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SÉANCE DU f) FÉVRIER 1941 1-17 la soutenir » — ou peut-être en raison des objections que pouvaient faire, dès lors, certains théologiens. Ne s'agirait-il pas de la plus ancienne des hosties alïectées à cet usage ? Quant au dépôt lait en 1802, s'i' n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance publique, cela a été dû sans doute aux circonstances. Le gouvernement consu- laire, au lendemain du Concordat, prescrivait de faire le silence sur tous les incidents de la période révolutionnaire qui auraient pu réveiller la mésintelli- gence entre les deux clergés, constitutionnel et réfractaire. — Par la suite, la mort prématurée de deux des curés qui se succédèrent à Saint-Michel, en 1865- 1866, explique aisément l'oubli où demeura jusqu'en 1939 le dépôt fait par le chanoine Leprince. * * * LE LEGS GAYET ET LA COLLECTION D'ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DU MUSÉE DE DIJON (par M. Pierre Quarré, associé) Albert Gayet, membre de la Société d'archéologie du Caire, né à Dijon.en 1856, s'est surtout fait connaître par les fouilles qu'il a dirigées à Antinoé, en Moyenne Egypte. Cette ville, située au bord du Nil, fut fondée en l'an 140 de notre ère par l'empereur Hadrien pour perpétuer le souvenir de son favori Antinous qui s'était sacrifié pour son maître afin de conjurer le sort que l'oracle lui avait prédit. Les fouilles entreprises en 1896 sous le patronage du Musée Guimet furent poursuivies jusqu'en 1911 avec l'appui du ministère de l'Instruc- tion publique et de la Société des fouilles archéologiques et avec des subven- tions privées. Des nécropoles fouillées dans le sable du désert et la roche de la montagne, Albert Gayet a retiré quantité de momies, d'objets funéraires et de tissus qui furent exposés avant la guerre de 1914 au musée Guimet et au musée d'Ennery. Dans son testament en date du 5 juin 1916, M 110 Gayet, héritière de son frère, mort le mois précédent, stipulait que ses collections qui n'avaient pas encore pris rang dans les musées de l'État devraient constituer un musée gréco-oriental dans la rotonde du Grand Palais, comme Albert Gayet en avait obtenu la pro- messe en juin 1914. Si le musée n'était pas installé dans les locaux convenus un an après son décès, la collection devait revenir à la ville de Dijon. M 110 Gayet étant morte le 12 août 1924, le ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts n'attendit même pas l'échéance qu'elle avait fixée : considé- rant l'impossibilité de disposer des locaux prévus dans les délais impartis par la donatrice, il renonçait au bénéfice du legs de M. llc Gayet par décret du 28 octobre 1924. La ville de Dijon devenait normalement légataire aux lieu et place de l'État. Mais on s'aperçut que les objets légués, contenus dans cinquante- six caisses qui avaient été déposées au Louvre et confiées aux Musées Tiatio- naux à titre provisoire et sans garantie, avaient été déjà répartis entre les Facul- tés des Lettres de Paris et de Nancy, le département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre et divers établissements scientifiques, en vertu du décret du 26 février 1921. Ce décret, qui avait été pris conformément aux résolutions d'une commission administrative présidée le 20 janvier 1920 par le directeur de l'Enseignement supérieur, était manifestement entaché d'excès de pouvoir. Sous prétexte qu'elle n'avait pas les moyens financiers de réaliser le groupe- ment des collections d'Albert Gayet, que réclamait le comte de Vibrayc pour la mémoire de son ancien collaborateur, la ville de Dijon ne chercha pas à reven- diquer les objets légués, malgré qu'elle eût été en droit de le faire. Sur l'avis du conservateur du Musée, le conseil municipal accepta, le 16 juillet 1925, la proposition du conservateur des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, approuvée par le directeur général des Beaux-Arts. Suivant l'accord intervenu alors, la ville de Dijon cédait en toute propriété au musée du Louvre non seu-

LE LEGS GAYET ET LA COLLECTION D'ANTIQUITÉS ... CACO/1832-2001...Séance du 5 mars 1941 PRÉSIDENCE DE M. LE CHANOINE M. CHAUME, président Le président lait part du décès de M

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Page 1: LE LEGS GAYET ET LA COLLECTION D'ANTIQUITÉS ... CACO/1832-2001...Séance du 5 mars 1941 PRÉSIDENCE DE M. LE CHANOINE M. CHAUME, président Le président lait part du décès de M

SÉANCE DU f) FÉVRIER 1941 1-17

la soutenir » — ou peut-être en raison des objections que pouvaient faire, dèslors, certains théologiens. Ne s'agirait-il pas de la plus ancienne des hostiesalïectées à cet usage ?

Quant au dépôt lait en 1802, s'i' n'a pas fait l'objet d'une reconnaissancepublique, cela a été dû sans doute aux circonstances. Le gouvernement consu-laire, au lendemain du Concordat, prescrivait de faire le silence sur tous lesincidents de la période révolutionnaire qui auraient pu réveiller la mésintelli-gence entre les deux clergés, constitutionnel et réfractaire. — Par la suite, lamort prématurée de deux des curés qui se succédèrent à Saint-Michel, en 1865-1866, explique aisément l'oubli où demeura jusqu'en 1939 le dépôt fait par lechanoine Leprince.

** *

LE LEGS GAYETET LA COLLECTION D'ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES

DU MUSÉE DE DIJON

(par M. Pierre Quarré, associé)

Albert Gayet, membre de la Société d'archéologie du Caire, né à Dijon.en1856, s'est surtout fait connaître par les fouilles qu'il a dirigées à Antinoé, enMoyenne Egypte. Cette ville, située au bord du Nil, fut fondée en l'an 140 denotre ère par l'empereur Hadrien pour perpétuer le souvenir de son favoriAntinous qui s'était sacrifié pour son maître afin de conjurer le sort que l'oraclelui avait prédit. Les fouilles entreprises en 1896 sous le patronage du MuséeGuimet furent poursuivies jusqu'en 1911 avec l'appui du ministère de l'Instruc-tion publique et de la Société des fouilles archéologiques et avec des subven-tions privées. Des nécropoles fouillées dans le sable du désert et la roche de lamontagne, Albert Gayet a retiré quantité de momies, d'objets funéraires et detissus qui furent exposés avant la guerre de 1914 au musée Guimet et au muséed'Ennery.

Dans son testament en date du 5 juin 1916, M110 Gayet, héritière de son frère,mort le mois précédent, stipulait que ses collections qui n'avaient pas encorepris rang dans les musées de l'État devraient constituer un musée gréco-orientaldans la rotonde du Grand Palais, comme Albert Gayet en avait obtenu la pro-messe en juin 1914. Si le musée n'était pas installé dans les locaux convenusun an après son décès, la collection devait revenir à la ville de Dijon.

M110 Gayet étant morte le 12 août 1924, le ministre de l'Éducation nationaleet des Beaux-Arts n'attendit même pas l'échéance qu'elle avait fixée : considé-rant l'impossibilité de disposer des locaux prévus dans les délais impartis parla donatrice, il renonçait au bénéfice du legs de M.llc Gayet par décret du 28octobre 1924. La ville de Dijon devenait normalement légataire aux lieu etplace de l'État. Mais on s'aperçut que les objets légués, contenus dans cinquante-six caisses qui avaient été déposées au Louvre et confiées aux Musées Tiatio-naux à titre provisoire et sans garantie, avaient été déjà répartis entre les Facul-tés des Lettres de Paris et de Nancy, le département des Antiquités égyptiennesdu musée du Louvre et divers établissements scientifiques, en vertu du décretdu 26 février 1921. Ce décret, qui avait été pris conformément aux résolutionsd'une commission administrative présidée le 20 janvier 1920 par le directeurde l'Enseignement supérieur, était manifestement entaché d'excès de pouvoir.

Sous prétexte qu'elle n'avait pas les moyens financiers de réaliser le groupe-ment des collections d'Albert Gayet, que réclamait le comte de Vibrayc pourla mémoire de son ancien collaborateur, la ville de Dijon ne chercha pas à reven-diquer les objets légués, malgré qu'elle eût été en droit de le faire. Sur l'avisdu conservateur du Musée, le conseil municipal accepta, le 16 juillet 1925, laproposition du conservateur des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre,approuvée par le directeur général des Beaux-Arts. Suivant l'accord intervenualors, la ville de Dijon cédait en toute propriété au musée du Louvre non seu-

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148 SÉANCE DU 5 FÉVRIER 1941

lement les objets contenu dans les cinquante-six caisses dont il avait déjàdisposé, mais encore ceux que renfermaient huit autre caisses entreposées chezM. de la Rancheraye. En contre-partie, le conservateur des Antiquités égyp-tiennes du Louvre s'engageait à fournir les éléments d'une salle égyptienne oùentreraient des objets de la collection Gayet et des pièces prélevées sur les réser-ves du Louvre, qui seraient attribués au musée de Dijon à titre de dépôt.

Voilà l'histoire du legs Gayet. Elle semble montrer un grand désintéressementde la part de la ville de Dijon. Nous nous abstiendrons cependant d'en juger,ne sachant pas ce que contenaient les soixante-quatre caisses qui furent détour-nées de leur destination. Sans doute les objets envoyés en échange, s'ils sontmoins nombreux, offrent-ils une plus grande variété et permettent-ils d'avoirune vue plus étendue sur l'art égyptien.

La statuaire est représentée par une statue royale du Nouvel Empire thébainen granit rosé de Syène, qui mesurait environ deux mètres avant d'être mutiléeà la partie inférieure : les bras le long du corps, les poings fermés, la jambegauche en avant, le roi au visage impassible a cette attitude frontale, sévère etrigide, telle qu'elle s'était fixée depuis la IVe dynastie. Le sarcophage, rectan-gulaire, en bois à couvercle plat qui a été envoyé par le Louvre provient de lanécropole d'Assiout en Haute-Egypte * ; il date de la Xe dynastie hérakléo-politaine, soit des environs de l'an 2200 avant l'ère chrétienne. Ses faces peintesà l'ocre jaune sont recouvertes d'inscriptions hiéroglyphiques disposées enbandes horizontales et verticales ; sur le côté gauche sont peints les deux yeuxvers lesquels le visage du mort était tourné comme vers le signe magique parexcellence pour la conservation du double. Sur deux sarcophages anthropoïdesà visage d'homme et à visage de femme de l'époque présaïte sont figurées lapesée de l'âme et la présentation du défunt à Osiris.

Parmi les objets à destination funéraire, nous citerons des masques en car-tonnage stuqué, peint et doré, les quatre vases « canopes » qui contenaient lecerveau, le cœur, le foie et les intestins avec leur couvercle à tête d'homme,de cynocéphale, de chacal et de faucon reproduisant les traits des quatre filsd'Horus protecteurs des entrailles, des stèles en calcaire gravé et en bois peint,des statuettes de personnages agenouillés, des figurines en bois stuqué, en pierreou en bronze d'Osiris tenant le fouet et le sceptre en forme de crochet, d'Isistenant le nœud magique, d'Horus à tête de faucon, de Ptah, de Thot à tête d'ibis,d'Anubis à tête de chacal, des déesses Hathor à tête de vache, Sokhmit à têtede lionne, Touéris à corps d'hippopotame. De très nombreuses statuettesmomiformes tenant le hoyau, la bêche et le sac de grains : ce sont des « oushab-tis » ou répondants, qui accompagnaient la momie et devaient répondre commedes serviteurs magiques à toute demande du défunt, leur principale missionétant d'exécuter à la place du mort les travaux agricoles dans les champs ély-sées égyptiens. Des amulettes, avec trous pour être enfilées sur collier ou atta-chées aux bandelettes, représentent scarabée, œil « oudja », cœur, angle, tri-angle, double plume, boucle de ceinture, couronne, colonnette, piliers, etc.Ces amulettes en pierre ou en terre cuite émaillée de même que les statuetteset figurines ne sont pas antérieures pour la plupart à l'époque saïte, soit auvne siècle avant J.-C.

A ces objets sont venus s'ajouter des œuvres d'époque romaine, provenantdes fouilles d'Albert Gayet à Antinoé. Elles se rapprochent bien davantage del'art grec que de l'ancien art égyptien : Alexandrie fut, en efl'et, depuis l'époqueptolémaïque un des foyers les plus actifs de propagation de l'art hellénique ;la tradition de cet art gréco-égyptien persistera jusqu'au vie siècle. Les figu-rines en terre cuite qui font partie de la collection sont le produit d'une fabrica-tion en série, assez vulgaire ; cependant le goût alexandrin pour les sujets gracieuxou la laideur bouffonne se retrouve en une jolie figure de danseuse comme encertain type grotesque de nain. Isis est transformée en Aphrodite et Horus

1. Cf. E. CHASSINAT et Ch. PALONQUE, Une campagne de fouilles dans lanécropole d'Assioul (Mém. de l'Institut fr. d'archéol. orient, du Caire, t. XXIV,Le Caire, 1911, p. 6,

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enfant en un charmant bébé qui met son doigt à la bouche. Un grand nombre depoteries, de lanternes et de lampes à huile, dont l'une porte la croix gammée,accompagnent ces figurines de terre ou d'albâtre.

La coutume de perpétuer le visage du défunt s'est conservée jusqu'au m"siècle. Des masques en plâtre peint étaient engagés sur les momies ; souventaussi la place de lu tête était marquée par des planchettes sur lesquelles étaitpeint à l'encaustique le visage du mort. Les dix planchettes qu'avait conservéesA. Gayet à son domicile et qui sont entrées directement au musée de Dijonportent encore les traces du bitume dont étaient enduits les cadavres momifiés ;les visages ont le même type conventionnel, d'une laideur empâtée ; toutefoisune figure de jeune homme aux traits plus fins, aux grands yeux noirs regardantsur le côté, donne bien l'impression d'un portrait véritable.

De la collection Gayet nous vient encore une importante série de tissus coptesayant appartenu à des tuniques de lin ou à des châles dont on revêtit les mortsà partir du milieu du m c siècle, lorsqu'on eut cessé de les momifier. Bandes,empiècements semi-circulaires, carrés et ronds sont décorés de motifs extrême-ment variés qui ont conservé une étonnante fraîcheur de couleur. Les plusanciens morceaux sont inspirés de l'art hellénistique avec leurs figures diony-siaques, leurs rinceaux de feuilles de vigne de couleur pourpre, leurs fleursaux tons dégradés. Le style proprement copte se remarque dans les scènesnilotiques — enfants nageant et tenant des canards — les formes trapues etle dessin sommaire des personnages, le décor de fleurs et de fruits stylisés.L'influence de la Perse sassanide se manifeste au vie siècle par la présence decertains motifs symétriques, les combinaisons du décor en losanges, les semisde pois et l'emploi de couleurs vives.

Une salle d'antiquités égyptiennes est en cours d'installation au musée deDijon. Les objets provenant du legs Gayet et de l'envoi du Louvre ainsi queceux que comprenaient les collections Trimolet et d'Armandy seront exposésdans une sorte de réduit situé sous l'escalier d'honneur. Cette petite salle cou-verte de dalles de pierre, qui ofl're l'aspect d'un caveau, nous a semblé devoirse prêter heureusement à la présentation des efligies et des objets funérairesde l'art égyptien 1.

Séance du 5 mars 1941

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANOINE M. CHAUME, président

Le président lait part du décès de M. Henry Corot, membre nonrésidant, à Savoisy, le 2 mars dernier.

Doyen de la Commission, puisqu'il participait à ses travaux depuis1883, M. Corot a été l'un de ses membres les plus actifs, ce qui, d'ail-leurs, ne l'a pas empêché de fournir son concours, toujours fort apprécié,à nombre d'autres organismes : la Société archéologique du Châtil-lonnais, la Société des sciences historiques et naturelles de Semur,la Société des sciences de l'Yonne, la Société d'archéologie et debiographie de Montbard, sans parler de la Société préhistoriquefrançaise et du Comité des travaux historiques et scientifiques.Au total, son bagage scientifique se traduit par près de 200 mémoires,communications ou notes, dont une centaine pour la Compagnie,et 39 campagnes de fouilles.

1. La salle égyptienne a été inaugurée le 22 mars 1941 par M. Jacques Van-dier, conservateur-adjoint des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre.