20
This article was downloaded by: [the Bodleian Libraries of the University of Oxford] On: 16 October 2014, At: 07:39 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Loisir et Société / Society and Leisure Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/rles20 Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés Frédéric Reichhart a a Universite Marc-Bloch Published online: 11 Jul 2013. To cite this article: Frédéric Reichhart (2006) Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés, Loisir et Société / Society and Leisure, 29:2, 505-522, DOI: 10.1080/07053436.2006.10707729 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.2006.10707729 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan,

Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

This article was downloaded by: [the Bodleian Libraries of the University ofOxford]On: 16 October 2014, At: 07:39Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK

Loisir et Société / Society andLeisurePublication details, including instructions forauthors and subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/rles20

Le loisir, reflet de la personnehandicapée et indicateur deson degré de socialisation :Enquête par entretiens auprèsde travailleurs handicapésFrédéric Reichharta

a Universite Marc-BlochPublished online: 11 Jul 2013.

To cite this article: Frédéric Reichhart (2006) Le loisir, reflet de la personnehandicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiensauprès de travailleurs handicapés, Loisir et Société / Society and Leisure, 29:2,505-522, DOI: 10.1080/07053436.2006.10707729

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.2006.10707729

PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE

Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all theinformation (the “Content”) contained in the publications on our platform.However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make norepresentations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness,or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and viewsexpressed in this publication are the opinions and views of the authors, andare not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of theContent should not be relied upon and should be independently verified withprimary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for anylosses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages,and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly orindirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of theContent.

This article may be used for research, teaching, and private study purposes.Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan,

Page 2: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone isexpressly forbidden. Terms & Conditions of access and use can be found athttp://www.tandfonline.com/page/terms-and-conditions

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 3: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

le lOISIr, reflet de la perSOnne handIcapée et IndIcateur

de SOn degré de SOcIalISatIOn : enquête par entretIenS auprèS de

travaIlleurS handIcapéS

Frédéric ReichhaRT

Université Marc-Bloch

Introduction

Le loisir pose le problème de sa définition ou plutôt de ses définitions. Polysémique, il décrit une réalité difficile à conceptualiser, malgré sa quoti-dienneté et son importance. Afin d’éviter ce piège redoutable de la concep-tualisation, nous situons le loisir comme un « prisme » à travers lequel nous pouvons observer la société ainsi que les individus. Nous appliquons cette démarche en nous référant au propos de Gilles Pronovost. En effet, ce dernier considère le loisir comme une « construction sociale fluctuante et mobile selon les circonstances, les lieux, les évènements et les acteurs sociaux, d’un champ historique en perpétuel mouvement. Le champ du loisir constitue aussi une porte ouverte à l’étude du changement social, par l’étude du loisir, une certaine lecture de la société est proposée ou donnée à voir, notamment dans son institutionnalisation, sur les changements de structure et de valeur » (Pronovost, 1993, p. 52). Ainsi en articulant loisir et lien social, notre étude vise à déterminer les caractéristiques du rapport à l’autre des personnes handicapées. Dans un premier temps, nous allons présenter l’évolution du loisir, les transformations qu’il implique et notamment ses conséquences sur l’élaboration de la socialisation des sujets (Yonnet, 1999). Ensuite, nous allons présenter le protocole méthodologique sous-jacent à la réalisation de notre étude. Enfin, nous allons vous faire part de nos résultats. Spécifiques à des résidants d’un foyer d’hébergement pour travailleur handicapé (FHTH), ils mettent en évidence une pluralité des pratiques de loisirs, impliquant une socialisation certes diverse, mais fortement limitée et restreinte.

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 4: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

506 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

Le loisir… nouveau pilier du lien social ?

Après avoir revendiqué le « droit au travail », la société revendique à présent le « droit au loisir »1 (Wachsmann, 1995). En effet, au cours du dernier siècle, le loisir émerge de nombreux conflits tant politiques que sociaux (Cacérès, 1981). L’image d’Épinal des congés payés de 1936 en demeure l’illustration la plus populaire2. En réalité, cet épisode aussi historique que mythique constitue une naissance symbolique. Il faudra du temps pour que l’utilisation des congés payés et la démocratisation des vacances entrent dans les menta-lités et surtout dans les pratiques quotidiennes et culturelles des Français. Les ouvriers restent réticents à s’occuper dans ce temps embarrassant hors du travail (Richez et Strauss, 1990). Cependant, d’autres textes législatifs plus discrets apportent bien avant cette « date surmédiatisée » leur pierre à l’édifice du loisir3. C’est bien parce l’ouvrier n’est plus défini uniquement par son corps que la loi lui reconnaît dorénavant des besoins matériels et culturels. La baisse de la durée du temps de travail modifie et structure les activités de la semaine. La transformation du monde professionnel contri-bue à l’émergence des prémices du loisir contemporain. Le loisir ne peut se développer tant que la longueur de la journée reste accablante ; il a fallu qu’un temps se dégage des activités de production, un temps suffisamment important pour ne pas être pris par un temps contraint (Sue, 1980).

En somme, c’est avec la diminution du temps du travail qu’un temps libre a pu apparaître pour progressivement s’organiser puis se diversifier. D’abord légitimé par la nécessité de repos pour garantir le niveau de produc-tion4, le temps libre a vu cette fonction disparaître et évoluer avec les chan-gements de représentations et de mentalités de la société. Ce qui deviendra « le loisir » prend forme lentement. Une utilisation politique et sociale de ce temps, en réponse à la débauche et au désordre social5 fera place à une véritable demande sociale6 (Corbin, 1995).

Progressivement, le loisir va structurer quantitativement mais aussi qualitativement la vie des personnes et leurs relations sociales. Après la Seconde Guerre mondiale, il incarne des valeurs nouvelles et innovantes. Dumazedier le décrit comme un « élément central de la culture vécue par des millions de travailleurs » (Persine, 2000, p. 46). Le loisir façonne les hommes, structure leurs identités, leurs pratiques et leurs représentations ; il participe à la norme. « Celui qui ne sait pas profiter de son temps libre est un homme incomplet, retardataire, un peu aliéné » (Dumazedier, 1967). Le loisir, passant de l’oisiveté à une valeur sociale reconnue, structurante et déterminante pour l’ontogenèse de chaque individu, révèle que l’Homme n’est plus considéré uniquement dans son rapport à son activité profession-nelle. Le travail ne demeure plus la seule source d’accomplissement et de réalisation de soi, celle-ci se reporte sur le loisir (Friedman, 1963). L’Homme

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 5: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

507Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation…

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

devient « un être de loisir » avec des passions, des désirs, des choix : sportif, bricoleur, manuel, artiste, amateur de vidéo, de photo… la possibilité de la constitution d’une nouvelle identité s’offre à lui. Les « différentes manières de prendre son temps libre » se diversifient « en fonction des temps et des périodes » (Rauch, 2002). L’essor des loisirs correspond à « une nouvelle forme de l’aménagement du temps », à l’ouverture d’un nouvel espace tem-porel avec des disponibilités en soirée, en fin de semaine et durant l’année (Rauch, 2003). Ainsi, l’évolution du rapport au temps et de ses usages façonne à son tour le loisir.

Selon Dumazedier, le loisir se construit dans une palette d’activités nouvelles, organisées autour de ce qu’il nomme la trilogie des 3D, c’est-à-dire du « délassement, du développement personnel et du divertissement » (Dumazedier, 1962). Sa définition du loisir se pose comme « un ensemble d’occupations auxquelles l’individu peut s’adonner de plein gré, soit pour se reposer, soit pour se divertir, soit pour développer sa formation […] après s’être dégagé de ses obligations » (Dumazedier, 1967). Rappelons que Dumazedier s’inspire à « la fois d’une démarche anthropologique et d’une perspective d’intérêt et de planification en matière de culture » (Pronovost, 1993, p. 31-55). En tous les cas, le « loisir à la française » reste fortement marqué par l’idéologie culturelle posée par Dumazedier et ne peut se défaire de la culture et de l’éducation.

Ce n’est que dans les années 1980, que d’autres valeurs pénètrent timi-dement le champ du loisir. En effet, aux fonctions psychosociologiques attri-buées au loisir s’ajoutent des fonctions sociales (Sue, 1981). Le loisir « créé le lien social, favorise la rencontre, facilite les rapports sociaux, construit un environnement social et relationnel ». Sue expose le loisir comme un espace de liberté et d’expression personnelle propre à chaque personne. Mais c’est à Yonnet que revient le mérite de renouveler le discours concernant le loisir. En articulant le loisir avec la (dé)-socialisation de l’individu, il attribue au loisir « une fonction de réassurance et de représentation de l’unité sociale » (Yonnet, 1999, p. 286) : le loisir demeure une tentative « de riposter à la dé liaison des individus […] Il réassure le lien social, il produit de la cohésion sociale, il réinvente des communautés d’appartenance dans la communauté des pratiques… Le loisir est le lieu du lien où l’Homme ne cesse de recons-truire l’infrastructure du tissu social » (Yonnet, 1999, p. 8). Yonnet ajoute qu’ « être désocialisé, c’est ne plus avoir de loisir, être sorti de la structure normalisée de la temporalité sociale » (Yonnet, 1999, p. 34). « L’intégration et le degré de normalité passent par la possibilité de traverser alternative-ment des temps d’obligations et de contraintes. » Yonnet apporte au loisir sa fonction de reconstitution du lien social : « Le lien social, les significations collectives, l’être ensemble, la sociabilité, […] la cohésion sociale » ne par-viennent plus à se construire à partir du travail, de la famille, de la religion,

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 6: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

508 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

de l’entreprise, de l’action politique ou syndicale mais se forment dans le loisir (Yonnet, 1999). Ainsi, Yonnet décrit le loisir comme le nouveau moteur et réceptacle des liens sociaux et du rapport à autrui. Mais de quelle manière le loisir est-il appréhendé et représenté par les personnes handicapées ?

Afin de traiter cette question, nous ne pouvons pas faire l’économie de la référence au cadre législatif français. Celui-ci se décline sous une trilogie débutant en 1975. Effectivement, la loi du 30 juin 1975, dite d’orientation en faveur des personnes handicapées, institue le « secteur médico-social » et affirme le loisir comme un droit. Transversale, elle légifère l’ensemble des mesures relatives à la vie quotidienne, scolaire, administrative, sanitaire, sociale et professionnelle des personnes handicapées. Surtout, elle recon-naît le loisir comme un droit, clairement énoncé dans son premier article : « La personne handicapée doit pouvoir accéder aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens et notamment la liberté de choix du mode de vie, l’accès aux soins, à l’éducation, à la formation et l’orientation professionnelle, à l’emploi, au logement, la garantie d’un minimum de ressources adapté, l’intégration sociale, l’accès au sport, aux loisirs, à la culture, la possibilité de circuler librement. » L’article L.114-1 du CASF (Code de l’action sociale et des familles) précise à son tour l’importance du loisir, en tant qu’obliga-tion : « […] L’accès du mineur ou de l’adulte handicapé physique, sensoriel ou mental aux droits reconnus à tous les citoyens notamment […] aux sports, aux loisirs au tourisme et à culture constituent une obligation nationale ». Ce cadre législatif trouve son prolongement presque trois décennies plus tard, lorsqu’il est modifié par la loi no 2002-2 du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale. Cette loi consolide l’institutionnalisation du handicap en définissant les principes fondamentaux de l’action sociale et médico-sociale, mais elle rappelle aussi les droits des usagers en affirmant la primauté du projet individuel dans l’accompagnement éducatif. (Bauduret et Jaeger, 2002). Enfin, la loi du 11 février 2005 marque le troisième acte de ce canevas législatif. Introduisant plusieurs nouveautés, elle affirme une logique de non- discrimination marquée par un accès aux structures du milieu ordinaire, par une « dé- stigmatisation » de l’usager et l’affirmation haute et forte de son statut de citoyen à part entière. En somme, ce texte ne cherche pas à replacer l’usager au centre de l’accompagnement comme le préconisait la loi 2002, mais plutôt à lui permettre d’accéder au milieu ordinaire et de s’inscrire au sein de la société en tant que citoyen.

Notre étude tente de comprendre quelles sont les relations sociales qui prennent forme autour des activités de loisir pratiquées par les personnes handicapées orientées en structure d’hébergement. L’hypothèse de travail élaborée place les pratiques de loisir de ces dernières au cœur de l’élabora-tion du lien social.

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 7: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

509Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation…

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

Une méthodologie « adaptée »

L’étude réalisée porte sur 15 personnes présentant des déficiences mentales légères ou /et étant sujets à la maladie mentale. Cet échantillon demeure très « institutionnel ». En effet, il se compose de personnes bénéficiant à la fois d’une orientation professionnelle (Reve, 1995) mais aussi d’hébergement de la COTOREP7. De ce fait, nous allons utiliser l’appellation « usager8 » (Bourquin, 2000) ou encore « résidant »9. Exerçant leur activité profes-sionnelle à l’établissement ou service d’aide par le travail (ESAT)10 d’Ers-tein (Blanc, 1999), l’ensemble des personnes interrogées sont domiciliées à l’hébergement René-Cassin dans cette même localité bas-rhinoise de 9 800 habitants, située à 20 km au sud de Strasbourg.

L’ESAT d’Erstein, ouvert en 1994, se constitue comme une structure mixte, astreinte à une mission double, à la fois économique et sociale. Effectivement, tout en étant une entreprise, il n’en demeure pas moins une structure médico-sociale. Des activités de soutien tels que des pratiques sportives et, plus généralement, un accompagnement aux loisirs et à la culture complètent les activités productives. L’ESAT regroupe plus de 80 travailleurs et est en relation avec plus de 20 entreprises locales. Son projet d’établisse-ment s’oriente vers l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Quant à la structure d’hébergement, son ouverture date d’octobre 2000. Elle se compose d’un bâtiment, comprenant six appartements, répartis sur deux étages avec une capacité d’accueil de 15 résidants. Chaque appartement est occupé par deux ou trois locataires qui partagent des pièces communes : un salon, une cuisine, une salle de bain et des sanitaires. La chambre à coucher reste individuelle, préservant une dimension privée et personnelle. L’ensemble des résidants de la structure d’hébergement a accepté de répon-dre à nos questions. L’échantillon se compose de 5 hommes et 10 femmes, âgés de 20 à 53 ans.

Outre ces caractéristiques très institutionnelles que nous venons d’ex-poser, des caractéristiques plus cliniques sont à souligner, renvoyant à des comportements et des attitudes spécifiques. Les personnes interrogées présentent des troubles dans les prises de décisions et d’initiatives. Leur âge mental varie entre 8 et 13 ans selon les individus, ce qui explique une immaturité et des traits infantiles se retrouvant dans leurs pratiques et représentations. La capacité verbale, l’écriture, le niveau culturel diffèrent mais demeurent dans l’ensemble relativement faibles. Certains résidants ont été scolarisés en milieu ordinaire, d’autres en milieu spécialisé dans des instituts médico-éducatif (IME) et des instituts médico-professionnel (IMPRO). La plupart maîtrisent les bases de l’écriture et de la lecture, mais les entretiennent peu.

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 8: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

510 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

Pour aborder cette recherche, la démarche préconisée s’inspire de la méthodologie de G. Bachelard. En effet, ce dernier décompose la structura-tion d’un travail de recherche en trois temps : « Le fait est conquis, construit, constaté » (Bachelard, 1995). Le constat de l’objet résulte de la pertinence du choix de l’outil de collecte des données, à savoir l’entretien. Celui-ci nous apparaît comme l’outil le plus adapté, car il demeure une technique de collecte de données fondée sur la communication verbale et de nom-breux résidants n’ayant pas accès à l’écriture et à la lecture, toute collecte par questionnaire s’envisage difficilement. De ce fait, la prédominance de la parole et du langage verbal, moyen d’expression fréquent et naturel de la population étudiée légitime le choix de l’entretien. Ainsi, le choix de l’en-tretien individuel répond à l’utilisation indispensable d’un outil privilégiant le moyen de communication de la population étudiée.

C’est la raison pour laquelle, les données recueillies qui soutiennent notre analyse et notre constat de l’objet proviennent de 15 entretiens issus de l’ensemble des résidants de la structure d’hébergement. Effectués dans les appartements des personnes interrogées, les entretiens sont planifiés selon la disponibilité des résidants, toujours en dehors des heures de travail, plutôt en soirée ou alors le week-end. La durée de l’entretien varie, restant relativement courte. Elle s’adapte au degré de concentration de la personne, n’excédant jamais quarante minutes. La direction de l’établissement a donné son aval et autorisation pour les entretiens. Afin de préserver l’anonymat de chaque personne interviewée, les noms et prénoms ont été volontairement changés. Cependant, les spécificités des personnes interrogées imposent certaines précautions ; pour réduire les biais, les questions posées doivent être exprimées sous une forme qui se rapproche autant que possible du langage habituel du sujet (Grawitz, 1986). Indispensablement, il nous faut tenir compte du système de référence des personnes. Pour favoriser la com-préhension, nous avons posé des questions très concrètes, aussi proches que possible de la vie quotidienne et du vécu des personnes interrogées. Ensuite, le degré de symbolisation et d’abstraction étant très faible, les questions les plus pragmatiques et personnelles sont celles qui prennent le plus de sens. Il faut également ajouter que les résidants sont très influençables et approuvent facilement tout point de vue, acquiesçant volontiers pour faire plaisir à l’interlocuteur ou alors par habitude. Pour cela, des entretiens non directifs permettent aux personnes de s’exprimer librement, à leurs façons, avec leurs mots et sans être influencées. Par conséquent, les questions posées n’indui-sent pas de réponses. Pour compléter cette structuration de l’entretien, nous avons posé des questions thématisées, dynamisées à l’aide de relance pour réorienter le discours vers le thème proposé. Cela a pour but de pallier les digressions fréquentes et rapides qui alimentent une partie importante du discours des résidants. Enfin, selon la situation, des questions moins ouvertes (semi-directives) peuvent rassurer les résidants perdus et angoissés par des

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 9: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

511Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation…

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

questions trop « vastes ». Nous avons tenu compte des recommandations de D. Robert qui dans une étude récente portant sur la domiciliation de personnes déficientes intellectuelles soutient que « l’entretien semi-directif peut être très bien adapté aux personnes usagères de service en déficiences intellectuelles » (Robert, Morin et Dorvil, 2002). Mais, en même temps, nous avons porté attention aux travaux de B. Kroese, démontrant l’efficacité des questions ouvertes et non directives pour récolter des données auprès de personnes handicapées mentales11 (Kroese, Gillot et Atkinson, 1998).

Enregistrés puis retranscrits de manière intégrale, les entretiens sont traités et analysés : leur analyse, complétée par une note de synthèse, reprend leur déroulement, nos impressions ainsi que les attitudes observées. Les parties des entretiens retranscrits dans ce travail sont volontairement dactylo-graphiées en italique et placées entre guillemets, pour éviter toute confusion entre le discours des usagers et nos interprétations.

Le discours récolté nous apporte des éléments de réponse concer-nant la constitution du rapport à l’autre des résidants de l’hébergement René-Cassin dans le « temps des loisirs ». À l’aide des données obtenues lors de nos entretiens, nous proposons une distinction entre deux types de loisirs. Marqués par des caractéristiques et des enjeux différents, un « loisir libre » et un « loisir encadré » renvoient chacun à des représentations et des pratiques spécifiques

Le loisir libre : « Entre un temps pour soi et un temps avec les autres. »

Dans cette première partie, nous allons décrire les conséquences induites par le « loisir libre ». Par ce terme, nous définissons la mise en place personnelle et individuelle d’activités par chaque résidant. Ces activités demeurent indé-pendantes de l’organisation et de l’encadrement éducatif. De ce fait, le loisir libre désigne l’ensemble des contenus ne dépendant pas du « programme institutionnel »12 (Dubet, 2002). Fidèle reflet de la gestion et de l’organisa-tion du temps de chacun ainsi que de ses usages, il prend forme autour de deux modalités, décrites par les résidants. La première rassemble le repos, la détente et le divertissement. La seconde s’oriente plus vers la socialisa-tion, principalement vers le cercle amical et la cellule familiale. Finalement, au-delà de ces deux modalités, le résidant marque une distinction entre un « temps pour soi » et un « temps avec les autres ».

Un loisir qui fait du bien

Comme nous venons de l’affirmer, certains résidants mettent en place des activités répondant à un besoin de repos, de détente et de relaxation. En effet,

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 10: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

512 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

ils apprécient parfois d’être seuls, pour se détendre, se reposer et construire leur intimité. À l’image de Sylvie qui déclare « j’aime bien être tranquille », le cas de Pierrette apparaît sensiblement identique. À 40 ans, elle a déjà vécu en appartement mais ayant peu d’autonomie dans la vie quotidienne, elle a opté pour une orientation en foyer d’hébergement. Sa principale demande reste la tranquillité ainsi que la préservation de sa vie privée. Cela explique le fait qu’elle s’insurge contre Dominique, une autre résidante « qui veut savoir pourquoi j’étais pas là ». Elle redoute que « […] après tout le CAT, tout le monde est au courant »13. La demande de discrétion et de vie privée se dévoile dans le temps libre. La revendication de moment pour rester seul, au calme pour se reposer et se détendre, permet de décompresser, de goûter à la tranquillité et d’expérimenter l’intimité et la solitude. Sylvie traduit cela en déclarant que « cela fait du bien d’être seule ».

Édouard ajoute au loisir une fonction de divertissement. Il « regarde un peu la télévision », particulièrement les émissions de Fort Boyard qu’il a enregistré sur des cassettes vidéo à l’aide de son magnétoscope. Il aime également écouter de la musique pour se détendre et nous explique : « […] Le soir, je me couche sur mon lit et j’écoute un peu la musique. » Élodie fait de même. Elle associe l’écoute de la musique à une détente : « J’écoute de la musique, cela me détend. » Quant à Roger, âgé de 52 ans, en quelque sorte le doyen de la structure, il apprécie le calme de son appartement et profite de son temps libre pour lire : « La lecture, c’est mon loisir, je suis passionné de spirituel, je lis beaucoup tout ce qui est de la religion. » Nous constatons que le loisir libre émerge par de petites activités, presque anodines, apportant détente et divertissement. Celles-ci montrent l’importance accordée par le résidant à la constitution et la préservation d’un « temps pour soi ».

Un loisir qui fait du lien

Mais la détente et le divertissement que procurent les pratiques de loisir libre ne sont pas incompatibles avec une fonction « sociale ». Ainsi, les liens avec la famille prennent une place considérable pour certains résidants 14. La famille se constitue comme un des lieux naturels des échanges relationnels et affectifs (Sue, 1981). Claude rend visite à ses parents sans préciser de contenu ou d’activités particulières : « des fois, je vois mes parents ». À l’occasion du week-end, Étienne « fait une visite à sa mère ». En sa compagnie, il « va se balader » ou « sort en forêt ». Les rencontres restent médiatisées par de mul-tiples activités telles que la balade, le bricolage et la manutention. Édouard, par exemple, passe une grande partie du week-end à bricoler avec son père. Cependant, ces loisirs « familiaux » se distinguent principalement par leur

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 11: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

513Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation…

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

temporalité. Ils ne s’inscrivent pas en soirée mais exclusivement en fin de semaine : le week-end constitue la principale occasion pour le résidant de retrouver ou de voir ses proches.

Toutefois, le loisir libre ne se restreint pas uniquement à un lien social avec la famille : il témoigne également de la densité du lien amical. Dans le loisir libre, nous pouvons percevoir la manière dont chacun entretient ses liens amicaux. En rassemblant des personnes qui s’apprécient, il introduit un espace de rencontre et d’échange très authentique15. Ainsi, Katia invite ses amis chez elle. Autour d’un café, elle les accueille pour discuter avec eux, visionner une cassette vidéo ou écouter de la musique : « on boit un café, on regarde des vidéos, ou des fois on parle, on met de la musique ». Sylvie apprécie beaucoup Gisèle avec qui elle discute et se « promène dans la rue ». Gisèle entretient avec ses amis des relations privilégiées : elle « prend du temps avec eux, raconte ce qu’elle vit ». Étienne se rend parfois le week-end chez une amie avec qui il promène ses chiens. La semaine, il rend visite à sa copine pour une « soirée télé ». Michel préfère inviter son copain Jean-Marc à boire un café, Claude invite ses amis chez lui ou se fait inviter chez eux. Parfois, il leur propose une sortie au cinéma. Ces différents exemples montrent que le loisir libre se matérialise dans une variété de rencontres et d’échanges transférentiels, dans la sphère familiale mais aussi entre amis, traduisant la densité et la diversité du lien social du résidant. En revanche, ces relations amicales se cantonnent à des connaissances issues de l’ESAT ou du foyer d’hébergement. Nous utilisons le terme de cristallisation du lien social pour indiquer que les relations sociales des usagers restent contenues et limitées à la sphère du secteur spécialisé. Nous rejoignons les propos de Murphy qui décrit le cercle amical des personnes handicapées comme structurellement différent de celui des valides et (re)constitué avec princi-palement des pairs : « les invalides se lient avec d’autres invalides » (Murphy, 1989, p. 176). Calvez confirme cela en expliquant que les relations sociales des personnes handicapées se restreignent au secteur spécialisé et qu’elles ne peuvent s’en détacher. Figées entre l’institution et le monde ordinaire, elles demeurent condamnées à « rencontrer des personnes de même condition » (Calvez, 1990).

Le loisir libre, reflet du sujet

Le contenu du loisir libre se caractérise par sa discrétion. Timide et intime, le loisir libre se matérialise autour d’activités peu visibles et autour d’échanges, de rencontres et de discussions. Il se constitue comme un baromètre, reflétant un niveau d’autonomie, un degré de compétence, mais également d’auto-détermination. En ce sens, le loisir libre peut exprimer un certain nombre de capacités du résidant. Concrètement, il indique la mobilisation du résidant

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 12: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

514 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

en termes d’organisation, d’anticipation et de communication. La possibilité de choisir, de se positionner, d’expérimenter de nouveaux centres d’intérêts découle du loisir libre. Témoin de la gestion temporelle et de l’investissement social des usagers, le loisir libre prend la forme d’un véritable indicateur des capacités de chaque résidant et surtout de son degré de socialisation. En impliquant des choix personnels, des prises de décisions, il renvoie à « l’expression d’un comportement choisi » (Bellefleur, 2001). En somme, le loisir libre illustre non seulement le potentiel des usagers mais également la diversité et la densité du lien social. Il traduit le degré d’ouverture aux autres et au monde, il indique une pauvreté ou une richesse sociale. Tandis que certains résidants demeurent cloîtrés entre les murs de l’établissement, d’autres tentent de tisser une toile sociale en dehors de l’institution. À l’exemple d’Étienne qui montre avec une certaine fierté un intérêt pour le grand écran et déclare « je vais voir des films au cinéma d’Erstein »16.

Le loisir encadré ou la difficile « décristallisation » du lien social

Parallèlement au loisir libre, un autre loisir se dessine au sein de l’héber-gement René-Cassin, un loisir institutionnalisé que nous avons nommé loisir encadré, fruit de l’organisation du personnel éducatif de la structure. Essentiellement « éducatif », le loisir encadré prend la forme de pratiques diverses, comme l’activité aquatique, l’escalade, la poterie, le tennis de table, la sortie au stade pour assister à un match de football… À l’inverse du loisir libre, les pratiques de loisir encadré s’inscrivent sous le paradigme de l’accompagnement éducatif et du projet individuel. Elles restent marquées par une dimension institutionnelle qui se retrouve dans une prise en charge éducative et collective d’un groupe de résidants. De ce fait, elles induisent une socialisation cristallisée entre les « usagers ». Même pratiquées hors institution, au sein du milieu ordinaire, elles ne parviennent pas à décris-talliser ce lien social.

Un encadrement collectif…

Le loisir encadré possède cette double caractéristique de se dérouler essen-tiellement en groupe ainsi que de bénéficier de l’encadrement d’un éducateur. Claude souligne cette présence, expliquant qu’il se rend à la piscine muni-cipale d’Erstein « avec un des éducateurs de l’hébergement ». Tout comme Élodie qui s’y rend également « avec un éducateur pour apprendre à nager ». Quant à Étienne, il pratique l’escalade un mardi sur deux « avec un éduca-teur ». Pierrette ajoute qu’elle se rend à la piscine « avec un moniteur » mais surtout « en groupe ». Ces multiples exemples confirment que le loisir encadré se caractérise non seulement par un encadrement spécifique mais aussi par la constitution d’un « groupe institutionnel ». En effet, ce sont des usagers

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 13: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

515Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation…

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

de l’institution qui compose ce groupe. Pierrette nous le décrit, car elle le connaît bien et les personnes qui en font partie lui sont familières : « il y en a une, c’est ma colocataire et les autres, c’est mes collègues de travail ». Les propos de Michel vont dans le même sens. Il confirme qu’il va à la piscine « accompagné d’un éducateur, en groupe avec Martine, Denise, Claude… », groupe de personnes composé de « ceux de l’hébergement ». Lorsque Claude pratique l’escalade, il grimpe « un mardi sur deux […] dans une salle » avec « des collègues » : cependant, il situe ses compagnons de cordée par rapport à la sphère professionnelle. Tout comme Édouard, qui resitue les personnes, avec qui il se rend à la piscine, comme des travailleurs de l’ESAT. Celui-ci insiste sur le fait qu’il ne va « pas seul » à la piscine, mais accompagné par « des collègues et un moniteur ». Ainsi, nous remarquons que le loisir enca-dré s’organise avec un groupe « institutionnalisé », composé uniquement d’usagers, c’est-à-dire de travailleurs handicapés de l’ESAT et de résidants du foyer d’hébergement.

Par conséquent, le loisir encadré contribue à la constitution d’un lien social interne, « intra personne handicapée ». Le rapport à l’autre entretenu par le loisir encadré reste marqué par des liens institutionnels, limités à des usagers. Même si la distinction entre « les collègues de travail » et de « ceux de l’hébergement » s’opère, le lien social issu du loisir encadré se cantonne à la sphère restreinte du secteur médico-social. Dominique Robert confirme ce point dans son étude sur l’habitation et les relations sociales de déficients mentales. Elle démontre que « la majorité des participants ont un réseau de proximité limité aux proches et aux services reliés à la déficience intellec-tuelle » (Robert, Morin et Dorvil, 2002). Néanmoins, certains loisirs enca-drés présentent une organisation et une visée préconisant l’établissement de liens sociaux au sein d’un groupe élargi qui n’est plus uniquement composé de résidants. Cette ouverture et élargissement relationnel tentent de briser ce lien institutionnel en stimulant un lien avec d’autres personnes que des usagers. C’est le cas de l’activité escalade.

L’activité escalade : une tentative « d’ouverture » relationnelle par-delà les murs institutionnels

À raison de deux ou trois séances mensuelles, un groupe composé de trois usagers se rend en soirée dans un gymnase strasbourgeois loué par une association sportive, le CAF (Club alpin français). Encadré par un éduca-teur de la structure d’hébergement, Katia, Claude et Étienne, y pratiquent l’escalade.

D’un point de vue spatial, cette activité offre une possibilité d’échange nouveau. Se déroulant hors institution, elle se constitue en tant qu’espace de rencontre avec des « non- usagers ». Effectivement, Kathia nous explique

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 14: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

516 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

qu’ « il y a d’autres personnes encore […] » avec qui elle ne « parle pas trop » parce qu’elle ne « les connaît pas […] beaucoup ». Elle souligne qu’elle par-tage l’espace de la pratique sportive avec « d’autres personne s » qui ne « la dérangent pas ». D’ailleurs, Kathia explique qu’« il y en a un qui lui dit où poser le pied […] et qui « nous conseille ». Nous comprenons par ces propos que le lien social se tisse avec réserve autour d’échanges de « pratiquants », de conseils de grimpeurs. De son côté, Claude a compris que les personnes présentes dans la salle d’escalade sont des « abonnés du CAF ». Il semble apprécier cette présence et malgré qu’il ne « les connaît pas trop », il lui arrive quelquefois de les aborder : « des fois, on discute […]. Je fais un peu de conversation ». Ainsi, un lien s’élabore entre les usagers et les grimpeurs. Par conséquent, celui-ci ne demeure plus strictement institutionnel, c’est-à-dire « inter-collègues » ou « inter-travailleurs ». Il se développe par l’inter-médiaire de la pratique sportive, par des conseils et de petites discussions, entre pratiquants sportifs.

La pratique de l’escalade dans son organisation spatiale se transforme en support permettant aux résidants d’élargir leur horizon relationnel et de s’ouvrir à autrui. Cependant, il ne faut pas surestimer la portée socialisante de cette activité. Si elle dépasse les murs institutionnels, elle se déroule au sein d’une autre sphère institutionnalisée, celle de la pratique sportive. Les relations sociales entre pratiquants ne sont ni constantes, ni soutenues, mais simplement déterminées par la logique d’activité de l’escalade et tendent à s’effriter rapidement (Reichhart, 2005).

Le loisir, témoin du degré d’autonomie de l’usager

Cette étude concernant le loisir d’usagers déficients intellectuels orientés en foyer d’hébergement met en exergue deux logiques distinctes. Une première logique s’organise en un loisir libre, résultant d’initiatives exclusivement individuelles. Tandis qu’un second processus uniquement institutionna-lisé, que nous avons nommé loisir encadré, répond à la mise en place et à l’encadrement « d’activités de loisir » relatifs à l’accompagnement éducatif proposé par un établissement médico-social. À partir de ces constats, nous pouvons percevoir et comprendre le réseau relationnel de la personne en situations de handicap.

En effet, cette dernière, tout en revendiquant légitimement un « temps pour soi », alimenté par le repos, la détente, la lecture ou l’écoute de la musique, préserve également un « temps avec l’autre ». Cependant, ce rap-port à l’autre reste marqué par un investissement social limité. Excepté avec la famille, les échanges sociaux se cantonnent aux usagers du secteur spécialisé, le réseau relationnel se limite et se confond avec le cercle institu-tionnel. Comme nous l’avons souligné, le lien social des résidants du foyer d’hébergement se cristallise au sein de secteur médico-social.

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 15: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

517Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation…

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

La mise en place d’activités institutionnelles par le biais du loisir encadré peut viser à élargir le lien social au-delà des murs institutionnels et à briser cette cristallisation. Mais, malheureusement, le loisir encadré, en tout cas l’activité escalade, reste tout aussi impuissant qu’insuffisant pour accomplir cette tâche. Sa portée socialisante apparaît faible. Les échanges hors institution, éphémères et friables, s’effritent rapidement. Le loisir encadré ne parvient pas à « décristalliser » ce lien interne et à le prolonger au-delà des murs institutionnels, dans le « milieu ordinaire ».

Ainsi, notre travail ouvre deux perspectives. Tout d’abord, il insiste sur l’utilisation, par les équipes éducatives, du loisir des usagers en tant que « baromètre » et indicateur. Le loisir contribue à dévoiler une mobilisation de compétences, traduisant un degré de socialisation mais aussi un niveau d’autonomie et d’autodétermination. Enfin, le loisir révèle des difficultés, surtout les difficultés relationnelles des usagers. Par le terme de cristalli-sation du lien social, nous mettons en avant la difficulté pour le résidant à établir des relations sociales avec un entourage autre que celui lié à la déficience.

Mais comment expliquer cette cristallisation ? Une étude sociologique prenant en compte le concept d’habitus de Pierre Bourdieu permettrait d’approfondir nos propos : l’identification des capitaux culturels, sociaux, économiques et symboliques des usagers constituerait une axiomatique intéressante pour analyser les points d’ancrage de la socialisation, apportant peut-être des réponses à cette question.

nOteS

1. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée et proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 affirme dans l’ar-ticle 24 : « Toute personne a droit au repos et aux loisirs [… ] ».

2. Le Front populaire reste fortement associé aux congés payés et surtout à la semaine des 40 heures : et pour cause, ce sont 12 jours permettant au travailleur d’investir d’autres espaces et activités sans qu’il perde son salaire qui résulte de l’action de ce mouvement. La loi du 12 juin 1936 appelée la semaine des deux dimanche apporte « les conditions matérielles et morales pour ouvrir aux travailleurs l’accès aux loisirs et à la culture » (Cacérès, 1981, p. 21).

3. La journée de travail est réduite à 10 heures par la loi du 30 mars 1900. Le repos hebdomadaire est institué par la loi du 13 juillet 1906. Le 23 avril 1919, la journée passe à 8 heures.

4. Selon la théorie marxiste de la force de travail, le rapport entre le temps productif du travail et le temps de non-travail repose sur la nécessité pour le travailleur de se reposer. L’opposition entre ces deux temps demeure marquée par une contrainte, celle de la production, et une nécessité qui en découle, celle du repos.

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 16: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

518 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

La révolution industrielle inscrit l’homme dans un rapport aliénant avec le travail. Le travailleur est assujetti à sa force de travail, aux lois de la productivité. Le temps des machines enferme l’homme dans une production croissante et une activité physique qui occupe et détermine la partie la plus importante de son temps. Le temps restant, le temps hors de la production est un temps réparateur. Yonnet (p. 13) en s’inspirant des analyses marxistes déclare que les pratiques du temps libre sont « réparatrices de la force du travail » et qu’elles sont placées sous le signe de « l’aliénation ». Quant à Friedman, sa réflexion sur les conditions de travail définit le loisir en tant que compensation.

5. Corbin explique la mise en place d’un nouveau rapport entre le temps du travail et le temps de non travail. Avec l’assouplissement de la réglementation du travail, un espace et un temps nouveau et, plus précisément, un temps vide émerge et reste à combler, à organiser… Ce temps vide embarrasse les ouvriers et les travailleurs, ne sachant pas comment l’investir, ni comment l’occuper. La nouveauté inédite d’être face à un volume temporel à combler amène son lot d’embarras. Progressi-vement, ce temps se remplit, se structure. Après la journée de travail, le désordre, la débauche, l’anarchie, les orgies, les débordements s’y installent. La diminution du temps de travail entraîne l’augmentation de la fréquentation des bars et débits de boissons. Le travail ne retient plus de fréquenter couramment le cabaret. De plus, la diffusion de la lecture par l’école fait de chaque Français un lecteur potentiel contribuant à la démocratisation des romans feuilletons et des lectures malsaines. L’opposition entre des distractions anarchiques et des distractions rationnelles se profile. Les loisirs des prolétaires sont abrutissants et avilissants et engendrent l’anarchie. Pour contrer cette situation, par crainte de l’oisiveté des ouvriers, pour garantir la paix sociale, préserver l’ordre, les élites cherchent à occuper ce temps. La solution préconisée se trouve dans l’organisation des loisirs. C’est dans ce sens, qu’après la Première Guerre mondiale, le Bureau international du travail (BIT) se propose d’organiser les loisirs des travailleurs.

6. Après la Seconde Guerre mondiale, le loisir parvient à se détacher de cette concep-tion morale qui le scindait en bon et mauvais loisir. Il n’est plus assimilé à un outil de gestion, un garde-fou de la tranquillité et de l’ordre et quitte la sphère politique et sociale pour pénétrer dans la sphère privée et individuelle. Le loisir n’est plus terni par des représentations qui valorisaient toute activité et dévalorisait toute passivité. Ce changement induit des nouveaux usages et pratiques du temps libre et des loisirs, qui prennent forme autour de la revendication d’ « un temps pour soi ». Comme le souligne Corbin, l’espace et le temps opposé au travail se voit à présent régit par la réalisation de soi, par « l’élaboration d’un temps de re-création, non plus de la force de travail mais de soi ». Le loisir se forge autour d’autres valeurs : le repos, le silence, la solitude, la tranquillité, l’évasion, l’aventure deviennent les nouvelles valeurs que stimulent ce face-à-face avec soi-même, cette recherche de construction de soi. Corbin illustre ce passage avec des activités telles que la pêche à la ligne, le jardinage (comme espace à soi) et le bricolage. La semaine se partage entre le temps destiné au patron et un temps pour soi.

7. La difficulté de définir le handicap et de proposer une définition à la fois non stig-matisante mais assez complète pour tenir compte de toute la réalité du handicap motive le législateur à octroyer cette lourde responsabilité à une commission. La COTOREP, Commission Technique d’Orientation et de Reclassement Profes-sionnel, demeure compétente pour les personnes de plus de 20 ans tandis que la CDES (Commission départementale d ‘éducation spécialisé) traite les dossiers des moins de 20 ans. Elle endosse la responsabilité de reconnaître le handicap et de donner un statut à la personne. Elle se compose de deux sections. La

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 17: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

519Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation…

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

première reconnaît la qualité de travailleur handicapé et propose un classement hiérarchisé en catégorie. La catégorie A définit un handicap léger et provisoire, la catégorie B un handicap modéré et durable, la catégorie C un handicap grave et définitif. La COTOREP oriente le travailleur vers le marché professionnel. Cette orientation prend la forme d’une proposition lorsqu’elle concerne un emploi du milieu ordinaire et une décision lorsqu’elle s’adresse pour le milieu protégé vers un établissement spécialisé. La seconde section apprécie le taux d’invalidité et attribue les différentes allocations (Allocation Adulte Handicapé, Carte d’invalidité). Depuis la loi du 11 février 2005, la Commission des droits et de l’autonomie remplace la COTOREP.

8. Le terme d’usager fait référence à une personne prise en charge dans un établis-sement médico-social.

9. Le terme de résidant fait référence à l’usager orienté vers la structure d’héber-gement de notre étude.

10. Les établissements ou services d’aide par le travail (ESAT) remplacent les anciens CAT. Blanc explique que « les CAT ont été conçus pour des inadaptés mentaux qui parvenus à l’âge adulte, peuvent espérer avoir une activité professionnelle à l’intérieur d’un cadre assurant une protection sociale » (Blanc, 1995, p. 127). Les ESAT ne sont pas des entreprises, mais des institutions médico-sociales qui dépendent du Code de la famille et de l’aide sociale et non du Code du travail. Ils offrent aux adultes handicapés « des possibilités d’activités diverses à caractère professionnel, un soutien médico-social et éducatif et un milieu de vie favori-sant leur épanouissement personnel et leur intégration sociale ». Les finances proviennent des produits des ventes et des prestations, ainsi que d’une dotation globale de financement (qui remplace le prix de journée depuis la circulaire du 25 août 1986). La mission des CAT est définie dans la circulaire 60 AS du 8-12-78 ; celle-ci distingue deux finalités, qui renvoient à la fois à l’insertion professionnelle et sociale, en mettant en avant un travail de « soutien » qui complète l’activité professionnelle. Cette mission demeure inchangée pour les ESAT.

11. Les auteurs affirment à ce propos : « open-ended questions are more conducive to valid and reliable consumer reports than forced-choice question ».

12. Le programme institutionnel découle d’une manière particulière d’accomplir le travail sur autrui. Il se résume à un « processus social qui transforme des valeurs et des principes en action et en subjectivité par le biais d’un travail professionnel spécifique et organisé ». Il existe un programme institutionnel quand cette activité professionnelle a pour but de produire un individu socialisé et un sujet autonome (p. 24). Le programme institutionnel reste marqué par son extraterritorialité (p. 29) et prend place dans des espaces incarnant une règle universelle, protégés des désordres du monde (églises, hôpital, école…) comme par exemple des établissements sanitaires et sociaux.

13. Les entretiens ayant eu lieu avant la loi du 11 février 2005, les usagers utilisent le terme de CAT pour désigner l’ESAT.

14. Sue attribue à la famille le rôle d’une valeur refuge qui protège des agressions du monde extérieur. Le développement de la socialisation impose de dépasser le cercle familial et d’aller au-delà.

15. Sue décrit un loisir social, marqué par la prédominance de l’activité relationnelle, qui se cumule avec une activité secondaire comme aller boire un café ou encore aller au restaurant. L’activité se constitue comme un support à la relation, une médiation du rapport à l’autre.

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 18: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

520 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

16. Selon Sue, assister à un spectacle, aller au cinéma, aller au concert ou au théâtre est considéré dans les représentations comme le loisir culturel par excellence. Il correspond à une pratique valorisée socialement. Supposant la motivation à se déplacer vers l’extérieur, il exige une information suffisante sur le spectacle pour pouvoir le choisir. Le spectacle culturel s’oppose à une activité intérieure et à une passivité : c’est une démarche active (p. 91).

bIblIOgraphIe

Bachelard, G. (1995). La formation de l’esprit scientifique. Paris : Presses universi-taires de France.

Bauduret, J.-F., et Jaeger, M. (2002). Rénover l’action sociale et médico-sociale, Histoires d’une refondation. Paris : Dunod.

Bellefleur, M. (2001). Le loisir contemporain. Québec : Presses de l’université du Québec.

Blanc, A. (1999). Les handicapés au travail, analyse sociologique d’un dispositif d’in-sertion professionnelle. Paris : Dunod.

Bourquin, G. (2000). Le travail social et la dimension d’usage. Dans C. Humbert, Les usagers de l’action sociale, Sujets, clients ou bénéficiaires ? (p. 46-54). Paris : L’Harmattan.

Caceres, B. (1981). Allons au devant de la vie. La naissance du temps des loisirs en 1936. Paris : Petite Collection Maspéro.

Calvez, M. (1990). Les handicapés mentaux et l’intégration au milieu ordinaire : une analyse culturelle. Handicaps et inadaptations. Les cahiers du CTNERHI, 51/52.

Corbin, A. (1994). L’avènement des loisirs 1850-1960. Paris : Éditions Aubier.Dubet, F. (2002). Le déclin de l’institution. Paris : Le Seuil. Dumazedier, J. (1962). Vers une civilisation du loisir. Paris : Le Seuil.Dumazedier, J. (1967). Loisir et culture de la société française actuelle, Propos sur

le loisir. Recherches et débats, 58. Dumazedier, J. (1998). Révolution culturelle du temps libre. Paris : Méridiens

Kliencksieck.Friedman, G. (1963). Où va le travail humain ? Paris : Gallimard. Collection Idées. Grawitz, M. (1986). Méthodes des sciences sociales. Paris : Dalloz.Kroese, B., Gillot, A., et Atkinson, V. (1998). Consumers with Intellectual Disabilities

as Service Evaluators. Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities, 11(2), 116-128.

Lanfant, M.-F. (1972). Les théories du loisir. Paris : Presses universitaires de France.

Murphy, R. (1990). Vivre à corps perdu. Paris : Plon. Collection Terres humaines. Persine, A. (2000). Contribution à la sociologie de l’enfant. Dans Anne-Marie Green

(sous la direction de), Les métamorphoses du travail et la nouvelle société du temps libre, (p. 127-160). Paris : L’Harmattan.

Pronovost, G. (1993). Loisir et société, Traité de sociologie empirique. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 19: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

521Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation…

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

Pronovost, G. (1993) Temps libre et modernité, Comprendre la société : un bilan critique de la sociologie du loisir. Paris : L’Harmattan. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Rauch, A. (2002). Les usages du temps libre. Dans J.-P. Rioux et J.-P. Sirinelli (sous la direction de), La culture de masse en France de la Belle Époque à aujourd’hui. Paris : Fayard.

Rauch, A. (2003). Rythme et temps collectifs, Les loisirs, un temps libéré ? Projet, 273, 43-51.

Reve, J.-M. (1995). Guide Néret pour les handicapés. Paris : Éditions Lamarre.Reichhart, F. (2005). L’élaboration du lien social des personnes en situations de

handicap à travers la pratique de l’escalade. Acte du colloque « Le sport au pluriel ». Strasbourg, France : Université Marc-Bloch, 303-323.

Richez, J.-C., et Strauss, L. (1990). Généalogie des vacances ouvrières. Le mouvement social, 150, 3-18.

Robert, D., Morin, P., et Dorvil, H. (2002). Habitation, identité et relation sociales. L’expérience résidentielle d’usagers de services en déficience intellectuelle. Handicap, Revue de sciences humaines sociales, 96, 1-19.

Sue, R. (1981). Le loisir. Paris : Presses universitaire de France. Wachsmann, P. (1995). Les droits de l’homme. Paris : Dalloz.Yonnet, P. (1999). Travail et loisirs, temps libre et lien social. Paris : Gallimard. Collec-

tion Bibliothèque des sciences humaines.

Frédéric ReichhaRT

Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

réSumé

Le loisir, « phénomène totalisateur, qui pénètre et transforme tous les secteurs de la vie quotidienne », traverse l’ensemble de la société, concernant tous les individus qui la compose (Lanfant, 1972). De ce fait, les personnes handi-capées prennent part à ce mouvement. Cet article résultant d’une étude réalisée en 2002, au sein d’un établissement médico-social français auprès de 15 personnes handicapées, traite de l’élaboration du lien social dans les pratiques de loisir. Il affirme le loisir, en tant que révélateur de capacités et de compétences, dévoilant non seulement un rapport à soi, mais également un rapport à l’autre. Cependant, ce rapport à l’autre se caractérise par une cristallisation des échanges sociaux au sein du secteur médico-social, cristal-lisation que le loisir ne parvient pas à briser et à dépasser.

Dow

nloa

ded

by [

the

Bod

leia

n L

ibra

ries

of

the

Uni

vers

ity o

f O

xfor

d] a

t 07:

39 1

6 O

ctob

er 2

014

Page 20: Le loisir, reflet de la personne handicapée et indicateur de son degré de socialisation : Enquête par entretiens auprès de travailleurs handicapés

522 Frédéric ReichhaRT

© 2007 – Presses de l’Université du QuébecÉdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : Loisir et société / Society and Leisure, vol. 29, no 2, Chantal Royer (dir.). Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés.

Frédéric ReichhaRT

Leisure, a reflection of the handicapped and an indicator of their level of socialization : An interview survey of handicapped workers

abStract

Leisure is a « summative phenomenon that penetrates and changes every sector of daily life », that infiltrates society as a whole, and that concerns all its individual members. » (Lanfant, 1972). This means that the physically challenged also are involved. The present article, based on a study of 15 physically challenged patients carried out in 2002 in a French medico-social institution, deals with the development of the social link through leisure practices. It argues that leisure reveals abilities and skills, affirming both one’s relationship with oneself and with others. However, characteristically, the social exchanges that should affirm interpersonal relationships are ossified by the medico-social environment in which they take place, an ossification that the leisure practice does not manage to overcome or circumnavigate.

Frédéric ReichhaRT

El ocio, reflejo de la persona minusválida e indicador de su grado de socialización : Encuesta realizada por medio de entrevistas con trabajadores minusválidos

réSumén

El ocio, « fenómeno totalizador, que penetra y transforma todos los sectores de la vida cotidiana », traspasa el conjunto de la sociedad, que concierne a todos los individuos que la componen (Lanfant, 1972). Partiendo de este hecho, las personas minusválidas participan en este movimiento. Este artículo resultado de un estudio realizado en el año 2002, en el seno de un establecimiento médico-social francés con 15 persones minusválidas, trata de la elaboración del vínculo social en las prácticas de ocio. El artículo confirma el ocio, en tanto que revelador de capacidades y de aptitudes, mostrando no sólo una relación consigo mismo, sino que igualmente una relación con los otros. Sin embargo, estas relaciones interpersonales se caracterizan por una cristalización de los intercambios sociales en el seno del sector medico-social, cristalización que las actividades de ocio no llegan a romper ni a sobrepasar.D

ownl

oade

d by

[th

e B

odle

ian

Lib

rari

es o

f th

e U

nive

rsity

of

Oxf

ord]

at 0

7:39

16

Oct

ober

201

4