y pas pour ça que vous êtes là ?

Me JO L’aurait fallu qu’on me le dise, tiens ! En tout cas, ça arrangerait plutôt mes affaires, ça. Alors, votre attifage! C’est pour ça ! Je me demandais aussi !

YVONNE Eh ! Ça te va bien de parler d’attifage, toi ! Non mais dis donc ! C’est quoi toutes ces couleurs ? C’est-y qu’il y aurait carnaval à Paris, depuis la libération ?

Me JO Eh bien, tu vois que ça te revient de me dire ‘tu’ !... Et il est mort de quoi, le vieux ? Un coup de cidre ?

YVONNE Ben non ! Oh, ce n’est pas qu’il s’en privait, de cidre ! Il est mort de vieillesse, tiens ! À 93 ans, il était temps.

LILAS 93 ans ! Bordel de bordel ! On vit donc si vieux que ça par ici ?

Me JO Lilas ! Je t’ai déjà priée de faire attention à ton langage ! Surtout devant les gens !

LILAS Ben oui ! Je sais bien, devant la clientèle, mais là !...

THERESE Des clients ? Vous avez une boutique à Paris ! Oh ! Je parie que c’est un salon de coiffure, élégantes comme vous êtes !

Me JO Un salon de... C’est ça, oui ! Et toi, Lilas, clientèle ou pas, on doit toujours surveiller son langage !

LILAS Bien, je comprends ! Excusez-moi, madame ! Ça m’a échappé ! Je ferai attention, je vous promets ! Mais quand même, 93 ans, vous avouerez… Moi, ça m’en bouche un coin ! Euh ! Je veux dire, ça m’étonne. Mes vieux, ils n’ont pas dépassé les 70 ! Mais dites-moi, madame Jo, il vous a eue tard, votre père, si vous n’avez que 46 ans.

YVONNE

Quarante-six ans ! Toi ?

Me JO Oui, enfin quarante-sept, si tu veux ! On va pas chipoter pour quelques années de plus ou de moins !

YVONNE Si tu le dis ! C’est l’Auguste qui va être content, lui qui est ton cadet de deux ans, voilà-t-y pas que ça nous le ramène à quarante-quatre ans. Presque dix de moins que ce que je lui croyais, pardieu !

Me JO Tiens, Justement ! En parlant de lui, où est-ce qu’il est fourré, c’t’ animal ?

YVONNE Ben à cette heure, il se pourrait bien qu’il est à l’étable, ou aux cochons, ou à la cave en train de tirer du cidre… ou de le boire. A moins qu’il soit encore à bouchonner ses chevaux… C’est qu’il y a de quoi faire dans une ferme. Diable !

Me JO Lilas, tu veux bien aller me chercher la petite valise dans la voiture.

YVONNE Une valise ! C’est-y que vous comptez rester ?

Me JO Ça se pourrait bien ! Mais je verrai ça avec Auguste, si ça ne te gène pas !

THERESE Vous êtes venues en automobile ?

Me JO Bien sûr, par quel autre moyen ?

LILAS Et pas n’importe quoi comme automobile, vous pouvez me croire : une 4 chevaux Renault. Vous ne devez pas en voir souvent par ici, des voitures !

YVONNE Tu parles qu’on n’en a pas vu, des voitures par ici. Un vrai défilé, oui, ces derniers temps ! Des allemandes, des américaines, des anglaises et même des françaises… de tous les pays, quoi ! Il n’y a que la couleur qui ne changeait pas, vert kaki pour toutes !

THERESE Oh oui ! Et ces drapeaux de toutes les couleurs ! C’était beau ! Les Américains nous lançaient des chewing-gums et des cigarettes. Tiens, il doit en rester dans le buffet, vous en voulez, parce que moi, ça me fait tousser, ces trucs là. Les cigarettes, je veux dire. Le bubble-gum, j’aime bien, par contre !

YVONNE Va donc plutôt chercher ton père, au lieu de raconter n’importe quoi !

Me JO Et toi, Lilas, ma valise, s’il te plait !

LILAS J’y vais, j’y vais, madame ! (Elles disparaissent toutes les deux sous les draps.)

YVONNE Alors, si ce n’est pas pour la mort du vieux que tu es là, qu’est-ce qui t’amène ? Sans répondre, Me Jo s’assied sur une chaise libre.

Me JO Tu m’offres pas quelque chose à boire ? Il fait chaud et ça fait des heures qu’on avale de la poussière sur les routes. Yvonne prend un pichet d’eau et un des verres qui traînent sur la table. Elle le remplit et le tend à Me Jo qui le regarde avec méfiance en transparence.

Me JO C’est tout ce que tu as à m’offrir ? On n’ fait donc plus de cidre ?

YVONNE Il n’y en a pas de tiré. Me Jo repose le verre sur la table sans avoir bu.

YVONNE Alors ! Si ce n’est pas pour le vieux, c’est pour quoi ?

Me JO Je t’ai dit que j’attendrai mon frère pour en discuter avec lui.

Scène 3

Yvonne, Me Jo, Auguste, Thérèse.

Les deux femmes restent à s’observer en silence jusqu’à ce qu’Auguste entre, suivi de Thérèse.

AUGUSTE, s’arrêtant en reconnaissant sa sœur Qu’est-ce que tu fous là, toi ?

Me JO Eh ! Ça fait plaisir, ça au moins ! C’est comme ça que tu m’accueilles, toi ? Tu pourrais me dire bonjour, d’abord !

AUGUSTE Je te demande ce que tu fais ici ?

Me JO Mais je viens faire une visite à mon petit frère chéri. Tu peux me faire la bise, là, sur la joue ! Aie pas peur, ça déteint pas ! T’étais moins timide la dernière fois que je t’ai vu ! Voyons, c’était quand ?... Ah oui ! Quand t’es venu me demander de l’argent pour réparer le toit de l’étable ! C’est bien ça, non ?

YVONNE Comment ? T’as demandé de l’argent à ta sœur pour le toit ! Et pourquoi tu disais qu’elle était morte, alors ?

AUGUSTE Mais c’était avant la guerre, tout ça ! (A Me Jo.) Et toi ? Je t’ai dit que je te rembourserais aux moissons, non ? Et puis là-dessus, il y a eu la guerre ! Alors, avec ça, les moissons !...

Me JO Si je me souviens bien, tu parlais aussi d’une machine révolutionnaire, un tracteur, je crois bien ! Tu m’avais même montré une image de l’engin et tu faisais l’article comme si tu voulais me le vendre. Un hectare et demi labouré par jour, que tu disais ! T’en veux donc plus ?

YVONNE Hein ? Tu voulais commander un tracteur sans m’en parler ? C’est–y donc que t’aimes tant tes chevaux, que tu veux plus les mener au champ ?

AUGUSTE Laisse mes chevaux tranquilles. Je n’ai rien commandé du tout ! J’en ai juste parlé ! Et puis maintenant, de toute façon faudra attendre, parce que, avec toutes les mines que les boches ont laissées, il n’est pas question de labourer. Et à ce qu’on dit, ce n’est pas demain qu’on verra une équipe de prisonniers pour déminer par ici. Faut être dans les petits papiers de la préfecture.

YVONNE N’empêche que tu aurais pu m’en parler !

Me JO

C’est pas bien de faire des cachotteries à ta femme, mon petit Auguste. Pas bien du tout !

AUGUSTE Bon ! Et si tu me disais ce qui t’amène, toi ?

Me JO Eh bien, je venais demander l’hospitalité à notre père, mais puisqu’il a passé l’arme à gauche, ça change tout. On est à part égale sur la ferme, non ?

AUGUSTE C’est-y que tu veux devenir fermière, toi ? Je te vois d’ici en train de labourer avec tes filles attelées à la charrue !

YVONNE Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Tu as donc eu des filles, toi ?... Eh ! Tu vas voir qu’elle va vouloir vendre la ferme et comme tu lui dois de l’argent, elle va nous mettre le couteau sous la gorge.

Me JO Eh ! Qui parle de vendre quoi que ce soit ?

AUGUSTE Alors, qu’est-ce que tu veux ? Tu as ton commerce à Paris. Et ça marche pas mal, si je me souviens bien. Non ?

Me JO Eh bien, justement, non ! Je l’ai plus mon commerce ! Par arrêté préfectoral ! On a jusqu’au mois d’octobre pour mettre la clé sous le paillasson, autant dire, rien !

AUGUSTE Comment ça ? De quoi tu parles ?

Me JO On doit fermer, je te dis ! Eh quoi, vous lisez donc pas les journaux par ici ? Vous n’avez pas entendu parler de la loi Marthe Richard ! Une jalouse, oui, une mal b… Ah ! Parlez-moi de la solidarité féminine ! Non, mais je te demande un peu, de quoi elle se mêle, celle-là, comme si on n’avait pas mieux à faire après cette fichue guerre qu’à emmerder de pauvres filles qui triment pour le bien de l’espèce humaine et la paix dans les ménages !

YVONNE Mais pourquoi elle veut faire fermer les salons de coiffure, cette Marthe Richard ?

AUGUSTE Quel salon de coiffure ?

THERESE Ben ! Le salon de coiffure que tient tata, tiens !

Me JO Eh bien oui, Auguste, mon salon de coiffure, tu sais bien, voyons !... Alors, non seulement tu me bombardises, mais en plus t’as pas le courage de dire à ta femme ce que je fais comme métier ! Ce serait-y que t’as honte de moi ?

AUGUSTE Mais non, qu’est-ce que tu vas croire ! Et puis… métier !

YVONNE Eh bien, alors ! Si ce n’est pas un salon de coiffure, qu’est-ce que c’est ? Allez, vas-y, Auguste, dis-moi !

AUGUSTE Euh ! Enfin !

Me JO Mon salon de coiffure, si tu veux le savoir, c’est une maison de tolérance, comme ils disent, dans les beaux quartiers ! Et si tu ne comprends toujours pas, chez nous, on appelait ça un bordel ! Oui, je tenais un bordel ! Voilà, tu es fixée, maintenant !

YVONNE Un… Seigneur ! Comment est-ce possible ?

Me JO Tu veux peut-être que je te fasse un dessin ?

YVONNE Mon Dieu, non !

Scène 4

Yvonne, Me Jo, Auguste, Thérèse, Lilas.

A ce moment, Lilas revient avec une petite valise qu’elle lève pour la montrer à Me Jo. Auguste le dévore des yeux.

LILAS Voilà, c’est bien celle-là ?

Me JO, en indiquant la table Oui, pose-la là !

YVONNE Eh bien, Auguste ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Te voilà tout rouge !

LILAS Oh ! Ne vous inquiétez pas, madame Yvonne. J’ai l’habitude.

THERESE Qu’est-ce que tu as, papa ? T’as avalé de travers ?

LILAS

C’est à chaque fois la même chose quand j’entre quelque part où il y a des hommes. Je me demande bien pourquoi. Il paraît que je suis une espèce de sex-symbol !

THERESE Une quoi ?

LILAS Sex-symbol. C’est un truc que m’a dit un soldat américain, il a même dit comme ça que j’étais le sex-symbol de la France libérée ! Je n’ai pas très bien compris, mais à son air, j’ai compris que c’était quelque chose de gentil. Un peu comme pin-up, quoi !

THERESE Ah ?

AUGUSTE, se reprenant Et c’est quoi, cette petite valise ? Il ne tiendrait même pas toutes tes petites culottes, là-dedans !

YVONNE Auguste !

AUGUSTE Quoi, Auguste ? Si on ne peut pas rigoler un peu, maintenant ! Eh ! Si c’était des tiennes, de petites culottes, il n’en tiendrait pas plus d’une. Pardi, ce n’est pas de la soie qu’on porte par ici !

YVONNE, moitié riant Auguste ! Tu vas t’arrêter oui, ou tu pourrais bien sentir le goût de mon battoir sur le coin de ta goule !

AUGUSTE, faisant mine de se défendre Mais, dis-moi, pendant l’occupation, tu as continué ?

Me JO Bien sûr, Qu’est-ce que tu crois ? Et même que ça y allait ! Elles chômaient pas, les filles. Mais quand même, je les faisais pas tourner comme dans certaines maisons que je connais. Et que du beau monde chez moi, tu peux me croire. Ma clientèle, c’était du premier choix.

YVONNE Beau monde ou pas, les hommes, c’est tous les mêmes, des porcs qui n’ pensent qu’à la chose !

AUGUSTE Et après, à la libération… Tu n’as pas eu de problème ? Enfin, je veux dire… Rapport à ta clientèle !

Me JO Toi, tu te demandes si je serais pas rasée, je parie ! Eh bien, vas-y ! Tire sur mes cheveux pour voir, pendant que tu y es ! Allons, n’aie pas peur !

THERESE Rasée ! Et pourquoi que vous seriez rasée ?

Me JO Parce que c’est le sort qu’on réservait aux femmes qui ont fricoté avec les Allemands, tiens ! On n’a pas fait ça, par ici ? Ça m’étonnerait bien !

THERESE Mon Dieu ! Ce n’est pas vrai ! On a vraiment fait ça à des femmes ?

YVONNE À la ville, je ne dis pas ! Peut-être ? Mais pas par chez nous !

Me JO En tout cas, moi je vous le dis, ma maison, elle a jamais accueilli un seul boche, ni même un collabo. Enfin pas qu’ je sache. (Voyant le regard étonné des autres.) Ben oui ! Ceux-là, on ne pouvait pas être sûr, ils parlent français ! Sur ma porte, il y avait écrit : « Réservé aux Français ». Ah mais ! Ma façon à moi de faire de la résistance !

LILAS Oh, moi, je ne sais pas résister ! Puis ça ne me gêne pas quand les hommes, ils me parlent pas français ! Je l’ai bien vu à la libération, j’arrive à me débrouiller avec toutes les langues ! Même en sénégalais, une fois.

THERESE Mais les Sénégalais parlent français, voyons !

LILAS Ah bon ! Vous êtes sûre ? Alors il devait avoir un accent, celui-là ! En tout cas, ce qu’il parlait bien avec ses grandes mains et avec…

Me JO Lilas ! Ça n’intéresse personne tes histoires !

LILAS Ah bon !

THERESE Moi, si ! Ça m’intéresse bien !

AUGUSTE Moi aussi… surtout que vous racontez bien, mademoiselle… ?

LILAS Lilas… Ce n’est pas mon vrai nom, pensez donc ! Mais c’est ma fleur préférée. Alors quand Madame m’a demandé d’en choisir un… C’est aussi mon parfum préféré.

Tiens, sentez ! (Elle s’approche d’Auguste en lui mettant sa poitrine sous le nez puis se recule.) Ben pourquoi vous louchez comme ça ? Oh ! Ça me rappelle un résistant qu’on avait recueilli. Lui aussi il louchait. Mais à part ça, ce qu’il était beau !… Et ça lui donnait un regard, je me sentais toute chose quand il me regardait en double !...

Me JO Ah ça oui, alors ! Un beau gars ! On l’a gardé quinze jours chez nous. Le temps que sa blessure cicatrise. Il en a fait des ravages, celui-là dans mon poulailler. Mais attention, hein, pas question de s’amouracher !... Oui ! Mes filles, je les tenais, vous pouvez me croire ! Contrôles sanitaires et tout le tintouin ! Et elles prenaient régulièrement des bains !

AUGUSTE Ah ça, c’est vrai, qu’elle était bien tenue ta maison !

YVONNE Parce que tu y es allé ? Toi ?

AUGUSTE Ben ! Bien sûr, la fois où je suis allé lui demander des sous pour le toit.

YVONNE Mais oui ! La fois où que t’es allé lui demander des sous pour le toit ! Tu me prends pour une pomme ?

AUGUSTE Qu’est-ce que tu vas imaginer encore ?

YVONNE On se le demande, hein !

Me JO Et maintenant, qu’est-ce qu’elles vont devenir, mes filles sans moi ? J’étais comme une mère pour elles, moi. Elles le disaient souvent, d’ailleurs !

LILAS C’est vrai, ça ! On le disait souvent, madame Jo, c’est comme notre seconde maman !

Me JO Et puis, elles ne savent rien faire d’autre ! C’est le trottoir qui les attend ! Parce que, faut pas croire, hein ! C’est pas parce qu’on ferme les bordels que ça va s’arrêter... Elle aurait dû commencer par castrer les hommes, la Marthe Richard ! Mais bien sûr, eux, pas question de les embêter. Je suis sûre que tout ça, c’est règlements de compte et compagnie.

YVONNE Bon ! Ce n’est pas tout ça ! Thérèse, si t’allais te changer maintenant et redescends vite cette fois pour me donner un coup de main pour les draps.

THERESE J’y vais. (Elle sort.)

LILAS Je peux aider, si vous voulez. Les draps, ça me connaît !

YVONNE Ben tiens ! Puisque vous le proposez, ce n’est pas de refus ! Attendez donc Thérèse, vous ferez ça avec elle, moi, faut que j’aille m’occuper de donner à manger aux poules et aux lapins. Avec tout ça, j’en oublierais mon ouvrage, moi !

Me JO Je vais avec toi, ça me rappellera le bon temps… si on peut appeler ça le bon temps !

YVONNE Avant, faut que je me change aussi ! Pour toi, dans la tenue où que t’es, tu vas leur faire peur à mes bestioles. Tu n’as donc rien d’autre à te mettre ?

Me JO Je monte aussi. Tu trouveras bien quelque blouse à me donner !

LILAS Madame Jo !

Me JO Oui, mon petit ? Lilas s’approche de Me Jo et lui parle à l’oreille.

Me JO, en souriant Ah ça, mon petit, demande-le donc à Auguste ! Il va t’expliquer. Yvonne et Me Jo sortent.

AUGUSTE Eh bien, nous voilà tous seuls tous les deux, on dirait !

LILAS Oui, on dirait bien ! Tous seuls, rien que vous et moi ! (Elle s’approche d’Auguste et lui parle bas à l’oreille.)

AUGUSTE Rien de plus facile, mademoiselle. Vous sortez dans la cour, vous entrez dans l’étable qu’est juste sur votre droite et une fois dedans, il n’y a que l’embarras du choix, entre la noiraude, la roussette et les autres, mais ne vous avisez pas d’aller au fond… Là, c’est l’Hercule et l’aime pas trop qu’on le dérange dans sa sieste. Retour d’Yvonne en coup de vent, elle attrape Auguste par la manche.

YVONNE Toi, viens par ici avec moi ! Je me sentirai plus tranquille… et mademoiselle Lilas aussi ! Ils sortent, laissant Lilas seule. Celle-ci regarde autour d’elle, un peu désemparée, puis poussant un gros soupir, elle s’assied.

LILAS Je me demande si ça va me plaire ici, moi !

Scène 5

Thérèse, Lilas.

Entre Thérèse qui s’est changée, elle porte une blouse boutonnée devant. Elle attrape un drap et en tend un bout à Lilas. Elles le plient en silence. Quand elles ont fini, Lilas le donne à Thérèse qui termine de le plier seule.

THERESE Et d’un ! Tiens, vous pouvez me faire un peu de place sur la table. Lilas retire les verres et semble ne pas savoir qu’en faire.

THERESE Mettez-les dans la bassine, là-bas.

LILAS Ah oui ! Eh ! On ne va pas se vousoyer toi et moi !

THERESE Quoi ? On ne va pas quoi ?

LILAS On ne va pas se donner du vous, si tu préfères, on se dit ‘tu ‘, ce sera plus simple.

THERESE, en posant le drap plié sur la table Ah ! Oui, si tu veux ! Elle commence à descendre un deuxième drap et en passe un bout à Lilas. Elles vont le plier pendant toute la conversation qui suit, s’interrompant parfois.

THERESE Dis-moi, ce qu’elle disait ma tante, tout à l’heure, c’est vrai ?

LILAS Quoi ?

THERESE Ben, les femmes qu’on rase parce qu’elles ont couché avec des Allemands.

LILAS Ah ça ! Oui, c’est vrai. Moi, dans notre rue, j’en ai vues deux. Ce n’était pas un beau spectacle, tu peux me croire. Ah ! Fallait les voir se déchaîner, les résistants de la onzième heure. Après leur avoir massacré les tifs à coups de ciseaux et de tondeuse mal affûtée, ils leur ont peint des croix gammées sur le crâne.

THERESE Et c’est tout ce qu’ils leur ont fait ?

LILAS Ben qu’est-ce que tu crois, ils allaient quand même pas les fusiller.

THERESE Et après, qu’est-ce qu’il leur arrivait.

LILAS Je ne sais pas, moi. Ils les obligeaient à défiler dans la rue et les gens leur lançaient des injures au passage. Puis je pense que quand ça les amusait plus, ils passaient à autre chose !

THERESE Et elles pouvaient rentrer chez elles ?

LILAS Je ne sais pas ! Sans doute ! Mais tu sais, les cheveux, ça repousse pas comme ça et la honte, elles la gardaient longtemps. Celles qui avaient les moyens, elles se payaient une perruque. Pour les autres, ben, elles se mettaient un foulard sur la tête.

THERESE Et vous, vous n’avez pas eu d’ennuis ?

LILAS Nous ? Non, tu as bien entendu madame, nous, on ne recevait pas d’Allemands, et puis même ! Il paraît que celles qui l’ont fait, elles n’ont pas été embêtées après. Les gens, ils s’en foutent bien de savoir avec qui on couche, nous… Mais dis-moi, tu poses beaucoup de questions, toi. Ce serait-y que t’as quelque chose à te reprocher ?

THERESE Non ! Non ! Pas du tout, qu’est-ce que tu vas croire ?

LILAS Allez, tu peux bien me le dire, à moi. Je le répèterai pas. Et puis, faut bien reconnaître que sur le tas, y’en avait des mignons dans leurs uniformes caca d’oie.

THERESE Bon ! Tu ne le diras à personne, alors, hein ? Jure-le !

LILAS Promis, juré, craché, si je mens je vais en enfer ! Alors ?

THERESE

Il s’appelle Hans !

LILAS Ce n’est pas très original, mais c’est joli quand même, comme prénom : Hans !

THERESE Mais tu sais, c’était pas vraiment un boche ! Enfin, je veux dire, il n’était pas pour la guerre, lui. Il était gentil et il disait toujours que tout ça s’arrêterait bien un jour et que les Allemands se rendraient compte qu’ils s’étaient trompés.

LILAS Tu comprends l’allemand, toi ?

THERESE Non, mais c’est lui, il parlait français. Il faisait des études, à Düsseldorf, avant la guerre et il avait appris le français.

LILAS Et comment que tu l’as rencontré ? Dis-moi !

THERESE Ben, ici, à la ferme, tout bêtement ! C’est un dimanche que je l’ai vu, la première fois. Il faisait chaud et il était en tricot de peau. Il chargeait des patates dans sa camionnette. Quand il m’a vue, il est resté sans rien dire. Moi, j’ai senti mon cœur se serrer que ça m’en faisait mal dans la poitrine, là ! Et lui, j’ai bien vu que ça lui faisait quelque chose aussi !

LILAS Le coup de foudre, quoi ! Puis après, il t’a compté fleurette, et hop, tu t’es retrouvée couchée dans le foin !

THERESE Mais non ! Ça ne s’est pas passé comme ça ! C’est lui qui a parlé en premier. D’abord, je n’ai pas réalisé qu’il me parlait en français ! Il m’a dit comment il s’appelait et que c’était lui qui faisait les courses pour la kommandantur, parce qu’il comprenait le français. Quand il s’est arrêté, moi, je ne savais pas quoi dire. Alors il m’a faitt « Et vous ? ».

LILAS Ça au moins, ça mange pas de pain ! Alors, tu as fait quoi ?

THERESE Ben rien ! Enfin, si… j’ai dit comment je m’appelais et que j’étais chez moi… enfin, chez mes parents. Alors il a incliné la tête, comme ça, et il a dit « Enchanté, mademoiselle Thérèse ! » Il était si sérieux que ça m’a fait rire. Alors il s’est vexé, il a claqué les talons et il a repris son travail. Moi, je ne savais plus quoi faire pour qu’il comprenne que je ne me moquais pas de lui ! Alors j’ai crié « Et moi aussi, je suis enchantée, monsieur Hans ! » et j’ai claqué mes sabots, comme ça. (Elle claque ses

pieds.) Il s’est retourné et je devais avoir l’air tellement godiche, qu’il a commencé à rire, lui aussi… puis j’ai ri encore et on était là, tous les deux, à rire comme des fous, dans la cour. Au point que la mère, elle est sortie et m’a demandé ce qui se passait !

LILAS Et alors ?

THERESE Elle m’a lancé un œil noir et elle m’a dit de rentrer vite fait, qu’il y avait de l’ouvrage. Elle a dit à Hans que lui aussi, il avait mieux à faire que rigoler comme un bossu puis elle est rentrée. Hans et moi, on pouffait encore un peu, mais sans faire de bruit, puis il m’a demandé ce que ça voulait dire « rigoler comme un bossu ! » Je lui ai dit que j’en savais rien mais que c’était un truc qu’on disait, comme ça ! Alors il a dit « Ah oui, c’est comme ‘péter plus haut que son cul’ ! » Et nous voilà repartis à rire de plus belle. Mais ma mère n’est pas ressortie cette fois.

LILAS Ben dis donc ! Et après vous vous êtes revus ?

THERESE Au début, il ne venait pas le dimanche. C’est pour ça que je ne l’avais jamais vu. Mais après, il faisait croire qu’on n’avait pas pu tout lui donner comme ça, il revenait presque chaque dimanche. Moi, mes patrons, ça les dérangeais pas, vu qu’à cause de la guerre, ils ne recevaient pas.

LILAS Et c’est comme ça, qu’un beau dimanche, il t’a entraînée dans la grange et crac, tu t’es retrouvée à zieuter les étoiles et lui la couleur de tes mirettes !

THERESE Eh bien non, là tu te trompes. Ce n’est pas lui qui m’a tiré vers la grange, c’est moi. Ça t’épate, hein ? Ce n’était pas la première fois que je voyais le loup, comme tu dis ! Lui, par contre, le pauvret, je crois bien que j’étais sa première. Il était si maladroit !

LILAS Un puceau ! C’est ceux que je préfère, je me rappelle d’un, surtout… mais bon passons ! Et après ?

THERESE Ben après, qu’est ce que tu veux, il y a pris goût et on recommençait chaque fois qu’on pouvait… tout ça jusqu’à ce que les Américains débarquent et que les Allemands soient obligés de partir.

LILAS Oh ! Alors il est parti et tu ne l’as plus revu ! Comme c’est triste. Tu as pu lui dire adieu au moins ? Thérèse ne dit rien et termine de plier le drap. Devant ce silence, Lilas insiste.

LILAS Non ?... Allez, dis-moi, quoi !

THERESE Eh bien si, je l’ai revu. Il est passé à la ferme pour m’expliquer que la kommandantur avait reçu l’ordre de se replier et qu’ils allaient partir le lendemain.

LILAS Ah ! T’as dû chialer !

THERESE Non ! Je lui ai dit que je ne voulais pas qu’il parte, qu’il risquait de se faire tuer et en plus, pour une guerre avec laquelle il n’était pas d’accord. Il disait toujours comme ça que Hitler, c’était la plus mauvaise chose qui soit arrivée à son pays, mais que j’étais la seule à qui il pouvait dire ça, que s’il le disait à d’autres, il risquait d’être fusillé.

LILAS Ça c’est sûr, on en a fusillé pour bien moins que ça, à Paris. Alors ? Il n’est pas parti ?

THERESE Non. Je l’ai caché dans la grange, jusqu’à ce que les Américains arrivent et après il s’est livré en disant qu’il était Alsacien.

LILAS Et ça a marché ?

THERESE Oui ! Et le plus beau, c’est qu’il travaille maintenant dans une ferme, du côté d’Argentan.

LILAS Mais alors tu peux le voir ?

THERESE Non, mais on s’écrit depuis que la poste a repris, le problème, pour lui, c’est surtout de trouver du papier. Alors je lui en envoie.

LILAS, poussant un gros soupir Comme c’est beau.

THERESE, sortant une lettre de la poche de son tablier Tiens, regarde, c’est la dernière que j’ai reçue. Il écrit bien, on dirait de la poésie.

LILAS Te casse pas la nénette, je ne sais pas lire. Lis-moi la plutôt, toi !

THERESE, lisant ‘Meine liebe Thérèse’, c’est de l’allemand.

LILAS Oui, j’avais pigé. Je t’ai dit, moi, les langues, ça me connaît !

THERESE, reprenant sa lecture ‘Les miroirs profonds de ton minois’… au début, j’avais pas compris. Il veut dire mes yeux, là !

LILAS Ben moi, j’ai compris ! Je ne sais pas lire, mais je ne suis pas idiote ! Je fais semblant parce que ça plait mieux aux hommes !

THERESE Ah bon !… (Reprenant la lecture.) … ‘sont comme des pervenches qui dansent sur la soie, chaque fois que je ferme les miens’, ses yeux ! ‘Les pétales de coquelicot de ta bouche…

LILAS Ben il aime bien les fleurs, dis donc !

THERESE … s’épanouissent pour recueillir la rosée à la louche’…

LILAS, riant Ah ce que c’est beau ! T’as raison, c’est de la poésie, ça !

THERESE Ah ! Arrête, t’es bête. Si tu continues, moi je te lis plus !

LILAS Si, si, vas-y, je me tiens à carreau, promis !

THERESE De toute façon, après, je ne te lis pas, c’est personnel. A la fin, il écrit : ‘Vivement qu’on me donne une permission que je puisse aller te voir. Tu m’embrases, je t’embrasse, tu m’enflammes, je m’enhardis…

LILAS, sifflant T’en as de la chance, moi, on ne me dit jamais des choses comme ça. Avec moi, c’est plutôt le genre : « Viens par ici ma poulette, que je te plume ! »… le reste je ne te dis pas, ça te ferait rougir !

THERESE Tu n’as jamais eu d’amoureux, toi ?

LILAS Ben si, une fois… et regarde où ça m’a conduite ! Ah, il était beau parleur, lui aussi, mon Alfred. Et comme ton Hans, il devait aimer les fleurs : il m’a cueillie à la gare d’Orléans, à peine que j’avais mis le pied sur le quai. Je suis de Bourges, moi, je travaillais en usine avant.

THERESE Tu faisais quoi ?

LILAS Je mettais de la vaisselle dans des caisses. Puis en 32, quand ça a commencé à aller mal, ils ont licencié et pfft ! me voilà sur le trottoir !

THERESE Déjà ?

LILAS Mais non ! C’est une façon de parler. A la rue, je veux dire.

THERESE Ah bon ! Tu n’avais pas de chez toi ?

LILAS Dis-moi, t’es vraiment gourde ou tu le fais exprès ?

THERESE Ben non, c’est toi qui dis que t’étais à la rue.

LILAS C’est encore une manière de dire ! J’habitais chez ma mère. Heureusement ! Elle tenait un bistrot, alors je lui donnais un coup de main. Puis un jour, elle s’est mise en ménage, avec le facteur. Oh ! Ce n’était pas le mauvais gars, mais il me reluquait d’un peu trop près. Ça n’a pas plu pas à ma mère et elle m’a attrapée, sérieux. Alors j’ai pris la tangente !

THERESE Hein ?

LILAS Je me suis tirée, je me suis cassée à Paris. De toute façon, l’usine, je ne voulais pas y rester toute ma vie, moi, je voulais être artiste. Un truc que m’avait mis dans la tête un parigot qui campait vers chez nous.

THERESE Artiste de quoi ?

LILAS Ben, de music-hall, tiens ! De quoi que tu voudrais d’autre ? Alors, quand j’en ai parlé à mon Alfred – il m’avait installée dans sa piaule, après qu’on s’était rencontrés - il m’a dit qu’il allait faire de moi la nouvelle Mistinguett. A l’époque, je ne savais même pas qui c’était.

THERESE Et c’est qui ?

LILAS Tu ne connais pas ? Ah oui, c’est vrai ! Ici, vous ne pouvez pas, vous n’avez même pas la radio…

THERESE On n’a déjà pas l’électricité, alors ! La radio, je l’ai déjà entendue, chez mes patrons … Je suis même allé au cinéma plusieurs fois.

LILAS Mistinguett, c’est une grande chanteuse de music-hall, c’est elle qui chante : « on dit que j’ai de belles gambettes, mais j’ serais pas Mistinguett, si j’étais pas comme ça ! »

THERESE Ah oui, je connais ! Ça passait à la radio. Elles chantent toutes les deux et se mettent à danser en levant la jambe et s’écroulent de rire par terre.

THERESE, reprenant son souffle Et alors, ton amoureux ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

LILAS Lequel, le campeur ou Alfred ?

THERESE Ah ! Parce que le campeur aussi ?

LILAS Oh, avec lui, ce n’était pas bien sérieux, je savais qu’il m’oublierait aussitôt reparti.

THERESE Parce que ton Alfred, ça a été du sérieux ?

LILAS Bah ! C’est ce que j’ai cru, oui. Il m’emmenait au restaurant, au café concert et au théâtre. Même qu’une fois, il m’a emmenée sur la Tour Eiffel.

THERESE Ah ! T’en as de la chance !

LILAS Il me disait qu’il allait me faire rencontrer des tas de gens importants qui me lanceraient dans le show-biz… Moi, pauvre cruche, je gobais tout ce qu’il disait, mon Alfred, comme si c’était parole d’évangile. Puis, un beau jour, il m’a présenté à un vieux bonhomme. Il organisait des revues comme aux Folies Bergères, qu’il disait Alfred. Mais il fallait d’abord que je fasse plaisir au monsieur… et, pfft ! C’est moi qu’ai été de la revue !

THERESE Lui faire plaisir ! Comment ça ?

LILAS Eh ! Devine !... Ça veut dire que le soir même je me retrouvais dans son pieu, au vieux.

THERESE Mais c’est dégoûtant !

LILAS Oh ! Tu sais !... puis après celui-là, il y en a eu un autre et encore un autre. Un jour, j’ai commencé à me douter de quelque chose. Alors j’en ai touché deux mots à Alfred. Il m’a foutu une beigne et il m’a dit que si je n’étais pas contente, je pouvais retourner en usine. A part ça, il était toujours gentil avec moi. Il me faisait même des petits cadeaux, des fois ! Jusqu’au jour où il a rencontré la Monique. Ah ! Celle-là !... Quand j’ai dit à Alfred qu’il fallait qu’il choisisse entre elle et moi, il m’a foutu une de ces torgnoles, je ne te dis pas ! Et le soir même il m’a mise en maison.

THERESE En maison ?

LILAS

Au turbin dans un claque, si tu préfères ! Au Dahlia bleu, pour commencer, puis après, chez madame Jo.

THERESE Le salaud ! Tu dois lui en vouloir !

LILAS Même pas, c’est plutôt à moi que j’en veux. Et puis tu sais, entre l’usine et ça, je ne sais pas si j’ai tant perdu au change. Au claque je mangeais à ma faim et j’avais un lit à moi. Puis voilà, ils ont fermé les bordels et madame Jo m’a embarquée avec elle, que je ne sais même pas pourquoi, et me revoilà à la campagne !

THERESE Comme qui dirait retour à la case départ, quoi !

Scène 6

Yvonne, Me Jo, Lilas, Thérèse.

Entrent Yvonne et madame Jo, qui ne s’est pas changée.

Me JO, essoufflée, en riant Saloperie de bestiole, c’est qu’il m’aurait pincée, l’animal et je te dis pas dans quel état il aurait mis mes bas. Au prix où qu’ils sont ! Du vrai nylon !

YVONNE Je t’avais prévenue, tu n’as pas voulu de ma blouse parce qu’elle ne t’arrangeait pas ! Ben tu vois le résultat : tu lui as fait peur au coq, il t’a prise pour un rival et c’est

bien fait pour toi s’il t’a coursée. (Avisant Thérèse et Lilas.) Eh bien ! C’est comme ça qu’on peut compter sur vous ? Regardez-moi ça, même pas deux draps de pliés.

LILAS C’est de ma faute, madame Yvonne, je cause toujours trop, comme dirait Alfred !

Me JO Laisse Alfred où il est, toi ! (Elle descend un drap.) Allez, les filles, si on s’y met toutes les quatre, y en a pas pour des heures. Et que ça saute !

LILAS, en riant C’est ce que vous nous disiez, tous les soirs : « Et que ça saute !! » On se croirait revenu à la taule !

Me JO Lilas !... Pis, arrête, tu vas me faire pleurer !

LILAS Oh ! Pardon ! Ça m’a échappé !

YVONNE C’est qui cet Alfred ?

Me JO Un pas grand-chose ! Un proxo à la petite semaine.

LILAS C’était mon homme et c’est quand même grâce à lui si vous m’avez eue !

Me JO Tu parles d’un cadeau ! Allez, plie !

ACTE 2

Scène 1

Auguste, Me Jo, Yvonne

Il ne reste plus qu’une paire de draps en fond de la scène. Côté cour, un tableau représentant une femme nue, allongée de dos, sur un buffet, un gramophone, sur le mur d’en face, un portrait de Ste Thérèse. Sur les chaises, des coussins très colorés. Me Jo est seule, en chemise de nuit et robe de chambre, une fesse posée sur la table, elle boit un bol de café. Entre Auguste.

AUGUSTE Eh bien ! ? Tu n’as pas autre part où poser ton cul ? C’est-y que t’as perdu l’usage des chaises à Paris. Pis c’est pas propre de mettre ses fesses là où qu’on mange.

Me JO Eh ! Bonjour, d’abord ! C’est plutôt en posant mon postérieur sur une chaise que je risquerais de me salir, oui !

AUGUSTE

Qu’est-ce qu’elles ont mes chaises ? Si elles ne te plaisent pas…

Me JO Tes chaises ! Je te rappelle qu’il y en a la moitié à moi, maintenant. Auguste se sert un bol de soupe, il s’assied et se verse un verre de vin rouge. Il commence à manger en trempant du pain dans sa soupe, pour commencer. Un moment il s’arrête et lève son verre pour boire. Il découvre le tableau et reste le verre à mi-course.

AUGUSTE Qu’est-ce que ça fait au mur, ce truc-là ?

Me JO Eh bien ! Tu m’ remets pas ? Ah, c’est vrai ! T’as pas l’habitude de me voir sous c’t’angle-là ! C’est moi, ce truc-là.

AUGUSTE Je m’en fous que ce soit toi ou une autre rombière, je te demande ce que ça fout là !

Me JO Ben quoi ! Ça te plaît pas ? C’est signé d’un grand artiste, tu sais… Attends ! Je me rappelle pas d’ son nom,… je vais t’ dire ! (Elle s’approche du tableau, prend une paire de lunettes dans sa poche et regarde en bas de l’oeuvre.) Ah zut ! C’est trop bête ! Je m’ souvenais plus, il a pas mis son nom en entier. Juste trois lettres : K, V, D. Voyons, voyons : K, K, K ? Kristof ? Non. Kristobal ? Non plus ! Je l’ai sur le bout de la langue Ah ! Un nom bizarre… un truc étranger. Mais aide-moi !... Ah ! Je te dirai quand ça me reviendra.

AUGUSTE Je me fous du nom de ton peintre comme de savoir à qui est cette paire de fesses. Je te dis tout net que je ne veux pas de ce machin sur mon mur. Et en face de Sainte Thérèse, en plus de ça ! Je ne te dis pas la tête qu’elle va faire la Vonette, si elle voit ça !

Me JO Attends ! Attends, mon petit père. Il y a la moitié de la propriété qui me revient, non ?

AUGUSTE Eh ! Tu vas vite en affaire, toi ! Faudrait voir le testament, déjà. S’il en a fait un, le vieux !

Me JO Eh bien, en attendant, on va dire que ce mur-là, il est à moi et celui-là aussi et j’y accroche ce que je veux. De ton côté, toi tu peux mettre tous les saints du calendrier, ça ma gène pas du tout !

AUGUSTE Et puis quoi encore ?

Me JO Et puis quoi ? Ben, on ne va pas s’arrêter là, c’est moi qui te le dis, faudrait voir à se mettre à jour dans nos compte aussi !... Puisque tu le prends comme ça !

AUGUSTE Oh ! Bon, bon, ça va, calme-toi ! Tu sais, moi je disais ça !... C’est plutôt pour Vonette, je te dis. Tiens, la voilà ! Entre Yvonne.

YVONNE, voyant Joséphine Tes déjà debout, toi ? Tu te lèves tôt, dis donc !

Me JO Le décalage horaire, on va dire. C’est plutôt qu’à Paris, j’avais pas l’habitude de me coucher si tôt. Tiens, j’ai fait du vrai café, si tu veux. Vous avez dû oublier le goût que ça a, je parie.

YVONNE Oh, du vrai café. Pense donc, ça fait un bail qu’on n’en a pas vu la couleur, par ici. Tu l’as eu comment ?

Me JO N’ te pose pas de question, la réponse pourrait ne pas t’ plaire. Et tiens, si tu veux du sucre, j’en ai aussi, là, sur le buffet, dans la boite. Yvonne se sert du café puis du sucre et s’assied à table. En tournant la cuiller, elle découvre à son tour le tableau.

YVONNE Qu’est-ce que c’est que ça ?

AUGUSTE, à Joséphine Ah ! Je t’avais prévenue.

YVONNE Prévenue de quoi ? Alors, c’est quoi ?

AUGUSTE Eh bien, ça, si tu veux le savoir, c’est les fesses à madame !

YVONNE Ah bon ! (Elle rit.) Je ne t’aurais pas reconnue ! C’est plutôt joli !

AUGUSTE C’est tout ce que tu trouves à dire ?

YVONNE Oh ! Tu sais, moi je n’y connais pas grand-chose en art. Mais je trouve ça joli, en tout cas. C’est bien peint et on voit tout de suite ce que c’est !

AUGUSTE Je ne te le fais pas dire !

Scène 2

Auguste, Me Jo, Yvonne, Lilas

Arrive Lilas, en petite tenue. Auguste manque de s’étrangler.

LILAS Bonjour tout le monde ! Vous avez du thé ?

Me JO Non, il n’y en a pas, mais j’ai fait du café. Vas-y, sers-toi, il est tout chaud.

LILAS Pis j’ai une de ces faims aussi, ça doit être l’air de la campagne. Je peux manger un petit quelque chose. Auguste montre la marmite de soupe.

AUGUSTE Si le cœur vous en dit !

LILAS Euh, vous n’avez pas du pain et du beurre plutôt ? Et de la marmelade d’orange ?

YVONNE De la quoi ?

Me JO De la marmelade, c’est une espèce de confiture faite avec des oranges.

YVONNE Où c’est que vous vous croyez, ma petite ? Comme si les oranges ça poussait par chez nous !

AUGUSTE Allons, ne sois pas désagréable, comment veux-tu qu’elle sache, la pauvrette ? Laisse-lui le temps de s’adapter. Il y a du beurre, là, si vous voulez et pis, il doit bien y avoir encore un peu de miel quelque part, si ça vous fait plaisir.

LILAS Oh merci, monsieur Auguste, vous êtes trop gentil, mais je prendrai juste un peu de beurre. Le miel, ça coule trop…

YVONNE Non, mais regardez-le, celui-là ! Il est rouge comme une pivoine. T’as jamais été aussi prévenant avec moi, ou alors je me rappelle pas quand c’était la dernière fois.

Me JO Que veux-tu ! Faut croire que les bonnes manières lui reviennent au contact de la vie parisienne.

LILAS, avisant le tableau Oh ! Vous avez apporté votre beau tableau, madame Jo !

Me JO Tu crois tout de même pas que j’allais laisser le portrait de mon gagne-pain à la maréchaussée, non !

YVONNE Ton quoi ?

Me JO Mon gagne-pain ! Ben quoi, ça te choque ? Tu veux que je te raconte ma vie ! Tu crois peut-être que je me suis retrouvée à la tête de ma turne par l’opération du Saint Esprit ? Ma tôle, je l’ai gagnée à la sueur de mon front, moi, ma fille !

AUGUSTE Façon de parler !

Me JO Qu’est-ce que tu voudrais que je dise, hein ?

AUGUSTE Rien, rien ! Le front, ça ira très bien !

Me JO En tout cas, je n’dois rien à personne et j’en ai pas à en rougir ! Non, mais des fois !

Scène 3

Auguste, Me Jo, Yvonne, Lilas, Thérèse

Entre Thérèse.

THERESE Je sais pas ce qu’elle a la Blanchette, elle est agitée ce matin, elle a failli me renverser mon seau.

YVONNE Elle doit être en chaleur, elle aussi.

Me JO Tu dis ça pour moi ?

YVONNE Non, pour la vache !

Me JO Ouais, ben c’est pas drôle.

THERESE Eh bien, on dirait qu’il y a de l’ambiance ici.

YVONNE Tiens, ta tante a fait du café.

THERESE Oui, je sais, je l’ai vu qui le passait quand je suis allée à l’étable. (Elle se sert un bol et avisant le pain, elle s’en coupe une tranche. Puis, montrant le tableau, à Joséphine.) C’est toi, sur le tableau, là ?

Me JO Ah ! Enfin une qui m’a reconnue ! Ça me rassure ! Il faut croire que j’ai pas trop changé, au bout du compte ! Si tu veux du sucre, j’en ai apporté aussi.

THERESE Oh ! Du sucre, oh oui, alors ! (Montrant le tableau.) C’est joli en tout cas !

AUGUSTE Bon, ben si vous êtes toutes contre moi, je ne dis plus rien.

YVONNE Pourquoi ? Il ne te plait pas, ce tableau ?

AUGUSTE Si, si, ça me plait beaucoup, et puis c’est signé d’un grand peintre, monsieur K. quelque chose. Alors il n’y a plus rien à redire ! Hein ?

Me JO Bon ! C’n’est pas tout ça, mais faudrait peut-être que je m’habille, moi. Je n’ai pas que ça à faire !

AUGUSTE Ah bon ! Et qu’est-ce que tu veux faire de plus, encore ?

Me JO Chaque chose en son temps. D’abord passer chez le notaire. Pour le reste… Patience, mon petit Auguste, patience ! Me Jo et Lilas sortent.

Scène 4

Auguste, Yvonne, Thérèse

AUGUSTE Avec elle, je crains le pire.

YVONNE Pourquoi ?

AUGUSTE Tu ne vois pas qu’elle veuille transférer son affaire ici !

YVONNE Quoi ? Un… enfin, une… enfin, euh !...

AUGUSTE Un bordel ! Oui. Et elle en est bien capable !

THERESE Bah ! Papa !

AUGUSTE Quoi, papa ? Ah ! On voit bien que vous ne la connaissez pas la Joséphine. Tu ne sais pas ce qu’elle m’a dit, hier soir, quand je lui ai demandé qui c’était cette mademoiselle Lilas ?

YVONNE Voilà que tu l’appelles mademoiselle, maintenant ! Non, mais tu oublies un peu vite ce qu’elle fait comme métier ?

AUGUSTE Eh bien, justement ! Tu sais ce qu’elle m’a répondu en parlant d’elle ? : C’est mon assurance vieillesse ! Voilà !

THERESE Je ne comprends pas !

AUGUSTE Vaut mieux pas !

YVONNE Non ! Tu crois vraiment qu’elle a l’intention de… mais avec quoi ?

AUGUSTE Eh ! Avec quoi ! Tu me fais rire ! Comme si c’était les hommes qui manquaient par ici !

YVONNE Ben dis donc ! Au fait elle t’a montré ce qu’il y avait dans sa petite valise, elle en faisait tout un mystère quand elle est arrivée.

AUGUSTE, baissant le ton et regardant autour de lui, comme un conspirateur

Sa petite valise, comme tu dis, c’est un vrai coffre-fort ! Pleine de biffetons !

YVONNE De quoi ?

AUGUSTE Pleine de billets de banque !

YVONNE Non ? Ce n’est pas vrai !

AUGUSTE Si ! Et pas des petites coupures, tu peux me croire !

THERESE Et il y en a pour combien ?

YVONNE Oui ?

AUGUSTE Là, je ne sais pas, elle ne m’a pas laissé le temps de compter, tu penses bien.

YVONNE Mais où est-ce qu’elle a récolté tout ça ? Ça rapporte donc tant que ça, son affaire ?

AUGUSTE Il faut croire, oui !

YVONNE Et elle veut en faire quoi, de tout cet argent ?

AUGUSTE Ben justement je ne sais pas, mais elle m’a dit comme ça : ‘Tu vois, Auguste, avec tout ça, on va pouvoir faire de grandes choses, ici, tous les deux !’

YVONNE Comment ça, tous les deux ? Et moi, je suis plus ta femme, peut-être ? Faudrait pas qu’elle m’oublie, la Joséphine, si il y a des sous à gagner, je tiens bien ne pas rester sur le bas côté, moi.

AUGUSTE Quoi ! Toi, tu voudrais t’associer dans un…

Scène 5

Auguste, Yvonne, Thérèse, Me Trousanfond, Me Jo

A ce moment on tape à la porte celle-ci s’ouvre aussitôt. Entre madame Trousanfond.

Me TROUSANFOND

Bonjour, bonjour. Je ne dérange pas, au moins ?

YVONNE, en maugréant, bas à Auguste Qu’est-ce qu’elle vient faire ici, celle-là ? Et à cette heure ! (Haut.) Non, non, entrez donc, madame Trousanfond. Entrez donc ! Qu’est-ce qui vous amène par chez nous de si bonne heure ?

Me TROUSANFOND J’ai frappé à la porte, mais je n’ai pas entendu de réponse, alors je me suis permis d’entrer.

AUGUSTE Et vous avez bien fait, vous avez bien fait.

YVONNE Hypocrite ! Joséphine apparaît à la porte et s’arrête en entendant mme Trousanfond.

Me TROUSANFOND Dites moi ! En passant hier soir, j’ai cru voir une voiture dans votre cour… alors je me suis demandé… Il n’y a rien de grave, j’espère.

AUGUSTE Non, non, rien de grave. Ne vous inquiétez pas, madame Trousanfond. Rien de grave, c’est juste ma…

YVONNE Vous voulez une tasse de café, madame Trousanfond ? Il est encore chaud !

Me TROUSANFOND Du café ? Vous voulez dire du vrai café ?

Me JO, en avançant dans la pièce Oui, du café, vous savez ce que c’est, quand même ?

Me TROUSANFOND, sursautant Oh ! Vous m’avez fait peur, madame. C’est qu’on n’en a pas vu depuis longtemps par ici, du vrai café, vous savez.

Me JO Non, je ne sais pas… Pourquoi ? Je devrais ?

YVONNE Alors, ce café, vous en voulez, madame Trousanfond ?

Me TROUSANFOND Bien sûr, bien sûr que je veux bien. Vous pensez, du vrai café !

Yvonne lui donne une tasse et commence à verser le café.

THERESE On a aussi du sucre, si vous en voulez ! (Elle prend la boite et la pose sur la table.)

Me TROUSANFOND Oh ! Du sucre et du café… mais c’est Byzance !

Me JO Eh oui ! Du vrai sucre et du vrai café ! Et on n’est pas à Byzance ni à Constantinople ! Me Trousanfond met deux sucres dans sa tasse, elle hésite un peu, puis en ajoute un troisième. Voyant le manège, Yvonne referme la boite et la remet sur le buffet.

Me TROUSANFOND, d’un air pincé Je ne demande pas comment vous avez eu tout ça, bien sûr.

Me JO Non ! On n’ demande pas. Mais dites-moi un peu, vous… tu n’ serais pas la Fernande, par hasard ? La Fernande à Desprès ?

Me TROUSANFOND Si ! Pourquoi ? On se connaît ?

Me JO Beh ! Oui, j’ te crois bien qu’on s’ connaît ! T’as changé de nom ?

Me TROUSANFOND Evidemment, quand on se marie ! Je m’appelle Trousanfond, maintenant, veuve Trousanfond, avec un seul S.

Me JO Pourquoi, il y avait pénurie quand ils les ont distribués ?

Me TROUSANFOND Quoi ?

Me JO Les S… Bon, laisse tomber. Alors comme ça, tu as trouvé quelqu’un qui a bien voulu t’épouser ? Je l’aurais jamais cru

Me TROUSANFOND Et pourquoi pas ? Et puis, d’abord qui êtes-vous pour vous permettre de me tutoyer ?

AUGUSTE Mais voyons, madame Trousanfond, c’est Joséphine, ma sœur Joséphine. Vous ne la remettez pas ?

Me TROUSANFOND Votre sœur Joséphine ! Mais on m’avait dit qu’elle tenait une maison de… Seigneur Dieu ! Elle repose sa tasse, l’air horrifié et se signe.

Me JO Eh bien, qu’est-ce qu’il a mon café, tout d’un coup ? Ce serait-y qu’il a mal passé et que tu lui trouves un goût de souffre. Me Trousanfond se lève précipitamment en s’essuyant vigoureusement la bouche. En se retournant, elle voit le tableau et retombe sur sa chaise en poussant un gémissement.

Me JO Allons bon ! Voilà qu’elle tombe dans les pommes maintenant ! C’est bien la première fois qu’ mes fesses font c’t’ effet-là. Yvonne essaie d’aider madame Trousanfond à se relever.

Me TROUSANFOND, se redressant brusquement Ne me touchez pas ! Lâchez-moi.

YVONNE Allons, madame Trousanfond !

Me TROUSANFOND, se relevant, elle chancelle vers la porte Laissez-moi, je vous dis !

AUGUSTE, à sa femme Ben laisse, puisqu’elle te le dit !

Me TROUSANFOND Quelle horreur ! Mon Dieu, quelle horreur !

Me JO Quelle horreur ! Quelle horreur ! Eh ! C’est mes fesses ! Occupe-toi donc plutôt des tiennes! Scandalisée, Me Trousanfond, va pour sortir et se trouve nez à nez avec Lilas, toujours aussi court vêtue.

LILAS Ma robe est toute froissée. Je ne pouvais pas la remettre comme ça !

Scène 6

Auguste, Me Jo, Yvonne, Thérèse, Lilas, le curé, Me Trousanfond

Me Trousanfond pousse un nouveau cri de terreur et s’enfuit précipitamment.

LILAS Eh ! C’était quoi, ça ?

Me JO, riant Pas grand-chose ! On était à l’école ensemble. Une vraie fouineuse, que c’était, toujours à cafeter en pleurnichant dans les basques du curé. A midi, elle bouffait sa gamelle à toute vitesse, le nez plongé dedans, comme si elle avait peur qu’on lui pique. Avec des copines, on lui avait décerné le prix d’excédence !

AUGUSTE, riant Ah ! Elle s’en souviendra de sa visite de courtoisie.

YVONNE Si ça pouvait la guérir d’être si curieuse, cette pipelette ! Bon débarras ! Tu peux être sûr qu’elle court au presbytère, à cette heure !

AUGUSTE Tu en seras quitte pour aller à confesse.

Me JO Ne m’ dis pas que c’est toujours le père Julien !

YVONNE Non, il a passé, le pauvre, il n’y a pas un an. C’est un jeune qui le remplace, enfin ! Disons qu’il est plus jeune que le père Julien…

Me JO Ah bon ! Un jeune…

AUGUSTE Oui, un jeune !... Eh, toi !...

Me JO Quoi, moi ?... Mais non, qu’est-ce que tu vas imaginer ? Allez, tiens, on va mettre de la musique pour s’ changer les idées !

YVONNE De la musique ! Avec quoi, tu veux mettre de la musique, toi ?

Me JO, découvrant le gramophone Avec ça, tiens ! Elle met un disque sur la platine et on entend une musique de danse américaine.

Me JO Un truc que m’ont laissé des Américains. Vous allez voir, ça swingue !

YVONNE Qu’est-ce que ça veut dire encore que ça ?

Me JO Ecoute et tu sauras !

LILAS Oui, vous allez voir, ça va vous plaire ! La musique commence. Me Jo entraîne Lilas dans la danse. Au bout d’un moment, elle laisse Lilas qui continue seule et oblige Yvonne à se lever.

YVONNE, criant et riant Non ! Tu es folle ! Jamais je pourrai danser ça !

Me JO Mais si, laisse-toi faire, tu verras, c’est facile. Pendant ce temps, Lilas a pris la main de Thérèse et la fait également danser. Peu à peu, les femmes se prennent au jeu. Auguste les regarde en tapant dans ses mains.

THERESE Viens donc, papa ! Auguste se met à danser sur place en faisant le pitre. Au moment où la musique s’arrête, la porte s’ouvre, entre le curé suivi de Me Trousanfond, juste à temps pour accueillir dans ses bras Lilas qui s’écroule en riant.

LILAS Oh ! (Tournant la tête, elle voit le curé) Oh ! Faites excuses, monsieur le curé, je ne voulais pas rentrer dans les ordres ! (Elle se redresse.)

Me TROUSANFOND, dans une espèce de sanglot de désespoir Ah ! Elle l’a fait, elle l’a fait ! Elle a osé !

LE CURE, embarrassé Yvonne ! Auguste ! Que se passe-t-il ? Tous s’immobilisent. Lilas se signe machinalement en faisant une petite révérence. Me Jo s’assied et jauge le curé avec intérêt. Thérèse est prise d’un rire nerveux et se cache le visage dans son tablier. Auguste se met à danser d’un pied sur l’autre. Yvonne regarde alternativement le curé et Me Trousanfond.

YVONNE Oh ! Mon Dieu, mon Dieu ! Monsieur le curé, qu’allez-vous penser ? Oh ! Mon Dieu, mon Dieu ! (À Me Trousanfond) Eh ben dites donc ! Vous n’avez pas traîné en route, vous !

Me JO Ça ! Pour cafeter, elle est jamais la dernière, la fouine !

Me TROUSANFOND Je n’ai fait que mon devoir !

Me JO Ton devoir, tu parles ! Je suis sûre que M’sieur le curé… (Très aguicheuse, soudain.) Ah ! Au fait, bonjour, monsieur le curé… Je suis sûre que Monsieur le curé n’ verra pas grand mal à tout ça et s’il y doit y avoir une coupable : eh bien ! La voilà, votre coupable, m’sieur le curé. C’est moi qui ai apporté ce gramophone. Mais je n’ vois pas en quoi ce pauvre appareil peut jeter la disgrâce sur ma famille !

Me TROUSANFOND Je vous l’avais dit, monsieur le curé. Elle a fait entrer le diable dans cette maison ! Espèce de… créature ! (Puis, avisant Lilas) et voilà sa… comparse !

LILAS Non, mais dites donc, vous ! J’vous permets pas de me lancer des injures ! Ce n’est pas parce que j’ai une petite vertu que j’ai pas d’ dignité. Faudrait pas croire, hein !

LE CURE Allons, allons, mesdames… Madame Trousanfond, un peu de charité chrétienne, je vous prie !

LILAS Ah ! Bien causé, m’sieur le curé ! D’ la charité chrétienne, il n’y en a jamais de trop !

LE CURE Voyons, voyons, madame Trousanfond, je ne vois en effet pas grand mal à rire et à danser. D’ailleurs, dites-moi un peu, madame Joséphine, cette danse… c’était du be-bop ? Non ?

Me TROUSANFOND Monsieur le curé ! Vous appelez ça de la danse ! Et cette musique de sauvages !

Me JO C’te musique de sauvages, comme tu dis, c’est celle de nos libérateurs ! Mais peut-être que toi, tu préférais l’autre (Elle se place à l’avant-scène, joint les talons, met deux doigts en moustache sous son nez, lève le bras droit et se met à chanter.) : „heidi heido heida heidi heido heida heidi heido hei da la la la la...“

Me TROUSANFOND Mais faites la taire ! Faites la taire ! Je ne suis pas venue pour qu’on me dise de telles horreurs !

Me JO Ben, t’avais qu’à pas venir ! On ne t’a pas invitée !

YVONNE Ça c’est bien vrai, ça !

AUGUSTE Yvonne ! C’est d’avoir fait la lessive qui te donne un langage de lavandière ?

LE CURE Mesdames ! Voyons !

Me JO Ben oui, c’est vrai ça ! Et puis, elle n’avait qu’à pas commencer, c’te vieille peau !

LILAS Et toc ! Dans les gencives !

Me TROUSANFOND Vieille peau ! Vieille peau ! Comment oses-tu ? Je suis une femme respectable, moi !...Vieille peau, toi-même ! Voyez, monsieur le curé comment elle me parle !

LE CURE Mesdames, mesdames ! Je vous en prie !

Me TROUSANFOND, montrant le tableau Et cette chose, monsieur le curé ! (Se ravisant, elle se précipite sur le curé pour l’empêcher de se retourner.) Non ! Ne regardez pas ! Ce serait un sacrilège ! LE CURE, se dégageant, se retourne et découvre le tableau Ah ça, mais…

Me TROUSANFOND, essayant de le retourner Oh ! Monsieur le curé, je vous avais prévenu, il ne fallait pas…

LE CURE Ah mais, lâchez-moi !… N’est-ce pas là un Van Dongen ?

THERESE Non, monsieur le curé, c’est tata !

LE CURE Ah ! Eh bien, elle a de bonnes joues.

Me JO Voilà, Auguste, c’est ça : Van Dongen ! Et vous savez, elle ment pas la p’tite, c’est bien moi, sur le tableau, de dos !

LE CURE Oui, j’avais cru remarquer !

Me JO Mais dites-moi, m’sieur le curé, vous le connaissiez aussi, Keessy ?

LE CURE Keessy ? Ah Kees Van Dongen, vous voulez dire ! Personnellement, non, mais vous savez, j’ai fait mes études à Paris et je fréquentais pas mal les artistes, à Montmartre.

Me JO Ça alors, mais dites-moi, on aurait pu se rencontrer ! Qui sait, même…

Me TROUSANFOND Dieu nous en préserve !

LE CURE Non, rassurez-vous, madame Trousanfond, cela n’est pas arrivé. Je m’en souviendrais !

AUGUSTE Bon ! Et si tu nous servais quelque chose à boire, Yvonne, pour fêter ces retrouvailles.

YVONNE, dégageant un siège Oui ; installez-vous là, monsieur le curé ! Donne-moi un coup de main, Thérèse au lieu de rester là à rire comme une bécasse ! Le curé s’assied sous le regard offusqué de Me Trousanfond.

Me TROUSANFOND Monsieur le curé ! Vous n’allez pas…

Me JO Allez, Fernande, sans rancune ! Pose ton postérieur là et bois un coup, toi aussi ! Tu seras peut-être un peu moins pète-sec après ! (Elle lui tend un verre plein.) Allez ! Cul sec !

Me TROUSANFOND Dieu m’en garde ! (Elle sort. Pendant que les autres prennent place autour de la table et que Yvonne sert le cidre à la ronde.)

LE CURE, toussotant Cela dit, mes amis, je ne sais pas s’il est très correct de mettre notre chère Sainte Thérèse en face de ce… de cette…

AUGUSTE … paire de fesses ! Tu vois, je te l’avais dit, Joséphine !

Me JO Pas de problème, tu peux mettre ta sainte dans votre chambre. J’y vois pas d’inconvénient. Elle y sera sûrement en meilleure compagnie !

LE CURE Et voilà ! Chaque chose à sa place, les saints d’un côté et… (Il s’interrompt, gêné.)

Me JO

Les fesses de l’autre !

YVONNE et AUGUSTE, ensemble Joséphine !

YVONNE Voyons ! Devant monsieur le curé !

AUGUSTE, levant son verre A la vôtre, curé. Santé ! Ils trinquent tous tandis que le rideau se ferme.

ACTE 3

Scène 1

Lilas, Albert

Lilas est seule, en petite tenue, elle est assise sur un coin de table, un pied nu sur une chaise et elle se fait les ongles de pied en chantonnant. Elle s’arrête pour tendre la jambe en écartant les orteils en éventail pour admirer son travail en silence. Entre Albert en écartant l’un des derniers draps restant pendus. Il est vêtu d’un costume de marin. Il porte un sac à dos qu’il pose au sol. Il s’éponge le front avec un mouchoir sorti de sa poche. Lilas reprend son occupation en se remettant à chantonner. Albert cligne des yeux et la découvre. Il toussote.

LILAS Oh, pardon ! Je ne vous avais pas entendu entrer. (Regardant Albert, elle siffle d’admiration et minaudant, très professionnelle.) Ouais ? Ce sera pour quoi, mon lapin ?

ALBERT Hein ?

LILAS Oh ! Faites excuse ! C’est l’habitude. Un réflexe professionnel comme qui dirait. Cela dit, si je peux faire quelque chose pour vous ? Demandez toujours… vous verrez bien.

ALBERT Euh ! Excusez-moi, mais… qui êtes-vous ?

LILAS, un peu décontenancée Qui je suis ?... Qui je suis… cette question !… Ben voyons… je suis la nièce, tiens !

ALBERT La nièce de qui ?

LILAS Ben la nièce à ma tante ! Oh ! Vous le faites exprès ou quoi ?

ALBERT Bien !… qui est votre tante, alors ?

LILAS Ben… madame… Euh ! Madame Jo ! Voilà ! Vous êtes content ?

ALBERT Madame Jo ?

LILAS Oui ! Madame Joséphine, si vous préférez. La sœur à monsieur Auguste.

ALBERT Ah ! Oui ! Je vois…

LILAS Ben oui, vous voyez !... Vous voyez quoi ?

ALBERT Ben ! Justement, je ne vois pas.

LILAS C’est pourtant simple, non ?

ALBERT Pour vous peut-être, mais pour moi… là, j’avoue que je nage en plein brouillard. Car voyez-vous, si vous êtes la nièce à la sœur à monsieur Auguste, on est comme qui dirait, vous et moi… frère et sœur… Et c’est là qu’est le hic !

LILAS Oh ! Mince alors ! Vous êtes un frère à Thérèse ?

ALBERT Ben oui ! Je suis un frère à Thérèse, comme vous dites… Et si je me souviens bien, Thérèse est la seule fille de la famille… et sans vouloir vous vexer, vous me paraissez un peu âgée pour être née après mon départ.

LILAS Faites excuse, je ne pouvais pas savoir, monsieur… Monsieur ?...

ALBERT Albert !

LILAS Moi, c’est Lilas ! Ce n’est pas mon vrai nom, mais c’est ma fleur préférée… et c’est aussi mon parfum préféré…Vous voulez sentir ? On va bien voir si ça vous fait loucher, vous aussi, comme votre…

ALBERT

Comme qui ?

LILAS, se reprenant Comme votre costume est beau ! Vous, je parie que vous ne travaillez pas à la campagne ! Je l’ai tout de suite vu ! J’ai l’œil avec les hommes, vous savez ! Expérience professionnelle, comme on dit !

ALBERT Ah oui ! Et vous faites quoi, comme métier ?

LILAS Sex-symbol !

ALBERT Ah ?

LILAS Ah ! Péripatéticienne, si vous préférez… j’aime bien le mot, ça fait moins vulgaire que pute ! Mais au chômage, maintenant.

ALBERT Au chômage ?

LILAS Ben oui, vous n’en avez pas entendu causer, vous non plus, de la Marthe Richard ?

ALBERT Ah ça ! Mais… ça ne m’explique toujours pas comment vous avez atterri ici.

LILAS Ben je travaillais chez madame Jo, qu’est votre tante, et quand elle a dû fermer boutique, elle m’a emmenée dans ses bagages comme qui dirait, et hop en voiture Simone et nous voilà !

ALBERT Ah ! Vous vous appelez Simone, alors ?

LILAS Non, c’est une façon de dire ! Dites… Euh !... on doit vous le dire souvent… vous savez que vous êtes mignon, vous ?

ALBERT Merci. Vous êtes plutôt… mignonne, vous aussi…

LILAS Oh ! Vous trouvez, vraiment ? Merci ! C’est gentil ! Même si vous dites ça pour me faire plaisir !... C’est vraiment gentil !

ALBERT Non, non ! Je le pense vraiment. TEXTE NON COMPLET environ 75% Déclaration SACD Pour me contacter : [email protected]