Le Journal de Notre Amérique n°12: entre turbulence et résistance

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    SOMMAIRE :L'Edito

    L’Amérique Latine, entre turbulence et résistanceInterview de Romain Migus par Alex Anfruns

    Colombie : va-t-on prendre le problème du para-militarisme ausérieux ?

    Par Julian Cortés

    Milagro Sala, Leopoldo López et le double discours de MacriPar Fernando Vicente Prieto

    Les Brèves

    DOSSIERCUBAIl y a 25 ans: Cuba et le Yémen, seuls contre la guerre duGolfe

    Par Marinella Correggia

    Viktor Dedaj : "Le rapprochement est une victoire cubaine,une déculottée pour les Etats-Unis"

    Par Grégoire Lalieu

    “Cuba, parole à la défense ! ”Par Gerardo Hernández Nordelo

    Economie et luttes socialesPourquoi il ne faut pas négocier avec les fonds vautours

    Par Renaud Vivien

    Le TPP est une menace pour les droits de l'hommeJosé Aylwin

    Le Caracazo, première révolte populaire contre le FMI

    Les Femmes de Notre Amérique

    Ève, une divine erreur ?Par Hernando Calvo Ospina

    Protestations anti-TRUMP à Chicago : photos-reportagePar Ilka Oliva Corado

    http://www.investigaction.net/Eve-une-divine-erreur.html?lang=frhttp://www.investigaction.net/Eve-une-divine-erreur.html?lang=frhttp://www.investigaction.net/Eve-une-divine-erreur.html?lang=frhttp://www.investigaction.net/Eve-une-divine-erreur.html?lang=fr

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    Bénéficiant ces dernières années d'un taux de croissance moyen de 4,7 %, laBolivie a vu ses progrès économiques salués par laBanque Mondiale en 2015. Et cela, dans un contexte de criseéconomique régionale qui s'est approfondie ces derniers temps. Les défis à relever étaient et res pourtant considérables. Souvenons-nous comment, dans les années 80, la crise de la dette aventraîné en Amérique Latine une"décennie perdue" pour son développement social et

    économique. Pire encore la « solution » imposée par leFMI et la BM, et l'application par les Etatsd'une politique néfaste qui creusa encore davantage lefossé des inégalités. « Solution », vraiment ?La Bolivie est restée l'un des pays les plus pauvres d'Amérique Latine... Pauvre à cause d politiques menées, mais riche en matières premières… bénéficiant évidemment à une infiminorité du pays et auxmultinationales.

    La reconnaissance de la BM serait-elle un début de "mea culpa"? Il ne faut pas oublier qloin d'avoir apporté une quelconquesolution pour les pays du Sud, cette institution internationalen'a jamais fait qu'aggraver leur situation. Or, depuis les années 1990-2000, l’émergence dmouvements sociaux et indiens dans la scène politique deNotre Amérique permet aux

    gouvernements progressistes qui ont pris le pouvoir de porter leurs revendications contre politiques néolibérales et de mettre en oeuvre des agendas favorables à la souveraineté nationale but étant de se débarrasser de la domination impérialiste et néocoloniale par des mécanismessentiellement économiques. Aujourd'hui, les succès économiques de la Bolivie et de l'Equatsont là pour témoigner de la possibilité pour la politique de prendre le dessus sur les "lois marché" et deplacer l’humain avant l’argent.

    A l'approche de la visite historique de Mr.Barack Obama à La Havane le 21 mars, nousnous demandons quels sont les objectifs, notamment lorsque lePrésident des Etats-Unis prétendque sa visite aidera à renforcer la "démocratie" et les "droits de l'homme" àCuba. Pour ce faire,compte-t-il rompre personnellement leblocus économique imposé par le Congrès et toujours envigueur? Ou va-t-il demander l'aide des membres d'une opposition artificielle et peu motiv(malgré lapluie de dollars des fondations USA) dont parle son ambassadeur, comme l'a révélérécemment un câble de Wikileaks? Quant à l'annonce de la fermeture de la base militaire illégalele territoire deGuantanamo, ce n'est pas du tout un cadeau mais un impératif moral et le simplerespect dudroit international. Il est vrai que Guantanamo est devenu un symbole négatif, unetache noire de plus, dans la liste assez longue des violations des droits de l'homme par les USA.

    Il est certain que, derrière les déclarations et les beaux discours qui oscillent entreconnaissance des progrès réalisés d'une part, et volonté de rapprochement de l'autre, se cachsouvent des non-dits. Pour les analyser en profondeur, Notre Journal a choisi d'interroger degrands spécialistes de Notre Amérique:Viktor Dedajet RomainMigus. Bonne lecture !

    Alex Anfruns

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    L’ Edito

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    Sociologue installé en Amérique Latine depuisde nombreuses années, Romain Migus est unobservateur privilégié du rôle des mouvements

    sociaux qui ont réussi à contrecarrer lespolitiques d'austérité du FMI depuis plus d'unedécennie. Alors que la droite est actuellement entrain de récupérer des espaces de pouvoir - tantau Venezuela qu'en Argentine- et continue àmenacer la Bolivie et l'Equateur avec l'appui desEtats-Unis, nous nous demandons quels sont lesdéfis des processus révolutionnaires dansl'immédiat et dans la durée. Romain Migusrépond à nos questions.

    Alex Anfruns *

    Commençons par le début. Après avoirsouffert des politiques du FMI pendant lesannées 80 et 90, les mouvements sociauxd’Amérique Latine firent émerger au débutdes années 2000 des leaders qui, pour lapremière fois, ressemblaient à leurs peuples :Evo, Lula, Chavez. . . Comment cebouleversement politique a t-il été rendupossible ?Après la chute du mur de Berlin et le démembrementde l´Union Soviétique, la gauche - c´est à dire tousceux qui portaient un discours et une pratique politique orientés à la défense du travail et desclasses populaires - s´est trouvée brusquementorpheline de ce qui fut le grand référent des luttes aucours du XXe siècle. Du coup, face aunéolibéralisme triomphant, il a fallu se réinventer.

    Ce n´est pas un hasard si les premières révoltescontre la « fin de l´Histoire » nous vinrent del’Amérique Latine puisque, dès 1973 et le coupd’´Etat de Augusto Pinochet, ce continent a été lelaboratoire de l´implantation des théoriesnéolibérales. En 1989 d´abord, la révolte duCaracazo au Venezuela a matérialisé dans le sangdes victimes (2000 morts) le refus de ce modèleéconomique générateur de misère et d´exclusionsociale. De même, le cri de la jungle Lacandone etl’irruption sur le devant de la scène de l´ArméeZapatiste de Libération Nationale (EZLN)s’inscrivaient dans ce rejet du modèle néolibéral et laconstruction d´alternatives.

    Face aux bouleversements et aux renoncementsd’une gauche dont le but avait toujours été la prisede pouvoir, on a pu constater à cette époque l´émergence d´une nouvelle gauche radicale enrupture avec le marxisme « orthodoxe », ses pratiques politiques et sa phraséologie.

    Racontez-nous de quelle façon la gauche s’estrenouveléeLes mouvements sociaux remplacèrent les partis, les

    « multitudes » se substituèrent aux classes sociales.Puisque le « Pouvoir » ne correspondait plus auPouvoir d´Etat, comme l´ont ensuite soulignécertains auteurs de l´époque (je pense évidemment àJohn Holloway, figure intellectuelle incontournablede ce changement d´Epistémè), l´organisation d´une partie de la société en vue de gagner les espaces politiques de l´administration de l´Etat devint unechimère.

    Les mouvements sociaux se révélèrent néanmoins

    être une puissante force de lutte contre lesconséquences du néolibéralisme, plus à même deconvoquer et d´organiser les populations que lesstructures traditionnelles de contestation (partiscommunistes ou révolutionnaires, syndicats) en crisedepuis la disparition du bloc soviétique.Tant le Mouvement des Sans Terres au Brésil (MST)que la Confédération des Nationalités Indigènes(Conaie) en Equateur ou encore les associations devoisinages en Bolivie et le mouvement Piqueteros enArgentine, tous ont joué un rôle prépondérant non

    seulement dans la résistance au Consensus deWashington mais aussi pour imposer dans l´agenda politique de leurs pays respectifs des idées

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    « nouvelles » (l´écologie politique ou l´égalité degenre) ainsi que des sujets aussi anciens que la luttedes classe : justice sociale, vivre-ensemble,éducation, santé publique de qualité, etc.

    Ces années de lutte ont été un réservoir d´idées mais

    aussi de pratiques politiques et discursives pour faireémerger un nouveau leadership régional. Face à des peuples dévastés par deux décennies denéolibéralisme, le discours anti-néolibéral et patriotique s´est avéré comme le mieux à même de porter une alternative au pouvoir.

    Mais justement, ne s´était-on pas éloigné àtravers l´idéologie « mouvementiste » de laprise du pouvoir ?Si les mouvements sociaux des années 90 ont bienévidemment aidé à construire une alternative politique crédible et légitime, ce ne sont pas eux quiont pris le pouvoir (dans certains cas, comme enEquateur, la Conaie n´a d´ailleurs pas soutenu lacandidature de Rafael Correa en 2006). Les alliances politiques et les leaders qui les représentaient onteffectivement repris à leur compte toute une série derevendications des mouvements sociaux mais ils ont, pour prendre le pouvoir, établi une série d´allianceavec des secteurs de la population qui n´ont jamaisété partie prenante des luttes des années précédentes.

    Pour prendre le contrôle de l´Etat et changer laréalité sociale des citoyens, il a été nécessaire deconstruire une nouvelle hégémonie politique qui va bien au-delà des simples courants de gauche ou desmouvements sociaux.

    Une fois au pouvoir, les gouvernements des Chavez,Lula, Evo, Correa, ou des Kirchner ont appliqué des politiques sociales qui ont vidé le discours des

    mouvements sociaux de leur substance. Par ailleurs, beaucoup d´acteurs de ces années de lutte ont étécooptés par l´appareil d´Etat ou par les nouveaux partis créés pour répondre aux attentes électorales.

    Si l´on devait acter la rupture définitive entre lesdéfenseurs de l´idéologie « mouvementiste » et les partisans du socialisme du XXIe siècle, je crois qu’ilfaut revenir au 27 janvier 2006. Ce jour-là, enconclusion du Forum Social Mondial à Caracas,Hugo Chávez rappela la nécessité de la prise de

    pouvoir pour améliorer les conditions de vie des peuples latino-américains et construire une société plus juste. Dix ans plus tard, ce débat peut apparaitre

    surréaliste, surtout chez les plus jeunes, mais à l´époque le discours de Chavez avait provoqué untollé et suscité une rupture idéologique qui aujourd´hui a pris des tournures parfois très violentes entrecertains tenants de l´ultragauche et lesgouvernements progressistes au pouvoir.

    Sauf que l´on peut juger ou faire un bilan deces gouvernements. Quels ont été lesprincipaux acquis de cette décennie d´or ?La période néolibérale a été terrible pour les peuplesd´Amérique Latine. Le nombre de pauvres dans cecontinent est passé de 100 millions en 1980 à 210millions en 1996. Les taux de malnutrition, demortalité infantile, de chômage ont explosé. LesEtats latino-américains sont bradés sur l´autel des privatisations. Jugez vous-mêmes : 90 milliards dedollars de biens publics passent des mains de l´Etat àla gestion privée entre 1988 et 2003.

    Les gouvernements progressistes ont replacé l´Etatsur le devant de la scène. Ce dernier est devenul’acteur central autour duquel s´est réorganisée ladistribution de la richesse, la réduction des inégalitésmais aussi une forme de démocratie participative. Etcela marche, comme le démontrent les statistiques dela Commission Economique des Nations Unies pourl´Amérique Latine et les Caraïbes (Cepal).

    En Amérique Latine, durant la période 1999-2014, letaux de pauvreté est passé de 43,8% à 21,1% de la population, le chômage est passé de 11.2% à 6.8%sur la même période. La mortalité infantile a étédiminuée de plus de la moitié, les taux de scolaritédans le primaire et le secondaire ont augmenté defaçon exponentielle tout comme l’accès à la santé. Etencore, je vous donne là des chiffres de l´AmériqueLatine dans son ensemble. Lorsque l´on regarde des

    pays comme la Bolivie, le Venezuela ou l´Equateur,cette amélioration des conditions de vie est encore plus significative.

    Ces mesures quantitatives sont très importantes carelles sont un bon indicateur du chemin parcouru. Nous ne sommes pas dans une discussion de salon pour savoir s’il s´agit du vrai socialisme, si Lénineaurait été d´accord ou pas avec Chávez et Evo. Il enva de la vie de millions de personnes.

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    Malgré cela, nous avons assisté aux défaitesdu kirchnerisme en Argentine, du chavismeau Venezuela et plus récemment d´EvoMorales au referendum concernant lapossibilité pour le Président bolivien depouvoir se représenter en 2019, commentl’expliquez-vous ?En tout premier lieu, il faut mentionner l´extrêmedépendance de ces processus révolutionnaires àl’exploitation des matières premières. La chute decelles-ci a frappé de plein fouet les politiques deredistribution sociale des gouvernements progressistes. Prenons le Venezuela, par exemple.Son économie est dépendante de son exploitation pétrolière qui représente 98 % de ses exportations etdonc de ses rentrées de devises, et 50!% des recettes

    fiscales.La baisse de plus de la moitié de la valeur du brutdepuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro en2013 a considérablement amputé le budget de l’Étatvénézuélien. Le cas du pays bolivarien estsymptomatique mais il reflète la réalité de tous les pays de la région. Cette dépendance aux matières premières a été une des préoccupations desgouvernements progressistes. Le Venezuela a essayéde développer son agriculture, l´Equateur mise sur l

    ´économie de la connaissance pour dépasser ses politiques extractivistes mais les changements dematrice productive impliquent aussi un changementculturel qui prend du temps. N´oublions pas que larévolution industrielle en Europe s´est étalée sur 70ans et ne s´est pas déroulée dans le contextedémocratique que connaissent les révolutions latino-américaines. Cette crise qui affecte les conquêtessociales des années passées est donc un premierélément de réponse.

    Pendant cette crise, les forces réactionnaires,sont-elles restées les bras croisés ?Bien sûr que non. Parallèlement, l´oppositionnéolibérale a appris de ses nombreuses défaitesélectorales. Elle s´est réorganisée, sous l´auspice de l´empire états-unien, afin de reconquérir le pouvoir. Nous avons donc assisté au cours de ces dernièresannées à un changement stratégique. Il n´est plus possible pour un politicien latino-américain de prétendre revendre les bienfaits du néolibéralisme.

    Ce serait la défaite assurée. Des gourous dumarketing politique tel que l´équatorien Jaime Durán

    Barba ou le vénézuélien Juan José Rendón ontélaboré une série de tactiques basées sur l´appel auxémotions de l´électorat, en leur présentant descandidats jeunes peu ou pas liés avec le passénéolibéral. Le discours politique est complètementéludé au profit d´un style festif, proche du peuple

    (alors que la majorité des candidats appartiennent àla grande bourgeoisie comme c’est le cas de Macrien Argentine, Capriles au Venezuela ou encore Lassoen Equateur).

    Il convient de vendre à un consommateur (l’électeur)un produit politique (le candidat) en utilisant lesmêmes ressources que dans le marketing ou la publicité. La triangulation politique, stratégie promulguée par Dick Morris ancien conseiller deBill Clinton, est systématiquement appliquée pour

    faire croire à ceux qui auraient des réserves quant au produit-candidat que ce dernier maintiendrait les bonnes politiques des gouvernements progressistesmais en les améliorant.

    Evidemment, il ne s´agit ici que de stratégies de prises de pouvoir. Une fois en place, le nouveaugouvernant applique à la lettre toutes les vieillesrecettes néolibérales : destruction de l´Etat, privatisations, dérèglement des marchés,alignements sur les politiques du FMI ou de laBanque Mond ia l e . Ma i s , l o r sque l e sconsommateurs-électeurs se rendent compte quel’offre publicitaire était un mirage, ils n´ont plus queleurs yeux pour pleurer, car tous les média publics passent sous la coupe du nouveau pouvoir.L’Argentine de Macri est un cas exemplaire de cettenouvelle stratégie de la droite latino-américaine.

    La droite a donc profité du contexte marquépar la crise économique et la chute du prix dupétrole ?En effet. Mais en plus de la crise et des nouvellesstratégies des droites latinos, il y a, à mon avis untroisième facteur qui peut nous aider à comprendre pourquoi les électeurs choisissent de voter pour des projets politiques allant à rebours de leurs intérêts personnels et de classes. Il s´agit de l´incapacité des processus révolutionnaires à avoir construit unehégémonie culturelle qui assure la continuité du pouvoir. Il ne s´agit pas seulement d´un thèmecommunicationnel mais de nouvelles valeurs, d´une

    esthétique qui ancre définitivement certains élémentsdans le sens commun.

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    Il y a eu des tentatives et certaines réflexions à cesujet mais, dans l´ensemble, trop embryonnaires.Cette absence a évidemment favorisé l´émergence etla réception du discours de la droite dans denombreux secteurs de la population, notammentchez les jeunes (qui n´ont connu et vécu que sous les

    gouvernements progressistes) et parmi les nouvellesclasses moyennes (les anciens pauvres dont lesconditions de vie se sont améliorées sans unrenouvellement des valeurs idéologiques etculturelles).Pour conclure cette question, on voit bien que laseule alternative aux gouvernements progressistesest une alternative de droite et qu´elle implique unchangement terrible pour des millions de Latino-américains.

    Peut-on en conclure, comme certainsl’affirment, que c’est la fin des révolutionspopulaires en Amérique Latine ?Je ne pense pas. D´abord parce que les peupleslatino-américains savent désormais qu´il existe unealternative possible au néolibéralisme. Et ce, parcequ´ils ont vécu cette expérience pratique du pouvoir.Ce qui est très différent des années 90 ou de lasituation en Europe en ce moment. L’argument duTINA ("There is not alternative", NdlR) de MargaretTatcher est impensable dans cette région du monde.

    Deuxièmement, il y a désormais des partis politiquesou des alliances électorales fortement organisées etqui vont jouer le rôle de contrepouvoir s´ils sontdans l´opposition. Troisièmement, il y a unesymbolique forte qui renvoie aux plus belles annéesde ces révolutions : le leader, le pouvoir populaire, lesocialisme, l´intégration régionale. Ces symboles peuvent même se convertir en mythes populaires aufil des années. Le chemin révolutionnaire ouvert en

    Amérique Latine a encore de beaux jours devant lui.La perte du pouvoir n´est pas synonyme de la fin dela révolution. Regardez la France par exemple.

    La « Constituante » n´est pas la « MonarchieConstitutionnelle », la Convention n´est pas la malnommée « Terreur » et celle-ci n´a pas grand-chose àvoir avec le Directoire, voire même avec l’Empire.Et pourtant, il s´agit de la Révolution Française dont, parait-il, « on ne peut rien extraire sous peine dedéroger à la vérité historique ». Et même aujourd

    ´hui, qu´on le veuille ou non, l´épopéerévolutionnaire française d´il y a 200 ans est encorele socle autour duquel s´organise notre vie politique.

    Donc, n´en déplaise aux entreprises decommunication du Capital, il n´ont pas fini d´entendre parler du socialisme du XXIe siècle enAmérique Latine.

    Vous allez être en France ces jours-ci pour

    donner deux conférences sur les thèmes quenous venons d´évoquer...J´ai effectivement été invité par notre cher camaradeJean Ortiz et par Marielle Nicolas à participer à l´excellent festival CulturAmerica à Pau le 18 mars2016 à 20h30 à l´Amphithéâtre de la présidence de l´Université de Pau et des pays de l’Adour. Comme jene viens pas souvent en France, j’en profiterai pourétendre le débat sur Paris. Ce sera le 22 mars 2016,au Lieu-dit, 6 rue Sorbier, dans le XXearrondissement de Paris.

    Cette interview est une bonne mise en bouche. Nousnous attaquerons à la côte de bœuf lors de ces deuxconférences. Ce sera très didactique parce que lemodèle typique d´une conférence magistrale estgénéralement assez chiant. Et ce n’est pas parce quec´est moi qui la donne que cela va changer. C’est pour cela que je vais essayer de modifier un peu le prototype en incluant des vidéos, de l’humour, desanecdotes, des détournements d’images. Pour qu´onse marre un peu tout en restant dans l´analyse. L´idée, c´est surtout que des gens qui ne connaissentrien de l´Amérique Latine viennent débattre avecnous. Qui plus est, cette conférence est un palindrome. On peut l´écouter comme une analysedes processus révolutionnaires en Amérique Latinemais, dans l´autre sens, on devine des éléments pratiques pour sortir de la décadence politique enFrance et en Europe.

    Il ne s´agira pas d´une analyse académique, encore

    moins d´une lecture politicienne, mais d´un regardde l´intérieur, d´un ensemble de photographiesappartenant à un modeste voyageur qui a pris le trainen marche il y a maintenant 12 ans ; un témoignagenon objectif (puisque militant) mais honnête (carmilitant). Un regard où se croiseront et s´entremêleront le politique et l´humour, l’historiqueet l´anecdotique, le calme de la réflexion et la fureurde l´action.

    Source : Journal de Notre Amérique, mars 2016

    * Rédacteur en chef du Journal de Notre Amérique àBruxelles.

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    C'est sur cette question que s'achève la lettrepublique adressée au Président de la Républiquede Colombie Juan Manuel Santos par lemeneur paysan Andrés Gil (1), égalementdirigeant du mouvement Marche Patriotique.Ce dernier appelle à la mise en détention desassassins d'activistes colombiens aprèsl'assassinat en moins d'une semaine de WilliamCastillo, Klaus Zapata, Marisela Tombe, etAlexander Oime, figures du monde paysan etestudiantin et du mouvement indigène.

    Par Julian Cortés*

    Pour Andrés Gil le manque d’écho dans la presse etau sein du gouvernement concernant ces morts estinquiétant, et il remet en question la véritablevolonté du gouvernement quant au processus de paix.

    S’adressant au gouvernement, il déclare ceci :« Sivous continuez à nous tuer, alors nouscomprendrons que la paix n’était pas mise enœuvre pour nous mais qu’il s’agissait uniquementd’un coup monté du gouvernement et des

    groupements d’intérêts économiques pourviabiliser le pays afin d’y développer leurs affaires,de transformer les paysans en travailleurs

    journaliers, les travailleurs en employés de prestataires de services, les patients en clients, lesétudiants en apprentis d’instituts techniques (…) etles vendeurs ambulants en nécessiteux puisqu’ils gênent et enlaidissent les villes. »

    La situation n’est pas moins préoccupante si l’on prend en compte que nous sommes deux ans aprèsla création du mouvement politique de gaucheMarche Patriotique et qu’en 2014 son dirigeant etex-parlementaire Piedad Córdoba déploraitl’assassinat de 70 de ses membres (2).

    Dans sa missive, Gil regrette également être fatiguéde la persécution constante qu’il subit à l’instar de beaucoup d’autres dirigeants qui reçoivent desmenaces répétées de nouveaux groupes paramilitaires affiliés à la politique droitière de laColombie. Il dénonce aussi le harcèlement permanent contre Prensa Rural [NdT : PresseRurale] et Contagio Radio, deux médias alternatifsqui sont constamment désignés par les médias demasse comme proches des FARC-EP.

    Ces éléments posés, le tour d’horizon d’uneéventuelle étape post accord comporte beaucoupd’écueils. Premièrement, la poursuite du phénomène du paramilitarisme qui allié à la

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    Colombie : va-t-on prendre le problèmedu para-militarisme au sérieux ?

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    politique droitière remplit un rôle central pourcontrer l’avancée des forces démocratiques etrévolutionnaires en Colombie. Le devoir dugouvernement est d’empêcher un génocide tel quecelui qui a été perpétré contre l’Union Patriotiquedans les années 80. Les FARC-EP ont de leur côtétoujours déclaré qu’il était nécessaire que l’Étatcombatte véritablement le paramilitarisme, mais ilsemble y avoir des liens profonds et très difficiles àdénouer entre les forces armées colombiennes etces forces paramilitaires liées au narcotrafic. Lesintérêts de nombreuses élites régionales sontmenacés en cas d’un éventuel accord de paix.

    Deuxièmement, il est évident que les élitescolombiennes maintiendront leur campagne dedissimulation des mouvements sociaux à l’inversedes médias alternatifs qui sont aujourd’hui victimesde persécution officielle et officieuse. La possibilitéd’une démocratisation des médias comme le propose cette même insurrection ne s’est pas

    traduite dans les accords de La Havane et il persistemême une sorte d’exception concernant lesinsurgés qui déclarent que sans démocratisation desmédias une réelle participation politique des forcesd’opposition n’est pas possible.

    Si l’on arrive à percevoir tous ces éléments avant lasignature des accords de La Havane, quelle sera lasituation une fois que les guérilleros auront ditadieu aux armes et qu’ils deviendront unmouvement politique légal ?

    Notes :1) http://www.las2orillas.co/president...2) http://www.telesurtv.net/news/Denun...Traduit de l’espagnol par Rémi Gromelle

    Source : Le Journal de Notre Amérique n°12

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    http://www.telesurtv.net/news/Denuncian-asesinato-de-70-lideres-de-Marcha-Patriotica-20141111-0038.htmlhttp://www.telesurtv.net/news/Denuncian-asesinato-de-70-lideres-de-Marcha-Patriotica-20141111-0038.htmlhttp://www.las2orillas.co/presidente-santos-usted-depende-no-nos-sigan-matando/http://www.las2orillas.co/presidente-santos-usted-depende-no-nos-sigan-matando/

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    Le 16 janvier, à San Salvador de Jujuy, ladirigeante sociale et députée au Parlasur,Milagro Sala a été arrêtée sous le motif d’ «incitation à commettre des délits et des émeutes». La raison ? Etre à la tête d’un camp opposéau gouvernement de la province de Jujuy.

    Par Fernando Vicente Prieto

    En accord avec l’acte de détention, le juge RaúlEduardo Gutiérrez prononce les poursuites contreMilagro Sala en spécifiant que les délits sontsurvenus quand les manifestants du groupe TupacAmaru ont bloqué la circulation des véhicules le 14

    décembre 2015 et ont occupé avec des tentes leslieux devant la Maison du Gouvernement provincial. Dans ce sens, on accuse Milagro Sala etd’autres dirigeants de l’organisation« d’agir pourinciter publiquement un nombre indéterminé de personnes, des affiliés aux organisations socialesqui les accompagnent en occupant les espaces publics ».

    « Ces comportements ont provoqué – continue le juge – un changement de l’ordre public dans le sens où la situation de confiance dans laquelle onvit, dans une atmosphère de paix sociale, s’est vuealtérée, amenant avec eux « la colère collective dela population ».

    On peut citer des vidéos enregistrées commeéléments de preuve, entre autres, dans lesquellesSala apparaît « en gesticulant et prônant desdiscours de manière à susciter le campement dedivers groupes de personnes, qui s’approchent successivement du lieu où ils se retrouvent pourrecevoir les dites directives ».Mettant de côté la forme particulière de décrire une

    situation typique de mobilisation populaire, l’écritest clair puisqu’il explique que la conduite qui pose problème est l’organisation d’une protestationsociale.

    Quelques paragraphes plus loin, le juge soutientque l’installation du campement« a pour objet de s’affronter publ iquement accompagnés descampeurs qui sont sur les lieux, contre la décisiond’exécuter le Plan de Régularisation etTransparence des Coopératives et BénéficesSociaux annoncé par le Gouvernement de la Province, pour empêcher son exécution ». Et ilajoute en suivant :« Cette affirmation ressort durapport effectué par Mr le Gouverneur ».

    Quelques semaines avant, le nouveau gouverneurde Jujuy, Gerardo Morales, dirigeant du radicalismeet faisant partie de l’Alianza Cambiernos, avait déjàannoncé quelle serait la ligne d’action dugouvernement face au campement, quand il a étéinvité par Mirtha Legrand dans son programme detélévision du 19 décembre.

    Morales avait dit que Milagro Sala« devra rendredes comptes ». Morales a, en plus, rejeté tout typede dialogue avec l’organisation.« Je ne vais pas parler avec des personnes violentes, je ne vais pas parler avec elle. Avec celui qui coupe les routes, iln’y a pas de dialogue ».

    Et il a aussi ajouté que« pour rétablir l’ordre (…)il y a des mesures à prendre qui ont quelque choseà voir avec la justice et avec le CodeContraventionnel que je vais commencer à

    implanter dès le 1er janvier » Deux semaines après le premier jour de l’année, lePouvoir Judiciaire agissait dans ce sens.Maintenant : c’est vraiment cette politique quedéfend le président Mauricio Macri au niveauinternational ?

    Leopoldo López, prisonnier politique ?Pendant que le campement s’étendait et que cesconcepts sur la protestation sociale grandissaient,Mauricio Macri se préparait pour son premierévènement international en tant que président.

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    2 0 1 6 Milagro Sala, Leopoldo López et le double

    discours de Macri

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    Le 21 décembre, le Sommet des Présidents deMercosur avait lieu à Asuncion et, lors de cetteoccasion, comme on s’y attendait, Macri a dit cequ’il considérait comme« une grave situation desdroits humains au Venezuela ». Concrètement, ilfaisait allusion à la détention de Leopoldo López,

    dirigeant opposant vénézuélien qui était à la tête du plan insurrectionnel connu comme « La Sortie » en2014.

    Le nombre de protestations se référait ouvertementà la sortie du président constitutionnel duVenezuela, Nicolás Maduro, élu neuf mois avant.López lui-même l’a exprimé à plusieurs reprises demanière publique et a même déclaré devant lescaméras de télévision que les protestationstermineront« quand le gouvernement s’en ira ».

    Les actions comportent des épisodes graves deviolence entre le mois de février et mai 2014,laissant un bilan de 43 personnes assassinées et ungrand nombre d’immeubles et transports publicsdétruits. Parmi ces faits, il faut noter qu’au moins 8 personnes – incluant six personnes intégrantes desforces de sécurité – furent assassinées par des tirsde francs-tireurs ; qu’une autre personne – le jeuneElvis Durán – est mort décapité par un fil de fer placé intentionnellement pour fermer la rue et que plusieurs universités et institutions publiques furentincendiées.

    Dans un de ces incendies, des dizaines d’enfantsqui se trouvaient à la crèche ont failli perdre la vie.Cette crèche était placée à l’étage supérieur d’unimmeuble qui fut attaqué par des groupes de droite,les mêmes qui avaient participé à un essai de coupd’Etat.

    Un double discours avec un grand appuimédiatiqueLes circonstances qui ont amené López en prison

    furent rappelées par la chancelière vénézuélienne,Delcy Rodríguez, quand elle a répondu à Macri pendant le Sommet de Mercosur.“Vous êtes en trainde vous entremettre dans des évènements auVenezuela. Arrêtez de défendre les personnesviolentes”, exigea la chancelière, en signalant enmême temps le double jeu de Macri ; devant cettesituation, le président argentin a dû garder lesilence. De manière étonnante, c’est aussi le mêmesilence que pratiquent habituellement les moyens privés de communication devant l’information quine va pas avec sa ligne éditoriale.

    Le jour suivant, aussi bien Clarin que La Nación etInfobaeont oublié de décrire les photos et de citerles phrases avec lesquelles Delcy Rodríguez avaitdémontré ce qui est assez évident : les protestationsévoquées par Leopoldo López ne peuvent êtred’aucune manière considérées comme pacifiques.

    Comme le gouvernement de la AlianzaCambiemos, ces moyens de communicationchangeront aussi leurs ressentis par rapport àl’Argentine. Et du« respect à la protestation sociale » (dans le cas de Leopoldo López), ils sontarrivés à la légitimité déclarée de la détention deMilagro Sala, en jouant sur la limite de ladésinformation et en affirmant des faits totalementfaux.

    Depuis quelques jours, tous ceux-ci mettent enavant le supposé vol d’argent destiné auxcoopérat ives de la Tupac Amaru, ensynchronisation avec ce que soutient legouvernement Morales. Mais il se trouve que riende tout cela ne se trouve dans les motifs dedétention qui sont bien clairs : être à la tête d’uncampement contre une politique spécifique del’Exécutif provincial.

    Le site web Infobae va encore plus loin “enclarifiant” dans une note sans signature queMilagro Sala« fut arrêtée après les campements pour provocation à commettre des délits et pouravoir avec elle des protestants mineurs » (sic).

    Même si nous assumons qu’il y avait sur lecampement des protestants mineurs« sous lesordres de la dirigeante » - et non par exemple parceque leur mère et leur père exercent un droitconstitutionnel et portent leur famille avec eux - àaucune partie des quatre pages de l’acte judiciaire ilest mentionné que Sala avait des jeunes qui protestaient avec elle et que ce fait était un desmotifs de sa détention.

    De cette manière, on dirait que l’opinionhégémonique ne s’impose pas en Argentine par lavéracité et la cohérence de ses arguments, mais plutôt par la répétition de la part des principauxmédias.

    Fernando Vicente Prieto – @FVicentePrieto

    Source :TeleSur

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    http://www.telesurtv.net/bloggers/Milagro-Sala-Leopoldo-Lopez-y-el-doble-discurso-de-Macri-20160119-0001.htmlhttp://www.telesurtv.net/bloggers/Milagro-Sala-Leopoldo-Lopez-y-el-doble-discurso-de-Macri-20160119-0001.htmlhttp://www.telesurtv.net/bloggers/Milagro-Sala-Leopoldo-Lopez-y-el-doble-discurso-de-Macri-20160119-0001.html

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    HONDURAS

    Le meurtre de Berta Caceresne doit pas rester impuni

    Le brutal assassinat de la leader indigène BertaCáceres dans sa maison à Esperanza, au Honduras,le 3 mars 2016, a suscité une vague de protestationmondiale. Berta était menacée de mort par des personnes proches de la compagnie hydroélectriquecanadienne Blue Energy, car elle s’opposait à laconstruction d’un barrage sur le Rio Blanco dans leterritoire indigène. En avril de 2015 elle avaitrévélé publiquement cette menace lors d’uneinterview donnée à l’agence de presse EFE :« J’aireçu des menaces de mort, d’enlèvement ou de ladisparition, de lynchage, de piéger le véhicule que j’utilise et ma fille d’enlèvement. On m’a intimidée par des actions de persécution, de surveillance,d’harcèlement sexuel. Les milieux puissants ontégalement mené des campagnes dans les médiasnationaux à mon encontre. »

    CUBA-USA

    Déclaration de la Fédération desfemmes cubaines

    Dans un communiqué adressé à Barack Obama, laFédération des femmes cubaines a invité au président des Etats-Unis et à la première dameMichèlle, à découvrir les avancées en matièred’égalité de genres réalisées par la révolution, ensoulignant "la place de premier plan qu’occupentles femmes dans la vie politique, économique,culturelle et sociale de notre pays". Dans le mêmecommuniqué, la Fédération salue l'initiative deMichelle Obama en faveur de l'accès à l'éducationdes jeunes filles dans le monde entier et donne enexemple l'expérience de Cuba socialiste dans cedomaine. En effet, la méthode d'alphabétisation «Yo sí puedo » créée par une Cubaine, LeonelaRelys, a remporté un franc succès auprès de 3'5millions de personnes dans le monde. En AmériqueLatine, 7 pays mettent cette méthode en pratique:l'Argentine, le Venezuela, le Mexique, l'Equateur, laBolivie, le Nicaragua et la Colombie.

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    Les Brèves du mois

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    VENEZUELA

    Obama encourage un coup d'Etat contre le gouvernement légitime de

    Maduro

    Le président des Etats-Unis Barack Obama amanifesté ouvertement son soutien au plan de coupd'Etat que les partis de droite mettent en marchecontre le Président national, Nicolás Maduro, endéclarant lundi que le peuple vénézuélien doitchoisir un gouvernement qu'ils considèrent comme

    "légitime". La déclaration d'Obama survient àquelques jours de sa décision deproroger le décretd'ingérence contre le Venezuela dans lequel ilqualifie la nation bolivarienne de"menace pour lasécurité" de son pays, un argument qui a été utiliséhistoriquement par les Etats-Unis pour justifier desinterventions dans des nations souveraines.

    Maduro: "nous avons le soutien dumonde entier

    contre le décret d'Obama

    En rappelant les 11 millions de signatures récoltéesen faveur de l'abrogation de ce décret l'annéedernière, le président Nicolas Maduro a affirmé que"nous avons le soutien du monde entier contre ledécret d'Obama", et que "le peuple du Venezuelaest prêt à lui faire face" . Regroupeant 120 pays, leMouvement des Non Alignés a, quant à lui, déploréles "mesures disproportionnées du décret" , etréitéré son "ferme soutien à la souverainété,l'intégrité territoriale et l'indépendance politiquedu Venezuela" . Le samedi 12 mars, une marcheanti-impérialiste a parcouru les rues de Caracas arassemblé des milliers de chavistes. A la fin de lamarche, Maduro a annoncé que le mois d'avril seraun "mois d'hommages, car nous rappelerons lecoup d'Etat (de 2002, ndlR) et rendrons hommage à

    la résurrection du peuple vénézuelien" .

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    VENEZUELAContre-offensive du gouvernement

    chaviste

    Le gouvernement de la révolution bolivariennevient d'approuver le 18 mars une"Loi habilitanteanti-impérialiste".Cette loi, qui restera en vigueur jusqu'au 31 décembre, permettra au Président de laRépublique d'augmenter ses pouvoirs et signer desdécrets avec valeur de loi sans l'approbation del'Assamblée Nationale, aujourd'hui contrôlée par ladroite. Cette loi concernera les décrets en matièrede: liberté, égalité, justice et paix internationale,intégrité territoriale, autodétermination nationale,souveraineté, sécurité et défense.

    Décret d'Urgence Économique

    Pour protéger les droits du peuple face à la guerrenon conventionnelle perpétrée par des secteurs de

    droite, l'Exécutif Nationale a prorogé pour 60 joursde plus le Décret d'Urgence Économique danstout le pays. Depuis que le décret a été promulguéle 14 janvier, le Gouvernement du président Nicolás Maduro a fait des efforts pour promouvoirla construction d'un nouveau modèle intituléCalendrier Économique Bolivarien qui tend à ladiversification de l'appareil de production et à lagénération de nouvelles sources de devises. Ceschéma économique prévoit la participation

    d'entreprises publiques et privées à travers leConseil National de l'Economie. Cet instrument

    légal a aussi permis au président Madurod'approuver 126.000 millions de bolivars pourstimuler le développement duPlan National desTravaux Publics 2016.

    ARGENTINE

    108 000 licenciés en 2 moisUne étude comparée sur les statistiques des deux premiers mois de l'année par rapport auxlicenciements de l'année dernière, révèle un panorama désolateur. Sur cette même période de2015, l'Argentine avait enregistré1 432 licenciements. Le chiffre des fonctionnaires sansemploi a donc été multiplié par plus de 70.Mauricio Macri avait promis une "politique de pauvreté zéro" pour l'Argentine. Le "remède" peutêtre pire que la maladie...

    BOLIVIEPrésentation du Plan de

    développementéconomique et social 2016-2020

    René Orellana, le ministre de la Planification dudéveloppement, a annoncé qu'à travers ce Plan dedéveloppement l’État bolivien compte investir48.574 millions de dollars dans la redistributiondes richesses, la création d’emplois, la production,les infrastructures et le renforcement del’économie». Orellana a affirmé que le Plan a,entre autres objectifs, celui de réduire la pauvretéextrême à 9,5% d’ici 2020.

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    BRESILD'ex chefs d'Etat et de

    gouvernement soutiennent Lula

    Dans unedéclaration conjointe, un ensemble d'exchefs d'Etat ont dénoncé les "attaques injustifiéesde son intégrité personnelle" dont fait l'objet l'ex présidéntLula da Silva, ainsi que la " tentative decertains secteurs pour détruire son image". Ils ontégalement rappelé que"son Gouvernement aapprofondi la démocratie en stimulant la diversité politique et culturelle du pays, la transparence del'Etat et de la vie publique",et que "Le Pouvoir Exécutif, le Ministère Public et le Pouvoir Judiciaire ont pu réaliser des enquêtes sur desactes de corruption éventuellement survenus dansl’administration directe ou indirecte de l'Etat".Lessignataires de cette déclaration sont: CristinaFernandez (Argentine), Ernesto Samper(Colombie), Maurício Funes ( Salvador), FelipeGonzalez (Espagne), Manuel Zelaya (Honduras),Massímo D”Alema (Italie), Martin Torrijos(Panama), Nicanor Duarte (Paraguay), FernandoLugo (Paraguay), Leonel Fernandes (RepubliqueDominicaine) et José Mujica (Uruguay).

    Pour rester informés sur l'actualité de Notre Amérique

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    Sources: TeleSur, Correo del Orinoco, Cetim, AVN, CubaDebate et Granma

    Traductions : Solidarité Amérique Latine et BolivarInfos

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    http://bolivarinfos.over-blog.com/http://bolivarinfos.over-blog.com/

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    BRESILLa demande de prison préventivepour Lula n'a pas de fondement

    légalL'ex président affirma qu'il est persécuté par leMinistère Public. Le Ministère Public de Sao Pauloa demandé la prison préventive pour l'ex présidentdu Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, accusé de blanchiment d'argent présumé.La demande du procureur Cássio Conserino duMinistère Public de Sao Paulo de la prison préventive pour Luiz Inácio Lula da Silva n'a pasde fondement réel et montre clairement sa partialitéet son intention de porter atteinte à l'image de l'ex président brésilien à des fins politiques, signale uncommuniqué publié par l'Institut Lula."Le procureur qui a anticipé sa décision de dénoncerLuiz Inácio Lula da Silva avant de l'avoir entendu adonné une autre preuve de partialité en demandant sadétention provisoire", a indiqué l'Institut Lula.Le Bureau du Procureur de Sao Paulo accuse Lula etson épouse, Marisa Letícia Lula da Silva, d'être propriétaires d'un appartement luxueux de 3 étagessur la plage de Guarujá sur le littoral de Sao Paulo,qui est au nom de l'entreprise de construction OAS.Cependant, l'ex président a nié cette accusation à plusieurs occasions.L'Institut Lula a indiqué que e 30 janvier dernieront été publiés tous les documents concernant la parcelle de l'Immeuble Solaris qui démontrent queLula et sa famille n'ont jamais eu d'appartement àGuarujá.Malgré cela, "le procureur qui a anticipé sadécision de dénoncer Luiz Inácio Lula da Silvaavant de l'avoir entendu a donné une autre preuvede partialité en demandant sa détention provisoire"."L'ex président Lula da Silva a déjà démenti cesaccusations plusieurs fois devant les autorités etdans ses discours. Il n'est propriétaire ni d'un triplexà Guarujá ni d'une hacienda à Atibaia et il n'a rienfait d'illégal", rapporte le communiqué.Les buts cachés de l'accusation contre Lula daSilvaLe Ministère Public de Sao Paulo a présenté descharges contre l'ex président du Brésil, Luiz InácioLula da Silva, pour blanchiment d'argent présumé.L'ex président a été dénoncé pour "avoir caché son patrimoine, blanchiment d'argent" en relation avecentreprise pétrolière d'Etat Petrobras. Da Silva arejeté l'accusation du Bureau du Procureur Sao

    Paulo et a déclaré qu'elle faisait partie d'un planmédiatique contre lui."Il n'y a rien de nouveau dans la dénonciation duMinistère Public de Sao Paulo qui n'ait déjàanticipé dans la revue Veja du 22 janvier le procureur Cassio Conserino”, a déclaré dans un

    communiqué l'Institut Lula.Les accusations contre Lula repésentent, selon desanalystes politiques, un nouvel obstacle du Bureaudu Procureur du Brésil pour éviter que l'ex président présente sa candidature aux prochainesélections présidentielles de 2018.

    Source:http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/03/10/brasil-solicitud-de-prision-preventiva-contra-lula-no-tiene-base-legal/

    Traduction: Françoise Lopez

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    http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/03/10/brasil-solicitud-de-prision-preventiva-contra-lula-no-tiene-base-legal/http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/03/10/brasil-solicitud-de-prision-preventiva-contra-lula-no-tiene-base-legal/http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/03/10/brasil-solicitud-de-prision-preventiva-contra-lula-no-tiene-base-legal/http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/03/10/brasil-solicitud-de-prision-preventiva-contra-lula-no-tiene-base-legal/http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/03/10/brasil-solicitud-de-prision-preventiva-contra-lula-no-tiene-base-legal/http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/03/10/brasil-solicitud-de-prision-preventiva-contra-lula-no-tiene-base-legal/

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    Automne 1990 : le Conseil de Sécuritéentérine la saisine de l'ONU par la partieétatsunienne, dans la préparation de ladévastante "Tempête du désert" contrel'Irak, déclenchée à partir du 17 janvier1991.

    Par Marinella Correggia

    Le 29 novembre devrait être l’une des nombreuses" journées de remerciements" à Cuba pour le rôlehistorique qu’a assumé, souvent seul, ce petit géant,contre l’impérialisme des guerres et des privilèges.Voyons ce qui arrive pendant les mois d’automne-hiver 1990, alors que l’Occident glisse vers uneatroce guerre contre l’Irak. Une ligne de partagedes eaux dans l’histoire récente. Et peut être dans lavie de quelques-uns d’entre nous. Appartenir à un pays fauteur de guerre est atroce.

    Le 2 août 1990 l’Irak envahit le Koweit, qu’ilaccuse de mener une guerre économique, car, enenvahissant le marché avec son pétrole il acontribué à en faire plonger le prix, ce qui aentraîné d’énormes pertes pour les Irakiens quisortaient à peine de leur désastreuse guerre contrel’Iran. Quelques jours auparavant, l’ambassadriceétasunienne April Glaspie a donné au présidentSaddam Hussein une sorte de feu vert ( trompeur) àson entreprise militaire.

    Pendant les mois suivants, les Etats Unis mettentles bâtons dans les roues à toute possibilité desolution diplomatique et travaillent à la légitimation

    par l’ONU de leur guerre aérienne, "Tempête dudésert" qui détruira l’Irak, à partir de la nuit du 16 janvier 1991, avec la participation de divers paysarabes et occidentaux. Mais c’est déjà depuis aoûtque Bush envoie en Arabie Saoudite des centainesde milliers d’hommes ; il s’agit de l’opération"Bouclier du désert".

    Le Yémen est le seul pays arabe au Conseil desécurité de l’ONU, et prenant au sérieux sa missionde représentation de l’ensemble de la région, ilrefuse de prendre part au vote de la résolutionimmédiate 660 qui exige de l’Irak son retrait duKoweit. Pendant ce temps la Jordanie recherche lanégociation d’une solution avec la Ligue Arabe,mais après une première réunion aboutissant à desfractures nettes (les seuls à ne pas épouser la position des USA étant la Libye,la Jordanie,l’Algérie et le Yémen), les USA avancent commedes chars d’assaut au Conseil de Sécurité et laLigue Arabe est évincée.

    Au Conseil de Sécurité George Bush et ses alliésrefondent l’ONU en la transformant en instrumentdu vouloir et du pouvoir étatsunien. Comme l’écritPhillis Bennis dans son livre "Calling theS h o t s . H o w Wa s h i n g t o n D o m i n a t e sToday’sUN" (Olive Branch Press, 1995), les Nations Unies comptent parmi les "victimes de laGuerre du Golfe", en devenant l’agent delégitimation des décisions unilatérales de l’uniquesuperpuissance du terrain" : "Du reste Washingtonavait besoin d’une confrontation militaire, assortied’une claire et inéluctable victoire et de l’aval del’ONU, pour faire comprendre que, tout en restantl’unique superpuissance stratégique, elle n’avait pas l’intention de plier bagages ; et que Moscouétait désormais sa cible dans le nouvel ordremondial."

    Aux résolutions sur l’Irak, l’Union soviétique, en plein déclin, proche de sa dissolution, fortementdépendante des aides occidentales n’opposera jamais le veto auquel elle a droit en tant que

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    Il y a 25 ans: Cuba et le Yémen, seuls contrela guerre du Golfe

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    membre permanent du Conseil de Sécurité : "quisommes-nous" répond tristement l’ambassadeursoviétique à l’ONU, à un journaliste," pour dire quele Pentagone n’a pas à prendre toutes les décisionsd’une guerre qui sera menée au nom de l’ONU ?" .Même la Chine acquiesce, en ne s’opposant pas àWashington soit pour avoir un rôle diplomatique plus influent, soit pour obtenir un allègement dessanctions qui pèsent sur elle depuis les évènementsde la place Tienanmen (1989).

    La résolution clou qui autorise la guerre, le fameuxultimatum à l’Irak, c’est la 687 du 29 novembre1990, qui autorise les pays membres à coopéreravec le Koweit en utilisant tous les moyensnécessaires, donc la force.Les Etats Unis et les pétro-monarchies préparent au mieux le terrain enutilisant le bâton et la carotte pour gagnerl’approbation des membres non permanents.Parmices derniers, à part les pays occidentaux (Canada,Finlande) et la Roumanie post-mur, uniformémentalignés en faveur des décisions des USA, les autresmembres non permanents, appartenant au groupedes non alignés sont convaincus grâce à une pluied’aides, militaires ou non : Côte d’Ivoire,Colombie, Ethiopie, Malaisie, Zaïre. L’UnionSoviétique, en perfusion, est prête à tout pour serapprocher de l’Occident,elle obtient 4 milliardsdes Saoudiens.

    Cuba et le Yémen sont les deux membressuppléants du Conseil de Sécurité qui depuis ledébut de la crise ont traîné les pieds, souvent isolésen rappelant au Conseil la Charte de l’ONU qui préconise des solutions pacifiques aux conflits, et

    en essayant de convaincre les autres membres de prendre leurs distances par rapport à la ligne belligérante de Washington.A l’égard du Yémen etde Cuba les USA et les Saoudiens emploieront le bâton.A la veille de la résolution cruciale, la pression sur les deux récalcitrants va s’intensifier.

    En fait le Blocus contre Cuba dure depuis desdécennies, en conséquence les Etats Unis n’ont plus beaucoup de cartes diplomatiques et économiques à

    jouer.Mais ils essayent quand même : à la veille duvote,à Manhatan le 28 novembre se déroule la première rencontre au niveau ministériel, depuis 30

    ans, entre Washington et La Havane. Il s’agitclairement de tester la possibilité de convaincre lesCubains de s’abstenir.Rien à faire : Cuba et leYémen votent NON à la 687 (La Chine s’abstient,tous les autres votent OUI).

    Le Yémen, pays le plus pauvre de sa région, unifiédepuis peu, payera un prix très élevé pour soncourage à violer le consensus imposé par les EtatsUnis.Quelques minutes après le scrutin, les USAinforment l’ambassadeur Abdallah Saleh al-Asthal :" ce sera le NON le plus cher que vous ayez jamais affirmé" ; et ils effacent leur plan d’aide de70 millions de dollars..Cela ne suffit pas:de soncôté l’Arabie saoudite expulse des centaines demilliers de travailleurs yéménites.Mesure derétorsion à la nazi.

    La nuit du 16 janvier 1991 USA et alliéscommencent leurs bombardements, malgré laréponse positive de l’Irak aux dernières tentativesde négociations mises en oeuvre par le SecrétaireGénéral de l’ONU, l’Iran (appuyé par Moscou),le Nicaragua, l’Inde et l’Allemagne(Daniel Ortega futle dernier chef d’Etat à se rendre à Bagdad pourdésamorcer cette guerre).

    Pendant que les villes irakiennes sont détruites pardes bombes peu intelligentes, et que les marinesenterrent vivants dans le désert les soldats qui sonten train de se retirer du Koweit, Moscou appuiel’acceptation par la partie irakienne de la résolution660: le retrait du Koweit. Mais USA et GrandeBretagne exigent plus et tout de suite ; etcontinuent à bombarder.

    Source : Peacelink

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    Voilà un peu plus d'un an que Cuba et les Etats-Unis ont amorcé un rapprochementdiplomatique historique après l'imposition d'unembargo sur la petite île des Caraïbes parKennedy en 1962. Les deux pays ont mêmerouvert officiellement leurs ambassadesrespectives. La France aussi cherche à serapprocher de l'île. Après une visite trèsmédiatisée à Cuba en mai 2015, FrançoisHollande a reçu Raul Castro à l'Elysée début decette année. Comment expliquer ce revirementdiplomatique à l'égard d'un gouvernementcubain longtemps diabolisé ? Si Barack Obamaa affirmé vouloir changer de stratégie, poursuit-il les mêmes objectifs que ces prédécesseurs ?Quel impact ce rapprochement aura-t-il surCuba ? Animateur du site Le Grand Soir et co-auteur du livre Cuba est une île , Viktor Dedajrépond à nos questions.

    Comment analysez-vous ce revirementdiplomatique des Etats-Unis à l'égard de Cuba ?Il faut d'abord relever que le New York Times avait préparé le terrain en décembre 2014 avec la publication de quatre éditoriaux presque

    consécutifs sur Cuba. C'est assez rare. Encore plusrare, ce faiseur d'opinions soulevait toute une sériede questions sur la légitimité du blocus, l'efficacitéde la politique US vers Cuba ou la nécessité d'unrapprochement diplomatique. Peu de temps après,Barack Obama annonçait sa volonté de changer lesrelations entre Washington et La Havane. Ce n'est pas anodin et met en lumière le rôle que peuvent jouer des médias comme le New York Times. Ilsfont semblant d'être des observateurs, mais enréalité ce sont de véritables acteurs de la scène politique. Ces médias mènent des opérationsdestinées à préparer l'opinion publique. Et s'ils sontcapables de le faire pour une bonne cause, à savoirle rapprochement avec Cuba, nous savons qu'ils peuvent aussi le faire pour de moins nobles projets.Finalement, bon ou mauvais, ce rôle ne doit pasêtre tenu par la presse.

    Ce rapprochement, c'est donc une bonne choseselon vous ?C'est avant tout une superbe victoire de ladiplomatie cubaine et l'aboutissement de longsefforts qui se sont d'abord traduits dans les relationsavec les autres pays d'Amérique latine. Dansl'hémisphère sud, même les gouvernements quiétaient traditionnellement hostiles à Cuba ont fini par soutenir la petite île. Aux Nations unies, le votesur le blocus a ainsi progressé d'année en année enfaveur de Cuba. Jusqu'à atteindre l'unanimité poursa levée à l'exception de deux pays bien isolés : les

    Etats-Unis et Israël.Le rapprochement est donc une victoire cubaine.Pour les Etats-Unis, on peut parler d'une déculottéeen rase campagne. En effet, Washington avaittoujours agité la normalisation des relations commeune carotte à offrir en échange de quelque chose.Mais les Cubains sont en passe d'obtenir ce qu'ilsvoulaient sans rien avoir concédé. Ils sont même parvenus à faire libérer trois des Cuban Five quicroupissaient encore dans les geôles US. Notonstoutefois que ce rapprochement consiste surtout ànormaliser des faits existants. Rompues en 1961,les relations diplomatiques étaient partiellementrétablies en 1977 après un accord entre Fidel Castro

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    DOSSIER CUBA

    Viktor Dedaj : "Le rapprochement est une victoire cubaine, une déculottée

    pour les Etats-Unis"

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    http://www.michelcollon.info/Les-Cuban-Five-sont-libres.html?lang=frhttp://www.michelcollon.info/Les-Cuban-Five-sont-libres.html?lang=frhttp://www.legrandsoir.info/http://www.legrandsoir.info/

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    et Jimmy Carter sur l'ouverture des sectionsd'intérêts. La réouverture des ambassades n'estdonc pas un grand bouleversement. Disons qu'aprèsquarante ans, les deux pays ont arrêté de fairesemblant en hissant les drapeaux pour de bon.

    Le changement a tout de même été annoncé engrandes pompes par Barack Obama. Pourquoiintervient-il aujourd'hui, après quarante ans demascarade diplomatique ?Plusieurs raisons. D'abord, je pense qu'Obamavoulait marquer un geste symboliquement fort pourredorer son blason avant la fin de son mandat.Ensuite, nous avons constaté ces dernières annéesune érosion importante des positions impérialistesen Amérique latine. Erosion qui aurait pu devenirirréversible sans changement de stratégie. Enfin, lesmilieux agricoles des Etats du Sud faisaient pression pour rétablir les relations avec Cuba.Avant la révolution et l'imposition du blocus, lescéréaliers par exemple exportaient une grosse partiede leur production vers l'île. Aujourd'hui, ce marchéà leur porte reste fermé pour des raisons politiquesqui leur sont relativement étrangères.Il y a en outre deux facteurs géostratégiques. Le premier porte sur le long terme. Toutes les

    prospections dans les eaux cubaines laissententrevoir d'immenses réserves de pétrole. Réservesdifficilement rentables avec les technologies du passé et le prix du baril actuel. Mais ô combien juteuses pour l'avenir. Ces réserves pourraientgarantir à Cuba des revenus qui la mettraient àl'abri des effets du blocus. De l'autre côté du détroitde Floride, on ne souhaite pas laisser ce trésor filerdans des mains indues. La deuxième raison portesur le moyen terme. Une révolution du transportmaritime se prépare avec la construction de

    gigantesques porte-conteneurs longs de plusieurscentaines de mètres. On élargit d'ailleurs le canal dePanama pour les faire passer. Ces bateaux,lorsqu'ils traverseront le Pacifique en passant par lecanal de Panama ou le futur canal du Nicaragua,devront accoster dans le Golfe du Mexique.Aujourd'hui, le seul port capable d'y accueillir lesnouveaux porte-conteneurs est celui de Mariel, lelong des côtes cubaines. Le Brésil a investiénormément pour aider Cuba à construire ce port.

    Mais il y a le blocus imposé par les Etats-Unis…Justement, l'évolution des relations diplomatiques deCuba avec le reste du monde et les perspectiveséconomiques qu'offre le port de Mariel me font penser que les Etats-Unis ont compris qu'à terme, le blocus allait perdre de son efficacité. Alors, plutôtque d'avoir à reconnaître la défaite de leur stratégieen rase-campagne, les Etats-Unis préfèrent donnerl'impression d'accompagner un mouvementinéluctable en « normalisant » leurs relations avecCuba. Cela étant dit, Barack Obama a clairementannoncé vouloir « changer de stratégie ». Ce quisous-entend qu'il poursuit toujours le mêmeobjectif : renverser la révolution cubaine. J'imagineque dans le contexte actuel, quelqu'un dans un thinktank a dû remettre un rapport préconisant de passerdu hard power au soft power à l'égard de Cuba. LesEtats-Unis espèrent sans doute pouvoir organiser une petite révolution colorée d'ici quelques années. Àmon avis, ils se trompent lourdement.

    Quel impact le blocus a-t-il eu sur l'île ?Il faut d'abord s'imaginer à quoi ressemblaitl'économie cubaine avant la révolution. Elle étaittotalement basée sur l'exportation de produits de base vers les Etats-Unis. Il n'y avait pas d'usines à

    Cuba, ni d'universités ni même d'entrepôts ! Quandune pharmacie manquait d'un médicament, on passait un coup de fil à Miami et le produit étaitlivré dans les 24 heures par l'une des navettes quitraversaient plusieurs fois par jour les 180kilomètres séparant Cuba de la Floride. Quand larévolution a triomphé, les premiers effets du blocusse sont fait sentir simplement lorsque le transit deces navettes a cessé. Sans entrepôts, les magasinsse sont rapidement trouvés dévalisés.De plus, les Cubains se voyaient d'un coup privésde leur principal partenaire économique. Les seuls produits qu'ils vendaient, c'était sur le marchéaméricain. Le prix du sucre cubain était d'ailleursfixé par le Congrès à Washington ! Et voilà quesoudain, les Cubains n'ont plus d'acheteurs ni desources d'approvisionnement. Dans un premiertemps, l'Union soviétique a permis de sauver lamise et malgré « l'embargo » des Etats-Unis, Cubaest parvenue à atteindre l'Indice de DéveloppementHumain le plus élevé d'Amérique latine.

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    On dira bien sûr que c'était grâce aux subventionssoviétiques. Mais avec cet argent, le gouvernementcubain aurait pu développer une armée surpuissantetout en laissant la population patauger dans lamisère. Ce n'est pas ce qu'ils ont fait.

    Jusqu'à la chute de l'Union soviétique…Après 1989, Cuba s'est retrouvée dans une situationsimilaire au début de la révolution avec la perted'un partenaire dont dépendait l'essentiel de sonéconomie. Le PIB a chuté de 33 % en six mois. Ilfaut pouvoir mesurer ce que cela représente. Selonnos économistes, quand le PIB progresse de 5 %,c'est l'opulence, une croissance autour de 2 % étant jugée satisfaisante. En dessous de ce seuil, on voit pointer la crise. Avec une croissance inférieure à1 %, on craint la récession. Et si ce taux passe de 3à 5 % en dessous de zéro, c'est la débandade. Alors,imaginez un PIB qui chute de 33 % ! C'est commesi Cuba avait été dévastée par une guerre terrible,dans un environnement totalement hostile avec personne pour l'aider à reconstruire.

    Et c'est le moment qu'ont choisi les Etats-Unispour durcir le blocus !

    Exact. Le blocus n'a pas été une mesure figée durantcinquante ans. Au fur et à mesure que le tempsavançait, les Américains ne constataient pas uneamélioration de la situation qui correspondait en faità une détérioration de la société cubaine. Le blocus aété instauré pour tuer l'économie cubaine dansl'espoir que la population se retournerait contre songouvernement. Comme ça ne fonctionnait pas, lesEtats-Unis l'ont adapté, affiné, poussé plus loin.Jusqu'à la chute de l'Union soviétique où ils ont sortil'artillerie lourde, pensant porter le coup de grâce à la

    révolution cubaine.Il y a d'abord eu la loi Torricelli en 1992. Ellerenforçait le blocus en s'en prenant au transportmaritime. Sans succès. L'avocat de Baccardi, grandconcurrent du rhum cubain, a alors pondu la loiHelms-Burton qui visait à sanctionner toute relationéconomique avec Cuba. C'était inouï et une premièrehistorique car les Etats-Unis prétendaient aucaractère extraterritorial de leur loi. Ce qu'ils avaientdécidé pour le blocus de Cuba devait être respecté par le monde entier. En fait, c'est comme si une loivotée en Floride s'appliquait en Seine-et-Marne. Et pour s'assurer de l'efficacité de cette loi, les Etats-Unis avaient prévu de s'attaquer aux filiales. Par

    exemple, si une entreprise étrangère violait la loi surle blocus en commerçant avec Cuba et que le siègede cette compagnie était hors d'atteinte, on trouverait bien une petite filiale aux Etats-Unis pour lui faire payer la sanction. Les dirigeants de ces entreprises sevoyaient en outre interdits d'accès aux Etats-Unis.

    Notons enfin que Washington n'a pas lésiné sur lesmoyens pour appliquer cette loi Helms-Burton. Lesemployés chargés de traquer les mouvementsfinanciers en provenance ou en direction de Cubasont cinq fois plus nombreux que ceux qui doiventvérifier le trafic d'argent pour le terrorisme. Dansune commission publique, un sénateur s'est ainsiétonné que selon le Département du Trésor, Cuba fûtconsidérée plus dangereuse qu'Al-Qaida et tous lesennemis des Etats-Unis réunis.Avec le recul, on se rend compte que la loi Helms-Burton était une tentative d'appliquer ce qui a étéinfligé à l'Irak. Elle prévoyait en effet la nominationd'un gouvernement de transition placé sous tutelle, la privatisation des services sociaux, la démobilisationde l'armée, la représentation politique des grandesmultinationales US… Le dépeçage du pays en fait.

    La composition du gouvernement de George W.Bush n'est donc pas une coïncidence ?

    Pas du tout. Rappelons tout d'abord que George W.Bush a remporté les élections face à Al Gore grâce àun coup de poker dans l'Etat de Floride où il a pucompter sur le soutien du lobby anticastriste deMiami. Ce lobby est composé de riches hommesd'affaires et de militants virulents qui profitaient deCuba lorsque l'île était le tripot des Etats-Unis. Ils sesont réfugiés à Miami après la révolution et ont été lamain d'œuvre de toutes les mauvaises causes. Onretrouvait même des Cubains anticastristes dans leWatergate. Et ils ont bien évidemment soutenu la

    montée au pouvoir des ces néoconservateurs présidés par George W. Bush.La plupart des personnes qui ont sévi en Afghanistanet en Irak avaient d'abord officié en Amérique latine.Par exemple, John Negroponte qui était secrétaired'Etat adjoint auprès de Condoleeza Rice etambassadeur d'Irak de 2004 à 2005 avait étéambassadeur du Honduras dans les années 80. ScottAbrahams, qui était conseiller de George W. Bush surle Moyen-Orient, était auparavant conseiller deReagan sur le Nicaragua et le Salvador. Il a d'ailleursété impliqué dans l'affaire de l'Iran-Contra. Toutcomme John R. Bolton qu'on retrouvait auDépartement d'Etat sous Reagan et sous Bush avant

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    que l'île était sous la menace d'une interventionmilitaire des Etats-Unis, Fidel Castro a annoncéque son armée devrait se débrouiller avec trois foisrien car l'argent manquait. Curieuse dictature !D'autant plus que le potentiel de révolte était au plus fort tandis que l'économie était au plus mal.

    Mais le gouvernement a préféré investir dansl'éducation. Le PIB était en chute libre, mais aumême moment, on assistait à une explosion delycées et d'universités. Je pense que legouvernement cubain, sachant qu'il ne pourraitaméliorer rapidement la situation matérielle desgens, a jugé préférable d'avoir une population quisoit en mesure de comprendre ce qui se passait.C'était un pari sur l'intelligence collective et lamaturité du peuple cubain.Mais pour que la résistance tienne, le pouvoir aégalement démontré sur le terrain sa volontéd'épargner au maximum les souffrances desCubains, individu par individu, jusqu'aux moindresrecoins de l'île. La tâche a été minutieusementorganisée, avec des repas dans les écoles pour lesenfants, en prenant soin des plus âgés, en faisantlittéralement du porte-à-porte pour distribuer descachets de vitamines destinés à compléter lesmaigres repas, etc. C'était un véritable maillage dela société, une opération de sauvetage du peupletout entier organisée par les pouvoirs d'en haut avecle relais des pouvoirs locaux et des organisations populaires. Même les beaux jardins des ministèresétaient bêchés pour cultiver des légumes de proximité. Il n'y avait pas de grands palaisilluminés qui trônaient au-dessus de bidons villes.Tout le monde était touché, mais tout le monde serelevait les manches. Ce n'est pas la même chosequand on se sent abandonné pendant qu'uneminorité profite de la situation.Je me souviens d'une vidéo datant d'il y a un anenviron. C'est un discours de Raul Castro devantl'Assemblée nationale sur un sujet d'actualité. A lafin, il adresse ses remerciements et s'éloigne. Aprèsquelques pas, on voit qu'une idée semble luitraverser l'esprit, comme un éclair. Castro revientsur ses pas, s'empare du micro et d'un air trèsspontané déclare : « Avec un peuple comme celui-là, la révolution pourra encore durer cent ans ! »Cette déclaration d'amour d'un dirigeant pour son peuple rejoint le pari qui avait été fait 25 ans plustôt de miser sur l'intelligence collective pourrésister au blocus. Voilà la principale raison quiexplique la défaite des Etats-Unis.

    Cuba s'est aussi ouverte au tourisme et a lancédes réformes économiques en introduisant deséléments du capitalisme. Un danger pour larévolution ?Autoriser un coiffeur à offrir ses services sur le pasde sa porte sans en faire un fonctionnaire de l’État,ce n'est pas développer le capitalisme. Ce quidéfinit avant tout l'économie, c'est la propriété desmoyens de production. Que viendrait faire l’État às'occuper de la coupe des cheveux ?

    Mais pourquoi le faisait-il avant ?Parce qu'avant, on sortait d'une économietotalement rurale, sans ouvriers. Parce qu'avant, deshommes de main étaient embauchés quelques jours

    pour couper la canne à sucre avant d'être jetés à larue. Parce qu'avant, 80 % de la population étaitanalphabète, privée d'eau et d'électricité. Parcequ'avant, La Havane était une ville de lumières etde tripots alors que le reste du pays était unramassis de misère. Les premiers gamins qui ontcombattu aux côtés du Che, lorsqu'ils ont découvertdes maisons illuminées par l'électricité, se sontdemandé si les étoiles étaient tombées sur terre. À partir de là, que fait-on ? Tout le monde au travailet c'est l’État qui a pris les choses en main. Qui

    l'aurait fait de toute façon ? Les entrepreneurs ? Ilsétaient partis. Même les médecins étaient partis.Cuba s'est ainsi développée. Elle a survécu au blocus et à la chute de l'Union soviétique. Lasituation a évolué par la suite, les besoins de la population n'étaient plus les mêmes et le contexteétait différent. Des réformes ont donc été lancées.Mais elles ont été largement discutées avecénormément de débats et de nombreuses propositions d'amendement qui émanaientnotamment de la population.

    Quand on entend parler de Cuba par ici, onpense plutôt que c'est le parti au pouvoir quidécide de tout. Les Cubains ont leur mot à diredans cette dictature ?Il y a à Cuba une forme de démocratie directe. Cen'est pas une minorité qui décide des changementsstratégiques. Ainsi, le Parti Communiste ne prend pas les décisions, mais agit plutôt comme un think

    tank politique. À côté de ça, il y a le pouvoir populaire d'où est issue la majorité des élus avec desstructures locales qui remontent dubarrio, puis à la

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    ville, puis à la région et enfin à l'Assembléenationale. Le véritable organe du pouvoir est là, avecla possibilité d'organiser un referendum révocatoire.S'il y a bien une chose qui n'étouffe pas la politique àCuba, c'est le dogmatisme. Mais ça n'empêche pasles critiques. Avec ce constat assez amusant : quandles Cubains changent, on les critique ; quand ils nechangent pas, on les critique aussi. Il faudraitsavoir ! Quand on est un pays du tiers-monde placésous blocus, la marge de manœuvre n'est pasforcément celle qu'on imagine. Les Cubains essaientdes choses, avancent, reculent, réessaient… Cuba estcomme une gymnaste qui ferait un numéro enéquilibre sur une poutre. Une erreur, et elle tombe.Et nous, nous la jugeons comme si c'était unegymnaste sur un tapis en nous demandant pourquoielle marche bizarrement en mettant un pied devantl'autre ! Sans blocus, Cuba serait méconnaissable. Siles Cubains pouvaient faire ce qu'ils voulaient, lemonde serait méconnaissable. Imaginez, dans lasituation actuelle, Cuba dispose en permanence de40.000 médecins envoyés à l'étranger. À l'échelle dela France, ça ferait 25.000 médecins. Un million àl'échelle des Etats-Unis.

    Cela n'empêche pas les critiques, y compris de lagauche…Il y a à Cuba une classe politique particulièrement bien formée et intelligente. Il suffit de discuter aveceux pour se rendre compte que c'est un autre niveauqu'ici. Alors, ça me fait mal au cœur quand j'entends ces critiques eurocentrées venant de personnes qui pensent avoir un soupçon delégitimité pour juger Cuba. Quand des responsablesde partis « progressistes » partent en tournée enAmérique latine, ils reçoivent avant tout des baffesdes autres dirigeants latinos qui leur demandent :

    « Quelles sont ces conneries que vous racontez surCuba ? » À La Havane, ils sont bien reçus. Maisquand ils s'en vont, les autres poussent un soupir ethaussent les épaules. J'aimerais bien voir un de nosdirigeants « progressistes » mener une révolutionsous embargo à 180 kilomètres de son principalennemi qui se trouve être la plus grande puissancemondiale.Bien sûr, la révolution n'est pas parfaite. Voilà legenre de clichés qu'il faut débiter pour faireamende honorable. Mais les imperfections de larévolution cubaine ne me concernent pas. C'est auxCubains de les régler. Ce qui m'intéresse enrevanche, c'est l'esprit de la révolution, les

    principes qui la guident, la qualité des hommes etdes femmes qui la conduisent. Leurs erreurs sontles leurs. Ce n'est pas à moi de les juger. D'autant plus que je n'ai jamais entendu un Cubain faire le procès de nos erreurs. Alors que ces gens-là onttout fait pour aider l'humanité, je me demande

    souvent comment nous avons pu ne pas reconnaîtrecela et nous laisser enfumer par les médias. Quandavons-nous perdu notre capacité à reconnaître etsoutenir les gens de bien ? Autrement dit, quandsommes-nous devenus des salauds ? C'est la grandequestion qui me taraude.

    Les réformes économiques et le rapprochementpourraient-ils menacer les acquis de larévolution ?

    Ces acquis sont menacés depuis le premier jour dela révolution. Mais là, on se demande si lesCubains sont en train de se tirer une balle dans le pied. Je ne pense pas. Fidel Castro a déclaré queseuls les Cubains pourraient tuer la révolution.Avec le rapprochement, la gymnaste a la possibilitéde voir sa poutre s'élargir. C'est un ballond'oxygène économique qui s'annonce. Il renforcerales acquis de la révolution plutôt que de lesmenacer.

    Évidemment, certaines personnes se demandent siCuba ne va pas perdre son âme. Comme s'il y avaitun aspect folklorique derrière le blocus, un petitcôté charmant, pour ceux qui ne le vivent pas auquotidien. C'est un raisonnement débile. Imaginonsdeux médecins qui devaient se partager un mêmestéthoscope. Seront-ils de moins bons médecins sidemain, on leur offre un stéthoscope chacun ? Si onleur en donne les moyens, les Cubains feront deleur île un paradis sur terre. Arrêtons de projeternos défauts sur eux.

    Les Etats-Unis envisagent-ils de lever le blocus ?Ce n'est en tout cas pas au programme desdiscussions sur le rétablissement des relationsdiplomatiques. Quand je pense que les Etats-Unisont placé Cuba dans leur liste des pays terroristes...C'est tout de même hallucinant car si l'on compareles données par rapport au nombre d'habitants,Cuba est le pays qui a le plus subi la violenceterroriste. L'île compte près de 3000 attentats pourune population de 12 millions d'habitants. Si onramène ces chiffres à l'échelle de la France, ça nousferait 20.000 attentats. Imaginez quelle serait notre

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    situation. Nous avons un Etat d'urgence prolongéaprès deux attentats. A quoi ressemblerait la Franceaprès 20.000 attaques terroristes? Cela me fait doncsourire lorsqu'on parle de société surveillée à Cubaet qu'on sort d'autres allégations du genretotalement décontextualisées. Et la quasi-totalité de

    ces attaques ont été organisées et menées à partirdu territoire des Etats-Unis où leurs auteurstrouvent refuge et ont même pignon sur rue. Pourrépondre plus pragmatiquement à la question :"oui", si les Etats-Unis estiment que la levéefavorise leurs objectifs qui n'ont pas changé, "non",dans le cas contraire. Cela dit, eu égard à laquantité de lois et réglementations relatifs au blocus contre Cuba, une telle décision prendrait dutemps, et beaucoup d'avocats, car il y a une quantitéinvraisemblable de textes de lois qu'il faudrait

    modifier. Il ne sera donc pas levé, comme ça, un beau matin (malgré d'éventuels effets d'annonce quine seront que la partie visible de l'iceberg). Lescénario le plus vraisemblable me paraît être unelevée très progressive et lente de certaines mesures,"pour voir" si les résultats sont "positifs" - aux yeuxdes Etats-Unis. C'est un très long bras de fer quis'engage et, pour l'instant, c'est Cuba qui domine.Mais la classe dirigeante des Etats-Unis n'oublie jamais, ni ne pardonne, les camouflets qu'on luiinflige. Et en 50 ans, Cuba leur en a filé une sacréequantité. Le danger d'un durcissement sera donctoujours présent.

    Après les appels de pied d'Obama, FrançoisHollande a lui aussi marqué un certain intérêtpour Cuba. Le président français s'est rendu envisite officielle à La Havane avant de recevoirRaul Castro à l'Elysée. La France pourrait-elle jouer un rôle de premier plan dans lerapprochement entre l'Occident et Cuba ?La France avait de grandes opportunités enAmérique latine. À travers la Guyane, elle partagesa plus grande frontière avec le Brésil. Les Latinosavaient un certain respect pour la France. Maisdepuis Sarkozy, et peut-être même avant, noussommes devenus le toutou des Etats-Unis,acceptant de nous faire fouetter contre nos propresintérêts, notamment avec la loi Hems-Burton. Pire,les Etats-Unis s'accordent eux-mêmes desexceptions pour le blocus qu'ils ne concèdent pas àla France. François Hollande n'a donc aucun rôle à

    jouer. Il courtise Cuba parce que Barack Obama luia donné son feu vert.

    On sent tout de même qu'à travers Cuba, legouvernement français tente de regagner unecertaine sympathie en Amérique latine.Pourquoi cette petite île constitue-t-elle uneporte d'entrée sur le continent ?Si l'on écarte la frange d'extrême-droite, Cuba agagné le respect de toute la classe politiqued'Amérique latine, toutes tendances confondues.D'abord parce qu'historiquement, alors quel'hémisphère sud a terriblement souffert del'impérialisme, Cuba est le pays qui a résisté.Ensuite, les dirigeants cubains n'ont jamais trichéavec les autres pays d'Amérique latine. Ils onttoujours affiché leur volonté de trouver des pointsd'appui pour faire avancer cette grande cause qu'estl'unité de l'Amérique latine. Enfin, Cuba a toujoursfait preuve d'une solidarité sans faille. Passeulement avec ceux qui pensaient comme eux niuniquement avec les opprimés d'Amérique latine.De partout dans le monde, des réfugiés fuyant lescoups d'Etat, la répression politique des dictaturesmilitaires ou même la guerre ont afflué vers Cubaqui est devenue un refuge pour de nombreuxmilitants.

    Savez-vous combien de réfugiés politiquescompte Cuba ?À force de côtoyer des Latinos, ici ou ailleurs, jeme suis rendu compte qu'il y avait toujours, de prèsou de loin, un lien avec Cuba. Soit ils avaient vécusur l'île, soit ils y avaient été soignés, soit leursenfants y avaient été scolarisés… Bref, je me suislongtemps posé la question de savoir combien deréfugiés Cuba avait pu accueillir. En 2005, j'assistais à un Congrès à La Havane. Lors d'une pause, je me glissai dans un groupe de personnalités assez importantes comprenant

    notamment des membres du gouvernement. Je finis par poser cette question qui me brûlait les lèvres :combien de réfugiés avez-vous accueillis depuis larévolution ? Je les ai vu froncer les sourcils,s'interroger du regard, réfléchir à voix basse avantde m'entendre dire qu'ils ne savaient pas. J'insistaisun peu, je tentais de les aider en ne demandant pasun chiffre précis et suggérais le nombre de 10.000."Ah non, bien plus", m'ont-ils répondu. 50.000 ?"Non, plus", ont-ils répété. 100.000 ? "Hum, probablement plus", ont-ils encore lâché. Quand je

    proposais le nombre de 200.000, ils mettaient fin ànotre petit jeu en concluant avec une certainelégèreté : "Oui, peut-être."

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    Nous savons que des villages entiers ont étéconstruits pour accueillir des Chiliens et desSalvadoriens. Des combattants de l'Organisation deLibération de Palestine ont même été soignés àCuba. Mais personne ne semble savoir combien deréfugiés ont été accueillis. Sans doute un

    fonctionnaire détient-il la réponse quelque part surun carton au fond d'un bureau. Mais dans lescercles de pouvoir, parmi la population civile ouchez les intellectuels, personne n'en a la moindreidée. On peut mettre ça sur le compte del'inefficacité administrative. On peut aussi y voir ungeste magnifique, une solidarité gratuite. EnFrance, n'importe quel pékin accoudé à uncomptoir devrait pouvoir nous dire combien il y ad'immigrés ou de réfugiés. À Cuba, alors que ce pays a souffert énormément, ils ont continué à

    offrir leur aide partout dans le monde sans mêmefaire de comptes. Quelle belle leçon d'humanisme !

    Cette révolution va donc survivre ?J'espère et je pense que oui. Bien-sûr, elle risque de« décevoir » ceux qui aimeraient qu'elle soit figéedans la temps, immuable, comme un trophée posésur une cheminée. Toutes les sociétés évoluent, et afortiori une société aussi vivante et consciente quela société cubaine. Mais quelle que soit sonévolution, le peuple cubain, lui, a déjà gagné sa place au panthéon de l'Histoire et mériterait lareconnaissance de l'humanité.

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