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ElizabethHoytNée en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant, à travers l'Europe. Diplôméed'anthropologie à l'université du Wisconsin, elle embrasse quelques années plus tard lacarrièred'écrivain.Traduiteenplusieurslangues,elleestl'auteurdesériesàsuccès,dontlapluscélèbreestLestroisprinces,trèsremarquéepardesmilliersdelectricesdanslemonde.SouslepseudonymeJuliaHarper,elleécritégalementdesromancescontemporaines.
DumêmeauteurauxÉditionsJ'ailu
LESTROISPRINCES1-Puritaineetcatin
№8761
2-Liaisoninconvenante№8889
3-Ledernierduel№8986
LALÉGENDEDESQLATRESOLDATS
1-Lesvertigesdelapassion№9162
2-Séduireunséducteur№9229
3-Lereclus№9309
4-Lerevenant№9360
LESFANTÔMESDEMAIDENLANE
1-Troublesintentions№9735
2-Troublesplaisirs№9899
3-Désirsenfouis№10001
4-L'hommedel'ombre№10165
ElizabethHOYT
LESFANTÔMESDEMAIDENLANE-5Lelorddesténèbres
Traduitdel'anglais(Etats-Unis)parDanielGarcia
AVENTURES&PASSIONS
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TitreoriginalLORDOFDARKNESS
ÉditeuroriginalGrandCentralPublishing.HachetteBookGroup,Inc.,NewYork
©Nancy M.Finney ,2013
Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ'ailu,2013
Amafilleaînée,Emma.Jesuissifièredetoi.
1
Avez-vousdéjàentenduparlerdel'Hellequin?Lalégendedel'Hellequin
Londres,Angleterre,mars1740Godric Saint-John n'avait pas revu sa femme depuis leurmariage, deux ans plus tôt, et
voilàqu'ellepointaitunpistoletdanssadirection.LadyMargarets'étaitretranchéederrièresavoiture,arrêtéedanslesruesmalfaméesduquartierSaint-Giles.Desbouclesdecheveuxnoirs,soyeuxetbrillants,s'échappaientdelacapuchedesonmanteau.Elles'étaitredressée,brandissaitsonpistoletàdeuxmainsetunelueurmeurtrièrebrillaitdanssesyeux.Godricneputs'empêcherdel'admirer.Jusqu'àcequeladyMargaretappuiesurladétente.«Boum!»La détonation fut assourdissante, mais heureusement sans conséquence : de toute
évidence, ladyMargaretne comptait pas le tir aunombrede ses talents.Godricne fut pasrassurépourautant,carsafemmesortitimmédiatementunautrepistoletdelavoiture.Mêmelespirestireursfinissentparavoirdelachance.Godricn'eutpas le tempsdeméditerdavantage l'ingratitudede sonépouse,qui semblait
résolueàletuer,alorsqu'ilétaitoccupéàlasauverdesgriffesd'unepoignéedetire-laine.Lesgredinsavaientforcélavoitureàs'arrêter,danslebutévidentdedétrousserlajeunefemmenonsansviolence.Godric sepencha justeà tempspouréviterunpoinget ripostaparuncoupdepieddans
l'estomacdesonadversaire.L'hommegrognadedouleurmaissonimposantestaturen'oscillamême pas. Il revint même à l'attaque, et Godric se trouva rapidement entouré par cinqhommes.Ilbranditsesdeuxlames-uneépéedanslamaindroiteetunedaguedanslamaingauche-
,prêtàendécoudreet...Enferetdamnation!LadyMargarettiraunsecondcoupdefeudanssadirection.Le bruit de la détonation déchira la nuit et fit écho entre les façades des immeubles
décrépitsquibordaient larue.Godricsentitsonchapeauvaciller : laballeenavait traversél'étoffedelaine.Lady Margaret, furieuse de l'avoir encore raté, laissa échapper un juron dont Godric
n'auraitjamaispenséqu'ilpûtfigureràsonvocabulaire.L'undestire-lainesouritsurdesdentsd'unjaunepisseux.—Ellenevousaimepasbeaucoup,ondirait.Il n'était pas loinde la vérité. LadyMargaret essayait de tuer le FantômedeSaint-Giles.
Malheureusement,elleignoraitqueleFantômeetsonmarin'étaientqu'uneseuleetmêmepersonne.Lemasquede cuirnoirqueportaitGodric cachait ses traits avecune redoutableefficacité.Le sixième gredinpointait sonpistolet sur le cocher et les deux valets de ladyMargaret.
Une femme imploraitdepuis l'intérieurduvéhicule :probablementvoulait-elle inciter ladyMargaretàsemettreàl'abri.Maiscettedernièrenequittaitpassonpointd'observation,sansréalisercequil'attendaitsiGodricéchouaitàlasauverdecettebandedemalfrats.Au-dessusde leurs têtes, la lune semblait observer le spectacle avec indifférence. Seul le grincementd'uneenseignevoisinetroublaitlesilencedelarue.Godricsejetasurlebanditausourirejauni.Aurait-il dû laisser la scène se dérouler sans lui ? Lady Margaret s'était montrée
parfaitementinconsciente,etceshommesavaientlamainmisesurcequartiermalfamé.MaisGodricavaitrevêtulemasqueduFantômedeSaint-Giles.Ilsedevaitdevolerausecoursdesplusfaibles.Sansoublierundétail:ladyMargaretétaitsafemme.Aussi ne fit-il preuve d'aucune pitié : il empala son adversaire qui s'affaissa dans un
grognement étouffé, les lèvres toujours retroussées. Godric libéra aussitôt son épée pouraffronterunautrebandit,àquiiltranchaproprementlenez.Puisilpointalalameensanglantéesuruntroisièmelarron,avantdeluiouvritlajouedans
une belle diagonale. Avec des glapissements aigus, l'homme recula en titubant, une mainplaquéesurlevisage.Les deux derniers attaquants marquèrent une seconde d'hésitation, erreur à ne pas
commettrelorsd'unebataillederue.LeFantômedeSaint-Gilesbondit,unearmedanschaquemain.Ilplongeasadaguedansla
cuisse gauche d'un des assaillants, qui hurla de douleur. La bataille s'arrêta là : les deuxhommess'enfuirentsansdemanderleurreste.Godricseredressaetinspectalesalentoursenmêmetempsqu'ilreprenaitsarespiration.
Encoreunadversaire-celuiaveclepistolet.Lecocher,unhommecorpulentauvisagerougeaud,profitadeladistractiondubanditpour
tirerunpistoletdesoussonsiège.Aussitôtqu'ilvitl'arme,lederniermalfratpritàsontourlapoudred'escampette.—Tirez!ordonnaladyMargaretàsondomestique.Savoixtremblait,decolèreetnondepeur,réalisaGodric.—Surqui,milady?gémit lecocher, interloqué,car lesbrigandsétaientdéjàtoushorsde
vue.LeFantôme,lui,savaitqu'ilétaitleseulviséparcespropos.—Inutiledemeremercier,dit-il,contournantlecadavred'undeshommesqu'ilvenaitde
tuerpourlasauver.Ilavaitparlébaspourdéguisersavoix,maisellel'avaitclairemententendu.—Cen'étaitpasmonintention,répliqua-t-elle,cinglante.Ilhaussalessourcils,avecunsourireencoin.—Non?Mêmepasd'unbaiser?Elleregardaavecdégoûtseslèvressouslemasque.—Jepréféreraisembrasserunevipère.LesouriredeGodrics'élargit.—Auriez-vouspeurdemoi,machère?Elleouvraitdéjàlabouche,sansdoutepourrépliquervertement.—Merci!lançaunevoixféminine,depuisl'intérieurdelavoiture.LadyMargaretsetournavivementverslaportièrerestéeouverte.—Neleremerciezpas!C'estunassassin.
—Ilnenousapasassassinées,objecta l'inconnue.Maisassezparlé, il se fait tard.Je l'airemercié pour nous deux. Remontez vite en voiture,Meg, et quittons cet horrible endroitavantqu'ilnechanged'avis.LadyMargaretfitlamoue,commeunefilletteàquil'onauraitrefuséunesucrerie.—Ellearaison,voussavez,assuraGodric.Lesaristocratessefontvitedétrousserdansces
ruesmalfamées.—Meg!s'impatiental'inconnuedanslavoiture.LadyMargaretdécochaàGodricunregardquiauraitpuscierunarbre.—Jevousretrouverai,promit-elle.Etjevoustuerai.Leplusdrôle,c'estqu'elleparlaitsérieusement.Godricsoulevasonchapeauetinclinabien
baslatêteenunsalutmoqueur.—Jesuisimpatientdemourirdansvosbras,mabelle.LadyMargaretplissalesyeux,maissacompagnecontinuaitdelapresser.Ellegratifiason
interlocuteurd'undernierregarddemépris,avantdesedécideràremonterdanslevéhicule.Le cocher donna à ses chevaux l'ordre de repartir et l'attelage s'ébranla aussitôt sur les
pavés.Godric Saint-John comprit qu'il feraitmieux de rentrer chez lui au plus vite. Son regard
tombasurl'undesdeuxhommesqu'ilvenaitdetuer.Unerigoledesangcoulaitdéjàsurlespavés.Et l'homme fixait le ciel nocturnede ses yeux grands ouverts.Godric fouilla en lui-mêmeàlarecherched'unequelconqueémotion.Commed'habitude,ilnetrouvarien.Il tourna les talons et s'engageadans unepetite ruelle.Maintenant qu'il s'était remis en
mouvement,ils'aperçutquesonépauledroitelefaisaitunpeusouffrir.Uneecchymose,sansdoute. Rien de bien sérieux.De toute façon, SaintHouse n'était pas très loin. Et Godric yarriveraitviteenpassantparlestoits.Ilgrimpaitdéjààl'assautd'unegouttièrequandilentendituncridefillette.Bonsang.Lemomentétaitvraimentmalchoisi.Cependant,Godricselaissaretombersurlepavéetil
dégainadenouveauseslames.Lemêmecriterrifiéserépéta.Godriccourutversl'extrémitédelaruelle.En réalité, elles étaient deux fillettes. La première ne devait pas avoir beaucoup plus de
cinqans.Tremblantdetoutsoncorps,ellehurlaittoutcequ'ellepouvait.Laplusâgéeavaitdéjàétéattrapée.Ellesedébattaitcommeunbeaudiable,sanssuccès.—Holà!criaGodric.L'agresseurfitvolte-face.—Quediable...Godricsejetasurluietleplaquaausol.Puisilpointalalamedesadaguesursagorgeetse
penchacontresonoreille:—Lesrôlessontinversés.C'estàvousd'avoirpeurmaintenant.L'hommefrottasoncrâneendolori.—J'aitouslesdroitssurmesfilles.—Nousnesommespasvosfilles!protestalaplusâgée.EtcommeGodricsetournaitverselle,ellerenchérit:—Iln'estpasnotrepère!Seslèvressaignaient,cequimitGodrichorsdelui.
—Rentrezchezvous.Jemechargedeceruffian.—Nousn'avonspasdecheznous,sanglotalacadette.—Tais-toidonc!pestal'aînée,quiluidonnauncoupdecoudedanslescôtes.Godric était fatigué. Et le bavardage des deux enfants l'avait distrait. Un coup de pied
l'envoyatomberàlarenversesurlespavés.Letempsqu'ilserelève,l'hommeavaitdéjàprislafuiteettournéaucoindelaruelle.Godricgrimaçadedouleur.Pasdechance:ilétaittombésursonépauledéjàmalmenéepar
lesbanditsdetoutàl'heure.—Venezavecmoi,ordonna-t-ilauxdeuxfillettes.Laplusjeunefitunpas,maisl'aînéelaretintparlebras.—Nesoispasidiote,Moll.C'estunKidnappeurcommel'autretype.Godrichaussalessourcilsàcemot.Voilàunmomentqu'iln'avaitplusentenduparlerdela
bande des Kidnappeurs. Mais il n'avait pas le temps, dans l'immédiat, de questionner lespetites.LadyMargaretseraitbientôtrentréeàlamaisonet,s'ilnes'ytrouvaitpasavantelle,ellel'interrogeraitsursesévasionsnocturnesjusqu'àcequ'ilcraque.— Venez, répéta-t-il. Je ne suis pas un ravisseur d'enfants et je connais un endroit
confortableetaccueillantoùvouspourrezpasserlanuit.Ettoutescellesquisuivront.Malgréletonrassurantdelavoix,lagrandegardaitunvisagefermé.—Nousn'ironspasavecvous.Godricsourit,avantdesepencherpourjucherunefillettesursonépauleetprendrel'autre
soussonbras.—Oh,quesi.Cenefutpasfacile.L'aînéevitupéra,employantdesjuronsquin'étaientguèredesonâge,
tandisque lacadette fondaiten larmes.Etbiensûr, lesdeuxgaminessedébattirenttout lelongdutrajet.Cinq minutes plus tard, Godric arrivait devant l'hospice pour enfants trouvés de Saint-
Giles.Ilreposaalorslesfillettesparterre,sansleslâcher.La plus grande voulut en profiter pour lui décocher un coup de pied mal placé. Godric
esquivajusteàtemps.Puisilfrappaàlaportedel'orphelinat.Elle s'ouvrit presque aussitôt sur un homme de grande taille, en manches de chemise
relevéessursesavant-bras.WinterMakepeace,ledirecteurdel'établissement,haussaunsourcilàlavueduFantôme
de Saint-Giles et des deux fillettes qui pleurnichaient et continuaient à donner des coupsdanslevide.MaisGodricn'avaitpasletempsdeseperdreenexplications.—Voici deuxnouvellespensionnaires, annonça-t-il, enpoussant les enfants à l'intérieur.
Soyezferme,ellesonttendanceàserebeller.Là-dessus,iltournalestalonsetdisparutdanslanuit.Lady Margaret Saint-John fut prise de tremblements dès l'instant où sa voiture quitta
Saint-Giles.LeFantômeluiavaitparusiimposant,simenaçant.Quandils'étaitavancéverselle,sonépéerougiedesangetsesyeuxbrillantssoussonmasque,elleavaitdûfaireappelàtoutesavolontépournepasdéfaillir.
Meg inspira profondément pour tenter de calmer ses nerfs.Deux ans qu'elle haïssait cetindividu, et elle n'aurait jamais imaginé que le jour où elle le rencontrerait enfin, elle sesentiraitsi...Sivivante.Elle baissa les yeux et fixa un instant les deux pistolets posés sur ses genoux, avant de
releverlatêtesurlapassagèreassiseenfaced'elle,sabelle-sœuretgrandeamie,SarahSaint-John.—Jesuisdésolée.C'était...—Uneidéeidiote?suggéraSarah,unsourcildélicatementarqué.Sacheveluremarronetorétaittiréeenarrièrepourformerunchignonsurlanuque.Meg
grimaça.—Jenediraispasidiote...—Alors,stupide?Inepte?Imbécile?Irréfléchie?—Non, laplupartdecesqualificatifsnemesemblentpasdavantageappropriés, répliqua
Meg,avantqueSarahnecontinuesalistequesonamiesavaitinfinie.Maisvousavezraison:«irréfléchie»estsansdouteceluiquiconvientlemieux.Jem'enveuxdevousavoirexposéeaudanger.—Etvousaussi,parlamêmeoccasion,répliquaSarah.Cette dernière se pencha vers ladyMargaret et son visage fut éclairé par la lanterne de
l'habitacle.D'ordinaire,Sarahaffichaitlaréserved'unejeunevierge-cequ'elleétaittoujours,à vingt-cinq ans -, que venait égayer une certaine dose d'ironie, mais pour l'heure, ellesemblaits'êtremétamorphoséeenAmazone.—Vousn'avezpasseulementrisquémavieetcelledesdomestiques,maisaussi lavôtre,
reprit-elle. Qu'y avait-il donc de si important pour que nous nous aventurions dans Saint-Gilesàlatombéedelanuit?Megdétournaleregard.Sarahétaitvenuehabiteravecelleprèsd'unanaprèssonmariage
avecGodric.Aussilajeunefemmeignorait-ellelesvraiesraisonsdesesnocesprécipitées.—Jesuisdésolée.Jevoulaissimplementvoir...Commeellelaissasaphraseensuspens,Sarahlapressa:—Voirquoi?OùRogeraétéassassiné.Le simple fait d'y penser ravivait la blessure qu'elle avait au cœur. Elle avait ordonné à
Tom, le cocher, de se rendre dans Saint-Giles avec l'espoir d'y retrouver la trace deRoger.Sanssuccès.Rogerétaitmortdepuislongtemps,àprésent.MaisMegavaituneautreraisondevenirdanscequartiermalfamé:ellevoulaitrécolterdesinformationssurlemeurtrierdeRoger,leFantômedeSaint-Giles.Etsurcepoint,elleavaitréussiau-delàdetoutespoir.LeFantôme s'était montré. Malheureusement, Meg avait réalisé qu'elle n'était pas vraimentpréparéeàlarencontre.Il en irait différemment la prochaine fois. La prochaine fois, elle ne le laisserait pas
s'échapper.Laprochainefois,elleluitireraituneballeenpleincœur.—Meg?murmurasonamie,latirantdesesnoirespensées.Megsecoualatêteets'obligeaàsourire.—Peuimporte.—Que...
—Bontédivine,serions-nousdéjàarrivées?s'exclamaMeg.Leurattelageralentissaiteneffet,cequiluipermitdedévierlaconversation.Ellescrutal'obscuritéparlafenêtreetfronçalessourcils.—Non,peut-êtrepas.Sarahcroisalesbras.—Quevoyez-vous?—Noussommesdansuneallée,etj'aperçoisunegrandemaison.Elleal'airtrès...—Ancienne?Megsetournaverssacompagne.—Oui.Sarahhochalatête.— Alors, c'est Saint House. Lamaison est aussi vieille que poussiéreuse. Ne l'avez-vous
doncpasvisitéequandvousavezépousémonfrère?—Non,réponditMeg,quifeignaitd'êtreabsorbéeparcequ'elleréussissaitàvoiràtravers
lapénombre.Le repasdenoces s'était tenuchezmon frère, et j'aiquittéLondresquelquesjoursplustard.Entre-temps,elleétaitrestéealitéechezsamère.Maisellepréféraitnepasypenser.—SaintHouseestdoncsianciennequecela?—Médiévale!Et,dansmonsouvenir,glacialel'hiver.—Oh.—Enplus,ellen'estpassituéedanslapartielaplusenvuedeLondres,ajoutaSarah.Mais
àl'époquedesaconstruction,lesmaisonsnoblessebâtissaientsurleborddelaTamise.—Jesuissûrequesonâgel'arenduecélèbre,ditMeg,s'efforçantàlaloyauté.Elle-mêmeétaituneSaint-John,désormais.—Ohpourça,oui,ironisaSarah.Elleestmentionnéedansleslivresd'histoire.Celadevrait
vousréconforterquandvosorteilsgèlerontlanuit.— S'il est si éprouvant de l'habiter, pourquoi avez-vous accepté de m'accompagner à
Londres?—Pourvoirlavilleetsesboutiques,évidemment!réponditSarah,d'unevoixenjouée.Cela
faisaituneéternitéquejen'étaispasvenuedanslacapitale.La voiture s'immobilisa et Sarah commença de rassembler ses châles et son panier à
ouvrage. Oliver, le plus jeune des deux valets, ouvrit la portière. Il portait une perruqueblanche, comme tout domestique en livrée, ce qui contrastait drôlement avec ses sourcilsroux.— Je n'aurais pas cru que nous nous en sortirions vivants, marmonna-t-il, tandis qu'il
dépliaitlesmarches.Cesbanditsavaientdesminespatibulaires.—ToietJohnny,vousavezététrèscourageux,ditMeg,quidescendaitdéjà.Etvousaussi,
Tom,ajouta-t-elleàl'intentionducocher.Celui-cihaussasesépaulesmassivesavecungrognement.—Vousferiezbienderentreràl'intérieuravecMlleSaint-John.Vousserezensécurité.—Nousnousdépêchons,assuraMeg.Ellese tournavers labâtisseetremarquauneautrevoituredéjàgaréedans l'allée.Sarah
descenditàsontour.—J'ail'impressionquevotregrand-tanteElvinaestarrivéeavantnous.—Ondirait,eneffet,acquiesçaMeg.Maispourquoisavoitureest-ellerestéedehors?
Laportièreduvéhiculeenquestions'ouvrittoutàcoup.Etunetêteapparut.—Margaret?crialagrand-tanteElvina,lescheveuxblancsornésderubansroses.Amoitiésourde,lavieilledameparlaittoujourstrèsfort.—Cediabledemajordomeneveutpasnous laisserentrer,ajouta-t-elle.Voilàdesheures
quenousattendons,etSaGrâcecommenceàs'impatienter.Unaboiement,provenantdel'habitacle,appuyasesdires.Meg reporta son attention sur la maison de son mari. Aucune lumière ne trahissait de
présencehumaine.Elleétaitpourtantoccupée,puisqu'unmajordomeavaitréponduàElvina.Meggrimpaleperronetempoignalelourdanneaudebronzequiservaitdeheurtoir,qu'ellelaissaretomberférocementsurlebattant.Puis elle recula d'un pas et leva les yeux sur la façade. La demeure avait évolué avec le
temps. Les styles architecturaux se confondaient : le rez-de-chaussée et le premier étageétaientenbriquesrouges;certainementlabâtissed'origine.Maisunautrepropriétaireavaitajoutédeuxétagessupplémentaires,enpierresdetailledecouleurclaire.Cheminées et pignons se dressaient ici et là, sans paraître répondre à une quelconque
symétrie.De chaque côtédubâtimentprincipal, une aile s'avançait jusqu'à la rue, formantunesortedecourintérieuredanslaquelleleursvoituress'étaientarrêtées.—VousavezprévenuGodricdevotrearrivée?s'inquiétaSarah.—Je...Ah!Une lumièrevenaitdes'allumerà la fenêtre justeàdroitede laporte,cequiévitaàMeg
d'avouerqu'ellen'avaitpasavertisonmarideleurvenue.Laportes'ouvritfinalementavecungrincementsinistre.Undomestiqueapparut.Ilportaitluiaussiuneperruqueblancheettenaitunechandelleà
lamain.—M.Saint-Johnnereçoit...—Merci,lecoupaMeg,quimarchadroitsurlui.Un instant, elle craignit que lemajordome ne lui barre le passage.Mais il s'écarta juste
assezpourqu'ellepuisseentrer.Unefoisàl'intérieur,elleseretournaetcommençad’ôtersesgants.—JesuisladyMargaretSaint-John.L'épousedeM.Saint-John.Lemajordomehaussalessourcils.—Sonépouse?—Oui,confirmaMeg,cequiaccrutlastupéfactiondumajordome.Etvousvousappelez?IlseredressaetMegs'aperçutqu'ilétaitplusjeunequ'ellenel'avaitd'abordpensé.Trente-
cinqansprobablement.—Moulder,milady.Jesuislemajordome.—Parfait!Meg lui tendit ses gants avant d'inspecter le vestibule. Le spectacle n'avait rien de
grandiose,bienaucontraire.Unecolonied'araignéessemblaits'êtreinstalléeauplafond.Apercevant une lampe sur un guéridon,Meg s'empara de la chandelle deMoulder pour
l'allumer.—Maintenant,Moulder,magrand-tante-vouspouvezl'appelerMlleHoward-attenddans
l'autrevoiture.Etcettepersonnequim'accompagneestMlleSaint-John, lasœurcadettedeM.Saint-John.Avecungrandsourire,Sarahdéposasesgantsdanslesmainsdumajordomeéberlué.
—Je ne suis pas venue à Londres depuis longtemps,mais je ne vous connais pas. Vousdevezêtrenouveau.—Je...commençaMoulder.—Noussommesvenuesavecnoscaméristesrespectives,continuaMeg,avantderendresa
chandelleaumajordome.Ainsiqu'avecquatrevaletsetlesdeuxcochers.Grand-tanteElvinaa insistépourprendre savoiture.De toute façon, jenevoispas commentnousaurionsputouslogerdansunseulvéhicule.—Non,c'étaitimpossible,confirmaSarah.D'autantquevotregrand-tanteronfle.— C'est vrai, acquiesça Meg, avant de reporter son attention sur le majordome.
Naturellement,nousavonsaussiamenéHiggins,lejardinier,etsonneveuCharlie,legarçoncireur.Ah,etaussiSaGrâce,quiaunesantéfragileetnemangeplus,depuisquelquetemps,quedupouletémincémarinédansduvinblanc.Voilà,jecroisavoirfaitletour.—Ah...fitMoulder,lesyeuxrondscommedessoucoupes.—Parfait,répétaMeg,avecungrandsourire.Oùestmonmari?Lemajordomeparutseremettredesasurprise,maiscettefoispours'inquiéter.—Danslabibliothèque,milady.Maisil...— Non, non, le coupa encoreMeg, avec un geste de la main. Inutile de memontrer le
chemin.JesuissûrequeSarahetmoitrouveronslabibliothèquetoutesseules.Occupez-vousplutôtdemagrand-tante.Ainsiquedudînerdenosdomestiques-etdeSaGrâce.Nousavonsfaitunlongvoyage,voussavez.Elles'emparaduchandelierqu'elleavaitalluméetpartitversl'escalier.Sarahsedépêchade
larattraper.—Vousavezeudelachancedeprendrelabonnedirection,murmura-t-elle,amusée.Dans
monsouvenir,labibliothèquesetrouveaupremierétage,deuxièmeportesurlagauche.—Tantmieux,soufflaMeg,soulagée.Après avoir rassemblé son courage pour se lancer à l'assaut de l'escalier, elle s'imaginait
malêtreobligéederedescendre.—Jesupposequevousêtesaussiimpatientedevoirvotrefrèrequemoi?—Bien sûr, acquiesça Sarah.Mais je n'aurai pas l'impudencede gâcher vos retrouvailles
avecGodric.Megarrivaitsurlepalier.Elles'arrêtanet.—Quevoulez-vousdire?Sarah,troismarchesendessous,luisourit.—Que jeme feraiune joiedevoirmonfrère...demainmatin.Enattendant, jevaisaider
votregrand-tanteElvina.—Mais...LesprotestationsdeMegtombèrentdanslevide.Sarahredescendaitdéjàl'escalier.Bon.Labibliothèque.Deuxièmeporteàgauche.Megpritunegrandeinspirationavantdes'engagerdanslecouloir.Celafaisaitmaintenant
deux ans qu'elle n'avait pas revu son mari, cependant elle avait gardé le souvenir d'ungentlemandebelleallure.Entoutcas,quin'avaitriend'unogre.Ellen'auraitsudires'ilavaitlesyeuxbleus.Marronpeut-être?Enrevanche,ellesesouvenaitdesonregardbienveillant,lorsdelacérémoniedumariage.Iln'yavaitaucuneraisonpourquecettebienveillancesesoitaltéréeendeuxans.Arrivéedevantlabibliothèque,Megagrippalapoignéeets'empressadelatourner,avantde
changerd'avisetdes'enfuirencourant.Lapièceétaitàpeuprèsaussisombrequelecouloiretlerestedelamaisonnée.Unelueur
provenaitdesbraisesencorerougeoyantesdel'âtreetuneuniquechandelleposéeprèsd'unvieuxfauteuildécatiprojetaitunelumièrefantomatiquesurlesmurs.Megs'approchasurlapointedespieds.L'hommeavachidanslefauteuilparaissait...Aussi
décatiquesonsiège.Ilportaitunpeignoir couleur lie-de-vin, si éliméauxcoudesque la teintureavaitviréau
roseclair.Sespieds,logésdansdeschaussonsinformes,reposaientsurunpoufplacéunpeutropprèsdelacheminée.Satête,affaisséesursonépaule,setrouvaitagrémentéed'unturbanvertfoncéornéd'unglanddoréquiretombaitdevantsonœilgauche.Deslunettesendemi-lunesétaientperchéestoutauborddesonnez,prêtesàtomber.Sansunronflementdesplusbruyants,MegauraitjuréqueGodricSaint-Johnétaitmort...Devieillesse.Lajeunefemmeclignalesyeux.Sonmarinepouvaitêtreaussiâgéqu'illeparaissait!Elle
quipensaitqu'ilétaitàpeineplusvieuxquesonfrèreGriffin!Cedernieravaitarrangéleurmariageetn'avaitquetrente-troisans.Pourtant,elleréalisaqu'elleignoraitl'âgeexactdesonmari.Etcelan'avaitriend'étonnant.ElleavaitépouséGodricSaint-Johnalorsqu'elletraversait
lapériodelaplusnoiredesonexistence.Al'époque,pareilsdétailsluiimportaientpeu.Megréfléchit.Beaucoupd'hommessemariaientàunâgeavancé,cequinelesempêchait
pasdeprocréer.LeducdeFryeavaitdonnénaissanceàun fils l'annéedernière, et il avaitplus de soixante-dix ans. A priori, rien ne s'opposait donc à ce que Godric puisse en faireautant.Quelque peu rassurée,Meg s'éclaircit la voix. Discrètement, bien sûr, car elle ne voulait
surtoutpasrisquerdeluicauseruneattaqueavantqu'iln'aitpus'acquitterdesamission.Celledeluifaireunenfant.Godric Saint-John mua ses ronflements en reniflements pour donner l'illusion qu'il se
réveillait. Puis il ouvrit les yeux et il découvrit sa femme, qui l'observait avec un ravissantfroncementdesourcils.Àleurmariage,elleavaitparucommehébétéeetpasuneseulefoisellen'avaitcroiséleregarddeGodric.Puiselleétaittombéemaladeàlafindubanquetetelles'étaitretiréechezsamèrepoursesoigner.Quelquesjoursplustard,unelettreavaitapprisàGodricqu'elleavaitfaitunefausse-coucheetperdulebébéquil'avaitcontrainteàcemariageprécipité.Ledestinvousréservaitparfoisdesironiesbiensinistres.—Qu'ya-t-il?demandaGodric,commes'ilétaitsurprisdesaprésence.Elles'obligeaàsourire.—Bonjour,dit-elle.Bonjour?Aprèsdeuxansd'absence,bonjour?—Ah,c'estvous,Margaret,fitGodric,feignanttoujourslasurprise.—Oui,c'estmoi!s'exclama-t-elleavecgaieté,commes'ilétaitunvieillardsénilequiaurait
subitementretrouvéuneétincellederaison.Jesuisvenuevousrendrevisite.Godricseredressadanssonfauteuil.—Ah,bon?Maisc'esttrèsinattendu.Megcrutdécelerunecertainesécheressedansletondesavoix.Déroutée,ellefitquelques
pasdanslapièce,sansbutprécis.
—Oui,etj'aiamenévotresœurSarahavecmoi.Elleétaitraviedecetteoccasiondefairelesboutiques,d'allerauthéâtre,pourquoipasàl'opéraetaussi...Elle prit dans un rayonnage un volume des Commentaires sur Catulle de Van Oosten,
qu'elletournadanssamain.—Etaussi...—Refairelesboutiques?suggéraGodric.Jen'aipasvuSarahdepuisuneéternité,maisje
saisqu'elleadoraitresterdesheuresdevantlesvitrines.—Eneffet,acquiesçaMeg,quifeuilletaitàprésentlespagesdel'ouvrage,sansleslire.—Etvous?—Pardon?—Pourquoiêtes-vousvenueàLondres?Le volume de VanOosten sembla exploser entre sesmains et tomba lourdement sur le
plancher.—Oh...gémitMeg,quis'accroupitpourramasserlesfeuillesdétachéesdelareliure.Jesuis
désolée.Godricseretintdesoupirer.CetouvrageluiavaitcoûtéplusieursguinéeschezWarwick&
Fils,etvoilàqu'ilétaitenmorceaux.—Cen'estpasgrave,assura-t-il.J'avaisprévudelefaireréparer.—Ah?fitMeg,quicontemplalespagesrassembléesdanssesmains,avantd'essayerdeles
remettreenordre.Voilàquimeréconforteunpeu.Ses grands yeux marron avaient quelque chose d'implorant. Et cette façon de rester
agenouillée à ses pieds ne manquait pas d'être troublante. Godric sentit son entrejambegronder.Bontédivin!Ils’éclaircitlavoix.—Margaret?Ellelevalatêteversluietclignalesyeux,avecbeaucoupdegrâce,commesiellecherchait
àleséduire.Imbécile!Sonvoyageavaitdûl'épuiser,voilàtout.D'ailleurs,Godricluitrouvalespaupièreslourdes.—Oui?—Combiendetempscomptez-vousresteràLondres?—Oh...(Ellebaissadenouveaulesyeuxsurlespagesmalmenées,qu'ellesemblaitavoirdu
malàrassemblerdanslebonordre.)Oh,ehbien,ilyatellementdechosesàvoirici,n'est-cepas?Etj'aiplusieursbonnesamiesàvisiter.—Margaret...Ellesereleva,levolumedeVanOosten,oucequ'ilenrestait,danslesmains.—Jenevoudraisfroisserpersonne,vouscomprenez.—Margaret.Ellebâillaàs'endécrocherlamâchoire.—Pardonnez-moi.Levoyageaeuraisondemoi.Aumêmeinstant,unesoubrettepassalatêteparlaporte.Megsetournaverselleavecun
soulagementmanifeste.—Ah,Danielle!Machambreest-elleprête?Lasoubretteinclinapolimentlatête,toutenbalayantlapièceduregardavecunecuriosité
évidente.—Oui,milady.Enfin,aussiprêtequ'ellepeut l'êtrepource soir.Vousn'imaginezpas les
toilesd'araignéesquenous...— Je suis sûre que tout sera parfait, l'interrompit ladyMargaret, avant de saluerGodric
d'unsignedetête.Bonnenuit...monmari.Nousnousreverronsdemainmatin.Et elle quitta la pièce, lemalheureux volume de Van Oosten toujours prisonnier de ses
mains.Lasoubretterefermalaportederrièreelle.Godricrestaunmomentàcontemplerlebattantenchêne.Labibliothèque,toutàcoup,lui
parutbienterne,pournepasdirelugubre,aprèscechatoyantintermède.C'étaitd'autantplusétrange qu'il avait toujours considéré cette pièce comme l'une des plus confortables et desplusaccueillantesdelamaison.Godricsecoualatêteavecirritation.Qu'était-ellevenuefaireàLondres?Commebeaucoupd'autres,leurmariageavaitétéuneconvenance-unenécessitépourlady
Margaret.Ellesedevaitdedonnerunnomaubébéqu'elleportait.Godric,lui,avaitétéacculéà ce mariage en raison du chantage qu'avait exercé sur lui lord Reading, le frère de ladyMargaret.Pourtant,Godricn'étaitpaslepèredel'enfant.Peut-êtreavait-iladressélaparoleune ou deux fois à ladyMargaret avant leurs épousailles. Après quoi, ladyMargaret étaitpartie vivre dans le domaine qu'il possédait à la campagne, et Godric avait repris sa vie àLondres.Pendanttouteuneannée,ilsn'avaientpascommuniqué,nerecevantdesnouvellesl'unde
l'autrequeparlesmembresdelafamille.Puis,subitement,ladyMargaretluiavaitécritunelettre pour lui demander s'il acceptait qu'elle coupe la vigne vierge qui devenait tropenvahissante.Quellevignevierge?Godricn'avaitpasremislespiedsàLaurelwoodManor,sapropriétéduCheshire,depuislesdébutsdesonpremiermariageavecsachèreClara.IlavaitréponduàMargaretqu'ellepouvaitagiràsaguisepourtoutcequiconcernaitlejardin.Leur correspondance aurait pu s'arrêter là, mais contre toute attente sa femme avait
continuédeluiécrire,uneàdeuxfoisparmois.Seslongueslettresparlaientdujardin,delamaisonqu'elles'ingéniaitàréaménager,delasœurdeGodric,Sarah,quivivaitavecelle,descancansduvillagevoisin...CommeGodricnesavaitpasquoirépliqueràcedélugedemots,engénéralils'abstenaitderépondre.Mais,bizarrement,àmesurequelesmoispassaient,ilavait fini par s'habituer à ces missives. En trouver une à côté de son café du matin luiprocurait presque un sentiment d'allégresse. Et il avaitmême fini par s'impatienter quandunelettreaccusaitunoudeuxjoursderetard.Bah!Lasolitudedevaitcommenceràluipeseraprèstoutescesannées.Cependant,recevoir les lettresde ladyMargaretétaitunechose,subirsonintrusiondans
sondomaineenétaituneautre.— Jamais vu un débarquement comme ça, marmonna Moulder, qui entra dans la
bibliothèque.C'estunevéritableinvasion!ajouta-t-ilenrefermantlaportederrièrelui.—Dequoiparles-tu?s'enquitGodric,quiserelevapoursedébarrasserdesonpeignoir.Dessous, il portait encore la tuniqueduFantôme.Tout s'était joué à la secondeprès. Le
premierattelages'étaitarrêtédevantlamaisonàl'instantoùGodricyrentraitparlaportedederrière. Il avait entendu Moulder opposer une rebuffade aux occupants de la voiture,pendantqu'ilgrimpaitquatreàquatrel'escalierprivéquireliaitsonbureauàlabibliothèque.
SaintHouseétaitunevieillemaisonquipossédaitquantitédepassagessecretsetdeportesdérobées fort utiles aux activités du Fantôme. Le deuxième attelage était arrivé peu après.Godricavait justeeu le tempsdecachersonmasque,sonchapeauetses lamesderrièreunmeuble, de troquer ses bottes pour des chaussons d'intérieur, d'enfiler son peignoir et demettresonturbanavantquesafemmen'entredanslapièce.Àunesecondeprès,oui,ilseseraitlaissésurprendre.— De Madame votre femme et de tous les gens qu'elle a amenés avec elle, s'énerva
Moulder,avecungesteampledesmains,commes'ilparlaitd'unemultitude.Godrichaussalesépaules.—Lesdamesvoyagenttoujoursavecleurscaméristes.—Lalistenes'arrêtepaslà,expliquaMoulder,quiservaitégalementdevaletdechambreet
aida sonmaître à se défaire de sa tunique. Elle est venue avec des valets. Il y amêmeunjardinieretuncireur.Sansparlerd'unaffreuxpetitchienquiappartientàlagrand-tantedemilady.Etelleestlàelleaussi.—Quicela?Lagrand-tante?—Oui,fitMoulder,quiexaminaitlatuniquedeGodric,àlarecherched'éventuellestaches
oudéchirures.Sic'estpasmalheureux!GodricenfilalachemisedenuitqueMoulderluiavaitapportée.—Qu'est-cequiestmalheureux?Moulderpliasoigneusementlatuniqueensecouantlatêted'unairdésolé.—Vousn'allezpluspouvoir courir les ruesdeSaint-Giles lanuit, assura-t-il.Maintenant
queladameestlà,vousallezdevoirrenoncerauxmissionsduFantôme.Godricôtasonturbanridiculeetsepassaunemaindanslescheveux.—SeulementsiladyMargarets'installaitàdemeure,etcen'estpaslecas.Moulderparutsceptique.— Vu la quantité de gens et de bagages qu'elle a apportés, elle n'a certainement pas
l'intentionderepartirdanslesquarante-huitheures.—Peum'importentsesintentions.Iln'estpasquestionquejerenonceàêtreleFantômede
Saint-Giles, intimaGodric, ensedirigeantvers laporte.Cequiveutdirequema femmeettoutsonéquipageserontrepartisd'icilasemaineprochaine.UnefoisladyMargaretderetourdanssapropriétédecampagne,ilpourraitreprendreson
actionenfaveurdespauvresdeSaint-Gilesetiloublieraittrèsvitecettecharmanteintrusiondanssavie.
2
Maintenant,écoutez-moibien:l'HellequinestlamainduDiable,l'exécuteurdesesbassesœuvres. Il parcourt le monde sur un grand cheval noir, à la recherche de toutes lespersonnesimpiesmortessansconfession,etilexpédieleursâmesenenfer.Sescompagnonssont tous laids etmonstrueux. Ils ont pournomsDésespoir,Chagrin etDeuil. L'Hellequinlui-mêmeestaussinoirquelanuitetsoncœur-oudumoins,cequiluisertdecœur-n'estqu'unmorceaudecharbon.[...]
op.cit.Le lendemainmatin,Godric fut réveillé pardes voix fémininesprovenantde la chambre
contigüeà lasienne.Ilclignalesyeuxplusieursfois,ayantdepuis longtempsoubliéqu'unequelconqueactivitéhumaineauraitpusetenirlà.Godric couchait dans la chambre de maître de la demeure et la maîtresse de maison
dormait en principe dans la chambre voisine. Mais Clara n'avait occupé les lieux que lapremièreannéedeleurmariage.Ensuite,lamaladiequidevaitl'emporters'étaitdéclarée.Lemédecin avait exigé le repos le plus complet, et Clara avait déménagé dans l'anciennenurserie, au dernier étage. C'est là qu'elle avait souffert l'agonie pendant neuf longuesannées,avantderendrel'âme.Godricsecoualatête,sortitpiedsnusdesonlitetrencontralafraîcheurduparquet.Ilétait
inutile de s'apitoyer : cela ne ramènerait pasClara.Depuis lamort de sa première femme,Godricavaitprislechagrinpourcompagne.Ils'habillarapidementd'uncostumemarrontrèsordinaireetd'uneperruquegrise,puisil
quittasachambre,alorsquelejoyeuxbabillagesefaisaittoujoursentendrederrièrelaported à-côté. L'idée que lady Margaret avait dormi si près de lui le troublait. En dehors deMoulder, iln'étaitplushabituéà laprésenced'autrespersonnesdans lamaison.Et encoremoinsàuneprésenceféminine.Godricdescenditaurez-de-chaussée.D'ordinaire,ilprenaitsonpetitdéjeunerdansuncafé,
d'unepartpourêtreinformédesdernièresnouvelles,etparcequelanourriture,chezlui,étaitsouventsujetteàcaution.Cematin,cependant,ilpritsoncourageàdeuxmainsets'aventurajusqu'àlasalleàmanger,qu'iln'utilisaitqu'exceptionnellement.Ileutlasurprised'ytrouverunejeunefemmevêtued'unerobegriscolombe.—Sarah.Godricavaitbienfaillinepaslareconnaître.Depuiscombiendetempsn'avait-ilpasvusa
sœur?Sarahlevaversluiunsouriredebienvenue.Godricfutétonnéd'enressentiruneagréable
sensationdechaleur.Sasœuret luin'avaient jamaisété trèsproches-elleétaitplus jeuneque lui de douze ans - et il ne se serait pas douté un seul instant qu'elle aurait pu luimanquer.Apparemment,ils'étaittrompé.—Godric!
Elleselevadelalonguetableoùelleétaitassisetouteseulepourvenirl'embrasser.Godricenfutému.Sasolitudeduraitdepuissilongtemps!Sarahrecula,avantqu'ilpuisseserappelercommentrépondreàuntelgested'affection.—Commentvas-tu?lança-t-elle.—Bien,réponditGodricavecunhaussementd'épaules,avantdesedétourner.Au bout de trois ans de veuvage, il avait fini par s'habituer aux regards apitoyés et aux
questionspoliesdesgens-principalementdesfemmes-,cependantilslemettaienttoujoursmalàl'aise.—Tuasdéjàmangé?ajouta-t-il.— Pour tout t'avouer, je n'ai encore rien aperçu qui se mange, plaisanta Sarah. Ton
domestique,Moulder,m'apromisquelepetitdéjeunerarrivait,maisiladisparudepuisprèsd'unedemi-heure.—Ah,fitGodric,incapabledefeindrelasurprise.Probablementn'yavait-il rienàmangerdans lamaison.Celan'auraitpasété lapremière
fois.—Sinousallionsdansuneauberge?suggéra-t-il.Àcetinstant,Moulderapparut,ungrandplateaudanslesmains.—Voilà,voilà,ditledomestique,quidéposasonfardeauaumilieudelatable,avantdese
reculerfièrement.Godric examina le contenu du plateau.Une théière, accompagnée d'une seule tasse, une
demi-douzainedetoastsàmoitiécarbonisésetcinqœufs.Avecunpeudechance,ilsétaientdurs.Godricarquaunsourcilàl'intentiondesonmajordome.—La...cuisinièreest...malade,jesuppose?Moulderreniflabruyamment.— La cuisinière est partie dans la nuit. Et avec elle, un superbemorceau de fromage et
quelquespiècesd'argenterie.Jecroisqu'elleaétéfurieused'apprendrequenousavionstoutd'uncoupautantd'invités.—Bah,cen'estpasunegrandeperte.Ellen'étaitpasvraimentdouéepourlacuisine.— Et elle fréquentait un peu trop votre cave à vins, si je puisme permettre, monsieur,
renchéritMoulder.Voulez-vousquej'aillevoirsijetrouved'autrestasses?—Oui,merciMoulder,acquiesçaGodric,avantdesetournerversSarah.Jem'excusepour
lapauvretédematable,souffla-t-ilàsasœurunefoislemajordomeressorti.—Net'excusepas.C'estnousquienvahissonstamaison.—Euh,oui,acquiesçaGodric,avantdes'asseoirenfaced'elle.Sasœurhaussalessourcils.—Megnet'avaitpasprévenudenotrearrivée?Godricsecoualatêteetprituntoast.— Jeme demande bien pourquoi, reprit Sarah.Notre expédition était prévue depuis des
semaines.Crois-tuqu'elleaiteupeurquetuneluidemandesderesteràlacampagne?Godricfaillits'étrangler.—Pourquoiirais-jedireunechosepareille?D'oùtires-tucetteétrangeidée?Sarahhaussalesépaulesavecélégance.—Vous vivez séparémentdepuis votremariage.Et tune répondais presque jamais à ses
lettres.Tunem'écrivaispasnonplusbeaucoup,d'ailleurs.Niàmaman,niàCharlotte,nià
Jane.Apersonne.Godricétaitenbonstermesavecsabelle-mèreetsesjeunesdemi-sœurs,maisilsn'avaient
jamaisététrèsprocheslesunsdesautres.—Notremariagen'étaitpasunmariaged'amour.—Jesais.N'empêchequemamans'inquiètepourtoi.Etmoiaussi.Godricluiversasonthésansrépondre.Qu'aurait-ilpudire?Je me porte à merveille. J'ai perdu l'amour de ma vie, mais la douleur est finalement
supportable.Devait-ilfairecommes'ilétaitenparfaitesantéetqueseleverchaquematinn'étaitpasun
supplice?Pourquois'obstinaient-ilstousàvouloirsavoircommentilallait?Nepouvaient-ilspasvoirqu'ilétaitsibriséqueriennepourraitjamaistotalementlereconstruire?—Godric?lepressaSarahd'unevoixdouce.Godricreposalathéièreets'obligeaàsourire.—Commentvontmabelle-mèreetmessœurs?Sarahplissaleslèvres,commepours'empêcherd'insister,etportalatasseàseslèvres.— Maman va bien. Elle est dans les préparatifs des débuts mondains de Jane. Elles
projettentdes'installertoutesdeuxchezladyHartfordàl'automne.—Ah.Godric se sentit soulagé que sa belle-mère n'ait pas envisagé de faire irruption à Saint
House. Mais cette vague d(égoïsme fut presque aussitôt balayée par un sentiment deculpabilité. Il aurait dû réaliser que Jane était en âge d'être présentée à la bonne société.Commeletempspassaitvite!Ilsesouvenaitd'ellecommed'unefilletteauvisagetavelédetachesderousseur.—EtCharlotte?—EllefascinetouslesjeuneshommesdeUpperHornsfield.—Ya-t-ilbeaucoupdepartisintéressantslà-bas?—Pasautantqu'àLondres,biensûr.Maisentre lenouveauvicaireet le filsduchâtelain
local,Charlottepeutcomptersurunepetitecoteried'admirateurs.Celadit,jenesuispassûrequ'elleaitconsciencedefaireseretournertousleshommessursonpassage.LaCharlottequisedisputaitunmorceaudetarteavecJaneladernièrefoisqu'ill'avaitvue
serait-elleenpassededevenirunefemmefatale?CetteidéefitsourireGodric.Laportedelasalleàmangers'ouvritsurcesentrefaites,etiltournalatête.Son épouse se tenait sur le seuil, aussi raide et impérieuse que la reine Boadicée
s'apprêtantàlanceruneattaquesuruncampromain.Megs'arrêtasurleseuildelasalleàmanger,letempsdesedonnerducourage.Godriclui
semblait différent de l'homme qu'elle avait revu la veille au soir. Peut-être était-cesimplement l'effetde la lumièredu jour.Ouparcequ'il étaitmieuxvêtudans son completmarron,certesusé.Oualors,c'était le restedesourirequi flottaitsurses lèvres.Sonvisageétait toutàcoup
moins creusé, moins marqué par le chagrin. Ses yeux gris devenaient lumineux. Et sonsourire attirait le regard sur ses lèvres pleines. Meg s'attarda un instant dans cettecontemplationetsedemandacequ'elleressentiraitsiellesrencontraientlessiennes...—Bonjour,dit-il,selevantpoliment.Megtentadeseressaisir.Elleavaitdécidé,àsonarrivée,d'attendre le leverdu jourpour
amorcersonentreprisedeséduction.Aprèsdeuxansdeséparation,elleauraiteutrèspeudechancesdesefaireconvierdanslelitdesonmaridèslepremiersoir.Maislematinétaitlàet...Bon.Étapesuivante.Séduiresonmari.Godricnesouriaitplusetavaitplissélesyeux,attendantuneréponseàsonbonjour.Meg
sesentittoutàcoupintimidéeetgaucheàresterainsiimmobile.Lebébé.Penseaubébé.Lajeunefemmecarralesépaules.—Bonjour!SonsouriredevaitêtreunpeutropforcécarSarah,quiavaitégalementtournélatêteàson
entrée,haussalessourcils.Meg se décida à pénétrer dans la pièce. Godric contourna la table pour lui avancer une
chaise,àcôtédeSarah.—J'espèrequevousavezbiendormi!Lachambreétaithumide,poussiéreuseetsentaitlemoisi.—Oui,trèsbien.Ilparutsceptique.Megsedirigeaversunechaiselibre,àladroitedesonmari.—Jepréféreraism'asseoirlà,sivousn'yvoyezpasd'inconvénient,dit-elle,lavoixsoudain
enrouée.Commecela,jeseraiplusprèsdevous.Etellebaissalescils,dansuneattitudequ'elleespéraitséductrice.Sonmarilaregardaitfixement,uneexpressionindéchiffrablesurlevisage.—Auriez-vousattrapéfroid?Sarahtoussota,manquantavalersonthédetravers.Zut!Fauted'expériencerécente,Megavaitoubliécommentflirter.Elleavaitvouluvoiler
savoixpourlarendreplussuggestive,maiselleavaitcomplètementratésoneffet.Elle jeta un regard courroucé à sa belle-sœur, se retenant à grand-peine de lui tirer la
langue.Godriclarejoignitpourluitirerlachaisequ'elleavaitchoisie.—Commevousvoudrez,dit-il.—Merci.Elles'assit,deplusenplusintimidéeparlaprésencephysiquedesonmari.Heureusement,ilretournaàsonpropresiège.Megl'observaducoindel'œil.Elles'interrogeait.Devait-elleluifairedupiedsouslatable?
Maisilsemblaitsigrave,sisérieux!Elleauraitl'impressiondefairedupiedàl'archevêquedeCanterbury.Puiselleavisalepetitdéjeuner,etsesdélicatesmanœuvresdeséductions'envolèrent.Un
plateau posé au centre de la table présentait quelques restants de toasts carbonisés et desœufsdurs.Megeutbeauinspecterlapièceduregard,ellen'aperçutriend'autreàmanger.—Voulez-vousuntoast?luiproposaSarah.—Oui,volontiers,réponditMeg,laquestionnantduregard.— Il semblerait que la cuisinière se soit volatilisée, expliqua Sarah, poussant le plateau
dans sa direction. Et Moulder est parti chercher une autre tasse. Mais d'ici son retour,n'hésitezpasàutiliserlamienne.—Euh...
Megfutdispenséed'avoiràrépondre:laportedelasalleàmangers'ouvritengrand.—Mesenfants ! s'exclama lagrand-tanteElvina, en faisant irruptiondans lapièce.Vous
n'imaginezpasdansquellechambrej'aipassélanuit!SaGrâces'esttrouvéeasphyxiéeparlapoussière.Lamalheureuseasouffertunebonnepartiedelanuit.Godrics'étaitrelevé.Ils'éclaircitlavoix.—SaGrâce?Unepetitechienneauventrerebondietaupelage fauveentraaumêmemomentdans la
pièce.Elle jeta un regardnégligent à la grand-tanteElvina, avant de se laisser choir sur letapis,oùelleexhibasonventregonfléavecdessoupirspathétiques.LetalentdeSaGrâcepourlemélodrameetl'exagérationn'avaitrienàenvieràceluidesa
maîtresse.—VoiciSaGrâce,crutbond'expliquerMeg.—Jevois,fitGodric.Et...euh,SaGrâceseporte-t-ellebien?—Elleiramieuxavecunboldelaitchaudrelevéd'unecuillerdesherry,réponditlagrand-
tanteElvina.Godricclignalesyeux.—Ah...jem'excuse,maisj'aipeurquenousn'ayonspasdelait.Quantausherry...—Nousn'enavonspasdavantage,intervintMoulder,quiarrivaitavecplusieurstassesdans
lesmains.—Eneffet,acquiesçaGodric.Peut-êtrequesij'avaisétéavertidevotrearrivée...—Oh,nevousexcusezpas,lecoupaMeg.Ilreportasonattentionsursafemmequisesentitdenouveauintimidée.— Après tout, s'empressa-t-elle d'ajouter, cela fait un moment que vous n'avez plus
personnepourtenircettemaison.Unefoisquenousauronsengagéunenouvellecuisinièreetquelquessoubrettessupplémentaires...—Ainsiqu'unegouvernanteetdesfemmesdechambre,complétaSarah.—Sansparlerdesvalets,renchéritlagrand-tanteElvina.Sipossiblebienbâtis.—NousavonsdéjàamenéavecnousOliver,Johnnyetvosdeuxvalets, lui fit remarquer
Meg.— Ils ne pourront pas s'acquitter à eux quatre de tout le nettoyage que requiert cette
maison,assuralagrand-tanteElvina.Avez-vousremarquél'étatdeschambres?Meg n'avait pas eu le temps de faire le tour du propriétaire, mais si la chambre dans
laquelleelleavaitdormireflétaitl'étatdeslieux,lajeunefemmenepouvaitqu'acquiescerauxproposd'Elvina.—Vousavezraison,dit-elle.Nousembaucheronsunedemi-douzainedevalets.— Je n'ai pas besoin d'une armée pour entretenir Saint House, répliqua son mari,
sèchement.D'autantquetoutcepersonnelserainutileaprèsvotredépart,quinedevraitpastarder,jesuppose?—Quoi?aboyalagrand-tanteElvinaenplaçantsamainencornetdevantsonoreille.Meg leva un doigt pour l'interrompre, car une interrogation venait de surgir dans son
esprit.EllesetournaversMoulder:—Vousn'êtesquandmêmepastoutseulpourvousoccuperdecettedemeure?—Ilyavaitd'autresdomestiques,maisilsnousontquittés,lesunsaprèslesautres,etils
n'ont pas été remplacés, expliqua Moulder, les yeux levés, comme s'il s'adressait auxaraignées qui peuplaient les moulures du plafond. Il ne restait plus que Tilly, une jeune
soubrette,maisilyaunmoisdecela,elleadécouvertqu'elleétaitenceinte.Jen'ysuispourrien,celaditenpassant.TouslesyeuxsetournèrentversGodric.Ilhaussalessourcils,d'unairvaguementexaspéré.—Moinonplus!Lemajordomehaussalesépaulesetcontinua:—Tillynousaquittésàsontour.Jecroisqu'ellecouraitaprèslecommisboucher.C'était
sansdouteluilepère.Oualorscejeunelarronquirôdaitsouventprèsdelaportedel'office.Ilyeutunsilence,commesitoutlemondes'interrogeaitsurlemystèredelapaternitéde
cetenfant.PuisGodrics’éclaircitlavoix.—Combiendetemps,exactement,comptez-vousresteràLondres,Margaret?Meg réussit à sourire. Elle détestait qu'on l'appelle par son prénom et le ton presque
comminatoirequ'ilavaitemployé.— Oh, je déteste prévoir les choses à l'avance. Ne trouvez-vous pas plus agréable de se
laisserporterparlesévénements?—Pourmapart,jene...Bontédivine!Ilinsistait!MegsetournadélibérémentversMoulder.—Donc,vousgérezseullamaison?Moulderfronçasesépaissourcilsbruns,cequifitapparaîtreplusieursridessursonfront
etaucoindesesyeux.Onauraitditunmartyr.—Oui,milady.Vousn'imaginezpasletravailquecelareprésente.D'autantquemasanté,
hélas,n'estpluscequ'elleétait.Godric marmonna quelques mots. Meg crut comprendre qu'il accusait Moulder « d'en
rajouter»,maisellecontinuad'ignorersonmari.—Danscesconditions,Moulder,jedoisvousremercierd'avoirprissoindeM.Saint-John
avecunetelleloyauté.Moulderrougit.—Oh,cen'étaitrien,milady.Godricreniflabruyamment.—Maintenantquejesuisici,nousallonsremettredel'ordre,s'empressad'ajouterMeg.—Maisexactementcombiendetemps...essayaencoreGodric.—Sapristi,regardezl'heure!s'exclamaMeg,endésignantlapenduledelacheminée.Ilétaitdifficiledesavoirsiellefonctionnaittoujours,maiscelan'avaitaucuneimportance.—Dépêchons-nous,ajouta-t-elle,sinonnousarriveronsenretardàlaréunionducomitéde
soutien.—Vousvoulezparlerdel'orphelinatdeSaint-Giles?demandaSarah.Meghochalatête.Lagrand-tanteElvinatentaitd'intéresserSaGrâceavecunmorceaudetoastcarbonisé.Elle
reportasonattentionsurlesautresconvives.—Pardon?—Laréunionducomitédesoutien,expliquapatiemmentMeg.Ellealieuàl'orphelinat.Il
esttempsdenousyrendre.— Parfait, acquiesça la vieille dame, qui se pencha pour prendre l'animal dans ses bras.
Avecunpeudechance,ilsaurontduthéetdessconesànousoffrir.
—Alors,allons-ytoutdesuite.Megsetournaverssonmariets'aperçutqu'ill'observaitIldétournaleregard.—Jesupposequevoussereztoutesrentréespourdéjeuner?Sontonsemblaitlas,commesicetteperspectiveleharassait.Megdécidad'intervenir. Jusqu'ici, il avait accueilli leur invasionet leprojetd'engagerde
nouveauxdomestiquessanssourciller.Maisellevoulaitjustementlevoirsourciller.—Non,moncher.Nousallonsnousrevoirdansdixminutes.—Jevousdemandepardon?Elleécarquillalesyeuxd'unairdeparfaiteinnocence.—Vousvenezavecnous,biensûr?— J'ai cru comprendre que ce comité de soutien à l'orphelinat de Saint-Giles n'était
composéquedefemmes.Enréalité,Godricn'ensavaitrien.—Votrecompagniemeferaitplaisir,assuraMeg,avecunpetitmouvementdelanguepour
humecterseslèvres.Etcettefois,enfin,ilyeutuneréaction!Sonmaris'attardaunbrefinstantsursabouche.
Megseretintdetriompher.—Sivouslesouhaitez,biensûr,ajouta-t-elle.AssisfaceàladyMargaretdanslavoiture,Godricregardaitsafemmed'unairqu'ilvoulait
morose. La vérité, c'est qu'il se demandait encore comment il s'était retrouvé dans cevéhicule. D'habitude, à cette heure de la journée, il se trouvait dans son café préféré, àéplucher les journaux,oualors ils'étaitbarricadédanssonbureaupour liretranquillementl'undeslivresdesabibliothèque.Enfin pas tout à fait. Cela faisait des semaines qu'il n'avait pas remis les pieds au café
Basham,etencorepluslongtempsqu'iln'avaitpasouvertl'undesesprécieuxouvrages.Laplupartdutemps,ils'étaitsurprisàsimplementcontemplerlesmursdesonbureau.Pourtant, cematin, son tourbillon d'épouse avait réussi à le convaincre d'assister à une
réunion de charitémondaine. S'il n'avait pas eu l'esprit cartésien, Godric aurait volontierssoupçonnéquelquesorcellerie.Pour l'heure, sa femme bavardait avec la grand-tante Elvina, assise à côté d'elle sur la
banquette,etavecSarah,installéeàcôtédeGodric.LadyMargaretévitaitsoigneusementdecroiserleregarddesonmari,toutenracontantàsesdeuxcompagneslagenèseducomitédesoutien.Dans le feu de la conversation, ses joues avaient rosi et ses yeux noirs semblaient plus
brillantsqued'ordinaire.Unemèchedecheveuxs'étaitéchappéedesacoiffureetretombaitcontresatempe,commesiellevoulaittenterunemaind'homme.Godricserraleslèvresetregardaparlafenêtre.Safemmeavaitpeut-êtreunamant.Cetteidéen'avaitrienpourleréjouir,maisellesemblaitassezlogique.Pourquoiunejeune
femmeaussivivantequeladyMargaretiraitsupporterlacompagniedeGodricsansraison?Àmoinsqu'ellen'aitunamantqu'elleespéraitretrouversecrètementàLondres...Godricsereprochait presque de ne pas y avoir pensé plus tôt. Après tout, ladyMargaret n'était plusvierge. Et Godric n'avait pas cherché à consommer leurmariage.Mais ce n'était pas parce
qu'ils'étaitrésignéàuneviedecélibatquesonépouseétaitobligéedesecomportercommelui. Lady Margaret était une jeune et belle femme. Elle avait de l'esprit. Et beaucoup devivacité.Autantdequalitésquidevaientluiattirerbiendessoupirants.Maisnon.LesenslogiquedeGodricl'amenaàrévisersonjugement:siladyMargaretavait
un amant, il devait résider dans le Cheshire, à proximité du domaine Saint-John. LadyMargaretn'avaitquittéLaurelwoodManorqu'ende très raresoccasionscesdeuxdernièresannées-etuniquementpourrendrevisiteàsafamille.Alors,pourquelleraisonétait-elleici?—Ah,nousvoilàenfinarrivés!s'exclamasafemme.Godric jeta un coup d'oeil par la fenêtre et put constater que l'attelage arrivait devant
l'hospice de Saint-Giles. L'immeuble, de plusieurs étages, était de construction récente etoccupaituneplace importantesurMaidenLane.Safaçadedebriquesrouges juraitavec lesautresbâtissesdeSaint-Giles,enbienmoinsbonétat.GodricattenditquelevaletdeladyMargaretaitdépliélesmarches,puisilsautahorsdela
voiture pour aider les dames à descendre. La grand-tante Elvina se relevaprécautionneusement de sa banquette. Elle devait avoir aumoins soixante-dix ans et bienqu'elle dédaignât l'usage d'une canne,Godric avait remarqué qu'elle ne tenait pas toujoursbiensursesjambes.ElleserraitsonpetitchiendanssesbrasetGodriccompritqu'ildevraits'occuperdel'animal.—SivousmepermettezdeprendreSaGrâce...glissa-t-ildansl'oreilledelavieillefemme.Lagrand-tanteElvinaluiretournaunregarddegratitude.—Merci,monsieurSaint-John.Godricpritlechiensousunbrasettenditsonautremainàlavieilledame.Unefoissurletrottoir,celle-ciinspectalesalentoursavecunfroncementdesourcils.—Quelquartier!JesuissûrequeladyCambridgeserascandalisée,quandjeluiécriraique
jesuisvenueici,lança-t-elle,levisageéclairédemalice.Godric,lepetitchientoujourssouslebras,aidaensuiteSarah.Puisilpritlamaindelady
Margaret. La jeune femme descendit de voiture les yeux baissés. Son parfum flottait dansl'air.Quelétait-il?Puiselledéplissasesjupes,toujourssansleregarder.Bonsang!Muparuneimpulsion,Godricsaisitlamèchedecheveuxrebellepourlareplacerderrière
l'oreilledesonépouse.Ellelevaenfinlesyeuxsurlui.Elleétaitsiprèsqu'ilpouvaitdistinguerlapupilledansles
prunellessombres.Etcettefois,ilidentifiasonparfum:fleurd'oranger.—Merci,murmura-t-elle.Godricserralesmâchoires.—Derien.Godricgravitensuiteleperronpourfrapperàlaporte.Elle s'ouvrit presque aussitôt sur un majordome à l'allure suffisamment hautaine pour
servirdansunpalais royalplutôtquedansunorphelinatduquartierSaint-Giles.Godric lesaluadelatêteetentra.— Ma femme et ses amies viennent assister à la réunion du comité de soutien. M.
Makepeaceest-illà?—Certainement,monsieur, répondit lemajordome,quiprenait les chapeauxet les gants
desdames,àmesurequ'ellesentraient.Jevaislechercher.
—C'estinutile,Butterman.WinterMakepeaceapparutàuneporteduvestibule.Ilétaittoujoursvêtudenoir,commeà
sonhabitude,maislacoupedesescostumesétaitbeaucoupplusluxueusedepuisqu'ilavaitépouséladyBeckinhall.—Bonjour,Saint-John.Etbonjour,mesdames.—Oh,monsieurMakepeace!s'exclamaladyMargaretenluiprenantlamain.Puis-jevous
présentermabelle-sœuretmagrand-tante?Sanstropsavoirpourquoietsetrouvantparfaitementridicule,Godricsesentitbouilliràla
vuedecesimplecontactentresafemmeetledirecteurdeslieux.Onprocédaauxprésentations.Makepeace inclinagravement la têtedevantchaquedame,
avantdesetournerversGodric,leregardamusé.— Qui vous accompagne ? demanda-t-il, désignant le petit chien que Godric n'avait pas
lâché.—SaGrâce,réponditGodric.—Jevousdemandepardon?Godricallaits'expliquer,quandunpetitterrieraupelageblancsurgitdanslevestibule.Dès
qu'ilaperçutSaGrâce,ilsemitàaboyerfurieusement.Lady Margaret et Sarah essayèrent, en vain, de faire taire les deux chiens qui avaient
déclenché leshostilités.Godricsurprit lagrand-tanteElvinaen traindedonneruncoupdepiedauterrier.Makepeaceouvrit laportedusalonréservéauxvisiteurs.Godric,comprenant l'invitation,
se déchargea du chien qu'il colla dans les bras de la grand-tante Elvina et poussa les troisfemmesverslesalon,oùsetenaitlaréunion.PuisMakepeacerefermalaportesivivementqueleterrierfaillitenperdresonmuseau.—Suivez-moi,dit-ilàGodric.Ledirecteurdel'orphelinatpartitversl'escalierauboutduvestibule.—Franchement,Dodo,tuauraisputemontrerplushospitalier.Le terrier, qui trottait à ses côtés, pencha la tête de côté en le regardant, comme s'il
l'écoutaitavecattention.—Tuasdelachancequejenet'enfermepasdanslegrenier.Godrics’éclaircitlavoix.—Ce...euh,Dodoattaque-t-iltoujoursvoshôtes?Makepeaceluijetaunregardsardonique.—Non,ilneréservecetaccueilqu'auxvisiteurscanins.—Ah.—Deuxfillettesontrejointnotreétablissementhiersoir,continuaMakepeace,alorsqu'il
gravissaitlegrandescalierdemarbre.AmenéesiciparlecélèbreFantômedeSaint-Giles.—Ahoui?Makepeacelegratifiad'unregardentendu.—J'aipenséquevousaimeriezfairelaconnaissancedenosnouvellespensionnaires?—Maiscertainement.Commecela,aumoins,Godricneseraitpasvenupourrien.—Nousyvoilà,annonçaMakepeace,ouvrantlaported'unedessallesdeclasse.Uncoupd'œildanslapiècerévélaàGodricdesrangéesdefillettesassisessurdesbancsà
recopier sagement quelque chose sur leurs ardoises.Godric fut heureuxde voirMoll et sa
sœuraînée chuchoterentreelles, cequi laissaitprésagerque lesdeux fillettes se sentaientdéjàbienici.Lebavardagesemblaitêtreunindiceuniverseldubonheurféminin.L'imagedeladyMargaretavecsesdeuxcompagnes,absorbéesdansleurconversationpendantletrajet,luirevintenmémoire.—MolletJanetMcNab,expliquaMakepeace,àvoixbasse.Mollestunpeujeunepourcette
classe,maisnousavonsjugépréférabledenepasséparerlesdeuxsœurslespremiersjours.Ilrefermalaporteetcontinuaplusavant,danslecouloirdésert.Touslesenfantsétaienten
cours,àcetteheure-ci.—Ellessontorphelines,poursuivitMakepeace.Janetm'aexpliquéquesonpèregagnaitsa
vieenramassantlesimmondices.Ilestmortenseveli,dansl’éboulementd'unedesmontagesdedétritusquisedressentàlapériphériedeLondres.Godricgrimaça.—Quellefinatroce.—Onpeutledire.Makepeace s'arrêta au bout du couloir.Deux chaises étaient disposées sous une fenêtre,
maisilnefitaucunmouvementpours'asseoir.— Il semblerait que les sœursMcNab étaient à la rue depuis presque une quinzaine de
jours,quandellessonttombéesentrelesgriffesdesKidnappeurs.—Oui, lesKidnappeurs, répétaGodric. Je croismesouvenirqu'ils avaientdéjàhanté les
ruesdeSaint-Giles.Etquevouslesaviezaffrontés,n'est-cepas?Makepeacejetaunregardderrièreluipours'assurerquelecouloirétaittoujoursdésert,et
ilcontinuaàvoixbasse.—Ilyadeuxansdecela,ilsenlevaientdesfillettesdanslesruesdeSaint-Giles.Godrichaussalessourcils.—Dansquelbut?— Pour fabriquer, dans un atelier clandestin, des bas ornés de dentelles, destinés à être
vendusàdes femmesde labonnesociété.Lesmalheureusesenfants travaillaientplusieursheuresparjoursansêtrepayées.Etc'estàpeinesiellesétaientnourries.—Maisleursravisseursavaientétéarrêtés,ilmesemble?Makepeacehochalatête.—Oui.J'avais trouvé leurrepèreet frappéà la têteduréseau :unaristocratedunomde
Seymour.Depuis,jen'enavaisplusentenduparler.Godricplissalesveux.—Mais?— Mais ces dernières semaines, des rumeurs troublantes sont parvenues jusqu'à mes
oreilles.DesfillettesdisparaîtraientànouveaudanslesruesdeSaint-Giles.Etpourlamêmeraison : travailler dans un atelier clandestin. Ma femme s'est d'ailleurs aperçue que lesfameuxbasornésdedentelless'arrachaienttoujoursdanslabonnesociété.IsabelMakepeaceétaitrestéeuneincontournablefiguredugrandmonde,endépitdeson
mariageavecundirecteurd'orphelinat.—Auriez-voussupprimélemauvaiscoupable?s'inquiétaGodric.—Non.Seymourétaitfierdesoncrime.Ils'envantait,avantquejeneluirèglesoncompte.
Soitquelqu'und'autrearemontél'affairedezéro,soit...—SoitSeymourn'étaitpastoutseulàlatêtedupremieratelier,murmuraGodric.—Effectivement.Ilfautdécouvrirquisecachederrièrecesraptsd'enfantsetymettreun
terme.Mais,depuismonmariage,j'airaccrochémonhabitdeFantômeauvestiaire.Quantàvous,maintenantquevotrefemmeestenville...—ElleneresterapaslongtempsàLondres,assuraGodric,d'untonsec.Makepeace arqua un sourcil, mais il était trop poli et discret pour chercher à en savoir
davantage.—Etl'autre?demandaGodric.Makepeacesecoualatête.—Voussavezbienqu'ilnetraquequ'uneseulechose.C'estpresquedelamonomanie,chez
lui.Godric acquiesça. Il existait trois Fantômes de Saint-Giles, même si chacun agissait en
solitaire. Le troisième larron de leur étrange trio était quelqu'un d'obsessionnel. Il ne leurseraitd'aucuneutilitépourcetteaffaire.—J'aipeurquecettemissionnereposesurvosépaules,ditMakepeace.—Trèsbien,fitGodric.ÀsupposerqueSeymouraiteuunassocié,auriez-vousuneidéede
quiilpourraits'agir?demanda-t-il,aprèsuninstantderéflexion.—Çapeutêtren'importequi,maisàvotreplacejecommenceraisparenquêterducôtédes
amisdeSeymour : le vicomted'Arque et le comtedeKershaw. Ils étaient très liés. Il vousfaudra aussi trouver cet atelier au plus vite. La dernière fois, j'étais arrivé juste à temps.Certainesdesfillettesquiytravaillaientn'auraientpassurvécuquelquesjoursdeplus.
3
Par une nuit sans lune, l'Hellequin s'intéressa à l'âme d'un jeune homme renversé à uncarrefouretquiagonisaitdans lesbrasdesabien-aimée.La jeune femmeétaitravissante.Son visage respirait l'innocence et la bonté. L'Hellequin se surprit à l'admirer. Certainsassurentquecederniern'apas toujoursétéauservicedudiable. Ilauraitétéautrefoisunhommeordinaire.Sicelaestvrai,levisagedelajeunefemmeavaitpeut-êtreréveilléenluiunrested'humanité,enfouidanslestréfondsdesonêtre.[...]
op.cit.Megs'appuyaàl'accoudoird'uncanapéetbutsatassedethéencontemplantl'assistance.
Lesmembresducomitédesoutiennesemblaientpass'êtrerenouvelésdurantsonabsence.Labelle-sœurdeMeg,ladyHeroReading,l'unedesdeuxcofondatricesducomité,étaitassisesur lemême canapé qu'elle. À côté de sa petite sœur, lady Phoebe Batten, une charmantejeunefemme,auvisagepotelé,quisouriaitdanslevague.Megs'interrogea.LavuedeladyPhoebeétaittrèsdéfaillanteladernièrefoisqu'ellel'avait
croisée.Était-elledevenuecomplètementaveugledepuis?Lesautresdamess'étaient installéeschacunedansunfauteuil.Ilyavait là ladyPénélope
Chadwicke,dontilsemurmuraitqu'elleétaitl'unedesplusricheshéritièresd'Angleterre.Etàenjugerparsesbeauxyeuxvioletsetsasomptueusechevelurenoire,aussil'unedesplusbelles.LadyPénélopene sortait jamais sans sadamede compagnie,MlleArtemisGreaves,une femme timide et réservée,mais néanmoins très plaisante à fréquenter. À la droite deMlle Greaves se trouvait l'autre cofondatrice du comité, l'intimidante et grisonnante ladyCaire.Sabelle-fille,TempéranceHuntington,la«jeune»ladyCaire,étaitassiseàcôtéd'elle.Etàcôtéencore,IsabelMakepeace,labelle-sœurdeTempérance,connuesouslenomdeladyBeckinhallavantsonmariageavecledirecteurdel'établissement.Si lesmembresduComitén'avaientpaschangé,Megnotaquelquesdifférencesdepuis la
dernière fois qu'elle avait assisté à une réunion. Cette pièce pour commencer.Meg l'avaitconnue aumoment de l'inauguration du nouveau bâtiment. Le salon réservé aux visiteursétait alors une pièce froide et peu accueillante. Ce n'était plus le cas -sans doute grâce àl'interventiondelanouvelleMmeMakepeace.Unravissantpaysagechampêtresurmontaitlacheminée,dontlemanteauétaitencombréd'objetshétéroclites:descoupesenporcelainedeChine,unepetitestatuettebleueenformedesalamandreetunependuledoréesoutenuepardeschérubins.—Jesuisraviequevousayezdécidéderevenirenville,machèresœur,lançaladyHero.Heroavaitprisl'habitudedel'appelersa«chèresœur»depuisqu'elleavaitépousélefrère
deMeg,Griffin.—Maprésenceaurait-ellemanquéàvosréunions?demandaMeg,d'unevoixenjouée.—Maisenfin,bien sûr ! répliquaHero,d'un tondegentille réprimande.Vousavezaussi
beaucoup manqué à Griffin. Et à moi. Nous ne nous voyons pas aussi souvent que je lesouhaiterais.
Megfronçalenez.Ellesesentaitcoupable.—Je suis désolée, s'excusa-t-elle, prenant unpetit-four dans le plateauposédevant elle.
J'avaisprojetédevenirpourNoël,maisletempsétaitsiexécrable...Elle s'interrompit, consciente que ses explications manquaient de conviction. La vérité,
c'est que depuis queGriffin était intervenu pour sauver sa réputation en lui organisant cemariageprécipitéavecGodric,Megnesavaitcommentaffrontersonfrère,nisurtoutquoiluidire.Herocroisasesmainsdanssongiron.—L'essentiel, c'estquevoussoyezparminousaujourd'hui.Avez-vousdéjàvuThomaset
Lavinia?—Euh...Heroplissalesyeux.—Thomassait-ilquevousêtesàLondres?Non, bien sûr.Megn'avait pas informé son frère aîné, lemarquis deMandeville, de son
arrivée.Hero, avec son intuition habituelle, parut deviner queMeg n'avait averti personne de sa
venue.Aulieudeharcelersabelle-sœurdequestions,ellesecontentadesoupirer.— Bien. Votre arrivéeme fournira un prétexte pour inviter tout lemonde à dîner.Mais
avantcela,jecomptesurvouspourvenirrendrevisiteàmonadorablepetitWilliam.Savez-vousqu'ilestdéjàplusgrandqu'Annalise?Tout en parlant, Hero désignait de la tête la fille de Tempérance et de lord Caire, qui
s'agrippaitaurebordd'unetablebassepours'approcherdeSaGrâce.Lapetitechienneétaitlovée sous le fauteuil de la grand-tante Elvina et elle jetait des regards circonspects endirectionde la fillette.Unautre changement survenupendant cesdeux annéesd'absence...Annalise Huntington avait dix-huit mois. Elle portait une ravissante petite robe blanche,ourléededentelle,etunnœudpapillonbleuétaitglissédanssescheveuxnoirs.LebébédeMeg-s'ilavaitsurvécu-auraitaujourd'huilemêmeâgequ'elle.Megdéglutitpourravalersonchagrinquitentaitderefairesurface.Quandelleavaitperdu
son bébé, et avec lui le dernier lien qui la rattachait à Roger, elle avait pensé mourir.Commentunêtrehumainpourrait-ilsouffrirautant,fairecoulertantdelarmes,etcontinuerencore à vivre ?Et pourtant, son chagrin ne l'avait pas tuée.Elle avait survécu, elle s'étaitremise des douleurs physiques de sa fausse-couche et, peu à peu, elle s'était de nouveauintéresséeaumondequil'entourait.Elleavaitmêmefiniparretrouverlesourire.Maislaplaien'avaitpascicatrisé.Etelleétaitmaintenantpoursuivieparledésird'avoirun
enfant.Meg inspira profondément pour reprendre contenance. La dernière fois qu'elle avait vu
William, il avait une semaine. Et encore avait-elle rapidement coupé court à la visite pourmettrefinàcettetorture.—Williama-t-iltoujourslesmêmescheveux?Heros'esclaffa.Williamétaitnéavecdescheveuxcouleurcarotte.—Non,ilscommencentàfoncer.Griffinestunpeudéçu.Ilauraitvouluunhéritierquiait
lesmêmescheveuxquemoi.Megesquissaunsourire.—J'aihâtederevoirmonneveu.Elleétaitsincère.Elleavaitdéjàperdutropdetemps.
—Tantmieux,réponditHero,avecunregardentendu.Elleétaitl'unedesrarespersonnesàavoirétémisesdanslaconfidencedelavraieraison
desonmariageprécipité.AnnaliseatteignitenfinSaGrâce,mais lachiennes'enfuitventreàterre,cequiprovoqua
unéclatderiregénéral.Megfutheureusedecettedistraction,quiluipermitdedétournerlatêteetd'éviterleregardunpeutropscrutateurdesabelle-sœur.SaGrâce courut tout autour de la pièce avant de venir trouver refuge, à bout de souffle,
derrièrelesjupesdeMeg.Le visage d'Annalise s'était décomposé. Tempérance, devinant la crise de larmes
imminente,sepenchaverssafille,maisladyCairefutplusrapidequ'elle:—Tiens,machérie.Reprendsunautrepetit-four.Tempéranceneditrien,maisMeglavitleverlesyeuxauciel.S'apercevantqueMegavait
remarquésaréaction,ellesepenchaverselle,pourluichuchoter:—Ellelagâtebeaucouptrop.—Commetouteslesgrands-mères,répliqualadyCaire,quiavaitentendu.Etmaintenant,
j'aimerais que nous entrions dans le vif du sujet. Le nombre de pensionnaires del'établissement a considérablement augmenté au cours de l'année écoulée. Actuellement,nousavons...— Cinquante-quatre pensionnaires, intervint Isabel Makepeace, pour donner le chiffre
exact.Deuxfillettessontencorearrivéeshiersoir.LadyCairehochalatête.— Merci, madame Makepeace. Nous sommes évidemment ravies que l'établissement
puisse aider autant d'orphelins, mais nous rencontrons quelques difficultés à placerconvenablementlesenfantsenapprentissage,enparticulierlesfilles.—Pourtant,cenesontpaslesemploisdesoubrettesquimanquentàLondres,pointalady
Pénélope.— En fait, si, la corrigea Tempérance. Du moins, les emplois de soubrettes dans des
maisonsoùlepersonnelesttraitéavecrespect.Isabelsepenchapourremplirsatassedethé.—Pasplus tardque lasemainedernière,nousavonsdûreprendreunepensionnaire,dit-
elle.Meghaussalessourcils.—Commentcela?—Lamaîtressedemaisonbattaitsesemployées,expliqualadyCaire.—Oh!gémitMeg,horrifiée,avantdeserécrier.Maisj'aijustementbesoindedomestiques
!Touteslesautresdamessetournèrentdanssadirection.—C'estvrai?demandaladyCaire.—Maisoui,confirmaSarah,quis'exprimaitpourlapremièrefois.Monfrèren'aplusqu'un
seulhommeàtoutfairepours'occuperdeSaintHouse.—Bontédivine!s'exclamaTempérance.JesuissûrequeCaireignorequeM.Saint-Johna
desennuis.— Il ne s'agit pas d'ennuis financiers, s'empressa de préciser Sarah.Godric a lesmoyens
d'engagerautantdedomestiquesqu'illesouhaite,maisilneprendpaslapeinedelefaire.—Quoi?tonnalagrand-tanteElvina.
Sarahsetournaverselleetarticula:—Jepensequemonfrèren'apasréaliséqu'ilavaitbesoindedavantagededomestiques.—Leshommessontincompétentsenlamatière,assuralavieilledame.—C'est exact, approuva ladyCaire.Maismaintenantquenous sommes informéesde ses
difficultés-etdesvôtres,ladyMargaret-,nousallonsvousaideràyremédier.Nousdevonsavoirplusieurspensionnairesprêtesàentrerauservicede ladyMargaret,n'est-cepasMmeMakepeace?— Au moins quatre, répondit Isabel. Mais elles n'ont que douze ans, ce qui veut dire
qu'ellesaurontbesoind'êtreencadréespourapprendrelemétier.—Pourcela,jepeuxvousrecommanderuneexcellentegouvernante,proposaladyCaire.—Merci,réponditMeg.Elleavait toujours trouvécettedameunpeuaustère,maisapparemment, ellepouvait se
montrerchaleureuse.Megétaitravie.Enunclind'oeil,elleavaitdénichéunegouvernanteetdessoubrettespourSaintHouse.—Jeluidiraidepasserchezvouscesoir,sivousêtesd'accord,proposaencoreladyCaire.—Oui,ceseraitparfait,acquiesçaMeg,avantdebaisserlesyeuxsursesgenoux.Annalise s'agrippait d'unemain à ses jupes, tandis quede l'autre elle battait l'air sous le
fauteuildeMeg.Unpetitglapissements'enéchappa.SaGrâceétaitdécouverte.Annalise leva un instant les yeux versMeg, avec un sourire de triomphe.Meg se figea.
C'étaitbienlàcedontelleavaitleplusenvie.Unenfant.Unenfantrienqu'àelle.Hiersoir,soncouragel'avaitabandonnée.Celanesereproduiraitpas.Cesoir,elleséduiraitsonmari.Mais comment s'y prendre pour séduire un mari que l'on connaissait à peine ? Meg
réfléchitàcetteépineusequestiontoutl'après-midietencedébutdesoirée.Seseffortsdelamatinéen'avaientguèreétécouronnésdesuccès.Peut-êtredevrait-elle informerclairementGodricdesesintentions?Enluiécrivantunmot,parexemple?Cher ami, je vous serais très reconnaissante de consentir à consommer notre mariage.
Votreépousedévouée.—Êtes-vousd'accordavecmoi,milady?Megsursautaàlaquestiondesanouvellegouvernante,MmeCrumb.Lesdeuxfemmesse
trouvaientdans la salle àmanger, l'unedes rarespiècesqueMmeCrumbconsidéraitpourl'instantcommehabitables.—Euh...jesuisdésolée,s'excusaMeg.Jen'aipasbienentendu.—Sivousêtesd'accord,milady,jevaisprendrelaresponsabilitéd'engagermoi-mêmeune
nouvellecuisinière.L'expériencem'aapprisquec'étaitunemploistratégique.Unemaisonnéebiennourriefonctionnetoujoursmieux.MmeCrumbs'adressaitàMegsuruntondedéférence,maisavecunedéterminationsans
bornes.Cette femme lasurprenait.NonpasqueMegdoutâtunseul instantqu'elle fûtunegouvernanted'exception.Moinsd'unedemi-heureaprèssonarrivéeàSaintHouse,elleavaitdéjà distribué les tâches les plus urgentes aux filles venues de l'orphelinat. Et, outrée parl'étatdelacuisine,elleavaitordonnéd'untonsipéremptoireàMoulderdejetertoutcequiavaituneapparenceàpeuprèscomestibleque lemajordomes'étaitexécutésansbroncher.Grandepourunefemme,unportdegénéral,MmeCrumbavaitdescheveuxnoirs,sagement
dissimulés sousune coiffeblanche, etun regard tout aussinoir,qui incitait à l'obéissance.Mais-etc'étaitlàquerésidaitlasurprise-,MmeCrumbnedevaitpasavoirbeaucoupplusdevingt-cinq ans.Meg aurait aimé lui demander comment elle avait pu accéder au statut degouvernanteetsefairerecommanderparladyCaireàunaussijeuneâge,maisellen'osapas.Pourtoutdire,sanouvellegouvernantel'intimidaitunpeu.—Oui,acquiesçaMeg.Bonneidée.Jevouslaissecarteblanche.—Enattendant,milady,j'aiprislalibertédecommanderàl'aubergelaplusprocheuneoie
rôtie,dupainfrais,destourtesetunassortimentdelégumespourledîner.Ainsiquedequoinourrirlesdomestiques.—Merveilleux!s'exclamaMeg,raviedetantd'efficacité.Elleavaitcraintdedevoirsecontenterd'œufsdurspour ledîner -àsupposerqu'il restât
encoredesœufsdanslamaison.Etl'oierôtieétaitl'undesesmetspréférés.Maisqu'enétait-ildeGodric?Meg ignorait totalement lesgoûtsculinairesdesonmari. Iln'enavait jamaisparlédansseslettres.Etàenjugerparlepiètreétatdesacuisine,bienmangernesemblaitpas être l'une de ses préoccupations. Il avait tort, d'ailleurs. Un bon repas mettait tout lemondedebonnehumeur.Megdevaitdécouvrirauplusvitecequ'ilaimaitavoiràdîner.SiMmeCrumbs'aperçutdesadistraction,ellen'enmontrarien.—Avecvotrepermission,milady,ledînerseraserviici,àvingtheures.Megjetaunregardàlapenduledelacheminée.Plusqu'unedemi-heure!—Danscecas,jevaistoutdesuitemonterfaireunbrindetoilette.MmeCrumbs'inclinapoliment.—Oui,milady.Jem'occupedetout.Etellequittalapiècedesonalluremartiale.Megsedépêchaderejoindresachambre.D'ordinaire,ellenesesouciaitpasdes'habiller
spécialementpourledîner,maiscesoir,c'étaitparticulier.—Marobedesoieécarlate,s'ilteplaît,Danielle,demanda-t-elleàsacamériste.Cette robe était vieille de plus de trois ans - elle datait d'avant son exil volontaire à la
campagne. Mais les quelques réceptions mondaines auxquelles Meg avait assisté à UpperHornsfieldétaientbeaucoupmoinsformellesqu'àLondres.Megn'avaitpas jugéutiledesecommanderdenouvellesrobes,alorsquecellesqu'ellepossédaitsurpassaientdéjàenéclatlestoilettesdelagentrylocale.Aumoment de passer sa tenue,Meg s'aperçut que le bustier comprimait sa poitrine au
point que celle-ci semblait vouloir en jaillir à tout instant. Les mets de la campagnesemblaientavoirdonnédureliefàcettepartiedesonanatomie.Elleallaitêtreobligéedeserendrerapidementchezunecouturièrepourrenouvelersagarde-robe.En attendant, la robe écarlate mettait en valeur ses cheveux noirs et sa peau laiteuse.
Devant le miroir de sa coiffeuse, Meg remit en place une mèche de cheveux qui s'étaitéchappée de son chignon. Elle n'avait pas le temps de demander à Danielle de refaireentièrementsacoiffure.Ilétaitdéjàvingtheures.Lajeunefemmequittasirapidementsachambrequ'ellefaillitentrerencollisionavecson
mari.—Oh!Ilsétaientsiprèsl'undel'autrequeletorsedeGodricfrôlaitlapoitrinedeMeg.Ilbaissafurtivementlesyeuxsursapoitrine,maissonexpressionnechangeapasd'uniota.
Ilauraittoutaussibienpucontemplerunmorceaudeviande,saréactionauraitétélamême.
Bonsang!Megn'étaitpasunmorceaudeviande!—Pardonnez-moi,milady.Elles'obligeaàluisourire.— Mais de rien, dit-elle, accrochant son bras au sien. Vous arrivez juste à temps pour
m'escorterjusqu'aurez-de-chaussée.Ilinclinapolimentlatête,cependantMeglesentitseraidir.Bien.Megn'avaitjamaisdéserté.Certes,elles'étaitretiréeàlacampagnepourseremettre
de la perte de Roger et de leur bébé.Mais à présent qu'elle avait recouvré des forces, ellen'entendaitpascapitulersanscombattre.Ellevoulaitunenfant.Aussisepressa-t-ellecontreGodric,ignorantl'attituderéfractairedesonmari.—Vousnousavezmanquécetaprès-midi.GodricavaitabandonnéSarahetMegaussitôtaprèsleurretourdeSaint-Giles,leslaissant
s'occuperde la réorganisationdeSaintHouse.Sansdouteavait-il terminé la journéeà sonclub.IlregardaitMegavecunesorted'incrédulité.Lajeunefemmes’éclaircitlavoix.—SarahetmoisommesvenuesàLondrespourvisiterlaville.— J'avais cru comprendre que c'était pour faire les boutiques, répliqua-t-il d'un ton
ironique.Ça,etminermamaisonnée.Vousvoyagezavecunevéritablearmée.Megsentitsonsangbouillir.—Cen'estpasduluxe.Nousavonsbesoindetouscesdomestiques.—Ycomprislejardinier?—Jesuissûrequevotrejardinabesoind'entretien.Celam'étonneraitbeaucoupqu'ilsoit
enmeilleurétatqueleparcdeLaurelwoodManortelquejel'aitrouvéilyadeuxans.—Hmm.Et la grand-tanteElvina ?Pourquoi l'avoir amenée?Ellepeste toujours contre
tout.Vousycompris.Ils descendaient à présent l'escalier, et Meg baissa la voix. La grand-tante Elvina avait
prouvé plus d'une fois qu'elle pouvait retrouver miraculeusement l'ouïe en certainesoccasions.—Elleestunpeurevêcheenapparence,c'estvrai,maiselleaungrandcœur.Sonmariarquaunsourcil,sceptique.Megsoupira.—JenevoulaispaslalaisserseuleàLaurelwood.Elleseseraitennuyée.—Ellehabiteavecvous?—Oui.Pourtoutvousavouer,lagrand-tanteElvinaafaitletourdelafamille.—Ah.Vousétiezsondernierressort,sijecomprendsbien?—Euh,oui,c'estunpeucela.Leproblèmedegrand-tanteElvina,c'estqu'elleparlesouvent
unpeutropfranchement.ElleaditàmacousineArabellaquesafilleavaitunnezenformedegroin,cequiesthélasvrai,maisgrand-tanteElvinaauraitpusepasserdelesouligner.Godrics'esclaffa.—Çanevousapasempêchéedeprendrecettemégèresousvotreaile!—Ilfallaitbienquequelqu'unsedévoue,réponditMeg.Et, voyant que l'expressionde sonmari était plusdétendue, elle enprofita pourpousser
sonavantage:—J'espéraisprofiterdeceséjourpourapprendreàmieuxvousconnaître,Go...Godric.
C'étaitlapremièrefoisqu'ellel'appelaitparsonprénometellen'avaitpaspus'empêcherdebégayer.Illuidécochaunregardsardonique.— Voilà un noble but, Margaret. Cependant, je crois que nous avons réussi à nous
débrouillerjusqu'ici.— Nous n'avons rien fait ensemble, objecta Meg un peu trop vivement, alors qu'ils
atteignaient le rez-de-chaussée.Nousavonsvécu séparément, ajouta-t-elle, radoucie, en luicaressantl'avant-bras.Ets'ilvousplaît,appelez-moiMeg.Ilregardaitsamain,quidessinaitdescerclessursamanche.—J'avaisl'impressionquevousétiezheureuseainsi.Ilnel'avaitpasappeléeMeg.Pourquois'entêtait-ilàrendreleschosessidifficiles?— J'étais heureuse. Ou du moins, satisfaite. Mais ce n'est pas une raison pour nous
dissuaderd'espérermieux.Jesuisconvaincuequesinousessayons,noustrouveronsquelquechose...d'agréableàfaireensemble.Ilfronçalégèrementlessourcils,etMegéprouvalatrèsnetteimpressionqu'ilnepartageait
passonpointdevue.Mais ils arrivaientdans le petit salon adjacent à la salle àmanger, oùSarah et la grand-
tanteElvinalesattendaient.— Nous venons d'apprendre que nous aurions enfin un vrai dîner ! leur lança Sarah,
enjouée.GodricsetournaversMeg:—Vousavezdéjàembauchéunecuisinière?—Non,pas encore.Mais je crois quenous avonsmieux.Apparemment, j'ai décroché les
servicesdelameilleuregouvernantedeLondres.MmeCrumb.Quelqu'unrenifladerrièreelle.MegseretournaetdécouvritunMoulderméconnaissable.
Sa perruque était poudrée de frais, ses souliers brillaient et pas un pli ne froissait soncostume.—Cettefemmeestuntyrandomestique,grogna-t-il.—Moulder,s'amusaGodric,tuasl'air...d'unmajordome.Mouldergrommelaquelquechoseetleurouvritlesportesdelasalleàmanger.Meg fut ravie de constater les premiers changements : les toiles d'araignées du plafond
avaientdisparu.Lacheminéeavaitéténettoyéeetunfeucrépitaitdansl'âtre.Lagrandetablequioccupait le centrede lapièceavait été encaustiquée jusqu'à cequ'ellebrille commeunmiroir.Godricenrestacoi.—Votregouvernanteesteneffetuneperlepouravoirréussiàtransformercettepièceen
aussipeudetemps.—Espérons que sa promesse d'un bon dîner sera dumême acabit,marmonna la grand-
tanteElvina.LasuitedesévénementsprouvaqueMmeCrumbétaitdécidémentunegouvernantehors
pair.JohnnyetOliverapportèrentledîneretMegputprofiterdesapartd'oierôtie.La jeune femme soupira de contentement à la première bouchée. L'oie était goûteuse et
juteuse à souhait. Mais devant le regard énigmatique de son mari, elle s'empressa dereprendrecontenance.—Laviandeestexcellente,n'est-cepas?
Godricjetaunregardcirconspectàsonassiette.—Oui,àconditiond'aimerl'oie.Megsentitlesolsedérobersoussespieds.—C'estmoncas.Pasvous?—Jetrouvel'oieunpeutropgrasse.—Grosse?Quiestgrosse?pressalagrand-tanteElvina.—Grasse,corrigeaGodric.L'oieestgrasse,répéta-t-ilenhaussantlavoix.—Lesoiessontsenséesêtregrasses,marmonnalagrand-tanteElvina.Sinon,leurchairest
tropsèche.Elle piqua un morceau de viande avec sa fourchette pour le tendre à Sa Grâce. Meg
s'obligeaàsourireàsonmari.—Sivousn'aimezpasl'oie,qu'aimez-vousmanger,alors?Ilhaussalesépaules.—Jemecontentedecequ'ilyadansmonassiette.Megfitungroseffortpourgarderlesourire.—Maisjevoudraissavoircequevousaimezplusparticulièrement?—Etjevousairéponduquecelan'avaitpasd'importance.LesjouesdeMegcommençaientàs'ankyloseràforcedesourire.—Laviande?Lejambon?Lepoisson?—Margaret...—Lestripes?Lacervelle?—Non,paslacervelle!—Pasdecervelle.J'enprendsbonnenote.Sarahtoussadanssaserviette.Lagrand-tanteElvinadonnaunautremorceaudeviandeàSaGrâce,avantdedéclarer:—J'aimebeaucouplacervellefritedansdubeurre.Godricbutunegorgéedevin,puisilreposasonverreàl'endroitexactoùill'avaitpris.—J'aiunfaiblepourlatourteaupigeon,avoua-t-il.—Ah,bon?fitMeg,enchantée.(Elleétaitaussiexcitéequesielleavaitgagnéuntrophéeà
un stand de foire.) Je demanderai à Mme Crumb d'en avertir la nouvelle cuisinière, dèsqu'elleserarecrutée.Ilinclinalatête.—Merci.MegsurpritunsourirechezSarahetellesesentitrougir.Cependant,elleavaituneautre
questionpoursonmari.—Qu'avez-vousfait,cetaprès-midi,pendantquenousnousoccupionsdelamaison?Godricbutunenouvellegorgéedevin.Ilsemblaitévitersonregard.—J'étaisaucaféBasham.J'yvaissouvent.Lagrand-tanteElvinafronçalessourcilsetMegs'alarma.Satanteexprimaitvolontiersdes
opinionstrèstranchées.—C'est unemauvaisehabitude, dit la vieille dame.Les cafés sont des lieuxdeperdition
enfumés,fréquentéspardesfemmesdemauvaisevie.—Sansparlerqu'onyboitducafé,ajoutaGodric,levisagefermé.—Oui,ducafé,évidemment,mais...commençalagrand-tanteElvina.—CommentvaSaGrâce,cesoir?l'interrompitMeg.Elleal'aird'avoirbonappétit,insista-
t-ellepouroublierlesourireironiquedeGodricposésurelle.—SaGrâceestrestéecouchéetoutl'après-midi,àseremettredesesémotions.Cettefillette
l'a terrorisée, à vouloir la poursuivre. Les enfants sont adorables, bien sûr,mais tellementnerveux. Il faudrait trouver unmoyen de les maîtriser, surtout face à des créatures aussifragilesqueSaGrâce.—Vousvoudriezlesenfermerdansdescages?demandainnocemmentSarah.— Il suffirait de les attacher à des piquets solidement enfoncés dans la terre, intervint
Godric.Touslesregardssebraquèrentsurlui.Sarahétaitmédusée.—Maiscommentferais-tu,àl'intérieur?—Lemieuxseraitde les laisser toujoursdehors, répliquaGodric, imperturbable.Comme
cela, ils profiteraient du grand air.Mais pour les parents qui tiendraient absolument à lesrentrer,onremplaceraitlespiquetspardesanneauxscellésdanslesmurs.Lagrand-tanteElvinafronçadenouveaulessourcils.Ellen'étaitpasréputéepoursonsens
del'humour.—MonsieurSaint-John?Ilsetournapolimentverselle.—Oui,madame?—Jenepeuxpascroireuninstantquevoussuggériezsérieusementd'attacherlesenfants
auxmurs.Godricseresservitduvin.—Oh,non,madame.Vousm'avezmalcompris.—Ah,mevoilàsoulagée...—Jeneparlaispas«d'attacher»lesenfants,maisdeles«pendre»,précisa-t-il,avecun
sourirechaleureuxpourlavieillefemme.Unpeucommedestableaux,voyez-vous.Megsecouvritlabouched'unemainpourseretenirdeglousser.Quiauraitpupenserque
sonaustèremaripourraitserévéleraussifacétieux?Elles'aperçutqu'il la fixaitduregard.Etelleeut l'étrange intuitionqu'ilavait taquinée la
grand-tanteElvinauniquementpourl'amuser.—Godric,letançaSarah.Godric se tourna vers sa sœur et Meg se demanda si elle n'était pas victime de son
imagination. Sans doute donnait-elle trop d'interprétation à ce qui n'était qu'un jeu entreGodricetsasœur.Quandmême...MegauraitbienaimésentirqueGodrics'intéressaitàelle.Elledevaità toutprixs'unirà
lui.C'étaitunacte intimequ'ellen'avait encorepratiquéqu'avecunseulhomme,etqu'elleavait aimé. Mais séduire quelqu'un qui vous était pratiquement étranger était une tâcheintimidante.Malheureusement,Megnevoyaitpasd'autresolutionpourarriveràsesfins.Lajeunefemmeterminasondîneravecunenervositégrandissante.Lerepasterminé,ilsseretirèrenttousdanslabibliothèqueetSarahconvainquitGodricde
lire à haute voix une histoire des rois d'Angleterre, pendant que la grand-tante Elvinasomnolaitdansun fauteuilàbascule.Sarahavaitapportéavecelle sonpanieràouvrageetelles'absorbadanssabroderie.Meg,elle,n'avaitjamaisétéuneferventeadeptedestravauxd'aiguille.Elletraversalapiècedelongenlargependantplusieursminutes,lavoixgravede
sonmariavivantencoresonanxiété.—Machère,sussurraSarah.Quediriez-vousdevenirvousasseoiràmescôtés?J'aileplus
grandmalàmeconcentrersurmonouvrage.Megfutbienobligéed'obéiretellen'eutpasd'autrechoixquederegarderGodricpendant
qu'il lisait. Le chandelier posé à côté de lui jetait des ombresmouvantes sur son profil. Ilsemblait plus jeune, ce soir, malgré son éternelle perruque grise et ses lunettes en demi-lunesdontilseservaitpourlire.Àunmoment,ilrelevalesyeuxdanssadirectionetMegtentaunsouriredeséductrice.Le
regard de son mari s'arrêta sur ses lèvres, mais son expression demeurait indéchiffrable.Décidément,ellenesavaitriendecethomme!Finalement, la soirée s'achevaetMegputmonterdans sa chambre.Danielle l'yattendait
pourl'aideràsedéshabilleretàsepréparerpourlanuit.Megs'inspectadanslemiroirdesacoiffeuse,pendantquesacamériste luibrossait les cheveux.Elle regrettaitdenepas s'êtreachetéunenouvellechemisedenuit.Oupourquoipas,undéshabilléensoie.Quelquechosequi aurait pu l'aider à séduire son mari. La chemise de nuit qu'elle portait n'était passpécialementancienne,maiselleétaittrèsordinaireetàpeinebrodée.—Merci,Danielle,dit-elle,quandsacaméristeeutfinideluibrosserlescheveux.Dèsqueladomestiquesefutretirée,Megallaseposterdevantlaportequicommuniquait
aveclachambredesonmari.Cettefois,iln'étaitplusquestiondereculernides'inventeruneexcusepourretarderl'échéance.Ellesaisitlapoignéeetouvritgrandlaporte.Lachambreétaitvide.—Poursuivez-le!L'ordre du capitaine des dragons se répercuta entre les façades des immeubles. Godric,
furieux,marmonnaunjuronavantdesefaufilerdansuneruelle.Sonplannesedéroulaitpascomme il l'avaitprévu. Il était venuàSaint-Gilesafind'interrogerunevieille connaissancesurlesagissementsdesKidnappeurs.Malheureusement,unefoisdanslequartier,ilavaiteula malchance de tomber sur un détachement de dragons, commandé par le redoutablecapitaineTrevillion.La ruelle reliaitdeuxartèresplus larges,mais lesdragonsdevaientdéjàavoir encerclé le
pâté demaisons. AussiGodric, en fin connaisseur des lieux, préféra-t-il se cacher dans unrecoinentredeuximmeubles.Puisilseplaquacontreunmur,retintsarespirationetsembladisparaître.Despasrésonnèrentbientôtdanslaruelle.— Si Dieu est avec nous, nous parviendrons à le capturer ce soir, tonnait la voix du
capitaineTrevillion.Godric leva lesyeuxauciel.Lecapitaineet sesdragonsavaientétéaffectésàSaint-Giles
troisansplustôtpourmettreuntermeautraficdeginetcapturerleFantômedeSaint-Giles.Àcejour, ilsn'avaientatteintaucundeleursbuts.Certes, lesmilitairesavaientappréhendéplusieursrevendeursd'alcool,maisils'entrouvaittoujoursd'autrespourprendreleurplace.C'étaitcommesiTrevillions'étaitmisentêtedeviderlaTamiseavecunetasseàcafé.QuantauFantômedeSaint-Giles,malgré tous sesvaillantsefforts, le capitainen'avaitpasencoreréussiàluimettrelamaindessus.EtGodricespéraitbienquelachancecontinueraitdeluisourire.Il attendit que les pas se fussent éloignés et prolongea même son attente de quelques
minutessupplémentaires.Quandils'aventuraenfinhorsdesacachette,laruelleétaitdéserte.Ou du moins, elle paraissait déserte. Car Trevillion était un chasseur opiniâtre, qui
n'hésitait pas à revenir sur ses pas pour frapper précisément au moment où sa proies'imaginaithorsdedanger.Lanuits'annonçaittrèsmauvaisepourlesactivitésduFantôme.Godricatteignitl'extrémitédelaruellejusteàtemps.Ainsiqu'ill'avaitredouté,Trevillion
avaitordonnéàquelques-unsdeseshommesdefouillerànouveaularuelle.Ilsétaienttrois,etGodricfutobligédecouriràtoutesjambespourleuréchapper.Trente longuesminutesplustard, ilsautaitpardessus lagrilledeson jardin.SaintHouse
avaitétéconstruiteàuneépoqueoùl'accèsdirectàlaTamiseétaittrèsprisédesaristocrates,d'abordcommeunsignedeprestige,maisaussi,d'unpointdevuepluspratique,parcequelefleuveservaitdemoyendetransport.Lejardins'étiraitenpentedoucedelamaisonjusqu'àlagrille donnant sur le fleuve : une grande arche de pierre surmontait cette dernière, quipermettaitd'accéderauxquelquesmarchesconduisantàlaberge.Sesancêtresavaientaimémontrer leur fortune en disposant d'un embarcadère privé sur la Tamise. Godric, lui,appréciait la localisationdeSaintHousepourdesraisonsmoinsavouables:celapermettaitplusfacilementauFantômed'alleretveniràl'abridestémoins.Commeàsonhabitude,ilattenditquelquesinstants,àl'abrid'unfourré,pours'assurerque
la voie était libre. Rien ne bougeait dans le jardin, à part la silhouette d'un chat qui nesemblaitpass'intéresseràlui.Godricsefaufiladiscrètementjusqu'àlamaison,entraparlaportedel'officeetpoursuivitjusqu'àsonbureau.Lapièce étaitdéserte et la cheminée éteinte. Il nepritmêmepas lapeined'allumerune
chandelle : ilmarcha tout droit jusqu'à un panneau de boiserie, près de la cheminée, et ilappuyadessus.Lepanneaupivota,révélantunenichedanslemuroùGodricavaitcachéseshabitspourlanuit.GodricsedébarrassaprestementdesoncostumedeFantômepourenfilerunechemisedenuitqu'ilrecouvritd'unpeignoir.Puisilquittasonbureauetpritladirectiondesachambre.Ilsesentaitharassé.Lajournée
avaitétélongue.Etpourl'instant,ilignoraittoujourscombiendetempsMargaretavaitprévude resteràLondres.Sarahet la vieille tanteElvina semblaient se comporter commes'ilnes'agissaitqued'unebrèvevisitedequelquesjours,maisGodricavaitl'intuitionqueMargaretluicachaitquelquechose.Pourvuqu'ellen'aitpasdécidédes'installeràdemeure!Depuisqu'ilavaitregagnélecoconprotecteurdesamaison,Godricavaitbaissélagarde.Et
ses pensées avaient contribué à le distraire encore un peu plus. C'est aumoment d'entrerdanssachambrequ'ilfutattaqué.Deuxbrassenouèrentàsoncouetuncorpslepoussacontrelemur.Godriceutjusteletempsdereconnaîtreuneodeurdefleursd'oranger.EtMargaretl'embrassa.
4
Maisfinalement,l'Hellequinhaussalesépaulesetildétournasonregarddelafemme.Puisil plongea une main dans la poitrine du jeune homme pour lui arracher son âme, qu'ilemballasoigneusementdansde lasoie faiteavecdes toilesd'araignées,avantde laglisserdanssabesaceencuirdecorbeau.Samissionaccomplie,iltournaitdéjàlestalons,quandlajeunefemmeluicria:«Arrêtez!»[...]
op.cit.Meg n'avait pas prévu que Godric se révélerait aussi peu coopératif. De l'instant où elle
l'enlaça,cefutcommesilecorpstoutentierdesonmaris'étaittransforméenpierre.Etelleavait beau essayer de l'embrasser à pleine bouche, aucune réaction ne venait. Était-ilvraimentfaitdemarbre?Finalement,Megsoupiradefrustrationetsereculad'unpaspourvoirsonexpression.Ellen'étaitguèreencourageante.—Margaret,souffla-t-il,d'unevoixglaciale,àquoijouez-vous?Margaretgrimaça.Satentativedeséductioncouraittoutdroitàl'échec.Lebébé.Ellenedevaitsurtoutpasperdresonobjectifdevue.Elles'obligeaàsourire.—Je... j'aipenséquenouspourrionsprofiterde cettenuitpourapprendreàmieuxnous
connaître.—Mieuxnousconnaître?répéta-t-il,d'unevoixtoujoursaussiglaciale.Megvouluts'expliquer,maisillasaisitparlataille,lasoulevaetlareposasurlecôtépour
avoirlavoielibreetsedirigerverslacheminée.Megen restabouchebée.Ellen'avait jamaisétédeces jeunes fillesévanescentes,qui se
nourrissaientdequelquesfruitsgrignotéspar-ci,par-là.Elleétaitunpeuplusgrandequelamoyenneetelleaffichaitlasilhouetted'unejeunefemmequiaimaitlabonnenourriture.Cequin'avaitpasempêchésonmari-sonvieuxmari-delasoulevercommesiellenepesaitpaspluslourdqu'unsacdeplumes.La jeune femme se concentra sur Godric, à présent agenouillé devant le feu qui s'était
pratiquementéteintpendantqu'ellesomnolait,dansl'attentedesonretour.Pourunefois,ilneportaitniperruquenichapeauetelles'aperçutquesestempesgrisonnaientlégèrement.—Quelâgeavez-vous?demanda-t-ellesansréfléchir.Ilsoupira.—Trente-septans.Etj'aipeurd'êtredevenutropvieuxpourapprécierlessurprises.Lesflammesdansaientàprésent.GodricserelevaetsetournaversMeg.Bizarrement,ce
soir,il luiparutplusgrandetpluslarged'épaules.Sanssaperruquegriseetseslunettesendemi-lunesilparaissait...nonpasexactementplusjeune,maisplusviril.Megfrissonna.Elleauraitpourtantdûseréjouir.Elleavaitjustementbesoind'unmariviril
quiluifasseunenfant.Alors,pourquoitrouvait-elleGodricdeplusenplusintimidant?
Illuidésignal'undesfauteuilsdisposésdevantlacheminée.—Jevousenprie,asseyez-vous.Megse laissachoirdans lesiège.Ellesecroyait revenueà l'époqueoùsagouvernante la
morigénaitparcequ'ellel'avaitsurpriseàdéroberdespralines.Sonmaris'accoudaaumanteaudelacheminéeetarquaunsourcil.—Ehbien?Jevousécoute.— Nous sommes mariés depuis deux ans, commença Meg, croisant les bras pour les
décroiseraussitôt,depeurdeparaîtreeffrontée.—Vousdonniezl'impressiond'êtreheureuse,àLaurelwoodManor.—Jel'étais.Je...Elle écarta lesmains,dansungested'impuissance, et secoua la tête.L'heuren'était plus
auxfaux-semblants.—Non,sereprit-elle.J'étais...bien,maisjen'étaispasheureuse.Ilfronçalessourcils.—Jesuisnavrédel'apprendre.—Jenevousblâmeenrien,s'empressadepréciserMeg.LaurelwoodManorestunendroit
merveilleux.J'adoreleparc,UpperHornsfield,lesgensetvotrefamille.—Mais?—Maisilmemanquequelquechose,répliquaMeg,bondissantdufauteuilpourarpenterla
pièce,commesicelapouvaitl'aideràtrouverlameilleureformulation.Réalisantquesespasladirigeaientsanscesseverslelit,elles'immobilisaetfitvolte-face:—Jeveuxunenfant,Godric.Illaregardaunmomentsansriendire,commes'ilétaitàcourtdemots.Puisilbaissales
yeuxsurlefeudontlesflammessereflétaientsursonvisage.Megsefitlaréflexion,avecunecertaineirrévérence,queseslèvresavaientquelquechosedeféminin.—Jevois,dit-il.Lajeunefemmerepritsadéambulation-enprenantgardedenepastrops'approcherdulit.— Vous voyez ? J'étais enceinte, quand nous nous sommes mariés. J'avais conscience
d'avoir fauté, mais je voulais cet enfant - l'enfant de Roger. Il me serait au moins restéquelquechosedelui.Quelquechosequiauraitétéàmoi.Elle se figea de nouveau, cette fois devant la table de toilette de Godric, très simple et
parfaitement rangée. La cuvette, le pichet d'eau et un petit bol étaient disposés à égaledistancelesunsdesautres.Megs'emparadubol.—Unenfant,ajouta-t-elle.Monenfant.—Votredésirdematernitéestnaturel.Sa voixn'était plus glaciale,mais elle semblait indifférente.Megavait le sentimentde le
perdre,sanssavoirpourquoi.Elletenditlesbrasverslui,leboltoujoursdanslamain.—Oui, c'est très naturel, Godric. Je veux un enfant.Même si cela ne fait pas partie du
contrat.Elleritamèrement,avantd'ajouter:—Enfait,j'ignoretotalementlestermesducontratquevousavezpasséavecmonfrère.Ilrelevalesyeux.—Ahbon?Griffinnevousenapasinformée?Meg détourna le regard, embarrassée. Elle s'était sentie si honteuse, si vulnérable et
surtout,elleavaittantdechagrin,qu'ellen'avaitmêmepasétécapablederegarderGriffinenface, quand son frère lui avait annoncé qu'elle épouserait Godric Saint-John. Poser lamoindrequestionavaitétéau-dessusdesesforces.Etdepuis...Elleréalisaqu'elleavaitévitéderevoirsonfrère,qu'elleadorait.Ellefermalesyeux.—Non.—Laconsommation-ounon-dumariagen'avaitpasétémentionnée.Meg rouvrit les yeux pour regarder cet étranger qui était devenu sonmari. Pourquoi la
chose n'avait-elle pas étémentionnée ? Si le bébé que portaitMeg avait survécu, il seraitdevenul'héritierdeGodric.N'aurait-ilpasétégênéd'hébergerunbâtarddanslenidfamilial?L'argentpouvaitexpliquerbiendeschoses.LesReadingétaientassezrichespouracheterlesscrupulesden'importequi.Cependant,Godricn'avaitpasbesoind'argent.OutreLaurelwoodManor, dont les fermes rapportaient beaucoup, il possédait aussi des terres dansl'Oxfordshireetl'Essex.EtmêmesiSaintHouseétaitenpiteuxétat,sonmarin'avaitpascilléquand elle avait dressé la liste des nouveaux domestiques à embaucher et des travaux dedécorationàengagerd'urgence.Laconversationavaitparul'assommer,commesilesdétailsdomestiquesl'indifféraient.Megbaissa lesyeuxsur lebol,qu'elle tournaitet retournaitdanssamain.Godricn'avait
paspuaccepterdel'épouserparamitiépoursonfrère,caravantqueGriffinn'informeMegdecetarrangement,ellenel'avaitjamaisentendumentionnerlenomdeGodricSaint-John.SiGodricnel'avaitépouséenipourl'argentniparamitié,alorspourquoi?—Margaret.La jeune femme releva les yeux. Son mari l'observait attentivement et elle s'obligea à
soutenirsonregard.—Vousêtesaucourant,jesuppose,quej'aidéjàétémarié?demanda-t-il.Megreposalebol.ToutLondresavaitentenduparlerdel'histoiredeClaraSaint-John,de
sagravemaladieetdelaloyautédesonmari.—Oui.Ilinclinalatêteets'approchadesatabledetoilettepourremettrelebolàsaplaceexacte-
àégaledistancede lacuvetteetdupichetd'eau.Puis ilpromenasesdoigtssur lerécipient,l'airsongeur.—J'aimaisbeaucoupClara.Nospropriétésfamilialessetouchaient,dansleCheshire.Clara
étaituneHamilton.Sonfrèrevittoujourslà-bas.Avecsafamille.Meg acquiesça. Elle avait rencontré M. et Mme Hamilton à quelques reprises, lors de
dîners,maisellen'avaitpasvraimentfaitlerapprochement.LesHamiltonétaientdespiliersdelagentrylocale.IlsnefréquentaientpourainsidirejamaisLondres.—J'ai toujours connuClara,poursuivitGodric, et le chagrinqui sedevinaitdans sa voix
étaitd'autantplusterribleàentendrequ'ilfaisaitmanifestementdeseffortspourlecontenir.Maisjenel'aivéritablementremarquéequ'àmonretourdel'université.Nousnoussommesretrouvésàunemêmeréception,oùelleétaitvenueavecsesamies.Elleportaitunerobebleupâle qui donnait encore plus d'éclat à ses cheveux. J'ai compris, ce soir-là, qu'elle était lafemmeaveclaquellej'étaisdestinéàpartagerlerestantdemesjours.Il s'interrompit quelques instants et le silence de la pièce ne fut troublé que par le
crépitementdu feu.En réalité, ledestin l'avait empêchédepartager le restantde ses joursavecClara.
Megsavaitcequ'étaitledeuiletlapertedel'êtreaimé.—Godric...Iln'avaittoujourspaslâchéleboletleserraitàprésententresesdoigts.—Laissez-moiterminer.Meghochalatête.—QuandClaraesttombéemalade,jemesuistournéversDieu.Jel'aiprié.Jel'aiimploré.
J'étaisprêtàm'abaisseràn'importequellecompromissionpourqu'ellenesouffrepas.Si lediable s'était présenté devantmoi, je lui aurais vendumon âme en échangede la santé deClara.Megvoulutprotester,mais il tournasonregardverselleetelley lutunetellesouffrance
qu'ellen'eutpluslecouragedeparler.— J'ai accepté la proposition deGriffin uniquement parce qu'ilme semblait évident que
vous ne vous intéresseriez jamais à moi et que par conséquent notre union n'aurait demariagequelenom.—Mais...commençaMeg,quicomprenaittoutàcoupcommentladiscussionsefinirait.—Non,lacoupa-t-il,d'untonsansappel.Jen'aipaseud'autrefemmedansmonlitdepuis
quej'aiépouséClaraetiln'estpasdansmonintentiondedérogeràcetterègle.J'aiconnulevéritableamour.Aprèscela,toutleresteneseraitqu'unvulgaireersatz.Alorsnon,Margaret,jesuisdésolé,maisjenevousferaipasd'enfant.Godric regarda la porte se refermer derrière Margaret. Puis il alla tirer le verrou pour
s'assurer qu'elle ne reviendrait pas, même s'il était conscient que son geste ne feraitqu'ajouteràlablessuredelajeunefemme.Dieuduciel!Commentaurait-ilpudevinerlaraisondesavenueàLondres?Godric se passa une main dans les cheveux et grimaça. Il revoyait encore le visage de
Margaret,lorsqu'illuiavaitopposéunefindenon-recevoir.—Damnation,marmonna-t-il,avantdeseservirunverredebrandy.Ilbutunegorgéed'alcooletsoupira.Pourquoiformulait-elleunetelledemande?Ilaurait
juré que son épouse était parfaitement heureuse à Laurelwood Manor et il avait pris lesdispositionsnécessairespourqu'ellen'ymanquederien.Son regard s'arrêta sur la penderie. Godric termina son brandy et s'y dirigea. La clé
permettantd'ouvrir letiroirduhautétaitaccrochéeàunechaînequinequittait jamaissoncou.GodricavaittouteconfianceenMoulder,maislecontenudecetiroirn'appartenaitqu'àlui.Godricpritlacléetl'ouvrit.LeslettresdeClaraformaientunepetiteliasseserréeparunrubannoir.Commeilsavaient
été très rarement séparés, après leur mariage, la liasse n'était pas très épaisse. À côté, setrouvaitunpetitécrinrenfermantdeuxdesesmèchesdecheveux.Lapremière,quidataitdel'époqueoùilssefaisaientlacour,étaitd'unbeaubrunparseméderefletsdorés.Lasecondeétaitunereliquemortuaire.LescheveuxdeClara,devenusfinsetcassants,avaientpresqueviréaugris.Godricportaunemainàsatempe.Sescheveuxaussi,grisonnaient,àprésent.Pasceuxde
sa seconde épouse. Avec Clara, ils avaient exactement le même âge et ils auraient dûlogiquementavancertouslesâgesdelavieensemble.MaisledestinenavaitdécidéautrementetClaradormaitàprésentsousterre.
Le tiroir contenait également d'autres lettres, empilées en désordre.Godric hésita, avantd'en prendre une au hasard et de la déplier pour la lire. L'écriture remplissait la page etsemblaitcourir,commesilaplumedeMargaretn'allaitpasassezvitepourtranscrireleflotdemotsquisebousculaientdansl'espritdesafemme.
18septembre1739CherGodric,Vousallez être surpris,mais lenombrede chats quipeuplent les écuriesdeLaurelwood
Manor a explosé ! La chatte grise et la chatte noir et orangé ont toutes deuxmis bas auprintemps,etlablancheestdenouveaugrosse.Maintenant,chaquefoisquejerendsvisiteàMinerve(voussavez:lajumentbaiequej'aiachetéeàM.Thompsonetdontjevousaidéjàparlédansuneprécédentelettre),jesuisescortéeparunemultitudedechatons.Desgris,desnoirsetdesécailledetortue-toutesdesfemelles,m'aassuréToby,levaletd'écurie.Ilyenamêmeuneaupelagepresqueorange,quimesuitpartoutenagitant laqueue.Tobymeditquejenedevraispasleurdonneràmangerlesrestesdudînerdelaveille,maisaprèstout,ilsontbienledroitd'espérerunepetitegâterie,n'est-cepas?Godrictournalapagepourcontinuersalecture.Si je ne leur donnais plus àmanger, ils finiraient parme détester et ils viendraientme
pourchasserjusquedanslamaison!Sarahs'estremisedesonangineetelleacessédeparlerdecettevoixaffreusequilafaisait
passerpourunevieillesorcière.Voussouvenez-vousduplafondquifuyait,danslestoilettes?Lasemainedernière,ilaplu
des trombes d'eau et figurez-vous que le plafond s'est écroulé avec un fracas d'enfer !L'incident s'est produit dans la nuit, et la cuisinière, très crédule, s'est imaginé que lesdémonsfaisaientsortirlesmortsdesentraillesdelaterre.Elleapassélerestantdesanuitenprières,sibienque le lendemainmatin,nousn'avonseuquedesbiscuitsrassisaupetitdéjeuner.Zut!J'arriveàcourtdepapier.Ilmefautarrêterlàpouraujourd'hui.Votreaffectionnée,
Meg.CettelettreétaittoutàfaittypiquedecellesqueMargaretavaitpuluienvoyerendeuxans
:alerte,enjouée,pleinedevie.Àl'imagedecellequilesécrivait.Godric replia soigneusement la lettre et la replaça avec les autres. Il se refusait à trahir
Clara et le souvenirde leur amour,mais il avaitmenti par omission àMargaret.La vérité,c'estqu'iln'étaitpasrestéinsensibleàsonétreinte.Sonbaiseravaitétéluiaussiàl'imagedelajeunefemme:spontanéetinnocent-d'autantplusérotique.Margaretsemblaitréveillerquelquechoseenlui.Commesilavie,l'espoirsurtout,grondait
enlui.Godricrefermaletiroiràclé,puisilsedébarrassadesonpeignoiretdesachemisedenuit.
Aprèsquoi,ilsoufflaleschandellesetseglissa,nu,danssonlitfroid,leregardtournéverslefeuquisemouraitunedeuxièmefois.Même si la proposition de Margaret avait quelque chose d'alléchant, ce n'était qu'une
illusion.GodricétaitmortlesoiroùClaraavaitrendusonderniersouffle.— Cet arbre estmort,milady, annonça avec certitudeHiggins, le jardinier, le lendemain
matin.Etpourappuyersonpropos,ilcrachaparterre.Meg contempla l'arbre en question. Il n'était pas beau ; l'âge et le manque d'entretien
avaienttordusesbranches.Cependant,desrejetsapparaissaientàlabasedesontronc.—Iln'estpeut-êtrepasmort,suggéraMeg,sansgrandeconviction.L'hiveraététrèsfroid.Higginsgrommela.Lepommierenquestionsedressaitaucentredujardin.S'ilétaitarraché,lejardinperdrait
sonornementvertical.Megattrapaunepetitebranche,quisecassaavecunbruitsec.Puiselleexaminal'intérieur
delabranche.Marronfoncé.Cetarbresemblaiteneffetmort.La jeune femme jeta la branche cassée avec une grimace. Elle ne supportait plus d'être
entouréeparlamort.Etelleétaitexaspéréequ'une«certainepersonne»refusedel'aideràcréer de la vie. Si elle ne pouvait pas convaincre son mari d'adhérer à son projet, elleentendaits'occuperautrementpourpasserletemps.Enattendantdereveniràlacharge.Etderéussir.—Coupeztouslesrejets,ordonna-t-elleàHiggins,ignorantlaminestupéfaitedujardinier.—Mais,milady...—Je saisquemonattitudepeutparaître idiote,maismême s'il estmort,nouspourrons
toujoursfairepousserunrosiergrimpantsursontronc,ouuneautreplantedumêmegenre.Jeneveuxpasdéjàrenoncer.Higginssoupirabruyamment.C'étaitunhommed'unecinquantained'années,auxjambes
arquées et au torsemassif, toujours un peu penché, comme si lamoitié inférieure de soncorpsavaitdumalàporterlaplushaute.Higginsavaitdesidéestrèsarrêtéessurl'entretiendesjardins-tellementarrêtéesqu'ils'étaitsouventfaitcongédierparsespatrons,quandcen'était pas lui qui démissionnait. Il était d'ailleurs sans emploi, quand le vicaire d'UpperHornsfield avait donné, presque à contrecœur, son nom àMeg. Elle cherchait un jardinierexpérimentépourremettreenétat leparcdeLaurelwoodManoretbienqu'ellen'aitpasvuuneseulefoisHigginssourireenbientôtdeuxans,elleneregrettaitpasdel'avoirembauché.Ilétaittêtuetdirect,maisilconnaissaitlesplantes.—Votreidéeestidiote,maisjel'appliquerai,milady,marmonna-t-il.—Merci,Higgins,répondit-elle,avecunsourirepresqueaffectueux.Higginsétaitunhommebougonmais,depuisbientôtdeuxansqu'ilétaitauservicedeMeg,
il ne l'avait pas menacée une seule fois de démissionner, ce qui signifiait qu'il devaitl'apprécier.—Etcemassif?demanda-t-elle.Higginssegrattalatêteetluidonnasonavistranchésurlesplantesenquestion.La visite du jardin se poursuivit. Meg écoutait à présent d'une oreille distraite les
commentairesd'Higgins.L'airétaitunpeufrais,maisilyavaitdusoleil,et la jeunefemme
trouvaittrèsagréabledecommencerlamatinéeparcettepromenadeaumilieudelaverdure.Elleavaitcertesessuyéungraveéchechiersoir,maisiln'étaitpasquestionqu'ellecapitule.D'unemanière ou d'une autre, elle trouverait unmoyen de venir à bout des réticences deGodric.Oualors...oualors,elleseprendraitunamant.C'estcequeferaientsansdoutebeaucoup
de femmes dans sa position - à supposer, bien sûr, qu'il existât d'autres femmes dans unepositionsemblableàlasienne.Cependant, àpeine l'idéeavait-elle germédans sonesprit, queMeg la rejeta.Malgré son
désir pressant d'avoir un enfant, elle ne pouvait pas faire une chose pareille à Godric.L'épouserà lahâteparcequ'elleétaitenceinte,oui, lecocufier,alorsqu'il luiavaitsauvé lamise,horsdequestion!Mêmes'ilétaittêtucommeunemule.Megsoupira.Elleétaitinjusteenverssonmari.Lavérité,c'estqu'ellecomprenaittrèsbien
laréactiondeGodric.Elleavaitété,elleaussi,trèsamoureuse,etelleavaitbiencrumourirquandelleavaitperduRoger.Unepenséeluitraversasoudainl'esprit:netrahissait-ellepasRogerensouhaitantavoirunenfantsanslui?Envoulants'uniràunautrehomme?Sauf qu'elle ne cherchait pas délibérément à partager la couche d'un autre homme. Ce
qu'elle désirait, c'était un enfant. Si elle avait pu obtenir l'un sans l'autre, elle n'aurait pashésitéuneseconde.Dureste,ellen'espéraitpaséprouverlemoindreplaisiravecGodric.Cemari vieillissant ne pourrait jamais remplacer Roger dans son cœur. Cependant, le désird'enfantétaitplusimportantquetouteautreconsidération.Puisqu'ilétaitquestiondeRoger,Megserappelaqu'elleavaitdéjàtropdifférécequ'ellelui
devait. Elle n'était pas venue à Londres uniquement pour consommer son mariage, maisaussi pour trouver le Fantôme de Saint-Giles et lui faire payer son crime. Et comme sonpremierobjectif se trouvait compromis, elledevait enprofiterpour s'attaqueraudeuxièmeavec plus de vigueur. Aussi, pendant qu'Higgins se penchait sur les premiers crocus de lasaison, elle échafauda un plan. Sa première confrontation avec le Fantômen'ayant pas étécouronnéedesuccès,elleauraittoutintérêtàs'informerdavantagesursonadversaireavantunenouvelletentatived'approche.Danscetteintention, .Megabandonnalejardinieràsesplantesetpartità larecherchede
Sarah.— Ah, vous êtes là ! s'exclama-t-elle, sans grande originalité, quand elle trouva enfin sa
belle-sœurdansunepiècedudernierétagedelamaison.—Jesuislà,confirmaSarah,avantd'éternuerviolemment.Avecl'aidededeuxdesfillettesdel'orphelinat,elles'employaitàdécrocherlesrideauxdes
fenêtres.Mary Evening, onze ans, le visage tavelé de taches de rousseur, gloussa. L'autre, Mary
Little, était aussi blondequeMaryEvening était brune.Elle était aussi d'un caractèreplusréservé.—Àvossouhaits,mademoiselle.—Merci,MaryLittle,réponditSarah.Finissezd'enleverlesautresrideaux,pendantqueje
bavardeavecladyMargaret.—Bien,mademoiselle.Lesdeuxfillettesseremirentàlatâche,sansparaîtrelemoinsdumondeimportunéespar
lapoussièrequ'ellessoulevaient.—Qu'est-cequec'estquecettepièce?demandaMeg,enregardantautourd'elle.
L'endroitressemblaitàunechambre,maiscertainementpaspourdesdomestiques.—Jen'ensaisrien,avouaSarah,maiscequiestsûr,c'estqu'elleabesoind'ungrandcoup
debalai.— En effet, acquiesça Meg, alors qu'un autre rideau tombait à terre dans un nuage de
poussière.—Voussembliezvouloirmeparlerquandvousêtesentrée,luirappelaSarah.— Ah, oui ! N'avez-vous pas dit, hier soir à dîner, que nous avions reçu quantité
d'invitations?—Enfait, laplupartétaientdestinéesàGodric.Vousn'allezpaslecroire,maisj'aitrouvé
sursonbureauunepiledecartonsd'invitationdontlesplusanciensremontaientàplusd'unan!Jecroisquemonfrèreauraittoutintérêtàembaucherunsecrétaire.—Sansaucundoute.—Maisquelquesinvitationsétaientaussipourvous,moietvotretante,repritSarah.Nous
nesommespourtantlàquedepuisdeuxjours!C'estincroyablecequelesnouvellescirculentvite,àLondres.—Hmm.Yavait-ilunbristolducomtedeKershaw?Sarah fronça les sourcilsenmême tempsqu'elleépoussetait le tablierqu'elleavaitenfilé
sursarobe.—Jecrois.Maisil faisaitpartiedeceuxdestinésàGodric.C'étaitausujetd'unbalquele
comteetlacomtessedonnentcesoir.—Parfait!s'exclamaMeg.KershawavaitétéunamideRoger,etMegsavaitqu'ilavait traqué leFantômedeSaint-
Giles durant plusieurs semaines après la mort de Roger. Elle se rendrait à ce bal etinterrogeraitlecomtesurleFantôme.Sansdoutesavait-ilquelquechoseàsonsujet.—Nousneprendronsqu'unevoiture,continuaMeg.Maisjevaisdemanderàlagrand-tante
Elvinasiellesouhaitesejoindreànous.Elleadorelesbals,etmêmesiSaGrâceestprochedemettrebas,je...—Mais...voulutobjecterSarah,stupéfaite.—Quediablefaites-vousici?Lesdeuxfemmessursautèrent,avantdesetournerd'unmêmeélanendirectiondelavoix
menaçantequivenaitdelesinterrompre.Godricsetenaitsurleseuil,levisagefermé-sifermé,queMegmitunesecondeàréaliser
qu'ilétaitblancderage.—Jenevousaipasdonnélapermissiond'entrerdanscettepièce.Oh,monDieu.L'unedesfilletteslâchalerideauqu'elletenait.Sarahs'éclaircitlavoix.—Lesfilles,descendezlesrideauxàMmeCrumb,s'ilvousplaît.Elles'occuperadelesfaire
nettoyer.Godricsepoussadecôtépourlaisserpasserlesdeuxenfants,maissonregardrestaitrivé
surMeg.—Votreplacen'estpasici.Jeneveuxpasvousvoirdanscettepièce.Megsentitsesjouess'empourprerdecolère.Elleredressalementon.—Godric...Ils'approchad'elle,ladominantàdesseindetoutesastature.—N'imaginezpasquejesuisunpetitchienàvosbasques,madame.Jusqu'ici,j'aisupporté
avecbeaucoupdepatiencevotreintrusionchezmoi,maiscettefois,vouspassezlesbornes.Megécarquillalesyeuxdestupeur.Elleouvritlabouche,sanssavoirquoirépondre.C'est
Sarahquis'enchargea.— Je suis désolée. C'est entièrement de ma faute. Meg vient juste d'arriver. Je voulais
simplementnettoyerlachambre.Nousn'avonstouchéàrien.Etjet'avouequejenesaispasàquoiservaitcettepièce.—C'étaitlachambredeClara.Etjen'aipasbesoinquetulanettoies.—Godric,je...Maisiltournaitdéjàlestalons.MegjetaunregardauvisagedéfaitdeSarahetcourutaprès
sonmari.Ilmarchaitendirectiondel'escalier,manifestementinconscientdelapeinequ'ilvenaitde
causeràsasœur.—Godric!Ilnedaignamêmepasralentir.Meg ledépassapour luicouper larouteet l'obligeràs'arrêter justeenhautdesmarches.
Cependant,ellenes'attendaitpasàuntelspectacle : levisagedeGodricétait littéralementravagéparlechagrin.—Sarahnesavaitpas,plaida-t-elle.Ellesesentaitelle-mêmetrèsembarrassée.Sonmaridétournaleregard.—Jesuisdésolée,s'excusaMeg,agrippantd'unemainlereversdesonveston.Elles'attendaitàcequ'illarepousse,aulieudequoiilsecontentadebaisserlesyeuxsursa
main.—Sarahauraitdûmedemander.—Biensûr,acquiesçaMeg.Nousaurionsdûtousvousdemanderl'autorisationdemettre
votremaisonsensdessusdessous.Ellerivasonregardausien.—Maisauriez-vousdonnévotreaccord,sinousvousavionsposélaquestion?Ilneréponditrien.—Vousdonnezl'impressionden'avoirbesoindepersonne,Godric,repritMeg.Maisnous
nesommespascommevous.Vossœursetvotremèresont...—Mabelle-mère,lacorrigea-t-il.Letonétaitcassant,maisaumoins,ill'écoutait.—Votrebelle-mère,d'accord.MaisjeconnaisMmeSaint-Johnetjesaisqu'ellevousaime
beaucoup.Toutevotrefamillevousaime.Etilssedésolentdenepasavoirdevosnouvelles.Voslettressontraresettoujourstrèssuccinctes.Ilss'inquiètentpourvous.Ilgrimaçad'irritation.—Iln'yapasdequoi.—Pourquoidites-vouscela?—Margaret...Meglâchasonveston.—Vousdevriezprésentervosexcusesàvotresœur.Illaregardaavecunmélanged'incrédulitéetd'exaspération.—Elleignoraitqu'ils'agissaitdelachambredeClara,repritMeg.Etquandbienmêmeelle
l'auraitsu,oùétaitsoncrime?Avez-vousdécidédefairedecettepièceunesortedemausolée?
Il sepenchaverselle.Ses lèvresétaient trèsprochesdecellesdeMeget il luiparutplusintimidantquejamais.—Vousdevriezapprendreànepasfranchircertaineslimites,murmura-t-il.Megfutincapablederépondre.Ilétaittropprèsd'elle.Ettroptendu,commes'ils'apprêtait
àfairequelquechose,maisqu'ilseretenait.Finalement,ilserecula.—Jem'excuseraiauprèsdemasœur.Etlà-dessus,ildescenditl'escalier.MeginspiraprofondémentetrepartitverslachambredeClara.Sarah ne s'était toujours pas remise de ses émotions, aussiMeg s empressa-t-elle de la
serrerdanssesbras.—Leshommessontparfoisdevraiesbrutes,dit-elle.Sarahreniflaetsetapotalesyeuxavecsonmouchoir.— Non. Godric avait raison. J'aurais dû lui demander sa permission avant de faire le
ménagedecettechambre.Megrelâchasonétreinte.—Maisvousignoriezquec'étaitlachambredeClara.—Jem'endoutaisunpeu,avouaSarah,repliantsonmouchoiretdésignant legrand lità
baldaquinaucentredelapièce.Quid'autreauraitpucoucherlà?—Alors,pourquoi...—JetrouvaisridiculequeGodricfassedecettechambreunmausolée.—C'estexactementcequejeluiaidit.Sarahécarquillalesyeux.—Etquevousa-t-ilrépondu?Meggrimaça.—Jecroisquecelaneluiapasfaittrèsplaisir.—Oh,Meg,jesuisdésoléedevousavoirentraînéedanscettehistoire.Maisvenez,jeveux
vousmontrerquelquechose.Ellesedirigeaversl'unedesfenêtres,àprésentdénudées.Meglasuivit,intriguée.—Regardez, luiditSarah,pointantdudoigt lesbarreauxdeferscellésà l'extérieur.Cette
chambre était autrefois la nurserie ; les barreaux empêchent les petits enfants de tomberquandlafenêtreestouverte.Jesaisquevousn'avezpasépousémonfrèredanscetteoptique,mais je me suis dit qu'avec ce séjour à Londres, peut-être que... Nous nous inquiétonstellementpourlui,ajouta-t-elledansunmurmure.Meghochalatête.—Jesais.Etpournerienvouscacher,j'espèremoiaussidevenir...plusprochedeGodric.
Mais cene serapas facile. J'ai déjà essayé, sans succès. Il aimait beaucoupClara. Il l'aimeencore.—Oui.MaisClaraestmorte,etvousêteslà.Nerenoncezpas,Meg,s'ilvousplaît!Meghochadenouveaulatête.Cependant,malgrélesourirerassurantquelleoffritàSarah,
elle se demanda comment elle pourrait l'emporter, face à un homme qui n'était plus quel'ombredelui-même.
5
Il est très rarepourunmortel d'apercevoir l'Hellequin.Cedernier appartient aumondedes ténèbres et reste d'ordinaire invisible. Mais la jeune femme aimée n 'était pas unemortellecommelesautres.Elles'appelaitFoi,etelleétaitcapabled'affronterl'Hellequindeface.«Monamoureuxétaitquelqu'undebon! luicria-t-elle.Vousnepouvezpasemportersonâmeenenferetlalaisserbrûlerpourl'éternité!»[...]
op.cit.—Ellevaoù?s’étranglaGodric,quisefigea,satuniqued'Arlequinàlamain.—Àunbal,répétaMoulder.Ellesyvonttoutes.Vousauriezdûvoirlessoubrettesmonter
etdescendrelesescaliersàtouteallure.Cesdamesontapparemmentbesoind'interminablespréparatifspourserendreàunbal.PourquoiMeg ne l'avait-elle pas informé ? Godric grimaça au souvenir de leur dernière
entrevue.De leurdisputeplutôt. Il étaitpartide lamaison justeaprèsetn'était rentréquetard,dansl'intentiondesechangerpourretournerdansSaint-Giles.—Quelbal?voulut-ilsavoir.—CeluidelordKershaw,réponditMoulder.Depuisqu'ilaépousécettehéritièreétrangère
il y a deux ans, le bal qu'ils donnent en mars est devenu l'un des événements les plusimportantsdelasaisonmondaine..Godricregardasondomestiqueavecstupéfaction.DepuisquandMoulders'intéressait-ilà
toutcela?Passait-ilsontempsàécouterauxportes?Godricréfléchit.«Kershaw»...C'étaitl'un des nomsmentionnés parWinter Makepeace. Ses investigations sur les Kidnappeursauraientpeut-êtreplusde chancesd'aboutir à cebalqu'uneénièmedéambulationdans lesrues de Saint-Giles. En outre, cela lui permettrait de passer la soirée avec sa ravissanteépouse,pointqueGodricignoradélibérément.—Sorsmonhabitdesoiréeetfaisensortequelavoiturem'attende.— Sage décision, si vous me permettez de donner mon avis, commenta Moulder, qui
fouillaitdéjàdanslapenderie.Godricluirenditsatenued'Arlequin.—Queveux-tudire?—Ehbien,onnesaitjamaisquielleauraitpurencontrerlà-bas.—Peux-tupréciser?répliquaGodric,endétachantchaquemot.Mouldercompritqu'ilétaitsansdouteallétroploin.—Ah...euh,non,rien.Jem'occupedelavoiture.—Tuferaisbien.Moulder se rua hors de la chambre. Godric marmonna un juron et s'habilla. Tout cela
n'était pas raisonnable ! Il avait expliqué àMargaret qu'il n'y aurait rien entre eux. Alors,pourquoiirait-iljouerlestrouble-fêteenessayantdesavoirsiellesecherchaitunamant?Unefoishabillé,iljuradenouveauetquittasachambre.Lavérité,c'estquelachoseluiimportait.Etpasseulementenraisondel'humiliationque
lui infligerait Margaret si elle portait l'enfant d'un autre. Qu'elle fût enceinte d'un autrehomme avant de l'épouser ne l'avait pas dérangé.Mais tout avait changé. Cela faisait plusd'unanqu'il lisaitrégulièrementleslettresdeMargaret,quelquesjoursqu'ildînaittouslessoirsenfaced'elleetqu'ilpouvaitadmirerseslèvresqui...Godrics'arrêtanetsurlepalier.Damnation!IlnevoulaitpasqueMargaretoffresesfaveursàunautre.C'étaitaussisimplequecela.Cetteconstatationluimitlesnerfsàvif.Il inspira profondément et descendit l'escalier en veillant à ne pas presser l'allure. Il ne
devait pas perdre de vue la principale raison qui le poussait à se rendre au bal : tenter dedécouvrirsiKershawn'avaitpasété lecomplicedeSeymour.C'était làunemissionpour leFantôme.Lesdamesétaientdéjàmontéesenvoiture,maisMoulderavaitveilléàcequel'attelagene
démarrepassanslui.Godricouvritlaportièreetgrimpaàl'intérieur,sousleregardcurieuxdestroisautrespassagères.C'estbiensûrMargaretquiparlalapremière.—J'ignoraisquevousaimiez lesbals, sinon jen'auraispasmanquédevousproposerde
nousaccompagner.Godricluiretournaunsourirequ'ilvoulaitplaisant.—Ilmesembletoutnatureldevousescorteràdetellesréceptions.—C'esttoutnaturel,eneffet,ironisaSarah.Quoiqu'ilensoit,jesuisbiencontentequetu
viennesavecnous,ajouta-t-elleavecchaleur.Godricéprouvaquelquesremords.Sarahétaitsasœur.Etleurpèreétantmort,ilauraitdû
reprendrelerôledepatriarcheetveillersurelleetsafamille.— Je suis désolé pour ce qui s'est passé cet après-midi. Je n'aurais pas dû m'emporter
contretoi.Aenjugerpar l'expressiondesonépouseetdesasœur,sesexcuses lessurprirenttoutes
lesdeux.Quantàlagrand-tanteElvina,ellereniflabruyamment,maisilpréféraignorercettevieillemégère.Sarahsecoualatête.—Non,c'estàmoidem'excuser.Jen'auraispasdû.—Faiscommebontesemblera.Jesupposequ'ilesttemps...d'aérerunpeucettepièce.Sarahécarquillalesyeux.—Tuessûr?Godricessayadesourireets'aperçutquecen'étaitpassidifficile.—Oui.Ilgardalesilencelerestantdutrajetetselaissabercerparlebabillagedestroisfemmes.À
deux reprises etmalgré lapénombrede l'habitacle, il crut surprendreMargaret en traindel'examiner avec curiosité. Décidément, il aurait aimé trouver un moyen de satisfaire larequêtedelajeunefemmesanstrahirClara.Kershawhabitaituneantiquedemeurefamiliale,récemmentrénovéeàgrandsfrais.Godric
sesouvintdesparolesdeMoulder...Était-celadotdesonépousequiavaitpayélestravaux?Dans le vestibule, Godric aida la grand-tante Elvina à retirer son manteau, qu'il tendit
ensuiteàunvaletenlivrée.IlseretournajusteàtempspourvoirMargaretôterelleaussisonmanteauetdévoilerdumêmecoupcequ'elleportaitendessous.Godricenrestauninstantbouchebée.
LarobedeMargaretétaitd'unrosesaumonquis'accordaitparfaitementavecsescheveuxnoirs.Sacoiffureétaitplussophistiquéequed'habitudeet lesbrillantsdisséminésdanssesmèches miroitaient sous la lumière des chandeliers. Le décolleté plongeant de la robe necachaitpasgrand-chosedesasuperbepoitrine.Unedéessede lagaietéquiseserait invitéeparmilesmortelsetquiriaitàquelquechosequeluisoufflaitSarah.C'étaitcettefemme-làqu'ilavaitépousée!Lasituationnemanquaitpasd'ironie.Godricluitenditlebras.—Vousêtesravissante.Elleclignalesyeux,surprise.—Merci,répondit-elleenprenantsonbras.Godric,soucieuxdesemontrerpoli,gratifiaSarahetlagrand-tanteElvinadecompliments
analogues.Lavieilledameparuts'enamuser,témoignantainsid'uncertainsensdel'humourqueGodricneluiauraitjamaissoupçonné.Lasalledebalétaitbondée.—Bontédivine!s'exclamalavieilledame.Jen'avaispasvuunefouleaussidensedepuis
majeunesse.—Regardez,Meg,ilyavotreamie,ladyPénélope,ditSarah.—Oui,acquiesçaMeg,d'unevoixdistraite.JemedemandeoùestlordKershaw?Godricplissalesyeuxetsetournaverssafemme.MaisSarahpoussaitdéjàMargaretet lagrand-tanteElvinaendirectiondeladyPénélope.
Godric les suivitdesyeux.LadyPénélopeétait considérée commeunebeauté,maisGodrictrouvaitsescharmesgâchésparuncaractèreenfantinetcapricieux.—Jevaischercherdesrafraîchissements,lança-t-ilauxtroisfemmesquiluitournaientle
dos.Margaret lui lança un regard souriant par-dessus son épaule, avant d'être avalée par la
foule.Godric eut la désagréable sensation de la perdre. Sa réaction était si stupide qu'il
s'empressaderejoindrelesalonoùétaitdressélebuffet.IlétaitdifficiledesefrayerunchemindanstoutecettefouleetGodricprogressaitd'autant
pluslentementqu'ilcherchaitKershawduregard.Ill'avaitdéjàrencontréetenavaitgardélesouvenird'unhommejovialetgénéreux.Destraitsdecaractèrequinecorrespondaientguèreàl'imagequ'onpouvaitsefaired'unravisseurd'enfants.MaisSeymourn'avaitpasnonplusétéunhommed'aspectsinistre.Quinzeminutesplustard,Godricseretrouvaitfaceàungrandsaladierremplidepunchet
sedemandaitcommentilréussiraitàportertroiscoupes.—Bonsoir,Saint-John,lançaunevoix,sursadroite.C'étaitcelledesongrandami,LazareHuntington,baronCaire.Godricsetournaverslui.—Bonsoir,Caire.—Jen'auraispaspensévousvoirici,commençaCaire,indiquantàunvaletqu'ilsouhaitait
unverredepunch.—Votreprésencem'étonnetoutautant.Caireeutunsouriresardonique.—C'estcurieuxdevoiràquelpointlemariagepeutréformercertaineshabitudes.—Assurément,répliquaGodric,avecironie.Pouvez-vousprendrecelapourmoi?Caire fixa,unpeusurpris, la coupedepunchqueGodric luiavaitmisd'autoritédans les
mains.—Vousn'êtespasvenuqu'avecvotrefemme?Godricavaitluiaussiunecoupedanschaquemain.—Non,égalementavecmasœuretunetantedemonépouse.—Jesuisravidesavoirquevotremaisonaccueilledumonde.Godricdétournaleregard,embarrassé.—Euh,oui...—Venez,lepressaCaire.Vousallezpouvoirmeprésenteràvotreépouse.Tempéranceaété
bouleverséedelavoiràlaréunionducomitédesoutien,l'autrejour.Godrichochalatêteetentrepritdefendrelafouleensensinverse,sansunmot.Ilsentait
leregarddesonamipeserdanssondos.IlsarrivaientdanslasalledebalquandCaireremarqua:—J'aperçoisTempéranceavecplusieursautresfemmes.Votreépouseest-elledunombre?Godric regarda dans la direction que lui indiquait Caire.Mais sa femme n'était pas avec
ladyCaire.Ellesetrouvaitunpeuplusloin,riantavecAdamRutledge,vicomted'Arque,l'undesséducteurslesplusnotoiresdeLondres.Le vicomte d'Arque était très bel homme.Et il le savait. Ses yeux clairs semblaient sans
cesseproclamer:«Nesuis-jepasleplusbelhommequevousayezjamaisvu?N'hésitezpasàm'admirer!»CedontMegneseprivaitpas.Maiscen'étaitpaslaraisonpourlaquelleellel'avaitrejoint.
Elleriaitdeboncœuràsesplaisanteriessansperdresonobjectifdevue.Lordd'Arqueavaitété un ami proche de Roger. Du temps où Roger vivait encore, Meg n'avait pas osé tropfréquenter le vicomte, dont la beauté affichée l'intimidait. Sans compter qu'il traînait unesolideréputationdeséducteur.Unejeunefilleàmariernepouvaitpassemontrerensociétéavecuntelhomme.Maisilenallaittoutdifféremmentpourunefemmemariée.Megdécouvrait,nonsansironie,quelemariageprésentaitcertainsavantages.Désormais,
elle pouvait flirter discrètement avec des débauchés.Alors qu'elle aurait préféré se trouveravecsonmari,pourtenterd'apaiserleurdifférend...Commesilesimplefaitdepenseràluil'avaitconvoqué,Godricsematérialisasoudaindans
lafoule.Ilvenaitàleurrencontre,levisagefermé.Megsetournadélibérémentverslevicomte.—Voilàuneéternitéquejenevousavaispasvu,milord.— Tout laps de temps qui m'éloigne d'une femme aussi ravissante que vous est une
éternité,laflattalordd'Arque,avecunegalanterieappuyée.Il n'échappa pas àMeg qu'il avait furtivement baissé le regard pour le plonger dans son
décolleté.Cethommeétaitdélicieusementincroyable.Ellesourit.—Nousavionsunamicommun.—Oui?Roger et Meg avaient tenu leur liaison secrète, ce qui n'avait fait que pimenter leurs
rendez-vous. Cependant, ils s'apprêtaient à révéler publiquement leurs fiançailles quandRoger...Meginspiraprofondémentpourcontenirsonémotion.
—RogerFraser-Burnsby.Leregarddelordd'Arques'aiguisa.—Voilàvotrepunch,annonçasoudainGodric.Sonmari,d'ordinairesiplacide,semblaitavoirdespoignardsdanslesyeux,pointéssurlord
d'Arque.Siunregardpouvaittuer, levicomtebaigneraitdéjàdansunemaredesang,surlebeaudallagedemarbredelasalledebaldelordKershaw.Voilàquiétaitintéressant,songeaMeg.Elleauraitdûfairepreuvedecontrition.Aprèstout,
lordd'Arquenes'étaitpasmalcomporté,c'étaitellequi l'avaitencouragéàflirter.Maiselleéprouvaitunecertainesatisfactiondesavoirquesonmariétaitprêtàétranglerlevicomte.EllesouritàGodricetacceptalacoupedepunchqu'illuitendait.Godriclafusilladuregard,avantdereportersonattentionsurlevicomte.—Bonsoir,d'Arque.Levicomteesquissauneamorcedesourire.—Bonsoir,Saint-John.Jebavardaisavecvotrecharmanteépouse.Jedoisreconnaîtreque
vousavezplusdecouragequemoi.—Commentcela?Lordd'Arqueeutunregardinnocent.— Eh bien, je n'aurais jamais été capable de bannir une femme aussi ravissante à la
campagne. J'aurais voulu la garder à mes côtés, de jour comme de nuit - et plusparticulièrementlanuit.S'entraînait-il devant une glace pour répéter ses tirades de séducteur ? En tout cas, la
réaction de Godric était plaisante à voir. Toutefois, Meg comprit qu'elle devait mettre untermeàcettepetitecomédiequirisquaitdemaltourner.Maisaumomentoùelleouvraitlabouche,sonmariladevança:— Je suis étonné. Je pensais qu'il n'y avait déjà plus de place libre à vos côtés, de jour
commedenuit-etplusparticulièrementlanuit.Quelqu'uns'esclaffaderrièreeux.Megseretournaetdécouvritungentlemantrèsélégant,
auxcheveuxargentés.Il s'inclina pour la saluer, tandis que lord d'Arque répondait quelque chose à propos du
célibat.— Bonsoir, ladyMargaret. J'espère que vous ne verrez pas d'impolitesse à ce que jeme
présentemoi-même?JesuisCaire.LordCaire, bien sûr.A une époque, sa réputationde séducteur valait largement celle du
vicomted'Arque.Megluirenditsonsalut.— Vousme voyez très honorée, lord Caire. J'ai le bonheur de compter votre épouse au
nombredemesamies.Un sourire s'esquissa sur les lèvres de lord Caire, pendant que Godric et lord d'Arque
continuaientleuréchangesardonique.— Ma femme et moi, nous avons beaucoup regretté de n'avoir pas pu assister à votre
mariage,ditlordCaire,maisnousavonscomprisquelacérémonieétaitintimeetstrictementréservéeàlafamille.JesuisunamidelonguedatedeSaint-John.—Ahoui?fitMeg,quiobservaitGodricetlevicomteducoindel'œil.Pourl'instant,heureusement,ilsn'enétaientpasencorevenusauxmains.D'unautrecôté,
s'ilssebattaientàcausedeMeg,leurbagarrenemanqueraitpasdedonnerdupimentaubal
delordKershaw.—Vousdevezmetrouvermaladroite,ajouta-t-elle.—Pasdutout,assuralordCaire.Celafaisaituneéternitéquejen'avaispasvuSaint-John
dans un tel état. De temps en temps, une bonne colère ne fait pas de mal à un homme.J'espèrequevousprévoyezderesterunmomentàLondres?Meg se mordit la lèvre, car elle ne comptait restera Londres que le temps de tomber
enceinte.ElleaimaitLaurelwoodManor.Lacampagne lui convenait.Etellenepouvaitpasrêverplusbelendroitqueledomainedesonmaripouryéleversonenfant.LordCairecompritapparemmentsondilemme.—C'estdommage.Quoiqu'ilensoit,vousavezbienfaitdevenirpasserunmomentavec
Saint-John.—Jepasseraisvolontiersplusde tempsavec luis'iln'yavaitpasun fantômeentrenous,
objectaMeg.—Ah,fitlordCaireavecunhochementdetêteentendu.Clara.Meggrimaça.—Jene voudrais pas vousdonner l'impressionque je suis jalouse. Je sais qu'ils se sont
beaucoupaimésetqu'ilsontétéheureuxensemble.—Ilssesontaimés,eneffet,acquiesçalordCaire,maissiquelqu'unvousaditqu'ilsontété
heureuxensemble,j'aipeurquecettepersonnenevousaitmenti.Megserapprochadelui.—Quevoulez-vousdire?— Clara est tombée malade très peu de temps après leur mariage, expliqua lord Caire.
Godrica fait appel àplusieursmédecins, y compris sur le continent,mais il a vite comprisqu'iln'yavaitrienàespérer.Caire coula un regard en direction deTempérance qui conversait, un peu plus loin, avec
Sarah,avantd'ajouter:—Cedoitêtreterriblepourunhommedevoirlafemmequ'ilaimeseconsumerlentement
dansd'atrocessouffrances.Megsentituneboulese formerdanssagorgecar,mêmesi lordCairen'avaitpaschangé
d'expression,elleréalisaqu'ilaimaitluiaussisafemmed'unamoursansréserves.Elleavaitconnucela-oudumoins,lesprémicesd'untelamour.SaliaisonavecRogern'avaitduréquetroismois.Troismoismerveilleux,maisMegétaitbienconscientequeleurpassionn'enétaitqu'àsonbalbutiementquandRogeravaitététué.Elle avait rêvé d'un amour qui grandirait avec les années. Le destin en avait décidé
autrement.Megn'avaitpaspuvivre son rêveavecRoger, et ellene le vivraitpasavecGodric.S'il se
disputaitavecd'Arque,c'étaitparpurorgueil.Sonmarinetenaitpasàelle.CetteconvictionattristaitMegplusquederaison.—Jesuisdésolé,assura lordCaire, seméprenant sur sa réaction.Jenevoulaispasvous
causerdelapeine.—Non,nevousexcusezpas, réponditMeg,qui s'efforçade sourire, sansyparvenir. Je...
j'espéraissimplement...Ilattenditmais,commeelleétaitincapabledeterminersaphrase,ilvolaàsonsecours:— Ce n'est pas parce qu'il a aimé Clara qu'il ne peut pas vous aimer. Courage, milady.
Godricestunenoixdifficileàbriser.Mais l'intérieurdesacoquillevaut ledétour.Et jene
voispasd'autrefemmequevous,mieuxàmêmedeveniràboutdesacarapace.MegregardaGodric,quitournalatêteaumêmeinstantdanssadirection.Sonregardétait
àlafoisemplidecolèreetdetristesse.EllevoulaitcroirequelordCairedisaitvrai.Siseulement...Artemis Greaves observait avec une certaine anxiété lord d'Arque sourire d'unemanière
doucereuseàM.Saint-Johnpendantquecelui-ci luidébitaitprobablementdesatrocités.LemarideladyMargaretluiavaittoujoursparuunhommeréservé.Maismêmeleplusréservédeshommesnerésistaitpastoujoursàuneprovocation...—Unduel!s'exclamasoudainladyPenelope,avecravissement.J'espèrebienquecelavase
terminerparunduel!Artemislaregardaavechorreur.Elleéprouvaitdel'affectionpourPenelope,maisparfoissa
cousinesemontraitpuérileetinsupportable.—Jecroyaisquevousaimiezbienlordd'Arque?répliqua-t-elle,sanscachercomplètement
sonexaspération.Pénélopeeutunmouvementde têtequ'elleavaitdû répéterdevant sonmiroir, car il eut
poureffetdefairebrillerlespeignesenjoailleriequiornaientsacoiffure.Ilyenavaittrois,enperlesetrubis,quimiroitaientsousleschandeliers.Cespeignesdevaientcoûterpluscher,àeuxtrois,quetoutelagarde-robed'Artemis,maisilsluiallaientàravir.—J'aimebienlordd'Arque,oui.Maisenfin,iln'estpasduc.ArtemisavaitsouventdumalàsuivrelesraisonnementsdePénélope.—Que...Aumêmeinstant,unhommedehautestature,levisagesévère,fenditlafoulecommeun
sabre le ferait d'une pomme. Il se dirigea droit sur d'Arque, pendant que lord Caires'approchaitdeM.Saint-Johnpourluichuchoterquelquechoseàl'oreille.— Voilà justement un duc ! s'émerveilla lady Pénélope, d'une voix si aiguë qu'Artemis
s'alarma.—Auriez-vousprisfroid?—Nesoyezpasidiote, luirépliquaPénélope.J'aidécidéqu'ilétaitgrandtempsquejeme
marie.Etnaturellement,j'épouseraiunduc.Commecelui-ci,parexemple.Legentlemanquis'étaitprécipitésurlordd'Arquen'étaitautrequeMaximeBatten,ducde
Wakefield.Artemis eut du mal à revenir de sa surprise. Pénélope était fille de comte et une riche
héritière.Etmêmes'iln'étaitpasrarequedesducsépousentdes femmesfortunées,mêmepeutitrées,leducdeWakefieldvoudrait-ild'uneépouseassezfutilepourexigerqu'onverse
des perles de terre[1] dans son chocolat du matin ? Pénélope prétendait que ces œufs
donnaientplusd'éclatàsonteint.Artemistrouvaitsurtoutqueceladonnaitungoûtterreuxauchocolat.Mais Artemis était habituée à ce que son opinion n'entre pas en ligne de compte. Si
Pénélopes'étaitmisen têted'épouserunduc, ilyavait fortàparierqu'elleseraitduchesseavantlafindel'année.Maisquandmême!Wakefield!Artemis l'examinaplus endétail. Il étaitde taillemoyennepourunhomme.Ses épaules
étaientlarges,maisilavaitleshanchesfines.Etlasévéritédesestraitsempêchaitqu'onpût
letrouverbelhomme.SiArtemisavaitdûchoisirunmotpourlequalifier,elleauraitditduducqu'ilétaitfroid.Artemis frissonna. D'après ce qu'elle avait pu observer de lui dans maintes réceptions
comme celle-ci, il n'avait ni compassion ni humour. Or, il fallait posséder les deux poursupporterdevivreavecPénélope.—Iln'estpasleseulduccélibataire,fitvaloirArtemisàsacousine.LeducdeScarborough,
parexemple.Ilestveufdepuisunan,et iln'aeuquedesfilles.Jesuissûrequ'ilchercherabientôtàseremarier.Pénélopes'esclaffasansquitterWakefielddesyeux.—Ildoitavoirsoixanteans.—Certes.Maisj'aientendudirequec'étaitunbravehomme,objectaArtemis.Ellesoupira,avantdetenteruneautrepiste:—EtleducdeMontgomery?Pénélopelaregardaavechorreur.—Ilpasselaplupartdesontempsàlacampagne.L'avez-vousdéjàvu?Artemispinçalenez.—Euh,non...—C'estbienleproblème,rétorquaPénélope,quirepritsonobservation.Personnenel'avu
depuisuneéternité.Àmonavis,ilestbossuouilaunbecdelièvre.Oupireencore,ilestfou!Jenevoudraispasd'unefamilledontlesangestmauvais.Artemisbaissa les yeux.Non,bien sûr.Personnene voulaitde fousdans sa famille.Elle
pensaits'être forgéeunecarapaceassezsolide,maisparfois,commemaintenant, lechagrinluiserraitlecœuràl'étouffer.Heureusement,Pénélopenes'étaitpasaperçuedesontrouble.—Oualors,ilestfauché,ajouta-t-elle.—Maisvousêtesriche.—Oui,maisjeveuxpouvoirdépensermonargentpourmoi,paspourrenflouerlesdettes
demonmariouréparersonvieuxchâteau.Artemisfronçalessourcils.—J'enconclusquecelaexclutleducdeDyemore.—Évidemment,acquiesçaPénélope.LeducdeDyemorepossédaittroischâteauxenpiteuxétat.—Non,iln'yaqu'unseulducquimeconvienne,s'entêtaPénélope.Wakefield s'éloignait déjà. Il avait réussi à persuader le vicomte d'Arque de le suivre,
probablement en l'intimidant. Le duc avait beau être un homme orgueilleux et austère,Artemisneputs'empêcherdeleplaindre.CarPénélopeobtenaittoujourscequ'elleconvoitait.— Je vous serais reconnaissant à l'avenir de vous tenir à distance du vicomte d'Arque,
murmuraGodric,tandisqu'ilentraînaitsonépouseverslapistededanse.Ilsereprochaitsontoncassant,maisc'étaitplusfortquelui.Margaretétaitsafemme,etilentendaitleluirappeler.Elleluidécochaunregardpluscurieuxqu'outragé.—Est-ceunordre?Godriccompritqu'ils'étaitmontréidiot.
—Non,biensûrquenon.Unenouvelledansedébutait,lesforçantàseséparerpoursesalueretGodricn'eutpasle
loisir de s'expliquer davantage. Il en profita pour tenter de juguler la rage qui l'avait saisilorsqu'ilavaitaperçusafemmeencompagnied'unautrequelui.Quandlespasdedanseleurpermirentdeserejoindre, ilmurmuraàMargaret,assezbaspourque lesautrescouplesdedanseursnepuissentpasentendre:—Jesaisquevousdésirezardemmentunenfant,maiss'ilvousplaît,pasdecettemanière.—Quevoulez-vousdire?demanda-t-elleavecinnocence.—Enprenantd'Arquecommeamant.Elleen futsiblesséequ'elleneputpascomplètement ledissimuler.Godriccompritqu'il
s'étaitmisdansdesalesdraps.—Vousmeprenezpourunefillelégère.Devraimentsalesdraps.—Non,jevousass...Maisladanselesobligeadenouveauàseséparer.Cettefois,Godricsuivitsonépousedu
regardavecunecertaineanxiété.Ilréalisaqu'illaconnaissaitbienmal.SiClaras'étaitsentieinsultéecommeelleencemoment,elleauraitfonduenlarmes.Ouelleauraittapédupied.Enfait,iln'ensavaitrien,cariln'avaitjamaiseuunetellediscussionavecClara.Etlasimpleidéequecelaauraitpuseproduireunjourluiparaissaitridicule.Margaret,elle,gardaitlatêtehaute.Onauraitditunedéesseoffensée.Unedéessecapable,
s'ilsavaientétéseuls,desejetersurlui-etcetteperspective,bizarrement,l'excitaitauplushautpoint.Quandladanselesréunitdenouveau,ilsouvrirentlaboucheenmêmetemps.—Jenevoulaispas...commençaGodric.—Vousm'avezjugéesansprocès.Etsanslamoindrepreuve.—Là,jenesuispasd'accord.Vousflirtiez,madame.—Etalors?Oùestlemal?Sitouteslesfemmesquiflirtaientdansunesalledebalétaient
des catins, il ne resterait plus que les bonnes sœurs pour garder un semblant de vertu.Pensez-vousréellementquej'avaisl'intentiond'avoiruneliaisonaveclevicomte?Godrichésitaunefractiondesecondedetrop.Ellefronçalessourcils.—Vousêtesunhommeimpossible.Ilscommençaientd'attirerlesregardssureux,maisGodricnepouvaitpasenresterlà.— Moi ? C'est vous qui êtes impossible, madame. Je n'avais encore jamais causé de
scandaleenpublicavant...—Maispourcesoir,vousenêtesdéjàaudeuxième,lecoupa-t-elle.Une réplique un peu trop facile. Et, comme ils étaient encore obligés de se séparer, sa
femmes'étaitainsioctroyélederniermot.Pourlemoment.Aussitôtqu'ilsserejoignirent,elleattaqua:—Vousai-jedéjàdonnédesraisonsdedouterdemaloyauté?—Non,mais...— Et cependant, vous m'accusez du pire crime qu'un homme puisse reprocher à une
femme.—Margaret, plaida Godric, sur le ton de l'impuissance, comme si son éloquence l'avait
déserté.—Etpourquoivouspréoccuperdemoi?Vousm'avezfaitclairementcomprendrequejene
vousintéressaispas.Alors,pourquoivousmêlerdemesfaitsetgestes?Etd'abord,pourquoiavez-vousacceptédem'épouser?Godric s'aperçut que beaucoup de gens autour d'eux essayaient d'entendre leur
conversation,toutenrestantdiscrets.—Parcequevotrefrèremel'avaitdemandé.—Griffinvousconnaissaitàpeine.—Margaret,l'endroitestmalchoisipour...—Pourquoi?—Jen'avaispaslechoix!lâchaGodric,avantderegretterimmédiatementsesparoles.Damnation!Elleparaissaiteffondrée.—Margaret...voulut-ils'expliquer,maiselles'étaitencoreéloignée.Elle n'avait pas tort. Logiquement, il aurait dû se désintéresser d'elle, puisqu'il l'avait
épouséeparpureconvenance.Qu'elleaccordesesfaveursàunautrehommeneleregardaitpas.Cependant,toutsemblaitavoirchangéenl'espacedequelquesjours.Depuis,enfait,qu'il
avaitaperçusafemmedanslesruesdeSaint-Giles.Margaretétait-elleentraindeluijeterunsort?Lemomentn'étaitguèrepropicepourréfléchiràlaquestion.Ilssetrouvaientsurunepiste
dedanse,aumilieudelahautesociétélondonienne.Leplusurgentétaitd'apaiserMargaret.Godrics'yemployadèsqu'ilsfurentdenouveauréunisparlamusique.— Malgré votre comportement de ce soir, je ne vous ai jamais tenue en basse estime,
Margaret, quoi que vous puissiez penser. J'aimerais simplement que vous ne laissiez pasvotrenaturepassionnéevouségarer.—Jesuispeut-êtrepassionnée,maisaumoins,jenemecomportepascommesij'étaisdéjà
morte!Etjedétestequ'onm'appelleMargaret!Là-dessus,elles'éloignafièrementdansunetraînéeparfuméeàlafleurd'oranger.Godricneputs'empêcherd'admirersonaplomb,mêmesiducoupilseretrouvaitseulau
milieudelapistededanse,alorsquelamusiquen'étaitpasterminée.Cairelerejoignit.—Lemariagesemblevousavoirmétamorphosé,monami.Jenevousavaisencorejamais
vu siprêtde vousbattre enduel.Et commesi çane suffisaitpas, vous vousdisputez avecvotrefemmesurlapistededanse.Lesmotsmemanquent.Godricfermalesyeux.—Jesuisdésolé.—Vousm'avezmalcompris,Saint-John.Godricrouvritlesyeuxetils'aperçutqueCaireluisouriait.Caire,sourire!—Franchement,Saint-John,reprit-il,jevouspensaismort.Qu’ont-ilstousàcroireça!—Jenesuispasmort,marmonnaGodric.—Tout Londres le sait, désormais, ironisaCaire.Venez. Je sais oùnotre hôte cache son
brandy.Godricsuivitsonami.Lasituationsemblaitluiéchapper,etilétaitreconnaissantàCairede
l'épauler en cet instant. Si c'était ça, la vie, elle se révélait plus compliquée que dans sonsouvenir.
6
L'Hellequin ouvrit la bouche,mais aucun son ne sortit de sa gorge. Depuis combien detempsn'avait-ilplusparlé?Desannées?Dessiècles?Quandilretrouvaenfinlavoix,elleétait à peine audible. « Peu m'importe de savoir comment il a vécu, il est mort sansconfession.»Lecœurdel'Hellequinavait-ilétéémuparlechagrindelabellejeunefemme?Quoiqu'ilensoit,ilnepouvaitrienfaire,lesrèglesétaientclaires.Aussitourna-t-illesrênesdesonchevalpourrepartir.MaisFoimontaencroupederrièrelui,sansquelescompagnonsdel'Hellequinpuissentl'enempêcher.[...]
op.cit.Megquittalasalledebalcommeunefurie.Elleétaitconscientedesedonnerenspectacle,
maisellen'enavaitcure.Commentosait-il?Commentosait-illaconsidérercommeunefemmeperdue,alorsqu'ellen'avaitfaitquerire
aux galanteries de lord d'Arque ?Alors qu'elle essayait simplement de savoir si le vicomtesavaitquelquechoseausujetdelamortdeRoger?La jeune femme essuya avec rage une larme qui coulait sur sa joue.Dire qu'elle n'avait
même pas eu le temps de questionner lord d'Arque sur le Fantôme, avant que Godric nesurgissepourinsulterlevicomte.Etelle!—Meg!Lajeunefemmeseretourna.Sarahcouraitaprèselle.—Toutvabien?s'inquiétaSarah,essoufflée,quandellel'eutrejointe.— Je... commença Meg. Oh, Sarah, j'ai parfois envie de le gifler ! lâcha-t-elle, avant de
s'obligeràunesérénitéplusdigned'unelady.—Jenepourraispasvousenblâmer,confessaSarah.Megétaitsoulagéedepouvoircomptersursonsoutien.— Je ne peux pas retourner là-bas, dit-elle, désignant la salle de bal. En tout cas, pas
maintenant.Sarahfronçalessourcils.—Oùvoulez-vousaller?—J'aibesoin...Elle avait besoin de parler à Griffin. L'idée venait de surgir dans sa tête, et elle sut
immédiatementquec'étaitunebonneinitiative.Elleavaitplusieursquestionsimportantesàposeràsonfrère.—Jevaispartir, reprit-elle.Jevoudraism'entreteniravecGriffin.Pouvez-vousm'excuser
auprèsducomteetdelacomtesse?— Bien sûr, acquiesça Sarah, dont le regard trahissait un mélange de sympathie et de
curiosité.Seulement,nousnesommesvenusqu'avecuneseulevoiture.—Oh,zut!soupiraMeg,laminedéfaite.—Votregrand-tanteElvinaapassésasoiréeàbavarderavecladyBingham.Jesuissûreque
cettedernièreseratoutedisposéeànousreconduireàlamaison.—Vousêtesunange,laremerciaMeg,quidoublasesparolesd'unbaisersurlajouedesa
belle-sœur.Unquartd'heureplustard,elleseretrouvaitseuleenvoiturepourserendrechezGriffinet
Hero.C'estalorsqu'elleréalisaquesonfrèreneseraitpeut-êtrepaschezluiàcetteheure-ci.Elledevaitsavoir !Sielleencroyait les lettresdeHero,sonfrère,autrefoisunséducteur
impénitent, passait désormais la plupart de ses soirées à lamaison, en compagnie de sonépouseetdeleurpetitgarçon.Megsejuradenepasêtrejalousedesonfrère.Vingtminutes plus tard, l'attelage s'arrêtait devant une bellemaison de ville. Après son
mariage, Griffin avait renoncé à la maison où il avait vécu durant tout son célibat pours'installeràuneadressepluscossue.Meg gravit le perron le cœur battant. Les lampes d'extérieur étaient allumées, mais la
demeure semblait plongée dans le noir. Elle hésita un instant, mais l'affaire ne pouvaitdécidément pas attendre. Elle ne se sentait pas le cœur de revoir son mari avant d'avoiréclaircilemystère.Ellefrappadeuxfoisleheurtoir.Ilyeutunlongsilence,avantquelemajordomeneréponde.Megeutquelquedifficultéàle
convaincre qu'elle était bien la sœur de lord Griffin et qu'elle voulait absolument le voir,malgré l'heure indue. Finalement, le majordome l'introduisit dans un petit salon. Unesoubrette,àmoitiésomnolente,venaitjustederanimerlefeuquandGriffinfitirruptiondanslapièce.SonfrèreseprécipitasurMegpourlasaisirauxépaules.—Quesepasse-t-il,Meg?T'est-ilarrivéquelquechose?Oh,monDieu!Ellen'avaitpasvoulul'affoler.—Non,non,toutvabien.Je...euh,jevoulaisjusteteparler.Griffinserecula,interloqué.—Meparler?À...àminuitetdemi?demanda-t-il,interloqué,aprèsavoircouléunregard
verslapenduledelacheminée.Meg,celafaitdeuxansquetum'évites.Megdéglutitpéniblement.—Tuavaisremarqué?Illevalesyeuxauciel.—Quoi?Quemapetitesœurpréféréecorrespondaitplussouventavecmafemmequ'avec
moi ?Quelle avait décliné une demi-douzaine d'invitations à venir nous rendre visite ici ?Qu'elleavaitàpeineéchangéquelquesmotsavecmoiquandelleétaitfinalementvenuepourlanaissancedeWilliam?Jenesuispasidiot,Meg.—Oh...Meg ne savait pas quoi répondre à cela, aussi baissa-t-elle les yeux. Griffin s’éclaircit la
voix.—Heromedisaitquejedevaistelaisserdutemps.Seserait-elletrompée?Megn'avaitjamaisétélâche.Ellerelevalatête.—Non.Heroestquelqu'undesage.Ilsourit.—C'estvrai.—Jesuisdésoléedem'êtreconduitecommeuneidiote.
—C'estmaintenantquetuteconduiscommeuneidiote.Tun'aspasbesoindet'excuser.Meg sentit les larmesmonter.Mais c'était la fautedeGriffin. Il était tropbon.Pourquoi
l'avait-elletenuàdistance?Elles'assitsurunsofa.—Ilfautquenousparlions,dit-elle.Ilhaussaunsourcil,soudainintrigué.—Meg?Lajeunefemmetapotalaplacevideàcôtéd'elle.Griffinpréféraprendreunfauteuil,qu'ilplaçajusteenfaced'elle,avantdes'ylaisserchoir.
Il sortait manifestement du lit et il n'était vêtu que d'un peignoir bleu foncé, ourlé d'unefronce dorée. Contrairement à Godric, il n'avait pas jugé utile de se coiffer d'un turban.Commetousleshommesportantlaperruque,Griffinavaitlescheveuxcoupéstrèscourt.—Alors,qu'ya-t-ildesiurgentpourquetumetiresdulit?Demonlitbienchaud?Megrougit.Laplupartdescouplesdelabonnesociétéfaisaientchambreàpart,maiselle
eutlasoudaineintuitionquecen'étaitpaslecasdeGriffinetdeHero.—JevoudraissavoirpourquoiGodricm'aépousée.Griffinenrestad'abordcoi.Et,avantqu'ilaitpurépondre,Heroapparutà laporte,vêtue
d'unpeignoirvertclair,sesbeauxcheveuxrouxencascadesursesépaules.—Meg?Quesepasse-t-il?Griffinserelevapourallerchuchoterquelquechoseàsafemme.Puisilluicaressalajoue,
d'ungestedontlatendresseétaitpluséloquentequebiendesmots.Meg ne put s'empêcher de les envier. Bien sûr, elle était contente pourGriffin qu'il soit
heureuxenmariage,mais...maiselleneconnaîtraitsansdoutejamaisunetellefélicitéavecGodric.Elle avait des amis. Une famille qui l'aimait. De l'argent et des privilèges. Et si elle
réussissaitàfairechangerd'avisGodric,peut-êtremêmeaurait-elleunenfant.Nepourrait-ellepassecontenterdetoutcela?HeroacquiesçaàcequeluiavaitditGodric,puisellesaluaMegdelamain.—Jesuisdésoléedevousavoirdérangés,risquaMeg,labouchesèche.Heroluisouritetseretira,refermantlaportederrièreelle.Griffinrevints'asseoirdansle
fauteuil.— Maintenant, dit-il, explique-moi ce que t'a fait Godric pour que tu me poses cette
question?MegréalisaqueGriffinavaittiréprofitdecetteinterruptionpourpeaufinersariposte.Ellen'avaitpas l'intentiond'avouerà son frèrequesonmari refusaitdeconsommer leur
mariage. Et elle pressentait que Griffin lui répondait par une autre question uniquementdansl'espoirqu'ellerenonceàcetteconversation.—Godric nem'a rien fait. Il se comporte en parfait gentleman, soupira-t-elle devant les
sourcilsfroncésdesonfrère.Cen'estpaspourcelaquejesuisici.Jeveuxsimplementsavoirpourquoitul'asobligéàm'épouser?Ilhaussalessourcils.—«Obligé»?—Ilm'aditqu'iln'avaitpaseulechoix.Pourquoi,Griffin?Griffin renversa la tête en arrière et ferma les yeux. Meg commençait à croire qu'il ne
répondraitpas.
Maisilrouvritlesyeuxetregardasasœuravecaffection.—Tuétaisbrisée,Meg.Tonchagrint'égarait.Etpuis,tuétaisenceinte.Megdétournaleregard.Ellesesentaitsihonteusequ'elleredoutaitd'entendrelasuite.—Sitonamantn'avaitpaspéri,jel'auraistuémoi-même.Elleenrestabouchebée.—Griffin!Rogerétaitquelqu'undebien.Jel'aimais.Etilm'aimait.Nous...— Il t'a séduite etmise enceinte. Je veux bien croire que tu l'aimais,Meg,mais cela ne
l'excusepas.Iln'auraitpasdûtedéflorer.—SiRogeravaitvécu,nousnousserionsmariés,répliquaMegavecdignité.Etpuis,tues
malplacépourmejeterlapierre!Griffinrougit.Sonmariageavaitprovoquéunscandale,carHeroavaitétéd'abordfiancéeà
Thomas.—Revenons ànotre sujet, dit-il. Tu étais enpleindésarroi et il te fallait unmari. Saint-
Johnvenaitd'unefamillehonorable,connue,ilavaitsuffisammentd'argentpourtemettreàl'abri dubesoinpour le restant de tes jours et, enfin, sa réputation était au-dessusde toutsoupçon. Je n'avais pas beaucoup de temps, mais j'estime t'avoir choisi le meilleur partipossible,comptetenudescirconstances.—Etjet'enremercie,acquiesçaMeg,sincère.Sans l'interventiondeGriffin,elleauraitétébanniede labonnesociétéetsa fauteaurait
rejaillisurtoutelafamille.—Mais, reprit-elle, cela ne répond toujours pas àma question. PourquoiGodricm'a-t-il
épousée?Ilaimaitsapremièrefemme.Delui-même,ilnem'auraitpasépousée.Unfrissonparcourutlajeunefemme.Ellecrutentrevoirl'horriblevérité.—Tul'asfaitchanter?Griffingrimaça.—S'ilteplaît,Meg...Megseleva.Elleétaittropébranléepourresterenplace.—Oh,monDieu,Griffin!Jenem'étonneplus,maintenant...Qu'ilneveuillepascoucheravecmoi.Elle s'interrompit aumilieude saphrase, comprenantqu'elle risquait d'en révélerplus à
Griffinqu'ellenel'auraitsouhaité.—Commentl'as-tufaitchanter?Çaadûêtreterriblepourluid'épouserunefemmedontil
nevoulaitpas.Griffinsecoualatête.—Cen'étaitpasaussiterriblequetusembleslepenser.—Alors,dequois'agit-il?Ilserelevaàsontour.—Non,Meg.Cela faitpartiedumarchéquenousavons conclu.J'emporteraimonsecret
danslatombe.Situtiensvraimentàlesavoir,ilfaudraquetuledemandesàSaint-Johnlui-même.Godricnes'arrêtapourreprendresarespirationquelorsqu'ilarrivaenfacedelademeure
delordGriffinReading.Sarahavaitattenduunbonquartd'heureaprèsledépartdeMargaretpour l'informer que son épouse avait l'intention de poser une question importante à sonfrère.Godricavaitencoreperdudixminutessupplémentairespours'assurerqueSarahetlagrand-tante Elvina seraient convenablement escortées pour rentrer. Puis il était lui-même
rentréchezluienfiacre,oùils'étaitchangéenFantôme,aucasoù.DieuseulsavaitoùMegpourraitl'entraîner.Il était conscient d'avoir quitté le bal demanière trop abrupte, mais il n'avait pas eu le
choix.Godric ne devinait que trop bien pourquoiMargaret avait subitement voulu s'entretenir
avecsonfrère.Ellecherchaitàconnaîtrelestractationsquiavaientprovoquéleurmariage.Bonsang!Godrics'étaitdoutédès ledébutquecettehistoire luireviendraitenpleinefigure.Dèsce
fameuxsoiroù,rentrantchezlui,ilavaittrouvéReadingl'attendantdanssonbureau....Maislà non plus, il n'avait pas eu le choix. Reading savait. Reading savait que Godric était leFantômedeSaint-Giles.Etill'avaitmenacédelerévéleraugrandpublic.Surlecoup,Godricavait eu envie de l'envoyer audiable.Qu'il dévoile son identité, s'il y tenait tant que cela !Maisils'étaitravisé.Godrics'étaitattachéàlapopulationdecequartier,etl'aidequ'ilpouvaitluiapporterétait
importanteàsesyeux.Cettepartdelui-mêmen'étaitpasmorteavecClara.Alors, il s'était soumis au chantage de lord Reading et il avait épousé Margaret. Et
maintenant,biensûr,Margaretvoulaitsavoirpourquoi.Godricdésirait-ilqu'elleledécouvre?Non,évidemment.Commentpouvait-ilseposerunequestionaussiidiote?Il n'eut pas le temps de s'appesantir sur le sujet : la porte de lord Griffin s'ouvrit et
Margaretsortit sur leperron,qu'éclairaientdeux lanternes.La jeune femmese tournaverssonfrèrepourluidirequelquechose,avantdedescendrelesmarches,plusbellequejamaisdanssarobedebalsaumonsurlaquelleelleavaitpasséunecapelineblanchenouéeaucou.Godricn'auraitsudire,àsonexpression,sielleavaitapprissonsecret.Lajeunefemmeremontaenvoitureet lecocherdonnaàseschevauxlesignaldudépart.
Godricétaitàpied.Heureusement,lesruesdeLondresétaientsitortueusesetleurspavéssimalentretenus,qu'iln'eutaucunepeineàsuivrel'attelageencourantlelongdesimmeublespourresterlepluspossibledanslapénombre.Ilnecroisaqu'unramasseurd'ordures,lequel,voyantleFantôme,laissatombersesseaux
avecuncriétranglé.MaisGodricétaitdéjàloin.Il soupira de soulagement quand la voiture s'arrêta finalement devant Saint House. Par
mesurede sécurité, il auraitdûs'empresserde rentrerpar laportedederrièrepourgagnersonbureau,aucasoùsafemmelechercherait.Maiscefutplusfortquelui:ilrestatapidansl'ombrepourleseulplaisirdevoirMargaretdescendredevoiture.Levaletouvritlaportièreetdéplialesmarches.Cependant,Margaretnesortitpas.Levalet
sepenchaendirectiondel'habitacle,commesisamaîtresseluidisaitquelquechose.Puisilrefermalaportière,replialesmarches,lançaunordreaucocheretrepritsaplaceàl'arrièredelavoiture.Bonsang!Quetrafiquait-elle?Godricregarda,impuissant,l'attelageredémarrer.Ilfutencoreobligédelesuivre,soulagé
deportersatenuedeFantôme.CarsijamaisMargaretallaitretrouverunamant...Sapoitrineseserraàcetteidée.Ilétaitpeut-être«impossible»,commel'enavaitaccusé
Margaret,maisilrefusaitqu'elleaccordesesfaveursàunautrehomme.L'attelage prit la direction du nord de la ville, puis obliqua légèrement vers l'ouest. Vers
Saint-Giles.Incrédule,Godric continuaitde suivre l'attelage.Ellen'allait toutdemêmepas retourner
là-bas,aprèscequis'étaitpassél'autresoir?Dieuduciel!Si.L'attelages'engageadansSaint-Gilescommeunagneausedirigeant,sans
lesavoir,versl'abattoir.Godrictirasesdeuxlamesetcontinuadecourir.Megregardaitparlavitredelaportière.LesruesdeSaint-Gilessemblaientcalmespourne
pasdirepaisibles.Maisellesavaitqu'ilnefallaitpassefierauxapparences.Cequartierétaitl'undesplusdangereuxdeLondres.C'étaitlàqueRogeravaittrouvélamort,deuxansplustôt.Ilavaitétéretrouvégisantsurle
pavéparunefraîchenuitdeprintemps,sonsangs'écoulantdanslecaniveau.La voiture s'était immobilisée.Meg ravala ses larmes, inspira profondément et ouvrit la
portière,avantmêmequ'Oliver,sonvalet,aitpudescendredesonperchoir.—Restezlà-haut,luidit-elle.—Vousferiezmieuxdeleprendreavecvous,milady,protestaTom,lecocher.—Je...j'aibesoind'êtreseuleunmoment.Avantdedescendredevoiture,Meg tira l'undespistoletscachéssous labanquette.Puis,
après un bref instant d'hésitation, elle prit également une dague, qu'elle glissa dans samanche.Ladagueétaitsurtoutdécorative,maisellepourraittenirenrespectuntire-laineletempsqueTometOliverarriventàsarescousse.Non pas que Meg cherchât les ennuis. Elle ne comptait pas s'éloigner beaucoup de la
voiture.MaiselleavaitditvraiàTom:elledésiraitêtreunmomentseule,commesielleserecueillaitsurlatombedeRoger.Peut-êtrelebesoinaussid'échapperàl'obstinationmasculinequ'elleavaitdûendurertoute
lasoirée.AvecGriffinetGodric,maisaussiavec lordd'Arque. Iln'avaitcherchéqu'à flirteravecelle,sanssesoucierdesavoirpourquoiellesouhaitaitluiparler.Enfait,Megsesentaitprise au piège de tous les côtés. Depuis qu'elle était arrivée à Londres, rien ne se passaitcommeellel'avaitespéré.Pasmêmecepetitpèlerinage.Ellesentaitbienqu'elles'éloignaitdeplusenplusdeRoger,alorsmêmequ'ellefoulaitles
pavéssurlesquelsilavaitrendusonderniersoupir.La jeune femme s'arrêta au milieu de la rue déserte et sombre, à l'image de toutes les
autresruesduquartier.LescommerçantsdeSaint-Gilesn'avaientpaslesmoyensdesepayerdeslanternespouréclairerleursdevantures.Oualors,ilsn'enavaientcure.Quoiqu'ilensoit,lanuits'infiltraitpartout,rendantlemoindrebruitsuspect.Meg frissonna et resserra les pans de sa cape, bien qu'il ne fît pas très froid. L'endroit
semblaithanté,etpasseulementparlesouvenirdeRoger.Sa voiture n'était qu'à quelquesmètres de distance, pourtant la jeune femme se sentait
perdue,aumilieudenullepart.PourquoiRogerétait-ilvenuici?Il n'habitait pas à proximité et pour autant que Meg pût le savoir, il ne connaissait
personnedansSaint-Giles.Megavait aiméRogerde tout son cœuret elle était convaincueque son amour avait été payé de retour, cependant elle n'arrivait pas à s'expliquer sesdernièresheures.
Toutcequ'ellesavait,enfait,c'étaitqu'ilétaitvenudanscequartier,etqueleFantômedeSaint-Gilesl'avaittué.Maispourquoi?PourquoiRoger,plutôtqu'unautre?Quandelleavaitapprissonassassinat,Megn'avaitpascruunseulinstantqueRogeraitpu
avoir l'inconsciencedeprovoquerquelquebandit.Maintenant,ellen'étaitplussûrederien.Elle n'étaitmêmepas certaine d'avoir vraiment su qui étaitRoger, et cette idée accentuaitencoresondésarroi.Quelquechosebougeadanslapénombre.Meg brandit son pistolet avant même que le Fantôme de Saint-Giles ne se matérialise
devantelle.Elleétaitfollederage.Commentosait-ilsouillerunsolsacrépourelle?—Vousnedevriezpasêtrelà,milad...Megappuyasurladétente.Maisaucuncoupdefeunepartit.Lepistoletn'émitqu'unpetit
bruitétouffé.LeFantômeenprofitapoursejetersurelle,luiarracherlepistoletdesmainsetlelancer
auloinsurlespavés,horsdeportée.Ellevoulutcriersacolère,maisilplaquaunemainsursabouche,tandisquedesonautre
brasill'attiraitviolemmentcontrelui.Megtentadesedéfendreenluidonnantdescoupsdecoudeetdescoupsdepied,maisle
Fantômeétaitd'uneforceétonnanteetiln'eutaucunmalàl'entraînerdansunrecoinobscur.En désespoir de cause, la jeune femme essaya de lui donner un coup de tête, mais ellemanquasamâchoireetheurtasontorse.—Bonsang...grogna-t-il,derageplusquededouleur.CetassassinnesemblaitmêmepassentirlescoupsqueluidonnaitMeg.Ellelevalesyeux
versluietlefusilladuregard,lemettantaudéfideluifairesubirlesortqu'illuiréservait.LeFantômeaccrochauninstantsonregard,puisilôtalamainquibâillonnaitlabouchede
Meg.Maisavantquelajeunefemmeaitpureprendresarespiration,il......l'embrassa!Meg eut la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds. Le Fantôme était en colère -
comme elle. Et son baiser n'avait rien de tendre. Cependant,Meg ne put s'empêcher d'enéprouverunagréablefrisson.Non ! C'était mal. S'il y avait au monde un seul homme qu'elle ne pouvait laisser
l'embrasser,c'étaitbienlui.Megvoulutreculer,maisilluitenaitfermementlanuquetandisquesalangueessayaitde
forcerlebarragedeseslèvres.Megouvritlégèrementlabouche,maiscefutpourluimordrelalèvre.Ellesentitlegoûtdusangsursalangue,maiscelanesuffitpasàarrêterleFantôme.Illapressaplusfortcontrelui,etelleputsentirsonmembreérigépalpitercontresonventre.Elleauraitdûêtrerévulsée.N'éprouverquedudégoût.Aulieudequoi...Ellemouillait!Elleouvritdenouveaulabouche,sousl'effetdelasurpriseetilenprofitapourintroduire
salangueenelle.Non.Non,non,nonetnon!Pasaveccethomme.C'étaitimpossible.S'ilnes'arrêtaitpas,MegseraitobligéedesetrahiretdetrahirRoger.Elles'yrefusait.LeFantômel'embrassaittoujours,maisMegavaitlesmainslibres.Ellesortitsadaguede
samanche et elle le frappa dans le dos de toutes ses forces, décuplées par la colère et le
chagrin.Lalametraversalalaineducostume.Puiselles'enfonçadansseschairsavantdebutersur
quelquechosededur.LeFantômelaregardaavecincrédulité.—Oh,Meg!
7
L'Hellequinneseretournamêmepasverslajeunefemmemontéeencroupederrièreluietilpoursuivitsachevauchée.«Quellessontvosintentions?»luidemanda-t-il.«Jem'accrocheraiàvousjusqu'àcequevouslibériezl'âmedemonbien-aimé»,répondit
courageusementFoi.L'Hellequinhochalatête.«Danscecas,préparez-vousàtraverserlarivièreduChagrin.»
[...]op.cit.
SeulunimbécileiraitbaissersagardedansSaint-Giles.LesparolesdumentordeGodric,sirStanleyGilpin,résonnaientsoussoncrâne.SirStanley
n'auraitpasmanquéde le traiterd'idiot, s'ilavaitpuvoirGodric,avec lapetitedaguedesafemmeplantéedanssondos.—Godric!Celui-ci cligna les yeux et s'aperçut queMeg était devenue pâle. Elle avait écarquillé les
yeux, lorsqu'ilavaitmurmurésonnom.Maissastupeurredeviendraitvitede lacolère,dèsqu'ellesesouviendraitqu'elleleconsidéraitcommel'assassindesonamant.Unbruitdesabotssefitentendre.Godricpassaunemaindanssondosetilréussitàsaisirlemanchedeladague.—MonDieu,jevousaitué!gémissaitMargaret,leslarmesauxyeux.Godricn'avaitpasletempsdeseréjouirdesonémotion.—Pastoutàfait.Ilretiraladague,d'ungestevifmaisdouloureux,cequifitdenouveausaignersablessure.
Puisilglissaladaguedansl'unedesesbottesetilpritMargaretparlecoude.—Venez.Personne n'avait les moyens de se payer un cheval à Saint-Giles. Ce bruit de sabots ne
pouvaitavoirqu'uneseuleexplication.—Maisvotredos!protestaMeg.Vousdevriezvousallonger.JevaisdemanderàOliveretà
Tomde...—Vite,s'ilvousplaît,lapressaGodric.Avant de rallier la voiture de sa femme, il ôta sonmasque et son chapeau, afin que les
domestiquespuissentlereconnaître.Cequinelesempêcheraitsansdoutepasdesedemanderpourquoiilportaitunetunique
d'Arlequin,desbottesmontantesetunegrandecape.Mais tant pis. Il avait d'autres inquiétudes plus urgentes à cet instant que de voir les
domestiquesdesafemmedécouvrirsonsecret.Par chance, Meg n'essaya pas de protester au moment de monter en voiture. Godric la
poussa sur une banquette et l'attelage démarra aussitôt. Puis il fourra son masque, sonchapeau,sacapeetseslamesdanslecompartimentaménagésousl'autrebanquette.Quand
cefutterminé,ilrabattitlesiègeets'assitàsontour.Megseprécipitaàsescôtés.—Voussaignez.Jevoisunetachebrillantemaculervotretunique.Descrissefirententendre,au-dehors.Pourtouteréponse,Godricfitpasserlehautdesatuniquepar-dessussatête.Ilneportait
endessousqu'unesimplechemisedepeaublanche.—Venezdansmesbras.—Pardon?—Nousallonsnousfairearrêterparlesdragons,expliquaGodric,l'attirantsursesgenoux
et lui écartant les cuisses pour qu'elle puisse le chevaucher. S'ils découvrent que je suis leFantôme,noussommestouslesdeuxperdus,comprenez-vous?Elle écarquilla les yeux.Mais ellehocha la tête.Sa femmenemanquaitnide courageni
d'intelligence.L'attelage,encadréparlessoldatsquiordonnaientaucocherdes'arrêter,ralentissaitdéjà.—Parfait,ditGodric.Maintenant,laissez-moifaire.Il tira ladaguedesabotteet ils'enservitpourtrancher lebustierdeMegensonmilieu,
ainsique la camisolequ'elleportaitdessous.N'importequelle autre femmeauraitprotestéavecvéhémence-larobeétaitensoieetcoûtaitunepetitefortune.MaisMegsecontentadeleregarderfaireavecétonnement.Ensuite,Godric écarta lespansde la robe etde la camisolequ'il venaitde trancherpour
révélerdeuxseinsmagnifiques,parmilesplusbeauxqu'ilaitjamaisvus.Sisavien'avaitpasété en jeu, il aurait pris le temps de les admirer plus à loisir. Mais la vie de Meg étaitégalementmenacée-oudumoins,saréputation.S'ilétaitpenducommecriminel, la jeunefemmeseraitbannieparlabonnesociétéetmêmeparsafamille.Illaserracontrelui,àl'instantmêmeoùunemainagrippaitlaportièredelavoiture.Puisil
referma ses lèvres sur un téton et le suça goulûment, enivré par l'odeur de femme et deparfumàlafleurd'oranger.Ellesecambracontrelui.ContrelemembredeGodric,durcommedubois.Laportièredelavoitures'ouvritàlavolée.Godricsentitsafemmetressaillir,maiselleenfouitsesmainsdanssescheveux.—Que...commençaunevoixautoritaire.Unevoixdecapitainedesdragons.Godricredressalatête,feignantlacolère,etilpressaMegcontresontorsepourcouvrirsa
nudité. La jeune femme cacha son visage au creux de son épaule avec un gémissementembarrassé.Etalors,lacolèredeGodricdevintréelle.—Quesignifiecetteintrusion?gronda-t-il.LecapitaineTrevillionnedevaitpassouventrougir,maisc'estpourtantcequiluiarriva.— Je... euh... je suis le capitaine James Trevillion, du 4e dragons, et je suis chargé de
capturer le Fantôme de Saint-Giles. L'un de mes hommes pensait avoir vu le Fantômepénétrerdanscettevoiture.Sivous...— Je me moque de savoir qui vous êtes chargé de capturer, répliqua Godric. Sortez
immédiatementdemavoiture,avantquejenevous...Mais Trevillion bredouillait déjà une excuse, enmême temps qu'il refermait la portière.
Megseredressa.— Attendez, lui murmura Godric, une main toujours plaquée dans le dos de la jeune
femme.Ilsavait,d'expérience,queTrevillionn'étaitpasfacileàberner.Cen'estquelorsquel'attelageredémarraqu'illaissaMegglisserdesesgenoux.—Votreruseafonctionné,murmura-t-elle.Maiscommentvavotredos?—Cen'estrien,lablessuren'estpasprofonde,chuchotaGodric.Plus personne ne pouvait les entendre, avec le bruit des roues sur les pavés, mais il
semblait logique de parler bas. Godric s'attarda sur le bustier qu'il avait déchiré. Un tétonétaitencoretoutrougeethumide.Ildétournaleregard.Sonmembre,toujoursérigé,n'avaitapparemmentpascomprisquelacomédieétaitterminée.—Jesuisnavrépourvotrerobe.—Nesoyezpasidiot,répliqua-t-elle,maisGodriccrutlavoirrougir.Avait-ellecambrélesreinsd'excitation...oupourrendreleurcomédieplusvraisemblable?—Laissez-moivoirvotredos,ajouta-t-elle.Godric soupira et sepencha en avant avecune grimacededouleur.Le tempsqu'il avait
passé le dos plaqué contre la banquette avait permis au sang de coaguler, mais sonmouvementavaitrouvertsablessureetilsentaitdenouveaulesangcouler.Ellesursauta.—Toutvotredosestrougedesang!—Lablessuren'estpasprofonde,insistaGodric.Croyez-moi,lesangneprouverien.Saremarqueluivalutunregardencoindelajeunefemme,moitiéinquiet,moitiéintrigué.Puiselleappuyaquelquechosecontresondos,etilgrimaçaencorededouleur.Mais,dans
songeste,Megpressasesseinscontreluietilselaissaalleràfermerlesyeux.—Godric,murmura-t-elle,d'unevoixanxieuse.Godric!Ilrouvritlesyeux.Elleleregardait,etiléprouvauneirrésistibleenviedelareprendredans
sesbraspourlasentirencoresecambrersoussescaresses.Godricclignaplusieursfoislesyeux.L'habitacledelavoituresemblaitdanserdevantlui.—Jesuisdésolée,dit-elle,d'unevoixdésemparée,alorsqu'ellepressaittoujoursunemain
dans son dos pour stopper l'hémorragie, sans succès. Il vous faut un docteur. J'en feraichercherundèsquenousseronsarrivésàlamaison.—Non,pasdedocteur.Ilauraitvoulusecouerlatêtepourappuyersadénégation,maisunenauséel'enempêcha.—Moulders'occuperademoi,ajouta-t-il.—Sij'avaissuquevousétiezleFantôme,jenevousauraispaspoignardé.—Pastoujours,murmuraGodric,maisilvit,àsonexpression,qu'ellenelecomprenaitpas.Iléprouvaitdesdifficultésàparler,cependantiltenaitabsolumentàluifairecomprendre
quelquechose.—Jen'aipastuéRogerFraser-Burnsby,ajouta-t-il.Ellehochadistraitementlatête,avantd'examinerdenouveausondos.—Jenepensepasque...Godricluisaisitlebraspourl'obligeràleregarderenface.—J’étaisaubalded'Arque,cesoir-là.Je...Elles'étaitévanouiedevantluienapprenantlamortdesonamant-maisàcemoment-là,
biensûr,GodricignoraitqueFraser-Burnsbyétaitsonamant.Ilavaitjusteeuletempsdelarattraperdanssesbrasavantquesatêteneheurteledallagedemarbre.Puisill'avaitportéedansunpetitsalondiscret,oùill'avaitabandonnéeauxbonssoinsd'IsabelBeckinhall.—Jen'étaispasàSaint-Giles.
Elle luicaressadoucement la joue.Ellenesemblaitpassesoucierquesesdoigts fussentcouvertsdesang.—Jesais,dit-elle.Jesais.Godricbattitdespaupières,etMegcrutqu'ilperdaitconnaissance.—Godric!s'exclamalajeunefemme,alorsquelatêtedesonmaris'affaissaitsurlecôté.Il réussit à se redresser, par un suprême effort de volonté,mais son visage était devenu
blanccommeunlinge.—Avez-vousconfianceenvotrecocher?Etenvotrevalet?— Oui, bien sûr, répondit Meg sans hésiter, avant de réaliser que la vie de Godric
dépendraitmaintenantdeladiscrétiond'OliveretdeTom.Ilsonttoujoursétéd'uneparfaiteloyauté.Commetousmesautresdomestiques.—Parfait.Aussitôtquelavoitures'arrêtera,demandezàOliverdetrouverMoulder.Ilsaura
quoifaire.Àlafaçondontilserraitlesmâchoires,Megdevinaqu'ildevaitbeaucoupsouffrir.—Combiendefoisavez-vousdéjàtraversédesmomentscommecelui-ci?murmuraMeg.—Suffisammentpoursavoirquecetteblessurenemeserapasfatale.Megétaitstupéfaite.Quelquesjoursauparavant,elle l'avaitprispourunvieillarddécrépi.
Etmaintenant,alorsqu'ilétaitblesséetqu'ilperdaitbeaucoupdesang,ilrespiraitlaforceetlavitalité.Commentavait-ellepuselaisserabuserparsaprétenduesénilité?Meg frissonna. Elle était encore dénudée jusqu'à la taille. Son geste, aussi choquant
qu'excitant, lui avait presque fait oublier le danger. Au point que lorsque le capitaine desdragonsavaitouvertlaportièredelavoiture,Megavaitsursautésousl'effetdelasurprise.L'heure,cependant,n'étaitpasàl'introspection.Megexamineraitplustardsaréactionaux
caressesdesonmari.Dansl'immédiat,ilsapprochaientdeSaintHouseetelledevaitremettreunsemblantd'ordredanssatoilette.Elleremontalespansdesarobeetboutonnasacapeaucol.Aconditionquepersonnenela
regardedetropprès,ellepourraitgagnersachambresansrisquerdesefaireremarquer.Dèsquel'attelages'arrêta,elleentrouvritlaportièrepourordonneràOliverd'allerchercher
Moulder. Dieu seul savait ce que son valet et son cocher pouvaient bien penser desévénementsdelasoirée.IlsdevaientavoirreconnulecostumedeGodriclorsqu'ilétaitmontéenvoiture.Etcommesicelanesuffisaitpas,lecapitainedesdragonsavaitvoulufouillerlevéhicule.Heureusement,Godricn'avaitpasétéarrêté.Megsepromitdeparlerauxdeuxdomestiquesetdelesremercierpourleurdiscrétion.LaportièreserouvritbientôtsurMoulder.— Je parie que vous vous êtes encore mis dans de beaux draps ? lança-t-il, avant
d'écarquillerlesyeuxendécouvrantMeg.Mi...milady?— J'ai une blessure à l'arme blanche dans le dos, expliqua calmementGodric, bien qu'il
frissonnât.Moulderreportasonattentionsursonmaître.—Lemieuxestdevousrentreràl'intérieur.—Oui,maisdiscrètement,précisaGodric.—Biensûr,acquiesçaMoulderàvoixbasse.Ildéployaunevieillecapequ'ildrapasurlesépaulesdeGodric,cachantainsisoncostume
deFantôme.Puis,haussantleton,ilajouta:—Auriez-vousencorebuquelquesverresdetrop,monsieur?Godric leva les yeux au ciel, tandis que Moulder passait un bras sous son épaule pour
l'aideràdescendredevoiture.—Jedétestecesubterfuge,maugréa-t-il.Çamefaitpasserpourunimbécile.—Seulunimbécileselaisseraitpoignarderdansledosparuntire-laine,objectaMoulder,à
voixbasse.—Cen'étaitpasuntire-laine,grimaçaGodric.—Ah?Alors,quiétait-ce?Les deux hommes titubaient, comme siGodric était réellement soûl.Meg s'empressa de
descendreàsontourdevoiturepoursoutenirGodricdel'autrecôté.—C'étaitmoi,dit-elle.Moulderécarquillalesyeuxpourladeuxièmefois.—Sic'estvrai,j'auraisvouluêtrelàpourvoirça.—Ordure,marmonnaGodric,alorsqu'ilsgravissaientleperron.—Jenesuispasfièredemongeste,précisaMeg,penaude.Godrictournalatêteverselle.—Cen'étaitpasdevotrefaute.Ilsmarquèrentunarrêtdevantlaported'entrée.LebrasdeGodricpesait lourdementsur
l'épauledeMegetelleauraitsansdoute l'épauleankyloséedemain,maiscen'étaitpascelaquil'inquiétait.Godricfrissonnaitdeplusenplusfort.—Entrons,lepressa-t-elle.Vousvousreposerezunefoisdansvotrechambre.L'espace d'un instant, le regard deMeg accrocha celui deMoulder, et elle comprit qu'ils
partageaientlamêmecrainte.SiGodricperdaitconnaissancemaintenant,ilsseraientobligésde demander à des valets de le monter jusqu'à l'étage.Moins de domestiques seraient aucourantdesonétatréeletmieuxcelavaudrait.Hélas, ils jouaient de malchance, car la gouvernante, Mme Crumb, apparut alors qu'ils
arrivaientaubasdel'escalier.—Puis-jevousaider?Mme Crumb était toujours tirée à quatre épingles, de nuit comme de jour, et elle les
regardaitd'unairserein,commesiellevenaitdeleursuggérerdeprendrelethédanslepetitsalon.—Apportez-nousdel'eauchaude,réponditMoulder,avantqueMegaitpurassemblerses
esprits.Etaussides lingespropres,ainsique lebrandyqui se trouvedans lebureaudeM.Saint-John,s'ilvousplaît,madameCrumb.MegréalisaqueMoulderétaithabituéà cegenred'urgences.Elle retint sonsouffledans
l'attente de la réaction de la gouvernante. Celle-ci aurait très bien pu prendre offense derecevoirunordred'unautredomestiquedevantleursmaîtres.MaisMmeCrumbn'hésitaqu'unbrefinstant,avantderépondre:—Toutdesuite,monsieurMoulder.Etelletournalestalons,l'airaussiparfaitementcalmequed'habitude.Megjetaunregardà
Moulder.Ilsemblaitaussisurprisqu'elle.—Jecroisquejecommenceàappréciercettefemme,dit-il.Ilsmontèrenttrèslentementl'escalier.Megn'enrevenaittoujourspasd'avoirhaïpendant
silongtempsleFantômepour,aujourd'hui,prierlecielqu'ilarriveencoreconscientjusqu'à
sonlit.Demainmatin,Megdevraitreconsidérercettehistoiredepuisledébutetchercherquiétaitl'assassindeRogermais,pourcesoir,ellen'avaitqu'unsouci:queGodricsoitsauf!Quandilsgagnèrentenfinsachambre, ilétaitessouffléetde lasueurperlaitàsonfront.
Moulderl'aidaàs'asseoirsurunechaise.Puisildisparutquelquesinstantsdanslapenderie.Godric voulut se débarrasser de sa chemise ensanglantée, mais ses mouvements étaientgauchesetMegseprécipitapourl'aider.—Laissez-moifaire.La chemise s'était collée à sa blessure et elle devinait qu'il souffrirait terriblement
lorsqu'ellelaretirerait.—Meg,murmura-t-il.Enfin,ill'appelaitparsondiminutif!Deslarmesluibrouillèrentlavue.—Jesuistellementdésolée.Illevaunemain,commes'ilvoulaitluicaresserlajoue.—Me revoilà ! lançaMoulder, d'un ton un peu trop jovial, alors qu'il revenait avec un
coffretenboisdanslesmains.Aumêmeinstant,quelqu'unfrappaàlaporte.Megallaentrouvrirlebattant.La toujours efficaceMmeCrumb arrivait avec une pile de linges propres soigneusement
plies,unebouteilledebrandyetunebouilloirefumante.—Mercibeaucoup,luiditMeg,prenantletout.—Avez-vousbesoind'autrechose,milady?s'enquitlagouvernante.— Non, ce sera tout, répondit Meg. J'apprécierais que vous ne racontiez pas aux autres
domestiquescequevousavezvucesoir,ajouta-t-elle,ensemordillantlalèvre.MmeCrumbarquaimperceptiblementunsourcil.—Naturellement,milady,répliqua-t-elle,avantdetournerlestalons.Zut !Megcompritqu'elleavaitoffensésagouvernante.La jeunefemmereferma laporte
avecunsoupir.Demainmatin,elles'excuseraitauprèsdeMmeCrumb.Ellerevintverslachaise.Entre-temps,MoulderavaitdébarrasséGodricdesachemise.Ce
derniers'étaitassisàcalifourchonsurlachaise,defaçonàprésentersondosàMoulder,quientreprenaitdéjàdenettoyerlablessure.Megs'immobilisaendécouvrantletableauquis'offraitàsesyeux.LedosdeGodricn'était
certainement pas celui d'un vieillard sénile ! Ses muscles puissants témoignaient de sonhabitude de manier l'épée ; sa colonne vertébrale affleurait sous la peau comme chez unjeunehommeenpossessiondetoutesavirilité;seshanchesétroitesetsesfessesmuscléessetrouvaientparfaitementmouléesdanssatuniquedeFantôme.Dieuduciel!Lajeunefemmes'obligeaàdétournerleregardetelleposasonchargement
surunetable.ElleavaitbiendumalàfairelerapprochemententreleGodricqu'ellecroyaitconnaîtreetceluiauquelelleétaitconfrontéecesoir.Sonmaritournalatêtedanssadirection,commes'ilavaitdevinésaconfusion.—Mouldervas'occuperdetout.Jesuissûrquevousêtesfatiguée.—Mais...protestaMegavecungested'impuissance.Jevoudraisvousaider.—Ceneserapasnécessaire,milady,assuraMoulder,quiouvritlecoffretenbois,révélant
unassortimentdescalpels,ciseaux,aiguillesetfils.Vouspourriezmêmetrouvercelapénible,ajouta-t-il,avantdechoisiruneaiguilleavecsoin.Megn'avaiteneffetpastrèsenviedevoirMoulderrecoudreGodric.Cependant,ellevoulait
resterpourleréconforter.—Meg,intervintGodricd'untonsec.Allezvouscoucher.Detouteévidence,iln'avaitpasbesoindesonréconfort.—Bon,trèsbien,dit-elle,s'obligeantàmasquersadéception.Bonnenuit.Etellegagnasaproprechambre.Le lendemain matin, Godric fut lentement tiré du sommeil par une douleur lancinante
dans le dos. Il gardaunmoment les yeux ferméspour tenter de retenir les lambeauxd'unrêvequi s'effilochait.Danssonrêve,Megétaitassisesurunegrossebranched'unarbreenfleur. Elle se penchait vers Godric et ses seins jaillissaient presque du bustier de sa robesaumon.Godricréalisaqu'ilnerêvaitplusetqu'ils'étaitréveilléavecunepuissanteérection.Etquequelqu'unsetrouvaitdanssachambre.Non.Pasquelqu'un.Meg!Il essaya de comprendre comment il avait pu deviner qu'il s'agissait de Meg. Mais
finalement,ildutrenonceràsoneffortderéflexion.Detouteévidence,lesixièmesensquiluipermettaitdereconnaîtrelaprésencedesafemmeéchappaitauxressourcesdesonintellect.Ilouvritlesyeuxetroulasurledos.Ou plutôt, il essaya de rouler sur le dos. Mais la douleur qui lui cisailla l'omoplate lui
remémora immédiatement les événements de la soirée. Meg l'avait frappé et elle savaitdésormaisqu'ilétaitleFantômedeSaint-Giles.L'existencedeGodricsecompliquait.La jeune femme portait ce matin un ravissant ensemble rose et vert pomme. Godric la
regardaarrangerlepichetetlacuvettedesatabledetoilette.Sansdoutefit-ildubruit,carellesetournaverslui,levisagelumineux.—Vousêtesréveillé.Godricseredressapours'asseoirdanslelit,avecunegrimacededouleur.—Ilsemblerait.—Voussentez-vousmieux?En toutcas,vousavezmeilleuremine.Hiersoir,vousétiez
aussipâle...qu'unfantôme.—Meg...—Griffinm'aavouéqu'ilvousavaitobligéàm’épouser.Godricnes'attendaitpasdutoutàcequelaconversationprennecettedirection.—C'estexact,répondit-ilprudemment.Ellesemitàfairelescentpasdevantlacheminée.—Jesuisdésolée.Iln'auraitpasdûfairecela.—Mettez-vousàsaplace,Meg.Readingestvotrefrère.Etvousétiezengranddésarroi.Je
nepeuxpasdirequej'aieappréciésonchantage,maisdumoins,jecomprenaissesraisons.—Cequin'apasdûvousempêcherdemedétester.—Nesoyezpasridicule.Voussaveztrèsbienquejenevousreprocheraijamaisde...— Qu'est-ce que je sais très bien ? le coupa-t-elle. Jusqu'à hier soir, je croyais vous
connaître. Je vous prenais pour un vieux loup solitaire, qui vivait presque reclus dans sagrandemaisonpoussiéreusedont il ne sortait quepour se rendredansdes cafés.Mais j'aidécouvert que la nuit, vous couriez les rues de Saint-Giles, vêtu d'une ridicule tenued'Arlequin et le visage dissimulé derrière unmasque grotesque. J'en suis donc arrivée à laconclusionquejene«savais»riendevous,Godric.
Sa poitrine se soulevait rapidement, au rythme de sa respiration. Ses yeux lançaient deséclairs.Dieuduciel!Elleétaitmagnifiquelorsqu'elleétaitencolère.Godrics’éclaircitlavoix.—Unvieuxloupsolitaire?—Unvieuxloupsolitaire?répéta-t-elle,l'imitantavecunehorriblevoixhautperchée.C'est
tout ce que vous trouvez à dire ? Le soir demon arrivée à Londres, je vous ai vu tuer aumoinsunhomme.—Oui.—Combienenavez-voustués,entout?—Commentcela?—Combiend'hommesavez-voustués,depuisquevousêtesleFantôme,Godric?Ildétournaleregard.—Jen'aipascompté.Ellefaillits'étrangler.—Vousne«savez»mêmepascombiend'hommesvousaveztués?Godric n'était pas un lâche. Aussi redressa-t-il la tête pour accrocher son regard et lui
laisserlirelaréponsedanssesyeux.Elledéglutit.—Ilsétaienttousmauvais,c'estcela?dit-elle,maissavoixmanquaitd'assurance,comme
siellevoulaitsurtoutseconvaincreelle-même,sansgrandsuccès.Tous...touscesgensquevousavez tuésétaientcommecesbanditsde l'autresoir.Etvous lesavez tuéspoursauverd'autresgens.Godricdevinaitàsonregardqu'ellecherchaitdésespérémentàsepersuaderqu'iln'étaitpas
unmonstre. Il décida de l'encourager dans cette voie,même s'il était conscient qu'à Saint-Giles,rienn'étaitjamaistoutàfaitblancnitoutàfaitnoir.Certes,lequartierétaitécumeparlesvoleursetlesassassins,maislaplupartdutemps,ilsnevolaientounetuaientquepoursenourriretnourrirleurfamille.Toutefois,celanel'avaitjamaisempêchéd'agir.—Oui.Jenetuequeceuxquis'enprennentauxplusfaiblesetauxplusvulnérables.Le soulagement se lut dans les yeux de sa femme. Godric s'en réjouit. Meg était une
créaturedelumièreetdefélicité.Ellen'avaitpasàsupporterlanoirceurqu'ilaffrontaitnuitaprèsnuitdanslesruesdeSaint-Giles.—J'ensuisbienaise...C'estpourcelaqueGriffinvousafaitchanter,n'est-cepas?Ilsavait
quevousétiezleFantôme,hasarda-t-elle,lessourcilsfroncés.—Oui.—Jevois.Elle hocha la tête pour elle-même, l'air songeuse, avant de se laisser choir dans l'un des
fauteuilsdisposésfaceàlacheminée.— Eh bien, dit-elle, je suis contente d'avoir découvert la vérité. J'estime qu'une femme,
mêmemariée dans des circonstances particulières, a le droit de connaître le passé de sonmari.Maintenantquecettehistoireestderrièrevous,enfinderrièrenous,jepenseque...—Meg,murmuraGodric,soudaininquiet.Maiselleneparutpasl'entendre.—Noussauronsmieuxcommentnousentendreàl'avenir,poursuivit-elle.Je...Elles'interrompit,commesiellevenaitderéaliserquequelquechoseclochait.
—Qu'ya-t-il?pressa-t-elle.—Jen'aipasl'intentionderenonceràêtreleFantômedeSaint-Giles.Elleécarquillalesyeux.—Mais...illefautpourtant.—Pourquoidonc?—Parceque...(Elleouvritgrandlesmains.)Parcequec'estdangereux.Etquevousaveztué
desgens.Vousdevezarrêter.Godric soupira. Il aurait pu lui parler de la femme qu'il avait sauvée d'un viol le mois
dernier,oudelapauvrevendeusedefleursqu'ilavaitprotégéecontredesvoleurslasemained'après,ouencoredesdeuxfillettesqu'ilavaitmenéesàl'orphelinatdeM.Makepeacelanuitoù il était venu à la rescousse de Meg. Il aurait pu lui raconter bien d'autres histoireshorribles...Maismêmes'ilnedevaitplussauveruneseulevieàl'avenir,ilnechangeraitpassaréponse.—Non.Jen'arrêteraipas.Elleméditaunmomentsonrefus,avantderedresserlementon.—Trèsbien,dit-elle.Sic'estvotrechoix.Godriccompritqu'ellen'enavaitpasterminéetqu'iln'aimeraitpascequ'elleajouterait.—Moi,monchoix,c'estderetrouverl'assassindeRoger.Etdeletuer,claironnaMeg.
8
Foiregardadroitdevanteuxetelleaperçutunerivièreauxeauxnoiresquisemblaitcouleràpertedevue.L'Hellequinn'hésitapasuneseconde:ilengageasonchevaldanslarivière.Foi s'agrippa plus fermement à ses épaules, tandis que le cheval commençait à nager.Baissantlesyeuxversl'eaud'unnoirdejais,ellecrutremarquerdesformesvaporeusesquiflottaient sous sa surface. Et plus elle regardait, plus elle leur trouvait une apparencehumaine.[...]
op.cit.LasecondefoisqueGodricseréveillacejour-là,cefutàcausedegloussementsétouffés.Il
jeta un regard à la fenêtre de sa chambre et il estima, d'après l'inclinaison du soleil, quel'après-mididevait toucherà sa fin.Apparemment, après sa conversationavecMeg, il avaitpassétoutelajournéeàdormir.Levœudelajeunefemmeluidonnaitlamigraine.Megétaitsafemme.LedevoirdeGodricétaitde laprotéger,ycomprisdesespropresfolies.Et ils'yseraitde
toute façon employé, même s'il ne... ressentait pas quelque chose pour elle depuis cesderniersjours.Cetteidéeaussiluidonnaitlamigraine.Godricsoupiraetselevaavecprécaution.Cettenuit,aprèsavoirpansésonépaule,Moulder
lui avait assuré que sa blessure était sans gravité. Mais à présent, Godric partageaitdifficilementsonoptimisme.Iléprouvadesdifficultésàleversonbrasgauchepourpassersachemise et il lui fallut une éternité pour enfiler chaussettes, pantalon et chaussures.Toutefois,Godricétaitconscientqu'ilavaitdéjàsouffertparlepassédeblessuresbeaucoupplussérieuses.Il lui étaitmême arrivé, ende rares occasions, dene pas quitter le lit pendant plusieurs
jours.Ilenfilasongiletetleboutonna,puisilsedirigeaverslaportequicommuniquaitavecla
chambredesafemme.Unautregloussement,presqueunéclatderire,titillasacuriositéetilcognaaubattantavantdel'ouvrir.Megétaitassisesuruntapisrondaupieddesonlit,sesjupesformantunecorollevertet
roseautourd'elle.Lesquatrefillettesdel'orphelinatembauchéescommesoubrettesfaisaientcercleautourd'elle.L'objetdeleuramusementsetrouvaitsurlesgenouxdeMeg.C'étaitunecréatureminuscule,dépourvuedepoilsetquiressemblaitàunrat.Meglevalesyeuxdanssadirection.Ellerayonnait.Godricfutsoulagédeconstaterqu'elle
nesemblaitpasluitenirrigueurdeleurconversation.—Venezvoir,Godric!SaGrâceaeusespetits.Elleluitendit lacréatureenformederatcommeuneoffrandeengagedepaix.Godricse
laissachoirdansunfauteuil.—C'est...trèsmignon.Lajeunefemmebaissalesbras.
— Pauvre chéri, murmura-t-elle au chiot, le serrant contre sa poitrine. N'écoute pas M.Saint-John.Tueslepetitchienleplusadorablequej'aiejamaisvu.Lesquatrefillettesgloussèrentdeplusbelle.Godrichaussalessourcils.—J'aipourtantditqu'ilétaitmignon.Safemmes'esclaffa.—Oui.Maisvotretoncriaitlecontraire.Godricvouluthausser lesépaules,maisunélancementdans sondos lui fit regretter son
geste.Ilavaitessayédenepasgrimacerdedouleur,cependantMegs'aperçutdesagêne.—Merci,lesfilles,dit-elle.MaryCompassion,conduistescamaradesenbas,s'ilteplaît.Je
suissûrequeMmeCrumbabesoindevous,maintenant.Les fillettes parurent déçues,mais elles se levèrent bien sagement et quittèrent la pièce
danslesillagedel'aînée.MegattenditquelaportesefûtreferméederrièreladernièrepourdemanderàGodric:—Commentvoussentez-vous?Elletenaitlechiotdevantsonnez,commeunbouclier,etGodricauraitvoululeluiretirer
desmains,pourdéchiffrerl'expressiondesonvisage.—Mieux.Ellehochalatête.—Jesuisvraimentdésoléedevousavoirfaitdumal.Apparemment, ellene souhaitaitpas reparlerde leur conversation, etGodricne songeait
pasàs'enplaindre.—Vousvousêtesdéjàexcusée,etjevousaidéjàréponduquecen'étaitpasnécessaire.Ce
n'étaitpasdevotrefaute.J'imaginequevousavezcruquejevoulaisvousagresser.Elle détourna le regard et Godric sentit son cœur se serrer. Avait-elle trouvé son baiser
répugnant?Ilyeutunsilence,uncourtsilencequiparutàGodricdureruneéternité.Finalement,ildésignalechiotqu'elletenaittoujoursdanssesbras:—Nepensez-vouspasquesamèreaimeraitlerécupérer?—Si,biensûr.ÀlagrandesurprisedeGodric,elles'allongeasurleventrepourglisserlechiotsouslelit.
Unpetitglapissementréponditàsongeste.Megseredressa.Godrichaussalessourcils.—SaGrâce est dessous avec sa portée, expliquaMeg, pour répondre à son interrogation
silencieuse.Elleaeutroispetits.Jenemesuisaperçuedesaprésencequecematin,quandleschiotsontcommencéàsefaireentendre.—C'estétrangequ'elleaitchoisidemettrebasdansvotrechambre.Megserelevaetdéfroissasesjupesavecunhaussementd'épaules.—Jesuisbiencontentequenousl'ayonstrouvée.Lagrand-tanteElvinas'affolaitdenepas
lavoirdanssachambrecematin.Godrichochadistraitementlatête.Commentpourrait-illaprotéger?Commentpourrait-il
lapréserverdesdébordementsdesagénérosité?Elleinspiraprofondément,commepoursedonnerducourage.—Godric?—Oui?— J'aimerais que vousme racontiez comment tout cela... Comment tout cela est arrivé?
Pourquoiêtes-vousdevenuleFantômedeSaint-Giles?Godrichochalatête.—Oui,jepeuxvousleraconter.Meg n'avait pas capitulé. Elle souhaitait toujours que Godric renonce à ses activités de
Fantôme.Maissiellevoulaittrouverlesbonsargumentspourledissuaderdecontinuer,elledevaitd'abordcomprendrecommentilenétaitarrivélà.Sonmari était encore très pâle. Cependant, il était assis bien droit dans son fauteuil, le
regardaffûté.Lajeunefemmes'amusaunefoisdeplusdesaméprise.Direqu'ellel'avaitcrusénile!Elleréalisaitàprésentques'iln'avaitpaslacarrureimposantedecertainshommes,ilétait fort, comme s'il avait été forgé dans quelque matériau indestructible. Du granit, parexemple.Ouunferquinerouilleraitpas.Quelquechosedepuissantetdetrès...masculin.Megbaissalesyeuxsursesmains.Sespenséess'égaraient.—Avez-vousdéjàentenduparlerdesirStanleyGilpin?demanda-t-il.Ellerelevalesyeux.—Non,jen'enaipassouvenir.Ilhochalatête,commes'ils'attendaitàcetteréponse.—C'étaitunparentéloignédemonpère.Uncousinautroisièmedegré,ouquelquechose
commecela.Ilestmortilyadéjàplusieursannées.Ilavaitfaitfortunedanslesaffaires,maisilavaitbeaucoupd'autrescentresd'intérêt.—Lesquels?—Lethéâtre,notamment.Auneépoque,ilapossédéunthéâtreetilamêmeécritquelques
pièces.—Vraiment? fitMeg,quinevoyaitpas le rapportavec leFantômedeSaint-Giles.Quels
étaient leurs titres ?J'enaipeut-êtrevuune,demanda-t-elle, en s'asseyantàdroitede sonmari,lesmainssagementcroiséessursesgenoux.—C'estpeuprobable.J'aimaissirStanleycommeunpère,maisiln'étaitpasvraimentdoué
pour écrire. Sa première pièce s'appelaitLa romance dumarsouin et du hérisson.Elle futjouée à Londres.Mais je doute fort qu'aucune autre de ses pièces n'ait pu être interprétéeaprèscettepremièretentative.Meghaussalessourcils.Sacuriosité,finalement,étaitpiquée.—Laromancedumarsouin...Ilacquiesça.—Etduhérisson.C'étaitépouvantable,pourêtrehonnête.Maisjem'éloignedusujet.Il se pencha en avant, avec une légère grimace et posa les coudes sur ses genoux pour
contemplersesmainscroiséesdevantlui.—Peut-êtrel'ignorez-vous,reprit-il,maismamèreestmortequandj'avaisdixans.Megsedoutaitquesamèreétaitmorte,puisquelamèredeSarahétaitsabelle-mère,mais
n'avaitjamaissuqu'ilavaitperdusamèreàunaussijeuneâge.—Jesuisdésolée.Ilgardalevisagebaissésursesmains.—J'étaistrèsproched'elleetsamortm'abeaucoupaffecté.Quandmonpères'estremarié,
troisansplustard,j'aiassezmalréagi.Savoixnetrahissaitpasd'émotionparticulière,maisMegdevinaitquelejeunegarçonqu'il
avait été autrefois ne s’était pas montré aussi détaché. Il avait probablement beaucoup
souffertdeceremariage.—Ques'est-ilpassé?—Monpèrem'aenvoyéaucollègeetsirStanleyGilpinm'aproposédem'installerchezlui
pendantlesvacancesscolaires.Megfronçalessourcils.—Vousneretourniezpasvoirvotrefamille?—Non.Il avait légèrementplissé les lèvres, attirant le regarddeMeg sur sabouche.Cesmêmes
lèvresquis'étaientreferméessursontéton...Lajeunefemmedéglutitets'obligeaàchassercetteimagedesonesprit.Queluiarrivait-il
donc?—Ce...Celadevaitêtretrèsdurd'êtreséparédevotrepère?—Non,c'étaitmieuxainsi.Nousnousquerellionstropsouvent.Parmafaute.Jen'étaispas
trèsraisonnableàl'époque.Jeluireprochaislamortdemamèreetjeluienvoulaisdes'êtreremarié.J'étaisatroceavecmabelle-mère.—Vousn'aviezque treizeans, fitvaloirMeg,qui sentait soncœurseserrer.Jesuis sûre
qu'ellecomprenaitvotrechagrin.Ilsecoualatête,commes'ilserefusaitàlacroire.—Quoiqu'il en soit, c'est cetteorganisationquiprévalutpour les sept années suivantes.
Quandjen'étaispasàl'école,j'habitaischezsirStanley.Etc'estluiquim'aappris.Meghaussalessourcils.—Apprisquoi?—ÀdevenirleFantômedeSaint-Giles.Saufqu'audébut,jeconsidéraismonentraînement
commeunsimpleexercicephysique.SirStanleyavaitaménagéunepiècespécialementàceteffet,avecdesmannequinsenpaille,descibles,ettoutessortesdechoses.C'estlàqu'ilm'aenseignéàpirouetter,àmanierl'épée,àmebattreàpoingsnus.—Pirouetter?répétaMeg,intriguée.Commeunacrobatedefoire?Iltournalesyeuxverselle.—Oui, ou commeun acteur comique.Celapeut vousparaître absurde,mais c'est un art
trèsphysique.Etparfaitementadaptéàungamincommemoi,quiavaisbeaucoupderageàévacuer.Meg était émue à l'idée de ce jeune garçon coupé de sa famille, seul avec sa colère. Elle
éprouvait une soudaine gratitude pour sir Stanley Gilpin. Probablement avait-il été unexcentrique,maisdetouteévidenceilsavaitcommentprendreenmainlesjeuneshommes.Godric fixa un instant les lèvres de Meg, avant de baisser de nouveau les yeux sur ses
mainscroisées.—Les premières années, je neme suis douté de rien.Mais l'année demes dix-huit ans,
nous avons fini par comprendre, à force d'indices concordants, que sir Stanley était leFantômedeSaint-Gileset...—Attendez!lecoupaMeg.SirStanleyétait-illetoutpremierFantôme?—Oui... enfin, pour autant que je sache. La légende du Fantôme de Saint-Giles est très
ancienne.Iln'estpasimpossiblequequelqu'und'autre,avantsirGilpin,aitrevêtulecostumeduFantôme.Meg,amusée,sereprésentaunecohorted'hommesprétendant,époqueaprèsépoque,avoir
été le Fantôme de Saint-Giles. Elle se demandait quelle pouvait bien être leurmotivation.
Maisuneautrequestion,pluspressante,luibrûlaitleslèvres.—Vousavezdit«nous».Quiestce«nous»?—Ah,fitGodric,seredressantsursonsiège.C'estunebonnequestion.Cherchait-ilàesquiver?—Oui?lepressaMeg.Illaregardadroitdanslesyeux.—Jenesuispasleseul.—Commentcela? s'exclamaMeg, incrédule. Il yadoncplusieursFantômes?Enmême
temps?Godrichochalatête.—L'année demes dix-huit ans, un autre garçon est venupartagermon entraînement. Il
étaitplusjeunequemoi,maisilavaitautantlaragequemoiàquatorzeans.Peut-êtremêmedavantage.—Quiétait-ce?—Jesuisdésolé,maisjenepeuxpasvousledire.Megseredressaelleaussi,indignée.—Pourquoinon?—Cen'estpasàmoidevousrévélersonsecret.Pareillediscrétionétaittoutàsonhonneur.MaisMegsentitsafrustrationgagnerdessommets.—Donc,vousétiezdeux.Ils'éclaircitlavoix.—Trois,enfait.Unautregarçonm'aremplacéchezsirStanleyquandjel'aiquittéausortir
d'Oxford.Megétaitstupéfaite.Etlesquestionssebousculaientdanssonesprit.—Trois?Mais...Illevaunemainpourl'arrêter.—Jesaisqu'onvousaracontéqueleFantômeavaittuéRogerFraser-Burnsby,maisc'est
impossible.Aucundenoustroisn'auraitétés'enprendreàunhommeaussibon.Meghochalatête.Elledevinaitquequelquechoseclochaitdanslaversiondel'assassinat
deRoger.Soitletémoinducrimes'étaittrompé...Soitilavaitmenti.Cettehypothèsesoulevaitàsontourbiend'autresinterrogations.—Meg.Megrevintàl'instantprésent.ElleserepencheraitplustardsurlemeurtredeRoger.Pour
l'instant,Godricsouhaitaitterminersonrécit.—Commentsefait-ilqu'ilyaitdésormaistroisFantômes?Godricsoupira.—Jepensequ'audébut,sirStanleyvoyaittoutcelacommeunefarce.Ilatoujourseuun
sensdel'humourétrange.Maisilafiniparsepiqueraujeu,carils'estprisd'affectionpourleshabitantsdeSaint-Giles.Ilauravoulus'assurerqu'ilscontinueraientd'êtreprotégésparleFantôme même après sa mort. En formant trois successeurs au lieu d'un seul, il avaitdavantagedechancesdevoirsavolontéexaucée.MegsemorditlajouepournepasinterrompreGodricd'unefouledequestions.Ellehocha
latête,afindel'inciteràcontinuer.
—Donc,commej'avaiscommencédel'expliquer,àmasortied'Oxfordj'aiégalementcesséd'habiter chez sir Stanley, puisque j'avais terminé ma scolarité. Entre-temps, je m'étaisréconciliéavecmonpère,conscientdem'êtreconduitenversluicommeunidiotimmature.Jen'aipluseualorsqu'uneenvie:redevenirunbonfils,etgagnerlerespectdemonpère.SirStanley fut bien sûr déçu demadécision,mais il pouvait la comprendre. Et son deuxièmeapprentiétaitpresqueprès.Megbrûlaitdesavoirquiétaitcedeuxièmeapprenti.Maisellesedemandaitégalementsi
lepèredeGodricavaitétéaucourantpoursirStanley,l'entraînementdesonfils,leFantômedeSaint-Giles...—Bref,repritGodric,mesétudesterminées,jesuisvenupasserl'étéàLaurelwoodManor.
C'estlàquej'airevuClara,lorsd'unbal.Ilfermalesyeux,avantdepoursuivre:—Jevousl'aidéjàplusoumoinsraconté.Nousavonsétéheureux,trèsheureux,pendant
près d'un an. Puis Clara est tombéemalade. Nous nous sommes installés à Londres pournous rapprocher des meilleurs médecins. J'espérais que nous pourrions trouver untraitement.J'aipriédesnuitsentières.J'aigardécetespoirpendantunanetdemi,avantdecomprendrequeClaraneguériraitjamais.Etqu'ellefiniraitparmourir,sansquejenepuisserienfaire,sinonassisteràsonagonie.C'estcequis'estpassé.Jel'aivues'affaiblir.Maigrir.Lamaladiearefermétrèslentementsesgriffessurelle.Commeilrouvraitlesyeux,Megputylireunchagrinincommensurable.Elles'imaginaitce
qu'ilavaitdûsouffrir,spectateurimpuissantdeladéchéancedesabien-aimée.N'ytenantplus,Megluisaisitunemainetl'étreignit.Godric baissa les yeux sur leursdeuxmains jointes. Il ne fit pasdemouvementpour se
dégagernipourmêlersesdoigtsauxsiens.Megs'encontenta.— J'ai cru devenir fou, murmura-t-il tête baissée, comme s'il s'adressait à leurs mains
jointes.Etc'estsansdoutecequiseraitarrivé,siunbeaujoursirStanleyn'étaitpasvenumerendrevisite.IlavaitapprisparmonpèrelamaladiedeClaraetilmeproposadereprendrel'entraînementaveclui.Entre-temps,ilavaitcommencédeprendreenmainletroisièmedelabande,quiétaitencoreuntoutjeunehomme.Quantàsonseconddisciple,ilavaitdéjàprisson envol et était devenu le Fantôme de Saint-Giles. Sir Stanleyme présenta la chose enm'expliquant que son nouvel élève avait besoin d'un partenaire pour s'entraîner, car lui-mêmesefaisaitvieux.Maisjen'étaispasdupe.Jesavaisqu'ilmetendaitunepercheafinquejepuisseéchapperàl'agoniedeClara.Etc'estainsiquejedevinsàmontourleFantômedeSaint-Giles.— Je ne comprends pas, avoua Meg. Puisqu'il y avait déjà un Fantôme en exercice,
pourquoiavez-vousendossélerôle?—Commejevousl'aidit,nousétionstrois.EtletroisièmearevêtulatuniqueduFantôme
quelque temps après moi. Jusqu'à il y a deux ans, nous opérions tous les trois enmêmetemps.Megétaitperplexe.—Nevousest-iljamaisarrivédevousmarchersurlespieds?UnsourireéclairalesyeuxcristallinsdeGodric.— Très rarement. Il faut que vous compreniez que je n'endosse pas le rôle du Fantôme
toutes les nuits. Et les deux autres non plus. Il peut bien sûr arriver que nous soyons au
moinsdeuxàintervenirlamêmenuit,maisalorslesgensrapportentqueleFantômepeutsetrouver à deux endroits enmême temps, et cela, bien sûr, sert la légende du Fantôme deSaint-Giles.Meg,incrédule,secouaitlatête.—Quandmême, trois Fantômes... Personne n'a donc jamais remarqué qu'il ne s'agissait
pastoujoursdumêmehomme?Godrichaussalesépaules.—Non.Nous avonsdesphysiques assez semblables.Et puis, notre costume empêchede
nous identifier.Entre la tunique, la cape, le chapeauet lemasque, iln'y a guèrequenotreboucheetnotrementonquisoientvisibles.Meghochalatêted'unairsongeur.—J'ail'impressionquevotresirStanleyétaitquelqu'underedoutablementintelligent.—Oh,pourça,oui,acquiesçaGodric.Ilpencha la tête, commeperdudans ses souvenirs, et il caressaitmaintenant lamainde
Megavecsonpouce,décrivantdescerclessursapeau.Lasensationétaittrèsagréable.—Godric...murmuralajeunefemme.Ilrelevalatête.—Hmm?Meg s'envoulaitdebriser cemomentd'intimité,mais sa curiosité avait toujours été son
pointfaible.—Claraestmorteilyatroisans,n'est-cepas?Iltressaillitimperceptiblement.—Oui.—Alors,pourquoiêtes-voustoujoursleFantômedeSaint-Giles?Pourquoiétait-iltoujoursleFantômedeSaint-Giles?Godricsefaufilajusqu'aucoind'unimmeubleenbriquesquimenaçaitdetomberenruine.
Puis il ouvrit l'œil, afin de s'assurer que la ruelle qui longeait le bâtiment était déserte. LeFantômedeSaint-Giles préférait d'ordinaire passer par les toits - plus rapide et plus sûr -,maissablessureàl'omoplatel'enavaitempêchécesoir.Ilétaitdoncobligédesedéplaceràpied,enprenantgardedenepascroiserlecheminducapitaineTrevillionoudeseshommes.Godricremonta laruelleets'arrêta. Il revoyait le regarddeMeg lorsqu'elle luiavaitposé
cettefameusequestion:elleétaitàlafoisintriguéeetinquiète.Inquiètepourlui.Depuisquandquelqu'unnes'étaitpas inquiétépour lui?Pasdepuis lamortdeClara,en
toutcas.Etpasnonplusdesonvivant,d'ailleurs:c'étaitGodricquis'inquiétaitpourelleetpasl'inverse.Claraavaittoujoursignoréqu'ilétaitleFantôme.Quandbienmêmeellel'auraitsu,elleauraitconsidéréqu'ilétaitassezfortetassezvirilpourqu'ilneluiarriverien.Ilauraitpeut-êtredûsesentirinsultéqueMegpensedifféremment.Cependant,ilneréussissaitpasàenvouloiràlajeunefemme.Au contraire, même. La prévenance de son épouse avait quelque chose de réconfortant.
Meg avait un grand cœur -mais aussi un solide caractère. Elle avait été choquée qu'il nerenoncepasàsesactivitésdeFantôme.Sansdoutel'avait-ildéçue,etils'enattristait.Godricauraitaiméluidonnersatisfaction.Demêmequ'ilauraitaiméluidonnersatisfactionpoursonautrerequête.
Unbruitdepas l'alerta.Godric seplaqua contreunmurpour se fondredans l'obscurité.Deuxhommesavançaiententitubant,sesoutenantmutuellementtantbienquemal.Leplusgranddesdeuxheurtaunpavédisjointettombaàgenoux,entraînantsoncompagnondanssachute. Les deux hommes étaient tellement ivres qu'ils éclatèrent de rire.Mais leur rire sefigeaquandGodricsortitdesacachettepourcontinuersaroute.Auboutdequelquespas,Godricjetaunregardderrièreluietvitquelesdeuxivrognesle
suivaientdesyeux,bouchebée.Ces deux ivrognes formaient un duo clownesque, mais Godric ne put s'empêcher de
frissonneràl'idéedecequiseraitarrivéàMegsielleavaitcroiséleurchemin.Peud'hommesdans Saint-Giles se révélaient inoffensifs face à la tentation qu'incarnait une riche et bellelady.N'importequelle femmesenséese tiendraità l'écartd'un telquartier, surtoutaprèsavoir
faillisefairedépouiller lapremièrefoisoùelles'yétaitaventurée.PasMeg.EtGodricétaitmalheureusement persuadé que les événements d'hier soir ne l'avaient pas davantageintimidée.Elleavaitdéclaréqu'ellereviendraitdansSaint-Gilesjusqu'àcequ'elledémasquel'assassindeRogerFraser-Burnsby.EtGodriclacroyait.End'autrestermes,safemmecouraitausuicide.Damnation!Godricnelaisseraitpassonentêtementlaconduireàlamort.Ildevaitàtoutprixtrouver
unmoyendelarenvoyeràlacampagne.Etleplustôtseraitlemieux.LeclocherdeSaint-Giles-in-the-Fieldssedressaitdevantlui,saflèchecoupantendeuxle
disquede lapleine lune.Godric longea lemurdupetitcimetièreaccoléà l'église jusqu'àsagrilled'entrée.Lesgondsenavaientétérécemmenthuilés,etilputpousserlagrillesansfairelemoindre
bruit.Leventsétaitlevéetgémissaitentrelestombesenagitantlesbranchesduseularbrequi
se dressait, l'air pathétique, au milieu du cimetière. Le spectacle avait quelque chose delugubre,maisGodricsavaitquelesruesdeSaint-Gilesétaientbienplusdangereusesquececimetièreoùdormaientlesmorts.Un grognement très humain - et bien vivant - lui parvint aux oreilles. Godric sourit. Il
n'étaitpasvenuenvain.Ilsefaufiladiscrètementpourapprocherdesaproie.—Bonsoir,Digger.DiggerJack,unhommetrapuetvoûté,connupourêtrel'undesplusfameuxdéterreursde
cadavresdeLondres,seredressad'unbond.Soncomparse,unjeunegarçonrâbléetmusculeux,étaitbeaucoupplusimpressionnable.—C'estlediable!s'exclama-t-il.Etiljetasapellepourcouriràtoutesjambesverslagrilleducimetière.DiggerJackvoulutlerattraper,maisGodricposaunemainsursonépauleavantqu'iln'ait
pubouger.—Jevoudraisteparler.—Ohnon!gémitDigger.Pourquoivousl'avezfaitfuir?Vousn'imaginezpascequec'est
compliquéde trouverungarsavec ledossolidedansSaint-Giles !Jecommenceàmefairevieux.Monlumbagonemepermetplusdecreuseravecautantdeforcequ'avant.Quevais-jedevenirsijen'aipluspersonnepourm'aider?
—Épargne-moi tes jérémiades,Digger, répliquaGodric.Jenevaispasm'apitoyersur toi,alorsquetucreusespourdéterrerdescadavresetlesdétrousser.Diggerseredressadetoutesataille,quinétaitpasbienhaute.—Ilfautbienvivre,Fantôme,maugréaDigger.Moi,aumoins,jenesuispasunassassin,
ajouta-t-ilavecunregardentendu.— Ne commence pas ce petit jeu avec moi, Digger. Je ne suis pas venu te voir pour
connaîtretonopinionàmonsujet.Ledétrousseurdecadavress'humectaleslèvres.Ilparaissaitnerveux.—Qu'est-cequevousvoulez,alors?—Quesais-tudelabandedesKidnappeurs?Diggerhaussalesépaules.—J'enaientenduparler,commetoutlemonde.—Raconte-moicequetuaspuapprendre.Diggersegrattalanuque.—Larumeurditqu'ilssontderetour.—Oui,jesuisdéjàaucourant.—Euh...murmuraDigger,quitapaitdistraitement,dupiedlereborddelatombequ'ilavait
commencéàcreuser.Certainsprétendentqu'ilsauraientdéjàenlevéplusd'unevingtainedegamines.Vingt ! Dans n'importe quel autre quartier de Londres, un tel crime aurait provoqué un
énormescandale.Lesjournauxseseraientemparésdel'affaireetlesmembresduParlementauraient manifesté leur colère en séance publique. Mais, ici, personne ne semblait seformaliserdeladisparitiondesfillettes.—Oùsont-ellesemmenées?—Ça, jen'ensais rien,avouaDigger.Maiscequiest sûr, c'estqu'ellesne réapparaissent
pasdansunbordelouquelquechosedugenre.Unefoisqu'ellesontdisparu,pluspersonnen'entendparlerd'elles.Godricplissalesyeux.Diggersemblaitignorerquelesfillettesétaientdestinéesàtravailler
dansunatelierdeconfectionclandestin.Lesecretétaitmanifestementbiengardé,etl'endroitsoigneusementcaché.—Onracontequ'unegueuseaideàleurcapture,ajoutaDigger.—Sais-tuàquoielleressemble?—Jesaismieuxqueça, répliquaDigger,avecunepointede fierté.Jepeuxvousdireson
nom.Godricattenditpatiemment.—EllesefaitappelerMmeCook.Cen'étaitpasbeaucoup,maisc'étaitmieuxquerien.Godrictiraunepièced'argentdeses
pochesetladonnaàDigger.—Merci.Diggercontemplalapièceavecdesyeuxronds.—Àvotreservice,Fantôme.Godrics'apprêtaitàtournerlestalons,maisilseravisa.—Encoreunechose,Digger.Ledétrousseurdecadavressoupira.—Oui,quoi?
—Ilyadeuxansdecela,unaristocrateaététuéàSaint-Giles.Ils'appelaitRogerFraser-Burnsby.Sais-tuquelquechoseàproposdecetteaffaire?Si Godric n'était pas habitué, depuis des années, à questionner des informateurs à la
réputationdouteuse,iln'auraitsansdoutepasremarquélelégertressaillementdeDigger.—Non, jamais entendu parler de ce type.Maintenant, si ça ne vous ennuie pas, j'ai un
travailàtermineravantl'aube.Godricsepenchaversluijusqu'àcequelenezdesonmasquetouchelevisagedeDigger.—Si,çam'ennuie.Diggeravalasasalive.—Je...jenesaisrien,jevousjure!—Tumens,Jack.Diggerlevalesmains,commes'ilvoulaitsedéfendred'uneagressionphysique.—Bon,d'accord.L'affaireafaitparlerd'elledanslequartier,àl'époque.Ilsembleraitquele
Fantômen'étaitpourriendansl'histoire.—Etlevéritablemeurtrier?Diggerjetaunregardderrièrelui,commes'ilcraignaitd'êtreentendu.—Larumeuracirculéqu'ils'agissaitd'unautrearistocrate.—Riend'autre?—Çanevoussuffitpas?protestaDigger.Jen'aipasenviedemefaireétriperpouravoir
parlé.Ceshistoiresdenoblesnemeregardentpas.—Net'inquiètepas, lerassuraGodric.Personnen'auraventdenotrepetiteconversation.
Jen'enparleraipas,etjemedoutequetoinonplus.Diggerréponditd'unhochementdetête.Godric souleva son chapeau, en un salut ironique, puis il quitta le cimetière et longea
ensuite la Tamise, en directionde SaintHouse. L'idée que son épouse cherche à venger lemeurtredeRogerletroublaitdeplusenplus.Megétaitunefemmevouéeàlalumièreetaubonheur.Ellen'étaitpasfaitepourlemondedesténèbresetducrime.C'étaitletravailduFantôme.GodricnepouvaitpaslalaisserrisquersaviedanslesruesdeSaint-Giles.Et il ne voyait qu'unmoyen de la distraire de lamission qu'elle s'était assignée et de la
renvoyeràlacampagne.Vingtminutes plus tard,Godric approchait de SaintHouse et, comme à son habitude, il
ralentit l'allureavantde s'arrêter sousuneporte cochèrevoisinepour s'assurerque lavoieétait libre. Depuis qu'il était le Fantôme de Saint-Giles il aurait pu compter sur les doigtsd'unemain les foisoù il avaitaperçuquelqu'unrôdantauxalentoursde samaison lanuit.Maissaprudenceavaittoujourspayé:ilnes'étaitjamaisfaitsurprendre.Or,cettenuit-là,ilyavaitjustementquelqu'un.Godricmitmoinsd'uneminuteàrepérerlasilhouettequisetenaitenembuscadeprèsde
samaison.Unesilhouette-plutôtuneombre-immobileetsilencieuse...Quelqu'undemoinsobservateurqueGodricnel'auraitcertainementpasrepérée.Godric réfléchit. Il pouvait rebrousser chemin et s'enfuir. Ou attendre, afin de voir qui
espionnait Saint House. Il opta pour la seconde solution. Son omoplate le faisait encoresouffrir,maisils'armadecourage,carilavaitl'intuitionquesavigiepourraits'éterniser.Defait,elleduratroisheures.Troislonguesheuresàresterparfaitementimmobile,ledos
plaquécontrelaportecochère.TroisheuresqueGodricauraitpréférépasserauchaud,dans
sonlit.Maisauboutdecestroisheures,ilsutquiépiaitsamaison.Quand les premières lueurs de l'aube teintèrent le ciel de gris-rose à l'est, le capitaine
JamesTrevillionsortitdesacachette.Etils'éloigna,sansunregardenarrièrepourlamaisonqu'ilavaitsurveilléetoutelanuit.Godric attendit jusqu'à ce qu'il n'entende plus le bruit des pas du capitaine des dragons.
Puisilattenditencorecinqminutessupplémentaires.Alors,seulement,ils'autorisaàrentrerchezluiparlaportedederrière.Unefoisdansson
bureau, Godric se débarrassa de son costume, avec des gestes ralentis par la fatigue et ladouleurqueluicausaitencoresablessure.Sonépéeluiéchappamêmedesmainsettombaàterre avec un fracasmétallique. Son subterfuge imaginé à la hâte le soir oùMeg lui avaitdonnéuncoupdedaguesemblaitnepasavoirconvaincuTrevillion.Lecapitainededragonsdevaitlesoupçonnerd'êtreleFantôme.Pourquoiirait-ilseposterenembuscadedevantchezlui, si ce n'était pas dans l'espoir de le surprendre au moment où il rentrerait de sespérégrinationsnocturnes ?Godric avait l'intuitionqueTrevillion semoquerait biende sonstatutd'aristocrate,dèslorsqu'ilauraitlapreuvequ'ilétaitleFantôme.Lecapitainesemblaitn'avoiraucunevieprivéeendehorsdesonmétieretdelatraquequ'ils'étaitimposée.Peut-êtreavait-ilbesoindecettechassepoursesentirexister?Danscecas,Godricsetrouvaitaumoinsunpointcommunaveclemilitaire.Maiscettedécouverten'étaitpaspourleréjouir,carilhéritaitd'unsoucisupplémentaire.
Démasquer labandedesKidnappeurs ; empêcherMegde senuireàelle-même ; seméfierplusquejamaisdeTrevillion.Dansl'immédiat,iln'avaitqu'undésir:semettreaulitetdormir.Godric rangeasonaccoutrementdeFantômeetenfilasachemisedenuitet sonpeignoir
avant de quitter le bureau. Tandis qu'il montait jusqu'à sa chambre, il se remémora laquestiondeMeg:Pourquoiétait-iltoujoursleFantômedeSaint-Giles?Parcequec'étaitleseulmoyenqu'ilavaittrouvépourresterenvie.
9
Désespoir sourit à Foi, révélant des dents atrocement aiguisées. « Les âmes de ceux quin'ontpasencorepugagnerleParadisoul'Enferdériventdansceseauxjusqu'àcequevienneenfin le tempsde leur libération.Réjouissez-vousque l'âmedevotrebien-aiméne soitpascondamnéeàlesrejoindre,carlesprisonniersdecetterivièresontdessuicidés.»Foifrissonnaàcesparoles,etlorsqu'unedesâmesflottantdanslarivièreouvritlabouche
commesiellevoulaitcrier.Maisbiensûr,aucunsonnesortitdesagorgefantomatique.[...]op.cit.
Le lendemainmatin,Megalla rendreunepetitevisiteà l'arbre fruitierqui sedressaitau
milieudujardin.Ilneparaissaitpasenmeilleurétatquel'autrejour.Pourtoutdire,ilsemblaitbeletbienmort.Higginsréclamait l'autorisationdelecouper,maisMegn'avaitpaslecœuràs'yrésoudre.
Même si l'arbremanquait de grâce et d'élégance, il donnait l'impression d'être un solitaireégarédanscejardin.C'étaitidiot,biensûr,d'attribuerdessentimentshumainsàunarbreetcependant,Megs'apitoyaitpourlevieuxpommierdéforméparlesans.—Cetarbreestmort,affirmaunevoixdanssondos.Megs'obligeaàréprimerlepetitfrissond'allégressequ'ellesentaitmonterdanssapoitrine
avantdeseretourner.Godricportait l'unde ses éternels costumes sombres - gris, cematin. Il la regardait avec
curiosité.Megluisourit.—C'estaussicequeditHiggins,monjardinier.—Jepeuxvouslecouper,sivousvoulez.—C'estégalementcequ'ilm'aproposé.—Maisbiensûr,vousavezrefusé.—Eneffet.—Jem'endoutais,murmura-t-il.Megdécidadechangerdesujet.—Jesuisraviedevoirquevousêteslevé.Quandj'aiapprisaupetitdéjeunerquevousétiez
encorecouché,j'aicraintquevousnesouffriezdudos.IldétournauninstantleregardetMegeutlesentimentqu'ilpréparaitunmensonge.Mais
ilsecontentaderesterévasif:—J'étaisfatigué.J'aipenséqueçanepourraitpasmefairedemaldeparesserunpeuaulit.Meghochadistraitementlatête.Ellecherchaitquelquechoseàdire,maisnetrouvaitrien.
Avait-ellevraimentdevantelle,cematin,lemêmehommequi,hiersoir,luiavaitdéchirésonbustierpourluisucerlesseinsavecvoracité?—Noussommes invitéscesoiràune fêtechampêtre,dit-elle finalement.Mabelle-sœur,
ladyHero,adorelesFoliesHarteetelleaorganiséunepetiteexpéditionauthéâtredepleinair.Vousjoindrez-vousànous?
Ilpinçaleslèvres.—VotrefrèreGriffinysera?—Oui.Megs'attenditàunerebuffade,maiscontretouteattenteGodricesquissaunsourire.—Jedevraispeut-êtrelevoirdetempsentemps.Aprèstout,j'aiépousésasœur.Megsesurpritàêtreimpatienteàl'idéedeserendreauthéâtreavecsonmari.—Alors,vousviendrez?demanda-t-elleencorepours'enassurer.Ilinclinagravementlatête.—Oui.Megreportasonattentionsurletroncdupommier,qu'ellecaressaitdistraitement.—Godric?—Oui?Ils'étaitapprochéd'elleaupointquesiellesetournait,elleseretrouveraitdanssesbras.—Commentmonfrèrea-t-ilsuquevousétiezleFantômedeSaint-Giles?IlgardaquelquesinstantslesilenceetMegdevinaqu'ilréfléchissaitàsaréponse.—Jemesuismontré imprudent. Ilaréussiàmesuivreunenuitoù jerentraisdeSaint-
Giles.Megfronçalessourcils.—Maisqu'auraitétéfaireGriffindanslesruesdeSaint-Giles?—Vousn'êtesdoncpasaucourant?Megnepouvaitpascontinueràluitournerledos.Elleseretournaetseretrouvapresque
danssesbras.—Aucourantdequoi?Saquestionétaitbiensûridiote.Ilneluirépondraitpas,oualorsilauraitrecoursàl'unede
cesexcusesqu'employaientd'ordinairelesgentlemenquandilsnesouhaitaientpasrépondreàcertainesquestionsembarrassantesdesdames.MaisGodriclasurprit.—VotrefrèrepossédaituneaffairedansSaint-Giles.Megclignalesyeux.Elleétaitautantstupéfaiteparsafranchisequeparcetteinformation.—MaisGriffinn'ajamaisétédanslesaffaires!Iln'amêmejamaistravailléde...Elle s'interrompitdevant l'expressiondeGodric.Toutà coup,ellen'étaitplus certainede
rien.Godric,malàl'aise,haussalesépaules.— J'ignore l'état des finances de votre frère. Je sais simplement qu'avant d'épouser lady
Hero,ilpossédaituneaffairedansSaint-Giles.—Quelgenred'affaire?Il observa un autre silence, et Meg se demanda si cette fois il lui répondrait. Mais
finalement,ilsoupira.—Unedistilleriedegin.Unedistillerieclandestine.—Quoi?Meg en resta bouche bée. Son frère, fils demarquis, diriger une distillerie clandestine ?
Jamais Meg n'aurait pu le soupçonner d'une activité aussi immorale. Avant son mariage,Griffinavaittraînéunesolideréputationdedébauché,maisquandmême!Megpensaitbienle connaître.Griffinn'était certainementpasunmauvais bougre. Il n'irait jamais se lancerdansuneaventurepareille,àmoinsdesetrouvercruellementàcourtd'argent.Or,cecasdefigureétaitimpossible.Leurfamilleétaitriche,possédaitdesterres...Envérité,Megréalisaitsoudainqu'elle ignorait toutde l'état réeldes finances familiales.
Elle était une femme et les femmes ne se préoccupaient pas de ces questions bassementmatériellespournepasdirevulgaires.Quandellevoulaitunenouvellerobe,ellesel'achetaitetellenesedemandaitjamaissisafamillepouvaitlaluipayer,carelleétaitpersuadéequeoui.Maisétait-celecas?Il lui revenait tout à coup certains détails. La fois où samère lui avait suggéré une soie
rayée,moinscoûteusequecellequiétaitbrodée.Megavaitbeaucoupaimé lacouleurde lasoierayée,dansdes tonsderose,aussines'était-ellepasposédequestionsur lecoup.Ilyavait eu aussi cette autre fois où la modiste s'était montrée désagréable, parce qu'elle seplaignaitdenepasavoirencoreétépayée.Mamanavaitréponduquec'étaituneerreur,maisétait-cebienuneerreur?Et si sa famille s'était trouvéedans l'embarras financier ?Et queMegn'en ait tellement
riensuqu'ellen'aitmêmepassongéunseulinstantàs'interroger?—Détient-iltoujourscettedistillerie?demanda-t-elleàGodric,d'unetoutepetitevoix.—Non.Ill'afermée.Enfait,elleabrûlé,justeavantqu'iln'épouseladyHero.— Je suis ravie de l'apprendre.Mais s'il avait besoin d'argent, comment fait-il à présent
pourengagner?— Je n'en sais rien, avoua Godric. N'oubliez pas que nous n'avons pas été en très bons
termes,touslesdeux,cesdeuxdernièresannées.Celadit,jesuisconvaincuqueladotdeladyHeroétaitlargementsuffisantepoursubvenirauxbesoinsducouple.Unepenséeterribletraversal'espritdeMeg.—Etmadot?Était-ellesuffisante?—Votrefrèrenem'apasproposédedot.Elleécarquillalesyeux.—Mais...Illevalamainpourarrêtertouteautreprotestation.—Peuimporte.Jepossèdeassezd'argentpourmepasserdevotredot,Meg.Megétait conscientequ'elleauraitdûse satisfairede sa réponse.Cependant, elle jetaun
regardirritéaupommier,avantdesoupirer.— Je suis désolée d'avoir ignoré tout cela. Vous avez dû être très furieux quemon frère
vousobligeàm'épouser.Ellecoulaunregarddiscretverslui.Ilhaussalesépaules.—Jevous l'aidéjàdit.J'étais furieuxcontrevotre frère,oui,pascontrevous.Après tout,
vousépousern'étaitpasuneépreuvesiterrible.Un compliment forcé valaitmieuxquepasde complimentdu tout, voulut se réconforter
Meg.—Jenecomprendspasqu'ilnem'aitpasavertiedesdifficultésquenoustraversions.—Jesupposequ'ilcherchaitàvousprotéger?Megseretintderépliquervertementàproposdesgentlemenquipensaient«protéger»les
femmesenleslaissantdansl'ignorance.Aumoins,Godricluiavaitditlavéritésursonfrèreetcettehistoirededistillerieclandestine.Ellesoupiraencore,avantdes'écarterdel'arbre.—Ilfautquej'aillevoirsiDanielleapréparémarobepourlethéâtre.Maisalorsqu'ellevoulaits'éloigner,Godricl'arrêtaenluiprenantlamain.Megsefigea.Illâchasamain,commes'ils'étaitbrûléavec.Etils'humectaleslèvres.SiMegnel'avaitpasmieuxconnu,elleauraitditquesonmariétaitintimidé.
—J'étaisvenuvousdirequelquechose.Ellehaussaunsourcil.—Oui?—J'aidécidé...commença-t-il,enplongeantsonregarddansceluidesafemme.Enfin,voilà
:j'aimeraisconsommernotremariagecesoir.Elleavaitobtenucequ'elledésirait:queGodricl'acceptedanssonlit.Alors,pourquoicette
perspectivelarendait-ellesinerveuse?Un éclat de rire monta du public et Meg reporta son attention sur la scène, où une
ravissanteactrice,déguisée en jeunehomme, se livrait àdesmimiquesdésopilantes.Hero,assise à côté de Meg, riait de bon cœur. Même Griffin semblait beaucoup s'amuser. Enrevanche,Godricnesouriaitpas.Était-ilaussinerveuxqueMegàproposdecequisepasseraitensuite?Ils avaient tous les quatrepris placedansune loge élégante en surplombde la scènedu
théâtredeverduredesFoliesHarte.L'intérieurdelalogeétaittendudeveloursrougeetunebalustrade dorée bordait le côté donnant sur la scène. Une petite table était garnie deprovisions :duvin,des fruits,despetits-fours...Megétaitconvaincueque la locationd'unetelle logedevait coûterune fortune.SiGriffinavait connudesdifficultés financièrespar lepassé,celanesemblaitplusêtrelecasaujourd'hui.D'unautrecôté,mêmeavantd'épouserHero, iln'avait jamaisdonnél'impressiond'êtreà
courtd'argent.Megsoupira.Elleauraitvoulus'entretenirenprivéavecsonfrère.Decette façon,ellene
penserait plus à cette histoire d'argent au moment de rentrer à la maison, quand Godricvoudraitd'elle.Lajeunefemmerisquaunregardendirectiondesonmari.Ilportait,cesoir,unensemble
couleurcafé.L'ourletdesesmanchesdevesteetlesrabatsdesespochesétaientgansésd'or.Dessous, un gilet bleu argenté épousait son torse,mettant en valeur son ventre plat.Megavaitpul'entrevoirtorsenuetelleavaitététroubléeparcespectacle.Commentétait-ilnu?Ilparuts'apercevoirqu'ellel'observait,cariltournaunbrefinstantleregardverselle.Une
ondedechaleuremportalajeunefemme.Ilsemblaitméditerlafaçondontilallaitladévorertout cru.Meg, sans réfléchir, entrouvrit les lèvres. Il regardadenouveaudans sadirection,s'intéressabrièvementàseslèvres,avantdelafixerdroitdanslesyeux.Etcettefois,Megenoubliaderespirer.Lepublicapplauditsoudain.Megsursauta.—Voulez-vousquej'aillevouschercherdesglaces,avantledébutdeladeuxièmepartie?
demandaGriffinàlacantonade.Herosouritàsonmari.—Oui,s'ilteplaît.GriffinhochalatêteetsetournaversGodric:—Vousm'accompagnez?Godrichaussalessourcilsmaisilselevasansbroncher.HerotenditlamainàMeg:—J'aperçoismonfrère,enface.Voulez-vousvousjoindreàmoipourallerlesaluer?—Oui,biensûr.Megselevaàsontour.ElleregardaavecanxiétéGodricquitterleurloge.—Nevousinquiétezpas,larassuraHero,luiprenantlebraspourgagneravecellel'autre
extrémitéduthéâtre.GriffinetGodricfinirontparfairelapaix.
Lecouloirdesservantleslogess'étaitdéjàremplidemonde;lesspectateursprofitaientdel'entracte pour s'échanger des politesses entre connaissances ou parader dans leurs beauxatoursdesoirée.—J'aimeraispartagervotreassurance.Heroluiétreignitlamainensignederéconfort.—Griffinnousaimebeaucouptouteslesdeux.EtGodricesttrèséprisdevous.Ilsontl'un
etl'autred'excellentesraisonsdemettreuntermeàleurquerelle.Megécarquillalesyeux.—Qu'est-cequivousfaitcroirequeGodricest«épris»demoi?Herolaregardad'unairamusé.—Celasauteauxyeux,enfin!Àvotrearrivée,ilaprissoinquevousayezlemeilleursiège,
juste à côté de moi, pour que nous puissions bavarder à notre aise. Il vous a offert uneassiettedepetits-fours etde raisin,parcequ'il saitquevousaimez le raisin.Le simple faitqu'ilvienne icicesoirestunsigne.Jedoisvousavouerque jem'attendaisplutôtàcequ'ildéclinemon invitation. Ces dernières années, il s'est comporté en véritable ermite. Il étaittrèsrarequ'ilsemontreensociété.Toutcequ'ilafaitcesoirétaitpourvous.Megn'encroyaitpassesoreilles.Herodisait-ellevrai?Godricéprouvait-ildessentiments
pourelle?Aprèstout,ilavaitaccédéàsarequêtedeluifaireunenfant.D'ailleurs,yrepenserla faisait rougir immanquablement. Quand elle avait échafaudé, à LaurelwoodManor, sonprojetdeveniràLondrespourséduiresonmari,celui-cin'étaitguèrequ'unefigureabstraite.Meg n'avait aucun rapport avec lui, sinon par le truchement de ses rares, et toujours trèscourtes lettres. S'unir à une figure abstraite ne lui avait pas semblé une épreuveinsurmontable.Enrevanche,partagerlacouchedeGodricétaitunetoutautrehistoire.Désormais,sonmariétaitbienréel.Unhommedechairetdesang.Unhommecapablede
sentiments,mêmes'ils'ingéniaitàlescacher.Ettoutàcoup,Megréalisaquesessentimentsàelleaussipouvaientchanger,serévélerlorsdecettenuitavecGodric.Lajeunefemmesesentaitdeplusenplusembarrassée.Ellen'avaitpaspenséàcela.Roger
avait été l'amour de sa vie.Meg souffrait encore quotidiennement de sa disparition. Pouravoirunenfant,ellen'avaitpasd'autremoyenquedesedonneràGodric,maisellenevoulaitrien éprouver pour lui. Le moindre début d'attachement lui paraîtrait une trahisoninsupportableenversRoger.Heroluiétreignitdenouveaulamain.—Oh,lavoilà!Meghaussalessourcils.—Quicela?—HippolytaRoyle,murmuraHero.Ladameaveclaroberoseetmarron.Megsuivitdesyeuxlediscretsignedetêted'Heroetrepéraunefemme,seule,quiscrutait
la fouledu couloir.Ellen'avaitpas, àproprementparler,unbeauphysique,mais son teinthâlé,sesmagnifiquescheveuxnoirsetsonportdereineattiraientindiscutablementleregard.—Quiest-ce?voulutsavoirMeg.Heros'esclaffa.—Vousnemeposeriezpaslaquestionsivousn'étiezpasrestéeterréeaussilongtempsàla
campagne.MlleRoyleestunehéritièrepourlemoinsmystérieuse.Elleasurgidenullepartil y a environdeuxmois.Certains prétendent qu'elle a grandi en Italie, d'autres qu'elle estoriginaire des Indes orientales. Quoi qu'il en soit, elle me donne l'impression d'être une
femmefortintéressante,maisnousn'avonspasencoreétéprésentées.Aumême instant,MlleRoyle abandonna sonposte d'observationpour s'éloignerdans le
couloir.—Etilsembleraitquecenesoitencorepaspourcesoir,poursuivitHero.Jenevoispasqui
pourraitnousprésenterdanslesformes.Ah,voicilalogedeMaxime.HeropoussalaportedelalogeetMeglasuivitàl'intérieur.Elleétaitdisposéefaceàcelle
deGriffin,etellepermettaitdoncdevoirl'autreextrémitédelascène.La loge était aussi richement décorée que celle deGriffin - peut-êtremême avec encore
plusdeluxe.Deuxfemmess'ytrouvaientassisescôteàcôteetlaplusâgéedesdeuxtenditlebrasendirectiond'Hero.—Vousvoilà,machère!luilançaMlleBathildaPicklewood.MlleBathildaPicklewoodavaitélevéseuleHeroetsapetitesœur,Phoebe,aprèslamortde
leurs parents. C'était aujourd'hui une femme d'un certain âge, au physique replet. Sescheveux grisonnaient, mais elle continuait de les porter en anglaises sur le front. Et elleserraitsursesgenouxunpetitépagneulKingCharles.HeroembrassaMllePicklewoodsurlesdeuxjoues.—Commentvousportez-vous,cousineBathilda?—Plutôtbien,ma foi, réponditMllePicklewood.Mais cela faituneéternitéquevousne
m'avezpasamenélepetitWilliamenvisite.L'épagneulpoussaunaboiement,commepourappuyersespropos.—Jevaiscorrigermonerreursanstarder,réponditHeroavecunsourire.Quediriez-vous
dedemainaprès-midi?—Ceseraitmagnifique!—Quiestavecvous,Hero?demandal'autrefemme.MegsentitsoncœurseserrerenreconnaissantladyPhoebeBatten.Meg s'approcha,dans l'espoirque lesquelques chandellesde la loge l'aideraient àmieux
voir.—C'estmoi,Phoebe,Meg.—Oh,oui,biensûr,s'excusapresquePhoebe.Aimez-vouslapièce?Elle regardait le visage deMeg,mais celle-ci avait la douloureuse impression qu'elle ne
distinguaitpasvraimentsestraits.—Beaucoup,assuraMeg,alorsqu'elleavaitàpeineprêtéattentionaupremieracte.Cela
faisaitsilongtempsquejen'étaispassortieauthéâtrequecettesoiréeestunefête.— Robin Goodfellow est tellement formidable, dit Mlle Picklewood, parlant de l'actrice
déguiséeenhomme.J'aimetouteslespiècesdanslesquellesellejoue.—HarteaétébienavisédedébaucherMlleGoodfellowduThéâtreRoyal,ditunevoixdans
leurdos.MegetHeroseretournèrentd'unmêmemouvementpourdécouvrirMaximeBatten,leduc
deWakefield,àlaportedelaloge,uneglacedanschaquemain.—Sij'avaissuquevousétiezlà,j'auraisapportéd'autresglaces.— Griffin et M. Saint-John sont partis nous en chercher, répondit Hero. Maxime, tu te
souviensdeladyMargaret,j'imagine?—Naturellement, fit le duc, s'inclinant avec beaucoup d'élégance,malgré les glaces qu'il
tenaitàlamain.—VotreGrâce,lesaluaMegavecunerévérence.
ElleentendaitparlerduducdeWakefielddepuisdesannées,carilétaitl'alliépolitiquedeson frère Thomas,mais elle le connaissait très peu. Suffisamment, cependant, pour l'avoirtoujourstrouvétrèsintimidant.—TuconnaisHarte?demandaHero,intriguée,àsonfrère,avantdeluiprendreuneglace
desmainspourladonneràladyPhoebe.—Paspersonnellement,réponditleduc,quioffritl'autreglaceàMllePicklewood.Dureste,
jenesuispassûrquele«Harte»desFoliesHarteexisteenchairetenos.Jeneseraispassurpris d'apprendre que cette appellation désigne en réalité un regroupement d'hommesd'affaires.Quoiqu'ilensoit,c'étaituneexcellenteidéededébaucherMlleGoodfellow-àprixd'or, prétend la rumeur. Ce théâtre de verdure avait besoin d'une actrice de renom pourattirerlepublic.—EtMlleGoodfellowestl'actricelapluscélèbredumoment,renchéritlevicomted'Arque,
enfaisantirruptiondanslaloge.Bonsoir,VotreGrâce.—Bonsoir,d'Arque,réponditleduc,sansprêtervraimentattentionauvisiteur.Levicomtesaluaensuitelesdames.EtterminaparMeg.—LadyMargaret, vous êtesparticulièrement enbeauté, ce soir, lui dit-il, avecun regard
appréciateur.Et il luiprit lamainpour labaiser.Megécarquilla lesyeux.Car,derrièred'Arque,venait
d'entrerGriffin...suivideGodric.— L'entracte touche à sa fin, murmura Artemis Greaves. Nous devrions retourner dans
notreloge.—Maisnon!protestaladyPénélope,avecunmouvementagacédesatêtequifitmiroiter
lesjoyauxépinglesdanssachevelure.Jen'aipasencoresaluéleducdeWakefield.Artemis soupira en silence et, Bonbon dans ses bras, elle suivit lady Pénélope dans le
couloirquidesservait les loges.Lapetite chienneaupelageblancavait finipar s'endormir.Artemisauraitbienaimé,unefoisdeplus,queladyPénélopefassepreuved'unpeudebonsens. Bonbon devenait trop vieille pour être traînée partout. La malheureuse avait glapiquandArtemisl'avaitsortiedelavoiture.Probablementsouffrait-ellederhumatismes.—Jenecomprendsvraimentpaspourquoitoutlemondelatrouvefascinante,marmonna
ladyPénélope,tirantArtemisdesespensées.—Quicela?—Maiselle !s'irrita ladyPénélope,désignantunefemmequivenaitdes'engouffrerdans
uneloge.CetteHippolytaRoyle.Quelnomridicule,entrenoussoitdit!Ellealapeauaussifoncéeque lessauvagesafricains,elleestgrandecommeunhommeetellen'estmêmepastitrée!— En revanche, il se murmure qu'elle est fabuleusement riche, répondit Artemis, sans
réfléchir.Pénélopesetournavivement.Sesyeuxlançaientdeséclairs.Oh,monDieu!—Jesuisl'héritièrelaplusriched'Angleterre,sifflaPénélope.Toutlemondelesait.—Biensûr,acquiesçaArtemis,quicaressaitBonbon.Pénélopesoupirad'exaspération,avantdeseradoucirsubitement,enapercevantlaportede
lalogeduduc.—Ah,nousvoiciarrivées.
Pénélopepoussalaportepourentrer-oudumoins,essayerd'entrer,carlalogeétaitdéjàfort encombrée. Dans son dos, Artemis aperçut, par la porte ouverte, lady Hero, ladyMargaret, lady Phoebe,Mlle Picklewood, lord Griffin et le duc lui-même. Sans oublierM.Saint-Johnetlevicomted'Arque,quisemblaientsedéfierduregard.Voilàquipromettaitunefindesoiréeanimée.Pénélope disait quelque chose pour attirer l'attention des messieurs. Artemis en profita
pourseglisserjusqu'àladyPhoebeets'asseoiràcôtéd'elle.Phoebesetournaverselleetrenifladiscrètement.—C'estvous,Artemis?—Oui.Artemisn'étaitpaspeu fièred'elle :quandelle s'étaitaperçueque ladyPhoebeseservait
parfoisde sonodoratpour identifier les gens, elle avaitdécidéde toujoursporter lemêmeparfum-àbased'essencedecitronetde laurier.Elle sedoutaitque ladyPhoebenevoyaitpratiquementrienquandlalumièreétaittamisée,commecesoirauthéâtre.—J'aiapportéBonbon,précisaArtémis.Maisellen'estpasengrandeforme.Jecroisqu'elle
adesrhumatismes.—Oh, la pauvre, fit lady Phoebe, caressant la petite chienne.Que se passe-t-il entre ces
messieurs?Jelessenstendus,depuisl'arrivéedelordd'Arque.ArtemissepenchaversladyPhoebepourluichuchoteràl'oreille:—L'autresoir,aubaldesKershaw,lordd'ArqueaflirtéavecladyMargaret,etsonmari,M.
Saint-John,enaprisombrage.Çaabienfaillifaireunscandale.—Vraiment?s'amusaladyPhoebe.ElleavaitbeauêtrelasœurdeladyHero,lesdeuxfemmesétaienttrèsdifférentesl'unede
l'autre.AutantHeroétaitgrandeetmince,autantPhoebeétaittrapueetbienenchair.— J'aurais voulu assister à la scène, ajouta-t-elle, et cette fois son sourire devint unpeu
triste.J'espèrequevousnem'envoudrezpasdel'avoueraussifranchement?Àl'exceptiondequelquesraressoiréesoùsafamillel'accompagnait,ladyPhoebenesortait
jamaisdanslemonde.Artemisluitapotaaffectueusementlegenou.—Maispasdutout,machère.Sicesmessieursnenousoffraientpas ladistractiondese
querellerdanslesbals,jeseraisdepuislongtempsmorted'ennui.Phoebes'esclaffadiscrètement.—Quefont-ils,àprésent?—Riendeparticulier.LadyPénélopes'estemparéedelaconversation.J'aibienpeurqu'elle
n'aitjetésondévolusurvotrefrère.—Ahbon?—Oui.Maisjedoutequ'elleaitlamoindrechance.Phoebehaussalesépaules.—Ni plus nimoins qu'une autre, j'imagine.Mon frère finira bien par semarier. Et lady
Pénélopeestunerichehéritière.Ilpourraitprendrecetaspectenlignedecompte.— Vous croyez ? murmura Artemis, qui regardait le duc écouter lady Pénélope d'un air
distraitpournepasdireennuyé.Pourtant,ilnemedonnepasl'impressiond'êtrecaptivéparelle.— Maxime n'est captivé que par la politique et sa guerre contre le commerce du gin,
répliqua Phoebe, qui paraissait tout à coup plus mûre que son âge. Il ne lui reste plus
beaucoupdetempsnid'énergieàconsacrerauxfemmes.—JemedemandesiladyPénélopeaconsciencedetoutcela?—Elles'enmoque.Ellenes'intéressequ'àsontitrededuc,pasàl'hommequileporte.—Vousavezprobablementraison,acquiesçaArtemis,nonsansunecertainetristesse.LadyPénélopeoffritauducunsourireséducteur,frôlasamancheetsetournaverslaporte
delaloge.Artemiscompritqu'ilétaittempsderepartir.ElleserraBonboncontreelle.— Je dois déjà vous quitter, dit-elle à lady Phoebe. Mais ce fut un plaisir de bavarder
quelquesminutesavecvous.LadyPhoebeluisourit.—Profitezbiendelafindelapièce.ArtemissedépêchaderejoindreladyPénélopedanslecouloir.—Avez-vousvucommentleducétaitsuspenduàmeslèvres?luidemandacelle-ci.—Ohoui,mentitArtemis.—C'estundébutprometteur,déclaraladyPénélope,avecunesatisfactionmanifeste.—J'ensuistrèsheureusepourvous,réponditArtemis,quisavaitquelorsqueladyPénélope
étaitdebonnehumeur,elleétaitplusdisposéeàluiaccordercertainesfaveurs.Pensez-vousquejepourraisavoirmamatinéedevendredi?risqua-t-ellesuruntonléger.Pénélopefronçalessourcils.—Pourquoifaire?Artemisavalasasalive.—C'estlejourdesvisites.—Jevousaidéjàexpliquéquevousdevriezl'oublier.Artemis garda le silence, car riende cequ'elle aurait pudiren'aurait servi sa cause.Elle
avaitdéjàessayéparlepassé,sanssuccès.Sacousinefinitparsoupirer.—Bon,c'estaccordé.—Merci.Je...MaisPénélopen'étaitdéjàpluspréoccupéequedesespropresaffaires.— J'ai vu que le duc avait fixé aumoins une foismon décolleté. Voilà certainement un
pointaveclequelMlleRoylenepeutpaslutteravecmoi.Elleestaussiplatequ'ungarçon.Artemishaussalessourcils.192—J'ignoraisqueMlleRoyleétaitencompétitionavecvous?— Ne soyez pas naïve, cousine, répliqua Pénélope, alors qu'elles réintégraient leur loge.
Toutecandidateaumariagesusceptibled'avoiruncertainsuccèsensociétévisel'attentionduducdeWakefield.Heureusement,nousnesommespastropnombreusesdanscecas.Pénélope se laissa choir dans son fauteuil juste quand le rideau se relevait. Artemis prit
placeàcôtéd'elle.Lepremieractedelapièces'étaitrévéléamusant-pournepasdireosé-etelleétaitimpatientedesavoircommentMlleGoodfellowsetireraitdesasituation.Pénélopes'agitadanssonfauteuiletregardaparterre,puissur latablequiséparait leurs
deuxsièges.—Zut.— Qu'y a-t-il ? murmura Artemis, alors que l'orchestre attaquait un air enjoué pour
marquerlareprisedelapièce.—Jeneretrouveplusmonéventail.J'aidûl'égarerdanslalogeduduc.C'estdommageque
lapiècerecommencedéjà.Sinon, je serais retournée lechercher,cequim'auraitpermisde
passerunpeuplusdetempsavecleduc.Tantpis.Vousirezàmaplace.Artemissoupiraensilence.—Biensûr.ElleserelevaetcouchaBonbonsursonsiègeavantdequitterlaloge.Aprésent, lecouloirétaitdésertetArtemisgagnarapidementla logeduduc.Elles'arrêta
devantlaportepourreprendresarespirationetvérifier,àtâtons,sacoiffure.Commelaporten'étaitpascomplètementrefermée,ellesurpritcequisedisaitàl'intérieur.—...doitappartenirà ladyPénélope,disait lavoixdeMllePicklewood.C'esttropluxueux
pourArtemis.—Quiça?interrogealeduc.— Artemis Greaves, expliqua Mlle Picklewood. Enfin, Maxime, vous avez bien dû
remarquerqueladyPénélopeavaitunedamedecompagnie?Artemissaisitlapoignéedansl'intentiond'ouvrirlaporteengrand.—Vousvoulezparlerdecettepetitefemmequilasuitpartoutcommeunfantôme?Artemissefigea.Lavoixgraveetmasculineduducrésonnadanssatête.Elles'aperçutque
sesdoigtstremblaientetellelâchalapoignéedelaporte.—Maxime!serécriaMllePicklewood,choquée.—Neniezpasquemadescriptionsoitinjuste,répliqualeduc.Etnemereprochezpasnon
plus de ne pas connaître le nom de cette femme, alors qu'elle semble s'ingénier à seconfondreaveclesboiseriesdesmurs.— Artemis est mon amie, intervint lady Phoebe, d'une voix étrangement ferme pour
quelqu'undesijeune.Artemis inspiraprofondémentet s'écarta, sansunbruit,de laporte.Elle redoutait toutà
coup que celle-ci ne s'ouvre toute seule et qu'on la découvre en train d'espionner leurconversation.Puisellerebroussacheminversleurloge.LesparolesaimablesdeladyPhoebeauraientdû
laconsoler.Aprèstout, ilétait logiquequ'unhommetelqueleducnes'intéressepasàunefemmecommeelle.Maiselleavaitbeauserépétercela,Artemissesentaitblesséeauplusprofonddesonâme.
***
Pourunhommequiseglorifiaitvolontiersdesonintelligence,Godricsereprochaitd'avoir
missilongtempsàcomprendrepourquoiMegtenaittantàparleràlordd'Arque.Cen'estquelorsqu'ilsseretrouvèrenttousdanslalogeduducdeWakefieldquelalumièresefitdanssonesprit : « Roger Fraser-Burnsby doit vous manquer », chuchotait sa femme à l'oreille duvicomte.D'ArqueavaitétélemeilleuramideFraser-Burnsby.C'étaitd'ailleurslorsd'unbalchezle
vicomtequelanouvelledumeurtredeFraser-Burnsbyavaitéclaté.Megnes'intéressaitàluiquecommeàuninformateurpotentiel.Ellen'avaitjamaiseul'idéed'enfairesonamant.UnefoisqueGodriceutenfincompriscelaetquesajalousiedemâlesefutcalmée,ilput
denouveau réfléchir.D'Arquen'avaitpas seulementété l'amideFraser-Burnsby, il figuraitégalementdanslapetitelistedesuspectsévoquéeparWinterMakepeace.Iln'étaitdoncpasimpossiblequelevicomtesetrouvâtderrièrelabandedesKidnappeurs.
Aussi,dèsqu'ilsquittèrent la logeduduc,Godric, ignorant laréactioninquiètedeMegetcelle,presquefurieuse,deReading,serapprochaduvicomtepourl'inviterdansleurloge.D'Arqueneput se retenirdemanifesterunbref instant sa surprise, avantd'accepter son
offre.Et voilà comment Godric se retrouvait maintenant assis entre les deux hommes qu'il
appréciaitlemoinsaumonde.La pièce reprenait déjà et Meg et lady Hero, assises côte à côte devant les messieurs,
concentrèrentleurattentionsurlascène.D'Arqueattenditquelquesinstants,avantdemurmurer:—Votrecourtoisiem'étonne,Saint-John.Dois-jem'attendreàuncoupdepoignarddansle
dospendantquejeregarderaijouerlesacteurs?Godricse tournavers lui, levisage impassible. IlpouvaitcomprendrequeMegchercheà
obtenirdesinformationsdecebellâtre,maiscelan'excusaitpasl'attitudeduvicomteenverssafemme.—Peut-êtrepensez-vouslemériter?Griffin,assisdel'autrecôtéduvicomte,soupiralourdement.—Probablement lemérite-t-il,Saint-John.Mais cela fâcherait cesdamesque la loge soit
inondéedesang.Unéclatde riremontadupublic.Les acteurs avaientdû se livrer àunenouvelle facétie.
Godrics’éclaircitlavoix.—Enfait,jevoulaissimplementsavoircequevousaviezditàmafemmeàproposdeRoger
Fraser-Burnsby.D'Arqueseraidit.—Jeluiaiditlavérité:queRogeravaitétél'undemesmeilleursamis.Godrichochalatête.—Quesavez-vousdesamort?Levicomteplissalesyeux.C'étaitundébauchénotoire,unhommequisemblaitpasserses
jours -et ses nuits - à séduire les femmes, mais Godric savait qu'il n'était pas idiot. Ils'attendait plus oumoins à ce que d'Arque lui réponde par une autre question - pourquoil'interrogeait-il sur la mort de Fraser-Burnsby ? Mais d'Arque se contenta de hausser lesépaules.—Toutlemondesaitquec'estleFantômedeSaint-Gilesquil'atué.GodricsentitleregardaiguisédeGriffinpesersurlui.—Maisc'estfaux,dit-il.—Qu'ensavez-vous?répliqualevicomte.Sontonétaitironique,maissacuriositésemblaitpiquée.—Jelesais,c'esttout,réponditGodric.Quelqu'unatuéRogerFraser-Burnsbyetatrouvé
commoded'enfaireporterlaresponsabilitéauFantômedeSaint-Giles.—Mêmeàsupposerquecelasoitvrai,quelrapportavecvotreépouse?Readingparutvouloirdirequelquechose,maisGodricfutplusrapide:—ElleappréciaitbeaucoupFraser-Burnsby.Etelleestdéterminéeàretrouversonassassin.—Quoi?s'exclamaReading,àhautevoix.Les deux femmes, devant eux, esquissèrent unmouvement, comme si elles voulaient se
retourner pour voir ce qui se passait. Heureusement, au même instant il se produisit unévénement,surlascène,quicaptivalepublic.
Godricattenditd'êtrecertainquelesdeuxfemmesfussentconcentréessurlapièce,avantderétorqueràReading:—Vousl'auriezapprisparvous-mêmesivousaviezdemandéàvotresœurlaraisondeson
retouràLondres.Readings'empourpra.—Mesrelationsavecmasœurnevousregardentpas.—Aucontraire,luirenvoyaGodric.Jevousrappellequec'estvousquiavezsignélecontrat
demariage.—Cette conversation est passionnante,messieurs, ironisa lordd'Arque.Maispardonnez-
moidem'intéresseràmonami.QuiatuéRoger,sicen'estpasleFantôme?—Jel'ignore,avouaGodric.Levicomtes'adossaàsonfauteuiletsecaressaunmoment lementon,avantdereporter
sonattentionsurGodric:—Sivotreassertionestfondée-cedontjemepermetsdedouter-,celavoudraitdirequ'il
nes'agissaitpasd'uneagressioncrapuleuse.Quelqu'unauraitdélibérémentassassinéRogerpourensuitedéguisersoncrimeenfaisantaccuserleFantôme.Godrichochalatête.—Maisc'estimpossible,murmurad'Arque,commes'ilseparlaitàlui-même.Rogern'avait
pasd'ennemis.Toutlemondel'aimait.Sonsourireavaitraisondespiresmisanthropes.Jenevoisvraimentpasquiauraitpuvouloirletuer.—Iln'yapaseudetémoins?demandaReading.D'Arquesetournaverslui.—Si.UnvaletdeRoger.C'est luiquinousapprit lanouvelle, lesoiroùjedonnaisunbal
chezmoi.—L'avez-vousinterrogé?demandaGodric.— Assez brièvement, concéda le vicomte. Il s'appelait Harris. Il a disparu quelques
semainesplustard.UnmotnousestensuiteparvenupourdemanderquesesaffairessoientexpédiéesdansunetavernedeSaint-Giles.LatavernedelaChèvre.—Cevaletavaitpeut-êtreétéstipendié,suggéraReading.—Travaillait-ildepuislongtempsauservicedeFraser-Burnsby?voulutsavoirGodric.D'Arquesecoualatête.—Non.Rogernel'avaitembauchéquedepuisunmois.Les trois hommes observèrent une minute de silence pour méditer la conclusion qui
s'imposait.—Bon sang !pestad'Arque. J'aipassédesmois à traquer l'assassindeRoger,mais il ne
m'estpasvenuunseulinstantàl'espritquecen'étaitpeut-êtrepasleFantômedeSaint-Giles!L'éclatduvicomtesemblaitsincère.MaisGodricavaitdéjàvudefauxmendiantsverserde
vraieslarmespourattendrirleursvictimes,avantdelessoulagerdeleurbourseetdes'enfuir.—Et votre autre ami, Seymour ? demanda-t-il au vicomte.N'a-t-il pas été, lui aussi, tué
dansSaint-Giles?D'Arquehaussalessourcils.—QuelestlerapportaveclamortdeRoger?Godrichaussalesépaules,carilnepouvaitpasrévélercequ'ilsavaitdelafindeSeymour.Levicomtesoupiraetparuts'intéresseràcequisepassaitsurlascène.MaisGodricétait
convaincuqu'ilnevoyaitrienduspectacle.—Nousétionsquatreamis,dit-ilfinalement.Kershaw,Seymour,Rogeretmoi.Kershawet
Seymourm'ontaidéà traquer leFantômedeSaint-Giles, jusqu'à... jusqu'à cequeSeymoursoittué.Godric prit note de sa discrétion. Il savait, parWinterMakepeace, que d'Arque avait été
informédescirconstancesdelamortdeSeymouretdesonimplicationdansl'enlèvementdesfillettes.MaislevicomteavaitcontribuéàmasquerlaréalitédesévénementsafindeprotégerlaveuvedeSeymour.Makepeacesemblaitpenserqued'Arquen'avaitpasété impliquédans lapremièreaffaire
d'atelier clandestin. .MaisGodric préférait réserver son jugement pour l'instant. Si d'Arqueavait été l'associé de Seymour, il aurait été logique qu'il fasse un moment le mort pourconvaincreMakepeacequeleréseauétaitbeletbiendémantelé.Puis,unefoisl'horizonéclairai,ilauraitrepris-seul-sesactivitéscrapuleuses.— Il est quand même étrange, observa Godric, que deux amis d'une bande de quatre
meurentassassinésdansSaint-Giles.D'Arquefronçalessourcils,commes'ilméditaitl'argument,avantderegarderGodric.— Croyez bien que je me suis déjà posé la question. Pourtant, aussi étonnant que cela
paraisse,iln'yaaucunlienentrecesdeuxassassinats.Aucun.Un tonnerre d'applaudissements éclata soudain. Puis le public se leva. La pièce était
terminée.LevicomteétreignitfurtivementlebrasdeGodric.—J'aimeraiscontinuercettediscussion.Godricselevaàsontour,alorsqueMegsetournaitverslui,toutsourire.—Nevousinquiétezpas,murmura-t-ilàd'Arque.Nousauronsl'occasiondelareprendre.
10
« Accrochez-vous bien », dit l'Hellequin, alors qu'il guidait son étalon noir vers l'autreberge.«Vousinquiéteriez-vouspourmasécurité?»luidemandaFoi.L'Hellequinluijetaunregardsardonique.«Vousn'auriezpasintérêtàtomberdanscetteeau.»«Pourquoi?»Ilhaussalesépaules.«Larivièrevousprendraitpourunesuicidéeetvouspasseriezl'éternitéàflotterdedans.»Le grand cheval noir finit par émerger des flots. Foi en profita alors pour pousser
Désespoirdanslarivière.[...]op.cit.
Meg triturait nerveusement les pans de son peignoir. La jeune femme se trouvait seule
danssachambre,sionexcluaitSaGrâceetsespetitsquidormaientsouslelit.GodricetMegn'avaientpaséchangéunseulmotdurantletrajetqui lesavaientramenés
des FoliesHaite. Pour un peu,Meg aurait juré que sonmari était aussi nerveux qu'elle àl'idéedelanuitquilesattendait.C'était idiot.Godricétaitunhomme.Mêmes'ilavaitrefusé jusqu'icidecoucheravecelle
pournepastrahirlesouvenirdesapremièreépouse,ilavaitforcément,entantqu'homme,une visiondumariagebeaucoupplus cavalièrequeMeg.D'ailleurs, lameilleurepreuve enétaitqu'ilavaitbrutalementchangéd'avis.Cependant,Megsedemandaitsiellenesementaitpasàelle-même.Depuissonarrivéeà
Londres,ellen'avaitpasvuuneseulefoisGodricseconduiredemanièrecavalière.C'estdoncqu'ildevaitavoiruneraison-uneraisonbienprécise-pouraccéderàsarequête.Zut!Ellesereprochait,àprésent,denepasl'avoirquestionnédavantagelorsqu'ilssetrouvaientdanslejardin, au lieu de se laisser submerger par la joie. Elle avait soudainement l'intuition qu'ilétait importantqu'elledevinecetteraison,neserait-cequepourmieuxcomprendreGodric.Après cequi allait sepasser cettenuit,Godricdeviendrait réellement sonmari, dans toutel'acceptionduterme.Ceseraitlaconséquencelogiqueetnaturelledeleurunion.SaufqueGodricavaitétéforcéàcemariage...Lajeunefemmesoupiraetconsultapourlacentièmefoislapetitependuledesacoiffeuse.
Ilétaitplusdeminuitetils'étaitécouléunebonneheuredepuisleurretour.Aurait-iloubliésapromesse?S'était-ilendormi?Meg s'approcha sur la pointe des pieds de la porte qui communiquait entre leurs deux
chambres.S'ils'étaitendormi,ellen'auraitpasd'autrechoixquedeleréveiller.Maislaportes'ouvritsoudain.Megsefigea.Sur le coup,Godric parut tout aussi surpris de la découvrir derrière le battant. Il portait
égalementunpeignoir,souslequelMegpouvaitapercevoirsachemisedenuit.Etilavaitauxpiedslesridiculeschaussonsinformesqu'elleluiavaitvuslepremiersoir.Lajeunefemmeseretintàgrand-peinedes'esclaffer.Godricrefermalaportederrièrelui.
—J'aipensé...commença-t-il.Jecroisqu'ilseraitpréférablequenousparlions,avantde...Comme ilhésitaitencore,Alegs'alarma.Avait-ildenouveauchangéd'avis? Il tendit son
bras.—Venez,dit-il.EtilentraînaMegversdeuxfauteuils.Lajeunefemmes'assitetcroisasesmainsdansson
giron.—Sinouspartageonslemêmelit...Megfronçalessourcils.— Si nous partageons le même lit, répéta-t-il, je veux que vous me promettiez quelque
chose.—Quoidonc?— Dès que vous serez enceinte, j'aimerais que vous quittiez Londres. Et que vous
retourniezvivreàLaurelwoodManor.Megenrestabouchebée.C'étaitd'autantplusidiotqu'ellen'étaitvenueàLondresquedans
le seul objectif d'avoir un enfant de son mari. Cependant, elle se sentait blessée par sarequête.—Vousvoulezvousdébarrasserdemoi?—Jevoudraissurtoutvoussavoirensécurité.— Pourquoi serais-je plus en sécurité à Laurelwood qu'ici ? répliqua-t-elle, avant de
comprendretoutd'uncoup.Vousnevoulezpasquejecherchel'assassindeRoger!—Non,eneffet.Megseredressasursonsiège.Elleétaitfurieuse.—Vousnepouvezpasmel'interdire!Ilplissaleslèvres.—Non,sansdoute.Enrevanche, jepeuxrefuserdecoucheravecvous,sivousn'acceptez
pasmonmarché.UnenfantoulajusticepourRoger.Megnevoulaitpasavoiràchoisirentrel'unetl'autre.
Elledésiraitlesdeux.Lesdeuxluiétaientnécessairespourvivre.Lajeunefemmeserelevad'unbondetregardaautourd'elle,cherchantunmoyendefaire
entendreraisonàsonmari.Godricétaitunhommelogique,maisMegsavaitqu'ilétaitaussicapabledesentimentstrèsviolents.Sonamourpoursapremièreépouseentémoignait.Elleseretournaverslui.— S'il s'était agi de Clara, auriez-vous renoncé tant que vous n'auriez pas démasqué son
assassin?Lescommissuresdeseslèvresretombèrent.—Biensûrquenon.Maiscen'estpaspareil.Jesuisunhomme...— Et je suis une femme, le coupa Meg, avec un mouvement exaspéré des bras. Ne
minimisezpasmonamourenraisondemonsexe.J'aimaisRogerdetoutmoncœur.Quandilestmort, j'ai crunepas lui survivre.J'estimeavoir ledroitdechercher sonassassin.Etdem'assurer que Roger sera vengé. Je ne m'arrêterai pas tant que ma mission ne sera pasaccomplie.Arrêtezd'essayerdem'endissuader!Illaregardaunlongmoment,sansriendireetMegsedemandas'iln'allaitpaslaplanterlà
etretournerdanssachambre.Maisfinalement,ilsoupira.—Trèsbien.TantquevousresterezàLondresetquenousessaieronsde faireunenfant,
vouspourrezcontinueràtraquerl'assassindeFraser-Burnsby.
Megluidécochaunregardsoupçonneux.—Mais?Carjepariequ'ilyaun«mais».—Mais à la minute où vous saurez avec certitude que vous êtes enceinte de « mon »
enfant,vousrepartirezàLaurelwoodManor,quevousayezounontrouvélemeurtrier.Meg réfléchit. Ce n'était pas vraiment ce qu'elle avait espéré, cependant elle était bien
conscienteque sonmari auraitpu semontrerplus intransigeant.End'autres termes, il luiproposaituncompromis.Mais cela voulait dire qu'elle devrait redoubler d'efforts pour trouver l'assassin, car le
tempsluiseraitcompté.Megredressalementonettenditsamain.—Marchéconclu.Godricesquissaunsourire,avantdeluiserrersolennellementlamain.— Me permettrez-vous, au moins, de vous seconder dans votre quête ? Et de vous
accompagnerdansSaint-Giles?—Oui,biensûr.Ilhochalatête.—Trèsbien.Danscecas, jevousaideraiàdémasquerl'assassindeRogerFraser-Burnsby
aussi longtemps que vous resterez à Londres. Et je vous prendrai toutes les nuits. Maisaussitôt que vous tomberez enceinte, vous retournerez vous abriter à LaurelwoodManor.Noussommesbiend'accord?—Noussommesd'accord.—Toutefois...—Hmm ?murmuraMeg, quelque peu distraite depuis qu'il avait dit « je vous prendrai
touteslesnuits».— Jeme réserve le droit de reprendre cette discussion au sujet de l'assassin de Fraser-
Burnsby, dit-il d'une voix ferme.Nous pourrions trouver, entre-temps, un autremoyen deparvenirànosfins,quinousconviendraitàtouslesdeux.Meg aurait voulu argumenter. Elle était furieuse qu'il cherche déjà à réviser un accord
qu'ilsvenaienttout justedeconclure.Maissamainétaitchaudeetpuissante.Et le litoù ilpromettaitdecoucheravecellesedressaitjusteàcôté...Megattendaitcemomentdepuisqu'elleétaitarrivéeàLondres.Aussihocha-t-ellelatête.—C'estd'accord,puisquevousinsistez.—J'insiste,eneffet.Il tenait toujours lamain deMegdans la sienne. Il se releva et il attira la jeune femme
contrelui.Ellen'eutpas le tempsderéagirqu'ils'emparadeses lèvres.Maissonbaisern'avaitplus
rienàvoiravecceluiqu'illuiavaitdonnédansSaint-Giles.Cepremierbaiseravaitétéviolent,passionné.Cette fois, ilymettaitde ladouceurpournepasdirede lachasteté.Commes'ilvoulaitluidemander,avecseslèvres:Est-cebiencelaquevousvoulez?Est-cebienmoiquevousdésirez?Megavaitl'espritembrumé.ElledésiraitRoger.L'amourdesavie.L'hommeàquielleavait
donné sa virginité en toute connaissance de cause. Et l'homme pour qui elle avait faillimourirdechagrin.Mais les lèvres de Godric étaient terriblement persuasives. Étourdie, Meg entrouvrit la
bouche.Cependant,quandleurs languessemêlèrent,elleeutunmouvementderecul.C'enétaittrop.—Qu'ya-t-il?demandaGodric.Megdéglutit.—Rien.C'estjusteque...(Ellesemorditlalèvre.)Sommes-nousobligésdenousembrasser
?—Non,sivousn'aimezpascela.—Cen'estpasque...Elle secoua la tête, incapable de trouver une réponse convenable. Elle ne pouvait quand
mêmepasluidirequ'ellenevoulaitpaspenseràluipendantqu'ilss'uniraient.Qu'elleavaitsimplementbesoindesasemence,maispasdelui,Godric.Levisagedesonépouxs'étaitbrusquementfermé.—Riennenousobligeàlefairecesoir,dit-il.—Non.Jeveuxdire...Meg inspira profondément pour tenter de recouvrer ses esprits. Elle sentait bien qu'elle
venaitdebriserquelquechose.Maissiellelelaissaitrepartirmaintenantdanssachambre,ilnesepasseraitprobablementjamaisrienentreeux.—S'ilvousplaît,dit-elle,leregardimplorant.J'enaienviecesoir.Ilgardaunmomentlesilence,levisageindéchiffrable,avantd'inclinerlatête.—Trèsbien.Il lui désigna le lit. Meg se débarrassa consciencieusement de son peignoir avant de se
glissersouslesdraps.Elleneputretenirunfrissonquandsesjambesdénudéesentrèrentencontactavecletissufroid.Godricôtasonpeignoiretseschaussons.Puisils'approchadulitenchemisedenuit.—Préférez-vousquejesouffleleschandelles?—Oui,s'ilvousplaît,acquiesça-t-elle,avecgratitude.Il ne répondit rien et moucha les chandelles les unes après les autres. Le feu dans la
cheminée se mourait lentement et les braises rougeoyantes ne prodiguaient qu'une faiblelueur.GodricsoulevalescouverturespourseglisserdanslelitàcôtédeMeg.La jeune femme se raidit instinctivement. Son mari commença de la caresser à travers
l'étoffedesachemisedenuitd'unemainàlafoistendreetsûre.Ilétaittroptard,àprésent,pourchangerd'avis.MegessayadepenseràRoger.Maiselleeutbeauconvoquersonsouvenir,lescaressesde
Godricl'empêchaientdeseconcentrer.Pourêtresincère,elleyprenaitmêmeduplaisir.Était-elleàcepointpervertie,sedemanda-t-elle,horrifiée,pourréagirainsià lapremière
caressed'unhomme?Sonmari,enrevanche,nesemblaitguèreaffectéparcequ'il faisait.Sarespirationrestait
parfaitementcalme.Ilseredressasuruncoudepour faireglisser lentementsachemisedenuit,dévoilantses
genoux,puissescuisses,puisletriangledesaféminité.Quandileutremontéletissujusqu'àsonventre,ilentrepritdelacaresserentrelescuisses.Samainétaitchaudeetpuissante.Megseretintdegémir.À présent, la respiration de Godric n'était plus aussi calme. Il caressait lentement les
cuissesdeMeg,s'approchantpetitàpetitdesaféminité.Elleécartalesjambespourl'inviteràseconcentrersurcettepartiedesonanatomie,maisildéclinal'offreetfitremontersamainsurleventredeMeg.PuisilsepenchaverselleetMegcompritqu'ilvoulaitl'embrasser.Maisprobablementse
souvint-ildesapremièretentativedebaiseret ilseravisa.Megfutdéçue.Elleauraitvoulului expliquer qu'elle s'était trompée, tout à l'heure. Qu'elle avait envie, maintenant, qu'ill'embrasse.Mais un tel aveu serait la preuve qu'elle éprouvait des émotions qu'elle s'interdisait de
ressentir.Leurétreinten'étaitdestinéequ'àengendrerunenfant.Riendeplus.LesdoigtsdeGodricluicaressaientàprésentlepubis.Megtournalatêteverslacheminée
pour s'obliger à prendre du recul. Elle avait décidé que ces caresses devaient resterimpersonnelles.Quand ses doigts s'aventurèrent au plus intime de son anatomie,Meg oublia toutes ses
bonnesrésolutions.GodriclacaressalàoùRogeravaitétéleseulàpénétrer,etelleauraitdûserévolter.Mais-queDieuluivienneenaide-,cenefutpasdutoutsaréaction.Elle...elleenvoulaitdéjàplus.Elleauraitvoulu luiprendre lamainpour laguideret lui
montrerqu'elledésiraitqu'illacaresseavecplusdefermeté.Biensûr,ellenefitriendetoutcela,carelleétaitunelady,etparcequ'ilétaitungentleman.Elledevaitsubirsansprotester.S'empêcherdegémiretdecrier.Godric continuait ses caresses avec une lenteur étudiée et Meg s'aperçut qu'elle
commençaitàmouiller.Elle reconnaissait aussi le plaisir qu'elle sentait monter en elle, pour l'avoir déjà
expérimentéavecRoger.Elle...ElleagrippalepoignetdeGodricpouréloignersamain.—Chuut,murmura-t-il.Toutvabiensepasser.Laissez-moi...—Non,gémit-elle.Prenez-moi.Maintenant.Ilsoupira.—Bon,trèsbien.Etils'allongeasurMeg.La jeunefemmesentitquelquechosedefroid,demétallique,sebalancerentresesseins.
Sansdouteunpendentifqu'ilportaitauboutd'unechaîne.Ellesedemandacequepouvaitbienreprésentercebijou,avantderenoncertoutàcoupàréfléchir.SonmarivenaitdereleversachemisedenuitetMegpouvaitsentirsonmembrepalpiter
entresescuisses.Elleserralesdentsettoutsoncorpssetenditinstinctivement.Maissonmariprenaitsontempsetcontinuaitdelacaresser.Megauraitvoululuicrierde
la posséder et d'en finir. Lui ne l'entendait pas de cette oreille. Il la pénétra lentement, seretira, puis recommença, pour s'enfoncer chaque fois un peu plus loin. En fait, il luitémoignaitlamêmesollicitudequesielleavaitétéencorevierge.Megallaitdevenirfolles'ilcontinuaitainsi.Detoutefaçon,cen'étaitpascequ'elleattendait.Elleneluiavaitpasdemandédeluifaire
l'amour.Elleavaitjustebesoindesasemence.
Au moment où elle croyait ne pas pouvoir en supporter davantage, il s'enfonça enfincomplètement en elle. Puis il s'immobilisa quelques instants, son torse pressé contre lapoitrine de Meg, pour reprendre sa respiration. Après quoi, il commença un va-et-vientétourdissant,sansdireunmot.Dansl'obscurité,Megsedemandaquelleexpressionilpouvaitbienavoir.Extase?Concentration?S'ilcherchaitsonregarddanslenoir.S'illahaïssaitpourl'obligeràfairecela.Ellene le touchait pas, s'interdisait ce luxe.Aussi crispait-elle les poingsprèsde sa tête,
torturant son oreiller de ses ongles, tandis que lemembre gonflé de son époux entrait etsortaitenelle.Commes'illuiréclamaitquelquechose.Quelquechosequ'ellerefusaitdeluiaccorder.Soudain,lecorpsdeGodricfutagitédespasmesviolents.Megauraitvoulu...Maisellenereçutquecequ'elleattendait.Sasemence.Godricseretiraetrouladecôté,alorsquesonmembrecommençaitdéjàderamollir.Ilauraitpréféréresterencoreunmomentenelleetpourquoipas,embrassersafemme.Mais Meg lui avait fait clairement comprendre qu'elle ne souhaitait aucune marque
d'affectionetiln'avaitpasl'intentiondelaforcer.Aussisedépêcha-t-ildesereleveretderemonter lescouverturessur lecorpsde la jeune
femme.—Bonnenuit,dit-il.Ilrécupérasonpeignoiretseschaussonsentâtonnant,etilquittalapièce.Deretourdanssachambre, il retrouva la chandellequ'il yavait laisséealluméeavantde
partir.Cette bienheureuse clarté l'extirpad'uneobscurité unpeu trop intime et lui rappelaquiilétait.Etquielleétait.Godricsedirigeaverssapenderie,ouvritletiroirduhautaveclaclépendueàsoncouetil
s'emparadupetitécrinquirenfermaitlesmèchesdecheveuxdesafemme.Godricvoulutlestoucher,maisils'aperçutquec'étaitimpossible:sesdoigtsétaientencorehumidesdelapeaudeMeg.—Pardonne-moi,Clara.Cependant,ilneparvenaitpasàseremémorersonvisage,nimêmelesoncristallindeson
rire.Ilavaitparlédanslevide.Godric agrippa le rebord du tiroir à deuxmains. Clara lui échappait. Il la perdait. Ou il
l'avaitdéjàperdue.Ilseretrouvaitseul.Ilinspiraprofondémentetfouilladanslapiledelettresenvrac,jusqu'àcequ'iltrouvecelle
qu'ilcherchait.
2novembre1739CherGodric,Mercipourl'argentquevousavezmisàmadisposition.J'aifaitréparerletoitetilnepleut
plus dans l'aile est ! Il reste juste une fuite persistante dans la chambre au-dessus de la
bibliothèque.D'aprèsBattlefield,cettechambreaunehistoire.Uneanciennemaîtressedelamaisonyavaitétéenfermée,aprèsquesonmarisefuténamourédurégisseurdudomaine.Maisbon,voussavezcombienBattlefieldaunsensdel'humourtrèsparticulier!Nous avonsmangé les dernièresmûres de la saison la semaine dernière.Depuis, tout a
gelédans le jardin, sauf les choux frisés -mais jen'ai jamaisbeaucoupaimé les choux.Etvous ? J'avoue que cette période de l'annéem'inspire toujours une étrangemélancolie. Lavégétation s'enfonce dans l'hiver et il ne reste plus aux branches des arbres que quelquesraresfeuillesmortes,quis'accrochentencore,maispourcombiendetemps?Mais assez parlé de l'hiver qui s'en vient ! Sinon, vous allez penser que je suis une
correspondantedéprimanteetvousaurezraison.Hier, j'ai pris le thé au presbytère avec le vicaire et quelques membres de la paroisse.
Figurez-vousquel'onnousaserviunetarteauxkakis.C'étaitassez joliàvoir,quoiqueunpeuameràdéguster.Maiscommeilparaîtquec'estlaspécialitédelafemmeduvicaire,j'aimangémapartaveclesourire.Levicaireetsonépouseviennentd'avoirunautreenfant,ungarçonquin'aguèreplusd'unmois.Quandonmel'aprésenté,mesyeuxsesontembuésetjemesuisforcéeàrire,enprétendantquej'avaisunepoussièredansl'œil.Jenesaispaspourquoijevousracontetoutcela.Me revoilà partie dans mes idées noires ! Je vais surveiller mon humeur et je vous
prometsquemaprochainelettreseraplusréjouissante.Votreaffectionnée,
Meg.
P.S.:Avez-vousessayélatisaneàl'anisetaugingembrequejevousaienvoyée?Jesaisquelemélangepeutparaîtrerévoltant,maisvousverrez,celaferaunbienfouàvotremaldegorge!Le post-scriptum se brouillait devant ses yeux et Godric dut inspirer profondément une
nouvelle fois. S'il avait trahi Clara, c'était pour cette femme. Meg qui gratifiait un vieuxmajordomegrincheuxd'un sensde l'humourétrange.Megquimangeait avec le sourireundessertamerpourfaireplaisiràlafemmeduvicaire.Megquipleuraitàlavued'unbébémaisrefusaitd'avouerpourquoi.Elle méritait d'avoir un enfant. Elle serait une merveilleuse mère, aimante, tendre et
attentive.Godricreplaçalalettredanslapileetrefermaletiroir.Il avait promis àMeg de lui faire un enfant et il tiendrait parole. Quoi que cela pût lui
coûter.MegfutréveilléeparlesbruitsdeDaniellefarfouillantdanssapenderie.Lajeunefemme
dirigeasonregardverslafenêtreetelleconstataquelamatinéeétaitdéjàbienentamée.Puiselles'étiradanssesdrapsetellefituneautreconstatation:elleressentaitunelégèrecrampeentrelescuisses.Godricluiavaitfaitl'amourhiersoir.Megneputs'empêcherderougir.Elleauraitpréféréseréveillerseulepourmieuxassimiler
cechangementdanssarie.Heureusement,Danielleavaitd'autrespréoccupationsentête.—Nousavonsdelavisite,milady.Megclignalesyeux.Ilétaitdoncsitardquecela?—Delavisite,tuessûre?Danielleavaitsortiunerobedebrocartjaunedelapenderie,maisellesecoualatêteetla
remitàsaplace.—Oui,milady.Troisdames.Megs'assitdanssonlit.—Quidonc?—DesparentesdeM.Saint-John,jepense.—Bontédivine!Meg sauta hors du lit, furieuse après Godric. Pourquoi ne l'avait-il pas informée qu'il
attendaitunevisitedesafamille?Maiselleserappelasoudaindel'étatdeSaintHouseàsonarrivée...Godrics'attendait-ilàunequelconquevisite?Bontédivine!Megfitunetoiletterapideavecl'eauchaudequeDanielleluiavaitapportée.Puisellelaissa
sacamériste luienfileruneroberoseetnoir.La robedataitdeplusieursannéesetMegserépéta, une fois de plus, qu'elle devrait profiter de son séjour à Londres pour rajeunir sagarde-robe.Pour finir, Danielle la coiffa. D'ordinaire, sa camériste mettait facilement trois quarts
d'heurepourdisciplinerlesmèchesrebellesdeMeg.Maiscematin,elledutsecontenterdedixminutes.—Çasuffira,pressaMeg,quis'obligeaitàrestercalme.Ellemouraitd'enviededévalerl'escalieravantquelesparentesdeGodricnepoussentles
hautscrisendécouvrantl'étatdelamaison.—Merci,Danielle.Danielleserecula,àcontrecœur,etMegquittaaussitôtsachambre.Lamaisonétaitparfaitementsilencieuse.Megs'interrogea.Lestroisvisiteusesétaient-elles
déjàreparties?Maisdèsqu'ellearrivaaurez-de-chaussée,MmeCrumb, toujours tiréeàquatreépingles,
l'accapara.—Bonjour,milady.Desinvitéesvousattendentdanslesalonprimevère.Megenrestabouchebée.SaintHousepossédaitunsalonprimevère?—Où...oùest-ce?—Troisièmeporteàgauchedanslecouloir,milady,répondittranquillementMmeCrumb.Megécarquillalesyeux.—Vousvoulezparlerdelapièceavectoutescestoilesd'araignéesauplafond?—Oui,celle-làmême.Megsemorditlalèvre.Sagouvernantel'intimidaitdécidément.—Mais,euh...ellen'apasété...MmeCrumbarquadélicatementunsourcil.—Si,biensûr,elleaéténettoyée,devinaMeg,soulagée.Lagouvernantehochalatête.—J'aiprislalibertédedemanderàlacuisinièredepréparerduthéetdesscones.
Megsursauta.—Nousavonsunecuisinière?—Oui,milady.Depuissixheuresdumatin.—Vousêtesuneperle,madameCrumb.Lagouvernanteesquissauneamorcedesourire.—Merci,milady.Meg s'engagea dans le couloir, s'arma de courage pour affronter quelque vieille tante de
Godric. Mais à peine eut-elle poussé la porte du salon primevère qu'elle se détendit endécouvrantlesvisiteuses.—Madame Saint-John ! s'exclama-t-elle. Pourquoi ne pas nous avoir informés de votre
arrivéeàLondres?Megseprécipitapourl'embrasser.Labelle-mèredeGodricapprochaitdescinquante-cinq
ans. C'était une femme bien en chair, qui avait la même chevelure blonde que ses filles,quelquescheveuxgrisenplus.Elleavaitunphysiqueplutôtordinaire,maisuneexpressionsurlevisagequifaisaitviteoublierlereste:ellerayonnait!Megsavait,parlesracontarsdesvillageoisd'UpperHornsfield,quelepèredeGodricétaittombéfouamoureuxdesasecondeépouse.—Nous avons décidé de prendre exemple sur vous,Meg, et de sonner directement chez
Godric,réponditMmeSaint-John,avantdeserasseoirsurlecanapé.—Unpeucommececolporteurquis'estprésentél'autrejourànotreporteetquirefusait
departir tantquequelqu'unne lui aurait pas achetéunmorceaude rubanmiteux,précisaJane,laplusjeunedessœursdeGodric,âgéededix-huitans.—Sesrubansn'étaientpasmiteux,protestaCharlotte,dedeuxanssonaînée.Tuesjalouse
parce que le colporteur est arrivé pendant que tu te promenais dans les champs avec leschiens.—PatetHarrietavaientbesoindesedégourdirlesjambes,fitvaloirJane.Etsesrubans«
étaient»miteux.—Allons, les filles ! lesgourmandaMmeSaint-John.JesuissûrequeMegnes'intéresse
pasàvoshistoires.Enréalité,Megtrouvait laconversationplutôtréjouissante.Elleenviait l'affectionquese
portaient les sœurs Saint-John, même si elles se querellaient souvent. Elle-même n'avaitjamais été proche de sa sœur, Caro. CommeMme Saint-John et ses deux filles habitaientUpper Hornsfield, Meg avait souvent l'occasion d'assister aux relations pour le moinsdynamiquesdeJaneetCharlotte.—J'ignoreoùestSarah,avoua-t-elle.EtaussiGodric.—OnnousaréponduqueGodricétaitdéjàsorti,l'informaJane.EtSarahestintrouvable.— J'étais partieme promener, lança Sarah, depuis le seuil de la pièce. Je viens juste de
rentrer.Deux jeunes soubrettes de l'orphelinat la suivaient, chacune portant avec précaution un
plateau.CharlotteetJanebondirentaussitôtde leurs siègespourembrasser leur sœur, commesi
ellesne l'avaientpasvuedepuisdesmois.AlorsqueSarahetMegn'étaientàLondresquedepuisunesemaine.Mme Crumb dirigea les deux soubrettes et les aida à décharger les plateaux, avant
d'interrogerMegduregard.Commecelle-cihochaitlatête,satisfaite,lagouvernanterepartit
aveclesdeuxfillettesetrefermalaportederrièreelle.—Bonjour,mère,ditSarah,ensepenchantpourembrasserMmeSaint-Johnsur la joue.
Quellesurprise!—C'étaitl'idée,réponditMmeSaint-John.—Commentcela?—Ehbien,puisqueGodricnefaisaitpasunpasdansnotredirection,j'aidécidéquec'étaità
nousdenousmanifester.Merci,machère.MmeSaint-JohnpritlatassedethéqueluitendaitMeg,quiavaitprissoind'ydéposertrois
morceauxdesucre,carellesavaitquelabelle-mèredeGodricbuvaitsonthétrèssucré.—En outre, repritMmeSaint-John, après avoir goûté à son thé, les filles ont besoin de
nouvellesrobes.SurtoutJane,puisqu'elleferasesdébutsmondainsàl'automne.—Parfait,ditMeg.Jeprévoyais justementdemerendrechezunecouturière.Nous irons
ensemble.—Çavaêtremerveilleux!s'extasiaJane,sautillantsursonsiège.Entoutcas,ceseraplus
amusantquederendrevisiteàcevieuxronchondeGodric,continua-t-ellesursalancée,sansremarquerquelaportedusalonvenaitdeserouvrir.—Jane!murmuraMeg,d'untoncomminatoire.Troptard!—J'ignoraisquenousattendionsdelavisite,lançaGodric,depuislaporte.Megsemorditlalèvre.Sonmarisemblaitfurieux.
11
«Est-celàl'Enfer?»demandaFoi,quiregardaitlabergerocailleusequ'ilsabordaient.«Non»,réponditl'Hellequin.S'était-ilaperçuqu'elleavaitpousséDésespoiràl'eau?Entoutcas,iln'enditrien.«Nousavonsencoreunlongvoyageàfaire,ajouta-t-il.Devantnous,sedresse lepicdesMurmures.» Ilpointadudoigtune lignedemontagnesqui seprofilaitàl'horizon.«Êtes-voussûredevouloircontinuer?»«Oui»,réponditFoi.Ilhochalatêteetéperonnasoncheval.[...]
op.cit.CevieuxronchondeGodric.Jane n'avait rien inventé. Godric avait conscience d'être ronchon. Et vieux, il l'était sans
douteauxyeuxde sa jeunedemi-sœur.Toutétait relatif,bien sûr,mais il avait trente-septans,soitdix-neufansdeplusqueJane,quin'enavaitquedix-huit.Ilauraitpuêtresonpère.Lefosséquilesséparaitnepourraitjamaistotalementsecombler.—Bonjour,Godric, s'exclamasabelle-mère, avantde se lever.Cela faitplaisirde te voir,
ajouta-t-elle,enlerejoignantpourluiprendrelamain.Commechaquefoisqu'ilssecroisaient,Godricéprouvaàsonégarddessentimentsmêlés.
Delaculpabilité,maisaussiuncertainressentiment.Sabelle-mère luidonnaittoujoursunpeul'impressiond'êtreredevenuungamin,etildétestaitcela.—Bonjourmadame,dit-il,conscientquesontonétaittropraide.Àquoidois-jeleplaisirde
votrevisite?Ellelevalesyeuxversluietelleledévisageaunlongmoment.—Nousvoulionstevoir,dit-ellefinalement.—Etnousavonsbesoindenouvellesrobes,ajoutaJane,unenotededéfidanslavoix.Cependant,elleétaitrestéeprudemmentderrièresamère.Godrichochalatête.—Combiendetempscomptez-vousrester?—Unequinzainedejours,réponditsabelle-mère.—Ah,fitGodric.EtsentantleregarddeMegposésurlui,ilrisquauncoupd'oeilendirectiondesafemme.Safemme,dontilavaitpartagélelitcettenuit.Elle portait une robe rose très élégante et imprimée demotifs bleus. Elle se tenait bien
droite dans un fauteuil et elle le regardait avec une anxiété perceptible. Godric la trouvaabsolument ravissante. Si sa belle-mère et ses demi-sœurs ne s'étaient pas trouvées là, ilauraitprisMegdanssesbraspourlaconduireàl'étageetillui...Mais,non.Elleluiavaitclairementfaitcomprendrequecen'étaitpascequ'ellecherchait.Àsesyeux,ilneseraitjamaisqu'unétalon,chargédelasaillie.Godrics'obligeaàreportersonattentionsurlaconversation.—Aimeriez-vousquejevousaccompagnedanslesboutiques?
Ducoindel'œil,ilvitMegentrouvrirlabouchesouslecoupdelasurprise.Jane,commec'étaitprévisible,voulutrépondremais,d'unregard,samèreluiintimadese
taire.PuisellesouritàGodric.—Oui,ceseraittrèsagréable.Godric hocha la tête.Meg le gratifia d'un sourire reconnaissant, avant de lui tendre une
tassedethé-uneboissonàlaquelleiln'avaitjamaistémoignéungrandintérêt.Maisilbutvolontiersunegorgéeetilprofitadecequelesfemmesavaientreprisleurbavardagepourlesobserver.Megsemblaits'êtretrèsliéeàsabelle-familledepuisqu'ellevivaitàLaurelwoodManor.Au
fond,cen'étaitpastrèssurprenant,puisquesabelle-mèreetsesfilleshabitaientlevillaged'àcôté,oùsetrouvaitlamaisondouairière.Jane,Charlotte,SarahetMegréuniesformaientuntrèsjolitableau,lescheveuxnoirsdeMegmisenlumièreparlestroischeveluresblondes.Godricbaissalesyeuxsursatasse.La présence de sa famille dans lamaison ne lui faciliterait pas le travail. Cependant, le
Fantômenepouvaitpassepermettredeprendredesvacances.IldevaitdémasquerlabandedesKidnappeurs,etmaintenantl'assassindeRogerFraser-Burnsby.SansoublierlecapitaineJamesTrevillion,quisurveillaitétroitementlamaison.Maiscesobstaclesn'arrêteraientpasGodric.—...celavousconvient-il,Godric?s'enquitsabelle-mère.Godricrelevalatêteetvitcinqpairesd'yeuxfémininsrivéssurlui.Ils’éclaircitlavoix.—Jevousdemandepardon?Megsoupira.Ellevoyaitbienqu'iln'avaitpasécoutéleurconversation.—Nousavonsdécidédepartirchezlacouturièreaussitôtaprèsledéjeuner,expliqua-t-elle.
Etcesoir,nousdevonsdînerchezGriffinetHero.Mais...jesuissûrequeHerovousinviteraégalement,dèsqu'elleapprendraquevousêtesenville,ajouta-t-elleàl'intentiondelafamilleSaint-John.Janeécarquilladesyeuxrondscommedessoucoupes.—Elleestfillededuc,n'est-cepas?Megsourit.—Oui,etégalementsœurdeduc.Jepensed'ailleursquesonfrèreassisteraaudîner.Jane en resta un instant bouche bée, avant de discuter fiévreusement avec ses sœurs :
qu'allaient-ellesbienpouvoirsemettre?Godricsoupira.Lajournéepromettaitd'êtrelongue.Mais,accrochantleregarddeMeg, il
seditquecelaenvaudraitpeut-êtrelapeine.Cesoir-là,chezlesReading,leducdeWakefieldsepencha,intrigué,verssonneveu.—Jenecomprendspaspourquoicegarçonéclateensanglotschaquefoisqu'ilmevoit?—C'estparcequ'ilapprendlediscernement.Jesensquecetenfantaurabongoût,ironisa
Griffin.Il soulevaWilliam dans ses bras. Le garçonnet se calma aussitôt et se mit à sucer son
pouce.Herolevadiscrètementlesyeuxauciel.Ilsétaienttousréunisdanslegrandsalonfamilial,oùlanourricevenaitd'amenerWilliam,
axantdelemettreaulit.Lagrand-tanteElvinaétaitassiseàcôtédeHeroetmettaitsamain
en cornet devant son oreille pour entendre ce qui se disait. Jane, raide dans son fauteuil,épiait tous les gestesduducdeWakefield. Ses sœurs et samère étaientplusdétendues etprofitaientmanifestementde leur soirée. Sachant combien les cancansavaientdu succès àUpperHornsfield,Megdevinaitquecedîner leurserviraitpendantdessemaines.Godricsetenait debout près de la cheminée, l'air distant. Meg se demanda pourquoi il semblaittoujoursenretrait,mêmeauseindesaproprefamille.WilliameutsoudainlehoquetetbavasurlegiletdeGriffin.Megsetournaverssonfrère.—Jepeux?dit-elle,endésignantlebébé.—Biensûr.Griffin luiconfiasonfilset lebébé l'examinaavecsesgrandsyeuxverts,commeceuxde
sonpère.Ilétaitpluslourdqu'ellenel'auraitimaginé.C'étaitdéjàunsolidegarçon,avecdescheveuxcuivrésquifrisaientetdebellesjouesrondes.Megneputs'empêcherdel'embrassersurlefront.MonDieu,faitesquecelam’arrivebientôt!Williamretirasonpoucedesaboucheetluitapotalajouedesamainhumide.— Les bébés sont toujours salissants, commenta la grand-tante Elvina, qui se contredit
aussitôtenfaisantdesrisettesàWilliam.—Ilfaitsesdents,expliquaHero,assiseàcôtédeMeg.Voulez-vousquejeleprenne?Je
nevoudraispasqu'ilgâtevotrerobe.—Non,laissez-le-moiencoreunpeu,murmuraMeg.Ilestsimignon.—Oui,n'est-cepas?acquiesçaHero,avecunsourirematernel.LecœurdeMegseserra.Soninstinctmaterneldevenaitplusfortdejourenjour.Godriclacontemplait.Il inclinalatêteensilence,commes'ilavaitludanssespenséeset
qu'il voulait la rassurer. Meg tressaillit. Quel autre homme lui manifesterait autant deprévenance?Ilsemontraitsiattentif,siprotecteur.Ilavaitpassélajournéeàl'accompagner,avec la familleSaint-John,dans lesboutiquesdemode, sans jamais seplaindreniparaîtres'ennuyer,malgrélafrivolitédeleurexpédition.Toutecettejournées'étaitpasséedefaçonsiagréable que Meg avait tout oublié le temps d'une journée. Ce n'est qu'au moment des'habiller pour le dîner que Meg s'était souvenue de la promesse de son mari : il allaitrechercher l'assassin de Roger. Elle voulait s'assurer qu'il n'avait pas changé d'avis, et elleauraitaimél'interrogersursonpland'action.Oui.Maisaprèscejoyeuxrépit.Unpeudebonheurchassaitsonchagrincoutumier.Siseulement...—Ah,voilàMandeville!s'exclamaleduc.L'autre frère deMeg, Thomas Reading,marquis deMandeville, venait en effet d'arriver.
Lavinia,safemme,dontlachevelureétaittoujoursaussiflamboyante,l'accompagnait.—Tuasunetachesurtongilet,ditThomasàGriffin.—Jesais,répliquasonfrère,lesdentsserrées.Megsoupira.Cesdeux-làneseraientjamaislesmeilleursamisdumonde,maisaumoins
separlaient-ils.Cequin'avaitpasétélecaspendantdesannées.Les hommes se regroupèrent pour parler politique, avant d'être interrompus par le
majordome,quiannonçal'heuredudîner.Hero reprit William dans ses bras, l'embrassa sur les joues et le rendit à sa nourrice,
visiblementàcontrecœur.—D'habitude, je le couchemoi-même, confiât-elle àMeg. Je sais que c'est idiot,mais je
détestequequelqu'und'autres'enchargeàmaplace.
—Tumonteraslevoirtoutàl'heure,larassuraGriffin,avecbeaucoupdetendresse.Heropritlebrasqu'illuitendaitetilsdonnèrentlesignaldudépartverslasalleàmanger.GodricoffritsonbrasàMeg.Lajeunefemmes'ensaisit.Sonbrasétaitpuissantetchaud.SachaleursetransmitàMeg
etelleréalisaavechorreurqu'elle«désirait»cethomme,passeulementparcequ'ellevoulaitqu'illuifasseunenfant.Reprends-toi,Meg,c'estmal!Elleserépétacesmotsplusieursfois,alorsqu'ilsarrivaientdanslasalleàmangeretque
Godricluitiraitsachaise.Megselaissachoirsursonsiège, l'espritenébullition.Soncorpsn'était pas supposé réagir ainsi. Elle avait aimé Roger et, même si elle éprouvait de lagratitude,voireunecertaineaffection,pourGodric,celan'avaitrienàvoiravecl'amour.Elle s'aperçut que Charlotte était placée à sa gauche, puisque les femmes étaient plus
nombreusesquecesmessieurs,etleducàsadroite.Megsoupiraintérieurement.Leducétaitunhommetrèsintimidantetellesevoyaitmalfairelaconversationaveclui.Tandisquelesvaletscommençaientleservice,ellecherchadésespérémentquoiluidire.Maisc'estluiquisetournaverselle.—J'espèrequevousavezaimélapièced'hiersoir,auxFoliesHarte?—Ohoui,VotreGrâce.Beaucoup.Etvous?— J'avoue ne pas être grand amateur de théâtre. Mais Phoebe et cousine Bathilda en
raffolent,ajouta-t-il,levisageilluminé.Megletrouvatoutàcoupmoinsintimidant.—Vouslesyemmenezsouvent?Ilhaussalesépaules.—Oui, là, ou dans d'autres théâtres londoniens. Elles aiment également l'opéra, surtout
Phoebe. Je supposeque lamusique la consoledenepas trèsbien voir cequi sepasse surscène.Megeutunpincementaucœur.—Est-cedoncsigravequecela?IlhochalatêteavecsévéritéetparutsoulagéquandlavoixdeThomascouvritsoudainle
murmuredesconversations:—Lanouvelleloin'apasencoreeuletempsdefairecomplètementeffet.Maisunefoisque
tous lesrevendeursdeginaurontétéarrêtés,cetteboissondiaboliquefinirapardisparaîtredesruesdeLondres.— Ta fameuse loi existe depuis deux ans, lui rappela Griffin. Et pour l'instant, je peux
toujoursacheterduginàtouslescoinsderueduquartierSaint-Giles.Thomasplissalesyeux,prêtàrépliquer,maisleducs'enmêla:—Griffinaraison.Lesdeuxfrèresleregardèrentavecétonnement.Leducn'avaitjamaisétéconsidérécomme
unpartisandeGriffin;iln'avaitpasvud'unbonœilsonmariageavecsasœur.Enrevanche,MegsavaitqueThomasleconsidéraitcommeunamietunallié.Maisleducreposasafourchetteetpoursuivit:—Voilàdeuxansque cette loi auraitdû inverser la situation,mais sonéchec estpatent.
Londresnepeutpascontinueràsubirlesravagesquelegincauseauseindelapopulation.—Queproposez-vous,alors?demandaThomas.—Ilfautunenouvelleloi.Griffin, Thomas et le duc se lancèrent dans une conversation politique animée. Godric
gardait le silence et faisait tourner son verre de vin dans ses doigts, mais il écoutait avecattention.N'étantpastitré,ilnepouvaitpassiégerauParlementetdiscuterdeslois,maiscesdernierstempslaquestionduginrevenaitdanstouteslesconversationsmasculines.Etbiensûr,lesméfaitsduginsefaisaientparticulièrementsentirdansSaint-Giles.MegsoupiraetsetournaversCharlotte.—Êtes-vouscontentedesnouvellesrobesquevousavezchoisies?—Oui,mêmesij'auraispréféréavoirlamoiréebleuciel.CharlottejetaunregardmécontentàJane,assisedel'autrecôtédelatable.Lesdeuxsœurs
avaient failli en venir auxmains pour cette robe, avant queMmeSaint-Johnn'interviennepourdécréterquepersonneneremporteraitlamoiréebleucielsiunaccordn'étaitpastrouvédanslaseconde.CharlotteetJanes'étaientéchangéunregard,puisCharlotteavaitcapituléetconcédé la superbe étoffe à sa sœur.Dixminutes plus tard, elles dégustaient chacune uneglace,brasdessusbrasdessous,etpersonnen'auraitpudevinerqu'elless'étaientviolemmentquerelléesunpeuplustôt.Cequinevoulaitpasdire,biensûr,queCharlotteavaitcomplètementpardonnéàsasœur.—Vousavezeucelleenbrocartturquoise,luirappelaMeg,diplomate.Elleestmagnifique.—C'est vrai, acquiesçaCharlotte,déjà rassérénée.La robe en soie rosepêche s'accordera
très bien avec vos cheveux. Je suis sûre que Godric sera sous le charme, ajouta-t-elle, ensouriantàMeg.Meg luirenditsonsourire, toutens'interrogeant :désirait-ellequeGodric tombesous le
charme?Ellecouladiscrètementunregarddanssadirectionets'aperçutqu'ill'observait.Bizarrement,Megsesentitrougir.Ellebaissavitelesyeuxetbutunegorgéedevinpourse
donnerbonnecontenance.—Meg?interrogeaCharlotte,avechésitation.Megreportasonattentionsursabelle-sœur.—Oui?Charlottejouaunmomentavecsafourchetteetleslégumesquirestaientdanssonassiette,
avantdesepencherverselle,pourluichuchoter:—Pensez-vousqueGodric...Pensez-vousqu'ilseraunjour«proche»denous?—Jen'ensaisrien,avouaMeg.AprèscequeluiavaitconfiéGodricdesonenfance,ellesavaitquelefosséquileséparait
durestedesafamilleavaitcommencédesecreuserbienavantlamortdeClara.Letempsetl'éloignementn'avaientrienarrangé.Serait-iljamaispossiblederetisserdevraisliens?Meg se redressa pour laisser les valets enlever leurs assiettes et servir les coupes de
sabayon.—C'estjuste...murmuraCharlotte.Elle contempla sondessert,planta sa cuillerdedans,puis reposa soncouvert sur la table
avecunsoupir.—Quandj'étaispetite,ilmesemblaittrèsgrandettrèsfort.Mamandisaitquejelesuivais
partout chaque fois qu'il nous rendait visite, ce qui hélas n'arrivait pas souvent. Il devaittrouverassommantqu'unefillettes'enticheainsidelui.Àcetinstantprécis,MegauraitvolontierslancésacuillersurGodric.—Non, il n'avait rien à vous reprocher, réponditMeg. Simplement, votremère a épousé
votre père quand Godric se trouvait à un âge difficile. Vous comprenez, il avait perdu sapropremère...
Megneterminapassaphrase,carellen'étaitpascertainequesestentativesdejustificationsuffisent.Certes,Godricavaitdûbeaucoupsouffrir,durantsonadolescence.Maisilétaitunhomme,àprésent.Etiln'avaitplusaucuneraisonvalabledetenirsessœursàdistance.— C'est mon frère, murmura Charlotte, si bas que Meg l'entendit à peine. Mon unique
frère.Même le délicieux sabayon ne suffit pas à consolerMeg d'avoir été la confidente de cet
aveudouloureux.ElledevaittrouverunmoyendefairecomprendreàGodricl'importancederenoueravecsessœursetsabelle-mère.C'étaitlemomentoujamais.Unefoisquesessœursseraient toutes mariées et qu'elles auraient fondé leurs propres familles, les occasions derapprochementseraientrares.Godricvieillirait seul, coupéde sa famille.Meg reposasacuillerdans sacoupevide.Elle
avaitpromisàGodricdequitterLondres,delequitterlui,aussitôtqu'elleseraitenceinte.Elleretrouveraittoussesamisàlacampagne.Etelleauraitsonenfant.MaisGodric...Surquipourrait-ilcompter?Ilavaitsonami, lordCaire.Mais lordCairedevaitsongeràsafamille,quinemanquerait
sansdoutepasdes'élargirencoreetallaitl'accaparer.MegsereprésentaGodriclescheveuxgrisonnants, entouréde ses seuls livres.Un jour ou l'autre, il faudrait bienqu'il renonce àêtre le Fantôme de Saint-Giles. A supposer que la chance continue de lui sourire et qu'ilréchappedesesexploitsnocturnes.Maisalors,ilneluiresteraitplusrien.Cetteperspectiveétaitdéprimante.MegregardaendirectiondeGodric,quis'étaitpenché
pourécouterLavinia.Megavaitbeaunepasêtreamoureusedelui,Godricétaitsonmari.Elleestimaitavoirunepartde responsabilitéenvers lui.Etelle réalisait, toutà coup,qu'ellenepourraitpasl'abandonneràsasolitude.Le dîner terminé,Hero invita les dames à prendre le thé dans le salon. Les hommes se
levèrentde table.Leduc tira la chaisedeMmeSaint-John,puis celledeMeg, faisantainsipasserl'âgeavantlerang,cequeMegtrouvaparfaitementapproprié.MmeSaint-JohnpritMegparunbrasetCharlotteparl'autre.—Quemurmuriez-vousdesisérieuxtouteslesdeux,pendantledessert?—NousparlionsdeGodric,soupiraCharlotte.MmeSaint-Johnsecontentadehocherlatête.Elleavaitcompris.Qu'aurait-ellepuajouter
d'autre?Danslesalon,Heroservaitdéjàlethé,pendantqueSarahaccordaitlaharpe.—Oh,chantez-nousquelquechose,lesfilles!suggéraMmeSaint-John,enprenantlatasse
queluitendaitHero.Lavieillebaladequevousavezapprisel'autrejour,parexemple.Jane et Charlotte rejoignirent Sarah et se mirent à chanter, pendant que Sarah, qui
connaissaitlamélodie,lesaccompagnaitàlaharpe.— C'est ravissant, absolument ravissant, murmurait la grand-tante Elvina, qui battait la
mesureavecsesdoigtssurl'accoudoirdesonfauteuil.Meg écoutait elle aussi avec ravissement. Sa propre voix était épouvantable, mais elle
aimait beaucoup entendre les autres chanter et les sœurs Saint-John avaient un certaintalent.Auboutd'uneheure,leshommeslesrejoignirentetMegvitlessœursSaint-Johnseraidir.
Ellepouvaitlescomprendre.Ilétaitdifficiledesesentiràl'aiseencompagniedeThomasoududuc.MaismaintenantqueGriffinétaitlà,Megétaitrésolueàluiparler.Aussi seglissa-t-elle jusqu'àson frèrepour luiproposer,àvoixbasse,de lui faire faire le
tourdupropriétaire.Sarequêten'avaitriend'étonnant:aprèstout,ellen'avaitpasencoreeul'occasiondevisiterleslieuxendétail.Griffinlui jetaunregardsuspicieux,maisil luioffritsonbraset l'entraînahorsdusalon,
après avoir échangé quelquesmots avecHero.Meg sentit Godric les suivre des yeux aveccuriosité,mêmeunefoisquelaportesefutreferméederrièreeux.Hors du salon, la maison était parfaitement calme - jusqu'à ce que la musique ne
recommence et ne pénètre jusque dans le couloir.Mais cette fois, une voix de baryton semêlaauchœurdesfilles.Étrange...ThomaschantaitaussifauxqueMegetelleignoraitqueGodrics'intéressâtàlamusique.Mais Griffin la conduisait déjà vers le grand escalier, lui désignant les colonnes et les
plafondsmoulurésetparlant«d'influenceitalienne».Megfronçalessourcils.Semoquait-ild'elle?—S'ilteplaît,Griffin,cessecettecomédie.Illuidécochaunsouriretaquin.—Jemedoutaisbienquetun'avaispasvraimentenviedevisiterlamaison.Dequoiveux-
tumeparler,Meg?— De ta distillerie de gin, avoua Meg, ne sachant pas comment aborder la question de
manièreplusdiplomatique.—Madistilleriedegin?répétaGriffin,levisageparfaitementindéchiffrable.Meginspiraprofondément.—Jemesuislaissédirequetuavaissoutenufinancièrementlafamille,ycomprisThomas,
grâceauxrevenusd'unedistillerieclandestinedansSaint-Giles.—DiabledeSaint-John!explosaGriffin.Iln'avaitaucundroitdet'enparler.Megarquaunsourcil.— Je crois, au contraire, qu'il avait tous les droits. Je suis sa femme. Et plus important
encore, je suis ta sœur,Griffin.Pourquoinem'as-tu jamaisditquenousavionsdes soucisd'argent?—Celaneteregardaitpas.—Jenesuispasdecetavis, répliquaMeg,avec l'envie follede taper sur le crânedeson
frère aîné pour lui faire entendre raison. Caro et moi, nous dépensions l'argent avecinsouciance.Et jemesouviensdeThomass'achetantsonbeauphaéton, justeaprès lamortdepapa.Ilneseleseraitpaspermiss'ilavaitétéaucourant.Biensûrquesi,cela«nous»regardait.Nousaurionstouspunousmontrerpluséconomes.— Je ne voulais pas que tu temontres plus économe,Meg. C'étaitma responsabilité de
veilleràvotrebien-être,àtoi,àmèreetàCaro.—MêmeThomas?demandaMeg,incrédule.— Il n'a jamais eu le sens de l'argent. Pour ça, il est bien comme papa. J'étais le seul à
pouvoirm'occuperdesaffairesdelafamille.—Griffin,murmuraMeg,unemainsursonbras.J'étaislà,moi.Peut-êtrepasquandj'étais
plusjeune.Maisj'aiplusdevingt-cinqans,àprésent.J'avaisaumoinsledroitdesavoir.Griffingrimaçaetdétournauninstantleregard.Puisilsoupira.—Oh,Meg,tusaisbienquejenepeuxrienterefuser.Oui,oui, j'auraisdût'enparler.Et
abandonnersurtesépaulesunepartiedemonfardeau.—Merci, réponditMeg,segardantbiende toutesatisfaction.J'aiuneautrequestionà te
poser.
Ilparutembarrassé,maishochacourageusementlatête.—As-tutoujoursdesproblèmesfinanciers?Lafamillea-t-elledesennuisdececôté?—Non, répondit-il sanshésiter,etavecunsoulagementmanifeste.Jesuis toujoursdans
les affaires, en revanche, mais elles sont tout ce qu'il y a de plus respectable, désormais.J'élève des moutons sur les terres familiales, et je transforme leur laine dans une petitefilature installée ici, à Londres. Pour l'instant, l'entreprise est encore modeste, mais ellegénèredesbénéficessubstantielsetj'aidesprojetsd'extension.Jecompteévidemmentsurtadiscrétion.Jen'enaiparléàpersonnedanslemonde.Avoirdel'argentétaitconsidérécommetoutnatureldanslegrandmonde.Mais«gagner»
de l'argent s'apparentait à une tâche avilissante aux yeux de l'aristocratie. Un gentlemandignedecenométaitsupposépréférermourirdefaim,plutôtquedesesalirlesmainsdanslecommercepourrécolterdequoivivre.MegétaitreconnaissanteàGriffindenepassouscrireàcesprincipes.—Jesuisraviedel'apprendre...Mais,Griffin?—Hmm?Illaramenaitdéjàverslesalon,oùlebarytonchantaittoujours.— Promets-moi que si jamais tu devais rencontrer de nouveaux soucis, financiers ou
autres,tunemanqueraispas,cettefois,demeprévenir.—D'accord,Meg,concéda-t-il,enlevantlesyeuxauciel.Meg sourit en son for intérieur. Griffin avait beau paraître réticent, elle jugeait très
important qu'il se montre honnête avec elle. C'était un devoir, dans une famille. Il fallaits'épauleretpartagerlesbonsmoments,commelesmauvais.La jeune femmeméditait encore la question et se demandait comment inciter Godric à
faire demême avec sa famille, quand ils pénétrèrent dans le salon. Et là.Meg se figea desurprise.LeducdeWakefieldavaitcachéàtousqu'ilpossédaitunevoixmagnifique.Cettenuit-là,couchéedanssonlit,Megs'efforçaitdenepaspenseràl'arrivéedeGodric.Plusexactement,elles'efforçaitdenepastrop«désirer»sonarrivée.Elle se concentrait sur les souvenirs du dîner, sur le visage poupin du petitWilliam, sa
surprised'avoirdécouvertqueleducdeWakefieldsavaitdivinementchanter,maistouteslesimages qu'elle convoquait se dérobaient les unes après les autres. Elle essayamêmede seremémorer legoûtdu sabayon,dontelle s'était régaléeaudessert,mais tout cequ'elleputsentirsursalanguefutlegoûtdeslèvresdeGodric.Il arriva enfin, furtif comme le fantôme qu'il était. Meg ne s'aperçut vraiment de sa
présencequelorsqu'ilseglissasouslescouverturespours'allongeràsescôtés.Ellefrissonnaavantmêmequ'ilnelatouche.Puislesmainsdesonmaris'insinuèrentsoussachemisedenuit,tandisquesasilhouette
sedressaitau-dessusdelajeunefemme,àlamanièred'unfauconguettantsaproie.Megretintsonsouffle.Cethommedégageaitquelquechosededangereux.Cen'étaitque
leur deuxième nuit dans lemême lit et elle paniquait déjà. Il y aurait pourtant beaucoupd'autresnuitssemblablesàcelle-ci.Desnuitsoùelle l'attendraitdans lenoir.Desnuitsoùelles'efforceraitdenerienressentir.Commeelles'yessayaitmaintenant.Maisc'étaitimpossible.
Sesmainssedéplaçaientavecunegrandehabiletésoussachemisedenuitpourvenir luicaresserlesseinset...Roger.Lasolution,c'étaitdepenseràRoger.Sonmariinclinalentementlatête,etsoudainseslèvresserefermèrentsuruntéton,qu'il
suçotaàtraverslafineétoffedesachemisedenuit.Megenperditlaraison.Ellesecambrapourmieuxs'offriràsescaressesdémoniaques.Il finitparabandonnerson tétonpours'attaqueraussitôtà l'autre, sibienqueMegn'eut
pasletempsdereprendresesesprits.Puis il fit courir ses lèvres sur le ventrede la jeune femme.Audébut,Megn'eutaucune
idéedesesintentions,maisquandilretroussasachemisedenuitsursonventre,elleeutunesoudaineprémonition.—Non!C'était le premier mot prononcé entre eux depuis que sonmari l'avait rejointe sous les
drapsetilrésonnasévèrementauxoreillesdelajeunefemme.Megs'humectaleslèvres.Sonpoulsbattaitbeaucouptropvite.Godric s'était figé,mais ce n'était ni de peur ni d'appréhension.Au contraire, il semblait
goûtersadénégation.Commes'ilvoulaitse jouerd'elleet luimontrerqu'ilentendaitposerseslèvreslàoùill'avaitdécidé.C'est-à-diresursonintimité.Megnepouvaitpaslelaisserfaire.Carsiseslèvresseposaientlà,ellen'auraitd'autrechoixquedesuccomberàleurscaresses
expertes.LesderniersvestigesdeRogerdisparaîtraientdesamémoire.Alors, elle agrippaGodricauxépaulespour tenterde le repousser.Mais il était si fort, si
solide,qu'ellecompritqu'elleneréussiraitpasàlefairebougers'iln'enavaitpasenvie.—S'ilvousplaît,murmura-t-elle.Il se figea de nouveau. Puis il ôta les mains de Meg de ses épaules, lui souleva
complètementsachemisedenuitetsepositionnaentresescuisses.Ellemouillaitdéjà.Illapénétrasansautreformedeprocès.Megsecambraetessayadesedétendre.Lesanimauxs'accouplaientsansmêmeypenser.
Alorspourquoileshumainsneseraient-ilspascapablesdelesimiter?Dureste,Megsavaitquecertainsnes'enprivaientpas.Apparemment,ellenefaisaitpaspartiedeceux-là.Ellepensaitbeaucouptrop.Elleressentaitaussibeaucouptrop.Malgré l'obscurité, elle leva les yeux sur le visagede sonmari, dans l'espoir d'apercevoir
sonexpression.Maisellenevitrien,sinonunetêtequisedevinaitdanslanuit.Etpourtant,ellesavait,aveccertitude,quec'étaitbienGodric.Ellel'auraitdevinélesyeux
fermés. Peut-être parce qu'elle reconnaissait son odeur. Peut-être d'instinct. Peut-être enraisondequelqueétrangealchimie.Quoiqu'ilensoit,Megsavaitjusquedansletréfondsdesonâmequec'étaitlui.Godric,quilamartelaitsansrelâche.Godric,quilapossédaittoutentière.Megfermalesyeux.Elleauraitvouluneplusriensentir.Maisc'étaitimpossible.Godricluifaisaitl'amour.
Ellefitdesonmieuxpourrésister.Etfinalement,elleremportalavictoire.QuandsonmariaccentuasescoupsdereinsetqueMegsentitsonmembres'agiterdespasmesviolents,ellerestaparfaitementimmobile.Etiljouitainsi,seul.Maisellen'eutpasletempsdeseféliciter.Ilrouladecôtéetluimurmuraàl'oreille:—Avecquifaisiez-vousl'amour,milady?Carjesaisquecen'étaitpasavecmoi.
12
Foi s'agrippait toujoursaux larges épaulesde l'Hellequin,mais la faimcommençaità latarauder.Ellefouilladanssespochesetsortitunepommedanslaquelleellemorditaussitôt.L'odeur du fruit se répandit dans l'air à la première bouchée et les narines de l'Hellequinfrémirent.Foisereprochasadiscourtoisie.«Envoulez-vousunmorceau?»«Jen'aiplusgoûtéàlanourrituredeshommesdepuismilleans»,réponditl'Hellequin.«Ehbien,voilàune occasion d'y remédier. » Foi mordit de nouveau dans la pomme et en arracha unmorceauqu'elleretiraensuitedesabouchepourletendreàl'Hellequin.[...]
op.cit.Megs'étaitfigéeàcesmots.Maiscen'étaitpasencoreassezpourGodric.Unecolèresourdecouraitdanssesveinesetellemenaçaitd'explosers'ilnes'éloignaitpas
rapidementdesonépouse.Iln'aurait jamaispenséqu'unefemmepourraitunjourlemettredanscetétat.Comment
osait-ellelerenierainsi?—Jene...—Taisez-vous,lacoupaGodric,quisortaitdéjàdulit.Il fallaitqu'il s'enailleauplusvite,s'ilnevoulaitpasrisquerdedireoude fairequelque
chosequ'ilpourraitensuiteregretter.—Oùallez-vous?murmura-t-elle.—Dehors.—Oùcela?Ils'esclaffaméchamment.—Àvotreavis?DansSaint-Giles.Chercherl'assassindevotrecheramoureux.LeFantôme
adutravailquil'attend.—Mais...maiscelapourraitêtredangereux,Godric.—Ilfallaitypenseravantdeconclureunmarchéavecmoi,milady.Vousm'avezdemandé
d'enquêter, ehbien, je vais enquêter.Auriez-vousbrusquement changéd'avis ?Nedésirez-vousplussavoirquiatuéFraser-Burnsby?Ellehésitaquelques instants etGodric crut que son cœur s'arrêtait debattre. Il attendit,
pleind'espoir...Enfait,iln'auraitpassudirecequ'ilespérait.—Non,répondit-ellefinalement.—Danscecas,jedoism'acquitterdemapartdumarché.Il n'attendit pas de savoir si elle répondrait quelque chose à cela : il quitta la chambre,
commes'ilfuyait.Il redescendit au rez-de-chaussée, gagna son bureau et il enfila rapidement sa tenue de
Fantôme,s'obligeantànepenseràrien,avantdeseglisserdanslanuit.Vingtminutesplustard,GodricarpentaitlesruesdeSaint-Giles.La taverne de la Chèvre était l'un des établissements les plusmalfamés du quartier. Le
simple fait que le valet de Fraser-Burnsby ait fréquenté un tel lieu de perdition aurait dû
éveillerlessoupçonsduvicomted'Arquesurlamoralitéd'Harris.Cependant, d'Arque avait une excuse : il ne connaissait pas Saint-Giles aussi bien que
Godric.Lataverneoccupait lerez-de-chausséed'unvieil immeublebranlant.Elleabritait tous les
commerces illicites qui avaient cours à Saint-Giles : revente du gin, prostitution, receld'objetsvolés.Nombredetire-laineyavaientétablileurbase.Godricattendit,dansl'ombred'uneporte, jusqu'àcequelecommisdecuisinesortevider
unseaud'eaucroupiedanslecaniveau.—Hé,gamin!LegarçonétaitunpurproduitdeSaint-Giles.IlécarquillalesyeuxenvoyantGodricsortir
desacachette,maisilnesongeapasàfuir.Godricluilançaunepiècedemonnaie.—DisàArcherquej'aimeraisluiparler.Etprécise-luiquej'irailecherchers'iln'estpaslà
dansdeuxminutes.Legaminempochalapièceetretournadansl'aubergesansavoirditunmot.Godric n'eut pas longtemps à attendre. Un homme efflanqué sortit de la taverne, en se
penchantpourpassersouslelinteaudelaporte.Il se redressapuis regardaautourde luiavantd'apercevoirGodricetdesoupirerd'unair
résigné.—Quevoulez-vous,Fantôme?—DesrenseignementssuruntypenomméHarris.—JeneconnaispasdeHarris,répliquaArcher,endétournantleregard.Ce qui n'aida en rien Godric. Archer était toujours fuyant. Il avait le teint bilieux, des
cheveuxcollésparlagraisseetdesyeuxglobuleux.Godrics'adossaàlafaçadedelataverneetcroisalesbrassursapoitrine.—Levaletquiaassistéàl'assassinatdeRogerFraser-Burnsby,çaneteditvraimentrien?—Yasouventdesmeurtresdanslequartier,marmonnaArcher,enhaussantlesépaules.—Tumemens,Archer.Fraser-Burnsbyétaitunaristocrate.Sonassassinatadéclenchéune
chasseàl'hommedansSaint-Giles.Tudoisbient'ensouvenir,non?—Etmettonsque jem'en souvienne? répliqua lepatronde la taverne.Qu'est-ceque ça
change?—Leseffetsduvaletontétéenvoyéscheztoi,quelquessemainesaprèslecrime.—Et?—Jevoudraissavoirquilesarécupérés.Archers'esclaffa.—Commentvoulez-vousquejem'ensouvienne,Fantôme?Çaremonteàplusdedeuxans.Godricdécroisalesbras.Archertressaillit.—C'est vrai, Fantôme ! Je vous jure sur la tombedemamère que je ne sais plus qui a
récupérélesaffairesdecetHarris.Godricfitunpasverslui.Archerreculad'autantetlevalesmainsenl'air.—Attendez!Jesaisquelquechosequipourraitvousintéresser.Godricarquaunsourcil.—Oui?Archers'humectaleslèvres.
—Harrisestmort.—Quand?Letaverniersecoualatête.— Je ne saurais pas vous dire exactement,mais ça fait un bon bout de temps. Peut-être
mêmeavantquesesaffairesarriventici.Godric dévisagea le tavernier un instant. Archer était unmenteur invétéré,mais Godric
avait l'intuition que, pour une fois, il disait vrai. Il pouvait bien sûr l'effrayer un peu plus,maisiln'entireraitprobablementpasdavantage.Laportedelataverneserouvritettroissoldats,visiblementéméchés,ensurgirent.—Si tuapprendsautrechose,nemanquepasdemeprévenir,ditGodric,avantde lancer
unepièceàArcheretdetournerlestalonspourdisparaîtredansuneruelleadjacente.Ledisquede la lune,hautdans leciel, jetaitsur lespavésunelueurblafarde.Auboutde
quelquespas,Godricsentitqu'ilétait suivi.Pourunpeu, ilenauraitbondide joie.Laragequ'il avait éprouvée tout à l'heure ressurgissait intacte et, cette fois, elle allait trouver unexutoire.Commenta-t-elleosésecomporteravecautantdedédain?Il lui avait prêté samaison, renoncé à sa solitude et à sa tranquillité d'esprit, il lui avait
même offert son corps, et c'était ainsi qu'elle le récompensait ? En s'imaginant qu'il étaitquelqu'und'autrequandillapossédait?Godricavaitdéjàeudessoupçonslapremièrefois,mais ilavaitpréférélesfairetaire.Cesoir,enrevanche, l'attitudedesafemmeluiavaitôtésesdoutes.De touteévidence,elle s'était retenuedeparticiperà leurétreinte. Il ignorait sielleavaitpréféréseconcentrersurl'imagedeFraser-Burnsby,ded'Arqueoud'untroisième,qu'ilneconnaissaitpas,maiscelan'avaitaucuneimportance.Iln'étaitpasquestionqu'il served'ersatzàquiquecesoit.Godricétait sidistraitparses
penséesqu'iln'entenditarriverlesdragonsquelorsqu'ilstournèrentlecoindelameetqu'ilsseretrouvèrentsubitementfaceàlui.Maisiln'auraitsudirequi,deluioudesdeuxsoldats,futleplussurpris.Ledragondedroiterecouvralepremiersesesprits.Tirantsonsabre,ilchargea.Godricne
songeamêmepasàfairedemi-tour:ilnecourraitjamaisassezvitepourdistancerunchevallancéaugalop.Etlaruelle,tropétroite,neluioffraitaucunepossibilitédeseterrerdansunrecoin.Ilnerestaitqu'uneissue:lafuiteparleshauteurs.Levant les yeux au ciel, Godric repéra un balcon ceinturant l'une des fenêtres de
l'immeuble contre lequel il s'était plaqué. Le balcon semblait ancien et il ne supporteraitpeut-êtrepassonpoids,maisGodricn'avaitpaslechoix.Il sauta en l'air et ses mains réussirent à agripper l'une des corniches en fer forgé qui
supportaient le balcon. Une cuisante douleur lui transperça le dos, signe que sa blessures'était probablement rouverte. Puis il replia les jambes. Ses pieds étaient à présent à lahauteur de la tête du cheval qui fonçait sur lui. L'animal, surpris par son geste, faillitregimberetledragondûtconcentrertoutesonénergiepourcontrôlerl'animalquipoursuivitsacoursedanslaruelle.Godricselaissaretombersurlepavéaussitôtaprèslepassagedelabêteetdesoncavalier
etilrouladecôtépoursetapircontreunmur.Maisundeuxièmedragonlechargeaitdéjà.— Rendez-vous ! lui cria le soldat, qui tâtonnait d'une main pour dégainer le pistolet
accrochéàsaceinture.Godricparvintàluisaisirlebrasavantqu'ilaitpufaireusagedesonarmeettiradetoutes
ses forces.Ledragon,déséquilibré, tanguasursaselle.Lecheval,déstabilisé, fitunbondecôté,cequiachevad'emporterlesoldatdanssachute.Iltombalourdementàterre.Cependant, lepremierdragon revenaitdéjà à la charge, sabre au clair.Godric esquivade
justesseunpremiercoupdelame.Apiedcontreuncavalier,ilétaitenpositiond'infériorité.Cependant, il n'était pas d'humeur à capituler. Il essaya d'agripper le dragon pour le fairetomberluiaussi,sanssuccès.Ilméditaituneautretentativequand,ducoindel'œil,ilvitledeuxièmedragonsereleveretbondirsurlui.Bonsang!Ledragonavait réussià luidécocheruncoupdepieddans l'entrejambe.Un tel coupbas
méritaitunevengeanceexemplaire.Godric se plia de douleur, mais sa colère lui donna assez d'énergie pour résister. Se
redressant, ilabattitàplusieursreprisessonpoingsur la figuredusoldat,prenantplaisiràcettebagarrequilevidaitdesafrustration.Le premier dragon, après avoir fait demi-tour dans l'étroite ruelle, revenait sur lui,mais
Godricn'enavaitcure.Ils'abandonnaitauplaisirdeboxer.Ilnes'arrêtaquelorsquelechevaldupremierdragonarrivaàsahauteur.Godriccontempla
alors son adversaire à terre. Il avait le visage tuméfié et ses lèvres saignaient,mais il étaitencorevivantTantmieux.Rassuré, Godric se redressa et s'enfuit à toutes jambes, le cheval lancé à sa poursuite.
Sautantsuruntonneauaccolécontreunmur,Godrics'enservitcommed'untremplinpourescaladerlafaçadedel'immeubleàmainsnues.Parvenusurletoit,ilcontinuasacoursesansmêmeseretourner,sautantdetoitentoit,le
sang cognant à ses tempes. Il ne s'arrêta pour reprendre son souffle qu'après une bonnedizainedeminutes.C'estalors,appuyé,pantelant,contreunecheminée,qu'ilréalisaqu'ilétaittoujourssuivi.Godric dégaina sa dague et suivit des yeux la silhouette qui se profilait sur le toit et
s'approchaittranquillementdelui.Quandsonpoursuivant,unjeunehomme,futdevantlui,Godriclesaisitaucollet.—Pourquoimesuis-tu?Lejeunehommenecherchamêmepasàselibérer.Sesyeuxpétillaientdemalice.—DiggerJackm'aditquevouscherchiezdesinformationssurlesKidnappeurs.—Etalors?—J'appartiensàleurbande.Vingt minutes plus tard, Godric regardait le garçon se régaler d'une tasse de thé et de
tartinesdepainbeurré.Toutàl'heure,surletoit,Godricl'avaitprispourunjeunehomme,mais c'était parce qu'il affichait déjà la carrure d'un adulte. Maintenant qu'il le voyait enpleinelumière,assisdanslacuisinedel'hospicepourenfantstrouvésdeSaint-Giles,Godriccomprenaitqu'ilavaitaffaireàungaminquin'avaitsansdoutepasbeaucoupplusdequinzeans.Sescheveuxbrunsétaientcoiffésenunequeue-de-chevalretenueparunboutderubanusé
jusqu'à la trame, et quelques mèches s'en échappaient pour encadrer un visage ovale. Ilportaitunevareusetropgrandepourlui,surungiletmaculédetachesdegraisse.Unchapeauinforme,qu'iln'avaitmêmepaspris lapeined'ôterune foisà l'intérieur, retombait sur sesyeux.
Legamins'aperçutqueGodricl'observaitetredressalementond'unairdedéfi.—Qu'est-cequ'ilya?—Commentt'appelles-tu?commençaWinterMakepeace,assisàcôtédeGodric.Legaminhaussalesépaulespuis,commes'ilestimaitnedevoiraffronteraucunemenace
immédiate,ilreportasonattentionsurleplatquicontenaitlestartines.—Alf.Ils'emparad'unetartine,puisa,avecunecuiller,dansunpotdeconfituredeframboiseset
enrecouvritlatartined'uneépaissecoucheavantdel'enfourneràmoitiédanssabouche.GodricéchangeaunregardavecWinter.Il luiavaitfalluunecertainedosedepersuasion,
pimentéedequelques intimidations,pour convaincreAlfde le suivre à l'orphelinat.Godricn'avait pas voulu rester dehors alors que les dragons patrouillaient dans le quartier. Et iln'étaitévidemmentpasquestionqu'ilemmènelegaminchezlui.Surtoutaprèsqu'ileutavouéêtrel'undesKidnappeurs.—Depuisquandtravaillais-tupourlesKidnappeurs?demandaWinter,desavoieposée.Alffitpassersonpainavecunerasadedethé.—Environunmois.Maisjenetravaillepluspourcesordures.Winter se resservit du thé sans faire de commentaire, mais Godric se montra moins
patient.—Quand tum'as abordé, j'ai pourtant compris que tu faisais« toujourspartie»de leur
bande?Alfs'arrêtademâcherpourleregarder.—Ouais,etvousavezpasintérêtàvousplaindre.Parcequejeneconnaispersonned'autre
danslabandequiseraitdisposéàvousparler.Godricsoupira.MaisilsavaitqueWinteravaitplusd'expérienceaveclesgarnementsdesa
trempe.Winterpritlamichedepainpourdécouperd'autrestranches.—Commentes-tudevenuKidnappeur?continua-t-ilpatiemment.Godric,quiavaitsuivisesgestes,écarquilla lesyeux.Alfavaitdéjàdévoré lamoitiéde la
miche.—Larumeurcirculaitqu'ilsrecrutaient,réponditAlf.Ilsvoulaientdeséquipesdedeux.Un
adulteetunjeune.Etlapaieétaitbonne.— Alors, pourquoi ne travailles-tu plus pour eux ? demanda encore Winter, d'une voix
neutre.Alfcontemplaitlerestedesatartine,dontlaconfituredégoulinait.—Acaused'unedesgamines.Hannah.Elledevaitavoircinqans,ouàpeineplus,etelle
avaitdesbeauxcheveuxroux.Ellebavardaittoutletempsetellesemblaitn'avoirpeurderiennidepersonne.C'estsa tantequinous l'avaitvendue.AvecSam,on l'avaitdoncconduiteàl'atelier.Audébut,toutparaissaitbiensepasser...—«Bien sepasser» ? explosaGodric.Mais ces fillettes sont forcéesà travailler !Leurs
geôlierslesbattentetlesnourrissentàpeine!— Il y a pire dans Saint-Giles, répliqua Alf, nullement intimidé, même s'il n'osait pas
regarderGodricdans lesyeux.Certainsenfants finissentdansdesbordels.D'autres se fontcreverlesyeuxpardesmendiantsquilesexploitentensuite.WinteréchangeaunregardavecGodricpourl'inciteràplusdemesure.—Qu'est-ilarrivéàHannah,Alf?
Alfessuyaavecsondoigtlaconfiturequimanquaittombersurlatable.—Ladernièrefoisquejesuisalléàl'atelier,ellen'étaitpluslà.Ilsn'ontpasvoulumedire
cequis'étaitpassé.Elleavaitjuste...disparu.IltournaversGodricetWinterdesyeuxpleinsdelarmescontenues,avantd'ajouter:—Jenevoulaisplusêtrecompliced'unebandequimartyrisaitdes fillettes.Alors, jesuis
parti.—C'esttrèscourageuxdetapart,commentaWinter.JepariequelesKidnappeursontdû
êtrefurieuxdetadéfection.Alfs'esclaffa.—Jenesaispascequeveutdire«défection»,maiscequiestsûr,c'estqu'ilsaimeraient
bienmemettreaulitavecunepelle.VoyantqueGodricetWintern'étaientpasfamiliersdel'expression,ilprécisa:—Mefairemangerlespissenlitsparlaracine,sivouspréférez.— Dis-nous où ils se cachent et qui ils sont, et nous pourrions peut-être résoudre le
mystèredeladisparitiond'Hannah,proposaGodric.— Iln'y apasqu'unendroit, réponditAlf. Je connaisaumoins trois ateliers.Et il y ena
peut-êtredavantage.—Trois?répétaWinter,stupéfait.Commentavons-nouspuresterdansl'ignorance?—Ah,c'estdessacrésmalins!fitAlf.Puisilenfournalerestedesatartineetgardaunmomentlesilence,letempsdemâcher,
avantd'ajouter:—Sivousvoulezunconseil,agissezdenuit.Lesgardessontmoinssurlequi-vive.Jevous
montrerailechemin.—Nousallonsdevoiragirvite,assuraGodric.Quedirais-tudedemainsoir,Alf?—C'estd'accord.—Enattendant,tupourrasresterici,suggéraWinter.Alfsecoualatête.—C'estgentilàvous,maislamaisonesttropgrandepourmoi.Godricfronçalessourcils.—Seras-tuensécurité?Alfluidécochaunsourirecynique.— Vous avez peur de pas me revoir demain soir ? Vous inquiétez pas : personne ne
m'attraperasijen'enaipasenvie.Mercipourlethé.Etlà-dessus,ilfilaparlaportedelacuisinequiouvraitsurlaruelledederrière.—Jeferaispeut-êtrebiendelesuivre,marmonnaGodric.MaisWintersecoualatête.—Inutiledel'effrayer.Etlesdragonspatrouillentdanslaruelle.Godricpoussaunjuron.Sontrajetderetourseraitpérilleux.—Ilsmecherchent...Croyez-vousquecegaminseraensécuritéjusqu'àdemainsoir?Winterhaussalesépaules.—Cen'estplusdenotreressort,àprésent.Godricenconclutqu'ildevraitsecontenterdecetteréponse.Des voixmasculines, dehors, réveillèrentMeg d'un sommeil chaotique. La jeune femme
clignalesyeuxetinspectasachambreduregard.IlfaisaitàpeinejouretDaniellen'étaitpas
encorevenuepourlaréveilleretl'aideràs'habiller.Meg se levade son lit et alla à sa fenêtre écarter les rideauxpour regarderdans la cour.
Godric, enveloppé dans unmanteau, conversait avec un homme coiffé d'un tricorne.Megs'alarma.L'hommeluiparaissaitvaguementfamilier,maislaraideurdeGodricneluidisaitriendebon.Puisl'étrangerlevalesyeuxverslafaçadedelamaisonetMegtressaillit.LecapitaineTrevillion.Megn'étaitpasrevenuedesasurprisequelecapitaine,tendantsoudainlebras,écartales
pansdumanteaudeGodric.Meg courut enfiler son peignoir, puis elle sortit de sa chambre en trombe et dévala
l'escalier,soncœurbattant.LecostumedeGodricsuffirait-ilaucapitainepourl'arrêter?Maisalorsqu'ellearrivaitdanslevestibule,ellevitsonmariquirefermaittranquillement
laported'entréederrièrelui,aussicalmeques'ilrevenaitd'uneentrevueavecleroi.—Godric!Ilsetournaverselle.Megréalisaqu'iln'étaitpasaussisereinqu'il leparaissait.Sestraitsaccusaientlafatigue.
Etilsemblaitfurieux.Il la rejoignit en deux enjambées et Meg comprit, à son regard, qu'il ne lui avait pas
pardonnédepuishiersoir.—S'est-ilpasséquelquechoseàSaint-Giles?demanda-t-elle,dansunsouffle.(Elleaurait
voululetoucher,maisellen'osaitpas.)PourquoilecapitaineTrevillionétait-ilici?—Godric!s'exclamaMmeSaint-John,depuislehautdesmarches.Meg,surprise,seretourna.LestroissœursdeGodricsetenaientderrièresabelle-mère.Et
Mouldersurgitsoudaindanslevestibule.—Monsieur?—Pourquoitoutlemondeest-ildéjàdebout?marmonnaGodric.—Tuétaissorti?s'inquiétaSarah.—Çaneteregardepas,luirépliquasèchementGodric,avantdeprendreladirectiondeson
bureau.—Mais...voulutprotestersabelle-mère.—Nem'interrogezpas,grommela-t-il,avantdedisparaîtredanslecouloir.MmeSaint-John,leslarmesauxyeux,jetaunregardimpuissantàMeg.—Jevaisluiparler,claironnacelle-ci,avectoutel'assurancedontellepouvaitfairepreuve,
avantdesuivreGodric.Si ellen'avaitpas vupleurer sabelle-mère,Megn'aurait sansdoute jamaisosé affronter
Godricaussipeudetempsaprèsledésastredelaveilleausoir.Elleétaitconscientedel'avoirgravementblesséetilsemblaitnepassouhaitersaprésence.Maistantpis.Ilfaudraitbienqu'ils'yrésolve.Megpoussalaportedubureausanssedonnerlapeinedefrapper.GodricseversaitunverredebrandyetparlaitàMoulder:—Àl'endroithabituel,disait-il.Etassure-toidenepasêtresuivi.—Bien,monsieur.Moulderparutsoulagédepouvoirs'éclipser.Megrefermalaportederrièreluiets’éclaircit
lavoix.—Allez-vous-en!tonnaGodric,avecungestedelamain,quiluifitrenverserlamoitiéde
sonverre.Meggrimaça.Ilétaitvraimenttrèsencolèreaprèselle.Maiselleinspiraprofondémentet
s'armadecourage.—Non.Jesuisvotrefemme.Ilarquaunsourcil.—Mafemme?Tiensdonc?Megsesentitrougir.—Oui.Godricdétournaleregard,commes'ilnes'intéressaitplusàelle.Etilôtasonmanteau.Megcligna lesyeux.Soussonmanteau,Godricportaituncostumemarrontoutcequ'ily
avaitdeplusbanal.Nulletracedelatenued'Arlequin!Puissonmaris'approchad'unpanneaulambrissé,prèsdelacheminée,etillepressaenun
pointprécis.Lepanneaupivota,révélantunenichedanslemur.Megleregardatirersadaguedelapocheintérieuredesonmanteauetlaplacerdanslaniche.Elles'approchaprudemment.—LecapitaineTrevillionvousasuivi?—Oui.Ils'étaitdébarrassédesavesteet ildéfaisaitsachemise.Meggrimaça.Sablessures'était
rouverteetdusangavaitcoulédanssondos.—DepuisSaint-Gilesjusqu'ici,ajouta-t-il.Ilestvraimenttrèsfort.Plusieursfois,j'aimême
eul'impressionqu'iln'étaitplusderrièremoi.Megramassalachemiseetcommençadeladéchirerpourenfairedesbandesdetissu.De
toutefaçon,levêtementn'étaitplusrécupérable,àcausedusangquil'avaitsouillée.—HeureusementquevousneportiezpasvotretenuedeFantôme,cettenuit.—Si,jelaportais.Megsursauta.—Commentcela?Sonmarihaussalesépaules.—Jesavaisqu'ilmesuivait, jenevoulaisdoncpasprendrederisques.Etj'étaisparéàce
genred'éventualité: j'avaiscaché,voilàdéjàlongtemps,desvêtementsderechangedansunendroitsûr.Ilnem'afalluquequelquesminutespourtroquermatenued'Arlequincontrececostumeinoffensif.Ilrepritsonverreetlecontemplaquelquesinstants,avantd'ajouter:—C'estpresqueunmiraclequeTrevillionn'aitpasperdumatrace.Maiscommejel'aidit,
ilesttrèsfort.—Jevoisquevousl'admirez,ditMeg.Et,sansplusdecérémonie,elletrempaunedesbandesdetissuqu'ellevenaitdedéchirer
danssonverredebrandy.—C'estdel'excellentbrandyfrançais-ducognac,commeilsl'appellent,fit-ilremarquer.— Et votre dos est de la bonne chair anglaise, rétorquaMeg, avant d'appliquer le linge
humectéd'alcoolsursablessure.Illâchaungrognement.—Ques'est-ilpassé,cettenuit?voulutsavoirMeg.Il lui jeta un regard par-dessus son épaule, et Meg crut un instant qu'il s'apprêtait à
répliquerquelquechosequ'ilsregretteraienttouslesdeux.Maisilparutseraviser.
—J'aiquestionnéunpatrondetaverneàproposdeFraser-Burnsby.—Et?— J'ai peur de ne pas avoir appris grand-chose. Le valet qui avait assisté aumeurtre de
Fraser-Burnsbyestmort,luiaussi.LamaindeMegsefigea.—Assassiné?—Peut-être.Jen'ensaisrienpourl'instant.Maisilestévidemmenttrèssuspectqueleseul
témoind'unmeurtredisparaissepeudetempsaprèslecrime.Sablessurene saignaitplus etMegavaitnettoyé tout le sangqui avait coagulédans son
dos, cependantellecontinuaitd'appliquer le lingesursapeau,commesiellenepouvait serésoudreàneplusletoucher.—Cevaletdevaitavoirde la famille,oudesamis,repritGodric.Jedemanderaiàd'Arque
s'ilsaitquelquechoseàcesujet.—Jepourraisl'interro...—Non.Etils'écartabrusquementd'elle.Meg,surprise,restaunmomentlamainenl'air.Godricattrapaunpeignoirposésurledossierd'unfauteuil.—Sicevaletaétéassassiné,celasignifiequel'assassindeFraser-Burnsbyestprêtàtout
pourenterrersoncrime.Jeneveuxpasquevousvousenmêliez,Meg.—Godric...—Nousavonsconcluunmarché, lui rappela-t-il, enfilant lepeignoir.Je tiensmaparole,
tenezlavôtre.Meg reposa le linge ensanglanté.Elle le brûlerait plus tard pour que les domestiques ne
puissentpasledécouvrir.—Trèsbien.Ilparutsedétendre.—Àpartinterrogercepatrondetaverne,qu'avez-vousfaitd'autre,àSaint-Giles?IlgardaunmomentlesilenceetMegcrutqu'ilnerépondraitpas.—Jesuissurlapisted'unebandequienlèvedesfillettespourlesobligeràtravaillerdans
desateliersdeconfectionclandestins.OnlesappellelesKidnappeurs.Meg grimaça d'horreur. Elle songea aux pensionnaires de l'établissement ; aux fillettes
qu'elleavaitprisesenapprentissage.L'idéequ'onpûtmaltraiterdesenfantslarévulsait.—Oh...murmura-t-elle.Ilhochasèchementlatête.—Maintenant,sivotrecuriositéestsatisfaite...C'étaitunefaçondelacongédier,maislacuriositédeMeg«n'étaitpas»satisfaite.—Etvotredos?Votreblessures'estrouverte.Ilfaut...—Nevousenoccupezpas.C'estletravaildeMoulder.Detoutefaçon...Ilneterminapassaphrase,maisMegeutunmauvaispressentiment.—Detoutefaçon?—JeretournedansSaint-Gilesdèscesoir.
13
L'air devenait plus froid à mesure que l'étalon noir montait à l'assaut du pic desMurmures.Foifrissonnaitetseserracontrel'Hellequin,jusqu'àcequ'ilfouilledansl'unedeses sacoches de selle pour en tirer unmanteau. « Enfilez ça », grommela-t-il. Foi prit levêtementetleremercia.Desgrandspinsmenaçantsbordaientlarouteetleventgémissaitdanslesbranches.Foi
avait l'impression d'entendre des murmures étouffés. Regardant plus attentivement, elleremarquad'étrangesvolutesquiflottaientauvent.[...]
op.cit.Cematin-là,ArtemisGreavesmarchaitdans lesruesdeLondresd'unpasdéterminé.Elle
n'avait que deux heures devant elle avant que Pénélope ne se réveille et réclame sacompagniepourbavarderetanalyseravecelle lemoindredétailde lasoiréed'hier.Artemislâchaunsoupiroùsemêlaienttendresseetagacement.DepuisquePénélopes'étaitmiseentêted'épouserunduc, sa frivoliténeconnaissaitplusde limites.Ellechoisissaitmûrementlesinvitationsauxquellesellerépondait,complotaitd'éventuellesrencontresetsurtout,ellejalousaitconstammentMlleRoyle.Cettepauvrefemme-Artemisenétaitàpeuprèssûre-ne se doutait pas un seul instant qu'elle était engagée dans une compétition féroce avecPénélope!Toutcelaauraitétésourced'amusementsiPénélopen'avaitpasjetésondévolusurleduc
deWakefield.Artemisnel'appréciaitguèreetelledoutaitfortqu'ilsauraitrendresacousineheureuse.Àsupposer,biensûr,qu'ilssemarient...Elles'immobilisajusteàtempspouréviterd'entrerencollisionavecuncoursierquiportait
deuxoiessursondosettraversaitdevantelle.—Regardedevanttoi,mabelle!luilançalecoursier,d'unairnarquois.Artemis déglutit et reprit son chemin. Les trottoirs de Londres étaient comme un grand
fleuvecharriantsanscesseunflotdegensquiformaientdescourantscomplexes.Ceuxquinesavaientpasnagercouraientlerisquedes'ynoyer.Si Pénélope épousait le duc deWakefield, dans le meilleur des cas Artemis resterait sa
damede compagnie et elle la suivrait dans sa nouvelle demeure, où elle ne serait qu'un «fantôme»,pourreprendrel'expressionduduc.Mais,avecunpeudechance,Artemispourraitdevenirunesortede«tatagâteaux»pourlesfutursenfantsducouple.Danslepiredescas,Pénélopepourraitdécréterqu'ellen'avaitplusbesoindedamedecompagnie.Artemisinspiraprofondément.Ilétait inutiledes'inquiéter.Elleavaitdespréoccupations
plusurgentes.Vingtminutesplustard,elleatteignaitenfinsadestination:uneéchoppedebijoutier,dans
uneruemodestedelaville.Artemisavaitmisdesmoisavantd'obtenirl'adresseauprèsdesdames de sa connaissance : elle avait craint que des questions trop directes n'attirent lacuriositésursesintentions.Artemis jetaprudemmentun regardautourd'elle avantdepousser laportede l'échoppe.
L'intérieurétaitmal éclairéetpresquenu.Unhommedéjàâgéétait assisderrièreunhautcomptoir sur lequel étaient disposés quelques colliers, bracelets et bagues.Artemis était laseuleclientedanslaboutique.Le bijoutier leva les yeux vers elle. C'était un homme trapu, affublé d'un grand nez. Il
portaituneperruquegrise,unevesteetungiletrouges.SonregardsemblaitjaugerArtemis:detouteévidence,ellen'étaitpasfortunée.Artemiscontintsonenviedebaisserlatête.—Bonjour,ditlebijoutier.—Bonjour,répondit-elle,rassemblantsoncourage.(Sielleétaitvenuejusqu'ici,c'étaitpar
nécessité.Etelleexpliqua.)Jemesuislaissédirequevousachetiezparfoiscertainsbijoux.—Oui?répondit-ilévasivement.Artemiss'approchaducomptoiretsortitunebourseensoiedesapoche.C'estpresqueles
larmesauxyeuxqu'elleendénoualescordons.Ellecontenaitsontrésorleplusprécieux.Maislanécessitél'emportaitsouventsurlasentimentalité,hélas.Labourseenfinouverte,Artemisentiraunpendentifquimiroitadèsqu'ilsetrouvaàl'air
libre,malgrélepeudeclartédelaboutique.MaisArtemissavaitàquois'entenir.Lapierre,enformedelarmeverte,étaitfausseetlachaîneenalliage.Pourtant,ellecontemplalependentifaveclemêmeémerveillementquelapremièrefoisoù
ellel'avaittenudanslesmains,treizeansplustôt,lejourdesonquinzièmeanniversaire.Sesyeuxbrillaienttellementquandilluiavaitoffertlabourseensoie,qu'ellen'avaitpasoséluidemandercommentils'étaitprocuréuntelbijou.Lebijoutierposades lunettessursonnez,approchaunchandelieret courba la têtepour
examinerlependentifaumoyend'uneloupe.Après quelques instants, il fronça les sourcils et se pencha davantage, avant de relever
brusquementlesyeuxendirectiond'Artemis.—Oùavez-vouseucebijou?demanda-t-il,d'untonsévère.Artemisrisquaunsourire.—C'étaituncadeau.Lebijoutierdétailladenouveausesvêtements.—Permettez-moid'endouter.Artemisclignalesyeux.Ellenes'attendaitpasàunetelleimpertinence.—Jevousdemandepardon?Lebijoutiers'adossaàsonsiègeetdésignalependentifposédevantlui.—L'émeraudeestdelaplusbelleeau.Etlachaîneestenorpur.Ouvouscherchezàvendre
cebijoupourvotremaîtresse,ouvousl'avezvolé.Artemis réagit sans réfléchir. Elle récupéra le pendentif, releva ses jupes et s'enfuit en
courantdelaboutique,ignorantlescrisdubijoutier.Soncœurbattaitàtoutrompredanssapoitrine,maisellepoursuivitsacoursedanslarue,évitantpiétonsetattelage,n'osantpasseretourner de crainte de découvrir qu'elle était poursuivie. Elle ne s'arrêta de courir quelorsquelesouffleluimanqua.Heureusement,ellen'avaitpasdonnésonnomaubijoutier.Iln'avaitdoncaucunmoyende
laretrouver.Rassurée,Artemisrisquaunregardsurl’émeraudequ'elleserraittoujoursdanssamain.La pierre semblait la narguer.Elle représentait une petite fortune qu'Artemis n'avait pas
convoitéemaisqu'ellenepourraitjamaisvendre.Quelleironie!Lependentifluiavaitbelet
bienétéoffertencadeau,maisellen'avaitaucunmoyendeleprouver.Dieutout-puissant!OùdoncApollos'était-ilprocurécebijou?
***
Le soir tombait quandMeg sortit se promener dans le jardin après avoir dîné de bonne
heure.Higginsavaitremislesalléesenétat,épandudesgravillonsdessusetsoigneusementtaillé les haies qui les bordaient. Quelques courageux narcisses poussaient leurs fleurs enbordure de la maison -probablement avaient-ils été plantés par un aïeul de Godric et seréinvitaient-ilsd'eux-mêmes,chaqueannéeàpareilleépoque.Meg réfléchissait tout en marchant. Les jardins étaient des endroits adaptés à la
méditation,mêmeàmoitiénus,commecelui-ci. Ilne le resteraitpas longtemps,d'ailleurs.Sur les instructionsdeMeg,Higginsplanteraitou sèmeraitbientôt rosiers, iris,pivoinesetautresfleurs.À condition, bien sûr, queGodric permette àMeg de rester jusque-là. Ce qui n'était pas
gagné.Aprèssonapparitionmatinale,Godrics'étaitenfermédanssachambreet iln'enétaitpas
ressorti de la journée, ignorant les appels à déjeuner et à dîner. Il s était fait monter desplateaux.C'étaitaumoinslesignequ'iln'avaitpasdécidédemourirdefaim.Megs'arrêtaaupiedduvieuxpommieretelleposaunemainsursontronc.Laprésencede
cetarbrel'apaisait.Malgrélanuitquitombait,lajeunefemmecrutdistinguerdesbourgeons.Lecœurbattant,elleinspectaplusendétaillesbranchesbasses.Ellenes'étaitpastrompée.Deminusculesbourgeonspointaientçàetlà.Le...—Meg.Lavoixétaitmesurée,maisletonautoritaire.Megsetournaverslamaison.Godricsetenaitdansl'encadrementd'uneporte-fenêtreetla
lumière de l'intérieur projetait son ombre démesurément allongée sur la pelouse. Megfrissonnauncourtinstantdevantcespectaclequiluiévoquaitquelqueenvahisseurétrangers'invitantdanssonpaisiblejardin.Maiselleserepritbienvite.Godricn'étaitplusunétranger.Ilétaitsonmari.Ellelerejoignit.—Venez,dit-il,luisaisissantlamainpourl'entraîneràl'intérieur.Il la conduisit vers l'escalier, qu'ils gravirent en silence. À chaquemarche, le cœur de la
jeunefemmebattaitunpeuplusrite.Elleétaitpresqueàboutdesoufflequandilouvritenfinlaportedesachambre.Lapiècebrillaitd'unelumièreéclatante:deschandeliersallumésétaientdisposésunpeu
partout.MegclignalesyeuxetinterrogeaGodricduregard.—Jevousavaispromisquelquechose,commença-t-il.Et jevaiscontinueràhonorerma
promesse.Maisdifféremment,cettefois.Megcompritqu'ilfaisaitallusionàleurétreintedelanuitprécédente.—Je... je suisdésolée,bafouilla-t-elle. Jenevoulaispas vousdonner l'impressionque je
pensaisàRoger.Simplement, cequenous faisionsmeparaissaitune trahisonà sonégard.J'avaispeurdeleperdreunedeuxièmefois.
—N'avez-vouspas songéun instantque je ressentais lamêmechosevis-à-visdeClara ?N'avez-vouspasréaliséquejeconsentaisunsacrificepourvousdonnercequevousréclamiez?Megbaissalatêtetantellesesentaithonteuse.—Jem'excuse,Godric.Illuisoulevadoucementlementonpourl'obligeràleregarderdroitdanslesyeux.—Çan'aplusd'importance.Cequicompte,maintenant,c'estcommentnousallonsnousy
prendrepourcontinuerd'avancer.Et il pencha la tête vers elle, très lentement, pour qu'elle comprenne bien qu'il allait
l'embrasser.Megécarquillauninstantlesyeux,avantdelesfermer,ensignedecapitulation.Elleluidevaitbiencela.Son baiser n'avait plus rien de commun avec les précédents. Il était moins tendre, plus
impérieux.CommesiGodricvoulaitscellerunnouveaupacte.Meg rouvrit les yeux.Elle s'aperçut qu'il la regardait en l'embrassant.Elle s'empressade
fermerdenouveaulesyeux.C'étaittropintime.Lalumièrechangeaittout.Pourtant,lesyeuxtoujoursfermés,Megs'enhardit.Elles'offritpleinementàsonbaiser,à
l'intrusiondesalanguedanssabouche,etungémissementsatisfaitmontadelagorgedesonmari.Sanscesserdel'embrasser,illasoulevaparlataillepourlaporterjusqu'aulit.—Déshabille-toi,luiordonna-t-il.Megrouvritgrandlesyeux.Illadominaitdetoutesastature.—Maintenant.—Tum'aideras?—Jedéferailesboutonsoulescrochetsquetunepourraspasatteindre.Megsedébattitavec lesattachesdesonbustier.Ellen'étaitpashabituéeàsedéshabiller
touteseule :d'ordinaire,Danielleétait làpour l'aider.La tâche luiprendraitplusde temps.Ellerisqueraitaussidemanquerdegrâce.Etunefoisdéshabillée,Megseretrouveraitexposée,nue,enpleinelumière.Maissonmarirestaitplantédevantelle.Alors,ellecontinua.Quandelleeutenlevésonbustier,ellevoulutledéposersurunfauteuil,maisGodriclelui
pritdesmainsetlejetaparterre.Megsemorditlalèvre,maisneditrien.Elles'attaquaitdéjààlaceinturedesesjupes.La
minuted'après,celles-citombaientencorolleàsespiedsetlajeunefemmes'extirpaducercleavantderepousserletoutdupied.Aprèsquoiellesortitlespiedsdeseschaussuresetellesepenchapourroulersesbassursesjambes.Commesonmarinebougeaittoujourspas,elleseretrouvalatêtefaceàsonentrejambevirile.Pareilleposition,choquante,lafittressaillir.Puis elle se redressa, pieds nus, et elle entreprit de délacer son corset. Ses doigts
tremblaient légèrement,cequine lui facilitaitguère la tâche.Godricattendaitpatiemment,commes'ilnes'intéressaitpasvraimentàsesmanœuvres.Mais à un moment, Meg baissa les yeux et elle put constater qu'il n'était pas si
désintéressé...Leslacetsétaientdénoués.Elleputenfinlespasseràtraverslesœilletspourselibérerde
soncorset.Godric l'observait toujours, impassible. À présent, Meg ne portait plus sur elle que sa
camisole.—Tout,dit-il.Ellevoyaitbienqu'ilétaitdéterminéàluifairecomprendrequecesoir,ilseraitlemaître.
De son côté,Meg,malgré sapudeur, était résolue à lui obéir.Cependant, les raisonsde saredditionn'étaientplusaussiclairesdanssonesprit.Carsielledésirait toujoursunenfant,elleéprouvaitaussiundésirplusimmédiat.Elleôtasacamisole,lapassantpar-dessuslatête,etelles'immobilisa,nuedevantlui,alors
qu'ilétaittoujourshabillé.Lesilence,danslapièce,étaitabsolu.GodricattiraMegàluipourluicaresserlesseinset
sespoucesdécrivirentdescerclesautourdesestétons.Megretenaitsonsouffle.Ettoutàcoup,illasoulevaencoredanssesbras,avecuneaisance
déconcertante,commesiellenepesaitvraimentrien,etill'allongeasurlelit.Puis il sedéshabilla à son tour.D'abord ses chaussures.Puis sa veste et songilet. Il alla
ensuiteposersaperruquesurunguéridon,avantderevenirprèsdulit.Megs'attendaitàcequ'ilterminedesedévêtir,maisilsecontentadelaregarderlonguement.Etsoudain,ilfermalesyeux.—Dismonnom.Megdéglutitavantdepouvoirproférerunson.—Godric.Ilrouvritlesyeux.—Meg.Il sepencha lentementet ilposa les lèvressurcellesdeMeg,réclamant ledroitd'entrer.
Elleaccueillitsalangueetymêlalasienne.Auboutd'unmoment,ilseredressa,etlafixadenouveau.—Godric,répéta-t-elle,sesoumettantavantmêmed'yavoirétéobligée.Il parut se détendre. Et il l'embrassa de nouveau, mais cette fois dans le cou. Meg
frissonnait de délice. Tout était si différent de ce qu'elle avait connu avec Roger. Leursétreinteshâtives,précipitéesettoujourstroprapides,avaientpâtidelanatureclandestinedeleurrelation.Godric,aucontraire,semblaitapprécierchaqueinstant.Commes'ilvoulaitobtenirdeMeg
autrechosequ'unsimpleplaisircharnel.Cetteidéelamettaitmalàl'aise.Ilrelevabrusquementlesyeux,commes'ilavaitsentiquesonattentions'égarait.—Dismonnom.—Godric,murmura-t-elle.Ilrepritalorssesbaisers,embrassaunsein,toutentitillantl'autreduboutdesdoigts.Meg
sesurpritàentrouvrirlaboucheenunesuppliquesilencieuse.Puis les lèvres de Godric se portèrent sur l'autre sein, qu'il suçota et lécha pendant de
longuesminutes.Megagitaitlesjambes,impuissante.Ilrelevauninstantlatête.—Monnom?—Go...Godric.Ilcaressasontétondupouce,puislaissacourirseslèvresplusbas.
Ils'arrêtajusteavantd'atteindresaféminitéetillevadenouveaulesyeux.—Godric,murmuraMeg,sanssefaireprier.Illuiécartalescuissesdesdeuxmains.Etilregarda.Meg, par réflexe, voulut croiser les jambes, mais son mari les maintint écartées avec
fermeté. Personne, pasmêmeRoger, ne l'avait regardée aussi intimement. Avec Roger, ilsavaient toujours fait l'amour dans l'obscurité, ou dans des piècesmal éclairées. Une seulefois,Rogerl'avaitembrassée...là.EtMegavaitétéhorriblementgênée.Elle«était»horriblementgênée.Elle savait qu'elle mouillait. Que ses poils se collaient entre eux. Pourquoi voulait-il
absolumentvoircela?La jeune femme regarda les chandeliers qui illuminaient la pièce. Accepterait-il de les
soufflersielleleluidemandait?—Dismonnom,ordonna-t-ildenouveau,d'unevoixplusgrave,latirantdesespensées.—Go...Godric.Toutsepassasivite,ensuite,queMegn'eutpasletempsderéagir.Baissantlatête,ilposa
seslèvressurcequ'ilcontemplait.Megsefigea.Elle n'avait jamais vécu quelque chose d'aussi choquant. Il la... il la goûtait, la dévorait,
léchaitlesreplisdesaféminité,lapaitsesfluides,insinuaitsalangueleplusloinpossible.Ettoutcelaengémissant,engrognantdeplaisir.Megn'osaitplusrespirer.Commentpouvait-elle endurer pareille torture ? Où avait-il appris à se servir de sa langue d'unemanière siscandaleuseetsi...merveilleuse?Ilrefermasoudainses lèvressursonboutonderoseetMegcrutperdre laraison.Ellese
cambra sous les caresses de son mari en gémissant de plaisir, sans plus se soucier ni dedécencenidepudeur.CequeGodric lui faisait subir était sansdoutepéché,mais c'était sidélicieuxqueMegenvoulaitdavantage.Commes'ilavaitdevinésasoifnouvelle,ilnesecontentaitplusmaintenantdelacaresser
avecseslèvresetsalangue,maisavaitintroduitsesdoigtsentresescuisses.Megsentaitdesvaguesdeplaisir déferler dans tout son corps.Et soudain, ce fut l'explosion.La jouissanceirradiatoutsoncorps.Lasensationfutsiintensequ'ellecrutnejamaisretrouversesesprits.Enfin, elle rouvrit les yeuxet vitGodricassis à côtéd'elle,qui l'observait avecun tendre
sourire.—Godric,murmura-t-elle,entendantunemainverslui.Ils'emparadesamainpourembrasserchaquedoigt.LavuedeMegsebrouilla.Sonmariluibaisaitlamaincommes'illavénérait.Commesice
qu'ilsfaisaientdanscelitn'étaitpasqu'unactecharnel.Ilfinitparlâchersamainpoursereleveretterminadesedéshabiller.Ilcommençaparson
pantalonetseschaussettes,avantd'enleversachemise.Megs'aperçutalorsquelependentifàsoncouétaitunepetitecléaccrochéeàunechaîneenargent.Lavueducorpsdesonmarineluipermitpasdepoussersaréflexionplusavant.Alalumièredeschandelles,ellepouvaitvoir lesnombreuses cicatricesquimarquaient sa chair.Pourtant,malgré ces cicatrices -oupeut-êtregrâceàelles-,elleletrouvaitbeau.Son torse, puissant, était taillé en « V » ; les muscles de ses biceps et de ses épaules
saillaient;unpetittriangledepoilsavaitpousséentresespectoraux;sonventreétaitplatet
ferme;seshanchesresserrées;et...Ilvenaitd'enleversoncaleçon,etMegdécouvritsonmembreérigé.Ellen'avaitjamaisvu
Rogerentièrementnu-niaucunautrehomme,biensûr.LespectacleétaitsimagnifiquequeMegétait soudain raviequeGodric fût sonmari.Etqu'elle fût la seuleàpouvoir l'admirersouscetangle.Iln'étaitqu'àelle-rienqu'àelle.Mêmesic'étaitpouruntempslimité.Ellerelevalesyeuxets'aperçutqu'illaregardaitl'admirer.Ellerougit.—Godric.Ilsourit.Sonsourireavaitquelquechosedelasatisfactionduprédateur.—Maintenant,jevaisteprendre,prévint-il,ungenousurlelit.Etnousneseronsquetous
lesdeux,Meg.Toietmoi.Meg nourrissait encore un peu d'appréhension à l'idée de trahir Roger. Mais elle avait
blesséGodrichiersoir,etellevoulaitréparersonoffense.—Justetoietmoi,acquiesça-t-elle.Ils'allongeasurelle,sepositionnaentresesjambesetMegputsentirsonmembrepalpiter
contresonventre.La jeune femme inspira profondément. Elle venait tout juste de jouir, pourtant le désir
montaitdenouveauentresesjambes.Godric prit son visage dans ses mains et se pencha pour l'embrasser, cette fois avec
beaucoupde tendresse,presquede la révérence.Megse trouvadenouveaumalà l'aise.Cen'étaitpascequ'elleétaitvenuechercheràLondres.Sonmaricommençaitdetisserentreeuxunerelationsiintimequ'ildeviendraitdifficiledelabriser,lemomentvoulu.Toutessespenséess'envolèrentdèsqu'ilrepritsescaressesetqu'ilsoulevasonbassinpour
lapénétrer.—Maintenant,dit-il.Megluisouritpourluisignifiersonaccord.Il entra en elle d'une seule poussée. Et il commença aussitôt un va-et-vient enivrant.
Doucementd'abord,puisdeplusenplusfort,deplusenplusvite.Megavaitrejetélatêteenarrièresurl'oreilleretferméàmoitiélesyeux,maissonregard
restaitrivéàceluidesonmari.Etelleécartaitlesjambesaumaximumpourmieuxs'offriràlui.Il lapénétraitsiviolemmentquele litgrinçaitetvenaitcognercontrelemur.Megaurait
dû s'offenser d'une telle bestialité. Pourtant, elle était au paradis.Ou plutôt, elle ne s'étaitjamaissentieaussivivantequ'àcemomentprécis.Pourunpeu,elleauraiteul'impressiondepouvoirvoler.Sajouissancefutencoreplusexplosivequelapremièrefois.Elleredescenditdeshauteurs
où son plaisir l'avait propulsée juste à temps pour voir Godric s'abandonner lui aussi àl'extase. Il avait fermé les yeuxmais, aumoment de jouir, il les rouvrit brutalement pourplongersonregarddanslesien.Megretintsonsouffle.C'étaitcommes'illuipermettaitdevoirsonâme.Puis, il roula sur le côté, commes'il craignaitde l'écraser.Megen futunpeudéçue.Elle
auraitvoulusentirtoutsonpoidssurelle.Ellerestaimmobile,àreprendresonsouffle.Lafraîcheurlagagnapeuàpeu.Elletournala
têtepourregardersonmari.Ilparaissaitplusdétenduqu'ellenel'avaitjamaisvu.Unegoutte
detranspirationperlaitàsa tempeetMegtendit ledoigtpour l'essuyer,mais ilquitta le litsansunmot,luiéchappa.Lajeunefemmeremontalescouverturessurelle.—Quefais-tu?Ilneseretournamêmepas.—Jedoisyaller.—Oùça?murmuraMeg,aveclesentimentd'êtretoutàcoupabandonnée.—DansSaint-Giles.
14
Chagrin sepencha,avecunmauvais sourire, pour toucher l'épauledeFoi. «Vois-tu cesâmes qui volettent dans le vent ? Ce sont celles de bébésmorts-nés. Elles demeureront icijusqu'à la findumonde.»«Quellehorreur!Cen'estpas leur fautes'ilssontmortsavantd'avoir vu le jour ! » Chagrin sourit de plus belle. «Non,mais il n'y a pas de justice, enEnfer.Nipoureuxnipourtonbien-aimé.»Foi, furieuse,poussaChagrinàbasducheval.[...]
op.cit.—C'estlà-bas,murmuraAlfàGodric.Ilparlaitsiprèsdel'oreilledeGodricquecelui-cipouvaitentendresarespirationsaccadée.
Alfétaitterrifié,cependantillecachaitbien.—Danslescavesdecetimmeuble,enface,ajouta-t-il.Vousvoyez?—Trèsbien.C'étaitledeuxièmeatelieretilsemblaitbeaucoupplusimportantqueleprécédent.Godric
avaitdéjàlibérésixfillettesdanslepremier.L'opérations'étaitavéréed'unefacilitépresquedéconcertante,carleslieuxn'étaientgardésquepardeuxhommes,dontl'unétaitivremort.Etmaintenant,GodricetAlfétaientaccroupissuruntoit,àproximitédudeuxièmeatelier.—Plusieursissues?—Non,pasquejesache.Godric analysa rapidement la situation.Comme tout à l'heure, il serait seul à intervenir.
Quandilavaitconduitlessixpremièresfilletteslibéréesàl'orphelinat,WinterMakepeaceluiavait proposé de prendre du renfort avant de s'attaquer au second atelier. Mais Godricrépugnait à l'idée de partager son secret avec quelqu'un qui pourrait l'identifier. De toutefaçon,ilétaithabituéàtravaillerseul.Commecela,aumoins,iln'avaitbesoindedépendredepersonnepouragir.—Iln'yaencorequedeuxgardes,chuchotaAlf.Godric lui jetaunrapidecoupd'œilet il futémuparladélicatessedesonprofil.Quelque
chosechezcegaminletroublait.—Vousvoyez,repritAlf,letirantdesespensées.L'unàcôtédelaporteetl'autreàl'entrée
delaruelle.—Plusunsurletoit.Alflevalatête.—Bravo.Vousavezdebonsyeux.Commentvousallezfaire,toutseul?—J'enfaismonaffaire,répliquaGodric.Resteicietnetemêlederien.Jenevoudraispas
avoiràm'inquiéteràtonsujetpendantquej'opérerai.Une lueur mutine brilla dans les prunelles du garçon. Godric, loin de s'en offusquer,
l'admirapoursoncourage.Alfhochalatête.—Bonnechance,alors.
Godricseredressaetluisourit.—Merci.Il s éloigna en silence, sautant de toit en toit et décrivant un grand cercle avant de se
rapprocherdel'immeublequ'ilvisait.Decettemanière,ilpourraitsurprendrepar-derrièrelegardeembusquésurletoitdel'atelier.Lasuitefutplusrapidemaistoutaussisilencieuse.Ilsedébarrassadugardeenquelquescoups, l'unsur le crânepour l'étourdir,unautre sur lanuquepour le faireplier etundernier coupen traversde la gorge.Legarde s'écroula sansmêmeuncri.Godricpossédaitsuffisammentd'expériencepouragiravecdiscrétion.Etréussir.Legardepostéàl'entréedelaruelleétaitsaprochainecible.L'immeublen'étaithautquededeuxétages.Godricsepositionnasuruneavancéedutoitet
ilsautasurlegarde,quis'affalasouslui.PuisGodricleréduisitausilenced'uncoupdelameenpleincœur.Maintenant, il ne pouvait plus se permettre de perdre une seconde. Le garde posté à
l'entrée de l'immeuble s'apercevrait bientôt que son comparse avait disparu et il donneraitl'alarme.Escaladantprestementlafaçadedel'immeuble,Godricremontasurletoitetcourutseplanterau-dessusdutroisièmegarde,qu'ilassommadelamêmemanière:enluitombantdessus.Malheureusement, cette fois Godric se réceptionna mal. Son poignet gauche heurta
violemmentlepavéetunedouleurcuisanteluitransperçalebras.Ilserelevaentitubant.Desétoilesdansaientdevantsesyeuxetilmitquelquessecondesà
recouvrersonéquilibre.Puisilpénétradansl'immeuble,dévalal'escalierconduisantàlacaveetdonnauncoupdepieddanslaporte.L'intérieur était plongé dans une obscurité quasi totale. Une forme se jeta sur lui,mais
Godricétaitparéà touteattaque : il esquivasonagresseurd'uncoupd'épaule,avantde luienfoncersa lamedans leventre.L'hommebaissadesyeuxincrédulessur lablessure,avantdes'écroulerquandGodricrepritsonarme.Undeuxièmegardejetasonpistoletetlevalesmainsenl'air.—Pitié!Nemetuezpas.—Bob...murmuralegardequiagonisait.Bob.—Oùsont-elles?grondaGodric,quiserraitlesdentspoursurmonterladouleuràsonbras.
Oùsontlesfillettes?—Derrière,réponditBob.—J'aimal,gémitlepremiergarde.—Tuvasmourir,luirépliquaBob,sanslamoindreémotion.CommeGodricn'avaitplusqu'unemainvalide, ilnepouvaitpasligotersonadversaire.Il
l'assommadoncd'uncoupsur latempeavec lepommeaudesonépée.Bobs'affalasansunbruitprèsdesonacolyte.Godricsouffraitdeplusenplus.Savisionsetroublait.Lanausée leprenait. Ilcontourna
lesdeuxgardespourgagner laportequidonnaitsur lacave,qu'ilouvritd'uncoupdepied,sonépéebrandie,prêtaucombat.Maisiln'avaitplusd'adversaires.Ilnetrouvaquedesenfants,desfilles,quileregardèrent
faireirruptionavecdesyeuxécarquillés.Etsoudain,Godriccompritcequil'avaittroubléchezAlf.Alfétaitunefille.Godriccélébrasadécouverteenvomissant.
Megfuttiréed'unprofondsommeilparquelqu'unquiluisecouaitl'épaule.—Milady!Milady,réveillez-vous!—Moulder?Megclignaplusieursfoislesyeux.Lemajordome,unechandelleàlamain,setenaitàcôté
dulit,maisiltournaitbizarrementlatête,commes'ilévitaitderegarderMeg,alorsquetout,danssonattitude,faisaitcomprendrequ'ilyavaiturgence.Oh!Lajeunefemmeréalisaqu'elleétaitnue.Elleremontalescouverturessoussonmentonet
s'assitdanslelit.—Quesepasse-t-il?OùestGodric?— II... commença lemajordome, qui semblait paniqué. Je... Il est blessé.M.Makepeace
vientdemeprévenir.Ilsontbesoinquevousalliezlechercheràl'orphelinatpourleramenerici.—Tournez-vous,ditMeg,quisortaitdéjàdulitpourrécupérersacamisoleetréfléchiràce
qu'ellepourraitenfilerseule,sansl'aidedeDanielle.Avez-vousfaitpréparerlavoiture?— Oui, milady, répondit Moulder, le dos tourné, dansant d'un pied sur l'autre. Dois-je
appelerundocteur?Jesaisqu'iln'aimepas lesdocteurs.Il trouvequ'ilsparlenttrop.Maiss'ilestgravementblessé,jecrainsquesonétatsortedemescompétences.—Oui,s'ilvousplaît,allezquérirunmédecin,réponditMeg,sansréfléchir.Elle cherchait à quatre pattes ses chaussures qu'elle portait la veille. Ses yeux étaient
embuésdelarmes.Etuneétrangedouleurluioppressaitlapoitrine.LeschaussuresavaientglissésouslelitdeGodric.Elleavaitdormidanssachambreetelle
devaitmaintenantréintégrerlasiennepourprendreunmanteau.Cequiluifitpenseràautrechose.—Mettez-luidesvêtementsderechangedanslavoiture.Etj'auraisbesoind'aumoinsdeux
valetspourm'accompagner.—Oui,milady.—Quesepasse-t-il?MeglevalesyeuxetdécouvritMmeSaint-John.Moulderenprofitapourseglisserhorsde
lapièce.Labelle-mèredeGodric était enpeignoir et ses cheveux grisonnants cascadaient sur ses
épaules.—Meg?OùestGodric?—II...commençaMeg,sanspouvoircontinuer.Elleétaitàcourtd'imaginationetnevoyaitpasquelmensongeinventerpourrassurerMme
Saint-Johnetlarenvoyerdanssonlit.Soudain,c'enétaittrop.Elleéclataensanglots.— Meg ? s'alarma Mme Saint-John, qui courut prendre la jeune femme dans ses bras.
Qu'est-ilarrivé?Vousdevezmeledire.—GodricestàSaint-Giles.Jedoisallerlechercher.Ilestblessé.MmeSaint-Johnlaregarda,hébétée,etsesridesétaienttoutàcoupplusvisibles.Puiselle
hochalatêted'unairrésoluetrepartitverslaporte.—J'enaipourdeuxminutes,pasplus.Attendez-moi.Megclignalesyeux.—Quefaites-vous?
MmeSaint-Johnluijetaunregardpar-dessussonépaule.—Jesuissamère.Jeviensavecvous.Etelledisparut.Meg était stupéfaite, mais elle était aussi trop inquiète pour tenter de dissuader Mme
Saint-John de la suivre dans Saint-Giles. Godric serait certainement furieux que sa belle-mèredécouvresonidentitésecrète...Tantpis!Megrésoudraitceproblèmeplustard.Dansl'immédiat,elleavaitunsouciplusurgent:s'assurerqueGodricn'étaitpasmourant.La jeune femmeessuyases larmesd'unreversde lamain,enfilaseschaussuresetpartit
chercherunmanteau.Elleétaitsipresséequ'ellen'étaitpassûredepouvoirattendreMmeSaint-John.Mais dès qu'elle sortit dans le couloir, elle s'aperçut que sa belle-mère l'y attendait déjà.
MmeSaint-Johnétaitpâleetsonvisagefermésemblait indiquerqu'elleessayaitdes'armercontreunemauvaisenouvelle.EllesuivitMegdansl'escaliersansunmot.De toute façon, il n'y avait pas grand-chose à dire pour l'instant. Les deux femmes
gagnèrentrapidement lavoiture.L'auben'étaitpasencore levéeetunemerd'encres'étalaitau-dessusdeleurstêtes.MegfutsoulagéedevoirOliveretJohnnydéjàinstallésàl'arrièredelavoiture.Ellegrimpa
à l'intérieur, toujours suivie de Mme Saint-John. Une fois dans l'habitacle, ses angoissesl'étreignirent plus violemment. Et s'il était inconscient ? Et s'il était gravement blessé, aupointdenejamaistotalementrécupérer?Ellereconnaissaitcettedouleurquiluioppressaitlapoitrine.Elleavaitressentilamêmela
nuit où Roger avait été tué. Mais elle ne voulait pas revivre cette expérience. Elle nesupporterait pas de perdre deux fois un être aimé. Godric n'était pas Roger, voulut-elle seconvaincre.Ellen'étaitpasamoureuse.Soncœur, lui,nesemblaitpasfaireladifférence.Sapaniqueétaitréelleetlarendaitnauséeuse.Jen'yarriveraipas!— Vous survivrez! lui dit soudain sa belle-mère, d'une voix ferme, comme si elle avait
devinésespensées.Meg se rappela queMme Saint-John avait perdu un mari qu'elle adorait. Elle savait ce
qu'étaitlechagrin.Etelleétaittoujourslà.—Écoutez-moi,repritMmeSaint-John.Quoiqu'ilarrive, ilvousfaudraêtreforte.Godric
aurabesoindevousetvousnedevezpaslelaissertomber.—Non,biensûr,murmuraMeg,d'unevoixmalassurée.MmeSaint-Johnhocha la têteets'adossaà labanquette.Lerestede l'interminabletrajet
s'effectuaensilence.La rue dans laquelle se dressait l'orphelinat était trop étroite pour laisser passer leur
voiture.Lecochers'arrêtaaucoin.Megs'emparadusaccontenantlesvêtementsdeGodricetelle descendit avec Mme Saint-John. Les deux valets, Oliver et Johnny, se positionnèrentaussitôtdechaquecôtédesdeuxfemmes.Chacununearmeàlamain.—Vouscroyezquevouspourrezattendretoutseul?demandaMegàTom,lecocher.—Nevousinquiétezpas,répliquaTom,brandissantunepairedepistolets.Çam'étonnerait
qu'onviennem'embêter.Meghocha la têteet remontaMaidenLane jusqu'à l'orphelinat.Deux lanternesbrillaient
de chaque côté de la porte d'entrée etMeg était si concentrée sur leur lumière qu'elle neremarquapasl'hommetapidansl'ombre.C'estOliverquidonnal'alerte.
LecapitaineJamesTrevillionlevalesmainsavecuneindifférencehautaine.—VousnelaisseriezquandmêmepasvotrevalettirersurunsoldatdelaCouronne,milady
?—Biensûrquenon,réponditMeg,circonspecte.Quefaisaitlecapitainedesdragonsdevantl'orphelinat?Megjetaunregardàsabelle-mère
etelle fut soulagéedevoirqueMmeSaint-Johngardait le silence,malgré sonétonnementmanifeste.—Maisreconnaissezqu'iln'estpasprudentdesurprendreungardearmédansSaint-Giles.—Onn'est jamais tropprudent,acquiesça lecapitaineTrevillionavecunsourirequelque
peucruel.SurtoutquandleFantômedeSaint-Gilesrôdedanslesparages.—Ça,çanemeregardepas.—Croyez-vous? fit le capitaineTrevillion.J'aipourtant le sentimentque leFantômeest
rentrédanscebâtiment,ajouta-t-il,endésignantl'orphelinat.Megredressalementon.—Laissez-nouspasser.Lesyeuxbleusducapitainebrillèrentd'unesoudainenoirceur.—Vousêtesunefemmetrèsestiméepartousceuxquivousconnaissent,milady.Sijenele
voyais pas demespropres yeux, je ne pourrais jamais croire que vous cherchez à protégerl'assassinqu'estvotremari.Megentenditsabelle-mèrehoqueterdesurprise.Maiselleétait tropoccupéeà faire face
au capitaine des dragons pour se tourner vers sa belle-mère. Trevillion venait d'accuserGodric d'être le Fantôme de Saint-Giles.Meg devait lui tenir tête et nemanifester aucuneémotionparticulière,sinondel'indignation.—J'ignoredequoivousparlez.—Enêtes-voussisûre,milady?répliquaTrevillion.Votremariabeauêtreunaristocrate,
tôtou tard je l'attraperaidans sondéguisementdeFantôme.Et ce jour-là, ilnepourrapaséchapperàlaprison.Malgrésesefforts,Megneputs'empêcherdetressailliràcesparolesbrutales.LecapitaineTrevillionlevaunemaindansungestedeconciliation.— Croyez-moi, milady, vous feriez mieux de renier M. Saint-John avant sa disgrâce.
Retirez-vousàlacampagne.Etfaitesoubliervotrehonted'avoirépouséunassassin.Trevillionavait raison.Godric avait tuédesgens. Il avaitmêmeconfesséqu'il ignorait le
nombredesesvictimes.Megluienvoulaitpourcela.Maisellenepouvaitserésoudreàluitournerledos.—Vousvoustrompez,assura-t-elle,d'unevoixneutre.Ilarquaunsourcil.—Pensez-vous?Megcédasoudainàlacolère.Cethommen'avaitaucundroitdes'enprendreainsiàGodric
!Elleseplantadevantlecapitainedesdragonsetpressaundoigtsursontorse.—Jen'abandonneraipasmonmari, capitaineTrevillion.Et si vousvous imaginezque je
pourraisavoirhonted'avoirépouséGodricSaint-John,c'estquevousn'avezriencompris.M.Saint-John est un homme honorable. Il est même le meilleur homme que j'ai jamaisrencontré. Si vous n'êtes pas capable de vous en rendre compte, c'est que vous êtes unimbécilefini.
Là-dessus, elle s'élança vers l'orphelinat, sans s'attarder sur l'expression stupéfaite dumilitaire.—Milady!larappela-t-il,danssondos.Megl'ignora.Ellegrimpaleperronetcognaleheurtoir.Ellen'avaitqu'unehâte:rentrerà
l'intérieurets'assurerqueGodricn'étaitpasmortellementtouché.«Lemeilleurhommequej'aijamaisconnu.»Elleavaitditcelasouslecoupdelacolère,
mais c'était vrai.Meg avait aiméRoger de tout son cœur,maisGodric risquait sa vie poursauverdes inconnus.SesactivitésdeFantôme l'obligeaientà laviolence,maisellesétaientaussi,pourbeaucoup,synonymesdedélivrance.C'est IsabelMakepeacequi luiouvrit.Elleavait les traitsmarqués.Dèsqu'elleaperçut le
capitaineTrevillionsurletrottoir,elleplaquaunsourirepolisurseslèvres.—Oh,entrezdonc,milady,dit-ellebien fortàMeg,commesi celle-ci rendaitunesimple
visitedecourtoisieàl'établissement.Bonsoir,capitaineTrevillion,lança-t-elleàl'hommequiveillaitplusbas.Votresensdudevoirvoushonore,maisnecroyez-vouspasqu'ilseraitplusraisonnable de rentrer chez vous ? Avec tous ces ruffians qui hantent Saint-Giles, il estdangereux,pourunhommeseul,aussicourageuxsoit-il,desortirdanslesruesàuneheurepareille.Meg se glissa dans le vestibule, suivie de Mme Saint-John et des deux valets. Isabel
refermaaussitôtlaportederrièreeux.— Vous croyez qu'il partira ? demanda Meg. Isabel secoua la tête. Son sourire s'était
évanouisitôtquelecapitainedesdragonss'étaiteffacéderrièrelaporte.— Non. Trevillion est malheureusement quelqu'un d'entêté.Mais ne vous inquiétez pas
trop.Voilàbientôttroisansqu'iltraqueleFantômedeSaint-Gilesetiln'atoujourspasréussiàluimettrelamaindessus.Isabel se voulait désinvolte, cependantMeg n'était pas rassurée. Désormais, le capitaine
des dragons avait percé l'identité du Fantôme. Et comme Isabel l'avait souligné, Trevillionétaitobstiné.Ilnerenonceraitpasfacilementàsonobjectif,àsavoircapturerGodric.—Oùest-il?demandaMmeSaint-John,tirantMegdesesidéesnoires.—Là-haut,dansl'infirmerie,lesinformaIsabel,quipartaitdéjàversl'escalier.Megluiemboîtalepas,sansoserjeterunregardàsabelle-mère.Quepouvaitbienpenser
MmeSaint-John?Ilétaitimpossiblequ'ellen'aitpasclairementcomprislesaccusationsdeTrevillion.Son interrogation s'envola à l'instant où Isabel frappa à la porte de l'infirmerie, qu'elle
ouvritdanslafoulée.MegdécouvritalorsGodriccouchédansunlit,surlecôté,enmanchesdechemiseet saculotted'Arlequinencoresur les jambes. Il était trèspâleet ilportait sonbrasgaucherecroquevillésursesgenoux.Maispourlereste,ilsemblaitenbonneforme.Meg en ressentit un immense soulagement.Une femmed'un certain âge, assise sur une
chaiseprèsdulit,selevaàl'entréedesvisiteuses.—Merci,madameMedina,luiditIsabel.Etellelasuivithorsdelapièce.Quand la porte se fut refermée sur les deux femmes,Meg voulut s'approcher deGodric.
Maislacolèredesonmarilastoppanet.—Pourquoi,luilança-t-il,désignantsabelle-mère,l'as-tuamenéeici?
Sonpoignet le faisait toujourshorriblement souffrir.Chaqueélancementprovoquaitunemontée de bile dans sa gorge.Godric gardait cependant assez de lucidité pour comprendrequ'il avait parlé trop durement. Meg s'était figée et son expression prouvait qu'il l'avaitblessée.Maisc'estsabelle-mèrequirépondit.—N'enveuxpasàMeg.C'estmoiquiaiinsistépourvenir,Godric.Tuesblessé.Jen'allais
quandmêmepasrestersansrienfaire.Godric voulut répliquer.Mais sabelle-mère s'étaitplantéedevant lui, aussi bravequ'une
martyrechrétienneaffrontantleslionsenvoyésparlesRomains,leregarddéterminéettristeàlafois.Godricnesesentitpaslecouragedelarabrouerdavantage.Peut-êtreétait-iltoutsimplementtropaffaibli?Entoutcas,elleenprofita:—Laisse-noust'aider,Godric.Godricsouffraittroppourdiscuter.—Trèsbien,lâcha-t-ilenseredressant.IlcroisaleregarddeMegetilputvoirqu'elleétaitsoulagéedelatournuredesévénements.—Ilfaudrarecourirauxservicesd'unrebouteux,dit-elle.JevaisdemanderàIsabelsielle
connaîtquelqu'undediscret.Enattendant,jet'aiapportédequoitechanger,aucasoùnotrechemincroiseraitencoreceluiducapitaineTrevillion.Megposa le sac sur le lit et s'éclipsahorsde la pièce, laissantGodric seul avec sa belle-
mère.—As-tubesoind'aidepourt'habiller?—Makepeaces'enchargera,répliquaGodric.Etilseleva,dansl'intentiond'allertrouverledirecteurdel'orphelinat.Sabelle-mèreseprécipitapourcollersonépaulecontresonbrasvalide.—Appuie-toisurmoi.—Cen'estpasnécessaire,marmonnaGodric,surladéfensive.—Alors,fais-lepourmoi,Godric.Laisse-moit'aider.Il s'exécuta, car c'étaitplus facilequed'argumenter.Sabelle-mère étaitplus fortequ'elle
voulaitbienlelaisserparaître.Pourquoiagissait-elleainsi?Leursregardssecroisèrent,etelleparutdevinersespensées,carellelevalesyeuxauciel.—Ne teposepasdequestions inutiles,Godric.Tuétaisdéjà commeça,petit, toujoursà
soupçonner quelque chose sous le moindre geste d'attention. Je veux juste te faciliter lamarche.C'estsiduràaccepter?Godric,vaincu,s'esclaffa.—Bon,trèsbien.Au sortir de l'infirmerie, ils trouvèrentWinterMakepeace qui attendait dans le couloir,
adosséaumur.Ledirecteurde l'orphelinat jetaunbrefregardàMmeSaint-John,avantdechuchoteràGodric:—Nousdevonsparler...decertaineschosesavantvotredépart.Godricsetournaverssabelle-mère:—Jevousrejoindraienbas.Sabelle-mèrepinçaleslèvres,maisellehochalatêteetpartitversl'escalier.Godricreporta
sonattentionsurMakepeace.—Mafemmem'aapportédequoimechanger,dit-il,enrouvrantlaportedel'infirmerie.WinterMakepeacelesuivitàl'intérieur.
— Vous avez sauvé près d'une trentaine d'enfants, ce soir, commença-t-il, pendant queGodriccommençaitderetirersaculotted'Arlequin.Sixdevrontgarderlelitpendantquelquesjours,maislesautressontrelativementenbonnesanté.Ellesontsurtoutbesoindemanger.Godric grimaça à l'idée que ces fillettes aient pu être privées de subsistance. Puis il se
rappelasaprincipaleinquiétude:—Alfvousa-t-ilditoùsetrouveletroisièmeatelier?— Oui, réponditWinter, qui l'aida à se défaire de sa culotte. Mais j'ai peur qu'ils ne le
déménagentrapidement,aprèsvosdeuxinterventionsdelanuit.Ilsseraientidiotsderestersansbougeretd'attendrevotreattaque.—Exact.Godrics'emparadupantalonnoirapportéparsafemme,puisilcontemplasonbrasenflé.—Peut-êtrequesijepouvaisressortircettenuit...—N'ypensezpas,lecoupaWinter,d'untonsansappel.Ilfautd'abordvoussoigner.—Jedoissauvercesenfants.—Oui,maisdansvotreétat, vous risquez surtoutdevousblesserdavantage.Oupire.Ce
quineseraitd'aucuneutilitépourlesenfants,fitvaloirWinter.Ilyaautrechose,ajouta-t-il,aprèsunehésitation.Godricarquaunsourcil.— Alf est parti juste après vous avoir raccompagné ici. Mais il semblait très agité.
Apparemment,Hannah,lafilletteroussedontilnousavaitparlé,nesetrouvaitpasparmilesenfantsquevousaviezsauvées.—Bonsang!grommelaGodric.Ellenevaquandmêmepasessayerdeprendreletroisième
ateliertouteseule!—Elle?Godrichochalatête.—Alfestunefillehabilléeengarçon.Jen'auraisjamaisdûlaprendreenmissionavecmoi
hiersoir.—Nousnepouvionspas savoir.Mais vousavez raison, elle chercherapeut-être à libérer
elle-mêmesapetitecamarade.Godric ne s'était jamais senti aussi impuissant. Enfin, ce n'était pas tout à fait exact. La
dernièrefois,c'étaitdevantlelitdemortdeClara.Ils'empressadechassercethorriblesouvenirdesonesprit.—Quandmême,repritWinterMakepeace,songeur.Jedoutefortqu'Alfdécided'agirseule.
Ellesaitquel'atelierestbiengardé.Etpuis,iln'estpasimpossiblequ'ilsledéménagentdèscettenuit.Godrichochalatête,mêmes'iln'étaitpasentièrementrassuré.Alfavaitdéjàprisdegros
risqueseninformantWinteretGodricde l'existencedesateliers.Etellesemblaitbeaucoupteniràlafilletterousse.Pourvuqu'ellen'entreprennerien.Dèsqu'ilseraitremisdesablessure,GodricretourneraitdansSaint-Gilespourterminerle
travail.Quelqu'unfrappadoucementàlaporte,quis'entrouvritaussitôt.Megpassalatêteparl'entrebâillement.—Lavoitureattend,hasarda-t-elle.Etl'aubecommenceàpoindre.Elle semblait répugner à entrer dans la pièce, comme si elle craignait quelque nouvelle
rebuffade.Pourtant,Godricn'avaiteuqu'àlafaireprévenirpourqu'ellearrivesansposerdequestionsniémettrelemoindrejugement.Et,toutàl'heure,dansleurchambre,elleluiavaitdonné tout cequ'il avait réclamé.Mais il se sentait trop vieux, tropusé, pour lui offrir, enretour, tout ce qu'elle méritait. Le bon sens lui recommandait de la laisser partir. Elle setrouveraitunamoureuxplusjeune,quiressembleraitàRoger.Cependant, l'urgence était ailleurs. Il devait se soigner. La douleur était intolérable. Il
remercia Makepeace, passa un manteau sur ses épaules et laissa Meg le soutenir pourdescendrel'escalier.Sa belle-mère les attendait dans le vestibule, avec les valets. Johnny et Oliver se
positionnèrentdepartetd'autredupetitgroupe,ettousmarchèrentjusqu'àlavoiture.GodricremarquabiensûrlecapitaineTrevilliontapidansl'ombre.Demêmequ'ilsurpritle
hochementdetêteentendudumilitaire.Unesorted'avertissement:«Jesaisquivousêtes.OsezrevenirdansSaint-Giles,etjevouscapturerai.»Godric connaissait la détermination de Trevillion. Pourtant, il refusait de s'alarmer.
Makepeace avait raison : il devait d'abord s'occuper de sa blessure. Mais sitôt qu'il seraitrétabli, il retournerait dans Saint-Giles, Trevillion ou pas Trevillion. Les enfants avaientbesoindelui!Sabelle-mèreattenditqu'ils fussent tous installés,que laportière se fût referméeetque
l'attelageaitdémarrépoursetournerversGodric:—Depuiscombiendetempses-tuleFantômedeSaint-Giles?
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Chagrintombaàbasdel'étalonsurlepicdesMurmuresetcriaderage.L'Hellequinnefitaucuncommentaire,maisFoicrutlevoiresquisserunsourire.Elleavaitsoif.Aussifouilla-t-elleencoredanssapochepourenextraireunepetite flasquedevin.Ellebutunegorgée,etl'Hellequin se passa la langue sur les lèvres. Foi lui tendit le contenant : « Voulez-vousgoûter?»«Jen'aipasbulevindeshumainsdepuismilleans»,répliqua-t-il.«Alors,vousdevezavoirtrèssoif.»Etelleapprochalaflasquedeseslèvres.[…]
op.cit.Sesgrognementsparaissaientétouffés,commesiGodrics'efforçaitdesouffrirensilence.
Cequi,aulieuderassurerMeg,l'inquiétaitdavantage.Elledevinaitqueladouleurdevaitêtreatroce.La jeune femme restait figée devant la porte qui communiquait avec la chambre de son
mari.Samainladémangeaitdetournerlapoignée.—Venezdoncvousasseoir,Meg,l'invitaMmeSaint-John,assisesurlecanapé.Megsetournaverselle,quandunnouveaugrognementlafitsursauter.—S'ilvousplaît, insistasabelle-mère,qui tapotait laplace libreàcôtéd'elle.Vousne lui
rendez pas service en vous agitant ainsi. Il se doutera que vous l'avez entendu et cela nefaciliterapasvosrapports.Leshommesdétestentmontrerleursfaiblesses.Megsemorditlalèvreetvints'asseoirsurlecanapé.—Godricn'estpasquelqu'undefaible.Ilestsimplementblessé.Et j'espèrebienqu'ilme
voudraàsescôtésquandilsouffriramoins.— Hmm, peut-être, acquiesça Mme Saint-John. Mais les hommes sont imprévisibles
lorsqu'ilssouffrent.Danssesdernièresannées,lepèredeGodricavaitlagoutte.Sescriseslerendaientinsupportable.Ilnetoléraitpasquequelqu'unl'approche.Pasmêmemoi.Elles'interrompitquelquesinstants,baissalesyeuxsursesmains,avantdereleverlatête
etd'ajouter:—C'estmafaute.Megclignadesyeux,interloquée.—Quevoulez-vousdire?—Toutcela,réponditMmeSaint-John,endésignantlaportecommunicante.Jesavaisque
lamortdeClara l'avait anéanti,mais j'ai laissé son stoïcismenous éloigner l'unde l'autre.Godricn'estpasdifférentdes autreshommes. Il a besoinde l'affectionde sa famille.Maischaquefoisquejetentaisuneapproche,sonorgueillepoussaitàmeprendredehaut.—Jenevoispasenquoiceseraitvotrefaute.Vousluiaveztendulamain,etilnel'apas
prise.Siquelqu'unamalagi,c'estlui.MmeSaint-Johnsecoualatête.—Non. J'aimeGodric autant que si je l'avais porté dansmon ventre. Unemère ne doit
jamaisabandonnersonenfant,mêmelorsqu'ilsembleleréclamer.Mondevoirétaitd'insisterjusqu'àcequ'ilcapitule.
SonvisageseradoucitetellesouritàMeg.— Je suis très heureuse que vous ayez décidé d'abandonner votre retraite campagnarde
pourvivreauprèsdeluietremplirpleinementvotrerôled'épouse,reprit-elle.Godricabesoindevous,Meg.Vousêteslaseuleàpouvoirlesauver.Megdétourna leregard.Ellesesentaithonteuse.Ellen'étaitpasvenueàLondrespour«
remplirsonrôled'épouse»,maispourobtenirdeGodricqu'illuifasseunenfant.Sesraisonsavaientétépurementégoïstes.Maisellenepouvaitpasl'avoueràsabelle-mère.Aussipréféra-t-ellerépondreauxderniersmotsdeMmeSaint-John:—Peut-onsauverunhommequichercheàs'autodétruire?MmeSaint-Johnhaussalessourcils.—Vouscroyezquec'estpourcetteraisonqu'ilestleFantômedeSaint-Giles?Meghaussalesépaules.—Jen'envoispasd'autres.MmeSaint-Johnsoupira.— Vous devez comprendre que Clara a mis des années à mourir. Des années pendant
lesquellesGodricn'a rienpu faire, sinonassisterà sonagonie.Peut-êtren'a-t-il endossé latenueduFantômeque pour avoir le sentiment de se rendre utile, après toutes ces annéesd'impuissance.—Cequiestsûr,c'estqu'ilrendserviceàSaint-Giles.Maislebienqu'ilfaitauxautresne
compensepaslemalqu'ilsefaitàlui-même.—Quevoulez-vousdire?— Il aide les gens de Saint-Giles, mais il le fait à ses dépens. Godric est quelqu'un de
sensible.Danscequartier,ilestquotidiennementexposéàlaviolence.Toutcelaestmauvaispourlui.C'estcommes'ils'ingéniaitàperdresonâme.—Danscecas,réponditMmeSaint-John,vousdeveztrouverunmoyenpourqu'ilrenonce
àsesactivitésnocturnes.Meg hocha la tête, bien qu'elle n'eût aucune idée sur la façon de s'y prendre. Elle avait
concluunpacteavecsonmari:leFantômedevaitdécouvrirlesassassinsdeRoger.Megavaitbien conscience qu'elle le poussait elle-même dans Saint-Giles. Elle ne pouvait faire lalumièresurcetteaffaireetsauverGodricparlamêmeoccasion.Laportecommunicantes'ouvritenfin.—Nousavons terminé,milady,annonça lemédecin,unvieilhommequiportaitunnom
françaisoupeut-êtreitalien.Unréfugiépolitique,avaitexpliquéIsabel.Très«discret».Megsereleva.—Sonbrasguérira-t-il?—J'aifaittoutmonpossible,assuralemédecin.LeresteappartientauSeigneur.M.Saint-
Johndevra garder la chambrependant aumoinsune semaine, sinonplus.Et veillez à sonalimentation.Il lui faudraunrégimestrict,àbasedepotagesde légumes,depoissonoudepoulet.Pasd'oignons,pasd'ailetnaturellement,pasdemetsépicés.—Biensûr,acquiesçaMeg.Puis-jelevoir?—Certainement,milady,maisàconditiondenepasvousattarderàsonchevetetde...Meg n'attenditmême pas que lemédecin ait terminé sa phrase pour s'engouffrer par la
porte ouverte. Godric était couché dans son lit, son bras gauche posé sur les couvertures.Deux planchettes de bois solidement reliées entre elles encadraient son avant-bras pour
empêchertoutmauvaismouvementdelamain.Lajeunefemmes'approchadulitsurlapointedespieds.LevisagedeGodricétaitencore
perlé de sueur et ses cheveux collaient à son front. Comme il ne s'était pas rasé, sa barbenaissantecontrastaitaveclapâleurdesonvisage.—Meg.Iln'ouvritpaslesyeux,maisiltenditlamaindroitepourlatoucher.—Oh,Godric,murmura-t-elle,lesyeuxpleinsdelarmes.Godricattrapasesdoigtsetlatiradoucementàlui.—Allonge-toiunpeuàcôtédemoi.Ellerésista.—Ledocteurditquetudoistereposeretqu'ilnefautpastedéranger.—AudiablecemauditFrançais!Tunemedérangeraspas.Aucontraire.Jemereposerai
mieuxsitueslà.Megmontaavecprécautionsurlelit,sanssedéshabiller,etelles'allongeacontresonmari,
nichantsatêtecontresonépauledroite.Desonbrasvalide,Godricl'enlaçaàlatailleetsoupiradecontentement.Ils'endormitenquelquesminutes.Megl'imitaenàpeineplusdetemps.Deux semaines plus tard, Godric leva avec surprise les yeux par-dessus ses lunettes en
demi-lunesenvoyantSaGrâceentrerdanssachambre,l'undeseschiotsdanslagueule.Lachienne lui accordaun vague regard, presquedédaigneux, avant de disparaître par la porteouvertedelapenderie.Elleenressortitcinqminutesplustard,sanssonpetit.Godric,stupéfait,regardalachiennequittersachambrecommesiderienn'était.Il haussa les épaules et reporta son attention sur les pamphlets politiques et
philosophiquesqueluiavaitmontésMoulder.Aprèsunesemainedereposforcé,complétéeparunesemainesupplémentaire,Godriccommençaitàs'ennuyerferme.Toutesafamille,sessœurs,sabelle-mèreetsafemme,s'étaientdonnélemotpourl'empêcherdesortirdesonlit.Biensûr,elless'étaient toutesemployéesà lui tenircompagnieà tourderôle, lui faisant lalectureoubavardantaveclui.Mêmelagrand-tanteElvinaavaitdaignéluiconsacrerdutemps!GodricavaitessayédeconvaincreMegde faireunepromenadedansSpringGardens, l'undes plus beaux jardins publics de Londres,maismême la promesse d'admirer de superbesfleursexotiquesn'avaitpudissuadersafemmedeluifairegarderlachambre.Durantcesdeuxsemaines,Godricn'avaitpasétéenmesured'honorerlepacteconcluavec
lajeunefemme.Sonpoignetcassél'avaittropfaitsouffrirpourluidonnerl'enviedumoindreexercicephysique.Maintenant,ilsesentaitpresquerétabli.Avecunpeudechance,ildevraitpouvoir reprendre rapidement ses activitésdeFantôme.Et il pourrait sansdoute rejoindreMegdèscesoir...Uniquement,biensûr,pours'acquitterdesondevoirmatrimonial.Godricfronçalessourcilsdevantlepamphletqu'ilavaitdéjàludeuxfois,sansêtrecapable
d'enretenir lemoindremot.L'honnêtetéluicommandaitdereconnaîtrequ'ilavaitenviedesafemme.Ledevoirneleguidaitenrien.Sa Grâce était de retour, un autre chiot dans la gueule. Le petit arborait unmagnifique
pelage chocolat et Godric se demanda qui pouvait bien être le père. La grand-tante Elvinaavait juré ses grands dieux que SaGrâce ne s'était accouplée qu'avec un autre chien de sarace,aupelagepareillementfauve,maisGodricendoutait.
Lapetitemalicieusedisparutdenouveaudans lapenderie.Deuxminutesplus tard,Megentrait elle aussi dans la chambre. Elle portait une robe rose et jaune que Godric ne luiconnaissaitpas.Godricreposalepamphletsurlatableoùilétaitassis.—Ilyadeschiotsdansmonarmoire,dit-il.Megsoupirabruyammentmaisneparutpassurprise.—Jeleredoutais.NousavonsessayédecantonnerSaGrâceàlachambredelagrand-tante
Elvina,maiselle s'entêteàpromenerseschiotspartout.Lasemainedernière,MmeCrumblesadécouvertsdansunplacarddesacuisine.SaGrâceressortitdelapenderie,contournaMegetdisparutdanslecouloir.Megallajeteruncoupd'oeilparlaporte.Voulait-elleselanceràlapoursuitedelachienne
?Godrics'alarmaàl'idéequelajeunefemmelequittedéjà.—C'estunenouvellerobe?demanda-t-il,pourtenterdelaretenir.—Oui,assuraMeg,avecungrandsourire.Nousavonsreçuaujourd'huinotrecommandeà
la couturière, expliqua-t-elle, en lissant ses jupes. Elle te plaît ? J'avais des doutes pour lejaune.C'estunecouleurdifficile,quivousdonnefacilementmauvaisemine.—Passurtoi,réponditGodric,sincère.Ellerositdeplaisir.Unemèches'étaitéchappéedesonchignonetretombaitavecélégance
sursanuque.Godricbrûlaitd'envied'arrachertouteslesépinglesdesacoiffurepourvoirsescheveuxcascaderdanssondos,pouvoirlescaresseretyenfouirsonvisage.—Tuestrèsbelle.—Merci,dit-elle,enplongeantsonregarddanslesien.SaGrâce revint avec son troisième et dernier chiot dans la gueule et elle se dirigea tout
droitverssanouvellecachette.Godricsourit.—Tudevraisfermerlaportedemachambre,qu'ellenelesdéménagepasunenouvellefois.Megjetaunregardhésitantàlaporte.—Jedevraistelaissertereposer.—Jeme suis assez reposédepuisdeux semaines. Jepeux supporterunpeudeprésence
humaine. N'as-tu pas envie de tenir compagnie à un invalide ? ajouta-t-il, l'air triste etabandonné.Godricsedemandas'iln'enavaitpasfaitunpeutrop,carelleluilançaunregardétrange.
Maiselleallafermerlaporteducouloir.—Jevaisapprocherunfauteuildulit,proposa-t-elle.—Netedonnepascettepeine.Assieds-toidirectementsurmonlit.Elleinspectalelitd'unregardsoupçonneux.Godricsereleva.—Enfait,jecroisquejevaist'yrejoindrepourunepetitesieste.Elletransférasonregardsoupçonneuxsurlui.—Unesieste?—Hmm.Il s'approchad'elle enprenant gardeànepas fairedegestesbrusquesquipourraient lui
donnerl'alarme.—Unesiesteconsisteàs'allongerenmilieude journéepourdormirunpeu.Tuasdûen
entendreparler?—Jenesuispassûrequetucherchesàdormir,marmonna-t-elle.
Ilétaitarrivédevantelle.Desamaindroite, ilôtauneépingledesonchignon.Quelquesmèchess'enéchappèrentimmédiatement.—Peut-êtrequenon,eneffet.Maistuaspeut-êtred'autresidéespourpasserletemps?—Godric...Deuxautresépinglestombèrentsurleplancher.—Hmm?Ellefronçaitlessourcils,inquiète.—Tun'espasencorecomplètementrétabli.Illuisourit.—Alors,tuserasobligéedefairepresquetoutletravail.Megécarquillalesyeux,médusée.ElleétaittellementirrésistiblequeGodrics'emparadeseslèvres.Celafaisaitsilongtemps!
Aussitôt,touteslestensionsaccumuléescesderniersjours,etdontiln'avaitpasconscience,disparurent.Safemmelevalesmainspourlesnouerautourdesoncou,maisGodricrompitleurbaiser
et seplaçaderrièreelle. Ilachevad'ôter lesépinglesqui retenaientencorecequi restaitdeson chignon.Toute lamasse, superbe, de sa chevelure se répandit glorieusementdans sondos.—Godric?Godricsoulevasescheveuxavecsamainpourlaisserfiltrer lesrayonsdusoleilcouchant
quientraientparlafenêtre.—Que...Quelgenrede«travail»attends-tudemapart?Ilsouritdanssondos.—Ehbien,parexemple,tupourraismedéshabillerpourcommencer.—Ohoui,biensûr.Elle se retourna et Godric lâcha ses cheveux. Son avant-bras gauche était toujours
maintenuparuneattelle,cequil'obligeaitàporter,dececôté-ci,sesmanchesdevesteetdechemiseremontées jusqu'aucoude.Meg l'aidaà libérersonbrasdroitdesaveste,avantdefaireglisserelle-mêmelevêtementsursonbrasblessé.Elleseconcentraitsursatâcheavecunadorablepetitfroncementdesourcilsetleboutdesalanguepointaitentreseslèvres.Le spectacle était trop tentant. Alors qu'elle commençait de lui déboutonner son gilet,
Godricsepenchapourluimordillerlalèvreinférieure.Elleclignalesyeux.—Tu...tumedistrais.—Jem'excuse.Elles'esclaffa.Aprèslegilet,quiallarejoindresavestesurundossierdechaise,elles'attaquaauxboutons
de la chemise. La pièce était silencieuse, excepté les petits glapissements des chiots enprovenancedelapenderie.Godricavaitdéjàuneérection,maisilvoulaitprendresontemps.Ilauraitpupasserdesheuresàadmirersafemmeetlamyriadedémotionsquiselisaientsurson visage.Meg irradiait debonheur.Quand elle le quitterait - parcequ'elle le quitterait -,commentpourrait-ilretourneràsonancienneexistence?Ceseraitcommevouloirvivresanslalumièredusoleil.Godricpréférachassercetteperspectivedesonesprit.Ilpréféraitseconcentrersurl'instant
présentetamasserdessouvenirsqu'ilpourraitensuiteconvoquerquandlasolitudeluiserait
insupportable.Lachemisetombaparterre.Dèsqu'ilfuttorsenu,Megluicaressaletorse.—Tuesbeau.Godricfaillitéclaterderire.Ilnes'étaitjamaistrouvébeau,maissicelaplaisaitàMegdele
prétendre,iln'allaitpaslacontredire.Desdoigts,elle lui titillauntétonet iln'eutplusenviederire.Puis,quandelleapprocha
seslèvresdupetitboutonérigé,ilneputretenirungrognement.Megrelevalesyeux.—Tuaimesça?demanda-t-elle.Etcomment!Godrichochalatêteetlajeunefemmeluiléchal'autretéton,tandisqu'ellecaressaitavec
sonpouceceluiqu'ellevenaitd'abandonner.Godricrenversalatêteenarrièreetfermaàdemisespaupièrespourmieuxs'abandonner
auplaisir.Mais elle s'arrêtabientôtpour continuerde ledéshabiller. S'agenouillantdevantlui,elleluiôtaseschaussonsetchaussettes,avantdecommenceràluidégrafersonpantalon.Godricdéglutitpéniblement.Laposturede la jeunefemme, l'innocencedesabouche,alorsmêmequ'ellesetrouvaitàquelquescentimètresdesonsexe,avaientdequoil’émoustiller.Elle dût s'apercevoir de son trouble, car elle se figea un instant et leva les yeux pour
accrochersonregard.Puisellerepritsatâche.Etsonmembresurgittoutàcoup,demanièrepresqueobscène,parlabraguetteouverte.Godricretintsonsouffle,carMegparutvouloirapprochersabouche.Maiselle se redressapresqueaussitôtet lui jetaunregardsardonique,avantdes'asseoir
surleborddulit.Godriclaregardasedévêtir.Elleprenaitsontemps,cequirendaitlespectacled'autantplus
érotique.Elle commençapar le fichudegazequidrapait ses épaules etplongeaitdans sonbustier.Puiselleôtasesescarpinsetellefitroulersesbassursesjambes.Godricl'avaitdéjàvueentièrementnue,pourtantlavisiondesesdélicateschevillesluicoupalesouffle.Ilsecaressaitlemembre,attendantlasuite.Lajeunefemmeserelevapourdégrafersonbustier.Sarobeétaittrèssimple,aussiétait-
ellecapabledel'enleverelle-même.Bientôt,levêtementglissaàsespieds.Sonpantysuivitlemêmechemin.Godricsecaressaittoujours.Elle ne portait plus que sa camisole. Mais elle s'interrompit un instant pour regarder
Godricsedonnerduplaisiravecsamain.Dèsqu'elleposalesyeuxsursonmembre,ilsentitsonérectiondurcirencore-sic'étaitpossible.Finalement,ellefitpassersacamisolepardessussatêteetseretrouvanuedevantlui,telle
unenymphetraquéeparunsatyre.Sesseinsgonfléspointaient,sonventrelaiteuxseperdaitdanslescourbesvoluptueusesdeseshanches.Godricimprimacetteimagedanssonesprit,priantpournejamaisl'oublier.—Viens,dit-il, en s'asseyantà son tour sur leborddu lit. Ici,précisa-t-il, enécartant les
jambespourqu'elleseplaceentresescuisses.Il lui saisit délicatement la nuque, pour l'obliger à pencher la tête, et il s'empara de ses
lèvres.Elles'offritavecavidité,etGodricpouvaitsentirsesseinssefrottercontresontorse.Ilessayadel'enlacer,avantdeserappelersoninfirmité.Ilrompitleurbaiser.
—Assieds-toisurmoi.Elleparuthésiter, etGodric compritque sonRogern'avait jamaisdû laprendrede cette
manière-sansdouteparcequ'ilsn'avaientpassuffisammentpassédetempsensemble.Godricseréjouitd'êtrelepremieràl'initieràcetteposition.Finalement,comprenantcequ'illuiréclamait,ellenouasesbrasautourducoudeGodric
et s'assit à califourchon sur ses cuisses, face à lui. Puis elle souleva les hanches pour queGodric,desamainvalide,puisseguidersonmembreverssaféminité.—Etmaintenant,luidit-il,àtoidejouer.Elleleregarda,lesyeuxétrécis,avantdelaisserretombersonbassinpouremprisonnerson
membre.Puis elle commença d'onduler sur lui, en prenant son temps, comme si elle cherchait le
meilleurangle.UnetorturepourGodric!Uneexquisetorture,maisunetorturetoutdemême.—Plusvite,lapressa-t-il,n'ytenantplus.—Commeça?Etellesemitàlechevauchercommeuneamazonetriomphante.Godricluipritunemainpourlaguiderversl'endroitoùleursdeuxcorpsétaientjoints.—Caresse-toi.Etellesecaressaenmêmetempsqu'ellelechevauchait.Godricdutfaireappelàtoutesavolontépournepas jouirtoutdesuite, tantcespectacle
l'excitait.—C'estbon,hein,chérie?disait-il,pourl'encourager.Tuaimesça?Hein,quetuaimeste
donnerenspectacledevantmoi?Regardecommenttumouilles!La crudité de ses paroles la fit jouir. Elle écarquilla les yeux, cambra les reins et laissa
échapperunlongrâledeplaisir.Godriclasuivitdansl'instant.
16
Le grand étalon noir redescendit le pic des Murmures par l'autre versant et Foi vit sedessinerdevanteuxuneimmenseplainequis'étendaitjusqu’àl'horizon.«Est-celàl'Enfer?» demanda-t-elle à l'Hellequin. Il secoua la tête. « C'est la plaine de la Tristesse. Il nousfaudra deux jours pour la traverser. » La jeune femme frissonna et se pressa contrel'Hellequin,carmêmesonmanteaunesuffisaitplusàlaprotégerdufroidmordant.Baissantlesyeux,elleremarquaalorsd'étrangesvolutesquisemêlaientàlapoussièredusol.[...]
op.cit.—Monsieur.LavoixdeMoulder,àpeineplusfortequ'unmurmure,suffitàréveillerGodric.Ilouvrit lesyeux.Sachambreétaitplongéedanslenoir.Maissondomestiquetenaitune
chandelle.Etilétaitenpeignoir.C'étaitdonclanuit.Moulderluiindiquad'ungestelaportedonnantsurlecouloir.GodricremontalescouverturessurMegetseglissadoucementhorsdulitpournepasla
réveiller.Puisilenfilasonpantalonetsonpeignoir,avantdesuivreMoulder.—Quesepasse-t-il?s'enquitGodric,dèsqu'ilsfurentdanslecouloir.—M.Makepeace est ici, expliquaMoulder. Et il insiste pour vous parlermalgré l'heure
tardive.Godric ne voyait qu'une seule explication à la visite en pleine nuit du directeur de
l'orphelinatdeSaint-Giles.—Conduis-moi.Ils descendirent l'escalier en silence jusqu'au rez-de-chaussée, puis Moulder entraîna
Godricverslebureau,oùlesattendaitMakepeace.—Pardonnez-moide vousdéranger à cetteheure indue, Saint-John, commença-t-il, avec
un regard pour Moulder, resté près de la porte refermée. Ne pourrions-nous pas nousentretenirenprivé?— C'est inutile, répondit Godric, en désignant deux fauteuils. Moulder est dans la
confidence.Ilattenditquesonvisiteursoitassispourl'imiter.—Danscecas,repritM.Makepeace,j'iraidroitaubut.Alfm'aappristoutàl'heurequ'elle
avaitpulocaliserledernieratelier.Godricserelevaaussitôt.Ilenlevaitdéjàsonpeignoir.—Aide-moi,Moulder.Ilfautmedébarrasserdecetteattelle.—Est-cebienraisonnable?s'inquiétaMakepeace,lesyeuxrivéssurlebrasimmobilisé.—Nousn'avonspasuneminuteàperdre, répliquaGodric.Alfpourraitessayerdesauver
touteseulesacamarade.Àmoinsquevousneréussissiezàconvaincre le troisièmed'entrenousdesauvercesenfants?CommeMakepeacefronçaitlessourcils,Godricsecoualatête:
—Vous voyez bien, nous n'avons pas le choix. Je dois y aller.Mon poignet est presqueguéri.SiMoulderpouvaitmeconfectionnerunbandage...—Godric?Lestroishommessetournèrentvers laporte.Megvenaitd'entrer,sescheveuxencadrant
son beau visage, unemain à sa gorge pourmaintenir les pans de son peignoir. Godric endéduisitqu'elleneportaitrienendessous.Ellerefermalaportederrièreelle.—Quesepasse-t-il,Godric?Moulderavaitsortiuncoutelas,maisrestaitfigé.Godricluipritl'instrumentdesmainset
essayadetrancherlui-mêmelesliensdesonattelle.—Jedoissortir.Makepeaceserelevaàsontour.—Puis-jevousaider?GodricluitenditlecoutelasetMakepeacetranchalesliensavecdextérité.—EnFantômedeSaint-Giles?murmuraMeg.—Oui,confirmaGodric,lesyeuxrivéssurlalamequemaniaitMakepeace.Megseprécipitaverslui.—Godric, c'est de la folie ! Tonpoignet va se briser une deuxième fois et dieu sait si le
docteurparviendracettefoisàlerétablir.Commeilnerépondaitpas,ellereportasonindignationsurMakepeace:—Pourquoil'aidez-vous?Makepeaceécarquillalesveux.—Je...—Parcequejesuisleseulàpouvoirintervenir,réponditfinalementGodric.Meg ignorait que Makepeace avait été Fantôme et de toute façon, cela n'avait pas
d'importance : Makepeace avait solennellement juré à sa femme, en l'épousant, qu'il neporteraitplusjamaislemasqueduFantôme.—Desfillettessontendanger,Meg,ajoutaGodric.Ellefermalesyeux,commesielleétaitenproieàunconflitintérieur.— Peux-tume promettre que ce sera la dernière fois ?Que tu cesseras ensuite d'être le
Fantôme?Makepeacetranchaledernierlienetlesdeuxplanchettesformantl'attelletombèrentsurle
sol. Godric inspecta son avant-bras. Il avait désenflé, mais de vilaines taches violettess'étaientforméesàsonpoignet.Iln'osapasfermersonpoingpourtestersesréactions.Moulderseservitd'uneanciennepairedebaspourluiconfectionnerunbandageserréqui
montajusqu'àsoncoude.—Godric?—Non,répondit-il,sansmêmelaregarder.Jenepeuxpas.—Alors,promets-moiaumoinsderevenirsainetsauf.Ilnepouvaitpasdavantageleluipromettre,etellelesavaitparfaitement.Maisilrépondit
néanmoins:—Jetelepromets.Ellen'insistapasdavantage.Godricentendit laportedubureauserefermerderrièreelle.
Makepeaces’éclaircitlavoix.—Peut-êtrequesij'alertaislesdragons...
— Non. Trevillion mettrait des heures à donner son accord - à supposer que vousréussissiezàleconvaincre-etencoreautantdetempspourmobiliserseshommes.Voulez-vousprendrelerisquequel'atelierdéménageunenouvellefois?Ouqu'ilstuentlesenfantspoursedébarrasserdetémoinsgênants?Makepeacetressaillit.—Non,biensûr.Moulderavaitterminélebandage.Godricbougeasonbras.L'essentielseraitdes'épargner
desmouvementstropbrusques.—Danscecas,laissez-moifinirdemepréparer.— Très bien, acquiesçaMakepeace. Ensuite, nous chercherons unmoyen de distraire le
dragonquisurveillelamaison.—Ilesttoujourslà?—Oui.Etilm'avuarriver.Godric médita là-dessus, pendant que Moulder lui enfilait sa tenue de Fantôme. Cinq
minutesplustard,Godricétaitfinprêt.—Suivez-moi,dit-ilàMakepeace.Godric éteignit les chandelles du bureau et vint se planter devant la porte-fenêtre qui
donnaitsurlejardindeSaintHouse.Ilattenditquesesyeuxsesoienthabituésàl'obscuritépourinspecterlesalentours,maisilnerepérapersonne.SiTrevillionétaitassezfortpoursecacherdanssonproprejardin,alorsc'estqueGodricméritaitdesefairearrêter.Il ouvrit doucement la porte-fenêtre et se glissa dehors, suivi comme son ombre par
Makepeace. Le directeur de l'orphelinat avait peut-être raccroché sonmasque de Fantômedepuisplusdedeuxans,iln'avaitpasperdulamain.Levieuxpommierdressaitsasilhouettemacabreaumilieudujardin.Arrivéàsahauteur,
GodricsedemandaquandMegfiniraitparadmettrequ'ilétaitmort.Mais il se refusa de penser davantage à son épouse. Il avait besoin de toute sa
concentration,s'ilvoulaitsurvivreàcettenuit.Iltraversalejardinjusqu'aumurquileséparaitdesbergesdelaTamise.L'archedepierre,
ferméed'unegrille,permettaitd'accéderaufleuve.Godricouvritlagrillesansunbruit.MerciàcecherMoulderquiprenaitsoind'huilersesgondsunefoisparmois.— C'est l'un des avantages d'habiter une vieille maison londonienne, lança-t-il à
Makepeace,endésignantlefleuvequidormaitàleurspieds.Lagrilledonnaitsurunevoléedemarches,prolongéesparunpontonauquelétaitamarrée
unebarque.Godrics'installalepremierdansl'embarcation,puisattenditqueMakepeacel'aitrejoint pour détacher la corde d'amarrage. Après quoi, il se servit de son bras droit pourmanœuvrerunerameafind'éloignerlabarquedupontonetlafaireglisserlelongdufleuve.Ilsn'allèrentpasbienloin.Godrics'arrêtaaupontonsuivantpouryamarrerlabarque.— Vous ne pourrez plus vous servir de cette ruse, observa Makepeace, alors qu'ils
remontaient sur la berge. Trevillion est malin. Il comprendra vite comment vous lui avezfaussécompagnie.Godrichaussalesépaules.—J'essaieraideneplusempruntercetteroute.Aumoinspourunmoment.Il sentait le regarddeMakepeacepesersur lui, tandisqu'ilsavançaientdans ledédalede
rueslongeantlefleuve.— Ce n'est pas une existence qui convient à un homme marié, commenta finalement
Makepeace.
— Je suis marié depuis deux ans, lui rappela Godric, qui ne voulait plus penser auxreprochesdeMeg.Ilss'arrêtèrentprèsd'uneéchoppedecordonnier,letempsdelaisserpasserunveilleurde
nuitquifaisaitsaronde.—Maisvousviviezséparément.Votrefemmen'estrevenuequetoutrécemmentàLondres,
sijenem'abuse?—Oui,etalors?Makepeacehaussalesépaules.—J'auraispenséquevousprofiteriezdecechangementpourrenoncerauFantôme.—Etlaissercesenfantssouffrirlemartyre?C'estbiencequevousmeproposez?—Non.Maisdansdescascommecelui-ci,lesdragonspourraients'avérertrèsefficaces.Il
suffiraitdepasserl'informationàTrevillion.Godrics'esclaffa.—VouscroyezqueTrevillions'intéresseraitàdesenfantsemployéscommeesclaves?—Jepensequ'iln'estpasaussivainquevouslepensez.Godrichaussalessourcils.—Qu'est-cequivousfaitdirecela?Makepeacehaussaencorelesépaules.—Uneintuition.—Uneintuition?Pardonnez-moi,maisjenemefiepastropauxintuitions.IlsmarchaientviteetapprochaientdéjàdeSaint-Giles.Godrictirasonépéeparprécaution.—Commevousvoudrez,soufflaMakepeace.Maisn'oubliezpasquesirStanleyGilpinn'a
jamaisattendudenousquenousnousengagionsàviedanscettequêtedejustice.Godrics'arrêtanet.Ilsn'avaientjamaisprononcélenomdesirStanleyentreeux.Enfait,
avantqueWinterneparleàGodricdesKidnappeurs,ilsn'avaientmêmejamaisévoquéleuractivitécommune.Makepeaces'étaitarrêté,luiaussi.—J'aibeaucouppenséàsirStanley,cesdernierstemps,avoua-t-il.Godric se sentait brusquement mal à l'aise. Sir Stanley avait été pour lui un père, plus
encorequesonvraipère.L'évocationdecethommeluidonnaitpresqueenviedepleurer.—Pourquoidonc?Makepeace leva les yeux vers le ciel nocturne. La lune était cachée par les toits des
immeubles.—Jemedemandecequ'ilpenseraitdenouss'ilnousvoyaitaujourd'hui.Devotreconduite
presquesuicidaire,del'obsessiondenotretroisièmecomparse,demasolitude,jusqu'àcequemon épousem'en libère. Je ne pense pas qu'il aurait voulu de cela pour nous. Sir Stanleyaimaitlavieetilaimaits'amuser.N'oubliezpasqu'iladoraitlethéâtre.Pourlui,cettehistoiredeFantômeétaitd'abordunjeu.Unebonnefarce,quineméritaitpasqu'onmeurepourelle.Jenepensepasqu'ilseraitfierdenousvoirrisquernotrevie.—Ilnousacréés,maisensuite,toutecréaturepoursuitsespropresmotivations.Iln'aurait
paspuêtreétonnéquenousfassionsunusagepersonneldesonenseignement.—Peut-être,concédaMakepeace.Maisvousdevriezquandmêmeyréfléchir.Pourtouteréponse,Godricpressalepas.Ilsn'étaientplustrèsloindel'orphelinat.Cinqminutesplus tard, ilsapercevaient leperronfamilier,encadrédesesdeux lanternes
toujoursallumées.Godricralentitl'allure.—OùestAlf?
—Ellenousattendparici.Ellenevoulaitpasentreràl'intérieur.Il n'avait pas fini sa phrase qu'Alf surgit de l'ombre, avec une telle rapidité que Godric
n'auraitpassudireoùellesecachait.LajeunefilleavisalebrasbandédeGodric.—Vouscroyezquevouspourrezvousbattre?Godrichochalatête.—Alors,suivez-moi.—Bonnechance,leurlançaMakepeace,d'unairsinistre.Alf ouvrit le chemin à travers les rues de Saint-Giles.Elle n'essayapas de passer par les
toits,cedontGodric lui futreconnaissant.Ilpensaitpouvoirsebattred'uneseulemain,enrevancheiln'avaitaucuneenviedegoûteràl'escaladepourcesoir.Ilsempruntaientuneruelledébouchantdansunecourette,quandAlfs'immobilisa.—Ilsdéménagentlesenfants!s'exclama-t-elle.GodricpoussaAlfdecôté.Silesenfantsétaientencoredéplacés,leFantômemettraitsans
doutedessemainesavantderetrouverleurtrace.Unhomme,detouteévidenceungarde,accompagnaitunefemmequisortaitdeuxfillettes
d'unecave.Deuxautresfillettesattendaientdéjàdanslacourette.Godricsejetasurlegardesansunbruit.L'hommen'eutpasletempsderéagirqueGodric
l'avaitdéjàassomméd'uncoupdepommeaudesonépéesurlatempe.La femme poussa un cri strident et deux autres hommes surgirent aussitôt de la cave.
Heureusement, laporteétaitsiétroitequ'ilsnepurentpasserque l'unaprès l'autre.Godricleurréglasuccessivementleursortaveclalamedesonépée.Puisilsetournaverslafemme,aucasoùellevoudraitl'attaquer,maiselles'étaitréfugiéeà
l'autreboutdelacouretteaveclesfillettes.L'uned'ellespleurait,maislesautresétaienttroppétrifiéespourfairelemoindrebruit.Godricentenditunbruitdepasdanssondos.Ilseretournajusteàtemps:unquatrième
gardesortaitdelacave.Etcelui-ciavaituneépée.Godricparalecoup.Lesdeuxlamess'entrechoquèrent,avantdeseséparer.Godricrecula
d'unpaspourjaugerlasituation.Laloin'autorisaitquelesaristocratesàporterl’épée.MaisGodricnepouvaitvoirlestraitsdesonadversaire:ilportaituntricornetombantbassursonfrontetunfoulardnouéàsoncouluimasquaitlebasduvisage.Detoutefaçon,Godricn'eutpasletempsd'essayerdepercersonidentité:sonadversairele
chargeait de nouveau. Avec une redoutable habileté. L'habileté d'un homme « habitué » àmanierl'épée.Godric savait que s'il reculait d'unpas supplémentaire, il se retrouverait acculé contre le
murdelacourette.Ilfeignitdoncdesejeteràgauche,maisbonditàdroitepourviserleflancdesonadversaire.Celui-ci réagitdenouveauavecunestupéfiante rapidité.Lapointede salame ripa sur lebrasdroitdeGodric, cisaillantnettement lamanche.Godric sentit le sangcoulersursapeau,maisl'entaillenedevaitpasêtreprofonde,carilpouvaittoujoursseservirdesonbras.Ilchargea,visantsonadversaireàlatête.Celui-cifutobligédeserenverserenarrière pour parer le coup. Le foulard glissa alors sur son menton et Godric put voirpleinementsestraits.Maissonredoutableadversairenes'avouaitpasvaincu.IlbonditàladroitedeGodricqui
neréussitàparerlecoupqu'aveclecôtédesalame.Déséquilibré,ilallabutercontrelemur
delacourette,oùsonbrasgauches'écrasadouloureusement.Son adversaire en profita pour s'enfuir dans la ruelle. Godric voulut se lancer à sa
poursuite,maissonbrasgauchelefaisaitatrocementsouffrir.EtilsesouvintdesapromesseàMegderentrersainetsauf.Aumoins,ilétaitsauf.Il se retourna vers les enfants. Alf s'était agenouillée devant une fillette rousse et elle
essuyaittendrementseslarmes.Godricéprouvaàcespectacleunepointed'allégresse.Ilavaitbeauserépéterquetousles
enfantsétaient sauvésetquec'était là l'essentiel, ilnepouvait totalementse réjouir.Car ilavaitvulevisagedesonadversaire,decethommequin'hésitaitpasàréduirelesenfantsdeSaint-Giles en esclavage,mais qui avait réussi à s'enfuir. Et Godric savait que cet hommeétaitpratiquementintouchable.Ilnepourraitjamaisledéférerenjustice.Carl'escrimeurémériten'étaitautrequelecomtedeKershaw.Godricétaitencoreblessé!Megsursautaenvoyantsonmarientrerdanssachambre,unbandagecouvrantsonbras
droittandisquesamanche,déchiréeetensanglantée,pendaitdanslevide.DepuisledépartdeGodric,Megl'avaitattenduici,danssachambre,àfairelescentpassanspouvoirtrouverlerepos.MoulderlesuivaitetGodricluidisaitquelquechose,maisMegsortitdesesgonds.—Laissez-nous!lança-t-elleaudomestique,sansmêmepouvoirsemontrerpolie.Moulderluijetaunbrefregardets'éclipsa.Godric ne semontra pas aussi coopératif. Ilmarmonna quelque chose à propos d'une «
estafilade de rien du tout », dont « Moulder s'était déjà occupé ». Croyait-il sincèrementqu'ellen'avaitpasremarquésonbrasgaucheinerte?Elleavaitenviedelefrapper.Aulieudequoi,ellepritlevisagedesonmarientresesmainsetsehaussasurlapointedes
piedspourl'embrasseravecfougue.Maisquandilvoulutl'enlacer,ellerompitleurbaiseretdésignalespansdéchirésdesoncostumed'Arlequin.—Tum'asmenti!—Jesuisrevenusauf,fit-ilvaloir,d'unevoixquisevoulaitconciliante.Aumoinsnecherchait-ilpasàfairecroirequ'ilnecomprenaitpaslaraisondesacolère.—J'avaisdit«sainetsauf»!— Meg... commença-t-il, sans doute avec l'intention de lui débiter quelque excuse
typiquementmasculine.MaisMeglepoussasansménagementdansunfauteuil.Ellesavaitqu'ellen'étaitpasassezfortephysiquementpourlemanipuleràsaguise.Sarage
l'aveuglait,maispasaupointdeluiégarerlaraison.Ilselaissaitfaireetc'étaitdéjàheureux.Etonnement,celal'énervaencoreplus.Elles'agenouilladevantluietluiécartalescuisses.Ilécarquillalesyeux.End'autresoccasions,elleenauraitretiréunecertainevanité.Depuis
desannéesqu'ilétaitleFantômedeSaint-Giles,plusgrand-chosenedevaitétonnerGodric.—Que...Meg tira sur la culotte de sa tuniqued'Arlequin, pour libérer sonmembre, déjà àmoitié
érigé.
Ellelepritenmain,avantdeleverlesyeuxverssonvisage.—Jesuistrès,«très»encolèrecontretoi.Et là-dessus, elle approcha sonmembre de sa bouche.Meg ne l'avait encore jamais fait,
bien qu'elle en eût souvent eu envie. Mais elle était trop pudique pour s'y risquer. Ellecraignaitqu'ilnelaprennepourunefemmelégère.Ousimplement,qu'iln'aimepascela.Maisàprésent,ellesemoquaitbiendetoutessesréticences.Ellefitcourirunetraînéedebaiserssurlesexegonflé,avantdelelécheràpetitscoupsde
langue.Illaissaéchapperungrognement.Meg voulait lui dire de ne plus jamais retourner dans Saint-Giles. Qu'elle trouverait
l'assassin de Roger toute seule. Qu'elle ne supportait plus de le voir revenir couturé departout.Mais elle lui avait déjà dit tout cela par le passé, et il n'avait rienmodifié de seshabitudes.Ellecomprenaitàprésentqu'ellenepouvaitpasl'obligeràchangerd'existence.Ilneluipermettraitpasd'alleraussiloin.Enrevanche,illuiautoriserait«cela».Elle referma ses lèvres sur son gland rougi et leva de nouveau les yeux vers lui pour le
regardercommeill'avaitfaitlapremièrefoisoùilavaitgoûtéàsaféminité.Savergeréponditpourlui:ellesedressaavecencoreplusdevigueur.Megsourit,satisfaite,etellecommençaàlesucer.Ilsemorditlalèvreetcontinuadelaregarderfaire.Plustard,elleauraitsansdouteunpeuhontedesonaudace.Maispourl'heure,ellevoulait
profiterdelalibertéqu'illuioctroyait.Auboutd'unmoment,cependant,ils'agitasursonsiège.—Meg...gémit-il,tendantunemainverselle.Megn'enavaitpasterminé.Ellerepoussavivementsamain.—Bonsang,Meg!Ensuite, tout se passa très vite : devinant qu'il ne se laisserait pas faire, Meg eut un
mouvementderecul.Maisellenefutpasassezrapide.Godricluisaisitunbras.Megvoulutsedébattre,bienqu'ellelesûtblessé.Unecourteluttes'ensuivit,àl'issuedelaquelleMegseretrouvasurlelit,plaquéesurleventre,Godricl'écrasantdetoutsonpoids.Ellel'entendaitrespirerbruyammentcontresonoreille.Elleattendit,certainequ'ilallaitla
retournerpourqu'elleseretrouvefaceàlui.Pasdutout.Illamaintintdanscettepositionetentrepritdeluiretroussersonpeignoiret
sachemisedenuit.Megretintsonsouffle.—Nebougepas,luiintima-t-il.Elleavaitlesfessesàl'air.Etellepouvaitsentirsonmembrepalpiterentresescuisses.D'unemain, ilpressadoucement,mais fermement, lesépaulesdeMegcontre lematelas,
tandis que de l'autre il lui soulevait les hanches. Elle se retrouva cambrée, les jambeslégèrementécartées,offerteàsonbonplaisir.Et il lapénétra.Sonmembresemblaitencoreplusgrosdanscetteposition.Ellemouillait
déjàetsentaitchaquecentimètredesavergequis'enfonçaitenelle.Elles'agrippaauxdraps.Godriccontinuaitdelapénétrertrèslentement,avecdesgrognements,commes'ilvoulait
imprimerlepassagedesonsexesurseschairs.PuisilpoussaunedernièrefoisetMegsentit
l'étoffedesesculottesd'Arlequinsepressercontresesfesses.Ils'immobilisa,lebruitdesarespirationemplissantlesilencedelapièce.Megéprouvaitundélicieuxsentimentdefélicité..Alorsmêmequ'iln'avaitpascommencéà
semouvoirenelle.Comme il tardait, elle cambra un peu plus les hanches et sentit sonmembre se presser
contresesparoisintimes.Ils'esclaffa.—Petitecoquineimpatiente!Ellevoulut tourner la têtepour lui faire lamoue,mais il choisitprécisémentcemoment
pourluidonnerunviolentcoupdereins.—Oh...gémit-elle,enfermantlesyeux.—Tuaimesça,hein?Incapable de parler, Meg hocha la tête. Il la pénétrait maintenant sans relâche et elle
prenaitunplaisirperversàsecambrerlepluspossiblepours'offrirà luidanscettepostured'absoluesoumission.Auboutd'unmoment,ellepassaunemainsoussonventre.—Tutecaressesleclitoris?murmura-t-ilàsonoreille.Megavalasasalive.—Ou...oui.—BonDieu!grommela-t-il.Etill'obligeasoudainàs'allongercomplètementsurlematelas,l'écrasantdetoutsonpoids
tandisqu'ilaugmentaitlerythmedesesva-et-vient.Megcroyaitvoirdesétoilesdanserderrièresespaupièrescloses.Sajouissanceluiparutsi
intensequ'elleen futpresquedouloureuseetellepoussaungrandcridans le silencede lanuit.Il continuade lapénétrer, alorsmêmequ'il avait joui enelle, commes'ilnevoulaitplus
s'arrêter.Finalement,ils'écroulasurelle,pantelant.Ducoinde l'œil,Meg le vitbouger sonbrasdroit, celuiquiportaitunnouveaubandage,
poursesaisirdesamainetl’étreindre.Elleauraitpurestéedesheuresdanscetteposition.
17
«Voyez-vousces formesprisonnièresdusablede laplainede laTristesse?»murmuraDeuil. Il avait été témoin du sort de ses deux compagnons, aussi seméfiait-il de la jeunefemme, mais il n'avait pas pu résister à l'envie de la lénifier. « Que signifient-elles ? »demandaFoi,quifrissonnaitdepeur.«Cesontlesâmesdetousceuxquisontmortsfous»,expliquaDeuil,avecunsouriresatisfait.«Ellesresterontdanscettepoussièrejusqu'àcequ'iln'yaitplusaucunhommepourfoulerlasur)'acedelaterre.»[...]
op.cit.Sil'enferexistaitsurterre,ArtemisGreavess'yprécipitaittoutdroit.Sessoulierscrissaient
surlegravierdel'allée.Ellevenaitdefranchirunegrilleimposanteetdevantellesedressaitlafaçadebaroqued'unesuperbedemeure.Descolonnescorinthiennesd'unblancimmaculéencadraient le porche couronné d'un dôme, lui-même orné d'une grande pendule dont lecadran marquait l'heure en chiffres romains gravés à l'or. Une statue, elle aussi dorée,représentantunefigureféminine,coiffaitledôme.Artemisseprésentadevantlaported'entrée.Ellefrissonnait.Lamaisonétaitpeut-êtresomptueuse,ellen'enrestaitpasmoinslademeuredudiable.Elle passa le guichet et paya son entrée, bien qu'elle ne fût pas là pour une visite
touristique.Ledômeabritaitungrandvestibuleduquelpartaientdeuxgaleries,l'uneàdroiteet l'autre à gauche. Il était encore tôt et les visiteurs étaient rares, mais les habitants del'enfer étaient déjà réveillés. Ils gémissaient ou balbutiaient, hurlaient pour ceux qui nesavaientrienfaired'autre.Artemis ignora les deux galeries et traversa le vestibule. Il se terminait par un grand
escalier à deux rampes. Artemis grimpa celle de gauche en serrant le panier qu'elle avaitapportéavecelle.Enhautdesmarches,unautreguichetiersemblaits'ennuyerderrièresoncomptoir.Lorsde
ses précédentes visites, Artemis avait été frappée par sa ressemblance avec Charon, cepersonnagede lamythologiegrecquequi transportait,moyennant rétribution, lesâmesdesdéfuntsverslepaysdesMorts.ArtemispayaàCharonsonécot,undemi-penny,etelleattenditqu'illuiouvreavecsacléla
portedel'enfer.Cequifrappaitd'abord,enentrant,c'étaitl'odeurpestilentielle.Artemisplaquasursonnez
lemouchoir qu'elle avait pris soin d'imprégner de lavande avant de quitter lamaison. Lesoccupants de cette partie du bâtiment étaient tous enchaînés et beaucoup n'étaient pascapablesounesavaientpasseservird'unpotdechambre.Desbox,àpeineplus largesquedes stalles d'écuries, bordaient les deux côtés du couloir. Les vraies stalles d'écuries, elles,étaientpluspropresetsentaientmoinsmauvaisqu'ici.Chaqueboxabritaitunhabitantdesenfers.Artemispassaitdevanteuxenessayantdenepaslesregarder.Elleavaiteutropsouventdescauchemars,parlepassé,aprèscequ'elleavaitvu.
Si l'odeurétait insupportable,enrevanchececouloirétaitmoinsbruyantque lesgaleriesdurez-de-chaussée.D'abord,parceque lesboxyétaientmoinsnombreux.Maisaussi, sansdoute,parcequeleursoccupantsavaientrenoncédepuislongtempsàtoutespoir.Artemis trouva celui qu'elle était venue voir dans le dernier box sur la gauche. Il était
accroupisursapaillassecommeSamsonenchaîné :desbraceletsde fer luimenottaient leschevilles et les poignets.Artemis constata avechorreurqu'il enportaitmêmeunnouveau,autourducou,quiseprolongeaitpareillementparunechaînescelléeaumur.Ainsimenotte,ilnepouvaitnis'allongercomplètement,nisedresserdetoutesahauteur: ilétaitréduitàvivreaccroupi.Ungrandsourire,pourtant,éclairasonvisage,dèsqu'illavitapprocher.—Artemis!Elles'agenouilladevantlui.Sonvisageportaitdescicatricesrécentes.—Quet'ont-ilsencorefait,moncœur?Ilhaussasesmassivesépaules,couvertesd'unechemisesaleetd'ungileteffrangé.—C'estunnouveau régimedebeauté. Ilparaîtque toutes lesbellesdamesde la cour le
suivent.Artemiss'obligeaàsourire,malgrélaboulequiobstruaitsagorge.—Idiot.Tunedevraispasenrire.Ceschaînest'empêchentdefairetoutmouvement.Ilhaussaencorelesépaules.Artemisfouilladanssonpanier.—Jen'aipaspuapportergrand-chose,malheureusement.MaislacuisinièredePénélopea
étéassezbonnepourmedonnerunepetitetourteàlaviande.Elle déballa la tourte du torchon qui l'enveloppait. Il la prit et mordit dedans, mâchant
lentementcommes'ilvoulait fairedurersonrepas.Artemisenprofitapour l'examinerplusendétail,tandisqu'ellecontinuaitdevidersonpanierdesvivresqu'ilcontenait.Levisagedel'homme s'était creusé et, si elle voyait bien, il avait perdu du poids. Une fois de plus. Ilpossédaitlacarrured'ungéantetilavaitbesoindebeaucoupmanger.Malheureusement,ilsnelenourrissaientpasassez.EtcommeArtemisn'avaitpaspuvendrelecollier,ellen'avaitpasd'argentpoursoudoyersesgardiensafinqu'ilsluiréserventunmeilleurtraitement.Ellesortitledernierarticledesonpanier.—Qu'est-cequec'est?demanda-t-il.Elleluisourit,lecœurallègre.—Ça,c'estmoncadeaudujour,etj'espèrequetuapprécierasleseffortsquej'aidéployés
pourl'obtenir.Elle déplia un superbe peignoir de gentleman, rouge foncé. Il cligna des yeux, avant
d'éclaterderire.—Jevaisressembleràunprinceindien,danscetruc!Artemisplissaleslèvrespoursedonnerunairsévère.—C'est l'onclequime l'adonné. Ilne leporteplus.Cepeignoir te tiendrachaud lanuit.
Essaie-le.Artemis l'aidaàenfiler lepeignoir.L'hommeétaitévidemmentunpeuserréauxépaules,
cependant il put quand même le fermer. Et une fois dedans, il ressemblait en effet à unprinceindien.Sauf que les princes indiens ne vivaient pas enchaînés à un mur et accroupis sur une
misérablepaillasse.Ensuite, il insista pour qu'ils partagent un peu de la nourriture qu'elle avait apportée,
comme s'ils pique-niquaient ensemble, insouciants de leur environnement sordide et desgémissementsquitroublaientdetempsàautreleurquiétude.Artemisnepouvaitpass'attarder.Pénélopeavaitdécidédefairedushoppingaujourd'hui,
etArtemisdevraitl'accompagnerpourportersespaquets.Ellerefermasonpanierensilence.Elledétestaitl'abandonner.—Souris-moi,luidit-il,voyantqueseslèvrestremblaient.Tusaisbienquejen'aimepaste
voirtriste.Elle obéit. Puis elle le serra dans ses bras et quitta cet horrible box sans un mot. Elle
reviendraitdèsquepossible,mais sansdoutepasavantunequinzainede jours. Il le savaitaussibienqu'elle,aussiétait-ilinutiledelepréciser.Deretourauguichet,elledonnaàCharontoutelamonnaiequ'ellepossédait,cequin'était
pasbeaucoup.Maisgrâceàcepourboire,elleespéraitquesesgardiensnel'affameraientpastropetqu'ilséviteraientdelefrappertropfortlorsqu'ilferaitunecrise.Avantderedescendre l'escalier,elle jetaunregardaupanneauquisurplombait leguichet
deCharon:«Incurables».Chaquefoisqu'elle levoyait,Artemisenrageait.«Incurables».Cemotrésonnaitcomme
unesentencedemortpoursonfrèrejumeauadoré,Apollo.CarlesincurablesneressortaientjamaisduBethlemRoyalHospital.PluscourammentconnusouslesobriquetdeBedlam-leplusgrandasiledeLondres.Ledocteurarrivadeuxheuresaprèsleurétreintecharnelle.Meginsistapourresterdansla
chambre pendant qu'il examinait Godric. Les hommes parurent trouver sa requête trèsétrange. Godric échangea un regard avec Moulder, tandis que le médecin marmonnaitquelquechoseenfrançais.Megseretintdeleverlesyeuxauciel.Aucunedesfemmesdelamaisonnée ne trouvait déplacé qu'elle veuille rester auprès de son mari, alors qu'il étaitblessé.AprèsavoirôtélebandagequeGodricportaitaubrasdroit,lemédecinsoignasonéraflure,
ladéclarasansgravitéetposaunnouveaubandage.Puisils'intéressaàsonbrasgauche,etlà,Megfaillitavoirunhaut-le-cœur.Elledétournaprestementlatête.Godricluilançaunregarddetriomphequilafitenrager.La jeune femme alla se planter devant la fenêtre. Ah, ces hommes ! Assez courageux et
stupidesenmêmetempspourallerrisquerleurviedanslesruesdeSaint-Giles.Megsemordillal'intérieurdesjoues.Ellenesupporteraitpasdeperdreunedeuxièmefoisunhommequiluiétaitcher.— Ce n'était pas très sage de votre part d'enlever si vite votre attelle, monsieur, dit le
docteur,danssondos.Vousavezeubeaucoupdechancedenepasvousrecasserlepoignet.Meg se retourna, stupéfaite. Elle avait craint le pire, en voyant à quel point le bras de
Godricétaitenflé.—Iln'estpascassé?— Non, confirma le médecin qui replaçait une autre attelle à un Godric parfaitement
détaché.Mais une ecchymose s'est formée là oùM. Saint-John est...malencontreusementtombé.C'était l'histoirequ'ils avaient racontéeaumédecin, etque cedernier faisait semblantde
croire, en dépit de cette estafilade au bras droit, qui était venue s'ajouter à ses autresblessures.
Megsoupiradesoulagement.—Etl'osseressouderaconvenablement?Lemédecinhaussalesépaules.—Sansdoute.AconditionqueM.Saint-Johnn'abusepasdavantage.—J'yveillerai,répliquaMeg,avecdétermination,ignorantleregardironiquequeluilança
Godric.Quand lemédecin eut terminé, quelquesminutes plus tard,Godric semblait visiblement
épuisé. Meg raccompagna le docteur jusqu'à la porte, puis revint vers le lit, où Godric sedébattaitaveclescouvertures.—Quefais-tu?Ilfronçalessourcils.—Tuvoisbien:jemelève.—Non,dit-elle,enplaquantunemainsursontorsepourl'obligeràserallonger.Iln'enest
pasquestion.Ledocteurabienpréciséquetudevaisménagertonpoignetsituvoulaisqu'ilguérisse.Illaregardaavecamusement.Avait-elledéjàoubliéqu'ellenel'avaitpasvraimentlaissése
reposerlorsqu'ilétaitrentré,toutàl'heure?Elles'empourpra.Cependant,ilréponditavecobéissance:—Oui,milady.Megluijetaunregardsuspicieux.Ilparaissaitvraimentépuisé.Soncœurseserra.—Dors,murmura-t-elle.Etelleposaunbaisersursonfront.ÀquelmomentexactementGodricluiétait-ildevenusi
cher?Ilfermalesyeux,tournalatêteetluiembrassalamain.Megdéglutitpouressayerdefairedescendrelaboulequis'étaitforméedanssagorge.Puis
elle approcha une chaise du lit avec la ferme intention de s'y asseoir et de veiller Godricpendantsonsommeil.Un peu plus tard, quelqu'un frappa doucement à la porte de la chambre. Elle avait été
laisséeentrouverteafinqueSaGrâcepuissealleretvenirlibrement.MegseretournaetvitMmeCrumbquiluifaisaitsigne.La jeune femme hésita un instant, mais Godric dormait profondément. Elle abandonna
doncsonsiège,pourrejoindrelagouvernantedanslecouloir.—Pardonnez-moidevousdéranger,milady,maisunvisiteurattendenbas.Ilinsistepour
parleràvousouàM.Saint-John.Megfronçalessourcils.—Quiest-ce?—Lordd'Arque.Meg,d'abordinterloquée,réalisasubitementqu'ilavaitsansdouterécoltédesinformations
sur l'assassin de Roger. Elle suivit donc la gouvernante, malgré sa crainte d'abandonnerGodric.Aprèstout,elleétaitaussivenueàLondrespourdécouvrirlavéritésurcemeurtre.SielleparvenaitàvengerRoger,ellepourraitrepartiràLaurelwoodManor.EtquitterGodric.Cetteperspective,toutàcoup,l'effrayait.Mme Crumb lui expliqua que le vicomte attendait dans la bibliothèque.Meg se souvint
alorsqueGodricn'aimaitpaslordd'Arque.Mêmes'ils'étaitmontréplutôtpoliavecluil'autresoirauthéâtre, ilétait fortprobablequ'ildésapprouveraitqu'ellepuisseavoiruntête-à-têteaveclui.— Pouvez-vous demander à Mlle Sarah de nous rejoindre ? demanda-t-elle à la
gouvernante.—Oui,milady.MegattenditqueMmeCrumbsefûtéloignée,puiselle inspiraprofondémentetouvrit la
portedelabibliothèque.Lordd'Arqueexaminaitunrayonnage,maisilseretournaàsonentrée.—Bonjour,milady,dit-il,enluibaisantlamain.Quandilseredressa,Megs'aperçutqu'ilavaitlevisagegrave.Étrange.Megneleconnaissaitpastrèsbien,maischaquefoisqu'ellel'avaitrencontré,elle
l'avaittoujoursvusourire,commesilevicomtesemoquaitdetout.Oucommesisonsourireluiservaitd'armure.—Bonjour,milord.Quelleestdonclaraisondevotrevisite?Ilparuthésiter.—J'espéraisparleràvotremari.—Malheureusement,ilestindisposé.Levicomtehésitaencore,commes'ilréfléchissait.—JesuisvenuàproposdeRogerFraser-Burnsby.Meghochalatête.Elles'étaitpréparéeàcequ'ilparledeRoger.LaportedelabibliothèqueserouvritetSarahentraàsontour.—Meg?—Ah, vous voilà ! s'exclamaMeg, d'une voix délibérément enjouée. Je neme souvenais
plussivousaviezdéjàrencontrélordd'Arque?Sarahs'approcha.—Jenecroispas,non.—C'estuneterribleerreurdemapart,plaisantalordd'Arque.Il avait retrouvé son sourire charmeur.Meg était presque soulagée. En revanche, Sarah
s'étaitraidie.Elleavaituneopiniontrèsarrêtéesurlesséducteurs.—Milord,permettez-moidevousprésentermabelle-sœur,MlleSarahSaint-John.Sarah,
voicilevicomted'Arque.—Jesuisenchantédevousrencontrer,mademoiselleSaint-John,susurralevicomte,enlui
baisantlamain.Votrebeautééblouitmonregard.—C'est embêtant, répliquaSarah, quandd'Arque se redressa. J'espèreque vousne serez
pasaveugléaupointdevouscognerdanslemobilier.Lord d'Arque arqua un sourcil amusé.Mais avant qu'il ait pu répondre,Meg proposa de
sortir dans le jardin. Elle pourrait s'entretenir avec lord d'Arque sans que Sarah puisseentendre leur conversationet cependant, elle resterait visibledeSarah, cequi sauverait lesconvenances.—Nous avons fait de nouvelles plantations, expliqua-t-elle. Je suis sûre que vous serez
heureuxdelesdécouvrir,milord.En réalité, elle ignorait si le vicomte s'intéressait aux plantes. Mais il acquiesça bien
volontiers.Sarahparutétonnéedecetteproposition,maiselles'inclinaégalement.
—Voulez-vousquej'aillecherchernoschapeaux?Megluisourit.—Oui,s'ilvousplaît.Sarahpartie, d'Arque était redevenugrave.Mais il neparlaplusdeRoger. Ils badinèrent
sansconséquence,jusqu'àcequeSarahrevienne,ungrandchapeaudepaillesurlatêteetunautredanslamain.Meglaremerciaetilssortirenttoustroisdanslejardin.Tandis qu'ils déambulaient dans les allées, Meg jacassa quelques minutes à propos de
crocus etdepâquerettes. Sarah finitpar lui jeterun regard intrigué et elle annonçaqu'elleavaitenviedes'asseoir.Elleselaissachoirsurunbancdepierre.—J'aimeraisconnaîtrevotreopinionsurnotrepommier,milord,ditMeg.Elle entraîna le vicomte vers le pommier, pendant que Sarah restait sur son banc. Lord
d'Arquejetaunvagueregardàl'arbre.—Ilal'airmort,dit-il,avantdes'immobiliser.Milady,vousm'avezinterrogé,l'autrejour,à
proposdeRogerFraser-Burnsby.—Eneffet,acquiesçaMeg,quiexaminaitlesquelquesbourgeonsapparussurlesbranches
dupommier.Passimortquecela.—Je...crois,risqualevicomte,quevousétieztrès...prochedeRoger?Meg se tournavers lui.D'Arque la fixait, et elle crutdécelerun chagrin sincèredans ses
yeux.Elledécidadejouerlafranchise.—Ilm'aimait,etjel'aimais.Ilhochalatête.—Jesuisheureuxqu'ilaitvécuassezlongtempspourvousconnaître.LesyeuxdeMeglapiquaient.—Merci.— J'ai beaucoup repensé à son assassinat, depuis ma conversation de l'autre soir, au
théâtre,avecvotremari.Etjemesuisditquesinousmettionsencommuntoutcequenoussavionsdesderniersinstantsdesavie,nouspourrionspeut-êtredécouvrirpourquoiilaététué.Etparqui.Meginspiraprofondémentetreportasonattentionsurlepommier.—Rogervoulaitm'épouser.Levicomtesursauta.—Vousaviezdécidédevousfiancer?—Oui.—Pourquoin'enavez-vousparléàpersonne?Megcaressaletroncdupommier.—C'étaitunsecret.Rogern'avaitpasencoredemandémamainàmonfrèreaîné.Jecrois
qu'il voulait d'abord faire ses preuves. Ilm'avait parlé d'une proposition financière, qui luipermettraitdegagnerassezd'argentpourqu'ilpuissem'épouserlatêtehaute.Lordd'Arqueneputreteniruneexclamationdesurprise.Megleregarda,intriguée.—Qu'ya-t-il?—Environsixmoisavant lamortdeRoger, l'undemesamism'aproposéd'investirdans
uneaffaire.Ilmepromettaitquecelamerapporteraitbeaucoupd'argent.Megfronçalessourcils.
—Dequois'agissait-il?—Je l'ignore,avouad'Arque.Mais jemesuis toujoursméfiédespropositionsfinancières
mirobolantes.Engénéral,ellesseterminentpardescatastrophes.Etcommej'aitoutdesuitedéclinél'offre,jen'aipaspusavoirdequoiilretournait.—Quiétaitcetamiquivousavaitfaitcetteproposition?Lordd'Arquehésitauninstant,avantderépondre:—LecomtedeKershaw.Godric,enouvrantlesyeux,découvritMegassiseàsonchevet.Unregardendirectiondela
fenêtreluifitcomprendrequelalumièrediminuait.Godricn'enrevenaitpas.Ilavaitdormipresquetoutelajournée.Ilreportasonattentionsursonépouse.Ellecontemplaitsesmainsetellesemblaitperdue
danssespensées.Godriceutunmauvaispressentiment.—Tuesrestéeicitoutelajournée?Ellesursautaetrelevalesyeux.—Non.Jesuisdescenduedéjeuner.Etnousavonseudelavisite,cematin.—Ah?fitGodric,ens'étirant.Sonbrasgauchelefaisaitunpeusouffrir,maisilsesentaitbeaucoupmieuxetilsongeaità
attirerMegsouslesdraps.—Quicela?—Lordd'Arque.Godricsefigea.—Quevenait-ilfaire?Megsemorditlalèvre.—IlvoulaitparlerdeRoger.Elleluiracontasaconversationaveclevicomte.Quandelleprécisaquec'étaitlordKershaw
quiavaitproposéàd'Arqued'investirdansunemystérieuseaffaire,Godric,horrifié,fermalesyeux.—Qu'ya-t-il,Godric?Quedevait-illuidire?Quepouvait-illuidire?Godricrouvritlesyeux.IlvoulaitprotégerMeg.Etcequ'ilsavaitneladélivreraitpasdeson
chagrin.D'unautrecôté,Megn'étaitplusuneenfant. Iln'avaitpas ledroitdedéciderpourellecequ'elledevaitounedevaitpasapprendre.—Ilyadeuxansdecela, leFantômedeSaint-Giles -unautreFantômequemoi -a tué
CharlesSeymour.CharlesSeymourréduisaitenesclavagedesfillettesdemoinsdedouzeanspourfabriquerdejolisbasàdestinationdesfemmesdelabonnesociété.—Commedanscesateliersclandestinsdonttum'asparlé?QuelrapportavecRoger?—Nouspensionsquecesateliersclandestinsavaientdéfinitivementferméaveclamortde
Seymour.Mais il y a peu, ils ont repris leur activité dans Saint-Giles. Lanuit dernière, j'aitrouvé ledernier localet libérédumêmecouponzefillettes.Maisungentlemanatentédemetuer.Illevasonbrasdroitbandé.Megleregarda,unequestionpoignantedanslesyeux.Godricsoupira.—C'étaitKershaw.Ellefronçalessourcils.
—D'Arque,KershawetRogerétaienttrèsliés,dit-elle.Rogeravaitpeut-êtreétéapproché,commelevicomte,parKershaw,pourinvestirdanscettemystérieuseaffaire.Ellesereleva,commesiellenepouvaitplustenirenplace.—Rogervoulaitasseoirsafortuneavantdedemandermamain,continua-t-elle,faisantles
cent pas dans la pièce. Il a pu accepter la proposition de Kershaw sans savoir de quoi ils'agissait.Maisquandilacomprisquedemalheureusesfillettes...monDieu,Godric!Rogerétaitquelqu'undebien!Iln'auraitjamaiscautionnéunetellehorreur.Godrichochalatête.—Alors,ilsontdûletuerpourqu'ilneparlepas.— Oui, c'est la seule explication possible, murmura Meg. Nous devons immédiatement
prévenirlapoliceet...—Non.Ellesursauta.—Quoi?Godrics'assitdanssonlit.—Kershawestcomte,Meg.Etnousn'avonsaucunepreuvetangiblecontrelui.Enoutre,ce
n'est pas forcément lui qui a tuéRoger. C'est peut-être Seymour.Ou quelqu'un d'autre. EtSeymourestmort,àprésent.Megcrispalespoings.—Ilestquandmêmeresponsable.Sijeraconteàlordd'Arque...—Situenparlesàlordd'Arque,jesuissûrqu'iltecroira.Maisquepenses-tuqu'ilarrivera
?Lordd'ArqueseraobligédeprovoquerKershawenduel.Meg ouvrit la bouche pour protester,mais elle se ravisa. Les duels étaient des pratiques
illégales.Mêmesid'Arquesurvivait,ilseraitbannidupays.—Accorde-moiunpeudetemps,ditGodric.Jevaisenquêterpourtenterd'ensavoirplus.Megsemorditlalèvre.— Je ne supporte pas qu'il puisse jouir de sa liberté alors queRoger est dans sa tombe,
murmura-t-elle.—Jesuisdésolé,ditGodric,enluitendantlesmains.Viens.Elleserapprochalentementdulit,commeuneenfantquirechigneàobéir.Quandellefutàsaportée,Godricl'attiradanssesbras,maisilsentitunerésistance.—Chut.Jeveuxjustequetut'allongescontremoi.Riendeplus.Ilcraignaitqu'ellenes'inventeuneexcusepourrefuser.Maiselleacceptafinalementdese
coucherprèsdelui.EtGodricéprouvaunintensesentimentdebonheurquandelleposaunemainsursontorseetqu'elles'assoupit.Lui-même resta éveillé, à contempler le plafond et à chercher un moyen de détruire le
comtedeKershaw.
18
«Pauvres,pauvresâmes!»selamentaitFoi.Etunelarmeroulasursajoue.SatristesseravissaittellementDeuilqu'il lâchaunmomentl'étalonpourapplaudirdesdeuxmains,ensignededérision.Foienprofitapourlepousseràbasducheval.Iltombadansungrandcriet fut aussitôt piétinépar les sabots de l'animal. L'Hellequin s'esclaffade bon cœur. «Cestroisdémonsm'accompagnaientdepuisuneéternité.Ettuasréussiàmedébarrasserd'euxenmoinsd'unejournée.»[...]
op.cit.Tardlelendemainmatin,Megrefaisaitsescalculspourlatroisièmefois.Ellen'avaitjamais
étédouéeavecleschiffres,aussicraignait-elledesetromper.Pourtantchaquefois,lerésultatétaitlemême.Elleavaitmanquésesprécédentesrègles,et
elle était en retard pour celles-ci. Comment était-ce possible ? Elle recommença unequatrièmefoissonopération,s'obligeantàignorerlesentimentd'allégressequimontaitdanssa poitrine. C'était trop tôt, se morigénait-elle. Si elle se réjouissait déjà, elle seraitterriblementdéçuequandlesrèglesarriveraient.Mais...Maissielleétaitvraimentenceinte?Ellesereleva,incapabledetenirenplace,etse
précipitadanslachambredeGodricsansréfléchir.Personne.Meg,unpeudéçue,regardaautourd'elle.Puisellesedirigeaverslapenderie.SaGrâceétaitcouchéesurunechemised'homme,leschiotspresséscontresonventre.Lachiennelevalesyeux.—Toutvabien,luimurmuraMeg.Jenevoulaispastedéranger.Ellerestaàcontempler l'adorablespectaclequ'offraient leschiots,surtoutceluiaupelage
chocolat,quisemblaits'ingénieràplantersapattedansl'œild'undesesfrères.Auboutd'unmomentMegfinitpartournerlestalons,avecl'intentionderetournerdanssachambre.Maisundétailinhabitueldanslapenderieattirasonregard.Letiroirduhautétaitouvert.Etsacléencoreinséréedanslaserrure.Meg,dontlacuriositénesemblaitpasavoirdelimites,s'approchapourregarder.Laclé,minuscule,étaitreliéeàunechaîneenargent,etMegréalisaquec'étaitcettecléque
Godricportaitenpendentifautourducou.Ellelacaressaduboutdesdoigts.Puiselleregardadansletiroir.Ilcontenaitdeuxpilesdelettres.L'une,endésordre,l'autresagementrangéeetcercléed'unrubannoir.Ilyavaitaussiunpetitécrin.Meglepritetl'ouvrit.Ilrenfermaitdescheveux. Unemèche de cheveux bruns, très soyeux, et unemèche de cesmêmes cheveuxteintésdegris,ternesetcassants.IlsavaientdûapparteniràClaraetMegréalisasoudainqueGodricavait très longuementconnusapremièrefemme-assez longtempsentoutcaspourquesescheveuxgrisonnent.IlavaitvécupendantdesannéesavecClaraetil...Mais cela n'avait pas d'importance, après tout. Meg n'était pas venue à Londres pour
chercherl'amourdeGodric.Ellerefermal’écrinetleremitenplace.Puis elle s'intéressa aux deux paquets de lettres. Celui entouré d'un ruban noir devait
rassemblerleslettresdeClara.Maisl'autrepile...Sonpoulss'accéléra.Megavaitreconnusonécrituresurlalettredudessus.Ellefouilladanslapileetconstata
qu'elles étaient toutesde saplume.Godricavait conservé toutes les lettresqu'elle lui avaitenvoyées!Toutescesmissivesécritesrapidement,sansstyleparticulier,oùelleracontaitlespetitsriensdeLaurelwoodManoretd'UpperHornsfield.Pourquoiavoirpris lapeinedelesconserver?Ellepritunelettreauhasardetladéplia.
10janvier1740CherGodric,Le croiriez-vous ? Nous sommes quasiment ensevelis sous la neige ! Battlefield a
marmonnétoutelamatinéequ'iln'avaitjamaisvuautantdeneigedesonexistence,laquelle,vous ne l'ignorez pas, remonte pour ainsi dire àMathusalem. Toute cette neige a encorecauséàlacuisinièreunerévélationmystique,sibienquenousn'avonstoujourspasdéjeuné.Malgré le risque d'Apocalypse, j'espère que la neige restera un peu, car les paysages sontmagnifiques.S'ilneigeaittouslesans,jecroisquejefiniraisparaimerl'hiver.J'aipasséunepartiedelamatinéeàobserverunrouge-gorgequisautaitsurlesbranches
de l'aubépineplantéedevant la fenêtredemachambre.Ilgobait les insectesqu'ildénichaitsous l'écorce. Les garçons d'écurie et les plus jeunes valets se sont livrés à une bataille deboulesdeneigequines'estterminéequelorsqueBattlefieldenareçuunedanslecou.«Paraccident»ont-ilstousclamé!Latrêveadûêtreconcluedeforce.Maisj'ypense!Jenevousaipasencoreposélaquestionquimotivaitcettelettreetj'arrive
déjà bientôt au bout dema feuille. Alors, voilà : Sarah a raconté cematin combien vousaimiez Laurelwood quand vous étiez plus jeune, et celam'a donné à penser. Serait-cemaprésencequivousretientdenousrendrevisite?J'espèrebienquenon!S'ilvousplaît,venezdoncnousvoirquelquesjoursetnetenezpascomptedecequejevousaiditplushaut.Lacuisinière est unpeu excentrique, c'est vrai,mais elle confectionne lesmeilleures tartes aucitrondumonde.EtBattlefieldestBattlefield.Personnenelechangeraàsonâge,alorsnousdevonsbien faireavec.Quantàmoi, je suis unpeu écervelée,mais je vousprometsd'êtresérieusecommeunpape!J'espèrequevousviendrez.Votre,
M.Les dernières lignes étaient écrites très serré car elle avait manqué de papier. Meg se
souvenaittrèsbiendecettebellejournéed'hiver,maisaussidel'impressionqu'elleavaiteuequ'illuimanquaitquelquechose.Ellesavaitdéjàqu'ellevoulaitunenfant,maissalettreluiavaitétédictéeparunautre...Laportedelachambres'ouvrit.Megtournalatête,sansprendrelapeinedecacherlalettrequ'elletenaitencoreàlamain.Godric s'immobilisa sur le seuil. Mais il ne semblait pas furieux de la trouver dans sa
chambre,àfouillerdansseseffetspersonnels.
—Bonjour,dit-il.—Tulesastoutesgardées.—Teslettres?Oui.Ilentraetrefermatranquillementlaportederrièrelui,commes'iln'étaitpaslemoinsdu
mondegênéqu'elleaitpercél'undesessecrets.Cequi, bien sûr, accrut la culpabilitédeMeg : ellen'avait pas gardé toutes les lettresde
Godric,seulementlesplusrécentes.—Pourquoilesas-tuconservées?—J'aimebienlesrelire.Megreplialalettreetlareplaçadansletiroir.—Penses-tuencoreàClara?Laquestionétaitsansdoutetroppersonnelle,maiselleespéraitqu'illuirépondraitetelle
retintsonsouffledanscetteattente.—Oui.—Souvent?Ilsecouadoucementlatête.—Pasaussisouventqu'avant.Megfermalesyeux.—As-tudesremordsquandtumefaisl'amour?—Non.Ellelesentits'approcherd'elle.—J'aimaisprofondémentClaraetjenel'oublieraijamais,ajouta-t-il.Maisellen'estpluslà.
Jecroisquej'aiappris,cesdernièressemaines,àmettredecôtécequejeressentaispourelle,afind'êtrelibredevivrequelquechoseavectoi.LecœurdeMegbattaitàtoutrompredanssapoitrine.—Commentarrives-tuàconcilierlesdeux?L'amourquetuéprouvaispourelleétaittrès
fort,n'est-cepas?—Eneffet.Etsi tun'étaispasentréedansmavie, jepensequejeseraisrestéunermite.
Maistuesvenue.C'étaitditsurletonduconstat.Megrouvritlesyeux.—Leregrettes-tu?M'enveux-tudet'avoirforcéàrenoncerausouvenirdeClara?Ilesquissaunsourire.—Tunem'asforcéàriendutout.Maistoi,as-tul'impressiondetrahirRoger?—Jenesaispas,réponditMeg,quinesavaitplustrèsbienoùelleenétaitavecRoger.EllevitGodricseretenirdegrimaceretellecompritquesaréponsel'avaitblessé.Elleen
futelle-mêmepeinée.Cependant,ilméritaitlavérité.— Je veux - je voulais - très fort un enfant, et j'étais convaincue que Roger me
comprendrait.Rogerétaitunhommequiaimaitlavieetjepensequ'ilauraitaimémesavoirheureuse,mêmeaprèssamort.Maisjen'aipasencorevengésonassassinat.—Je t'aipromisque je trouveraisunmoyende fairepayerKershawet je tiendraiparole,
dit-il,d'unevoixinflexible.Crois-moi:Rogerpourradormirenpaix.—JeneveuxpasqueturetournesdansSaint-Giles,répliquaMeg,enluicaressantlajoue.
Jetedoisdéjàbeaucouptrop.Toutcequetum'asdonné.Toutceàquoituasrenoncépourmoi...— Il n'y a aucune dette entre nous, Meg. J'ai délibérément choisi de surmonter mon
chagrinpourClara.Lavieestfaitepourlesvivants.
Megsedemandasilemomentn'étaitpaspropicepourluiannoncerlanouvelle.Ellebrûlaitd'enviedeluirévélerqu'elleétaitpeut-êtreenceinte.Mais elle se souvint brusquement de ce que cet aveu signifierait : elle lui avait promis
qu'ellepartiraitaussitôtqu'elleattendraitunenfant.Or,ellenevoulaitpasquitterGodric.Pasmaintenant,entoutcas.Peut-êtrejamais.LesilencedeMegseprolongea,etsonmariavaitfroncélessourcils.Celaluidonnaitunair
sévère et solennel,qui s'accordait trèsbienavec saperruquegrise et ses lunettes endemi-lunesqu'il avait remontées sur son front.En fait,Meg le trouvait irrésistibleet elleneputrésisteraudésirdeplaquerunbaisersurseslèvres.Ilparutsurprisdesongeste.Maiselleluisouritetilluirenditsonsourire.—Viens,dit-il.TuvoulaisvisiterSpringGardens.Ilsquittèrentlachambremaindanslamain.Megcroyaittoucheraubonheur,maisellese
gardait biende trop se réjouir.Car elle devrait tôt ou tard lui avouer sa grossesse et alors,Godricluidemanderaitdepartir.Quoiqu'ilensoit,elledevaitabsolumentvengerRogeravantdequitterLondres.GodricdevaitbienreconnaîtrequeSpringGardensétaitunparcmagnifique,mêmes'ilne
s'étaitjamaisbeaucoupintéresséauxfleursniauxplantes.Meg,enrevanche,sepassionnaitpourlavégétationetsajoied'êtreicisemblaitdéteindresursaproprehumeur.Ils se promenaient dans une allée gravillonnée bordée de parterres et la jeune femme
s'extasiaitpratiquementàchaquepas.—Oh,regardezcespetitesfleursblanches!s'exclama-t-elle,ensepenchantpourmieuxles
admirer.Savez-vouscommentelless'appellent,madameSaint-John?Sabelle-mère,quimarchaitderrièreeux,s'approchaduparterre.—Ondiraitungenredecrocus.—Maisellespoussentsurdestiges,remarquaMeg,enseredressant.Jen'aiencorejamais
vudecrocuspoussersurdestiges.—Etlescrocusn'ontpasdepistilsverts,ajoutaSarah.—Quoi?fitlagrand-tanteElvina,unemainencornetplaquéecontresonoreille.—Despistilsverts,répétaSarah,plusfort.—Oùça?demandalagrand-tanteElvina.—Là,fitJane,pointantdudoigtlesfleursenquestion,tandisqueCharlottesepenchaità
sontoursurlemassifetdécrétaitquelespistilsn'étaientpasvraimentverts.S'ensuivit une discussion animée pour savoir de quelle couleur étaient les pistils et s'il
existait des variétés de crocus qui poussaient sur des branches. Godric écoutait avecamusementlesargumentsdesunesetdesautres.—Jen'aijamaisvutafemmeaussiheureuse,luichuchotasabelle-mère.Nitoinonplus,
d'ailleurs.Godric,déconcerté,détournaleregard.—Godric,insista-t-elle,luiprenantlebraspourl'éloignerunpeudugroupe.Tuesheureux,
n'est-cepas?—Peut-onseprétendreheureux?—Oui,jepense,répondit-elle,avecgravité.J'étaisheureuseavectonpère.—Etvouslerendiezheureux.Ellehochalatête,commesielleenavaitparfaitementconscience.
—Laseulechosequimechagrinaitdanscemariage,c'étaittaréaction.Jetesavaistristedecetteunion.Godricsesentitrougirausouvenirde laduretéavec laquelle ilavait traitésabelle-mère,
lespremièresannées.Ils'arrêtadevantunarbredontlesbranchesployaientbizarrement.—J'étaisdéjàmalheureuxavantquevousn'épousiezmonpère.Votrearrivéen'a faitque
donnerunexutoireàmacolère.Jesuisdésoléd'avoirétéaussidésagréableavecvous.— Tu étais encore un enfant, Godric. Je t'ai pardonné depuis bien longtemps. Mais
j'aimeraismaintenantquetutepardonnesàtoi-même.Tumanquesbeaucoupàtessœurs.Etàmoiaussi.Godric déglutit péniblement et se décida à la regarder dans les yeux. Elle l'aimait. Il le
voyaitàsonregard,mais iln'arrivaitpasàs'expliquerpourquoi. Il s'étaitmontré tellementcruelavecelle!Cependant,sielleétaitcapabledetireruntraitsurlepassé,ilsedevaitd'enfaireautant.Il lui étreignit doucement le bras, dans l'espoir qu'elle saurait comprendre ce qu'il ne
parvenaitpasàexprimeravecdesmots.—Oh,Godric,murmura-t-elle,leslarmesauxyeux.Jesuistellementcontentequetuaies
finiparmerevenir.Ill'embrassasurlajoue.—Mercid'avoirsum'attendre.Lerestedelafamille lesrejoignait lentement,maislaconversationsurlespistilsvertset
lescrocusn'étaitpasterminée.JaneetCharlottemarchaientbrasdessusbrasdessous,toutens'ingéniantàs'envoyerdesargumentscontraires.Derrière,lagrand-tanteElvinaassénaitune vérité de son cru à Sarah, qui l'écoutait avec le sourire.Meg, sa chèreMeg, fermait lamarche.Levent,lapromenadeetl'excitationdecettediscussionavaientdonnédescouleursàsesjoues.Leurs regards se rencontrèrent. Elle lui sourit, et Godric sentit son cœur bondir
d'allégresse.Il se promit d'emmenerMeg au moins une fois par semaine dans un parc, tant qu'elle
resteraitàLondres.Elleétaitdanssonélément,aumilieudelaverdure,etilsesurprittoutàcoupàaimerlesjardins.Ilattenditquelesautreslesaientdépasséspouroffrirsonbrasgaucheàlajeunefemme,
tandisqu'iltenaittoujourssabelle-mèreparl'autrebras.Ellesemblahésiter,commesielleavaitpeurdeluifairemaletderéveillersablessure.—Venezdemoncôté,proposaMmeSaint-John,quiéchangeaavecMegl'undecesregards
typiquement féminins, qui donnaient l'impression de dire beaucoup de choses. Je vaismarcherunpeuavecSarah.Megpritlebrasdroitdesonmari.LablessureavaitsiparfaitementcicatriséqueGodricne
portaitdéjàplusdebandage.—Jesuiscontentequetuaiespuluiparler,murmura-t-elle,quandleurbelle-mèresefut
éloignée.Commentlesfemmespouvaient-elleséchangertantdechoses,sansmêmeavoirbesoinde
separler?Ilsepencheraitsurlaquestionuneautrefois.Lajournéeétaitravissanteetilentendaiten
profiteretprofiterdesafemme.Ilspoursuivirentleurpromenadesanssepresser,laissantlesautrespeuàpeulesdistancer.
Ilss'approchaientd'uneintersectionentredeuxallées.Lecarrefourétaitparseméd'arbresdontlesfeuillescommençaientàsortir.Godricaperçutunautrecouple,maiscen'estqu'aumoment d'arriver au carrefour qu'il réalisa de qui il s'agissait : le comte et la comtesse deKershaw.
19
Foi bâilla. « J'ai sommeil. Ne pourrions-nous pas nous reposer un peu ? » L'HellequindescenditdesonchevaletsoulevaFoiparlataillepourladéposerdanslesabledelaplainedes Murmures. La jeune femme resserra le manteau de l'Hellequin sur ses épaules,cependant elleavait toujours froid.Elle tendit samainà l'Hellequin :«Pourquoinevousallongez-vouspasprèsdemoi?»Ils'exécutaetFoiselovacontresongrandcorps.Commeils'assoupissait,ellel'entenditmurmurer:«Jen'avaisplusdormidusommeildeshommesdepuismilleans.»[…]
op.cit.Megsefigea.LordKershawriaitdeboncœuràquelquechosequeluidisaitsafemme.Ace
spectacle,Meg eut l'impressionde recevoirun coupdepoignarddans le cœur.Roger aussiriaitcommecela,avecinsouciance.—Commentosez-vous!luilança-t-elle,sansréfléchir.Quandbienmêmeelleauraitréfléchi,ellen'auraitpaspugarderlesilence.—Commentosez-vous?répéta-t-elle.—Meg,murmuraGodric.Ilsétaitraidi,commes'ils'apprêtaitàsebattre,maissavoixétaitdouce,presqueunpeu
triste.Meg ne voulait pas le regarder. Elle préférait se focaliser sur lord Kershaw, dont le rire
s'étaitévanouid'uncoup.—Vous l'avez tué,ajouta-t-elle.Vousavez tuéRogerFraser-Burnsby.C'était votreamiet
pourtant,vousl'avezassassiné.S'ilavaitniéavec laplusgrande fermetéoucriéqu'elleétait folle,Megauraitsansdoute
battu en retraite. Elle aurait plaidé une insolation, l'abus d'alcool ou encore la stupiditéféminine.Maisilnecherchapasànier.—Prouvez-le,répliqua-t-ilsimplement,avecunsouriremauvais.Megperditsonsang-froid.Sonchagrin,toutàcoup,luibrûlaitlesveinescommeunacide
corrosif. Elle se jeta sur Kershaw, toutes griffes dehors,mais heureusement Godric eut lapoigneassezsolidepourlasauverdeladisgrâcesociale.Illatiraenarrière,laportapresque,pendant qu'elle éclatait en sanglots. La famille de sonmari les avait rejoints et elle rit lesyeux écarquillés de Sarah, l'horreur qui se lisait sur le visage de Mme Saint-John et ellecomprit qu'elle aurait dû avoir honte de son comportement. Mais elle n'éprouvait qu'unetristesseinsondable.Ellepassaletrajetquilesramenaàlamaisonnichéecontrel'épauledeGodric,às'efforcer
depenseràcequ'ellepossédait,plutôtqu'àcequ'elleavaitperdu.A leur arrivée à Saint House, Godric sauta de la voiture et se retourna pour l'aider à
descendre,aveclasollicitudequ'iltémoigneraitàuneinvalide.Elle voulut protester,mais il garda le silence et continua de lui tenir fermement le bras
tandisqu'illapoussaitàl'intérieur.Meg entendit Mme Crumb poser une question alors qu'ils traversaient le vestibule, et
Sarahsechargeadeluirépondre.Godric,lui,n'avaitmêmepasralenti:ilentraînaitdéjàMegdansl'escalier.Au moment d'arriver sur le palier, elle se souvint brusquement que son mari avait été
obligédelatirerdesdeuxbraspourl'éloignerdeKershaw.—MonDieu,Godric!J'espèrequejenet'aipasfaitmal!—Non,net'inquiètepas,murmura-t-il,tandisqu'illaconduisaitàsachambre.Megsentituneboufféedechaleurirradierdepuissapoitrinejusqu'àsonvisage.Puiselle
éclatadenouveauensanglots.Seslarmes,cependant,neluiétaientd'aucunsoulagement.RiennepourraitlasoulagertantqueKershawvivrait.Godricl'enlaçatendrement.—Ilnel'emporterapasenparadis,Meg.Jeteprometsquejel'aurai.Jetelepromets.Son insistance apaisa quelque peu Meg. Elle abandonna son visage contre son torse
puissantetellelelaissafaire.Il commença par lui ôter sa robe. Quand elle ne porta plus sur elle que sa camisole, il
l'allongeasurlelitpuisilmouillaunlingedanslacuvettedelatabledetoiletteetillepressasursonfront.SongesteagitsurMegcommeunpardon.—Jel'aimais,dit-elle,sansréfléchir.—Jesais,Meg.Jesais.Elle ferma les yeux et posa une main sur son ventre, d'autant plus plat qu'elle était
allongée.Pour l'instant, iln'yavait aucunsigneévidentde sagrossesse,maisellevoulait ycroire.—Jenepeuxpasrecommenceralorsqu'iln'apasétévengé,murmura-t-elle.Jenepeuxpas
avoircebébétantquecen'estpasréglé.EtjenepeuxpasquitterLondres.Ellerouvritlesyeuxetilvitqu'ilregardaitsonventreavecstupéfaction.Megauraitvoulu
luiannoncerlanouvelledifféremment,maisl'émotionavaitététropforte.Godric releva les yeux et leurs regards se rencontrèrent. Meg ne put déchiffrer son
expression.—JenepeuxpasquitterLondresmaintenant,répéta-t-elle.—Non,biensûr.Pasmaintenant.Ilallarafraîchirlelingedanslacuvetteetlepressadenouveausursonfront.—Dors,àprésent,luimurmura-t-il.—Resteavecmoi.Ildétournaleregard.—J'aidesaffairesàrégler.Quellesaffaires?—S'ilteplaît,ajouta-t-ellesimplement.Il ne répondit rien,mais il se défit de sa perruque, de sa veste et de sa chemise, puis il
s'allongeaàsoncôtéetlaserradanssesbras.Megselaissabercerparlerythmedesarespiration.Godricnel'avaitpasréprimandéepour
sonéclatdetoutàl'heurecontrelecomtedeKershaw.N'importequid'autreauraiteuhontede son comportement. Pas Godric. Elle ne méritait pas un mari aussi généreux et aussipatient.
Elle releva les yeux pour observer son profil, alors qu'il était allongé sur le dos. Il avaitfermélesyeux,cependantellesavaitqu'ilnedormaitpas.À quoi pensait-il ? Que préparait-il ? Avait-elle vraiment besoin de le savoir ? Il avait
acceptéqu'elleresteàLondresdansl'immédiat,etelleluienétaitinfinimentreconnaissante.EllevoulaitresterpourRoger.Maisaussipourlui.PourGodric.Sonnezétaitbiendroit,sesnarinesfines.Saboucheétaitmagnifique,seslèvrespleineset
douces.Elletenditlamainpourlescaresser.—Meg,murmura-t-il.Savoixaussi luiplaisait.Sourde,unpeurauque,commes'ilavaitpasséla journéeàcrier
aprèsquelqu'un.Saufqu'iln'étaitpasunhommecoléreux.Etcertainementpasavecelle.Ilroulasurlecôté
pourluifaireface.—Tudevraisdormir,Megchérie.—Jen'aipassommeil.Fais-moil'amour,ajouta-t-elleaprèsunbrefsilence.Il s'exécuta bien volontiers, comme chaque fois qu'elle lui demandait quelque chose
d'ailleurs.Sescaresses,lafaçondontil laserraitdanssesbras,oùil l'embrassait,montraientàquel
pointillachérissait.MaisMeg pressentait qu'il projetait de s'en prendre à lord Kershaw et elle aurait voulu
savoircequ'ilavaitentête.Cependant, de l'instant où il retroussa sa camisole et qu'elle sentit son membre dressé
palpiterentresescuisses,ellenesongeaplusàs'interrogerniàlequestionner.—Viens,dit-elle.Ils'enfonçaaussiprofondémentqu'illeputetMegréponditenrythmeàsescoupsdereins.Megavaitfermélesyeuxpourmieuxs'abandonneràsonplaisir.Quandellelesrouvrit,elle
vitdeslarmesdansceuxdeGodric.Ellesefigeauninstant,bouleversée,sanscomprendre.MaisGodricclignalesyeux,etilla
caressa là où leurs corps ne faisaient qu'un, si bien qu'elle se perdit dans la jouissance etqu'ellerenonça,unefoisdeplus,àlequestionner.Meg gémissait de plus en plus fort. Godric l'embrassa longuement, puis il lui caressa le
visage,leslèvres,duboutdesdoigts.Elleentrouvritlaboucheetluisuçaavidementlepouce,pendantqu'ilaccentuaitlemouvementdeseshanches.Etl'instantmagiquearriva:lesétoilesdansèrentderrièresespaupièresdenouveaucloses.
Meg s'agrippa à son mari et poussa un grand cri, en même temps qu'il s'enfonçait unedernièrefoisavecforcepourdéchargersasemenceenelle.Puisellesentitleslèvresdesonmaricaressersessourcilsetellecrutl'entendreprononcer
deuxmots.Maiscommeelles'enfonçaitdéjàdanslesommeil,ellesedemandasiellen'avaitpasrêvé.GodricattenditquelarespirationdeMegfûtdevenuerégulière.Puisilattenditencoreun
peu.Plus,enfait,qu'ilnel'auraitvoulu.Safemmeluiétaitdevenuetropprécieuse:elleétaitlaseulepersonneaumondeàavoirsutouchersoncœurpourleremettreenétatdebattre.Megl'avaitramenéàlavie.Enretour,ilétaitloyalqu'illuiapportesurunplateaulamortqu'elleréclamait.
Quandilsedécidaenfinàbouger,lesoirétaitdéjàtombé,maisGodricnesongeapasàs'enplaindre,carlanuitétaitsonélément.Ils'esclaffapresque.GodricSaint-John,seigneurdesTénèbres ! Avant de sortir du lit, il regarda une dernière fois sa femme, paisiblementendormie.Ilnes'expliquaittoujourspaspourquoiilavait lachancedepartagerlavied'unetellecréaturede lumièreetdevie. Ilnese l'expliquaitpas,mais il s'enréjouissait. Ilauraitaimé l'embrasser une dernière fois pour imprimer sa beauté sur sa peau et la porter entalismanaucoursdelalonguenuitquis'annonçait,maisils'enabstintdepeurdelaréveiller.Aussiquitta-t-il lachambresansl'avoirtouchée.IlconvoquaMoulder,quil'aidaàs'habillerenFantôme.Puisilpritsesdeuxlames-sadagueetsonépée-etilsortitsefondredanslanuit.Il faisaitagréablement frais, leprintempscommençaitàrenaître.La lune,dans leciel,se
livraitàunjeudeséductionaveclesnuages.Godricinspectalejardin,maisilnerepérariend'anormal.LecapitaineTrevillionavaitsansdoutedécidédepayersonécotausommeil.Cette fois, Godric ne partit pas en direction de Saint-Giles, mais vers l'ouest, là où
l'aristocratie londonienne construisait ses nouvelles demeures. Là où vivait le comte deKershaw.Godricétaitdéterminéàhonorer lapromesse faiteàsa femme.S'ilenavaiteu letemps, il aurait étudié une stratégie, cherché les points faibles de son ennemi et il l'auraitcirconvenuavecsubtilité.MaisaprèslascènedansSpringGardens,cettesolutionn'étaitpluspossible.Godricavaitbienvu leregarddehaineque lecomteavait lancéàMegquandelles'étaitjetéesurlui.Désormais,elleétaitendanger.UnhommeaussidénuédescrupulesqueKershawnepouvaitpassepermettredelaisservivrequelqu'unquireprésentaitunemenacepourlui.L'exemplefunestedeFraser-Burnsbyétaitlàpourl'attester.Godric s'arrêta à un coin de rue, devant l'échoppe d'un marchand de chandelles, pour
reprendre ses esprits. La seule idée que Kershaw puisse faire dumal àMeg l'aveuglait derage.Kershawdevaitmourir.Iln'yavaitpasd'autreissue,siGodricvoulaitprotégerMegetleurenfant.De savoir queMeg portait son enfant lui redonna l'énergie de continuer sa route. Il ne
s'étaitpasdutoutattenduàcettenouvelle,etellen'étaitpasdésagréable.Bienaucontraire.Pourlapremièrefoisdepuistrèslongtemps,Godricsesurprenaitàrêveràl'avenir.Aêtre
impatient.Ettoutcela,grâceàMeg.Maisd'abord,ildevraittuerquelqu'undesang-froid.Songeste ledamnerait pour l'éternité, heureusementMegvalait bienqu'il perde sonâmepourelle.Depuisqu'ilconnaissaitlajeunefemme,lesflammesdel'enferneluifaisaientpluspeur.Unedemi-heureplustard,ilarrivaitenvuedelademeuredelordKershaw.Ellesedressait
surunepetiteplace,bordéedemaisonsblanchesàcolonnades, toutessemblableset toutesd'unegrandeélégance.La lune,entre-temps,avaitpresqueentièrementdisparuderrière lesnuages.Godrics'approchaprudemmentdelamaison.Etlaported'entrées'ouvrit.Godric,surpris,s'empressadesetapirdansl'ombred'unporchevoisin.Kershawapparut sur sonperronet jetaun regard impatientdans la rue.Godric serra les
poings.Mais une voiture apparut presque aussitôt pour s'arrêter devant la maison. Le comte
descenditleperronetmontadedans.Godric fronça les sourcils et réfléchit : il devait tuerKershaw rapidement, avant qu'il ne
puisses'enprendreàMeg.
Ildécidadoncdesuivrelavoiture,quipritladirectiondel'est.LesruesdeLondresétaientsi étroitesquemême lanuit, onavaitdumal à circuler.Godric eut le tempsd'escalader lafaçaded'unimmeubleetsuivitlavoitured'enhaut.Ilperditl'attelagedevueàdeuxreprises,pesta, jura,maisréussitàretrouversatrace.SiKershawserendaitàuneréceptionoudansunthéâtre,Godricseraitobligéd'attendre.Maispasforcément.Lafoulepourraitaucontrairelefavoriseretluipermettred'agirsanssefaireremarquer.Certes,danscesconditions,Kershaw,nepériraitpasdansunduelàlaloyale.Mais avec un tel ennemi, Godric ne s'embarrasserait pas de principes. S'il le fallait, il
n'hésiteraitpasàlefrapperdansledos.Cependant,ildevintbientôtclairquel'attelagefaisaitrouteversSaint-Giles.Lecomtenese
rendait pas à une réception mondaine. Plus probablement voulait-il trouver de nouveauxendroitspourabritersesateliersdeconfectionclandestins.Vingtminutesplustard,l'attelages'immobilisaitdevantunimmeublemiteuxquinetenait
encore debout que grâce aux constructions voisines. Le rez-de-chaussée n'abritait aucuneboutique, et une lanterne brillait à la porte d'entrée, comme si la visite de Kershaw étaitattendue. Godric redescendit prudemment dans la rue et se cacha dans une embrasure deporte.Unefemmesortitdel'immeuble.Elleétaitgrande,osseuseset,àlalumièredelalanterne,
Godricreconnut la femmequ'ilavaitdéjàvueautroisièmeatelier.ElleditquelquechoseàKershaw, qui se trouvait toujours dans la voiture. Godric ne put entendre la réponse ducomte,mais la femme jeta soudain lesbras en l'air comme si elle était en colère.Kershawdescendit alors de voiture et il la gifla si violemment qu'elle faillit tomber par terre. Dèsqu'elleeutrecouvrésonéquilibre,elles'empressaderentrerdansl'immeuble.Deuxvaletsavaientprisplaceàl'arrièreduvéhicule.Ilsdescendirentdeleurperchoirpour
sepositionnerdepartetd'autredeKershaw.Ilavaitamenédesgardes.Dansquelleintention?Pourseprotéger?Oupours'enprendreàquelqu'un?Laportede l'immeublese rouvritet la femmeréapparut, tenantune fillettedanschaque
main.Untypelasuivait,poussantquelqu'undevantlui.Lasilhouetten'étaitpascelled'uneenfant.Et...Alf.IlsavaientattrapéAlf.Lajeunefillegardaitlatêtehaute,ensignededéfi.Elleavaitétéfrappée:elleportaitdes
ecchymosesauvisage.Si Godric attendait qu'elle soit enfermée dans la voiture avec les deux autres fillettes, il
risquaitdeperdrelatracedel'attelageet iln'auraitplusaucunechancedesauverAlfetsesdeuxcompagnesd'infortune.C'étaitdéjàunmiraclequelesKidnappeursn'aientpasencoretuésoninformateur.Godricn'avaitpaslechoix.Ils'élança.Legardeleplusprocheluitournaitledos.Godrics'endébarrassad'uncoupdedagueentre
lesdeuxomoplates.—Vous!s'exclamaKershaw,ivrederage.Tuez-le!Lecomten'attenditpasdevoir si sesordresseraientobéis. Il tirasonépéeet se jetasur
Godric.Leurs lamess'entrechoquèrent.Godric, toutencombattant lecomte,prenaitbiengardeà
nepastournerledosaudeuxièmegardeniautypequiavaitamenéAlf.
Son cerveau enregistra mentalement un bruit de sabots : des chevaux approchaient. Ildevait rester focalisé sur son objectif : tuer Kershaw. Il chargea son adversaire, l'obligea àreculer et visa tour à tour son torse et sa tête, sans jamais donner le temps au comte depeaufinersesripostes.Kershawhaletait,maisilsedébattaitcommeunbeaudiable.Àunmoment,ilfeintasursa
gaucheetdirigeasalameverslegenoudeGodric.Celui-ciréussitenpartieàesquiveretnefuttouchéqu'àlacuisse.MaisKershaws'étaitattenduàcequ'iltombeàgenoux.IlplongeaenavantetGodricenprofitapourdégainersadagueetlaplaquacontreleflancdroitdesonennemi,justesousl'aisselle.Kershawsefigea,lesyeuxécarquillés.Maisunedétonationretentitsoudain.Godricjetaunregardderrièrelui.LecapitaineTrevillionétaitentourédetousseshommes.
EtilspointaientleurspistoletssurGodric.—Vousêtesfait,Fantôme,luilançalecapitaineTrevillion.Meg se réveilla en sueur, la respiration douloureuse. Elle comprit tout de suite qu'il se
passaitquelquechose.Des lambeauxdesoncauchemar l'assaillaientencore.ElleavaitrêvéqueGodricétaitprisonnierd'unefosseglissanteetqu'ilétaitlentementengloutidanslesolsansqu'ellepuisseintervenir.Dieuduciel!Elle s'assit dans le lit et regarda frénétiquement autour d'elle, bien qu'elle sût déjà qu'il
n'étaitpas là.Oùétait-ilpassé?Elledevaitabsolument leretrouver, le toucherets'assurerqu'ilétaittoujoursbienvivant.Elleseleva,enfilasonpeignoiretallumaunechandelleauxbraisesdufeu.Ellecherchad'aborddanssaproprechambre.Rien,évidemment.Puisellesedirigeaversla
bibliothèque.Godric,enproieàuneinsomnie,s'étaitpeut-êtrerelevépourlire?Avecunpeudechance,elleletrouveraitassoupidansunfauteuil,sonridiculeturbansurlatête,commelepremiersoir.Maisiln'étaitpasnonplusdanslabibliothèque.Megs'adossaaubattant.Lapaniquelagagnait.Godricn'étaitpaslà.Iln'étaitpaslà!Elle se rendit ensuitedans sonbureau.C'était sondernier espoir.Mais elle savait déjà à
quois'entenir.Lebureauétaitdésert, laportedu cabinet secret ouverte.Le costumedeFantômene s'y
trouvaitplusetMegcomprit.Elleplaquaunemainsursabouchepourseretenirdecrier.
20
QuandFoi rouvrit lesyeux, le lendemainmatin, ellevit l'Hellequinbrandir sabesaceencuir de corbeau. Il en extirpa l'âme de son bien-aimé et la défit soigneusement de sonemballageensoiede toilesd'araignées.Aussitôt, l'âmedesonbien-aiméprit librementsonenvol.Foi lasuivitdesyeux, jusqu'àcequ'elledisparaissedans leciel.Puiselle tournasesyeuxbrillantsversl'Hellequin.«Va-t-ilrejoindreleParadis?»«Oui»,réponditl'Hellequin.«Etqueva-t-il vousarriver ?»A cela, l'Hellequinne réponditpas.Et il remonta sur songrandchevalnoir.[...]
op.cit.Godric reprenait tant bien que mal sa respiration, sa dague toujours pressée contre
l'aisselledeKershaw.IlauraitvoulucracheràlafiguredeTrevillion.Maisapparemment,ledestin avait voulu qu'il se fasse arrêter cette nuit. Au moins, ne tomberait-il pas seul : ilentraîneraitKershawavecluidanssachute.—Non!s'écriasoudainAlf.(Échappantàsongeôlier,médusé,elleseprécipitaversGodric
etKershaw.)Vous ne pouvez pas capturer le Fantôme, soldats ! Cet aristocrate enlève desenfants.SileFantôme...Ellen'eutpas le tempsdeterminersaphrase.Kershaw,profitantde laconfusion,attrapa
Alfparlescheveuxetl'obligeaàs'agenouillerdevantlui.Devinant qu'il voulait plaquer la lame de son épée sur la gorge de la jeune fille, Godric
n'hésitapasunseulinstant.IlenfonçasadaguedansleschairsdeKershaw,jusqu'àcequelagardeviennerencontrerla
veste.Kershawémitundrôledeson.Commeunsoufflementrauque.Alfpoussauncri.Godrictournasalamedanslachair.Kershawlâchasonépée.Sesyeuxcommençaientdese
voiler. Finalement, Godric retira sa dague d'un coup sec et le corps de Kershaw s'écroula,presquegracieusement,surlespavés.Surlecoup,toutlemondesefigea.Puisl'undescomplicesdeKershawvouluts'enfuir.—Arrêtez-lestous!criaTrevillion,sautantàbasdesoncheval.SaufleFantôme.Jemele
réserve.Iltirasonépéedesonfourreau.Godricreculad'unpas.Iln'avaitaucuneenviedetuerlecapitaineTrevillion.Aprèstout,ce
militairenefaisaitquesontravail.Undragons'étaitpositionnéderrièreGodric.Trevillionlefusilladuregard.—Vousn'avezpasentendu,Stockard?LeFantômeestpourmoi!Lesoldatsepoussadecôté,laissantlaplacelibreàGodricetTrevillion.Godricagrippason
épée. La nuit, l'odeur des chevaux, celle du sang de Kershaw, les ordures de Saint-Giles...L'atmosphèredevenaitpesanteetfétide.
Trevillion s'avançait lentement, obligeant Godric à reculer. Puis il chargea. Mais sonattaqueétaitgauche.Manquait-ildepratiquepourmanier l'épée?Ilchargeaunedeuxièmefois.Godric esquiva le coupavec facilité et il s'interrogea sur la tactiquede sonadversaire.Trevillioncherchait-ilàl'acculerdansunrecoin?Pourtant,l'espace,derrièrelui,étaitouvert.Trevillionchargeaunetroisièmefois,avecplusd'énergie,obligeantGodricàreculerencore,
carilnevoulaitpasdececombat.Leurslamess'accrochèrent.Etsoudain,Trevillionlevalesyeuxauciel.—Enfuyez-vous,imbécile!Godrics'aperçutqu'ilss'étaientéloignésdeplusieursmètresdesautresdragons.Etqu'une
ruellesemblaitluitendrelesbras.Godrictournalestalonsetsemitàcourir,persuadéqu'uneballefiniraitparl'atteindreau
dos.Ouqu'unchevallerattraperaitpourlepiétiner.Mais ni l'un ni l'autre ne se produisit. Jetant un regard par-dessus son épaule, Godric
aperçut Alf qui escaladait une façade d'immeuble avec l'agilité d'un singe, sous l'œilimpuissantdesdragons.Godric courut jusqu'à ce que le souffle vienne à lui manquer. Puis il ralentit l'allure.
Heureusement,l'orphelinatdeSaint-Gilesétaitenvue.Une voiture familière s'était arrêtée à l'extrémité de Maiden Lane. Et une silhouette
féminine,vêtued'unmanteauàcapuche,s'apprêtaitàgravirleperrondel'orphelinat.Godrics'arrêtaàquelquesmètresd'elle,larespirationhaletante.La jeune femme ôta sa capuche, révélant une masse de cheveux noirs, soyeux, qui
retombaient sur ses épaules. Elle tenait un pistolet dans sa main droite et ses prunellesbrillaientd'unedéterminationfarouche.Godricétaitéperdud'admiration.Megredressalementon.—Netefatiguepasàmeremercier.Ilclignalesyeux.—Commentcela?Elleluidésignal'attelage,quiattendait.—Jet'aiamenélavoiture.Aucasoùtul'ignorerais,lesdragonsaimentbienpoursuivreles
fantômesdansSaint-Giles.LepoulsdeGodrics'emballaitdenouveau.Megétaitvenueà sa rescousse.Sabraveet courageuseMeg.Avantelle,personnen'avait
jamaisfaitcelapourlui.Godricmarchaitversellecommeilmarchaitverssanouvellevie.LavisiondeMegcommençadesebrouillerquandGodric,l'intrépideGodric,s'avançaàsa
rencontre.Elle avait pourtant tenu le coup jusque-là. Elle avait commencé par réveiller les
domestiques.Puis elle avaitpris sespistolets etpendantqu'onattelait sa voiture elle avaitdonné ses instructions à Moulder, à Mme Crumb et à Mme Saint-John, demandantnotamment qu'on fasse venir un médecin, par précaution. Elle s'était montrée concise,autoritaire etdéterminée.Durant l'interminable trajet envoiture, elle s'était efforcéedenepasimaginerlepire.Etvoilàqu'elleavaitretrouvéGodricsainetsauf.Vivant.Ilétaitvivant.
Ellen'auraitpassudirecomment ils rejoignirent lavoiture.Toujoursest-ilqu'une foisàl'intérieur,elleéclataensanglots,libérantceslarmesqu'elleavaitretenuesdepuislemomentoùelles'étaitaperçuedeladisparitiondeGodric.—Chut,Meg,luimurmurait-il,laserrantcontrelui.Toutvabien.Ellesecoualatête.—Non.Toutnevapasbien.Tuavaisdisparu.—Qu'ya-t-il,Meg?Pourquoies-tusibouleversée?—Parceque je t'aiencoreretrouvéhabilléenFantôme.TupoursuivaisKershaw,n'est-ce
pas?—Oui.—Pourquoi,Godric ? s'enflamma la jeune femme. Pourquoi ? Si tu l'avais trouvé, tu ne
seraispeut-êtrejamaisrevenuvivant.Jenepourraispassupporter...—Jel'aitrouvé,lacoupa-t-il,pourapaisersonhystérie.Etilestmort,Meg.Elleleregardaavechorreur.—Oh,non!Godric,dérouté,fronçalessourcils.—JecroyaispourtantquetuvoulaissamortpourvengercelledeRogerFraser-Burnsby?—Maispasaurisquedeteperdre!—Jesuisdésolé.Je...—Jenemesuispasexpriméeclairement, toutà l'heure.J'auraisdû te faire comprendre
que tu représentes davantage pourmoi quemon désir de vengeance vis-à-vis deKershaw.J'auraisdûtedirequetoutcelan'avaitplusd'importance.Cen'estpasvrai,biensûr,maiscepetitmensonge aurait été préférable, s'il avait pu te dissuader de t'éclipser pour peut-êtreallertefairetuer.SiKershawt'avaitassassinécommeRoger,jenetel'auraisjamaispardonnéet...Elle s'interrompit, voyant qu'il était de plus en plus désarçonné. De toute évidence, elle
s'étaitencoremalexprimée.Ouplusprécisément,elleavaitoubliédeluisignifierlepointleplusimportant.Alors,ellenouasesbrasautourdesoncouetellel'embrassa.Ah,enfin!Elle le sentait déjà se détendre. Il ne comprenait peut-être pas ses explications, mais il
répondaitavecenthousiasmeàsonbaiser.Auboutd'unmoment,cependant,ilrompitleurétreinte.—Meg?Ilparaissaittoujoursdéconcerté.C'estvrai!Elleneleluiavaittoujourspasdit.Maisc'était
safaute,aussi.Seslèvresétaientsidélicieuses.—Jet'aime,dit-elle,détachantchaquesyllabe,pourqu'iln'yaitpasdeconfusionpossible.
Jet'aimetoutentier.J'aimetesmains.J'aimetesyeux.J'aimelafaçondonttusouris-enfin,quand tu souris. J'aime la façon dont tume fais l'amour,même si c'est par pure politesseparcequejetel'aidemandé.J'aimequetulaissesSaGrâceseconstruireunniddouilletavecteschemises.J'aimequetuconsacresunepartiedetontempsàsauverlesmiséreuxdeSaint-Giles,mêmesijeveuxquetuarrêtes.J'aimequetuaiestuéunhommepourmoi,mêmesijet'enveuxtoujourspourcela.J'aimequetuaiesconservémes lettresavantmêmequenousayonsapprisàmieuxnousconnaître.Etj'aimeleslettres,courtesettellementsérieuses,quetum'envoyaisenretour.
Elleleregardaavecgravité,avantdecontinuer:—Jet'aime,GodricSaint-John.Etmaintenant, jevaisbrisermapartducontrat.Jenete
quitterai pas. Soit tum'accompagneras à LaurelwoodManor, soit je resterai dans ta vieillemaisonlondoniennepoussiéreuse,maistunetedébarrasseraspasdemoi,Godric.Carjetepréviens : j'aibien l'intentionde teharceler jusqu'à ceque tum'aimescomme je t'aime, etquenousformionsunefamilleheureuse,avecdestasd'enfants.Aubesoin,s'illefaut,jenereculeraidevantaucunepositionsexuelleexotique.Elles'interrompitpourreprendresarespirationetellelefixa.Son visage s'était figé etMeg s'alarma.Elle rassembla son courage pour se préparer à la
bataille.Maisilfinitparesquisserunsourire.—Despositionssexuellesexotiques?Elle comprit que la partie était gagnée. Pourtant, elle n'avait pas encore entendu le
meilleur.—Jeseraisraviquetumepersuadesdet'aimeraumoyendepositionssexuellesexotiques,
maisceneserapasnécessaire.Carjet'aimedéjà,Meg.Jecroisquejet'aiaiméelejouroùj'aireçutadeuxièmelettre.Ilenauraitpeut-êtreditplus,maisMegl'interrompitpourl'embrasserdenouveau.Aprèsunlongmoment,ellepritsonairleplussévère:—PlusdeFantôme.—Non,plusdeFantôme,acquiesça-t-ildocilement,avantdesepencheràsonoreille.J'ai
uneconfessionàtefaire.—Oui?— Je ne t'ai jamais fait l'amour par « pure politesse », mais parce que j'en avais
terriblementenvie.Leurconversations'arrêtalà.Ilsavaientautrechoseàfaire.Quatresemainesplustard...Godric regarda unpetit oiseau au poitrail orangé sautiller sur une branche du pommier,
avantdes'engouffrerdansunecavitédutronc.Depuisqu'ilhabitaitSaintHouse,iln'avaitencorejamaisvuderouge-gorgedanslejardin.
Maisilestvraiquec'étaitavantqueMegneviennevivreaveclui.—Jet'avaisbienditquecepommiern'étaitpasmort.Godricseretourna.Ce matin, Meg portait son ensemble rose et vert pomme. Elle incarnait à merveille le
printemps.—Tutesensmieux?luidemanda-t-il.Tout à l'heure, au petit déjeuner, elle avait mordu dans un toast avant de se lever
précipitammentdetablepourallerauxtoilettes.Godrics'étaitbiensûrempressédelasuivre.Ellegrimaça.—Jen'en reviens toujours pas que tum'aies accompagnéependant que je vomissais. Je
croisquejenemesuisjamaissentieaussimortifiéedemavie.—Jet'aime,avecousanstesnausées,luirépliquaGodric.Maistun'aspasréponduàma
question:Tesens-tumieux?—C'est très étrange.Maintenant, j'ai tellement faimque je croisque jepourraisdévorer
tout un pâté de poisson. Avec quelques scones et de la confiture de groseilles. Ce seraitdélicieux,non?— Délicieux, approuva Godric, bien que le mélange du poisson et de la confiture de
groseillesluiparûtpourlemoinshasardeux.Enas-tuparléàlacuisinière?Elle lui décochaun regardque secrètement il appelait « un regardd'épouse». Il adorait
qu'ellefassecela!—Godric,nousnepouvonsquandmêmepasdemanderàlacuisinièredeconfectionnerun
pâtédepoissonetdeseprocurerdelaconfituredegroseillesjustesuruncaprice.—Pourquoipas?Jeluiversesonsalaire.Situveuxdupâtédepoisson,tuaurasdupâtéde
poisson.Etdelaconfituredegroseilles.—Idiot,murmura-t-elle,avantdereportersonattentionsurlepommier.Iln'estvraiment
pasmortdutout.Godric sourit, parce qu'elle lui rappelait l'histoire de ce pommier chaque fois qu'ils
sortaient dans le jardin, c'est-à-dire au moins une fois par jour, sinon deux, comme unexempleprobantdesa«mainverte».Defait,lespectacleétaitassezspectaculaire.Lepommiers'étaitcouvertd'unenuéedefleursblanchesetrosesquiattirait leregardde
quiconquemettaitunpieddanslejardin.Godricavaitl'intuitionqueMegluiparleraitencoredecetarbredansdixans.Nonpasqu'ilsongeâtàs'enplaindre,bienaucontraire.—Oh,regarde!s'exclamalajeunefemme.Unnidderouge-gorge!Etj'aiaperçudesbébés
lapinssautillerdans l'herbe,hiersoir.J'ignoraisqu'ilexistaitune telleviesauvageenpleincœurdeLondres.—Ellen'existaitpas,avantqu'unedéesseneviennehabiterleslieux,marmonnaGodric.Ellehaussalessourcils.—Qu'as-tudit?—Rien.Ill'enlaçaetilsregardèrentensemblelerouge-gorges'envoler.Lejardinnetarderaitpasà
êtreinfestéd'écureuilsetdehérissons.LespouvoirsmagiquesdeMegsemblaientillimités.Etc'étaitparfaitainsi.— T'ai-je déjà dit à quel point j’étais heureux que tu aies fait intrusion chez moi pour
bousculermonexistence?luichuchota-t-ilàl'oreille.—Tumelerépètestouslesjours.—Ah,fit-il.Maisc'estparcequetum'assauvélavie.—Nedispasdebêtises.—Maissi,c'estvrai.Etenrécompense,jevaisdemanderàlacuisinièredeteconfectionner
unpâtédepoisson.Lajeunefemmefitlamoue.—Si, insistaGodric.Rienn'est tropbeaupour lamèredemonenfant.Es-tu sûrede toi,
désormais?Cettenausée,toutàl'heure,c'étaitcela?—Oui,j'ensuiscertaine,àprésent.Elle lui décocha un sourire plus aveuglant que le soleil, un sourire qui faisait écho au
bonheurqueressentaitGodric.Ils rentrèrent dans la maison, main dans la main, en quête de pâté au poisson et de
confituredegroseilles.
Épilogue
«Attendez!luicriaFoi.Oùallez-vous?»«Rencontrerlediable»,réponditl'Hellequin.«Alors,jeviensavecvous.»Il laregarda,etFoicrutlireuneémotiondanssonregard:duchagrin.Puisilluitenditlamainpourl'aideràmonterencroupesursongrandchevalnoir.Foil'enlaçaàlatailleetilschevauchèrentensilencependantdelonguesheuresàtraverslaplainedesMurmures.Finalement,unearchedepiètresnoiressedressadevanteux.«Est-celàl'entréedel'Enfer?»demandaFoi.«Oui,réponditl'Hellequin.Cettearcheestlabouchede l'Enfer.Retenezbienceci :quoique lediablepuissevousdire, iln'aaucunpouvoir survous, car vous êtes vivante. Il negouverneque lepeupledesMorts. »Foi hocha la tête ets'agrippaplusfortàl'Hellequin.Aussitôtquelechevaleutfranchilabouchedel'Enfer,ilsplongèrentdansl'obscurité.Foi
avaitbeauregarderautourd'elle,ellenevoyaitnin'entendaitrien.L'endroitétaitsidésolé,si glacial, que si elle s'y était trouvée seule, Foi aurait sans doute paniqué. Mais elle secramponnaitàl'Hellequin.Unesilhouetteàlaformehumaineapparutdevanteux.Maissonregardétaitvidedetoutehumanité.Foifrissonna.L'HellequinmitpiedàterreetilaidaFoià descendre pour se présenter devant la forme. « Tu as laissé perdre lame que je t'avaisenvoyé collecter », lui dit celui qui n'était autre que le souverain de l'Enfer. L'Hellequininclinalatête.«Tuconnaisleprixàpayerpourtonforfait»,poursuivitlediable.«Quelestleprixàpayer?»chuchotaFoiàl'oreilledel'Hellequin.«Monâme,réponditl'Hellequin.Lediableréclamaituneâmeet,puisquej'aiperducellequiluiétaitdestinée,jedoisluidonnerlamienneenéchange.»«Non!»serécriaFoi.LeslèvrescruellesduMalinesquissèrentunesortedesourire.«Lesvivantssonttoujourspassionnés,tonna-t-il,l'airamusé.Veux-tuquejet'enchaîneàunrocherbrûlantouquejetefasserôtirpendantdessiècles,jeunefille?»Foiredressafièrementlementon,bienqu'ellefrissonnâttoujours.«Jesuisvivante.Vousnepouvezriencontremoi.»«Ah.Jevoisquel'Hellequinatropparlé»,répliqualediable.Et,haussantlesépaules,ilajouta:«Danscecas,sorsdemondomaine.»«Jevaispartir,oui,réponditFoi.Maispassansl'Hellequin.»Lediableéclataderire.Maissonrireétaitglacialetdésincarné.«Pauvreidiote.L'Hellequinn'estplusunhumaindepuismilleans.»«Ilboitcommeleshumains»,objectaFoi.Lediableplissalesyeux.«Ilmangeetdortcommeleshumains,ajoutacourageusementFoi.Comment,dèslors,ne
serait-ilpashumain?»«Ilnerespirepascommeleshumains»,luirétorqualediable.Foiécarquillalesyeuxetcompritqu'elleavaitperdu,carl'Hellequinn'avaitpasinspiréune
seulefoisdepuisqu'ellel'accompagnait.Ellesetournaversl'Hellequin,lesyeuxmouillésdelarmes,etellepritsonvisagedansses
mains.«Jesuisdésolée,murmura-t-elle.Désolée.»Etelleplaquaseslèvressurcellesdel'Hellequin,luiinsufflant,parsonbaiser,l'aircontenu
danssespoumons.
Lediablecriaderage.UnventterribleselevaautourdeFoietdel'Hellequin.IlsoufflaitsifortqueFoidutfermerlesyeuxetsecramponneràl'Hellequin.Quandleventretombaenfin,ellerouvritlesyeux.C'étaitlanuit,etilssetrouvaientaucarrefouroùsonbien-aiméavaitrendu sondernier soupir. L'Hellequin semblait étouffer. Il tombaà genoux. Foi, paniquée,s'agenouilladevantlui.«Quevousarrive-t-il?»«C'esttrèsdouloureux,derespireraprèsmilleans!»Etiléclataderire.Mais,contrairementaudiable,sonrireétaitchaleureuxetbienvivant.L'HellequinserraFoidanssesbras.« Vousm'avez donné à boire, àmanger et vousm'avez fait dormir. Vous avez défié le
diableetvousm'avezsauvédel'Enfer.Jenesuispasaussibongarçonquevotrebien-aimé,maissivousm'acceptezcommemari,jepasseraitoutlerestantdemaviedemortelàfaireensortequevousm'aimiez.»Foiluisourit.«Jevousaimedéjà.Carvousétiezprêtàdonnervotreâmed'immortelpour
sauvercelledemonbien-aimé.Etpourmefaireplaisir.»Etsurcesmots,elleluidonnasonpremierbaiserdemortel.[...]
op.cit.Troismoisplustard...Depuisqu'elleétaitdamedecompagniedeladyPénélopeChadwicke,ArtemisGreavesavait
été témoin de bien des idées idiotes. Comme la fois où Pénélope avait décidé de jouer lesmaîtresses d'école à l'hospice pour enfants trouvés de Saint-Giles ; les enfants l'en avaientrécompensée en la bombardant de projectiles divers.Ou cette autre fois oùPénélope avaitvoulu lancer une nouvelle mode en se servant d'un cygne vivant comme accessoire ; elleignoraitque lescygnespouvaient semontrer facilement irritables.Oucettedébâcleavec lemoutonet lecostumedebergère;unanaprès, l'odeurdelainemouilléehantaitencore lesnarinesd'Artemis.Mais,généralement,lesidéesdePénélopen'étaientpasdangereuses.Ladernière,enrevanche,pourraitleurêtrefatale.—NoussommesdansSaint-Gilesetlanuitesttombée,fitremarquerArtemis,d'unevoix
qu'elleespéraitpersuasive.La rue dans laquelle elles se trouvaient était déserte et les immeubles la bordant les
surplombaientdeleurssilhouettesmenaçantes.—JepensequecelaremplitlargementvotrepartducontrataveclordFeatherstone,ajouta
Artemis. Rentrons à la maison, à présent. Que diriez-vous de déguster l'une de cesmerveilleusestartelettesaucitronquelacuisinièreaconfectionnéescematin?—Oh,Artemis,répliquaPénélope,decetondésobligeantqu'Artemiscommençaitvraiment
à détester. Le problème, avec vous, c'est que vous n'avez aucun sens de l'aventure. LordFeatherstonenemedonnerasaboîteàpriserenorfèvreriequesij'achèteunepintedeginàminuitetquejela«bois»dansSaint-Giles.Or,c'estbiencequejecomptefaire.Etellepoursuivitsaroute.Artemis futbienobligéede suivre.C'estellequiportait la lampe.Etpuis,Pénélopeavait
beauêtrevaine,égoïsteet insupportable,Artemisavaitdel'affectionpourelle.Avecunpeudechance,ellesdénicheraientrapidementunetaverneoùl'onvendaitdugin,ellespourraient
ensuite rentrer tranquillement chez elles et Artemis aurait une autre histoire piquante àraconteràApollo.ToutcelaétaitlafautedeMlleHippolytaRoyle.MlleRoylecaptivaittouslesbonspartisde
Londres et, pour la première fois de sa vie, Pénélope était confrontée à une rivale. Enréponse, elle avait décidé de faire preuve d'audace. Jusqu'à choquer. Ce pari avec lordFeatherstoneenétaitl'illustration.— Ah, voilà qui semble faire l'affaire, dit Pénélope, désignant une taverne, à quelques
mètresdroitdevantelles.Aumêmeinstant,troisgrandsgaillardssortirentdelataverne.—Pénélope!sifflaArtemis.Tournezàdroite!Tournezàdroitetoutdesuite!—Pourquoivoulez-vousquejetourneà...Maisilétaitdéjàtroptard.L'undestroisgaillards lesaperçutetseraidit.Artemisavaitdéjàvu,unefois,unchatde
gouttièreseraidirdelasorte.C'étaitjusteavantquelechatnesejettesurunmoineaupourledéchiqueter.Leshommess'avancèrent,épaulecontreépaule,àleurrencontre.—Fuyons!criaArtemisàsacousine,tendantsonbrasversPénélope.Ellenepouvaitquandmêmepasl'abandonneràsonsort.Pénélopepoussauncriperçant.Les trois gaillards arrivaient sur elles. Même si elles s'enfuyaient en courant, elles ne
gagneraientquequelquessecondes.MonDieu,monDieu,monDieu!Artemiscommençad'enleverunechaussure.C'estalorsquelesaluttombaduciel.Ilavaitprislaformed'unhommequiselaissatomberaumilieudelaruelle.Seredressant,
il déploya sa silhouette athlétique, tout enmuscles. Unmasque grotesque lui couvrait enpartielevisage,maisderrièrebrillaientdeuxyeuxd'uneredoutableacuité.Artemis,pétrifiée,seretrouvafaceauFantômedeSaint-Giles.
Remerciements
Une fois encore, je tiens à exprimer toutema reconnaissance auxprofessionnelsqui ontpermis à mon manuscrit d'arriver dans vos mains : mon agente, Susannah Taylor, monéditrice, AmyPierpont,ma relectrice, CarrieAndrews. Je n'oublie pas non plus l'assistanted'Amy,LaurenPlude, toujoursaucourantde tout,ni tousceuxqui travaillent sans relâchepourquemeslivressoientlus.Merciàvoustous.
[1]Variétédecochenillesquiressemblentàdesperlesàl'étatlarv aire(notedutraducteur).