191

Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,
Page 2: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

ElizabethHoytNée en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant, à travers l'Europe. Diplôméed'anthropologie à l'université du Wisconsin, elle embrasse quelques années plus tard lacarrièred'écrivain.Traduiteenplusieurslangues,elleestl'auteurdesériesàsuccès,dontlapluscélèbreestLestroisprinces,trèsremarquéepardesmilliersdelectricesdanslemonde.SouslepseudonymeJuliaHarper,elleécritégalementdesromancescontemporaines.

Page 3: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

DumêmeauteurauxÉditionsJ'ailu

LESTROISPRINCES1-Puritaineetcatin

№8761

2-Liaisoninconvenante№8889

3-Ledernierduel№8986

LALÉGENDEDESQLATRESOLDATS

1-Lesvertigesdelapassion№9162

2-Séduireunséducteur№9229

3-Lereclus№9309

4-Lerevenant№9360

LESFANTÔMESDEMAIDENLANE

1-Troublesintentions№9735

2-Troublesplaisirs№9899

3-Désirsenfouis№10001

4-L'hommedel'ombre№10165

Page 4: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

ElizabethHOYT

LESFANTÔMESDEMAIDENLANE-5Lelorddesténèbres

Traduitdel'anglais(Etats-Unis)parDanielGarcia

Page 5: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

AVENTURES&PASSIONS

Voussouhaitezêtreinforméenavant-premièredenosprogrammes,noscoupsdecœurouencore

del'actualitédenotresiteJ'ailupourelle?

Abonnez-vousànotreNewsletterenvousconnectantsurwww.jailu.com

Retrouvez-nouségalementsurFacebookpouravoirdesinformationsexclusives:

www.facebook/pages/aventures-et-passions

etsurleprofilJ'ailupourelle.

TitreoriginalLORDOFDARKNESS

ÉditeuroriginalGrandCentralPublishing.HachetteBookGroup,Inc.,NewYork

©Nancy M.Finney ,2013

Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ'ailu,2013

Page 6: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Amafilleaînée,Emma.Jesuissifièredetoi.

Page 7: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

1

Avez-vousdéjàentenduparlerdel'Hellequin?Lalégendedel'Hellequin

Londres,Angleterre,mars1740Godric Saint-John n'avait pas revu sa femme depuis leurmariage, deux ans plus tôt, et

voilàqu'ellepointaitunpistoletdanssadirection.LadyMargarets'étaitretranchéederrièresavoiture,arrêtéedanslesruesmalfaméesduquartierSaint-Giles.Desbouclesdecheveuxnoirs,soyeuxetbrillants,s'échappaientdelacapuchedesonmanteau.Elles'étaitredressée,brandissaitsonpistoletàdeuxmainsetunelueurmeurtrièrebrillaitdanssesyeux.Godricneputs'empêcherdel'admirer.Jusqu'àcequeladyMargaretappuiesurladétente.«Boum!»La détonation fut assourdissante, mais heureusement sans conséquence : de toute

évidence, ladyMargaretne comptait pas le tir aunombrede ses talents.Godricne fut pasrassurépourautant,carsafemmesortitimmédiatementunautrepistoletdelavoiture.Mêmelespirestireursfinissentparavoirdelachance.Godricn'eutpas le tempsdeméditerdavantage l'ingratitudede sonépouse,qui semblait

résolueàletuer,alorsqu'ilétaitoccupéàlasauverdesgriffesd'unepoignéedetire-laine.Lesgredinsavaientforcélavoitureàs'arrêter,danslebutévidentdedétrousserlajeunefemmenonsansviolence.Godric sepencha justeà tempspouréviterunpoinget ripostaparuncoupdepieddans

l'estomacdesonadversaire.L'hommegrognadedouleurmaissonimposantestaturen'oscillamême pas. Il revint même à l'attaque, et Godric se trouva rapidement entouré par cinqhommes.Ilbranditsesdeuxlames-uneépéedanslamaindroiteetunedaguedanslamaingauche-

,prêtàendécoudreet...Enferetdamnation!LadyMargarettiraunsecondcoupdefeudanssadirection.Le bruit de la détonation déchira la nuit et fit écho entre les façades des immeubles

décrépitsquibordaient larue.Godricsentitsonchapeauvaciller : laballeenavait traversél'étoffedelaine.Lady Margaret, furieuse de l'avoir encore raté, laissa échapper un juron dont Godric

n'auraitjamaispenséqu'ilpûtfigureràsonvocabulaire.L'undestire-lainesouritsurdesdentsd'unjaunepisseux.—Ellenevousaimepasbeaucoup,ondirait.Il n'était pas loinde la vérité. LadyMargaret essayait de tuer le FantômedeSaint-Giles.

Malheureusement,elleignoraitqueleFantômeetsonmarin'étaientqu'uneseuleetmêmepersonne.Lemasquede cuirnoirqueportaitGodric cachait ses traits avecune redoutableefficacité.Le sixième gredinpointait sonpistolet sur le cocher et les deux valets de ladyMargaret.

Page 8: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Une femme imploraitdepuis l'intérieurduvéhicule :probablementvoulait-elle inciter ladyMargaretàsemettreàl'abri.Maiscettedernièrenequittaitpassonpointd'observation,sansréalisercequil'attendaitsiGodricéchouaitàlasauverdecettebandedemalfrats.Au-dessusde leurs têtes, la lune semblait observer le spectacle avec indifférence. Seul le grincementd'uneenseignevoisinetroublaitlesilencedelarue.Godricsejetasurlebanditausourirejauni.Aurait-il dû laisser la scène se dérouler sans lui ? Lady Margaret s'était montrée

parfaitementinconsciente,etceshommesavaientlamainmisesurcequartiermalfamé.MaisGodricavaitrevêtulemasqueduFantômedeSaint-Giles.Ilsedevaitdevolerausecoursdesplusfaibles.Sansoublierundétail:ladyMargaretétaitsafemme.Aussi ne fit-il preuve d'aucune pitié : il empala son adversaire qui s'affaissa dans un

grognement étouffé, les lèvres toujours retroussées. Godric libéra aussitôt son épée pouraffronterunautrebandit,àquiiltranchaproprementlenez.Puisilpointalalameensanglantéesuruntroisièmelarron,avantdeluiouvritlajouedans

une belle diagonale. Avec des glapissements aigus, l'homme recula en titubant, une mainplaquéesurlevisage.Les deux derniers attaquants marquèrent une seconde d'hésitation, erreur à ne pas

commettrelorsd'unebataillederue.LeFantômedeSaint-Gilesbondit,unearmedanschaquemain.Ilplongeasadaguedansla

cuisse gauche d'un des assaillants, qui hurla de douleur. La bataille s'arrêta là : les deuxhommess'enfuirentsansdemanderleurreste.Godricseredressaetinspectalesalentoursenmêmetempsqu'ilreprenaitsarespiration.

Encoreunadversaire-celuiaveclepistolet.Lecocher,unhommecorpulentauvisagerougeaud,profitadeladistractiondubanditpour

tirerunpistoletdesoussonsiège.Aussitôtqu'ilvitl'arme,lederniermalfratpritàsontourlapoudred'escampette.—Tirez!ordonnaladyMargaretàsondomestique.Savoixtremblait,decolèreetnondepeur,réalisaGodric.—Surqui,milady?gémit lecocher, interloqué,car lesbrigandsétaientdéjàtoushorsde

vue.LeFantôme,lui,savaitqu'ilétaitleseulviséparcespropos.—Inutiledemeremercier,dit-il,contournantlecadavred'undeshommesqu'ilvenaitde

tuerpourlasauver.Ilavaitparlébaspourdéguisersavoix,maisellel'avaitclairemententendu.—Cen'étaitpasmonintention,répliqua-t-elle,cinglante.Ilhaussalessourcils,avecunsourireencoin.—Non?Mêmepasd'unbaiser?Elleregardaavecdégoûtseslèvressouslemasque.—Jepréféreraisembrasserunevipère.LesouriredeGodrics'élargit.—Auriez-vouspeurdemoi,machère?Elleouvraitdéjàlabouche,sansdoutepourrépliquervertement.—Merci!lançaunevoixféminine,depuisl'intérieurdelavoiture.LadyMargaretsetournavivementverslaportièrerestéeouverte.—Neleremerciezpas!C'estunassassin.

Page 9: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Ilnenousapasassassinées,objecta l'inconnue.Maisassezparlé, il se fait tard.Je l'airemercié pour nous deux. Remontez vite en voiture,Meg, et quittons cet horrible endroitavantqu'ilnechanged'avis.LadyMargaretfitlamoue,commeunefilletteàquil'onauraitrefuséunesucrerie.—Ellearaison,voussavez,assuraGodric.Lesaristocratessefontvitedétrousserdansces

ruesmalfamées.—Meg!s'impatiental'inconnuedanslavoiture.LadyMargaretdécochaàGodricunregardquiauraitpuscierunarbre.—Jevousretrouverai,promit-elle.Etjevoustuerai.Leplusdrôle,c'estqu'elleparlaitsérieusement.Godricsoulevasonchapeauetinclinabien

baslatêteenunsalutmoqueur.—Jesuisimpatientdemourirdansvosbras,mabelle.LadyMargaretplissalesyeux,maissacompagnecontinuaitdelapresser.Ellegratifiason

interlocuteurd'undernierregarddemépris,avantdesedécideràremonterdanslevéhicule.Le cocher donna à ses chevaux l'ordre de repartir et l'attelage s'ébranla aussitôt sur les

pavés.Godric Saint-John comprit qu'il feraitmieux de rentrer chez lui au plus vite. Son regard

tombasurl'undesdeuxhommesqu'ilvenaitdetuer.Unerigoledesangcoulaitdéjàsurlespavés.Et l'homme fixait le ciel nocturnede ses yeux grands ouverts.Godric fouilla en lui-mêmeàlarecherched'unequelconqueémotion.Commed'habitude,ilnetrouvarien.Il tourna les talons et s'engageadans unepetite ruelle.Maintenant qu'il s'était remis en

mouvement,ils'aperçutquesonépauledroitelefaisaitunpeusouffrir.Uneecchymose,sansdoute. Rien de bien sérieux.De toute façon, SaintHouse n'était pas très loin. Et Godric yarriveraitviteenpassantparlestoits.Ilgrimpaitdéjààl'assautd'unegouttièrequandilentendituncridefillette.Bonsang.Lemomentétaitvraimentmalchoisi.Cependant,Godricselaissaretombersurlepavéetil

dégainadenouveauseslames.Lemêmecriterrifiéserépéta.Godriccourutversl'extrémitédelaruelle.En réalité, elles étaient deux fillettes. La première ne devait pas avoir beaucoup plus de

cinqans.Tremblantdetoutsoncorps,ellehurlaittoutcequ'ellepouvait.Laplusâgéeavaitdéjàétéattrapée.Ellesedébattaitcommeunbeaudiable,sanssuccès.—Holà!criaGodric.L'agresseurfitvolte-face.—Quediable...Godricsejetasurluietleplaquaausol.Puisilpointalalamedesadaguesursagorgeetse

penchacontresonoreille:—Lesrôlessontinversés.C'estàvousd'avoirpeurmaintenant.L'hommefrottasoncrâneendolori.—J'aitouslesdroitssurmesfilles.—Nousnesommespasvosfilles!protestalaplusâgée.EtcommeGodricsetournaitverselle,ellerenchérit:—Iln'estpasnotrepère!Seslèvressaignaient,cequimitGodrichorsdelui.

Page 10: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Rentrezchezvous.Jemechargedeceruffian.—Nousn'avonspasdecheznous,sanglotalacadette.—Tais-toidonc!pestal'aînée,quiluidonnauncoupdecoudedanslescôtes.Godric était fatigué. Et le bavardage des deux enfants l'avait distrait. Un coup de pied

l'envoyatomberàlarenversesurlespavés.Letempsqu'ilserelève,l'hommeavaitdéjàprislafuiteettournéaucoindelaruelle.Godricgrimaçadedouleur.Pasdechance:ilétaittombésursonépauledéjàmalmenéepar

lesbanditsdetoutàl'heure.—Venezavecmoi,ordonna-t-ilauxdeuxfillettes.Laplusjeunefitunpas,maisl'aînéelaretintparlebras.—Nesoispasidiote,Moll.C'estunKidnappeurcommel'autretype.Godrichaussalessourcilsàcemot.Voilàunmomentqu'iln'avaitplusentenduparlerdela

bande des Kidnappeurs. Mais il n'avait pas le temps, dans l'immédiat, de questionner lespetites.LadyMargaretseraitbientôtrentréeàlamaisonet,s'ilnes'ytrouvaitpasavantelle,ellel'interrogeraitsursesévasionsnocturnesjusqu'àcequ'ilcraque.— Venez, répéta-t-il. Je ne suis pas un ravisseur d'enfants et je connais un endroit

confortableetaccueillantoùvouspourrezpasserlanuit.Ettoutescellesquisuivront.Malgréletonrassurantdelavoix,lagrandegardaitunvisagefermé.—Nousn'ironspasavecvous.Godricsourit,avantdesepencherpourjucherunefillettesursonépauleetprendrel'autre

soussonbras.—Oh,quesi.Cenefutpasfacile.L'aînéevitupéra,employantdesjuronsquin'étaientguèredesonâge,

tandisque lacadette fondaiten larmes.Etbiensûr, lesdeuxgaminessedébattirenttout lelongdutrajet.Cinq minutes plus tard, Godric arrivait devant l'hospice pour enfants trouvés de Saint-

Giles.Ilreposaalorslesfillettesparterre,sansleslâcher.La plus grande voulut en profiter pour lui décocher un coup de pied mal placé. Godric

esquivajusteàtemps.Puisilfrappaàlaportedel'orphelinat.Elle s'ouvrit presque aussitôt sur un homme de grande taille, en manches de chemise

relevéessursesavant-bras.WinterMakepeace,ledirecteurdel'établissement,haussaunsourcilàlavueduFantôme

de Saint-Giles et des deux fillettes qui pleurnichaient et continuaient à donner des coupsdanslevide.MaisGodricn'avaitpasletempsdeseperdreenexplications.—Voici deuxnouvellespensionnaires, annonça-t-il, enpoussant les enfants à l'intérieur.

Soyezferme,ellesonttendanceàserebeller.Là-dessus,iltournalestalonsetdisparutdanslanuit.Lady Margaret Saint-John fut prise de tremblements dès l'instant où sa voiture quitta

Saint-Giles.LeFantômeluiavaitparusiimposant,simenaçant.Quandils'étaitavancéverselle,sonépéerougiedesangetsesyeuxbrillantssoussonmasque,elleavaitdûfaireappelàtoutesavolontépournepasdéfaillir.

Page 11: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Meg inspira profondément pour tenter de calmer ses nerfs.Deux ans qu'elle haïssait cetindividu, et elle n'aurait jamais imaginé que le jour où elle le rencontrerait enfin, elle sesentiraitsi...Sivivante.Elle baissa les yeux et fixa un instant les deux pistolets posés sur ses genoux, avant de

releverlatêtesurlapassagèreassiseenfaced'elle,sabelle-sœuretgrandeamie,SarahSaint-John.—Jesuisdésolée.C'était...—Uneidéeidiote?suggéraSarah,unsourcildélicatementarqué.Sacheveluremarronetorétaittiréeenarrièrepourformerunchignonsurlanuque.Meg

grimaça.—Jenediraispasidiote...—Alors,stupide?Inepte?Imbécile?Irréfléchie?—Non, laplupartdecesqualificatifsnemesemblentpasdavantageappropriés, répliqua

Meg,avantqueSarahnecontinuesalistequesonamiesavaitinfinie.Maisvousavezraison:«irréfléchie»estsansdouteceluiquiconvientlemieux.Jem'enveuxdevousavoirexposéeaudanger.—Etvousaussi,parlamêmeoccasion,répliquaSarah.Cette dernière se pencha vers ladyMargaret et son visage fut éclairé par la lanterne de

l'habitacle.D'ordinaire,Sarahaffichaitlaréserved'unejeunevierge-cequ'elleétaittoujours,à vingt-cinq ans -, que venait égayer une certaine dose d'ironie, mais pour l'heure, ellesemblaits'êtremétamorphoséeenAmazone.—Vousn'avezpasseulementrisquémavieetcelledesdomestiques,maisaussi lavôtre,

reprit-elle. Qu'y avait-il donc de si important pour que nous nous aventurions dans Saint-Gilesàlatombéedelanuit?Megdétournaleregard.Sarahétaitvenuehabiteravecelleprèsd'unanaprèssonmariage

avecGodric.Aussilajeunefemmeignorait-ellelesvraiesraisonsdesesnocesprécipitées.—Jesuisdésolée.Jevoulaissimplementvoir...Commeellelaissasaphraseensuspens,Sarahlapressa:—Voirquoi?OùRogeraétéassassiné.Le simple fait d'y penser ravivait la blessure qu'elle avait au cœur. Elle avait ordonné à

Tom, le cocher, de se rendre dans Saint-Giles avec l'espoir d'y retrouver la trace deRoger.Sanssuccès.Rogerétaitmortdepuislongtemps,àprésent.MaisMegavaituneautreraisondevenirdanscequartiermalfamé:ellevoulaitrécolterdesinformationssurlemeurtrierdeRoger,leFantômedeSaint-Giles.Etsurcepoint,elleavaitréussiau-delàdetoutespoir.LeFantôme s'était montré. Malheureusement, Meg avait réalisé qu'elle n'était pas vraimentpréparéeàlarencontre.Il en irait différemment la prochaine fois. La prochaine fois, elle ne le laisserait pas

s'échapper.Laprochainefois,elleluitireraituneballeenpleincœur.—Meg?murmurasonamie,latirantdesesnoirespensées.Megsecoualatêteets'obligeaàsourire.—Peuimporte.—Que...

Page 12: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Bontédivine,serions-nousdéjàarrivées?s'exclamaMeg.Leurattelageralentissaiteneffet,cequiluipermitdedévierlaconversation.Ellescrutal'obscuritéparlafenêtreetfronçalessourcils.—Non,peut-êtrepas.Sarahcroisalesbras.—Quevoyez-vous?—Noussommesdansuneallée,etj'aperçoisunegrandemaison.Elleal'airtrès...—Ancienne?Megsetournaverssacompagne.—Oui.Sarahhochalatête.— Alors, c'est Saint House. Lamaison est aussi vieille que poussiéreuse. Ne l'avez-vous

doncpasvisitéequandvousavezépousémonfrère?—Non,réponditMeg,quifeignaitd'êtreabsorbéeparcequ'elleréussissaitàvoiràtravers

lapénombre.Le repasdenoces s'était tenuchezmon frère, et j'aiquittéLondresquelquesjoursplustard.Entre-temps,elleétaitrestéealitéechezsamère.Maisellepréféraitnepasypenser.—SaintHouseestdoncsianciennequecela?—Médiévale!Et,dansmonsouvenir,glacialel'hiver.—Oh.—Enplus,ellen'estpassituéedanslapartielaplusenvuedeLondres,ajoutaSarah.Mais

àl'époquedesaconstruction,lesmaisonsnoblessebâtissaientsurleborddelaTamise.—Jesuissûrequesonâgel'arenduecélèbre,ditMeg,s'efforçantàlaloyauté.Elle-mêmeétaituneSaint-John,désormais.—Ohpourça,oui,ironisaSarah.Elleestmentionnéedansleslivresd'histoire.Celadevrait

vousréconforterquandvosorteilsgèlerontlanuit.— S'il est si éprouvant de l'habiter, pourquoi avez-vous accepté de m'accompagner à

Londres?—Pourvoirlavilleetsesboutiques,évidemment!réponditSarah,d'unevoixenjouée.Cela

faisaituneéternitéquejen'étaispasvenuedanslacapitale.La voiture s'immobilisa et Sarah commença de rassembler ses châles et son panier à

ouvrage. Oliver, le plus jeune des deux valets, ouvrit la portière. Il portait une perruqueblanche, comme tout domestique en livrée, ce qui contrastait drôlement avec ses sourcilsroux.— Je n'aurais pas cru que nous nous en sortirions vivants, marmonna-t-il, tandis qu'il

dépliaitlesmarches.Cesbanditsavaientdesminespatibulaires.—ToietJohnny,vousavezététrèscourageux,ditMeg,quidescendaitdéjà.Etvousaussi,

Tom,ajouta-t-elleàl'intentionducocher.Celui-cihaussasesépaulesmassivesavecungrognement.—Vousferiezbienderentreràl'intérieuravecMlleSaint-John.Vousserezensécurité.—Nousnousdépêchons,assuraMeg.Ellese tournavers labâtisseetremarquauneautrevoituredéjàgaréedans l'allée.Sarah

descenditàsontour.—J'ail'impressionquevotregrand-tanteElvinaestarrivéeavantnous.—Ondirait,eneffet,acquiesçaMeg.Maispourquoisavoitureest-ellerestéedehors?

Page 13: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Laportièreduvéhiculeenquestions'ouvrittoutàcoup.Etunetêteapparut.—Margaret?crialagrand-tanteElvina,lescheveuxblancsornésderubansroses.Amoitiésourde,lavieilledameparlaittoujourstrèsfort.—Cediabledemajordomeneveutpasnous laisserentrer,ajouta-t-elle.Voilàdesheures

quenousattendons,etSaGrâcecommenceàs'impatienter.Unaboiement,provenantdel'habitacle,appuyasesdires.Meg reporta son attention sur la maison de son mari. Aucune lumière ne trahissait de

présencehumaine.Elleétaitpourtantoccupée,puisqu'unmajordomeavaitréponduàElvina.Meggrimpaleperronetempoignalelourdanneaudebronzequiservaitdeheurtoir,qu'ellelaissaretomberférocementsurlebattant.Puis elle recula d'un pas et leva les yeux sur la façade. La demeure avait évolué avec le

temps. Les styles architecturaux se confondaient : le rez-de-chaussée et le premier étageétaientenbriquesrouges;certainementlabâtissed'origine.Maisunautrepropriétaireavaitajoutédeuxétagessupplémentaires,enpierresdetailledecouleurclaire.Cheminées et pignons se dressaient ici et là, sans paraître répondre à une quelconque

symétrie.De chaque côtédubâtimentprincipal, une aile s'avançait jusqu'à la rue, formantunesortedecourintérieuredanslaquelleleursvoituress'étaientarrêtées.—VousavezprévenuGodricdevotrearrivée?s'inquiétaSarah.—Je...Ah!Une lumièrevenaitdes'allumerà la fenêtre justeàdroitede laporte,cequiévitaàMeg

d'avouerqu'ellen'avaitpasavertisonmarideleurvenue.Laportes'ouvritfinalementavecungrincementsinistre.Undomestiqueapparut.Ilportaitluiaussiuneperruqueblancheettenaitunechandelleà

lamain.—M.Saint-Johnnereçoit...—Merci,lecoupaMeg,quimarchadroitsurlui.Un instant, elle craignit que lemajordome ne lui barre le passage.Mais il s'écarta juste

assezpourqu'ellepuisseentrer.Unefoisàl'intérieur,elleseretournaetcommençad’ôtersesgants.—JesuisladyMargaretSaint-John.L'épousedeM.Saint-John.Lemajordomehaussalessourcils.—Sonépouse?—Oui,confirmaMeg,cequiaccrutlastupéfactiondumajordome.Etvousvousappelez?IlseredressaetMegs'aperçutqu'ilétaitplusjeunequ'ellenel'avaitd'abordpensé.Trente-

cinqansprobablement.—Moulder,milady.Jesuislemajordome.—Parfait!Meg lui tendit ses gants avant d'inspecter le vestibule. Le spectacle n'avait rien de

grandiose,bienaucontraire.Unecolonied'araignéessemblaits'êtreinstalléeauplafond.Apercevant une lampe sur un guéridon,Meg s'empara de la chandelle deMoulder pour

l'allumer.—Maintenant,Moulder,magrand-tante-vouspouvezl'appelerMlleHoward-attenddans

l'autrevoiture.Etcettepersonnequim'accompagneestMlleSaint-John, lasœurcadettedeM.Saint-John.Avecungrandsourire,Sarahdéposasesgantsdanslesmainsdumajordomeéberlué.

Page 14: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Je ne suis pas venue à Londres depuis longtemps,mais je ne vous connais pas. Vousdevezêtrenouveau.—Je...commençaMoulder.—Noussommesvenuesavecnoscaméristesrespectives,continuaMeg,avantderendresa

chandelleaumajordome.Ainsiqu'avecquatrevaletsetlesdeuxcochers.Grand-tanteElvinaa insistépourprendre savoiture.De toute façon, jenevoispas commentnousaurionsputouslogerdansunseulvéhicule.—Non,c'étaitimpossible,confirmaSarah.D'autantquevotregrand-tanteronfle.— C'est vrai, acquiesça Meg, avant de reporter son attention sur le majordome.

Naturellement,nousavonsaussiamenéHiggins,lejardinier,etsonneveuCharlie,legarçoncireur.Ah,etaussiSaGrâce,quiaunesantéfragileetnemangeplus,depuisquelquetemps,quedupouletémincémarinédansduvinblanc.Voilà,jecroisavoirfaitletour.—Ah...fitMoulder,lesyeuxrondscommedessoucoupes.—Parfait,répétaMeg,avecungrandsourire.Oùestmonmari?Lemajordomeparutseremettredesasurprise,maiscettefoispours'inquiéter.—Danslabibliothèque,milady.Maisil...— Non, non, le coupa encoreMeg, avec un geste de la main. Inutile de memontrer le

chemin.JesuissûrequeSarahetmoitrouveronslabibliothèquetoutesseules.Occupez-vousplutôtdemagrand-tante.Ainsiquedudînerdenosdomestiques-etdeSaGrâce.Nousavonsfaitunlongvoyage,voussavez.Elles'emparaduchandelierqu'elleavaitalluméetpartitversl'escalier.Sarahsedépêchade

larattraper.—Vousavezeudelachancedeprendrelabonnedirection,murmura-t-elle,amusée.Dans

monsouvenir,labibliothèquesetrouveaupremierétage,deuxièmeportesurlagauche.—Tantmieux,soufflaMeg,soulagée.Après avoir rassemblé son courage pour se lancer à l'assaut de l'escalier, elle s'imaginait

malêtreobligéederedescendre.—Jesupposequevousêtesaussiimpatientedevoirvotrefrèrequemoi?—Bien sûr, acquiesça Sarah.Mais je n'aurai pas l'impudencede gâcher vos retrouvailles

avecGodric.Megarrivaitsurlepalier.Elles'arrêtanet.—Quevoulez-vousdire?Sarah,troismarchesendessous,luisourit.—Que jeme feraiune joiedevoirmonfrère...demainmatin.Enattendant, jevaisaider

votregrand-tanteElvina.—Mais...LesprotestationsdeMegtombèrentdanslevide.Sarahredescendaitdéjàl'escalier.Bon.Labibliothèque.Deuxièmeporteàgauche.Megpritunegrandeinspirationavantdes'engagerdanslecouloir.Celafaisaitmaintenant

deux ans qu'elle n'avait pas revu son mari, cependant elle avait gardé le souvenir d'ungentlemandebelleallure.Entoutcas,quin'avaitriend'unogre.Ellen'auraitsudires'ilavaitlesyeuxbleus.Marronpeut-être?Enrevanche,ellesesouvenaitdesonregardbienveillant,lorsdelacérémoniedumariage.Iln'yavaitaucuneraisonpourquecettebienveillancesesoitaltéréeendeuxans.Arrivéedevantlabibliothèque,Megagrippalapoignéeets'empressadelatourner,avantde

Page 15: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

changerd'avisetdes'enfuirencourant.Lapièceétaitàpeuprèsaussisombrequelecouloiretlerestedelamaisonnée.Unelueur

provenaitdesbraisesencorerougeoyantesdel'âtreetuneuniquechandelleposéeprèsd'unvieuxfauteuildécatiprojetaitunelumièrefantomatiquesurlesmurs.Megs'approchasurlapointedespieds.L'hommeavachidanslefauteuilparaissait...Aussi

décatiquesonsiège.Ilportaitunpeignoir couleur lie-de-vin, si éliméauxcoudesque la teintureavaitviréau

roseclair.Sespieds,logésdansdeschaussonsinformes,reposaientsurunpoufplacéunpeutropprèsdelacheminée.Satête,affaisséesursonépaule,setrouvaitagrémentéed'unturbanvertfoncéornéd'unglanddoréquiretombaitdevantsonœilgauche.Deslunettesendemi-lunesétaientperchéestoutauborddesonnez,prêtesàtomber.Sansunronflementdesplusbruyants,MegauraitjuréqueGodricSaint-Johnétaitmort...Devieillesse.Lajeunefemmeclignalesyeux.Sonmarinepouvaitêtreaussiâgéqu'illeparaissait!Elle

quipensaitqu'ilétaitàpeineplusvieuxquesonfrèreGriffin!Cedernieravaitarrangéleurmariageetn'avaitquetrente-troisans.Pourtant,elleréalisaqu'elleignoraitl'âgeexactdesonmari.Etcelan'avaitriend'étonnant.ElleavaitépouséGodricSaint-Johnalorsqu'elletraversait

lapériodelaplusnoiredesonexistence.Al'époque,pareilsdétailsluiimportaientpeu.Megréfléchit.Beaucoupd'hommessemariaientàunâgeavancé,cequinelesempêchait

pasdeprocréer.LeducdeFryeavaitdonnénaissanceàun fils l'annéedernière, et il avaitplus de soixante-dix ans. A priori, rien ne s'opposait donc à ce que Godric puisse en faireautant.Quelque peu rassurée,Meg s'éclaircit la voix. Discrètement, bien sûr, car elle ne voulait

surtoutpasrisquerdeluicauseruneattaqueavantqu'iln'aitpus'acquitterdesamission.Celledeluifaireunenfant.Godric Saint-John mua ses ronflements en reniflements pour donner l'illusion qu'il se

réveillait. Puis il ouvrit les yeux et il découvrit sa femme, qui l'observait avec un ravissantfroncementdesourcils.Àleurmariage,elleavaitparucommehébétéeetpasuneseulefoisellen'avaitcroiséleregarddeGodric.Puiselleétaittombéemaladeàlafindubanquetetelles'étaitretiréechezsamèrepoursesoigner.Quelquesjoursplustard,unelettreavaitapprisàGodricqu'elleavaitfaitunefausse-coucheetperdulebébéquil'avaitcontrainteàcemariageprécipité.Ledestinvousréservaitparfoisdesironiesbiensinistres.—Qu'ya-t-il?demandaGodric,commes'ilétaitsurprisdesaprésence.Elles'obligeaàsourire.—Bonjour,dit-elle.Bonjour?Aprèsdeuxansd'absence,bonjour?—Ah,c'estvous,Margaret,fitGodric,feignanttoujourslasurprise.—Oui,c'estmoi!s'exclama-t-elleavecgaieté,commes'ilétaitunvieillardsénilequiaurait

subitementretrouvéuneétincellederaison.Jesuisvenuevousrendrevisite.Godricseredressadanssonfauteuil.—Ah,bon?Maisc'esttrèsinattendu.Megcrutdécelerunecertainesécheressedansletondesavoix.Déroutée,ellefitquelques

pasdanslapièce,sansbutprécis.

Page 16: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Oui,etj'aiamenévotresœurSarahavecmoi.Elleétaitraviedecetteoccasiondefairelesboutiques,d'allerauthéâtre,pourquoipasàl'opéraetaussi...Elle prit dans un rayonnage un volume des Commentaires sur Catulle de Van Oosten,

qu'elletournadanssamain.—Etaussi...—Refairelesboutiques?suggéraGodric.Jen'aipasvuSarahdepuisuneéternité,maisje

saisqu'elleadoraitresterdesheuresdevantlesvitrines.—Eneffet,acquiesçaMeg,quifeuilletaitàprésentlespagesdel'ouvrage,sansleslire.—Etvous?—Pardon?—Pourquoiêtes-vousvenueàLondres?Le volume de VanOosten sembla exploser entre sesmains et tomba lourdement sur le

plancher.—Oh...gémitMeg,quis'accroupitpourramasserlesfeuillesdétachéesdelareliure.Jesuis

désolée.Godricseretintdesoupirer.CetouvrageluiavaitcoûtéplusieursguinéeschezWarwick&

Fils,etvoilàqu'ilétaitenmorceaux.—Cen'estpasgrave,assura-t-il.J'avaisprévudelefaireréparer.—Ah?fitMeg,quicontemplalespagesrassembléesdanssesmains,avantd'essayerdeles

remettreenordre.Voilàquimeréconforteunpeu.Ses grands yeux marron avaient quelque chose d'implorant. Et cette façon de rester

agenouillée à ses pieds ne manquait pas d'être troublante. Godric sentit son entrejambegronder.Bontédivin!Ils’éclaircitlavoix.—Margaret?Ellelevalatêteversluietclignalesyeux,avecbeaucoupdegrâce,commesiellecherchait

àleséduire.Imbécile!Sonvoyageavaitdûl'épuiser,voilàtout.D'ailleurs,Godricluitrouvalespaupièreslourdes.—Oui?—Combiendetempscomptez-vousresteràLondres?—Oh...(Ellebaissadenouveaulesyeuxsurlespagesmalmenées,qu'ellesemblaitavoirdu

malàrassemblerdanslebonordre.)Oh,ehbien,ilyatellementdechosesàvoirici,n'est-cepas?Etj'aiplusieursbonnesamiesàvisiter.—Margaret...Ellesereleva,levolumedeVanOosten,oucequ'ilenrestait,danslesmains.—Jenevoudraisfroisserpersonne,vouscomprenez.—Margaret.Ellebâillaàs'endécrocherlamâchoire.—Pardonnez-moi.Levoyageaeuraisondemoi.Aumêmeinstant,unesoubrettepassalatêteparlaporte.Megsetournaverselleavecun

soulagementmanifeste.—Ah,Danielle!Machambreest-elleprête?Lasoubretteinclinapolimentlatête,toutenbalayantlapièceduregardavecunecuriosité

Page 17: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

évidente.—Oui,milady.Enfin,aussiprêtequ'ellepeut l'êtrepource soir.Vousn'imaginezpas les

toilesd'araignéesquenous...— Je suis sûre que tout sera parfait, l'interrompit ladyMargaret, avant de saluerGodric

d'unsignedetête.Bonnenuit...monmari.Nousnousreverronsdemainmatin.Et elle quitta la pièce, lemalheureux volume de Van Oosten toujours prisonnier de ses

mains.Lasoubretterefermalaportederrièreelle.Godricrestaunmomentàcontemplerlebattantenchêne.Labibliothèque,toutàcoup,lui

parutbienterne,pournepasdirelugubre,aprèscechatoyantintermède.C'étaitd'autantplusétrange qu'il avait toujours considéré cette pièce comme l'une des plus confortables et desplusaccueillantesdelamaison.Godricsecoualatêteavecirritation.Qu'était-ellevenuefaireàLondres?Commebeaucoupd'autres,leurmariageavaitétéuneconvenance-unenécessitépourlady

Margaret.Ellesedevaitdedonnerunnomaubébéqu'elleportait.Godric,lui,avaitétéacculéà ce mariage en raison du chantage qu'avait exercé sur lui lord Reading, le frère de ladyMargaret.Pourtant,Godricn'étaitpaslepèredel'enfant.Peut-êtreavait-iladressélaparoleune ou deux fois à ladyMargaret avant leurs épousailles. Après quoi, ladyMargaret étaitpartie vivre dans le domaine qu'il possédait à la campagne, et Godric avait repris sa vie àLondres.Pendanttouteuneannée,ilsn'avaientpascommuniqué,nerecevantdesnouvellesl'unde

l'autrequeparlesmembresdelafamille.Puis,subitement,ladyMargaretluiavaitécritunelettre pour lui demander s'il acceptait qu'elle coupe la vigne vierge qui devenait tropenvahissante.Quellevignevierge?Godricn'avaitpasremislespiedsàLaurelwoodManor,sapropriétéduCheshire,depuislesdébutsdesonpremiermariageavecsachèreClara.IlavaitréponduàMargaretqu'ellepouvaitagiràsaguisepourtoutcequiconcernaitlejardin.Leur correspondance aurait pu s'arrêter là, mais contre toute attente sa femme avait

continuédeluiécrire,uneàdeuxfoisparmois.Seslongueslettresparlaientdujardin,delamaisonqu'elles'ingéniaitàréaménager,delasœurdeGodric,Sarah,quivivaitavecelle,descancansduvillagevoisin...CommeGodricnesavaitpasquoirépliqueràcedélugedemots,engénéralils'abstenaitderépondre.Mais,bizarrement,àmesurequelesmoispassaient,ilavait fini par s'habituer à ces missives. En trouver une à côté de son café du matin luiprocurait presque un sentiment d'allégresse. Et il avaitmême fini par s'impatienter quandunelettreaccusaitunoudeuxjoursderetard.Bah!Lasolitudedevaitcommenceràluipeseraprèstoutescesannées.Cependant,recevoir les lettresde ladyMargaretétaitunechose,subirsonintrusiondans

sondomaineenétaituneautre.— Jamais vu un débarquement comme ça, marmonna Moulder, qui entra dans la

bibliothèque.C'estunevéritableinvasion!ajouta-t-ilenrefermantlaportederrièrelui.—Dequoiparles-tu?s'enquitGodric,quiserelevapoursedébarrasserdesonpeignoir.Dessous, il portait encore la tuniqueduFantôme.Tout s'était joué à la secondeprès. Le

premierattelages'étaitarrêtédevantlamaisonàl'instantoùGodricyrentraitparlaportedederrière. Il avait entendu Moulder opposer une rebuffade aux occupants de la voiture,pendantqu'ilgrimpaitquatreàquatrel'escalierprivéquireliaitsonbureauàlabibliothèque.

Page 18: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

SaintHouseétaitunevieillemaisonquipossédaitquantitédepassagessecretsetdeportesdérobées fort utiles aux activités du Fantôme. Le deuxième attelage était arrivé peu après.Godricavait justeeu le tempsdecachersonmasque,sonchapeauetses lamesderrièreunmeuble, de troquer ses bottes pour des chaussons d'intérieur, d'enfiler son peignoir et demettresonturbanavantquesafemmen'entredanslapièce.Àunesecondeprès,oui,ilseseraitlaissésurprendre.— De Madame votre femme et de tous les gens qu'elle a amenés avec elle, s'énerva

Moulder,avecungesteampledesmains,commes'ilparlaitd'unemultitude.Godrichaussalesépaules.—Lesdamesvoyagenttoujoursavecleurscaméristes.—Lalistenes'arrêtepaslà,expliquaMoulder,quiservaitégalementdevaletdechambreet

aida sonmaître à se défaire de sa tunique. Elle est venue avec des valets. Il y amêmeunjardinieretuncireur.Sansparlerd'unaffreuxpetitchienquiappartientàlagrand-tantedemilady.Etelleestlàelleaussi.—Quicela?Lagrand-tante?—Oui,fitMoulder,quiexaminaitlatuniquedeGodric,àlarecherched'éventuellestaches

oudéchirures.Sic'estpasmalheureux!GodricenfilalachemisedenuitqueMoulderluiavaitapportée.—Qu'est-cequiestmalheureux?Moulderpliasoigneusementlatuniqueensecouantlatêted'unairdésolé.—Vousn'allezpluspouvoir courir les ruesdeSaint-Giles lanuit, assura-t-il.Maintenant

queladameestlà,vousallezdevoirrenoncerauxmissionsduFantôme.Godricôtasonturbanridiculeetsepassaunemaindanslescheveux.—SeulementsiladyMargarets'installaitàdemeure,etcen'estpaslecas.Moulderparutsceptique.— Vu la quantité de gens et de bagages qu'elle a apportés, elle n'a certainement pas

l'intentionderepartirdanslesquarante-huitheures.—Peum'importentsesintentions.Iln'estpasquestionquejerenonceàêtreleFantômede

Saint-Giles, intimaGodric, ensedirigeantvers laporte.Cequiveutdirequema femmeettoutsonéquipageserontrepartisd'icilasemaineprochaine.UnefoisladyMargaretderetourdanssapropriétédecampagne,ilpourraitreprendreson

actionenfaveurdespauvresdeSaint-Gilesetiloublieraittrèsvitecettecharmanteintrusiondanssavie.

Page 19: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

2

Maintenant,écoutez-moibien:l'HellequinestlamainduDiable,l'exécuteurdesesbassesœuvres. Il parcourt le monde sur un grand cheval noir, à la recherche de toutes lespersonnesimpiesmortessansconfession,etilexpédieleursâmesenenfer.Sescompagnonssont tous laids etmonstrueux. Ils ont pournomsDésespoir,Chagrin etDeuil. L'Hellequinlui-mêmeestaussinoirquelanuitetsoncœur-oudumoins,cequiluisertdecœur-n'estqu'unmorceaudecharbon.[...]

op.cit.Le lendemainmatin,Godric fut réveillé pardes voix fémininesprovenantde la chambre

contigüeà lasienne.Ilclignalesyeuxplusieursfois,ayantdepuis longtempsoubliéqu'unequelconqueactivitéhumaineauraitpusetenirlà.Godric couchait dans la chambre de maître de la demeure et la maîtresse de maison

dormait en principe dans la chambre voisine. Mais Clara n'avait occupé les lieux que lapremièreannéedeleurmariage.Ensuite,lamaladiequidevaitl'emporters'étaitdéclarée.Lemédecin avait exigé le repos le plus complet, et Clara avait déménagé dans l'anciennenurserie, au dernier étage. C'est là qu'elle avait souffert l'agonie pendant neuf longuesannées,avantderendrel'âme.Godricsecoualatête,sortitpiedsnusdesonlitetrencontralafraîcheurduparquet.Ilétait

inutile de s'apitoyer : cela ne ramènerait pasClara.Depuis lamort de sa première femme,Godricavaitprislechagrinpourcompagne.Ils'habillarapidementd'uncostumemarrontrèsordinaireetd'uneperruquegrise,puisil

quittasachambre,alorsquelejoyeuxbabillagesefaisaittoujoursentendrederrièrelaported à-côté. L'idée que lady Margaret avait dormi si près de lui le troublait. En dehors deMoulder, iln'étaitplushabituéà laprésenced'autrespersonnesdans lamaison.Et encoremoinsàuneprésenceféminine.Godricdescenditaurez-de-chaussée.D'ordinaire,ilprenaitsonpetitdéjeunerdansuncafé,

d'unepartpourêtreinformédesdernièresnouvelles,etparcequelanourriture,chezlui,étaitsouventsujetteàcaution.Cematin,cependant,ilpritsoncourageàdeuxmainsets'aventurajusqu'àlasalleàmanger,qu'iln'utilisaitqu'exceptionnellement.Ileutlasurprised'ytrouverunejeunefemmevêtued'unerobegriscolombe.—Sarah.Godricavaitbienfaillinepaslareconnaître.Depuiscombiendetempsn'avait-ilpasvusa

sœur?Sarahlevaversluiunsouriredebienvenue.Godricfutétonnéd'enressentiruneagréable

sensationdechaleur.Sasœuret luin'avaient jamaisété trèsproches-elleétaitplus jeuneque lui de douze ans - et il ne se serait pas douté un seul instant qu'elle aurait pu luimanquer.Apparemment,ils'étaittrompé.—Godric!

Page 20: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Elleselevadelalonguetableoùelleétaitassisetouteseulepourvenirl'embrasser.Godricenfutému.Sasolitudeduraitdepuissilongtemps!Sarahrecula,avantqu'ilpuisseserappelercommentrépondreàuntelgested'affection.—Commentvas-tu?lança-t-elle.—Bien,réponditGodricavecunhaussementd'épaules,avantdesedétourner.Au bout de trois ans de veuvage, il avait fini par s'habituer aux regards apitoyés et aux

questionspoliesdesgens-principalementdesfemmes-,cependantilslemettaienttoujoursmalàl'aise.—Tuasdéjàmangé?ajouta-t-il.— Pour tout t'avouer, je n'ai encore rien aperçu qui se mange, plaisanta Sarah. Ton

domestique,Moulder,m'apromisquelepetitdéjeunerarrivait,maisiladisparudepuisprèsd'unedemi-heure.—Ah,fitGodric,incapabledefeindrelasurprise.Probablementn'yavait-il rienàmangerdans lamaison.Celan'auraitpasété lapremière

fois.—Sinousallionsdansuneauberge?suggéra-t-il.Àcetinstant,Moulderapparut,ungrandplateaudanslesmains.—Voilà,voilà,ditledomestique,quidéposasonfardeauaumilieudelatable,avantdese

reculerfièrement.Godric examina le contenu du plateau.Une théière, accompagnée d'une seule tasse, une

demi-douzainedetoastsàmoitiécarbonisésetcinqœufs.Avecunpeudechance,ilsétaientdurs.Godricarquaunsourcilàl'intentiondesonmajordome.—La...cuisinièreest...malade,jesuppose?Moulderreniflabruyamment.— La cuisinière est partie dans la nuit. Et avec elle, un superbemorceau de fromage et

quelquespiècesd'argenterie.Jecroisqu'elleaétéfurieused'apprendrequenousavionstoutd'uncoupautantd'invités.—Bah,cen'estpasunegrandeperte.Ellen'étaitpasvraimentdouéepourlacuisine.— Et elle fréquentait un peu trop votre cave à vins, si je puisme permettre, monsieur,

renchéritMoulder.Voulez-vousquej'aillevoirsijetrouved'autrestasses?—Oui,merciMoulder,acquiesçaGodric,avantdesetournerversSarah.Jem'excusepour

lapauvretédematable,souffla-t-ilàsasœurunefoislemajordomeressorti.—Net'excusepas.C'estnousquienvahissonstamaison.—Euh,oui,acquiesçaGodric,avantdes'asseoirenfaced'elle.Sasœurhaussalessourcils.—Megnet'avaitpasprévenudenotrearrivée?Godricsecoualatêteetprituntoast.— Jeme demande bien pourquoi, reprit Sarah.Notre expédition était prévue depuis des

semaines.Crois-tuqu'elleaiteupeurquetuneluidemandesderesteràlacampagne?Godricfaillits'étrangler.—Pourquoiirais-jedireunechosepareille?D'oùtires-tucetteétrangeidée?Sarahhaussalesépaulesavecélégance.—Vous vivez séparémentdepuis votremariage.Et tune répondais presque jamais à ses

lettres.Tunem'écrivaispasnonplusbeaucoup,d'ailleurs.Niàmaman,niàCharlotte,nià

Page 21: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Jane.Apersonne.Godricétaitenbonstermesavecsabelle-mèreetsesjeunesdemi-sœurs,maisilsn'avaient

jamaisététrèsprocheslesunsdesautres.—Notremariagen'étaitpasunmariaged'amour.—Jesais.N'empêchequemamans'inquiètepourtoi.Etmoiaussi.Godricluiversasonthésansrépondre.Qu'aurait-ilpudire?Je me porte à merveille. J'ai perdu l'amour de ma vie, mais la douleur est finalement

supportable.Devait-ilfairecommes'ilétaitenparfaitesantéetqueseleverchaquematinn'étaitpasun

supplice?Pourquois'obstinaient-ilstousàvouloirsavoircommentilallait?Nepouvaient-ilspasvoirqu'ilétaitsibriséqueriennepourraitjamaistotalementlereconstruire?—Godric?lepressaSarahd'unevoixdouce.Godricreposalathéièreets'obligeaàsourire.—Commentvontmabelle-mèreetmessœurs?Sarahplissaleslèvres,commepours'empêcherd'insister,etportalatasseàseslèvres.— Maman va bien. Elle est dans les préparatifs des débuts mondains de Jane. Elles

projettentdes'installertoutesdeuxchezladyHartfordàl'automne.—Ah.Godric se sentit soulagé que sa belle-mère n'ait pas envisagé de faire irruption à Saint

House. Mais cette vague d(égoïsme fut presque aussitôt balayée par un sentiment deculpabilité. Il aurait dû réaliser que Jane était en âge d'être présentée à la bonne société.Commeletempspassaitvite!Ilsesouvenaitd'ellecommed'unefilletteauvisagetavelédetachesderousseur.—EtCharlotte?—EllefascinetouslesjeuneshommesdeUpperHornsfield.—Ya-t-ilbeaucoupdepartisintéressantslà-bas?—Pasautantqu'àLondres,biensûr.Maisentre lenouveauvicaireet le filsduchâtelain

local,Charlottepeutcomptersurunepetitecoteried'admirateurs.Celadit,jenesuispassûrequ'elleaitconsciencedefaireseretournertousleshommessursonpassage.LaCharlottequisedisputaitunmorceaudetarteavecJaneladernièrefoisqu'ill'avaitvue

serait-elleenpassededevenirunefemmefatale?CetteidéefitsourireGodric.Laportedelasalleàmangers'ouvritsurcesentrefaites,etiltournalatête.Son épouse se tenait sur le seuil, aussi raide et impérieuse que la reine Boadicée

s'apprêtantàlanceruneattaquesuruncampromain.Megs'arrêtasurleseuildelasalleàmanger,letempsdesedonnerducourage.Godriclui

semblait différent de l'homme qu'elle avait revu la veille au soir. Peut-être était-cesimplement l'effetde la lumièredu jour.Ouparcequ'il étaitmieuxvêtudans son completmarron,certesusé.Oualors,c'était le restedesourirequi flottaitsurses lèvres.Sonvisageétait toutàcoup

moins creusé, moins marqué par le chagrin. Ses yeux gris devenaient lumineux. Et sonsourire attirait le regard sur ses lèvres pleines. Meg s'attarda un instant dans cettecontemplationetsedemandacequ'elleressentiraitsiellesrencontraientlessiennes...—Bonjour,dit-il,selevantpoliment.Megtentadeseressaisir.Elleavaitdécidé,àsonarrivée,d'attendre le leverdu jourpour

Page 22: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

amorcersonentreprisedeséduction.Aprèsdeuxansdeséparation,elleauraiteutrèspeudechancesdesefaireconvierdanslelitdesonmaridèslepremiersoir.Maislematinétaitlàet...Bon.Étapesuivante.Séduiresonmari.Godricnesouriaitplusetavaitplissélesyeux,attendantuneréponseàsonbonjour.Meg

sesentittoutàcoupintimidéeetgaucheàresterainsiimmobile.Lebébé.Penseaubébé.Lajeunefemmecarralesépaules.—Bonjour!SonsouriredevaitêtreunpeutropforcécarSarah,quiavaitégalementtournélatêteàson

entrée,haussalessourcils.Meg se décida à pénétrer dans la pièce. Godric contourna la table pour lui avancer une

chaise,àcôtédeSarah.—J'espèrequevousavezbiendormi!Lachambreétaithumide,poussiéreuseetsentaitlemoisi.—Oui,trèsbien.Ilparutsceptique.Megsedirigeaversunechaiselibre,àladroitedesonmari.—Jepréféreraism'asseoirlà,sivousn'yvoyezpasd'inconvénient,dit-elle,lavoixsoudain

enrouée.Commecela,jeseraiplusprèsdevous.Etellebaissalescils,dansuneattitudequ'elleespéraitséductrice.Sonmarilaregardaitfixement,uneexpressionindéchiffrablesurlevisage.—Auriez-vousattrapéfroid?Sarahtoussota,manquantavalersonthédetravers.Zut!Fauted'expériencerécente,Megavaitoubliécommentflirter.Elleavaitvouluvoiler

savoixpourlarendreplussuggestive,maiselleavaitcomplètementratésoneffet.Elle jeta un regard courroucé à sa belle-sœur, se retenant à grand-peine de lui tirer la

langue.Godriclarejoignitpourluitirerlachaisequ'elleavaitchoisie.—Commevousvoudrez,dit-il.—Merci.Elles'assit,deplusenplusintimidéeparlaprésencephysiquedesonmari.Heureusement,ilretournaàsonpropresiège.Megl'observaducoindel'œil.Elles'interrogeait.Devait-elleluifairedupiedsouslatable?

Maisilsemblaitsigrave,sisérieux!Elleauraitl'impressiondefairedupiedàl'archevêquedeCanterbury.Puiselleavisalepetitdéjeuner,etsesdélicatesmanœuvresdeséductions'envolèrent.Un

plateau posé au centre de la table présentait quelques restants de toasts carbonisés et desœufsdurs.Megeutbeauinspecterlapièceduregard,ellen'aperçutriend'autreàmanger.—Voulez-vousuntoast?luiproposaSarah.—Oui,volontiers,réponditMeg,laquestionnantduregard.— Il semblerait que la cuisinière se soit volatilisée, expliqua Sarah, poussant le plateau

dans sa direction. Et Moulder est parti chercher une autre tasse. Mais d'ici son retour,n'hésitezpasàutiliserlamienne.—Euh...

Page 23: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megfutdispenséed'avoiràrépondre:laportedelasalleàmangers'ouvritengrand.—Mesenfants ! s'exclama lagrand-tanteElvina, en faisant irruptiondans lapièce.Vous

n'imaginezpasdansquellechambrej'aipassélanuit!SaGrâces'esttrouvéeasphyxiéeparlapoussière.Lamalheureuseasouffertunebonnepartiedelanuit.Godrics'étaitrelevé.Ils'éclaircitlavoix.—SaGrâce?Unepetitechienneauventrerebondietaupelage fauveentraaumêmemomentdans la

pièce.Elle jeta un regardnégligent à la grand-tanteElvina, avant de se laisser choir sur letapis,oùelleexhibasonventregonfléavecdessoupirspathétiques.LetalentdeSaGrâcepourlemélodrameetl'exagérationn'avaitrienàenvieràceluidesa

maîtresse.—VoiciSaGrâce,crutbond'expliquerMeg.—Jevois,fitGodric.Et...euh,SaGrâceseporte-t-ellebien?—Elleiramieuxavecunboldelaitchaudrelevéd'unecuillerdesherry,réponditlagrand-

tanteElvina.Godricclignalesyeux.—Ah...jem'excuse,maisj'aipeurquenousn'ayonspasdelait.Quantausherry...—Nousn'enavonspasdavantage,intervintMoulder,quiarrivaitavecplusieurstassesdans

lesmains.—Eneffet,acquiesçaGodric.Peut-êtrequesij'avaisétéavertidevotrearrivée...—Oh,nevousexcusezpas,lecoupaMeg.Ilreportasonattentionsursafemmequisesentitdenouveauintimidée.— Après tout, s'empressa-t-elle d'ajouter, cela fait un moment que vous n'avez plus

personnepourtenircettemaison.Unefoisquenousauronsengagéunenouvellecuisinièreetquelquessoubrettessupplémentaires...—Ainsiqu'unegouvernanteetdesfemmesdechambre,complétaSarah.—Sansparlerdesvalets,renchéritlagrand-tanteElvina.Sipossiblebienbâtis.—NousavonsdéjàamenéavecnousOliver,Johnnyetvosdeuxvalets, lui fit remarquer

Meg.— Ils ne pourront pas s'acquitter à eux quatre de tout le nettoyage que requiert cette

maison,assuralagrand-tanteElvina.Avez-vousremarquél'étatdeschambres?Meg n'avait pas eu le temps de faire le tour du propriétaire, mais si la chambre dans

laquelleelleavaitdormireflétaitl'étatdeslieux,lajeunefemmenepouvaitqu'acquiescerauxproposd'Elvina.—Vousavezraison,dit-elle.Nousembaucheronsunedemi-douzainedevalets.— Je n'ai pas besoin d'une armée pour entretenir Saint House, répliqua son mari,

sèchement.D'autantquetoutcepersonnelserainutileaprèsvotredépart,quinedevraitpastarder,jesuppose?—Quoi?aboyalagrand-tanteElvinaenplaçantsamainencornetdevantsonoreille.Meg leva un doigt pour l'interrompre, car une interrogation venait de surgir dans son

esprit.EllesetournaversMoulder:—Vousn'êtesquandmêmepastoutseulpourvousoccuperdecettedemeure?—Ilyavaitd'autresdomestiques,maisilsnousontquittés,lesunsaprèslesautres,etils

n'ont pas été remplacés, expliqua Moulder, les yeux levés, comme s'il s'adressait auxaraignées qui peuplaient les moulures du plafond. Il ne restait plus que Tilly, une jeune

Page 24: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

soubrette,maisilyaunmoisdecela,elleadécouvertqu'elleétaitenceinte.Jen'ysuispourrien,celaditenpassant.TouslesyeuxsetournèrentversGodric.Ilhaussalessourcils,d'unairvaguementexaspéré.—Moinonplus!Lemajordomehaussalesépaulesetcontinua:—Tillynousaquittésàsontour.Jecroisqu'ellecouraitaprèslecommisboucher.C'était

sansdouteluilepère.Oualorscejeunelarronquirôdaitsouventprèsdelaportedel'office.Ilyeutunsilence,commesitoutlemondes'interrogeaitsurlemystèredelapaternitéde

cetenfant.PuisGodrics’éclaircitlavoix.—Combiendetemps,exactement,comptez-vousresteràLondres,Margaret?Meg réussit à sourire. Elle détestait qu'on l'appelle par son prénom et le ton presque

comminatoirequ'ilavaitemployé.— Oh, je déteste prévoir les choses à l'avance. Ne trouvez-vous pas plus agréable de se

laisserporterparlesévénements?—Pourmapart,jene...Bontédivine!Ilinsistait!MegsetournadélibérémentversMoulder.—Donc,vousgérezseullamaison?Moulderfronçasesépaissourcilsbruns,cequifitapparaîtreplusieursridessursonfront

etaucoindesesyeux.Onauraitditunmartyr.—Oui,milady.Vousn'imaginezpasletravailquecelareprésente.D'autantquemasanté,

hélas,n'estpluscequ'elleétait.Godric marmonna quelques mots. Meg crut comprendre qu'il accusait Moulder « d'en

rajouter»,maisellecontinuad'ignorersonmari.—Danscesconditions,Moulder,jedoisvousremercierd'avoirprissoindeM.Saint-John

avecunetelleloyauté.Moulderrougit.—Oh,cen'étaitrien,milady.Godricreniflabruyamment.—Maintenantquejesuisici,nousallonsremettredel'ordre,s'empressad'ajouterMeg.—Maisexactementcombiendetemps...essayaencoreGodric.—Sapristi,regardezl'heure!s'exclamaMeg,endésignantlapenduledelacheminée.Ilétaitdifficiledesavoirsiellefonctionnaittoujours,maiscelan'avaitaucuneimportance.—Dépêchons-nous,ajouta-t-elle,sinonnousarriveronsenretardàlaréunionducomitéde

soutien.—Vousvoulezparlerdel'orphelinatdeSaint-Giles?demandaSarah.Meghochalatête.Lagrand-tanteElvinatentaitd'intéresserSaGrâceavecunmorceaudetoastcarbonisé.Elle

reportasonattentionsurlesautresconvives.—Pardon?—Laréunionducomitédesoutien,expliquapatiemmentMeg.Ellealieuàl'orphelinat.Il

esttempsdenousyrendre.— Parfait, acquiesça la vieille dame, qui se pencha pour prendre l'animal dans ses bras.

Avecunpeudechance,ilsaurontduthéetdessconesànousoffrir.

Page 25: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Alors,allons-ytoutdesuite.Megsetournaverssonmariets'aperçutqu'ill'observaitIldétournaleregard.—Jesupposequevoussereztoutesrentréespourdéjeuner?Sontonsemblaitlas,commesicetteperspectiveleharassait.Megdécidad'intervenir. Jusqu'ici, il avait accueilli leur invasionet leprojetd'engagerde

nouveauxdomestiquessanssourciller.Maisellevoulaitjustementlevoirsourciller.—Non,moncher.Nousallonsnousrevoirdansdixminutes.—Jevousdemandepardon?Elleécarquillalesyeuxd'unairdeparfaiteinnocence.—Vousvenezavecnous,biensûr?— J'ai cru comprendre que ce comité de soutien à l'orphelinat de Saint-Giles n'était

composéquedefemmes.Enréalité,Godricn'ensavaitrien.—Votrecompagniemeferaitplaisir,assuraMeg,avecunpetitmouvementdelanguepour

humecterseslèvres.Etcettefois,enfin,ilyeutuneréaction!Sonmaris'attardaunbrefinstantsursabouche.

Megseretintdetriompher.—Sivouslesouhaitez,biensûr,ajouta-t-elle.AssisfaceàladyMargaretdanslavoiture,Godricregardaitsafemmed'unairqu'ilvoulait

morose. La vérité, c'est qu'il se demandait encore comment il s'était retrouvé dans cevéhicule. D'habitude, à cette heure de la journée, il se trouvait dans son café préféré, àéplucher les journaux,oualors ils'étaitbarricadédanssonbureaupour liretranquillementl'undeslivresdesabibliothèque.Enfin pas tout à fait. Cela faisait des semaines qu'il n'avait pas remis les pieds au café

Basham,etencorepluslongtempsqu'iln'avaitpasouvertl'undesesprécieuxouvrages.Laplupartdutemps,ils'étaitsurprisàsimplementcontemplerlesmursdesonbureau.Pourtant, cematin, son tourbillon d'épouse avait réussi à le convaincre d'assister à une

réunion de charitémondaine. S'il n'avait pas eu l'esprit cartésien, Godric aurait volontierssoupçonnéquelquesorcellerie.Pour l'heure, sa femme bavardait avec la grand-tante Elvina, assise à côté d'elle sur la

banquette,etavecSarah,installéeàcôtédeGodric.LadyMargaretévitaitsoigneusementdecroiserleregarddesonmari,toutenracontantàsesdeuxcompagneslagenèseducomitédesoutien.Dans le feu de la conversation, ses joues avaient rosi et ses yeux noirs semblaient plus

brillantsqued'ordinaire.Unemèchedecheveuxs'étaitéchappéedesacoiffureetretombaitcontresatempe,commesiellevoulaittenterunemaind'homme.Godricserraleslèvresetregardaparlafenêtre.Safemmeavaitpeut-êtreunamant.Cetteidéen'avaitrienpourleréjouir,maisellesemblaitassezlogique.Pourquoiunejeune

femmeaussivivantequeladyMargaretiraitsupporterlacompagniedeGodricsansraison?Àmoinsqu'ellen'aitunamantqu'elleespéraitretrouversecrètementàLondres...Godricsereprochait presque de ne pas y avoir pensé plus tôt. Après tout, ladyMargaret n'était plusvierge. Et Godric n'avait pas cherché à consommer leurmariage.Mais ce n'était pas parce

Page 26: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

qu'ils'étaitrésignéàuneviedecélibatquesonépouseétaitobligéedesecomportercommelui. Lady Margaret était une jeune et belle femme. Elle avait de l'esprit. Et beaucoup devivacité.Autantdequalitésquidevaientluiattirerbiendessoupirants.Maisnon.LesenslogiquedeGodricl'amenaàrévisersonjugement:siladyMargaretavait

un amant, il devait résider dans le Cheshire, à proximité du domaine Saint-John. LadyMargaretn'avaitquittéLaurelwoodManorqu'ende très raresoccasionscesdeuxdernièresannées-etuniquementpourrendrevisiteàsafamille.Alors,pourquelleraisonétait-elleici?—Ah,nousvoilàenfinarrivés!s'exclamasafemme.Godric jeta un coup d'oeil par la fenêtre et put constater que l'attelage arrivait devant

l'hospice de Saint-Giles. L'immeuble, de plusieurs étages, était de construction récente etoccupaituneplace importantesurMaidenLane.Safaçadedebriquesrouges juraitavec lesautresbâtissesdeSaint-Giles,enbienmoinsbonétat.GodricattenditquelevaletdeladyMargaretaitdépliélesmarches,puisilsautahorsdela

voiture pour aider les dames à descendre. La grand-tante Elvina se relevaprécautionneusement de sa banquette. Elle devait avoir aumoins soixante-dix ans et bienqu'elle dédaignât l'usage d'une canne,Godric avait remarqué qu'elle ne tenait pas toujoursbiensursesjambes.ElleserraitsonpetitchiendanssesbrasetGodriccompritqu'ildevraits'occuperdel'animal.—SivousmepermettezdeprendreSaGrâce...glissa-t-ildansl'oreilledelavieillefemme.Lagrand-tanteElvinaluiretournaunregarddegratitude.—Merci,monsieurSaint-John.Godricpritlechiensousunbrasettenditsonautremainàlavieilledame.Unefoissurletrottoir,celle-ciinspectalesalentoursavecunfroncementdesourcils.—Quelquartier!JesuissûrequeladyCambridgeserascandalisée,quandjeluiécriraique

jesuisvenueici,lança-t-elle,levisageéclairédemalice.Godric,lepetitchientoujourssouslebras,aidaensuiteSarah.Puisilpritlamaindelady

Margaret. La jeune femme descendit de voiture les yeux baissés. Son parfum flottait dansl'air.Quelétait-il?Puiselledéplissasesjupes,toujourssansleregarder.Bonsang!Muparuneimpulsion,Godricsaisitlamèchedecheveuxrebellepourlareplacerderrière

l'oreilledesonépouse.Ellelevaenfinlesyeuxsurlui.Elleétaitsiprèsqu'ilpouvaitdistinguerlapupilledansles

prunellessombres.Etcettefois,ilidentifiasonparfum:fleurd'oranger.—Merci,murmura-t-elle.Godricserralesmâchoires.—Derien.Godricgravitensuiteleperronpourfrapperàlaporte.Elle s'ouvrit presque aussitôt sur un majordome à l'allure suffisamment hautaine pour

servirdansunpalais royalplutôtquedansunorphelinatduquartierSaint-Giles.Godric lesaluadelatêteetentra.— Ma femme et ses amies viennent assister à la réunion du comité de soutien. M.

Makepeaceest-illà?—Certainement,monsieur, répondit lemajordome,quiprenait les chapeauxet les gants

desdames,àmesurequ'ellesentraient.Jevaislechercher.

Page 27: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—C'estinutile,Butterman.WinterMakepeaceapparutàuneporteduvestibule.Ilétaittoujoursvêtudenoir,commeà

sonhabitude,maislacoupedesescostumesétaitbeaucoupplusluxueusedepuisqu'ilavaitépouséladyBeckinhall.—Bonjour,Saint-John.Etbonjour,mesdames.—Oh,monsieurMakepeace!s'exclamaladyMargaretenluiprenantlamain.Puis-jevous

présentermabelle-sœuretmagrand-tante?Sanstropsavoirpourquoietsetrouvantparfaitementridicule,Godricsesentitbouilliràla

vuedecesimplecontactentresafemmeetledirecteurdeslieux.Onprocédaauxprésentations.Makepeace inclinagravement la têtedevantchaquedame,

avantdesetournerversGodric,leregardamusé.— Qui vous accompagne ? demanda-t-il, désignant le petit chien que Godric n'avait pas

lâché.—SaGrâce,réponditGodric.—Jevousdemandepardon?Godricallaits'expliquer,quandunpetitterrieraupelageblancsurgitdanslevestibule.Dès

qu'ilaperçutSaGrâce,ilsemitàaboyerfurieusement.Lady Margaret et Sarah essayèrent, en vain, de faire taire les deux chiens qui avaient

déclenché leshostilités.Godricsurprit lagrand-tanteElvinaen traindedonneruncoupdepiedauterrier.Makepeaceouvrit laportedusalonréservéauxvisiteurs.Godric,comprenant l'invitation,

se déchargea du chien qu'il colla dans les bras de la grand-tante Elvina et poussa les troisfemmesverslesalon,oùsetenaitlaréunion.PuisMakepeacerefermalaportesivivementqueleterrierfaillitenperdresonmuseau.—Suivez-moi,dit-ilàGodric.Ledirecteurdel'orphelinatpartitversl'escalierauboutduvestibule.—Franchement,Dodo,tuauraisputemontrerplushospitalier.Le terrier, qui trottait à ses côtés, pencha la tête de côté en le regardant, comme s'il

l'écoutaitavecattention.—Tuasdelachancequejenet'enfermepasdanslegrenier.Godrics’éclaircitlavoix.—Ce...euh,Dodoattaque-t-iltoujoursvoshôtes?Makepeaceluijetaunregardsardonique.—Non,ilneréservecetaccueilqu'auxvisiteurscanins.—Ah.—Deuxfillettesontrejointnotreétablissementhiersoir,continuaMakepeace,alorsqu'il

gravissaitlegrandescalierdemarbre.AmenéesiciparlecélèbreFantômedeSaint-Giles.—Ahoui?Makepeacelegratifiad'unregardentendu.—J'aipenséquevousaimeriezfairelaconnaissancedenosnouvellespensionnaires?—Maiscertainement.Commecela,aumoins,Godricneseraitpasvenupourrien.—Nousyvoilà,annonçaMakepeace,ouvrantlaported'unedessallesdeclasse.Uncoupd'œildanslapiècerévélaàGodricdesrangéesdefillettesassisessurdesbancsà

recopier sagement quelque chose sur leurs ardoises.Godric fut heureuxde voirMoll et sa

Page 28: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

sœuraînée chuchoterentreelles, cequi laissaitprésagerque lesdeux fillettes se sentaientdéjàbienici.Lebavardagesemblaitêtreunindiceuniverseldubonheurféminin.L'imagedeladyMargaretavecsesdeuxcompagnes,absorbéesdansleurconversationpendantletrajet,luirevintenmémoire.—MolletJanetMcNab,expliquaMakepeace,àvoixbasse.Mollestunpeujeunepourcette

classe,maisnousavonsjugépréférabledenepasséparerlesdeuxsœurslespremiersjours.Ilrefermalaporteetcontinuaplusavant,danslecouloirdésert.Touslesenfantsétaienten

cours,àcetteheure-ci.—Ellessontorphelines,poursuivitMakepeace.Janetm'aexpliquéquesonpèregagnaitsa

vieenramassantlesimmondices.Ilestmortenseveli,dansl’éboulementd'unedesmontagesdedétritusquisedressentàlapériphériedeLondres.Godricgrimaça.—Quellefinatroce.—Onpeutledire.Makepeace s'arrêta au bout du couloir.Deux chaises étaient disposées sous une fenêtre,

maisilnefitaucunmouvementpours'asseoir.— Il semblerait que les sœursMcNab étaient à la rue depuis presque une quinzaine de

jours,quandellessonttombéesentrelesgriffesdesKidnappeurs.—Oui, lesKidnappeurs, répétaGodric. Je croismesouvenirqu'ils avaientdéjàhanté les

ruesdeSaint-Giles.Etquevouslesaviezaffrontés,n'est-cepas?Makepeacejetaunregardderrièreluipours'assurerquelecouloirétaittoujoursdésert,et

ilcontinuaàvoixbasse.—Ilyadeuxansdecela,ilsenlevaientdesfillettesdanslesruesdeSaint-Giles.Godrichaussalessourcils.—Dansquelbut?— Pour fabriquer, dans un atelier clandestin, des bas ornés de dentelles, destinés à être

vendusàdes femmesde labonnesociété.Lesmalheureusesenfants travaillaientplusieursheuresparjoursansêtrepayées.Etc'estàpeinesiellesétaientnourries.—Maisleursravisseursavaientétéarrêtés,ilmesemble?Makepeacehochalatête.—Oui.J'avais trouvé leurrepèreet frappéà la têteduréseau :unaristocratedunomde

Seymour.Depuis,jen'enavaisplusentenduparler.Godricplissalesveux.—Mais?— Mais ces dernières semaines, des rumeurs troublantes sont parvenues jusqu'à mes

oreilles.DesfillettesdisparaîtraientànouveaudanslesruesdeSaint-Giles.Etpourlamêmeraison : travailler dans un atelier clandestin. Ma femme s'est d'ailleurs aperçue que lesfameuxbasornésdedentelless'arrachaienttoujoursdanslabonnesociété.IsabelMakepeaceétaitrestéeuneincontournablefiguredugrandmonde,endépitdeson

mariageavecundirecteurd'orphelinat.—Auriez-voussupprimélemauvaiscoupable?s'inquiétaGodric.—Non.Seymourétaitfierdesoncrime.Ils'envantait,avantquejeneluirèglesoncompte.

Soitquelqu'und'autrearemontél'affairedezéro,soit...—SoitSeymourn'étaitpastoutseulàlatêtedupremieratelier,murmuraGodric.—Effectivement.Ilfautdécouvrirquisecachederrièrecesraptsd'enfantsetymettreun

Page 29: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

terme.Mais,depuismonmariage,j'airaccrochémonhabitdeFantômeauvestiaire.Quantàvous,maintenantquevotrefemmeestenville...—ElleneresterapaslongtempsàLondres,assuraGodric,d'untonsec.Makepeace arqua un sourcil, mais il était trop poli et discret pour chercher à en savoir

davantage.—Etl'autre?demandaGodric.Makepeacesecoualatête.—Voussavezbienqu'ilnetraquequ'uneseulechose.C'estpresquedelamonomanie,chez

lui.Godric acquiesça. Il existait trois Fantômes de Saint-Giles, même si chacun agissait en

solitaire. Le troisième larron de leur étrange trio était quelqu'un d'obsessionnel. Il ne leurseraitd'aucuneutilitépourcetteaffaire.—J'aipeurquecettemissionnereposesurvosépaules,ditMakepeace.—Trèsbien,fitGodric.ÀsupposerqueSeymouraiteuunassocié,auriez-vousuneidéede

quiilpourraits'agir?demanda-t-il,aprèsuninstantderéflexion.—Çapeutêtren'importequi,maisàvotreplacejecommenceraisparenquêterducôtédes

amisdeSeymour : le vicomted'Arque et le comtedeKershaw. Ils étaient très liés. Il vousfaudra aussi trouver cet atelier au plus vite. La dernière fois, j'étais arrivé juste à temps.Certainesdesfillettesquiytravaillaientn'auraientpassurvécuquelquesjoursdeplus.

Page 30: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

3

Par une nuit sans lune, l'Hellequin s'intéressa à l'âme d'un jeune homme renversé à uncarrefouretquiagonisaitdans lesbrasdesabien-aimée.La jeune femmeétaitravissante.Son visage respirait l'innocence et la bonté. L'Hellequin se surprit à l'admirer. Certainsassurentquecederniern'apas toujoursétéauservicedudiable. Ilauraitétéautrefoisunhommeordinaire.Sicelaestvrai,levisagedelajeunefemmeavaitpeut-êtreréveilléenluiunrested'humanité,enfouidanslestréfondsdesonêtre.[...]

op.cit.Megs'appuyaàl'accoudoird'uncanapéetbutsatassedethéencontemplantl'assistance.

Lesmembresducomitédesoutiennesemblaientpass'êtrerenouvelésdurantsonabsence.Labelle-sœurdeMeg,ladyHeroReading,l'unedesdeuxcofondatricesducomité,étaitassisesur lemême canapé qu'elle. À côté de sa petite sœur, lady Phoebe Batten, une charmantejeunefemme,auvisagepotelé,quisouriaitdanslevague.Megs'interrogea.LavuedeladyPhoebeétaittrèsdéfaillanteladernièrefoisqu'ellel'avait

croisée.Était-elledevenuecomplètementaveugledepuis?Lesautresdamess'étaient installéeschacunedansunfauteuil.Ilyavait là ladyPénélope

Chadwicke,dontilsemurmuraitqu'elleétaitl'unedesplusricheshéritièresd'Angleterre.Etàenjugerparsesbeauxyeuxvioletsetsasomptueusechevelurenoire,aussil'unedesplusbelles.LadyPénélopene sortait jamais sans sadamede compagnie,MlleArtemisGreaves,une femme timide et réservée,mais néanmoins très plaisante à fréquenter. À la droite deMlle Greaves se trouvait l'autre cofondatrice du comité, l'intimidante et grisonnante ladyCaire.Sabelle-fille,TempéranceHuntington,la«jeune»ladyCaire,étaitassiseàcôtéd'elle.Etàcôtéencore,IsabelMakepeace,labelle-sœurdeTempérance,connuesouslenomdeladyBeckinhallavantsonmariageavecledirecteurdel'établissement.Si lesmembresduComitén'avaientpaschangé,Megnotaquelquesdifférencesdepuis la

dernière fois qu'elle avait assisté à une réunion. Cette pièce pour commencer.Meg l'avaitconnue aumoment de l'inauguration du nouveau bâtiment. Le salon réservé aux visiteursétait alors une pièce froide et peu accueillante. Ce n'était plus le cas -sans doute grâce àl'interventiondelanouvelleMmeMakepeace.Unravissantpaysagechampêtresurmontaitlacheminée,dontlemanteauétaitencombréd'objetshétéroclites:descoupesenporcelainedeChine,unepetitestatuettebleueenformedesalamandreetunependuledoréesoutenuepardeschérubins.—Jesuisraviequevousayezdécidéderevenirenville,machèresœur,lançaladyHero.Heroavaitprisl'habitudedel'appelersa«chèresœur»depuisqu'elleavaitépousélefrère

deMeg,Griffin.—Maprésenceaurait-ellemanquéàvosréunions?demandaMeg,d'unevoixenjouée.—Maisenfin,bien sûr ! répliquaHero,d'un tondegentille réprimande.Vousavezaussi

beaucoup manqué à Griffin. Et à moi. Nous ne nous voyons pas aussi souvent que je lesouhaiterais.

Page 31: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megfronçalenez.Ellesesentaitcoupable.—Je suis désolée, s'excusa-t-elle, prenant unpetit-four dans le plateauposédevant elle.

J'avaisprojetédevenirpourNoël,maisletempsétaitsiexécrable...Elle s'interrompit, consciente que ses explications manquaient de conviction. La vérité,

c'est que depuis queGriffin était intervenu pour sauver sa réputation en lui organisant cemariageprécipitéavecGodric,Megnesavaitcommentaffrontersonfrère,nisurtoutquoiluidire.Herocroisasesmainsdanssongiron.—L'essentiel, c'estquevoussoyezparminousaujourd'hui.Avez-vousdéjàvuThomaset

Lavinia?—Euh...Heroplissalesyeux.—Thomassait-ilquevousêtesàLondres?Non, bien sûr.Megn'avait pas informé son frère aîné, lemarquis deMandeville, de son

arrivée.Hero, avec son intuition habituelle, parut deviner queMeg n'avait averti personne de sa

venue.Aulieudeharcelersabelle-sœurdequestions,ellesecontentadesoupirer.— Bien. Votre arrivéeme fournira un prétexte pour inviter tout lemonde à dîner.Mais

avantcela,jecomptesurvouspourvenirrendrevisiteàmonadorablepetitWilliam.Savez-vousqu'ilestdéjàplusgrandqu'Annalise?Tout en parlant, Hero désignait de la tête la fille de Tempérance et de lord Caire, qui

s'agrippaitaurebordd'unetablebassepours'approcherdeSaGrâce.Lapetitechienneétaitlovée sous le fauteuil de la grand-tante Elvina et elle jetait des regards circonspects endirectionde la fillette.Unautre changement survenupendant cesdeux annéesd'absence...Annalise Huntington avait dix-huit mois. Elle portait une ravissante petite robe blanche,ourléededentelle,etunnœudpapillonbleuétaitglissédanssescheveuxnoirs.LebébédeMeg-s'ilavaitsurvécu-auraitaujourd'huilemêmeâgequ'elle.Megdéglutitpourravalersonchagrinquitentaitderefairesurface.Quandelleavaitperdu

son bébé, et avec lui le dernier lien qui la rattachait à Roger, elle avait pensé mourir.Commentunêtrehumainpourrait-ilsouffrirautant,fairecoulertantdelarmes,etcontinuerencore à vivre ?Et pourtant, son chagrin ne l'avait pas tuée.Elle avait survécu, elle s'étaitremise des douleurs physiques de sa fausse-couche et, peu à peu, elle s'était de nouveauintéresséeaumondequil'entourait.Elleavaitmêmefiniparretrouverlesourire.Maislaplaien'avaitpascicatrisé.Etelleétaitmaintenantpoursuivieparledésird'avoirun

enfant.Meg inspira profondément pour reprendre contenance. La dernière fois qu'elle avait vu

William, il avait une semaine. Et encore avait-elle rapidement coupé court à la visite pourmettrefinàcettetorture.—Williama-t-iltoujourslesmêmescheveux?Heros'esclaffa.Williamétaitnéavecdescheveuxcouleurcarotte.—Non,ilscommencentàfoncer.Griffinestunpeudéçu.Ilauraitvouluunhéritierquiait

lesmêmescheveuxquemoi.Megesquissaunsourire.—J'aihâtederevoirmonneveu.Elleétaitsincère.Elleavaitdéjàperdutropdetemps.

Page 32: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Tantmieux,réponditHero,avecunregardentendu.Elleétaitl'unedesrarespersonnesàavoirétémisesdanslaconfidencedelavraieraison

desonmariageprécipité.AnnaliseatteignitenfinSaGrâce,mais lachiennes'enfuitventreàterre,cequiprovoqua

unéclatderiregénéral.Megfutheureusedecettedistraction,quiluipermitdedétournerlatêteetd'éviterleregardunpeutropscrutateurdesabelle-sœur.SaGrâce courut tout autour de la pièce avant de venir trouver refuge, à bout de souffle,

derrièrelesjupesdeMeg.Le visage d'Annalise s'était décomposé. Tempérance, devinant la crise de larmes

imminente,sepenchaverssafille,maisladyCairefutplusrapidequ'elle:—Tiens,machérie.Reprendsunautrepetit-four.Tempéranceneditrien,maisMeglavitleverlesyeuxauciel.S'apercevantqueMegavait

remarquésaréaction,ellesepenchaverselle,pourluichuchoter:—Ellelagâtebeaucouptrop.—Commetouteslesgrands-mères,répliqualadyCaire,quiavaitentendu.Etmaintenant,

j'aimerais que nous entrions dans le vif du sujet. Le nombre de pensionnaires del'établissement a considérablement augmenté au cours de l'année écoulée. Actuellement,nousavons...— Cinquante-quatre pensionnaires, intervint Isabel Makepeace, pour donner le chiffre

exact.Deuxfillettessontencorearrivéeshiersoir.LadyCairehochalatête.— Merci, madame Makepeace. Nous sommes évidemment ravies que l'établissement

puisse aider autant d'orphelins, mais nous rencontrons quelques difficultés à placerconvenablementlesenfantsenapprentissage,enparticulierlesfilles.—Pourtant,cenesontpaslesemploisdesoubrettesquimanquentàLondres,pointalady

Pénélope.— En fait, si, la corrigea Tempérance. Du moins, les emplois de soubrettes dans des

maisonsoùlepersonnelesttraitéavecrespect.Isabelsepenchapourremplirsatassedethé.—Pasplus tardque lasemainedernière,nousavonsdûreprendreunepensionnaire,dit-

elle.Meghaussalessourcils.—Commentcela?—Lamaîtressedemaisonbattaitsesemployées,expliqualadyCaire.—Oh!gémitMeg,horrifiée,avantdeserécrier.Maisj'aijustementbesoindedomestiques

!Touteslesautresdamessetournèrentdanssadirection.—C'estvrai?demandaladyCaire.—Maisoui,confirmaSarah,quis'exprimaitpourlapremièrefois.Monfrèren'aplusqu'un

seulhommeàtoutfairepours'occuperdeSaintHouse.—Bontédivine!s'exclamaTempérance.JesuissûrequeCaireignorequeM.Saint-Johna

desennuis.— Il ne s'agit pas d'ennuis financiers, s'empressa de préciser Sarah.Godric a lesmoyens

d'engagerautantdedomestiquesqu'illesouhaite,maisilneprendpaslapeinedelefaire.—Quoi?tonnalagrand-tanteElvina.

Page 33: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Sarahsetournaverselleetarticula:—Jepensequemonfrèren'apasréaliséqu'ilavaitbesoindedavantagededomestiques.—Leshommessontincompétentsenlamatière,assuralavieilledame.—C'est exact, approuva ladyCaire.Maismaintenantquenous sommes informéesde ses

difficultés-etdesvôtres,ladyMargaret-,nousallonsvousaideràyremédier.Nousdevonsavoirplusieurspensionnairesprêtesàentrerauservicede ladyMargaret,n'est-cepasMmeMakepeace?— Au moins quatre, répondit Isabel. Mais elles n'ont que douze ans, ce qui veut dire

qu'ellesaurontbesoind'êtreencadréespourapprendrelemétier.—Pourcela,jepeuxvousrecommanderuneexcellentegouvernante,proposaladyCaire.—Merci,réponditMeg.Elleavait toujours trouvécettedameunpeuaustère,maisapparemment, ellepouvait se

montrerchaleureuse.Megétaitravie.Enunclind'oeil,elleavaitdénichéunegouvernanteetdessoubrettespourSaintHouse.—Jeluidiraidepasserchezvouscesoir,sivousêtesd'accord,proposaencoreladyCaire.—Oui,ceseraitparfait,acquiesçaMeg,avantdebaisserlesyeuxsursesgenoux.Annalise s'agrippait d'unemain à ses jupes, tandis quede l'autre elle battait l'air sous le

fauteuildeMeg.Unpetitglapissements'enéchappa.SaGrâceétaitdécouverte.Annalise leva un instant les yeux versMeg, avec un sourire de triomphe.Meg se figea.

C'étaitbienlàcedontelleavaitleplusenvie.Unenfant.Unenfantrienqu'àelle.Hiersoir,soncouragel'avaitabandonnée.Celanesereproduiraitpas.Cesoir,elleséduiraitsonmari.Mais comment s'y prendre pour séduire un mari que l'on connaissait à peine ? Meg

réfléchitàcetteépineusequestiontoutl'après-midietencedébutdesoirée.Seseffortsdelamatinéen'avaientguèreétécouronnésdesuccès.Peut-êtredevrait-elle informerclairementGodricdesesintentions?Enluiécrivantunmot,parexemple?Cher ami, je vous serais très reconnaissante de consentir à consommer notre mariage.

Votreépousedévouée.—Êtes-vousd'accordavecmoi,milady?Megsursautaàlaquestiondesanouvellegouvernante,MmeCrumb.Lesdeuxfemmesse

trouvaientdans la salle àmanger, l'unedes rarespiècesqueMmeCrumbconsidéraitpourl'instantcommehabitables.—Euh...jesuisdésolée,s'excusaMeg.Jen'aipasbienentendu.—Sivousêtesd'accord,milady,jevaisprendrelaresponsabilitéd'engagermoi-mêmeune

nouvellecuisinière.L'expériencem'aapprisquec'étaitunemploistratégique.Unemaisonnéebiennourriefonctionnetoujoursmieux.MmeCrumbs'adressaitàMegsuruntondedéférence,maisavecunedéterminationsans

bornes.Cette femme lasurprenait.NonpasqueMegdoutâtunseul instantqu'elle fûtunegouvernanted'exception.Moinsd'unedemi-heureaprèssonarrivéeàSaintHouse,elleavaitdéjà distribué les tâches les plus urgentes aux filles venues de l'orphelinat. Et, outrée parl'étatdelacuisine,elleavaitordonnéd'untonsipéremptoireàMoulderdejetertoutcequiavaituneapparenceàpeuprèscomestibleque lemajordomes'étaitexécutésansbroncher.Grandepourunefemme,unportdegénéral,MmeCrumbavaitdescheveuxnoirs,sagement

Page 34: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

dissimulés sousune coiffeblanche, etun regard tout aussinoir,qui incitait à l'obéissance.Mais-etc'étaitlàquerésidaitlasurprise-,MmeCrumbnedevaitpasavoirbeaucoupplusdevingt-cinq ans.Meg aurait aimé lui demander comment elle avait pu accéder au statut degouvernanteetsefairerecommanderparladyCaireàunaussijeuneâge,maisellen'osapas.Pourtoutdire,sanouvellegouvernantel'intimidaitunpeu.—Oui,acquiesçaMeg.Bonneidée.Jevouslaissecarteblanche.—Enattendant,milady,j'aiprislalibertédecommanderàl'aubergelaplusprocheuneoie

rôtie,dupainfrais,destourtesetunassortimentdelégumespourledîner.Ainsiquedequoinourrirlesdomestiques.—Merveilleux!s'exclamaMeg,raviedetantd'efficacité.Elleavaitcraintdedevoirsecontenterd'œufsdurspour ledîner -àsupposerqu'il restât

encoredesœufsdanslamaison.Etl'oierôtieétaitl'undesesmetspréférés.Maisqu'enétait-ildeGodric?Meg ignorait totalement lesgoûtsculinairesdesonmari. Iln'enavait jamaisparlédansseslettres.Etàenjugerparlepiètreétatdesacuisine,bienmangernesemblaitpas être l'une de ses préoccupations. Il avait tort, d'ailleurs. Un bon repas mettait tout lemondedebonnehumeur.Megdevaitdécouvrirauplusvitecequ'ilaimaitavoiràdîner.SiMmeCrumbs'aperçutdesadistraction,ellen'enmontrarien.—Avecvotrepermission,milady,ledînerseraserviici,àvingtheures.Megjetaunregardàlapenduledelacheminée.Plusqu'unedemi-heure!—Danscecas,jevaistoutdesuitemonterfaireunbrindetoilette.MmeCrumbs'inclinapoliment.—Oui,milady.Jem'occupedetout.Etellequittalapiècedesonalluremartiale.Megsedépêchaderejoindresachambre.D'ordinaire,ellenesesouciaitpasdes'habiller

spécialementpourledîner,maiscesoir,c'étaitparticulier.—Marobedesoieécarlate,s'ilteplaît,Danielle,demanda-t-elleàsacamériste.Cette robe était vieille de plus de trois ans - elle datait d'avant son exil volontaire à la

campagne. Mais les quelques réceptions mondaines auxquelles Meg avait assisté à UpperHornsfieldétaientbeaucoupmoinsformellesqu'àLondres.Megn'avaitpas jugéutiledesecommanderdenouvellesrobes,alorsquecellesqu'ellepossédaitsurpassaientdéjàenéclatlestoilettesdelagentrylocale.Aumoment de passer sa tenue,Meg s'aperçut que le bustier comprimait sa poitrine au

point que celle-ci semblait vouloir en jaillir à tout instant. Les mets de la campagnesemblaientavoirdonnédureliefàcettepartiedesonanatomie.Elleallaitêtreobligéedeserendrerapidementchezunecouturièrepourrenouvelersagarde-robe.En attendant, la robe écarlate mettait en valeur ses cheveux noirs et sa peau laiteuse.

Devant le miroir de sa coiffeuse, Meg remit en place une mèche de cheveux qui s'étaitéchappée de son chignon. Elle n'avait pas le temps de demander à Danielle de refaireentièrementsacoiffure.Ilétaitdéjàvingtheures.Lajeunefemmequittasirapidementsachambrequ'ellefaillitentrerencollisionavecson

mari.—Oh!Ilsétaientsiprèsl'undel'autrequeletorsedeGodricfrôlaitlapoitrinedeMeg.Ilbaissafurtivementlesyeuxsursapoitrine,maissonexpressionnechangeapasd'uniota.

Ilauraittoutaussibienpucontemplerunmorceaudeviande,saréactionauraitétélamême.

Page 35: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Bonsang!Megn'étaitpasunmorceaudeviande!—Pardonnez-moi,milady.Elles'obligeaàluisourire.— Mais de rien, dit-elle, accrochant son bras au sien. Vous arrivez juste à temps pour

m'escorterjusqu'aurez-de-chaussée.Ilinclinapolimentlatête,cependantMeglesentitseraidir.Bien.Megn'avaitjamaisdéserté.Certes,elles'étaitretiréeàlacampagnepourseremettre

de la perte de Roger et de leur bébé.Mais à présent qu'elle avait recouvré des forces, ellen'entendaitpascapitulersanscombattre.Ellevoulaitunenfant.Aussisepressa-t-ellecontreGodric,ignorantl'attituderéfractairedesonmari.—Vousnousavezmanquécetaprès-midi.GodricavaitabandonnéSarahetMegaussitôtaprèsleurretourdeSaint-Giles,leslaissant

s'occuperde la réorganisationdeSaintHouse.Sansdouteavait-il terminé la journéeà sonclub.IlregardaitMegavecunesorted'incrédulité.Lajeunefemmes’éclaircitlavoix.—SarahetmoisommesvenuesàLondrespourvisiterlaville.— J'avais cru comprendre que c'était pour faire les boutiques, répliqua-t-il d'un ton

ironique.Ça,etminermamaisonnée.Vousvoyagezavecunevéritablearmée.Megsentitsonsangbouillir.—Cen'estpasduluxe.Nousavonsbesoindetouscesdomestiques.—Ycomprislejardinier?—Jesuissûrequevotrejardinabesoind'entretien.Celam'étonneraitbeaucoupqu'ilsoit

enmeilleurétatqueleparcdeLaurelwoodManortelquejel'aitrouvéilyadeuxans.—Hmm.Et la grand-tanteElvina ?Pourquoi l'avoir amenée?Ellepeste toujours contre

tout.Vousycompris.Ils descendaient à présent l'escalier, et Meg baissa la voix. La grand-tante Elvina avait

prouvé plus d'une fois qu'elle pouvait retrouver miraculeusement l'ouïe en certainesoccasions.—Elleestunpeurevêcheenapparence,c'estvrai,maiselleaungrandcœur.Sonmariarquaunsourcil,sceptique.Megsoupira.—JenevoulaispaslalaisserseuleàLaurelwood.Elleseseraitennuyée.—Ellehabiteavecvous?—Oui.Pourtoutvousavouer,lagrand-tanteElvinaafaitletourdelafamille.—Ah.Vousétiezsondernierressort,sijecomprendsbien?—Euh,oui,c'estunpeucela.Leproblèmedegrand-tanteElvina,c'estqu'elleparlesouvent

unpeutropfranchement.ElleaditàmacousineArabellaquesafilleavaitunnezenformedegroin,cequiesthélasvrai,maisgrand-tanteElvinaauraitpusepasserdelesouligner.Godrics'esclaffa.—Çanevousapasempêchéedeprendrecettemégèresousvotreaile!—Ilfallaitbienquequelqu'unsedévoue,réponditMeg.Et, voyant que l'expressionde sonmari était plusdétendue, elle enprofita pourpousser

sonavantage:—J'espéraisprofiterdeceséjourpourapprendreàmieuxvousconnaître,Go...Godric.

Page 36: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

C'étaitlapremièrefoisqu'ellel'appelaitparsonprénometellen'avaitpaspus'empêcherdebégayer.Illuidécochaunregardsardonique.— Voilà un noble but, Margaret. Cependant, je crois que nous avons réussi à nous

débrouillerjusqu'ici.— Nous n'avons rien fait ensemble, objecta Meg un peu trop vivement, alors qu'ils

atteignaient le rez-de-chaussée.Nousavonsvécu séparément, ajouta-t-elle, radoucie, en luicaressantl'avant-bras.Ets'ilvousplaît,appelez-moiMeg.Ilregardaitsamain,quidessinaitdescerclessursamanche.—J'avaisl'impressionquevousétiezheureuseainsi.Ilnel'avaitpasappeléeMeg.Pourquois'entêtait-ilàrendreleschosessidifficiles?— J'étais heureuse. Ou du moins, satisfaite. Mais ce n'est pas une raison pour nous

dissuaderd'espérermieux.Jesuisconvaincuequesinousessayons,noustrouveronsquelquechose...d'agréableàfaireensemble.Ilfronçalégèrementlessourcils,etMegéprouvalatrèsnetteimpressionqu'ilnepartageait

passonpointdevue.Mais ils arrivaientdans le petit salon adjacent à la salle àmanger, oùSarah et la grand-

tanteElvinalesattendaient.— Nous venons d'apprendre que nous aurions enfin un vrai dîner ! leur lança Sarah,

enjouée.GodricsetournaversMeg:—Vousavezdéjàembauchéunecuisinière?—Non,pas encore.Mais je crois quenous avonsmieux.Apparemment, j'ai décroché les

servicesdelameilleuregouvernantedeLondres.MmeCrumb.Quelqu'unrenifladerrièreelle.MegseretournaetdécouvritunMoulderméconnaissable.

Sa perruque était poudrée de frais, ses souliers brillaient et pas un pli ne froissait soncostume.—Cettefemmeestuntyrandomestique,grogna-t-il.—Moulder,s'amusaGodric,tuasl'air...d'unmajordome.Mouldergrommelaquelquechoseetleurouvritlesportesdelasalleàmanger.Meg fut ravie de constater les premiers changements : les toiles d'araignées du plafond

avaientdisparu.Lacheminéeavaitéténettoyéeetunfeucrépitaitdansl'âtre.Lagrandetablequioccupait le centrede lapièceavait été encaustiquée jusqu'à cequ'ellebrille commeunmiroir.Godricenrestacoi.—Votregouvernanteesteneffetuneperlepouravoirréussiàtransformercettepièceen

aussipeudetemps.—Espérons que sa promesse d'un bon dîner sera dumême acabit,marmonna la grand-

tanteElvina.LasuitedesévénementsprouvaqueMmeCrumbétaitdécidémentunegouvernantehors

pair.JohnnyetOliverapportèrentledîneretMegputprofiterdesapartd'oierôtie.La jeune femme soupira de contentement à la première bouchée. L'oie était goûteuse et

juteuse à souhait. Mais devant le regard énigmatique de son mari, elle s'empressa dereprendrecontenance.—Laviandeestexcellente,n'est-cepas?

Page 37: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Godricjetaunregardcirconspectàsonassiette.—Oui,àconditiond'aimerl'oie.Megsentitlesolsedérobersoussespieds.—C'estmoncas.Pasvous?—Jetrouvel'oieunpeutropgrasse.—Grosse?Quiestgrosse?pressalagrand-tanteElvina.—Grasse,corrigeaGodric.L'oieestgrasse,répéta-t-ilenhaussantlavoix.—Lesoiessontsenséesêtregrasses,marmonnalagrand-tanteElvina.Sinon,leurchairest

tropsèche.Elle piqua un morceau de viande avec sa fourchette pour le tendre à Sa Grâce. Meg

s'obligeaàsourireàsonmari.—Sivousn'aimezpasl'oie,qu'aimez-vousmanger,alors?Ilhaussalesépaules.—Jemecontentedecequ'ilyadansmonassiette.Megfitungroseffortpourgarderlesourire.—Maisjevoudraissavoircequevousaimezplusparticulièrement?—Etjevousairéponduquecelan'avaitpasd'importance.LesjouesdeMegcommençaientàs'ankyloseràforcedesourire.—Laviande?Lejambon?Lepoisson?—Margaret...—Lestripes?Lacervelle?—Non,paslacervelle!—Pasdecervelle.J'enprendsbonnenote.Sarahtoussadanssaserviette.Lagrand-tanteElvinadonnaunautremorceaudeviandeàSaGrâce,avantdedéclarer:—J'aimebeaucouplacervellefritedansdubeurre.Godricbutunegorgéedevin,puisilreposasonverreàl'endroitexactoùill'avaitpris.—J'aiunfaiblepourlatourteaupigeon,avoua-t-il.—Ah,bon?fitMeg,enchantée.(Elleétaitaussiexcitéequesielleavaitgagnéuntrophéeà

un stand de foire.) Je demanderai à Mme Crumb d'en avertir la nouvelle cuisinière, dèsqu'elleserarecrutée.Ilinclinalatête.—Merci.MegsurpritunsourirechezSarahetellesesentitrougir.Cependant,elleavaituneautre

questionpoursonmari.—Qu'avez-vousfait,cetaprès-midi,pendantquenousnousoccupionsdelamaison?Godricbutunenouvellegorgéedevin.Ilsemblaitévitersonregard.—J'étaisaucaféBasham.J'yvaissouvent.Lagrand-tanteElvinafronçalessourcilsetMegs'alarma.Satanteexprimaitvolontiersdes

opinionstrèstranchées.—C'est unemauvaisehabitude, dit la vieille dame.Les cafés sont des lieuxdeperdition

enfumés,fréquentéspardesfemmesdemauvaisevie.—Sansparlerqu'onyboitducafé,ajoutaGodric,levisagefermé.—Oui,ducafé,évidemment,mais...commençalagrand-tanteElvina.—CommentvaSaGrâce,cesoir?l'interrompitMeg.Elleal'aird'avoirbonappétit,insista-

Page 38: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

t-ellepouroublierlesourireironiquedeGodricposésurelle.—SaGrâceestrestéecouchéetoutl'après-midi,àseremettredesesémotions.Cettefillette

l'a terrorisée, à vouloir la poursuivre. Les enfants sont adorables, bien sûr,mais tellementnerveux. Il faudrait trouver unmoyen de les maîtriser, surtout face à des créatures aussifragilesqueSaGrâce.—Vousvoudriezlesenfermerdansdescages?demandainnocemmentSarah.— Il suffirait de les attacher à des piquets solidement enfoncés dans la terre, intervint

Godric.Touslesregardssebraquèrentsurlui.Sarahétaitmédusée.—Maiscommentferais-tu,àl'intérieur?—Lemieuxseraitde les laisser toujoursdehors, répliquaGodric, imperturbable.Comme

cela, ils profiteraient du grand air.Mais pour les parents qui tiendraient absolument à lesrentrer,onremplaceraitlespiquetspardesanneauxscellésdanslesmurs.Lagrand-tanteElvinafronçadenouveaulessourcils.Ellen'étaitpasréputéepoursonsens

del'humour.—MonsieurSaint-John?Ilsetournapolimentverselle.—Oui,madame?—Jenepeuxpascroireuninstantquevoussuggériezsérieusementd'attacherlesenfants

auxmurs.Godricseresservitduvin.—Oh,non,madame.Vousm'avezmalcompris.—Ah,mevoilàsoulagée...—Jeneparlaispas«d'attacher»lesenfants,maisdeles«pendre»,précisa-t-il,avecun

sourirechaleureuxpourlavieillefemme.Unpeucommedestableaux,voyez-vous.Megsecouvritlabouched'unemainpourseretenirdeglousser.Quiauraitpupenserque

sonaustèremaripourraitserévéleraussifacétieux?Elles'aperçutqu'il la fixaitduregard.Etelleeut l'étrange intuitionqu'ilavait taquinée la

grand-tanteElvinauniquementpourl'amuser.—Godric,letançaSarah.Godric se tourna vers sa sœur et Meg se demanda si elle n'était pas victime de son

imagination. Sans doute donnait-elle trop d'interprétation à ce qui n'était qu'un jeu entreGodricetsasœur.Quandmême...MegauraitbienaimésentirqueGodrics'intéressaitàelle.Elledevaità toutprixs'unirà

lui.C'étaitunacte intimequ'ellen'avait encorepratiquéqu'avecunseulhomme,etqu'elleavait aimé. Mais séduire quelqu'un qui vous était pratiquement étranger était une tâcheintimidante.Malheureusement,Megnevoyaitpasd'autresolutionpourarriveràsesfins.Lajeunefemmeterminasondîneravecunenervositégrandissante.Lerepasterminé,ilsseretirèrenttousdanslabibliothèqueetSarahconvainquitGodricde

lire à haute voix une histoire des rois d'Angleterre, pendant que la grand-tante Elvinasomnolaitdansun fauteuilàbascule.Sarahavaitapportéavecelle sonpanieràouvrageetelles'absorbadanssabroderie.Meg,elle,n'avaitjamaisétéuneferventeadeptedestravauxd'aiguille.Elletraversalapiècedelongenlargependantplusieursminutes,lavoixgravede

Page 39: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

sonmariavivantencoresonanxiété.—Machère,sussurraSarah.Quediriez-vousdevenirvousasseoiràmescôtés?J'aileplus

grandmalàmeconcentrersurmonouvrage.Megfutbienobligéed'obéiretellen'eutpasd'autrechoixquederegarderGodricpendant

qu'il lisait. Le chandelier posé à côté de lui jetait des ombresmouvantes sur son profil. Ilsemblait plus jeune, ce soir, malgré son éternelle perruque grise et ses lunettes en demi-lunesdontilseservaitpourlire.Àunmoment,ilrelevalesyeuxdanssadirectionetMegtentaunsouriredeséductrice.Le

regard de son mari s'arrêta sur ses lèvres, mais son expression demeurait indéchiffrable.Décidément,ellenesavaitriendecethomme!Finalement, la soirée s'achevaetMegputmonterdans sa chambre.Danielle l'yattendait

pourl'aideràsedéshabilleretàsepréparerpourlanuit.Megs'inspectadanslemiroirdesacoiffeuse,pendantquesacamériste luibrossait les cheveux.Elle regrettaitdenepas s'êtreachetéunenouvellechemisedenuit.Oupourquoipas,undéshabilléensoie.Quelquechosequi aurait pu l'aider à séduire son mari. La chemise de nuit qu'elle portait n'était passpécialementancienne,maiselleétaittrèsordinaireetàpeinebrodée.—Merci,Danielle,dit-elle,quandsacaméristeeutfinideluibrosserlescheveux.Dèsqueladomestiquesefutretirée,Megallaseposterdevantlaportequicommuniquait

aveclachambredesonmari.Cettefois,iln'étaitplusquestiondereculernides'inventeruneexcusepourretarderl'échéance.Ellesaisitlapoignéeetouvritgrandlaporte.Lachambreétaitvide.—Poursuivez-le!L'ordre du capitaine des dragons se répercuta entre les façades des immeubles. Godric,

furieux,marmonnaunjuronavantdesefaufilerdansuneruelle.Sonplannesedéroulaitpascomme il l'avaitprévu. Il était venuàSaint-Gilesafind'interrogerunevieille connaissancesurlesagissementsdesKidnappeurs.Malheureusement,unefoisdanslequartier,ilavaiteula malchance de tomber sur un détachement de dragons, commandé par le redoutablecapitaineTrevillion.La ruelle reliaitdeuxartèresplus larges,mais lesdragonsdevaientdéjàavoir encerclé le

pâté demaisons. AussiGodric, en fin connaisseur des lieux, préféra-t-il se cacher dans unrecoinentredeuximmeubles.Puisilseplaquacontreunmur,retintsarespirationetsembladisparaître.Despasrésonnèrentbientôtdanslaruelle.— Si Dieu est avec nous, nous parviendrons à le capturer ce soir, tonnait la voix du

capitaineTrevillion.Godric leva lesyeuxauciel.Lecapitaineet sesdragonsavaientétéaffectésàSaint-Giles

troisansplustôtpourmettreuntermeautraficdeginetcapturerleFantômedeSaint-Giles.Àcejour, ilsn'avaientatteintaucundeleursbuts.Certes, lesmilitairesavaientappréhendéplusieursrevendeursd'alcool,maisils'entrouvaittoujoursd'autrespourprendreleurplace.C'étaitcommesiTrevillions'étaitmisentêtedeviderlaTamiseavecunetasseàcafé.QuantauFantômedeSaint-Giles,malgré tous sesvaillantsefforts, le capitainen'avaitpasencoreréussiàluimettrelamaindessus.EtGodricespéraitbienquelachancecontinueraitdeluisourire.Il attendit que les pas se fussent éloignés et prolongea même son attente de quelques

Page 40: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

minutessupplémentaires.Quandils'aventuraenfinhorsdesacachette,laruelleétaitdéserte.Ou du moins, elle paraissait déserte. Car Trevillion était un chasseur opiniâtre, qui

n'hésitait pas à revenir sur ses pas pour frapper précisément au moment où sa proies'imaginaithorsdedanger.Lanuits'annonçaittrèsmauvaisepourlesactivitésduFantôme.Godricatteignitl'extrémitédelaruellejusteàtemps.Ainsiqu'ill'avaitredouté,Trevillion

avaitordonnéàquelques-unsdeseshommesdefouillerànouveaularuelle.Ilsétaienttrois,etGodricfutobligédecouriràtoutesjambespourleuréchapper.Trente longuesminutesplustard, ilsautaitpardessus lagrilledeson jardin.SaintHouse

avaitétéconstruiteàuneépoqueoùl'accèsdirectàlaTamiseétaittrèsprisédesaristocrates,d'abordcommeunsignedeprestige,maisaussi,d'unpointdevuepluspratique,parcequelefleuveservaitdemoyendetransport.Lejardins'étiraitenpentedoucedelamaisonjusqu'àlagrille donnant sur le fleuve : une grande arche de pierre surmontait cette dernière, quipermettaitd'accéderauxquelquesmarchesconduisantàlaberge.Sesancêtresavaientaimémontrer leur fortune en disposant d'un embarcadère privé sur la Tamise. Godric, lui,appréciait la localisationdeSaintHousepourdesraisonsmoinsavouables:celapermettaitplusfacilementauFantômed'alleretveniràl'abridestémoins.Commeàsonhabitude,ilattenditquelquesinstants,àl'abrid'unfourré,pours'assurerque

la voie était libre. Rien ne bougeait dans le jardin, à part la silhouette d'un chat qui nesemblaitpass'intéresseràlui.Godricsefaufiladiscrètementjusqu'àlamaison,entraparlaportedel'officeetpoursuivitjusqu'àsonbureau.Lapièce étaitdéserte et la cheminée éteinte. Il nepritmêmepas lapeined'allumerune

chandelle : ilmarcha tout droit jusqu'à un panneau de boiserie, près de la cheminée, et ilappuyadessus.Lepanneaupivota,révélantunenichedanslemuroùGodricavaitcachéseshabitspourlanuit.GodricsedébarrassaprestementdesoncostumedeFantômepourenfilerunechemisedenuitqu'ilrecouvritd'unpeignoir.Puisilquittasonbureauetpritladirectiondesachambre.Ilsesentaitharassé.Lajournée

avaitétélongue.Etpourl'instant,ilignoraittoujourscombiendetempsMargaretavaitprévude resteràLondres.Sarahet la vieille tanteElvina semblaient se comporter commes'ilnes'agissaitqued'unebrèvevisitedequelquesjours,maisGodricavaitl'intuitionqueMargaretluicachaitquelquechose.Pourvuqu'ellen'aitpasdécidédes'installeràdemeure!Depuisqu'ilavaitregagnélecoconprotecteurdesamaison,Godricavaitbaissélagarde.Et

ses pensées avaient contribué à le distraire encore un peu plus. C'est aumoment d'entrerdanssachambrequ'ilfutattaqué.Deuxbrassenouèrentàsoncouetuncorpslepoussacontrelemur.Godriceutjusteletempsdereconnaîtreuneodeurdefleursd'oranger.EtMargaretl'embrassa.

Page 41: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

4

Maisfinalement,l'Hellequinhaussalesépaulesetildétournasonregarddelafemme.Puisil plongea une main dans la poitrine du jeune homme pour lui arracher son âme, qu'ilemballasoigneusementdansde lasoie faiteavecdes toilesd'araignées,avantde laglisserdanssabesaceencuirdecorbeau.Samissionaccomplie,iltournaitdéjàlestalons,quandlajeunefemmeluicria:«Arrêtez!»[...]

op.cit.Meg n'avait pas prévu que Godric se révélerait aussi peu coopératif. De l'instant où elle

l'enlaça,cefutcommesilecorpstoutentierdesonmaris'étaittransforméenpierre.Etelleavait beau essayer de l'embrasser à pleine bouche, aucune réaction ne venait. Était-ilvraimentfaitdemarbre?Finalement,Megsoupiradefrustrationetsereculad'unpaspourvoirsonexpression.Ellen'étaitguèreencourageante.—Margaret,souffla-t-il,d'unevoixglaciale,àquoijouez-vous?Margaretgrimaça.Satentativedeséductioncouraittoutdroitàl'échec.Lebébé.Ellenedevaitsurtoutpasperdresonobjectifdevue.Elles'obligeaàsourire.—Je... j'aipenséquenouspourrionsprofiterde cettenuitpourapprendreàmieuxnous

connaître.—Mieuxnousconnaître?répéta-t-il,d'unevoixtoujoursaussiglaciale.Megvouluts'expliquer,maisillasaisitparlataille,lasoulevaetlareposasurlecôtépour

avoirlavoielibreetsedirigerverslacheminée.Megen restabouchebée.Ellen'avait jamaisétédeces jeunes fillesévanescentes,qui se

nourrissaientdequelquesfruitsgrignotéspar-ci,par-là.Elleétaitunpeuplusgrandequelamoyenneetelleaffichaitlasilhouetted'unejeunefemmequiaimaitlabonnenourriture.Cequin'avaitpasempêchésonmari-sonvieuxmari-delasoulevercommesiellenepesaitpaspluslourdqu'unsacdeplumes.La jeune femme se concentra sur Godric, à présent agenouillé devant le feu qui s'était

pratiquementéteintpendantqu'ellesomnolait,dansl'attentedesonretour.Pourunefois,ilneportaitniperruquenichapeauetelles'aperçutquesestempesgrisonnaientlégèrement.—Quelâgeavez-vous?demanda-t-ellesansréfléchir.Ilsoupira.—Trente-septans.Etj'aipeurd'êtredevenutropvieuxpourapprécierlessurprises.Lesflammesdansaientàprésent.GodricserelevaetsetournaversMeg.Bizarrement,ce

soir,il luiparutplusgrandetpluslarged'épaules.Sanssaperruquegriseetseslunettesendemi-lunesilparaissait...nonpasexactementplusjeune,maisplusviril.Megfrissonna.Elleauraitpourtantdûseréjouir.Elleavaitjustementbesoind'unmariviril

quiluifasseunenfant.Alors,pourquoitrouvait-elleGodricdeplusenplusintimidant?

Page 42: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Illuidésignal'undesfauteuilsdisposésdevantlacheminée.—Jevousenprie,asseyez-vous.Megse laissachoirdans lesiège.Ellesecroyait revenueà l'époqueoùsagouvernante la

morigénaitparcequ'ellel'avaitsurpriseàdéroberdespralines.Sonmaris'accoudaaumanteaudelacheminéeetarquaunsourcil.—Ehbien?Jevousécoute.— Nous sommes mariés depuis deux ans, commença Meg, croisant les bras pour les

décroiseraussitôt,depeurdeparaîtreeffrontée.—Vousdonniezl'impressiond'êtreheureuse,àLaurelwoodManor.—Jel'étais.Je...Elle écarta lesmains,dansungested'impuissance, et secoua la tête.L'heuren'était plus

auxfaux-semblants.—Non,sereprit-elle.J'étais...bien,maisjen'étaispasheureuse.Ilfronçalessourcils.—Jesuisnavrédel'apprendre.—Jenevousblâmeenrien,s'empressadepréciserMeg.LaurelwoodManorestunendroit

merveilleux.J'adoreleparc,UpperHornsfield,lesgensetvotrefamille.—Mais?—Maisilmemanquequelquechose,répliquaMeg,bondissantdufauteuilpourarpenterla

pièce,commesicelapouvaitl'aideràtrouverlameilleureformulation.Réalisantquesespasladirigeaientsanscesseverslelit,elles'immobilisaetfitvolte-face:—Jeveuxunenfant,Godric.Illaregardaunmomentsansriendire,commes'ilétaitàcourtdemots.Puisilbaissales

yeuxsurlefeudontlesflammessereflétaientsursonvisage.Megsefitlaréflexion,avecunecertaineirrévérence,queseslèvresavaientquelquechosedeféminin.—Jevois,dit-il.Lajeunefemmerepritsadéambulation-enprenantgardedenepastrops'approcherdulit.— Vous voyez ? J'étais enceinte, quand nous nous sommes mariés. J'avais conscience

d'avoir fauté, mais je voulais cet enfant - l'enfant de Roger. Il me serait au moins restéquelquechosedelui.Quelquechosequiauraitétéàmoi.Elle se figea de nouveau, cette fois devant la table de toilette de Godric, très simple et

parfaitement rangée. La cuvette, le pichet d'eau et un petit bol étaient disposés à égaledistancelesunsdesautres.Megs'emparadubol.—Unenfant,ajouta-t-elle.Monenfant.—Votredésirdematernitéestnaturel.Sa voixn'était plus glaciale,mais elle semblait indifférente.Megavait le sentimentde le

perdre,sanssavoirpourquoi.Elletenditlesbrasverslui,leboltoujoursdanslamain.—Oui, c'est très naturel, Godric. Je veux un enfant.Même si cela ne fait pas partie du

contrat.Elleritamèrement,avantd'ajouter:—Enfait,j'ignoretotalementlestermesducontratquevousavezpasséavecmonfrère.Ilrelevalesyeux.—Ahbon?Griffinnevousenapasinformée?Meg détourna le regard, embarrassée. Elle s'était sentie si honteuse, si vulnérable et

Page 43: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

surtout,elleavaittantdechagrin,qu'ellen'avaitmêmepasétécapablederegarderGriffinenface, quand son frère lui avait annoncé qu'elle épouserait Godric Saint-John. Poser lamoindrequestionavaitétéau-dessusdesesforces.Etdepuis...Elleréalisaqu'elleavaitévitéderevoirsonfrère,qu'elleadorait.Ellefermalesyeux.—Non.—Laconsommation-ounon-dumariagen'avaitpasétémentionnée.Meg rouvrit les yeux pour regarder cet étranger qui était devenu sonmari. Pourquoi la

chose n'avait-elle pas étémentionnée ? Si le bébé que portaitMeg avait survécu, il seraitdevenul'héritierdeGodric.N'aurait-ilpasétégênéd'hébergerunbâtarddanslenidfamilial?L'argentpouvaitexpliquerbiendeschoses.LesReadingétaientassezrichespouracheterlesscrupulesden'importequi.Cependant,Godricn'avaitpasbesoind'argent.OutreLaurelwoodManor, dont les fermes rapportaient beaucoup, il possédait aussi des terres dansl'Oxfordshireetl'Essex.EtmêmesiSaintHouseétaitenpiteuxétat,sonmarin'avaitpascilléquand elle avait dressé la liste des nouveaux domestiques à embaucher et des travaux dedécorationàengagerd'urgence.Laconversationavaitparul'assommer,commesilesdétailsdomestiquesl'indifféraient.Megbaissa lesyeuxsur lebol,qu'elle tournaitet retournaitdanssamain.Godricn'avait

paspuaccepterdel'épouserparamitiépoursonfrère,caravantqueGriffinn'informeMegdecetarrangement,ellenel'avaitjamaisentendumentionnerlenomdeGodricSaint-John.SiGodricnel'avaitépouséenipourl'argentniparamitié,alorspourquoi?—Margaret.La jeune femme releva les yeux. Son mari l'observait attentivement et elle s'obligea à

soutenirsonregard.—Vousêtesaucourant,jesuppose,quej'aidéjàétémarié?demanda-t-il.Megreposalebol.ToutLondresavaitentenduparlerdel'histoiredeClaraSaint-John,de

sagravemaladieetdelaloyautédesonmari.—Oui.Ilinclinalatêteets'approchadesatabledetoilettepourremettrelebolàsaplaceexacte-

àégaledistancede lacuvetteetdupichetd'eau.Puis ilpromenasesdoigtssur lerécipient,l'airsongeur.—J'aimaisbeaucoupClara.Nospropriétésfamilialessetouchaient,dansleCheshire.Clara

étaituneHamilton.Sonfrèrevittoujourslà-bas.Avecsafamille.Meg acquiesça. Elle avait rencontré M. et Mme Hamilton à quelques reprises, lors de

dîners,maisellen'avaitpasvraimentfaitlerapprochement.LesHamiltonétaientdespiliersdelagentrylocale.IlsnefréquentaientpourainsidirejamaisLondres.—J'ai toujours connuClara,poursuivitGodric, et le chagrinqui sedevinaitdans sa voix

étaitd'autantplusterribleàentendrequ'ilfaisaitmanifestementdeseffortspourlecontenir.Maisjenel'aivéritablementremarquéequ'àmonretourdel'université.Nousnoussommesretrouvésàunemêmeréception,oùelleétaitvenueavecsesamies.Elleportaitunerobebleupâle qui donnait encore plus d'éclat à ses cheveux. J'ai compris, ce soir-là, qu'elle était lafemmeaveclaquellej'étaisdestinéàpartagerlerestantdemesjours.Il s'interrompit quelques instants et le silence de la pièce ne fut troublé que par le

crépitementdu feu.En réalité, ledestin l'avait empêchédepartager le restantde ses joursavecClara.

Page 44: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megsavaitcequ'étaitledeuiletlapertedel'êtreaimé.—Godric...Iln'avaittoujourspaslâchéleboletleserraitàprésententresesdoigts.—Laissez-moiterminer.Meghochalatête.—QuandClaraesttombéemalade,jemesuistournéversDieu.Jel'aiprié.Jel'aiimploré.

J'étaisprêtàm'abaisseràn'importequellecompromissionpourqu'ellenesouffrepas.Si lediable s'était présenté devantmoi, je lui aurais vendumon âme en échangede la santé deClara.Megvoulutprotester,mais il tournasonregardverselleetelley lutunetellesouffrance

qu'ellen'eutpluslecouragedeparler.— J'ai accepté la proposition deGriffin uniquement parce qu'ilme semblait évident que

vous ne vous intéresseriez jamais à moi et que par conséquent notre union n'aurait demariagequelenom.—Mais...commençaMeg,quicomprenaittoutàcoupcommentladiscussionsefinirait.—Non,lacoupa-t-il,d'untonsansappel.Jen'aipaseud'autrefemmedansmonlitdepuis

quej'aiépouséClaraetiln'estpasdansmonintentiondedérogeràcetterègle.J'aiconnulevéritableamour.Aprèscela,toutleresteneseraitqu'unvulgaireersatz.Alorsnon,Margaret,jesuisdésolé,maisjenevousferaipasd'enfant.Godric regarda la porte se refermer derrière Margaret. Puis il alla tirer le verrou pour

s'assurer qu'elle ne reviendrait pas, même s'il était conscient que son geste ne feraitqu'ajouteràlablessuredelajeunefemme.Dieuduciel!Commentaurait-ilpudevinerlaraisondesavenueàLondres?Godric se passa une main dans les cheveux et grimaça. Il revoyait encore le visage de

Margaret,lorsqu'illuiavaitopposéunefindenon-recevoir.—Damnation,marmonna-t-il,avantdeseservirunverredebrandy.Ilbutunegorgéed'alcooletsoupira.Pourquoiformulait-elleunetelledemande?Ilaurait

juré que son épouse était parfaitement heureuse à Laurelwood Manor et il avait pris lesdispositionsnécessairespourqu'ellen'ymanquederien.Son regard s'arrêta sur la penderie. Godric termina son brandy et s'y dirigea. La clé

permettantd'ouvrir letiroirduhautétaitaccrochéeàunechaînequinequittait jamaissoncou.GodricavaittouteconfianceenMoulder,maislecontenudecetiroirn'appartenaitqu'àlui.Godricpritlacléetl'ouvrit.LeslettresdeClaraformaientunepetiteliasseserréeparunrubannoir.Commeilsavaient

été très rarement séparés, après leur mariage, la liasse n'était pas très épaisse. À côté, setrouvaitunpetitécrinrenfermantdeuxdesesmèchesdecheveux.Lapremière,quidataitdel'époqueoùilssefaisaientlacour,étaitd'unbeaubrunparseméderefletsdorés.Lasecondeétaitunereliquemortuaire.LescheveuxdeClara,devenusfinsetcassants,avaientpresqueviréaugris.Godricportaunemainàsatempe.Sescheveuxaussi,grisonnaient,àprésent.Pasceuxde

sa seconde épouse. Avec Clara, ils avaient exactement le même âge et ils auraient dûlogiquementavancertouslesâgesdelavieensemble.MaisledestinenavaitdécidéautrementetClaradormaitàprésentsousterre.

Page 45: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Le tiroir contenait également d'autres lettres, empilées en désordre.Godric hésita, avantd'en prendre une au hasard et de la déplier pour la lire. L'écriture remplissait la page etsemblaitcourir,commesilaplumedeMargaretn'allaitpasassezvitepourtranscrireleflotdemotsquisebousculaientdansl'espritdesafemme.

18septembre1739CherGodric,Vousallez être surpris,mais lenombrede chats quipeuplent les écuriesdeLaurelwood

Manor a explosé ! La chatte grise et la chatte noir et orangé ont toutes deuxmis bas auprintemps,etlablancheestdenouveaugrosse.Maintenant,chaquefoisquejerendsvisiteàMinerve(voussavez:lajumentbaiequej'aiachetéeàM.Thompsonetdontjevousaidéjàparlédansuneprécédentelettre),jesuisescortéeparunemultitudedechatons.Desgris,desnoirsetdesécailledetortue-toutesdesfemelles,m'aassuréToby,levaletd'écurie.Ilyenamêmeuneaupelagepresqueorange,quimesuitpartoutenagitant laqueue.Tobymeditquejenedevraispasleurdonneràmangerlesrestesdudînerdelaveille,maisaprèstout,ilsontbienledroitd'espérerunepetitegâterie,n'est-cepas?Godrictournalapagepourcontinuersalecture.Si je ne leur donnais plus àmanger, ils finiraient parme détester et ils viendraientme

pourchasserjusquedanslamaison!Sarahs'estremisedesonangineetelleacessédeparlerdecettevoixaffreusequilafaisait

passerpourunevieillesorcière.Voussouvenez-vousduplafondquifuyait,danslestoilettes?Lasemainedernière,ilaplu

des trombes d'eau et figurez-vous que le plafond s'est écroulé avec un fracas d'enfer !L'incident s'est produit dans la nuit, et la cuisinière, très crédule, s'est imaginé que lesdémonsfaisaientsortirlesmortsdesentraillesdelaterre.Elleapassélerestantdesanuitenprières,sibienque le lendemainmatin,nousn'avonseuquedesbiscuitsrassisaupetitdéjeuner.Zut!J'arriveàcourtdepapier.Ilmefautarrêterlàpouraujourd'hui.Votreaffectionnée,

Meg.CettelettreétaittoutàfaittypiquedecellesqueMargaretavaitpuluienvoyerendeuxans

:alerte,enjouée,pleinedevie.Àl'imagedecellequilesécrivait.Godric replia soigneusement la lettre et la replaça avec les autres. Il se refusait à trahir

Clara et le souvenirde leur amour,mais il avaitmenti par omission àMargaret.La vérité,c'estqu'iln'étaitpasrestéinsensibleàsonétreinte.Sonbaiseravaitétéluiaussiàl'imagedelajeunefemme:spontanéetinnocent-d'autantplusérotique.Margaretsemblaitréveillerquelquechoseenlui.Commesilavie,l'espoirsurtout,grondait

enlui.Godricrefermaletiroiràclé,puisilsedébarrassadesonpeignoiretdesachemisedenuit.

Page 46: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Aprèsquoi,ilsoufflaleschandellesetseglissa,nu,danssonlitfroid,leregardtournéverslefeuquisemouraitunedeuxièmefois.Même si la proposition de Margaret avait quelque chose d'alléchant, ce n'était qu'une

illusion.GodricétaitmortlesoiroùClaraavaitrendusonderniersouffle.— Cet arbre estmort,milady, annonça avec certitudeHiggins, le jardinier, le lendemain

matin.Etpourappuyersonpropos,ilcrachaparterre.Meg contempla l'arbre en question. Il n'était pas beau ; l'âge et le manque d'entretien

avaienttordusesbranches.Cependant,desrejetsapparaissaientàlabasedesontronc.—Iln'estpeut-êtrepasmort,suggéraMeg,sansgrandeconviction.L'hiveraététrèsfroid.Higginsgrommela.Lepommierenquestionsedressaitaucentredujardin.S'ilétaitarraché,lejardinperdrait

sonornementvertical.Megattrapaunepetitebranche,quisecassaavecunbruitsec.Puiselleexaminal'intérieur

delabranche.Marronfoncé.Cetarbresemblaiteneffetmort.La jeune femme jeta la branche cassée avec une grimace. Elle ne supportait plus d'être

entouréeparlamort.Etelleétaitexaspéréequ'une«certainepersonne»refusedel'aideràcréer de la vie. Si elle ne pouvait pas convaincre son mari d'adhérer à son projet, elleentendaits'occuperautrementpourpasserletemps.Enattendantdereveniràlacharge.Etderéussir.—Coupeztouslesrejets,ordonna-t-elleàHiggins,ignorantlaminestupéfaitedujardinier.—Mais,milady...—Je saisquemonattitudepeutparaître idiote,maismême s'il estmort,nouspourrons

toujoursfairepousserunrosiergrimpantsursontronc,ouuneautreplantedumêmegenre.Jeneveuxpasdéjàrenoncer.Higginssoupirabruyamment.C'étaitunhommed'unecinquantained'années,auxjambes

arquées et au torsemassif, toujours un peu penché, comme si lamoitié inférieure de soncorpsavaitdumalàporterlaplushaute.Higginsavaitdesidéestrèsarrêtéessurl'entretiendesjardins-tellementarrêtéesqu'ils'étaitsouventfaitcongédierparsespatrons,quandcen'était pas lui qui démissionnait. Il était d'ailleurs sans emploi, quand le vicaire d'UpperHornsfield avait donné, presque à contrecœur, son nom àMeg. Elle cherchait un jardinierexpérimentépourremettreenétat leparcdeLaurelwoodManoretbienqu'ellen'aitpasvuuneseulefoisHigginssourireenbientôtdeuxans,elleneregrettaitpasdel'avoirembauché.Ilétaittêtuetdirect,maisilconnaissaitlesplantes.—Votreidéeestidiote,maisjel'appliquerai,milady,marmonna-t-il.—Merci,Higgins,répondit-elle,avecunsourirepresqueaffectueux.Higginsétaitunhommebougonmais,depuisbientôtdeuxansqu'ilétaitauservicedeMeg,

il ne l'avait pas menacée une seule fois de démissionner, ce qui signifiait qu'il devaitl'apprécier.—Etcemassif?demanda-t-elle.Higginssegrattalatêteetluidonnasonavistranchésurlesplantesenquestion.La visite du jardin se poursuivit. Meg écoutait à présent d'une oreille distraite les

commentairesd'Higgins.L'airétaitunpeufrais,maisilyavaitdusoleil,et la jeunefemme

Page 47: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

trouvaittrèsagréabledecommencerlamatinéeparcettepromenadeaumilieudelaverdure.Elleavaitcertesessuyéungraveéchechiersoir,maisiln'étaitpasquestionqu'ellecapitule.D'unemanière ou d'une autre, elle trouverait unmoyen de venir à bout des réticences deGodric.Oualors...oualors,elleseprendraitunamant.C'estcequeferaientsansdoutebeaucoup

de femmes dans sa position - à supposer, bien sûr, qu'il existât d'autres femmes dans unepositionsemblableàlasienne.Cependant, àpeine l'idéeavait-elle germédans sonesprit, queMeg la rejeta.Malgré son

désir pressant d'avoir un enfant, elle ne pouvait pas faire une chose pareille à Godric.L'épouserà lahâteparcequ'elleétaitenceinte,oui, lecocufier,alorsqu'il luiavaitsauvé lamise,horsdequestion!Mêmes'ilétaittêtucommeunemule.Megsoupira.Elleétaitinjusteenverssonmari.Lavérité,c'estqu'ellecomprenaittrèsbien

laréactiondeGodric.Elleavaitété,elleaussi,trèsamoureuse,etelleavaitbiencrumourirquandelleavaitperduRoger.Unepenséeluitraversasoudainl'esprit:netrahissait-ellepasRogerensouhaitantavoirunenfantsanslui?Envoulants'uniràunautrehomme?Sauf qu'elle ne cherchait pas délibérément à partager la couche d'un autre homme. Ce

qu'elle désirait, c'était un enfant. Si elle avait pu obtenir l'un sans l'autre, elle n'aurait pashésitéuneseconde.Dureste,ellen'espéraitpaséprouverlemoindreplaisiravecGodric.Cemari vieillissant ne pourrait jamais remplacer Roger dans son cœur. Cependant, le désird'enfantétaitplusimportantquetouteautreconsidération.Puisqu'ilétaitquestiondeRoger,Megserappelaqu'elleavaitdéjàtropdifférécequ'ellelui

devait. Elle n'était pas venue à Londres uniquement pour consommer son mariage, maisaussi pour trouver le Fantôme de Saint-Giles et lui faire payer son crime. Et comme sonpremierobjectif se trouvait compromis, elledevait enprofiterpour s'attaqueraudeuxièmeavec plus de vigueur. Aussi, pendant qu'Higgins se penchait sur les premiers crocus de lasaison, elle échafauda un plan. Sa première confrontation avec le Fantômen'ayant pas étécouronnéedesuccès,elleauraittoutintérêtàs'informerdavantagesursonadversaireavantunenouvelletentatived'approche.Danscetteintention, .Megabandonnalejardinieràsesplantesetpartità larecherchede

Sarah.— Ah, vous êtes là ! s'exclama-t-elle, sans grande originalité, quand elle trouva enfin sa

belle-sœurdansunepiècedudernierétagedelamaison.—Jesuislà,confirmaSarah,avantd'éternuerviolemment.Avecl'aidededeuxdesfillettesdel'orphelinat,elles'employaitàdécrocherlesrideauxdes

fenêtres.Mary Evening, onze ans, le visage tavelé de taches de rousseur, gloussa. L'autre, Mary

Little, était aussi blondequeMaryEvening était brune.Elle était aussi d'un caractèreplusréservé.—Àvossouhaits,mademoiselle.—Merci,MaryLittle,réponditSarah.Finissezd'enleverlesautresrideaux,pendantqueje

bavardeavecladyMargaret.—Bien,mademoiselle.Lesdeuxfillettesseremirentàlatâche,sansparaîtrelemoinsdumondeimportunéespar

lapoussièrequ'ellessoulevaient.—Qu'est-cequec'estquecettepièce?demandaMeg,enregardantautourd'elle.

Page 48: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

L'endroitressemblaitàunechambre,maiscertainementpaspourdesdomestiques.—Jen'ensaisrien,avouaSarah,maiscequiestsûr,c'estqu'elleabesoind'ungrandcoup

debalai.— En effet, acquiesça Meg, alors qu'un autre rideau tombait à terre dans un nuage de

poussière.—Voussembliezvouloirmeparlerquandvousêtesentrée,luirappelaSarah.— Ah, oui ! N'avez-vous pas dit, hier soir à dîner, que nous avions reçu quantité

d'invitations?—Enfait, laplupartétaientdestinéesàGodric.Vousn'allezpaslecroire,maisj'aitrouvé

sursonbureauunepiledecartonsd'invitationdontlesplusanciensremontaientàplusd'unan!Jecroisquemonfrèreauraittoutintérêtàembaucherunsecrétaire.—Sansaucundoute.—Maisquelquesinvitationsétaientaussipourvous,moietvotretante,repritSarah.Nous

nesommespourtantlàquedepuisdeuxjours!C'estincroyablecequelesnouvellescirculentvite,àLondres.—Hmm.Yavait-ilunbristolducomtedeKershaw?Sarah fronça les sourcilsenmême tempsqu'elleépoussetait le tablierqu'elleavaitenfilé

sursarobe.—Jecrois.Maisil faisaitpartiedeceuxdestinésàGodric.C'étaitausujetd'unbalquele

comteetlacomtessedonnentcesoir.—Parfait!s'exclamaMeg.KershawavaitétéunamideRoger,etMegsavaitqu'ilavait traqué leFantômedeSaint-

Giles durant plusieurs semaines après la mort de Roger. Elle se rendrait à ce bal etinterrogeraitlecomtesurleFantôme.Sansdoutesavait-ilquelquechoseàsonsujet.—Nousneprendronsqu'unevoiture,continuaMeg.Maisjevaisdemanderàlagrand-tante

Elvinasiellesouhaitesejoindreànous.Elleadorelesbals,etmêmesiSaGrâceestprochedemettrebas,je...—Mais...voulutobjecterSarah,stupéfaite.—Quediablefaites-vousici?Lesdeuxfemmessursautèrent,avantdesetournerd'unmêmeélanendirectiondelavoix

menaçantequivenaitdelesinterrompre.Godricsetenaitsurleseuil,levisagefermé-sifermé,queMegmitunesecondeàréaliser

qu'ilétaitblancderage.—Jenevousaipasdonnélapermissiond'entrerdanscettepièce.Oh,monDieu.L'unedesfilletteslâchalerideauqu'elletenait.Sarahs'éclaircitlavoix.—Lesfilles,descendezlesrideauxàMmeCrumb,s'ilvousplaît.Elles'occuperadelesfaire

nettoyer.Godricsepoussadecôtépourlaisserpasserlesdeuxenfants,maissonregardrestaitrivé

surMeg.—Votreplacen'estpasici.Jeneveuxpasvousvoirdanscettepièce.Megsentitsesjouess'empourprerdecolère.Elleredressalementon.—Godric...Ils'approchad'elle,ladominantàdesseindetoutesastature.—N'imaginezpasquejesuisunpetitchienàvosbasques,madame.Jusqu'ici,j'aisupporté

Page 49: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

avecbeaucoupdepatiencevotreintrusionchezmoi,maiscettefois,vouspassezlesbornes.Megécarquillalesyeuxdestupeur.Elleouvritlabouche,sanssavoirquoirépondre.C'est

Sarahquis'enchargea.— Je suis désolée. C'est entièrement de ma faute. Meg vient juste d'arriver. Je voulais

simplementnettoyerlachambre.Nousn'avonstouchéàrien.Etjet'avouequejenesaispasàquoiservaitcettepièce.—C'étaitlachambredeClara.Etjen'aipasbesoinquetulanettoies.—Godric,je...Maisiltournaitdéjàlestalons.MegjetaunregardauvisagedéfaitdeSarahetcourutaprès

sonmari.Ilmarchaitendirectiondel'escalier,manifestementinconscientdelapeinequ'ilvenaitde

causeràsasœur.—Godric!Ilnedaignamêmepasralentir.Meg ledépassapour luicouper larouteet l'obligeràs'arrêter justeenhautdesmarches.

Cependant,ellenes'attendaitpasàuntelspectacle : levisagedeGodricétait littéralementravagéparlechagrin.—Sarahnesavaitpas,plaida-t-elle.Ellesesentaitelle-mêmetrèsembarrassée.Sonmaridétournaleregard.—Jesuisdésolée,s'excusaMeg,agrippantd'unemainlereversdesonveston.Elles'attendaitàcequ'illarepousse,aulieudequoiilsecontentadebaisserlesyeuxsursa

main.—Sarahauraitdûmedemander.—Biensûr,acquiesçaMeg.Nousaurionsdûtousvousdemanderl'autorisationdemettre

votremaisonsensdessusdessous.Ellerivasonregardausien.—Maisauriez-vousdonnévotreaccord,sinousvousavionsposélaquestion?Ilneréponditrien.—Vousdonnezl'impressionden'avoirbesoindepersonne,Godric,repritMeg.Maisnous

nesommespascommevous.Vossœursetvotremèresont...—Mabelle-mère,lacorrigea-t-il.Letonétaitcassant,maisaumoins,ill'écoutait.—Votrebelle-mère,d'accord.MaisjeconnaisMmeSaint-Johnetjesaisqu'ellevousaime

beaucoup.Toutevotrefamillevousaime.Etilssedésolentdenepasavoirdevosnouvelles.Voslettressontraresettoujourstrèssuccinctes.Ilss'inquiètentpourvous.Ilgrimaçad'irritation.—Iln'yapasdequoi.—Pourquoidites-vouscela?—Margaret...Meglâchasonveston.—Vousdevriezprésentervosexcusesàvotresœur.Illaregardaavecunmélanged'incrédulitéetd'exaspération.—Elleignoraitqu'ils'agissaitdelachambredeClara,repritMeg.Etquandbienmêmeelle

l'auraitsu,oùétaitsoncrime?Avez-vousdécidédefairedecettepièceunesortedemausolée?

Page 50: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Il sepenchaverselle.Ses lèvresétaient trèsprochesdecellesdeMeget il luiparutplusintimidantquejamais.—Vousdevriezapprendreànepasfranchircertaineslimites,murmura-t-il.Megfutincapablederépondre.Ilétaittropprèsd'elle.Ettroptendu,commes'ils'apprêtait

àfairequelquechose,maisqu'ilseretenait.Finalement,ilserecula.—Jem'excuseraiauprèsdemasœur.Etlà-dessus,ildescenditl'escalier.MeginspiraprofondémentetrepartitverslachambredeClara.Sarah ne s'était toujours pas remise de ses émotions, aussiMeg s empressa-t-elle de la

serrerdanssesbras.—Leshommessontparfoisdevraiesbrutes,dit-elle.Sarahreniflaetsetapotalesyeuxavecsonmouchoir.— Non. Godric avait raison. J'aurais dû lui demander sa permission avant de faire le

ménagedecettechambre.Megrelâchasonétreinte.—Maisvousignoriezquec'étaitlachambredeClara.—Jem'endoutaisunpeu,avouaSarah,repliantsonmouchoiretdésignant legrand lità

baldaquinaucentredelapièce.Quid'autreauraitpucoucherlà?—Alors,pourquoi...—JetrouvaisridiculequeGodricfassedecettechambreunmausolée.—C'estexactementcequejeluiaidit.Sarahécarquillalesyeux.—Etquevousa-t-ilrépondu?Meggrimaça.—Jecroisquecelaneluiapasfaittrèsplaisir.—Oh,Meg,jesuisdésoléedevousavoirentraînéedanscettehistoire.Maisvenez,jeveux

vousmontrerquelquechose.Ellesedirigeaversl'unedesfenêtres,àprésentdénudées.Meglasuivit,intriguée.—Regardez, luiditSarah,pointantdudoigt lesbarreauxdeferscellésà l'extérieur.Cette

chambre était autrefois la nurserie ; les barreaux empêchent les petits enfants de tomberquandlafenêtreestouverte.Jesaisquevousn'avezpasépousémonfrèredanscetteoptique,mais je me suis dit qu'avec ce séjour à Londres, peut-être que... Nous nous inquiétonstellementpourlui,ajouta-t-elledansunmurmure.Meghochalatête.—Jesais.Etpournerienvouscacher,j'espèremoiaussidevenir...plusprochedeGodric.

Mais cene serapas facile. J'ai déjà essayé, sans succès. Il aimait beaucoupClara. Il l'aimeencore.—Oui.MaisClaraestmorte,etvousêteslà.Nerenoncezpas,Meg,s'ilvousplaît!Meghochadenouveaulatête.Cependant,malgrélesourirerassurantquelleoffritàSarah,

elle se demanda comment elle pourrait l'emporter, face à un homme qui n'était plus quel'ombredelui-même.

Page 51: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

5

Il est très rarepourunmortel d'apercevoir l'Hellequin.Cedernier appartient aumondedes ténèbres et reste d'ordinaire invisible. Mais la jeune femme aimée n 'était pas unemortellecommelesautres.Elles'appelaitFoi,etelleétaitcapabled'affronterl'Hellequindeface.«Monamoureuxétaitquelqu'undebon! luicria-t-elle.Vousnepouvezpasemportersonâmeenenferetlalaisserbrûlerpourl'éternité!»[...]

op.cit.—Ellevaoù?s’étranglaGodric,quisefigea,satuniqued'Arlequinàlamain.—Àunbal,répétaMoulder.Ellesyvonttoutes.Vousauriezdûvoirlessoubrettesmonter

etdescendrelesescaliersàtouteallure.Cesdamesontapparemmentbesoind'interminablespréparatifspourserendreàunbal.PourquoiMeg ne l'avait-elle pas informé ? Godric grimaça au souvenir de leur dernière

entrevue.De leurdisputeplutôt. Il étaitpartide lamaison justeaprèsetn'était rentréquetard,dansl'intentiondesechangerpourretournerdansSaint-Giles.—Quelbal?voulut-ilsavoir.—CeluidelordKershaw,réponditMoulder.Depuisqu'ilaépousécettehéritièreétrangère

il y a deux ans, le bal qu'ils donnent en mars est devenu l'un des événements les plusimportantsdelasaisonmondaine..Godricregardasondomestiqueavecstupéfaction.DepuisquandMoulders'intéressait-ilà

toutcela?Passait-ilsontempsàécouterauxportes?Godricréfléchit.«Kershaw»...C'étaitl'un des nomsmentionnés parWinter Makepeace. Ses investigations sur les Kidnappeursauraientpeut-êtreplusde chancesd'aboutir à cebalqu'uneénièmedéambulationdans lesrues de Saint-Giles. En outre, cela lui permettrait de passer la soirée avec sa ravissanteépouse,pointqueGodricignoradélibérément.—Sorsmonhabitdesoiréeetfaisensortequelavoiturem'attende.— Sage décision, si vous me permettez de donner mon avis, commenta Moulder, qui

fouillaitdéjàdanslapenderie.Godricluirenditsatenued'Arlequin.—Queveux-tudire?—Ehbien,onnesaitjamaisquielleauraitpurencontrerlà-bas.—Peux-tupréciser?répliquaGodric,endétachantchaquemot.Mouldercompritqu'ilétaitsansdouteallétroploin.—Ah...euh,non,rien.Jem'occupedelavoiture.—Tuferaisbien.Moulder se rua hors de la chambre. Godric marmonna un juron et s'habilla. Tout cela

n'était pas raisonnable ! Il avait expliqué àMargaret qu'il n'y aurait rien entre eux. Alors,pourquoiirait-iljouerlestrouble-fêteenessayantdesavoirsiellesecherchaitunamant?Unefoishabillé,iljuradenouveauetquittasachambre.Lavérité,c'estquelachoseluiimportait.Etpasseulementenraisondel'humiliationque

Page 52: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

lui infligerait Margaret si elle portait l'enfant d'un autre. Qu'elle fût enceinte d'un autrehomme avant de l'épouser ne l'avait pas dérangé.Mais tout avait changé. Cela faisait plusd'unanqu'il lisaitrégulièrementleslettresdeMargaret,quelquesjoursqu'ildînaittouslessoirsenfaced'elleetqu'ilpouvaitadmirerseslèvresqui...Godrics'arrêtanetsurlepalier.Damnation!IlnevoulaitpasqueMargaretoffresesfaveursàunautre.C'étaitaussisimplequecela.Cetteconstatationluimitlesnerfsàvif.Il inspira profondément et descendit l'escalier en veillant à ne pas presser l'allure. Il ne

devait pas perdre de vue la principale raison qui le poussait à se rendre au bal : tenter dedécouvrirsiKershawn'avaitpasété lecomplicedeSeymour.C'était làunemissionpour leFantôme.Lesdamesétaientdéjàmontéesenvoiture,maisMoulderavaitveilléàcequel'attelagene

démarrepassanslui.Godricouvritlaportièreetgrimpaàl'intérieur,sousleregardcurieuxdestroisautrespassagères.C'estbiensûrMargaretquiparlalapremière.—J'ignoraisquevousaimiez lesbals, sinon jen'auraispasmanquédevousproposerde

nousaccompagner.Godricluiretournaunsourirequ'ilvoulaitplaisant.—Ilmesembletoutnatureldevousescorteràdetellesréceptions.—C'esttoutnaturel,eneffet,ironisaSarah.Quoiqu'ilensoit,jesuisbiencontentequetu

viennesavecnous,ajouta-t-elleavecchaleur.Godricéprouvaquelquesremords.Sarahétaitsasœur.Etleurpèreétantmort,ilauraitdû

reprendrelerôledepatriarcheetveillersurelleetsafamille.— Je suis désolé pour ce qui s'est passé cet après-midi. Je n'aurais pas dû m'emporter

contretoi.Aenjugerpar l'expressiondesonépouseetdesasœur,sesexcuses lessurprirenttoutes

lesdeux.Quantàlagrand-tanteElvina,ellereniflabruyamment,maisilpréféraignorercettevieillemégère.Sarahsecoualatête.—Non,c'estàmoidem'excuser.Jen'auraispasdû.—Faiscommebontesemblera.Jesupposequ'ilesttemps...d'aérerunpeucettepièce.Sarahécarquillalesyeux.—Tuessûr?Godricessayadesourireets'aperçutquecen'étaitpassidifficile.—Oui.Ilgardalesilencelerestantdutrajetetselaissabercerparlebabillagedestroisfemmes.À

deux reprises etmalgré lapénombrede l'habitacle, il crut surprendreMargaret en traindel'examiner avec curiosité. Décidément, il aurait aimé trouver un moyen de satisfaire larequêtedelajeunefemmesanstrahirClara.Kershawhabitaituneantiquedemeurefamiliale,récemmentrénovéeàgrandsfrais.Godric

sesouvintdesparolesdeMoulder...Était-celadotdesonépousequiavaitpayélestravaux?Dans le vestibule, Godric aida la grand-tante Elvina à retirer son manteau, qu'il tendit

ensuiteàunvaletenlivrée.IlseretournajusteàtempspourvoirMargaretôterelleaussisonmanteauetdévoilerdumêmecoupcequ'elleportaitendessous.Godricenrestauninstantbouchebée.

Page 53: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

LarobedeMargaretétaitd'unrosesaumonquis'accordaitparfaitementavecsescheveuxnoirs.Sacoiffureétaitplussophistiquéequed'habitudeet lesbrillantsdisséminésdanssesmèches miroitaient sous la lumière des chandeliers. Le décolleté plongeant de la robe necachaitpasgrand-chosedesasuperbepoitrine.Unedéessede lagaietéquiseserait invitéeparmilesmortelsetquiriaitàquelquechosequeluisoufflaitSarah.C'étaitcettefemme-làqu'ilavaitépousée!Lasituationnemanquaitpasd'ironie.Godricluitenditlebras.—Vousêtesravissante.Elleclignalesyeux,surprise.—Merci,répondit-elleenprenantsonbras.Godric,soucieuxdesemontrerpoli,gratifiaSarahetlagrand-tanteElvinadecompliments

analogues.Lavieilledameparuts'enamuser,témoignantainsid'uncertainsensdel'humourqueGodricneluiauraitjamaissoupçonné.Lasalledebalétaitbondée.—Bontédivine!s'exclamalavieilledame.Jen'avaispasvuunefouleaussidensedepuis

majeunesse.—Regardez,Meg,ilyavotreamie,ladyPénélope,ditSarah.—Oui,acquiesçaMeg,d'unevoixdistraite.JemedemandeoùestlordKershaw?Godricplissalesyeuxetsetournaverssafemme.MaisSarahpoussaitdéjàMargaretet lagrand-tanteElvinaendirectiondeladyPénélope.

Godric les suivitdesyeux.LadyPénélopeétait considérée commeunebeauté,maisGodrictrouvaitsescharmesgâchésparuncaractèreenfantinetcapricieux.—Jevaischercherdesrafraîchissements,lança-t-ilauxtroisfemmesquiluitournaientle

dos.Margaret lui lança un regard souriant par-dessus son épaule, avant d'être avalée par la

foule.Godric eut la désagréable sensation de la perdre. Sa réaction était si stupide qu'il

s'empressaderejoindrelesalonoùétaitdressélebuffet.IlétaitdifficiledesefrayerunchemindanstoutecettefouleetGodricprogressaitd'autant

pluslentementqu'ilcherchaitKershawduregard.Ill'avaitdéjàrencontréetenavaitgardélesouvenird'unhommejovialetgénéreux.Destraitsdecaractèrequinecorrespondaientguèreàl'imagequ'onpouvaitsefaired'unravisseurd'enfants.MaisSeymourn'avaitpasnonplusétéunhommed'aspectsinistre.Quinzeminutesplustard,Godricseretrouvaitfaceàungrandsaladierremplidepunchet

sedemandaitcommentilréussiraitàportertroiscoupes.—Bonsoir,Saint-John,lançaunevoix,sursadroite.C'étaitcelledesongrandami,LazareHuntington,baronCaire.Godricsetournaverslui.—Bonsoir,Caire.—Jen'auraispaspensévousvoirici,commençaCaire,indiquantàunvaletqu'ilsouhaitait

unverredepunch.—Votreprésencem'étonnetoutautant.Caireeutunsouriresardonique.—C'estcurieuxdevoiràquelpointlemariagepeutréformercertaineshabitudes.—Assurément,répliquaGodric,avecironie.Pouvez-vousprendrecelapourmoi?Caire fixa,unpeusurpris, la coupedepunchqueGodric luiavaitmisd'autoritédans les

Page 54: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

mains.—Vousn'êtespasvenuqu'avecvotrefemme?Godricavaitluiaussiunecoupedanschaquemain.—Non,égalementavecmasœuretunetantedemonépouse.—Jesuisravidesavoirquevotremaisonaccueilledumonde.Godricdétournaleregard,embarrassé.—Euh,oui...—Venez,lepressaCaire.Vousallezpouvoirmeprésenteràvotreépouse.Tempéranceaété

bouleverséedelavoiràlaréunionducomitédesoutien,l'autrejour.Godrichochalatêteetentrepritdefendrelafouleensensinverse,sansunmot.Ilsentait

leregarddesonamipeserdanssondos.IlsarrivaientdanslasalledebalquandCaireremarqua:—J'aperçoisTempéranceavecplusieursautresfemmes.Votreépouseest-elledunombre?Godric regarda dans la direction que lui indiquait Caire.Mais sa femme n'était pas avec

ladyCaire.Ellesetrouvaitunpeuplusloin,riantavecAdamRutledge,vicomted'Arque,l'undesséducteurslesplusnotoiresdeLondres.Le vicomte d'Arque était très bel homme.Et il le savait. Ses yeux clairs semblaient sans

cesseproclamer:«Nesuis-jepasleplusbelhommequevousayezjamaisvu?N'hésitezpasàm'admirer!»CedontMegneseprivaitpas.Maiscen'étaitpaslaraisonpourlaquelleellel'avaitrejoint.

Elleriaitdeboncœuràsesplaisanteriessansperdresonobjectifdevue.Lordd'Arqueavaitété un ami proche de Roger. Du temps où Roger vivait encore, Meg n'avait pas osé tropfréquenter le vicomte, dont la beauté affichée l'intimidait. Sans compter qu'il traînait unesolideréputationdeséducteur.Unejeunefilleàmariernepouvaitpassemontrerensociétéavecuntelhomme.Maisilenallaittoutdifféremmentpourunefemmemariée.Megdécouvrait,nonsansironie,quelemariageprésentaitcertainsavantages.Désormais,

elle pouvait flirter discrètement avec des débauchés.Alors qu'elle aurait préféré se trouveravecsonmari,pourtenterd'apaiserleurdifférend...Commesilesimplefaitdepenseràluil'avaitconvoqué,Godricsematérialisasoudaindans

lafoule.Ilvenaitàleurrencontre,levisagefermé.Megsetournadélibérémentverslevicomte.—Voilàuneéternitéquejenevousavaispasvu,milord.— Tout laps de temps qui m'éloigne d'une femme aussi ravissante que vous est une

éternité,laflattalordd'Arque,avecunegalanterieappuyée.Il n'échappa pas àMeg qu'il avait furtivement baissé le regard pour le plonger dans son

décolleté.Cethommeétaitdélicieusementincroyable.Ellesourit.—Nousavionsunamicommun.—Oui?Roger et Meg avaient tenu leur liaison secrète, ce qui n'avait fait que pimenter leurs

rendez-vous. Cependant, ils s'apprêtaient à révéler publiquement leurs fiançailles quandRoger...Meginspiraprofondémentpourcontenirsonémotion.

Page 55: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—RogerFraser-Burnsby.Leregarddelordd'Arques'aiguisa.—Voilàvotrepunch,annonçasoudainGodric.Sonmari,d'ordinairesiplacide,semblaitavoirdespoignardsdanslesyeux,pointéssurlord

d'Arque.Siunregardpouvaittuer, levicomtebaigneraitdéjàdansunemaredesang,surlebeaudallagedemarbredelasalledebaldelordKershaw.Voilàquiétaitintéressant,songeaMeg.Elleauraitdûfairepreuvedecontrition.Aprèstout,

lordd'Arquenes'étaitpasmalcomporté,c'étaitellequi l'avaitencouragéàflirter.Maiselleéprouvaitunecertainesatisfactiondesavoirquesonmariétaitprêtàétranglerlevicomte.EllesouritàGodricetacceptalacoupedepunchqu'illuitendait.Godriclafusilladuregard,avantdereportersonattentionsurlevicomte.—Bonsoir,d'Arque.Levicomteesquissauneamorcedesourire.—Bonsoir,Saint-John.Jebavardaisavecvotrecharmanteépouse.Jedoisreconnaîtreque

vousavezplusdecouragequemoi.—Commentcela?Lordd'Arqueeutunregardinnocent.— Eh bien, je n'aurais jamais été capable de bannir une femme aussi ravissante à la

campagne. J'aurais voulu la garder à mes côtés, de jour comme de nuit - et plusparticulièrementlanuit.S'entraînait-il devant une glace pour répéter ses tirades de séducteur ? En tout cas, la

réaction de Godric était plaisante à voir. Toutefois, Meg comprit qu'elle devait mettre untermeàcettepetitecomédiequirisquaitdemaltourner.Maisaumomentoùelleouvraitlabouche,sonmariladevança:— Je suis étonné. Je pensais qu'il n'y avait déjà plus de place libre à vos côtés, de jour

commedenuit-etplusparticulièrementlanuit.Quelqu'uns'esclaffaderrièreeux.Megseretournaetdécouvritungentlemantrèsélégant,

auxcheveuxargentés.Il s'inclina pour la saluer, tandis que lord d'Arque répondait quelque chose à propos du

célibat.— Bonsoir, ladyMargaret. J'espère que vous ne verrez pas d'impolitesse à ce que jeme

présentemoi-même?JesuisCaire.LordCaire, bien sûr.A une époque, sa réputationde séducteur valait largement celle du

vicomted'Arque.Megluirenditsonsalut.— Vousme voyez très honorée, lord Caire. J'ai le bonheur de compter votre épouse au

nombredemesamies.Un sourire s'esquissa sur les lèvres de lord Caire, pendant que Godric et lord d'Arque

continuaientleuréchangesardonique.— Ma femme et moi, nous avons beaucoup regretté de n'avoir pas pu assister à votre

mariage,ditlordCaire,maisnousavonscomprisquelacérémonieétaitintimeetstrictementréservéeàlafamille.JesuisunamidelonguedatedeSaint-John.—Ahoui?fitMeg,quiobservaitGodricetlevicomteducoindel'œil.Pourl'instant,heureusement,ilsn'enétaientpasencorevenusauxmains.D'unautrecôté,

s'ilssebattaientàcausedeMeg,leurbagarrenemanqueraitpasdedonnerdupimentaubal

Page 56: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

delordKershaw.—Vousdevezmetrouvermaladroite,ajouta-t-elle.—Pasdutout,assuralordCaire.Celafaisaituneéternitéquejen'avaispasvuSaint-John

dans un tel état. De temps en temps, une bonne colère ne fait pas de mal à un homme.J'espèrequevousprévoyezderesterunmomentàLondres?Meg se mordit la lèvre, car elle ne comptait restera Londres que le temps de tomber

enceinte.ElleaimaitLaurelwoodManor.Lacampagne lui convenait.Etellenepouvaitpasrêverplusbelendroitqueledomainedesonmaripouryéleversonenfant.LordCairecompritapparemmentsondilemme.—C'estdommage.Quoiqu'ilensoit,vousavezbienfaitdevenirpasserunmomentavec

Saint-John.—Jepasseraisvolontiersplusde tempsavec luis'iln'yavaitpasun fantômeentrenous,

objectaMeg.—Ah,fitlordCaireavecunhochementdetêteentendu.Clara.Meggrimaça.—Jene voudrais pas vousdonner l'impressionque je suis jalouse. Je sais qu'ils se sont

beaucoupaimésetqu'ilsontétéheureuxensemble.—Ilssesontaimés,eneffet,acquiesçalordCaire,maissiquelqu'unvousaditqu'ilsontété

heureuxensemble,j'aipeurquecettepersonnenevousaitmenti.Megserapprochadelui.—Quevoulez-vousdire?— Clara est tombée malade très peu de temps après leur mariage, expliqua lord Caire.

Godrica fait appel àplusieursmédecins, y compris sur le continent,mais il a vite comprisqu'iln'yavaitrienàespérer.Caire coula un regard en direction deTempérance qui conversait, un peu plus loin, avec

Sarah,avantd'ajouter:—Cedoitêtreterriblepourunhommedevoirlafemmequ'ilaimeseconsumerlentement

dansd'atrocessouffrances.Megsentituneboulese formerdanssagorgecar,mêmesi lordCairen'avaitpaschangé

d'expression,elleréalisaqu'ilaimaitluiaussisafemmed'unamoursansréserves.Elleavaitconnucela-oudumoins,lesprémicesd'untelamour.SaliaisonavecRogern'avaitduréquetroismois.Troismoismerveilleux,maisMegétaitbienconscientequeleurpassionn'enétaitqu'àsonbalbutiementquandRogeravaitététué.Elle avait rêvé d'un amour qui grandirait avec les années. Le destin en avait décidé

autrement.Megn'avaitpaspuvivre son rêveavecRoger, et ellene le vivraitpasavecGodric.S'il se

disputaitavecd'Arque,c'étaitparpurorgueil.Sonmarinetenaitpasàelle.CetteconvictionattristaitMegplusquederaison.—Jesuisdésolé,assura lordCaire, seméprenant sur sa réaction.Jenevoulaispasvous

causerdelapeine.—Non,nevousexcusezpas, réponditMeg,qui s'efforçade sourire, sansyparvenir. Je...

j'espéraissimplement...Ilattenditmais,commeelleétaitincapabledeterminersaphrase,ilvolaàsonsecours:— Ce n'est pas parce qu'il a aimé Clara qu'il ne peut pas vous aimer. Courage, milady.

Godricestunenoixdifficileàbriser.Mais l'intérieurdesacoquillevaut ledétour.Et jene

Page 57: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

voispasd'autrefemmequevous,mieuxàmêmedeveniràboutdesacarapace.MegregardaGodric,quitournalatêteaumêmeinstantdanssadirection.Sonregardétait

àlafoisemplidecolèreetdetristesse.EllevoulaitcroirequelordCairedisaitvrai.Siseulement...Artemis Greaves observait avec une certaine anxiété lord d'Arque sourire d'unemanière

doucereuseàM.Saint-Johnpendantquecelui-ci luidébitaitprobablementdesatrocités.LemarideladyMargaretluiavaittoujoursparuunhommeréservé.Maismêmeleplusréservédeshommesnerésistaitpastoujoursàuneprovocation...—Unduel!s'exclamasoudainladyPenelope,avecravissement.J'espèrebienquecelavase

terminerparunduel!Artemislaregardaavechorreur.Elleéprouvaitdel'affectionpourPenelope,maisparfoissa

cousinesemontraitpuérileetinsupportable.—Jecroyaisquevousaimiezbienlordd'Arque?répliqua-t-elle,sanscachercomplètement

sonexaspération.Pénélopeeutunmouvementde têtequ'elleavaitdû répéterdevant sonmiroir, car il eut

poureffetdefairebrillerlespeignesenjoailleriequiornaientsacoiffure.Ilyenavaittrois,enperlesetrubis,quimiroitaientsousleschandeliers.Cespeignesdevaientcoûterpluscher,àeuxtrois,quetoutelagarde-robed'Artemis,maisilsluiallaientàravir.—J'aimebienlordd'Arque,oui.Maisenfin,iln'estpasduc.ArtemisavaitsouventdumalàsuivrelesraisonnementsdePénélope.—Que...Aumêmeinstant,unhommedehautestature,levisagesévère,fenditlafoulecommeun

sabre le ferait d'une pomme. Il se dirigea droit sur d'Arque, pendant que lord Caires'approchaitdeM.Saint-Johnpourluichuchoterquelquechoseàl'oreille.— Voilà justement un duc ! s'émerveilla lady Pénélope, d'une voix si aiguë qu'Artemis

s'alarma.—Auriez-vousprisfroid?—Nesoyezpasidiote, luirépliquaPénélope.J'aidécidéqu'ilétaitgrandtempsquejeme

marie.Etnaturellement,j'épouseraiunduc.Commecelui-ci,parexemple.Legentlemanquis'étaitprécipitésurlordd'Arquen'étaitautrequeMaximeBatten,ducde

Wakefield.Artemis eut du mal à revenir de sa surprise. Pénélope était fille de comte et une riche

héritière.Etmêmes'iln'étaitpasrarequedesducsépousentdes femmesfortunées,mêmepeutitrées,leducdeWakefieldvoudrait-ild'uneépouseassezfutilepourexigerqu'onverse

des perles de terre[1] dans son chocolat du matin ? Pénélope prétendait que ces œufs

donnaientplusd'éclatàsonteint.Artemistrouvaitsurtoutqueceladonnaitungoûtterreuxauchocolat.Mais Artemis était habituée à ce que son opinion n'entre pas en ligne de compte. Si

Pénélopes'étaitmisen têted'épouserunduc, ilyavait fortàparierqu'elleseraitduchesseavantlafindel'année.Maisquandmême!Wakefield!Artemis l'examinaplus endétail. Il étaitde taillemoyennepourunhomme.Ses épaules

étaientlarges,maisilavaitleshanchesfines.Etlasévéritédesestraitsempêchaitqu'onpût

Page 58: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

letrouverbelhomme.SiArtemisavaitdûchoisirunmotpourlequalifier,elleauraitditduducqu'ilétaitfroid.Artemis frissonna. D'après ce qu'elle avait pu observer de lui dans maintes réceptions

comme celle-ci, il n'avait ni compassion ni humour. Or, il fallait posséder les deux poursupporterdevivreavecPénélope.—Iln'estpasleseulduccélibataire,fitvaloirArtemisàsacousine.LeducdeScarborough,

parexemple.Ilestveufdepuisunan,et iln'aeuquedesfilles.Jesuissûrequ'ilchercherabientôtàseremarier.Pénélopes'esclaffasansquitterWakefielddesyeux.—Ildoitavoirsoixanteans.—Certes.Maisj'aientendudirequec'étaitunbravehomme,objectaArtemis.Ellesoupira,avantdetenteruneautrepiste:—EtleducdeMontgomery?Pénélopelaregardaavechorreur.—Ilpasselaplupartdesontempsàlacampagne.L'avez-vousdéjàvu?Artemispinçalenez.—Euh,non...—C'estbienleproblème,rétorquaPénélope,quirepritsonobservation.Personnenel'avu

depuisuneéternité.Àmonavis,ilestbossuouilaunbecdelièvre.Oupireencore,ilestfou!Jenevoudraispasd'unefamilledontlesangestmauvais.Artemisbaissa les yeux.Non,bien sûr.Personnene voulaitde fousdans sa famille.Elle

pensaits'être forgéeunecarapaceassezsolide,maisparfois,commemaintenant, lechagrinluiserraitlecœuràl'étouffer.Heureusement,Pénélopenes'étaitpasaperçuedesontrouble.—Oualors,ilestfauché,ajouta-t-elle.—Maisvousêtesriche.—Oui,maisjeveuxpouvoirdépensermonargentpourmoi,paspourrenflouerlesdettes

demonmariouréparersonvieuxchâteau.Artemisfronçalessourcils.—J'enconclusquecelaexclutleducdeDyemore.—Évidemment,acquiesçaPénélope.LeducdeDyemorepossédaittroischâteauxenpiteuxétat.—Non,iln'yaqu'unseulducquimeconvienne,s'entêtaPénélope.Wakefield s'éloignait déjà. Il avait réussi à persuader le vicomte d'Arque de le suivre,

probablement en l'intimidant. Le duc avait beau être un homme orgueilleux et austère,Artemisneputs'empêcherdeleplaindre.CarPénélopeobtenaittoujourscequ'elleconvoitait.— Je vous serais reconnaissant à l'avenir de vous tenir à distance du vicomte d'Arque,

murmuraGodric,tandisqu'ilentraînaitsonépouseverslapistededanse.Ilsereprochaitsontoncassant,maisc'étaitplusfortquelui.Margaretétaitsafemme,etilentendaitleluirappeler.Elleluidécochaunregardpluscurieuxqu'outragé.—Est-ceunordre?Godriccompritqu'ils'étaitmontréidiot.

Page 59: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Non,biensûrquenon.Unenouvelledansedébutait,lesforçantàseséparerpoursesalueretGodricn'eutpasle

loisir de s'expliquer davantage. Il en profita pour tenter de juguler la rage qui l'avait saisilorsqu'ilavaitaperçusafemmeencompagnied'unautrequelui.Quandlespasdedanseleurpermirentdeserejoindre, ilmurmuraàMargaret,assezbaspourque lesautrescouplesdedanseursnepuissentpasentendre:—Jesaisquevousdésirezardemmentunenfant,maiss'ilvousplaît,pasdecettemanière.—Quevoulez-vousdire?demanda-t-elleavecinnocence.—Enprenantd'Arquecommeamant.Elleen futsiblesséequ'elleneputpascomplètement ledissimuler.Godriccompritqu'il

s'étaitmisdansdesalesdraps.—Vousmeprenezpourunefillelégère.Devraimentsalesdraps.—Non,jevousass...Maisladanselesobligeadenouveauàseséparer.Cettefois,Godricsuivitsonépousedu

regardavecunecertaineanxiété.Ilréalisaqu'illaconnaissaitbienmal.SiClaras'étaitsentieinsultéecommeelleencemoment,elleauraitfonduenlarmes.Ouelleauraittapédupied.Enfait,iln'ensavaitrien,cariln'avaitjamaiseuunetellediscussionavecClara.Etlasimpleidéequecelaauraitpuseproduireunjourluiparaissaitridicule.Margaret,elle,gardaitlatêtehaute.Onauraitditunedéesseoffensée.Unedéessecapable,

s'ilsavaientétéseuls,desejetersurlui-etcetteperspective,bizarrement,l'excitaitauplushautpoint.Quandladanselesréunitdenouveau,ilsouvrirentlaboucheenmêmetemps.—Jenevoulaispas...commençaGodric.—Vousm'avezjugéesansprocès.Etsanslamoindrepreuve.—Là,jenesuispasd'accord.Vousflirtiez,madame.—Etalors?Oùestlemal?Sitouteslesfemmesquiflirtaientdansunesalledebalétaient

des catins, il ne resterait plus que les bonnes sœurs pour garder un semblant de vertu.Pensez-vousréellementquej'avaisl'intentiond'avoiruneliaisonaveclevicomte?Godrichésitaunefractiondesecondedetrop.Ellefronçalessourcils.—Vousêtesunhommeimpossible.Ilscommençaientd'attirerlesregardssureux,maisGodricnepouvaitpasenresterlà.— Moi ? C'est vous qui êtes impossible, madame. Je n'avais encore jamais causé de

scandaleenpublicavant...—Maispourcesoir,vousenêtesdéjàaudeuxième,lecoupa-t-elle.Une réplique un peu trop facile. Et, comme ils étaient encore obligés de se séparer, sa

femmes'étaitainsioctroyélederniermot.Pourlemoment.Aussitôtqu'ilsserejoignirent,elleattaqua:—Vousai-jedéjàdonnédesraisonsdedouterdemaloyauté?—Non,mais...— Et cependant, vous m'accusez du pire crime qu'un homme puisse reprocher à une

femme.—Margaret, plaida Godric, sur le ton de l'impuissance, comme si son éloquence l'avait

déserté.—Etpourquoivouspréoccuperdemoi?Vousm'avezfaitclairementcomprendrequejene

Page 60: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

vousintéressaispas.Alors,pourquoivousmêlerdemesfaitsetgestes?Etd'abord,pourquoiavez-vousacceptédem'épouser?Godric s'aperçut que beaucoup de gens autour d'eux essayaient d'entendre leur

conversation,toutenrestantdiscrets.—Parcequevotrefrèremel'avaitdemandé.—Griffinvousconnaissaitàpeine.—Margaret,l'endroitestmalchoisipour...—Pourquoi?—Jen'avaispaslechoix!lâchaGodric,avantderegretterimmédiatementsesparoles.Damnation!Elleparaissaiteffondrée.—Margaret...voulut-ils'expliquer,maiselles'étaitencoreéloignée.Elle n'avait pas tort. Logiquement, il aurait dû se désintéresser d'elle, puisqu'il l'avait

épouséeparpureconvenance.Qu'elleaccordesesfaveursàunautrehommeneleregardaitpas.Cependant,toutsemblaitavoirchangéenl'espacedequelquesjours.Depuis,enfait,qu'il

avaitaperçusafemmedanslesruesdeSaint-Giles.Margaretétait-elleentraindeluijeterunsort?Lemomentn'étaitguèrepropicepourréfléchiràlaquestion.Ilssetrouvaientsurunepiste

dedanse,aumilieudelahautesociétélondonienne.Leplusurgentétaitd'apaiserMargaret.Godrics'yemployadèsqu'ilsfurentdenouveauréunisparlamusique.— Malgré votre comportement de ce soir, je ne vous ai jamais tenue en basse estime,

Margaret, quoi que vous puissiez penser. J'aimerais simplement que vous ne laissiez pasvotrenaturepassionnéevouségarer.—Jesuispeut-êtrepassionnée,maisaumoins,jenemecomportepascommesij'étaisdéjà

morte!Etjedétestequ'onm'appelleMargaret!Là-dessus,elles'éloignafièrementdansunetraînéeparfuméeàlafleurd'oranger.Godricneputs'empêcherd'admirersonaplomb,mêmesiducoupilseretrouvaitseulau

milieudelapistededanse,alorsquelamusiquen'étaitpasterminée.Cairelerejoignit.—Lemariagesemblevousavoirmétamorphosé,monami.Jenevousavaisencorejamais

vu siprêtde vousbattre enduel.Et commesi çane suffisaitpas, vous vousdisputez avecvotrefemmesurlapistededanse.Lesmotsmemanquent.Godricfermalesyeux.—Jesuisdésolé.—Vousm'avezmalcompris,Saint-John.Godricrouvritlesyeuxetils'aperçutqueCaireluisouriait.Caire,sourire!—Franchement,Saint-John,reprit-il,jevouspensaismort.Qu’ont-ilstousàcroireça!—Jenesuispasmort,marmonnaGodric.—Tout Londres le sait, désormais, ironisaCaire.Venez. Je sais oùnotre hôte cache son

brandy.Godricsuivitsonami.Lasituationsemblaitluiéchapper,etilétaitreconnaissantàCairede

l'épauler en cet instant. Si c'était ça, la vie, elle se révélait plus compliquée que dans sonsouvenir.

Page 61: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

6

L'Hellequin ouvrit la bouche,mais aucun son ne sortit de sa gorge. Depuis combien detempsn'avait-ilplusparlé?Desannées?Dessiècles?Quandilretrouvaenfinlavoix,elleétait à peine audible. « Peu m'importe de savoir comment il a vécu, il est mort sansconfession.»Lecœurdel'Hellequinavait-ilétéémuparlechagrindelabellejeunefemme?Quoiqu'ilensoit,ilnepouvaitrienfaire,lesrèglesétaientclaires.Aussitourna-t-illesrênesdesonchevalpourrepartir.MaisFoimontaencroupederrièrelui,sansquelescompagnonsdel'Hellequinpuissentl'enempêcher.[...]

op.cit.Megquittalasalledebalcommeunefurie.Elleétaitconscientedesedonnerenspectacle,

maisellen'enavaitcure.Commentosait-il?Commentosait-illaconsidérercommeunefemmeperdue,alorsqu'ellen'avaitfaitquerire

aux galanteries de lord d'Arque ?Alors qu'elle essayait simplement de savoir si le vicomtesavaitquelquechoseausujetdelamortdeRoger?La jeune femme essuya avec rage une larme qui coulait sur sa joue.Dire qu'elle n'avait

même pas eu le temps de questionner lord d'Arque sur le Fantôme, avant que Godric nesurgissepourinsulterlevicomte.Etelle!—Meg!Lajeunefemmeseretourna.Sarahcouraitaprèselle.—Toutvabien?s'inquiétaSarah,essoufflée,quandellel'eutrejointe.— Je... commença Meg. Oh, Sarah, j'ai parfois envie de le gifler ! lâcha-t-elle, avant de

s'obligeràunesérénitéplusdigned'unelady.—Jenepourraispasvousenblâmer,confessaSarah.Megétaitsoulagéedepouvoircomptersursonsoutien.— Je ne peux pas retourner là-bas, dit-elle, désignant la salle de bal. En tout cas, pas

maintenant.Sarahfronçalessourcils.—Oùvoulez-vousaller?—J'aibesoin...Elle avait besoin de parler à Griffin. L'idée venait de surgir dans sa tête, et elle sut

immédiatementquec'étaitunebonneinitiative.Elleavaitplusieursquestionsimportantesàposeràsonfrère.—Jevaispartir, reprit-elle.Jevoudraism'entreteniravecGriffin.Pouvez-vousm'excuser

auprèsducomteetdelacomtesse?— Bien sûr, acquiesça Sarah, dont le regard trahissait un mélange de sympathie et de

curiosité.Seulement,nousnesommesvenusqu'avecuneseulevoiture.—Oh,zut!soupiraMeg,laminedéfaite.—Votregrand-tanteElvinaapassésasoiréeàbavarderavecladyBingham.Jesuissûreque

Page 62: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

cettedernièreseratoutedisposéeànousreconduireàlamaison.—Vousêtesunange,laremerciaMeg,quidoublasesparolesd'unbaisersurlajouedesa

belle-sœur.Unquartd'heureplustard,elleseretrouvaitseuleenvoiturepourserendrechezGriffinet

Hero.C'estalorsqu'elleréalisaquesonfrèreneseraitpeut-êtrepaschezluiàcetteheure-ci.Elledevaitsavoir !Sielleencroyait les lettresdeHero,sonfrère,autrefoisunséducteur

impénitent, passait désormais la plupart de ses soirées à lamaison, en compagnie de sonépouseetdeleurpetitgarçon.Megsejuradenepasêtrejalousedesonfrère.Vingtminutes plus tard, l'attelage s'arrêtait devant une bellemaison de ville. Après son

mariage, Griffin avait renoncé à la maison où il avait vécu durant tout son célibat pours'installeràuneadressepluscossue.Meg gravit le perron le cœur battant. Les lampes d'extérieur étaient allumées, mais la

demeure semblait plongée dans le noir. Elle hésita un instant, mais l'affaire ne pouvaitdécidément pas attendre. Elle ne se sentait pas le cœur de revoir son mari avant d'avoiréclaircilemystère.Ellefrappadeuxfoisleheurtoir.Ilyeutunlongsilence,avantquelemajordomeneréponde.Megeutquelquedifficultéàle

convaincre qu'elle était bien la sœur de lord Griffin et qu'elle voulait absolument le voir,malgré l'heure indue. Finalement, le majordome l'introduisit dans un petit salon. Unesoubrette,àmoitiésomnolente,venaitjustederanimerlefeuquandGriffinfitirruptiondanslapièce.SonfrèreseprécipitasurMegpourlasaisirauxépaules.—Quesepasse-t-il,Meg?T'est-ilarrivéquelquechose?Oh,monDieu!Ellen'avaitpasvoulul'affoler.—Non,non,toutvabien.Je...euh,jevoulaisjusteteparler.Griffinserecula,interloqué.—Meparler?À...àminuitetdemi?demanda-t-il,interloqué,aprèsavoircouléunregard

verslapenduledelacheminée.Meg,celafaitdeuxansquetum'évites.Megdéglutitpéniblement.—Tuavaisremarqué?Illevalesyeuxauciel.—Quoi?Quemapetitesœurpréféréecorrespondaitplussouventavecmafemmequ'avec

moi ?Quelle avait décliné une demi-douzaine d'invitations à venir nous rendre visite ici ?Qu'elleavaitàpeineéchangéquelquesmotsavecmoiquandelleétaitfinalementvenuepourlanaissancedeWilliam?Jenesuispasidiot,Meg.—Oh...Meg ne savait pas quoi répondre à cela, aussi baissa-t-elle les yeux. Griffin s’éclaircit la

voix.—Heromedisaitquejedevaistelaisserdutemps.Seserait-elletrompée?Megn'avaitjamaisétélâche.Ellerelevalatête.—Non.Heroestquelqu'undesage.Ilsourit.—C'estvrai.—Jesuisdésoléedem'êtreconduitecommeuneidiote.

Page 63: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—C'estmaintenantquetuteconduiscommeuneidiote.Tun'aspasbesoindet'excuser.Meg sentit les larmesmonter.Mais c'était la fautedeGriffin. Il était tropbon.Pourquoi

l'avait-elletenuàdistance?Elles'assitsurunsofa.—Ilfautquenousparlions,dit-elle.Ilhaussaunsourcil,soudainintrigué.—Meg?Lajeunefemmetapotalaplacevideàcôtéd'elle.Griffinpréféraprendreunfauteuil,qu'ilplaçajusteenfaced'elle,avantdes'ylaisserchoir.

Il sortait manifestement du lit et il n'était vêtu que d'un peignoir bleu foncé, ourlé d'unefronce dorée. Contrairement à Godric, il n'avait pas jugé utile de se coiffer d'un turban.Commetousleshommesportantlaperruque,Griffinavaitlescheveuxcoupéstrèscourt.—Alors,qu'ya-t-ildesiurgentpourquetumetiresdulit?Demonlitbienchaud?Megrougit.Laplupartdescouplesdelabonnesociétéfaisaientchambreàpart,maiselle

eutlasoudaineintuitionquecen'étaitpaslecasdeGriffinetdeHero.—JevoudraissavoirpourquoiGodricm'aépousée.Griffinenrestad'abordcoi.Et,avantqu'ilaitpurépondre,Heroapparutà laporte,vêtue

d'unpeignoirvertclair,sesbeauxcheveuxrouxencascadesursesépaules.—Meg?Quesepasse-t-il?Griffinserelevapourallerchuchoterquelquechoseàsafemme.Puisilluicaressalajoue,

d'ungestedontlatendresseétaitpluséloquentequebiendesmots.Meg ne put s'empêcher de les envier. Bien sûr, elle était contente pourGriffin qu'il soit

heureuxenmariage,mais...maiselleneconnaîtraitsansdoutejamaisunetellefélicitéavecGodric.Elle avait des amis. Une famille qui l'aimait. De l'argent et des privilèges. Et si elle

réussissaitàfairechangerd'avisGodric,peut-êtremêmeaurait-elleunenfant.Nepourrait-ellepassecontenterdetoutcela?HeroacquiesçaàcequeluiavaitditGodric,puisellesaluaMegdelamain.—Jesuisdésoléedevousavoirdérangés,risquaMeg,labouchesèche.Heroluisouritetseretira,refermantlaportederrièreelle.Griffinrevints'asseoirdansle

fauteuil.— Maintenant, dit-il, explique-moi ce que t'a fait Godric pour que tu me poses cette

question?MegréalisaqueGriffinavaittiréprofitdecetteinterruptionpourpeaufinersariposte.Ellen'avaitpas l'intentiond'avouerà son frèrequesonmari refusaitdeconsommer leur

mariage. Et elle pressentait que Griffin lui répondait par une autre question uniquementdansl'espoirqu'ellerenonceàcetteconversation.—Godric nem'a rien fait. Il se comporte en parfait gentleman, soupira-t-elle devant les

sourcilsfroncésdesonfrère.Cen'estpaspourcelaquejesuisici.Jeveuxsimplementsavoirpourquoitul'asobligéàm'épouser?Ilhaussalessourcils.—«Obligé»?—Ilm'aditqu'iln'avaitpaseulechoix.Pourquoi,Griffin?Griffin renversa la tête en arrière et ferma les yeux. Meg commençait à croire qu'il ne

répondraitpas.

Page 64: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Maisilrouvritlesyeuxetregardasasœuravecaffection.—Tuétaisbrisée,Meg.Tonchagrint'égarait.Etpuis,tuétaisenceinte.Megdétournaleregard.Ellesesentaitsihonteusequ'elleredoutaitd'entendrelasuite.—Sitonamantn'avaitpaspéri,jel'auraistuémoi-même.Elleenrestabouchebée.—Griffin!Rogerétaitquelqu'undebien.Jel'aimais.Etilm'aimait.Nous...— Il t'a séduite etmise enceinte. Je veux bien croire que tu l'aimais,Meg,mais cela ne

l'excusepas.Iln'auraitpasdûtedéflorer.—SiRogeravaitvécu,nousnousserionsmariés,répliquaMegavecdignité.Etpuis,tues

malplacépourmejeterlapierre!Griffinrougit.Sonmariageavaitprovoquéunscandale,carHeroavaitétéd'abordfiancéeà

Thomas.—Revenons ànotre sujet, dit-il. Tu étais enpleindésarroi et il te fallait unmari. Saint-

Johnvenaitd'unefamillehonorable,connue,ilavaitsuffisammentd'argentpourtemettreàl'abri dubesoinpour le restant de tes jours et, enfin, sa réputation était au-dessusde toutsoupçon. Je n'avais pas beaucoup de temps, mais j'estime t'avoir choisi le meilleur partipossible,comptetenudescirconstances.—Etjet'enremercie,acquiesçaMeg,sincère.Sans l'interventiondeGriffin,elleauraitétébanniede labonnesociétéetsa fauteaurait

rejaillisurtoutelafamille.—Mais, reprit-elle, cela ne répond toujours pas àma question. PourquoiGodricm'a-t-il

épousée?Ilaimaitsapremièrefemme.Delui-même,ilnem'auraitpasépousée.Unfrissonparcourutlajeunefemme.Ellecrutentrevoirl'horriblevérité.—Tul'asfaitchanter?Griffingrimaça.—S'ilteplaît,Meg...Megseleva.Elleétaittropébranléepourresterenplace.—Oh,monDieu,Griffin!Jenem'étonneplus,maintenant...Qu'ilneveuillepascoucheravecmoi.Elle s'interrompit aumilieude saphrase, comprenantqu'elle risquait d'en révélerplus à

Griffinqu'ellenel'auraitsouhaité.—Commentl'as-tufaitchanter?Çaadûêtreterriblepourluid'épouserunefemmedontil

nevoulaitpas.Griffinsecoualatête.—Cen'étaitpasaussiterriblequetusembleslepenser.—Alors,dequois'agit-il?Ilserelevaàsontour.—Non,Meg.Cela faitpartiedumarchéquenousavons conclu.J'emporteraimonsecret

danslatombe.Situtiensvraimentàlesavoir,ilfaudraquetuledemandesàSaint-Johnlui-même.Godricnes'arrêtapourreprendresarespirationquelorsqu'ilarrivaenfacedelademeure

delordGriffinReading.Sarahavaitattenduunbonquartd'heureaprèsledépartdeMargaretpour l'informer que son épouse avait l'intention de poser une question importante à sonfrère.Godricavaitencoreperdudixminutessupplémentairespours'assurerqueSarahetlagrand-tante Elvina seraient convenablement escortées pour rentrer. Puis il était lui-même

Page 65: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

rentréchezluienfiacre,oùils'étaitchangéenFantôme,aucasoù.DieuseulsavaitoùMegpourraitl'entraîner.Il était conscient d'avoir quitté le bal demanière trop abrupte, mais il n'avait pas eu le

choix.Godric ne devinait que trop bien pourquoiMargaret avait subitement voulu s'entretenir

avecsonfrère.Ellecherchaitàconnaîtrelestractationsquiavaientprovoquéleurmariage.Bonsang!Godrics'étaitdoutédès ledébutquecettehistoire luireviendraitenpleinefigure.Dèsce

fameuxsoiroù,rentrantchezlui,ilavaittrouvéReadingl'attendantdanssonbureau....Maislà non plus, il n'avait pas eu le choix. Reading savait. Reading savait que Godric était leFantômedeSaint-Giles.Etill'avaitmenacédelerévéleraugrandpublic.Surlecoup,Godricavait eu envie de l'envoyer audiable.Qu'il dévoile son identité, s'il y tenait tant que cela !Maisils'étaitravisé.Godrics'étaitattachéàlapopulationdecequartier,etl'aidequ'ilpouvaitluiapporterétait

importanteàsesyeux.Cettepartdelui-mêmen'étaitpasmorteavecClara.Alors, il s'était soumis au chantage de lord Reading et il avait épousé Margaret. Et

maintenant,biensûr,Margaretvoulaitsavoirpourquoi.Godricdésirait-ilqu'elleledécouvre?Non,évidemment.Commentpouvait-ilseposerunequestionaussiidiote?Il n'eut pas le temps de s'appesantir sur le sujet : la porte de lord Griffin s'ouvrit et

Margaretsortit sur leperron,qu'éclairaientdeux lanternes.La jeune femmese tournaverssonfrèrepourluidirequelquechose,avantdedescendrelesmarches,plusbellequejamaisdanssarobedebalsaumonsurlaquelleelleavaitpasséunecapelineblanchenouéeaucou.Godricn'auraitsudire,àsonexpression,sielleavaitapprissonsecret.Lajeunefemmeremontaenvoitureet lecocherdonnaàseschevauxlesignaldudépart.

Godricétaitàpied.Heureusement,lesruesdeLondresétaientsitortueusesetleurspavéssimalentretenus,qu'iln'eutaucunepeineàsuivrel'attelageencourantlelongdesimmeublespourresterlepluspossibledanslapénombre.Ilnecroisaqu'unramasseurd'ordures,lequel,voyantleFantôme,laissatombersesseaux

avecuncriétranglé.MaisGodricétaitdéjàloin.Il soupira de soulagement quand la voiture s'arrêta finalement devant Saint House. Par

mesurede sécurité, il auraitdûs'empresserde rentrerpar laportedederrièrepourgagnersonbureau,aucasoùsafemmelechercherait.Maiscefutplusfortquelui:ilrestatapidansl'ombrepourleseulplaisirdevoirMargaretdescendredevoiture.Levaletouvritlaportièreetdéplialesmarches.Cependant,Margaretnesortitpas.Levalet

sepenchaendirectiondel'habitacle,commesisamaîtresseluidisaitquelquechose.Puisilrefermalaportière,replialesmarches,lançaunordreaucocheretrepritsaplaceàl'arrièredelavoiture.Bonsang!Quetrafiquait-elle?Godricregarda,impuissant,l'attelageredémarrer.Ilfutencoreobligédelesuivre,soulagé

deportersatenuedeFantôme.CarsijamaisMargaretallaitretrouverunamant...Sapoitrineseserraàcetteidée.Ilétaitpeut-être«impossible»,commel'enavaitaccusé

Margaret,maisilrefusaitqu'elleaccordesesfaveursàunautrehomme.L'attelage prit la direction du nord de la ville, puis obliqua légèrement vers l'ouest. Vers

Page 66: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Saint-Giles.Incrédule,Godric continuaitde suivre l'attelage.Ellen'allait toutdemêmepas retourner

là-bas,aprèscequis'étaitpassél'autresoir?Dieuduciel!Si.L'attelages'engageadansSaint-Gilescommeunagneausedirigeant,sans

lesavoir,versl'abattoir.Godrictirasesdeuxlamesetcontinuadecourir.Megregardaitparlavitredelaportière.LesruesdeSaint-Gilessemblaientcalmespourne

pasdirepaisibles.Maisellesavaitqu'ilnefallaitpassefierauxapparences.Cequartierétaitl'undesplusdangereuxdeLondres.C'étaitlàqueRogeravaittrouvélamort,deuxansplustôt.Ilavaitétéretrouvégisantsurle

pavéparunefraîchenuitdeprintemps,sonsangs'écoulantdanslecaniveau.La voiture s'était immobilisée.Meg ravala ses larmes, inspira profondément et ouvrit la

portière,avantmêmequ'Oliver,sonvalet,aitpudescendredesonperchoir.—Restezlà-haut,luidit-elle.—Vousferiezmieuxdeleprendreavecvous,milady,protestaTom,lecocher.—Je...j'aibesoind'êtreseuleunmoment.Avantdedescendredevoiture,Meg tira l'undespistoletscachéssous labanquette.Puis,

après un bref instant d'hésitation, elle prit également une dague, qu'elle glissa dans samanche.Ladagueétaitsurtoutdécorative,maisellepourraittenirenrespectuntire-laineletempsqueTometOliverarriventàsarescousse.Non pas que Meg cherchât les ennuis. Elle ne comptait pas s'éloigner beaucoup de la

voiture.MaiselleavaitditvraiàTom:elledésiraitêtreunmomentseule,commesielleserecueillaitsurlatombedeRoger.Peut-êtrelebesoinaussid'échapperàl'obstinationmasculinequ'elleavaitdûendurertoute

lasoirée.AvecGriffinetGodric,maisaussiavec lordd'Arque. Iln'avaitcherchéqu'à flirteravecelle,sanssesoucierdesavoirpourquoiellesouhaitaitluiparler.Enfait,Megsesentaitprise au piège de tous les côtés. Depuis qu'elle était arrivée à Londres, rien ne se passaitcommeellel'avaitespéré.Pasmêmecepetitpèlerinage.Ellesentaitbienqu'elles'éloignaitdeplusenplusdeRoger,alorsmêmequ'ellefoulaitles

pavéssurlesquelsilavaitrendusonderniersoupir.La jeune femme s'arrêta au milieu de la rue déserte et sombre, à l'image de toutes les

autresruesduquartier.LescommerçantsdeSaint-Gilesn'avaientpaslesmoyensdesepayerdeslanternespouréclairerleursdevantures.Oualors,ilsn'enavaientcure.Quoiqu'ilensoit,lanuits'infiltraitpartout,rendantlemoindrebruitsuspect.Meg frissonna et resserra les pans de sa cape, bien qu'il ne fît pas très froid. L'endroit

semblaithanté,etpasseulementparlesouvenirdeRoger.Sa voiture n'était qu'à quelquesmètres de distance, pourtant la jeune femme se sentait

perdue,aumilieudenullepart.PourquoiRogerétait-ilvenuici?Il n'habitait pas à proximité et pour autant que Meg pût le savoir, il ne connaissait

personnedansSaint-Giles.Megavait aiméRogerde tout son cœuret elle était convaincueque son amour avait été payé de retour, cependant elle n'arrivait pas à s'expliquer sesdernièresheures.

Page 67: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Toutcequ'ellesavait,enfait,c'étaitqu'ilétaitvenudanscequartier,etqueleFantômedeSaint-Gilesl'avaittué.Maispourquoi?PourquoiRoger,plutôtqu'unautre?Quandelleavaitapprissonassassinat,Megn'avaitpascruunseulinstantqueRogeraitpu

avoir l'inconsciencedeprovoquerquelquebandit.Maintenant,ellen'étaitplussûrederien.Elle n'étaitmêmepas certaine d'avoir vraiment su qui étaitRoger, et cette idée accentuaitencoresondésarroi.Quelquechosebougeadanslapénombre.Meg brandit son pistolet avant même que le Fantôme de Saint-Giles ne se matérialise

devantelle.Elleétaitfollederage.Commentosait-ilsouillerunsolsacrépourelle?—Vousnedevriezpasêtrelà,milad...Megappuyasurladétente.Maisaucuncoupdefeunepartit.Lepistoletn'émitqu'unpetit

bruitétouffé.LeFantômeenprofitapoursejetersurelle,luiarracherlepistoletdesmainsetlelancer

auloinsurlespavés,horsdeportée.Ellevoulutcriersacolère,maisilplaquaunemainsursabouche,tandisquedesonautre

brasill'attiraitviolemmentcontrelui.Megtentadesedéfendreenluidonnantdescoupsdecoudeetdescoupsdepied,maisle

Fantômeétaitd'uneforceétonnanteetiln'eutaucunmalàl'entraînerdansunrecoinobscur.En désespoir de cause, la jeune femme essaya de lui donner un coup de tête, mais ellemanquasamâchoireetheurtasontorse.—Bonsang...grogna-t-il,derageplusquededouleur.CetassassinnesemblaitmêmepassentirlescoupsqueluidonnaitMeg.Ellelevalesyeux

versluietlefusilladuregard,lemettantaudéfideluifairesubirlesortqu'illuiréservait.LeFantômeaccrochauninstantsonregard,puisilôtalamainquibâillonnaitlabouchede

Meg.Maisavantquelajeunefemmeaitpureprendresarespiration,il......l'embrassa!Meg eut la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds. Le Fantôme était en colère -

comme elle. Et son baiser n'avait rien de tendre. Cependant,Meg ne put s'empêcher d'enéprouverunagréablefrisson.Non ! C'était mal. S'il y avait au monde un seul homme qu'elle ne pouvait laisser

l'embrasser,c'étaitbienlui.Megvoulutreculer,maisilluitenaitfermementlanuquetandisquesalangueessayaitde

forcerlebarragedeseslèvres.Megouvritlégèrementlabouche,maiscefutpourluimordrelalèvre.Ellesentitlegoûtdusangsursalangue,maiscelanesuffitpasàarrêterleFantôme.Illapressaplusfortcontrelui,etelleputsentirsonmembreérigépalpitercontresonventre.Elleauraitdûêtrerévulsée.N'éprouverquedudégoût.Aulieudequoi...Ellemouillait!Elleouvritdenouveaulabouche,sousl'effetdelasurpriseetilenprofitapourintroduire

salangueenelle.Non.Non,non,nonetnon!Pasaveccethomme.C'étaitimpossible.S'ilnes'arrêtaitpas,MegseraitobligéedesetrahiretdetrahirRoger.Elles'yrefusait.LeFantômel'embrassaittoujours,maisMegavaitlesmainslibres.Ellesortitsadaguede

samanche et elle le frappa dans le dos de toutes ses forces, décuplées par la colère et le

Page 68: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

chagrin.Lalametraversalalaineducostume.Puiselles'enfonçadansseschairsavantdebutersur

quelquechosededur.LeFantômelaregardaavecincrédulité.—Oh,Meg!

Page 69: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

7

L'Hellequinneseretournamêmepasverslajeunefemmemontéeencroupederrièreluietilpoursuivitsachevauchée.«Quellessontvosintentions?»luidemanda-t-il.«Jem'accrocheraiàvousjusqu'àcequevouslibériezl'âmedemonbien-aimé»,répondit

courageusementFoi.L'Hellequinhochalatête.«Danscecas,préparez-vousàtraverserlarivièreduChagrin.»

[...]op.cit.

SeulunimbécileiraitbaissersagardedansSaint-Giles.LesparolesdumentordeGodric,sirStanleyGilpin,résonnaientsoussoncrâne.SirStanley

n'auraitpasmanquéde le traiterd'idiot, s'ilavaitpuvoirGodric,avec lapetitedaguedesafemmeplantéedanssondos.—Godric!Celui-ci cligna les yeux et s'aperçut queMeg était devenue pâle. Elle avait écarquillé les

yeux, lorsqu'ilavaitmurmurésonnom.Maissastupeurredeviendraitvitede lacolère,dèsqu'ellesesouviendraitqu'elleleconsidéraitcommel'assassindesonamant.Unbruitdesabotssefitentendre.Godricpassaunemaindanssondosetilréussitàsaisirlemanchedeladague.—MonDieu,jevousaitué!gémissaitMargaret,leslarmesauxyeux.Godricn'avaitpasletempsdeseréjouirdesonémotion.—Pastoutàfait.Ilretiraladague,d'ungestevifmaisdouloureux,cequifitdenouveausaignersablessure.

Puisilglissaladaguedansl'unedesesbottesetilpritMargaretparlecoude.—Venez.Personne n'avait les moyens de se payer un cheval à Saint-Giles. Ce bruit de sabots ne

pouvaitavoirqu'uneseuleexplication.—Maisvotredos!protestaMeg.Vousdevriezvousallonger.JevaisdemanderàOliveretà

Tomde...—Vite,s'ilvousplaît,lapressaGodric.Avant de rallier la voiture de sa femme, il ôta sonmasque et son chapeau, afin que les

domestiquespuissentlereconnaître.Cequinelesempêcheraitsansdoutepasdesedemanderpourquoiilportaitunetunique

d'Arlequin,desbottesmontantesetunegrandecape.Mais tant pis. Il avait d'autres inquiétudes plus urgentes à cet instant que de voir les

domestiquesdesafemmedécouvrirsonsecret.Par chance, Meg n'essaya pas de protester au moment de monter en voiture. Godric la

poussa sur une banquette et l'attelage démarra aussitôt. Puis il fourra son masque, sonchapeau,sacapeetseslamesdanslecompartimentaménagésousl'autrebanquette.Quand

Page 70: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

cefutterminé,ilrabattitlesiègeets'assitàsontour.Megseprécipitaàsescôtés.—Voussaignez.Jevoisunetachebrillantemaculervotretunique.Descrissefirententendre,au-dehors.Pourtouteréponse,Godricfitpasserlehautdesatuniquepar-dessussatête.Ilneportait

endessousqu'unesimplechemisedepeaublanche.—Venezdansmesbras.—Pardon?—Nousallonsnousfairearrêterparlesdragons,expliquaGodric,l'attirantsursesgenoux

et lui écartant les cuisses pour qu'elle puisse le chevaucher. S'ils découvrent que je suis leFantôme,noussommestouslesdeuxperdus,comprenez-vous?Elle écarquilla les yeux.Mais ellehocha la tête.Sa femmenemanquaitnide courageni

d'intelligence.L'attelage,encadréparlessoldatsquiordonnaientaucocherdes'arrêter,ralentissaitdéjà.—Parfait,ditGodric.Maintenant,laissez-moifaire.Il tira ladaguedesabotteet ils'enservitpourtrancher lebustierdeMegensonmilieu,

ainsique la camisolequ'elleportaitdessous.N'importequelle autre femmeauraitprotestéavecvéhémence-larobeétaitensoieetcoûtaitunepetitefortune.MaisMegsecontentadeleregarderfaireavecétonnement.Ensuite,Godric écarta lespansde la robe etde la camisolequ'il venaitde trancherpour

révélerdeuxseinsmagnifiques,parmilesplusbeauxqu'ilaitjamaisvus.Sisavien'avaitpasété en jeu, il aurait pris le temps de les admirer plus à loisir. Mais la vie de Meg étaitégalementmenacée-oudumoins,saréputation.S'ilétaitpenducommecriminel, la jeunefemmeseraitbannieparlabonnesociétéetmêmeparsafamille.Illaserracontrelui,àl'instantmêmeoùunemainagrippaitlaportièredelavoiture.Puisil

referma ses lèvres sur un téton et le suça goulûment, enivré par l'odeur de femme et deparfumàlafleurd'oranger.Ellesecambracontrelui.ContrelemembredeGodric,durcommedubois.Laportièredelavoitures'ouvritàlavolée.Godricsentitsafemmetressaillir,maiselleenfouitsesmainsdanssescheveux.—Que...commençaunevoixautoritaire.Unevoixdecapitainedesdragons.Godricredressalatête,feignantlacolère,etilpressaMegcontresontorsepourcouvrirsa

nudité. La jeune femme cacha son visage au creux de son épaule avec un gémissementembarrassé.Etalors,lacolèredeGodricdevintréelle.—Quesignifiecetteintrusion?gronda-t-il.LecapitaineTrevillionnedevaitpassouventrougir,maisc'estpourtantcequiluiarriva.— Je... euh... je suis le capitaine James Trevillion, du 4e dragons, et je suis chargé de

capturer le Fantôme de Saint-Giles. L'un de mes hommes pensait avoir vu le Fantômepénétrerdanscettevoiture.Sivous...— Je me moque de savoir qui vous êtes chargé de capturer, répliqua Godric. Sortez

immédiatementdemavoiture,avantquejenevous...Mais Trevillion bredouillait déjà une excuse, enmême temps qu'il refermait la portière.

Megseredressa.— Attendez, lui murmura Godric, une main toujours plaquée dans le dos de la jeune

Page 71: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

femme.Ilsavait,d'expérience,queTrevillionn'étaitpasfacileàberner.Cen'estquelorsquel'attelageredémarraqu'illaissaMegglisserdesesgenoux.—Votreruseafonctionné,murmura-t-elle.Maiscommentvavotredos?—Cen'estrien,lablessuren'estpasprofonde,chuchotaGodric.Plus personne ne pouvait les entendre, avec le bruit des roues sur les pavés, mais il

semblait logique de parler bas. Godric s'attarda sur le bustier qu'il avait déchiré. Un tétonétaitencoretoutrougeethumide.Ildétournaleregard.Sonmembre,toujoursérigé,n'avaitapparemmentpascomprisquelacomédieétaitterminée.—Jesuisnavrépourvotrerobe.—Nesoyezpasidiot,répliqua-t-elle,maisGodriccrutlavoirrougir.Avait-ellecambrélesreinsd'excitation...oupourrendreleurcomédieplusvraisemblable?—Laissez-moivoirvotredos,ajouta-t-elle.Godric soupira et sepencha en avant avecune grimacededouleur.Le tempsqu'il avait

passé le dos plaqué contre la banquette avait permis au sang de coaguler, mais sonmouvementavaitrouvertsablessureetilsentaitdenouveaulesangcouler.Ellesursauta.—Toutvotredosestrougedesang!—Lablessuren'estpasprofonde,insistaGodric.Croyez-moi,lesangneprouverien.Saremarqueluivalutunregardencoindelajeunefemme,moitiéinquiet,moitiéintrigué.Puiselleappuyaquelquechosecontresondos,etilgrimaçaencorededouleur.Mais,dans

songeste,Megpressasesseinscontreluietilselaissaalleràfermerlesyeux.—Godric,murmura-t-elle,d'unevoixanxieuse.Godric!Ilrouvritlesyeux.Elleleregardait,etiléprouvauneirrésistibleenviedelareprendredans

sesbraspourlasentirencoresecambrersoussescaresses.Godricclignaplusieursfoislesyeux.L'habitacledelavoituresemblaitdanserdevantlui.—Jesuisdésolée,dit-elle,d'unevoixdésemparée,alorsqu'ellepressaittoujoursunemain

dans son dos pour stopper l'hémorragie, sans succès. Il vous faut un docteur. J'en feraichercherundèsquenousseronsarrivésàlamaison.—Non,pasdedocteur.Ilauraitvoulusecouerlatêtepourappuyersadénégation,maisunenauséel'enempêcha.—Moulders'occuperademoi,ajouta-t-il.—Sij'avaissuquevousétiezleFantôme,jenevousauraispaspoignardé.—Pastoujours,murmuraGodric,maisilvit,àsonexpression,qu'ellenelecomprenaitpas.Iléprouvaitdesdifficultésàparler,cependantiltenaitabsolumentàluifairecomprendre

quelquechose.—Jen'aipastuéRogerFraser-Burnsby,ajouta-t-il.Ellehochadistraitementlatête,avantd'examinerdenouveausondos.—Jenepensepasque...Godricluisaisitlebraspourl'obligeràleregarderenface.—J’étaisaubalded'Arque,cesoir-là.Je...Elles'étaitévanouiedevantluienapprenantlamortdesonamant-maisàcemoment-là,

biensûr,GodricignoraitqueFraser-Burnsbyétaitsonamant.Ilavaitjusteeuletempsdelarattraperdanssesbrasavantquesatêteneheurteledallagedemarbre.Puisill'avaitportéedansunpetitsalondiscret,oùill'avaitabandonnéeauxbonssoinsd'IsabelBeckinhall.—Jen'étaispasàSaint-Giles.

Page 72: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Elle luicaressadoucement la joue.Ellenesemblaitpassesoucierquesesdoigts fussentcouvertsdesang.—Jesais,dit-elle.Jesais.Godricbattitdespaupières,etMegcrutqu'ilperdaitconnaissance.—Godric!s'exclamalajeunefemme,alorsquelatêtedesonmaris'affaissaitsurlecôté.Il réussit à se redresser, par un suprême effort de volonté,mais son visage était devenu

blanccommeunlinge.—Avez-vousconfianceenvotrecocher?Etenvotrevalet?— Oui, bien sûr, répondit Meg sans hésiter, avant de réaliser que la vie de Godric

dépendraitmaintenantdeladiscrétiond'OliveretdeTom.Ilsonttoujoursétéd'uneparfaiteloyauté.Commetousmesautresdomestiques.—Parfait.Aussitôtquelavoitures'arrêtera,demandezàOliverdetrouverMoulder.Ilsaura

quoifaire.Àlafaçondontilserraitlesmâchoires,Megdevinaqu'ildevaitbeaucoupsouffrir.—Combiendefoisavez-vousdéjàtraversédesmomentscommecelui-ci?murmuraMeg.—Suffisammentpoursavoirquecetteblessurenemeserapasfatale.Megétaitstupéfaite.Quelquesjoursauparavant,elle l'avaitprispourunvieillarddécrépi.

Etmaintenant,alorsqu'ilétaitblesséetqu'ilperdaitbeaucoupdesang,ilrespiraitlaforceetlavitalité.Commentavait-ellepuselaisserabuserparsaprétenduesénilité?Meg frissonna. Elle était encore dénudée jusqu'à la taille. Son geste, aussi choquant

qu'excitant, lui avait presque fait oublier le danger. Au point que lorsque le capitaine desdragonsavaitouvertlaportièredelavoiture,Megavaitsursautésousl'effetdelasurprise.L'heure,cependant,n'étaitpasàl'introspection.Megexamineraitplustardsaréactionaux

caressesdesonmari.Dansl'immédiat,ilsapprochaientdeSaintHouseetelledevaitremettreunsemblantd'ordredanssatoilette.Elleremontalespansdesarobeetboutonnasacapeaucol.Aconditionquepersonnenela

regardedetropprès,ellepourraitgagnersachambresansrisquerdesefaireremarquer.Dèsquel'attelages'arrêta,elleentrouvritlaportièrepourordonneràOliverd'allerchercher

Moulder. Dieu seul savait ce que son valet et son cocher pouvaient bien penser desévénementsdelasoirée.IlsdevaientavoirreconnulecostumedeGodriclorsqu'ilétaitmontéenvoiture.Etcommesicelanesuffisaitpas,lecapitainedesdragonsavaitvoulufouillerlevéhicule.Heureusement,Godricn'avaitpasétéarrêté.Megsepromitdeparlerauxdeuxdomestiquesetdelesremercierpourleurdiscrétion.LaportièreserouvritbientôtsurMoulder.— Je parie que vous vous êtes encore mis dans de beaux draps ? lança-t-il, avant

d'écarquillerlesyeuxendécouvrantMeg.Mi...milady?— J'ai une blessure à l'arme blanche dans le dos, expliqua calmementGodric, bien qu'il

frissonnât.Moulderreportasonattentionsursonmaître.—Lemieuxestdevousrentreràl'intérieur.—Oui,maisdiscrètement,précisaGodric.—Biensûr,acquiesçaMoulderàvoixbasse.Ildéployaunevieillecapequ'ildrapasurlesépaulesdeGodric,cachantainsisoncostume

Page 73: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

deFantôme.Puis,haussantleton,ilajouta:—Auriez-vousencorebuquelquesverresdetrop,monsieur?Godric leva les yeux au ciel, tandis que Moulder passait un bras sous son épaule pour

l'aideràdescendredevoiture.—Jedétestecesubterfuge,maugréa-t-il.Çamefaitpasserpourunimbécile.—Seulunimbécileselaisseraitpoignarderdansledosparuntire-laine,objectaMoulder,à

voixbasse.—Cen'étaitpasuntire-laine,grimaçaGodric.—Ah?Alors,quiétait-ce?Les deux hommes titubaient, comme siGodric était réellement soûl.Meg s'empressa de

descendreàsontourdevoiturepoursoutenirGodricdel'autrecôté.—C'étaitmoi,dit-elle.Moulderécarquillalesyeuxpourladeuxièmefois.—Sic'estvrai,j'auraisvouluêtrelàpourvoirça.—Ordure,marmonnaGodric,alorsqu'ilsgravissaientleperron.—Jenesuispasfièredemongeste,précisaMeg,penaude.Godrictournalatêteverselle.—Cen'étaitpasdevotrefaute.Ilsmarquèrentunarrêtdevantlaported'entrée.LebrasdeGodricpesait lourdementsur

l'épauledeMegetelleauraitsansdoute l'épauleankyloséedemain,maiscen'étaitpascelaquil'inquiétait.Godricfrissonnaitdeplusenplusfort.—Entrons,lepressa-t-elle.Vousvousreposerezunefoisdansvotrechambre.L'espace d'un instant, le regard deMeg accrocha celui deMoulder, et elle comprit qu'ils

partageaientlamêmecrainte.SiGodricperdaitconnaissancemaintenant,ilsseraientobligésde demander à des valets de le monter jusqu'à l'étage.Moins de domestiques seraient aucourantdesonétatréeletmieuxcelavaudrait.Hélas, ils jouaient de malchance, car la gouvernante, Mme Crumb, apparut alors qu'ils

arrivaientaubasdel'escalier.—Puis-jevousaider?Mme Crumb était toujours tirée à quatre épingles, de nuit comme de jour, et elle les

regardaitd'unairserein,commesiellevenaitdeleursuggérerdeprendrelethédanslepetitsalon.—Apportez-nousdel'eauchaude,réponditMoulder,avantqueMegaitpurassemblerses

esprits.Etaussides lingespropres,ainsique lebrandyqui se trouvedans lebureaudeM.Saint-John,s'ilvousplaît,madameCrumb.MegréalisaqueMoulderétaithabituéà cegenred'urgences.Elle retint sonsouffledans

l'attente de la réaction de la gouvernante. Celle-ci aurait très bien pu prendre offense derecevoirunordred'unautredomestiquedevantleursmaîtres.MaisMmeCrumbn'hésitaqu'unbrefinstant,avantderépondre:—Toutdesuite,monsieurMoulder.Etelletournalestalons,l'airaussiparfaitementcalmequed'habitude.Megjetaunregardà

Moulder.Ilsemblaitaussisurprisqu'elle.—Jecroisquejecommenceàappréciercettefemme,dit-il.Ilsmontèrenttrèslentementl'escalier.Megn'enrevenaittoujourspasd'avoirhaïpendant

silongtempsleFantômepour,aujourd'hui,prierlecielqu'ilarriveencoreconscientjusqu'à

Page 74: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

sonlit.Demainmatin,Megdevraitreconsidérercettehistoiredepuisledébutetchercherquiétaitl'assassindeRogermais,pourcesoir,ellen'avaitqu'unsouci:queGodricsoitsauf!Quandilsgagnèrentenfinsachambre, ilétaitessouffléetde lasueurperlaitàsonfront.

Moulderl'aidaàs'asseoirsurunechaise.Puisildisparutquelquesinstantsdanslapenderie.Godric voulut se débarrasser de sa chemise ensanglantée, mais ses mouvements étaientgauchesetMegseprécipitapourl'aider.—Laissez-moifaire.La chemise s'était collée à sa blessure et elle devinait qu'il souffrirait terriblement

lorsqu'ellelaretirerait.—Meg,murmura-t-il.Enfin,ill'appelaitparsondiminutif!Deslarmesluibrouillèrentlavue.—Jesuistellementdésolée.Illevaunemain,commes'ilvoulaitluicaresserlajoue.—Me revoilà ! lançaMoulder, d'un ton un peu trop jovial, alors qu'il revenait avec un

coffretenboisdanslesmains.Aumêmeinstant,quelqu'unfrappaàlaporte.Megallaentrouvrirlebattant.La toujours efficaceMmeCrumb arrivait avec une pile de linges propres soigneusement

plies,unebouteilledebrandyetunebouilloirefumante.—Mercibeaucoup,luiditMeg,prenantletout.—Avez-vousbesoind'autrechose,milady?s'enquitlagouvernante.— Non, ce sera tout, répondit Meg. J'apprécierais que vous ne racontiez pas aux autres

domestiquescequevousavezvucesoir,ajouta-t-elle,ensemordillantlalèvre.MmeCrumbarquaimperceptiblementunsourcil.—Naturellement,milady,répliqua-t-elle,avantdetournerlestalons.Zut !Megcompritqu'elleavaitoffensésagouvernante.La jeunefemmereferma laporte

avecunsoupir.Demainmatin,elles'excuseraitauprèsdeMmeCrumb.Ellerevintverslachaise.Entre-temps,MoulderavaitdébarrasséGodricdesachemise.Ce

derniers'étaitassisàcalifourchonsurlachaise,defaçonàprésentersondosàMoulder,quientreprenaitdéjàdenettoyerlablessure.Megs'immobilisaendécouvrantletableauquis'offraitàsesyeux.LedosdeGodricn'était

certainement pas celui d'un vieillard sénile ! Ses muscles puissants témoignaient de sonhabitude de manier l'épée ; sa colonne vertébrale affleurait sous la peau comme chez unjeunehommeenpossessiondetoutesavirilité;seshanchesétroitesetsesfessesmuscléessetrouvaientparfaitementmouléesdanssatuniquedeFantôme.Dieuduciel!Lajeunefemmes'obligeaàdétournerleregardetelleposasonchargement

surunetable.ElleavaitbiendumalàfairelerapprochemententreleGodricqu'ellecroyaitconnaîtreetceluiauquelelleétaitconfrontéecesoir.Sonmaritournalatêtedanssadirection,commes'ilavaitdevinésaconfusion.—Mouldervas'occuperdetout.Jesuissûrquevousêtesfatiguée.—Mais...protestaMegavecungested'impuissance.Jevoudraisvousaider.—Ceneserapasnécessaire,milady,assuraMoulder,quiouvritlecoffretenbois,révélant

unassortimentdescalpels,ciseaux,aiguillesetfils.Vouspourriezmêmetrouvercelapénible,ajouta-t-il,avantdechoisiruneaiguilleavecsoin.Megn'avaiteneffetpastrèsenviedevoirMoulderrecoudreGodric.Cependant,ellevoulait

Page 75: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

resterpourleréconforter.—Meg,intervintGodricd'untonsec.Allezvouscoucher.Detouteévidence,iln'avaitpasbesoindesonréconfort.—Bon,trèsbien,dit-elle,s'obligeantàmasquersadéception.Bonnenuit.Etellegagnasaproprechambre.Le lendemain matin, Godric fut lentement tiré du sommeil par une douleur lancinante

dans le dos. Il gardaunmoment les yeux ferméspour tenter de retenir les lambeauxd'unrêvequi s'effilochait.Danssonrêve,Megétaitassisesurunegrossebranched'unarbreenfleur. Elle se penchait vers Godric et ses seins jaillissaient presque du bustier de sa robesaumon.Godricréalisaqu'ilnerêvaitplusetqu'ils'étaitréveilléavecunepuissanteérection.Etquequelqu'unsetrouvaitdanssachambre.Non.Pasquelqu'un.Meg!Il essaya de comprendre comment il avait pu deviner qu'il s'agissait de Meg. Mais

finalement,ildutrenonceràsoneffortderéflexion.Detouteévidence,lesixièmesensquiluipermettaitdereconnaîtrelaprésencedesafemmeéchappaitauxressourcesdesonintellect.Ilouvritlesyeuxetroulasurledos.Ou plutôt, il essaya de rouler sur le dos. Mais la douleur qui lui cisailla l'omoplate lui

remémora immédiatement les événements de la soirée. Meg l'avait frappé et elle savaitdésormaisqu'ilétaitleFantômedeSaint-Giles.L'existencedeGodricsecompliquait.La jeune femme portait ce matin un ravissant ensemble rose et vert pomme. Godric la

regardaarrangerlepichetetlacuvettedesatabledetoilette.Sansdoutefit-ildubruit,carellesetournaverslui,levisagelumineux.—Vousêtesréveillé.Godricseredressapours'asseoirdanslelit,avecunegrimacededouleur.—Ilsemblerait.—Voussentez-vousmieux?En toutcas,vousavezmeilleuremine.Hiersoir,vousétiez

aussipâle...qu'unfantôme.—Meg...—Griffinm'aavouéqu'ilvousavaitobligéàm’épouser.Godricnes'attendaitpasdutoutàcequelaconversationprennecettedirection.—C'estexact,répondit-ilprudemment.Ellesemitàfairelescentpasdevantlacheminée.—Jesuisdésolée.Iln'auraitpasdûfairecela.—Mettez-vousàsaplace,Meg.Readingestvotrefrère.Etvousétiezengranddésarroi.Je

nepeuxpasdirequej'aieappréciésonchantage,maisdumoins,jecomprenaissesraisons.—Cequin'apasdûvousempêcherdemedétester.—Nesoyezpasridicule.Voussaveztrèsbienquejenevousreprocheraijamaisde...— Qu'est-ce que je sais très bien ? le coupa-t-elle. Jusqu'à hier soir, je croyais vous

connaître. Je vous prenais pour un vieux loup solitaire, qui vivait presque reclus dans sagrandemaisonpoussiéreusedont il ne sortait quepour se rendredansdes cafés.Mais j'aidécouvert que la nuit, vous couriez les rues de Saint-Giles, vêtu d'une ridicule tenued'Arlequin et le visage dissimulé derrière unmasque grotesque. J'en suis donc arrivée à laconclusionquejene«savais»riendevous,Godric.

Page 76: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Sa poitrine se soulevait rapidement, au rythme de sa respiration. Ses yeux lançaient deséclairs.Dieuduciel!Elleétaitmagnifiquelorsqu'elleétaitencolère.Godrics’éclaircitlavoix.—Unvieuxloupsolitaire?—Unvieuxloupsolitaire?répéta-t-elle,l'imitantavecunehorriblevoixhautperchée.C'est

tout ce que vous trouvez à dire ? Le soir demon arrivée à Londres, je vous ai vu tuer aumoinsunhomme.—Oui.—Combienenavez-voustués,entout?—Commentcela?—Combiend'hommesavez-voustués,depuisquevousêtesleFantôme,Godric?Ildétournaleregard.—Jen'aipascompté.Ellefaillits'étrangler.—Vousne«savez»mêmepascombiend'hommesvousaveztués?Godric n'était pas un lâche. Aussi redressa-t-il la tête pour accrocher son regard et lui

laisserlirelaréponsedanssesyeux.Elledéglutit.—Ilsétaienttousmauvais,c'estcela?dit-elle,maissavoixmanquaitd'assurance,comme

siellevoulaitsurtoutseconvaincreelle-même,sansgrandsuccès.Tous...touscesgensquevousavez tuésétaientcommecesbanditsde l'autresoir.Etvous lesavez tuéspoursauverd'autresgens.Godricdevinaitàsonregardqu'ellecherchaitdésespérémentàsepersuaderqu'iln'étaitpas

unmonstre. Il décida de l'encourager dans cette voie,même s'il était conscient qu'à Saint-Giles,rienn'étaitjamaistoutàfaitblancnitoutàfaitnoir.Certes,lequartierétaitécumeparlesvoleursetlesassassins,maislaplupartdutemps,ilsnevolaientounetuaientquepoursenourriretnourrirleurfamille.Toutefois,celanel'avaitjamaisempêchéd'agir.—Oui.Jenetuequeceuxquis'enprennentauxplusfaiblesetauxplusvulnérables.Le soulagement se lut dans les yeux de sa femme. Godric s'en réjouit. Meg était une

créaturedelumièreetdefélicité.Ellen'avaitpasàsupporterlanoirceurqu'ilaffrontaitnuitaprèsnuitdanslesruesdeSaint-Giles.—J'ensuisbienaise...C'estpourcelaqueGriffinvousafaitchanter,n'est-cepas?Ilsavait

quevousétiezleFantôme,hasarda-t-elle,lessourcilsfroncés.—Oui.—Jevois.Elle hocha la tête pour elle-même, l'air songeuse, avant de se laisser choir dans l'un des

fauteuilsdisposésfaceàlacheminée.— Eh bien, dit-elle, je suis contente d'avoir découvert la vérité. J'estime qu'une femme,

mêmemariée dans des circonstances particulières, a le droit de connaître le passé de sonmari.Maintenantquecettehistoireestderrièrevous,enfinderrièrenous,jepenseque...—Meg,murmuraGodric,soudaininquiet.Maiselleneparutpasl'entendre.—Noussauronsmieuxcommentnousentendreàl'avenir,poursuivit-elle.Je...Elles'interrompit,commesiellevenaitderéaliserquequelquechoseclochait.

Page 77: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Qu'ya-t-il?pressa-t-elle.—Jen'aipasl'intentionderenonceràêtreleFantômedeSaint-Giles.Elleécarquillalesyeux.—Mais...illefautpourtant.—Pourquoidonc?—Parceque...(Elleouvritgrandlesmains.)Parcequec'estdangereux.Etquevousaveztué

desgens.Vousdevezarrêter.Godric soupira. Il aurait pu lui parler de la femme qu'il avait sauvée d'un viol le mois

dernier,oudelapauvrevendeusedefleursqu'ilavaitprotégéecontredesvoleurslasemained'après,ouencoredesdeuxfillettesqu'ilavaitmenéesàl'orphelinatdeM.Makepeacelanuitoù il était venu à la rescousse de Meg. Il aurait pu lui raconter bien d'autres histoireshorribles...Maismêmes'ilnedevaitplussauveruneseulevieàl'avenir,ilnechangeraitpassaréponse.—Non.Jen'arrêteraipas.Elleméditaunmomentsonrefus,avantderedresserlementon.—Trèsbien,dit-elle.Sic'estvotrechoix.Godriccompritqu'ellen'enavaitpasterminéetqu'iln'aimeraitpascequ'elleajouterait.—Moi,monchoix,c'estderetrouverl'assassindeRoger.Etdeletuer,claironnaMeg.

Page 78: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

8

Foiregardadroitdevanteuxetelleaperçutunerivièreauxeauxnoiresquisemblaitcouleràpertedevue.L'Hellequinn'hésitapasuneseconde:ilengageasonchevaldanslarivière.Foi s'agrippa plus fermement à ses épaules, tandis que le cheval commençait à nager.Baissantlesyeuxversl'eaud'unnoirdejais,ellecrutremarquerdesformesvaporeusesquiflottaient sous sa surface. Et plus elle regardait, plus elle leur trouvait une apparencehumaine.[...]

op.cit.LasecondefoisqueGodricseréveillacejour-là,cefutàcausedegloussementsétouffés.Il

jeta un regard à la fenêtre de sa chambre et il estima, d'après l'inclinaison du soleil, quel'après-mididevait toucherà sa fin.Apparemment, après sa conversationavecMeg, il avaitpassétoutelajournéeàdormir.Levœudelajeunefemmeluidonnaitlamigraine.Megétaitsafemme.LedevoirdeGodricétaitde laprotéger,ycomprisdesespropresfolies.Et ils'yseraitde

toute façon employé, même s'il ne... ressentait pas quelque chose pour elle depuis cesderniersjours.Cetteidéeaussiluidonnaitlamigraine.Godricsoupiraetselevaavecprécaution.Cettenuit,aprèsavoirpansésonépaule,Moulder

lui avait assuré que sa blessure était sans gravité. Mais à présent, Godric partageaitdifficilementsonoptimisme.Iléprouvadesdifficultésàleversonbrasgauchepourpassersachemise et il lui fallut une éternité pour enfiler chaussettes, pantalon et chaussures.Toutefois,Godricétaitconscientqu'ilavaitdéjàsouffertparlepassédeblessuresbeaucoupplussérieuses.Il lui étaitmême arrivé, ende rares occasions, dene pas quitter le lit pendant plusieurs

jours.Ilenfilasongiletetleboutonna,puisilsedirigeaverslaportequicommuniquaitavecla

chambredesafemme.Unautregloussement,presqueunéclatderire,titillasacuriositéetilcognaaubattantavantdel'ouvrir.Megétaitassisesuruntapisrondaupieddesonlit,sesjupesformantunecorollevertet

roseautourd'elle.Lesquatrefillettesdel'orphelinatembauchéescommesoubrettesfaisaientcercleautourd'elle.L'objetdeleuramusementsetrouvaitsurlesgenouxdeMeg.C'étaitunecréatureminuscule,dépourvuedepoilsetquiressemblaitàunrat.Meglevalesyeuxdanssadirection.Ellerayonnait.Godricfutsoulagédeconstaterqu'elle

nesemblaitpasluitenirrigueurdeleurconversation.—Venezvoir,Godric!SaGrâceaeusespetits.Elleluitendit lacréatureenformederatcommeuneoffrandeengagedepaix.Godricse

laissachoirdansunfauteuil.—C'est...trèsmignon.Lajeunefemmebaissalesbras.

Page 79: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

— Pauvre chéri, murmura-t-elle au chiot, le serrant contre sa poitrine. N'écoute pas M.Saint-John.Tueslepetitchienleplusadorablequej'aiejamaisvu.Lesquatrefillettesgloussèrentdeplusbelle.Godrichaussalessourcils.—J'aipourtantditqu'ilétaitmignon.Safemmes'esclaffa.—Oui.Maisvotretoncriaitlecontraire.Godricvouluthausser lesépaules,maisunélancementdans sondos lui fit regretter son

geste.Ilavaitessayédenepasgrimacerdedouleur,cependantMegs'aperçutdesagêne.—Merci,lesfilles,dit-elle.MaryCompassion,conduistescamaradesenbas,s'ilteplaît.Je

suissûrequeMmeCrumbabesoindevous,maintenant.Les fillettes parurent déçues,mais elles se levèrent bien sagement et quittèrent la pièce

danslesillagedel'aînée.MegattenditquelaportesefûtreferméederrièreladernièrepourdemanderàGodric:—Commentvoussentez-vous?Elletenaitlechiotdevantsonnez,commeunbouclier,etGodricauraitvoululeluiretirer

desmains,pourdéchiffrerl'expressiondesonvisage.—Mieux.Ellehochalatête.—Jesuisvraimentdésoléedevousavoirfaitdumal.Apparemment, ellene souhaitaitpas reparlerde leur conversation, etGodricne songeait

pasàs'enplaindre.—Vousvousêtesdéjàexcusée,etjevousaidéjàréponduquecen'étaitpasnécessaire.Ce

n'étaitpasdevotrefaute.J'imaginequevousavezcruquejevoulaisvousagresser.Elle détourna le regard et Godric sentit son cœur se serrer. Avait-elle trouvé son baiser

répugnant?Ilyeutunsilence,uncourtsilencequiparutàGodricdureruneéternité.Finalement,ildésignalechiotqu'elletenaittoujoursdanssesbras:—Nepensez-vouspasquesamèreaimeraitlerécupérer?—Si,biensûr.ÀlagrandesurprisedeGodric,elles'allongeasurleventrepourglisserlechiotsouslelit.

Unpetitglapissementréponditàsongeste.Megseredressa.Godrichaussalessourcils.—SaGrâce est dessous avec sa portée, expliquaMeg, pour répondre à son interrogation

silencieuse.Elleaeutroispetits.Jenemesuisaperçuedesaprésencequecematin,quandleschiotsontcommencéàsefaireentendre.—C'estétrangequ'elleaitchoisidemettrebasdansvotrechambre.Megserelevaetdéfroissasesjupesavecunhaussementd'épaules.—Jesuisbiencontentequenousl'ayonstrouvée.Lagrand-tanteElvinas'affolaitdenepas

lavoirdanssachambrecematin.Godrichochadistraitementlatête.Commentpourrait-illaprotéger?Commentpourrait-il

lapréserverdesdébordementsdesagénérosité?Elleinspiraprofondément,commepoursedonnerducourage.—Godric?—Oui?— J'aimerais que vousme racontiez comment tout cela... Comment tout cela est arrivé?

Page 80: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Pourquoiêtes-vousdevenuleFantômedeSaint-Giles?Godrichochalatête.—Oui,jepeuxvousleraconter.Meg n'avait pas capitulé. Elle souhaitait toujours que Godric renonce à ses activités de

Fantôme.Maissiellevoulaittrouverlesbonsargumentspourledissuaderdecontinuer,elledevaitd'abordcomprendrecommentilenétaitarrivélà.Sonmari était encore très pâle. Cependant, il était assis bien droit dans son fauteuil, le

regardaffûté.Lajeunefemmes'amusaunefoisdeplusdesaméprise.Direqu'ellel'avaitcrusénile!Elleréalisaitàprésentques'iln'avaitpaslacarrureimposantedecertainshommes,ilétait fort, comme s'il avait été forgé dans quelque matériau indestructible. Du granit, parexemple.Ouunferquinerouilleraitpas.Quelquechosedepuissantetdetrès...masculin.Megbaissalesyeuxsursesmains.Sespenséess'égaraient.—Avez-vousdéjàentenduparlerdesirStanleyGilpin?demanda-t-il.Ellerelevalesyeux.—Non,jen'enaipassouvenir.Ilhochalatête,commes'ils'attendaitàcetteréponse.—C'étaitunparentéloignédemonpère.Uncousinautroisièmedegré,ouquelquechose

commecela.Ilestmortilyadéjàplusieursannées.Ilavaitfaitfortunedanslesaffaires,maisilavaitbeaucoupd'autrescentresd'intérêt.—Lesquels?—Lethéâtre,notamment.Auneépoque,ilapossédéunthéâtreetilamêmeécritquelques

pièces.—Vraiment? fitMeg,quinevoyaitpas le rapportavec leFantômedeSaint-Giles.Quels

étaient leurs titres ?J'enaipeut-êtrevuune,demanda-t-elle, en s'asseyantàdroitede sonmari,lesmainssagementcroiséessursesgenoux.—C'estpeuprobable.J'aimaissirStanleycommeunpère,maisiln'étaitpasvraimentdoué

pour écrire. Sa première pièce s'appelaitLa romance dumarsouin et du hérisson.Elle futjouée à Londres.Mais je doute fort qu'aucune autre de ses pièces n'ait pu être interprétéeaprèscettepremièretentative.Meghaussalessourcils.Sacuriosité,finalement,étaitpiquée.—Laromancedumarsouin...Ilacquiesça.—Etduhérisson.C'étaitépouvantable,pourêtrehonnête.Maisjem'éloignedusujet.Il se pencha en avant, avec une légère grimace et posa les coudes sur ses genoux pour

contemplersesmainscroiséesdevantlui.—Peut-êtrel'ignorez-vous,reprit-il,maismamèreestmortequandj'avaisdixans.Megsedoutaitquesamèreétaitmorte,puisquelamèredeSarahétaitsabelle-mère,mais

n'avaitjamaissuqu'ilavaitperdusamèreàunaussijeuneâge.—Jesuisdésolée.Ilgardalevisagebaissésursesmains.—J'étaistrèsproched'elleetsamortm'abeaucoupaffecté.Quandmonpères'estremarié,

troisansplustard,j'aiassezmalréagi.Savoixnetrahissaitpasd'émotionparticulière,maisMegdevinaitquelejeunegarçonqu'il

avait été autrefois ne s’était pas montré aussi détaché. Il avait probablement beaucoup

Page 81: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

souffertdeceremariage.—Ques'est-ilpassé?—Monpèrem'aenvoyéaucollègeetsirStanleyGilpinm'aproposédem'installerchezlui

pendantlesvacancesscolaires.Megfronçalessourcils.—Vousneretourniezpasvoirvotrefamille?—Non.Il avait légèrementplissé les lèvres, attirant le regarddeMeg sur sabouche.Cesmêmes

lèvresquis'étaientreferméessursontéton...Lajeunefemmedéglutitets'obligeaàchassercetteimagedesonesprit.Queluiarrivait-il

donc?—Ce...Celadevaitêtretrèsdurd'êtreséparédevotrepère?—Non,c'étaitmieuxainsi.Nousnousquerellionstropsouvent.Parmafaute.Jen'étaispas

trèsraisonnableàl'époque.Jeluireprochaislamortdemamèreetjeluienvoulaisdes'êtreremarié.J'étaisatroceavecmabelle-mère.—Vousn'aviezque treizeans, fitvaloirMeg,qui sentait soncœurseserrer.Jesuis sûre

qu'ellecomprenaitvotrechagrin.Ilsecoualatête,commes'ilserefusaitàlacroire.—Quoiqu'il en soit, c'est cetteorganisationquiprévalutpour les sept années suivantes.

Quandjen'étaispasàl'école,j'habitaischezsirStanley.Etc'estluiquim'aappris.Meghaussalessourcils.—Apprisquoi?—ÀdevenirleFantômedeSaint-Giles.Saufqu'audébut,jeconsidéraismonentraînement

commeunsimpleexercicephysique.SirStanleyavaitaménagéunepiècespécialementàceteffet,avecdesmannequinsenpaille,descibles,ettoutessortesdechoses.C'estlàqu'ilm'aenseignéàpirouetter,àmanierl'épée,àmebattreàpoingsnus.—Pirouetter?répétaMeg,intriguée.Commeunacrobatedefoire?Iltournalesyeuxverselle.—Oui, ou commeun acteur comique.Celapeut vousparaître absurde,mais c'est un art

trèsphysique.Etparfaitementadaptéàungamincommemoi,quiavaisbeaucoupderageàévacuer.Meg était émue à l'idée de ce jeune garçon coupé de sa famille, seul avec sa colère. Elle

éprouvait une soudaine gratitude pour sir Stanley Gilpin. Probablement avait-il été unexcentrique,maisdetouteévidenceilsavaitcommentprendreenmainlesjeuneshommes.Godric fixa un instant les lèvres de Meg, avant de baisser de nouveau les yeux sur ses

mainscroisées.—Les premières années, je neme suis douté de rien.Mais l'année demes dix-huit ans,

nous avons fini par comprendre, à force d'indices concordants, que sir Stanley était leFantômedeSaint-Gileset...—Attendez!lecoupaMeg.SirStanleyétait-illetoutpremierFantôme?—Oui... enfin, pour autant que je sache. La légende du Fantôme de Saint-Giles est très

ancienne.Iln'estpasimpossiblequequelqu'und'autre,avantsirGilpin,aitrevêtulecostumeduFantôme.Meg,amusée,sereprésentaunecohorted'hommesprétendant,époqueaprèsépoque,avoir

été le Fantôme de Saint-Giles. Elle se demandait quelle pouvait bien être leurmotivation.

Page 82: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Maisuneautrequestion,pluspressante,luibrûlaitleslèvres.—Vousavezdit«nous».Quiestce«nous»?—Ah,fitGodric,seredressantsursonsiège.C'estunebonnequestion.Cherchait-ilàesquiver?—Oui?lepressaMeg.Illaregardadroitdanslesyeux.—Jenesuispasleseul.—Commentcela? s'exclamaMeg, incrédule. Il yadoncplusieursFantômes?Enmême

temps?Godrichochalatête.—L'année demes dix-huit ans, un autre garçon est venupartagermon entraînement. Il

étaitplusjeunequemoi,maisilavaitautantlaragequemoiàquatorzeans.Peut-êtremêmedavantage.—Quiétait-ce?—Jesuisdésolé,maisjenepeuxpasvousledire.Megseredressaelleaussi,indignée.—Pourquoinon?—Cen'estpasàmoidevousrévélersonsecret.Pareillediscrétionétaittoutàsonhonneur.MaisMegsentitsafrustrationgagnerdessommets.—Donc,vousétiezdeux.Ils'éclaircitlavoix.—Trois,enfait.Unautregarçonm'aremplacéchezsirStanleyquandjel'aiquittéausortir

d'Oxford.Megétaitstupéfaite.Etlesquestionssebousculaientdanssonesprit.—Trois?Mais...Illevaunemainpourl'arrêter.—Jesaisqu'onvousaracontéqueleFantômeavaittuéRogerFraser-Burnsby,maisc'est

impossible.Aucundenoustroisn'auraitétés'enprendreàunhommeaussibon.Meghochalatête.Elledevinaitquequelquechoseclochaitdanslaversiondel'assassinat

deRoger.Soitletémoinducrimes'étaittrompé...Soitilavaitmenti.Cettehypothèsesoulevaitàsontourbiend'autresinterrogations.—Meg.Megrevintàl'instantprésent.ElleserepencheraitplustardsurlemeurtredeRoger.Pour

l'instant,Godricsouhaitaitterminersonrécit.—Commentsefait-ilqu'ilyaitdésormaistroisFantômes?Godricsoupira.—Jepensequ'audébut,sirStanleyvoyaittoutcelacommeunefarce.Ilatoujourseuun

sensdel'humourétrange.Maisilafiniparsepiqueraujeu,carils'estprisd'affectionpourleshabitantsdeSaint-Giles.Ilauravoulus'assurerqu'ilscontinueraientd'êtreprotégésparleFantôme même après sa mort. En formant trois successeurs au lieu d'un seul, il avaitdavantagedechancesdevoirsavolontéexaucée.MegsemorditlajouepournepasinterrompreGodricd'unefouledequestions.Ellehocha

latête,afindel'inciteràcontinuer.

Page 83: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Donc,commej'avaiscommencédel'expliquer,àmasortied'Oxfordj'aiégalementcesséd'habiter chez sir Stanley, puisque j'avais terminé ma scolarité. Entre-temps, je m'étaisréconciliéavecmonpère,conscientdem'êtreconduitenversluicommeunidiotimmature.Jen'aipluseualorsqu'uneenvie:redevenirunbonfils,etgagnerlerespectdemonpère.SirStanley fut bien sûr déçu demadécision,mais il pouvait la comprendre. Et son deuxièmeapprentiétaitpresqueprès.Megbrûlaitdesavoirquiétaitcedeuxièmeapprenti.Maisellesedemandaitégalementsi

lepèredeGodricavaitétéaucourantpoursirStanley,l'entraînementdesonfils,leFantômedeSaint-Giles...—Bref,repritGodric,mesétudesterminées,jesuisvenupasserl'étéàLaurelwoodManor.

C'estlàquej'airevuClara,lorsd'unbal.Ilfermalesyeux,avantdepoursuivre:—Jevousl'aidéjàplusoumoinsraconté.Nousavonsétéheureux,trèsheureux,pendant

près d'un an. Puis Clara est tombéemalade. Nous nous sommes installés à Londres pournous rapprocher des meilleurs médecins. J'espérais que nous pourrions trouver untraitement.J'aipriédesnuitsentières.J'aigardécetespoirpendantunanetdemi,avantdecomprendrequeClaraneguériraitjamais.Etqu'ellefiniraitparmourir,sansquejenepuisserienfaire,sinonassisteràsonagonie.C'estcequis'estpassé.Jel'aivues'affaiblir.Maigrir.Lamaladiearefermétrèslentementsesgriffessurelle.Commeilrouvraitlesyeux,Megputylireunchagrinincommensurable.Elles'imaginaitce

qu'ilavaitdûsouffrir,spectateurimpuissantdeladéchéancedesabien-aimée.N'ytenantplus,Megluisaisitunemainetl'étreignit.Godric baissa les yeux sur leursdeuxmains jointes. Il ne fit pasdemouvementpour se

dégagernipourmêlersesdoigtsauxsiens.Megs'encontenta.— J'ai cru devenir fou, murmura-t-il tête baissée, comme s'il s'adressait à leurs mains

jointes.Etc'estsansdoutecequiseraitarrivé,siunbeaujoursirStanleyn'étaitpasvenumerendrevisite.IlavaitapprisparmonpèrelamaladiedeClaraetilmeproposadereprendrel'entraînementaveclui.Entre-temps,ilavaitcommencédeprendreenmainletroisièmedelabande,quiétaitencoreuntoutjeunehomme.Quantàsonseconddisciple,ilavaitdéjàprisson envol et était devenu le Fantôme de Saint-Giles. Sir Stanleyme présenta la chose enm'expliquant que son nouvel élève avait besoin d'un partenaire pour s'entraîner, car lui-mêmesefaisaitvieux.Maisjen'étaispasdupe.Jesavaisqu'ilmetendaitunepercheafinquejepuisseéchapperàl'agoniedeClara.Etc'estainsiquejedevinsàmontourleFantômedeSaint-Giles.— Je ne comprends pas, avoua Meg. Puisqu'il y avait déjà un Fantôme en exercice,

pourquoiavez-vousendossélerôle?—Commejevousl'aidit,nousétionstrois.EtletroisièmearevêtulatuniqueduFantôme

quelque temps après moi. Jusqu'à il y a deux ans, nous opérions tous les trois enmêmetemps.Megétaitperplexe.—Nevousest-iljamaisarrivédevousmarchersurlespieds?UnsourireéclairalesyeuxcristallinsdeGodric.— Très rarement. Il faut que vous compreniez que je n'endosse pas le rôle du Fantôme

toutes les nuits. Et les deux autres non plus. Il peut bien sûr arriver que nous soyons au

Page 84: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

moinsdeuxàintervenirlamêmenuit,maisalorslesgensrapportentqueleFantômepeutsetrouver à deux endroits enmême temps, et cela, bien sûr, sert la légende du Fantôme deSaint-Giles.Meg,incrédule,secouaitlatête.—Quandmême, trois Fantômes... Personne n'a donc jamais remarqué qu'il ne s'agissait

pastoujoursdumêmehomme?Godrichaussalesépaules.—Non.Nous avonsdesphysiques assez semblables.Et puis, notre costume empêchede

nous identifier.Entre la tunique, la cape, le chapeauet lemasque, iln'y a guèrequenotreboucheetnotrementonquisoientvisibles.Meghochalatêted'unairsongeur.—J'ail'impressionquevotresirStanleyétaitquelqu'underedoutablementintelligent.—Oh,pourça,oui,acquiesçaGodric.Ilpencha la tête, commeperdudans ses souvenirs, et il caressaitmaintenant lamainde

Megavecsonpouce,décrivantdescerclessursapeau.Lasensationétaittrèsagréable.—Godric...murmuralajeunefemme.Ilrelevalatête.—Hmm?Meg s'envoulaitdebriser cemomentd'intimité,mais sa curiosité avait toujours été son

pointfaible.—Claraestmorteilyatroisans,n'est-cepas?Iltressaillitimperceptiblement.—Oui.—Alors,pourquoiêtes-voustoujoursleFantômedeSaint-Giles?Pourquoiétait-iltoujoursleFantômedeSaint-Giles?Godricsefaufilajusqu'aucoind'unimmeubleenbriquesquimenaçaitdetomberenruine.

Puis il ouvrit l'œil, afin de s'assurer que la ruelle qui longeait le bâtiment était déserte. LeFantômedeSaint-Giles préférait d'ordinaire passer par les toits - plus rapide et plus sûr -,maissablessureàl'omoplatel'enavaitempêchécesoir.Ilétaitdoncobligédesedéplaceràpied,enprenantgardedenepascroiserlecheminducapitaineTrevillionoudeseshommes.Godricremonta laruelleets'arrêta. Il revoyait le regarddeMeg lorsqu'elle luiavaitposé

cettefameusequestion:elleétaitàlafoisintriguéeetinquiète.Inquiètepourlui.Depuisquandquelqu'unnes'étaitpas inquiétépour lui?Pasdepuis lamortdeClara,en

toutcas.Etpasnonplusdesonvivant,d'ailleurs:c'étaitGodricquis'inquiétaitpourelleetpasl'inverse.Claraavaittoujoursignoréqu'ilétaitleFantôme.Quandbienmêmeellel'auraitsu,elleauraitconsidéréqu'ilétaitassezfortetassezvirilpourqu'ilneluiarriverien.Ilauraitpeut-êtredûsesentirinsultéqueMegpensedifféremment.Cependant,ilneréussissaitpasàenvouloiràlajeunefemme.Au contraire, même. La prévenance de son épouse avait quelque chose de réconfortant.

Meg avait un grand cœur -mais aussi un solide caractère. Elle avait été choquée qu'il nerenoncepasàsesactivitésdeFantôme.Sansdoutel'avait-ildéçue,etils'enattristait.Godricauraitaiméluidonnersatisfaction.Demêmequ'ilauraitaiméluidonnersatisfactionpoursonautrerequête.

Page 85: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Unbruitdepas l'alerta.Godric seplaqua contreunmurpour se fondredans l'obscurité.Deuxhommesavançaiententitubant,sesoutenantmutuellementtantbienquemal.Leplusgranddesdeuxheurtaunpavédisjointettombaàgenoux,entraînantsoncompagnondanssachute. Les deux hommes étaient tellement ivres qu'ils éclatèrent de rire.Mais leur rire sefigeaquandGodricsortitdesacachettepourcontinuersaroute.Auboutdequelquespas,Godricjetaunregardderrièreluietvitquelesdeuxivrognesle

suivaientdesyeux,bouchebée.Ces deux ivrognes formaient un duo clownesque, mais Godric ne put s'empêcher de

frissonneràl'idéedecequiseraitarrivéàMegsielleavaitcroiséleurchemin.Peud'hommesdans Saint-Giles se révélaient inoffensifs face à la tentation qu'incarnait une riche et bellelady.N'importequelle femmesenséese tiendraità l'écartd'un telquartier, surtoutaprèsavoir

faillisefairedépouiller lapremièrefoisoùelles'yétaitaventurée.PasMeg.EtGodricétaitmalheureusement persuadé que les événements d'hier soir ne l'avaient pas davantageintimidée.Elleavaitdéclaréqu'ellereviendraitdansSaint-Gilesjusqu'àcequ'elledémasquel'assassindeRogerFraser-Burnsby.EtGodriclacroyait.End'autrestermes,safemmecouraitausuicide.Damnation!Godricnelaisseraitpassonentêtementlaconduireàlamort.Ildevaitàtoutprixtrouver

unmoyendelarenvoyeràlacampagne.Etleplustôtseraitlemieux.LeclocherdeSaint-Giles-in-the-Fieldssedressaitdevantlui,saflèchecoupantendeuxle

disquede lapleine lune.Godric longea lemurdupetitcimetièreaccoléà l'église jusqu'àsagrilled'entrée.Lesgondsenavaientétérécemmenthuilés,etilputpousserlagrillesansfairelemoindre

bruit.Leventsétaitlevéetgémissaitentrelestombesenagitantlesbranchesduseularbrequi

se dressait, l'air pathétique, au milieu du cimetière. Le spectacle avait quelque chose delugubre,maisGodricsavaitquelesruesdeSaint-Gilesétaientbienplusdangereusesquececimetièreoùdormaientlesmorts.Un grognement très humain - et bien vivant - lui parvint aux oreilles. Godric sourit. Il

n'étaitpasvenuenvain.Ilsefaufiladiscrètementpourapprocherdesaproie.—Bonsoir,Digger.DiggerJack,unhommetrapuetvoûté,connupourêtrel'undesplusfameuxdéterreursde

cadavresdeLondres,seredressad'unbond.Soncomparse,unjeunegarçonrâbléetmusculeux,étaitbeaucoupplusimpressionnable.—C'estlediable!s'exclama-t-il.Etiljetasapellepourcouriràtoutesjambesverslagrilleducimetière.DiggerJackvoulutlerattraper,maisGodricposaunemainsursonépauleavantqu'iln'ait

pubouger.—Jevoudraisteparler.—Ohnon!gémitDigger.Pourquoivousl'avezfaitfuir?Vousn'imaginezpascequec'est

compliquéde trouverungarsavec ledossolidedansSaint-Giles !Jecommenceàmefairevieux.Monlumbagonemepermetplusdecreuseravecautantdeforcequ'avant.Quevais-jedevenirsijen'aipluspersonnepourm'aider?

Page 86: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Épargne-moi tes jérémiades,Digger, répliquaGodric.Jenevaispasm'apitoyersur toi,alorsquetucreusespourdéterrerdescadavresetlesdétrousser.Diggerseredressadetoutesataille,quinétaitpasbienhaute.—Ilfautbienvivre,Fantôme,maugréaDigger.Moi,aumoins,jenesuispasunassassin,

ajouta-t-ilavecunregardentendu.— Ne commence pas ce petit jeu avec moi, Digger. Je ne suis pas venu te voir pour

connaîtretonopinionàmonsujet.Ledétrousseurdecadavress'humectaleslèvres.Ilparaissaitnerveux.—Qu'est-cequevousvoulez,alors?—Quesais-tudelabandedesKidnappeurs?Diggerhaussalesépaules.—J'enaientenduparler,commetoutlemonde.—Raconte-moicequetuaspuapprendre.Diggersegrattalanuque.—Larumeurditqu'ilssontderetour.—Oui,jesuisdéjàaucourant.—Euh...murmuraDigger,quitapaitdistraitement,dupiedlereborddelatombequ'ilavait

commencéàcreuser.Certainsprétendentqu'ilsauraientdéjàenlevéplusd'unevingtainedegamines.Vingt ! Dans n'importe quel autre quartier de Londres, un tel crime aurait provoqué un

énormescandale.Lesjournauxseseraientemparésdel'affaireetlesmembresduParlementauraient manifesté leur colère en séance publique. Mais, ici, personne ne semblait seformaliserdeladisparitiondesfillettes.—Oùsont-ellesemmenées?—Ça, jen'ensais rien,avouaDigger.Maiscequiest sûr, c'estqu'ellesne réapparaissent

pasdansunbordelouquelquechosedugenre.Unefoisqu'ellesontdisparu,pluspersonnen'entendparlerd'elles.Godricplissalesyeux.Diggersemblaitignorerquelesfillettesétaientdestinéesàtravailler

dansunatelierdeconfectionclandestin.Lesecretétaitmanifestementbiengardé,etl'endroitsoigneusementcaché.—Onracontequ'unegueuseaideàleurcapture,ajoutaDigger.—Sais-tuàquoielleressemble?—Jesaismieuxqueça, répliquaDigger,avecunepointede fierté.Jepeuxvousdireson

nom.Godricattenditpatiemment.—EllesefaitappelerMmeCook.Cen'étaitpasbeaucoup,maisc'étaitmieuxquerien.Godrictiraunepièced'argentdeses

pochesetladonnaàDigger.—Merci.Diggercontemplalapièceavecdesyeuxronds.—Àvotreservice,Fantôme.Godrics'apprêtaitàtournerlestalons,maisilseravisa.—Encoreunechose,Digger.Ledétrousseurdecadavressoupira.—Oui,quoi?

Page 87: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Ilyadeuxansdecela,unaristocrateaététuéàSaint-Giles.Ils'appelaitRogerFraser-Burnsby.Sais-tuquelquechoseàproposdecetteaffaire?Si Godric n'était pas habitué, depuis des années, à questionner des informateurs à la

réputationdouteuse,iln'auraitsansdoutepasremarquélelégertressaillementdeDigger.—Non, jamais entendu parler de ce type.Maintenant, si ça ne vous ennuie pas, j'ai un

travailàtermineravantl'aube.Godricsepenchaversluijusqu'àcequelenezdesonmasquetouchelevisagedeDigger.—Si,çam'ennuie.Diggeravalasasalive.—Je...jenesaisrien,jevousjure!—Tumens,Jack.Diggerlevalesmains,commes'ilvoulaitsedéfendred'uneagressionphysique.—Bon,d'accord.L'affaireafaitparlerd'elledanslequartier,àl'époque.Ilsembleraitquele

Fantômen'étaitpourriendansl'histoire.—Etlevéritablemeurtrier?Diggerjetaunregardderrièrelui,commes'ilcraignaitd'êtreentendu.—Larumeuracirculéqu'ils'agissaitd'unautrearistocrate.—Riend'autre?—Çanevoussuffitpas?protestaDigger.Jen'aipasenviedemefaireétriperpouravoir

parlé.Ceshistoiresdenoblesnemeregardentpas.—Net'inquiètepas, lerassuraGodric.Personnen'auraventdenotrepetiteconversation.

Jen'enparleraipas,etjemedoutequetoinonplus.Diggerréponditd'unhochementdetête.Godric souleva son chapeau, en un salut ironique, puis il quitta le cimetière et longea

ensuite la Tamise, en directionde SaintHouse. L'idée que son épouse cherche à venger lemeurtredeRogerletroublaitdeplusenplus.Megétaitunefemmevouéeàlalumièreetaubonheur.Ellen'étaitpasfaitepourlemondedesténèbresetducrime.C'étaitletravailduFantôme.GodricnepouvaitpaslalaisserrisquersaviedanslesruesdeSaint-Giles.Et il ne voyait qu'unmoyen de la distraire de lamission qu'elle s'était assignée et de la

renvoyeràlacampagne.Vingtminutes plus tard,Godric approchait de SaintHouse et, comme à son habitude, il

ralentit l'allureavantde s'arrêter sousuneporte cochèrevoisinepour s'assurerque lavoieétait libre. Depuis qu'il était le Fantôme de Saint-Giles il aurait pu compter sur les doigtsd'unemain les foisoù il avaitaperçuquelqu'unrôdantauxalentoursde samaison lanuit.Maissaprudenceavaittoujourspayé:ilnes'étaitjamaisfaitsurprendre.Or,cettenuit-là,ilyavaitjustementquelqu'un.Godricmitmoinsd'uneminuteàrepérerlasilhouettequisetenaitenembuscadeprèsde

samaison.Unesilhouette-plutôtuneombre-immobileetsilencieuse...Quelqu'undemoinsobservateurqueGodricnel'auraitcertainementpasrepérée.Godric réfléchit. Il pouvait rebrousser chemin et s'enfuir. Ou attendre, afin de voir qui

espionnait Saint House. Il opta pour la seconde solution. Son omoplate le faisait encoresouffrir,maisils'armadecourage,carilavaitl'intuitionquesavigiepourraits'éterniser.Defait,elleduratroisheures.Troislonguesheuresàresterparfaitementimmobile,ledos

plaquécontrelaportecochère.TroisheuresqueGodricauraitpréférépasserauchaud,dans

Page 88: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

sonlit.Maisauboutdecestroisheures,ilsutquiépiaitsamaison.Quand les premières lueurs de l'aube teintèrent le ciel de gris-rose à l'est, le capitaine

JamesTrevillionsortitdesacachette.Etils'éloigna,sansunregardenarrièrepourlamaisonqu'ilavaitsurveilléetoutelanuit.Godric attendit jusqu'à ce qu'il n'entende plus le bruit des pas du capitaine des dragons.

Puisilattenditencorecinqminutessupplémentaires.Alors,seulement,ils'autorisaàrentrerchezluiparlaportedederrière.Unefoisdansson

bureau, Godric se débarrassa de son costume, avec des gestes ralentis par la fatigue et ladouleurqueluicausaitencoresablessure.Sonépéeluiéchappamêmedesmainsettombaàterre avec un fracasmétallique. Son subterfuge imaginé à la hâte le soir oùMeg lui avaitdonnéuncoupdedaguesemblaitnepasavoirconvaincuTrevillion.Lecapitainededragonsdevaitlesoupçonnerd'êtreleFantôme.Pourquoiirait-ilseposterenembuscadedevantchezlui, si ce n'était pas dans l'espoir de le surprendre au moment où il rentrerait de sespérégrinationsnocturnes ?Godric avait l'intuitionqueTrevillion semoquerait biende sonstatutd'aristocrate,dèslorsqu'ilauraitlapreuvequ'ilétaitleFantôme.Lecapitainesemblaitn'avoiraucunevieprivéeendehorsdesonmétieretdelatraquequ'ils'étaitimposée.Peut-êtreavait-ilbesoindecettechassepoursesentirexister?Danscecas,Godricsetrouvaitaumoinsunpointcommunaveclemilitaire.Maiscettedécouverten'étaitpaspourleréjouir,carilhéritaitd'unsoucisupplémentaire.

Démasquer labandedesKidnappeurs ; empêcherMegde senuireàelle-même ; seméfierplusquejamaisdeTrevillion.Dansl'immédiat,iln'avaitqu'undésir:semettreaulitetdormir.Godric rangeasonaccoutrementdeFantômeetenfilasachemisedenuitet sonpeignoir

avant de quitter le bureau. Tandis qu'il montait jusqu'à sa chambre, il se remémora laquestiondeMeg:Pourquoiétait-iltoujoursleFantômedeSaint-Giles?Parcequec'étaitleseulmoyenqu'ilavaittrouvépourresterenvie.

Page 89: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

9

Désespoir sourit à Foi, révélant des dents atrocement aiguisées. « Les âmes de ceux quin'ontpasencorepugagnerleParadisoul'Enferdériventdansceseauxjusqu'àcequevienneenfin le tempsde leur libération.Réjouissez-vousque l'âmedevotrebien-aiméne soitpascondamnéeàlesrejoindre,carlesprisonniersdecetterivièresontdessuicidés.»Foifrissonnaàcesparoles,etlorsqu'unedesâmesflottantdanslarivièreouvritlabouche

commesiellevoulaitcrier.Maisbiensûr,aucunsonnesortitdesagorgefantomatique.[...]op.cit.

Le lendemainmatin,Megalla rendreunepetitevisiteà l'arbre fruitierqui sedressaitau

milieudujardin.Ilneparaissaitpasenmeilleurétatquel'autrejour.Pourtoutdire,ilsemblaitbeletbienmort.Higginsréclamait l'autorisationdelecouper,maisMegn'avaitpaslecœuràs'yrésoudre.

Même si l'arbremanquait de grâce et d'élégance, il donnait l'impression d'être un solitaireégarédanscejardin.C'étaitidiot,biensûr,d'attribuerdessentimentshumainsàunarbreetcependant,Megs'apitoyaitpourlevieuxpommierdéforméparlesans.—Cetarbreestmort,affirmaunevoixdanssondos.Megs'obligeaàréprimerlepetitfrissond'allégressequ'ellesentaitmonterdanssapoitrine

avantdeseretourner.Godricportait l'unde ses éternels costumes sombres - gris, cematin. Il la regardait avec

curiosité.Megluisourit.—C'estaussicequeditHiggins,monjardinier.—Jepeuxvouslecouper,sivousvoulez.—C'estégalementcequ'ilm'aproposé.—Maisbiensûr,vousavezrefusé.—Eneffet.—Jem'endoutais,murmura-t-il.Megdécidadechangerdesujet.—Jesuisraviedevoirquevousêteslevé.Quandj'aiapprisaupetitdéjeunerquevousétiez

encorecouché,j'aicraintquevousnesouffriezdudos.IldétournauninstantleregardetMegeutlesentimentqu'ilpréparaitunmensonge.Mais

ilsecontentaderesterévasif:—J'étaisfatigué.J'aipenséqueçanepourraitpasmefairedemaldeparesserunpeuaulit.Meghochadistraitementlatête.Ellecherchaitquelquechoseàdire,maisnetrouvaitrien.

Avait-ellevraimentdevantelle,cematin,lemêmehommequi,hiersoir,luiavaitdéchirésonbustierpourluisucerlesseinsavecvoracité?—Noussommes invitéscesoiràune fêtechampêtre,dit-elle finalement.Mabelle-sœur,

ladyHero,adorelesFoliesHarteetelleaorganiséunepetiteexpéditionauthéâtredepleinair.Vousjoindrez-vousànous?

Page 90: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ilpinçaleslèvres.—VotrefrèreGriffinysera?—Oui.Megs'attenditàunerebuffade,maiscontretouteattenteGodricesquissaunsourire.—Jedevraispeut-êtrelevoirdetempsentemps.Aprèstout,j'aiépousésasœur.Megsesurpritàêtreimpatienteàl'idéedeserendreauthéâtreavecsonmari.—Alors,vousviendrez?demanda-t-elleencorepours'enassurer.Ilinclinagravementlatête.—Oui.Megreportasonattentionsurletroncdupommier,qu'ellecaressaitdistraitement.—Godric?—Oui?Ils'étaitapprochéd'elleaupointquesiellesetournait,elleseretrouveraitdanssesbras.—Commentmonfrèrea-t-ilsuquevousétiezleFantômedeSaint-Giles?IlgardaquelquesinstantslesilenceetMegdevinaqu'ilréfléchissaitàsaréponse.—Jemesuismontré imprudent. Ilaréussiàmesuivreunenuitoù jerentraisdeSaint-

Giles.Megfronçalessourcils.—Maisqu'auraitétéfaireGriffindanslesruesdeSaint-Giles?—Vousn'êtesdoncpasaucourant?Megnepouvaitpascontinueràluitournerledos.Elleseretournaetseretrouvapresque

danssesbras.—Aucourantdequoi?Saquestionétaitbiensûridiote.Ilneluirépondraitpas,oualorsilauraitrecoursàl'unede

cesexcusesqu'employaientd'ordinairelesgentlemenquandilsnesouhaitaientpasrépondreàcertainesquestionsembarrassantesdesdames.MaisGodriclasurprit.—VotrefrèrepossédaituneaffairedansSaint-Giles.Megclignalesyeux.Elleétaitautantstupéfaiteparsafranchisequeparcetteinformation.—MaisGriffinn'ajamaisétédanslesaffaires!Iln'amêmejamaistravailléde...Elle s'interrompitdevant l'expressiondeGodric.Toutà coup,ellen'étaitplus certainede

rien.Godric,malàl'aise,haussalesépaules.— J'ignore l'état des finances de votre frère. Je sais simplement qu'avant d'épouser lady

Hero,ilpossédaituneaffairedansSaint-Giles.—Quelgenred'affaire?Il observa un autre silence, et Meg se demanda si cette fois il lui répondrait. Mais

finalement,ilsoupira.—Unedistilleriedegin.Unedistillerieclandestine.—Quoi?Meg en resta bouche bée. Son frère, fils demarquis, diriger une distillerie clandestine ?

Jamais Meg n'aurait pu le soupçonner d'une activité aussi immorale. Avant son mariage,Griffinavaittraînéunesolideréputationdedébauché,maisquandmême!Megpensaitbienle connaître.Griffinn'était certainementpasunmauvais bougre. Il n'irait jamais se lancerdansuneaventurepareille,àmoinsdesetrouvercruellementàcourtd'argent.Or,cecasdefigureétaitimpossible.Leurfamilleétaitriche,possédaitdesterres...Envérité,Megréalisaitsoudainqu'elle ignorait toutde l'état réeldes finances familiales.

Page 91: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Elle était une femme et les femmes ne se préoccupaient pas de ces questions bassementmatériellespournepasdirevulgaires.Quandellevoulaitunenouvellerobe,ellesel'achetaitetellenesedemandaitjamaissisafamillepouvaitlaluipayer,carelleétaitpersuadéequeoui.Maisétait-celecas?Il lui revenait tout à coup certains détails. La fois où samère lui avait suggéré une soie

rayée,moinscoûteusequecellequiétaitbrodée.Megavaitbeaucoupaimé lacouleurde lasoierayée,dansdes tonsderose,aussines'était-ellepasposédequestionsur lecoup.Ilyavait eu aussi cette autre fois où la modiste s'était montrée désagréable, parce qu'elle seplaignaitdenepasavoirencoreétépayée.Mamanavaitréponduquec'étaituneerreur,maisétait-cebienuneerreur?Et si sa famille s'était trouvéedans l'embarras financier ?Et queMegn'en ait tellement

riensuqu'ellen'aitmêmepassongéunseulinstantàs'interroger?—Détient-iltoujourscettedistillerie?demanda-t-elleàGodric,d'unetoutepetitevoix.—Non.Ill'afermée.Enfait,elleabrûlé,justeavantqu'iln'épouseladyHero.— Je suis ravie de l'apprendre.Mais s'il avait besoin d'argent, comment fait-il à présent

pourengagner?— Je n'en sais rien, avoua Godric. N'oubliez pas que nous n'avons pas été en très bons

termes,touslesdeux,cesdeuxdernièresannées.Celadit,jesuisconvaincuqueladotdeladyHeroétaitlargementsuffisantepoursubvenirauxbesoinsducouple.Unepenséeterribletraversal'espritdeMeg.—Etmadot?Était-ellesuffisante?—Votrefrèrenem'apasproposédedot.Elleécarquillalesyeux.—Mais...Illevalamainpourarrêtertouteautreprotestation.—Peuimporte.Jepossèdeassezd'argentpourmepasserdevotredot,Meg.Megétait conscientequ'elleauraitdûse satisfairede sa réponse.Cependant, elle jetaun

regardirritéaupommier,avantdesoupirer.— Je suis désolée d'avoir ignoré tout cela. Vous avez dû être très furieux quemon frère

vousobligeàm'épouser.Ellecoulaunregarddiscretverslui.Ilhaussalesépaules.—Jevous l'aidéjàdit.J'étais furieuxcontrevotre frère,oui,pascontrevous.Après tout,

vousépousern'étaitpasuneépreuvesiterrible.Un compliment forcé valaitmieuxquepasde complimentdu tout, voulut se réconforter

Meg.—Jenecomprendspasqu'ilnem'aitpasavertiedesdifficultésquenoustraversions.—Jesupposequ'ilcherchaitàvousprotéger?Megseretintderépliquervertementàproposdesgentlemenquipensaient«protéger»les

femmesenleslaissantdansl'ignorance.Aumoins,Godricluiavaitditlavéritésursonfrèreetcettehistoirededistillerieclandestine.Ellesoupiraencore,avantdes'écarterdel'arbre.—Ilfautquej'aillevoirsiDanielleapréparémarobepourlethéâtre.Maisalorsqu'ellevoulaits'éloigner,Godricl'arrêtaenluiprenantlamain.Megsefigea.Illâchasamain,commes'ils'étaitbrûléavec.Etils'humectaleslèvres.SiMegnel'avaitpasmieuxconnu,elleauraitditquesonmariétaitintimidé.

Page 92: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—J'étaisvenuvousdirequelquechose.Ellehaussaunsourcil.—Oui?—J'aidécidé...commença-t-il,enplongeantsonregarddansceluidesafemme.Enfin,voilà

:j'aimeraisconsommernotremariagecesoir.Elleavaitobtenucequ'elledésirait:queGodricl'acceptedanssonlit.Alors,pourquoicette

perspectivelarendait-ellesinerveuse?Un éclat de rire monta du public et Meg reporta son attention sur la scène, où une

ravissanteactrice,déguisée en jeunehomme, se livrait àdesmimiquesdésopilantes.Hero,assise à côté de Meg, riait de bon cœur. Même Griffin semblait beaucoup s'amuser. Enrevanche,Godricnesouriaitpas.Était-ilaussinerveuxqueMegàproposdecequisepasseraitensuite?Ils avaient tous les quatrepris placedansune loge élégante en surplombde la scènedu

théâtredeverduredesFoliesHarte.L'intérieurdelalogeétaittendudeveloursrougeetunebalustrade dorée bordait le côté donnant sur la scène. Une petite table était garnie deprovisions :duvin,des fruits,despetits-fours...Megétaitconvaincueque la locationd'unetelle logedevait coûterune fortune.SiGriffinavait connudesdifficultés financièrespar lepassé,celanesemblaitplusêtrelecasaujourd'hui.D'unautrecôté,mêmeavantd'épouserHero, iln'avait jamaisdonnél'impressiond'êtreà

courtd'argent.Megsoupira.Elleauraitvoulus'entretenirenprivéavecsonfrère.Decette façon,ellene

penserait plus à cette histoire d'argent au moment de rentrer à la maison, quand Godricvoudraitd'elle.Lajeunefemmerisquaunregardendirectiondesonmari.Ilportait,cesoir,unensemble

couleurcafé.L'ourletdesesmanchesdevesteetlesrabatsdesespochesétaientgansésd'or.Dessous, un gilet bleu argenté épousait son torse,mettant en valeur son ventre plat.Megavaitpul'entrevoirtorsenuetelleavaitététroubléeparcespectacle.Commentétait-ilnu?Ilparuts'apercevoirqu'ellel'observait,cariltournaunbrefinstantleregardverselle.Une

ondedechaleuremportalajeunefemme.Ilsemblaitméditerlafaçondontilallaitladévorertout cru.Meg, sans réfléchir, entrouvrit les lèvres. Il regardadenouveaudans sadirection,s'intéressabrièvementàseslèvres,avantdelafixerdroitdanslesyeux.Etcettefois,Megenoubliaderespirer.Lepublicapplauditsoudain.Megsursauta.—Voulez-vousquej'aillevouschercherdesglaces,avantledébutdeladeuxièmepartie?

demandaGriffinàlacantonade.Herosouritàsonmari.—Oui,s'ilteplaît.GriffinhochalatêteetsetournaversGodric:—Vousm'accompagnez?Godrichaussalessourcilsmaisilselevasansbroncher.HerotenditlamainàMeg:—J'aperçoismonfrère,enface.Voulez-vousvousjoindreàmoipourallerlesaluer?—Oui,biensûr.Megselevaàsontour.ElleregardaavecanxiétéGodricquitterleurloge.—Nevousinquiétezpas,larassuraHero,luiprenantlebraspourgagneravecellel'autre

extrémitéduthéâtre.GriffinetGodricfinirontparfairelapaix.

Page 93: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Lecouloirdesservantleslogess'étaitdéjàremplidemonde;lesspectateursprofitaientdel'entracte pour s'échanger des politesses entre connaissances ou parader dans leurs beauxatoursdesoirée.—J'aimeraispartagervotreassurance.Heroluiétreignitlamainensignederéconfort.—Griffinnousaimebeaucouptouteslesdeux.EtGodricesttrèséprisdevous.Ilsontl'un

etl'autred'excellentesraisonsdemettreuntermeàleurquerelle.Megécarquillalesyeux.—Qu'est-cequivousfaitcroirequeGodricest«épris»demoi?Herolaregardad'unairamusé.—Celasauteauxyeux,enfin!Àvotrearrivée,ilaprissoinquevousayezlemeilleursiège,

juste à côté de moi, pour que nous puissions bavarder à notre aise. Il vous a offert uneassiettedepetits-fours etde raisin,parcequ'il saitquevousaimez le raisin.Le simple faitqu'ilvienne icicesoirestunsigne.Jedoisvousavouerque jem'attendaisplutôtàcequ'ildéclinemon invitation. Ces dernières années, il s'est comporté en véritable ermite. Il étaittrèsrarequ'ilsemontreensociété.Toutcequ'ilafaitcesoirétaitpourvous.Megn'encroyaitpassesoreilles.Herodisait-ellevrai?Godricéprouvait-ildessentiments

pourelle?Aprèstout,ilavaitaccédéàsarequêtedeluifaireunenfant.D'ailleurs,yrepenserla faisait rougir immanquablement. Quand elle avait échafaudé, à LaurelwoodManor, sonprojetdeveniràLondrespourséduiresonmari,celui-cin'étaitguèrequ'unefigureabstraite.Meg n'avait aucun rapport avec lui, sinon par le truchement de ses rares, et toujours trèscourtes lettres. S'unir à une figure abstraite ne lui avait pas semblé une épreuveinsurmontable.Enrevanche,partagerlacouchedeGodricétaitunetoutautrehistoire.Désormais,sonmariétaitbienréel.Unhommedechairetdesang.Unhommecapablede

sentiments,mêmes'ils'ingéniaitàlescacher.Ettoutàcoup,Megréalisaquesessentimentsàelleaussipouvaientchanger,serévélerlorsdecettenuitavecGodric.Lajeunefemmesesentaitdeplusenplusembarrassée.Ellen'avaitpaspenséàcela.Roger

avait été l'amour de sa vie.Meg souffrait encore quotidiennement de sa disparition. Pouravoirunenfant,ellen'avaitpasd'autremoyenquedesedonneràGodric,maisellenevoulaitrien éprouver pour lui. Le moindre début d'attachement lui paraîtrait une trahisoninsupportableenversRoger.Heroluiétreignitdenouveaulamain.—Oh,lavoilà!Meghaussalessourcils.—Quicela?—HippolytaRoyle,murmuraHero.Ladameaveclaroberoseetmarron.Megsuivitdesyeuxlediscretsignedetêted'Heroetrepéraunefemme,seule,quiscrutait

la fouledu couloir.Ellen'avaitpas, àproprementparler,unbeauphysique,mais son teinthâlé,sesmagnifiquescheveuxnoirsetsonportdereineattiraientindiscutablementleregard.—Quiest-ce?voulutsavoirMeg.Heros'esclaffa.—Vousnemeposeriezpaslaquestionsivousn'étiezpasrestéeterréeaussilongtempsàla

campagne.MlleRoyleestunehéritièrepourlemoinsmystérieuse.Elleasurgidenullepartil y a environdeuxmois.Certains prétendent qu'elle a grandi en Italie, d'autres qu'elle estoriginaire des Indes orientales. Quoi qu'il en soit, elle me donne l'impression d'être une

Page 94: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

femmefortintéressante,maisnousn'avonspasencoreétéprésentées.Aumême instant,MlleRoyle abandonna sonposte d'observationpour s'éloignerdans le

couloir.—Etilsembleraitquecenesoitencorepaspourcesoir,poursuivitHero.Jenevoispasqui

pourraitnousprésenterdanslesformes.Ah,voicilalogedeMaxime.HeropoussalaportedelalogeetMeglasuivitàl'intérieur.Elleétaitdisposéefaceàcelle

deGriffin,etellepermettaitdoncdevoirl'autreextrémitédelascène.La loge était aussi richement décorée que celle deGriffin - peut-êtremême avec encore

plusdeluxe.Deuxfemmess'ytrouvaientassisescôteàcôteetlaplusâgéedesdeuxtenditlebrasendirectiond'Hero.—Vousvoilà,machère!luilançaMlleBathildaPicklewood.MlleBathildaPicklewoodavaitélevéseuleHeroetsapetitesœur,Phoebe,aprèslamortde

leurs parents. C'était aujourd'hui une femme d'un certain âge, au physique replet. Sescheveux grisonnaient, mais elle continuait de les porter en anglaises sur le front. Et elleserraitsursesgenouxunpetitépagneulKingCharles.HeroembrassaMllePicklewoodsurlesdeuxjoues.—Commentvousportez-vous,cousineBathilda?—Plutôtbien,ma foi, réponditMllePicklewood.Mais cela faituneéternitéquevousne

m'avezpasamenélepetitWilliamenvisite.L'épagneulpoussaunaboiement,commepourappuyersespropos.—Jevaiscorrigermonerreursanstarder,réponditHeroavecunsourire.Quediriez-vous

dedemainaprès-midi?—Ceseraitmagnifique!—Quiestavecvous,Hero?demandal'autrefemme.MegsentitsoncœurseserrerenreconnaissantladyPhoebeBatten.Meg s'approcha,dans l'espoirque lesquelques chandellesde la loge l'aideraient àmieux

voir.—C'estmoi,Phoebe,Meg.—Oh,oui,biensûr,s'excusapresquePhoebe.Aimez-vouslapièce?Elle regardait le visage deMeg,mais celle-ci avait la douloureuse impression qu'elle ne

distinguaitpasvraimentsestraits.—Beaucoup,assuraMeg,alorsqu'elleavaitàpeineprêtéattentionaupremieracte.Cela

faisaitsilongtempsquejen'étaispassortieauthéâtrequecettesoiréeestunefête.— Robin Goodfellow est tellement formidable, dit Mlle Picklewood, parlant de l'actrice

déguiséeenhomme.J'aimetouteslespiècesdanslesquellesellejoue.—HarteaétébienavisédedébaucherMlleGoodfellowduThéâtreRoyal,ditunevoixdans

leurdos.MegetHeroseretournèrentd'unmêmemouvementpourdécouvrirMaximeBatten,leduc

deWakefield,àlaportedelaloge,uneglacedanschaquemain.—Sij'avaissuquevousétiezlà,j'auraisapportéd'autresglaces.— Griffin et M. Saint-John sont partis nous en chercher, répondit Hero. Maxime, tu te

souviensdeladyMargaret,j'imagine?—Naturellement, fit le duc, s'inclinant avec beaucoup d'élégance,malgré les glaces qu'il

tenaitàlamain.—VotreGrâce,lesaluaMegavecunerévérence.

Page 95: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

ElleentendaitparlerduducdeWakefielddepuisdesannées,carilétaitl'alliépolitiquedeson frère Thomas,mais elle le connaissait très peu. Suffisamment, cependant, pour l'avoirtoujourstrouvétrèsintimidant.—TuconnaisHarte?demandaHero,intriguée,àsonfrère,avantdeluiprendreuneglace

desmainspourladonneràladyPhoebe.—Paspersonnellement,réponditleduc,quioffritl'autreglaceàMllePicklewood.Dureste,

jenesuispassûrquele«Harte»desFoliesHarteexisteenchairetenos.Jeneseraispassurpris d'apprendre que cette appellation désigne en réalité un regroupement d'hommesd'affaires.Quoiqu'ilensoit,c'étaituneexcellenteidéededébaucherMlleGoodfellow-àprixd'or, prétend la rumeur. Ce théâtre de verdure avait besoin d'une actrice de renom pourattirerlepublic.—EtMlleGoodfellowestl'actricelapluscélèbredumoment,renchéritlevicomted'Arque,

enfaisantirruptiondanslaloge.Bonsoir,VotreGrâce.—Bonsoir,d'Arque,réponditleduc,sansprêtervraimentattentionauvisiteur.Levicomtesaluaensuitelesdames.EtterminaparMeg.—LadyMargaret, vous êtesparticulièrement enbeauté, ce soir, lui dit-il, avecun regard

appréciateur.Et il luiprit lamainpour labaiser.Megécarquilla lesyeux.Car,derrièred'Arque,venait

d'entrerGriffin...suivideGodric.— L'entracte touche à sa fin, murmura Artemis Greaves. Nous devrions retourner dans

notreloge.—Maisnon!protestaladyPénélope,avecunmouvementagacédesatêtequifitmiroiter

lesjoyauxépinglesdanssachevelure.Jen'aipasencoresaluéleducdeWakefield.Artemis soupira en silence et, Bonbon dans ses bras, elle suivit lady Pénélope dans le

couloirquidesservait les loges.Lapetite chienneaupelageblancavait finipar s'endormir.Artemisauraitbienaimé,unefoisdeplus,queladyPénélopefassepreuved'unpeudebonsens. Bonbon devenait trop vieille pour être traînée partout. La malheureuse avait glapiquandArtemisl'avaitsortiedelavoiture.Probablementsouffrait-ellederhumatismes.—Jenecomprendsvraimentpaspourquoitoutlemondelatrouvefascinante,marmonna

ladyPénélope,tirantArtemisdesespensées.—Quicela?—Maiselle !s'irrita ladyPénélope,désignantunefemmequivenaitdes'engouffrerdans

uneloge.CetteHippolytaRoyle.Quelnomridicule,entrenoussoitdit!Ellealapeauaussifoncéeque lessauvagesafricains,elleestgrandecommeunhommeetellen'estmêmepastitrée!— En revanche, il se murmure qu'elle est fabuleusement riche, répondit Artemis, sans

réfléchir.Pénélopesetournavivement.Sesyeuxlançaientdeséclairs.Oh,monDieu!—Jesuisl'héritièrelaplusriched'Angleterre,sifflaPénélope.Toutlemondelesait.—Biensûr,acquiesçaArtemis,quicaressaitBonbon.Pénélopesoupirad'exaspération,avantdeseradoucirsubitement,enapercevantlaportede

lalogeduduc.—Ah,nousvoiciarrivées.

Page 96: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Pénélopepoussalaportepourentrer-oudumoins,essayerd'entrer,carlalogeétaitdéjàfort encombrée. Dans son dos, Artemis aperçut, par la porte ouverte, lady Hero, ladyMargaret, lady Phoebe,Mlle Picklewood, lord Griffin et le duc lui-même. Sans oublierM.Saint-Johnetlevicomted'Arque,quisemblaientsedéfierduregard.Voilàquipromettaitunefindesoiréeanimée.Pénélope disait quelque chose pour attirer l'attention des messieurs. Artemis en profita

pourseglisserjusqu'àladyPhoebeets'asseoiràcôtéd'elle.Phoebesetournaverselleetrenifladiscrètement.—C'estvous,Artemis?—Oui.Artemisn'étaitpaspeu fièred'elle :quandelle s'étaitaperçueque ladyPhoebeseservait

parfoisde sonodoratpour identifier les gens, elle avaitdécidéde toujoursporter lemêmeparfum-àbased'essencedecitronetde laurier.Elle sedoutaitque ladyPhoebenevoyaitpratiquementrienquandlalumièreétaittamisée,commecesoirauthéâtre.—J'aiapportéBonbon,précisaArtémis.Maisellen'estpasengrandeforme.Jecroisqu'elle

adesrhumatismes.—Oh, la pauvre, fit lady Phoebe, caressant la petite chienne.Que se passe-t-il entre ces

messieurs?Jelessenstendus,depuisl'arrivéedelordd'Arque.ArtemissepenchaversladyPhoebepourluichuchoteràl'oreille:—L'autresoir,aubaldesKershaw,lordd'ArqueaflirtéavecladyMargaret,etsonmari,M.

Saint-John,enaprisombrage.Çaabienfaillifaireunscandale.—Vraiment?s'amusaladyPhoebe.ElleavaitbeauêtrelasœurdeladyHero,lesdeuxfemmesétaienttrèsdifférentesl'unede

l'autre.AutantHeroétaitgrandeetmince,autantPhoebeétaittrapueetbienenchair.— J'aurais voulu assister à la scène, ajouta-t-elle, et cette fois son sourire devint unpeu

triste.J'espèrequevousnem'envoudrezpasdel'avoueraussifranchement?Àl'exceptiondequelquesraressoiréesoùsafamillel'accompagnait,ladyPhoebenesortait

jamaisdanslemonde.Artemisluitapotaaffectueusementlegenou.—Maispasdutout,machère.Sicesmessieursnenousoffraientpas ladistractiondese

querellerdanslesbals,jeseraisdepuislongtempsmorted'ennui.Phoebes'esclaffadiscrètement.—Quefont-ils,àprésent?—Riendeparticulier.LadyPénélopes'estemparéedelaconversation.J'aibienpeurqu'elle

n'aitjetésondévolusurvotrefrère.—Ahbon?—Oui.Maisjedoutequ'elleaitlamoindrechance.Phoebehaussalesépaules.—Ni plus nimoins qu'une autre, j'imagine.Mon frère finira bien par semarier. Et lady

Pénélopeestunerichehéritière.Ilpourraitprendrecetaspectenlignedecompte.— Vous croyez ? murmura Artemis, qui regardait le duc écouter lady Pénélope d'un air

distraitpournepasdireennuyé.Pourtant,ilnemedonnepasl'impressiond'êtrecaptivéparelle.— Maxime n'est captivé que par la politique et sa guerre contre le commerce du gin,

répliqua Phoebe, qui paraissait tout à coup plus mûre que son âge. Il ne lui reste plus

Page 97: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

beaucoupdetempsnid'énergieàconsacrerauxfemmes.—JemedemandesiladyPénélopeaconsciencedetoutcela?—Elles'enmoque.Ellenes'intéressequ'àsontitrededuc,pasàl'hommequileporte.—Vousavezprobablementraison,acquiesçaArtemis,nonsansunecertainetristesse.LadyPénélopeoffritauducunsourireséducteur,frôlasamancheetsetournaverslaporte

delaloge.Artemiscompritqu'ilétaittempsderepartir.ElleserraBonboncontreelle.— Je dois déjà vous quitter, dit-elle à lady Phoebe. Mais ce fut un plaisir de bavarder

quelquesminutesavecvous.LadyPhoebeluisourit.—Profitezbiendelafindelapièce.ArtemissedépêchaderejoindreladyPénélopedanslecouloir.—Avez-vousvucommentleducétaitsuspenduàmeslèvres?luidemandacelle-ci.—Ohoui,mentitArtemis.—C'estundébutprometteur,déclaraladyPénélope,avecunesatisfactionmanifeste.—J'ensuistrèsheureusepourvous,réponditArtemis,quisavaitquelorsqueladyPénélope

étaitdebonnehumeur,elleétaitplusdisposéeàluiaccordercertainesfaveurs.Pensez-vousquejepourraisavoirmamatinéedevendredi?risqua-t-ellesuruntonléger.Pénélopefronçalessourcils.—Pourquoifaire?Artemisavalasasalive.—C'estlejourdesvisites.—Jevousaidéjàexpliquéquevousdevriezl'oublier.Artemis garda le silence, car riende cequ'elle aurait pudiren'aurait servi sa cause.Elle

avaitdéjàessayéparlepassé,sanssuccès.Sacousinefinitparsoupirer.—Bon,c'estaccordé.—Merci.Je...MaisPénélopen'étaitdéjàpluspréoccupéequedesespropresaffaires.— J'ai vu que le duc avait fixé aumoins une foismon décolleté. Voilà certainement un

pointaveclequelMlleRoylenepeutpaslutteravecmoi.Elleestaussiplatequ'ungarçon.Artemishaussalessourcils.192—J'ignoraisqueMlleRoyleétaitencompétitionavecvous?— Ne soyez pas naïve, cousine, répliqua Pénélope, alors qu'elles réintégraient leur loge.

Toutecandidateaumariagesusceptibled'avoiruncertainsuccèsensociétévisel'attentionduducdeWakefield.Heureusement,nousnesommespastropnombreusesdanscecas.Pénélope se laissa choir dans son fauteuil juste quand le rideau se relevait. Artemis prit

placeàcôtéd'elle.Lepremieractedelapièces'étaitrévéléamusant-pournepasdireosé-etelleétaitimpatientedesavoircommentMlleGoodfellowsetireraitdesasituation.Pénélopes'agitadanssonfauteuiletregardaparterre,puissur latablequiséparait leurs

deuxsièges.—Zut.— Qu'y a-t-il ? murmura Artemis, alors que l'orchestre attaquait un air enjoué pour

marquerlareprisedelapièce.—Jeneretrouveplusmonéventail.J'aidûl'égarerdanslalogeduduc.C'estdommageque

lapiècerecommencedéjà.Sinon, je serais retournée lechercher,cequim'auraitpermisde

Page 98: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

passerunpeuplusdetempsavecleduc.Tantpis.Vousirezàmaplace.Artemissoupiraensilence.—Biensûr.ElleserelevaetcouchaBonbonsursonsiègeavantdequitterlaloge.Aprésent, lecouloirétaitdésertetArtemisgagnarapidementla logeduduc.Elles'arrêta

devantlaportepourreprendresarespirationetvérifier,àtâtons,sacoiffure.Commelaporten'étaitpascomplètementrefermée,ellesurpritcequisedisaitàl'intérieur.—...doitappartenirà ladyPénélope,disait lavoixdeMllePicklewood.C'esttropluxueux

pourArtemis.—Quiça?interrogealeduc.— Artemis Greaves, expliqua Mlle Picklewood. Enfin, Maxime, vous avez bien dû

remarquerqueladyPénélopeavaitunedamedecompagnie?Artemissaisitlapoignéedansl'intentiond'ouvrirlaporteengrand.—Vousvoulezparlerdecettepetitefemmequilasuitpartoutcommeunfantôme?Artemissefigea.Lavoixgraveetmasculineduducrésonnadanssatête.Elles'aperçutque

sesdoigtstremblaientetellelâchalapoignéedelaporte.—Maxime!serécriaMllePicklewood,choquée.—Neniezpasquemadescriptionsoitinjuste,répliqualeduc.Etnemereprochezpasnon

plus de ne pas connaître le nom de cette femme, alors qu'elle semble s'ingénier à seconfondreaveclesboiseriesdesmurs.— Artemis est mon amie, intervint lady Phoebe, d'une voix étrangement ferme pour

quelqu'undesijeune.Artemis inspiraprofondémentet s'écarta, sansunbruit,de laporte.Elle redoutait toutà

coup que celle-ci ne s'ouvre toute seule et qu'on la découvre en train d'espionner leurconversation.Puisellerebroussacheminversleurloge.LesparolesaimablesdeladyPhoebeauraientdû

laconsoler.Aprèstout, ilétait logiquequ'unhommetelqueleducnes'intéressepasàunefemmecommeelle.Maiselleavaitbeauserépétercela,Artemissesentaitblesséeauplusprofonddesonâme.

***

Pourunhommequiseglorifiaitvolontiersdesonintelligence,Godricsereprochaitd'avoir

missilongtempsàcomprendrepourquoiMegtenaittantàparleràlordd'Arque.Cen'estquelorsqu'ilsseretrouvèrenttousdanslalogeduducdeWakefieldquelalumièresefitdanssonesprit : « Roger Fraser-Burnsby doit vous manquer », chuchotait sa femme à l'oreille duvicomte.D'ArqueavaitétélemeilleuramideFraser-Burnsby.C'étaitd'ailleurslorsd'unbalchezle

vicomtequelanouvelledumeurtredeFraser-Burnsbyavaitéclaté.Megnes'intéressaitàluiquecommeàuninformateurpotentiel.Ellen'avaitjamaiseul'idéed'enfairesonamant.UnefoisqueGodriceutenfincompriscelaetquesajalousiedemâlesefutcalmée,ilput

denouveau réfléchir.D'Arquen'avaitpas seulementété l'amideFraser-Burnsby, il figuraitégalementdanslapetitelistedesuspectsévoquéeparWinterMakepeace.Iln'étaitdoncpasimpossiblequelevicomtesetrouvâtderrièrelabandedesKidnappeurs.

Page 99: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Aussi,dèsqu'ilsquittèrent la logeduduc,Godric, ignorant laréactioninquiètedeMegetcelle,presquefurieuse,deReading,serapprochaduvicomtepourl'inviterdansleurloge.D'Arqueneput se retenirdemanifesterunbref instant sa surprise, avantd'accepter son

offre.Et voilà comment Godric se retrouvait maintenant assis entre les deux hommes qu'il

appréciaitlemoinsaumonde.La pièce reprenait déjà et Meg et lady Hero, assises côte à côte devant les messieurs,

concentrèrentleurattentionsurlascène.D'Arqueattenditquelquesinstants,avantdemurmurer:—Votrecourtoisiem'étonne,Saint-John.Dois-jem'attendreàuncoupdepoignarddansle

dospendantquejeregarderaijouerlesacteurs?Godricse tournavers lui, levisage impassible. IlpouvaitcomprendrequeMegchercheà

obtenirdesinformationsdecebellâtre,maiscelan'excusaitpasl'attitudeduvicomteenverssafemme.—Peut-êtrepensez-vouslemériter?Griffin,assisdel'autrecôtéduvicomte,soupiralourdement.—Probablement lemérite-t-il,Saint-John.Mais cela fâcherait cesdamesque la loge soit

inondéedesang.Unéclatde riremontadupublic.Les acteurs avaientdû se livrer àunenouvelle facétie.

Godrics’éclaircitlavoix.—Enfait,jevoulaissimplementsavoircequevousaviezditàmafemmeàproposdeRoger

Fraser-Burnsby.D'Arqueseraidit.—Jeluiaiditlavérité:queRogeravaitétél'undemesmeilleursamis.Godrichochalatête.—Quesavez-vousdesamort?Levicomteplissalesyeux.C'étaitundébauchénotoire,unhommequisemblaitpasserses

jours -et ses nuits - à séduire les femmes, mais Godric savait qu'il n'était pas idiot. Ils'attendait plus oumoins à ce que d'Arque lui réponde par une autre question - pourquoil'interrogeait-il sur la mort de Fraser-Burnsby ? Mais d'Arque se contenta de hausser lesépaules.—Toutlemondesaitquec'estleFantômedeSaint-Gilesquil'atué.GodricsentitleregardaiguisédeGriffinpesersurlui.—Maisc'estfaux,dit-il.—Qu'ensavez-vous?répliqualevicomte.Sontonétaitironique,maissacuriositésemblaitpiquée.—Jelesais,c'esttout,réponditGodric.Quelqu'unatuéRogerFraser-Burnsbyetatrouvé

commoded'enfaireporterlaresponsabilitéauFantômedeSaint-Giles.—Mêmeàsupposerquecelasoitvrai,quelrapportavecvotreépouse?Readingparutvouloirdirequelquechose,maisGodricfutplusrapide:—ElleappréciaitbeaucoupFraser-Burnsby.Etelleestdéterminéeàretrouversonassassin.—Quoi?s'exclamaReading,àhautevoix.Les deux femmes, devant eux, esquissèrent unmouvement, comme si elles voulaient se

retourner pour voir ce qui se passait. Heureusement, au même instant il se produisit unévénement,surlascène,quicaptivalepublic.

Page 100: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Godricattenditd'êtrecertainquelesdeuxfemmesfussentconcentréessurlapièce,avantderétorqueràReading:—Vousl'auriezapprisparvous-mêmesivousaviezdemandéàvotresœurlaraisondeson

retouràLondres.Readings'empourpra.—Mesrelationsavecmasœurnevousregardentpas.—Aucontraire,luirenvoyaGodric.Jevousrappellequec'estvousquiavezsignélecontrat

demariage.—Cette conversation est passionnante,messieurs, ironisa lordd'Arque.Maispardonnez-

moidem'intéresseràmonami.QuiatuéRoger,sicen'estpasleFantôme?—Jel'ignore,avouaGodric.Levicomtes'adossaàsonfauteuiletsecaressaunmoment lementon,avantdereporter

sonattentionsurGodric:—Sivotreassertionestfondée-cedontjemepermetsdedouter-,celavoudraitdirequ'il

nes'agissaitpasd'uneagressioncrapuleuse.Quelqu'unauraitdélibérémentassassinéRogerpourensuitedéguisersoncrimeenfaisantaccuserleFantôme.Godrichochalatête.—Maisc'estimpossible,murmurad'Arque,commes'ilseparlaitàlui-même.Rogern'avait

pasd'ennemis.Toutlemondel'aimait.Sonsourireavaitraisondespiresmisanthropes.Jenevoisvraimentpasquiauraitpuvouloirletuer.—Iln'yapaseudetémoins?demandaReading.D'Arquesetournaverslui.—Si.UnvaletdeRoger.C'est luiquinousapprit lanouvelle, lesoiroùjedonnaisunbal

chezmoi.—L'avez-vousinterrogé?demandaGodric.— Assez brièvement, concéda le vicomte. Il s'appelait Harris. Il a disparu quelques

semainesplustard.UnmotnousestensuiteparvenupourdemanderquesesaffairessoientexpédiéesdansunetavernedeSaint-Giles.LatavernedelaChèvre.—Cevaletavaitpeut-êtreétéstipendié,suggéraReading.—Travaillait-ildepuislongtempsauservicedeFraser-Burnsby?voulutsavoirGodric.D'Arquesecoualatête.—Non.Rogernel'avaitembauchéquedepuisunmois.Les trois hommes observèrent une minute de silence pour méditer la conclusion qui

s'imposait.—Bon sang !pestad'Arque. J'aipassédesmois à traquer l'assassindeRoger,mais il ne

m'estpasvenuunseulinstantàl'espritquecen'étaitpeut-êtrepasleFantômedeSaint-Giles!L'éclatduvicomtesemblaitsincère.MaisGodricavaitdéjàvudefauxmendiantsverserde

vraieslarmespourattendrirleursvictimes,avantdelessoulagerdeleurbourseetdes'enfuir.—Et votre autre ami, Seymour ? demanda-t-il au vicomte.N'a-t-il pas été, lui aussi, tué

dansSaint-Giles?D'Arquehaussalessourcils.—QuelestlerapportaveclamortdeRoger?Godrichaussalesépaules,carilnepouvaitpasrévélercequ'ilsavaitdelafindeSeymour.Levicomtesoupiraetparuts'intéresseràcequisepassaitsurlascène.MaisGodricétait

Page 101: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

convaincuqu'ilnevoyaitrienduspectacle.—Nousétionsquatreamis,dit-ilfinalement.Kershaw,Seymour,Rogeretmoi.Kershawet

Seymourm'ontaidéà traquer leFantômedeSaint-Giles, jusqu'à... jusqu'à cequeSeymoursoittué.Godric prit note de sa discrétion. Il savait, parWinterMakepeace, que d'Arque avait été

informédescirconstancesdelamortdeSeymouretdesonimplicationdansl'enlèvementdesfillettes.MaislevicomteavaitcontribuéàmasquerlaréalitédesévénementsafindeprotégerlaveuvedeSeymour.Makepeacesemblaitpenserqued'Arquen'avaitpasété impliquédans lapremièreaffaire

d'atelier clandestin. .MaisGodric préférait réserver son jugement pour l'instant. Si d'Arqueavait été l'associé de Seymour, il aurait été logique qu'il fasse un moment le mort pourconvaincreMakepeacequeleréseauétaitbeletbiendémantelé.Puis,unefoisl'horizonéclairai,ilauraitrepris-seul-sesactivitéscrapuleuses.— Il est quand même étrange, observa Godric, que deux amis d'une bande de quatre

meurentassassinésdansSaint-Giles.D'Arquefronçalessourcils,commes'ilméditaitl'argument,avantderegarderGodric.— Croyez bien que je me suis déjà posé la question. Pourtant, aussi étonnant que cela

paraisse,iln'yaaucunlienentrecesdeuxassassinats.Aucun.Un tonnerre d'applaudissements éclata soudain. Puis le public se leva. La pièce était

terminée.LevicomteétreignitfurtivementlebrasdeGodric.—J'aimeraiscontinuercettediscussion.Godricselevaàsontour,alorsqueMegsetournaitverslui,toutsourire.—Nevousinquiétezpas,murmura-t-ilàd'Arque.Nousauronsl'occasiondelareprendre.

Page 102: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

10

« Accrochez-vous bien », dit l'Hellequin, alors qu'il guidait son étalon noir vers l'autreberge.«Vousinquiéteriez-vouspourmasécurité?»luidemandaFoi.L'Hellequinluijetaunregardsardonique.«Vousn'auriezpasintérêtàtomberdanscetteeau.»«Pourquoi?»Ilhaussalesépaules.«Larivièrevousprendraitpourunesuicidéeetvouspasseriezl'éternitéàflotterdedans.»Le grand cheval noir finit par émerger des flots. Foi en profita alors pour pousser

Désespoirdanslarivière.[...]op.cit.

Meg triturait nerveusement les pans de son peignoir. La jeune femme se trouvait seule

danssachambre,sionexcluaitSaGrâceetsespetitsquidormaientsouslelit.GodricetMegn'avaientpaséchangéunseulmotdurantletrajetqui lesavaientramenés

des FoliesHaite. Pour un peu,Meg aurait juré que sonmari était aussi nerveux qu'elle àl'idéedelanuitquilesattendait.C'était idiot.Godricétaitunhomme.Mêmes'ilavaitrefusé jusqu'icidecoucheravecelle

pournepastrahirlesouvenirdesapremièreépouse,ilavaitforcément,entantqu'homme,une visiondumariagebeaucoupplus cavalièrequeMeg.D'ailleurs, lameilleurepreuve enétaitqu'ilavaitbrutalementchangéd'avis.Cependant,Megsedemandaitsiellenesementaitpasàelle-même.Depuissonarrivéeà

Londres,ellen'avaitpasvuuneseulefoisGodricseconduiredemanièrecavalière.C'estdoncqu'ildevaitavoiruneraison-uneraisonbienprécise-pouraccéderàsarequête.Zut!Ellesereprochait,àprésent,denepasl'avoirquestionnédavantagelorsqu'ilssetrouvaientdanslejardin, au lieu de se laisser submerger par la joie. Elle avait soudainement l'intuition qu'ilétait importantqu'elledevinecetteraison,neserait-cequepourmieuxcomprendreGodric.Après cequi allait sepasser cettenuit,Godricdeviendrait réellement sonmari, dans toutel'acceptionduterme.Ceseraitlaconséquencelogiqueetnaturelledeleurunion.SaufqueGodricavaitétéforcéàcemariage...Lajeunefemmesoupiraetconsultapourlacentièmefoislapetitependuledesacoiffeuse.

Ilétaitplusdeminuitetils'étaitécouléunebonneheuredepuisleurretour.Aurait-iloubliésapromesse?S'était-ilendormi?Meg s'approcha sur la pointe des pieds de la porte qui communiquait entre leurs deux

chambres.S'ils'étaitendormi,ellen'auraitpasd'autrechoixquedeleréveiller.Maislaportes'ouvritsoudain.Megsefigea.Sur le coup,Godric parut tout aussi surpris de la découvrir derrière le battant. Il portait

égalementunpeignoir,souslequelMegpouvaitapercevoirsachemisedenuit.Etilavaitauxpiedslesridiculeschaussonsinformesqu'elleluiavaitvuslepremiersoir.Lajeunefemmeseretintàgrand-peinedes'esclaffer.Godricrefermalaportederrièrelui.

Page 103: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—J'aipensé...commença-t-il.Jecroisqu'ilseraitpréférablequenousparlions,avantde...Comme ilhésitaitencore,Alegs'alarma.Avait-ildenouveauchangéd'avis? Il tendit son

bras.—Venez,dit-il.EtilentraînaMegversdeuxfauteuils.Lajeunefemmes'assitetcroisasesmainsdansson

giron.—Sinouspartageonslemêmelit...Megfronçalessourcils.— Si nous partageons le même lit, répéta-t-il, je veux que vous me promettiez quelque

chose.—Quoidonc?— Dès que vous serez enceinte, j'aimerais que vous quittiez Londres. Et que vous

retourniezvivreàLaurelwoodManor.Megenrestabouchebée.C'étaitd'autantplusidiotqu'ellen'étaitvenueàLondresquedans

le seul objectif d'avoir un enfant de son mari. Cependant, elle se sentait blessée par sarequête.—Vousvoulezvousdébarrasserdemoi?—Jevoudraissurtoutvoussavoirensécurité.— Pourquoi serais-je plus en sécurité à Laurelwood qu'ici ? répliqua-t-elle, avant de

comprendretoutd'uncoup.Vousnevoulezpasquejecherchel'assassindeRoger!—Non,eneffet.Megseredressasursonsiège.Elleétaitfurieuse.—Vousnepouvezpasmel'interdire!Ilplissaleslèvres.—Non,sansdoute.Enrevanche, jepeuxrefuserdecoucheravecvous,sivousn'acceptez

pasmonmarché.UnenfantoulajusticepourRoger.Megnevoulaitpasavoiràchoisirentrel'unetl'autre.

Elledésiraitlesdeux.Lesdeuxluiétaientnécessairespourvivre.Lajeunefemmeserelevad'unbondetregardaautourd'elle,cherchantunmoyendefaire

entendreraisonàsonmari.Godricétaitunhommelogique,maisMegsavaitqu'ilétaitaussicapabledesentimentstrèsviolents.Sonamourpoursapremièreépouseentémoignait.Elleseretournaverslui.— S'il s'était agi de Clara, auriez-vous renoncé tant que vous n'auriez pas démasqué son

assassin?Lescommissuresdeseslèvresretombèrent.—Biensûrquenon.Maiscen'estpaspareil.Jesuisunhomme...— Et je suis une femme, le coupa Meg, avec un mouvement exaspéré des bras. Ne

minimisezpasmonamourenraisondemonsexe.J'aimaisRogerdetoutmoncœur.Quandilestmort, j'ai crunepas lui survivre.J'estimeavoir ledroitdechercher sonassassin.Etdem'assurer que Roger sera vengé. Je ne m'arrêterai pas tant que ma mission ne sera pasaccomplie.Arrêtezd'essayerdem'endissuader!Illaregardaunlongmoment,sansriendireetMegsedemandas'iln'allaitpaslaplanterlà

etretournerdanssachambre.Maisfinalement,ilsoupira.—Trèsbien.TantquevousresterezàLondresetquenousessaieronsde faireunenfant,

vouspourrezcontinueràtraquerl'assassindeFraser-Burnsby.

Page 104: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megluidécochaunregardsoupçonneux.—Mais?Carjepariequ'ilyaun«mais».—Mais à la minute où vous saurez avec certitude que vous êtes enceinte de « mon »

enfant,vousrepartirezàLaurelwoodManor,quevousayezounontrouvélemeurtrier.Meg réfléchit. Ce n'était pas vraiment ce qu'elle avait espéré, cependant elle était bien

conscienteque sonmari auraitpu semontrerplus intransigeant.End'autres termes, il luiproposaituncompromis.Mais cela voulait dire qu'elle devrait redoubler d'efforts pour trouver l'assassin, car le

tempsluiseraitcompté.Megredressalementonettenditsamain.—Marchéconclu.Godricesquissaunsourire,avantdeluiserrersolennellementlamain.— Me permettrez-vous, au moins, de vous seconder dans votre quête ? Et de vous

accompagnerdansSaint-Giles?—Oui,biensûr.Ilhochalatête.—Trèsbien.Danscecas, jevousaideraiàdémasquerl'assassindeRogerFraser-Burnsby

aussi longtemps que vous resterez à Londres. Et je vous prendrai toutes les nuits. Maisaussitôt que vous tomberez enceinte, vous retournerez vous abriter à LaurelwoodManor.Noussommesbiend'accord?—Noussommesd'accord.—Toutefois...—Hmm ?murmuraMeg, quelque peu distraite depuis qu'il avait dit « je vous prendrai

touteslesnuits».— Jeme réserve le droit de reprendre cette discussion au sujet de l'assassin de Fraser-

Burnsby, dit-il d'une voix ferme.Nous pourrions trouver, entre-temps, un autremoyen deparvenirànosfins,quinousconviendraitàtouslesdeux.Meg aurait voulu argumenter. Elle était furieuse qu'il cherche déjà à réviser un accord

qu'ilsvenaienttout justedeconclure.Maissamainétaitchaudeetpuissante.Et le litoù ilpromettaitdecoucheravecellesedressaitjusteàcôté...Megattendaitcemomentdepuisqu'elleétaitarrivéeàLondres.Aussihocha-t-ellelatête.—C'estd'accord,puisquevousinsistez.—J'insiste,eneffet.Il tenait toujours lamain deMegdans la sienne. Il se releva et il attira la jeune femme

contrelui.Ellen'eutpas le tempsderéagirqu'ils'emparadeses lèvres.Maissonbaisern'avaitplus

rienàvoiravecceluiqu'illuiavaitdonnédansSaint-Giles.Cepremierbaiseravaitétéviolent,passionné.Cette fois, ilymettaitde ladouceurpournepasdirede lachasteté.Commes'ilvoulaitluidemander,avecseslèvres:Est-cebiencelaquevousvoulez?Est-cebienmoiquevousdésirez?Megavaitl'espritembrumé.ElledésiraitRoger.L'amourdesavie.L'hommeàquielleavait

donné sa virginité en toute connaissance de cause. Et l'homme pour qui elle avait faillimourirdechagrin.Mais les lèvres de Godric étaient terriblement persuasives. Étourdie, Meg entrouvrit la

Page 105: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

bouche.Cependant,quandleurs languessemêlèrent,elleeutunmouvementderecul.C'enétaittrop.—Qu'ya-t-il?demandaGodric.Megdéglutit.—Rien.C'estjusteque...(Ellesemorditlalèvre.)Sommes-nousobligésdenousembrasser

?—Non,sivousn'aimezpascela.—Cen'estpasque...Elle secoua la tête, incapable de trouver une réponse convenable. Elle ne pouvait quand

mêmepasluidirequ'ellenevoulaitpaspenseràluipendantqu'ilss'uniraient.Qu'elleavaitsimplementbesoindesasemence,maispasdelui,Godric.Levisagedesonépouxs'étaitbrusquementfermé.—Riennenousobligeàlefairecesoir,dit-il.—Non.Jeveuxdire...Meg inspira profondément pour tenter de recouvrer ses esprits. Elle sentait bien qu'elle

venaitdebriserquelquechose.Maissiellelelaissaitrepartirmaintenantdanssachambre,ilnesepasseraitprobablementjamaisrienentreeux.—S'ilvousplaît,dit-elle,leregardimplorant.J'enaienviecesoir.Ilgardaunmomentlesilence,levisageindéchiffrable,avantd'inclinerlatête.—Trèsbien.Il lui désigna le lit. Meg se débarrassa consciencieusement de son peignoir avant de se

glissersouslesdraps.Elleneputretenirunfrissonquandsesjambesdénudéesentrèrentencontactavecletissufroid.Godricôtasonpeignoiretseschaussons.Puisils'approchadulitenchemisedenuit.—Préférez-vousquejesouffleleschandelles?—Oui,s'ilvousplaît,acquiesça-t-elle,avecgratitude.Il ne répondit rien et moucha les chandelles les unes après les autres. Le feu dans la

cheminée se mourait lentement et les braises rougeoyantes ne prodiguaient qu'une faiblelueur.GodricsoulevalescouverturespourseglisserdanslelitàcôtédeMeg.La jeune femme se raidit instinctivement. Son mari commença de la caresser à travers

l'étoffedesachemisedenuitd'unemainàlafoistendreetsûre.Ilétaittroptard,àprésent,pourchangerd'avis.MegessayadepenseràRoger.Maiselleeutbeauconvoquersonsouvenir,lescaressesde

Godricl'empêchaientdeseconcentrer.Pourêtresincère,elleyprenaitmêmeduplaisir.Était-elleàcepointpervertie,sedemanda-t-elle,horrifiée,pourréagirainsià lapremière

caressed'unhomme?Sonmari,enrevanche,nesemblaitguèreaffectéparcequ'il faisait.Sarespirationrestait

parfaitementcalme.Ilseredressasuruncoudepour faireglisser lentementsachemisedenuit,dévoilantses

genoux,puissescuisses,puisletriangledesaféminité.Quandileutremontéletissujusqu'àsonventre,ilentrepritdelacaresserentrelescuisses.Samainétaitchaudeetpuissante.Megseretintdegémir.À présent, la respiration de Godric n'était plus aussi calme. Il caressait lentement les

Page 106: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

cuissesdeMeg,s'approchantpetitàpetitdesaféminité.Elleécartalesjambespourl'inviteràseconcentrersurcettepartiedesonanatomie,maisildéclinal'offreetfitremontersamainsurleventredeMeg.PuisilsepenchaverselleetMegcompritqu'ilvoulaitl'embrasser.Maisprobablementse

souvint-ildesapremièretentativedebaiseret ilseravisa.Megfutdéçue.Elleauraitvoulului expliquer qu'elle s'était trompée, tout à l'heure. Qu'elle avait envie, maintenant, qu'ill'embrasse.Mais un tel aveu serait la preuve qu'elle éprouvait des émotions qu'elle s'interdisait de

ressentir.Leurétreinten'étaitdestinéequ'àengendrerunenfant.Riendeplus.LesdoigtsdeGodricluicaressaientàprésentlepubis.Megtournalatêteverslacheminée

pour s'obliger à prendre du recul. Elle avait décidé que ces caresses devaient resterimpersonnelles.Quand ses doigts s'aventurèrent au plus intime de son anatomie,Meg oublia toutes ses

bonnesrésolutions.GodriclacaressalàoùRogeravaitétéleseulàpénétrer,etelleauraitdûserévolter.Mais-queDieuluivienneenaide-,cenefutpasdutoutsaréaction.Elle...elleenvoulaitdéjàplus.Elleauraitvoulu luiprendre lamainpour laguideret lui

montrerqu'elledésiraitqu'illacaresseavecplusdefermeté.Biensûr,ellenefitriendetoutcela,carelleétaitunelady,etparcequ'ilétaitungentleman.Elledevaitsubirsansprotester.S'empêcherdegémiretdecrier.Godric continuait ses caresses avec une lenteur étudiée et Meg s'aperçut qu'elle

commençaitàmouiller.Elle reconnaissait aussi le plaisir qu'elle sentait monter en elle, pour l'avoir déjà

expérimentéavecRoger.Elle...ElleagrippalepoignetdeGodricpouréloignersamain.—Chuut,murmura-t-il.Toutvabiensepasser.Laissez-moi...—Non,gémit-elle.Prenez-moi.Maintenant.Ilsoupira.—Bon,trèsbien.Etils'allongeasurMeg.La jeunefemmesentitquelquechosedefroid,demétallique,sebalancerentresesseins.

Sansdouteunpendentifqu'ilportaitauboutd'unechaîne.Ellesedemandacequepouvaitbienreprésentercebijou,avantderenoncertoutàcoupàréfléchir.SonmarivenaitdereleversachemisedenuitetMegpouvaitsentirsonmembrepalpiter

entresescuisses.Elleserralesdentsettoutsoncorpssetenditinstinctivement.Maissonmariprenaitsontempsetcontinuaitdelacaresser.Megauraitvoululuicrierde

la posséder et d'en finir. Lui ne l'entendait pas de cette oreille. Il la pénétra lentement, seretira, puis recommença, pour s'enfoncer chaque fois un peu plus loin. En fait, il luitémoignaitlamêmesollicitudequesielleavaitétéencorevierge.Megallaitdevenirfolles'ilcontinuaitainsi.Detoutefaçon,cen'étaitpascequ'elleattendait.Elleneluiavaitpasdemandédeluifaire

l'amour.Elleavaitjustebesoindesasemence.

Page 107: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Au moment où elle croyait ne pas pouvoir en supporter davantage, il s'enfonça enfincomplètement en elle. Puis il s'immobilisa quelques instants, son torse pressé contre lapoitrine de Meg, pour reprendre sa respiration. Après quoi, il commença un va-et-vientétourdissant,sansdireunmot.Dansl'obscurité,Megsedemandaquelleexpressionilpouvaitbienavoir.Extase?Concentration?S'ilcherchaitsonregarddanslenoir.S'illahaïssaitpourl'obligeràfairecela.Ellene le touchait pas, s'interdisait ce luxe.Aussi crispait-elle les poingsprèsde sa tête,

torturant son oreiller de ses ongles, tandis que lemembre gonflé de son époux entrait etsortaitenelle.Commes'illuiréclamaitquelquechose.Quelquechosequ'ellerefusaitdeluiaccorder.Soudain,lecorpsdeGodricfutagitédespasmesviolents.Megauraitvoulu...Maisellenereçutquecequ'elleattendait.Sasemence.Godricseretiraetrouladecôté,alorsquesonmembrecommençaitdéjàderamollir.Ilauraitpréféréresterencoreunmomentenelleetpourquoipas,embrassersafemme.Mais Meg lui avait fait clairement comprendre qu'elle ne souhaitait aucune marque

d'affectionetiln'avaitpasl'intentiondelaforcer.Aussisedépêcha-t-ildesereleveretderemonter lescouverturessur lecorpsde la jeune

femme.—Bonnenuit,dit-il.Ilrécupérasonpeignoiretseschaussonsentâtonnant,etilquittalapièce.Deretourdanssachambre, il retrouva la chandellequ'il yavait laisséealluméeavantde

partir.Cette bienheureuse clarté l'extirpad'uneobscurité unpeu trop intime et lui rappelaquiilétait.Etquielleétait.Godricsedirigeaverssapenderie,ouvritletiroirduhautaveclaclépendueàsoncouetil

s'emparadupetitécrinquirenfermaitlesmèchesdecheveuxdesafemme.Godricvoulutlestoucher,maisils'aperçutquec'étaitimpossible:sesdoigtsétaientencorehumidesdelapeaudeMeg.—Pardonne-moi,Clara.Cependant,ilneparvenaitpasàseremémorersonvisage,nimêmelesoncristallindeson

rire.Ilavaitparlédanslevide.Godric agrippa le rebord du tiroir à deuxmains. Clara lui échappait. Il la perdait. Ou il

l'avaitdéjàperdue.Ilseretrouvaitseul.Ilinspiraprofondémentetfouilladanslapiledelettresenvrac,jusqu'àcequ'iltrouvecelle

qu'ilcherchait.

2novembre1739CherGodric,Mercipourl'argentquevousavezmisàmadisposition.J'aifaitréparerletoitetilnepleut

plus dans l'aile est ! Il reste juste une fuite persistante dans la chambre au-dessus de la

Page 108: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

bibliothèque.D'aprèsBattlefield,cettechambreaunehistoire.Uneanciennemaîtressedelamaisonyavaitétéenfermée,aprèsquesonmarisefuténamourédurégisseurdudomaine.Maisbon,voussavezcombienBattlefieldaunsensdel'humourtrèsparticulier!Nous avonsmangé les dernièresmûres de la saison la semaine dernière.Depuis, tout a

gelédans le jardin, sauf les choux frisés -mais jen'ai jamaisbeaucoupaimé les choux.Etvous ? J'avoue que cette période de l'annéem'inspire toujours une étrangemélancolie. Lavégétation s'enfonce dans l'hiver et il ne reste plus aux branches des arbres que quelquesraresfeuillesmortes,quis'accrochentencore,maispourcombiendetemps?Mais assez parlé de l'hiver qui s'en vient ! Sinon, vous allez penser que je suis une

correspondantedéprimanteetvousaurezraison.Hier, j'ai pris le thé au presbytère avec le vicaire et quelques membres de la paroisse.

Figurez-vousquel'onnousaserviunetarteauxkakis.C'étaitassez joliàvoir,quoiqueunpeuameràdéguster.Maiscommeilparaîtquec'estlaspécialitédelafemmeduvicaire,j'aimangémapartaveclesourire.Levicaireetsonépouseviennentd'avoirunautreenfant,ungarçonquin'aguèreplusd'unmois.Quandonmel'aprésenté,mesyeuxsesontembuésetjemesuisforcéeàrire,enprétendantquej'avaisunepoussièredansl'œil.Jenesaispaspourquoijevousracontetoutcela.Me revoilà partie dans mes idées noires ! Je vais surveiller mon humeur et je vous

prometsquemaprochainelettreseraplusréjouissante.Votreaffectionnée,

Meg.

P.S.:Avez-vousessayélatisaneàl'anisetaugingembrequejevousaienvoyée?Jesaisquelemélangepeutparaîtrerévoltant,maisvousverrez,celaferaunbienfouàvotremaldegorge!Le post-scriptum se brouillait devant ses yeux et Godric dut inspirer profondément une

nouvelle fois. S'il avait trahi Clara, c'était pour cette femme. Meg qui gratifiait un vieuxmajordomegrincheuxd'un sensde l'humourétrange.Megquimangeait avec le sourireundessertamerpourfaireplaisiràlafemmeduvicaire.Megquipleuraitàlavued'unbébémaisrefusaitd'avouerpourquoi.Elle méritait d'avoir un enfant. Elle serait une merveilleuse mère, aimante, tendre et

attentive.Godricreplaçalalettredanslapileetrefermaletiroir.Il avait promis àMeg de lui faire un enfant et il tiendrait parole. Quoi que cela pût lui

coûter.MegfutréveilléeparlesbruitsdeDaniellefarfouillantdanssapenderie.Lajeunefemme

dirigeasonregardverslafenêtreetelleconstataquelamatinéeétaitdéjàbienentamée.Puiselles'étiradanssesdrapsetellefituneautreconstatation:elleressentaitunelégèrecrampeentrelescuisses.Godricluiavaitfaitl'amourhiersoir.Megneputs'empêcherderougir.Elleauraitpréféréseréveillerseulepourmieuxassimiler

Page 109: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

cechangementdanssarie.Heureusement,Danielleavaitd'autrespréoccupationsentête.—Nousavonsdelavisite,milady.Megclignalesyeux.Ilétaitdoncsitardquecela?—Delavisite,tuessûre?Danielleavaitsortiunerobedebrocartjaunedelapenderie,maisellesecoualatêteetla

remitàsaplace.—Oui,milady.Troisdames.Megs'assitdanssonlit.—Quidonc?—DesparentesdeM.Saint-John,jepense.—Bontédivine!Meg sauta hors du lit, furieuse après Godric. Pourquoi ne l'avait-il pas informée qu'il

attendaitunevisitedesafamille?Maiselleserappelasoudaindel'étatdeSaintHouseàsonarrivée...Godrics'attendait-ilàunequelconquevisite?Bontédivine!Megfitunetoiletterapideavecl'eauchaudequeDanielleluiavaitapportée.Puisellelaissa

sacamériste luienfileruneroberoseetnoir.La robedataitdeplusieursannéesetMegserépéta, une fois de plus, qu'elle devrait profiter de son séjour à Londres pour rajeunir sagarde-robe.Pour finir, Danielle la coiffa. D'ordinaire, sa camériste mettait facilement trois quarts

d'heurepourdisciplinerlesmèchesrebellesdeMeg.Maiscematin,elledutsecontenterdedixminutes.—Çasuffira,pressaMeg,quis'obligeaitàrestercalme.Ellemouraitd'enviededévalerl'escalieravantquelesparentesdeGodricnepoussentles

hautscrisendécouvrantl'étatdelamaison.—Merci,Danielle.Danielleserecula,àcontrecœur,etMegquittaaussitôtsachambre.Lamaisonétaitparfaitementsilencieuse.Megs'interrogea.Lestroisvisiteusesétaient-elles

déjàreparties?Maisdèsqu'ellearrivaaurez-de-chaussée,MmeCrumb, toujours tiréeàquatreépingles,

l'accapara.—Bonjour,milady.Desinvitéesvousattendentdanslesalonprimevère.Megenrestabouchebée.SaintHousepossédaitunsalonprimevère?—Où...oùest-ce?—Troisièmeporteàgauchedanslecouloir,milady,répondittranquillementMmeCrumb.Megécarquillalesyeux.—Vousvoulezparlerdelapièceavectoutescestoilesd'araignéesauplafond?—Oui,celle-làmême.Megsemorditlalèvre.Sagouvernantel'intimidaitdécidément.—Mais,euh...ellen'apasété...MmeCrumbarquadélicatementunsourcil.—Si,biensûr,elleaéténettoyée,devinaMeg,soulagée.Lagouvernantehochalatête.—J'aiprislalibertédedemanderàlacuisinièredepréparerduthéetdesscones.

Page 110: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megsursauta.—Nousavonsunecuisinière?—Oui,milady.Depuissixheuresdumatin.—Vousêtesuneperle,madameCrumb.Lagouvernanteesquissauneamorcedesourire.—Merci,milady.Meg s'engagea dans le couloir, s'arma de courage pour affronter quelque vieille tante de

Godric. Mais à peine eut-elle poussé la porte du salon primevère qu'elle se détendit endécouvrantlesvisiteuses.—Madame Saint-John ! s'exclama-t-elle. Pourquoi ne pas nous avoir informés de votre

arrivéeàLondres?Megseprécipitapourl'embrasser.Labelle-mèredeGodricapprochaitdescinquante-cinq

ans. C'était une femme bien en chair, qui avait la même chevelure blonde que ses filles,quelquescheveuxgrisenplus.Elleavaitunphysiqueplutôtordinaire,maisuneexpressionsurlevisagequifaisaitviteoublierlereste:ellerayonnait!Megsavait,parlesracontarsdesvillageoisd'UpperHornsfield,quelepèredeGodricétaittombéfouamoureuxdesasecondeépouse.—Nous avons décidé de prendre exemple sur vous,Meg, et de sonner directement chez

Godric,réponditMmeSaint-John,avantdeserasseoirsurlecanapé.—Unpeucommececolporteurquis'estprésentél'autrejourànotreporteetquirefusait

departir tantquequelqu'unne lui aurait pas achetéunmorceaude rubanmiteux,précisaJane,laplusjeunedessœursdeGodric,âgéededix-huitans.—Sesrubansn'étaientpasmiteux,protestaCharlotte,dedeuxanssonaînée.Tuesjalouse

parce que le colporteur est arrivé pendant que tu te promenais dans les champs avec leschiens.—PatetHarrietavaientbesoindesedégourdirlesjambes,fitvaloirJane.Etsesrubans«

étaient»miteux.—Allons, les filles ! lesgourmandaMmeSaint-John.JesuissûrequeMegnes'intéresse

pasàvoshistoires.Enréalité,Megtrouvait laconversationplutôtréjouissante.Elleenviait l'affectionquese

portaient les sœurs Saint-John, même si elles se querellaient souvent. Elle-même n'avaitjamais été proche de sa sœur, Caro. CommeMme Saint-John et ses deux filles habitaientUpper Hornsfield, Meg avait souvent l'occasion d'assister aux relations pour le moinsdynamiquesdeJaneetCharlotte.—J'ignoreoùestSarah,avoua-t-elle.EtaussiGodric.—OnnousaréponduqueGodricétaitdéjàsorti,l'informaJane.EtSarahestintrouvable.— J'étais partieme promener, lança Sarah, depuis le seuil de la pièce. Je viens juste de

rentrer.Deux jeunes soubrettes de l'orphelinat la suivaient, chacune portant avec précaution un

plateau.CharlotteetJanebondirentaussitôtde leurs siègespourembrasser leur sœur, commesi

ellesne l'avaientpasvuedepuisdesmois.AlorsqueSarahetMegn'étaientàLondresquedepuisunesemaine.Mme Crumb dirigea les deux soubrettes et les aida à décharger les plateaux, avant

d'interrogerMegduregard.Commecelle-cihochaitlatête,satisfaite,lagouvernanterepartit

Page 111: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

aveclesdeuxfillettesetrefermalaportederrièreelle.—Bonjour,mère,ditSarah,ensepenchantpourembrasserMmeSaint-Johnsur la joue.

Quellesurprise!—C'étaitl'idée,réponditMmeSaint-John.—Commentcela?—Ehbien,puisqueGodricnefaisaitpasunpasdansnotredirection,j'aidécidéquec'étaità

nousdenousmanifester.Merci,machère.MmeSaint-JohnpritlatassedethéqueluitendaitMeg,quiavaitprissoind'ydéposertrois

morceauxdesucre,carellesavaitquelabelle-mèredeGodricbuvaitsonthétrèssucré.—En outre, repritMmeSaint-John, après avoir goûté à son thé, les filles ont besoin de

nouvellesrobes.SurtoutJane,puisqu'elleferasesdébutsmondainsàl'automne.—Parfait,ditMeg.Jeprévoyais justementdemerendrechezunecouturière.Nous irons

ensemble.—Çavaêtremerveilleux!s'extasiaJane,sautillantsursonsiège.Entoutcas,ceseraplus

amusantquederendrevisiteàcevieuxronchondeGodric,continua-t-ellesursalancée,sansremarquerquelaportedusalonvenaitdeserouvrir.—Jane!murmuraMeg,d'untoncomminatoire.Troptard!—J'ignoraisquenousattendionsdelavisite,lançaGodric,depuislaporte.Megsemorditlalèvre.Sonmarisemblaitfurieux.

Page 112: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

11

«Est-celàl'Enfer?»demandaFoi,quiregardaitlabergerocailleusequ'ilsabordaient.«Non»,réponditl'Hellequin.S'était-ilaperçuqu'elleavaitpousséDésespoiràl'eau?Entoutcas,iln'enditrien.«Nousavonsencoreunlongvoyageàfaire,ajouta-t-il.Devantnous,sedresse lepicdesMurmures.» Ilpointadudoigtune lignedemontagnesqui seprofilaitàl'horizon.«Êtes-voussûredevouloircontinuer?»«Oui»,réponditFoi.Ilhochalatêteetéperonnasoncheval.[...]

op.cit.CevieuxronchondeGodric.Jane n'avait rien inventé. Godric avait conscience d'être ronchon. Et vieux, il l'était sans

douteauxyeuxde sa jeunedemi-sœur.Toutétait relatif,bien sûr,mais il avait trente-septans,soitdix-neufansdeplusqueJane,quin'enavaitquedix-huit.Ilauraitpuêtresonpère.Lefosséquilesséparaitnepourraitjamaistotalementsecombler.—Bonjour,Godric, s'exclamasabelle-mère, avantde se lever.Cela faitplaisirde te voir,

ajouta-t-elle,enlerejoignantpourluiprendrelamain.Commechaquefoisqu'ilssecroisaient,Godricéprouvaàsonégarddessentimentsmêlés.

Delaculpabilité,maisaussiuncertainressentiment.Sabelle-mère luidonnaittoujoursunpeul'impressiond'êtreredevenuungamin,etildétestaitcela.—Bonjourmadame,dit-il,conscientquesontonétaittropraide.Àquoidois-jeleplaisirde

votrevisite?Ellelevalesyeuxversluietelleledévisageaunlongmoment.—Nousvoulionstevoir,dit-ellefinalement.—Etnousavonsbesoindenouvellesrobes,ajoutaJane,unenotededéfidanslavoix.Cependant,elleétaitrestéeprudemmentderrièresamère.Godrichochalatête.—Combiendetempscomptez-vousrester?—Unequinzainedejours,réponditsabelle-mère.—Ah,fitGodric.EtsentantleregarddeMegposésurlui,ilrisquauncoupd'oeilendirectiondesafemme.Safemme,dontilavaitpartagélelitcettenuit.Elle portait une robe rose très élégante et imprimée demotifs bleus. Elle se tenait bien

droite dans un fauteuil et elle le regardait avec une anxiété perceptible. Godric la trouvaabsolument ravissante. Si sa belle-mère et ses demi-sœurs ne s'étaient pas trouvées là, ilauraitprisMegdanssesbraspourlaconduireàl'étageetillui...Mais,non.Elleluiavaitclairementfaitcomprendrequecen'étaitpascequ'ellecherchait.Àsesyeux,ilneseraitjamaisqu'unétalon,chargédelasaillie.Godrics'obligeaàreportersonattentionsurlaconversation.—Aimeriez-vousquejevousaccompagnedanslesboutiques?

Page 113: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ducoindel'œil,ilvitMegentrouvrirlabouchesouslecoupdelasurprise.Jane,commec'étaitprévisible,voulutrépondremais,d'unregard,samèreluiintimadese

taire.PuisellesouritàGodric.—Oui,ceseraittrèsagréable.Godric hocha la tête.Meg le gratifia d'un sourire reconnaissant, avant de lui tendre une

tassedethé-uneboissonàlaquelleiln'avaitjamaistémoignéungrandintérêt.Maisilbutvolontiersunegorgéeetilprofitadecequelesfemmesavaientreprisleurbavardagepourlesobserver.Megsemblaits'êtretrèsliéeàsabelle-familledepuisqu'ellevivaitàLaurelwoodManor.Au

fond,cen'étaitpastrèssurprenant,puisquesabelle-mèreetsesfilleshabitaientlevillaged'àcôté,oùsetrouvaitlamaisondouairière.Jane,Charlotte,SarahetMegréuniesformaientuntrèsjolitableau,lescheveuxnoirsdeMegmisenlumièreparlestroischeveluresblondes.Godricbaissalesyeuxsursatasse.La présence de sa famille dans lamaison ne lui faciliterait pas le travail. Cependant, le

Fantômenepouvaitpassepermettredeprendredesvacances.IldevaitdémasquerlabandedesKidnappeurs,etmaintenantl'assassindeRogerFraser-Burnsby.SansoublierlecapitaineJamesTrevillion,quisurveillaitétroitementlamaison.Maiscesobstaclesn'arrêteraientpasGodric.—...celavousconvient-il,Godric?s'enquitsabelle-mère.Godricrelevalatêteetvitcinqpairesd'yeuxfémininsrivéssurlui.Ils’éclaircitlavoix.—Jevousdemandepardon?Megsoupira.Ellevoyaitbienqu'iln'avaitpasécoutéleurconversation.—Nousavonsdécidédepartirchezlacouturièreaussitôtaprèsledéjeuner,expliqua-t-elle.

Etcesoir,nousdevonsdînerchezGriffinetHero.Mais...jesuissûrequeHerovousinviteraégalement,dèsqu'elleapprendraquevousêtesenville,ajouta-t-elleàl'intentiondelafamilleSaint-John.Janeécarquilladesyeuxrondscommedessoucoupes.—Elleestfillededuc,n'est-cepas?Megsourit.—Oui,etégalementsœurdeduc.Jepensed'ailleursquesonfrèreassisteraaudîner.Jane en resta un instant bouche bée, avant de discuter fiévreusement avec ses sœurs :

qu'allaient-ellesbienpouvoirsemettre?Godricsoupira.Lajournéepromettaitd'êtrelongue.Mais,accrochantleregarddeMeg, il

seditquecelaenvaudraitpeut-êtrelapeine.Cesoir-là,chezlesReading,leducdeWakefieldsepencha,intrigué,verssonneveu.—Jenecomprendspaspourquoicegarçonéclateensanglotschaquefoisqu'ilmevoit?—C'estparcequ'ilapprendlediscernement.Jesensquecetenfantaurabongoût,ironisa

Griffin.Il soulevaWilliam dans ses bras. Le garçonnet se calma aussitôt et se mit à sucer son

pouce.Herolevadiscrètementlesyeuxauciel.Ilsétaienttousréunisdanslegrandsalonfamilial,oùlanourricevenaitd'amenerWilliam,

axantdelemettreaulit.Lagrand-tanteElvinaétaitassiseàcôtédeHeroetmettaitsamain

Page 114: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

en cornet devant son oreille pour entendre ce qui se disait. Jane, raide dans son fauteuil,épiait tous les gestesduducdeWakefield. Ses sœurs et samère étaientplusdétendues etprofitaientmanifestementde leur soirée. Sachant combien les cancansavaientdu succès àUpperHornsfield,Megdevinaitquecedîner leurserviraitpendantdessemaines.Godricsetenait debout près de la cheminée, l'air distant. Meg se demanda pourquoi il semblaittoujoursenretrait,mêmeauseindesaproprefamille.WilliameutsoudainlehoquetetbavasurlegiletdeGriffin.Megsetournaverssonfrère.—Jepeux?dit-elle,endésignantlebébé.—Biensûr.Griffin luiconfiasonfilset lebébé l'examinaavecsesgrandsyeuxverts,commeceuxde

sonpère.Ilétaitpluslourdqu'ellenel'auraitimaginé.C'étaitdéjàunsolidegarçon,avecdescheveuxcuivrésquifrisaientetdebellesjouesrondes.Megneputs'empêcherdel'embrassersurlefront.MonDieu,faitesquecelam’arrivebientôt!Williamretirasonpoucedesaboucheetluitapotalajouedesamainhumide.— Les bébés sont toujours salissants, commenta la grand-tante Elvina, qui se contredit

aussitôtenfaisantdesrisettesàWilliam.—Ilfaitsesdents,expliquaHero,assiseàcôtédeMeg.Voulez-vousquejeleprenne?Je

nevoudraispasqu'ilgâtevotrerobe.—Non,laissez-le-moiencoreunpeu,murmuraMeg.Ilestsimignon.—Oui,n'est-cepas?acquiesçaHero,avecunsourirematernel.LecœurdeMegseserra.Soninstinctmaterneldevenaitplusfortdejourenjour.Godriclacontemplait.Il inclinalatêteensilence,commes'ilavaitludanssespenséeset

qu'il voulait la rassurer. Meg tressaillit. Quel autre homme lui manifesterait autant deprévenance?Ilsemontraitsiattentif,siprotecteur.Ilavaitpassélajournéeàl'accompagner,avec la familleSaint-John,dans lesboutiquesdemode, sans jamais seplaindreniparaîtres'ennuyer,malgrélafrivolitédeleurexpédition.Toutecettejournées'étaitpasséedefaçonsiagréable que Meg avait tout oublié le temps d'une journée. Ce n'est qu'au moment des'habiller pour le dîner que Meg s'était souvenue de la promesse de son mari : il allaitrechercher l'assassin de Roger. Elle voulait s'assurer qu'il n'avait pas changé d'avis, et elleauraitaimél'interrogersursonpland'action.Oui.Maisaprèscejoyeuxrépit.Unpeudebonheurchassaitsonchagrincoutumier.Siseulement...—Ah,voilàMandeville!s'exclamaleduc.L'autre frère deMeg, Thomas Reading,marquis deMandeville, venait en effet d'arriver.

Lavinia,safemme,dontlachevelureétaittoujoursaussiflamboyante,l'accompagnait.—Tuasunetachesurtongilet,ditThomasàGriffin.—Jesais,répliquasonfrère,lesdentsserrées.Megsoupira.Cesdeux-làneseraientjamaislesmeilleursamisdumonde,maisaumoins

separlaient-ils.Cequin'avaitpasétélecaspendantdesannées.Les hommes se regroupèrent pour parler politique, avant d'être interrompus par le

majordome,quiannonçal'heuredudîner.Hero reprit William dans ses bras, l'embrassa sur les joues et le rendit à sa nourrice,

visiblementàcontrecœur.—D'habitude, je le couchemoi-même, confiât-elle àMeg. Je sais que c'est idiot,mais je

détestequequelqu'und'autres'enchargeàmaplace.

Page 115: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Tumonteraslevoirtoutàl'heure,larassuraGriffin,avecbeaucoupdetendresse.Heropritlebrasqu'illuitendaitetilsdonnèrentlesignaldudépartverslasalleàmanger.GodricoffritsonbrasàMeg.Lajeunefemmes'ensaisit.Sonbrasétaitpuissantetchaud.SachaleursetransmitàMeg

etelleréalisaavechorreurqu'elle«désirait»cethomme,passeulementparcequ'ellevoulaitqu'illuifasseunenfant.Reprends-toi,Meg,c'estmal!Elleserépétacesmotsplusieursfois,alorsqu'ilsarrivaientdanslasalleàmangeretque

Godricluitiraitsachaise.Megselaissachoirsursonsiège, l'espritenébullition.Soncorpsn'était pas supposé réagir ainsi. Elle avait aimé Roger et, même si elle éprouvait de lagratitude,voireunecertaineaffection,pourGodric,celan'avaitrienàvoiravecl'amour.Elle s'aperçut que Charlotte était placée à sa gauche, puisque les femmes étaient plus

nombreusesquecesmessieurs,etleducàsadroite.Megsoupiraintérieurement.Leducétaitunhommetrèsintimidantetellesevoyaitmalfairelaconversationaveclui.Tandisquelesvaletscommençaientleservice,ellecherchadésespérémentquoiluidire.Maisc'estluiquisetournaverselle.—J'espèrequevousavezaimélapièced'hiersoir,auxFoliesHarte?—Ohoui,VotreGrâce.Beaucoup.Etvous?— J'avoue ne pas être grand amateur de théâtre. Mais Phoebe et cousine Bathilda en

raffolent,ajouta-t-il,levisageilluminé.Megletrouvatoutàcoupmoinsintimidant.—Vouslesyemmenezsouvent?Ilhaussalesépaules.—Oui, là, ou dans d'autres théâtres londoniens. Elles aiment également l'opéra, surtout

Phoebe. Je supposeque lamusique la consoledenepas trèsbien voir cequi sepasse surscène.Megeutunpincementaucœur.—Est-cedoncsigravequecela?IlhochalatêteavecsévéritéetparutsoulagéquandlavoixdeThomascouvritsoudainle

murmuredesconversations:—Lanouvelleloin'apasencoreeuletempsdefairecomplètementeffet.Maisunefoisque

tous lesrevendeursdeginaurontétéarrêtés,cetteboissondiaboliquefinirapardisparaîtredesruesdeLondres.— Ta fameuse loi existe depuis deux ans, lui rappela Griffin. Et pour l'instant, je peux

toujoursacheterduginàtouslescoinsderueduquartierSaint-Giles.Thomasplissalesyeux,prêtàrépliquer,maisleducs'enmêla:—Griffinaraison.Lesdeuxfrèresleregardèrentavecétonnement.Leducn'avaitjamaisétéconsidérécomme

unpartisandeGriffin;iln'avaitpasvud'unbonœilsonmariageavecsasœur.Enrevanche,MegsavaitqueThomasleconsidéraitcommeunamietunallié.Maisleducreposasafourchetteetpoursuivit:—Voilàdeuxansque cette loi auraitdû inverser la situation,mais sonéchec estpatent.

Londresnepeutpascontinueràsubirlesravagesquelegincauseauseindelapopulation.—Queproposez-vous,alors?demandaThomas.—Ilfautunenouvelleloi.Griffin, Thomas et le duc se lancèrent dans une conversation politique animée. Godric

Page 116: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

gardait le silence et faisait tourner son verre de vin dans ses doigts, mais il écoutait avecattention.N'étantpastitré,ilnepouvaitpassiégerauParlementetdiscuterdeslois,maiscesdernierstempslaquestionduginrevenaitdanstouteslesconversationsmasculines.Etbiensûr,lesméfaitsduginsefaisaientparticulièrementsentirdansSaint-Giles.MegsoupiraetsetournaversCharlotte.—Êtes-vouscontentedesnouvellesrobesquevousavezchoisies?—Oui,mêmesij'auraispréféréavoirlamoiréebleuciel.CharlottejetaunregardmécontentàJane,assisedel'autrecôtédelatable.Lesdeuxsœurs

avaient failli en venir auxmains pour cette robe, avant queMmeSaint-Johnn'interviennepourdécréterquepersonneneremporteraitlamoiréebleucielsiunaccordn'étaitpastrouvédanslaseconde.CharlotteetJanes'étaientéchangéunregard,puisCharlotteavaitcapituléetconcédé la superbe étoffe à sa sœur.Dixminutes plus tard, elles dégustaient chacune uneglace,brasdessusbrasdessous,etpersonnen'auraitpudevinerqu'elless'étaientviolemmentquerelléesunpeuplustôt.Cequinevoulaitpasdire,biensûr,queCharlotteavaitcomplètementpardonnéàsasœur.—Vousavezeucelleenbrocartturquoise,luirappelaMeg,diplomate.Elleestmagnifique.—C'est vrai, acquiesçaCharlotte,déjà rassérénée.La robe en soie rosepêche s'accordera

très bien avec vos cheveux. Je suis sûre que Godric sera sous le charme, ajouta-t-elle, ensouriantàMeg.Meg luirenditsonsourire, toutens'interrogeant :désirait-ellequeGodric tombesous le

charme?Ellecouladiscrètementunregarddanssadirectionets'aperçutqu'ill'observait.Bizarrement,Megsesentitrougir.Ellebaissavitelesyeuxetbutunegorgéedevinpourse

donnerbonnecontenance.—Meg?interrogeaCharlotte,avechésitation.Megreportasonattentionsursabelle-sœur.—Oui?Charlottejouaunmomentavecsafourchetteetleslégumesquirestaientdanssonassiette,

avantdesepencherverselle,pourluichuchoter:—Pensez-vousqueGodric...Pensez-vousqu'ilseraunjour«proche»denous?—Jen'ensaisrien,avouaMeg.AprèscequeluiavaitconfiéGodricdesonenfance,ellesavaitquelefosséquileséparait

durestedesafamilleavaitcommencédesecreuserbienavantlamortdeClara.Letempsetl'éloignementn'avaientrienarrangé.Serait-iljamaispossiblederetisserdevraisliens?Meg se redressa pour laisser les valets enlever leurs assiettes et servir les coupes de

sabayon.—C'estjuste...murmuraCharlotte.Elle contempla sondessert,planta sa cuillerdedans,puis reposa soncouvert sur la table

avecunsoupir.—Quandj'étaispetite,ilmesemblaittrèsgrandettrèsfort.Mamandisaitquejelesuivais

partout chaque fois qu'il nous rendait visite, ce qui hélas n'arrivait pas souvent. Il devaittrouverassommantqu'unefillettes'enticheainsidelui.Àcetinstantprécis,MegauraitvolontierslancésacuillersurGodric.—Non, il n'avait rien à vous reprocher, réponditMeg. Simplement, votremère a épousé

votre père quand Godric se trouvait à un âge difficile. Vous comprenez, il avait perdu sapropremère...

Page 117: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megneterminapassaphrase,carellen'étaitpascertainequesestentativesdejustificationsuffisent.Certes,Godricavaitdûbeaucoupsouffrir,durantsonadolescence.Maisilétaitunhomme,àprésent.Etiln'avaitplusaucuneraisonvalabledetenirsessœursàdistance.— C'est mon frère, murmura Charlotte, si bas que Meg l'entendit à peine. Mon unique

frère.Même le délicieux sabayon ne suffit pas à consolerMeg d'avoir été la confidente de cet

aveudouloureux.ElledevaittrouverunmoyendefairecomprendreàGodricl'importancederenoueravecsessœursetsabelle-mère.C'étaitlemomentoujamais.Unefoisquesessœursseraient toutes mariées et qu'elles auraient fondé leurs propres familles, les occasions derapprochementseraientrares.Godricvieillirait seul, coupéde sa famille.Meg reposasacuillerdans sacoupevide.Elle

avaitpromisàGodricdequitterLondres,delequitterlui,aussitôtqu'elleseraitenceinte.Elleretrouveraittoussesamisàlacampagne.Etelleauraitsonenfant.MaisGodric...Surquipourrait-ilcompter?Ilavaitsonami, lordCaire.Mais lordCairedevaitsongeràsafamille,quinemanquerait

sansdoutepasdes'élargirencoreetallaitl'accaparer.MegsereprésentaGodriclescheveuxgrisonnants, entouréde ses seuls livres.Un jour ou l'autre, il faudrait bienqu'il renonce àêtre le Fantôme de Saint-Giles. A supposer que la chance continue de lui sourire et qu'ilréchappedesesexploitsnocturnes.Maisalors,ilneluiresteraitplusrien.Cetteperspectiveétaitdéprimante.MegregardaendirectiondeGodric,quis'étaitpenché

pourécouterLavinia.Megavaitbeaunepasêtreamoureusedelui,Godricétaitsonmari.Elleestimaitavoirunepartde responsabilitéenvers lui.Etelle réalisait, toutà coup,qu'ellenepourraitpasl'abandonneràsasolitude.Le dîner terminé,Hero invita les dames à prendre le thé dans le salon. Les hommes se

levèrentde table.Leduc tira la chaisedeMmeSaint-John,puis celledeMeg, faisantainsipasserl'âgeavantlerang,cequeMegtrouvaparfaitementapproprié.MmeSaint-JohnpritMegparunbrasetCharlotteparl'autre.—Quemurmuriez-vousdesisérieuxtouteslesdeux,pendantledessert?—NousparlionsdeGodric,soupiraCharlotte.MmeSaint-Johnsecontentadehocherlatête.Elleavaitcompris.Qu'aurait-ellepuajouter

d'autre?Danslesalon,Heroservaitdéjàlethé,pendantqueSarahaccordaitlaharpe.—Oh,chantez-nousquelquechose,lesfilles!suggéraMmeSaint-John,enprenantlatasse

queluitendaitHero.Lavieillebaladequevousavezapprisel'autrejour,parexemple.Jane et Charlotte rejoignirent Sarah et se mirent à chanter, pendant que Sarah, qui

connaissaitlamélodie,lesaccompagnaitàlaharpe.— C'est ravissant, absolument ravissant, murmurait la grand-tante Elvina, qui battait la

mesureavecsesdoigtssurl'accoudoirdesonfauteuil.Meg écoutait elle aussi avec ravissement. Sa propre voix était épouvantable, mais elle

aimait beaucoup entendre les autres chanter et les sœurs Saint-John avaient un certaintalent.Auboutd'uneheure,leshommeslesrejoignirentetMegvitlessœursSaint-Johnseraidir.

Ellepouvaitlescomprendre.Ilétaitdifficiledesesentiràl'aiseencompagniedeThomasoududuc.MaismaintenantqueGriffinétaitlà,Megétaitrésolueàluiparler.Aussi seglissa-t-elle jusqu'àson frèrepour luiproposer,àvoixbasse,de lui faire faire le

Page 118: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

tourdupropriétaire.Sarequêten'avaitriend'étonnant:aprèstout,ellen'avaitpasencoreeul'occasiondevisiterleslieuxendétail.Griffinlui jetaunregardsuspicieux,maisil luioffritsonbraset l'entraînahorsdusalon,

après avoir échangé quelquesmots avecHero.Meg sentit Godric les suivre des yeux aveccuriosité,mêmeunefoisquelaportesefutreferméederrièreeux.Hors du salon, la maison était parfaitement calme - jusqu'à ce que la musique ne

recommence et ne pénètre jusque dans le couloir.Mais cette fois, une voix de baryton semêlaauchœurdesfilles.Étrange...ThomaschantaitaussifauxqueMegetelleignoraitqueGodrics'intéressâtàlamusique.Mais Griffin la conduisait déjà vers le grand escalier, lui désignant les colonnes et les

plafondsmoulurésetparlant«d'influenceitalienne».Megfronçalessourcils.Semoquait-ild'elle?—S'ilteplaît,Griffin,cessecettecomédie.Illuidécochaunsouriretaquin.—Jemedoutaisbienquetun'avaispasvraimentenviedevisiterlamaison.Dequoiveux-

tumeparler,Meg?— De ta distillerie de gin, avoua Meg, ne sachant pas comment aborder la question de

manièreplusdiplomatique.—Madistilleriedegin?répétaGriffin,levisageparfaitementindéchiffrable.Meginspiraprofondément.—Jemesuislaissédirequetuavaissoutenufinancièrementlafamille,ycomprisThomas,

grâceauxrevenusd'unedistillerieclandestinedansSaint-Giles.—DiabledeSaint-John!explosaGriffin.Iln'avaitaucundroitdet'enparler.Megarquaunsourcil.— Je crois, au contraire, qu'il avait tous les droits. Je suis sa femme. Et plus important

encore, je suis ta sœur,Griffin.Pourquoinem'as-tu jamaisditquenousavionsdes soucisd'argent?—Celaneteregardaitpas.—Jenesuispasdecetavis, répliquaMeg,avec l'envie follede taper sur le crânedeson

frère aîné pour lui faire entendre raison. Caro et moi, nous dépensions l'argent avecinsouciance.Et jemesouviensdeThomass'achetantsonbeauphaéton, justeaprès lamortdepapa.Ilneseleseraitpaspermiss'ilavaitétéaucourant.Biensûrquesi,cela«nous»regardait.Nousaurionstouspunousmontrerpluséconomes.— Je ne voulais pas que tu temontres plus économe,Meg. C'étaitma responsabilité de

veilleràvotrebien-être,àtoi,àmèreetàCaro.—MêmeThomas?demandaMeg,incrédule.— Il n'a jamais eu le sens de l'argent. Pour ça, il est bien comme papa. J'étais le seul à

pouvoirm'occuperdesaffairesdelafamille.—Griffin,murmuraMeg,unemainsursonbras.J'étaislà,moi.Peut-êtrepasquandj'étais

plusjeune.Maisj'aiplusdevingt-cinqans,àprésent.J'avaisaumoinsledroitdesavoir.Griffingrimaçaetdétournauninstantleregard.Puisilsoupira.—Oh,Meg,tusaisbienquejenepeuxrienterefuser.Oui,oui, j'auraisdût'enparler.Et

abandonnersurtesépaulesunepartiedemonfardeau.—Merci, réponditMeg,segardantbiende toutesatisfaction.J'aiuneautrequestionà te

poser.

Page 119: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ilparutembarrassé,maishochacourageusementlatête.—As-tutoujoursdesproblèmesfinanciers?Lafamillea-t-elledesennuisdececôté?—Non, répondit-il sanshésiter,etavecunsoulagementmanifeste.Jesuis toujoursdans

les affaires, en revanche, mais elles sont tout ce qu'il y a de plus respectable, désormais.J'élève des moutons sur les terres familiales, et je transforme leur laine dans une petitefilature installée ici, à Londres. Pour l'instant, l'entreprise est encore modeste, mais ellegénèredesbénéficessubstantielsetj'aidesprojetsd'extension.Jecompteévidemmentsurtadiscrétion.Jen'enaiparléàpersonnedanslemonde.Avoirdel'argentétaitconsidérécommetoutnatureldanslegrandmonde.Mais«gagner»

de l'argent s'apparentait à une tâche avilissante aux yeux de l'aristocratie. Un gentlemandignedecenométaitsupposépréférermourirdefaim,plutôtquedesesalirlesmainsdanslecommercepourrécolterdequoivivre.MegétaitreconnaissanteàGriffindenepassouscrireàcesprincipes.—Jesuisraviedel'apprendre...Mais,Griffin?—Hmm?Illaramenaitdéjàverslesalon,oùlebarytonchantaittoujours.— Promets-moi que si jamais tu devais rencontrer de nouveaux soucis, financiers ou

autres,tunemanqueraispas,cettefois,demeprévenir.—D'accord,Meg,concéda-t-il,enlevantlesyeuxauciel.Meg sourit en son for intérieur. Griffin avait beau paraître réticent, elle jugeait très

important qu'il se montre honnête avec elle. C'était un devoir, dans une famille. Il fallaits'épauleretpartagerlesbonsmoments,commelesmauvais.La jeune femmeméditait encore la question et se demandait comment inciter Godric à

faire demême avec sa famille, quand ils pénétrèrent dans le salon. Et là.Meg se figea desurprise.LeducdeWakefieldavaitcachéàtousqu'ilpossédaitunevoixmagnifique.Cettenuit-là,couchéedanssonlit,Megs'efforçaitdenepaspenseràl'arrivéedeGodric.Plusexactement,elles'efforçaitdenepastrop«désirer»sonarrivée.Elle se concentrait sur les souvenirs du dîner, sur le visage poupin du petitWilliam, sa

surprised'avoirdécouvertqueleducdeWakefieldsavaitdivinementchanter,maistouteslesimages qu'elle convoquait se dérobaient les unes après les autres. Elle essayamêmede seremémorer legoûtdu sabayon,dontelle s'était régaléeaudessert,mais tout cequ'elleputsentirsursalanguefutlegoûtdeslèvresdeGodric.Il arriva enfin, furtif comme le fantôme qu'il était. Meg ne s'aperçut vraiment de sa

présencequelorsqu'ilseglissasouslescouverturespours'allongeràsescôtés.Ellefrissonnaavantmêmequ'ilnelatouche.Puislesmainsdesonmaris'insinuèrentsoussachemisedenuit,tandisquesasilhouette

sedressaitau-dessusdelajeunefemme,àlamanièred'unfauconguettantsaproie.Megretintsonsouffle.Cethommedégageaitquelquechosededangereux.Cen'étaitque

leur deuxième nuit dans lemême lit et elle paniquait déjà. Il y aurait pourtant beaucoupd'autresnuitssemblablesàcelle-ci.Desnuitsoùelle l'attendraitdans lenoir.Desnuitsoùelles'efforceraitdenerienressentir.Commeelles'yessayaitmaintenant.Maisc'étaitimpossible.

Page 120: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Sesmainssedéplaçaientavecunegrandehabiletésoussachemisedenuitpourvenir luicaresserlesseinset...Roger.Lasolution,c'étaitdepenseràRoger.Sonmariinclinalentementlatête,etsoudainseslèvresserefermèrentsuruntéton,qu'il

suçotaàtraverslafineétoffedesachemisedenuit.Megenperditlaraison.Ellesecambrapourmieuxs'offriràsescaressesdémoniaques.Il finitparabandonnerson tétonpours'attaqueraussitôtà l'autre, sibienqueMegn'eut

pasletempsdereprendresesesprits.Puis il fit courir ses lèvres sur le ventrede la jeune femme.Audébut,Megn'eutaucune

idéedesesintentions,maisquandilretroussasachemisedenuitsursonventre,elleeutunesoudaineprémonition.—Non!C'était le premier mot prononcé entre eux depuis que sonmari l'avait rejointe sous les

drapsetilrésonnasévèrementauxoreillesdelajeunefemme.Megs'humectaleslèvres.Sonpoulsbattaitbeaucouptropvite.Godric s'était figé,mais ce n'était ni de peur ni d'appréhension.Au contraire, il semblait

goûtersadénégation.Commes'ilvoulaitse jouerd'elleet luimontrerqu'ilentendaitposerseslèvreslàoùill'avaitdécidé.C'est-à-diresursonintimité.Megnepouvaitpaslelaisserfaire.Carsiseslèvresseposaientlà,ellen'auraitd'autrechoixquedesuccomberàleurscaresses

expertes.LesderniersvestigesdeRogerdisparaîtraientdesamémoire.Alors, elle agrippaGodricauxépaulespour tenterde le repousser.Mais il était si fort, si

solide,qu'ellecompritqu'elleneréussiraitpasàlefairebougers'iln'enavaitpasenvie.—S'ilvousplaît,murmura-t-elle.Il se figea de nouveau. Puis il ôta les mains de Meg de ses épaules, lui souleva

complètementsachemisedenuitetsepositionnaentresescuisses.Ellemouillaitdéjà.Illapénétrasansautreformedeprocès.Megsecambraetessayadesedétendre.Lesanimauxs'accouplaientsansmêmeypenser.

Alorspourquoileshumainsneseraient-ilspascapablesdelesimiter?Dureste,Megsavaitquecertainsnes'enprivaientpas.Apparemment,ellenefaisaitpaspartiedeceux-là.Ellepensaitbeaucouptrop.Elleressentaitaussibeaucouptrop.Malgré l'obscurité, elle leva les yeux sur le visagede sonmari, dans l'espoir d'apercevoir

sonexpression.Maisellenevitrien,sinonunetêtequisedevinaitdanslanuit.Etpourtant,ellesavait,aveccertitude,quec'étaitbienGodric.Ellel'auraitdevinélesyeux

fermés. Peut-être parce qu'elle reconnaissait son odeur. Peut-être d'instinct. Peut-être enraisondequelqueétrangealchimie.Quoiqu'ilensoit,Megsavaitjusquedansletréfondsdesonâmequec'étaitlui.Godric,quilamartelaitsansrelâche.Godric,quilapossédaittoutentière.Megfermalesyeux.Elleauraitvouluneplusriensentir.Maisc'étaitimpossible.Godricluifaisaitl'amour.

Page 121: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ellefitdesonmieuxpourrésister.Etfinalement,elleremportalavictoire.QuandsonmariaccentuasescoupsdereinsetqueMegsentitsonmembres'agiterdespasmesviolents,ellerestaparfaitementimmobile.Etiljouitainsi,seul.Maisellen'eutpasletempsdeseféliciter.Ilrouladecôtéetluimurmuraàl'oreille:—Avecquifaisiez-vousl'amour,milady?Carjesaisquecen'étaitpasavecmoi.

Page 122: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

12

Foi s'agrippait toujoursaux larges épaulesde l'Hellequin,mais la faimcommençaità latarauder.Ellefouilladanssespochesetsortitunepommedanslaquelleellemorditaussitôt.L'odeur du fruit se répandit dans l'air à la première bouchée et les narines de l'Hellequinfrémirent.Foisereprochasadiscourtoisie.«Envoulez-vousunmorceau?»«Jen'aiplusgoûtéàlanourrituredeshommesdepuismilleans»,réponditl'Hellequin.«Ehbien,voilàune occasion d'y remédier. » Foi mordit de nouveau dans la pomme et en arracha unmorceauqu'elleretiraensuitedesabouchepourletendreàl'Hellequin.[...]

op.cit.Megs'étaitfigéeàcesmots.Maiscen'étaitpasencoreassezpourGodric.Unecolèresourdecouraitdanssesveinesetellemenaçaitd'explosers'ilnes'éloignaitpas

rapidementdesonépouse.Iln'aurait jamaispenséqu'unefemmepourraitunjourlemettredanscetétat.Comment

osait-ellelerenierainsi?—Jene...—Taisez-vous,lacoupaGodric,quisortaitdéjàdulit.Il fallaitqu'il s'enailleauplusvite,s'ilnevoulaitpasrisquerdedireoude fairequelque

chosequ'ilpourraitensuiteregretter.—Oùallez-vous?murmura-t-elle.—Dehors.—Oùcela?Ils'esclaffaméchamment.—Àvotreavis?DansSaint-Giles.Chercherl'assassindevotrecheramoureux.LeFantôme

adutravailquil'attend.—Mais...maiscelapourraitêtredangereux,Godric.—Ilfallaitypenseravantdeconclureunmarchéavecmoi,milady.Vousm'avezdemandé

d'enquêter, ehbien, je vais enquêter.Auriez-vousbrusquement changéd'avis ?Nedésirez-vousplussavoirquiatuéFraser-Burnsby?Ellehésitaquelques instants etGodric crut que son cœur s'arrêtait debattre. Il attendit,

pleind'espoir...Enfait,iln'auraitpassudirecequ'ilespérait.—Non,répondit-ellefinalement.—Danscecas,jedoism'acquitterdemapartdumarché.Il n'attendit pas de savoir si elle répondrait quelque chose à cela : il quitta la chambre,

commes'ilfuyait.Il redescendit au rez-de-chaussée, gagna son bureau et il enfila rapidement sa tenue de

Fantôme,s'obligeantànepenseràrien,avantdeseglisserdanslanuit.Vingtminutesplustard,GodricarpentaitlesruesdeSaint-Giles.La taverne de la Chèvre était l'un des établissements les plusmalfamés du quartier. Le

simple fait que le valet de Fraser-Burnsby ait fréquenté un tel lieu de perdition aurait dû

Page 123: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

éveillerlessoupçonsduvicomted'Arquesurlamoralitéd'Harris.Cependant, d'Arque avait une excuse : il ne connaissait pas Saint-Giles aussi bien que

Godric.Lataverneoccupait lerez-de-chausséed'unvieil immeublebranlant.Elleabritait tous les

commerces illicites qui avaient cours à Saint-Giles : revente du gin, prostitution, receld'objetsvolés.Nombredetire-laineyavaientétablileurbase.Godricattendit,dansl'ombred'uneporte, jusqu'àcequelecommisdecuisinesortevider

unseaud'eaucroupiedanslecaniveau.—Hé,gamin!LegarçonétaitunpurproduitdeSaint-Giles.IlécarquillalesyeuxenvoyantGodricsortir

desacachette,maisilnesongeapasàfuir.Godricluilançaunepiècedemonnaie.—DisàArcherquej'aimeraisluiparler.Etprécise-luiquej'irailecherchers'iln'estpaslà

dansdeuxminutes.Legaminempochalapièceetretournadansl'aubergesansavoirditunmot.Godric n'eut pas longtemps à attendre. Un homme efflanqué sortit de la taverne, en se

penchantpourpassersouslelinteaudelaporte.Il se redressapuis regardaautourde luiavantd'apercevoirGodricetdesoupirerd'unair

résigné.—Quevoulez-vous,Fantôme?—DesrenseignementssuruntypenomméHarris.—JeneconnaispasdeHarris,répliquaArcher,endétournantleregard.Ce qui n'aida en rien Godric. Archer était toujours fuyant. Il avait le teint bilieux, des

cheveuxcollésparlagraisseetdesyeuxglobuleux.Godrics'adossaàlafaçadedelataverneetcroisalesbrassursapoitrine.—Levaletquiaassistéàl'assassinatdeRogerFraser-Burnsby,çaneteditvraimentrien?—Yasouventdesmeurtresdanslequartier,marmonnaArcher,enhaussantlesépaules.—Tumemens,Archer.Fraser-Burnsbyétaitunaristocrate.Sonassassinatadéclenchéune

chasseàl'hommedansSaint-Giles.Tudoisbient'ensouvenir,non?—Etmettonsque jem'en souvienne? répliqua lepatronde la taverne.Qu'est-ceque ça

change?—Leseffetsduvaletontétéenvoyéscheztoi,quelquessemainesaprèslecrime.—Et?—Jevoudraissavoirquilesarécupérés.Archers'esclaffa.—Commentvoulez-vousquejem'ensouvienne,Fantôme?Çaremonteàplusdedeuxans.Godricdécroisalesbras.Archertressaillit.—C'est vrai, Fantôme ! Je vous jure sur la tombedemamère que je ne sais plus qui a

récupérélesaffairesdecetHarris.Godricfitunpasverslui.Archerreculad'autantetlevalesmainsenl'air.—Attendez!Jesaisquelquechosequipourraitvousintéresser.Godricarquaunsourcil.—Oui?Archers'humectaleslèvres.

Page 124: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Harrisestmort.—Quand?Letaverniersecoualatête.— Je ne saurais pas vous dire exactement,mais ça fait un bon bout de temps. Peut-être

mêmeavantquesesaffairesarriventici.Godric dévisagea le tavernier un instant. Archer était unmenteur invétéré,mais Godric

avait l'intuition que, pour une fois, il disait vrai. Il pouvait bien sûr l'effrayer un peu plus,maisiln'entireraitprobablementpasdavantage.Laportedelataverneserouvritettroissoldats,visiblementéméchés,ensurgirent.—Si tuapprendsautrechose,nemanquepasdemeprévenir,ditGodric,avantde lancer

unepièceàArcheretdetournerlestalonspourdisparaîtredansuneruelleadjacente.Ledisquede la lune,hautdans leciel, jetaitsur lespavésunelueurblafarde.Auboutde

quelquespas,Godricsentitqu'ilétait suivi.Pourunpeu, ilenauraitbondide joie.Laragequ'il avait éprouvée tout à l'heure ressurgissait intacte et, cette fois, elle allait trouver unexutoire.Commenta-t-elleosésecomporteravecautantdedédain?Il lui avait prêté samaison, renoncé à sa solitude et à sa tranquillité d'esprit, il lui avait

même offert son corps, et c'était ainsi qu'elle le récompensait ? En s'imaginant qu'il étaitquelqu'und'autrequandillapossédait?Godricavaitdéjàeudessoupçonslapremièrefois,mais ilavaitpréférélesfairetaire.Cesoir,enrevanche, l'attitudedesafemmeluiavaitôtésesdoutes.De touteévidence,elle s'était retenuedeparticiperà leurétreinte. Il ignorait sielleavaitpréféréseconcentrersurl'imagedeFraser-Burnsby,ded'Arqueoud'untroisième,qu'ilneconnaissaitpas,maiscelan'avaitaucuneimportance.Iln'étaitpasquestionqu'il served'ersatzàquiquecesoit.Godricétait sidistraitparses

penséesqu'iln'entenditarriverlesdragonsquelorsqu'ilstournèrentlecoindelameetqu'ilsseretrouvèrentsubitementfaceàlui.Maisiln'auraitsudirequi,deluioudesdeuxsoldats,futleplussurpris.Ledragondedroiterecouvralepremiersesesprits.Tirantsonsabre,ilchargea.Godricne

songeamêmepasàfairedemi-tour:ilnecourraitjamaisassezvitepourdistancerunchevallancéaugalop.Etlaruelle,tropétroite,neluioffraitaucunepossibilitédeseterrerdansunrecoin.Ilnerestaitqu'uneissue:lafuiteparleshauteurs.Levant les yeux au ciel, Godric repéra un balcon ceinturant l'une des fenêtres de

l'immeuble contre lequel il s'était plaqué. Le balcon semblait ancien et il ne supporteraitpeut-êtrepassonpoids,maisGodricn'avaitpaslechoix.Il sauta en l'air et ses mains réussirent à agripper l'une des corniches en fer forgé qui

supportaient le balcon. Une cuisante douleur lui transperça le dos, signe que sa blessures'était probablement rouverte. Puis il replia les jambes. Ses pieds étaient à présent à lahauteur de la tête du cheval qui fonçait sur lui. L'animal, surpris par son geste, faillitregimberetledragondûtconcentrertoutesonénergiepourcontrôlerl'animalquipoursuivitsacoursedanslaruelle.Godricselaissaretombersurlepavéaussitôtaprèslepassagedelabêteetdesoncavalier

etilrouladecôtépoursetapircontreunmur.Maisundeuxièmedragonlechargeaitdéjà.— Rendez-vous ! lui cria le soldat, qui tâtonnait d'une main pour dégainer le pistolet

accrochéàsaceinture.Godricparvintàluisaisirlebrasavantqu'ilaitpufaireusagedesonarmeettiradetoutes

Page 125: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

ses forces.Ledragon,déséquilibré, tanguasursaselle.Lecheval,déstabilisé, fitunbondecôté,cequiachevad'emporterlesoldatdanssachute.Iltombalourdementàterre.Cependant, lepremierdragon revenaitdéjà à la charge, sabre au clair.Godric esquivade

justesseunpremiercoupdelame.Apiedcontreuncavalier,ilétaitenpositiond'infériorité.Cependant, il n'était pas d'humeur à capituler. Il essaya d'agripper le dragon pour le fairetomberluiaussi,sanssuccès.Ilméditaituneautretentativequand,ducoindel'œil,ilvitledeuxièmedragonsereleveretbondirsurlui.Bonsang!Ledragonavait réussià luidécocheruncoupdepieddans l'entrejambe.Un tel coupbas

méritaitunevengeanceexemplaire.Godric se plia de douleur, mais sa colère lui donna assez d'énergie pour résister. Se

redressant, ilabattitàplusieursreprisessonpoingsur la figuredusoldat,prenantplaisiràcettebagarrequilevidaitdesafrustration.Le premier dragon, après avoir fait demi-tour dans l'étroite ruelle, revenait sur lui,mais

Godricn'enavaitcure.Ils'abandonnaitauplaisirdeboxer.Ilnes'arrêtaquelorsquelechevaldupremierdragonarrivaàsahauteur.Godriccontempla

alors son adversaire à terre. Il avait le visage tuméfié et ses lèvres saignaient,mais il étaitencorevivantTantmieux.Rassuré, Godric se redressa et s'enfuit à toutes jambes, le cheval lancé à sa poursuite.

Sautantsuruntonneauaccolécontreunmur,Godrics'enservitcommed'untremplinpourescaladerlafaçadedel'immeubleàmainsnues.Parvenusurletoit,ilcontinuasacoursesansmêmeseretourner,sautantdetoitentoit,le

sang cognant à ses tempes. Il ne s'arrêta pour reprendre son souffle qu'après une bonnedizainedeminutes.C'estalors,appuyé,pantelant,contreunecheminée,qu'ilréalisaqu'ilétaittoujourssuivi.Godric dégaina sa dague et suivit des yeux la silhouette qui se profilait sur le toit et

s'approchaittranquillementdelui.Quandsonpoursuivant,unjeunehomme,futdevantlui,Godriclesaisitaucollet.—Pourquoimesuis-tu?Lejeunehommenecherchamêmepasàselibérer.Sesyeuxpétillaientdemalice.—DiggerJackm'aditquevouscherchiezdesinformationssurlesKidnappeurs.—Etalors?—J'appartiensàleurbande.Vingt minutes plus tard, Godric regardait le garçon se régaler d'une tasse de thé et de

tartinesdepainbeurré.Toutàl'heure,surletoit,Godricl'avaitprispourunjeunehomme,mais c'était parce qu'il affichait déjà la carrure d'un adulte. Maintenant qu'il le voyait enpleinelumière,assisdanslacuisinedel'hospicepourenfantstrouvésdeSaint-Giles,Godriccomprenaitqu'ilavaitaffaireàungaminquin'avaitsansdoutepasbeaucoupplusdequinzeans.Sescheveuxbrunsétaientcoiffésenunequeue-de-chevalretenueparunboutderubanusé

jusqu'à la trame, et quelques mèches s'en échappaient pour encadrer un visage ovale. Ilportaitunevareusetropgrandepourlui,surungiletmaculédetachesdegraisse.Unchapeauinforme,qu'iln'avaitmêmepaspris lapeined'ôterune foisà l'intérieur, retombait sur sesyeux.

Page 126: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Legamins'aperçutqueGodricl'observaitetredressalementond'unairdedéfi.—Qu'est-cequ'ilya?—Commentt'appelles-tu?commençaWinterMakepeace,assisàcôtédeGodric.Legaminhaussalesépaulespuis,commes'ilestimaitnedevoiraffronteraucunemenace

immédiate,ilreportasonattentionsurleplatquicontenaitlestartines.—Alf.Ils'emparad'unetartine,puisa,avecunecuiller,dansunpotdeconfituredeframboiseset

enrecouvritlatartined'uneépaissecoucheavantdel'enfourneràmoitiédanssabouche.GodricéchangeaunregardavecWinter.Il luiavaitfalluunecertainedosedepersuasion,

pimentéedequelques intimidations,pour convaincreAlfde le suivre à l'orphelinat.Godricn'avait pas voulu rester dehors alors que les dragons patrouillaient dans le quartier. Et iln'étaitévidemmentpasquestionqu'ilemmènelegaminchezlui.Surtoutaprèsqu'ileutavouéêtrel'undesKidnappeurs.—Depuisquandtravaillais-tupourlesKidnappeurs?demandaWinter,desavoieposée.Alffitpassersonpainavecunerasadedethé.—Environunmois.Maisjenetravaillepluspourcesordures.Winter se resservit du thé sans faire de commentaire, mais Godric se montra moins

patient.—Quand tum'as abordé, j'ai pourtant compris que tu faisais« toujourspartie»de leur

bande?Alfs'arrêtademâcherpourleregarder.—Ouais,etvousavezpasintérêtàvousplaindre.Parcequejeneconnaispersonned'autre

danslabandequiseraitdisposéàvousparler.Godricsoupira.MaisilsavaitqueWinteravaitplusd'expérienceaveclesgarnementsdesa

trempe.Winterpritlamichedepainpourdécouperd'autrestranches.—Commentes-tudevenuKidnappeur?continua-t-ilpatiemment.Godric,quiavaitsuivisesgestes,écarquilla lesyeux.Alfavaitdéjàdévoré lamoitiéde la

miche.—Larumeurcirculaitqu'ilsrecrutaient,réponditAlf.Ilsvoulaientdeséquipesdedeux.Un

adulteetunjeune.Etlapaieétaitbonne.— Alors, pourquoi ne travailles-tu plus pour eux ? demanda encore Winter, d'une voix

neutre.Alfcontemplaitlerestedesatartine,dontlaconfituredégoulinait.—Acaused'unedesgamines.Hannah.Elledevaitavoircinqans,ouàpeineplus,etelle

avaitdesbeauxcheveuxroux.Ellebavardaittoutletempsetellesemblaitn'avoirpeurderiennidepersonne.C'estsa tantequinous l'avaitvendue.AvecSam,on l'avaitdoncconduiteàl'atelier.Audébut,toutparaissaitbiensepasser...—«Bien sepasser» ? explosaGodric.Mais ces fillettes sont forcéesà travailler !Leurs

geôlierslesbattentetlesnourrissentàpeine!— Il y a pire dans Saint-Giles, répliqua Alf, nullement intimidé, même s'il n'osait pas

regarderGodricdans lesyeux.Certainsenfants finissentdansdesbordels.D'autres se fontcreverlesyeuxpardesmendiantsquilesexploitentensuite.WinteréchangeaunregardavecGodricpourl'inciteràplusdemesure.—Qu'est-ilarrivéàHannah,Alf?

Page 127: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Alfessuyaavecsondoigtlaconfiturequimanquaittombersurlatable.—Ladernièrefoisquejesuisalléàl'atelier,ellen'étaitpluslà.Ilsn'ontpasvoulumedire

cequis'étaitpassé.Elleavaitjuste...disparu.IltournaversGodricetWinterdesyeuxpleinsdelarmescontenues,avantd'ajouter:—Jenevoulaisplusêtrecompliced'unebandequimartyrisaitdes fillettes.Alors, jesuis

parti.—C'esttrèscourageuxdetapart,commentaWinter.JepariequelesKidnappeursontdû

êtrefurieuxdetadéfection.Alfs'esclaffa.—Jenesaispascequeveutdire«défection»,maiscequiestsûr,c'estqu'ilsaimeraient

bienmemettreaulitavecunepelle.VoyantqueGodricetWintern'étaientpasfamiliersdel'expression,ilprécisa:—Mefairemangerlespissenlitsparlaracine,sivouspréférez.— Dis-nous où ils se cachent et qui ils sont, et nous pourrions peut-être résoudre le

mystèredeladisparitiond'Hannah,proposaGodric.— Iln'y apasqu'unendroit, réponditAlf. Je connaisaumoins trois ateliers.Et il y ena

peut-êtredavantage.—Trois?répétaWinter,stupéfait.Commentavons-nouspuresterdansl'ignorance?—Ah,c'estdessacrésmalins!fitAlf.Puisilenfournalerestedesatartineetgardaunmomentlesilence,letempsdemâcher,

avantd'ajouter:—Sivousvoulezunconseil,agissezdenuit.Lesgardessontmoinssurlequi-vive.Jevous

montrerailechemin.—Nousallonsdevoiragirvite,assuraGodric.Quedirais-tudedemainsoir,Alf?—C'estd'accord.—Enattendant,tupourrasresterici,suggéraWinter.Alfsecoualatête.—C'estgentilàvous,maislamaisonesttropgrandepourmoi.Godricfronçalessourcils.—Seras-tuensécurité?Alfluidécochaunsourirecynique.— Vous avez peur de pas me revoir demain soir ? Vous inquiétez pas : personne ne

m'attraperasijen'enaipasenvie.Mercipourlethé.Etlà-dessus,ilfilaparlaportedelacuisinequiouvraitsurlaruelledederrière.—Jeferaispeut-êtrebiendelesuivre,marmonnaGodric.MaisWintersecoualatête.—Inutiledel'effrayer.Etlesdragonspatrouillentdanslaruelle.Godricpoussaunjuron.Sontrajetderetourseraitpérilleux.—Ilsmecherchent...Croyez-vousquecegaminseraensécuritéjusqu'àdemainsoir?Winterhaussalesépaules.—Cen'estplusdenotreressort,àprésent.Godricenconclutqu'ildevraitsecontenterdecetteréponse.Des voixmasculines, dehors, réveillèrentMeg d'un sommeil chaotique. La jeune femme

clignalesyeuxetinspectasachambreduregard.IlfaisaitàpeinejouretDaniellen'étaitpas

Page 128: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

encorevenuepourlaréveilleretl'aideràs'habiller.Meg se levade son lit et alla à sa fenêtre écarter les rideauxpour regarderdans la cour.

Godric, enveloppé dans unmanteau, conversait avec un homme coiffé d'un tricorne.Megs'alarma.L'hommeluiparaissaitvaguementfamilier,maislaraideurdeGodricneluidisaitriendebon.Puisl'étrangerlevalesyeuxverslafaçadedelamaisonetMegtressaillit.LecapitaineTrevillion.Megn'étaitpasrevenuedesasurprisequelecapitaine,tendantsoudainlebras,écartales

pansdumanteaudeGodric.Meg courut enfiler son peignoir, puis elle sortit de sa chambre en trombe et dévala

l'escalier,soncœurbattant.LecostumedeGodricsuffirait-ilaucapitainepourl'arrêter?Maisalorsqu'ellearrivaitdanslevestibule,ellevitsonmariquirefermaittranquillement

laported'entréederrièrelui,aussicalmeques'ilrevenaitd'uneentrevueavecleroi.—Godric!Ilsetournaverselle.Megréalisaqu'iln'étaitpasaussisereinqu'il leparaissait.Sestraitsaccusaientlafatigue.

Etilsemblaitfurieux.Il la rejoignit en deux enjambées et Meg comprit, à son regard, qu'il ne lui avait pas

pardonnédepuishiersoir.—S'est-ilpasséquelquechoseàSaint-Giles?demanda-t-elle,dansunsouffle.(Elleaurait

voululetoucher,maisellen'osaitpas.)PourquoilecapitaineTrevillionétait-ilici?—Godric!s'exclamaMmeSaint-John,depuislehautdesmarches.Meg,surprise,seretourna.LestroissœursdeGodricsetenaientderrièresabelle-mère.Et

Mouldersurgitsoudaindanslevestibule.—Monsieur?—Pourquoitoutlemondeest-ildéjàdebout?marmonnaGodric.—Tuétaissorti?s'inquiétaSarah.—Çaneteregardepas,luirépliquasèchementGodric,avantdeprendreladirectiondeson

bureau.—Mais...voulutprotestersabelle-mère.—Nem'interrogezpas,grommela-t-il,avantdedisparaîtredanslecouloir.MmeSaint-John,leslarmesauxyeux,jetaunregardimpuissantàMeg.—Jevaisluiparler,claironnacelle-ci,avectoutel'assurancedontellepouvaitfairepreuve,

avantdesuivreGodric.Si ellen'avaitpas vupleurer sabelle-mère,Megn'aurait sansdoute jamaisosé affronter

Godricaussipeudetempsaprèsledésastredelaveilleausoir.Elleétaitconscientedel'avoirgravementblesséetilsemblaitnepassouhaitersaprésence.Maistantpis.Ilfaudraitbienqu'ils'yrésolve.Megpoussalaportedubureausanssedonnerlapeinedefrapper.GodricseversaitunverredebrandyetparlaitàMoulder:—Àl'endroithabituel,disait-il.Etassure-toidenepasêtresuivi.—Bien,monsieur.Moulderparutsoulagédepouvoirs'éclipser.Megrefermalaportederrièreluiets’éclaircit

lavoix.—Allez-vous-en!tonnaGodric,avecungestedelamain,quiluifitrenverserlamoitiéde

Page 129: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

sonverre.Meggrimaça.Ilétaitvraimenttrèsencolèreaprèselle.Maiselleinspiraprofondémentet

s'armadecourage.—Non.Jesuisvotrefemme.Ilarquaunsourcil.—Mafemme?Tiensdonc?Megsesentitrougir.—Oui.Godricdétournaleregard,commes'ilnes'intéressaitplusàelle.Etilôtasonmanteau.Megcligna lesyeux.Soussonmanteau,Godricportaituncostumemarrontoutcequ'ily

avaitdeplusbanal.Nulletracedelatenued'Arlequin!Puissonmaris'approchad'unpanneaulambrissé,prèsdelacheminée,etillepressaenun

pointprécis.Lepanneaupivota,révélantunenichedanslemur.Megleregardatirersadaguedelapocheintérieuredesonmanteauetlaplacerdanslaniche.Elles'approchaprudemment.—LecapitaineTrevillionvousasuivi?—Oui.Ils'étaitdébarrassédesavesteet ildéfaisaitsachemise.Meggrimaça.Sablessures'était

rouverteetdusangavaitcoulédanssondos.—DepuisSaint-Gilesjusqu'ici,ajouta-t-il.Ilestvraimenttrèsfort.Plusieursfois,j'aimême

eul'impressionqu'iln'étaitplusderrièremoi.Megramassalachemiseetcommençadeladéchirerpourenfairedesbandesdetissu.De

toutefaçon,levêtementn'étaitplusrécupérable,àcausedusangquil'avaitsouillée.—HeureusementquevousneportiezpasvotretenuedeFantôme,cettenuit.—Si,jelaportais.Megsursauta.—Commentcela?Sonmarihaussalesépaules.—Jesavaisqu'ilmesuivait, jenevoulaisdoncpasprendrederisques.Etj'étaisparéàce

genred'éventualité: j'avaiscaché,voilàdéjàlongtemps,desvêtementsderechangedansunendroitsûr.Ilnem'afalluquequelquesminutespourtroquermatenued'Arlequincontrececostumeinoffensif.Ilrepritsonverreetlecontemplaquelquesinstants,avantd'ajouter:—C'estpresqueunmiraclequeTrevillionn'aitpasperdumatrace.Maiscommejel'aidit,

ilesttrèsfort.—Jevoisquevousl'admirez,ditMeg.Et,sansplusdecérémonie,elletrempaunedesbandesdetissuqu'ellevenaitdedéchirer

danssonverredebrandy.—C'estdel'excellentbrandyfrançais-ducognac,commeilsl'appellent,fit-ilremarquer.— Et votre dos est de la bonne chair anglaise, rétorquaMeg, avant d'appliquer le linge

humectéd'alcoolsursablessure.Illâchaungrognement.—Ques'est-ilpassé,cettenuit?voulutsavoirMeg.Il lui jeta un regard par-dessus son épaule, et Meg crut un instant qu'il s'apprêtait à

répliquerquelquechosequ'ilsregretteraienttouslesdeux.Maisilparutseraviser.

Page 130: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—J'aiquestionnéunpatrondetaverneàproposdeFraser-Burnsby.—Et?— J'ai peur de ne pas avoir appris grand-chose. Le valet qui avait assisté aumeurtre de

Fraser-Burnsbyestmort,luiaussi.LamaindeMegsefigea.—Assassiné?—Peut-être.Jen'ensaisrienpourl'instant.Maisilestévidemmenttrèssuspectqueleseul

témoind'unmeurtredisparaissepeudetempsaprèslecrime.Sablessurene saignaitplus etMegavaitnettoyé tout le sangqui avait coagulédans son

dos, cependantellecontinuaitd'appliquer le lingesursapeau,commesiellenepouvait serésoudreàneplusletoucher.—Cevaletdevaitavoirde la famille,oudesamis,repritGodric.Jedemanderaiàd'Arque

s'ilsaitquelquechoseàcesujet.—Jepourraisl'interro...—Non.Etils'écartabrusquementd'elle.Meg,surprise,restaunmomentlamainenl'air.Godricattrapaunpeignoirposésurledossierd'unfauteuil.—Sicevaletaétéassassiné,celasignifiequel'assassindeFraser-Burnsbyestprêtàtout

pourenterrersoncrime.Jeneveuxpasquevousvousenmêliez,Meg.—Godric...—Nousavonsconcluunmarché, lui rappela-t-il, enfilant lepeignoir.Je tiensmaparole,

tenezlavôtre.Meg reposa le linge ensanglanté.Elle le brûlerait plus tard pour que les domestiques ne

puissentpasledécouvrir.—Trèsbien.Ilparutsedétendre.—Àpartinterrogercepatrondetaverne,qu'avez-vousfaitd'autre,àSaint-Giles?IlgardaunmomentlesilenceetMegcrutqu'ilnerépondraitpas.—Jesuissurlapisted'unebandequienlèvedesfillettespourlesobligeràtravaillerdans

desateliersdeconfectionclandestins.OnlesappellelesKidnappeurs.Meg grimaça d'horreur. Elle songea aux pensionnaires de l'établissement ; aux fillettes

qu'elleavaitprisesenapprentissage.L'idéequ'onpûtmaltraiterdesenfantslarévulsait.—Oh...murmura-t-elle.Ilhochasèchementlatête.—Maintenant,sivotrecuriositéestsatisfaite...C'étaitunefaçondelacongédier,maislacuriositédeMeg«n'étaitpas»satisfaite.—Etvotredos?Votreblessures'estrouverte.Ilfaut...—Nevousenoccupezpas.C'estletravaildeMoulder.Detoutefaçon...Ilneterminapassaphrase,maisMegeutunmauvaispressentiment.—Detoutefaçon?—JeretournedansSaint-Gilesdèscesoir.

Page 131: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

13

L'air devenait plus froid à mesure que l'étalon noir montait à l'assaut du pic desMurmures.Foifrissonnaitetseserracontrel'Hellequin,jusqu'àcequ'ilfouilledansl'unedeses sacoches de selle pour en tirer unmanteau. « Enfilez ça », grommela-t-il. Foi prit levêtementetleremercia.Desgrandspinsmenaçantsbordaientlarouteetleventgémissaitdanslesbranches.Foi

avait l'impression d'entendre des murmures étouffés. Regardant plus attentivement, elleremarquad'étrangesvolutesquiflottaientauvent.[...]

op.cit.Cematin-là,ArtemisGreavesmarchaitdans lesruesdeLondresd'unpasdéterminé.Elle

n'avait que deux heures devant elle avant que Pénélope ne se réveille et réclame sacompagniepourbavarderetanalyseravecelle lemoindredétailde lasoiréed'hier.Artemislâchaunsoupiroùsemêlaienttendresseetagacement.DepuisquePénélopes'étaitmiseentêted'épouserunduc, sa frivoliténeconnaissaitplusde limites.Ellechoisissaitmûrementlesinvitationsauxquellesellerépondait,complotaitd'éventuellesrencontresetsurtout,ellejalousaitconstammentMlleRoyle.Cettepauvrefemme-Artemisenétaitàpeuprèssûre-ne se doutait pas un seul instant qu'elle était engagée dans une compétition féroce avecPénélope!Toutcelaauraitétésourced'amusementsiPénélopen'avaitpasjetésondévolusurleduc

deWakefield.Artemisnel'appréciaitguèreetelledoutaitfortqu'ilsauraitrendresacousineheureuse.Àsupposer,biensûr,qu'ilssemarient...Elles'immobilisajusteàtempspouréviterd'entrerencollisionavecuncoursierquiportait

deuxoiessursondosettraversaitdevantelle.—Regardedevanttoi,mabelle!luilançalecoursier,d'unairnarquois.Artemis déglutit et reprit son chemin. Les trottoirs de Londres étaient comme un grand

fleuvecharriantsanscesseunflotdegensquiformaientdescourantscomplexes.Ceuxquinesavaientpasnagercouraientlerisquedes'ynoyer.Si Pénélope épousait le duc deWakefield, dans le meilleur des cas Artemis resterait sa

damede compagnie et elle la suivrait dans sa nouvelle demeure, où elle ne serait qu'un «fantôme»,pourreprendrel'expressionduduc.Mais,avecunpeudechance,Artemispourraitdevenirunesortede«tatagâteaux»pourlesfutursenfantsducouple.Danslepiredescas,Pénélopepourraitdécréterqu'ellen'avaitplusbesoindedamedecompagnie.Artemisinspiraprofondément.Ilétait inutiledes'inquiéter.Elleavaitdespréoccupations

plusurgentes.Vingtminutesplustard,elleatteignaitenfinsadestination:uneéchoppedebijoutier,dans

uneruemodestedelaville.Artemisavaitmisdesmoisavantd'obtenirl'adresseauprèsdesdames de sa connaissance : elle avait craint que des questions trop directes n'attirent lacuriositésursesintentions.Artemis jetaprudemmentun regardautourd'elle avantdepousser laportede l'échoppe.

Page 132: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

L'intérieurétaitmal éclairéetpresquenu.Unhommedéjàâgéétait assisderrièreunhautcomptoir sur lequel étaient disposés quelques colliers, bracelets et bagues.Artemis était laseuleclientedanslaboutique.Le bijoutier leva les yeux vers elle. C'était un homme trapu, affublé d'un grand nez. Il

portaituneperruquegrise,unevesteetungiletrouges.SonregardsemblaitjaugerArtemis:detouteévidence,ellen'étaitpasfortunée.Artemiscontintsonenviedebaisserlatête.—Bonjour,ditlebijoutier.—Bonjour,répondit-elle,rassemblantsoncourage.(Sielleétaitvenuejusqu'ici,c'étaitpar

nécessité.Etelleexpliqua.)Jemesuislaissédirequevousachetiezparfoiscertainsbijoux.—Oui?répondit-ilévasivement.Artemiss'approchaducomptoiretsortitunebourseensoiedesapoche.C'estpresqueles

larmesauxyeuxqu'elleendénoualescordons.Ellecontenaitsontrésorleplusprécieux.Maislanécessitél'emportaitsouventsurlasentimentalité,hélas.Labourseenfinouverte,Artemisentiraunpendentifquimiroitadèsqu'ilsetrouvaàl'air

libre,malgrélepeudeclartédelaboutique.MaisArtemissavaitàquois'entenir.Lapierre,enformedelarmeverte,étaitfausseetlachaîneenalliage.Pourtant,ellecontemplalependentifaveclemêmeémerveillementquelapremièrefoisoù

ellel'avaittenudanslesmains,treizeansplustôt,lejourdesonquinzièmeanniversaire.Sesyeuxbrillaienttellementquandilluiavaitoffertlabourseensoie,qu'ellen'avaitpasoséluidemandercommentils'étaitprocuréuntelbijou.Lebijoutierposades lunettessursonnez,approchaunchandelieret courba la têtepour

examinerlependentifaumoyend'uneloupe.Après quelques instants, il fronça les sourcils et se pencha davantage, avant de relever

brusquementlesyeuxendirectiond'Artemis.—Oùavez-vouseucebijou?demanda-t-il,d'untonsévère.Artemisrisquaunsourire.—C'étaituncadeau.Lebijoutierdétailladenouveausesvêtements.—Permettez-moid'endouter.Artemisclignalesyeux.Ellenes'attendaitpasàunetelleimpertinence.—Jevousdemandepardon?Lebijoutiers'adossaàsonsiègeetdésignalependentifposédevantlui.—L'émeraudeestdelaplusbelleeau.Etlachaîneestenorpur.Ouvouscherchezàvendre

cebijoupourvotremaîtresse,ouvousl'avezvolé.Artemis réagit sans réfléchir. Elle récupéra le pendentif, releva ses jupes et s'enfuit en

courantdelaboutique,ignorantlescrisdubijoutier.Soncœurbattaitàtoutrompredanssapoitrine,maisellepoursuivitsacoursedanslarue,évitantpiétonsetattelage,n'osantpasseretourner de crainte de découvrir qu'elle était poursuivie. Elle ne s'arrêta de courir quelorsquelesouffleluimanqua.Heureusement,ellen'avaitpasdonnésonnomaubijoutier.Iln'avaitdoncaucunmoyende

laretrouver.Rassurée,Artemisrisquaunregardsurl’émeraudequ'elleserraittoujoursdanssamain.La pierre semblait la narguer.Elle représentait une petite fortune qu'Artemis n'avait pas

convoitéemaisqu'ellenepourraitjamaisvendre.Quelleironie!Lependentifluiavaitbelet

Page 133: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

bienétéoffertencadeau,maisellen'avaitaucunmoyendeleprouver.Dieutout-puissant!OùdoncApollos'était-ilprocurécebijou?

***

Le soir tombait quandMeg sortit se promener dans le jardin après avoir dîné de bonne

heure.Higginsavaitremislesalléesenétat,épandudesgravillonsdessusetsoigneusementtaillé les haies qui les bordaient. Quelques courageux narcisses poussaient leurs fleurs enbordure de la maison -probablement avaient-ils été plantés par un aïeul de Godric et seréinvitaient-ilsd'eux-mêmes,chaqueannéeàpareilleépoque.Meg réfléchissait tout en marchant. Les jardins étaient des endroits adaptés à la

méditation,mêmeàmoitiénus,commecelui-ci. Ilne le resteraitpas longtemps,d'ailleurs.Sur les instructionsdeMeg,Higginsplanteraitou sèmeraitbientôt rosiers, iris,pivoinesetautresfleurs.À condition, bien sûr, queGodric permette àMeg de rester jusque-là. Ce qui n'était pas

gagné.Aprèssonapparitionmatinale,Godrics'étaitenfermédanssachambreet iln'enétaitpas

ressorti de la journée, ignorant les appels à déjeuner et à dîner. Il s était fait monter desplateaux.C'étaitaumoinslesignequ'iln'avaitpasdécidédemourirdefaim.Megs'arrêtaaupiedduvieuxpommieretelleposaunemainsursontronc.Laprésencede

cetarbrel'apaisait.Malgrélanuitquitombait,lajeunefemmecrutdistinguerdesbourgeons.Lecœurbattant,elleinspectaplusendétaillesbranchesbasses.Ellenes'étaitpastrompée.Deminusculesbourgeonspointaientçàetlà.Le...—Meg.Lavoixétaitmesurée,maisletonautoritaire.Megsetournaverslamaison.Godricsetenaitdansl'encadrementd'uneporte-fenêtreetla

lumière de l'intérieur projetait son ombre démesurément allongée sur la pelouse. Megfrissonnauncourtinstantdevantcespectaclequiluiévoquaitquelqueenvahisseurétrangers'invitantdanssonpaisiblejardin.Maiselleserepritbienvite.Godricn'étaitplusunétranger.Ilétaitsonmari.Ellelerejoignit.—Venez,dit-il,luisaisissantlamainpourl'entraîneràl'intérieur.Il la conduisit vers l'escalier, qu'ils gravirent en silence. À chaquemarche, le cœur de la

jeunefemmebattaitunpeuplusrite.Elleétaitpresqueàboutdesoufflequandilouvritenfinlaportedesachambre.Lapiècebrillaitd'unelumièreéclatante:deschandeliersallumésétaientdisposésunpeu

partout.MegclignalesyeuxetinterrogeaGodricduregard.—Jevousavaispromisquelquechose,commença-t-il.Et jevaiscontinueràhonorerma

promesse.Maisdifféremment,cettefois.Megcompritqu'ilfaisaitallusionàleurétreintedelanuitprécédente.—Je... je suisdésolée,bafouilla-t-elle. Jenevoulaispas vousdonner l'impressionque je

pensaisàRoger.Simplement, cequenous faisionsmeparaissaitune trahisonà sonégard.J'avaispeurdeleperdreunedeuxièmefois.

Page 134: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—N'avez-vouspas songéun instantque je ressentais lamêmechosevis-à-visdeClara ?N'avez-vouspasréaliséquejeconsentaisunsacrificepourvousdonnercequevousréclamiez?Megbaissalatêtetantellesesentaithonteuse.—Jem'excuse,Godric.Illuisoulevadoucementlementonpourl'obligeràleregarderdroitdanslesyeux.—Çan'aplusd'importance.Cequicompte,maintenant,c'estcommentnousallonsnousy

prendrepourcontinuerd'avancer.Et il pencha la tête vers elle, très lentement, pour qu'elle comprenne bien qu'il allait

l'embrasser.Megécarquillauninstantlesyeux,avantdelesfermer,ensignedecapitulation.Elleluidevaitbiencela.Son baiser n'avait plus rien de commun avec les précédents. Il était moins tendre, plus

impérieux.CommesiGodricvoulaitscellerunnouveaupacte.Meg rouvrit les yeux.Elle s'aperçut qu'il la regardait en l'embrassant.Elle s'empressade

fermerdenouveaulesyeux.C'étaittropintime.Lalumièrechangeaittout.Pourtant,lesyeuxtoujoursfermés,Megs'enhardit.Elles'offritpleinementàsonbaiser,à

l'intrusiondesalanguedanssabouche,etungémissementsatisfaitmontadelagorgedesonmari.Sanscesserdel'embrasser,illasoulevaparlataillepourlaporterjusqu'aulit.—Déshabille-toi,luiordonna-t-il.Megrouvritgrandlesyeux.Illadominaitdetoutesastature.—Maintenant.—Tum'aideras?—Jedéferailesboutonsoulescrochetsquetunepourraspasatteindre.Megsedébattitavec lesattachesdesonbustier.Ellen'étaitpashabituéeàsedéshabiller

touteseule :d'ordinaire,Danielleétait làpour l'aider.La tâche luiprendraitplusde temps.Ellerisqueraitaussidemanquerdegrâce.Etunefoisdéshabillée,Megseretrouveraitexposée,nue,enpleinelumière.Maissonmarirestaitplantédevantelle.Alors,ellecontinua.Quandelleeutenlevésonbustier,ellevoulutledéposersurunfauteuil,maisGodriclelui

pritdesmainsetlejetaparterre.Megsemorditlalèvre,maisneditrien.Elles'attaquaitdéjààlaceinturedesesjupes.La

minuted'après,celles-citombaientencorolleàsespiedsetlajeunefemmes'extirpaducercleavantderepousserletoutdupied.Aprèsquoiellesortitlespiedsdeseschaussuresetellesepenchapourroulersesbassursesjambes.Commesonmarinebougeaittoujourspas,elleseretrouvalatêtefaceàsonentrejambevirile.Pareilleposition,choquante,lafittressaillir.Puis elle se redressa, pieds nus, et elle entreprit de délacer son corset. Ses doigts

tremblaient légèrement,cequine lui facilitaitguère la tâche.Godricattendaitpatiemment,commes'ilnes'intéressaitpasvraimentàsesmanœuvres.Mais à un moment, Meg baissa les yeux et elle put constater qu'il n'était pas si

désintéressé...Leslacetsétaientdénoués.Elleputenfinlespasseràtraverslesœilletspourselibérerde

Page 135: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

soncorset.Godric l'observait toujours, impassible. À présent, Meg ne portait plus sur elle que sa

camisole.—Tout,dit-il.Ellevoyaitbienqu'ilétaitdéterminéàluifairecomprendrequecesoir,ilseraitlemaître.

De son côté,Meg,malgré sapudeur, était résolue à lui obéir.Cependant, les raisonsde saredditionn'étaientplusaussiclairesdanssonesprit.Carsielledésirait toujoursunenfant,elleéprouvaitaussiundésirplusimmédiat.Elleôtasacamisole,lapassantpar-dessuslatête,etelles'immobilisa,nuedevantlui,alors

qu'ilétaittoujourshabillé.Lesilence,danslapièce,étaitabsolu.GodricattiraMegàluipourluicaresserlesseinset

sespoucesdécrivirentdescerclesautourdesestétons.Megretenaitsonsouffle.Ettoutàcoup,illasoulevaencoredanssesbras,avecuneaisance

déconcertante,commesiellenepesaitvraimentrien,etill'allongeasurlelit.Puis il sedéshabilla à son tour.D'abord ses chaussures.Puis sa veste et songilet. Il alla

ensuiteposersaperruquesurunguéridon,avantderevenirprèsdulit.Megs'attendaitàcequ'ilterminedesedévêtir,maisilsecontentadelaregarderlonguement.Etsoudain,ilfermalesyeux.—Dismonnom.Megdéglutitavantdepouvoirproférerunson.—Godric.Ilrouvritlesyeux.—Meg.Il sepencha lentementet ilposa les lèvressurcellesdeMeg,réclamant ledroitd'entrer.

Elleaccueillitsalangueetymêlalasienne.Auboutd'unmoment,ilseredressa,etlafixadenouveau.—Godric,répéta-t-elle,sesoumettantavantmêmed'yavoirétéobligée.Il parut se détendre. Et il l'embrassa de nouveau, mais cette fois dans le cou. Meg

frissonnait de délice. Tout était si différent de ce qu'elle avait connu avec Roger. Leursétreinteshâtives,précipitéesettoujourstroprapides,avaientpâtidelanatureclandestinedeleurrelation.Godric,aucontraire,semblaitapprécierchaqueinstant.Commes'ilvoulaitobtenirdeMeg

autrechosequ'unsimpleplaisircharnel.Cetteidéelamettaitmalàl'aise.Ilrelevabrusquementlesyeux,commes'ilavaitsentiquesonattentions'égarait.—Dismonnom.—Godric,murmura-t-elle.Ilrepritalorssesbaisers,embrassaunsein,toutentitillantl'autreduboutdesdoigts.Meg

sesurpritàentrouvrirlaboucheenunesuppliquesilencieuse.Puis les lèvres de Godric se portèrent sur l'autre sein, qu'il suçota et lécha pendant de

longuesminutes.Megagitaitlesjambes,impuissante.Ilrelevauninstantlatête.—Monnom?—Go...Godric.Ilcaressasontétondupouce,puislaissacourirseslèvresplusbas.

Page 136: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ils'arrêtajusteavantd'atteindresaféminitéetillevadenouveaulesyeux.—Godric,murmuraMeg,sanssefaireprier.Illuiécartalescuissesdesdeuxmains.Etilregarda.Meg, par réflexe, voulut croiser les jambes, mais son mari les maintint écartées avec

fermeté. Personne, pasmêmeRoger, ne l'avait regardée aussi intimement. Avec Roger, ilsavaient toujours fait l'amour dans l'obscurité, ou dans des piècesmal éclairées. Une seulefois,Rogerl'avaitembrassée...là.EtMegavaitétéhorriblementgênée.Elle«était»horriblementgênée.Elle savait qu'elle mouillait. Que ses poils se collaient entre eux. Pourquoi voulait-il

absolumentvoircela?La jeune femme regarda les chandeliers qui illuminaient la pièce. Accepterait-il de les

soufflersielleleluidemandait?—Dismonnom,ordonna-t-ildenouveau,d'unevoixplusgrave,latirantdesespensées.—Go...Godric.Toutsepassasivite,ensuite,queMegn'eutpasletempsderéagir.Baissantlatête,ilposa

seslèvressurcequ'ilcontemplait.Megsefigea.Elle n'avait jamais vécu quelque chose d'aussi choquant. Il la... il la goûtait, la dévorait,

léchaitlesreplisdesaféminité,lapaitsesfluides,insinuaitsalangueleplusloinpossible.Ettoutcelaengémissant,engrognantdeplaisir.Megn'osaitplusrespirer.Commentpouvait-elle endurer pareille torture ? Où avait-il appris à se servir de sa langue d'unemanière siscandaleuseetsi...merveilleuse?Ilrefermasoudainses lèvressursonboutonderoseetMegcrutperdre laraison.Ellese

cambra sous les caresses de son mari en gémissant de plaisir, sans plus se soucier ni dedécencenidepudeur.CequeGodric lui faisait subir était sansdoutepéché,mais c'était sidélicieuxqueMegenvoulaitdavantage.Commes'ilavaitdevinésasoifnouvelle,ilnesecontentaitplusmaintenantdelacaresser

avecseslèvresetsalangue,maisavaitintroduitsesdoigtsentresescuisses.Megsentaitdesvaguesdeplaisir déferler dans tout son corps.Et soudain, ce fut l'explosion.La jouissanceirradiatoutsoncorps.Lasensationfutsiintensequ'ellecrutnejamaisretrouversesesprits.Enfin, elle rouvrit les yeuxet vitGodricassis à côtéd'elle,qui l'observait avecun tendre

sourire.—Godric,murmura-t-elle,entendantunemainverslui.Ils'emparadesamainpourembrasserchaquedoigt.LavuedeMegsebrouilla.Sonmariluibaisaitlamaincommes'illavénérait.Commesice

qu'ilsfaisaientdanscelitn'étaitpasqu'unactecharnel.Ilfinitparlâchersamainpoursereleveretterminadesedéshabiller.Ilcommençaparson

pantalonetseschaussettes,avantd'enleversachemise.Megs'aperçutalorsquelependentifàsoncouétaitunepetitecléaccrochéeàunechaîneenargent.Lavueducorpsdesonmarineluipermitpasdepoussersaréflexionplusavant.Alalumièredeschandelles,ellepouvaitvoir lesnombreuses cicatricesquimarquaient sa chair.Pourtant,malgré ces cicatrices -oupeut-êtregrâceàelles-,elleletrouvaitbeau.Son torse, puissant, était taillé en « V » ; les muscles de ses biceps et de ses épaules

saillaient;unpetittriangledepoilsavaitpousséentresespectoraux;sonventreétaitplatet

Page 137: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

ferme;seshanchesresserrées;et...Ilvenaitd'enleversoncaleçon,etMegdécouvritsonmembreérigé.Ellen'avaitjamaisvu

Rogerentièrementnu-niaucunautrehomme,biensûr.LespectacleétaitsimagnifiquequeMegétait soudain raviequeGodric fût sonmari.Etqu'elle fût la seuleàpouvoir l'admirersouscetangle.Iln'étaitqu'àelle-rienqu'àelle.Mêmesic'étaitpouruntempslimité.Ellerelevalesyeuxets'aperçutqu'illaregardaitl'admirer.Ellerougit.—Godric.Ilsourit.Sonsourireavaitquelquechosedelasatisfactionduprédateur.—Maintenant,jevaisteprendre,prévint-il,ungenousurlelit.Etnousneseronsquetous

lesdeux,Meg.Toietmoi.Meg nourrissait encore un peu d'appréhension à l'idée de trahir Roger. Mais elle avait

blesséGodrichiersoir,etellevoulaitréparersonoffense.—Justetoietmoi,acquiesça-t-elle.Ils'allongeasurelle,sepositionnaentresesjambesetMegputsentirsonmembrepalpiter

contresonventre.La jeune femme inspira profondément. Elle venait tout juste de jouir, pourtant le désir

montaitdenouveauentresesjambes.Godric prit son visage dans ses mains et se pencha pour l'embrasser, cette fois avec

beaucoupde tendresse,presquede la révérence.Megse trouvadenouveaumalà l'aise.Cen'étaitpascequ'elleétaitvenuechercheràLondres.Sonmaricommençaitdetisserentreeuxunerelationsiintimequ'ildeviendraitdifficiledelabriser,lemomentvoulu.Toutessespenséess'envolèrentdèsqu'ilrepritsescaressesetqu'ilsoulevasonbassinpour

lapénétrer.—Maintenant,dit-il.Megluisouritpourluisignifiersonaccord.Il entra en elle d'une seule poussée. Et il commença aussitôt un va-et-vient enivrant.

Doucementd'abord,puisdeplusenplusfort,deplusenplusvite.Megavaitrejetélatêteenarrièresurl'oreilleretferméàmoitiélesyeux,maissonregard

restaitrivéàceluidesonmari.Etelleécartaitlesjambesaumaximumpourmieuxs'offriràlui.Il lapénétraitsiviolemmentquele litgrinçaitetvenaitcognercontrelemur.Megaurait

dû s'offenser d'une telle bestialité. Pourtant, elle était au paradis.Ou plutôt, elle ne s'étaitjamaissentieaussivivantequ'àcemomentprécis.Pourunpeu,elleauraiteul'impressiondepouvoirvoler.Sajouissancefutencoreplusexplosivequelapremièrefois.Elleredescenditdeshauteurs

où son plaisir l'avait propulsée juste à temps pour voir Godric s'abandonner lui aussi àl'extase. Il avait fermé les yeuxmais, aumoment de jouir, il les rouvrit brutalement pourplongersonregarddanslesien.Megretintsonsouffle.C'étaitcommes'illuipermettaitdevoirsonâme.Puis, il roula sur le côté, commes'il craignaitde l'écraser.Megen futunpeudéçue.Elle

auraitvoulusentirtoutsonpoidssurelle.Ellerestaimmobile,àreprendresonsouffle.Lafraîcheurlagagnapeuàpeu.Elletournala

têtepourregardersonmari.Ilparaissaitplusdétenduqu'ellenel'avaitjamaisvu.Unegoutte

Page 138: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

detranspirationperlaitàsa tempeetMegtendit ledoigtpour l'essuyer,mais ilquitta le litsansunmot,luiéchappa.Lajeunefemmeremontalescouverturessurelle.—Quefais-tu?Ilneseretournamêmepas.—Jedoisyaller.—Oùça?murmuraMeg,aveclesentimentd'êtretoutàcoupabandonnée.—DansSaint-Giles.

Page 139: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

14

Chagrin sepencha,avecunmauvais sourire, pour toucher l'épauledeFoi. «Vois-tu cesâmes qui volettent dans le vent ? Ce sont celles de bébésmorts-nés. Elles demeureront icijusqu'à la findumonde.»«Quellehorreur!Cen'estpas leur fautes'ilssontmortsavantd'avoir vu le jour ! » Chagrin sourit de plus belle. «Non,mais il n'y a pas de justice, enEnfer.Nipoureuxnipourtonbien-aimé.»Foi, furieuse,poussaChagrinàbasducheval.[...]

op.cit.—C'estlà-bas,murmuraAlfàGodric.Ilparlaitsiprèsdel'oreilledeGodricquecelui-cipouvaitentendresarespirationsaccadée.

Alfétaitterrifié,cependantillecachaitbien.—Danslescavesdecetimmeuble,enface,ajouta-t-il.Vousvoyez?—Trèsbien.C'étaitledeuxièmeatelieretilsemblaitbeaucoupplusimportantqueleprécédent.Godric

avaitdéjàlibérésixfillettesdanslepremier.L'opérations'étaitavéréed'unefacilitépresquedéconcertante,carleslieuxn'étaientgardésquepardeuxhommes,dontl'unétaitivremort.Etmaintenant,GodricetAlfétaientaccroupissuruntoit,àproximitédudeuxièmeatelier.—Plusieursissues?—Non,pasquejesache.Godric analysa rapidement la situation.Comme tout à l'heure, il serait seul à intervenir.

Quandilavaitconduitlessixpremièresfilletteslibéréesàl'orphelinat,WinterMakepeaceluiavait proposé de prendre du renfort avant de s'attaquer au second atelier. Mais Godricrépugnait à l'idée de partager son secret avec quelqu'un qui pourrait l'identifier. De toutefaçon,ilétaithabituéàtravaillerseul.Commecela,aumoins,iln'avaitbesoindedépendredepersonnepouragir.—Iln'yaencorequedeuxgardes,chuchotaAlf.Godric lui jetaunrapidecoupd'œilet il futémuparladélicatessedesonprofil.Quelque

chosechezcegaminletroublait.—Vousvoyez,repritAlf,letirantdesespensées.L'unàcôtédelaporteetl'autreàl'entrée

delaruelle.—Plusunsurletoit.Alflevalatête.—Bravo.Vousavezdebonsyeux.Commentvousallezfaire,toutseul?—J'enfaismonaffaire,répliquaGodric.Resteicietnetemêlederien.Jenevoudraispas

avoiràm'inquiéteràtonsujetpendantquej'opérerai.Une lueur mutine brilla dans les prunelles du garçon. Godric, loin de s'en offusquer,

l'admirapoursoncourage.Alfhochalatête.—Bonnechance,alors.

Page 140: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Godricseredressaetluisourit.—Merci.Il s éloigna en silence, sautant de toit en toit et décrivant un grand cercle avant de se

rapprocherdel'immeublequ'ilvisait.Decettemanière,ilpourraitsurprendrepar-derrièrelegardeembusquésurletoitdel'atelier.Lasuitefutplusrapidemaistoutaussisilencieuse.Ilsedébarrassadugardeenquelquescoups, l'unsur le crânepour l'étourdir,unautre sur lanuquepour le faireplier etundernier coupen traversde la gorge.Legarde s'écroula sansmêmeuncri.Godricpossédaitsuffisammentd'expériencepouragiravecdiscrétion.Etréussir.Legardepostéàl'entréedelaruelleétaitsaprochainecible.L'immeublen'étaithautquededeuxétages.Godricsepositionnasuruneavancéedutoitet

ilsautasurlegarde,quis'affalasouslui.PuisGodricleréduisitausilenced'uncoupdelameenpleincœur.Maintenant, il ne pouvait plus se permettre de perdre une seconde. Le garde posté à

l'entrée de l'immeuble s'apercevrait bientôt que son comparse avait disparu et il donneraitl'alarme.Escaladantprestementlafaçadedel'immeuble,Godricremontasurletoitetcourutseplanterau-dessusdutroisièmegarde,qu'ilassommadelamêmemanière:enluitombantdessus.Malheureusement, cette fois Godric se réceptionna mal. Son poignet gauche heurta

violemmentlepavéetunedouleurcuisanteluitransperçalebras.Ilserelevaentitubant.Desétoilesdansaientdevantsesyeuxetilmitquelquessecondesà

recouvrersonéquilibre.Puisilpénétradansl'immeuble,dévalal'escalierconduisantàlacaveetdonnauncoupdepieddanslaporte.L'intérieur était plongé dans une obscurité quasi totale. Une forme se jeta sur lui,mais

Godricétaitparéà touteattaque : il esquivasonagresseurd'uncoupd'épaule,avantde luienfoncersa lamedans leventre.L'hommebaissadesyeuxincrédulessur lablessure,avantdes'écroulerquandGodricrepritsonarme.Undeuxièmegardejetasonpistoletetlevalesmainsenl'air.—Pitié!Nemetuezpas.—Bob...murmuralegardequiagonisait.Bob.—Oùsont-elles?grondaGodric,quiserraitlesdentspoursurmonterladouleuràsonbras.

Oùsontlesfillettes?—Derrière,réponditBob.—J'aimal,gémitlepremiergarde.—Tuvasmourir,luirépliquaBob,sanslamoindreémotion.CommeGodricn'avaitplusqu'unemainvalide, ilnepouvaitpasligotersonadversaire.Il

l'assommadoncd'uncoupsur latempeavec lepommeaudesonépée.Bobs'affalasansunbruitprèsdesonacolyte.Godricsouffraitdeplusenplus.Savisionsetroublait.Lanausée leprenait. Ilcontourna

lesdeuxgardespourgagner laportequidonnaitsur lacave,qu'ilouvritd'uncoupdepied,sonépéebrandie,prêtaucombat.Maisiln'avaitplusd'adversaires.Ilnetrouvaquedesenfants,desfilles,quileregardèrent

faireirruptionavecdesyeuxécarquillés.Etsoudain,Godriccompritcequil'avaittroubléchezAlf.Alfétaitunefille.Godriccélébrasadécouverteenvomissant.

Page 141: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megfuttiréed'unprofondsommeilparquelqu'unquiluisecouaitl'épaule.—Milady!Milady,réveillez-vous!—Moulder?Megclignaplusieursfoislesyeux.Lemajordome,unechandelleàlamain,setenaitàcôté

dulit,maisiltournaitbizarrementlatête,commes'ilévitaitderegarderMeg,alorsquetout,danssonattitude,faisaitcomprendrequ'ilyavaiturgence.Oh!Lajeunefemmeréalisaqu'elleétaitnue.Elleremontalescouverturessoussonmentonet

s'assitdanslelit.—Quesepasse-t-il?OùestGodric?— II... commença lemajordome, qui semblait paniqué. Je... Il est blessé.M.Makepeace

vientdemeprévenir.Ilsontbesoinquevousalliezlechercheràl'orphelinatpourleramenerici.—Tournez-vous,ditMeg,quisortaitdéjàdulitpourrécupérersacamisoleetréfléchiràce

qu'ellepourraitenfilerseule,sansl'aidedeDanielle.Avez-vousfaitpréparerlavoiture?— Oui, milady, répondit Moulder, le dos tourné, dansant d'un pied sur l'autre. Dois-je

appelerundocteur?Jesaisqu'iln'aimepas lesdocteurs.Il trouvequ'ilsparlenttrop.Maiss'ilestgravementblessé,jecrainsquesonétatsortedemescompétences.—Oui,s'ilvousplaît,allezquérirunmédecin,réponditMeg,sansréfléchir.Elle cherchait à quatre pattes ses chaussures qu'elle portait la veille. Ses yeux étaient

embuésdelarmes.Etuneétrangedouleurluioppressaitlapoitrine.LeschaussuresavaientglissésouslelitdeGodric.Elleavaitdormidanssachambreetelle

devaitmaintenantréintégrerlasiennepourprendreunmanteau.Cequiluifitpenseràautrechose.—Mettez-luidesvêtementsderechangedanslavoiture.Etj'auraisbesoind'aumoinsdeux

valetspourm'accompagner.—Oui,milady.—Quesepasse-t-il?MeglevalesyeuxetdécouvritMmeSaint-John.Moulderenprofitapourseglisserhorsde

lapièce.Labelle-mèredeGodric était enpeignoir et ses cheveux grisonnants cascadaient sur ses

épaules.—Meg?OùestGodric?—II...commençaMeg,sanspouvoircontinuer.Elleétaitàcourtd'imaginationetnevoyaitpasquelmensongeinventerpourrassurerMme

Saint-Johnetlarenvoyerdanssonlit.Soudain,c'enétaittrop.Elleéclataensanglots.— Meg ? s'alarma Mme Saint-John, qui courut prendre la jeune femme dans ses bras.

Qu'est-ilarrivé?Vousdevezmeledire.—GodricestàSaint-Giles.Jedoisallerlechercher.Ilestblessé.MmeSaint-Johnlaregarda,hébétée,etsesridesétaienttoutàcoupplusvisibles.Puiselle

hochalatêted'unairrésoluetrepartitverslaporte.—J'enaipourdeuxminutes,pasplus.Attendez-moi.Megclignalesyeux.—Quefaites-vous?

Page 142: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

MmeSaint-Johnluijetaunregardpar-dessussonépaule.—Jesuissamère.Jeviensavecvous.Etelledisparut.Meg était stupéfaite, mais elle était aussi trop inquiète pour tenter de dissuader Mme

Saint-John de la suivre dans Saint-Giles. Godric serait certainement furieux que sa belle-mèredécouvresonidentitésecrète...Tantpis!Megrésoudraitceproblèmeplustard.Dansl'immédiat,elleavaitunsouciplusurgent:s'assurerqueGodricn'étaitpasmourant.La jeune femmeessuyases larmesd'unreversde lamain,enfilaseschaussuresetpartit

chercherunmanteau.Elleétaitsipresséequ'ellen'étaitpassûredepouvoirattendreMmeSaint-John.Mais dès qu'elle sortit dans le couloir, elle s'aperçut que sa belle-mère l'y attendait déjà.

MmeSaint-Johnétaitpâleetsonvisagefermésemblait indiquerqu'elleessayaitdes'armercontreunemauvaisenouvelle.EllesuivitMegdansl'escaliersansunmot.De toute façon, il n'y avait pas grand-chose à dire pour l'instant. Les deux femmes

gagnèrentrapidement lavoiture.L'auben'étaitpasencore levéeetunemerd'encres'étalaitau-dessusdeleurstêtes.MegfutsoulagéedevoirOliveretJohnnydéjàinstallésàl'arrièredelavoiture.Ellegrimpa

à l'intérieur, toujours suivie de Mme Saint-John. Une fois dans l'habitacle, ses angoissesl'étreignirent plus violemment. Et s'il était inconscient ? Et s'il était gravement blessé, aupointdenejamaistotalementrécupérer?Ellereconnaissaitcettedouleurquiluioppressaitlapoitrine.Elleavaitressentilamêmela

nuit où Roger avait été tué. Mais elle ne voulait pas revivre cette expérience. Elle nesupporterait pas de perdre deux fois un être aimé. Godric n'était pas Roger, voulut-elle seconvaincre.Ellen'étaitpasamoureuse.Soncœur, lui,nesemblaitpasfaireladifférence.Sapaniqueétaitréelleetlarendaitnauséeuse.Jen'yarriveraipas!— Vous survivrez! lui dit soudain sa belle-mère, d'une voix ferme, comme si elle avait

devinésespensées.Meg se rappela queMme Saint-John avait perdu un mari qu'elle adorait. Elle savait ce

qu'étaitlechagrin.Etelleétaittoujourslà.—Écoutez-moi,repritMmeSaint-John.Quoiqu'ilarrive, ilvousfaudraêtreforte.Godric

aurabesoindevousetvousnedevezpaslelaissertomber.—Non,biensûr,murmuraMeg,d'unevoixmalassurée.MmeSaint-Johnhocha la têteets'adossaà labanquette.Lerestede l'interminabletrajet

s'effectuaensilence.La rue dans laquelle se dressait l'orphelinat était trop étroite pour laisser passer leur

voiture.Lecochers'arrêtaaucoin.Megs'emparadusaccontenantlesvêtementsdeGodricetelle descendit avec Mme Saint-John. Les deux valets, Oliver et Johnny, se positionnèrentaussitôtdechaquecôtédesdeuxfemmes.Chacununearmeàlamain.—Vouscroyezquevouspourrezattendretoutseul?demandaMegàTom,lecocher.—Nevousinquiétezpas,répliquaTom,brandissantunepairedepistolets.Çam'étonnerait

qu'onviennem'embêter.Meghocha la têteet remontaMaidenLane jusqu'à l'orphelinat.Deux lanternesbrillaient

de chaque côté de la porte d'entrée etMeg était si concentrée sur leur lumière qu'elle neremarquapasl'hommetapidansl'ombre.C'estOliverquidonnal'alerte.

Page 143: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

LecapitaineJamesTrevillionlevalesmainsavecuneindifférencehautaine.—VousnelaisseriezquandmêmepasvotrevalettirersurunsoldatdelaCouronne,milady

?—Biensûrquenon,réponditMeg,circonspecte.Quefaisaitlecapitainedesdragonsdevantl'orphelinat?Megjetaunregardàsabelle-mère

etelle fut soulagéedevoirqueMmeSaint-Johngardait le silence,malgré sonétonnementmanifeste.—Maisreconnaissezqu'iln'estpasprudentdesurprendreungardearmédansSaint-Giles.—Onn'est jamais tropprudent,acquiesça lecapitaineTrevillionavecunsourirequelque

peucruel.SurtoutquandleFantômedeSaint-Gilesrôdedanslesparages.—Ça,çanemeregardepas.—Croyez-vous? fit le capitaineTrevillion.J'aipourtant le sentimentque leFantômeest

rentrédanscebâtiment,ajouta-t-il,endésignantl'orphelinat.Megredressalementon.—Laissez-nouspasser.Lesyeuxbleusducapitainebrillèrentd'unesoudainenoirceur.—Vousêtesunefemmetrèsestiméepartousceuxquivousconnaissent,milady.Sijenele

voyais pas demespropres yeux, je ne pourrais jamais croire que vous cherchez à protégerl'assassinqu'estvotremari.Megentenditsabelle-mèrehoqueterdesurprise.Maiselleétait tropoccupéeà faire face

au capitaine des dragons pour se tourner vers sa belle-mère. Trevillion venait d'accuserGodric d'être le Fantôme de Saint-Giles.Meg devait lui tenir tête et nemanifester aucuneémotionparticulière,sinondel'indignation.—J'ignoredequoivousparlez.—Enêtes-voussisûre,milady?répliquaTrevillion.Votremariabeauêtreunaristocrate,

tôtou tard je l'attraperaidans sondéguisementdeFantôme.Et ce jour-là, ilnepourrapaséchapperàlaprison.Malgrésesefforts,Megneputs'empêcherdetressailliràcesparolesbrutales.LecapitaineTrevillionlevaunemaindansungestedeconciliation.— Croyez-moi, milady, vous feriez mieux de renier M. Saint-John avant sa disgrâce.

Retirez-vousàlacampagne.Etfaitesoubliervotrehonted'avoirépouséunassassin.Trevillionavait raison.Godric avait tuédesgens. Il avaitmêmeconfesséqu'il ignorait le

nombredesesvictimes.Megluienvoulaitpourcela.Maisellenepouvaitserésoudreàluitournerledos.—Vousvoustrompez,assura-t-elle,d'unevoixneutre.Ilarquaunsourcil.—Pensez-vous?Megcédasoudainàlacolère.Cethommen'avaitaucundroitdes'enprendreainsiàGodric

!Elleseplantadevantlecapitainedesdragonsetpressaundoigtsursontorse.—Jen'abandonneraipasmonmari, capitaineTrevillion.Et si vousvous imaginezque je

pourraisavoirhonted'avoirépouséGodricSaint-John,c'estquevousn'avezriencompris.M.Saint-John est un homme honorable. Il est même le meilleur homme que j'ai jamaisrencontré. Si vous n'êtes pas capable de vous en rendre compte, c'est que vous êtes unimbécilefini.

Page 144: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Là-dessus, elle s'élança vers l'orphelinat, sans s'attarder sur l'expression stupéfaite dumilitaire.—Milady!larappela-t-il,danssondos.Megl'ignora.Ellegrimpaleperronetcognaleheurtoir.Ellen'avaitqu'unehâte:rentrerà

l'intérieurets'assurerqueGodricn'étaitpasmortellementtouché.«Lemeilleurhommequej'aijamaisconnu.»Elleavaitditcelasouslecoupdelacolère,

mais c'était vrai.Meg avait aiméRoger de tout son cœur,maisGodric risquait sa vie poursauverdes inconnus.SesactivitésdeFantôme l'obligeaientà laviolence,maisellesétaientaussi,pourbeaucoup,synonymesdedélivrance.C'est IsabelMakepeacequi luiouvrit.Elleavait les traitsmarqués.Dèsqu'elleaperçut le

capitaineTrevillionsurletrottoir,elleplaquaunsourirepolisurseslèvres.—Oh,entrezdonc,milady,dit-ellebien fortàMeg,commesi celle-ci rendaitunesimple

visitedecourtoisieàl'établissement.Bonsoir,capitaineTrevillion,lança-t-elleàl'hommequiveillaitplusbas.Votresensdudevoirvoushonore,maisnecroyez-vouspasqu'ilseraitplusraisonnable de rentrer chez vous ? Avec tous ces ruffians qui hantent Saint-Giles, il estdangereux,pourunhommeseul,aussicourageuxsoit-il,desortirdanslesruesàuneheurepareille.Meg se glissa dans le vestibule, suivie de Mme Saint-John et des deux valets. Isabel

refermaaussitôtlaportederrièreeux.— Vous croyez qu'il partira ? demanda Meg. Isabel secoua la tête. Son sourire s'était

évanouisitôtquelecapitainedesdragonss'étaiteffacéderrièrelaporte.— Non. Trevillion est malheureusement quelqu'un d'entêté.Mais ne vous inquiétez pas

trop.Voilàbientôttroisansqu'iltraqueleFantômedeSaint-Gilesetiln'atoujourspasréussiàluimettrelamaindessus.Isabel se voulait désinvolte, cependantMeg n'était pas rassurée. Désormais, le capitaine

des dragons avait percé l'identité du Fantôme. Et comme Isabel l'avait souligné, Trevillionétaitobstiné.Ilnerenonceraitpasfacilementàsonobjectif,àsavoircapturerGodric.—Oùest-il?demandaMmeSaint-John,tirantMegdesesidéesnoires.—Là-haut,dansl'infirmerie,lesinformaIsabel,quipartaitdéjàversl'escalier.Megluiemboîtalepas,sansoserjeterunregardàsabelle-mère.Quepouvaitbienpenser

MmeSaint-John?Ilétaitimpossiblequ'ellen'aitpasclairementcomprislesaccusationsdeTrevillion.Son interrogation s'envola à l'instant où Isabel frappa à la porte de l'infirmerie, qu'elle

ouvritdanslafoulée.MegdécouvritalorsGodriccouchédansunlit,surlecôté,enmanchesdechemiseet saculotted'Arlequinencoresur les jambes. Il était trèspâleet ilportait sonbrasgaucherecroquevillésursesgenoux.Maispourlereste,ilsemblaitenbonneforme.Meg en ressentit un immense soulagement.Une femmed'un certain âge, assise sur une

chaiseprèsdulit,selevaàl'entréedesvisiteuses.—Merci,madameMedina,luiditIsabel.Etellelasuivithorsdelapièce.Quand la porte se fut refermée sur les deux femmes,Meg voulut s'approcher deGodric.

Maislacolèredesonmarilastoppanet.—Pourquoi,luilança-t-il,désignantsabelle-mère,l'as-tuamenéeici?

Page 145: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Sonpoignet le faisait toujourshorriblement souffrir.Chaqueélancementprovoquaitunemontée de bile dans sa gorge.Godric gardait cependant assez de lucidité pour comprendrequ'il avait parlé trop durement. Meg s'était figée et son expression prouvait qu'il l'avaitblessée.Maisc'estsabelle-mèrequirépondit.—N'enveuxpasàMeg.C'estmoiquiaiinsistépourvenir,Godric.Tuesblessé.Jen'allais

quandmêmepasrestersansrienfaire.Godric voulut répliquer.Mais sabelle-mère s'étaitplantéedevant lui, aussi bravequ'une

martyrechrétienneaffrontantleslionsenvoyésparlesRomains,leregarddéterminéettristeàlafois.Godricnesesentitpaslecouragedelarabrouerdavantage.Peut-êtreétait-iltoutsimplementtropaffaibli?Entoutcas,elleenprofita:—Laisse-noust'aider,Godric.Godricsouffraittroppourdiscuter.—Trèsbien,lâcha-t-ilenseredressant.IlcroisaleregarddeMegetilputvoirqu'elleétaitsoulagéedelatournuredesévénements.—Ilfaudrarecourirauxservicesd'unrebouteux,dit-elle.JevaisdemanderàIsabelsielle

connaîtquelqu'undediscret.Enattendant,jet'aiapportédequoitechanger,aucasoùnotrechemincroiseraitencoreceluiducapitaineTrevillion.Megposa le sac sur le lit et s'éclipsahorsde la pièce, laissantGodric seul avec sa belle-

mère.—As-tubesoind'aidepourt'habiller?—Makepeaces'enchargera,répliquaGodric.Etilseleva,dansl'intentiond'allertrouverledirecteurdel'orphelinat.Sabelle-mèreseprécipitapourcollersonépaulecontresonbrasvalide.—Appuie-toisurmoi.—Cen'estpasnécessaire,marmonnaGodric,surladéfensive.—Alors,fais-lepourmoi,Godric.Laisse-moit'aider.Il s'exécuta, car c'étaitplus facilequed'argumenter.Sabelle-mère étaitplus fortequ'elle

voulaitbienlelaisserparaître.Pourquoiagissait-elleainsi?Leursregardssecroisèrent,etelleparutdevinersespensées,carellelevalesyeuxauciel.—Ne teposepasdequestions inutiles,Godric.Tuétaisdéjà commeça,petit, toujoursà

soupçonner quelque chose sous le moindre geste d'attention. Je veux juste te faciliter lamarche.C'estsiduràaccepter?Godric,vaincu,s'esclaffa.—Bon,trèsbien.Au sortir de l'infirmerie, ils trouvèrentWinterMakepeace qui attendait dans le couloir,

adosséaumur.Ledirecteurde l'orphelinat jetaunbrefregardàMmeSaint-John,avantdechuchoteràGodric:—Nousdevonsparler...decertaineschosesavantvotredépart.Godricsetournaverssabelle-mère:—Jevousrejoindraienbas.Sabelle-mèrepinçaleslèvres,maisellehochalatêteetpartitversl'escalier.Godricreporta

sonattentionsurMakepeace.—Mafemmem'aapportédequoimechanger,dit-il,enrouvrantlaportedel'infirmerie.WinterMakepeacelesuivitàl'intérieur.

Page 146: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

— Vous avez sauvé près d'une trentaine d'enfants, ce soir, commença-t-il, pendant queGodriccommençaitderetirersaculotted'Arlequin.Sixdevrontgarderlelitpendantquelquesjours,maislesautressontrelativementenbonnesanté.Ellesontsurtoutbesoindemanger.Godric grimaça à l'idée que ces fillettes aient pu être privées de subsistance. Puis il se

rappelasaprincipaleinquiétude:—Alfvousa-t-ilditoùsetrouveletroisièmeatelier?— Oui, réponditWinter, qui l'aida à se défaire de sa culotte. Mais j'ai peur qu'ils ne le

déménagentrapidement,aprèsvosdeuxinterventionsdelanuit.Ilsseraientidiotsderestersansbougeretd'attendrevotreattaque.—Exact.Godrics'emparadupantalonnoirapportéparsafemme,puisilcontemplasonbrasenflé.—Peut-êtrequesijepouvaisressortircettenuit...—N'ypensezpas,lecoupaWinter,d'untonsansappel.Ilfautd'abordvoussoigner.—Jedoissauvercesenfants.—Oui,maisdansvotreétat, vous risquez surtoutdevousblesserdavantage.Oupire.Ce

quineseraitd'aucuneutilitépourlesenfants,fitvaloirWinter.Ilyaautrechose,ajouta-t-il,aprèsunehésitation.Godricarquaunsourcil.— Alf est parti juste après vous avoir raccompagné ici. Mais il semblait très agité.

Apparemment,Hannah,lafilletteroussedontilnousavaitparlé,nesetrouvaitpasparmilesenfantsquevousaviezsauvées.—Bonsang!grommelaGodric.Ellenevaquandmêmepasessayerdeprendreletroisième

ateliertouteseule!—Elle?Godrichochalatête.—Alfestunefillehabilléeengarçon.Jen'auraisjamaisdûlaprendreenmissionavecmoi

hiersoir.—Nousnepouvionspas savoir.Mais vousavez raison, elle chercherapeut-être à libérer

elle-mêmesapetitecamarade.Godric ne s'était jamais senti aussi impuissant. Enfin, ce n'était pas tout à fait exact. La

dernièrefois,c'étaitdevantlelitdemortdeClara.Ils'empressadechassercethorriblesouvenirdesonesprit.—Quandmême,repritWinterMakepeace,songeur.Jedoutefortqu'Alfdécided'agirseule.

Ellesaitquel'atelierestbiengardé.Etpuis,iln'estpasimpossiblequ'ilsledéménagentdèscettenuit.Godrichochalatête,mêmes'iln'étaitpasentièrementrassuré.Alfavaitdéjàprisdegros

risqueseninformantWinteretGodricde l'existencedesateliers.Etellesemblaitbeaucoupteniràlafilletterousse.Pourvuqu'ellen'entreprennerien.Dèsqu'ilseraitremisdesablessure,GodricretourneraitdansSaint-Gilespourterminerle

travail.Quelqu'unfrappadoucementàlaporte,quis'entrouvritaussitôt.Megpassalatêteparl'entrebâillement.—Lavoitureattend,hasarda-t-elle.Etl'aubecommenceàpoindre.Elle semblait répugner à entrer dans la pièce, comme si elle craignait quelque nouvelle

Page 147: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

rebuffade.Pourtant,Godricn'avaiteuqu'àlafaireprévenirpourqu'ellearrivesansposerdequestionsniémettrelemoindrejugement.Et,toutàl'heure,dansleurchambre,elleluiavaitdonné tout cequ'il avait réclamé.Mais il se sentait trop vieux, tropusé, pour lui offrir, enretour, tout ce qu'elle méritait. Le bon sens lui recommandait de la laisser partir. Elle setrouveraitunamoureuxplusjeune,quiressembleraitàRoger.Cependant, l'urgence était ailleurs. Il devait se soigner. La douleur était intolérable. Il

remercia Makepeace, passa un manteau sur ses épaules et laissa Meg le soutenir pourdescendrel'escalier.Sa belle-mère les attendait dans le vestibule, avec les valets. Johnny et Oliver se

positionnèrentdepartetd'autredupetitgroupe,ettousmarchèrentjusqu'àlavoiture.GodricremarquabiensûrlecapitaineTrevilliontapidansl'ombre.Demêmequ'ilsurpritle

hochementdetêteentendudumilitaire.Unesorted'avertissement:«Jesaisquivousêtes.OsezrevenirdansSaint-Giles,etjevouscapturerai.»Godric connaissait la détermination de Trevillion. Pourtant, il refusait de s'alarmer.

Makepeace avait raison : il devait d'abord s'occuper de sa blessure. Mais sitôt qu'il seraitrétabli, il retournerait dans Saint-Giles, Trevillion ou pas Trevillion. Les enfants avaientbesoindelui!Sabelle-mèreattenditqu'ils fussent tous installés,que laportière se fût referméeetque

l'attelageaitdémarrépoursetournerversGodric:—Depuiscombiendetempses-tuleFantômedeSaint-Giles?

Page 148: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

15

Chagrintombaàbasdel'étalonsurlepicdesMurmuresetcriaderage.L'Hellequinnefitaucuncommentaire,maisFoicrutlevoiresquisserunsourire.Elleavaitsoif.Aussifouilla-t-elleencoredanssapochepourenextraireunepetite flasquedevin.Ellebutunegorgée,etl'Hellequin se passa la langue sur les lèvres. Foi lui tendit le contenant : « Voulez-vousgoûter?»«Jen'aipasbulevindeshumainsdepuismilleans»,répliqua-t-il.«Alors,vousdevezavoirtrèssoif.»Etelleapprochalaflasquedeseslèvres.[…]

op.cit.Sesgrognementsparaissaientétouffés,commesiGodrics'efforçaitdesouffrirensilence.

Cequi,aulieuderassurerMeg,l'inquiétaitdavantage.Elledevinaitqueladouleurdevaitêtreatroce.La jeune femme restait figée devant la porte qui communiquait avec la chambre de son

mari.Samainladémangeaitdetournerlapoignée.—Venezdoncvousasseoir,Meg,l'invitaMmeSaint-John,assisesurlecanapé.Megsetournaverselle,quandunnouveaugrognementlafitsursauter.—S'ilvousplaît, insistasabelle-mère,qui tapotait laplace libreàcôtéd'elle.Vousne lui

rendez pas service en vous agitant ainsi. Il se doutera que vous l'avez entendu et cela nefaciliterapasvosrapports.Leshommesdétestentmontrerleursfaiblesses.Megsemorditlalèvreetvints'asseoirsurlecanapé.—Godricn'estpasquelqu'undefaible.Ilestsimplementblessé.Et j'espèrebienqu'ilme

voudraàsescôtésquandilsouffriramoins.— Hmm, peut-être, acquiesça Mme Saint-John. Mais les hommes sont imprévisibles

lorsqu'ilssouffrent.Danssesdernièresannées,lepèredeGodricavaitlagoutte.Sescriseslerendaientinsupportable.Ilnetoléraitpasquequelqu'unl'approche.Pasmêmemoi.Elles'interrompitquelquesinstants,baissalesyeuxsursesmains,avantdereleverlatête

etd'ajouter:—C'estmafaute.Megclignadesyeux,interloquée.—Quevoulez-vousdire?—Toutcela,réponditMmeSaint-John,endésignantlaportecommunicante.Jesavaisque

lamortdeClara l'avait anéanti,mais j'ai laissé son stoïcismenous éloigner l'unde l'autre.Godricn'estpasdifférentdes autreshommes. Il a besoinde l'affectionde sa famille.Maischaquefoisquejetentaisuneapproche,sonorgueillepoussaitàmeprendredehaut.—Jenevoispasenquoiceseraitvotrefaute.Vousluiaveztendulamain,etilnel'apas

prise.Siquelqu'unamalagi,c'estlui.MmeSaint-Johnsecoualatête.—Non. J'aimeGodric autant que si je l'avais porté dansmon ventre. Unemère ne doit

jamaisabandonnersonenfant,mêmelorsqu'ilsembleleréclamer.Mondevoirétaitd'insisterjusqu'àcequ'ilcapitule.

Page 149: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

SonvisageseradoucitetellesouritàMeg.— Je suis très heureuse que vous ayez décidé d'abandonner votre retraite campagnarde

pourvivreauprèsdeluietremplirpleinementvotrerôled'épouse,reprit-elle.Godricabesoindevous,Meg.Vousêteslaseuleàpouvoirlesauver.Megdétourna leregard.Ellesesentaithonteuse.Ellen'étaitpasvenueàLondrespour«

remplirsonrôled'épouse»,maispourobtenirdeGodricqu'illuifasseunenfant.Sesraisonsavaientétépurementégoïstes.Maisellenepouvaitpasl'avoueràsabelle-mère.Aussipréféra-t-ellerépondreauxderniersmotsdeMmeSaint-John:—Peut-onsauverunhommequichercheàs'autodétruire?MmeSaint-Johnhaussalessourcils.—Vouscroyezquec'estpourcetteraisonqu'ilestleFantômedeSaint-Giles?Meghaussalesépaules.—Jen'envoispasd'autres.MmeSaint-Johnsoupira.— Vous devez comprendre que Clara a mis des années à mourir. Des années pendant

lesquellesGodricn'a rienpu faire, sinonassisterà sonagonie.Peut-êtren'a-t-il endossé latenueduFantômeque pour avoir le sentiment de se rendre utile, après toutes ces annéesd'impuissance.—Cequiestsûr,c'estqu'ilrendserviceàSaint-Giles.Maislebienqu'ilfaitauxautresne

compensepaslemalqu'ilsefaitàlui-même.—Quevoulez-vousdire?— Il aide les gens de Saint-Giles, mais il le fait à ses dépens. Godric est quelqu'un de

sensible.Danscequartier,ilestquotidiennementexposéàlaviolence.Toutcelaestmauvaispourlui.C'estcommes'ils'ingéniaitàperdresonâme.—Danscecas,réponditMmeSaint-John,vousdeveztrouverunmoyenpourqu'ilrenonce

àsesactivitésnocturnes.Meg hocha la tête, bien qu'elle n'eût aucune idée sur la façon de s'y prendre. Elle avait

concluunpacteavecsonmari:leFantômedevaitdécouvrirlesassassinsdeRoger.Megavaitbien conscience qu'elle le poussait elle-même dans Saint-Giles. Elle ne pouvait faire lalumièresurcetteaffaireetsauverGodricparlamêmeoccasion.Laportecommunicantes'ouvritenfin.—Nousavons terminé,milady,annonça lemédecin,unvieilhommequiportaitunnom

françaisoupeut-êtreitalien.Unréfugiépolitique,avaitexpliquéIsabel.Très«discret».Megsereleva.—Sonbrasguérira-t-il?—J'aifaittoutmonpossible,assuralemédecin.LeresteappartientauSeigneur.M.Saint-

Johndevra garder la chambrependant aumoinsune semaine, sinonplus.Et veillez à sonalimentation.Il lui faudraunrégimestrict,àbasedepotagesde légumes,depoissonoudepoulet.Pasd'oignons,pasd'ailetnaturellement,pasdemetsépicés.—Biensûr,acquiesçaMeg.Puis-jelevoir?—Certainement,milady,maisàconditiondenepasvousattarderàsonchevetetde...Meg n'attenditmême pas que lemédecin ait terminé sa phrase pour s'engouffrer par la

porte ouverte. Godric était couché dans son lit, son bras gauche posé sur les couvertures.Deux planchettes de bois solidement reliées entre elles encadraient son avant-bras pour

Page 150: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

empêchertoutmauvaismouvementdelamain.Lajeunefemmes'approchadulitsurlapointedespieds.LevisagedeGodricétaitencore

perlé de sueur et ses cheveux collaient à son front. Comme il ne s'était pas rasé, sa barbenaissantecontrastaitaveclapâleurdesonvisage.—Meg.Iln'ouvritpaslesyeux,maisiltenditlamaindroitepourlatoucher.—Oh,Godric,murmura-t-elle,lesyeuxpleinsdelarmes.Godricattrapasesdoigtsetlatiradoucementàlui.—Allonge-toiunpeuàcôtédemoi.Ellerésista.—Ledocteurditquetudoistereposeretqu'ilnefautpastedéranger.—AudiablecemauditFrançais!Tunemedérangeraspas.Aucontraire.Jemereposerai

mieuxsitueslà.Megmontaavecprécautionsurlelit,sanssedéshabiller,etelles'allongeacontresonmari,

nichantsatêtecontresonépauledroite.Desonbrasvalide,Godricl'enlaçaàlatailleetsoupiradecontentement.Ils'endormitenquelquesminutes.Megl'imitaenàpeineplusdetemps.Deux semaines plus tard, Godric leva avec surprise les yeux par-dessus ses lunettes en

demi-lunesenvoyantSaGrâceentrerdanssachambre,l'undeseschiotsdanslagueule.Lachienne lui accordaun vague regard, presquedédaigneux, avant de disparaître par la porteouvertedelapenderie.Elleenressortitcinqminutesplustard,sanssonpetit.Godric,stupéfait,regardalachiennequittersachambrecommesiderienn'était.Il haussa les épaules et reporta son attention sur les pamphlets politiques et

philosophiquesqueluiavaitmontésMoulder.Aprèsunesemainedereposforcé,complétéeparunesemainesupplémentaire,Godriccommençaitàs'ennuyerferme.Toutesafamille,sessœurs,sabelle-mèreetsafemme,s'étaientdonnélemotpourl'empêcherdesortirdesonlit.Biensûr,elless'étaient toutesemployéesà lui tenircompagnieà tourderôle, lui faisant lalectureoubavardantaveclui.Mêmelagrand-tanteElvinaavaitdaignéluiconsacrerdutemps!GodricavaitessayédeconvaincreMegde faireunepromenadedansSpringGardens, l'undes plus beaux jardins publics de Londres,maismême la promesse d'admirer de superbesfleursexotiquesn'avaitpudissuadersafemmedeluifairegarderlachambre.Durantcesdeuxsemaines,Godricn'avaitpasétéenmesured'honorerlepacteconcluavec

lajeunefemme.Sonpoignetcassél'avaittropfaitsouffrirpourluidonnerl'enviedumoindreexercicephysique.Maintenant,ilsesentaitpresquerétabli.Avecunpeudechance,ildevraitpouvoir reprendre rapidement ses activitésdeFantôme.Et il pourrait sansdoute rejoindreMegdèscesoir...Uniquement,biensûr,pours'acquitterdesondevoirmatrimonial.Godricfronçalessourcilsdevantlepamphletqu'ilavaitdéjàludeuxfois,sansêtrecapable

d'enretenir lemoindremot.L'honnêtetéluicommandaitdereconnaîtrequ'ilavaitenviedesafemme.Ledevoirneleguidaitenrien.Sa Grâce était de retour, un autre chiot dans la gueule. Le petit arborait unmagnifique

pelage chocolat et Godric se demanda qui pouvait bien être le père. La grand-tante Elvinaavait juré ses grands dieux que SaGrâce ne s'était accouplée qu'avec un autre chien de sarace,aupelagepareillementfauve,maisGodricendoutait.

Page 151: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Lapetitemalicieusedisparutdenouveaudans lapenderie.Deuxminutesplus tard,Megentrait elle aussi dans la chambre. Elle portait une robe rose et jaune que Godric ne luiconnaissaitpas.Godricreposalepamphletsurlatableoùilétaitassis.—Ilyadeschiotsdansmonarmoire,dit-il.Megsoupirabruyammentmaisneparutpassurprise.—Jeleredoutais.NousavonsessayédecantonnerSaGrâceàlachambredelagrand-tante

Elvina,maiselle s'entêteàpromenerseschiotspartout.Lasemainedernière,MmeCrumblesadécouvertsdansunplacarddesacuisine.SaGrâceressortitdelapenderie,contournaMegetdisparutdanslecouloir.Megallajeteruncoupd'oeilparlaporte.Voulait-elleselanceràlapoursuitedelachienne

?Godrics'alarmaàl'idéequelajeunefemmelequittedéjà.—C'estunenouvellerobe?demanda-t-il,pourtenterdelaretenir.—Oui,assuraMeg,avecungrandsourire.Nousavonsreçuaujourd'huinotrecommandeà

la couturière, expliqua-t-elle, en lissant ses jupes. Elle te plaît ? J'avais des doutes pour lejaune.C'estunecouleurdifficile,quivousdonnefacilementmauvaisemine.—Passurtoi,réponditGodric,sincère.Ellerositdeplaisir.Unemèches'étaitéchappéedesonchignonetretombaitavecélégance

sursanuque.Godricbrûlaitd'envied'arrachertouteslesépinglesdesacoiffurepourvoirsescheveuxcascaderdanssondos,pouvoirlescaresseretyenfouirsonvisage.—Tuestrèsbelle.—Merci,dit-elle,enplongeantsonregarddanslesien.SaGrâce revint avec son troisième et dernier chiot dans la gueule et elle se dirigea tout

droitverssanouvellecachette.Godricsourit.—Tudevraisfermerlaportedemachambre,qu'ellenelesdéménagepasunenouvellefois.Megjetaunregardhésitantàlaporte.—Jedevraistelaissertereposer.—Jeme suis assez reposédepuisdeux semaines. Jepeux supporterunpeudeprésence

humaine. N'as-tu pas envie de tenir compagnie à un invalide ? ajouta-t-il, l'air triste etabandonné.Godricsedemandas'iln'enavaitpasfaitunpeutrop,carelleluilançaunregardétrange.

Maiselleallafermerlaporteducouloir.—Jevaisapprocherunfauteuildulit,proposa-t-elle.—Netedonnepascettepeine.Assieds-toidirectementsurmonlit.Elleinspectalelitd'unregardsoupçonneux.Godricsereleva.—Enfait,jecroisquejevaist'yrejoindrepourunepetitesieste.Elletransférasonregardsoupçonneuxsurlui.—Unesieste?—Hmm.Il s'approchad'elle enprenant gardeànepas fairedegestesbrusquesquipourraient lui

donnerl'alarme.—Unesiesteconsisteàs'allongerenmilieude journéepourdormirunpeu.Tuasdûen

entendreparler?—Jenesuispassûrequetucherchesàdormir,marmonna-t-elle.

Page 152: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ilétaitarrivédevantelle.Desamaindroite, ilôtauneépingledesonchignon.Quelquesmèchess'enéchappèrentimmédiatement.—Peut-êtrequenon,eneffet.Maistuaspeut-êtred'autresidéespourpasserletemps?—Godric...Deuxautresépinglestombèrentsurleplancher.—Hmm?Ellefronçaitlessourcils,inquiète.—Tun'espasencorecomplètementrétabli.Illuisourit.—Alors,tuserasobligéedefairepresquetoutletravail.Megécarquillalesyeux,médusée.ElleétaittellementirrésistiblequeGodrics'emparadeseslèvres.Celafaisaitsilongtemps!

Aussitôt,touteslestensionsaccumuléescesderniersjours,etdontiln'avaitpasconscience,disparurent.Safemmelevalesmainspourlesnouerautourdesoncou,maisGodricrompitleurbaiser

et seplaçaderrièreelle. Ilachevad'ôter lesépinglesqui retenaientencorecequi restaitdeson chignon.Toute lamasse, superbe, de sa chevelure se répandit glorieusementdans sondos.—Godric?Godricsoulevasescheveuxavecsamainpourlaisserfiltrer lesrayonsdusoleilcouchant

quientraientparlafenêtre.—Que...Quelgenrede«travail»attends-tudemapart?Ilsouritdanssondos.—Ehbien,parexemple,tupourraismedéshabillerpourcommencer.—Ohoui,biensûr.Elle se retourna et Godric lâcha ses cheveux. Son avant-bras gauche était toujours

maintenuparuneattelle,cequil'obligeaitàporter,dececôté-ci,sesmanchesdevesteetdechemiseremontées jusqu'aucoude.Meg l'aidaà libérersonbrasdroitdesaveste,avantdefaireglisserelle-mêmelevêtementsursonbrasblessé.Elleseconcentraitsursatâcheavecunadorablepetitfroncementdesourcilsetleboutdesalanguepointaitentreseslèvres.Le spectacle était trop tentant. Alors qu'elle commençait de lui déboutonner son gilet,

Godricsepenchapourluimordillerlalèvreinférieure.Elleclignalesyeux.—Tu...tumedistrais.—Jem'excuse.Elles'esclaffa.Aprèslegilet,quiallarejoindresavestesurundossierdechaise,elles'attaquaauxboutons

de la chemise. La pièce était silencieuse, excepté les petits glapissements des chiots enprovenancedelapenderie.Godricavaitdéjàuneérection,maisilvoulaitprendresontemps.Ilauraitpupasserdesheuresàadmirersafemmeetlamyriadedémotionsquiselisaientsurson visage.Meg irradiait debonheur.Quand elle le quitterait - parcequ'elle le quitterait -,commentpourrait-ilretourneràsonancienneexistence?Ceseraitcommevouloirvivresanslalumièredusoleil.Godricpréférachassercetteperspectivedesonesprit.Ilpréféraitseconcentrersurl'instant

présentetamasserdessouvenirsqu'ilpourraitensuiteconvoquerquandlasolitudeluiserait

Page 153: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

insupportable.Lachemisetombaparterre.Dèsqu'ilfuttorsenu,Megluicaressaletorse.—Tuesbeau.Godricfaillitéclaterderire.Ilnes'étaitjamaistrouvébeau,maissicelaplaisaitàMegdele

prétendre,iln'allaitpaslacontredire.Desdoigts,elle lui titillauntétonet iln'eutplusenviederire.Puis,quandelleapprocha

seslèvresdupetitboutonérigé,ilneputretenirungrognement.Megrelevalesyeux.—Tuaimesça?demanda-t-elle.Etcomment!Godrichochalatêteetlajeunefemmeluiléchal'autretéton,tandisqu'ellecaressaitavec

sonpouceceluiqu'ellevenaitd'abandonner.Godricrenversalatêteenarrièreetfermaàdemisespaupièrespourmieuxs'abandonner

auplaisir.Mais elle s'arrêtabientôtpour continuerde ledéshabiller. S'agenouillantdevantlui,elleluiôtaseschaussonsetchaussettes,avantdecommenceràluidégrafersonpantalon.Godricdéglutitpéniblement.Laposturede la jeunefemme, l'innocencedesabouche,alorsmêmequ'ellesetrouvaitàquelquescentimètresdesonsexe,avaientdequoil’émoustiller.Elle dût s'apercevoir de son trouble, car elle se figea un instant et leva les yeux pour

accrochersonregard.Puisellerepritsatâche.Etsonmembresurgittoutàcoup,demanièrepresqueobscène,parlabraguetteouverte.Godricretintsonsouffle,carMegparutvouloirapprochersabouche.Maiselle se redressapresqueaussitôtet lui jetaunregardsardonique,avantdes'asseoir

surleborddulit.Godriclaregardasedévêtir.Elleprenaitsontemps,cequirendaitlespectacled'autantplus

érotique.Elle commençapar le fichudegazequidrapait ses épaules etplongeaitdans sonbustier.Puiselleôtasesescarpinsetellefitroulersesbassursesjambes.Godricl'avaitdéjàvueentièrementnue,pourtantlavisiondesesdélicateschevillesluicoupalesouffle.Ilsecaressaitlemembre,attendantlasuite.Lajeunefemmeserelevapourdégrafersonbustier.Sarobeétaittrèssimple,aussiétait-

ellecapabledel'enleverelle-même.Bientôt,levêtementglissaàsespieds.Sonpantysuivitlemêmechemin.Godricsecaressaittoujours.Elle ne portait plus que sa camisole. Mais elle s'interrompit un instant pour regarder

Godricsedonnerduplaisiravecsamain.Dèsqu'elleposalesyeuxsursonmembre,ilsentitsonérectiondurcirencore-sic'étaitpossible.Finalement,ellefitpassersacamisolepardessussatêteetseretrouvanuedevantlui,telle

unenymphetraquéeparunsatyre.Sesseinsgonfléspointaient,sonventrelaiteuxseperdaitdanslescourbesvoluptueusesdeseshanches.Godricimprimacetteimagedanssonesprit,priantpournejamaisl'oublier.—Viens,dit-il, en s'asseyantà son tour sur leborddu lit. Ici,précisa-t-il, enécartant les

jambespourqu'elleseplaceentresescuisses.Il lui saisit délicatement la nuque, pour l'obliger à pencher la tête, et il s'empara de ses

lèvres.Elles'offritavecavidité,etGodricpouvaitsentirsesseinssefrottercontresontorse.Ilessayadel'enlacer,avantdeserappelersoninfirmité.Ilrompitleurbaiser.

Page 154: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Assieds-toisurmoi.Elleparuthésiter, etGodric compritque sonRogern'avait jamaisdû laprendrede cette

manière-sansdouteparcequ'ilsn'avaientpassuffisammentpassédetempsensemble.Godricseréjouitd'êtrelepremieràl'initieràcetteposition.Finalement,comprenantcequ'illuiréclamait,ellenouasesbrasautourducoudeGodric

et s'assit à califourchon sur ses cuisses, face à lui. Puis elle souleva les hanches pour queGodric,desamainvalide,puisseguidersonmembreverssaféminité.—Etmaintenant,luidit-il,àtoidejouer.Elleleregarda,lesyeuxétrécis,avantdelaisserretombersonbassinpouremprisonnerson

membre.Puis elle commença d'onduler sur lui, en prenant son temps, comme si elle cherchait le

meilleurangle.UnetorturepourGodric!Uneexquisetorture,maisunetorturetoutdemême.—Plusvite,lapressa-t-il,n'ytenantplus.—Commeça?Etellesemitàlechevauchercommeuneamazonetriomphante.Godricluipritunemainpourlaguiderversl'endroitoùleursdeuxcorpsétaientjoints.—Caresse-toi.Etellesecaressaenmêmetempsqu'ellelechevauchait.Godricdutfaireappelàtoutesavolontépournepas jouirtoutdesuite, tantcespectacle

l'excitait.—C'estbon,hein,chérie?disait-il,pourl'encourager.Tuaimesça?Hein,quetuaimeste

donnerenspectacledevantmoi?Regardecommenttumouilles!La crudité de ses paroles la fit jouir. Elle écarquilla les yeux, cambra les reins et laissa

échapperunlongrâledeplaisir.Godriclasuivitdansl'instant.

Page 155: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

16

Le grand étalon noir redescendit le pic des Murmures par l'autre versant et Foi vit sedessinerdevanteuxuneimmenseplainequis'étendaitjusqu’àl'horizon.«Est-celàl'Enfer?» demanda-t-elle à l'Hellequin. Il secoua la tête. « C'est la plaine de la Tristesse. Il nousfaudra deux jours pour la traverser. » La jeune femme frissonna et se pressa contrel'Hellequin,carmêmesonmanteaunesuffisaitplusàlaprotégerdufroidmordant.Baissantlesyeux,elleremarquaalorsd'étrangesvolutesquisemêlaientàlapoussièredusol.[...]

op.cit.—Monsieur.LavoixdeMoulder,àpeineplusfortequ'unmurmure,suffitàréveillerGodric.Ilouvrit lesyeux.Sachambreétaitplongéedanslenoir.Maissondomestiquetenaitune

chandelle.Etilétaitenpeignoir.C'étaitdonclanuit.Moulderluiindiquad'ungestelaportedonnantsurlecouloir.GodricremontalescouverturessurMegetseglissadoucementhorsdulitpournepasla

réveiller.Puisilenfilasonpantalonetsonpeignoir,avantdesuivreMoulder.—Quesepasse-t-il?s'enquitGodric,dèsqu'ilsfurentdanslecouloir.—M.Makepeace est ici, expliquaMoulder. Et il insiste pour vous parlermalgré l'heure

tardive.Godric ne voyait qu'une seule explication à la visite en pleine nuit du directeur de

l'orphelinatdeSaint-Giles.—Conduis-moi.Ils descendirent l'escalier en silence jusqu'au rez-de-chaussée, puis Moulder entraîna

Godricverslebureau,oùlesattendaitMakepeace.—Pardonnez-moide vousdéranger à cetteheure indue, Saint-John, commença-t-il, avec

un regard pour Moulder, resté près de la porte refermée. Ne pourrions-nous pas nousentretenirenprivé?— C'est inutile, répondit Godric, en désignant deux fauteuils. Moulder est dans la

confidence.Ilattenditquesonvisiteursoitassispourl'imiter.—Danscecas,repritM.Makepeace,j'iraidroitaubut.Alfm'aappristoutàl'heurequ'elle

avaitpulocaliserledernieratelier.Godricserelevaaussitôt.Ilenlevaitdéjàsonpeignoir.—Aide-moi,Moulder.Ilfautmedébarrasserdecetteattelle.—Est-cebienraisonnable?s'inquiétaMakepeace,lesyeuxrivéssurlebrasimmobilisé.—Nousn'avonspasuneminuteàperdre, répliquaGodric.Alfpourraitessayerdesauver

touteseulesacamarade.Àmoinsquevousneréussissiezàconvaincre le troisièmed'entrenousdesauvercesenfants?CommeMakepeacefronçaitlessourcils,Godricsecoualatête:

Page 156: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Vous voyez bien, nous n'avons pas le choix. Je dois y aller.Mon poignet est presqueguéri.SiMoulderpouvaitmeconfectionnerunbandage...—Godric?Lestroishommessetournèrentvers laporte.Megvenaitd'entrer,sescheveuxencadrant

son beau visage, unemain à sa gorge pourmaintenir les pans de son peignoir. Godric endéduisitqu'elleneportaitrienendessous.Ellerefermalaportederrièreelle.—Quesepasse-t-il,Godric?Moulderavaitsortiuncoutelas,maisrestaitfigé.Godricluipritl'instrumentdesmainset

essayadetrancherlui-mêmelesliensdesonattelle.—Jedoissortir.Makepeaceserelevaàsontour.—Puis-jevousaider?GodricluitenditlecoutelasetMakepeacetranchalesliensavecdextérité.—EnFantômedeSaint-Giles?murmuraMeg.—Oui,confirmaGodric,lesyeuxrivéssurlalamequemaniaitMakepeace.Megseprécipitaverslui.—Godric, c'est de la folie ! Tonpoignet va se briser une deuxième fois et dieu sait si le

docteurparviendracettefoisàlerétablir.Commeilnerépondaitpas,ellereportasonindignationsurMakepeace:—Pourquoil'aidez-vous?Makepeaceécarquillalesveux.—Je...—Parcequejesuisleseulàpouvoirintervenir,réponditfinalementGodric.Meg ignorait que Makepeace avait été Fantôme et de toute façon, cela n'avait pas

d'importance : Makepeace avait solennellement juré à sa femme, en l'épousant, qu'il neporteraitplusjamaislemasqueduFantôme.—Desfillettessontendanger,Meg,ajoutaGodric.Ellefermalesyeux,commesielleétaitenproieàunconflitintérieur.— Peux-tume promettre que ce sera la dernière fois ?Que tu cesseras ensuite d'être le

Fantôme?Makepeacetranchaledernierlienetlesdeuxplanchettesformantl'attelletombèrentsurle

sol. Godric inspecta son avant-bras. Il avait désenflé, mais de vilaines taches violettess'étaientforméesàsonpoignet.Iln'osapasfermersonpoingpourtestersesréactions.Moulderseservitd'uneanciennepairedebaspourluiconfectionnerunbandageserréqui

montajusqu'àsoncoude.—Godric?—Non,répondit-il,sansmêmelaregarder.Jenepeuxpas.—Alors,promets-moiaumoinsderevenirsainetsauf.Ilnepouvaitpasdavantageleluipromettre,etellelesavaitparfaitement.Maisilrépondit

néanmoins:—Jetelepromets.Ellen'insistapasdavantage.Godricentendit laportedubureauserefermerderrièreelle.

Makepeaces’éclaircitlavoix.—Peut-êtrequesij'alertaislesdragons...

Page 157: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

— Non. Trevillion mettrait des heures à donner son accord - à supposer que vousréussissiezàleconvaincre-etencoreautantdetempspourmobiliserseshommes.Voulez-vousprendrelerisquequel'atelierdéménageunenouvellefois?Ouqu'ilstuentlesenfantspoursedébarrasserdetémoinsgênants?Makepeacetressaillit.—Non,biensûr.Moulderavaitterminélebandage.Godricbougeasonbras.L'essentielseraitdes'épargner

desmouvementstropbrusques.—Danscecas,laissez-moifinirdemepréparer.— Très bien, acquiesçaMakepeace. Ensuite, nous chercherons unmoyen de distraire le

dragonquisurveillelamaison.—Ilesttoujourslà?—Oui.Etilm'avuarriver.Godric médita là-dessus, pendant que Moulder lui enfilait sa tenue de Fantôme. Cinq

minutesplustard,Godricétaitfinprêt.—Suivez-moi,dit-ilàMakepeace.Godric éteignit les chandelles du bureau et vint se planter devant la porte-fenêtre qui

donnaitsurlejardindeSaintHouse.Ilattenditquesesyeuxsesoienthabituésàl'obscuritépourinspecterlesalentours,maisilnerepérapersonne.SiTrevillionétaitassezfortpoursecacherdanssonproprejardin,alorsc'estqueGodricméritaitdesefairearrêter.Il ouvrit doucement la porte-fenêtre et se glissa dehors, suivi comme son ombre par

Makepeace. Le directeur de l'orphelinat avait peut-être raccroché sonmasque de Fantômedepuisplusdedeuxans,iln'avaitpasperdulamain.Levieuxpommierdressaitsasilhouettemacabreaumilieudujardin.Arrivéàsahauteur,

GodricsedemandaquandMegfiniraitparadmettrequ'ilétaitmort.Mais il se refusa de penser davantage à son épouse. Il avait besoin de toute sa

concentration,s'ilvoulaitsurvivreàcettenuit.Iltraversalejardinjusqu'aumurquileséparaitdesbergesdelaTamise.L'archedepierre,

ferméed'unegrille,permettaitd'accéderaufleuve.Godricouvritlagrillesansunbruit.MerciàcecherMoulderquiprenaitsoind'huilersesgondsunefoisparmois.— C'est l'un des avantages d'habiter une vieille maison londonienne, lança-t-il à

Makepeace,endésignantlefleuvequidormaitàleurspieds.Lagrilledonnaitsurunevoléedemarches,prolongéesparunpontonauquelétaitamarrée

unebarque.Godrics'installalepremierdansl'embarcation,puisattenditqueMakepeacel'aitrejoint pour détacher la corde d'amarrage. Après quoi, il se servit de son bras droit pourmanœuvrerunerameafind'éloignerlabarquedupontonetlafaireglisserlelongdufleuve.Ilsn'allèrentpasbienloin.Godrics'arrêtaaupontonsuivantpouryamarrerlabarque.— Vous ne pourrez plus vous servir de cette ruse, observa Makepeace, alors qu'ils

remontaient sur la berge. Trevillion est malin. Il comprendra vite comment vous lui avezfaussécompagnie.Godrichaussalesépaules.—J'essaieraideneplusempruntercetteroute.Aumoinspourunmoment.Il sentait le regarddeMakepeacepesersur lui, tandisqu'ilsavançaientdans ledédalede

rueslongeantlefleuve.— Ce n'est pas une existence qui convient à un homme marié, commenta finalement

Makepeace.

Page 158: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

— Je suis marié depuis deux ans, lui rappela Godric, qui ne voulait plus penser auxreprochesdeMeg.Ilss'arrêtèrentprèsd'uneéchoppedecordonnier,letempsdelaisserpasserunveilleurde

nuitquifaisaitsaronde.—Maisvousviviezséparément.Votrefemmen'estrevenuequetoutrécemmentàLondres,

sijenem'abuse?—Oui,etalors?Makepeacehaussalesépaules.—J'auraispenséquevousprofiteriezdecechangementpourrenoncerauFantôme.—Etlaissercesenfantssouffrirlemartyre?C'estbiencequevousmeproposez?—Non.Maisdansdescascommecelui-ci,lesdragonspourraients'avérertrèsefficaces.Il

suffiraitdepasserl'informationàTrevillion.Godrics'esclaffa.—VouscroyezqueTrevillions'intéresseraitàdesenfantsemployéscommeesclaves?—Jepensequ'iln'estpasaussivainquevouslepensez.Godrichaussalessourcils.—Qu'est-cequivousfaitdirecela?Makepeacehaussaencorelesépaules.—Uneintuition.—Uneintuition?Pardonnez-moi,maisjenemefiepastropauxintuitions.IlsmarchaientviteetapprochaientdéjàdeSaint-Giles.Godrictirasonépéeparprécaution.—Commevousvoudrez,soufflaMakepeace.Maisn'oubliezpasquesirStanleyGilpinn'a

jamaisattendudenousquenousnousengagionsàviedanscettequêtedejustice.Godrics'arrêtanet.Ilsn'avaientjamaisprononcélenomdesirStanleyentreeux.Enfait,

avantqueWinterneparleàGodricdesKidnappeurs,ilsn'avaientmêmejamaisévoquéleuractivitécommune.Makepeaces'étaitarrêté,luiaussi.—J'aibeaucouppenséàsirStanley,cesdernierstemps,avoua-t-il.Godric se sentait brusquement mal à l'aise. Sir Stanley avait été pour lui un père, plus

encorequesonvraipère.L'évocationdecethommeluidonnaitpresqueenviedepleurer.—Pourquoidonc?Makepeace leva les yeux vers le ciel nocturne. La lune était cachée par les toits des

immeubles.—Jemedemandecequ'ilpenseraitdenouss'ilnousvoyaitaujourd'hui.Devotreconduite

presquesuicidaire,del'obsessiondenotretroisièmecomparse,demasolitude,jusqu'àcequemon épousem'en libère. Je ne pense pas qu'il aurait voulu de cela pour nous. Sir Stanleyaimaitlavieetilaimaits'amuser.N'oubliezpasqu'iladoraitlethéâtre.Pourlui,cettehistoiredeFantômeétaitd'abordunjeu.Unebonnefarce,quineméritaitpasqu'onmeurepourelle.Jenepensepasqu'ilseraitfierdenousvoirrisquernotrevie.—Ilnousacréés,maisensuite,toutecréaturepoursuitsespropresmotivations.Iln'aurait

paspuêtreétonnéquenousfassionsunusagepersonneldesonenseignement.—Peut-être,concédaMakepeace.Maisvousdevriezquandmêmeyréfléchir.Pourtouteréponse,Godricpressalepas.Ilsn'étaientplustrèsloindel'orphelinat.Cinqminutesplus tard, ilsapercevaient leperronfamilier,encadrédesesdeux lanternes

toujoursallumées.Godricralentitl'allure.—OùestAlf?

Page 159: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Ellenousattendparici.Ellenevoulaitpasentreràl'intérieur.Il n'avait pas fini sa phrase qu'Alf surgit de l'ombre, avec une telle rapidité que Godric

n'auraitpassudireoùellesecachait.LajeunefilleavisalebrasbandédeGodric.—Vouscroyezquevouspourrezvousbattre?Godrichochalatête.—Alors,suivez-moi.—Bonnechance,leurlançaMakepeace,d'unairsinistre.Alf ouvrit le chemin à travers les rues de Saint-Giles.Elle n'essayapas de passer par les

toits,cedontGodric lui futreconnaissant.Ilpensaitpouvoirsebattred'uneseulemain,enrevancheiln'avaitaucuneenviedegoûteràl'escaladepourcesoir.Ilsempruntaientuneruelledébouchantdansunecourette,quandAlfs'immobilisa.—Ilsdéménagentlesenfants!s'exclama-t-elle.GodricpoussaAlfdecôté.Silesenfantsétaientencoredéplacés,leFantômemettraitsans

doutedessemainesavantderetrouverleurtrace.Unhomme,detouteévidenceungarde,accompagnaitunefemmequisortaitdeuxfillettes

d'unecave.Deuxautresfillettesattendaientdéjàdanslacourette.Godricsejetasurlegardesansunbruit.L'hommen'eutpasletempsderéagirqueGodric

l'avaitdéjàassomméd'uncoupdepommeaudesonépéesurlatempe.La femme poussa un cri strident et deux autres hommes surgirent aussitôt de la cave.

Heureusement, laporteétaitsiétroitequ'ilsnepurentpasserque l'unaprès l'autre.Godricleurréglasuccessivementleursortaveclalamedesonépée.Puisilsetournaverslafemme,aucasoùellevoudraitl'attaquer,maiselles'étaitréfugiéeà

l'autreboutdelacouretteaveclesfillettes.L'uned'ellespleurait,maislesautresétaienttroppétrifiéespourfairelemoindrebruit.Godricentenditunbruitdepasdanssondos.Ilseretournajusteàtemps:unquatrième

gardesortaitdelacave.Etcelui-ciavaituneépée.Godricparalecoup.Lesdeuxlamess'entrechoquèrent,avantdeseséparer.Godricrecula

d'unpaspourjaugerlasituation.Laloin'autorisaitquelesaristocratesàporterl’épée.MaisGodricnepouvaitvoirlestraitsdesonadversaire:ilportaituntricornetombantbassursonfrontetunfoulardnouéàsoncouluimasquaitlebasduvisage.Detoutefaçon,Godricn'eutpasletempsd'essayerdepercersonidentité:sonadversairele

chargeait de nouveau. Avec une redoutable habileté. L'habileté d'un homme « habitué » àmanierl'épée.Godric savait que s'il reculait d'unpas supplémentaire, il se retrouverait acculé contre le

murdelacourette.Ilfeignitdoncdesejeteràgauche,maisbonditàdroitepourviserleflancdesonadversaire.Celui-ci réagitdenouveauavecunestupéfiante rapidité.Lapointede salame ripa sur lebrasdroitdeGodric, cisaillantnettement lamanche.Godric sentit le sangcoulersursapeau,maisl'entaillenedevaitpasêtreprofonde,carilpouvaittoujoursseservirdesonbras.Ilchargea,visantsonadversaireàlatête.Celui-cifutobligédeserenverserenarrière pour parer le coup. Le foulard glissa alors sur son menton et Godric put voirpleinementsestraits.Maissonredoutableadversairenes'avouaitpasvaincu.IlbonditàladroitedeGodricqui

neréussitàparerlecoupqu'aveclecôtédesalame.Déséquilibré,ilallabutercontrelemur

Page 160: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

delacourette,oùsonbrasgauches'écrasadouloureusement.Son adversaire en profita pour s'enfuir dans la ruelle. Godric voulut se lancer à sa

poursuite,maissonbrasgauchelefaisaitatrocementsouffrir.EtilsesouvintdesapromesseàMegderentrersainetsauf.Aumoins,ilétaitsauf.Il se retourna vers les enfants. Alf s'était agenouillée devant une fillette rousse et elle

essuyaittendrementseslarmes.Godricéprouvaàcespectacleunepointed'allégresse.Ilavaitbeauserépéterquetousles

enfantsétaient sauvésetquec'était là l'essentiel, ilnepouvait totalementse réjouir.Car ilavaitvulevisagedesonadversaire,decethommequin'hésitaitpasàréduirelesenfantsdeSaint-Giles en esclavage,mais qui avait réussi à s'enfuir. Et Godric savait que cet hommeétaitpratiquementintouchable.Ilnepourraitjamaisledéférerenjustice.Carl'escrimeurémériten'étaitautrequelecomtedeKershaw.Godricétaitencoreblessé!Megsursautaenvoyantsonmarientrerdanssachambre,unbandagecouvrantsonbras

droittandisquesamanche,déchiréeetensanglantée,pendaitdanslevide.DepuisledépartdeGodric,Megl'avaitattenduici,danssachambre,àfairelescentpassanspouvoirtrouverlerepos.MoulderlesuivaitetGodricluidisaitquelquechose,maisMegsortitdesesgonds.—Laissez-nous!lança-t-elleaudomestique,sansmêmepouvoirsemontrerpolie.Moulderluijetaunbrefregardets'éclipsa.Godric ne semontra pas aussi coopératif. Ilmarmonna quelque chose à propos d'une «

estafilade de rien du tout », dont « Moulder s'était déjà occupé ». Croyait-il sincèrementqu'ellen'avaitpasremarquésonbrasgaucheinerte?Elleavaitenviedelefrapper.Aulieudequoi,ellepritlevisagedesonmarientresesmainsetsehaussasurlapointedes

piedspourl'embrasseravecfougue.Maisquandilvoulutl'enlacer,ellerompitleurbaiseretdésignalespansdéchirésdesoncostumed'Arlequin.—Tum'asmenti!—Jesuisrevenusauf,fit-ilvaloir,d'unevoixquisevoulaitconciliante.Aumoinsnecherchait-ilpasàfairecroirequ'ilnecomprenaitpaslaraisondesacolère.—J'avaisdit«sainetsauf»!— Meg... commença-t-il, sans doute avec l'intention de lui débiter quelque excuse

typiquementmasculine.MaisMeglepoussasansménagementdansunfauteuil.Ellesavaitqu'ellen'étaitpasassezfortephysiquementpourlemanipuleràsaguise.Sarage

l'aveuglait,maispasaupointdeluiégarerlaraison.Ilselaissaitfaireetc'étaitdéjàheureux.Etonnement,celal'énervaencoreplus.Elles'agenouilladevantluietluiécartalescuisses.Ilécarquillalesyeux.End'autresoccasions,elleenauraitretiréunecertainevanité.Depuis

desannéesqu'ilétaitleFantômedeSaint-Giles,plusgrand-chosenedevaitétonnerGodric.—Que...Meg tira sur la culotte de sa tuniqued'Arlequin, pour libérer sonmembre, déjà àmoitié

érigé.

Page 161: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ellelepritenmain,avantdeleverlesyeuxverssonvisage.—Jesuistrès,«très»encolèrecontretoi.Et là-dessus, elle approcha sonmembre de sa bouche.Meg ne l'avait encore jamais fait,

bien qu'elle en eût souvent eu envie. Mais elle était trop pudique pour s'y risquer. Ellecraignaitqu'ilnelaprennepourunefemmelégère.Ousimplement,qu'iln'aimepascela.Maisàprésent,ellesemoquaitbiendetoutessesréticences.Ellefitcourirunetraînéedebaiserssurlesexegonflé,avantdelelécheràpetitscoupsde

langue.Illaissaéchapperungrognement.Meg voulait lui dire de ne plus jamais retourner dans Saint-Giles. Qu'elle trouverait

l'assassin de Roger toute seule. Qu'elle ne supportait plus de le voir revenir couturé departout.Mais elle lui avait déjà dit tout cela par le passé, et il n'avait rienmodifié de seshabitudes.Ellecomprenaitàprésentqu'ellenepouvaitpasl'obligeràchangerd'existence.Ilneluipermettraitpasd'alleraussiloin.Enrevanche,illuiautoriserait«cela».Elle referma ses lèvres sur son gland rougi et leva de nouveau les yeux vers lui pour le

regardercommeill'avaitfaitlapremièrefoisoùilavaitgoûtéàsaféminité.Savergeréponditpourlui:ellesedressaavecencoreplusdevigueur.Megsourit,satisfaite,etellecommençaàlesucer.Ilsemorditlalèvreetcontinuadelaregarderfaire.Plustard,elleauraitsansdouteunpeuhontedesonaudace.Maispourl'heure,ellevoulait

profiterdelalibertéqu'illuioctroyait.Auboutd'unmoment,cependant,ils'agitasursonsiège.—Meg...gémit-il,tendantunemainverselle.Megn'enavaitpasterminé.Ellerepoussavivementsamain.—Bonsang,Meg!Ensuite, tout se passa très vite : devinant qu'il ne se laisserait pas faire, Meg eut un

mouvementderecul.Maisellenefutpasassezrapide.Godricluisaisitunbras.Megvoulutsedébattre,bienqu'ellelesûtblessé.Unecourteluttes'ensuivit,àl'issuedelaquelleMegseretrouvasurlelit,plaquéesurleventre,Godricl'écrasantdetoutsonpoids.Ellel'entendaitrespirerbruyammentcontresonoreille.Elleattendit,certainequ'ilallaitla

retournerpourqu'elleseretrouvefaceàlui.Pasdutout.Illamaintintdanscettepositionetentrepritdeluiretroussersonpeignoiret

sachemisedenuit.Megretintsonsouffle.—Nebougepas,luiintima-t-il.Elleavaitlesfessesàl'air.Etellepouvaitsentirsonmembrepalpiterentresescuisses.D'unemain, ilpressadoucement,mais fermement, lesépaulesdeMegcontre lematelas,

tandis que de l'autre il lui soulevait les hanches. Elle se retrouva cambrée, les jambeslégèrementécartées,offerteàsonbonplaisir.Et il lapénétra.Sonmembresemblaitencoreplusgrosdanscetteposition.Ellemouillait

déjàetsentaitchaquecentimètredesavergequis'enfonçaitenelle.Elles'agrippaauxdraps.Godriccontinuaitdelapénétrertrèslentement,avecdesgrognements,commes'ilvoulait

imprimerlepassagedesonsexesurseschairs.PuisilpoussaunedernièrefoisetMegsentit

Page 162: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

l'étoffedesesculottesd'Arlequinsepressercontresesfesses.Ils'immobilisa,lebruitdesarespirationemplissantlesilencedelapièce.Megéprouvaitundélicieuxsentimentdefélicité..Alorsmêmequ'iln'avaitpascommencéà

semouvoirenelle.Comme il tardait, elle cambra un peu plus les hanches et sentit sonmembre se presser

contresesparoisintimes.Ils'esclaffa.—Petitecoquineimpatiente!Ellevoulut tourner la têtepour lui faire lamoue,mais il choisitprécisémentcemoment

pourluidonnerunviolentcoupdereins.—Oh...gémit-elle,enfermantlesyeux.—Tuaimesça,hein?Incapable de parler, Meg hocha la tête. Il la pénétrait maintenant sans relâche et elle

prenaitunplaisirperversàsecambrerlepluspossiblepours'offrirà luidanscettepostured'absoluesoumission.Auboutd'unmoment,ellepassaunemainsoussonventre.—Tutecaressesleclitoris?murmura-t-ilàsonoreille.Megavalasasalive.—Ou...oui.—BonDieu!grommela-t-il.Etill'obligeasoudainàs'allongercomplètementsurlematelas,l'écrasantdetoutsonpoids

tandisqu'ilaugmentaitlerythmedesesva-et-vient.Megcroyaitvoirdesétoilesdanserderrièresespaupièrescloses.Sajouissanceluiparutsi

intensequ'elleen futpresquedouloureuseetellepoussaungrandcridans le silencede lanuit.Il continuade lapénétrer, alorsmêmequ'il avait joui enelle, commes'ilnevoulaitplus

s'arrêter.Finalement,ils'écroulasurelle,pantelant.Ducoinde l'œil,Meg le vitbouger sonbrasdroit, celuiquiportaitunnouveaubandage,

poursesaisirdesamainetl’étreindre.Elleauraitpurestéedesheuresdanscetteposition.

Page 163: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

17

«Voyez-vousces formesprisonnièresdusablede laplainede laTristesse?»murmuraDeuil. Il avait été témoin du sort de ses deux compagnons, aussi seméfiait-il de la jeunefemme, mais il n'avait pas pu résister à l'envie de la lénifier. « Que signifient-elles ? »demandaFoi,quifrissonnaitdepeur.«Cesontlesâmesdetousceuxquisontmortsfous»,expliquaDeuil,avecunsouriresatisfait.«Ellesresterontdanscettepoussièrejusqu'àcequ'iln'yaitplusaucunhommepourfoulerlasur)'acedelaterre.»[...]

op.cit.Sil'enferexistaitsurterre,ArtemisGreavess'yprécipitaittoutdroit.Sessoulierscrissaient

surlegravierdel'allée.Ellevenaitdefranchirunegrilleimposanteetdevantellesedressaitlafaçadebaroqued'unesuperbedemeure.Descolonnescorinthiennesd'unblancimmaculéencadraient le porche couronné d'un dôme, lui-même orné d'une grande pendule dont lecadran marquait l'heure en chiffres romains gravés à l'or. Une statue, elle aussi dorée,représentantunefigureféminine,coiffaitledôme.Artemisseprésentadevantlaported'entrée.Ellefrissonnait.Lamaisonétaitpeut-êtresomptueuse,ellen'enrestaitpasmoinslademeuredudiable.Elle passa le guichet et paya son entrée, bien qu'elle ne fût pas là pour une visite

touristique.Ledômeabritaitungrandvestibuleduquelpartaientdeuxgaleries,l'uneàdroiteet l'autre à gauche. Il était encore tôt et les visiteurs étaient rares, mais les habitants del'enfer étaient déjà réveillés. Ils gémissaient ou balbutiaient, hurlaient pour ceux qui nesavaientrienfaired'autre.Artemis ignora les deux galeries et traversa le vestibule. Il se terminait par un grand

escalier à deux rampes. Artemis grimpa celle de gauche en serrant le panier qu'elle avaitapportéavecelle.Enhautdesmarches,unautreguichetiersemblaits'ennuyerderrièresoncomptoir.Lorsde

ses précédentes visites, Artemis avait été frappée par sa ressemblance avec Charon, cepersonnagede lamythologiegrecquequi transportait,moyennant rétribution, lesâmesdesdéfuntsverslepaysdesMorts.ArtemispayaàCharonsonécot,undemi-penny,etelleattenditqu'illuiouvreavecsacléla

portedel'enfer.Cequifrappaitd'abord,enentrant,c'étaitl'odeurpestilentielle.Artemisplaquasursonnez

lemouchoir qu'elle avait pris soin d'imprégner de lavande avant de quitter lamaison. Lesoccupants de cette partie du bâtiment étaient tous enchaînés et beaucoup n'étaient pascapablesounesavaientpasseservird'unpotdechambre.Desbox,àpeineplus largesquedes stalles d'écuries, bordaient les deux côtés du couloir. Les vraies stalles d'écuries, elles,étaientpluspropresetsentaientmoinsmauvaisqu'ici.Chaqueboxabritaitunhabitantdesenfers.Artemispassaitdevanteuxenessayantdenepaslesregarder.Elleavaiteutropsouventdescauchemars,parlepassé,aprèscequ'elleavaitvu.

Page 164: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Si l'odeurétait insupportable,enrevanchececouloirétaitmoinsbruyantque lesgaleriesdurez-de-chaussée.D'abord,parceque lesboxyétaientmoinsnombreux.Maisaussi, sansdoute,parcequeleursoccupantsavaientrenoncédepuislongtempsàtoutespoir.Artemis trouva celui qu'elle était venue voir dans le dernier box sur la gauche. Il était

accroupisursapaillassecommeSamsonenchaîné :desbraceletsde fer luimenottaient leschevilles et les poignets.Artemis constata avechorreurqu'il enportaitmêmeunnouveau,autourducou,quiseprolongeaitpareillementparunechaînescelléeaumur.Ainsimenotte,ilnepouvaitnis'allongercomplètement,nisedresserdetoutesahauteur: ilétaitréduitàvivreaccroupi.Ungrandsourire,pourtant,éclairasonvisage,dèsqu'illavitapprocher.—Artemis!Elles'agenouilladevantlui.Sonvisageportaitdescicatricesrécentes.—Quet'ont-ilsencorefait,moncœur?Ilhaussasesmassivesépaules,couvertesd'unechemisesaleetd'ungileteffrangé.—C'estunnouveau régimedebeauté. Ilparaîtque toutes lesbellesdamesde la cour le

suivent.Artemiss'obligeaàsourire,malgrélaboulequiobstruaitsagorge.—Idiot.Tunedevraispasenrire.Ceschaînest'empêchentdefairetoutmouvement.Ilhaussaencorelesépaules.Artemisfouilladanssonpanier.—Jen'aipaspuapportergrand-chose,malheureusement.MaislacuisinièredePénélopea

étéassezbonnepourmedonnerunepetitetourteàlaviande.Elle déballa la tourte du torchon qui l'enveloppait. Il la prit et mordit dedans, mâchant

lentementcommes'ilvoulait fairedurersonrepas.Artemisenprofitapour l'examinerplusendétail,tandisqu'ellecontinuaitdevidersonpanierdesvivresqu'ilcontenait.Levisagedel'homme s'était creusé et, si elle voyait bien, il avait perdu du poids. Une fois de plus. Ilpossédaitlacarrured'ungéantetilavaitbesoindebeaucoupmanger.Malheureusement,ilsnelenourrissaientpasassez.EtcommeArtemisn'avaitpaspuvendrelecollier,ellen'avaitpasd'argentpoursoudoyersesgardiensafinqu'ilsluiréserventunmeilleurtraitement.Ellesortitledernierarticledesonpanier.—Qu'est-cequec'est?demanda-t-il.Elleluisourit,lecœurallègre.—Ça,c'estmoncadeaudujour,etj'espèrequetuapprécierasleseffortsquej'aidéployés

pourl'obtenir.Elle déplia un superbe peignoir de gentleman, rouge foncé. Il cligna des yeux, avant

d'éclaterderire.—Jevaisressembleràunprinceindien,danscetruc!Artemisplissaleslèvrespoursedonnerunairsévère.—C'est l'onclequime l'adonné. Ilne leporteplus.Cepeignoir te tiendrachaud lanuit.

Essaie-le.Artemis l'aidaàenfiler lepeignoir.L'hommeétaitévidemmentunpeuserréauxépaules,

cependant il put quand même le fermer. Et une fois dedans, il ressemblait en effet à unprinceindien.Sauf que les princes indiens ne vivaient pas enchaînés à un mur et accroupis sur une

misérablepaillasse.Ensuite, il insista pour qu'ils partagent un peu de la nourriture qu'elle avait apportée,

Page 165: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

comme s'ils pique-niquaient ensemble, insouciants de leur environnement sordide et desgémissementsquitroublaientdetempsàautreleurquiétude.Artemisnepouvaitpass'attarder.Pénélopeavaitdécidédefairedushoppingaujourd'hui,

etArtemisdevraitl'accompagnerpourportersespaquets.Ellerefermasonpanierensilence.Elledétestaitl'abandonner.—Souris-moi,luidit-il,voyantqueseslèvrestremblaient.Tusaisbienquejen'aimepaste

voirtriste.Elle obéit. Puis elle le serra dans ses bras et quitta cet horrible box sans un mot. Elle

reviendraitdèsquepossible,mais sansdoutepasavantunequinzainede jours. Il le savaitaussibienqu'elle,aussiétait-ilinutiledelepréciser.Deretourauguichet,elledonnaàCharontoutelamonnaiequ'ellepossédait,cequin'était

pasbeaucoup.Maisgrâceàcepourboire,elleespéraitquesesgardiensnel'affameraientpastropetqu'ilséviteraientdelefrappertropfortlorsqu'ilferaitunecrise.Avantderedescendre l'escalier,elle jetaunregardaupanneauquisurplombait leguichet

deCharon:«Incurables».Chaquefoisqu'elle levoyait,Artemisenrageait.«Incurables».Cemotrésonnaitcomme

unesentencedemortpoursonfrèrejumeauadoré,Apollo.CarlesincurablesneressortaientjamaisduBethlemRoyalHospital.PluscourammentconnusouslesobriquetdeBedlam-leplusgrandasiledeLondres.Ledocteurarrivadeuxheuresaprèsleurétreintecharnelle.Meginsistapourresterdansla

chambre pendant qu'il examinait Godric. Les hommes parurent trouver sa requête trèsétrange. Godric échangea un regard avec Moulder, tandis que le médecin marmonnaitquelquechoseenfrançais.Megseretintdeleverlesyeuxauciel.Aucunedesfemmesdelamaisonnée ne trouvait déplacé qu'elle veuille rester auprès de son mari, alors qu'il étaitblessé.AprèsavoirôtélebandagequeGodricportaitaubrasdroit,lemédecinsoignasonéraflure,

ladéclarasansgravitéetposaunnouveaubandage.Puisils'intéressaàsonbrasgauche,etlà,Megfaillitavoirunhaut-le-cœur.Elledétournaprestementlatête.Godricluilançaunregarddetriomphequilafitenrager.La jeune femme alla se planter devant la fenêtre. Ah, ces hommes ! Assez courageux et

stupidesenmêmetempspourallerrisquerleurviedanslesruesdeSaint-Giles.Megsemordillal'intérieurdesjoues.Ellenesupporteraitpasdeperdreunedeuxièmefoisunhommequiluiétaitcher.— Ce n'était pas très sage de votre part d'enlever si vite votre attelle, monsieur, dit le

docteur,danssondos.Vousavezeubeaucoupdechancedenepasvousrecasserlepoignet.Meg se retourna, stupéfaite. Elle avait craint le pire, en voyant à quel point le bras de

Godricétaitenflé.—Iln'estpascassé?— Non, confirma le médecin qui replaçait une autre attelle à un Godric parfaitement

détaché.Mais une ecchymose s'est formée là oùM. Saint-John est...malencontreusementtombé.C'était l'histoirequ'ils avaient racontéeaumédecin, etque cedernier faisait semblantde

croire, en dépit de cette estafilade au bras droit, qui était venue s'ajouter à ses autresblessures.

Page 166: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megsoupiradesoulagement.—Etl'osseressouderaconvenablement?Lemédecinhaussalesépaules.—Sansdoute.AconditionqueM.Saint-Johnn'abusepasdavantage.—J'yveillerai,répliquaMeg,avecdétermination,ignorantleregardironiquequeluilança

Godric.Quand lemédecin eut terminé, quelquesminutes plus tard,Godric semblait visiblement

épuisé. Meg raccompagna le docteur jusqu'à la porte, puis revint vers le lit, où Godric sedébattaitaveclescouvertures.—Quefais-tu?Ilfronçalessourcils.—Tuvoisbien:jemelève.—Non,dit-elle,enplaquantunemainsursontorsepourl'obligeràserallonger.Iln'enest

pasquestion.Ledocteurabienpréciséquetudevaisménagertonpoignetsituvoulaisqu'ilguérisse.Illaregardaavecamusement.Avait-elledéjàoubliéqu'ellenel'avaitpasvraimentlaissése

reposerlorsqu'ilétaitrentré,toutàl'heure?Elles'empourpra.Cependant,ilréponditavecobéissance:—Oui,milady.Megluijetaunregardsuspicieux.Ilparaissaitvraimentépuisé.Soncœurseserra.—Dors,murmura-t-elle.Etelleposaunbaisersursonfront.ÀquelmomentexactementGodricluiétait-ildevenusi

cher?Ilfermalesyeux,tournalatêteetluiembrassalamain.Megdéglutitpouressayerdefairedescendrelaboulequis'étaitforméedanssagorge.Puis

elle approcha une chaise du lit avec la ferme intention de s'y asseoir et de veiller Godricpendantsonsommeil.Un peu plus tard, quelqu'un frappa doucement à la porte de la chambre. Elle avait été

laisséeentrouverteafinqueSaGrâcepuissealleretvenirlibrement.MegseretournaetvitMmeCrumbquiluifaisaitsigne.La jeune femme hésita un instant, mais Godric dormait profondément. Elle abandonna

doncsonsiège,pourrejoindrelagouvernantedanslecouloir.—Pardonnez-moidevousdéranger,milady,maisunvisiteurattendenbas.Ilinsistepour

parleràvousouàM.Saint-John.Megfronçalessourcils.—Quiest-ce?—Lordd'Arque.Meg,d'abordinterloquée,réalisasubitementqu'ilavaitsansdouterécoltédesinformations

sur l'assassin de Roger. Elle suivit donc la gouvernante, malgré sa crainte d'abandonnerGodric.Aprèstout,elleétaitaussivenueàLondrespourdécouvrirlavéritésurcemeurtre.SielleparvenaitàvengerRoger,ellepourraitrepartiràLaurelwoodManor.EtquitterGodric.Cetteperspective,toutàcoup,l'effrayait.Mme Crumb lui expliqua que le vicomte attendait dans la bibliothèque.Meg se souvint

Page 167: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

alorsqueGodricn'aimaitpaslordd'Arque.Mêmes'ils'étaitmontréplutôtpoliavecluil'autresoirauthéâtre, ilétait fortprobablequ'ildésapprouveraitqu'ellepuisseavoiruntête-à-têteaveclui.— Pouvez-vous demander à Mlle Sarah de nous rejoindre ? demanda-t-elle à la

gouvernante.—Oui,milady.MegattenditqueMmeCrumbsefûtéloignée,puiselle inspiraprofondémentetouvrit la

portedelabibliothèque.Lordd'Arqueexaminaitunrayonnage,maisilseretournaàsonentrée.—Bonjour,milady,dit-il,enluibaisantlamain.Quandilseredressa,Megs'aperçutqu'ilavaitlevisagegrave.Étrange.Megneleconnaissaitpastrèsbien,maischaquefoisqu'ellel'avaitrencontré,elle

l'avaittoujoursvusourire,commesilevicomtesemoquaitdetout.Oucommesisonsourireluiservaitd'armure.—Bonjour,milord.Quelleestdonclaraisondevotrevisite?Ilparuthésiter.—J'espéraisparleràvotremari.—Malheureusement,ilestindisposé.Levicomtehésitaencore,commes'ilréfléchissait.—JesuisvenuàproposdeRogerFraser-Burnsby.Meghochalatête.Elles'étaitpréparéeàcequ'ilparledeRoger.LaportedelabibliothèqueserouvritetSarahentraàsontour.—Meg?—Ah, vous voilà ! s'exclamaMeg, d'une voix délibérément enjouée. Je neme souvenais

plussivousaviezdéjàrencontrélordd'Arque?Sarahs'approcha.—Jenecroispas,non.—C'estuneterribleerreurdemapart,plaisantalordd'Arque.Il avait retrouvé son sourire charmeur.Meg était presque soulagée. En revanche, Sarah

s'étaitraidie.Elleavaituneopiniontrèsarrêtéesurlesséducteurs.—Milord,permettez-moidevousprésentermabelle-sœur,MlleSarahSaint-John.Sarah,

voicilevicomted'Arque.—Jesuisenchantédevousrencontrer,mademoiselleSaint-John,susurralevicomte,enlui

baisantlamain.Votrebeautééblouitmonregard.—C'est embêtant, répliquaSarah, quandd'Arque se redressa. J'espèreque vousne serez

pasaveugléaupointdevouscognerdanslemobilier.Lord d'Arque arqua un sourcil amusé.Mais avant qu'il ait pu répondre,Meg proposa de

sortir dans le jardin. Elle pourrait s'entretenir avec lord d'Arque sans que Sarah puisseentendre leur conversationet cependant, elle resterait visibledeSarah, cequi sauverait lesconvenances.—Nous avons fait de nouvelles plantations, expliqua-t-elle. Je suis sûre que vous serez

heureuxdelesdécouvrir,milord.En réalité, elle ignorait si le vicomte s'intéressait aux plantes. Mais il acquiesça bien

volontiers.Sarahparutétonnéedecetteproposition,maiselles'inclinaégalement.

Page 168: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Voulez-vousquej'aillecherchernoschapeaux?Megluisourit.—Oui,s'ilvousplaît.Sarahpartie, d'Arque était redevenugrave.Mais il neparlaplusdeRoger. Ils badinèrent

sansconséquence,jusqu'àcequeSarahrevienne,ungrandchapeaudepaillesurlatêteetunautredanslamain.Meglaremerciaetilssortirenttoustroisdanslejardin.Tandis qu'ils déambulaient dans les allées, Meg jacassa quelques minutes à propos de

crocus etdepâquerettes. Sarah finitpar lui jeterun regard intrigué et elle annonçaqu'elleavaitenviedes'asseoir.Elleselaissachoirsurunbancdepierre.—J'aimeraisconnaîtrevotreopinionsurnotrepommier,milord,ditMeg.Elle entraîna le vicomte vers le pommier, pendant que Sarah restait sur son banc. Lord

d'Arquejetaunvagueregardàl'arbre.—Ilal'airmort,dit-il,avantdes'immobiliser.Milady,vousm'avezinterrogé,l'autrejour,à

proposdeRogerFraser-Burnsby.—Eneffet,acquiesçaMeg,quiexaminaitlesquelquesbourgeonsapparussurlesbranches

dupommier.Passimortquecela.—Je...crois,risqualevicomte,quevousétieztrès...prochedeRoger?Meg se tournavers lui.D'Arque la fixait, et elle crutdécelerun chagrin sincèredans ses

yeux.Elledécidadejouerlafranchise.—Ilm'aimait,etjel'aimais.Ilhochalatête.—Jesuisheureuxqu'ilaitvécuassezlongtempspourvousconnaître.LesyeuxdeMeglapiquaient.—Merci.— J'ai beaucoup repensé à son assassinat, depuis ma conversation de l'autre soir, au

théâtre,avecvotremari.Etjemesuisditquesinousmettionsencommuntoutcequenoussavionsdesderniersinstantsdesavie,nouspourrionspeut-êtredécouvrirpourquoiilaététué.Etparqui.Meginspiraprofondémentetreportasonattentionsurlepommier.—Rogervoulaitm'épouser.Levicomtesursauta.—Vousaviezdécidédevousfiancer?—Oui.—Pourquoin'enavez-vousparléàpersonne?Megcaressaletroncdupommier.—C'étaitunsecret.Rogern'avaitpasencoredemandémamainàmonfrèreaîné.Jecrois

qu'il voulait d'abord faire ses preuves. Ilm'avait parlé d'une proposition financière, qui luipermettraitdegagnerassezd'argentpourqu'ilpuissem'épouserlatêtehaute.Lordd'Arqueneputreteniruneexclamationdesurprise.Megleregarda,intriguée.—Qu'ya-t-il?—Environsixmoisavant lamortdeRoger, l'undemesamism'aproposéd'investirdans

uneaffaire.Ilmepromettaitquecelamerapporteraitbeaucoupd'argent.Megfronçalessourcils.

Page 169: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Dequois'agissait-il?—Je l'ignore,avouad'Arque.Mais jemesuis toujoursméfiédespropositionsfinancières

mirobolantes.Engénéral,ellesseterminentpardescatastrophes.Etcommej'aitoutdesuitedéclinél'offre,jen'aipaspusavoirdequoiilretournait.—Quiétaitcetamiquivousavaitfaitcetteproposition?Lordd'Arquehésitauninstant,avantderépondre:—LecomtedeKershaw.Godric,enouvrantlesyeux,découvritMegassiseàsonchevet.Unregardendirectiondela

fenêtreluifitcomprendrequelalumièrediminuait.Godricn'enrevenaitpas.Ilavaitdormipresquetoutelajournée.Ilreportasonattentionsursonépouse.Ellecontemplaitsesmainsetellesemblaitperdue

danssespensées.Godriceutunmauvaispressentiment.—Tuesrestéeicitoutelajournée?Ellesursautaetrelevalesyeux.—Non.Jesuisdescenduedéjeuner.Etnousavonseudelavisite,cematin.—Ah?fitGodric,ens'étirant.Sonbrasgauchelefaisaitunpeusouffrir,maisilsesentaitbeaucoupmieuxetilsongeaità

attirerMegsouslesdraps.—Quicela?—Lordd'Arque.Godricsefigea.—Quevenait-ilfaire?Megsemorditlalèvre.—IlvoulaitparlerdeRoger.Elleluiracontasaconversationaveclevicomte.Quandelleprécisaquec'étaitlordKershaw

quiavaitproposéàd'Arqued'investirdansunemystérieuseaffaire,Godric,horrifié,fermalesyeux.—Qu'ya-t-il,Godric?Quedevait-illuidire?Quepouvait-illuidire?Godricrouvritlesyeux.IlvoulaitprotégerMeg.Etcequ'ilsavaitneladélivreraitpasdeson

chagrin.D'unautrecôté,Megn'étaitplusuneenfant. Iln'avaitpas ledroitdedéciderpourellecequ'elledevaitounedevaitpasapprendre.—Ilyadeuxansdecela, leFantômedeSaint-Giles -unautreFantômequemoi -a tué

CharlesSeymour.CharlesSeymourréduisaitenesclavagedesfillettesdemoinsdedouzeanspourfabriquerdejolisbasàdestinationdesfemmesdelabonnesociété.—Commedanscesateliersclandestinsdonttum'asparlé?QuelrapportavecRoger?—Nouspensionsquecesateliersclandestinsavaientdéfinitivementferméaveclamortde

Seymour.Mais il y a peu, ils ont repris leur activité dans Saint-Giles. Lanuit dernière, j'aitrouvé ledernier localet libérédumêmecouponzefillettes.Maisungentlemanatentédemetuer.Illevasonbrasdroitbandé.Megleregarda,unequestionpoignantedanslesyeux.Godricsoupira.—C'étaitKershaw.Ellefronçalessourcils.

Page 170: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—D'Arque,KershawetRogerétaienttrèsliés,dit-elle.Rogeravaitpeut-êtreétéapproché,commelevicomte,parKershaw,pourinvestirdanscettemystérieuseaffaire.Ellesereleva,commesiellenepouvaitplustenirenplace.—Rogervoulaitasseoirsafortuneavantdedemandermamain,continua-t-elle,faisantles

cent pas dans la pièce. Il a pu accepter la proposition de Kershaw sans savoir de quoi ils'agissait.Maisquandilacomprisquedemalheureusesfillettes...monDieu,Godric!Rogerétaitquelqu'undebien!Iln'auraitjamaiscautionnéunetellehorreur.Godrichochalatête.—Alors,ilsontdûletuerpourqu'ilneparlepas.— Oui, c'est la seule explication possible, murmura Meg. Nous devons immédiatement

prévenirlapoliceet...—Non.Ellesursauta.—Quoi?Godrics'assitdanssonlit.—Kershawestcomte,Meg.Etnousn'avonsaucunepreuvetangiblecontrelui.Enoutre,ce

n'est pas forcément lui qui a tuéRoger. C'est peut-être Seymour.Ou quelqu'un d'autre. EtSeymourestmort,àprésent.Megcrispalespoings.—Ilestquandmêmeresponsable.Sijeraconteàlordd'Arque...—Situenparlesàlordd'Arque,jesuissûrqu'iltecroira.Maisquepenses-tuqu'ilarrivera

?Lordd'ArqueseraobligédeprovoquerKershawenduel.Meg ouvrit la bouche pour protester,mais elle se ravisa. Les duels étaient des pratiques

illégales.Mêmesid'Arquesurvivait,ilseraitbannidupays.—Accorde-moiunpeudetemps,ditGodric.Jevaisenquêterpourtenterd'ensavoirplus.Megsemorditlalèvre.— Je ne supporte pas qu'il puisse jouir de sa liberté alors queRoger est dans sa tombe,

murmura-t-elle.—Jesuisdésolé,ditGodric,enluitendantlesmains.Viens.Elleserapprochalentementdulit,commeuneenfantquirechigneàobéir.Quandellefutàsaportée,Godricl'attiradanssesbras,maisilsentitunerésistance.—Chut.Jeveuxjustequetut'allongescontremoi.Riendeplus.Ilcraignaitqu'ellenes'inventeuneexcusepourrefuser.Maiselleacceptafinalementdese

coucherprèsdelui.EtGodricéprouvaunintensesentimentdebonheurquandelleposaunemainsursontorseetqu'elles'assoupit.Lui-même resta éveillé, à contempler le plafond et à chercher un moyen de détruire le

comtedeKershaw.

Page 171: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

18

«Pauvres,pauvresâmes!»selamentaitFoi.Etunelarmeroulasursajoue.SatristesseravissaittellementDeuilqu'il lâchaunmomentl'étalonpourapplaudirdesdeuxmains,ensignededérision.Foienprofitapourlepousseràbasducheval.Iltombadansungrandcriet fut aussitôt piétinépar les sabots de l'animal. L'Hellequin s'esclaffade bon cœur. «Cestroisdémonsm'accompagnaientdepuisuneéternité.Ettuasréussiàmedébarrasserd'euxenmoinsd'unejournée.»[...]

op.cit.Tardlelendemainmatin,Megrefaisaitsescalculspourlatroisièmefois.Ellen'avaitjamais

étédouéeavecleschiffres,aussicraignait-elledesetromper.Pourtantchaquefois,lerésultatétaitlemême.Elleavaitmanquésesprécédentesrègles,et

elle était en retard pour celles-ci. Comment était-ce possible ? Elle recommença unequatrièmefoissonopération,s'obligeantàignorerlesentimentd'allégressequimontaitdanssa poitrine. C'était trop tôt, se morigénait-elle. Si elle se réjouissait déjà, elle seraitterriblementdéçuequandlesrèglesarriveraient.Mais...Maissielleétaitvraimentenceinte?Ellesereleva,incapabledetenirenplace,etse

précipitadanslachambredeGodricsansréfléchir.Personne.Meg,unpeudéçue,regardaautourd'elle.Puisellesedirigeaverslapenderie.SaGrâceétaitcouchéesurunechemised'homme,leschiotspresséscontresonventre.Lachiennelevalesyeux.—Toutvabien,luimurmuraMeg.Jenevoulaispastedéranger.Ellerestaàcontempler l'adorablespectaclequ'offraient leschiots,surtoutceluiaupelage

chocolat,quisemblaits'ingénieràplantersapattedansl'œild'undesesfrères.Auboutd'unmomentMegfinitpartournerlestalons,avecl'intentionderetournerdanssachambre.Maisundétailinhabitueldanslapenderieattirasonregard.Letiroirduhautétaitouvert.Etsacléencoreinséréedanslaserrure.Meg,dontlacuriositénesemblaitpasavoirdelimites,s'approchapourregarder.Laclé,minuscule,étaitreliéeàunechaîneenargent,etMegréalisaquec'étaitcettecléque

Godricportaitenpendentifautourducou.Ellelacaressaduboutdesdoigts.Puiselleregardadansletiroir.Ilcontenaitdeuxpilesdelettres.L'une,endésordre,l'autresagementrangéeetcercléed'unrubannoir.Ilyavaitaussiunpetitécrin.Meglepritetl'ouvrit.Ilrenfermaitdescheveux. Unemèche de cheveux bruns, très soyeux, et unemèche de cesmêmes cheveuxteintésdegris,ternesetcassants.IlsavaientdûapparteniràClaraetMegréalisasoudainqueGodricavait très longuementconnusapremièrefemme-assez longtempsentoutcaspourquesescheveuxgrisonnent.IlavaitvécupendantdesannéesavecClaraetil...Mais cela n'avait pas d'importance, après tout. Meg n'était pas venue à Londres pour

chercherl'amourdeGodric.Ellerefermal’écrinetleremitenplace.Puis elle s'intéressa aux deux paquets de lettres. Celui entouré d'un ruban noir devait

Page 172: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

rassemblerleslettresdeClara.Maisl'autrepile...Sonpoulss'accéléra.Megavaitreconnusonécrituresurlalettredudessus.Ellefouilladanslapileetconstata

qu'elles étaient toutesde saplume.Godricavait conservé toutes les lettresqu'elle lui avaitenvoyées!Toutescesmissivesécritesrapidement,sansstyleparticulier,oùelleracontaitlespetitsriensdeLaurelwoodManoretd'UpperHornsfield.Pourquoiavoirpris lapeinedelesconserver?Ellepritunelettreauhasardetladéplia.

10janvier1740CherGodric,Le croiriez-vous ? Nous sommes quasiment ensevelis sous la neige ! Battlefield a

marmonnétoutelamatinéequ'iln'avaitjamaisvuautantdeneigedesonexistence,laquelle,vous ne l'ignorez pas, remonte pour ainsi dire àMathusalem. Toute cette neige a encorecauséàlacuisinièreunerévélationmystique,sibienquenousn'avonstoujourspasdéjeuné.Malgré le risque d'Apocalypse, j'espère que la neige restera un peu, car les paysages sontmagnifiques.S'ilneigeaittouslesans,jecroisquejefiniraisparaimerl'hiver.J'aipasséunepartiedelamatinéeàobserverunrouge-gorgequisautaitsurlesbranches

de l'aubépineplantéedevant la fenêtredemachambre.Ilgobait les insectesqu'ildénichaitsous l'écorce. Les garçons d'écurie et les plus jeunes valets se sont livrés à une bataille deboulesdeneigequines'estterminéequelorsqueBattlefieldenareçuunedanslecou.«Paraccident»ont-ilstousclamé!Latrêveadûêtreconcluedeforce.Maisj'ypense!Jenevousaipasencoreposélaquestionquimotivaitcettelettreetj'arrive

déjà bientôt au bout dema feuille. Alors, voilà : Sarah a raconté cematin combien vousaimiez Laurelwood quand vous étiez plus jeune, et celam'a donné à penser. Serait-cemaprésencequivousretientdenousrendrevisite?J'espèrebienquenon!S'ilvousplaît,venezdoncnousvoirquelquesjoursetnetenezpascomptedecequejevousaiditplushaut.Lacuisinière est unpeu excentrique, c'est vrai,mais elle confectionne lesmeilleures tartes aucitrondumonde.EtBattlefieldestBattlefield.Personnenelechangeraàsonâge,alorsnousdevonsbien faireavec.Quantàmoi, je suis unpeu écervelée,mais je vousprometsd'êtresérieusecommeunpape!J'espèrequevousviendrez.Votre,

M.Les dernières lignes étaient écrites très serré car elle avait manqué de papier. Meg se

souvenaittrèsbiendecettebellejournéed'hiver,maisaussidel'impressionqu'elleavaiteuequ'illuimanquaitquelquechose.Ellesavaitdéjàqu'ellevoulaitunenfant,maissalettreluiavaitétédictéeparunautre...Laportedelachambres'ouvrit.Megtournalatête,sansprendrelapeinedecacherlalettrequ'elletenaitencoreàlamain.Godric s'immobilisa sur le seuil. Mais il ne semblait pas furieux de la trouver dans sa

chambre,àfouillerdansseseffetspersonnels.

Page 173: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Bonjour,dit-il.—Tulesastoutesgardées.—Teslettres?Oui.Ilentraetrefermatranquillementlaportederrièrelui,commes'iln'étaitpaslemoinsdu

mondegênéqu'elleaitpercél'undesessecrets.Cequi, bien sûr, accrut la culpabilitédeMeg : ellen'avait pas gardé toutes les lettresde

Godric,seulementlesplusrécentes.—Pourquoilesas-tuconservées?—J'aimebienlesrelire.Megreplialalettreetlareplaçadansletiroir.—Penses-tuencoreàClara?Laquestionétaitsansdoutetroppersonnelle,maiselleespéraitqu'illuirépondraitetelle

retintsonsouffledanscetteattente.—Oui.—Souvent?Ilsecouadoucementlatête.—Pasaussisouventqu'avant.Megfermalesyeux.—As-tudesremordsquandtumefaisl'amour?—Non.Ellelesentits'approcherd'elle.—J'aimaisprofondémentClaraetjenel'oublieraijamais,ajouta-t-il.Maisellen'estpluslà.

Jecroisquej'aiappris,cesdernièressemaines,àmettredecôtécequejeressentaispourelle,afind'êtrelibredevivrequelquechoseavectoi.LecœurdeMegbattaitàtoutrompredanssapoitrine.—Commentarrives-tuàconcilierlesdeux?L'amourquetuéprouvaispourelleétaittrès

fort,n'est-cepas?—Eneffet.Etsi tun'étaispasentréedansmavie, jepensequejeseraisrestéunermite.

Maistuesvenue.C'étaitditsurletonduconstat.Megrouvritlesyeux.—Leregrettes-tu?M'enveux-tudet'avoirforcéàrenoncerausouvenirdeClara?Ilesquissaunsourire.—Tunem'asforcéàriendutout.Maistoi,as-tul'impressiondetrahirRoger?—Jenesaispas,réponditMeg,quinesavaitplustrèsbienoùelleenétaitavecRoger.EllevitGodricseretenirdegrimaceretellecompritquesaréponsel'avaitblessé.Elleen

futelle-mêmepeinée.Cependant,ilméritaitlavérité.— Je veux - je voulais - très fort un enfant, et j'étais convaincue que Roger me

comprendrait.Rogerétaitunhommequiaimaitlavieetjepensequ'ilauraitaimémesavoirheureuse,mêmeaprèssamort.Maisjen'aipasencorevengésonassassinat.—Je t'aipromisque je trouveraisunmoyende fairepayerKershawet je tiendraiparole,

dit-il,d'unevoixinflexible.Crois-moi:Rogerpourradormirenpaix.—JeneveuxpasqueturetournesdansSaint-Giles,répliquaMeg,enluicaressantlajoue.

Jetedoisdéjàbeaucouptrop.Toutcequetum'asdonné.Toutceàquoituasrenoncépourmoi...— Il n'y a aucune dette entre nous, Meg. J'ai délibérément choisi de surmonter mon

chagrinpourClara.Lavieestfaitepourlesvivants.

Page 174: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Megsedemandasilemomentn'étaitpaspropicepourluiannoncerlanouvelle.Ellebrûlaitd'enviedeluirévélerqu'elleétaitpeut-êtreenceinte.Mais elle se souvint brusquement de ce que cet aveu signifierait : elle lui avait promis

qu'ellepartiraitaussitôtqu'elleattendraitunenfant.Or,ellenevoulaitpasquitterGodric.Pasmaintenant,entoutcas.Peut-êtrejamais.LesilencedeMegseprolongea,etsonmariavaitfroncélessourcils.Celaluidonnaitunair

sévère et solennel,qui s'accordait trèsbienavec saperruquegrise et ses lunettes endemi-lunesqu'il avait remontées sur son front.En fait,Meg le trouvait irrésistibleet elleneputrésisteraudésirdeplaquerunbaisersurseslèvres.Ilparutsurprisdesongeste.Maiselleluisouritetilluirenditsonsourire.—Viens,dit-il.TuvoulaisvisiterSpringGardens.Ilsquittèrentlachambremaindanslamain.Megcroyaittoucheraubonheur,maisellese

gardait biende trop se réjouir.Car elle devrait tôt ou tard lui avouer sa grossesse et alors,Godricluidemanderaitdepartir.Quoiqu'ilensoit,elledevaitabsolumentvengerRogeravantdequitterLondres.GodricdevaitbienreconnaîtrequeSpringGardensétaitunparcmagnifique,mêmes'ilne

s'étaitjamaisbeaucoupintéresséauxfleursniauxplantes.Meg,enrevanche,sepassionnaitpourlavégétationetsajoied'êtreicisemblaitdéteindresursaproprehumeur.Ils se promenaient dans une allée gravillonnée bordée de parterres et la jeune femme

s'extasiaitpratiquementàchaquepas.—Oh,regardezcespetitesfleursblanches!s'exclama-t-elle,ensepenchantpourmieuxles

admirer.Savez-vouscommentelless'appellent,madameSaint-John?Sabelle-mère,quimarchaitderrièreeux,s'approchaduparterre.—Ondiraitungenredecrocus.—Maisellespoussentsurdestiges,remarquaMeg,enseredressant.Jen'aiencorejamais

vudecrocuspoussersurdestiges.—Etlescrocusn'ontpasdepistilsverts,ajoutaSarah.—Quoi?fitlagrand-tanteElvina,unemainencornetplaquéecontresonoreille.—Despistilsverts,répétaSarah,plusfort.—Oùça?demandalagrand-tanteElvina.—Là,fitJane,pointantdudoigtlesfleursenquestion,tandisqueCharlottesepenchaità

sontoursurlemassifetdécrétaitquelespistilsn'étaientpasvraimentverts.S'ensuivit une discussion animée pour savoir de quelle couleur étaient les pistils et s'il

existait des variétés de crocus qui poussaient sur des branches. Godric écoutait avecamusementlesargumentsdesunesetdesautres.—Jen'aijamaisvutafemmeaussiheureuse,luichuchotasabelle-mère.Nitoinonplus,

d'ailleurs.Godric,déconcerté,détournaleregard.—Godric,insista-t-elle,luiprenantlebraspourl'éloignerunpeudugroupe.Tuesheureux,

n'est-cepas?—Peut-onseprétendreheureux?—Oui,jepense,répondit-elle,avecgravité.J'étaisheureuseavectonpère.—Etvouslerendiezheureux.Ellehochalatête,commesielleenavaitparfaitementconscience.

Page 175: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

—Laseulechosequimechagrinaitdanscemariage,c'étaittaréaction.Jetesavaistristedecetteunion.Godricsesentitrougirausouvenirde laduretéavec laquelle ilavait traitésabelle-mère,

lespremièresannées.Ils'arrêtadevantunarbredontlesbranchesployaientbizarrement.—J'étaisdéjàmalheureuxavantquevousn'épousiezmonpère.Votrearrivéen'a faitque

donnerunexutoireàmacolère.Jesuisdésoléd'avoirétéaussidésagréableavecvous.— Tu étais encore un enfant, Godric. Je t'ai pardonné depuis bien longtemps. Mais

j'aimeraismaintenantquetutepardonnesàtoi-même.Tumanquesbeaucoupàtessœurs.Etàmoiaussi.Godric déglutit péniblement et se décida à la regarder dans les yeux. Elle l'aimait. Il le

voyaitàsonregard,mais iln'arrivaitpasàs'expliquerpourquoi. Il s'étaitmontré tellementcruelavecelle!Cependant,sielleétaitcapabledetireruntraitsurlepassé,ilsedevaitd'enfaireautant.Il lui étreignit doucement le bras, dans l'espoir qu'elle saurait comprendre ce qu'il ne

parvenaitpasàexprimeravecdesmots.—Oh,Godric,murmura-t-elle,leslarmesauxyeux.Jesuistellementcontentequetuaies

finiparmerevenir.Ill'embrassasurlajoue.—Mercid'avoirsum'attendre.Lerestedelafamille lesrejoignait lentement,maislaconversationsurlespistilsvertset

lescrocusn'étaitpasterminée.JaneetCharlottemarchaientbrasdessusbrasdessous,toutens'ingéniantàs'envoyerdesargumentscontraires.Derrière,lagrand-tanteElvinaassénaitune vérité de son cru à Sarah, qui l'écoutait avec le sourire.Meg, sa chèreMeg, fermait lamarche.Levent,lapromenadeetl'excitationdecettediscussionavaientdonnédescouleursàsesjoues.Leurs regards se rencontrèrent. Elle lui sourit, et Godric sentit son cœur bondir

d'allégresse.Il se promit d'emmenerMeg au moins une fois par semaine dans un parc, tant qu'elle

resteraitàLondres.Elleétaitdanssonélément,aumilieudelaverdure,etilsesurprittoutàcoupàaimerlesjardins.Ilattenditquelesautreslesaientdépasséspouroffrirsonbrasgaucheàlajeunefemme,

tandisqu'iltenaittoujourssabelle-mèreparl'autrebras.Ellesemblahésiter,commesielleavaitpeurdeluifairemaletderéveillersablessure.—Venezdemoncôté,proposaMmeSaint-John,quiéchangeaavecMegl'undecesregards

typiquement féminins, qui donnaient l'impression de dire beaucoup de choses. Je vaismarcherunpeuavecSarah.Megpritlebrasdroitdesonmari.LablessureavaitsiparfaitementcicatriséqueGodricne

portaitdéjàplusdebandage.—Jesuiscontentequetuaiespuluiparler,murmura-t-elle,quandleurbelle-mèresefut

éloignée.Commentlesfemmespouvaient-elleséchangertantdechoses,sansmêmeavoirbesoinde

separler?Ilsepencheraitsurlaquestionuneautrefois.Lajournéeétaitravissanteetilentendaiten

profiteretprofiterdesafemme.Ilspoursuivirentleurpromenadesanssepresser,laissantlesautrespeuàpeulesdistancer.

Page 176: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ilss'approchaientd'uneintersectionentredeuxallées.Lecarrefourétaitparseméd'arbresdontlesfeuillescommençaientàsortir.Godricaperçutunautrecouple,maiscen'estqu'aumoment d'arriver au carrefour qu'il réalisa de qui il s'agissait : le comte et la comtesse deKershaw.

Page 177: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

19

Foi bâilla. « J'ai sommeil. Ne pourrions-nous pas nous reposer un peu ? » L'HellequindescenditdesonchevaletsoulevaFoiparlataillepourladéposerdanslesabledelaplainedes Murmures. La jeune femme resserra le manteau de l'Hellequin sur ses épaules,cependant elleavait toujours froid.Elle tendit samainà l'Hellequin :«Pourquoinevousallongez-vouspasprèsdemoi?»Ils'exécutaetFoiselovacontresongrandcorps.Commeils'assoupissait,ellel'entenditmurmurer:«Jen'avaisplusdormidusommeildeshommesdepuismilleans.»[…]

op.cit.Megsefigea.LordKershawriaitdeboncœuràquelquechosequeluidisaitsafemme.Ace

spectacle,Meg eut l'impressionde recevoirun coupdepoignarddans le cœur.Roger aussiriaitcommecela,avecinsouciance.—Commentosez-vous!luilança-t-elle,sansréfléchir.Quandbienmêmeelleauraitréfléchi,ellen'auraitpaspugarderlesilence.—Commentosez-vous?répéta-t-elle.—Meg,murmuraGodric.Ilsétaitraidi,commes'ils'apprêtaitàsebattre,maissavoixétaitdouce,presqueunpeu

triste.Meg ne voulait pas le regarder. Elle préférait se focaliser sur lord Kershaw, dont le rire

s'étaitévanouid'uncoup.—Vous l'avez tué,ajouta-t-elle.Vousavez tuéRogerFraser-Burnsby.C'était votreamiet

pourtant,vousl'avezassassiné.S'ilavaitniéavec laplusgrande fermetéoucriéqu'elleétait folle,Megauraitsansdoute

battu en retraite. Elle aurait plaidé une insolation, l'abus d'alcool ou encore la stupiditéféminine.Maisilnecherchapasànier.—Prouvez-le,répliqua-t-ilsimplement,avecunsouriremauvais.Megperditsonsang-froid.Sonchagrin,toutàcoup,luibrûlaitlesveinescommeunacide

corrosif. Elle se jeta sur Kershaw, toutes griffes dehors,mais heureusement Godric eut lapoigneassezsolidepourlasauverdeladisgrâcesociale.Illatiraenarrière,laportapresque,pendant qu'elle éclatait en sanglots. La famille de sonmari les avait rejoints et elle rit lesyeux écarquillés de Sarah, l'horreur qui se lisait sur le visage de Mme Saint-John et ellecomprit qu'elle aurait dû avoir honte de son comportement. Mais elle n'éprouvait qu'unetristesseinsondable.Ellepassaletrajetquilesramenaàlamaisonnichéecontrel'épauledeGodric,às'efforcer

depenseràcequ'ellepossédait,plutôtqu'àcequ'elleavaitperdu.A leur arrivée à Saint House, Godric sauta de la voiture et se retourna pour l'aider à

descendre,aveclasollicitudequ'iltémoigneraitàuneinvalide.Elle voulut protester,mais il garda le silence et continua de lui tenir fermement le bras

Page 178: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

tandisqu'illapoussaitàl'intérieur.Meg entendit Mme Crumb poser une question alors qu'ils traversaient le vestibule, et

Sarahsechargeadeluirépondre.Godric,lui,n'avaitmêmepasralenti:ilentraînaitdéjàMegdansl'escalier.Au moment d'arriver sur le palier, elle se souvint brusquement que son mari avait été

obligédelatirerdesdeuxbraspourl'éloignerdeKershaw.—MonDieu,Godric!J'espèrequejenet'aipasfaitmal!—Non,net'inquiètepas,murmura-t-il,tandisqu'illaconduisaitàsachambre.Megsentituneboufféedechaleurirradierdepuissapoitrinejusqu'àsonvisage.Puiselle

éclatadenouveauensanglots.Seslarmes,cependant,neluiétaientd'aucunsoulagement.RiennepourraitlasoulagertantqueKershawvivrait.Godricl'enlaçatendrement.—Ilnel'emporterapasenparadis,Meg.Jeteprometsquejel'aurai.Jetelepromets.Son insistance apaisa quelque peu Meg. Elle abandonna son visage contre son torse

puissantetellelelaissafaire.Il commença par lui ôter sa robe. Quand elle ne porta plus sur elle que sa camisole, il

l'allongeasurlelitpuisilmouillaunlingedanslacuvettedelatabledetoiletteetillepressasursonfront.SongesteagitsurMegcommeunpardon.—Jel'aimais,dit-elle,sansréfléchir.—Jesais,Meg.Jesais.Elle ferma les yeux et posa une main sur son ventre, d'autant plus plat qu'elle était

allongée.Pour l'instant, iln'yavait aucunsigneévidentde sagrossesse,maisellevoulait ycroire.—Jenepeuxpasrecommenceralorsqu'iln'apasétévengé,murmura-t-elle.Jenepeuxpas

avoircebébétantquecen'estpasréglé.EtjenepeuxpasquitterLondres.Ellerouvritlesyeuxetilvitqu'ilregardaitsonventreavecstupéfaction.Megauraitvoulu

luiannoncerlanouvelledifféremment,maisl'émotionavaitététropforte.Godric releva les yeux et leurs regards se rencontrèrent. Meg ne put déchiffrer son

expression.—JenepeuxpasquitterLondresmaintenant,répéta-t-elle.—Non,biensûr.Pasmaintenant.Ilallarafraîchirlelingedanslacuvetteetlepressadenouveausursonfront.—Dors,àprésent,luimurmura-t-il.—Resteavecmoi.Ildétournaleregard.—J'aidesaffairesàrégler.Quellesaffaires?—S'ilteplaît,ajouta-t-ellesimplement.Il ne répondit rien,mais il se défit de sa perruque, de sa veste et de sa chemise, puis il

s'allongeaàsoncôtéetlaserradanssesbras.Megselaissabercerparlerythmedesarespiration.Godricnel'avaitpasréprimandéepour

sonéclatdetoutàl'heurecontrelecomtedeKershaw.N'importequid'autreauraiteuhontede son comportement. Pas Godric. Elle ne méritait pas un mari aussi généreux et aussipatient.

Page 179: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Elle releva les yeux pour observer son profil, alors qu'il était allongé sur le dos. Il avaitfermélesyeux,cependantellesavaitqu'ilnedormaitpas.À quoi pensait-il ? Que préparait-il ? Avait-elle vraiment besoin de le savoir ? Il avait

acceptéqu'elleresteàLondresdansl'immédiat,etelleluienétaitinfinimentreconnaissante.EllevoulaitresterpourRoger.Maisaussipourlui.PourGodric.Sonnezétaitbiendroit,sesnarinesfines.Saboucheétaitmagnifique,seslèvrespleineset

douces.Elletenditlamainpourlescaresser.—Meg,murmura-t-il.Savoixaussi luiplaisait.Sourde,unpeurauque,commes'ilavaitpasséla journéeàcrier

aprèsquelqu'un.Saufqu'iln'étaitpasunhommecoléreux.Etcertainementpasavecelle.Ilroulasurlecôté

pourluifaireface.—Tudevraisdormir,Megchérie.—Jen'aipassommeil.Fais-moil'amour,ajouta-t-elleaprèsunbrefsilence.Il s'exécuta bien volontiers, comme chaque fois qu'elle lui demandait quelque chose

d'ailleurs.Sescaresses,lafaçondontil laserraitdanssesbras,oùil l'embrassait,montraientàquel

pointillachérissait.MaisMeg pressentait qu'il projetait de s'en prendre à lord Kershaw et elle aurait voulu

savoircequ'ilavaitentête.Cependant, de l'instant où il retroussa sa camisole et qu'elle sentit son membre dressé

palpiterentresescuisses,ellenesongeaplusàs'interrogerniàlequestionner.—Viens,dit-elle.Ils'enfonçaaussiprofondémentqu'illeputetMegréponditenrythmeàsescoupsdereins.Megavaitfermélesyeuxpourmieuxs'abandonneràsonplaisir.Quandellelesrouvrit,elle

vitdeslarmesdansceuxdeGodric.Ellesefigeauninstant,bouleversée,sanscomprendre.MaisGodricclignalesyeux,etilla

caressa là où leurs corps ne faisaient qu'un, si bien qu'elle se perdit dans la jouissance etqu'ellerenonça,unefoisdeplus,àlequestionner.Meg gémissait de plus en plus fort. Godric l'embrassa longuement, puis il lui caressa le

visage,leslèvres,duboutdesdoigts.Elleentrouvritlaboucheetluisuçaavidementlepouce,pendantqu'ilaccentuaitlemouvementdeseshanches.Etl'instantmagiquearriva:lesétoilesdansèrentderrièresespaupièresdenouveaucloses.

Meg s'agrippa à son mari et poussa un grand cri, en même temps qu'il s'enfonçait unedernièrefoisavecforcepourdéchargersasemenceenelle.Puisellesentitleslèvresdesonmaricaressersessourcilsetellecrutl'entendreprononcer

deuxmots.Maiscommeelles'enfonçaitdéjàdanslesommeil,ellesedemandasiellen'avaitpasrêvé.GodricattenditquelarespirationdeMegfûtdevenuerégulière.Puisilattenditencoreun

peu.Plus,enfait,qu'ilnel'auraitvoulu.Safemmeluiétaitdevenuetropprécieuse:elleétaitlaseulepersonneaumondeàavoirsutouchersoncœurpourleremettreenétatdebattre.Megl'avaitramenéàlavie.Enretour,ilétaitloyalqu'illuiapportesurunplateaulamortqu'elleréclamait.

Page 180: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Quandilsedécidaenfinàbouger,lesoirétaitdéjàtombé,maisGodricnesongeapasàs'enplaindre,carlanuitétaitsonélément.Ils'esclaffapresque.GodricSaint-John,seigneurdesTénèbres ! Avant de sortir du lit, il regarda une dernière fois sa femme, paisiblementendormie.Ilnes'expliquaittoujourspaspourquoiilavait lachancedepartagerlavied'unetellecréaturede lumièreetdevie. Ilnese l'expliquaitpas,mais il s'enréjouissait. Ilauraitaimé l'embrasser une dernière fois pour imprimer sa beauté sur sa peau et la porter entalismanaucoursdelalonguenuitquis'annonçait,maisils'enabstintdepeurdelaréveiller.Aussiquitta-t-il lachambresansl'avoirtouchée.IlconvoquaMoulder,quil'aidaàs'habillerenFantôme.Puisilpritsesdeuxlames-sadagueetsonépée-etilsortitsefondredanslanuit.Il faisaitagréablement frais, leprintempscommençaitàrenaître.La lune,dans leciel,se

livraitàunjeudeséductionaveclesnuages.Godricinspectalejardin,maisilnerepérariend'anormal.LecapitaineTrevillionavaitsansdoutedécidédepayersonécotausommeil.Cette fois, Godric ne partit pas en direction de Saint-Giles, mais vers l'ouest, là où

l'aristocratie londonienne construisait ses nouvelles demeures. Là où vivait le comte deKershaw.Godricétaitdéterminéàhonorer lapromesse faiteàsa femme.S'ilenavaiteu letemps, il aurait étudié une stratégie, cherché les points faibles de son ennemi et il l'auraitcirconvenuavecsubtilité.MaisaprèslascènedansSpringGardens,cettesolutionn'étaitpluspossible.Godricavaitbienvu leregarddehaineque lecomteavait lancéàMegquandelles'étaitjetéesurlui.Désormais,elleétaitendanger.UnhommeaussidénuédescrupulesqueKershawnepouvaitpassepermettredelaisservivrequelqu'unquireprésentaitunemenacepourlui.L'exemplefunestedeFraser-Burnsbyétaitlàpourl'attester.Godric s'arrêta à un coin de rue, devant l'échoppe d'un marchand de chandelles, pour

reprendre ses esprits. La seule idée que Kershaw puisse faire dumal àMeg l'aveuglait derage.Kershawdevaitmourir.Iln'yavaitpasd'autreissue,siGodricvoulaitprotégerMegetleurenfant.De savoir queMeg portait son enfant lui redonna l'énergie de continuer sa route. Il ne

s'étaitpasdutoutattenduàcettenouvelle,etellen'étaitpasdésagréable.Bienaucontraire.Pourlapremièrefoisdepuistrèslongtemps,Godricsesurprenaitàrêveràl'avenir.Aêtre

impatient.Ettoutcela,grâceàMeg.Maisd'abord,ildevraittuerquelqu'undesang-froid.Songeste ledamnerait pour l'éternité, heureusementMegvalait bienqu'il perde sonâmepourelle.Depuisqu'ilconnaissaitlajeunefemme,lesflammesdel'enferneluifaisaientpluspeur.Unedemi-heureplustard,ilarrivaitenvuedelademeuredelordKershaw.Ellesedressait

surunepetiteplace,bordéedemaisonsblanchesàcolonnades, toutessemblableset toutesd'unegrandeélégance.La lune,entre-temps,avaitpresqueentièrementdisparuderrière lesnuages.Godrics'approchaprudemmentdelamaison.Etlaported'entrées'ouvrit.Godric,surpris,s'empressadesetapirdansl'ombred'unporchevoisin.Kershawapparut sur sonperronet jetaun regard impatientdans la rue.Godric serra les

poings.Mais une voiture apparut presque aussitôt pour s'arrêter devant la maison. Le comte

descenditleperronetmontadedans.Godric fronça les sourcils et réfléchit : il devait tuerKershaw rapidement, avant qu'il ne

puisses'enprendreàMeg.

Page 181: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ildécidadoncdesuivrelavoiture,quipritladirectiondel'est.LesruesdeLondresétaientsi étroitesquemême lanuit, onavaitdumal à circuler.Godric eut le tempsd'escalader lafaçaded'unimmeubleetsuivitlavoitured'enhaut.Ilperditl'attelagedevueàdeuxreprises,pesta, jura,maisréussitàretrouversatrace.SiKershawserendaitàuneréceptionoudansunthéâtre,Godricseraitobligéd'attendre.Maispasforcément.Lafoulepourraitaucontrairelefavoriseretluipermettred'agirsanssefaireremarquer.Certes,danscesconditions,Kershaw,nepériraitpasdansunduelàlaloyale.Mais avec un tel ennemi, Godric ne s'embarrasserait pas de principes. S'il le fallait, il

n'hésiteraitpasàlefrapperdansledos.Cependant,ildevintbientôtclairquel'attelagefaisaitrouteversSaint-Giles.Lecomtenese

rendait pas à une réception mondaine. Plus probablement voulait-il trouver de nouveauxendroitspourabritersesateliersdeconfectionclandestins.Vingtminutesplustard,l'attelages'immobilisaitdevantunimmeublemiteuxquinetenait

encore debout que grâce aux constructions voisines. Le rez-de-chaussée n'abritait aucuneboutique, et une lanterne brillait à la porte d'entrée, comme si la visite de Kershaw étaitattendue. Godric redescendit prudemment dans la rue et se cacha dans une embrasure deporte.Unefemmesortitdel'immeuble.Elleétaitgrande,osseuseset,àlalumièredelalanterne,

Godricreconnut la femmequ'ilavaitdéjàvueautroisièmeatelier.ElleditquelquechoseàKershaw, qui se trouvait toujours dans la voiture. Godric ne put entendre la réponse ducomte,mais la femme jeta soudain lesbras en l'air comme si elle était en colère.Kershawdescendit alors de voiture et il la gifla si violemment qu'elle faillit tomber par terre. Dèsqu'elleeutrecouvrésonéquilibre,elles'empressaderentrerdansl'immeuble.Deuxvaletsavaientprisplaceàl'arrièreduvéhicule.Ilsdescendirentdeleurperchoirpour

sepositionnerdepartetd'autredeKershaw.Ilavaitamenédesgardes.Dansquelleintention?Pourseprotéger?Oupours'enprendreàquelqu'un?Laportede l'immeublese rouvritet la femmeréapparut, tenantune fillettedanschaque

main.Untypelasuivait,poussantquelqu'undevantlui.Lasilhouetten'étaitpascelled'uneenfant.Et...Alf.IlsavaientattrapéAlf.Lajeunefillegardaitlatêtehaute,ensignededéfi.Elleavaitétéfrappée:elleportaitdes

ecchymosesauvisage.Si Godric attendait qu'elle soit enfermée dans la voiture avec les deux autres fillettes, il

risquaitdeperdrelatracedel'attelageet iln'auraitplusaucunechancedesauverAlfetsesdeuxcompagnesd'infortune.C'étaitdéjàunmiraclequelesKidnappeursn'aientpasencoretuésoninformateur.Godricn'avaitpaslechoix.Ils'élança.Legardeleplusprocheluitournaitledos.Godrics'endébarrassad'uncoupdedagueentre

lesdeuxomoplates.—Vous!s'exclamaKershaw,ivrederage.Tuez-le!Lecomten'attenditpasdevoir si sesordresseraientobéis. Il tirasonépéeet se jetasur

Godric.Leurs lamess'entrechoquèrent.Godric, toutencombattant lecomte,prenaitbiengardeà

nepastournerledosaudeuxièmegardeniautypequiavaitamenéAlf.

Page 182: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Son cerveau enregistra mentalement un bruit de sabots : des chevaux approchaient. Ildevait rester focalisé sur son objectif : tuer Kershaw. Il chargea son adversaire, l'obligea àreculer et visa tour à tour son torse et sa tête, sans jamais donner le temps au comte depeaufinersesripostes.Kershawhaletait,maisilsedébattaitcommeunbeaudiable.Àunmoment,ilfeintasursa

gaucheetdirigeasalameverslegenoudeGodric.Celui-ciréussitenpartieàesquiveretnefuttouchéqu'àlacuisse.MaisKershaws'étaitattenduàcequ'iltombeàgenoux.IlplongeaenavantetGodricenprofitapourdégainersadagueetlaplaquacontreleflancdroitdesonennemi,justesousl'aisselle.Kershawsefigea,lesyeuxécarquillés.Maisunedétonationretentitsoudain.Godricjetaunregardderrièrelui.LecapitaineTrevillionétaitentourédetousseshommes.

EtilspointaientleurspistoletssurGodric.—Vousêtesfait,Fantôme,luilançalecapitaineTrevillion.Meg se réveilla en sueur, la respiration douloureuse. Elle comprit tout de suite qu'il se

passaitquelquechose.Des lambeauxdesoncauchemar l'assaillaientencore.ElleavaitrêvéqueGodricétaitprisonnierd'unefosseglissanteetqu'ilétaitlentementengloutidanslesolsansqu'ellepuisseintervenir.Dieuduciel!Elle s'assit dans le lit et regarda frénétiquement autour d'elle, bien qu'elle sût déjà qu'il

n'étaitpas là.Oùétait-ilpassé?Elledevaitabsolument leretrouver, le toucherets'assurerqu'ilétaittoujoursbienvivant.Elleseleva,enfilasonpeignoiretallumaunechandelleauxbraisesdufeu.Ellecherchad'aborddanssaproprechambre.Rien,évidemment.Puisellesedirigeaversla

bibliothèque.Godric,enproieàuneinsomnie,s'étaitpeut-êtrerelevépourlire?Avecunpeudechance,elleletrouveraitassoupidansunfauteuil,sonridiculeturbansurlatête,commelepremiersoir.Maisiln'étaitpasnonplusdanslabibliothèque.Megs'adossaaubattant.Lapaniquelagagnait.Godricn'étaitpaslà.Iln'étaitpaslà!Elle se rendit ensuitedans sonbureau.C'était sondernier espoir.Mais elle savait déjà à

quois'entenir.Lebureauétaitdésert, laportedu cabinet secret ouverte.Le costumedeFantômene s'y

trouvaitplusetMegcomprit.Elleplaquaunemainsursabouchepourseretenirdecrier.

Page 183: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

20

QuandFoi rouvrit lesyeux, le lendemainmatin, ellevit l'Hellequinbrandir sabesaceencuir de corbeau. Il en extirpa l'âme de son bien-aimé et la défit soigneusement de sonemballageensoiede toilesd'araignées.Aussitôt, l'âmedesonbien-aiméprit librementsonenvol.Foi lasuivitdesyeux, jusqu'àcequ'elledisparaissedans leciel.Puiselle tournasesyeuxbrillantsversl'Hellequin.«Va-t-ilrejoindreleParadis?»«Oui»,réponditl'Hellequin.«Etqueva-t-il vousarriver ?»A cela, l'Hellequinne réponditpas.Et il remonta sur songrandchevalnoir.[...]

op.cit.Godric reprenait tant bien que mal sa respiration, sa dague toujours pressée contre

l'aisselledeKershaw.IlauraitvoulucracheràlafiguredeTrevillion.Maisapparemment,ledestin avait voulu qu'il se fasse arrêter cette nuit. Au moins, ne tomberait-il pas seul : ilentraîneraitKershawavecluidanssachute.—Non!s'écriasoudainAlf.(Échappantàsongeôlier,médusé,elleseprécipitaversGodric

etKershaw.)Vous ne pouvez pas capturer le Fantôme, soldats ! Cet aristocrate enlève desenfants.SileFantôme...Ellen'eutpas le tempsdeterminersaphrase.Kershaw,profitantde laconfusion,attrapa

Alfparlescheveuxetl'obligeaàs'agenouillerdevantlui.Devinant qu'il voulait plaquer la lame de son épée sur la gorge de la jeune fille, Godric

n'hésitapasunseulinstant.IlenfonçasadaguedansleschairsdeKershaw,jusqu'àcequelagardeviennerencontrerla

veste.Kershawémitundrôledeson.Commeunsoufflementrauque.Alfpoussauncri.Godrictournasalamedanslachair.Kershawlâchasonépée.Sesyeuxcommençaientdese

voiler. Finalement, Godric retira sa dague d'un coup sec et le corps de Kershaw s'écroula,presquegracieusement,surlespavés.Surlecoup,toutlemondesefigea.Puisl'undescomplicesdeKershawvouluts'enfuir.—Arrêtez-lestous!criaTrevillion,sautantàbasdesoncheval.SaufleFantôme.Jemele

réserve.Iltirasonépéedesonfourreau.Godricreculad'unpas.Iln'avaitaucuneenviedetuerlecapitaineTrevillion.Aprèstout,ce

militairenefaisaitquesontravail.Undragons'étaitpositionnéderrièreGodric.Trevillionlefusilladuregard.—Vousn'avezpasentendu,Stockard?LeFantômeestpourmoi!Lesoldatsepoussadecôté,laissantlaplacelibreàGodricetTrevillion.Godricagrippason

épée. La nuit, l'odeur des chevaux, celle du sang de Kershaw, les ordures de Saint-Giles...L'atmosphèredevenaitpesanteetfétide.

Page 184: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Trevillion s'avançait lentement, obligeant Godric à reculer. Puis il chargea. Mais sonattaqueétaitgauche.Manquait-ildepratiquepourmanier l'épée?Ilchargeaunedeuxièmefois.Godric esquiva le coupavec facilité et il s'interrogea sur la tactiquede sonadversaire.Trevillioncherchait-ilàl'acculerdansunrecoin?Pourtant,l'espace,derrièrelui,étaitouvert.Trevillionchargeaunetroisièmefois,avecplusd'énergie,obligeantGodricàreculerencore,

carilnevoulaitpasdececombat.Leurslamess'accrochèrent.Etsoudain,Trevillionlevalesyeuxauciel.—Enfuyez-vous,imbécile!Godrics'aperçutqu'ilss'étaientéloignésdeplusieursmètresdesautresdragons.Etqu'une

ruellesemblaitluitendrelesbras.Godrictournalestalonsetsemitàcourir,persuadéqu'uneballefiniraitparl'atteindreau

dos.Ouqu'unchevallerattraperaitpourlepiétiner.Mais ni l'un ni l'autre ne se produisit. Jetant un regard par-dessus son épaule, Godric

aperçut Alf qui escaladait une façade d'immeuble avec l'agilité d'un singe, sous l'œilimpuissantdesdragons.Godric courut jusqu'à ce que le souffle vienne à lui manquer. Puis il ralentit l'allure.

Heureusement,l'orphelinatdeSaint-Gilesétaitenvue.Une voiture familière s'était arrêtée à l'extrémité de Maiden Lane. Et une silhouette

féminine,vêtued'unmanteauàcapuche,s'apprêtaitàgravirleperrondel'orphelinat.Godrics'arrêtaàquelquesmètresd'elle,larespirationhaletante.La jeune femme ôta sa capuche, révélant une masse de cheveux noirs, soyeux, qui

retombaient sur ses épaules. Elle tenait un pistolet dans sa main droite et ses prunellesbrillaientd'unedéterminationfarouche.Godricétaitéperdud'admiration.Megredressalementon.—Netefatiguepasàmeremercier.Ilclignalesyeux.—Commentcela?Elleluidésignal'attelage,quiattendait.—Jet'aiamenélavoiture.Aucasoùtul'ignorerais,lesdragonsaimentbienpoursuivreles

fantômesdansSaint-Giles.LepoulsdeGodrics'emballaitdenouveau.Megétaitvenueà sa rescousse.Sabraveet courageuseMeg.Avantelle,personnen'avait

jamaisfaitcelapourlui.Godricmarchaitversellecommeilmarchaitverssanouvellevie.LavisiondeMegcommençadesebrouillerquandGodric,l'intrépideGodric,s'avançaàsa

rencontre.Elle avait pourtant tenu le coup jusque-là. Elle avait commencé par réveiller les

domestiques.Puis elle avaitpris sespistolets etpendantqu'onattelait sa voiture elle avaitdonné ses instructions à Moulder, à Mme Crumb et à Mme Saint-John, demandantnotamment qu'on fasse venir un médecin, par précaution. Elle s'était montrée concise,autoritaire etdéterminée.Durant l'interminable trajet envoiture, elle s'était efforcéedenepasimaginerlepire.Etvoilàqu'elleavaitretrouvéGodricsainetsauf.Vivant.Ilétaitvivant.

Page 185: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Ellen'auraitpassudirecomment ils rejoignirent lavoiture.Toujoursest-ilqu'une foisàl'intérieur,elleéclataensanglots,libérantceslarmesqu'elleavaitretenuesdepuislemomentoùelles'étaitaperçuedeladisparitiondeGodric.—Chut,Meg,luimurmurait-il,laserrantcontrelui.Toutvabien.Ellesecoualatête.—Non.Toutnevapasbien.Tuavaisdisparu.—Qu'ya-t-il,Meg?Pourquoies-tusibouleversée?—Parceque je t'aiencoreretrouvéhabilléenFantôme.TupoursuivaisKershaw,n'est-ce

pas?—Oui.—Pourquoi,Godric ? s'enflamma la jeune femme. Pourquoi ? Si tu l'avais trouvé, tu ne

seraispeut-êtrejamaisrevenuvivant.Jenepourraispassupporter...—Jel'aitrouvé,lacoupa-t-il,pourapaisersonhystérie.Etilestmort,Meg.Elleleregardaavechorreur.—Oh,non!Godric,dérouté,fronçalessourcils.—JecroyaispourtantquetuvoulaissamortpourvengercelledeRogerFraser-Burnsby?—Maispasaurisquedeteperdre!—Jesuisdésolé.Je...—Jenemesuispasexpriméeclairement, toutà l'heure.J'auraisdû te faire comprendre

que tu représentes davantage pourmoi quemon désir de vengeance vis-à-vis deKershaw.J'auraisdûtedirequetoutcelan'avaitplusd'importance.Cen'estpasvrai,biensûr,maiscepetitmensonge aurait été préférable, s'il avait pu te dissuader de t'éclipser pour peut-êtreallertefairetuer.SiKershawt'avaitassassinécommeRoger,jenetel'auraisjamaispardonnéet...Elle s'interrompit, voyant qu'il était de plus en plus désarçonné. De toute évidence, elle

s'étaitencoremalexprimée.Ouplusprécisément,elleavaitoubliédeluisignifierlepointleplusimportant.Alors,ellenouasesbrasautourdesoncouetellel'embrassa.Ah,enfin!Elle le sentait déjà se détendre. Il ne comprenait peut-être pas ses explications, mais il

répondaitavecenthousiasmeàsonbaiser.Auboutd'unmoment,cependant,ilrompitleurétreinte.—Meg?Ilparaissaittoujoursdéconcerté.C'estvrai!Elleneleluiavaittoujourspasdit.Maisc'était

safaute,aussi.Seslèvresétaientsidélicieuses.—Jet'aime,dit-elle,détachantchaquesyllabe,pourqu'iln'yaitpasdeconfusionpossible.

Jet'aimetoutentier.J'aimetesmains.J'aimetesyeux.J'aimelafaçondonttusouris-enfin,quand tu souris. J'aime la façon dont tume fais l'amour,même si c'est par pure politesseparcequejetel'aidemandé.J'aimequetulaissesSaGrâceseconstruireunniddouilletavecteschemises.J'aimequetuconsacresunepartiedetontempsàsauverlesmiséreuxdeSaint-Giles,mêmesijeveuxquetuarrêtes.J'aimequetuaiestuéunhommepourmoi,mêmesijet'enveuxtoujourspourcela.J'aimequetuaiesconservémes lettresavantmêmequenousayonsapprisàmieuxnousconnaître.Etj'aimeleslettres,courtesettellementsérieuses,quetum'envoyaisenretour.

Page 186: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Elleleregardaavecgravité,avantdecontinuer:—Jet'aime,GodricSaint-John.Etmaintenant, jevaisbrisermapartducontrat.Jenete

quitterai pas. Soit tum'accompagneras à LaurelwoodManor, soit je resterai dans ta vieillemaisonlondoniennepoussiéreuse,maistunetedébarrasseraspasdemoi,Godric.Carjetepréviens : j'aibien l'intentionde teharceler jusqu'à ceque tum'aimescomme je t'aime, etquenousformionsunefamilleheureuse,avecdestasd'enfants.Aubesoin,s'illefaut,jenereculeraidevantaucunepositionsexuelleexotique.Elles'interrompitpourreprendresarespirationetellelefixa.Son visage s'était figé etMeg s'alarma.Elle rassembla son courage pour se préparer à la

bataille.Maisilfinitparesquisserunsourire.—Despositionssexuellesexotiques?Elle comprit que la partie était gagnée. Pourtant, elle n'avait pas encore entendu le

meilleur.—Jeseraisraviquetumepersuadesdet'aimeraumoyendepositionssexuellesexotiques,

maisceneserapasnécessaire.Carjet'aimedéjà,Meg.Jecroisquejet'aiaiméelejouroùj'aireçutadeuxièmelettre.Ilenauraitpeut-êtreditplus,maisMegl'interrompitpourl'embrasserdenouveau.Aprèsunlongmoment,ellepritsonairleplussévère:—PlusdeFantôme.—Non,plusdeFantôme,acquiesça-t-ildocilement,avantdesepencheràsonoreille.J'ai

uneconfessionàtefaire.—Oui?— Je ne t'ai jamais fait l'amour par « pure politesse », mais parce que j'en avais

terriblementenvie.Leurconversations'arrêtalà.Ilsavaientautrechoseàfaire.Quatresemainesplustard...Godric regarda unpetit oiseau au poitrail orangé sautiller sur une branche du pommier,

avantdes'engouffrerdansunecavitédutronc.Depuisqu'ilhabitaitSaintHouse,iln'avaitencorejamaisvuderouge-gorgedanslejardin.

Maisilestvraiquec'étaitavantqueMegneviennevivreaveclui.—Jet'avaisbienditquecepommiern'étaitpasmort.Godricseretourna.Ce matin, Meg portait son ensemble rose et vert pomme. Elle incarnait à merveille le

printemps.—Tutesensmieux?luidemanda-t-il.Tout à l'heure, au petit déjeuner, elle avait mordu dans un toast avant de se lever

précipitammentdetablepourallerauxtoilettes.Godrics'étaitbiensûrempressédelasuivre.Ellegrimaça.—Jen'en reviens toujours pas que tum'aies accompagnéependant que je vomissais. Je

croisquejenemesuisjamaissentieaussimortifiéedemavie.—Jet'aime,avecousanstesnausées,luirépliquaGodric.Maistun'aspasréponduàma

question:Tesens-tumieux?—C'est très étrange.Maintenant, j'ai tellement faimque je croisque jepourraisdévorer

Page 187: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

tout un pâté de poisson. Avec quelques scones et de la confiture de groseilles. Ce seraitdélicieux,non?— Délicieux, approuva Godric, bien que le mélange du poisson et de la confiture de

groseillesluiparûtpourlemoinshasardeux.Enas-tuparléàlacuisinière?Elle lui décochaun regardque secrètement il appelait « un regardd'épouse». Il adorait

qu'ellefassecela!—Godric,nousnepouvonsquandmêmepasdemanderàlacuisinièredeconfectionnerun

pâtédepoissonetdeseprocurerdelaconfituredegroseillesjustesuruncaprice.—Pourquoipas?Jeluiversesonsalaire.Situveuxdupâtédepoisson,tuaurasdupâtéde

poisson.Etdelaconfituredegroseilles.—Idiot,murmura-t-elle,avantdereportersonattentionsurlepommier.Iln'estvraiment

pasmortdutout.Godric sourit, parce qu'elle lui rappelait l'histoire de ce pommier chaque fois qu'ils

sortaient dans le jardin, c'est-à-dire au moins une fois par jour, sinon deux, comme unexempleprobantdesa«mainverte».Defait,lespectacleétaitassezspectaculaire.Lepommiers'étaitcouvertd'unenuéedefleursblanchesetrosesquiattirait leregardde

quiconquemettaitunpieddanslejardin.Godricavaitl'intuitionqueMegluiparleraitencoredecetarbredansdixans.Nonpasqu'ilsongeâtàs'enplaindre,bienaucontraire.—Oh,regarde!s'exclamalajeunefemme.Unnidderouge-gorge!Etj'aiaperçudesbébés

lapinssautillerdans l'herbe,hiersoir.J'ignoraisqu'ilexistaitune telleviesauvageenpleincœurdeLondres.—Ellen'existaitpas,avantqu'unedéesseneviennehabiterleslieux,marmonnaGodric.Ellehaussalessourcils.—Qu'as-tudit?—Rien.Ill'enlaçaetilsregardèrentensemblelerouge-gorges'envoler.Lejardinnetarderaitpasà

êtreinfestéd'écureuilsetdehérissons.LespouvoirsmagiquesdeMegsemblaientillimités.Etc'étaitparfaitainsi.— T'ai-je déjà dit à quel point j’étais heureux que tu aies fait intrusion chez moi pour

bousculermonexistence?luichuchota-t-ilàl'oreille.—Tumelerépètestouslesjours.—Ah,fit-il.Maisc'estparcequetum'assauvélavie.—Nedispasdebêtises.—Maissi,c'estvrai.Etenrécompense,jevaisdemanderàlacuisinièredeteconfectionner

unpâtédepoisson.Lajeunefemmefitlamoue.—Si, insistaGodric.Rienn'est tropbeaupour lamèredemonenfant.Es-tu sûrede toi,

désormais?Cettenausée,toutàl'heure,c'étaitcela?—Oui,j'ensuiscertaine,àprésent.Elle lui décocha un sourire plus aveuglant que le soleil, un sourire qui faisait écho au

bonheurqueressentaitGodric.Ils rentrèrent dans la maison, main dans la main, en quête de pâté au poisson et de

confituredegroseilles.

Page 188: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Épilogue

«Attendez!luicriaFoi.Oùallez-vous?»«Rencontrerlediable»,réponditl'Hellequin.«Alors,jeviensavecvous.»Il laregarda,etFoicrutlireuneémotiondanssonregard:duchagrin.Puisilluitenditlamainpourl'aideràmonterencroupesursongrandchevalnoir.Foil'enlaçaàlatailleetilschevauchèrentensilencependantdelonguesheuresàtraverslaplainedesMurmures.Finalement,unearchedepiètresnoiressedressadevanteux.«Est-celàl'entréedel'Enfer?»demandaFoi.«Oui,réponditl'Hellequin.Cettearcheestlabouchede l'Enfer.Retenezbienceci :quoique lediablepuissevousdire, iln'aaucunpouvoir survous, car vous êtes vivante. Il negouverneque lepeupledesMorts. »Foi hocha la tête ets'agrippaplusfortàl'Hellequin.Aussitôtquelechevaleutfranchilabouchedel'Enfer,ilsplongèrentdansl'obscurité.Foi

avaitbeauregarderautourd'elle,ellenevoyaitnin'entendaitrien.L'endroitétaitsidésolé,si glacial, que si elle s'y était trouvée seule, Foi aurait sans doute paniqué. Mais elle secramponnaitàl'Hellequin.Unesilhouetteàlaformehumaineapparutdevanteux.Maissonregardétaitvidedetoutehumanité.Foifrissonna.L'HellequinmitpiedàterreetilaidaFoià descendre pour se présenter devant la forme. « Tu as laissé perdre lame que je t'avaisenvoyé collecter », lui dit celui qui n'était autre que le souverain de l'Enfer. L'Hellequininclinalatête.«Tuconnaisleprixàpayerpourtonforfait»,poursuivitlediable.«Quelestleprixàpayer?»chuchotaFoiàl'oreilledel'Hellequin.«Monâme,réponditl'Hellequin.Lediableréclamaituneâmeet,puisquej'aiperducellequiluiétaitdestinée,jedoisluidonnerlamienneenéchange.»«Non!»serécriaFoi.LeslèvrescruellesduMalinesquissèrentunesortedesourire.«Lesvivantssonttoujourspassionnés,tonna-t-il,l'airamusé.Veux-tuquejet'enchaîneàunrocherbrûlantouquejetefasserôtirpendantdessiècles,jeunefille?»Foiredressafièrementlementon,bienqu'ellefrissonnâttoujours.«Jesuisvivante.Vousnepouvezriencontremoi.»«Ah.Jevoisquel'Hellequinatropparlé»,répliqualediable.Et,haussantlesépaules,ilajouta:«Danscecas,sorsdemondomaine.»«Jevaispartir,oui,réponditFoi.Maispassansl'Hellequin.»Lediableéclataderire.Maissonrireétaitglacialetdésincarné.«Pauvreidiote.L'Hellequinn'estplusunhumaindepuismilleans.»«Ilboitcommeleshumains»,objectaFoi.Lediableplissalesyeux.«Ilmangeetdortcommeleshumains,ajoutacourageusementFoi.Comment,dèslors,ne

serait-ilpashumain?»«Ilnerespirepascommeleshumains»,luirétorqualediable.Foiécarquillalesyeuxetcompritqu'elleavaitperdu,carl'Hellequinn'avaitpasinspiréune

seulefoisdepuisqu'ellel'accompagnait.Ellesetournaversl'Hellequin,lesyeuxmouillésdelarmes,etellepritsonvisagedansses

mains.«Jesuisdésolée,murmura-t-elle.Désolée.»Etelleplaquaseslèvressurcellesdel'Hellequin,luiinsufflant,parsonbaiser,l'aircontenu

danssespoumons.

Page 189: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Lediablecriaderage.UnventterribleselevaautourdeFoietdel'Hellequin.IlsoufflaitsifortqueFoidutfermerlesyeuxetsecramponneràl'Hellequin.Quandleventretombaenfin,ellerouvritlesyeux.C'étaitlanuit,etilssetrouvaientaucarrefouroùsonbien-aiméavaitrendu sondernier soupir. L'Hellequin semblait étouffer. Il tombaà genoux. Foi, paniquée,s'agenouilladevantlui.«Quevousarrive-t-il?»«C'esttrèsdouloureux,derespireraprèsmilleans!»Etiléclataderire.Mais,contrairementaudiable,sonrireétaitchaleureuxetbienvivant.L'HellequinserraFoidanssesbras.« Vousm'avez donné à boire, àmanger et vousm'avez fait dormir. Vous avez défié le

diableetvousm'avezsauvédel'Enfer.Jenesuispasaussibongarçonquevotrebien-aimé,maissivousm'acceptezcommemari,jepasseraitoutlerestantdemaviedemortelàfaireensortequevousm'aimiez.»Foiluisourit.«Jevousaimedéjà.Carvousétiezprêtàdonnervotreâmed'immortelpour

sauvercelledemonbien-aimé.Etpourmefaireplaisir.»Etsurcesmots,elleluidonnasonpremierbaiserdemortel.[...]

op.cit.Troismoisplustard...Depuisqu'elleétaitdamedecompagniedeladyPénélopeChadwicke,ArtemisGreavesavait

été témoin de bien des idées idiotes. Comme la fois où Pénélope avait décidé de jouer lesmaîtresses d'école à l'hospice pour enfants trouvés de Saint-Giles ; les enfants l'en avaientrécompensée en la bombardant de projectiles divers.Ou cette autre fois oùPénélope avaitvoulu lancer une nouvelle mode en se servant d'un cygne vivant comme accessoire ; elleignoraitque lescygnespouvaient semontrer facilement irritables.Oucettedébâcleavec lemoutonet lecostumedebergère;unanaprès, l'odeurdelainemouilléehantaitencore lesnarinesd'Artemis.Mais,généralement,lesidéesdePénélopen'étaientpasdangereuses.Ladernière,enrevanche,pourraitleurêtrefatale.—NoussommesdansSaint-Gilesetlanuitesttombée,fitremarquerArtemis,d'unevoix

qu'elleespéraitpersuasive.La rue dans laquelle elles se trouvaient était déserte et les immeubles la bordant les

surplombaientdeleurssilhouettesmenaçantes.—JepensequecelaremplitlargementvotrepartducontrataveclordFeatherstone,ajouta

Artemis. Rentrons à la maison, à présent. Que diriez-vous de déguster l'une de cesmerveilleusestartelettesaucitronquelacuisinièreaconfectionnéescematin?—Oh,Artemis,répliquaPénélope,decetondésobligeantqu'Artemiscommençaitvraiment

à détester. Le problème, avec vous, c'est que vous n'avez aucun sens de l'aventure. LordFeatherstonenemedonnerasaboîteàpriserenorfèvreriequesij'achèteunepintedeginàminuitetquejela«bois»dansSaint-Giles.Or,c'estbiencequejecomptefaire.Etellepoursuivitsaroute.Artemis futbienobligéede suivre.C'estellequiportait la lampe.Etpuis,Pénélopeavait

beauêtrevaine,égoïsteet insupportable,Artemisavaitdel'affectionpourelle.Avecunpeudechance,ellesdénicheraientrapidementunetaverneoùl'onvendaitdugin,ellespourraient

Page 190: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

ensuite rentrer tranquillement chez elles et Artemis aurait une autre histoire piquante àraconteràApollo.ToutcelaétaitlafautedeMlleHippolytaRoyle.MlleRoylecaptivaittouslesbonspartisde

Londres et, pour la première fois de sa vie, Pénélope était confrontée à une rivale. Enréponse, elle avait décidé de faire preuve d'audace. Jusqu'à choquer. Ce pari avec lordFeatherstoneenétaitl'illustration.— Ah, voilà qui semble faire l'affaire, dit Pénélope, désignant une taverne, à quelques

mètresdroitdevantelles.Aumêmeinstant,troisgrandsgaillardssortirentdelataverne.—Pénélope!sifflaArtemis.Tournezàdroite!Tournezàdroitetoutdesuite!—Pourquoivoulez-vousquejetourneà...Maisilétaitdéjàtroptard.L'undestroisgaillards lesaperçutetseraidit.Artemisavaitdéjàvu,unefois,unchatde

gouttièreseraidirdelasorte.C'étaitjusteavantquelechatnesejettesurunmoineaupourledéchiqueter.Leshommess'avancèrent,épaulecontreépaule,àleurrencontre.—Fuyons!criaArtemisàsacousine,tendantsonbrasversPénélope.Ellenepouvaitquandmêmepasl'abandonneràsonsort.Pénélopepoussauncriperçant.Les trois gaillards arrivaient sur elles. Même si elles s'enfuyaient en courant, elles ne

gagneraientquequelquessecondes.MonDieu,monDieu,monDieu!Artemiscommençad'enleverunechaussure.C'estalorsquelesaluttombaduciel.Ilavaitprislaformed'unhommequiselaissatomberaumilieudelaruelle.Seredressant,

il déploya sa silhouette athlétique, tout enmuscles. Unmasque grotesque lui couvrait enpartielevisage,maisderrièrebrillaientdeuxyeuxd'uneredoutableacuité.Artemis,pétrifiée,seretrouvafaceauFantômedeSaint-Giles.

Page 191: Le lord des ténèbres - Créer un blog gratuitement - …ekladata.com/iPqYbv4ZoMONFmjnPxZxIEK5CHY/Les_fantomes_de...Elizabeth Hoyt Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant,

Remerciements

Une fois encore, je tiens à exprimer toutema reconnaissance auxprofessionnelsqui ontpermis à mon manuscrit d'arriver dans vos mains : mon agente, Susannah Taylor, monéditrice, AmyPierpont,ma relectrice, CarrieAndrews. Je n'oublie pas non plus l'assistanted'Amy,LaurenPlude, toujoursaucourantde tout,ni tousceuxqui travaillent sans relâchepourquemeslivressoientlus.Merciàvoustous.

[1]Variétédecochenillesquiressemblentàdesperlesàl'étatlarv aire(notedutraducteur).