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ElizabethHoyt

NéeenAmérique,elleabeaucoupvoyagé,enfant,àtraversl’Europe.Diplôméed’anthropologieàl'universitéduWisconsin,elleembrassequelquesannéesplustardlacarrièred’écrivain.

Traduite,enplusieurslangues,elleestl’auteurdesériesàsuccès,dontlapluscélèbreestLestroisprinces,trèsremarquéepardesmilliersdelectricesdanslemonde.SouslepseudonymeJuliaHarper,elleécritégalementdesromancescontemporaines.

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ELIZABETH

HOYT

LESFANTOMESDEMAIDENLANE-6

Leducdeminuit

Traduitdel'anglais(États-Unis)

parDanielGarcia

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Pourmonfrère,Robert,

mêmes'ilnelirajamaiscelivre...

cequi,aufond,estaussibien.

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1

Je vous ai déjà raconté beaucoup d'histoires,mais aucune n'était aussi étrange que celle du roiHerla...

Juillet1740,Londres,Angleterre

Artemis Greaves ne se considérait pas comme quelqu’un de cynique. Mais quand un hommemasquésautaàpieds jointsdans la ruelleéclairéepar la luneoù troisgaillardsmenaçaientdéjà lajeune femme et sa cousine,Artemis s'accroupit pour dégainer le petit poignard dissimulé dans sabottine.

Dureste,cen'étaitpasducynisme,maisdelaprudence.

L'hommeportait une tenued’Arlequin à losanges rouges et noirs, desbottesnoires, un chapeaumouàlargebord,etsonvisageétaitenpartiecachéparunmasquenoiraffubléd’unnezdémesuré.Arlequinétaitcenséêtreunclown-unpersonnagedecomédie-,pourtant,personne,danslaruelle,nesongeaà rire.EtsurtoutpasArtemis.CarcetArlequinnepossédaitpasseulement l’agilitéd’unfauve,ilenavaitaussilapuissance.Et,commeunfauve,ilétaittoujoursprêtàl'attaque.

Ilsejetasurlestroisgredins.

Artemis étreignait toujours son poignard, mais elle s’était figée. Elle n'avait encore jamais vuquelqu'unsebattreainsi-avecunebrutalitéquin’étaitpasexempted’unecertainegrâce.L'Arlequinmaniait son épée avec une telle aisance et une telle rapidité que l’œil avait du mal à suivre sesmouvements.

Le premier des trois gredins s’écroula pratiquement aux pieds de la cousine d’Artemis. LadyPenelope Chadwick bondit en arrière avec un petit cri d'effroi. Déjà, l’Arlequin s’était attaqué audeuxième gredin, qui se retrouva pareillement à terre. Il n'en restait plus qu'un. L'Arlequin s’endébarrassaenluiassenantuncoupàlatempeaveclepommeaudesonépée.

L’hommes'affalaàsontoursurlesol.

Artemisdéglutit,labouchesoudainsèche.

Laruelle,bordéed'immeublesdécrépitsquisemblaientsurlepointdes’effondrer,étaitdenouveauparfaitement calme. Pas même essoufflé, l’Arlequin se tourna vers lady Penelope, qui sanglotaitcontreunmur.

PuisilportaleregardversArtemis.

Autrefois,ellecroyaitquelaplupartdesgensétaientbons.QueDieuveillaitsurelleetque,sielleétaithonnêteetoffraittoujoursladernièrepartdetarteplutôtquedeselaréserver,lavienepourraitqueluisourire,endépitdes inévitablesmomentsde tristesse.Maiscela,c’étaitavant.Avantqu’elleperde sa famille.Avant qu’elle perde également l'hommequi l'aimait.Et avant que son frèrebien-aimé soit injustement enfermé à Bedlam, l’épouvantable asile d’aliénés. Artemis s’était retrouvée

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seuleetdansunteldésarroiqu'elleavaitpleurédegratitudequandsacousineunpeuécervelée,ladyPenelope,luiavaitproposédel'engagercommedamedecompagnie.

Autrefois,ArtemisseseraitruéesurcetétrangeArlequinpourleremercierd’êtreintervenu.

Mais,àprésent,ellesedemandaitpourquoiilétaitvenuàleursecours,enpleinenuit,aucœurduquartiermalfamédeSaint-Giles.

Toutbienconsidéré,songea-t-elle,peut-êtreétait-ellebeletbiencynique.

L’Arlequin s’approcha d'elle d'une démarche souple. Son regard passa du pathétique poignardqu’Artemis, encore accroupie, serrait entre ses doigts à son visage. Ses lèvres s’incurvèrentimperceptiblementenunsourire-amusé?apitoyé?Artemisn’auraitsuledireetc’étaitbiencequilachagrinait.Bizarrement,elleauraitvoulusavoircequecetinconnupensaitd'elle-etbiensûr,cequ'ilcomptaitluifaire.

Sanslaquitterdesyeux,l’Arlequinrengainasonépée,puis,ôtantsongantdroitaveclesdents,luitenditlamain.

Artemis la fixaun instantavantdesedéciderà laprendre.L'Arlequin referma lesdoigtssur lessiensetl’aidaàseredresser.Ilétaitsiprèsqu’ensepenchantàpeine,elleauraitpuposerleslèvressursoncou.Artemisregarda,fascinée,laveinequiypalpitaitavantdeleverlesyeux.Latêteinclinéedecôté,l'Arlequinsemblaitl’étudier.

Elleouvrait labouchepour luiposerunequestionquandPenelope,arrivantpar-derrière, se jetasurlui,etsemitàhurler-visiblementfolledepeur-enluimartelantlesépaules.

L'ArlequinpivotavivementpourrepousserPenelopetoutentirantsurlamainqu’ilavaittendueàArtemis.Celle-cinelalâchantpas,iltiraplusfortetréussitàselibérer,abandonnantquelquechoseentrelesdoigtsdelajeunefemme.

IlécartaPenelopesansménagementets'éloignaàgrandesenjambées.

-Ilauraitpunoustuer!s'écriaPenelope,haletante.

-Quoi?fitArtemis,quifixaitencorel’extrémitédelaruelleoùl'Arlequinavaitdisparu.

-C’était leFantômedeSaint-Giles!Vousne l’avezpasreconnu?Ilparaitqu’ilviole les jeunesviergesetquec'estunassassin!

-Pourunassassin,ils’estmontréplutôtserviable,observaArtemisensebaissantpourramasserlalanternequ’elleavaitposéesurlepavéquandlestroisvauriensavaientsurgi.

Par chance, cette dernière ne s'était pas éteinte. Mais à peine Artemis la souleva-t-elle que laflammesemitàvaciller.C'étaitsamainquitremblait!Lajeunefemmes’obligeaaucalme.Unecrisedenerfsneleurseraitd’aucuneutilité.

VoyantquePenelopefaisaitlamoue,elles’empressad'ajouter:

-Maisveniràmonsecoursétaittrèscourageuxdevotrepart.

LevisagedePenelopes’éclaira.

-N’est-cepas?Jemesuisbattuecontreundangereuxcriminel.C'estbienmieuxquedeboireunepintedeginàminuitdansunetavernedeSaint-Giles.JesuissûrequelordFeatherstonenemanquerapasd’êtreimpressionné.

Artemis leva les yeux au ciel tout en rebroussant chemin.Ellemaudissait lordFeatherstone.Cet

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imbécilemondainavaitpousséPenelopeàaccepterunpari stupide,à savoir,alleràSaint-Gilesenpleinenuitpouryacheterunepintedeginetlaboire.Résultat,parsafaute,ellesavaientfaillisefairetuer-oupire.

Ledangern'étaitdurestepastotalementécarté.Carellesn’étaientpasencoresortiesdeSaint-Giles.

SiseulementPenelopecessaitdesemontreraussiaudacieuse.Maiselles'étaitmisentêted’attirerl’attentiond’uncertainducetétaitprêteàtoutpouryparvenir.

Alors qu’elles quittaient la ruelle pour s'engager dans l'une des nombreuses petites rues quiquadrillaient Saint-Giles, une silhouette sombre émergea d'une maison. Artemis se raidit, prête àcourir,maislasilhouette-hommeoufemme-sefaufiladansl'ombreenlesvoyant.

Artemisnesedétenditquelorsqu’elleaperçut lavoiturede ladyPenelope,qui lesattendait làoùellesl'avaientlaissée.

- Nous voici arrivées à bon port, déclara Penelope, comme si elles revenaient d'une simplepromenadedansBondStreet.Vousn'avezpastrouvél'aventureexcitante?

Alorsqu'Artemisadressaitàsacousineunregardincrédule,unmouvementsurletoitdubâtimentde l'autre côté de la rue attira son attention.Une silhouette athlétique y était accroupie.Artemis sefigea.L’hommetouchaalorsleborddesonchapeauenunsalutmoqueur.

-Artemis?l'appelaPenelope,quimontaitdéjàenvoiture.

Elledétournalesyeux.

-Jevoussuis.

Grimpant à son tour dans l'attelage, elle se demandapourquoi l’Arlequin les avait suivies.Poursavoiroùellesserendaient?Ou,toutsimplement,pours'assurerqu’ellesregagneraientleurattelagesansencombre?

Ellesereprochaaussitôtsanaïveté.LeFantômedeSaint-Gilesn’étaitprobablementpasdugenreàsesoucierdelasécuritédedeuxinconnues,quis’étaientconduitesstupidementquiplusest.Ilavaitsansdouteuneraisonpourlesavoirsuivies,maiselleluiéchappait.

- J’aihâtede raconter auducdeWakefieldnotreaventuredece soir, avouaPenelope. Ilvaêtresurpris,jeparie!

-Mmm,murmuraArtemisévasivement.

Penelope était certes ravissante, mais quel homme voudrait pour épouse d'une tête de linottecapabledes'aventurerdansSaint-Gilesenpleinenuitetdevoircelacommeunjeu?LesméthodesdePenelope pour attirer l'attention du duc étaient aumieux impétueuses, au pire, stupides, etArtemisauraitpresqueeupitiédesacousine.

Celadit,c'étaitl'unedeshéritièreslesplusfortunéesd’Angleterre.Laperspectivedemettrelamainsur unemontagned'or rendaitmoins exigeant.Et puis,Penelope était considérée comme l'unedesbeautésdelabonnesociété,avecsessomptueuxcheveuxnoirs,sapeaulaiteuseetsesyeuxd’unbleuprofond.Beaucoup d’hommes seraient prêts à s'accommoder du caractère fantasque qui se cachaitderrièreunetellefaçade.

Artemis soupira intérieurement et laissa sa cousine continuer son bavardage sans y prêter plusd'attention que cela. Elle avait sans doute tort. Car son sort était lié aux destinées nuptiales de sacousine. A moins que celle-ci ne décide qu'une fois mariée elle n'avait plus besoin de dame de

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compagnie.

Artemisserral'objetqueleFantômedeSaint-Gilesluiavaitabandonné.Elleyavaitjetéuncoupd’œilavantdemonterenvoiture,etavaitdécouvertqu’ils'agissaitd'unanneaud’orornéd’unepierrerouge.Ellecaressamachinalementcelle-cidupouce.Elleétaitvisiblementtrèsancienne.Cequinefitquepiquersacuriosité.

Carc'étaientplutôtlesaristocratesquiportaientdetellesbagues.

MaximeBatten,ducdeWakefield,seréveillaavec,commeàl'accoutumée,legoûtamerdel’échecdanslabouche.

Il demeura un moment dans son grand lit à baldaquin, les paupières closes, à combattre cetteimpressiondésagréable.L’imaged’unbeauvisageauréolédetressesnoiresbaignantdansunemarede sang continuait de l'obséder. Puis il tendit lamain pour saisir l’écrin posé sur la table de nuit.Aprèsdesannéesdetraquepatiente,ilavaitpresqueréussiàreconstituerlecollierd'émeraudesdesamère.Mais il commençait à désespérer d’achever sa tâche. Auquel cas, son sentiment d'échec luicolleraitàlapeaujusqu’àlafindesesjours.

Commesicelanesuffisaitpas,ilavaitperdul'anneaudesonpère-l'anneauancestraldesducsdeWakefield-lanuitdernière,quelquepartdansSaint-Giles.Cequin’avaitfaitqu'ajouteràlalistedéjàlonguedesespéchés.

S’efforçantdechassercespenséesdesonesprit,Maximes'étiraavecprécaution.Songenoudroitlefaisaitsouffriretilavaitunedouleurdansl'épaulegauche.Pourunhommedetrente-troisans,ilétaitplutôtmalenpoint.

Sonvaletdechambre,Craven,apparutàlaportedudressing.

-Bonjour,VotreGrâce.

Maximehocha silencieusement la tête et repoussa ses couvertures.Nu, il sedirigea enboitillantvers la table de toilette.Une cuvette d’eau chaude l'attendait déjà. Et à peine eut-il commencé à sesavonnerlajouequeCravenposaàcôtédelacuvettesonrasoirfraîchementaiguisé.

-Prendrez-vousvotrepetitdéjeuneravecladyPhoebeetMllePicklewood?s'enquitlevalet.

Maximefronçalessourcilsdevantsonmiroir.Sasœur,Phoebe,n'avaitquevingtans.QuandHero,son autre sœur, s’était mariée, il avait décidé d’accueillir Phoebe et leur vieille cousine, BathildaPicklewoodàWakefieldHouse. Il ne le regrettait pas, car cela lui permettait de surveillerPhoebe.Mais partager la même maison que deux femmes - quand bien mêmeWakefield House avait lesdimensionsd'unpalais-legênaitparfoispourpratiquercertainesdesesactivités.

-Non,pascematin,décida-t-ilens'emparantdurasoir.Tuleurprésenterasmesexcuses.

-Bien,VotreGrâce,fitlevalet.

Dans le miroir, Maxime le vit afficher un discret froncement de sourcils réprobateur avant deretourner dans le dressing. Il ne supportait pas que quiconque se permette de le critiquer,mais ilfaisaituneexceptionpoursonvaletdechambre.CedernieravaitétéauservicedesonpèredurantquinzeansavantqueMaximen’enhériteenmêmetempsquedutitre.Cravenavaitunlongvisage,etlesridesverticalesquiencadraientsaboucheetsespaupièrestombanteslefaisaientparaîtreencore

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pluslong.Ilavaitsûrementdépassélescinquanteans,quoiqu’ilfûtdifficiledeluidonnerunâge:ilpouvaitaussibienavoir trenteansquesoixante-dix.Cravenauraitprobablement lemêmephysiquequandlui-mêmeseraitdevenuunvieillardchauve,songeaMaximeenrinçantsonrasoir.

Dans son dos, son valet avait entrepris de disposer sur le lit des sous-vêtements propres, deschaussettes,unechemise,ungiletetunpantalon.

-As-turéussiàobtenir l'informationqueje t'aidemandée?s’enquitMaximeuninstantplustardtoutenenfilantsessous-vêtements.

Cravens'occupaitdéjàdenettoyerlerasoir.

-Oui,VotreGrâce.

-Et?

Cravens’éclaircitlavoix,commes’ils’apprêtaitàréciterunpoèmedevantleroi.

-LesfinancesducomtedeBrightmore,pourautantquej'aipulevérifier,sontflorissantes.Outreses deux propriétés agricoles dans le Yorkshire, il possède trois mines de charbon dans leWestRiding,uneforgeàShefieldetilaprisrécemmentuneparticipationaucapitaldelaCompagniedesIndes orientales. Au début de l’année, il a fait ouvrir une quatrième mine de charbon, ce qui l'aprovisoirementendetté.Maislesrevenusdelaminesontdéjàimportantset,d’aprèsmonestimation,sonendettementestnégligeableauregarddesafortune.

Maximeenfilasonpantalonavecungrognement.

-Pourcequiestdelafilleducomte,ladyPenelopeChadwick,poursuivitCraven,nuln’ignorequelordBrightmoreladoteratrèsgénéreusementpoursonmariage.

Maximehaussaunsourcil.

-As-tuuneidéedelasomme?

-Oui,VotreGrâce.

Craven tira un petit carnet de sa poche et le feuilleta. Il annonça une somme si colossale queMaximesemitsoudainàdouterdesqualitésd’enquêteurdesonvalet.

-Grandsdieux!Tuessûrdetoi?

Cravenluiadressaunregarddereproche.

- Je le tiens du premier secrétaire du notaire du comte, Votre Grâce. Cemonsieur devient trèsbavardquandonflattesonpenchantpourlaboisson.

-Ah,fitMaximeennouantsacravate.Etqu'as-tuapprisd'autresurladyPenelope?

-Elleavingt-quatreans,VotreGrâce.Etelleest l'uniquehéritièreducomte,Bienqu'ellenesoitplusdepremièrejeunesse,ellenemanquedeprétendants.Maisilsembleraitqu'ellenesoittoujourspasmariéecarelle...euh...metlabarretrèshaut.

-End’autrestermes,ellefaitladifficile.

Cravensourit.

-Enquelquesorte,VotreGrâce.

Maximeenfilasaredingoteetsedirigeaverslaporte.

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-Tumeraconteraslasuiteenbas.

-Bien,VotreGrâce,acquiesçaCraven,avantdes’emparerd’unchandelierqu'ilallumaauxbraisesdelacheminée.

Lachambredonnaitdansungrandcouloir.Lapartiegauchemenaitversl'avantdelademeureetlegrandescalierquidesservaitlespiècesderéceptiondeWakefieldHouse.

Maximetournaàdroite.Endirectiondel'escalierdeserviceetdespiècesàusagestrictementprivé.Ildévalalesmarches,Cravensursestalons,passa,sanss'yarrêter,leniveaudescuisines.L'escalierseterminaitabruptementparuneporteenbois.

Maximetirauneclédelapochedesongiletetlaglissadanslaserrure.Laporteouvraitsuruneautrevoléedemarches,celles-cienpierre,etsivieillesqu'ellesétaientuséesenleurcentre.Maximelesdescendit tandisqueCravense servaitde sonchandelierpourallumer les flambeauxaccrochésauxmurs.Ilcourbal’échinepourpassersousunevoûtedepierreetdébouchadansunepetitesallecirculaire,faceàuneautreporteenbois.Qu’ilouvritpareillement.

Ilseretrouvadansunegrandecavevoûtée,trèshautedeplafond,soutenuepardespiliersdepierredont leschapiteauxs’ornaientde figuresgrotesques.Sonpèreet songrand-père s'enétaient serviscomme cave à vin,maisMaxime n’aurait pas été étonné d’apprendre que l'endroit avait autrefoisserviaucultedequelquedivinitépaïenne.

Cravenreferma laportederrière lui, tandisqueMaximecommençaitd’ôtersongilet. Il trouvaitfastidieuxdes’habillertouslesmatins,poursedéshabillerquelquesminutesplustard,maisunducnepouvaits'afficherentenuenégligée,mêmeàl’intérieurdesapropredemeure.

Cravenseraclalagorge.

-Continue,lepressaMaximesansmêmeseretourner.

Ilneportaitplus,àprésent,quesessous-vêtements.

-LadyPenelopeestconsidéréecommel’unedesplusbellesfemmesdesagénération,commentaCraven.

Maximebonditets’accrochaàunpilier,ilsepropulsaverslehaut,etversl'undesanneauxdeferscellésdanslavoûte.

-L'annéedernière,deuxcomtesetunprinceétrangerl'ontcourtisée,poursuivitCraven.

-Est-ellevierge?

L'anneauétait -volontairement -àpeineàportéedemain,cequeMaximemaudissaitparfois. Ils’élança,brastendu.S'ilrataitl'anneau,ilferaitunejoliechute,surunsoltrès,trèsdur.

Ill'agrippa.Lesmusclesdesonépauleprotestèrentcommeilsebalançaitjusqu'ausuivant,puisàceluid’après.

-Trèscertainement,VotreGrâce, réponditCraven.Bienque lademoisellesoitassezaudacieuse,ellesembleavoircomprisl'importanced’unecertaineprudence.

Maximes'esclaffa,avantdesaisirunautreanneau.Celui-ciétaitscelléplusprèsduprécédentetilrestaunmomentpenduauxdeuxanneaux,sesbrasdessinantungrand«V»au-dessusdesatête.Puisilremontadoucementlesjambes,jusqu’àcequesespiedstouchentleplafond.

Ilgardacetteposition,ignorantletremblementdesesbras.

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-Sonexpéditiondelanuitdernièreétaitpourtanttoutsaufprudente,observa-t-il.

-Sansdoute,concédaCraven.Jemedoisdepréciserque,bienqu'elleaitappris,commetouteslesjeunes filles de la bonne société, à danser, à jouer de la harpe et à broder, lady Penelope ne faitmontred’aucuntalentparticulierdanscesdomaines.J'ajoutequ'ellen'estpastenueengrandeestimeparceuxquilaconnaissent.L'intelligencedeladyPenelopen’estpasàproprementparlerencause,c'estplutôtqu'elleest...

-C’estuneécervelée.

Cravenémitunbruitdegorgedifficileàinterpréter.

Maxime se remit à la verticale, lâcha les anneaux, et se réceptionna sur le dallage. Puis ils'approcha d'un banc supportant des boulets de canon de différentes tailles. Il en choisit un quiremplissaitparfaitementsapaume,courutquelquespassouslesvoûtespoursedonnerdel’élanavantde lancerde toutesses forces lebouletdecanonendirectiond'unéchafaudagedeballotsdepailledressécontreunmur.Leboulets’enfonçadanslapailleetfinitsacoursecontrelemur.

- Beau tir,VotreGrâce, commentaCraven, s’autorisantmême un sourire qui paraissait presquecomiquesursonvisagesilugubre.Lapailleatrouvéplusfortqu'elle.

-Craven!letançaMaxime,quiavaitlui-mêmedumalànepassourire.

IlétaitleducdeWakefieldetpersonne-pasmêmelui-n'étaitautoriséàsemoquerd'unWakefield.

Cravenseracladenouveaulagorge.

-Enrésumé,ladyPenelopeesttrèsriche,trèsbelle,s’habilleàladernièremodeetestd’humeurplutôtjoyeuse,maissesfacultésdediscernementsontassezlimitées.Dois-jelarayerdelaliste,VotreGrâce?

-Non, réponditMaxime, avant de répéter lemême exercice avec un autre boulet de canon, quiterminapareillementsacoursedanslapailleetvintfrapperlemuravecunbruitmat.

Maximenotamentalementqu'ilfaudraitrajouterdelapaille.PuisilseretournaversCraven,quilefixaitd'unregardincrédule.

- Vous demandez davantage, j'en suis sûr, à une épouse qu'une dot conséquente, un lignageirréprochableetunphysiqueàl’avenant,VotreGrâce.

Maximelefusilladuregard.Cen'étaitpaslapremièrefoisqu’ilsavaientcettediscussion.

L'espace de quelques secondes, Maxime revit des beaux yeux clairs briller dans un visagedéterminé.Mlle Greaves avait songé à se munir d’un poignard avant de s’aventurer de nuit dansSaint-Giles.Mieuxencore,elleavaitparudisposéeàenfaireusage.Maximenepouvaits’empêcherdel’admirer.Quelleautrefemmedesaconnaissanceavaitjamaismanifestéuntelcourage?

Maislàn’étaitpaslaquestion.Sonpèreétaitmortpourluietilsedevaitd'honorersamémoireenépousantunefemmequifasseuneduchessedignedecenom.

-Tuconnaismonavissurlesujet,répliqua-t-ilàCraven.LadyPenelopeconviendraparfaitementauducdeWakefield.

Surce,ils'emparad’unautrebouletdecanonetfeignitdenepasentendrelaréponsedeCraven.

-Maisconviendra-t-elleàl’homme?

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Beaucoup considéraient Bedlam comme l’enfer. Mais Apollon Greaves, vicomte Kilbourne, lecomparaitplutôtaupurgatoire.

Unendroitoùl’attenteétaitinterminable.

Attendre,lanuit,quelesgémissementscessentenfinpourtrouverlesommeil.Attendrelebruitdepasdanslecouloirquisignifiaitqu'onvousapportaitlemorceaudepainquivousserviraitdepetitdéjeuner. Attendre pour le seau d'eau froide qu'ils appelaient « le bain ». Attendre pour manger.Attendrepourboire.Attendrepourallerrespirerunpeud'airfraisdanslacour.Attendrequelqu’un,ouquelquechose,quiluiprouveraitqu'ilétaittoujoursenvieetpasdutoutfou.

Dumoins,pasencore.

Par-dessustout,Apollonattendaitsasœur,Artemis.Laseuleàluirendrevisitedanssonpurgatoire.

Ellevenaitquandellepouvait,c’est-à-direrarementplusd'unefoisparsemaine.C'étaitjusteassezpour qu'Apollon conserve un semblant de raison. Sans les visites de sa sœur, il aurait depuislongtempssombré.

Aussi,quandilentenditunbruitdetalonsdanslecouloir,signequ'unefemmeapprochait,Apollonretrouvalesourire.

Artemisapparutquelquessecondesplustard.Sondouxvisagegraves’illuminadèsqu'elle levit.Elleportaitunerobemarron,uséemaispropre,etunpetitchapeaudepaillevieuxd'aumoinscinqanssibienquelapaillecommençaitdes’effilochersurlesbords.Ellesemblaittoujoursapporteruneboufféed’airfraisavecelle,cequiétait impossible:commentpourrait-elleéchapperàlapuanteurambiante?

-Bonjour,Apollon,murmura-t-elleenpénétrantdanssacellulesansmanifesterlemoindredégoûtpourlepotdechambrequitrônaitnonloindesespiedsnipourl'étatpitoyabledanslequelilgisaitsursapaillasse.Commentvas-tu,aujourd’hui?

C’étaitunequestionunpeuidiote.Apollonvégétaitmisérablementdepuisquatreans.Pourtant,ellel'avaitposéeavecsincérité,carelles'inquiétaitàl’idéequesonétatpuisses’aggraver.Aprèstout,ellen’avaitpastort,ilyavaitencorepirequecequ'ilenduraitdéjà:lamort.

- Oh, je me sens divinement bien ! plaisanta-t-il, avec un petit sourire dans l'espoir qu'elle neremarqueraitpasque,cesderniers temps,sesgencivessaignaientpourunouioupourunnon.Lesœufsaubacondupetitdéjeunerétaientexcellents.J'auraisvouluféliciterlacuisinière,maisjem’ensuistrouvéempêché.

Ildésignaseschevillesenchaînéesàunanneauscellédanslemur.Lachaîneétaitassezlonguepourluipermettredeseleveretdefairedeuxpasdansn'importequelledirection,maispasplus.

Artemisposalepanierqu’elleavaitàlamain.

-Jesuisnavréed'apprendreque tuasdéjàmangé, répondit-elle,sur lemêmetonrailleur.Je t'aiapportéunpeudepouletrôti.J’espèrequetun'auraspasleventretroppleinpourl’apprécier.

-Jevaisfaireuneffort.

Elleouvritlepanier.Lesnarinesd'Apollonpalpitèrentetileutaussitôtl'eauàlabouche.Autrefois,il ne se préoccupait jamais de son prochain repas - à part peut-être pour espérer qu'il y aurait audessertdelatarteauxcerises.Leurfamillen'étaitcertespasriche,loindelà,maisilsn’avaientjamais

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manquédenourriture.Pain,beurre,laviande,lepoisson,vin,miel,fruits,latableétaittoujoursbiengarnie.

Désormais,Apollonconnaissaitlavaleurd'unbonrepas.

Ilseredressasursapaillassetandisqu'Artemissortaitlepouletdupanier.Ensepressantcontrelemur,illibéreraitunpetitcoindepailleproprepourqu’ellepuisses'asseoir.C’étaitlàl'uniqueconfortqu’ilétaitàmêmedeluioffrir.

Sasœurcontinuaitdevidersonpanier.

- J’ai aussi apporté du fromage, et la moitié d'une tarte aux pommes que j'ai pu soutirer à lacuisinièredePenelopeenlacajolant.

Apollontapotalapailleàcotédelui.

-Vienslà.

Elle se laissachoiravecgrâcesur lapaille, repliant les jambesdecôtécommesielleétaitàunpique-niqueetnondansunasiledefous.

-Régale-toi,dit-elle.

Elleavaitdisposéunecuissedepoulet,unmorceaudefromageetunepartdetartesuruntorchonproprequ'elleluitendit.Apollons'emparaavecprécautiondecetrésor.Puisilinspiratrèslentement,s’efforçantdenepassejetersurlanourrituretelleunebêtesauvage.Ilmettaitunpointd’honneuràsecontrôler.C'étaittoutcequiluirestait.

-Mange,Apollon,lepressaArtemis.

Savoixétaittriste.Elleluirappelaitqu’iln'avaitpasétéleseulàêtredurementpunipourunefolied'unenuit.

Ilavaitdétruitsasœurcommeils'étaitdétruitlui-même.

Ilportalacuissedepouletàseslèvresetmorditdedansavantdelareplacersurletorchonletempsdemâcherlentement.Lachairétaitsigoûteusequ'ilseretenaitdenepasdévorer lacuisseendeuxcoupsdedents.

-Commentvamacousine?s’enquit-il,sabouchéeunefoisavalée.

SiArtemisn’avaitpasétéunelady,probablementaurait-ellelevélesyeuxauciel.

-Elleesttrèsexcitéeàlaperspectivedubaldecesoir.Ilsetiendrachezlevicomted’Arque.Tutesouviensdelui?

Apollonmordit de nouveau dans sa cuisse de poulet. Faute de ressources suffisantes, il n’avaitjamaisfréquentélescercleslesplushuppés.Maiscenom,eneffet,luidisaitquelquechose.

-Ungrandtypeténébreuxauxmanièresaffirmées?Spiritueletquilesait.

«Etquiaaussibeaucoupdesuccèsaveclesfemmes»,ajouta-t-ilpourlui-même.

Sasœuracquiesça.

-C’est cela. Il habite avec sagrand-mère, ladyWhimple. Je suis convaincueque c'est elle qui aorganisécebal,maisilseradonnéaunomduvicomte.

-JecroyaisquePenelopeallaitaubalpresquetouslessoirs?

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Artemisesquissaunsourire.

-C’estparfoisl’impressionquej'ai.

Apollongoûtaàlatarte-elleétaitdélicieuse.

-Alors,pourquoitantd’excitationpourlebalduvicomte?Aurait-ellejetésondévolusurlui?

Artemissecoualatête.

-Oh,non!Unvicomteneluiconviendraitpas.ElleadesviséessurleducdeWakefield.Etd’aprèslarumeur,ilseralàcesoir.

-Elles'intéresseauduc?s'alarmaApollon.

Sileurcousinesemariait,Artemisrisqueraitdeperdresonemploietdonc,sontoit.EtApollonnepourrait rien fairepourelle. Il inspiraunegrandegouléed'airpour secalmer, avantdeboireunegorgéedelabièrequesasœuravaitégalementapportée.

-Ehbien,jeplainsWakefield,ajouta-t-il.Levoilàdansdebeauxdraps.

-Apollon!leréprimandagentimentArtemis.Penelopeestunefillecharmante,tulesaisbien.

-Ahbon?Serait-elleconnuepoursaphilanthropie?

- Elle est un membre assidu du comité de soutien de l’orphelinat de Saint-Giles, lui rappelaArtemis,quitrituraitunbrindepaille.

-C’estvrai.Tum’asmêmeracontéqu’elleavaitvouluunjourhabillertouslesorphelinsenjaune.

Artemisgrimaça.

-Sesidéesnesontpastoujoursfrappéesaucoindubonsens,jel'admets,maiselleestsincère.

Apolloneutpitiédesasœurquis’efforçaittantbienquemaldedéfendreleurcousine.

-Situledis,c’estquec’estvrai,déclara-t-il,et,voyantqu'ellecontinuaitdemartyrisersonbrindepaille,ildemanda:Ya-t-ilautrechosequelebaldecesoirdonttuvoudraismeparler?

Elleluijetaunregardétonné.

-Non,riendutout.

Apollonindiqualebrindepaille.

-Alorsqu’est-cequiteperturbe?

Artemisjetalebrindepaille.

-Rien,jet’assure.C’estjustequ’hiersoir...

àprésent,elletripotaitlefichuquicouvraitsapoitrine.

-Artemis,insistaApollon,affreusementfrustré.

S'ilavaitétélibredesesmouvements,ilauraitinterrogélesdomestiquesetlesamis,découvertdequoiilretournaitetrégléleproblème.Ici,ilnepouvaitqu'attendreetespérerquesasœursedécideàs’épancher.

Elleaccrochasonregard.

-Tutesouviensducollierquetum'avaisoffertlejourdenosquinzeans?

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Apollonserappelaitparfaitementlapierrevertequiornaitlecollier.Lejeunegarçonqu'ilétaityavaitvuunevéritableémeraudeetilavaitétéplusquefierd'offriruntelprésentàsasœur.Cependant,ilétaitconvaincuquecen'étaitpascecollierquitroublaitArtemis.

-Tudévieslaconversation.

Ellepinçaleslèvresenunemoueirritéequ'illuivoyaitrarement.

-Non,pasdutout.Apollon...

-Ques'est-ilpassé?

Sasœurexhalalentement.

-PenelopeetmoisommesalléesdansSaint-Giles.

-Quoi?s’étranglaApollon.

Saint-Gilesétaitunvraicoupe-gorge.Touteladyquis'yaventuraitlefaisaitàsesrisquesetpérils.

-Enfin,Artémis,c'étaitdelafolie!repritApollon.Avez-vousétéaccostées?Que...

Ellesecoualatête.

-Jesavaisquejen'auraispasdût'enparler.

-Ah,non!serécria-t-il,offensé.Necommencepasàmecacherdeschoses!

- Je ne te cache jamais rien, assuraArtemis d’un air contrit.Nous sommes allées à Saint-GilesparcequePenelopeavaitfaitunparistupide.Maisjem'étaismuniedecepetitpoignardquetum'avaisdonné-tut'ensouviens?

Apollonhochalatête.Lorsqu'ilétaitalléenpension,àl'âgedeonzeans,ilavaitjugéprudentdeluioffrircepoignard,carilabandonnaitsasœurjumelleaux«bonssoins»d’unpèreàmoitiéfouetd’une mère clouée au lit par la maladie. Si, à l'époque, la lame lui avait paru d’une longueurredoutable,l'hommequ'ilétaitaujourd'huinelatrouvaitguèreimpressionnante.Apollonfrissonnaàl'idéedesasœurtentantdesedéfendre-dansSaint-Giles-aveccepoignardridicule.

Artemisluiétreignitlebras.

-Calme-toi,dit-elle.Nousavonsétéaccostées,eneffet.Maistouts'estbienterminé.NousavonsétésecouruesparleFantômedeSaint-Gilesenpersonne.

De touteévidence, l'argumentétaitdestinéà le rassurer.Apollon ferma lesyeux.LeFantômedeSaint-Giles traînaitunesordideréputationdevioleur,d'assassinetpireencore.Apollon,cependant,n'avait jamais cru à ces racontars pour la simple et bonne raison qu'aucun homme n'aurait pu serendreàluiseulcoupabledetouslescrimesdontonaccusaitleFantôme.Pourautant,leFantômedeSaint-Gilesn'étaitpasnonplusunchatoninoffensif.

Apollonrouvritlesyeuxetserralesmainsdesasœurentrelessiennes.

-Promets-moiderefuserdesuivrePenelopedanssesprojetsinsensés.

- Je... commença Artemis, avant de détourner les yeux. Tu sais bien que je suis sa dame decompagnie,Apollon.Jedoismeplieràsescaprices.

-Elle serait capablede tebrisercommeuneporcelaineetde jeterensuite lesmorceauxpour setrouverunnouveaujouet.

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-Non!protestaArtemis,choquée.Ellene...

-S'ilteplaît,masœurchérie,lacoupaApollon.S'ilteplaît.

-Jeferaidemonmieux,promitArtemis,et,luicaressantlajoue,elleajouta:Pourtoi.

Apollon hocha la tête De toute façon il n’avait pas le choix et devrait se contenter de cettepromesse.

Maisuneinquiétudeletaraudait.Quandilneseraitpluslà,quis'inquiéteraitpourArtemis?

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2

Ilyatrès,trèslongtempsdecela,alorsquel'Angleterren’étaitencorequ’untoutjeunepays,vivaitle meilleur des souverains. Il s'appelait le roi Herla. Il était vif et fort, et n'aimait rien tant quechasserdanslesbois.

Cesoir-là,Artemissongeaquesi leComtedeBrightmoreétaitunpairrespectéduroyaume,unhommeconscientdesafortuneet,danssesmeilleursmoments,unchrétiencapabledecompassion,iln'avaitenrevancheriend’unpèreattentif.

-Papa, jevousaiannoncéhier,àdéjeuner,quejecomptaismerendrecesoiraubalduvicomted’Arque, luirappelaitPenelope, tandisqueBlackbourne,safemmedechambre,arrangeait lenœudquifermaitsacape.

IlssetrouvaientdanslevestibuledeBrightmoreHouse,attendantlavoiturequidevaitlesconduireaubal,Artemisetelle.

-Jecroyaisquec’étaithiersoir,réponditsonpère.

C’étaitunhommecorpulent,avecdesyeuxbleusglobuleuxetungrandnezimpérieux.Ilvenaitderentrerencompagniedesonsecrétaire-unpetithommemalingreetdesséchémaisquipossédaitundonprodigieuxpourleschiffres-etôtaitsontricorneetsacape.

Penelopelevalesyeuxauciel.

-Non,papa!Hiersoir,j'aidînéchezladyWaters.

Artemisseretintdeleverelleaussilesyeuxaucielvuquelaveille,ellesétaientalléessefairetuer,oupresque,dansSaint-Gilesetn'avaientàaucunmomentdelasoiréefréquentélasalleàmangerdeladyWaters.Dureste,Artemisauraitpariéque ladyWatersnese trouvaitmêmepasàLondrescesjours-ci.Penelopeétaitcapabledementiravecunaplombincroyableetunevirtuositéstupéfiante.

-Ah,murmuralecomte.Entoutcas,tuesravissante,Penelope.

Affichant un sourire radieux, cette dernière pivota sur elle-même pour lui faire admirer sanouvelletoilette:unesuperberobeenbrocartdeveloursjaunepâlerebrodéedefleursbleues,rougesetvertes,quiavaitdemandéunmoisdetravailetcoûtaitpluscherquelebudgetannuelquequatre-vingt-dix-neufpourcentdesLondoniennesconsacraientàleurgarde-robe

-Vousaussi,biensûr,Artemis,ajoutalecomte,d’unairabsent.

Artemisesquissaunerévérence.

-Merci,mononcle.

Une fois de plus, elle ne put que constater combien son existence différait de celle qu'elle avaitconnue autrefois, lorsqueApollon, leurs parents et elle vivaient à la campagne. Leurmaison étaitmodeste, ils ne recevaient jamais et donnaient encoremoinsdebals.Elle avait dû s’habituer à cesgrandessoiréesqu’affectionnaitPenelope.Pourautant,elleneseréjouissaitpasdedevoirserendreaubaldecesoir.Cesmondanitésl'assommaient.

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Ellen'étaittoutefoispasingrate.Ellesavaitcequ’elledevaitaucomte-qui,enréalité,n'étaitpassononcle,maisuncousinéloigné.Ellenel'avaitjamaisrencontré,niPeneloped'ailleurs,dutempsou ses parents étaient encore en vie, pourtant il l’avait accueillie sous son toit quand elle s'étaitretrouvéedémunie.Entresonabsencededotetlafoliequipesaitsursafamille,Artemissavaitqu'ellen’avait aucune chance de se marier un jour et de posséder sa propre demeure. Elle en voulaitcependantaucomted'avoirrefusé-sansappel-d’aideraussiApollon.Ilétaitsimplementintervenupourqu'ilsoitenferméàBedlamplutôtquetraduitenjustice.Iln'avaitpaseudemalàobtenirgaindecause:personnenesouhaitaitqu'unaristocratesoitpendupourmeurtre.Lescandaleauraitrejaillisurtoute la bonne société, quand bien même l'aristocrate en question n’avait jamais évolué dans sescercles.

- Tu vas faire tourner les têtes de tous les gentlemen qui assisteront à ce bal, reprit le comte,s'adressantdenouveauàsafille.Maisjecomptesurtoipourquetapropretêterestebienenplace.

Peut-être,aprèstout,connaissait-ildavantagelecaractèredesafillequ'Artemisnelepensait.

- Ne craignez rien, père, répondit Penelope en l’embrassant sur la joue. Je me contente decollectionnerlescœurs-jenelesdistribuepas!

-Bien,murmuradistraitement sonpère, car son secrétaire luimurmurait à l’oreille.Nousnousreverronsdemain,alors?

-Oui,papachéri.

Etaumilieudescourbettesdesdomestiquesquisetrouvaientdanslevestibule,PenelopeetArtemissortirent.

-Jenecomprendspaspourquoinousn’avonspasemmenéBonbon,observaPenelopealorsqueleurvoituredémarrait.Safourrureauraitmislamienneenvaleur.

BonbonétaitlepetitchienblancdePenelope.IlcommençaitàsefairevieuxetArtemisn'avaitpaseulecœurdeledérangerquandellel’avaittrouvélovédanslelitroseetvertridiculequePenelopeluiavaitfaitconfectionner.

-Pourcequiestde lacouleur,sansdoute,convint-elle.Maissespoilsseseraientaccrochésauxbroderiesdevotrerobe.

-Ah, fit Penelope avec une petitemoue charmante. J'ai songé à prendre un carlin,mais tout lemonde en possède un, aujourd’hui. Cela devient d'un commun. Et puis, rien ne vaut la blancheuréclatantedeBonbon.

Artemisréprimaunsoupiretpréféragarderpourellecequ'ellepensaitdufaitdechoisirunchienuniquementpoursonpelage.

Penelopeselançadansunbavardagedécousuoùilétaitquestiondechiens,derobes,demodeetdelaprochainepartiedecampagnechezleducdeWakefieldàlaquelleellesétaientconviées.Artemisl'écoutaitd'uneoreilledistraite,secontentantdehocherlatêtedetempsàautre.Enréalité,ellepensaitàApollon.Ellel'avaittrouvétrèsamaigri,cematin.Bedlamavaiteuraisondurobustegarçonqu'ilétait.Sesjouesétaientcreuses,sesyeuxenfoncésdansleursorbites,etsespoignets,osseux.Elleallaitdevoir trouverencoreplusd'argentpoursoudoyersesgardesafinqu'ilsne lemaltraitentpas trop,plusdenourriture à lui apporter et davantagedevêtements.Mais tout celane serait jamaisqueduravaudage de circonstance. Si elle ne trouvait pas un moyen de sortir son frère de Bedlam, ellecraignaitqu'ilnetiennepasbeaucoupplusd’unan.

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Ellesoupiradiscrètement.Penelopeparlaitmaintenantdedentellebelge.

Unedemi-heureplustard, leurattelages’arrêtaitdevantunegrandedemeureilluminée.Lesdeuxfemmesdescendirentdevoiture.

-Queldommage,quandmême,fitPenelopeensecouantsajupe.

Artemis,quis’étaitpenchéepourremettred'aplombl’ourletdederrière,demanda:

-Quoidonc?

-Lordd'Arque,réponditsacousineendésignantd'ungestevaguelemagnifiquehôtelparticulier.Ilestbelhommeetilestriche.Autantdirequ’ilestpresqueparfait.

Artemisavaitparfoisdumalàsuivrelesraisonnementstortueuxdesacousine.

-Maisilnel'estpas?

-Biensûrquenon!répliquaPenelope,quipartaitdéjàà l'assautduperron.Iln’estpasduc.Oh,j’aperçoislordFeatherstone!

Artemis suivit sa cousinequi seprécipitait vers le jeunebaron.Cedernier avait degrandsyeuxbleus ourlés de longs cils et des lèvres pleines, et s’il n'avait été affublé d’un grand nez et d’unemâchoirecarrée,onauraitpuleprendrepourunefille.Silaplupartdesfemmesdelabonnesociétéle trouvaient charmant, ce n'était pas le cas d'Artemis qui n'aimait pas la lueurméchante dans sonregard.

LordFeatherstones'étaitimmobilisésurleperrondemarbrepourlesattendre.

-LadyPenelope,dit-ilavecunecourbetteextravagante.

Ilportaitunevesteécarlate surungilet jauned'orbrodéde feuillesvertesentrelacéesdemotifsrouges.

-Quellessontlesnouvelles?

-Milord,j'ailajoiedevousannoncerquejemesuisrenduedansSaint-Giles,réponditPenelopeenluitendantlamain.

Lebarons’enemparaets'inclinadessusunesecondedetropavantdedemander:

-Etavez-vousbuunepintedegin?

-Hélas, non ! avoua Penelope en déployant son éventail devant son visage, comme si elle étaitconfuse. Mais j'ai fait mieux, ajouta-t-elle avant d'abaisser son éventail pour révéler un souriretriomphal.J’airencontreleFantômedeSaint-Giles.

LordFeatherstoneécarquillalesyeux.

-C'estvrai?

-Oui,Etmadamedecompagniepeutentémoigner.Elleétaitlà.

Artemisesquissaunerévérence,bienquepersonnenelaregardât.

-Maisc'estmerveilleux,milady!s'exclamalordFeatherstone,ouvrantgrandlesbrasdansungestesi exubérant qu'Artemis craignit un instant qu'il ne perde l’équilibre et ne dévale lesmarches. Ledémonmasqué,vaincuparlabeautéd’unevierge!ajouta-t-il.Parcequevousl’avezvaincu,n’est-cepas,milady?

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Penelopeallaitrépondrequandunevoixgraves’élevadansleurdos:

-Bonsoir,milady.Bonsoir,milord.

Artemisseretourna.LeducdeWakefieldavaitgravilesmarchessansbruit.Grandetmince,ilétaittout de noir vêtu et portait une élégante perruque blanche. Les lumières qui se déversaient de lademeurejetaientsursonvisagedesombresquisoulignaientsestraitsanguleux.LeducdeWakefieldn’était pas considéré commeun aussi bel hommeque lordFeatherstonepar les dames, pourtant, àbienyregarder,ill’était.

Maisd'unebeautéfroide,austère,virile.

Artemisréprimaunfrisson.LeducdeWakefieldneseraitjamaisle«chéri»decesdames.Ilétaitsimasculin que cela agissait presque commeun repoussoir sur le beau sexe.Un tel hommene selaisserait certes pas amadouer par la gentillesse, la beauté ou des belles paroles. S’il pliait - àsupposerqu'ilensoitcapable-,c’étaituniquementparcequ’ill’avaitdécidé,etpourdesraisonsquiluiétaientpropres.

-VotreGrâce,réponditPenelopeenlegratifiantd’unerévérencecharmante.

Artemiss'inclinaplussobrement,bienque,làencore,personnenefitattentionàelle.

-Quelplaisirdevousvoir,ajoutasacousine.

-Toutleplaisirestpourmoi,ladyPenelope.

Leducluibaisalamain.Quandilseredressa,sonregardnetrahissaitaucuneémotion.

-Nevousai-jepasentendueparlerduFantômedeSaint-Giles?reprit-il.

Penelopes’humectaleslèvres-celaauraitpupasserpourcoquin,maisArtemisdevinaqu'elleétaitprobablementnerveuse.Leducétaitplutôtintimidant.

-Eneffet,VotreGrâce.Figurez-vousquejel'airencontréhiersoir,dansSaint-Giles!

Leduclaregardasansrépondre.

Artemis s'agita, mal à l’aise. Penelope ne semblait pas se rendre compte que son « exploit »pourraitnepasenêtreunauxyeuxduduc.

-Cousine,nousdevrionspeut-être...

- Lady Penelope est aussi courageuse que Britannia1 elle-même ! trompeta lord Featherstone.Milady,veuillezacceptercettemodestebabiolecommegagedemonadmiration.

Ilavaitposéungenouen terreet sortitdesapochesaboîteàpriser -enjeudupari.Artemisseretintàpeinedegrimacer.Ellenepouvaits’empêcherdepenserquePenelopeavaitremportécepariridiculeenprenantdesrisquesinsensésquiavaientfaillileurcoûterlavieàtouteslesdeux.

Penelope tendit lamainpour s’emparerde laboîte àpriser,mais leduc ladevança.L’arrachantpresqueàlordFeatherstone,quitressaillit,ill'examinaàlalumière.Deformeovale,laboîteàpriserétaitenoravec,surledessus,unepetiteminiaturebordéedeminusculesperlesreprésentantunejeunefille.

-Ravissant, commenta le duc, avant de se tourner vers ladyPenelope.Mais elle nevalait pas lapeinequevousrisquiezvotrevie.J’espèrequ’àl’avenirvousnesacrifierezpasvotresécuritépourdetellesbabioles.

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IllançalaboiteàPenelope.Celle-ciétaittropméduséepourréagir,sibienqu'Artemisdutplongerenavantpourrécupérerl’objet.Qu'elleparvintàattraperdejustesse.

Quandelleseredressa,sonregardaccrochaceluiduduc.

Ellesefigea.Ellen'avaitencorejamaiseul'occasiondeleregarderdroitdanslesyeux-unedamedecompagniesetenaittoujoursenretrait-,etsionluiavaitdemandéquelleétaitleurcouleur,elleaurait réponduqu’ils étaientnoirs.Cequi était presque le cas.En réalité, ils étaient d’unbrun trèsfoncé, telducafé fraîchement torréfiéoudunoyerhuilé.Maisbienqu’ils fussentplutôtbeaux, ilsétaientglacials.

-Beauréflexe,mademoiselleGreaves,dit-il.

Surce,ilpivotaetsedirigeaversl’entrée.

Artemisclignadesyeux.Depuisquandconnaissait-ilsonnom?

- Quel imbécile prétentieux, lâcha lord Featherstone, si fort que le duc l’entendit probablementavantdedisparaîtredans lamaison,mêmes'iln'enmontra rien.Veuillezexcuser le comportementgrossierduduc,ladyPenelope.C'estàcroirequ'ilaperdutoutsensdel’humourets'estossifiéavantmême d’avoir atteint ses quarante ans. Àmoins qu'il n'en ait cinquante ?Ma foi, je ne serais pasétonnéd'apprendrequ’ilestaussivieuxquemonpère.

-Certainementpas,répliquaPenelopeenfronçantlessourcils,commesielles’inquiétaitsoudainqueleduceûtpuvieillirdeplusieursannéesenuneseulenuit.Iln’apasplusdequaranteans,n'est-cepas?

Sa question s’adressait à Artemis, qui soupira et glissa la boîte à priser dans sa poche. Elle larestitueraitplus tardàPenelope,sinoncelle-ciseraitcapablede l'oublierpendant lebal,oudans lavoiture.

-JecroisqueSaGrâcen’aquetrente-troisans,répondit-elle.

LevisagedePenelopes’illuminauncourtinstant,puiselleserenfrogna.

-Commentlesavez-vous?

-Jemesouviensd’avoirentendusessœurslementionnerenpassant,expliquaArtemis.

Penelopeétaitamie,oudumoinsconnaissaitlessœursduduc,ladyHeroetladyPhoebe.Maisellen'avaitpaspourhabituded’écoutercequelesautresluiracontaientetencoremoinsdes’ensouvenir.

-Voilaquiestparfait,déclara-t-elleavecunhochementdetêtesatisfait.

EtelleacceptalebrasquelordFeatherstoneluioffrait.

Àpeineeurent-ilspénétrédanslamaisonqu'ilsfurentaccueillisparunearméedevaletsenlivréequilesdébarrassèrentdeleurcapeavantqu’ilsnepartentàl'assautdugrandescalierquimenaitàlasalledebal.Celle-ciétaitdigned'uncontedefées.Ledallagedemarbreroseetblancbrillaittandisqu'au-dessusdeleurstêtes,d’immenseslustresdecristalétincelaient.Descompositionsfloralesquimêlaient le rose, leblancet le rougedébordaientdes immensesvasesdisséminésunpeupartoutetembaumaientl’airdeleurssenteurscapiteuses.Unpetitorchestre,installéàl’unedesextrémitésdelasalle, jouait unemélodie un peu languide en attendant que les danses ne commencent. Les invitéscomposaientunarc-en-cielchatoyantquiondulaitavecgrâceaugrédesdéplacementsdesunsetdesautres.

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Artemisplissalenezencontemplantsarobetoutesimple.Silesfemmesprésentess’apparentaientàdesfées,elle-mêmedevaitêtreuntroll,supposa-t-elle.Sarobedataitdel'époqueoùelleétaitvenuevivrechezlecomteetellel'avaitportéeàtouslesbalsauxquelselleavaitassistédepuisencompagniedePenelope.Aprèstout,ellen'étaitqu’unesimpledamedecompagnie.Ellen'étaitpaslàpourbriller,maispoursefondredansledécor-cequ'elleréussissaitàmerveille.

-Voilàquiaugurebiendelasuite,commentaPenelopeavecunsourireradieux,avantdedéployersonéventail.

Artemiscilla.Avait-ellemanquéquelquechose?Ellesavaientdéjàperdu lordFeatherstoneet lafouleétaitdeplusenpluscompacte.

-Jevousdemandepardon?

-Wakefield, se contenta de répondrePenelope, comme siArtemis était capable de lire dans sespenséesetdedevinerlasuite.

-Vousvoulezdirequenotreentrevueavecleducs’estbienpassée?demandaArtemis,incrédule.

Peneloperefermasonéventaild’uncoupsecpourentapoterl’épauled'Artemis.

-Maisoui!Ilestjaloux.

Artemisétaitmédusée.Elleauraitputrouverunebonnedizainedequalificatifspourdécrirel'étatd'espritduducaumomentoùillesavaitquittéesméprisant,arrogant,supérieur...mais«jaloux»nefaisaitcertainementpaspartiedelaliste.

Elles'éclaircitlavoix.

- Jene suispas sûre... commença-t-elleprudemment, avantd’être interrompueparungentlemandontleventrerebonditendaitlesboutonsdesongilet.

-Ah, ladyPenelope ! s'exclama-t-il en seplantantdevant elles.Vousêtes aussibellequ'une rosed'été.

Penelopefitlamoue.Lecomplimentétaitunpeutropprosaïque.

-Jevousremercie,VotreGrâce,dit-ellecependant.

-Maisjevousenprie,répliqualeducdeScarboroughavantdesetournerversArtemis:J’espèrequevousvousportezbien,mademoiselleGreaves?

Artemisesquissaunerévérence.

-Trèsbien,VotreGrâce.

Leduc était de taillemoyenne,mais il était légèrement voûté ce qui le faisait paraître plus petitqu’iln’était.Ilportaituneperruquepoudrée,uncharmantcostumecouleurchampagne,etlesbouclesdesessouliersétaientornéesdediamants-qu‘ilavaitlargementlesmoyensdes’offriràencroirelarumeur. Rumeur qui prétendait également qu’il cherchait à se remarier, la duchesse étant mortequelquesannéesplustôt.Malheureusement,siPenelopeétaitprêteàluipardonnersondosvoûtéetsabedaine,sonâgelarebutait.CarcontrairementauducdeWakefield, leducdeScarboroughn’avaitpastrente-troisans,maispasloindudouble.

-J'allaisretrouveruneamie,expliquaPenelopeententantdelecontourner.

Maisleducétaitunvétérandesbalsmondains.Ils’emparadesonbrasavecuneagilitéinattendue.

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-Danscecas,jevaismefaireunplaisirdevousescorter,milady.

-Oh,maisj'aitrèssoif!décrétaPenelope,tentantautrechose.Seriez-vousassezaimablepourallermechercherunverredepunch,VotreGrâce?

-Vousm'enverriezravi,milady,ditleduc,avecdansleregardunepetitelueurquin’échappapasàArtemis, mais je suis sûr que votre dame de compagnie préférera s’en charger. N’est-ce pas,mademoiselleGreaves?

-Certainement,murmuraArtemis.

Penelopeétaitpeut-êtresamaîtresse,maiselleavaitde l’affectionpour levieuxduc-mêmes’iln'avaitaucunechancederemportersamain.Elletournarapidementlestalonspournepasentendrelaréponsedesacousine.Lesrafraîchissementsétaientservisdansunepièceàl'autreboutdelasalledebaletelleprogressaitlentementdanslafoule.

Ellesouriaitencorelorsqu'unevoixgraveluidemanda:

-MademoiselleGreaves,pourrais-jem'entreteniruninstantavecvous?

«Naturellement»,pensaArtemisencroisantleregardduducdeWakefield.

-Jesuisétonnéequevousconnaissiezmonnom,ditMlleArtemisGreaves.

Cen'était pas le genrede femmequeMaxime remarquait d'ordinaire.Elle appartenait à la vastearméedesfemmesdel'ombre-damesdecompagnie,tantesrestéesvieillesfilles,parentespauvres...-auxquellesungentlemannes’intéressaitgénéralementquepourleuraccorderlacharité.Etc'étaittout:leregarddeshommesglissaitsurelles.Cesfemmesnesemariaientpasetn'avaientpasd'enfants.D'unecertainemanière,onauraitpudirequ’ellesn'avaientpasdesexe.

Pourtant,MaximeavaitremarquéMlleGreavesàplusieursreprises.

Elleétaittoujoursdanslesillagedesacousine,portaitdescouleursternes-dumarronoudugris-,parlaitlemoinspossibleets’efforçaitdenepasattirerl’attentionsurelle.

Jusqu’àlaveilleausoir.

Elleavaiteul'audacedebrandirunpoignarddanssadirectionenpleincœurdeSaint-Giles,avaitmême eu le courage de le regarder dans les yeux sans ciller. Et Maxime avait eu comme unerévélation.Pourlapremièrefois,ill'avaitvue.Etillavoyaitdenouveau,sedétachantaumilieudelafoulequilesentourait.Elleavaitunvisageovale,destraitsquin'avaientriend'exceptionnel,maisdegrandsetbeauxyeuxgris.Sescheveuxchâtain foncéétaient attachésenunchignonbas, ses longsdoigtsfinscroisésdevantsataille.

Oui,illavoyait,etcettedécouverteletroubla.

MlleGreavesarquaunsourcildélicat.

-VotreGrâce?

Perdudans sespensées, il l'avait regardée fixementplusqu’iln'était convenable. Il enconçutdel'irritation,etrépliquad’unevoixdure:

-QuellemouchevousapiquéedelaisserladyPenelopes’aventurerdansSaint-Gilesenpleinenuit

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?

Laplupartdesfemmesqu’ilconnaissaitauraientéclatéensanglotssousl'accusation.

Maisc'estàpeinesielleclignadesyeux.

-D’oùtenez-vousquej'aielamoindreautoritésurmacousine?

Ellemarquaitunpoint,maisMaximen'étaitpasdisposéàl'admettre.

-Vousdeviezbiensavoirquecequartierestl'undesplusdangereuxdeLondres?

-Eneffet,VotreGrâce,répliqua-t-elle,avantdepoursuivresonchemin.

Maximen'enrevenaitpasd’êtreainsicongédié.Iln'eutd'autrechoixquedemarcheràsescotés.

-Danscecas,vousauriezpulaconvaincred'abandonnersonprojet.

-J'aibienpeur,VotreGrâce,quevousn’ayezunevisiontrèsoptimistedeladocilitédemacousineetdel’influencequejepourraisexercersurelle.QuandPenelopeauneidéeentête,ilestimpossibledel’endéloger.IlasuffiquelordFeatherstoneluisuggèreun«pariaudacieux»pourquenotresortsoitscellé.

Maximefronçalessourcils.

-Alors,c’estlafautedeFeatherstone.

-Engrandepartie,oui,acquiesça-t-elle.

-LadyPenelopedevraits'abstenirdefréquenterdesgentlemencommeFeatherstone.

-Oui.Etaussicertainesdames.

-Certainesdames?

-Quelques-unesdesidéeslesplusfarfeluesdemacousineluiontétéinspiréespardesladies,VotreGrâce.

-Ah,fitMaxime,àcourtd'arguments.

Ilnotadistraitementquelescilsdelajeunefemmeétaientnoirs,doncplusfoncésquesescheveux.Lesteignait-elle?

Ellesoupira.

- La saison dernière, Penelope s’est laissé convaincre qu'un oiseau vivant constituerait unaccessoireoriginal.

Semoquait-elledelui?

-Unoiseau?

-Uncygne,plusprécisément.

Siellesemoquaitdelui,ellelecachaitbien.Celadit,unefemmedanssapositiondevaitapprendreàdissimulersesopinionsetsessentiments.Celafaisaitplusoumoinspartiedel'emploi.

-Jenemesouvienspasd'avoiraperçuladyPenelopeavecuncygne.

MlleGreavestournalatêteversluietseslèvresesquissèrentbrièvementl'amorced’unsourire.

-Celan’aduréqu'unesemaine.Jusqu’àcequ'elles’aperçoivequelescygnessifflaientetpinçaient.

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-LadyPenelopeaétépincéeparuncygne?

-Paselle.Moi.

Maxime plissa le front. Combien d’autres blessures Mlle Greaves avait-elle dû endurer enremplissantsondevoirauprèsdeladyPenelope?

-Parfois, ilm'arrivedepenserqu’ilvaudraitmieux,poursonproprebien,quemacousineresteenferméedanssachambre,ajouta-t-elle.Maisilestpeuprobablequecelaarrive.

Non,eneffet.Demêmequ’ilétaitpeuprobablequeMlleGreavestrouveunmoyendegagnersaviequin’inclûtpasdeseplierauxcapricesdesacousine.

Mais,aprèstout,celaneleregardaitpas.

-CettehistoiremontreàquelpointilestimpératifquevousrameniezladyPenelopeàlaraison.

-J’aiessayé-j'essaieencore.Maisjenesuisquesadamedecompagnie.

Maximes’arrêtaetlaregarda.Ildevinaitchezcettefemmeunemaîtrisedesoietuneassurancequesapositionsocialeneluipermettaitguèredemettreenvaleur.

-Passonamie?

Elletournadenouveaulatêteverslui,etseslèvress’incurvèrent,oh,àpeine,commesielleavaitapprisàsourirediscrètement,ànepasmanifestertropvisiblementsesémotions.

-Si,biensûr,jesuissonamie.Etaussisaparente.J’aidel’affectionpourelleetjepensequec’estréciproque.Maisjesuis,avanttout,sadamedecompagnie.Nousneseronsjamaiségales.Deparmaposition, je serai toujours en dessous d’elle.Alors, je peux lui suggérer de ne pas se rendre dansSaint-Gileslanuit,maisjenepeuxpasleluiinterdire.

-Etvouslasuivezpartoutoùelleva?

Ellehochalatête.

-Oui,VotreGrâce.

Maximeserralesdents.Ilsavaittoutcela,etpourtant,ils'enirrita.Ildétournaleregard.

-QuandladyPenelopesemariera,sonmariluitiendralabride,assura-t-il.Ceserapréférablepoursasécurité.

Etpourlavôtre.

-Peut-être,dit-elle.

Inclinantlatêtedecoté,ellel'étudia.MlleGreavesétaitintelligente.Probablementavait-elledevinéqu'ilsongeaitàsacousinecommeunpossibleparti.

-Certainement,répliqua-t-il.

Ellehaussalesépaules.

-Ceseraitsansdouteunebonnechose,jesuppose.D'unautrecoté,siPenelopeétaittenueenbride,nousn'aurionspasl'occasionderencontrerdesgensaussicaptivantsqueleFantômedeSaint-Giles.

-Vousméprisezledanger.

-C’estpossible,VotreGrâce,acquiesça-t-elle.Maisj'avouequec’étaitcaptivantdevoirleFantôme

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enchairetenos.

-C'estunruffian.

Ils s'étaient remis à marcher et Maxime comprit qu’elle se dirigeait vers la salle desrafraîchissements.

-Jen’ensuispassisûre,répliqua-t-elle.Puis-jevousconfierunsecret,VotreGrâce?

D’ordinaire,quandunefemmeluiposaitcegenredequestion,c'étaitdans l'intentiondebadiner,mais, en l'occurrence, l’expression deMlle Greaves était on ne peut plus directe. La curiosité deMaximeenfutpiquée.

-Jevousenprie.

-JecroisqueleFantômeestdehautenaissance.

Maximeveillaàdemeurerimpassiblebienquesonpoulssefûtemballé.

-Qu'est-cequivousfaitcroirecela?

-Ilaperduquelquechose,hiersoir.

Maximesentitunfrissonglacialluivrillerl'échine.

-Qu'est-cedonc?

Elleaffichadenouveausonpetitsourirediscret,mystérieux,etsiterriblementféminin.

-Unechevalière.

LeducdeWakefieldaffichaitunvisagedemarbre.Artemissedemandaitcequ'ilpensait,et,plusdéconcertant,cequ'ilpensaitd’elle.Désapprouvait-ilsonmanquedesérieuxconcernantleFantômedeSaint-Giles ?Ou trouvait-il offensant qu'elle ose suggérer que ce banditmasqué puisse être unaristocrate?

Elle ledévisageaencoreuneseconde,puisse remitenmarche.Après tout,quelle importancedesavoircequ'ilpensaitd’elle-àpartqu'elleconvenaitpourl'emploidedamedecompagniedeladyPenelope.C’étaitlapremièrefoisqueleducprenaitlapeinedeluiparleretArtemisdoutaitfortquecelasereproduise.Ilsn’évoluaientpasdanslesmêmescercles.

- Alliez-vous chercher un verre de punch pour lady Penelope ? demanda-t-il, alors qu'ilsapprochaientdubuffet.

-Oui.

-Jevaisvousaider,dit-il,etilcommandaàunvalet:Troisverresdepunch!

- C'est très aimable à vous, Votre Grâce, murmura-t-elle en s’efforçant de gommer toute traced'ironiedesavoix.

-Voussavezfortbienquel'amabilitén'arienàvoiràl’affaire.

Elleluijetaunregardsurpris.

-Vraiment?

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-Vousmeparaissezêtreunefemmeintelligente,mademoiselleGreaves.Vousdevezvousdouterque je courtise votre cousine.Mon offre n'est donc qu'un stratagème pour avoir l'occasion de luiparlerdenouveaucesoir.

Il n'y avait pas grand-chose à répondre à cela, aussiArtemis garda-t-elle le silence tandis qu'ilsprenaientleursverres.

-Dites-moi,mademoiselleGreaves, reprit le duc, alors qu'ils rebroussaient chemin, approuvez-vousquejefasselacouràvotrecousine?

- J'ai du mal à croire que mon approbation ait la moindre importance, Votre Grâce, réponditpresquesèchementArtemis,tantelleétaitagacée.

Avait-ildécidédesemontrercondescendantavecelle?

- En êtes-vous certaine ? J'ai grandi dans une maison remplie de femmes, je connais doncl’importance des conversations de boudoirs. Et je sais que quelques mots judicieux de votre partmurmurésàl'oreilledevotrecousinepourraientgrandementservirmacause.

-VotreGrâcem’accordeplusdepouvoirquejen’enpossèderéellement.

-Vousêtestropmodeste.

-Paslemoinsdumonde.

-Hmm.

IlsserapprochaientdePenelope,quiconversaittoujoursavecScarborough.

-Vousn’aveztoujourspasréponduàmaquestion,mademoiselleGreaves,lapressaMaxime.Mesoutiendrez-vousdansmacampagne?

Artemissetournaverslui.Euégardàsaposition,elledevaitsemontrerprudente.

-Avez-vousdel'affectionpourPenelope?

Ilhaussaunsourcil.

-Celacomptepourelle?

-Non,VotreGrâce.Maisilsetrouvequecelacomptepourmoi.

Aumêmeinstant,Penelopetournalatêteetlesaperçut.Elleleuradressaungrandsourire.

-Vousvoilaenfin,Artemis!Jemeursdesoif.

Ellepritsonverredepunchdesmainsdesacousineetbattitdescilsàl'adressedeWakefield.

-Êtes-vousrevenumeréprimander,VotreGrâce?

Illuimurmuraquelquechose.

Artemis recula d’un pas. Puis d’un autre. Et d'un troisième. Penelope, Wakefield, Scarboroughétaientlescomédiensdanscedécordethéâtre.Maiselle-mêmen’yavaitpassaplace.

Détournant le regard du trio, elle repéra un visage familier là où étaient alignées les chaisesdestinéesàaccueillirlesinvitéslesplusâgés.Elles'ydirigea.

-Aimeriez-vousunverredepunch,mademoisellePicklewood?

-Oh,commec’estgentil!s’exclamaBathildaPicklewood.

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C’étaitunefemmecorpulentedontlevisagerondétaitencadrédebouclesgrises.Elleavaitsurlesgenouxunpetitépagneulauregardvif.

-Jesongeaisjustementàallermechercheràboire,ajoutaBathildaPicklewood.

Artemisluitenditsonverre,puiscaressaMignon-l’épagneul-,quiluiléchapolimentlesdoigts.

-LadyPhoeben'estpaslà?

MllePicklewoodsecoualatêted'unairchagrin.

-Voussavezqu’ellen’aimepaslemonde.JesuisvenueavecmonamieMmeWhite.Elleestalléeréparerunpetitaccrocàsarobe.

Artemishochalatêteets’assitàcôtédeMllePicklewood.Ellen'ignoraitpasquelasœurcadetteduduc fuyait la foule, mais elle avait tout de même espéré la voir. Une pensée lui traversa soudainl'esprit.

-Maiselleassisteraàlapartiedecampagnequedonnerabientôtsonfrère,n'est-cepas?

-Biensûr!Etelles’enfaitunejoie!Maisjecrainsqueleducnepartagepassonenthousiasme.

MllePicklewoodgloussaavantd'ajouter:

- En fait, il déteste les réceptions en général. Il trouve que c’est une perte de temps, que ça ledétournedechosesplusimportantes.JevousaivuediscuteravecMaxime,toutal’heure.

IlfallutunmomentàArtemispoursesouvenirqueMaximeétaitleprénomduduc.Carmêmelesducsportaientdesprénoms.Celui-ci,d'ailleurs,luiconvenaitàmerveille.Artemisselereprésentaitfortbienengénéralromain.MllePicklewoodpouvaitsepermettredel'appelerMaxime.Elleétaituneparente - éloignée - du duc et vivait sous son toit, servant à la fois de chaperon et de dame decompagnieàsapetitesœur.Artemislaregardasoudaind’unautreœil.MllePicklewoodfiguraitdoncaunombredecesfemmesqui«remplissaient»lamaisonduduc.

-Ilm'aaidéeàrapporterleverredepunchdestinéàPenelope.

-Hmm.

-MademoisellePicklewood,jenecroispasavoirjamaissucommentvousvousétiezretrouvéeàvivreavecleducetladyPhoebe?

-Celaremonteàlamortdeleursparents.

Artemisfronçalessourcils.

-Ahoui?Jen'aipasgardédesouvenirsdecetévénement.

-Vous étiez trop jeune.C’était en1721.Hero avait huit ans etPhoeben’était encorequ'unbébé.Quandj'aiapprisledrame,j'aicomprisquejedevaisaidercespauvresenfants.Vouscomprenez,nileducniMary-lamèredeMaxime-n’avaientdefrèresoudesœursencorevivants.Àmonarrivée,j'aitrouvélamaisonenpleinchaos.Lesdomestiquesétaientsouslechocetdésemparés.Jemesuisoccupéedes filleset j'aiaidéMaximedemonmieuxà régler lesproblèmesdesuccession.Mais ilétaitdéjàtrèstêtu!Auboutd'unmoment,iladécrétéqu'ilétaitlenouveauducetqu’iln’avaitbesoinnid'unenounounid'unegouvernante.C'étaitunpeubrutaldesapart,maisaprèstout,ilavaitperdusesparentsetl'épreuveavaitététerrible.

-Voilàquiexpliquebiendeschoses,commentaArtemisentournantlesyeuxversleduc.

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MllePicklewoodavaitsuiviladirectiondesonregard.

-Eneffet,acquiesça-t-elle.

Lesdeuxfemmesgardèrentunmomentlesilence.

PuisMllePicklewoodlâchatoutàtrac:

-Maisnenousplaignonspas.Nousavonsplutôtunebellevie,malgrétout.

Artemisbattitdespaupières,perdue.

-Malgrétout?

-Bienqu’étantdépendantesdelagénérositédenotrefamille,expliquaMllePicklewoodavecunedouceurquirendaitsesproposencorepluscruels.Nousn’auronspeut-êtrejamaisd'enfants,maisdumoins sommes-nous assurées de vivre dans des conditions décentes. Tout est bien qui finit bien,conclut-elleentapotantlegenoud'Artemis.

Artemisnepouvaitserésoudreàcequesavieserésumeàsipeu.Ellesefigea,soudainenproieàuneenviefollederepousserlamaindeMllePicklewood.Deseleveretdehurler.Des'enfuirdelasalledebalencourant.

Maisbiensûr,ellenefitriendetoutcela.EllesecontentadehocherlatêteetdeproposeràMllePicklewoodunautreverredepunch.

1.Personnificationfémininedel’Empirebritannique.(N.d.T.)

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3

Unjourqu'ilchassaitsousunsoleildeplomb,leroiHerladécouvritunepetiteclairièreombragéeaubordd'unétang.Ildescenditdechevalets'agenouillasurlabergepoursedésaltérer.Ilvitalorsseformeruneétrangeimageàlasurfacedel'eau:celled'unpetithommechevauchantunbouc.

«Bonjour,puissantroideGrande-Bretagne»,luiditlepetithomme.

«Quiêtes-vous?»demandaHerla.

«JesuisleroidesNains,luiréponditlepetithomme,etj'aimeraisvousproposerunmarché.»

Artemis émergea lentement du sommeil. Elle avait rêvé d'une forêt fraîche et tranquille danslaquelleellemarchaitpiedsnus,lamousseetlesfeuillesmortesétouffantlebruitdesespas.Unchiende chasse ou peut-êtremêmeplusieurs la suivaient, lui tenant compagnie.Le souffle court, elle sedirigeait vers une clairière. Il y avait là quelque chose, quelque créature qui n’était pas censée s’ytrouver...

Quelqu’unétaitdanssachambre.

Artemissepétrifiaettenditl’oreille.ÀBrightmoreHouse,sachambresetrouvaitàl’arrièredelademeure.Elle étaitpetite,mais confortable.Àpart la servantequimontait ranimer le feu lematin,personnenevenaitjamaisladéranger.Etlequelqu’unqu'elleavaitentendun'étaitpaslaservante.

Maispeut-êtreétait-ellevictimedesonimagination.Sonrêvedemeuraitétonnammentvivacedanssonesprit.

Elle ouvrit les yeux.À la lueur du clair de lune filtrant par la fenêtre, elle reconnut les ombresfamilières:lachaiseàcôtédulit,lavieillecommodeprèsdelafenêtre,lapetitecheminée...

Uneombrebougeaàgauchedelacheminée,setransformaenunehautesilhouettedontlatêteétaitdéforméeparunchapeaumouetunnezprotubérant.LeFantômedeSaint-Giles.

La rumeur prétendait qu’il violait et pillait mais, bizarrement, Artemis n’avait pas peur. Elleressentaitmêmeunecertaineexaltation.Peut-êtreétait-elleencoreentrainderêver.

Mieuxvalaittoutefoiss’enassurer.

-Êtes-vous venum’enlever ? s’enquit-elle dans unmurmure, sans avoir pourtant consciemmentpenséàbaisserlavoix.Sic'estlecas,ajouta-t-elle,j’espèrequevousmelaisserezaumoinsprendreunchâle.

L'hommericanaets’approchadelacommode.

-Pourquoivosappartementssetrouvent-ilsàl’écartdeceuxréservésàlafamille?demanda-t-ilàvoixtoutaussibasse.

Iln'avaitpasditunmot,l’autrefois,dansSaint-Giles.EtArtemisnes'attendaitvraimentpasqu’ilengagelaconversationcesoir.Curieuse,elleseredressaenpositionassise.

Lefeuétaitéteintetilfaisaitfroid.Ellerefermalesbrasautourdesesjambesrepliées.

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-Machambre.

Quoiqu'ilfîtdevantsacommode,ils'immobilisaettournalatête,luioffrantsonprofilmenaçant.

-Pardon?

Artemishaussalesépaules.

-Mes«appartements»selimitentacettechambre.

Ilreportasonattentionsurl'armoire.

-Alors,c'estquevousêtesunedomestique.

Il parlait toujours très bas, ce qui rendait ses intonations plus difficiles à interpréter, pourtant,Artemisauraitjuréqu'ilcherchaitàlaprovoquer.

-JesuislacousinedeladyPenelope,répondit-elle.Enfin,audeuxièmedegré.

-Danscecas,pourquoivousont-ilsinstalléeàl’écart?

Ils’accroupitetouvritletiroirdubas.

-Vousn'avezjamaisentenduparlerdesparentespauvres?répliquaArtemis,quitordaitlecoupourtenterdevoircequ'ilfaisait.

Apparemment,ilfarfouillaitdanssesbas.

-VousêtesbienloindeSaint-Gilescesoir.

Ilgrommelaetouvritunautretiroir.

Artemiss'éclaircitlavoix.

-Merci,dit-elle.

Ilsefigea,maisdemeurapenchésurletiroir.

-Mercidequoi?

-Vousm’avezsauvélavie, l’autrenuit.Ouaumoins,mavertu.Etcelledemacousine.J'ignorepourquoivousêtesvenuànotresecours,maismerci.

Ilsetournaverselle.

-Pourquoi je suisvenuàvotresecours?Maisparcequevousétiezendanger !N’importequelhommeauraitréagiainsi,non?

Elleeutunsouriretriste.

-Pasquejesache,non.

Ilyeutunsilence,puis:

-Danscecas,jesuisdésolépourvous.

Leplusétrange,c'étaitqu'ilsemblaitsincère.

-Pourquoifaites-vouscela?insista-t-elle.

-Fairequoi?répliqua-t-ilavantdes’attaquerauderniertiroir.

C'était celui renfermant ses quelques affaires personnelles : des lettres d'Apollonqui dataient du

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temps où il était en pension, uneminiature représentant leur père, des boucles d'oreilles àmoitiécasséesayantappartenuàsamère.Riend'intéressantsinonpourelle-même.Sansdouteaurait-elledûêtreoutréequ’uninconnuytouche,maiscomparéauxautresoutragessubisaucoursdesavie,celui-ciluiapparaissaitsansimportance.

LeFantômesursauta.

-Ilyalàdeuxpommesetunmorceaudepain.Nevousnourrissent-ilsdoncpasàvotrefaim,quevousdeviezvolerdelanourriture?

Artemisseraidit.

-Cen'estpaspourmoi.Etjenel'aipasvolé-enfin,pasvraiment.Lacuisinièreestaucourant.

Il marmonna de nouveau, puis poursuivit sa fouille. Sesmouvements étaient à la fois précis etétrangementgracieux.

-Pourquoivousdéguisez-vousenArlequinetpourquoihantez-vouslesruesdeSaint-Giles?repritArtemis.Vousdevezsavoirquebeaucoupdegensvousprennentpourunvioleuret...

-Jenelesuispas,coupa-t-ilenrefermantletiroir.

Il inspecta ensuite la chambre du regard. Ses années de traque dans Saint-Giles avaient-ellesdéveloppé sa vision nocturne ? Artemis avait du mal à distinguer les objets qui l'entouraient etpourtantc'étaitsachambre.

LeFantômesedirigeaversunearmoire.

-Jenemesuisjamaisattaquéàunefemme,ajouta-t-ilenouvrantlaporte.

-Avez-voustué?

Ils’immobilisa,puis:

-Uneoudeuxfois.Maisc’étaitmérité,croyez-moi.

Artemislecroyaitvolontiers.Saint-Gilesn’étaitpasunrepèredebonnesâmes.Lamisère,l'alcooletledésespoirpoussaientseshabitantsauxpiresextrémités.Elleavaitludanslejournalquelesvolset lescrimesyétaientmonnaiecourante.Etquedesfamillesmouraientdefaim.LeFantômedevaitavoird’excellentes raisonspours’aventurernuitaprèsnuitdansun telendroit,carArtemisdoutaitfortqu’illefîtuniquementpourleplaisirouparaudace.

Maisaprèstout,quesavait-elledecethomme?

-VousdevezbeaucoupaimerSaint-Giles,risqua-t-elle.

Iléclataderireetpivotapourluifaireface.

-Vousvousméprenez.Jenelefaiscertainementpasparamour.

-Pourtant,leshabitantsdeSaint-Gilessontlesseulsàbénéficierdevos...

Elle s’interrompit, cherchant un mot pour qualifier l'activité du Fantôme. Hobby, Devoir ?Obsession?

-Devotre travail, lâcha-t-elle finalement.Si, commevous leprétendez,vousnevousenprenezqu’àceuxquileméritent,alorsleshabitantsdeSaint-Gilesquin'ontrienàsereprocherdoiventvousensavoirgré.

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- Savoir quelles conséquences mes actes ont sur eux m’indiffère, répliqua-t-il en refermantl'armoire.

-Personnellement,ilnem'estpasindifférentdesavoirquevousm'avezsauvélavie.

Ilscrutaitdenouveaulachambreduregard.Maisilnerestaitplusgrand-choseàinventorier:lemanteaudelacheminéeetlatabledechevet.Nil’unnil'autrenecachaientquoiquecesoit.

-Pourquoivousintéressez-vousautantamon«travail»,commevousdites?

Ilsemblaitirrité.

-Jenesaispas,avouaArtemis.Lanouveauté,peut-être...Jen’aipassouventl'occasiondeparleravecungentleman.

- Vous êtes la cousine de lady Penelope et sa dame de compagnie. Avec toutes les réceptionsauxquellesvousassistez,vousavezpourtantl’occasionderencontrerdesgentlemenplussouventqu'àvotretour.

-Lesrencontrer,oui.Maisavoirunevraieconversation?

Ellesecoualatête.

-Lesgentlemenn’ont aucune raisondediscuter avecune femmecommemoi.Sauf si, bien sûr,leursintentionsn’ontriend’honorable.

Ilsursautadenouveau.

-Vousavezdéjàétéaccostéepardeshommes?

-Quoid'étonnantàcela?Mapositionmerendvulnérable.Lesplusfortscherchenttoujoursàs'enprendreauxplusfaibles.Maisjevousrassure:celanem'estpasarrivésouvent.Etj'aitoujoursréussiàmedéfendre.

-Vousn’êtespasfaible,déclara-t-ild'untondéfinitif.

Artemisenfutflattée.

-Beaucoupdoiventpenserlecontraire.

-Ilsonttort.

Ils s’observèrent un long moment, chacun cherchant visiblement à jauger l'autre. Artemisdécouvraitqu'iln'étaitpasdutoutl’hommequ'elleavaitimaginé,àsupposerqu'elleaitprislapeinedes’interrogersurunhommedéguiséenArlequin.Ildonnaitl’impressiondevraimentl'écouter,etcela ne lui était pas arrivé depuis une éternité. «Enfin, sauf avec le duc deWakefield hier soir »,rectifia-t-elleensilence.

Quoiqu’ilensoit, leFantômeavaitcomprisbeaucoupdechoses laconcernant,etenun lapsdetempsincroyablementcourt.

-Que cherchez-vous ? demanda-t-elle abruptement.C'est très grossier de la part d'ungentlemand'entrersanspermissiondanslachambred'unedame.

-Jenesuispasungentleman.

-Vraiment?Jejureraislecontraire.

Artemisavaitparlésansréfléchir,etleregrettaimmédiatement.Enuninstant,leFantômefutprès

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desonlit.Ilétaitgrand,viril,dangereux,etlajeunefemmesesouvinttoutàcoupdelacréaturedesonrêve:untigre.Dansuneforêtanglaise.Ellefaillitéclaterderiretantl’imageétaitabsurde.

LeFantômesepenchasurelleetplaqualespoingsdechaquecôtédeseshanches,l'emprisonnantdesesbras.Artemisavalasasalive.Ellesentaitlachaleurdesoncorps.Ellesentaitmêmesonodeur:unmélangedecuiretdesueurmasculine.Elleauraitdûenéprouverdudégoût.

Or,cefuttoutlecontrairequiseproduisit.

Ilapprochasonvisagedusien,siprèsqu’ellevoyaitluiresesprunelles.

-Vousavezquelquechosequim'appartient,dit-il.

Artemis demeura parfaitement immobile, respirant l'air qu’il expirait, comme s’ils étaient deuxtendresamis.

Il inclina davantage le visage. Artemis ferma les yeux. L'espace d’une seconde, elle crut sentirquelquechoseluieffleurerleslèvres.

Puisunbruitdepassefitentendredanslecouloir.

Artemisrouvritlesyeux.LeFantômeavaitdisparu.

Quelques secondesplus tard,Sally, la servantedévolueà l'entretiendecettepartiede lamaison,pénétraitdanslachambreavecunseaudecharbon.EllesursautaentrouvantArtemisassisedanssonlit.

-Oh,vousêtesdéjàréveillée,mademoiselle!Voulez-vousquejevousfassemonterduthé?

Artemissecoualatête.

-Non,merci,Sally.Jedescendraileboiretoutàl'heure.Noussommesrentréestardhiersoir.

Sallys'affairaitdéjàdevantl’âtre.

- Pour sûr ! s’exclama-t-elle.Blackbourne a dit quemilady n’était rentrée qu’après 2 heures dumatin.Etqu’elleétaitd'excellentehumeur.Oh,maisvotrefenêtreestouverte!

Elleseprécipitapourlafermer.

-Brrr!Ilfaitfrais,cematin.

Artemiss’inquiéta.Sachambresetrouvaitaudeuxièmeétageetiln'yavaitnitreillisnivignepourfaciliterl'escaladedelafaçade.PourvuqueleFantômenesesoitpasécrasédanslejardin...

-Ceseratout,mademoiselle?

Lefeucrépitaitdansl’âtreetSallyétaitdéjààlaporte.

-Oui,merci.

Artemisattenditqueladomestiqueaitrefermélebattantderrièreelleavantdesortirlapetitechaînedesoussachemisedenuit.Ellelaportaitenpermanence,carellenesavaitpasquoifairedufameuxpendentifvertoffertparApollonpoursesquinzeans.Elleavaitlongtempscruqu'ilnes'agissaitqued'unesimplepâtedeverrecolorée,maislorsque,quelquesmoisplustôt,elleavaitvoululevendreafin d’aider son frère, elle avait appris, stupéfaite, que la pierre était en réalité une émeraudevéritable. La situation ne manquait pas d’une certaine ironie : le bijou valait beaucoup plus cherqu'elle ne l’avait espéré, mais elle se trouvait désormais dans l’impossibilité de le vendre sanssusciterdesquestionsquantàsaprovenance.Desquestionsauxquelleselleétaitbiensûrincapablede

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répondre.ElleignoraittotalementcommentApollonavaitpuacheterunbijouaussicoûteux.

Depuisquatremois, elleportait donc l'émeraudeà soncou.Et laveille, elle lui avait adjointunautrebijou:lachevalièreduFantôme.

Elleauraitdûlaluirendre,biensûr,carelleavaitdetouteévidenceunegrandeimportanceàsesyeux.Maisellen'avaitpaspurésisteràl’enviedelagarderencoreunpeu.

Artemis l’examina une fois de plus. La pierre avait autrefois arboré des armoiries gravées ouquelque insigne, mais le temps les avait effacées et il n’en restait plus que quelques tracesindéchiffrables.L’orquisertissaitlapierres’étaitpatinéavecl'âgeetl'anneauétaituséàl’intérieuràforced’avoir été porté, preuvesque cebijou, comme la famille à laquelle il appartenait, était fortancien.

Soudain,Artemisfronça lessourcils.Comment leFantômeavait-ilsuqu'elledétenaitsabague?Ellen’enavaitparléàpersonned'autrequeWakefield.Uncourtinstant,ellesereprésentaleducenArlequin.

Non,c’étaitabsurde.LeFantômeavaitprobablementdûserendrecompte,troptard,quesabagueétaitrestéedanslamaind'Artemis.

Avecunsoupir,elleglissasachaînesoussachemisedenuit.Ilétaitgrandtempsdeselever.

AccroupisurletoitdeBrightmoreHouse,MaximeluttaitpournepasretournerdanslachambredeMlleGreaves.Iln'avaitpasretrouvésabague-labaguedesonpère-etilétaitévidemmentmûparledésirde la récupérer.Mais iln'yavaitpasquecela. IlavaitaussienviedeparlerencoreavecMlleGreaves.Delaregarderaufonddesyeuxpourtenterdecomprendrecequilarendaitsiforte.

Maisc'étaitdelafolie.Renonçantàl'appeldelasirène,Maximeseredressapoursautersurletoitdelamaisonvoisine.BrightmoreHousesetrouvaitdanslenouveauquartierdeGrosvenorSquare,dont les demeures en pierre blanche se pressaient autour d'une petite place avec un jardin. PourMaxime, ce fut un jeu d’enfant de bondir d'un toit à un autre, de se laisser glisser le long d'unegouttière,deremonterlaruellequipassaitàl'arrièredesdemeuresavantdegrimperdenouveausurlestoits.

L'aubenetarderaitplusàseleveretlesruescommenceraientdes'animer,maislesgenslevaientrarementlatête.

Mlle Greaves avait-elle mis la bague en gage ? Cette idée torturait Maxime. S'en était-elledébarrassée?L'avait-elleperduedanslesruesdeSaint-Giles?

Non, impossible. Au bal, elle avait déclaré l’avoir en sa possession. Mais Mlle Greaves étaitpauvre,celanefaisaitaucundoute.Revendreunebagueenorluipermettraitdes’offrircesuperfluquin’étaitpasdanssesmoyens.

Maximes'immobilisaaubordd'untoit,letempsdelaisserpasserdeuxouvriersdanslaruelleencontrebas.Puisilsautasurletoitd'enface.

Ilseréceptionnasansbruit,malgré ladistance. Ilsesouvenaitdesmainsdesonpère,desdoigtsforts,despoilsnoirssurledessus,desécorchures-carilavaitbeauêtreduc,ils’étaittoujoursservidesesmainssanssesoucierdesonrang.

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Ladernièrefoisqu'ilavaitvulesmainsdesonpère,ellesétaientcouvertesdesang.C'étaitcejour-làqu'ilavaitrécupérélachevalière.

Maxime se laissa glisser le long d’une autre gouttière et posa le pied dans une ruelle. Ses pasl'avaientramenédansSaint-Giles.Làoùc’étaitarrivé.

Àsagauche,l'enseigned'uncordonniergrinçaitauboutdesachaîne.Laportedel'échoppeétaitsibasse que les clients devaient courber la tête pour entrer. L’enseigne était récente, de même quel’échoppe,quiavaitremplacéunetaverneoùl'onvendaitautrefoisdugin.Àl'époque,lesbarriquesvides étaient entreposées directement dans la ruelle. Une fois, Maxime s’était cache derrière, etl'odeurduginl’avaitpoursuivitoutelanuit.Lorsqu’ilavaitadoptéledéguisementduFantôme,cettetaverneavaitétésapremièrecible.

Àsadroitesedressaitunimmeubleenbrique.Aufildesans,lesappartementsquilecomposaientn'avaientcesséd’êtreredécoupéspourenajouterd’autres,sibienqu'ilsn’étaientaujourd'huipasplusgrandsquedesclapiers.

Aumilieudelarue,larigoleétaitsipleined’immondicesqu'elledégageaitunepuanteurinfecte.

Lecielcommençaitderosiràl'est.Lesoleilnetarderaitpasàapparaîtreetavecluil'espoird’unjournouveaudanstouslesquartiersdeLondres.Saufici.

CelafaisaitlongtempsquetoutespoiravaitdésertéSaint-Giles.

MaximerepensaàlaquestiondeMlleGreaves.AimerSaint-Giles?Grandsdieux,non!

Ildétestaitcetendroit.

Unpetit cri étouffé luiparvintdepuis l'extrémitéde la ruelle.Maxime tourna la tête,maisnevitrien.Detoutefaçon,l'aubeétaittouteproche.Ildevaitsedépêcherderentreravantqu’onnelerepère.

Maislecriserépéta.Aiguetpresqueanimal,etpourtantindubitablementhumain.Maximeremontala ruelle à grands pas. Il aperçut une forme gisant sur le sol. Il s’approcha, se pencha. C'était unhomme-ungentlemanàenjugerparl'étoffedesaveste.Soncrânechauveétaitmaculédesang.Ilavaitprobablementperdusaperruque.

L’hommegémit,ouvritlesyeux.

-Oh,non!J'aidéjàétédévalisé!Jen'aiplusdebourse.

Savoixétaitpâteuse.Detouteévidence,ilavaitbu.

-Jenesuispaslàpourvousvoler,répliquaMaximeavecimpatience.Oùhabitez-vous?

Maisl’hommenel'écoutaitpas.Ils’étaitremisàgémir.

Maxime jeta un coupd’œil autour de lui.Les habitants deSaint-Giles commençaient à sortir dechezeuxpourvaqueràleursoccupations.Deuxhommespassèrentprèsd’euxendétournantlesyeux.Laplupartdesgensduquartieravaientsuffisammentdejugeotepourignorertoutcequi,deprèsoudeloin,semblaitdangereux.Enrevanche,troisgaminsetunchiens’étaientarrêtésàquelquedistanceetlesregardaient.

-Qu'est-cequevousfichezlà?leshouspillaunefemmeenjuperouge.

Les gamins voulurent s'enfuir, mais la femme fut plus rapide. Elle attrapa le plus grand parl’oreille.

-Qu'est-cequejet'aidit,Robie?Vamecherchercettetourtepourtonpère!

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Elle lui lâcha l'oreilleet les troisgaminss’empressèrentdedécamper.C’estalorsque la femmeaperçutMaximeetl'hommeblessé.

-Hévous,là!Laissez-letranquille!

Si menue soit-elle, elle était cependant assez courageuse pour lui tenir tête. Maxime ne puts’empêcherdel'admirer.

-Cen'estpasmoiquil’aiagressé,luidit-il.Pouvez-vouslereconduirechezlui?

-J'aimontravailquim'attend,moi!

Maximehochalatête.Puisilfouilladansl’unedespochesdesatuniqueetentiraunepièced'orqu’illançaàlafemme.

-Celadevraitvousdédommagerdevotretemps.

Lafemmeattrapalapièceauvoletl’examina.

-Oui,çaira.

-Parfait,ditMaxime,etilsepenchasurleblessé:Donnezvotreadresseàcettefemmeetellevousyconduira.

-Oh,merci,mabelledame!murmural’ivrogneàlafemmequilesavaitrejoints.

Ellelevalesyeuxauciel,maisluidemandaavecunegentillesseunpeubourrue:

-Qu'est-cequivousestdoncarrivé,monpauvremonsieur?

-JesuistombésurLucifer!Ilétaitarméd’unpistoletetm'ademandé:«labourseoumavie?»Jeluiaidonnémabourse,maiscedémonm’aquandmêmefrappé.

Maximesecoualatêteens'éloignant.Saint-Gilesavaitdécidémentledondestimulerl'imagination.Maisiln’avaitpasletempsd'écouterlesdétailsdel’histoire,carilfaisaitjouràprésent.Ilescaladalafaçadedel'immeubleleplusprocheetrepritsacoursedetoitsentoits.

Vingtminutesplustard,ilapercevaitWakefieldHouse.

Lorsqu’ilavaitcommencésacarrièredeFantômedeSaint-Giles,avecl'aidedeCraven,ilavaittrèsvite compris qu’il aurait besoin d'un accès secret à sa maison. C'est pourquoi, au lieu de sauterdirectementsurletoit,ilseglissadanslejardindederrière.Uneanciennefoliesedressaitauboutdelapelouse:uneconstructiontoutesimple,quiseréduisaitàunearchedepierrerecouvertedemoussesouslaquellesetrouvaitunbanc,enpierreluiaussi.Maximepoussadupiedlesfeuillesmortesquis'étaientaccumuléesprèsdubancetquicachaientunanneaumétalliquescellédansl’unedesdallesdupavement.Ilempoignal'anneauettira.Ladallebasculasursesgondsparfaitementhuilés,révélantunpuitspeuprofondquidonnaitdansuntunnel.Maximesautadanslepuitsetremitladalleenplace.Lesténèbresl’engloutirent.

Letunnelnemesuraitqu'unmètrecinquantedehaut, l'obligeantàsecourber.Ilétaitsiétroitquesesépaulesen frôlaient lesparois.De l'eaugouttaitduplafondvoûtéet formaitdespetites flaquesstagnantes au sol.Àmesurequ'il progressait,Maxime se sentait oppressé, son souffle s’accélérait.Plus que quelques pas, se rassura-t-il. Cela faisait des années qu'il utilisait ce tunnel presquequotidiennement.Ilauraitduêtrehabituéàsapuanteurhumide-etauxsouvenirsqu’elleluiévoquait.

Pourtant,ilneputs’empêcherdesoupirerdesoulagementquandildébouchaenfindanslacavequiluiservaitdesalled’exercice.Ilcherchaàtâtonslapetitesailliedanslemuroùétaientposésamadou

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etsilex.

Aumêmeinstant, laportes'ouvritetCravenapparut,unechandelleà lamain.Maximesoupiraànouveaudesoulagement.

Son valet s’avança à sa rencontre.Maxime ne lui avait jamais avoué ce qu’il ressentait dans letunnel,maisill’avaitsansdoutedevinécarilallumaittoujourspromptementlestorchesfichéesdanslemur.

-VotreGrâce,jesuisheureuxdeconstaterquevousêtesrevenuentier,avecàpeineunetachedesangsurvotretunique,commentaCraven.

Maximebaissalesyeuxsurlatache.

-Cen'estpasmonsang,maiscelled’ungentlemanquis’estfaitagresserdansSaint-Giles.

-Ah.Etvotreautremissiona-t-elleportésesfruits?

-Non,réponditMaxime,quiôtaitdéjàsatuniqued’Arlequinpourrevêtirunetenueplusordinaire.

Maisj’aiunemissionàteconfier.

-Jesuislàpourvousservir,assuraCravend'untonsolennelquiconfinaitàl’ironie.

Maximeétaitfatigué,aussinereleva-t-ilpasl’insolencedesonvalet.

-JeveuxqueturassemblestouteslesinformationsquetupourrasglanersurArtemisGreaves.

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4

«Quelmarchéas-tuentête?»demandaleroiHerla.

Lenainsourit.«Toutlemondesaitquevousêtesfiancéàunebelleprincesse.Ilsetrouvequejedoisaussimemarierbientôt.Sivousmefaitesl'honneurdemeconvieràvotrebanquetdemariage,jevousrendrailapareilleetvousinviteraiàmesnoces.»

Herla prit le temps de réfléchir. Car il n'ignorait pas que passer un pacte, même d’apparenceinnocente,avecunpersonnagemagiquen'étaitpasanodin.Maisnevoyantfinalementaucunemalicedanscetteinvitation,ilserralamaindunainetilsconvinrentd'assisteràleursnocesrespectives.

Trois joursplus tard,ArtemisGreavesdescenditde lavoituredesChadwicketdemeurabouchebée.PelhamHouse,larésidencedecampagnedesducsdeWakefielddepuisplusd'unsiècle,étaitlaplus vaste demeure qu'il lui ait été donné de contempler. L’immense façade était percée d'unemultitude de fenêtres. Deux avant-corps à colonnades se détachaient de chaque côté du bâtimentprincipal,embrassant lagrandealléecirculaire.Unportiquesoutenuparquatregrandescolonnesàchapiteauxioniquesdominaitleperron.PelhamHouseétaitàlafoismajestueuseetsévère.

Unpeucommesonpropriétaire.

Le duc deWakefield se tenait justement sous le portique, vêtu d'un costume bleu nuit et d’uneperruqueblanchequi ajoutaient à son allure austère et aristocratique.S'il était de toute évidence làpouraccueillirsesinvités,ilaffichaituneexpressionaussipeuamènequed’ordinaire.

-Vousavezvu,elleestlà!

LavoixdePenelope fit sursauterArtemis,qui faillit lâcherBonbon,sagementendormidanssesbras.JonglantaveclacouverturedeBonbonetlenécessairedesacousine,elledemanda:

-Quicela?

Troisautresvoituresétantarrêtéesdansl'allée,«elle»pouvaitêtren'importelaquelledesfemmesprésentes.

PourtantPeneloperouladesyeuxcommesiArtemisétaitsoudaindevenuestupide.

-Maiselle!HyppolytaRoyale.PourquoiWakefieldl'a-t-ilinvitée?

«VraisemblablementparcequeMlleRoyaleaétél'unedesfemmeslespluscélèbresdelasaisonprécédente»,songeaArtemis,maisellesegardabiendeledireàhautevoix-ellen’étaitpasstupide.EllesuivitleregarddePenelopeetvitlafemmeenquestiondescendredevoiture.Grandeetmince,lesyeuxaussinoirsquesescheveux,vêtued’unetenuedevoyagepourpreetor,ilétaitdifficiledenepas la remarquer.Elle était seule etArtemis se rendit soudain comptequ'ellene l’avait jamaisvueavecuneamie.Elleétaitpourtantd'unabordfacile-oudumoinslesemblait-elle,carArtemisneluiavait jamais été présentée -,mais ne se promenait jamais bras dessus bras dessous avec une autrefemme,negloussaitjamaisenéchangeantdesragots.Elleapparaissaitéternellementseule.

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-J'auraisdûamenerlecygne,déclaraPenelope.

Artemisréprimaunfrisson.

-Le...lecygne?

Penelopefitlamoue.

-Ilfautquejetrouveunmoyendedétournerl'attentionduducdecettefemme.

Artemiséprouvaunesoudainetendressepoursacousine.

-Vousêtesravissanteetvive,Penelope,dit-elle.Jen’imaginepasqu'unhommepuissenepasvousremarquer.

Elles'abstintdepréciserquemêmesielleavaitétélaide,elleauraitquandmêmeattirél'attentiondela plupart des hommes. Tout simplement parce qu'elle était l’une des héritières les plus fortunéesd'Angleterre.

Penelopebattitdescils;pourunpeu,elleauraitrosideconfusion.

MlleRoyaleleurmurmuraun«bonjour»alorsqu’ellepassaitdevantellespourgagnerleperron.

Penelopeétrécitlesyeuxd’unairdéterminé.

-Jenelaisseraipascetteparvenuemevolermonduc.

Sur ces mots, elle s’élança à l'assaut du perron, dans l'intention évidente d'atteindre le duc deWakefieldavantMlleRoyale.

Artemis soupira.Laquinzaineàvenir s’annonçait interminable.Au lieude sedirigerà son tourvers le portique, elle quitta l’allée pour déposer Bonbon sur la pelouse. Celui-ci s’étira, puiss'empressad'allerleverlapattecontrelepremierbuissonvenu.

-Ah,mademoiselleGreaves!

Artemis se retourna. Le duc de Scarborough se dirigeait vers elle, fringant dans son habitd’équitationécarlate.

-J'espèrequevousavezfaitbonvoyage?dit-il.

Unpeudéroutée,Artemis s’abîmadansuneprofonde révérence.Lesgentlemen, et a fortiori lesducs,luiadressaientrarementlaparole.

-Trèsbon,merci,VotreGrâce.Etvous-même?Leducaffichaunsourireravi.

-Figurez-vousquejesuisvenuàcheval.Mavoituresuivait!

Artemisneputs’empêcherd'esquisserunsourire.Leducétaitsijovial,etsicontentdelui.

-VousavezchevauchédepuisLondres?

-Maisoui!serengorgealeduc.J'adorel'exercice.Celam'aideàresterjeune.OùestladyPenelope?

-ElleestalléesaluerleducdeWakefield.

ArtemissepenchapourreprendreBonbondanssesbrasetlepetitchiensoupiracommes’illuienétaitreconnaissant.Quandelleseredressa,ellevitqueleducdeScarboroughavaitplissélesyeux.Ellesuivitsonregard.PenelopetendaitlamainàWakefield,unsourireradieuxauxlèvres.

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Scarboroughaccrochaleregardd’Artemisetretrouvasabonnehumeur.

-Lavien'estqu'unperpétueldéfi,commenta-t-il,philosophe,avantd'ajouter:Puis-jevousescorter?

Ilpritlenécessairedesmainsd'Artemisetluioffritsonbras.

-Pour tout vous avouer,mademoiselleGreaves, enchaîna-t-il, j’avais unebonne raisonde vousaborder.

-Vraiment,VotreGrâce?

-Oh,oui!Etjepensequevousêtesassezintelligentepouravoirdéjàdevinédequoiils'agit.Jemedemandaissivousnepourriezpasmedresserlalistedeschosesquevotrecousineaffectionneplusparticulièrement.

- Eh bien... commença Artemis, avec un regard en direction de Penelope qui riait à quelqueremarque faitepar leduc, alorsquecedernierne souriaitmêmepas.Elleaimeàpeuprès tout cequ'aimentlesladies:lesbijoux,lesfleursetlesbeauxobjetsdetoutessortes.

Artemishésitauninstant,puis:

-Beaux,maisaussitrèscoûteux.

LeducdeScarboroughhochavigoureusementlatêtecommesiellevenaitdeluiconfierungrandsecret.

-Trèsbien,dit-il.Très,trèsbien.Maisvoyez-vousautrechoseàajouter,mademoiselleGreaves?

Ilsapprochaientduportique.Suruneimpulsion,Artemissepenchaversleducpourluimurmurer:

-CequePenelopeadorepar-dessustout,c'estqu’onluiprêteattention.Uneattentionconstante.

LeducdeScarboroughlagratifiad'unclind’œil.

- Vous êtes merveilleuse, mademoiselle Greaves, eut-il le temps de répondre avant qu’ils negravissentlesmarchesduperron,oùPenelopesetenaittoujoursàcotéduducdeWakefield.

-VotreGrâce,ditcedernier.

Il inclina si peu la tête que son salut était presque insultant. Son regard glacial passa du duc àArtemis,etilpinçaleslèvres.

-BienvenueàPelhamHouse.

Iljetaàpeineuncoupd’œilàunvalettoutprocheetcelui-cis’avançad'unpas.

-Henryvavousmontrervoschambres.

- Merci, répondit le duc de Scarborough avec un grand sourire. Vous avez une jolie maison,Wakefield. En comparaison, ma propriété de Clareton ferait presque pâle figure. Mais j’y airécemmentadjointunsalondemusique,ajouta-t-il,avantdedemanderd'unairinnocent:JecroisquePelhamn’apasétérénovéedepuisl’époquedevotrepère?

SiWakefieldfutoffenséparcettecritiqueàpeinevoilée,iln'enmontrarien.

-Eneffet,Scarborough.Commevousdevezvousensouvenir,monpèreavaitfaitreconstruirelafaçadesud.

Artemistressaillit:ScarboroughavaitétélecontemporaindupèredeWakefield.Queressentaitce

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dernier en accueillant chez lui l'ancien ami de son père? S'interrogea-t-elle. Scarborough luirenvoyait-il l’image de ce que son père aurait pu être s’il avait vécu ? Mais Artemis avait beauexaminerWakefield,ilnetrahissaitriendesesémotions.

Scarboroughhochalatêteavecunsourireattendri.

- Oui. Il avait fait percer toutes ces fenêtres pour votre mère.Mary adorait le parc de PelhamHouse.

Artemiscrutvoirunmuscle tressaillirsous l’œilgauchedeWakefield.Saréaction,bizarrement,l'incitaàsemêleràlaconversation.

-Quelsinstrumentsavez-vousinstallésdansvotresalondemusique,VotreGrâce?

-Aucun.

Artemiscilla.

-Vousn'avezpasd’instrumentsdemusiquedansvotresalondemusique?

-Non.

- Dans ce cas, quel intérêt d'avoir un salon de musique? demanda Penelope, agacée. Sansinstrumentsdemusique,cen'enestplusun.

Scarboroughpritunairdéconfit-unpeutropdéconfit,selonArtemis.

-J’avouequejen'aipaseuletempsdepenseràcettequestion,machère.J'aiététellementoccupéàrecruterlemeilleurartisteitalienpourpeindrelesfresquesduplafond,àtrouverleplusbeaumarbrerose et à surveiller le travail des doreurs chargés de décorer les colonnes que j’en ai oublié lesinstrumentsdemusique.

LadyPenelopesetourna,presquecontresavolonté,versScarborough.

-Desdoreurs?

-Mafoi,oui,réponditScarborough.Jevoulaisquetousleschapiteauxdescolonnessoientdorésàla feuille d'or.Après tout, pourquoi se refuser quelques petits plaisirs ?L'économie et la frugalitésontassommantesàlalongue.

Penelopesemblaitmédusée.

-Je...

-Maismaintenantquevousavezfaitremarquer,trèsjustement,quesansinstrumentsdemusiquecen'estplusunsalondemusique,continuaScarborough,peut-êtrepourriez-vousmedonnervotreavis,milady?

Etprenantl’airderienlamaindePenelopepourl'accrocheràsonbras,ilajouta:

-Parexemple,jemesuislaissédirequelesclavecinsitaliensavaientunemeilleuresonorité,maisj’avouepréférerlesclavecinsfrançaisquejetrouveplusraffinés,mêmes’ilscoûtentprèsdudouble.Nepensez-vouspasque,parfois,lebongoûtdevraitl'emportersurl'art?

Sur ce, Scarborough entraîna Penelope à l'intérieur de la maison. Il procédait si adroitementqu’Artemissedemandasisacousineavaitconsciencedelamanœuvre.EllejetaunregardauducdeWakefield,s'attendantàlevoirfroncerlessourcilsàcespectacle.

Elleavaitraison.Ilfronçaitlessourcils.

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Maisenlaregardantelle.

Artemispritunebrèveinspiration.Ellesesentaitsoudainoppressée.Wakefieldlafixaitavecuneintensitégênante.Sonregard la troublaitd'autantplusqu'iln'était sévèrequ'enapparence. Ilyavaitautrechosedanssesprofondeurs...

-VotreGrâce,fitunevoix,etellefaillitsursauter.

D'autresinvitésarrivaient,quimonopolisèrentl'attentionduduc.Artemissedirigeavivementversl'entrée,maisalorsqu'ellepénétraitdanslevestibuledemarbre,ellesutcequ'elleavaitperçudanslesprunellesduduc.

Uneétincelledechaleur.

Ellefrissonna.Carcettedécouvertel’affolait.

Lelendemain,Artemisseréveillaavantl'aube.OnluiavaitoctroyéunechambrecontiguëàcelledePenelope,unpeupluspetitequecellede sacousine,maisbeaucoupplusvastequecellequ'elleoccupaitàBrightmoreHouse.

Celadit,toutétaitgrandàPelhamHouse.

Elle s'étira, se remémorant l'immense table de l’immense salle àmanger où ils avaient dîné laveille. Outre elle-même, Penelope, le duc de Scarborough etMlle Royale, il y avait lord et ladyNoakes,uncoupled'unecinquantained’années ;MmeJellett,unedamedelabonnesociétéconnuepoursonpenchantpour les ragots ;M.Barclay, laversionmasculinedeMmeJellett ; lordet ladyOddershaw,lordOddershawétantunalliépolitiqueduduc;etenfinM.Watts,unautrealliépolitiquedeWakefield.Artemis avait été heureuse de retrouver lady Phoebe etMlle Picklewood.Mais ladyPhoebes’étaitretiréedanssachambreaussitôtlerepasterminé.

Artemisselevaetrevêtitsarobedesergemarron.Penelopeneseréveilleraitpasavant10heures,elledisposaitdoncd'unpeudetempslibre.Ellevoulaitenprofiterpourselivreràuneactivitédontelleavaittrèsenvie.

Elleouvritdiscrètementsaporte.Àpartunefemmedechambrequis'éloignaitdanslecouloir,luitournant ledos, iln’yavaitpersonne.Artemisempoignases jupesetcourutsur lapointedespiedsjusqu’àl'escalierdederrière.Elleledescenditsansbruit.Nonpasqu'ellefîtquoiquecesoitdemal,maiselleaimaitl'idéedenepasêtrevue.Cequiluiévitaitd’avoiràsejustifierquantàsesalléesetvenues.

Parvenueaubasdel’escalier,ellesedirigeaversl’unedesportesdontellesavaitqu'elleouvraitsurlaterrasse.Elleessayalapoignée:laporten'étaitpasverrouillée.

Entendantsoudaindespas,Artemisouvritvivementlaporte,sortitets’immobilisa.Parlafenêtre,ellevitunvaletpasserdanslecouloir.Dèsqu’ileutdisparu,elledescenditlesmarchesdelaterrassepourgagnerlejardin.

Lejourselevaitàpeine.Artemisempruntaunealléegravillonnéeencadréedehaiesparfaitementtaillées.Elleneportaitnichapeaunigants,cequiconstituaitunegraveentorseàl'étiquette.Uneladynes'aventuraitjamaisdehorssanscesaccessoiresdepeurquelesoleilnelaissesonempreintesursapeaulaiteuse-mêmesi,enl'occurrence,lesoleilétaitàpeinevisible.

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Mais,aprèstout,Artemisn’avaitjamaisvraimentétéunelady.

L'alléedébouchaitsurunevastepelouse.Impulsivement,Artemissedébarrassadeseschaussuresetdesesbas,puiss’élançapiedsnusdansl'herbe.

Elleétait toutessoufflée,maiselle souriaitdebonheurquandelleatteignit lesgrandsarbresquibordaientlapelouse.Celafaisaitsilongtempsqu'ellen’avaitpasétéàlacampagne!

Etqu'ellenes'étaitsentiesitotalementelle-même.

LecomtedeBrightmorepossédaitbiensurunerésidencesecondaire,maisilnes’yrendaitjamais,pas plus que Penelope. Tous deux aimaient trop la ville. Si bien qu'Artemis n'avait pas été à lacampagnedepuisdesannées.Ellen'avaitpaseul'occasiondecourirpiedsnusdansl'herbedepuis...

Enfait,depuisqu’elleavaitétéobligéedequitterlamaisondesonenfance.

Elle s'empressa de chasser ces sombres souvenirs de son esprit. Elle ne voulait pas gâcher sonplaisir. Le jour était tout à fait levé, à présent, le paysage baignait dans une lumière d'une puretécristalline.Elles’aventurasous lesarbresd’unpasprudent.Ellen’avaitpasmarchépiedsnusdansuneforêtdepuistantd'années,laplantedesespiedsétaitredevenuetendre.

Ici,cen’étaitpasvraimentuneforêt,biensûr.Plutôtunboisdomestique,entretenuàprixd'orpardesjardiniersquiluigardaientàdesseinunairfaussementsauvage.Maiselles'encontenterait.Lesoiseauxétaientdéjàréveillésetlançaientdestrillesau-dessusdesatêteUnécureuilescaladauntroncd'arbre,s’arrêtantquelquesinstantspourlafusillerduregard.

Artemisauraitvolontiersjetésesvêtementsauxortiespoursefondredansceboisetéchapperpourtoujoursàlacivilisationetàlasociété.Ellen'yretourneraitjamais,n’auraitplusàs'inclinerdevantceuxquilaconsidéraientcommeuneinférieureoularegardaientsanslavoir,commesiellefaisaitpartiedudécor,aumêmetitrequeleschaisesoulepapierpeint.

Elleseraitenfinlibre.

Maisalors,quis’occuperaitd’Apollon?Quiluirendraitvisite,luiapporteraitdelanourriture,luiraconterait des histoires qui l’empêcheraient de basculer vraiment dans la folie ? Il pourrirait àBedlam,oubliédetous,etellenepouvaits’yrésoudre.Elleaimaittropsonfrère.

Quelquechosebougeadanslesbuissons,unpeuplusloin.Artemissefigea,puisseplaquacontreuntroncd'arbre.Nonpasqu’elleeûtpeur,maisellevoulaitprofiterencoreunpeudesasolitude.

Elleentendithaleter.Etseretrouvaentourépardeschiens.Deuxlévriers,etunépagneulquiagitaitvigoureusement la queue. Pendant quelques instants, Artemis et les trois chiens se jaugèrentmutuellementduregard.Puiselleregardaautourd’elle,maisnevitpersonne.Àcroirequeleschiensétaientpartisd’eux-mêmesenpromenade.

Artemistenditlamain.

-Auriez-vousfaussécompagnieàvotremaître?

L'épagneul lui renifla les doigts, la gueule ouverte comme s'il souriait. Artemis lui caressa lecrâne.Aussitôt,lesdeuxlévrierss’approchèrentpourenréclamerautant.

Obligeante, Artemis les caressa à leur tour, et reprit sa promenade. Les chiens l’imitèrent, laprécédantoutrottantàsescôtés.

Elleallaitauhasardlorsquesoudainlesarbresseclairsemèrent,puislaissèrentlaplaceàunétang

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dont les eaux reflétaient le soleilmatinal.Un petit pont rustique enjambait l’une des extrémités del'étang; ilmenait à une tour en ruine,œuvre présumaArtemis des jardiniers qui avaient conçu ceparc.

Les deux lévriers se précipitèrent au bord de l’étang pour y boire, tandis que l’épagneul entraitcarrémentdansl’eaupoursedésaltérersansavoiràtropsepencher.

Artemiss’arrêtaàlalimitedesarbresetinspiraàfond.

Unsifflementbrisalesilence.

Les trois chiens relevèrent la tête d’unmêmemouvement. Le plus grand des lévriers piqua endirectiondupont.L'autrelesuivit.L’épagneuljaillitdelamare,sesecouaavecvigueuravantdeleuremboîterlepasenaboyant.

Artemis repéraunesilhouettede l'autrecôtédupont :unhommeportantdesbottesuséesetunevieille veste. Il était grand, avait des épaules larges et se déplaçait avec une souplesse féline. Unchapeaumouluicouvraitlatête,dissimulantàdemisonvisage.Artemisretintsonsouffle,médusée,enlereconnaissant.

Puisl'hommefranchitlepont,unrayondesoleill'éclaira,etelles'aperçutqu'elles'étaittrompée.

Ils'agissaitduducdeWakefield.

Dès qu'il vit Mlle Greaves qui se tenait à la limite des arbres, telle une dryade soupçonneuse,Maximepensa:«Naturellement.»Quelleautreladyseraitdeboutàpareilleheure?Etquelleautreladyauraitsuffisammentintéresséseschienspourlesinciteràluifaussercompagnie?

Lestroisdéserteurscouraientjustementversluicommes'ilsvoulaientluiprésenterleurnouvelleamie. Belle et Starling lui tournèrent autour, tandis que Percy posait ses pattes boueuses sur sescuisses.

-Traîtres,murmuraMaxime.

Puisilreportasonattentiondel’autrecôtédel'étang.Ils'attendaitplusoumoinsqueMlleGreavesaitdisparu,maiselleétaittoujourslà,etelleleregardait.

-Bonjour,luilança-t-il.

Il se dirigea vers elle à pas comptés, comme il l’aurait fait avec quelque créature sauvagequ’ilcraignaitd'effrayer.MaisMlleGreavesnecillamêmepas.

Enfait,ellesemblaitplutôtintriguée.

-VotreGrâce,lesalua-t-elle.

Percyinterprétasonsalutcommeuneinvitation.Ilcourutverselle,sansdoutedansl’intentiondesejetersursesjupes.

-Couché!luiordonnaMlleGreaves,l’airsévère.

Percy se laissa tomber à ses pieds et la contempla avec adoration. Maxime adressa un regardexaspéréàl'épagneul,puispivotapourmarcherlelongdelaberge.MlleGreavesl’imita.

-Avez-vousbiendormi?s'enquit-il.

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-Trèsbien,VotreGrâce.

-Parfait.

Ilhochalatête,nevoyantpasquoidired’autre.

D’ordinaire, ildétestait avoirde lacompagniedurant sespromenadesmatinales,mais,pouruneraison inconnue, la présencedeMlleGreaves avait quelque chose... d’apaisant. Il en était là de sesréflexions lorsqu'il s’aperçut qu’elle était pieds nus. Un spectacle aussi inconvenant aurait dû luiinspirerdudédain,voireuncertaindégoût.

Orcefutl'inversequ'ilressentit.

-Est-cevousquil’avezfaitconstruire?demanda-t-elleendésignantlatourenruine.

-Non,c'estmonpère.MamèreavaitvuunbâtimentsemblableenItalieetellevoulaituneruineromantiquedansleparc.Monpèreneluirefusaitrien.

Elleleregardaaveccuriosité,sanscesserdemarcher.

-Nouspassionsbeaucoupdetempsiciquandilsétaientencoreenvie,reprit-il.

-Maisplusdepuis?

Maximeserralesdents.

-Non.CousineBathildapréféraitLondrespourélevermessœurs,et j'aiestiméquemaplacedechefdefamilleétaitauprèsd’elles.

-Pardonnez-moi,maisn'étiez-vouspasencoreunenfant,quandvosparentssontmorts?

-Vousvoulezdirequandilsontététués?rectifia-t-ild’unevoixrauque.

Artemiss'immobilisa.

-Pardon?

Maxime baissa un instant les yeux. La vision des orteils nus de la jeune femme recourbés dansl'herbeavaitquelquechosed'étrangementérotique.

Ilrelevalesyeux.

-MesparentsontétéassassinésdansSaint-Gilesilyadix-neufans,mademoiselleGreaves.

Elleluiépargnalesplatitudesdecirconstance.

-Quelâgeaviez-vous?

-Quatorzeans.

-C'estunpeujeunepourseretrouverchefdefamille,observa-t-elle,avecunetellegentillessequelecœurdeMaximeseserra.

-Çanel’estpasquandonestducdeWakefield,répliqua-t-ilsèchement.

Personneàl’époquenes’étaitinquiétéqu'ilfûttropjeune,pasmêmesacousineBathilda.

-Vousdeviezêtreunjeunegarçontrèsdéterminé.

Iln'yavaitrienàrépondreàcela,etilsreprirentleurpromenadeensilence.

Les lévriers couraient devant, tandis que Percy amusait la galerie en donnant la chasse à une

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grenouille.

-Comments'appellent-ils?demandaArtemis,désignantleschiensdumenton.

-VoilàBelle,réponditleduc,pointantdudoigtleplusgranddeslévriers,aupoilfauve.L'autreestsafille,Starling.Etl’épagneuls’appellePercy.

Lajeunefemmehochalatêteavecgravité.

-Cesontdebonsnomspourdeschiens.

Ilhaussalesépaules.

-C'estPhoebequilesachoisis.

-J'aiétécontentedelaretrouverici.Elleaimetellementlesévénementsmondains.

Maximeluiglissaunregardoblique.Elleavaiteubeaus’exprimerd’untonneutre,ilavaitsentiunreprochesous-jacentdanssonpropos.

-Elleestaveugle-oupresque.Jenevoudraispasquequiconqueluifassedumal,physiquementouémotionnellement.Phoebeesttrèsvulnérable.

-Elleestpeut-êtreaveugle,VotreGrâce,maisjelacroisbeaucoupplusfortequevousnelepensez.

Maximeregardaauloin.Quiétait-ellepourluidirecomments’occuperdesasœur?Phoebeavaitàpeinevingtans.

-Ilyadeuxans,elleesttombéeparcequ’ellen’avaitpasvuunemarche.Elles’estcassélebras,mademoiselleGreaves.Vousmetrouvezpeut-être tropprotecteur,mais jepuisvousassurerque jen’aiquesonintérêtàl'esprit.

Ellegardalesilence,maisMaximedoutaitfortqu'elleaitchangéd'avissurlesujet.Ilfronçalessourcils,vaguementirrité.Ilregrettaitpresquesarépliqueglaciale.

Latoursedressaitmaintenantdevanteux.Ilss'arrêtèrentpourl'admirer.

-EllemefaitpenseràlatourdeRaiponce1,déclaraMlleGreaves.

Maximehaussaunsourcil.

-J'imaginaislatourdeRaiponcebeaucoupplushaute.

La jeune femmerenversa la tête,offrant son longcoupâleausoleilmatinal.Uneveinepalpitaitdélicatementàlabase.

Maximedétournalesyeux.

- En tout cas, reprit-il, celle-ci ne serait pas difficile à escalader pour un homme en bonneconditionphysique.

Elleleregarda,etilcrutvoiruneamorcedesourireaucoindeseslèvres.

-Dois-jeenconclure,VotreGrâce,quevousseriezprêtàl'escaladerpoursauverunedemoiselleendétresse?

Ilserraleslèvres

-Non.Jefaisaisjusteremarquerquec'étaitpossible.

Percyavaitréussiàattraperlagrenouille.IldéposasoncadavreauxpiedsdeMlleGreavesavant

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des'asseoirfièrementàcôtédesaprise,commes'ilattendaitdesfélicitations.

Elleluicaressadistraitementlecrâne.

-VousabandonneriezdonccettepauvreRaiponceàsonsort?

-Siunedemoiselleétaitassezstupidepourselaisserenfermerdansunetour,j'enfonceraislaporteetjegraviraislesescalierspouralleràsarescousse,répliqua-t-il,pince-sans-rire.

-VousoubliezquelatourdeRaiponcen'avaitpasdeporte,VotreGrâce.

Ilécartalagrenouilled’uncoupdepied.

-Danscecas,jeseraisforcéd’escaladerlemur.

-Maiscelanevousplairaitcertespas,murmura-t-elle.

Maxime la regarda brièvement. Pourquoi diable insistait-elle pour qu'il se conduise en hérosromantique?Ellen’avaitpourtantriend'unegamineimmature.

-Detoutefaçon,cen'estpas la tourdeRaiponce,mais la tourde lafillede laLune, lâcha-t-ilàbrûle-pourpoint.

-Pardon?

Maximeseraclalagorge.Qu’est-cequ’illuiavaitprisdeluidirecela?

-Mamèreprétendaitquec'étaitlatourdelafilledelaLune.

Elleluijetaunregardintrigué.

-Jesupposequ’ilyaunehistoirederrièrecenom.

Maximehaussalesépaules.

-Oui,ellemel'aracontéequandj'étaistrèsjeune.UnsorcierétaittombéamoureuxdelafilledelaLune.Alors,ilconstruisitunegrandetourpourserapprocherd'elleets'emmuradedans.

-Et?lepressa-t-elle.

Maximehaussalessourcils.

-Etquoi?

Elleécarquillalesyeux.

-Commentl’histoires’est-elleterminée?Lesorciera-t-ilgagnélecœurdelafilledelaLune?

-Biensûrquenon,répliqua-t-ilavecimpatience.Ellehabitaitsurlalune, ilnepouvaitdoncpasl'atteindre.J'imaginequ'ilafiniparmourirdefaim.Ouqu'ilesttombéduhautdesatour.

Ellesoupira.

-C'estl'histoirelamoinsromantiquequej'aiejamaisentendue.

- Ce n'était pasma préférée, jugea utile de préciserMaxime, presque sur la défensive. J'aimaisdavantagecellesoùilétaitquestiondetueursgéants.

-Hmmfit-elle.Pouvons-nousentreràl’intérieur?

En guise de réponse, il se dirigea vers une porte voûtée, dépourvue de battant, mais en partiemasquéepardesronces.Illesécartaàmainsnues,puisfitsigneàArtemisd'approcher.

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Ellejetaaupassageuncoupd’œilsursesmainségratignées,maisnefitaucuncommentaire.

Laportevoûtéedonnaitsurunescalieràspirale.Lajeunefemmerelevalégèrementsesjupespourlegravir.Maximeeutletempsd'apercevoirunboutdechevillenue.Puisleschienslebousculèrentpourlasuivre.

Illesimita.

L'escalierdébouchaitsurunepetiteplate-forme.MaximerejoignitMlleGreavesprèsdumurbas,crénelécommedanslesanciennesforteressesmédiévales.

MlleGreavesyposalesmains,brastendus,etsepenchaunpeuenavant.Latourn’étaitpastrèshaute -àpeinequatremètres -,maiselleoffraitune jolievue sur l’étanget leboisqui l'entourait.Bellesedressasursespattesarrièrepourregarderelleaussi,tandisquePercy,troppetitpourvoirquoiquecesoit,allaitetvenaitengeignant.UnepetitebriseagitaitlesmècheséchappéesduchignondeMlleGreaves,etMaximeneputs’empêcherdelacompareràunefiguredeproue-fière,unpeusauvage,etprêtepourl’aventure.

Sauf que c’était une comparaison absurde, et qu’il ne comprenait pas pourquoi ses penséess’égaraientainsi.

-Queldrôled’endroit,dit-elleauboutd’unmoment,commesielleseparlaitàelle-même.

Maximehaussalesépaules.

-C’estunefolie.

Elletournalatêteverslui.

-Votrepèreaimait-illesdivertissements?

-Non,passpécialement.

Ellehochalatête

-Maisilaimaitbeaucoupvotremère,n'est-cepas?

Maximeretintsonsouffle,commesiledramedeleurdisparitionvenaitd'avoirlieu.

-Oui.

-Vousavezeudelachance.

Peudegensauraientl'idéed’employercemotàsonsujet.

-Pourquoi?

Ellefermalesyeuxetoffritsonvisageàlacaressedusoleil.

-Monpèreétaitfou.

Maxime était au courant. Craven lui avait fait son rapport la veille au soir. Feu le vicomteKilbourneavaitétérejetéparsonproprepère,lecomted'Ashridge,etparlerestedelafamille.Nonseulementils’étaitruinédansdesinvestissementsinsensés,maisildéliraitenpublic.

Maximesavaitqu'ilauraitdûsemontrercompatissant,maislesplatitudespoliesn’étaientpassonfort.Etpuis,MlleGreavesavaitdonné l’exempleen luiépargnant lesapitoiementsdecirconstancelorsqu’ilsavaientévoquél'assassinatdesesparents.

Il n’empêche, il était ému à l’idée qu’elle ait pu se retrouver, petite fille, à la merci d'un père

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imprévisible.

-Aviez-vouspeurdelui?

Ellerouvritlesyeuxetleregardaavecétonnement.

-Non.Engénéral,toutlemondetrouvesafamilleparfaitementnormale,vousnecroyezpas?

Maximenes’étaitjamaisposélaquestion.Peut-êtreparcequelesducs,paressence,n’étaientpasassimilésàdesgens«normaux».

-Quevoulez-vousdire?

Ellehaussalesépaules,offritdenouveausonvisageausoleil.

-Jepensaisque tout lemondeavaitunpapaquirestaitparfoiséveillé toute lanuitàrédigerdesécritsphilosophiquesqu’ilbrûlaitaumatindansunaccèsderage.Cen'estquelorsquej'aiétéassezgrandepourm'apercevoirquetouslespèresneseconduisaientpascommelemienquej'aicompriscequ'ilenétait.

Maximeavalasasalive.Bizarrement,lerécitdelajeunefemmel'avaitperturbé.

-Etvotremère?

-Mamèreétaitinvalide,répondit-elled'unevoixdénuéed’émotion.Jelesaitrèsrarementvusdanslamêmepièce.

-Vousavezunfrère,ditMaxime,pourlatester.

Sonvisages’assombritlégèrement.

-Oui,monjumeau,Apollon.IlestàBedlam.

Ellesetournaversluietleregardadroitdanslesyeux.

-Mais vous le savezdéjà, ajouta-t-elle.Mon frère jouit d’une certainenotoriété.Et vous êtes legenred’hommeàvouloirtoutsavoirsurlafamilled’uneépousepotentielle.

Maximen’avaitpasderaisond’avoirhonte,aussinechercha-t-ilpasànier-maisneconfirmapasnonplus-qu’ilavaitenquêtésurelleenmêmetempsquesurladyPenelope.Ilsecontentadesoutenirsonregardetattendit.

Lajeunefemmesoupiraets'écartadumurcrénelé.

-LadyPenelopenevapastarderàmeréclamer.

Maxime la suivit dans l'escalier. Il avait une vue plongeante sur sa nuque gracile tandis qu'ellebaissaitlatêtepourvoiroùelleposaitlepied.IlseraitsuprêmementidiotpourleducdeWakefielddecourtiserlacousinedelafemmequ’ilenvisageaitd'épouser.Etpourtant,pourlapremièrefoisdesavie,Maximeavaitenviedelaisserparlerl’hommeplutôtqueletitre.

1.ContedesfrèresGrimm.Raiponceestenferméedansunetourdénuéedeporte,maisgrâceasanattelonguedeplusieursmètres,sonfiancépeutsehisserjusqu’àellepourlasecourir.(N.d.T.)

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5

Le roi Herla se maria deux semaines plus tard. En grande pompe. Une centaine de hérautssonnaient trompette depuis les remparts de la citadelle tandis qu’une cohorte de jeunes danseusesprécédait la procession. Le festin qui suivit entra dans la légende. Des princes et des rois étaientaccourusdesquatrecoinsdelaterrepourassisterauxnoces,maisaucunn'étaitcomparableauroidesNains.Ilarrivaavecsasuitevêtued'atoursenchanteursetchevauchantdeschèvres.Ilapportaitencadeaudemariageunegrandecorned'or,rempliederubisetd'émeraudes.

Artemis s’était résignée depuis longtemps à son sort. Elle n'était qu'une dame de compagniesoumiseauxcapricesdesacousine.Saviene luiappartenaitplusvraiment.Et l'existencedontelleavaitpurêverlorsqu'ellen’étaitencorequ’unetoutejeunefilleétaitdéfinitivementhorsdeportée.

C’étaitainsi.

CelaneservaitdoncàrienderegarderleducdeWakefieldglisserlamaindePenelopeaucreuxdesonbrasavantde l'escorterhorsde lasalleàmanger,où ilsvenaientdedéjeuner. Ils formaientunbeaucouple.Pourtant,Artemisneputs’empêcherdesedemandersi,unefoismarié,leducconfieraitàsafemmequ'ilaimaitsepromenerdanslesboisàl'aube.Ets'illuiraconteraitl'histoiredelafilledelaLune.

Elle baissa les yeux. Des pensées aussimesquines - pour ne pas dire empreintes d'une certainejalousie-n’étaientpaspourunefemmecommeelle.

-Jesuistellementcontentequevoussoyezvenue!s'exclamaladyPhoebe,latirantdesespensées.

Glissantsonbrassouslesien,elleajouta,àvoixbasse:

-LesinvitésdeMaximesontdetellesantiquités!

Artemis tourna lesyeuxvers sacompagnealorsqu'ellesquittaientà leur tour la salleàmanger.Phoebeavaittirésescheveuxchâtainclairenarrière,dégageantsondouxvisagerond,etsarobebleucielmettaitenvaleursesjouesrosesetsesgrandsyeuxbruns.SiPhoebeavaiteuledroitdefairesonentréedanslemonde,Artemisétaitconvaincuequ’elleseraitdevenuel'unedesjeunesfilleslesplusrecherchéesdelabonnesociété-moinspoursonphysique,quepoursoncaractère.IlétaitimpossibledenepasaimerPhoebeBatten.

Hélas, Phoebe avait été frappée aussi durement qu'Artemis par le destin ! Sa quasi-cécité l'avaittenue à l’écart des bals et autres divertissements qu'une jeune personne de son rang fréquentaitd'ordinaire.

Parfois, Artemis se demandait si Phoebe acceptait son sort avec autant de résignation qu’elle-même.

- Penelope est davantage de votre âge quemoi, répondit-elle, alors qu’elles approchaient de laterrasse, la plupart des invités ayant décrété qu’une petite promenade digestive s'imposait. Faitesattentionàlamarche.

Phoebehochalatêtepourlaremercieretposalepiedsurlamarcheavecprécaution.

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-Certes,maisPenelopenecomptepasvraiment,n’est-cepas?

Artemis lagratifiad’unregardamusé.D'ordinaire,c’étaitellequ’onconsidéraitcommequantiténégligeable,passacousine.

-Quevoulez-vousdire?

Phoebeluiserralebrasetlevalevisageverslesoleil.

-Elleestgentille,maisellenes’intéressepasàmoi.

-Cen'estpasvrai,protestaArtemis.

Phoebelagratifiad’unregardentendu,quicontrastaitavecsonvisageencoreenfantin.

-Ellenemeprêteattentionque lorsqu'ellepenseque jepourrais luiêtreutiledanssacampagnepourgagnerlecœurdeMaxime.

Iln'yavaitpasgrand-choseàrépliquer,carc’étaitlatristevérité.

-Danscecas,elleestplusstupidequejenepensais,déclaracependantArtemis.

Phoebesourit.

-Voilàpourquoijesuissiheureusequevoussoyezlà.

-Attention.Nousarrivonsauxmarchesquidescendentaujardin.

-Mmm.Jesensdéjàlesroses.

Phoebe tourna la tête vers unmassif de roses à quelquesmètres d'elles.À l'inverse du reste dujardin,où toutétait tailléaucordeau, les rosespoussaient librement.Ellesauraientétédavantageàleurplacedevantuncottage,maisPhoeben'enavaitcure,elleseréjouissaitdehumerleurparfum.

-Vousnevoyezriendutout?murmuraArtemis.

Laquestionétaitsiintimequ’elleenétaitpresquegrossière,maisPhoebenes'enoffusquapas.

-Jevoislecieletl'herbe,répondit-elle.Jedistingueaussilasilhouettedecebuissonderoses.Maispas les fleurs.Et, bien sûr, je voismieux à la lumière.Et deprès.Par exemple, ajouta-t-elle en setournantversArtemis,jemerendscomptequevousfroncezlessourcils.

Artemiss'empressad'afficherunsourire.

-Jesuisheureusedel'apprendre.Jecraignaisquevousn’ayezperdudavantage.

-Lanuitetàl’intérieur,jenevoispratiquementplusrien,confessaPhoebed’untonneutre.

Artemisémitunpetitbruitdegorgepoursignifierqu'elleavaitentendu.Aprèssonescapadedanslesboisdecematin, elleprenaitmaintenantplaisir à secontenterdesalléesgravillonnéesduparcchaufféesparlesoleil.Etbiensûr,elleportaitcettefoisgantsetchapeau.

Unpetitrirecristallinleurparvint.

-OndiraitladyPenelope,murmuraPhoebe.

- C'est elle, confirma Artemis en apercevant Penelope au bras de Wakefield. Elle semble biens'entendreavecvotrefrère.

-Vraiment?fitladyPhoebe.

Artemislaregarda,intriguée.Phoebeavaitfaitsavoir,àuneépoque,qu’elleneconsidéraitpaslady

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Penelope comme un bon choix pour son frèremais elle n'avait bien sûr pas sonmot à dire dansl’affaire.Craignait-ellededevoirquitterlamaisonduducs’ilépousaitPenelope?

-VoilàMllePicklewood,annonçaArtemis.ElleestavecMmeJellett.

-Ah,Phoebe!s’exclamaMllePicklewood.J'étaisjustemententraind’expliqueràMmeJellettquec'esttoiquiavaislahautemainsurcejardin.

Phoebesourit.

-Jemecontentedeveilleràsonentretien.C'estmèrequil'avaitconçu.

-Alorselleavaitdesdonsd'artiste,commentaMmeJellett.Et jevousenviededisposerd'un telespace.Notremaisondecampagnenepossèdequ'un toutpetit jardin.Maispouvez-vousmedire lenomdecetteravissantefleur?Jenecroispasenavoirjamaisvudepareille.

Phoebesepenchasurlafleurenquestionpourlahumer,avantdedéclinersonnomcommunetsonnomsavant, sonorigine et comment elle s’était retrouvée àPelhamHouse.Artemis étaitmédusée.Elleignoraitqu’elleavaitdetellesconnaissancesenhorticulture.

Toutàcoup,unetruffehumidevintsefrottercontresamain.MllePicklewoods’esclaffa.

-IlsembleraitquePercysesoitentichédevous,mademoiselleGreaves.D'habitude,ilnequittepasMaximed'unesemelle.

Artemis baissa les yeux pour caresser l’épagneul. Elle fut surprise de découvrir Bonbon à sescotés, touthaletantetfrétillant.Relevantlesyeux,ellevitqueleducetPenelopesedirigeaientversl’autreboutdujardin.

-OùestMignon?s’enquit-elle.

MllePicklewoodindiquaunbuissonsouslequelreniflaitsonpetitépagneul.

-Mignonn'estpascommeBonbon.Iln'aimepaslesgroschiens.

Artemiss'accroupitpourcaresserBonbon.

-Celafaisaituneéternitéquejenel’avaispasvuaussiactif,avoua-t-elle.

-IlfautquejemontrecesfleursàladyNoakes,décrétaMmeJellett.Elleadorejardiner,maiselleenararementlesmoyens.Sonmarijoue,figurez-vous,ajouta-t-elleàvoixbasse.

MllePicklewoodsecoualatête

-Lejeuestmortel,dit-elle.Avez-vousentenducettehistoireausujetdelordPepperman,madameJellett?

-Non!

Phoebeémitunpetitgrognement.

- Si vous voulez bien nous excuser, cousine Bathilda, Artemis voulait que je lui montre lesabricotiers.

Artemispritdocilementlebrasdesonamieetattenditqu'ellessoienthorsdeportéed’oreillepourdemander:

-Lesabricotiers?

- Tout le monde s'intéresse aux abricotiers. En outre, je ne me sentais pas la force d'écouter

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l'histoiredelordPeppermanpourlaénièmefois.

Il y eut un sifflement aigu.Percy, qui trottinait à côté des deux femmes, leva la tête, soudain enalerte,avantdeseruervers leducdeWakefield.Bonbontricotadesespetitespattespourrattrapersonnouvelami.

Artemis suivitdesyeux lesdeuxchienset se surprit à fixer leduc.Cedernier regardaitdans sadirection,etmêmeàcettedistance,sonattitudeétait impérieuse,commes’ilexigeaitquelquechosed'elle.

Artemisfutprised'unétrangevertige.

PuisPenelopetiraleducparlamanche.Ilsetournaverselleetluisourit.

UngrandfroidenvahitalorsArtemis.

Phoebeluidonnaunpetitcoupdecoudedanslescôtes.

-J'aipenséàquelquechose.

-Ahoui?répondit-elledistraitement.

WakefieldetPenelopes’étaientarrêtésauprèsdelordetdeladyOddershaw,etArtemisvitleducseraidir.IlsemblaitagacéparcequedisaitlordOddershaw.

-Neserait-cepasunebonneidéequetouteslesdamesduComitédesoutienàl'orphelinatdeSaint-GilesserendentunsoirauxFoliesHarte,pouryvoirunepiècedethéâtre?

Artemissetournaverssacompagne.

-Celamesembleuneexcellenteidée,eneffet.Penelopeviendravolontiers,moinspourlapiècedethéâtrequeparcequ'elleadorelessortiesmondaines.

Phoebeeutunsourireentendu.

-Vous seriezévidemment invitée.Après tout,vous faitespartieducomité,puisquevousassistezauxréunionsavecPenelope.

-Sansdoute,acquiesçaArtemis,avecunemoueironique.

Enréalité,elleneferaitjamaisvraimentpartieduComitédesoutienàl'orphelinatdeSaint-Giles,l'argentétantlaconditionpréalablepourendevenirmembre.

-Oh,dites-moiquevousviendrez!insistaladyPhoebeenluiétreignantlebras.IlsdonnentLaNuitdesrois,avecRobinGoodfellowdanslerôledeViola.Jel'adore!

-Biensûrquejeviendrai,larassuraArtemis.

-Alors,c'estuneaffaireentendue,conclut ladyPhoebe. Jedemanderaiauxautresdamessiellespeuventégalementvenir.

Artemis ne put retenir un sourire tant la joie de Phoebe était contagieuse. Elles avaient presqueatteintl’unedesextrémitésdujardin,làoùunbancdepierreétaitadosséaumur.Unefemmeyétaitassise;ellesemblaitperduedanssespensées.

-J’aientendudirequeMlleRoyaleétaitunerichehéritière,murmuraArtemisimpulsivement.

Phoebefronçalessourcils.EllenevoyaitpasoùArtemisvoulaitenvenir.

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-Oui?

-LeComitédesoutienn'estpasferméquejesache.Ilrestetoujoursdelaplacepourdenouveauxmembres,n’est-cepas?

-Maisoui!acquiesçaPhoebe.

Artemisluitapotalebras.

-EtnousapprochonsjustementdeMlleRoyale,ajouta-t-elleenélevantlavoix.

Entendantsonnom,cettedernièretournalatêtedansleurdirection.

-Bonjour,lança-t-elled'unevoixgrave,l'airméfiant.

Phoebeluisouritinnocemment.

-Appréciez-vouslejardin,mademoiselleRoyale?

-Oui,beaucoup,milady.Euh...Voulez-vousvousjoindreàmoi?

Soninvitationvenaitunpeutardivement,Phoebes'étantdéjàassiseàsagauche,tandisqu’Artemiss’installaitàsadroite.

-Merci,réponditcependantPhoebe.J'étaisentraindedireàMlleGreavesquej’espéraisquelesdamesduComitédesoutienàl'orphelinatdeSaint-GilespourraientsejoindreàmoipourunesoiréeauxFoliesHartequandnousseronsderetouràLondres.

MlleRoyalebattitdespaupières.

-JenecroispasavoirjamaisentenduparlerdeceComitédesoutien,avança-t-ellepoliment.

Phoebeécarquillalesyeux.

-Vraiment?

Artemisseretintdes’esclaffer.MaisdéjàPhoebevantaitletravailaccompliparl’orphelinatauprèsdesenfantslesplusdéshéritésdeSaint-Giles.Toutenl'écoutant,Artemisrisquauncoupd’œilducôtéduducdeWakefield.IlétaittoujoursencompagniedeladyPenelope,delordetdeladyOddershaw,maissemblaitenproieàuneirritationgrandissante.

QuediableavaitbienpuluidirelordOddershaw?

Maxime émergea de son sommeil, hanté par l'image de tresses ensanglantées qui brillaientsinistrementauclairdelune.IlavaitdébattuavecOddershawjusqu’àplusde2heuresdumatin.Peuluiimportaitquelapolitiques’invitedanslespartiesdecampagnequ'ilorganisait,maisiln’avaitpasaimélafaçoninsistanteaveclaquelleOddershawavaitmislaquestionsurle tapisaucoursdeleurpromenadeavecladyPenelope.Bienquevantardetgrossier,celui-ciétaitunalliédepoidsdans leprojetdeMaximepourfairevoterunnouveautextedeloiréprimantplussévèrementladistillationetlecommercedugin.D'oùcetinterminabledébat.

Maximese leva, s'habilla, enfila sesbottes et savieillevesteet sortitpar l’arrièrede lamaison.Bien que levé un peu plus tard que de coutume, il ne croisa que quelques domestiques qui secontentèrentdelesaluersilencieusement.

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Lematinétaitleseulmomentquin'étaitréservéqu’àlui-même.

Il gagna les écuries.D'ordinaire, les chiens l'attendaient devant la porte, impatients de partir enpromenade.Maiscematin,lacourétaitdéserte.

Fronçantlessourcils,Maximepritladirectiondubois.

Lesoleilétaitdéjàhautdans lecielquand ilatteignit l'extrémitéde lapelouse.Lapénombrequirégnait sous le couvert des arbres l’obligea à s’arrêter un instant. Il ferma les yeux.Quand il lesrouvrit, elleapparutdevant lui, telleunedéesseantique.Elle se tenait aumilieudesarbrescommes'ilsluiappartenaient.Leschiensl'entouraient.

Ce fut bien sûr Percy qui rompit le charme le premier. Il bondit vers Maxime tout boueux etsurexcité.Unpetitchiendontlepelageavaitdûêtreblancàl’originesurgitdederrièrelesjupesdelajeunefemmeetrejoignitPercyenaboyantfurieusement.

-Vousêtesenretard,aujourd'hui,VotreGrâce,observaMlleGreaves,commesiellel'attendait.

C'étaitbiensûrunehypothèseabsurde.

- J'ai discuté une partie de la nuit avec lordOddershaw, dit-il, et désignant le petit chien qui luireniflaitàprésentleschevilles,ildemanda:C'estlechiendeladyPenelope?

Maximenesesouvenaitpasdel'avoirjamaisvuaussisale.Niaussiactif.

-Oui,acquiesçaMlleGreaves.

Ilssemirentàmarcherdeconserve,commesic’étaitlachoselaplusnaturelledumonde.

-Dequoiavez-vousparlé,aveclordOddershaw?voulut-ellesavoir.

Maximelaregarda.Elleportaitsonéternellerobemarron.Ilserappelaalorsquesagarde-robeselimitaitàtroisrobes,deuxpourlejouretunepourlessoirées.

-Nousavonsparlépolitique.Jedoutequecelavousintéresse.

-Pourquoi?

Ilserembrunit

-Pourquoiquoi?

-Pourquoilapolitiquenem’intéresserait-ellepas,VotreGrâce?

Son ton était on ne peut plus poli, pourtantMaxime eut le sentiment qu’elle semoquait de lui.Résultat,ilrépliquaavecunecertainebrusquerie:

-Nousavonsdiscutédecanaux.Ainsiqued’uneloiquejesouhaitefairepasserpouréradiquerlecommercedugindanslesclassespopulairesdelacapitale.Vousadmettrezquecesontlàdessujetspassionnants.

Elleneréagitpasàlaprovocation.

-Quelrapportentrelescanauxetlecommercedugin?

-Aucun.

Ilramassaunboutdebois,qu'illançapourPercy.L'épagneulfilacommeuneflèche,suividuchiendePenelope.Apparemment,cesdeux-làétaientinséparables.

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- Sinon, reprit-il, qu'Oddershaw veut que j'appuie sa demande d'ouverture d'un canal dans leYorkshirequiserviraitsesintérêtsminiersavantdem'apportersonsoutiendansmoncombatcontrelecommercedugin.

-Etvousêtescontrelepercementdececanal?

Ellelevasesjupespourfranchirunesouched'arbreetMaximeconstataqu'elleétaitencorepiedsnus.

-Cen'estpascela,répondit-il.

Lescomplexitésdespolitiquesparlementairesétaienttellesqu’iln'aimaitpasendiscuteravecdesfemmesoudeshommesquines’intéressaientpasparticulièrementàlapolitique.Lesdossiersétaientparfoissiimbriquésentreeuxqu'ilétaitdifficiled'enexpliquerlessubtilités.

Cependant,MlleGreavesluijetaunregardimpatient.

-C’estquoi,alors?demanda-t-elle.

Maximesesurpritàsourire.

-C'est le troisième dossier d'ouverture de canal que proposeOddershaw. Il utilise le Parlementpourseremplirlespoches.Jesaisquelaplupartdesgenssouhaitentvoirvoterdesdispositionsquilesavantagent,maisOddershawsemontreplutôtexcessif.

-Donc,vousnel’appuierezpas?

-Si.Parcequej'aibesoindesavoix.Et,plusimportantencore,decellesdesespartisans.

Lajeunefemmes’arrêtapourluifaireface.

-Pourquoi?demanda-t-elle, lefrontplissécommesiellecherchaitréellementàcomprendrelesmécanismesdelapolitique.

Oupeut-êtrevoulait-ellesavoircequ'ilpensait.

-VousavezétédansSaint-Giles,commençaMaxime.Vousyavezvu ladésolation, les... ravagescausésparlegin.

Ils'approchad'ellespontanément.

-Certainesfemmessontprêtesàvendreleurbébépourunegorgéedegin.Etdeshommesvolentettuentpourunebouteille.Leginestunelèprequifiniraparréduirelavilleànéantsisaprogressionn'estpasenrayée.Cettemauditeboissondoit êtrecombattueavec lamêmevigueurqu’unemaladiecontagieuse.

Ils'interrompit,conscientquesontondevenaitpartropvéhément.

-Vouscomprenez?conclut-ilpluscalmement.

-Jevoisquelesujetvouspassionne.

Ilreculad’unpas.

-C'estmontravail-mondevoirentantquemembreduParlementdemepassionnerpourcesujet.

-Apparemment,cen'estpaslecasdetoutlemonde-lordOddershaw,parexemple.Pourquoivoussouciez-vousàcepointdeSaint-Giles?ajouta-t-elleenledévisageant.

Maximefaillitricaner.SesoucierdeSaint-Giles?Neluiavait-ilpasdéjàexpliquéqu'ildétestaitce

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quartier?

Ileutsoudainl'impressionqu’onluiversaitunbaquetd'eaufroidesurlatête.Non.IlneluiavaitjamaisparlédeSaint-Giles-dumoinspasentantqueducdeWakefield.

Cetteconversation,MlleGreavesl'avaiteueavecleFantôme.

Carrantlesépaules,Maximeseremitenmarche.

-Vousvousméprenez,mademoiselleGreaves.C'estduginetdesoncommercedontjemesoucie.Pasdel'endroitoùilalieu.Àprésent,sivousvoulezbienm'excuser,jedoisallermechangerpourprendrelepetitdéjeuneravecmesinvités.

Ilsifflaseschiensets'éloigna.

Cetteentrevuel'avaitconvaincud’unechose:MlleGreavesétaitdangereuse.

Cetaprès-midi-là,comme laveille,ArtemisetPhoebesepromenèrentbrasdessus,brasdessousdansleparcdePelhamHouse.Ledéjeuneravaitétéassommant.Artemiss'étaitretrouvéeassiseàcôtédeM.Watts,quin'aimaitrientantquedonnersonavissurtoutetn'importequoi.

-Quefont-ils?s'enquitPhoebeentournantlesyeuxverslagrandepelouse.

Artemissuivitsonregard.Lesinvitéss’étaientregroupésaucentre.

-Votrefrèreaparlédejeux,toutàl'heure.Jecroisquecesmessieursontl'intentiondedémontrerleurhabiletéàl'épée.

Tandis qu'elles se dirigeaient à leur tour vers la pelouse, Artemis décrivit la scène à Phoebe.Plusieursvaletsétaientprésents.Certainsportaientdesépéesdedifférentestaillestandisqued'autresdisposaientdeschaisespourlesdamesquisouhaitaientassisteràladémonstration.

Phoebesoupira.

- Ces faux duels sont ennuyeux à mourir. À moins, bien sûr, qu’un combattant blesse parinadvertancesonadversaire.

-Phoebe!serécriaArtemis,médusée.

CommentPhoebepouvait-elleapparaîtreaussiinnocenteetnourrirdespenséesaussisanglantes?

-Voussavezquej'airaison,s’entêtalajeunefille.Nousallonsdevoirfeindred’admirerleseffortsdecesmessieurspourparaîtredangereux.

Le sourire qu'Artemis esquissait se figea lorsqu’elle vit Wakefield avancer une chaise pourPenelopeetl'aideràs'asseoir.Auxanges,sacousinelegratifiad’unsourireéblouissant.Serappelantsonexpressionpresqueférocelorsqu'illuiavaitdécritleseffetsdésastreuxduginsurlapopulationde Saint-Giles, elle se demanda s'il ne révélait sa passion qu’au Parlement, car pour l'heure, ilarborait unmasquepoli.Non, songea-t-elle, elle ne l’imaginait pas tomber lemasque - pasmêmedanslefeud'unediscussionpolitique.

-Qui commence ? demanda Phoebe, alors qu'elles s'asseyaient deux rangs derrière Penelope etWakefield.

Artemisdétournalesyeuxduduc.N'avait-ellepasdéjàdécidéqu'ilvalaitmieuxnepass’intéresser

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àcethomme?

-LordNoakesetM.Barclay,répondit-elle.

-Vraiment?J'ignoraisqu’enmatièred'exercicesphysiques,M.Barclayétaitcapablededavantagequedehausserlessourcils.

Artemiss'esclaffadiscrètementetobservalesduellistes.Detaillemoyenne,LordNoakesavaitunebonnecinquantained’années,etquasimentpasdeventre.M.Barclayavaitbienvingtansdemoinsquelui,maisilnesemblaitpasenaussibonneconditionphysique.Ilsemblaittoutefoisprendrel’affairetrèsausérieux.

- Il vient d’ôter sa veste, et il fait à présent desmoulinets avec son épée, expliquaArtemis à sacompagne.Oh,monDieu!

-Quoi?demandaPhoebe.Qu'ya-t-il?

Assise devant elles, Mme Jellett semblait tendre l’oreille, comme si elle cherchait à épier leurconversation.ArtemissepenchaversPhoebepourluimurmureràl'oreille:

-M.Barclayafaillitrancherlenezd'unvaletavecsalame.

Phoebeneputs’empêcherdegloussercommeunecollégienne.Sonfrèrejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.Son regardcroisaceluid’Artemis - ilétait siglacialqu'elleeut l'impressiondeplonger lamaindans laneige.IlseposaensuitesurPhoebeetsonexpressionseradoucit.Artemisn'enrevenaitpas.Danslesbois,ilsparaissaientpresqueamis,maisici,enpublic,c’estàpeinesileducsemblaitlaconnaître.

Lesduellistesengagèrentleshostilités.

L'affrontement fut sanssurprise.Tous lesgentlemenapprenaientdès leurplus jeuneâge l’artduduel, qui tenait plus de la danse, tant il fallait y mettre d'élégance et de grâce, que du combatproprement dit. Artemis savait qu'il existait à Londres des écoles où ces messieurs pouvaient seperfectionner et entretenir leur forme. Tous s’entraînaient plus oumoins régulièrement et tous sedéplaçaientaveclamêmefluidité.MaisArtemisnepouvaitpass’empêcherdecomparercesfigures,quiportaientprobablementdejolisnomsfrançais,aveclesredoutablescoupsdelameduFantômedeSaint-Giles.Lesdeuxduellistesenfaced'ellenetiendraientpasuneminutecontreluiet,bizarrement,cetteidéel’emplissaitd’allégresse.

Elleauraitdûavoirhontedenourrirdetellespensées.Maisellen’yparvenaitpas.

Leduel se terminaparuncoupportécourtoisement sur legiletbrodéde lordNoakes, justeau-dessusducœur.

Phoebebâilladiscrètementderrièresamain,tandisqu’Artemisluirelataitl'épilogue.

LordOddershawetM.Wattsprirentlarelève.ArtemisobservaitlanuquedeWakefield.IlécoutaitpolimentlebavardagedePenelopeetsemontraitattentif,maiselleavaitdumalàcroirequ'ilpuissetrouverlaconversationdesacousinedigned’intérêt.

Réprimant une grimace, Artemis détourna les yeux. Elle se montrait terriblement acerbe cesdernierstemps.Siellecontinuaitainsiellesepréparaitunevieillessepénible.

-Voilàquiestintéressant,murmuraPhoebe.

Artemissursauta.

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-Quoidonc?

-Vousavezbienditquec'étaitleducdeScarboroughquisetenaitdevantMaximeetPenelope?

Elleindiquad'unsignedetêtelevieilhommequis’étaitinclinésurlamaindePenelope.

-Iln’estpashabituéàcela,souffla-t-elle.

-Quoi?fitArtemis,quiregardalascèneavantdesetournerversPhoebe:Qui?

-Maxime, réponditPhoebeavecunsourireaffectueuxqu’il étaitdifficilede relieràcet icebergautoritaire qu'étaitWakefield.Mon frère n’a jamais de rivaux. Quand il veut quelque chose, il secontentedel’indiqueretlesautress’empressentdeleluiobtenir.

Artemis sourit en imaginant famille, amis et domestiquesduduc s’agitant et se bousculant poursatisfairesesmoindrescaprices.

Aumêmeinstant,commes'ilavaitsentiqu'ilétaitl'objetdesonamusement,Wakefieldseretourna.

Artemisinspiraungrandcoupetsoutintsonregard.

PenelopeposalamainsurlamanchedeWakefieldetilsedétourna.

Baissantlesyeux,Artemiss’aperçutquesesmainstremblaient.Ellelescroisadanssongiron.

-Croyez-vousvraimentqueScarboroughpuisseseposerenrivaldevotrefrère?

- Eh bien... commença Phoebe, qui réfléchit quelques instants avant de poursuivre : Dans descirconstancesordinaires,jenedonneraispascherdeseschances.Maximeestjeune,séduisant,richeetpuissant.Sanscompterqu’ilpossèdeuncharmeirrésistible-vousnetrouvezpas?

Oh,quesi!

-Mais, enchaînaPhoebe, le ducdeScarborough semble réellement entichédePenelope.Et celapourraitfairetouteladifférence.

Artemisfronçalessourcils.

-Quevoulez-vousdire?

- Scarborough tient à Penelope.Maxime, pas vraiment.Oh, je suis sûre qu’il prendra goût à lacompétition ! Mais s’il perd, il se cherchera une autre héritière. Au fond, lady Penelope n’a pasd'importanceà sesyeux.Etellepourrait finirpar lecomprendre.Sivousétiezà saplace,vousnechoisiriezpaslapassion-mêmeassortiedunombredesannées-plutôtquel’indifférence?

-Si,biensûr,réponditArtemissansavoiràseposerlaquestion.

Quellefemmenedésiraitpasqu’ons’intéresseàelle-réellementàelle?SiPenelopemettaitsesdeuxsoupirantsenbalanceaveccetteidéeàl'esprit,Scarboroughgagneraithautlamain,malgrésonâge.Wakefieldn'auraitaucunechancecontrelui.

Wakefieldn’étaitcependantpasdémunid'argumentsensafaveur.Ilétaitriche.Puissant.Etcraint.

Artemis l’observa. Il regardait Penelope, la femme qu’il courtisait, flirter avec Scarborough,commeunentomologisteexaminantdeuxinsectesselivrantàquelqueparadenuptiale.Àlevoiraussiindifférent,personnen'iraitpenserqu’ilvoulaitPenelopepourluiseul.

Serait-iljamaiscapabledes’intéresservraimentàunefemme?Des'abandonneràlapassion?Ilétait si froid, si réservé - saufquand,cematin, il s’était échauffépourévoquer laquestiondugin.

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L’idéequeWakefieldpuisses'enflammerpareillementpourunefemmeparaissaitpresquerisible.

Etpourtant...Artemis l'imaginaitvolontiers telunfauvepoursuivantsaproie,enl’occurrence, lafemmesurlaquelleilavaitjetésondévolu.Ilsemontreraitacharné,impitoyabledanslavictoire.

Ellefrissonna.Wakefieldseraitsansdouteunamoureuxfougueux,passionné.

Maiscen'estpasellequienprofiterait.

Elle soupira et baissa les yeux sur sesmains, toujours croisées dans son giron.Elle rêvait d'unhommecommeleduc.Malheureusement,c'étaitsansespoir.

Elleétaitcondamnéeàrestercélibataire.

Scarborough éleva la voix, et elle s'intéressa de nouveau à ce qui se passait autour d'elle. LordOddershawetM.WattsavaientterminéleurdueletScarboroughparlaitàWakefield.Sonexpressionétaitjoviale,maissonregarddur.

-Quesepasse-t-il?demandaPhoebe.

-J'ail’impressionqueScarboroughdemandequelquechoseàvotrefrère,mais...Oh,monDieu!IlmetWakefieldaudéfi!

-C’estvrai?

Artemishaussalessourcils.

-Votrefrèreestbonescrimeur?

Penelopehaussalesépaules.

-Jel'ignore.Ils’esttoujoursdavantageintéresséàlapolitiquequ’ausport.Maisjesupposequeçan'apasgrandeimportance.Scarboroughaaumoinstrenteansdeplusquelui.

Wakefieldselevaabruptement.

-Ilaccepte,annonçaArtemis.

-Oh,là,là!s’exclamaPhoebe,avecunejoieenfantine.

-Ilestcoincé,murmuraArtemis,quinepartageaitpassonenthousiasme.S'ilbatScarborough,ilpasserapourunebrute.Ets’ilperd...

-Ilserahumilié,conclutPhoebesereinement.

Artemis se surprit à être irritée par sa jeune compagne. Elle pourrait quandmême être un peuinquiètepoursonfrère.

Le valet deWakefield, un hommegrand etmince, aidait déjà sonmaître à se débarrasser de saveste.Illuimurmuraquelquechoseàl'oreille,maisWakefieldsecoualatêteets’éloigna.Ilportaitungilet noir rebrodé d’or.Lesmanches de sa chemise blanche frémissaient doucement sous la brise.Scarboroughavaitdéjàchoisiuneépée,qu'ilfaisaittournerdanssamainavecostentation.Ilsemblaitparfaitementàsonaiseetl'estomacd'Artemissenoua.

Leducpréféreraitencorepasserpourunebrutequedeserésoudreà ladéfaite. Ilétaitbien troporgueilleux.

Lesduellistessepositionnèrentfaceàface.LordNoakesseplaçaentreeuxetbranditunmouchoir.Lesilencetombabrutalement,commesitousavaientconsciencequel'enjeudeceduelneselimiterait

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pasàunesimpledémonstrationd’habilité.

PuislordNoakeslâchalemouchoir,quivoletajusqu’àterre.

Scarboroughattaqualepremier,avecuneétonnanteagilitépourunhommedesonâge.Wakefieldfutcontraintdereculer.Ilparaissaitmoinsentraînéquesonadversaire.Oualors...ilseretenait.

-Scarboroughmèneladanse,expliquaArtemisàPhoebe.Votrefrèreestsurladéfensive.

Ricanant,Scarboroughditquelquechosequeseulsonadversairepouvaitentendre.

LevisagedeWakefieldétaitabsolumentdépourvud'expression.

Et tout à coup, il se passa quelque chose d’inattendu. Le duc deWakefield semétamorphosa. Ilpassa à l'offensive avec un étonnant mélange de grâce et de brutalité. Scarborough écarquilla lesyeux.C’étaitlui,àprésent,quidevaitreculerpourparerlescoups.Wakefieldenchaînaitlesfiguresàtouteallure,etArtemiscompritsoudainqu'iljouaitavecsonadversaire.

Elles’étaitlevéesansmêmes’enrendrecompte,etsoncœurbattaitfurieusementdanssapoitrine.

Phoebeselevaàsontouretluiétreignitlebras.

-Quesepasse-t-il?

Wakefieldattaquaittoujoursetsescoupsdelamedevenaientdeplusenplusredoutables.

-Il...commençaArtemis.

Elles’interrompit,souslechoc.

Elleavaitdéjàvuquelqu'unsebattreainsi.

Contrairementauxautresduellistesquis’étaientexhibéssur lapelouse,Wakefieldnesemouvaitpas commeundanseur,mais bienplutôt commeun fauve.Commeunhommequi savait commenttuer.

Commeunhommequiavaitdéjàtué.

Scarborough transpirait à grosses gouttes. Il trébucha. Wakefield se jeta sur lui, tel le tigres’apprêtantàdonnerlecoupdegrâce,sanssesoucierdesaproiequi...

-VotreGrâce!

Le cri de son valet sembla tirerWakefield de sa transe. Il se redressa, la respiration haletante.Scarborough le regardait, bouche bée, l’épée encore levée dans une dérisoire tentative pour sedéfendre.

Wakefieldplantadélibérémentlapointedesonépéedansl'herbe.

-Quesepasse-t-il?demandaPhoebe.Quesepasse-t-il?

Artemisclignadesyeux.

-Je...jenesaispas.Votrefrèreabaissésonépée

Scarboroughs’essuyalessourcilsd'unreversdemanche,puiss’avançaprécautionneusementversWakefield,commes’ilavaitdumalàcroirequ'iln’étaitplusmenacé.PuisilpointasalamesurlecoudeWakefield,lapressantjusteassezpourlaisseruneégratignure.Aprèsquoiildemeurainterdit.Ilsemblaitlepremiersurprisdesavictoire.

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-Scarboroughagagné,murmuraArtemisdistraitement.

Wakefieldécartalesbraspoursignifierqu'ilserendait.Ilouvritsamaindroiteetsonépéetombaàterre.

Puisiltournalatêteetsonregardaccrochaceluid’Artemis.

Unregardquin'étaitplusfroid,maissombre, trèssombre.Etdangereux.Puis lefauveréintégrasoncamouflagedegentleman.

MaisArtemisavaitcompris.

LeducdeWakefieldétaitleFantômedeSaint-Giles.

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6

Deuxsemainesplustard,cefutautourduroiHerlad'assisterauxnocesduroidesNains.Ilpritavec lui lesplusvaillantsde sesgardeset leurpetite troupepénétradansunecaverneobscurequis’enfonçait dans les entrailles de la terre. Car le royaume des Nains se trouve sous la terre. Ilsvoyagèrent durant un jour et une nuit avant de déboucher dans une immense plaine. Au-dessus deleurstêtes,desrochersdéchiquetésteluncielmenaçant.Etdevanteux,lavilleduroyaumedesNains.

Maxime se réveilla en sursaut juste avant l'aube, la vision de sa mère assassinée, ses bellesémeraudes arrachées à son cou, s'attardant dans son esprit.Une odeur de gin semblait flotter dansl'air,maisilsavaitquec'étaientlesremuglesdesoncauchemar.

Percy fourra la truffe sous sa main.Maxime était allongé dans le grand lit à baldaquin de sesancêtres,surmontéd'unecouronneducaleetfermépardelourdestenturesenveloursvertfoncé.Sesaïeuxavaient-ilseu,euxaussi,descauchemarsetconnu ledoute?Àen jugerpar lesfiersvisagesalignés dans la grande galerie, il ne le pensait pas. Tous avaient hérité de leur titre après lamortnaturelledeleurpère,etnonpasunsauvageassassinatquin'avaittoujourspasétévengé.

Aussiavait-illesentimentdeméritersescauchemars.

Percyluiléchaitàprésentlesdoigts.Maximesoupiraetseleva.L’épagneuls’assitsurlelitetagitalaqueueavecenthousiasme.Ilétaitcensédormiraveclesautreschiensdanslesécuries,mais,bienqu'ilnefûtpasaussiintelligentqueBelleetSterling,ilarrivaittoujoursàesquiverl'arméedevalets-etCraven-poursefaufilerchaquesoirjusquedanslachambredeMaxime.Comments’yprenait-il?C’était là unmystère. Sans doute la providence avait-elle suppléé son défaut d'intelligence par unsurcroîtdechance.

-Allez,viens,luilançaMaxime,unefoishabillé.

Ilquittalachambre,l'épagneulsursestalons.

Danslecouloir,ilcroisaunedomestiqueàmoitiéendormie,qu'ilsaluad'unsignedetête,avantdegagnerlesécuries,oùilrécupérasesdeuxautreschiens.Puislequatuorpritladirectiondesbois.

Le soleil se levait tout juste, ses premiers rayons caressant les feuilles des arbres. La journées’annonçaitmagnifique,parfaitepourlepique-niqueprévuaudéjeuner.IlnecroyaitpassetromperenaffirmantquesesplansconcernantladyPenelopesedéroulaientcommeprévu.Laveille,lajeunefillen’avaitcessédesependreàsonbrasetdeglousser-parfoisàcontretemps-toutenparaissantsouslecharme.Quecesoitsontitreetsafortuneplutôtquesapersonnequilaséduisentn’avaitrienque de très normal pour des personnes de leur rang. Il n'y avait pas de raison d’être d'humeurmaussade.

Percydébusquaunlièvre.Aussitôt,lestroischiensselancèrentàlapoursuitedumalheureuxaveclasubtilitéd'unrégimentdesoldats.Deuxoiseaux,effrayésparleursaboiements,s’envolèrentàtire-d'aile.Maximelesuivitduregard.

C'estalorsqu'ileutconsciencequ'iln’étaitpasseul.

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Ileutégalementl'impressionquesoncœurbondissaitdanssapoitrine.Cequiétaitimpossible.

-Bonjour,VotreGrâce,lesaluaMlleGreaves.

Elleportaitsonéternellerobemarron.Etn’avaitpasdechapeau.Sesjouesétaientrosiesparl’airfraisdumatin.

Maximeconstataqu'elleétaitencorepiedsnus.

- Vous devriezmettre des chaussures pour vous promener dans ces bois. Vous risquez de vousblesser.

Les lèvres de la jeune femme s'incurvèrent sur un sourire qui n'en était pas un, ce qui ne fitqu’accroîtrel'irritationdeMaxime.Sitoutlemondes'empressaittoujoursdeluiobéir,cen'étaitpassoncas.

PercyrevinttoutexcitédesachasseetfitminedebondirsurMlleGreaves.

-Assis!luiordonna-t-ellecalmement.

L’épagneuls’assitdocilementàsespieds.

Maximesoupira.

- As-tu attrapé ce pauvre lièvre ? demanda-t-elle en se penchant sur Percy, qui agitaitfrénétiquementlaqueue.L’as-tudépecé?

Maximearqualessourcils.

-Voususezd’unvocabulairebienbarbarepourunelady,mademoiselleGreaves.

Ellehaussalesépaules.

-JedoutequePercysoitcapabled'attraperunlièvre,répliqua-t-elleenseredressant.Etn'oubliezpasquejeportelenomdeladéessedelachasse.

Maximeladévisageaaveccuriosité.Elleétaitd’étrangehumeur,cematin.Elleneluiavaitjamaistémoignédedéférenceparticulière,maislà,elledonnaitl'impressiondechercherl’affrontement.

Lesdeuxlévriersapparurent,accompagnésdupetitchienblancdeladyPenelope.

MaximeinterrogeaMlleGreavesduregard.Ellehaussadenouveaulesépaules.

- Bonbon semble apprécier les promenades matinales. Je sais qu'il adore Percy, je l'ai doncemmenéavecmoi.C'estcommes'ilvivaitunedeuxièmevie.

Elles'éloignasurlesentier.Maximeluiemboîtalepas.Starling,BonbonetPercyfuretèrentdanslesfourrés,maisBellelesaccompagna.Ilsmarchèrentquelquestempssansdireunmot,danscequiressemblaitàuncompagnonnagesilencieux.MaisMaximedevinait,àlaraideurdesépaulesdeMlleGreaves,qu'elleétaittendue.

Finalement,cefutluiquirompitlesilence.

-Jesupposequevosparentsavaientunpenchantpourleshumanités?

-Mamère,surtout.C'estellequinousabaptisés.ApollonetArtemis.Lesjumeauxdel'Olympe.

-Ah.

Elleinspiraunegrandegouléed'air.Soncorsagesegonfla,attirantleregardduduc.

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-MonfrèreaétéenferméàBedlamilyaurabientôtquatreans.

-Oui,jesais.

ElleeutunsourireunpeucyniquequidéplutàMaxime.

-Biensûrquevouslesavez.Dites-moi,VotreGrâce,enquêtez-voussurl'entouragede toutes lesfemmesquivousintéressentavantdedéciderdelescourtiser?

-Oui, admitMaxime, qui ne voyait pas de raison de nier. Je dois àmon titre dem'assurer quej'épouserailameilleurecandidatepossible.

Ellechantonnaunevagueréponse,cequil'agaçaprodigieusement.

-Votrefrèreatuétroishommesdansunaccèsdedélirealcoolique.

Elleseraidit.

- Sachant cela, je suis surprise que vous persistiez à courtiser Penelope. La folie est réputée setransmettredanslesfamilles.

Sonfrèreétaitdetouteévidenceunsujetsensible.Maispuisqu'elleluiavaitrappeléqu’elleportaitlenomdeladéessechasseresse,Maximenevoyaitaucuneraisondel'épargner.

-Vousn’êtespasparentedirectedePenelope.Etunassassinatn'estpasforcémentpreuvedefolie.Si votre frère n'avait pas été petit-fils de comte, il aurait été pendu pour son crime au lieu d’êtreenferméàBedlam.L'asilevalaitmieuxpourtoutlemonde.

Sonvisagesecrispauninstantdechagrinavantqu'elleserecomposeuneexpression.

-Vousavez raison.Le scandale adéjà été énorme.Cela a été le coupdegrâcequi a achevémamère.Nousavons redoutéune issue fatalependantdes semaines.Si lepèredePenelopen'étaitpasintervenu...

Ilsavaientatteintlaclairièrebordantl'étang.Elles’immobilisaetsetournaversMaxime.Ilfutprisd'uneirrésistibleenviedelaserrerdanssesbraspourlaréconforter.

Maisellecarralesépaulesetleregardasanslamoindreappréhension.Ellesemblaitsolide.Peut-êtren’avait-ellepasbesoind'unpreuxchevalierpourladéfendre.

-Monfrèren'estpasfou,dit-elle.Etiln'apastuécestroishommes.

Maxime se contenta de la regarder. Les proches desmonstres étaient parfois aveugles lorsqu'ils'agissaitdeleurspéchés.Maisàquoibonleformuleràvoixhaute?

Elleprituneinspiration,puis:

-VouspourriezlefairesortirdeBedlam.

Ilhaussalessourcils.

-Jesuisduc,pasroi.

Elles’entêta.

-Si,vouspourriezobtenirsalibération.

Maximedétournalesyeuxensoupirant.

- Même si je le voulais, je ne pense pas que j’y parviendrais. Votre frère a été déclaré fou,

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mademoiselleGreaves;jecomprendsquecesoitdifficilepourvousdel’admettre.Ilaétéretrouvéàcôtédescorpsdetroishommessauvagementassassinéset...

-Ilnelesapastués.

Elleposalamainsursontorseetbienqu’ilsûtquec’étaitimpossible,Maximeeutl’impressiondesentirlachaleurdesapaumeàtraverssesvêtements.

-Apollonest innocent, articula-t-elle,mais il ne sortira jamaisdecethorrible asile.Vousdevezl'aider.Vousdevez...

-Non,lacoupaMaxime,aussidoucementquepossible.Jen'aiaucundevoirdanscetteaffaire.

Un instant, lemasqueglissa, révélant lesémotionsquiagitaient la jeune femme :unmélangederageetdechagrinprofondsquinepouvaientquetrouverunéchoenMaxime.

Bouleversé, ilouvrit labouchepourajouterquelquechose,maisellelepritdevitesse.Etfrappaaveclaprécisiondeladéessedontelleportaitlenom.

- Si, vous devez sauver mon frère. Parce que si vous ne le faites pas, je révélerai à toutel'AngleterrequevousêtesleFantômedeSaint-Giles.

Artemis retint son souffle. Elle avait osé passer une bride au cou du tigre et maintenant elleattendaitdevoirs'ilselaisseraitdomestiquer,ous'ill'écarteraitdesonchemind’unpuissantcoupdepatte.

LeducdeWakefields’étaitfigé.IlétrécitlesyeuxetArtemissesouvintqu’aprèsleroi,c’étaitsansdoutel’undeshommeslespluspuissantsd’Angleterre.

-Jenepensepas,lâcha-t-ilfinalement.

-Vousnem’encroyezpascapable?

-Oh,jevouscroisparfaitementcapabled'unetelleperfidie,mademoiselleGreaves!Répliqua-t-ilavantdeseremettreàmarcher.

Artemisavalasasalive.Leducnedonnaitpasl'impressiondevouloircontinueràsepromenerensacompagnie.

Ellesentitlacolèrelagagner.

-Maloyautévad'abordàmonfrère.

-JevousaisauvélaviedansSaint-Giles,luirappela-t-il.

Elles’ensouvenait,biensûr.Commeellesesouvenaitdesaredoutablehabiletéàl'épée.

Maisriendetoutcelanecomptait.

-Apollonestmonfrère.Etsavieestendanger.Jen'auraisaucunremords.

Illuijetaunregarddédaigneux.

- Je n'en doute pas. Du reste, je n'en attends pas de votre part. N'y voyez aucune offense. C'estsimplementquejevousconsidèrecommeuneadversairecoriace.

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-Mais?

Il soupiraet s’arrêtapour lui faire face,commes'ilavaitaffaireàuneservanteparticulièrementpénible.

- J’ai peur que, de votre côté, vous n’ayez pas mesuré à quelle sorte d'adversaire vous vousattaquiez.Croyez-moi,jen'aiaucuneintentiondecéderauchantage.

Artemis ne put s’empêcher de l’admirer. S’il ne s’était pas s'agit d’Apollon, elle aurait battu enretraite.Carc’étaitbeletbienduchantage.Etellen’enétaitpasfière.

Mais, après tout, elle n'était pas un gentleman soumis au code de l'honneur. Elle n'était qu’unefemmeauxabois,endurcieparlescapricesdudestin.

Ellen’avaitniletempsnileloisirdesepermettreceluxequ'étaitl'honneur.

Ellelevalementon.

-Vouscroyezdoncquejenemerisqueraispasàenparler?

-Non,eneffet,jepensequevousn’oserezpas.Etàsupposerquevousayezcetteaudace,personnenevouscroira,mademoiselleGreaves.

Artemissentitvenirlecoupavantmêmequ'ilneleluiassène.

-Vousêteslasœurd'unaliénéetlafilled'ungentlemanconnupoursecomportercommeunfou,poursuivit-il, la voix toujours aussi glaciale. Si vous commencez à racontermon secret autour devous,vousavezdegrandeschancesdevousretrouveràvotretouràBedlam.

Surcesmots,illasaluaaveclaraideuraristocratiquequilecaractérisait.Avait-iljamaislaisséquique ce soit découvrir ce qui se cachait derrière cette façade ? Souhaitait-il seulement connaître lachaleurd'unvraicontacthumain?

-Bonnejournée,mademoiselleGreaves.J’espèrequelafindevotreséjouràPelhamHousevousapporteratoutesatisfaction.

Iltournalestalonsets'éloigna.

BelleetStarlinglesuivirentaussitôt,maisPercyhésita,sonregardpassantd'Artemisàsonmaître.

-Valeretrouver,murmuralajeunefemme.

Percys’élançaderrièreleduc.

Bonbonémitunpetitgémissementplaintifetsefrottacontrelesmolletsd’Artemis.L'airsemblaitavoir brusquement fraîchi. Artemis fixa le dos raide de Wakefield. Il ne la connaissait pas, nechercherait jamais à la connaître. Il n’était qu’un de ces hommes riches et arrogants, parfaitementindifférents aux autres.Elle n'avait donc aucune raison de se sentir triste, comme si elle venait deperdrequelquechosedeprécieux.

Etilsetrompaitsurunpoint:elleoserait.Elleétaitprêteàtoutpoursauversonfrère.

Cet après-midi-là, le soleil brillait généreusement au-dessus de la grande pelouse de PelhamHouse.Maximeauraitdûsavoureruneaussibellejournéeetseréjouirdelapasserencompagniedelajeunefillequ'ilcourtisait,maisilnecessaitdepenseràMlleGreaves.Qu'elleaittentédelefaire

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chanter-lui,leducdeWakefield-dépassaitl'entendement.Ilétaitàlafoisfurieuxetstupéfait.Avait-ellevraimentimaginéuneseulesecondequ'ilseraitassezfaiblepouraccéderàsarequête?Envérité,l'initiativedelajeunefemmeavaitprovoquéchezluiuneautreémotion-ilsesentaitpresqueblessé,devait-il avouer,mais n'avait aucun désir d'aller y voir de plus près, aussi se concentra-t-il sur sacolère.Ilseseraitassuréqu’elleavaitbiencomprisàquelpointcequ’elleavaitfaitluidéplaisait,siellen'avaitdécidé,demanièrefortpuérile,del'ignorersuperbementduranttoutelamatinée.

Nonpasquesonindifférenceforcéeledérangeâtlemoinsdumonde!

-Vousallezmeprendrepourunevantarde,VotreGrâce,pépialadyPenelope,quimarchaitàsescotés,maisjevousassurequejetiretrèsbienàl’arc.

-Vraiment?murmuradistraitementMaxime.

MlleGreavesmarchaitdansleursillage,aussisilencieusequ’unspectre.Maximemouraitd’enviede se retourner pour l'obliger à dire quelque chose. Il n'en fit rien, évidemment, et escortatranquillement lady Penelope jusqu’à l’endroit où des valets disposaient arcs et flèches. D'autresvaletsdressaientunegrandecibleenboisàquelquesmètresdedistance,pastroploinpourquecesdames puissent toutes démontrer leur habileté au tir. Les messieurs étaient censés regarder etapplaudir-quel’archèrelemériteounon,carlavanitéféminineétaitsifragilequ'ilfallaittoujourslaménager.

Maximeréprimaunsoupiragacé.Unhommedesonrangsedevaitd’organiserdetellesréceptionschampêtresnon seulementparceque cela lui permettait de courtiser la jeune femmede sonchoix,maisaussideresserrer les liensaveccertainsmembres influentsduParlement.Maisparmoments,cesfutilitésluiétaientinsupportables.Direqu'aulieudeseprélassersurcettepelouse,ilpourraitêtredansuncafé,àLondres,àtenterdeconvaincreundéputédelerejoindredanssoncombatcontrelecommercedugin.Ilpourraitaussisillonner lesruesdeSaint-Gilesà larecherched'indicesqui luipermettraientd'éluciderenfinl’assassinatdesesparents.Ouveilleràlabonnemarchedesesaffairesencompagniedesonsecrétaire -cen’était certespas sonactivitépréférée,maisellen'enétaitpasmoinsimportante.

-Pratiquez-vousletiràl’arc,mademoiselleGreaves?demanda-t-ilàbrûle-pourpoint.

Seigneur,lesoleilavaitduluitapersurlatête.

-Ohnon!réponditladyPenelopeavantquesacousineaitpuouvrirlabouche.Artemisn'apasletemps.

« Et pourquoi donc ? » aurait voulu demanderMaxime.Ce n’était certainement pas le statut dedamedecompagniedeMlleGreavesquil’empêchaitdepratiquercertainesactivitéspoursonpropreplaisir-fussent-ellesaussifutilesqueletiràl’arc,aurait-ilpuajouter.Saufquec’étaitsansdoutelecas. Sa position sociale était une forme d’esclavage moderne, réservé aux femmes les plusvulnérables-cellesquin'avaientpasdefamille.Siellelevoulait,ladyPenelopepouvaitoccuperMlleGreavesdumatinausoir,etcelle-ciétaitsupposéeluienêtrereconnaissante.

Toutcelaétaitsipeuréjouissantquel’humeurdeMaximes'assombritdavantage.

-J'aimeaussibeaucoupmonteràcheval,dessiner,danseretchanter,enchaînaladyPenelope.

TapotantlamanchedeMaximeduboutdesdoigts,elleajouta:

-Jepourraispeut-êtrechanterpourvous-etlesautresinvités-cesoir,VotreGrâce,qu'enpensez-vous?

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-J’enseraisenchanté,répliquamachinalementMaxime.

Entendanthoqueterdanssondos,iljetaunbrefregardàMlleGreaves.Elleseretenaitdesourire,etilnourrittoutàcoupdessoupçonsquantàlavoixdeladyPenelope.

-Oh,regardez,leducdeScarboroughaideàplacerlacible!s’écrialadyPenelope.Ilm’aexpliquéhier soir qu'il organisait tous les étés une compétition dans sa propriété à la campagne, avec desdisciplinescommelacourseouletiràl'arc.J’imaginequ’ilpratiquebeaucoupdesports,d’oùsonhabiliteàl’escrime.

Elleparutserendrecomptequesoncommentairen’étaitpastrèsdiplomatiqueetgratifiaMaximed'unregardcompatissant.

-Évidemment, tout lemonden’apas le tempsdeconsacrerdu tempsà l’entraînementphysique,tenta-t-elledeserattraper.

LebruitqueMaximeentenditcettefoisdanssondosressemblaitàunrireétouffé.

-JesuissûrequeSaGrâcepréfèrelesactivitéscérébrales,déclaraMlleGreavesd'unevoixunpeutropsuavepourêtrehonnête.

LadyPenelopefronçalessourcils,commesiellecherchaitàcomprendrelemot«cérébrales».

- Jepassebeaucoupde temps auParlement, répliquaMaxime,d’un tonqui résonnaunpeu troppompeusementàsespropresoreilles.Jesuisheureuxdeconstaterquevousavezretrouvévotrevoix,mademoiselleGreaves.

-Jenel'avaispasperdue,VotreGrâce,jevousrassure.Maisdevons-nouscomprendrequevousnevousentraînezjamais?Danscecas,votreperformanced'hiercontreleducdeScarboroughétaitunvéritablemiracle-dumoins,audébut.Àvousvoirmanierl’épée,j'auraisjuréquevousvousbattieztouslessoirs.

Maximetournalentementlatêteverselle.Àquoijouait-elle,àprésent?

Mlle Greaves soutint son regard. Elle affichait une expression sereine, mais la petite lueur quidansaitaufonddesesprunellesarrachaunfrissonàMaxime.

-Jenecomprendsrienàcequevousracontez,Artemis,seplaignitladyPenelope.

- Puis-je vous aider à enfiler vos protège-bras, lady Penelope ? s’enquit lord Scarborough, quis’étaitmatérialiséàcôtédeMaxime.

Cederniermarmonnaunjuron.Iln'avaitpasvuarriverlevieuxduc.

- Je suis choquée d'entendre un tel langage dans la bouche d'un distingué parlementaire, VotreGrâce,déclaraArtemis.

- Je suis sûr que vous êtes tout sauf choquée, mademoiselle Greaves, répliqua Maxime sansréfléchir.

Unefoisdeplus,leslèvrespleinesdelajeunefemmes’incurvèrentsurunsourirequin'enétaitpasunetMaximefutprisd'uneenviefollede luiattraper lamain,de l’entraînerdansunbosquetetdes'emparerdesabouchejusqu’àcequ'ellesedécideàsourirefranchement,ouàgémirdeplaisir.

Ils'empressadechassercettevision.Quellemouchelepiquaitdonc?MlleGreavesétaitladamedecompagniedelajeunefemmequ'ilprojetaitd'épouser.Unedamedecompagnieonnepeutplusterne.Etquiavait tentéde le fairechanterpourcouronner le tout !Ellen'auraitdû lui inspirerquede la

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répulsion.

Pourtant, il n’éprouva aucune répulsion - bien au contraire - quand elle s'approcha pour luimurmurer:

-Vousferiezbiend’êtresurvosgardes,VotreGrâce,ouScarboroughvavousravirladyPenelopesousvotrenez.N’oubliezpasqu'ilvousadéjàbattuenduel.

Elles’enallarejoindrePhoebeavantqueMaximeaitpurépliquer.

Ilfronçalessourcils.Ilétaitd'autantpluscontrariéqueScarboroughavaitréussiàsepositionnerderrièreladyPenelopeetqu'ill’enlaçaitsousprétextedel'aideràenfilersonprotège-bras.Maximeseretintdeleverlesyeuxauciel.Franchementpourquoisebattrepourunefemmeassezstupidepourtomberdansunpiègeaussigrossier?

Parcequ’ildevaitpenseràl’avenirduduché,serappela-t-il.

Ilcarralesépaulesetrejoignitlecouple.

-Jepeux?dit-il.

Et,ignorantScarboroughquifronçaitlessourcils,illaçaleprotège-brasdeladyPenelope.

Celafait,ilreculaetneputs’empêcherdejeteruncoupd’œilendirectiondeMlleGreaves.

Ellelegratifiad’unsalutmoqueur.

Pestantentresesdents,ilallas'assurerquesesautresinvitéesétaientprêtes.PuisrejoignitPhoebeetMlleGreavescommeladyNoakesbandaitsonarc.

-Vousvenezvousmettreàl’abri,VotreGrâce?chuchotaMlleGreaves,railleuse.

LadyNoakestirasaflèche.

-Oh,monDieu!murmuraMlleGreaves.

-Ellearatésacible?demandaPhoebe.

-ElleafailliblesserJohnny,marmonnaMaxime.

-Votrevaletasautédecôtélestement,observaMlleGreaves.C'estàcroirequ'ilareçudesleçonsd’agilitéduFantômedeSaint-Giles.

Maximelafusilladuregard.

Elleluiréponditd'unsourire-unvraisourire,quidécouvritlargementsesdents.Etendépitdesacolère,Maximeeneutlesoufflecoupéd’admiration.CarlesouriredeMlleGreavesilluminaittoutsonvisage,quidevenaitsoudainmagnifique.

Maximedétournalesyeuxetdéglutitpéniblement.

Phoebegloussa.

-Tuaseuraisondeteréfugierici,dit-elleàsonfrère.Onn’estjamaistropprudent.

CefutautourdeladyOddershawdetirer.Saflècheatteignitlepourtourdelacible.MmeJellett,quiluisuccéda,réussitégalementàplantersaflèchedanslacible,malgréunebrusquerafaledeventquilasurprit.

PuisladyPenelopebandasonarc.

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-LadyPenelopesemblesavoirtireràl’arc,commentaMaxime,commes'ilfaisaitunedécouverte.

-Certainement,acquiesçaMlleGreaves.Elles’entraîneassezsouvent.

Ilsregardèrentensilencelaflèchefrôlerleborddelacibleetfinirsacoursedansl’herbe.

-Maissavoirviserestuneautrepairedemanches,murmuraMlleGreaves.

Maxime tressaillit comme Johnny allait récupérer la flèche dans l’herbe. Son valet était pluscourageuxquelui.

-Ellevatenterundeuxièmeessai,pronostiqualordScarborough.

Et,eneffet,ladyPenelopereprenaitdéjàlapose.Elleavaitunejoliesilhouette,notamachinalementMaxime.Etunprofilquiévoquaitlesstatuesgrecques.

Elletira.Lestroisvaletsplongèrentausol.

-Bravo,milady!crialordScarborough.

La flèche s'était fichéedans le cerclebleude la cible, autrementditpresqueen soncentre.LadyPenelopesouriaitauxanges,maiselles’effaçagracieusementpourlaissersontouràMlleRoyale.

Lesvaletsétaientmédusés.

MlleRoyalebandasonarcetleurcria:

-écartez-vous,c’estplussûr.Jesuisnovice.

-Ellen’ajamaistiréàl'arc?murmuraPhoebe.

-ElleagrandienInde,rappelaMmeJellett,quilesavaitrejoints.D’oùsonteintcuivré.

Les deux premiers tirs deMlleRoyalemanquèrent leur cible,mais sa troisième flèche se fichadanslecercleextérieurdelacible.Cerésultatparutlasatisfaire.

Lasuitedeladémonstrationsepassasansincident.Aucunedame,cependant,neparvintàplantersaflèchedanslepetitcerclerougequioccupaitlecentredelacible,maisaucunenonplusneblessadevalet.AussiPhoebeput-elledéclarerquel’après-midi«étaituneréussite».

MaximeoffritlebrasàladyPenelopealorsquetoutlemonderetournaitàl'intérieurpourprendredesrafraîchissements.LadyPenelopeneputrésisteràl'enviederevenirsursontir«exceptionnel»etil nemanqua pas de la féliciter comme il se devait. Il était cependant conscient queMlleGreavess'étaitattardéesurlapelouse.

-Oh,j'aioubliémesgantsdehors!S'exclamaladyPenelopecommeilspénétraientdanslesalonjaune,oùlesautresinvitéss'asseyaientdéjà.

-Jevaisvousleschercher,proposaMaxime,prenantScarboroughdevitesse.

Touslesinvitésétaientàl’intérieur,etlesvaletsavaientsuivi.

Touslesinvités,saufune.

Maximel'aperçutalorsqu’ilfranchissaitleseuil.

Elle se tenait de profil, son arc bandé, telle une amazone.Alors qu'il traversait la pelouse, elledécochasaflèche.Celle-cin'eutpasletempsd’atteindrelaciblequ'elleavaitdéjàarméunedeuxièmeflèche.Unetroisièmesuivittoutaussirapidement.

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Maxime tourna les yeux vers la cible. Les trois flèches étaient agglutinées au centre du cerclerouge.MlleGreaves,«quin’avaitpasletemps»detireràl’arc,sedébrouillaitmieuxquetoutescesdames-etquecesmessieurs,probablement.

Illaregarda.Elleluiretournasonregardsanssourire,l’airfier.Artemis.Ladéessechasseresse.Ladéesseviergequin’avaitpashésitéàfairedéchiqueterparseschienslepauvreActéonquiavaiteulamauvaiseidéedel'admirerpendantqu'elleprenaitsonbain.

Cettefemmeétaitdifférentedesautres.Elleétaitsauvage,libreetdangereuse.

Unadversaireàsamesure.

Il ramassa lesgantsde ladyPenelopeet lesagitapoursaluerMlleGreaves,sanssourire luinonplus.Elleinclinalatêteaveclamêmesolennité.

Maxime regagna la maison, songeur. Il ne savait pas encore comment il s’y prendrait, mais ilvoulaitladominer.Luimontrerqu'ilétaitlemaître.

Etquandelleadmettraitsadéfaite...ehbien,illaposséderait.

Sadéessechasseresse.

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7

SilemariageduroiHerlaavaitétésomptueux,lesnocesduroidesNainsfurentgrandioses.Lafêtedura sept jours et sept nuits. Sept jours et sept nuits de danses et de banquets ininterrompus. Lacaverneétincelaitd'oretdepierreries,carlesnainschérissaientlestrésorsissusdelaterre.Aussi,quand le roi Herla offrit son cadeau de mariage, le peuple des Nains manifesta bruyamment sonapprobation.Carils'agissaitd'uncoffretenorremplidediamants.

-Etsesyeuxrougeoyaientcommes'ilarrivaittoutdroitdesenfers!

Penelopeponctuasonrécitd'unfrissonthéâtral.

Artemis,quientendaitpourlacentièmefoisaumoinsl'histoiredeleurrencontreavecleFantômedeSaint-Giles,sepenchaversPhoebe,assiseàcôtéd'elleetchuchota:

-Oucommes'ilavaituneinfectiondelacornée.

Phoebeplaqualamainsursabouchepourretenirunéclatderire.

-Jeregrettedenepasavoirétélàpourvousprotégerdecemonstre!s'exclamalordScarborough.

Lesmessieurs venaient de rejoindre les dames dans le salon jaune après le dîner et les invitéss’étaientéparpillésdanslapièce.Laplupartdesfemmesavaientprisplacedanslesfauteuilsousurlessofas,tandisqueleshommesrestaientdebout.Dèssonarrivée,Scarboroughs’étaitplantéàcôtédePenelope.Wakefield,poursapart,déambulaitd’ungroupeàl'autre.Artemissedemandaitàquoiiljouait.AulieudefairesacouràPenelope,ilsemblaitl’éviter.Etchaquefoisqu'elleregardaitdanssadirection,ellecroisaitsonregard.

Ellefrissonna.Leducsemontraitplusattentifdepuissapetitedémonstrationau tirà l'arcdecetaprès-midi.C’étaitpeut-êtreorgueilleuxdesapart,maisellen’avaitpaspu résister.À l’inversedeladyPenelopeetdesautresinvitéesduduc,ellen’étaitpasunefemmedelaville.Elleavaitgrandiàlacampagne,avaitpassédes journéesentièresàcourir lesboisetapprisàchasser.Certes,sesproiesn'avaientjusque-làétéquedesoiseaux,deslapinsoudesécureuils-pasdesducs-,maisleprincipeétait le même, non ? Elle entendait traquer le duc deWakefield, le harceler jusqu’à ce qu’il n'aitd’autre choix que de secourir Apollon. Lamanœuvre était délicate : il s'agissait de le convaincrequ'elleétaitprêteàledénoncer,toutensachantqu’ellenelepouvaitpas,carellen'auraitalorsplusaucunmoyendepressionsurlui.Lapartieétaitserrée,maisdumoinsavait-ellegagnélapremièremanche.

Elleavaitcaptésonattention.

-Ç’auraitététrèscourageuxdevotrepart,VotreGrâce,dit-elleàScarborough.CarleFantômedeSaint-Gilesm'aparutrèsathlétique.Ilétaitàpeuprèsdelataille...

Elleparcourutl'assistancedesyeux,commesiellecherchaitàquelinvitélecomparer.Lorsqu'elles’arrêtasurWakefield,cedernieraffichaitdéjàuneexpressionnarquoise.

-…denotrehôte,enfait.

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Ilyeutuncourtsilence,pendantlequelleduclafixa,lesyeuxétrécis,puisPenelopes'écria:

-Neditespasdebêtises,Artemis!LeFantômeétaitplusgrandqueSaGrâced’unebonnetête.Maisjesuissûrequecelan’auraitpasempêchéleducdeScarboroughdeluiréglersoncompte.

Devantunetelleénormité,Artemisnejugeamêmepasutiledeleverlesyeuxauciel.

-Certainement,approuvatraîtreusementPhoebe.SaGrâceauraitétéd'unplusgrandsecoursquemonfrère.

-Phoebe...grommelaWakefieldd'untonmenaçant.

-Quoi,mon cher frère ? répliqua Phoebe en arquant les sourcils. Reconnais que tu ne t’es pasmontrétrèsbrillantfaceàlordScarborough,hier.

-LeducdeScarboroughpossèdedetouteévidenceuneexpériencebeaucoupplusanciennequelamienneenmatièred'escrime,sedéfenditWakefield.

Et il s'inclina si gracieusement devant Scarborough qu'Artemis se demanda s'il avait réellementcherchéàl'insulter.

- Et toi, petite peste, ajouta-t-il à l'adresse de Phoebe, tu ferais bien de témoigner davantage derespectàtesaînés.

Le ton taquin prit Artemis de court.Wakefield éprouvait une grande affection pour sa sœur, serappela-t-elle.Ilsemontraitpeut-êtreunpeutropprotecteuravecelle,maisill’aimaitsincèrement.Etcettepenséelamitmalàl’aise.Ellefaisaitchantercethommeetnetenaitpasàvoircequ'ilyavaitdebonetd'humainenlui.

Oubliantsesétatsd’âme,elletiraunenouvellesalve:

- êtes-vous sûrequ’il était si grand, ladyPenelope ?Pourmapart, j'auraisvraiment juréque leFantômeétaitdelatailleduducdeWakefield.Sinotrehôteétaitmeilleurescrimeur,ç’auraitpuêtreluiquenousavonscroisédansSaint-Giles.

-Maisqu'iraitfaireSaGrâcedansSaint-Giles?objectaPenelope.Cequartiern'estfréquentéqueparlespauvresetlesruffians.

-Nousyétionsbien,nous,répliquaArtemis.

Penelopebalayal’argumentd’unreversdemain.

-C'estdifférent.Nousétionspartiesàl'aventure.

- Une aventure qui a bien failli vous être fatale, apparemment, murmura Phoebe à l’oreilled'Artemis.

-Allons,mesdames, intervintScarboroughavec sa jovialité coutumière.Assezparlédegredins.Vousnousaviezpromisdechanter,ladyPenelope.Neserait-cepaslebonmoment?

-Maissi,approuvaPenelope,ravieàl’idéedeseretrouveraucentredel'attention.J'aijustebesoind'uneaccompagnatrice.

- Je peux jouer, proposa Phoebe. À condition que je connaisse le morceau que vous souhaitezinterpréter.

Artemisl'aidaàrejoindreleclavecin.

- Qu'aimeriez-vous chanter ? s'enquit Phoebe tandis qu’elle s’asseyait avec grâce devant

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l'instrument.

-Connaissez-vousLaComplaintedelabergère?

Artemisallas'asseoirenréprimantunsoupir.Lerépertoire, trèsréduit,dePenelopeselimitaitàquelquesromancesparticulièrementsirupeuses.

Wakefieldpritplaceàcôtéd'elle,etArtemisseraiditinstinctivement.

-VousavezratévotrecoupaveccettehistoiredeFantômequimeressemblerait,luichuchota-t-ilalorsqu'ilsregardaientPenelopeprendrelapose.Jesuissûrquevouspouvezfairemieux.

-Memettriez-vousaudéfi,VotreGrâce?

IlesquissaunsouriresansquitterPenelopedesyeux.

-SeulunidiotprovoqueraitsaNémésis,répliqua-t-il,avantd'ajouteraprèsunsilence:Maisquediablefait-elle?

Une main posée sur le ventre, l'autre exagérément tendue, Penelope arborait une expressiontragique.

- C’est sa posture de scène, Votre Grâce. Vous vous y habituerez quand vous aurez épousémacousine.

Leducgrimaça.

-Touché.

Phoebecommençaàjouer-avecuneétonnantevirtuositévusonjeuneâge.

Puis Penelope attaqua le premier couplet. Elle n’était pas à proprement parler une mauvaiseinterprète,maissontimbremanquaitcruellementd'éclatetdeforce.

Etpuis,lachansonqu’elleavaitchoisien'étaitpastrèsappropriée.

«Necaressezpasmalaine,chantait-elle,incarnantlerôledel'agneau.Elleesttropdoucepourunemaind'homme.»

- J'ai l'impression que ces paroles sont à double sens, murmura Mme Jellett, assise derrièreArtemisetleduc.

ArtemiscroisafurtivementleregardsardoniquedeWakefieldetsentitsesjouess'empourprer.

-Delatenue,mademoiselleGreaves,luimurmura-t-il.

-Queltoupetvenantd'unhommequisillonneSaint-Gileslanuitavecunmasque.

Ilfronçalessourcilsetregardaautourdelui.

-Chut!Taisez-vous.

-Jemetairaiquandvousaccéderezàmademande.

-Voussavezbienquec'estimpossible,répliqua-t-il.

SonregardétaitrivésurPenelopeetPhoebe,maisprobablementneleurprêtait-ilaucuneattention,carseslèvress’incurvèrentenunegrimacededédain.

-Votrefrèreatuétroishommes,ajouta-t-il.

Artemissepenchaversluipournepasrisquerd’êtreentendue.

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-Ilaétéaccusédelesavoirtués,corrigea-t-elle.Maisilestinnocent.

Levisageduducseradoucit.Elleavaitdéjàvucetteexpression,etladétestait.

-Votreloyautéenversvotrefrèreestdigned'éloges,maisellenedoitpasvousaveugler.Ilaétéretrouvécouvertdesangauprèsdestroiscadavres,unpoignardgravéàlamain.

Artemisseredressasursonsiège.Lesjournauxavaientparlédusang.Etdupoignard,maissanspréciserqu'ilétaitgravé.

-Jevoisquevousavezdemandéuneenquêtetrèsdétaillée.

-Naturellement.

Setournantfinalementverselle,ilprécisa,leregarddur:

-Sachez,mademoiselleGreaves,quejemefaistoujoursundevoird'atteindremesbuts.

Artemis ne pouvait se lever et planter là le duc sans causer un scandale.Ce n’était pourtant pasl'enviequiluienmanquait.

-Danscecas,VotreGrâce,sachezque,pourmapart,jen'aiaucunementl'intentiondevouslaisserlechamplibre.

Ilinclinaimperceptiblementlatête.

-Alors,engarde,mademoiselleGreaves.

LabaladedePenelopepritfinsurunenotesidéchirantequel'assistance,médusée,attenditquelquesinstantsavantd'applaudir.

-C’étaitcharmant,déclaraArtemisd'unevoixforte.Encore!

Phoebeluiadressaunregardincrédule.

-Mon frèrepossède aussi une trèsbellevoix, s'empressa-t-elled’intervenir.Voudrais-tu chanterpournous,Maxime?

Penelope était visiblement contrariéeque la lumière sedétourned'elle.C'est tout juste si elle neboudaitpas.

-Jesuissûrquepersonnen’aenviedem’entendre,marmonnaWakefield.

- Je préfère de loin une douce voix féminine au timbre plus grave d’un homme, acquiesçaScarborough.

Wakefieldplissalesyeux.

-Peut-êtreunduo,proposa-t-il.

IlouvritunpetitsecrétaireenébénisteriequirenfermaitdespartitionsetenchoisitunequePhoebepourraitjouerdemémoire.

Maisquand il tendit lapartitionàPenelope,elle lui fit remarquerque lemorceauétait composépourunevoixd'altoetqu'ellen'avaitqu’untimbredesoprano.

Unmurmureparcourutl’assistance,inquièteàl'idéequePenelopechantedenouveauseule.

MaisPhoebeavaitdelaressource.

-Danscecas,j’interpréterailerôleféminin,décréta-t-elle.Ceseraittropbêtedenouspriverdes

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talentsdeMaxime,maintenantqu'ilestd'accordpourchanter.

Etavantquesonfrèrepuissesedérober,ellejoualespremièresmesures.

Artemis croisa lesmains dans son giron. Elle était convaincue que Phoebe n'avait entraîné sonfrèredanscetteaventurequepourempêcherPenelopedecontinuersonrécital.Ellenes'attendaitpasqueleducfassemontred’untalentparticulier,etàenjugerparl'agitationautourd'elle,ellen’étaitpaslaseule.Quandcettefarceseraitterminée,ellecomptaitbien...

Leducattaqualepremiercouplet.

Savoixétaitbassemaisclaire.Parfaitementposée,ellevouspénétraitjusqu’àl’âme,etArtemisenfrissonnadedélice.LeducdeWakefieldpossédaitunevoixcapabledefairepleurerlesanges-oulesdémons.Sontimbreétaittrèséloignédesvoixsuraiguësdeshautes-contrequi,depuisquelquetemps,faisaient rage à Londres comme dans toute l'Europe, mais c’était le genre de voix qui séduisaitl’oreille.Elleauraitpul’écouterdesheuresdurant.

LeducdeWakefieldnesemblaitpasserendrecomptedel'effetqu'ilfaisaitàsesinvités.Penchésurle clavecin, il tournait les pages de la partition d'une main, tandis que son autre main reposaitnonchalammentsurl’épauledePhoebe.Leurduoétaitparfait,etàchaquepassageunpeupérilleux,ilséchangeaientunsourire.

Lavérité,c’estqu'ilsemblaitpresqueheureux.

S'iln’avaitpasétéducdeWakefield,retranchéderrièreunefaçadehautaineetdistante,aurait-ilétécethommechaleureux,capabledetendresseetapteaubonheur?

Cethomme-làl’attiraitterriblement.Elleavaitenviedel’affronter,decouriravecluidanslaforêt,deledéfier,mentalementetphysiquement,àdesjeuxqu’ilsinventeraient.

Quantàsafroideur,ellesejuradel'endélivrer.

Allongésursapaillassecrasseuse,Apollonentenditdesbruitsdebottesquiannonçaientl’arrivéedesesgeôliers.Pourtant,l'heuredeleurrondeétaitpasséedepuislongtemps.Etledîner-unmorceaudepainrassisetunbrocd'eau-avaitdéjàétédistribué.Lesgardesn'avaientdoncaucuneraisonderemonterlecouloir.Saufs’ilsavaientunesaleidéeentête.

Apollonsoupira.Unenouvellepensionnaireétaitarrivéelaveille.Unejeunefemme,apparemment.Les cellules étaient disposées de telle manière qu'Apollon ne pouvait pas voir ses voisins dedétention,hormislepensionnairedelacellulefaceàlasienne.Elleétaitactuellementoccupéeparunhommequisouffraitd'unehorriblemaladiedepeau.

La veille, la nouvelle pensionnaire avait chanté une bonne partie de la nuit. Les paroles de seschansons étaient vulgaires, mais on devinait qu’elle avait autrefois possédé une très belle voix. Iln’auraitsudiresielleétaitvraimentfolleousimplementvictimedeparentspeuscrupuleux,oud'unmariquis'étaitlasséd'elle.

Nonpasquecelaaitlamoindreimportanceici.Lalumièredansanted'unelanterneoscillasurlesmursducouloiretlebruitdebottescessa.

-Tuasquelquechosepourmoi,majolie?fitunevoix.

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C’étaitRidley.Ungardientoutenmuscles.

-Oualors,tunousdonnesunbaiser,dituneautrevoix.

C’étaitLeech,l'undessbirespréférésdeRidley.

La femmepoussaungémissement.PuisApollonentenditdeschaînes racler lapierre, commesiellecherchaitàleuréchapper.

-Oh!criaApollon.Oh,Ridley!

-Laferme,Kilbourne!répliquaRidley.

Ilsemblaitdistrait.

-Tumevexes,Ridley.Pourquoitunevienspasplutôtmeledemanderàmoicebaiser?

Cette fois, Ridley ne prit même pas la peine de lui répondre.Mais Apollon entendit la femmesangloter.Puisilperçutlebruitd'untissuqu'ondéchirait.

Bonsang.

Autrefois,Apollon se considérait commequelqu’unde lucide.Ungentlemanquine croyait rienignorerdelanoirceurquisévissaitdanscertainsquartiersdeLondres.Etcelauniquementparcequ'ilavaitgoûtéàl’alcool,aujeuetauxjoliesfemmes,commetouslesjeunesgensdesaconditionfraisémoulusdel’université.Ilétaittellementinnocent,àl’époque.Sinaïf.PuisilétaitarrivéàBedlam.Etilavaitcomprisqu'ilnesavaitriendel’humanité.Ici,deshommesréduitsà l’étatdebêtepassaientleurtempsàabuserdesplusfaibles.Pourlesimpleplaisir.Pourrireaunezdeleursvictimes.

Tropsouvent,Apollons’étaitreprochésalâcheté.

Maiscesoir,ilétaitdécidéàfairequelquechosepourdétournerceschacalsdeleurproie.

-Eh,Leech,on t'entendplus?C'estparceque t'as labouchepleine?TusucesRidley,c’estça?T'aimesboiresasemence,hein?

-Valuifermerlagueule,grognaRidley.

Aussitôt,Leechsematérialisadevantlacelluled'Apollon.Ilportaitungourdinsurl’épaule.

Apollonluisouritetcroisalesjambes,commes'ilsetrouvaitdansunsalonélégantetnonpassurunemisérablepaillasse.

-Ah,c'estgentildemerendrevisite,monsieurLeech!Prendrez-vousunpeudethé?Oupréférez-vousunchocolat?

Leechmarmonnavaguement.Cen’étaitpasunbavard,ceLeech.Ridleyavaittendanceàparleràsaplace.Leech n’était toutefois pas complètement idiotmalgré son front bas. Il brandit son gourdin,dansl'intentiond'enasseneruncoupsurlesjambesd'Apollon.

Larumeurprétendaitqu'ilavaitdéjàcassédesmembres.MaisApollons’étaitpréparéàsonassaut.Ilreplialesjambesàladernièreseconde.

-Manqué!semoqua-t-il.

Ce qu'il y avait de bien, avec Leech, c’était qu'il était parfaitement prévisible. Il fit deux autrestentatives, tout aussi infructueuses, avant de charger comme un taureau.Apollon reçut un coup aubras.Ladouleurluiirradiajusquedansl’épaule,maisilréussitàarracherlegourdindesmainsdesontortionnaired’uncoupdepied.

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Leechreculaetsemassalepoignet.

Lafemmegeignaitàprésenttelunanimalblessé.Apolloneneutlachairdepoule.

-Ridley!Oh,chéri!Leechmeboude.Vienst'amuseravecmoi,Ridley!

Ridleylâchaunjuron.

-Ridley!Toutlemondesaitquetuenasunetoutepetite!

L’insulte fonctionna àmerveille. Ridley accourut, son pantalon àmoitié déboutonné - unmètrequatre-vingtsdepureméchanceté.Desbrasde lutteur,uncoude taureauet la têtequiallaitavec. Ilesquissacequi ressemblaitàunsourireetApollon réalisasonerreur.Carun troisièmehommesetenaitderrièrelui.Tynen’étaitpasaussigrandniaussimassifqueRidley,maisilpouvaitserévélerlargementaussivicieux.

TyneetLeechsedéployèrentdechaquecôtétandisqueRidleyricanait.

Apollonsutqu’ilallaitpasserunsalequartd'heure.

-Messieurs,dit-ilenseredressantlentement,jeregrettedenepasêtreplusprésentable.Maisc’estquejenesuispashabituéàrecevoirautantdevisitesàuneheuresitardive.Ridley,pourquoinepascongédiertescompagnons,quenousréglionstranquillementcetteaffairedevantunetassedethé.

TyneetLeechattaquèrentenmêmetemps.TynelefrappaàlatêteetLeechdanslescôtes.Apollonparvint toutefoisàenvoyeruncoupdecoudedanslevisagedeLeech,quiallabutercontrelemur.Puisildécochaundirectdugauche,carsonbrasdroitlefaisaitsouffrir,àTynequireculaentitubant.

IlcherchaitduregardRidleylorsquesesjambessedérobèrentsoudainsouslui.Satêteheurtaledallagedepierreet, l'espaced'un instant, ilvitdesétoiles.Quand il releva la tête, ilvitRidleyquitenaitencorelachaînequiluiliaitleschevilles.

Leechs’approchaenvacillant,lamainsursonnezensang,etluidécochauncoupdepiedenpleinefigure.Apollonvoulutseprotéger,maisiln'arrivaitplusàbougerlebras.Leechenprofitapourluiflanquerunautrecoupdepieddanslescôtes.Apollontentadeseroulerenboule,maisRidleytirasurseschaînes.Leech,quiavaitrécupérésongourdin,lebrandit...

Ridleytrituradanssabraguetteouverte.

-Tuvaslafermer,jetelegarantis,dit-il.

Non.

Enproieàunepeurpanique,ApollontrouvalaforcedeseredresseretdonnauncoupdetêtedansleventredeRidley.Lecolossetombaàlarenverseenhurlant.Apollonsemitàfrapperàl'aveuglette,etreçutuncoupsurlatête.

Ilroulasurledos.

Tynes’approchaetluiécrasasonpiedsurlagorge.

Apollonsuffoqua.

Etsombradanslesténèbres.

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LesoleilmatinaltachetaitlesoldelaforêttandisqueMaximeavançaitàgrandspas.Ils'étaitlevétrès tôt.Ses exercicesquotidiensdans la cavedeWakefieldHouse luimanquaient.Son travail - samission-l'appelaitenvilleetilétaitimpatientd'yretourner.

Courtiserunejeunefemmes'avéraitunecorvéeassommante.

Belle vint frotter son museau contre sa main, comme pour l'assurer de sa sympathie. Percy etSterlingtrottaientloindevant,maisBelleaimaitresteràsescôtés.

Enfin,laplupartdutemps.

Lachiennedressa soudain lesoreilles et fila, sautant avecgrâcepar-dessus les fourrés.Maximeentenditlesdeuxautreschiensaboyerjoyeusement,commepoursaluerquelqu'un.

Ilcrutsentitsoncœurs'emballer,cequiétaitridicule.Endépitduconflitquilesopposait,malgrésesmenacesdechantage, ilavaitenviedevoirMlleGreaves.Maispour l'heure, ilpréféraitnepassavoirpourquoi.

En quelques pas, il rejoignit la clairière bordant l'étang et chercha la jeune femme des yeux. Ilrepéraleschiens,ycomprisBonbon,maisilnelavoyaitpas,elle.

Illatrouvafinalement.Etsabraguettesegonflaimmédiatement.

ArtemisGreaves étaitdans l'étang.Aussi gracieuse qu’une naïade, elle avait relevé ses jupes ets’étaitavancéejusqu’àmi-cuissesdansl’eau.

Commentosait-elle?

Maximes'approchadelaberged'unpasvif.

-MademoiselleGreaves.

Elleluilançauncoupd’œiletparutmécontentedelevoir.

-VotreGrâce.

-Puis-jesavoircequevousfaitesdanscetétang?

-Celamesembleévident,répondit-elleenrevenantverslaberge.Jepatauge.

Maxime grinça des dents. À mesure qu’elle se rapprochait, ses jambes émergèrent de l'eau -entièrementnues.Sapeaupâlescintillaitausoleil,etcespectacleétaitterriblementérotique.

Ungentlemanauraitdûdétournerleregard.

Mais,bonsang,c’étaitsonétang.

-N'importequiauraitpuvoussurprendre,siffla-t-il,conscientdes’exprimercommeunevieillefemmeprude.

-Vouslecroyezvraiment?répliqua-t-elleenposantlepiedsurlabergemoussue.Laplupartdevosinvitésneselèventpasavant9heures.EtjeneparlepasdePenelope,quin'émergesouventqu'àmidi.

Ellesetenaitdevantlui,latêteinclinéedecôté,maisn'avaitpasrabattusesjupes.Maximeneputs’empêcher de regarder les gouttes d'eau qui ruisselaient le long de sa cuisse avant de releverbrusquementlesyeux.

Elleneparaissaitpaslemoinsdumondeembarrassée,commesiseteniràmoitiénuedevantlui

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étaitunefaçonnormaledecommencerlajournée.

Bonsang!Elleleprenaitpouruneunuque?

Maximeavaitenviedelasecouer,desefâcherjusqu’àcequ'ellebaisselatêtedehonte.Ilvoulaitla...

-Rabattezvosjupes,grommela-t-il.Sivouscherchezàmeprovoqueràcausedenotredésaccord,jevousprévienstoutdesuitequecelanemarcherapas.

-Ce n'était pasmon intention.Comme je vous l’ai expliqué, jeme contentais de patauger. Justepourleplaisir.Celadit,vousvoustrompez.

-Je...balbutiaMaxime,quiavaitdumalàsuivreaveccesjambessouslesyeux.Quoi?

-Qu'est-cequivousfaitcroirequej'échoueraisàvousprovoquer?

Ellesedécidaenfinàlâchersesjupes,quitombèrentsurseschevilles.Maximevoulutsepersuaderqu'ilétaitravidecedénouement.

-Jevousinterdisderecommenceràpataugerdansmonétang.

Ellehaussalesépaulesetramassaseschaussuresetsesbas.

-Commevousvoudrez,VotreGrâce.Maisc'estbiendommage.J’auraisadorénagerunpeu.

Elle s'éloigna sur le sentier, laissant Maxime l'imaginer en train de nager dans l'étang,glorieusementnue.

Le temps qu’il reprenne ses esprits, elle avait déjà atteint le bois avec les chiens. Il fut presqueobligédecourirpourlesrattraper.

-Voussaveznager?neput-ils’empêcherdeluidemander.

Uninstant,ilcrutqu’ellenedaigneraitpasrépondre.

-Oui,soupira-t-elle.Apollonetmoiétionstoujoursdehors.Ilyavaitunpetitétangsurlesterresd’unfermiervoisin.Noussautionsdedans,etaprèsquelqueserreursetdéconvenues,nousavonsfiniparapprendreànager.

Maxime fronça les sourcils.Le rapportdeCravenavait été très factuel - ladatedenaissancedeMlleGreaves,l’identitédesesparents,sesliensavecladyPenelope...-,maisMaximedécouvraitqu’ilaimeraitenapprendreplussurMlleGreaves.Ilétaittoujoursutiledetoutsavoirdesesennemis.

-Vousn'aviezpasdegouvernante?

Elles'esclaffa.

- Nous en avons eu trois. Elles restaient quelques mois, parfois un an, puis papa n’avait plusd'argentpourlespayeretelless'enallaient.Apollonetmoiavonsapprisàlire,àécrireetàcompter,maispasbeaucoupplus.Jeneparlepaslefrançais,jenesaisjouerd’aucuninstrumentdemusiqueetjenesaispasnonplusdessiner.

-Voslacunesnesemblentpasvousdéranger,observaMaxime.

Ellehaussalesépaules.

-Quandbienmêmecelamedérangerait, celanechangerait rienà l’affaire.Etpuis, j'aid'autrestalents,mêmesicenesontpasceuxqu'onattendgénéralementd'unelady.Jesaisdoncnager,mais

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aussitireraupistoletetàl'arc,jesaisfabriquerdusavon,jenesaispasbrodermaisjesaisrepriser,je sais conduire un attelagemais pasmonter à cheval, je sais comment poussent les choux et lescarottesetmêmecommentenfaireunesoupe,enrevanche,jen’aipaslamoindreidéedelafaçondontontaillelesrosiers.

SarécitationlaissaMaximepantois.Aucungentlemandignedecenomn'auraitpermisquesafilleatteignel'âgeadultesansavoirapprisdesrudimentsd’éducationenrapportavecsonrang.

-Vousêtespourtantbienlapetite-filleducomted’Ashridge?

-Oui.

Savoixétaitcrispée,etilsutqu’ilavaittouchéunpointsensible.

-Vousn'enparlezjamais.Cetteparentéest-elleunsecret?

-Non.Paspourmapart, en tout cas.Maismongrand-pèrenem'a jamais reconnue.Papa s'étaitfâchéavecsonpèrelorsqu'ilaépousémaman.

Elle marchait entourée des chiens.Maxime se fit la réflexion que si elle avait eu un arc et uncarquois,elleauraitpuposerpourunportraitdeladéessedontelleportaitlenom.

-Vousditesquevotregrand-pèrenevousavaitpasreconnue,maisavait-ilreconnuvotrefrère?

-àsafaçonApollonétantsonfuturhéritier,grand-pèreestimaitqu'ildevaitposséderunminimumd’instruction.IladoncpayésascolaritéàHarrow.Apollonl’amêmerencontréuneoudeuxfois.

Maximesursauta.

-Votregrand-pèrenevousajamaisvue?

Ellesecoualatête

-Pasàmaconnaissance.

Maximeserembrunit.Abandonnersafamilleétaitunvéritablecrimeàsesyeux.Aucuneraisonnepouvaitjustifieruntelcomportement.

-N'avez-vouspasessayéd'entrerenrelationavecluiquand...

-Quandmamèresemouraitetqu’Apollonétaitenprison?Biensûrquesi !Mais iln'a jamaisréponduàmeslettres.Simamann'avaitpasécritàsoncousin,lecomtedeBrightmore,jenesaispascequenousserionsdevenus.Lamortdepapanousavaitlaisséssansunsou,mamanétaittrèsmaladeetThomasavaitrompunosfiançailles.Jemeseraisretrouvéeàlarue.

Maximes'immobilisa.

-Vousétiezfiancée?

Elle fitencoredeuxpasavantdese rendrecomptequ'il s'étaitarrêté.Elle lui jetauncoupd’œilpar-dessussonépaule,sonfameuxsourirequin'enétaitpasunsurleslèvres.

-Aurais-jementionnéunfaitquevousignoriezàmonsujet?

Maximehocha la tête.Pourquoidiablen'yavait-ilpensé?Elleavaitvingt-quatreansà l'époque.Elleavaitforcémenteudesprétendants.

-Celaauraitpuêtrepire,reprit-elle.Nousn'avionsencorerienannoncéofficiellement.Thomasadoncpuromprediscrètementsansrisquerdepasserpourungoujat.

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-QuiétaitceThomas?

-ThomasStone.Lefilsdumédecinduvillage.

-D'uneclasseinférieure,donc.

Leregardd’Artemissedurcit.

-Commevousmel'avezsiaimablementrappelé,monpèreétaitréputépoursecomportercommeunfou.Et jen'avaispasdedot.J'auraiseumauvaisegrâceàmemontrerdifficile.Etpuis,Thomasétaittrèsgentil.Ilm'offraitdesmargueritesetdesviolettes.

Maxime la fixa, incrédule. Quel genre de crétin pouvait avoir l'idée d'offrir des fleurs aussicommunesàunedéesse?Àsaplace,ill'auraitcouvertedelis,depivoinesparfuméesetderosesdetouteslesnuances.

Desviolettes!

-Etunbeaujour,ilacessédevousapporterdesfleurs?

Ellepinçaleslèvresetseremitàmarcher.

-Oui.Dèsquelanouvelledel’arrestationd’Apollonaétéconnue,enfait.

Était-elletombéeamoureusedesonfilsdemédecindecampagne?

-Jevoussensunpeuamère.

-Ildisaitm'aimerplusquelesoleil.

Savoixétaitaussitenueetsèchequedescendres.

-Ah.

Ils émergèrent du bois. Le soleil brillait de mille feux, à présent. Ce Thomas s'était comportécommeunidiot.Etcommeungoujat,quandbienmêmeilavaitcherchéàpréserversaréputation.

-J’aimeraisavoirlepouvoirdelepriverdesoleilpourlerestantdesesmisérablesjours.

Elles’arrêtaetleregarda.

-Voilàuneréflexiontrèsromantique.

Maximesecoualatête.

-Jenesuispasquelqu’underomantique,mademoiselleGreaves.Jenedispasdechosesquejenepensepas.C'estunepertedetemps.

-Vraiment?

Elleledévisageaaveccuriosité,soupiraetsetournaverslamaison.

-Nousnesommesplusdanslebois,dit-elle.Lajournéevacommencer.

-Eneffet.Remettezvotrearmure,ladyLune.

Ellelevalementon.

-Etvous,lavôtre.

Maxime hocha la tête et s'éloigna sans un regard en arrière.Mais il ne pouvait s’empêcher deregretterquelasituationnesoitpasdifférente.Quetousdeuxpuissentlaissertomberleursarmureset

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resterpourtoujoursàl'abridesarbres.

Maisc'étaientlàdespenséesdangereuses.

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LeroidesNainsétaitraviducadeauduroiHerla.Aussi,quandlesfestivitésprirentfinetquelesinvitéss'enallèrent,ilremercialeroiHerlaenluioffrantunchienaupelageblanc.

« Je sais que vous aimez chasser, dit-il. Avec ce chien sur votre selle, votre flèche nemanquerajamaissacible.Maisprenezgardeànejamaisdescendredechevalavantquelechienn'aitsautéàterredesonpleingré.Enrespectantcetteconsigne,voussereztoujoursensécurité.»

Artemis entra dans la chambre de Penelope juste avant 11 heures. Elle trouva sa cousine assisedevantlemiroirdesacoiffeuse,tournantlatêted'uncôtéetdel'autrepourexaminersescheveux.

-Quepensez-vousdecenouveaustyle?demanda-t-elle.

Desbouclesentrelacéesdeminusculesperlesencadraientsonvisage.

-C'estuneidéedeBlackbourne,maisjenesuispassûrequecelametteenvaleurmestraits.

Blackbourne se trouvait à l'autre bout de la pièce, pliant des bas, et pouvait donc entendre leuréchange,cedontPenelopenesemblaitguèresesoucier.

-J'aimebeaucoup,réponditArtemis,sincère.C'estàlafoisélégantetmoderne.

Penelopelagratifiad'unjolisourire-sonvraisourire,quetrèspeudegensconnaissaient.ArtemissedemandasiWakefield l'avait jamaisvuesourireainsi,puispréférachassercettequestiondesonesprit.

-Voulez-vousvotrechâle?s'enquit-elle.

-Jesupposequevousêtesdéjàsortie?

-Oui,j'aiétéfaireunpetittouravecBonbon.

-Jemedemandaisjustementoùilétaitpassé,réponditPenelopeenhochantlatêtedevantsonreflet,l'airsatisfait.Non, reprit-elle, jenevaispasprendredechâle.Si j'ai froid, j'enverraiWakefieldouScarboroughmelechercher.

EtelledécochaunautresourireàArtemis,quineputs’empêcherdesourire,elleaussi.L'idéequePenelopeutilisedesducscommegarçonsdecoursel'amusait.

-Danscecas,sivousêtesprête,nouspouvonsdescendre?

-Oui.Ah,non,attendez!Ilyaquelquechose...

Ellesemitàfouillerdanslefatrasdebijoux,éventails,gantsetautrescolifichetsquiavaientenvahilacoiffeusedepuissonarrivéeàPelhamHouse.

- Ah, voila ! C'est arrivé pour vous à 8 heures, par cavalier spécial. Ridicule ! Qui peut bienenvoyerdesmessagessitôt?

Artemiss'emparadelalettrepassablementfroisséequePenelopeluitendaitetrompitlesceauavecle pouce. Elle s'affola en découvrant qu'elle était signée du gardien qu’elle avait soudoyé pour la

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prévenirsiquoiquecesoitdeterriblearrivait.

Votrefrèreestmourant.Venezvite.

Mourant.

Non,c'étaitimpossible.Pasmaintenant,alorsqu’ellevenaitdetrouverunmoyendelefairesortir!

Mourant.

Ellenepouvaitprendrelemoindrerisque.

Ellereplialalettre.Sesmainstremblaient.

-Penelope,jedoisretourneràLondres.

-Quoi?fitsacousine,quiexaminaitsonnezdanslemiroir.Nesoyezpasridicule.Lapartiedecampagnedoitencoredurerunesemaineetdemie.

-Apollonestmalade,oubien...ilsl'ontencorebattu.Jedoisyaller.

Penelopesoupirabruyammentcommesil'onvenaitdeluiprésenterunerobequinecorrespondaitpasexactementàcequ’elleavaitcommandé.

-Artemis,jevousaiditetrépétéquevousdeviezoubliervotre...frère.Vousnepouvezplusrienpour lui.La charité chrétienne vous pousse à l'aider, je le comprends,mais comment voulez-vousaiderunebêteravagéeparlafolie?

-Apollonn’estpasfou,répliquaArtemisd'unevoixtendue.Etcen'estpasunebête.

Blackbourne se trouvait toujours dans la pièce. Elle avait beau se comporter comme si ellen'entendaitrien,Artemissavaitqu'ellen'enperdaitpasunemiette.Cependant,ellerefusaitdesesentirhumiliée.

-Ilaétéinjustementaccusé,ajouta-t-elle.

-Voussavezbienquec'estfaux,machérie,objectaPenelope.

Elleessayaitsincèrementdesemontrergentille,Artemislesavait,etc’étaitinsupportable.

-Papaafaittoutcequ'ilapupourvotrefrère,ajoutaencorePenelope.Etvousaussi.Honnêtement,jenevoispascequevouspourriezfairedeplus.

Artemis aurait voulu dire à Penelope ce qu'elle pensait vraiment d'elle, puis quitter la pièce enclaquantlaportepourenfinir-enfin!-aveccettecomédie.

MaisunteléclatnerendraitpasserviceàApollon.

Artemisavaitencorebesoindusoutiendesononcle.Siellepartaitmaintenant,ellen’auraitplusaucunmoyendefairesortirsonfrèredeBedlam.Seulunhommetrèspuissantenétaitcapable.

Peut-êtremêmeunseulhomme,enfait.LeducdeWakefield.

Oui.C'était lasolution.Resterici,quoiqu’il luiencoûtât,etsedébrouiller,d'unefaçonoud'uneautre, pour que le duc se décide à lui venir en aide.S'il le fallait, ellemonterait sur les toits pourrévéleràtoutlemondel’identitéduFantômedeSaint-Giles.

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Ellen'avaitplusrienaperdre,désormais.

Unpeuplus tard,à l'heuredudéjeuner,Maximes'installacommedecoutumeauhautboutde lagrandetabledelasalleamangerdePelhamHouse.Maispourlapremièrefoisdesavie,ilsesurpritàrêverd'unrepasoùnerégneraitplusl’ordredepréséances.Carlesrèglesquivoulaientqu'unducs’asseyetoujoursauboutdelatableexigeaientégalementqu’unedamedecompagnieprenneplaceàl'autre extrémité, si loin qu'il aurait presque fallu recourir à des pigeons voyageurs pourcommuniquer.Nonpasqu’ileneutenvie.Lesraisonspour lesquellesMlleGreavesavait les jouesempourprées,desgestesanormalementnerveuxetunregarddésespéréneleregardaientenrien.

Dumoins essaya-t-il de s'en convaincre.Mais àmesureque le repas avançait, il dut se rendre àl’évidencequ'ilétaitincapabled'écouteravecl'attentionrequiselesproposdesavoisinedetable.

Àsadécharge,iln'étaitjamaisaisédesuivrelaconversationdeladyPenelope.

-… et j'ai répondu àMlle Alvers qu'on pouvait éventuellement proposer du chocolat après 16heures,maisquedetoutefaçonenboireneseraitpasconsidérécommeconvenable.Qu’enpensez-vous,VotreGrâce?

- Je n'ai pas d’opinion particulière sur le chocolat, avant ou après 16 heures, réponditMaximepince-sans-rire,

-Commentcela,Wakefield?intervintScarborough,l'airchoqué.N'yvoyezaucuneoffense,maisjetrouveceladéplorable.

Maximebutunegorgéedevin.

-Jenemesensnullementoffensé,rassurez-vous.

-Touteslespersonnesdeconditiondevraientavoirunavissurlechocolat,poursuivitlevieuxduc.Etsurtouteslesautresboissons.Quandlesboire,etavecquelsaccompagnements.LadyPenelopeesttrèssagedes'intéresserausujet.

Maximes’avouavaincu.Scarboroughavaitprobablementgagnécettemanche,etce,simplementendébitantdes ineptiesavecaplomb.Uncoupd’œilà ladyPenelopeconfirmasessoupçons.La jeunefilleavaitmorduàl’hameçon,etavalél’appâtetlalignedanslafoulée.

Maxime levadiscrètement sonverreà l'adressedeson rival.Scarborough lui réponditd’unclind’œil.

Mais déjà lady Penelope se penchait en avant, sa poitrine généreuse tombant presque dans sonassiette,pourrépondre:

- Je vous remercie,VotreGrâce.Vous n’allez pas le croire,mais, pas plus tard que la semainedernière,Artemism'aassuréqu'illuiétaitindifférentdeboiresonthédansdelaporcelainedécoréeenbleuouenrouge!

Scarboroughsursauta.

-Cen’estpasvrai!

- Si, confirma lady Penelope, qui se redressa après avoir dénoncé cette entorse criminelle àl’étiquette.J'ailesdeux,biensûr,maisilnemeviendraitpasàl'idéedeservirautrechosequeducafé

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danslarouge.Celadit,avoua-t-elleavecunbattementdecils,ilm'arrivedeservirduchocolatdanslableue.

-Petitevilaine,soufflaScarborough.

Maxime soupira bruyamment, mais personne ne parut s'en apercevoir. Était-ce là le genre deconversationsqu'ildevraitendurerunefoismarié?Ilcontemplasonverred’unœilmorose,avantdelaissersonregarddériverversl’autreboutdelatable,oùMlleGreavesriaitunpeutropfortàuneremarquedeM.Watts.Ildoutaitdeselasserunjourdelaconversationdecettefemme-là.Cetteidéeétaittroublante.IlnedevraitpasaccorderlamoindrepenséeàMlleGreaves;iln'yavaitpasdeplacepourelledanssaviesiparfaitementordonnée.

- Je ne peux pas blâmer cette pauvre Artemis, déclara lady Penelope d'un air pénétré. Elle nepossèdenimonraffinementnimasensibilité.

Maximefaillitricaner.Sileraffinementconsistaitàsavoirdansquelgenredeporcelaineondevaitservirlechocolat,alorsMlleGreavesmanquaiteneffetderaffinement-etilnel'enjugeaitqueplusfavorablement.

Ilregardadenouveauàl'autreboutdelatable,etéprouval'envieirrationnelled’éjecterM.WattshorsdesachaiseenvoyantMlleGreavesprêterl'oreilleàsaconversation.

Maximecroisalesyeuxdelajeunefemme.Ellesoutintuninstantsonregard,avantdesedétourner.

Quelquechoseclochait.Ellesemblaitbouleversée.

Songeur,Maximebutunenouvellegorgéedevin.Quand ils s’étaientvuscematindans lebois,MlleGreavess’étaitmontréeaussieffrontéequ’àl’ordinaire.Ensuite,lesinvitéss’étaientdivisésendeuxgroupes.LesmessieursétaientalléschasserlaperdrixtandisquelesdamesrestaientàPelhamHousepours'adonneràdes jeuxdesociété.MlleGreavesfaisaitpartiedusecondgroupe.Quelquechoses'était-ilpasséàcemoment-là?

L’arrivéedudessertpritMaximeparsurprisebienqu'il fût ravique lerepass’achèveenfin.Dèsquelesinvitésselevèrentdetable,ilabandonnaladyPenelopepourrejoindreMlleGreaves.

Maisdéjàelleseportaitàsarencontre.

-J’espèrequevotrepartiedechasseaétécouronnéedesuccès,VotreGrâce,dit-ellelorsqu’ilsserencontrèrentaumilieudelapièce.

-Noussommesrentrésbredouilles,maisjesuissûrquevousêtesdéjàaucourant.

-Vousm'envoyezdésolée.Maisc’étaitsansdouteprévisible,carvousn’êtespashabituéàchasserenmilieurural.

Maximecilla.Ilnevoyaitpasoùellevoulaitenvenir.

-Que...?

-Aprèstout,vouschassezplutôtàLondres,non?

M.Watts,quisetrouvaitnonloind'eux,affichaunsourireperplexe.

-Quevoulez-vousdire,mademoiselleGreaves?intervint-il.

-MlleGreavesfaitprobablementréférenceàmontravailauParlement,répliquaMaximeentresesdents.

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-Ah, fitM.Watts. J'imagine, eneffet,qu'onpeutconsidérer le travailparlementairecommeunesortedechasse,maishonnêtement,mademoiselleGreaves,c’estlàunecurieusefaçondedécrire...

-JenefaisaispasréférenceaurôleduducauParlement,lecoupaArtemis.EtquandjeparlaisdeLondres,jevoulaisparlerdesruesdeLondres.

M.Wattsseraidit.Sonsourires’évanouit.

- Vous n'insinuez quandmême pas que le duc fréquenterait les rues de Londres ? répliqua-t-il,rougissant en prononçant lemot « rues » si lourd de connotations scandaleuses.Vous devez vousrendrecompte...

Cettefois,cefutMaximequil'interrompit:

-MlleGreavess'estmalexprimée,Watts.

-Vraiment,VotreGrâce?fit-elle.

Elleavaitlevélementond'unairdedéfi,maisilyavaitdanssesprunellesunelueurdedésespoirquidonnaittoutàlafoisenvieàMaximedelasecoueretdelaprotéger.

- Je suis certaine de m’être parfaitement exprimée, ajouta-t-elle, mais si vous souhaitez que jerenonceàcettediscussion,voussavezquoifaire,VotreGrâce.

-Ques'est-ilpassé?demandaMaximesansréfléchir,etsanssesoucierqu'onlesécoute.

-Voussaveztrèsbienpourquijemebats,VotreGrâce.

Sesyeuxbrillaient,etl’originedeleuréclatnefaisaitaucundoute.

Deslarmes.Sadéessepleurait.

Maximeluipritlebras.

-Artemis...

CousineBathildadéboulasubitementdansletableau.

- Nous projetons d'aller visiter les ruines de Fontaine Abbey, Maxime. Je suis sûre que MlleGreavesaimeraitsepréparer.

Leduclâchalebrasdelajeunefemmeàcontrecœur.Sesinvitésregardaientdansleurdirection.LadyPenelopefronçaitlégèrementlessourcilsetM.Wattsparaissaitperdu.

Maximereculad'unpasets'inclina.

-Jeproposequenousnousretrouvionsdansunedemi-heuresur la terrasse.Jeseraiheureuxdevousaccompagnerjusqu’auxruines.

Ildutseforceràtournerlestalons.

ArtemissentaitleregardinquietdeMllePicklewoodsurelle,alorsquelapetitetroupetraversaitàpiedunchampconduisantauxruines.LavieilledameavaitveilléàcequePhoebemarcheavecelleletempsdelapromenade.Devantelles,ladyPenelopeétaitencadréeparleducdeWakefieldàsadroiteetleducdeScarboroughàsagauche.ArtemisavaitlesyeuxrivéssurlesépaulesdeWakefield.Ellecomprenait queMlle Picklewood veuille désamorcer un scandale potentiel, mais elle ne laisserait

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personneladétournerdesapropremission.

Apollonsemourait.

Cette idée la rendaitmalade. Elle brûlait d'envie de le rejoindre pour le serrer dans ses bras etprofiterencoredequelquesmomentsaveclui.

Mais,pourl’heure,c’étaitimpossible.

Peneloperenversalatêteenarrièreets'esclaffa.Lesrubansquiornaientsachevelureflottaientauvent.

-Ellelesmanipuletouslesdeux,observatranquillementPhoebe.

Tiréedesessombresruminations,Artemistressaillit.

-Vouscroyez?IlmesemblequeWakefieldn'estpashommeàselaissermanipuler.S'ildécidedeseretirerdujeu,illeferasansunregardenarrière.

- Peut-être, concéda Phoebe, mais pour le moment, mon frère la veut. Personnellement, jepréféreraisqu'ilfasseunepause,letempsderéfléchiràlaquestion.

-Qu'est-cequivousfaitcroirequ’ilnes’enestpasdonnélapeine?

-S'il avait réfléchi, il se serait renducomptequePenelopeet luinepouvaientpasêtreplusmalassortis,non?

-Votreraisonnementseraitvalables'iltenaitàelle.Cequin'estpasnécessairepourl’épouser.

Artemiscraignituninstantdes’êtremontréeinsultante,maisPhoebesecoualentementlatête.

-Vousvoustrompez.Maximen'estpasaussifroidetindifférentquelaplupartdesgenslepensent.

Artemisl'avaitdéjàcompris.ElleavaitvusonexpressionquandilregardaitPhoebechanteraveclui.Elles’étaitpromenéedanslesboisaveclui.Etilluiavaitmontrélafolieimaginéeparsamère.Ellesavaitqu'ilyavaitunhommecapabledevibrersouslaglace.

Maisellenepouvaitsepermettredelevoirainsiencemoment.Elledevaitmettredecôtécequ'elleressentaitpourluietlepousseràcéderàsarequête.

Elle accéléra le pas pour se rapprocher du trio de tête. Ils avaient presque atteint les ruines -quelquesgrandesarchesdepierregrise,àcielouvert.

-J’airencontréunautrehommeaussifroid,dit-elleàPhoebelorsqu’ellessetrouvèrentaportéed’oreilledutrio.LeFantômedeSaint-Giles.Ilm'afaitl'effetd'avoirunglaçonàlaplaceducœur.Unpeucommevotrefrère,enfait.Maislacomparaisons’arrêtelà.Leducn'apaslecourageduFantômedeSaint-Giles.

LedosdeWakefieldseraiditperceptiblement.

-Artemis...protestaPhoebe,àlafoisdésarçonnéeethorrifiée.

-Ah,nousarrivons!s'exclamajoyeusementMllePicklewood.

Artemisseretourna.MllePicklewoodétaitjustederrièreelles.Ellemarchaitvitepourunefemmedesonâge.

- Votre Grâce, lança Mlle Picklewood à Scarborough, je me souviens de vous avoir entenduraconteràmachèrecousine, ladéfunteduchesse,unehistoirede fantômeconcernantcetteabbaye.

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Seriez-vousassezaimablepourmerafraîchirlamémoire?

-Votremémoireestaussiaiguiséequ'unrasoir,mademoisellePicklewood,laflattaScarborough.

Penelopebattitdesmains.

-Ohoui,racontez-nousunehistoire!

-Trèsbien,maiselleestunpeulongue,milady,laprévintlevieuxduc.

Ilsortitsonmouchoirdesapoche,ledépliaetl'étenditsurunepierrequiavaitduautrefoisfairepartiedesmursdel'abbaye.

-Jevousenprie,asseyez-vous.

Touteslesdamess'assirentsurdespierres,àl’exceptiond'Artemisquipréféraresterdebout.Lesvalets, qui avaient suivi l'excursion, sortirent rafraîchissements et petits gâteaux des paniers qu’ilstransportaientetcommencèrentàservir.

Scarborough prit une posturemélodramatique, les pieds bien plantés sur le sol, lamain glisséeentrelesboutonsdesongilet.

- Ces ruines, attaqua-t-il en désignant celles-ci de sa main libre, sont celles d'une grande etpuissanteabbaye,construiteethabitéepardesmoinesquiavaientfaitvœudesilence...

Sansluiprêterattention,Artemisentrepritdesedéplacerlentementderrièrelecercleforméparlesinvités.Elles'immobilisauninstantderrièreMmeJellett,puisrepritsaprogression.SonbutétaitdeserapprocherdeWakefieldquisetenaitdeboutàcotédeladyPenelope.

-…quand la jeune fille se réveilla, lesmoines lui servirentunplantureux repas.Maisbien sûr,aucund'euxneluiadressalaparole,puisqu'ilsavaientfaitvœudesilence.

Artemisbaissa lesyeuxpourcontournerunecolonneàdemiécroulée,dont labaseétaitenvahieparlesronces,c'estpourquoiellenelevitpasfondresurelle.

-àquoijouez-vous?chuchotaWakefieldenrefermantlamainsursonbras.

Artemisjugeaplussagedenepasrépondre.

Ill’entraînaversunpandemurpresqueintact.Lesinvités,suspendusauxlèvresdeScarborough,neremarquèrentrien.MllePicklewood,enrevanche,tournalatêtedansleurdirection,telunchiendegardeenalerte.Wakefieldluijetaunregarddestinéàlaréduireausilence.

Laseconded’après,ilsétaienthorsdevue.

Leducnes’arrêtapaspourautant. Il tiraArtemis jusqu’àunbouquetd'arbresquisedressaitsurl'undescôtésdel'abbaye.Cen'estqu'unefoisàl'abrideleurfeuillagequ'ildaignas'immobiliser.

-Qu'est-cequivousprend?gronda-t-ilenluisaisissantl'autrebras.

-Ilestmourant,articula-t-elleàvoixbasse,tremblantdetoussesmembres.Lalettreestarrivéeàl'aube,maisjenel'aieuequ'enfindematinée,Penelopenel'ayantpasjugéeassezimportantepourmelaremettreplustôt.Apollonsemeurtdanscetenferqu'estBedlam.

-Jepeuxvousfaireattelerunevoiturequipartiradansmoinsd'uneheure.Silesroutes...

Artemislegiflaviolemment.

Satêtetournalégèrementsousl'impact,maisilsecontentadelafixer,lesyeuxétrécis.

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Artemishaletaitcommesielleavaitcouru.

-Non!VousallezveniràLondresavecmoi.Etvousallezlesortirdelà.Sinon,jevousjure,surtoutcequej'aideplusprécieux,dedétruirevotreréputation.Je...

-Petitegarce!s'emportaMaxime,rougedecolère.

Etilécrasaseslèvressurlessiennes.

Sonbaisern'avaitriendetendre.Leducsecomportaitenprédateuraffamé.SiArtemisl'avaitcruaussifroidquelaglace,cetteglacefondaitàprésentsouslefeudesacolère.Salanguelafouillait,sonsouffleétaitbrûlantcontresajoue,etchaquefoisqu’ellerespirait,sesseinssepressaientcontreson torse dur. Il n'était ni tendre ni romantique, et pourtant, elle se laissa emporter par la fouguedévastatricedesonbaiser.Aupointdetoutoublier.

Elleserappelaàtempsquesonfrèreavaitbesoind'elle.

Et s'arracha aux lèvres du duc, le souffle court, cherchant quoi dire tandis qu'il resserrait sonemprisesursesbraspourl’empêcherdes'échapper.

-Jen'aipasàobéiràvosordres,mademoiselleGreaves.Jesuisunduc,pasvotrepetitchien.

-Etmoi, jesuisArtemis,pasMlleGreaves, répliqua-t-ellesanssedémonter.Vousallez faireceque je vous demande, ou je ferai en sorte que vous soyez la risée de tout Londres. Et vous serezobligédevousexilerd'Angleterrepourtoujours.

Lesprunellesduduclançaientdeséclairsetellesedemandas'iln'allaitpaslafrapper.Finalement,ilsecontentade lasecoueravecune telle forceque le fichuquicouvraitsondécolleté tombadansl'herbe.

-Cessezd'exiger,dit-il,larelâchant.Cessezdevouscomportercommecellequevousn’êtespas.

Ladouleurexplosadanslapoitrined'Artemis,siaiguëqu'elleeutl’impressionderecevoiruncoupdepoignardenpleincœur.

Ellefermalesyeux.Seslèvrestremblaient.Apollonsemourait.

-S'ilvousplaît,Maxime.S'ilvousplaît!Jevousjuredeneplusvousprovoquer.Jeresteraidansl’ombre, jenemarcheraipluspiedsnus, jenenageraipasdansvotreétang, jenevousdérangeraiplus.Maisjevousensupplie,sauvezmonfrère.

ElleentendaitlavoixdeScarborough,quipoursuivaitsonhistoire.Elleentendaitunoiseaulancersestrillesau-dessusdeleurstêtes.Elleentendaitmêmelebruissementdesfeuillesquelabriseagitait.

Maisellen'entendaitpasWakefield.

Peut-êtreétait-ilparti.

Ellerouvritlesyeux,affolée.

Il était là et la regardait, le visage indéchiffrable, comme sculpté dans la pierre. Retenant sonsouffle,Artemisattenditleverdictquiscelleraitsondestinetceluidesonfrère.

Une déesse ne devrait jamais avoir à implorer. C’était la seule pensée claire qui, à cet instant,traversait l'espritdeMaxime.Tout le reste - son rang, ses invités, leurconflit -passait à l’arrière-

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plan.Ellenedevraitpasavoiràl'implorer.

Il sentait encore le goût de ses lèvres sur sa langue, avait envie de l’écraser contre lui etl’embrasserdenouveau,maisilseforçaàlalâcher.

-Trèsbien,dit-il.

Artemisclignadesyeux,bouchebée,commesiellen'encroyaitpassesoreilles.

-Quoi?

Maximetournaitdéjàlestalons,réfléchissantàunestratégie,lorsqu'elleluiagrippalamanche.

-VousallezlesortirdeBedlam?

-Oui.

Sa décision avait sans doute été prise à l’instant où il avait vu des larmes dans ses yeux.Apparemment, il avait un point faible, au moins aussi redoutable que le talon d'Achille : il nesupportaitpasdelavoirpleurer.Maisàprésentsesyeuxbrillaientd’unéclatdifférent-commes'ilvenaitdedécrocherlalunepourladéposerdanssesmains.

-Merci.

Ilhochalatête,puispritladirectiondePelhamHouseavantd’êtretentédegoûterdenouveauàseslèvres.

IlfutpresquesurprisdetrouversesinvitésrassemblésautourdeScarborough.Sontête-à-têteavecArtémis avait été comme un interlude hors du temps, dans un autre monde, alors qu'il n'avait enréalitépasduréplusdequelquesminutes.

-Maxime!lehélacousineBathilda,unplisoucieuxentrelessourcils.Penelopeaimeraitquevousnousmontriezlepuits.Scarboroughvientdenousraconterl'histoiredelamalheureusequis'estjetéededansautrefois.

-Pasmaintenant,marmonna-t-il,etilcontinuasonchemin.

-VotreGrâce!

Bathildan'avaitjamaisétéunemèrepourlui.Lorsquesapropremèreétaitmorte,ilétaitdéjàassezgrandpournepassechercherunemèredesubstitution.MaisquandcousineBathildausait-rarement- de ce ton impérieux et qu’elle l'appelait par son titre,Maxime nemanquait jamais de lui prêterattention.

Ilseretourna.

-Oui?

Ellel’entraînaàl'écart.

-Que t'arrive-t-il ?murmura-t-elle.LadyOddershawetMmeJellett ontpassé les cinqdernièresminutes à chuchoter à ton sujet et à celui de Mlle Greaves. Lady Penelope elle-même doit sedemandercequetuavaisdesiimportantàdireàsadamedecompagniepourquetut’éloignesavecelle.

Elleinspiraungrandcoupavantd’ajouter:

-Faisattention,Maxime,tuessurlepointdecréerunénormescandale.

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-Alors,c’estuneexcellentechosequejesoisobligéderetourneràLondres.Jeviensd’apprendrequ’uneaffairem'yréclamaitdetouteurgence.

-Que...?

Maisiln’avaitpasletempsdeseperdreenexcuses.

SiArtemisdisaitvraietquesonfrèresemourait,ildevaitregagnerLondresauplusvite.

Il semitàcourirdèsqu'il futhorsdevuedeses invités,etétaithorsd'haleine lorsqu'ilarrivaàPelhamHouse.Ilfitundétourparlesécuriespourordonnerqu'onluiselledeuxchevaux,puisgagnalamaison.

Cravenl’accueillitenhautdesmarches,leregardinterrogateur.

-VotreGrâcesembletrèsessoufflé.J’espèrequevousn’êtespaspoursuiviparquelquehéritièreunpeutropenthousiaste.

- Prépare-nous un sac de voyage, Craven, rétorqua Maxime. Nous allons à Londres aider unassassinfouàs'enfuirdeBedlam.

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9

LeroiHerlaetsesgardesregagnèrentlemondedeshumains.Maisquellenefutpasleursurprisequand ils revirent enfin le soleil. D'épais buissons bouchaient l'entrée de la caverne, et là oùs'étalaient auparavant des champs fertiles où passaient des troupeaux, ils trouvèrent une forêtredevenuesauvage.Auloinsedressaientlesruinesd'unchâteau.Ilschevauchèrentjusqu’àcequ'ilstrouventunpaysanàinterroger.

«Nousn'avonsniroinireine,leurréponditcedernier.PasdepuisquelegrandroiHerlaadisparuetquesareineestmortedechagrin.Etcela,messires,s'estpasséilyaneufcentsans.»

Artemisentenditlesvoixdesinvitéscommeleduclesrejoignait.Ellesmontaientetdescendaient,puistoutredevintsoudainsitranquillequ'elleauraitpucroirequ'elleétaitseule.Seuleetensécurité.

Maisellen'étaitplusunegaminerêveuse.Ellesavaitqu'elledevaitaffronterlemonderéel-etlesautresinvités.

Après avoir pris une profonde inspiration, elle retourna dans les ruines de l'abbaye.Après tout,l'épreuveneseraitpaspluspéniblequ'aulendemaindel'arrestationd'Apollon.Cematin-là,elleavaittraversélevillagepourallerchezleboucher.Illuiavaitfermélaporteaunezetelleétaitrentréeàlamaison lesmains vides tandis que les villageois, qu’elle avait crus ses amis, chuchotaient sur sonpassage.

Tous les regards se braquèrent sur elle dès qu’elle apparut. LadyOddershaw etMme Jellett sepenchèrentl’uneversl'autre,maisPhoebeluisourit.

Unseulsouriresincèrevalaitmieuxquemillevisageshypocrites.

-Oùétiez-vous?luidemandaPenelope.Etoùestpassévotrefichu.

Artemissesentitrougir,maisilétaittroptardpourreculer.Elleportamachinalementlamainàsagorgeets’aperçutquelachaîneportantl'émeraudeetlabaguedeMaximeétaitàdécouvert.Maximeavait-ilvulabague?Sioui,iln'enavaitrienmontré.Elles’empressadeglisserlesbijouxdanssoncorsage d'un geste aussi désinvolte que possible. Après tout, la chevalière n'avait riend'exceptionnelle.Personnenepourraitlareconnaîtredeloin.

-Artemis?lapressaPenelope,quiattendaitsaréponse.

-J’aiaperçuunemésangehuppéeetj’aivoululavoirdeplusprès.

-AvecleducdeWakefield?

-Ils'intéressebeaucoupàlanature.

Et,enl'occurrence,cen’étaitpasunmensonge.

-Hmm,fitPenelope,suspicieuse.

MaisdéjàleducdeScarboroughluiglissaitunmotàl’oreille,etellesedétournad’Artemis.

Les invités avaient rassemblé leurs affaires pour rentrer à Pelham House. Phoebe s’apprêtait à

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rejoindreArtemislorsqueMllePicklewoodluidemandad'accompagnerMlleRoyale.

Phoebeaffichauneexpressionétonnée,avantdesourirepolimentàMlleRoyale.

-Puis-jem'appuyersurvotrebras,mademoiselleGreaves?s'enquitMllePicklewoodd’untonquiressemblaitdavantageàunordrequ'àunerequête.Lecheminesttellementinégal.

-Biensûr,réponditArtemis.

- Nous n'avons pas eu l'occasion de beaucoup nous parler, ces derniers temps, reprit MllePicklewood.J'espèrequevousappréciezvotreséjour.

Elles étaient les dernières de la petite troupe etArtemis était prête à jurer queMllePicklewoodavaitfaitcechoixàdessein.

-Oui,beaucoup,répondit-elle,surladéfensive.

-Parfait,parfait,murmuraMllePicklewood.Jecrainssisouventquelesinvitésdecespartiesdecampagne laissent à Londres leurs principes. Vous n'imaginez pas, ma chère, toutes les histoiresscandaleusesquimesontrevenuesauxoreilles.

-Vraiment?

Artemissecroyaitimmuniséecontrelesinsinuationsdetoutessortes,malheureusement,elleaimaitbeaucoupMllePicklewoodetsesouciaitdesonopinion.Elleneputs’empêcherderougir.

-Oh,queoui,machère!assuraMllePicklewoodavecunedouceur infinie.Et,biensûr,cesonttoujours les plus innocents qui se retrouvent la proie des pires ragots. C'est pourquoi les jeunesfemmesquin'ontnititrenifortunedoiventsemontrerparticulièrementprudentes.

MllePicklewoodmarquaunepause,letempsqu'ellescontournentunamasrocheux.

- Bien entendu, reprit-elle, il serait inacceptable qu’une jeune femme qui ne serait pas mariées'abandonneàdescomportementsquipourraientêtremalinterprétés.Ceseraitleplussurmoyendeperdrelaseulesituationquiluireste.

-Jecomprends,murmuraArtemis,lesdentsserrées.

-Vous comprenez ? répétaMlle Picklewood. Tantmieux.Car dans ce genre de situations, c’esttoujours la femmeque l’onblâme, jamais l'homme.Et sachezaussique lesducs,aussihonorablesqu'ilssoientparailleurs,n'ontjamaisquedemauvaisesraisonsd'attirerunejeunefemmenonmariéedansunrecoindiscret.Vousnedevezvousfaireaucuneillusionàcesujet.

-Oui,acquiesçaArtemis,quis'obligeaàrespirercalmementpourquesavoixnetremblepas.Jem'enrendscompte.

-J'aimeraisqu'ilenailledifféremment,avouaMllePicklewood.Maisl'expériencem'aapprisquelesfemmescommenousdevaientsemontrerpragmatiques.J'enaitropvudéchoirpournepasavoireucettesagesse.

-Lesfemmescommenous?

-Maisoui,machèreCroyez-vousque je soisnéeavec lescheveuxblancsetdes rides? J'aiétéjeune,moiaussi.Moncherpèreadorait jouerauxcartes.Malheureusement, iln'étaitpas trèsdoué.Plusieursgentlemenm'ontfaitdespropositions,maisj’avaischaquefoislaconvictionquenousnenousentendrionspas.Alors,jesuisalléevivrechezmatanteFlorence.Unevieillefemmetatillonne,jesuisauregretdeledire,maisquiavaitducœur.Ensuite,j’aihabitéavecmonfrère.Onpourrait

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penserquelesliensdusangrendraientmasituationplusenviable,maiscenefutpaslecasentremonfrère etmoi.Disons quemabelle-sœur n'a rien fait pour arranger les choses.C'était une horribleavare,quinevoyaitenmoiqu'uneboucheànourrir.J’aiétéobligéederetournerchezmatante.Etpuis...

EllesarrivaientenvuedePelhamHouse.MllePicklewoods’arrêtapourcontemplerlamagnifiquedemeure.

-Vous connaissez la suite.Cette pauvreMary et sonmari sontmorts. Je suis venuedès que j'aiapprislatragédie.Audébut,lesnotaires,lesavocatsetlesfinanciersrôdaientdanstouslescoinsetj'aibiencruquequelqu’unfiniraitparmejeterdehors.Heureusement,Maximearetrouvélaparoleetc’estcequim'asauvée.Mêmeàquatorzeans,ilavaitdéjàl'étoffed'unduc.Iladécidédemeconfierl'éducationdesessœurs.

Lesdeuxfemmess’abîmèrentunmomentdanslacontemplationdePelhamHouse.PuisArtemissetournaverslavieilledame.

-Vousavezditqueleducavaitretrouvélaparole?

-Hmm?Ah,oui.Jesupposequepeudegenss'ensouviennent,aujourd'hui,maisMaximeavaitétési ébranlé par lamort de ses parents qu'il est resté quinze jours sans parler.De stupidesmédecinsprétendirent que son cerveau avait été touché et qu'il ne reparlerait plus jamais. Quelle idiotie !Maxime avait simplement besoin de temps pour se remettre du choc. C’était un jeune garçon trèssensible.

Un jeune garçon qui, lorsqu'il retrouva la parole, n'était plus un jeune garçon, mais le duc deWakefield,songeaArtemis.

-Celaadûêtreterriblepourlui.

-Oui,réponditsimplementMllePicklewood.Ilavaitététémoindeleurmeurtre,comprenez-vous.Lechocavaitétéeffroyablepourungarçonaussiémotif.

Ilneseraitjamaisvenuàl’idéed’Artemisdedécrireleduccommequelqu'und'émotif.Maispeut-êtreétait-ildifférentavantledrame.

-MonDieu!s’exclamaMllePicklewood.J’aipeurdem’êtreégarée.Pardonnez-moi,machère.Jevoulaissimplementvousfairecomprendrequevousetmoinesommespassidifférentes,finalement-l'âgemisàpart,biensûr.Jepeuxdonccomprendrelestentationsdevotreposition.Maisvousdevezapprendreàyrésister.Pourvotrebien.

- Merci, murmura Artemis gravement, car elle savait que ce conseil lui était prodiguéaffectueusement.

MllePicklewoods'éclaircitlavoix.

-J’espèrequecettepetiteconversationnechangerarienentrenous.

-Pasencequimeconcerne,larassuraArtemis.

Lavieilledamehochalatête,visiblementsoulagée.

-Alors,allonsvoirsilethéestservi.

Artemisacquiesça.Unetassedethéluiferaitleplusgrandbien.Dansl’immédiat.

Ensuite,elledevaitretourneràLondres.RejoindreApollon.EtMaxime.

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CarsileconseildeMllePicklewoodétaitsage,ellen'avaitaucuneintentiondelesuivre.

LeBethlemRoyalHospital(pluscommunémentappeléBedlam)étaitunmonumentmonolithique.Reconstruit dans le quartier deMoorfields après le Grand Incendie de 1666, sa longue silhouettebassenemanquaitpasd'enimposer.

Comme si ses administrateurs avaient voulu vanter leur marchandise, songea Maxime aveccynismeen franchissant le porche juste comme la cloche sonnaitminuit. Il portait son costumedeFantômedeSaint-Giles,cars’ilétaitconvaincuqu'ilauraitpuobtenirlalibérationdelordKilbourneentantqueducdeWakefield,ladémarcheauraitprisdutemps.

Or,lepauvrebougren'enavaitpas.

Deuxgrandesstatuesdepierre, l'unereprésentantlaMélancolieet l’autrelaFolie,encadraientleporche qui donnait sur une grande cour pavée. Le jour, l'endroit grouillait de visiteurs prêts àdébourser quelques shillings pour regarder les fous s’amuser.Maximen'était jamais venu,mais ilavait souvent entendu, non sans dégoût, des ladies très respectables raconter avec un frissond’excitation les horreurs auxquelles elles avaient assisté. Une centaine d’aliénés étaient incarcérésentrecesmurs,cequisignifiaitqueMaximeauraitbesoind'unguidepourdénicherKilbourne.

Ilsedirigeaverslesportesmassivesquiserévélèrent,etcen'étaitpasunesurprise,verrouillées.Toutes les fenêtresétaientmuniesdebarreaux,en revanche,plusieursportesde service semblaientoffrirunaccèsplusfacile.Maximeenchoisituneettournalapoignée.Celle-ciaussiétaitverrouillée.Il se pencha pour examiner la serrure : un petit boîtier posé sur le battant, juste en dessous de lapoignée.Maximetirasonépéeetréussit,enquelquescoupsdepommeau,àdescellerleboîtier,quitombaàterreavecunbruitmétallique.

Ilpoussalebattant.

Ettombasurungardienquilefixa,lesyeuxécarquillés.

-Pasunmot,luiordonnaMaximeenpointantsalamesurlagorgedel’homme.

Le gardien arrondit la bouche de surprise, mais ne proféra pas un son. Ses vêtements étaientfroissés,etMaximesupposaqu'ildormait.Bedlamn'avaitpasl’habitudederecevoirdesvisiteurslanuit.

-JeveuxvoirlordKilbourne,murmuraMaxime.

Legardienclignadesyeux.

-Ilestdansl’ailedesincurables.

-Ehbien,conduis-moiàlui.

L’hommecommençaà tourner les talons,maisMaximepressadenouveau lapointedesonépéesursagorge.

-Et ne t’avise pas d’alerter tes collègues, lemit-il en garde. Si je devaisme battre, tu serais lepremieràquittercemonde.

Legardiendéglutitbruyamment,attrapaunelanterne,puis ilpivotaavecunelenteurexcessiveetprécédaMaximedanslecouloir.

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Lemurdegaucheétaitpercédefenêtresmuniesdebarreauxquidonnaientsurlacour.Surlemurde droite s'alignaient les portes des cellules. Une petite ouverture grillagée de forme carrée étaitménagée dans chaque porte, ce qui permettait de voir ce qui se passait à l'intérieur sans ouvrir lebattant. Des froissements, des soupirs, des gémissements, des fredonnements étranges se faisaiententendre.Parfois,unevoixs'élevait,coléreuse,commedansunedispute,maispersonnenerépondait.L’airempestaitl'urine,lechoubouillietl’humidité.Maximeéprouvaitunesensationdedéjà-vu,maisiln'auraitpassuexpliquerpourquoi.

Ilsavaientparcourulamoitiéducouloirquandunbruitdepasrésonnaderrièreeux.

-Sully?C'esttoi?

Legardien-Sully,apparemment-s’arrêtaetseretourna,paniqué,Maximepenchasatêtesursonépaulepourquelenezrecourbédesonmasquenepuissepassedétacherdeprofil.

-N'oubliepascequejet'aidit,chuchota-t-ilàSully.

-Oui...c'estmoi,Ridley,réponditSully.

-Quiestavectoi?demandaledénomméRidley,soupçonneux.

Ils'étaitarrêteàl’extrémitéducouloir.

-Monfrère,George.Ilestvenuboireunverreavecmoi.Maisnet’inquiètepas,onneferapasdebruit.

-Continueàmarcher,chuchotaMaxime.

-Jevaismontrermachambreàmonfrère!LançaSully,avantdetourneràl’angleducouloir.

Auboutdequelquesmètres,ilsarrivèrentàunescalier.

-Ilnoussuit?demandaMaxime.

-J'ensaisrien.Maisc'estunméfiant,Ridley.

Ils gravirent l’escalier. Maxime jeta un coup d’œil derrière lui, mais il était impossible dedistinguerquoiquecesoit,danslapénombre.

-Conduis-moiàKilbourne,dit-ilquandilsarrivèrentàl'étage.

-C'estparlà.

Sullys’arrêtadevantuneporte.Untabouretvidetrônaitàcôté.Etunecléétaitpendueàuncrochetscellédanslemur.

-C'estLeechquiestdegarde,murmuraSullyens'emparantdelaclé,maisildoitcuverdanssonlit.

CommeSully levait sa lanternepourouvrir laporte,Maximeput lire l'inscriptiongravéesur lelinteau:Incurables.

Laporteouvraitsuruncouloirsemblableàceluidurez-de-chaussée,saufqu'ilyavaitdescellulesdesdeuxcotés.Etqu’ellesétaientdépourvuesdeportes.Lespensionnairesvivaientsurdespaillasses,commedesanimauxd’étables,et lapestilenceétait suffocante. Ilspassèrentdevantunvieillardauxcheveuxblancsquilesregardasanslesvoir.Puisunejeunefemme,plutôtjolie,maisquisejetaverseuxcommeunesauvage.Lacellulesuivanteétaitoccupéeparunjeunehommequilaissaitéchapperunriresuraigutoutensegriffantlevisage.

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Sully se signa et pressa le pas. Il s’arrêta devant la dernière cellule. Un homme gisait sur lapaillasse.

Maximes'enapprocha.

-Ilestvivant?s'enquit-il.

Sullyhaussalesépaules.

-Ilétaitvivantquandonaserviledîner.Maisilyapastouchévuqu’ildormait.

Ilnedormaitpas,ilétaitinconscient,devinaMaxime,quis’accroupitdevantl'homme.LevicomteKilbourneneressemblaitenrienàsasœur.AutantArtemisétaitmince,autantilétaitmassif-épauleslarges,mainsmassives, jambes interminables qui dépassaient de la paillasse. Il était impossible dedires'ilétaitbelhomme:sonvisagetuméfiéétaitrecouvertdesangséché,salèvreinférieureétaitfendueetenflée,etilavaitlesyeuxaubeurrenoir.Enoutre,unpetitsifflementdemauvaisauguresefaisaitentendrechaquefoisqu'ilrespirait.

Kilbourneétaitplusmortquevif.Survivrait-ilàsontransferthorsd'ici?Rienn'étaitmoinssûr.Detouteévidenceiln'avaitmêmepaseudroitàlavisited’unmédecin.

MaximesetournaversSully.

-As-tulesclésdesesmenottes?

-Ellesdoiventêtrependuesàlaporte.

Iltournaitdéjàlestalons,maisMaximel'agrippapourleretenir.

-Tuesderetourdansmoinsd'uneminuteoujevaistechercher.Compris?

Sullyhochafrénétiquementlatête.

Maximelelaissapartir.

Legardienrevintmoinsd'uneminuteplustardavecuntrousseaudeclés.

-Çadoitêtreunede...

-Qu’est-cequevoustrafiquezici?demandaunevoix.

Maximeseredressaet fitvolte-faceendégainantsonépée.Sullypoussaunpetitcrietbrandit letrousseaudeclésdevantluitelunbouclier.

L’hommequis'encadraitsurleseuildelacellulesefigeaensentantl'épéesursagorge.MaximeavaitreconnulavoixdeRidley-uncolosseàtêtedebrute.

-Sully,ôte-luisesmenottes,ordonnaMaximesansquitterl'autredesyeux.

Ilentenditlesmenottess'ouvrirettomberàterre.

-Toi,ditMaximeàRidley,prends-leparlespieds.

Ridleyserenfrogna,maisobéit.

-Qu’est-cequevousluivoulez?demanda-t-il.Ilestpresquemort.

Maximel'ignora.

-Donne-moilalanterneetprends-leparlesépaules,dit-ilàSully.

Cedernierparaissaitdubitatif,maisiltenditlalanterneàMaxime.Lesdeuxhommessoulevèrent

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Kilbourneenlaissantéchapperungrognement.

-Ilpèseunetonne,maugréaRidleyavantdecrachersurlapaillasse.

-Économisetasalive,luiconseillaMaxime.S’ilvientunautregardien,jen'auraiplusbesoindetesservices.

Cela suffit à faire taire Ridley. Ils remontèrent le couloir, puis, avec plus de difficultés,descendirentl’escalier.Maximeveillaitàcequ'ilsnelâchentpasKilbourne,maisnelesaidaitpasafindegarderlesmainslibresaucasoùunautregardiensurviendrait.

-J'auraisfinileboulotsij’avaissuquevousviendriezlechercher,grommelaRidleyalorsqu’ilsatteignaientlerez-de-chaussée.

-C’esttoiquil'asmisdanscetétat?DemandaMaxime.

-Ouais, acquiesça Ridley, visiblement content de lui. Il l'ouvrait trop, ce salaud. Ilméritait unebonneleçon.

MaximebaissalesyeuxsurlevisageméconnaissabledeKilbourne.«Personneneméritecela»,songea-t-il.

Ilsempruntèrentlecouloirendirectiondelasortie.Etsoudain,Maximesutcequeluirappelaitcetendroit : laménageriede laTourdeLondres.Saufqu'ici,c'étaientdeshommesquiétaientencagéspour amuser d'autres hommes. Et que les animaux de la ménagerie étaient mieux traités que cespauvresbougres.

-Déposez-ledevantlaporte,ordonnaMaximequandilsatteignirentl’extrémitéducouloir.

-Devantlaporte?fitRidley,perplexe.Etvouscomptezalleroùcommeça?

-Netetorturepaslesméninges,répliquaMaxime.

Et sitôtque lesdeuxgardeseurentdéposéKilbournedevant laporte, il assommaRidleyavec lepommeaudesonépée.

Ridleys'affalasurlesol,etSullylevasesbrasenl'air.

-Pitié,monsieur!

-As-tuprispartaumassacre?

-Non!Jevousjurequenon!

Ilmentaitsansdoute,maisMaximen'avaitpaslecœuràlefrapper.L’étatdeKilbournelerendaitmalade.

Ilsepencha,soulevalevicomteparlebrasetlechargeasursonépaule.L'hommeétaitlourd,eneffet,mais pas aussi lourd que sa stature l'aurait exigé. Ses os étaient saillants ; il avait du perdrebeaucoupdepoidsdepuisqu’ilétaitenferméici.

-Ouvre-moilaporte.

Sullys'empressades'exécuter.

Maximefranchitleseuiletseretourna.

-DisàRidleyetauxautresque je reviendrai.Lanuit.Quandvousdormirezetquevousvousyattendrez le moins. Et si je découvre qu'un autre de vos autres pensionnaires a été traité comme

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Kilbourne,jeneposeraipasdequestion.Jerendrailajusticeavecmonépée.C'estcompris?

-Oui,monsieur,acquiesçaSully,quisemblaitabsolumentterrifié.

Maxime traversa la cour avec son fardeau, passa les grilles et rejoignit la rueoù l'attendait unecharrette.

IldéposaKilbournedanslacharretteetgrimpaàcôtéducocher.

-Enroute,dit-il.

-Sommes-noussuivis?demandaCravenensecouantlesrênes.

-Pasquejesache,réponditMaximed'unevoixhaletanteavantdejeterunregardpar-dessussonépaule,àtouthasard.

-Alors,l'opérationestunsuccès.

Maximegrimaça.

-ÀconditionqueKilbournesurvive.

Artemisfutréveilléepardescoupsfrappésàsaporte.Elleouvritlesyeuxetregardaautourd'elle,désorientée,avantdesesouvenirqu'elleétaittoujoursàPelhamHouse.

Onfrappadenouveau.

Artemis rabattit ses couvertures, se leva et enfila un peignoir.Un coup d’œil en direction de lafenêtreluiappritquel'aubeselevaitàpeine.

Elleentrouvritlaporte,etdécouvritunedomestique.

-Oui?

-Pardondevous réveiller,mademoiselle,mais unmessager vous attenddans les cuisines. Il neveutparlerqu’àvousseule.

Apollon.Ils'agissaitforcémentdelui.Réprimantuntremblement,Artemisenfilasespantouflesetsuivitlaservanteaurez-de-chausséetoutenseposantmillequestions.

Malgrél'heurematinale,ons’activaitdéjààl'office.Lacuisinièreetsesaidespréparaientlepetitdéjeuner.Desvaletsastiquaient l'argenterie.Unjeunehommeétaitattablédevantune tassede théetunetartinedepainbeurre.Ilselevaàl’entréed’Artemis.

-MademoiselleGreaves?

-Oui?

Ilsortitunelettredesapoche.

-SaGrâceaexigéquejevouslaremetteenmainspropres.

-Merci.

Artemispritlalettreetfixaduregardlesceauducal.

-Tenez,mademoiselle,repritlejeunehommeenluitendantsoncouteauàbeurre.

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Ilavaitunetêtedecampagnard,bienqu’ilhabitatsansdouteàLondres.

-Pourromprelesceau,précisa-t-il.

-Merci.

Elle rompit le sceauenhâte,déplia la lettred'unemain tremblante.Lemessage se limitait àuneseulephrase,maisquellephrase!

Ilestchezmoi,vivant.

M.

Artemisexhalaviolemment,serendantseulementcomptequ'elleavaitretenusonsouffle.Dieusoitloué.Ilestvivant.

Elledevaitallerleretrouversansattendre.

Elles’apprêtaitàquitter lacuisine, la lettreserréedanssamain,quandellesesouvint,honteuse,qu'ellen'avaitpasremerciécorrectementlemessager.Elleseretournaverslui.

-Jen'aipasmaboursesurmoi,maissivousvoulezbienm’attendre,jereviensavecunshilling.

Legarçonluisourit.

-Cen'estpasnécessaire,mademoiselle.SaGrâceestunmaîtregénéreux.Etilabienpréciséquejenedevaispasaccepterdepiècesdevotrepart.

-Oh,fitArtemis.

QueMaximeaitpenséàluiéviter l'embarrasdenepasavoirdemonnaiesurelleaumomentoùellerecevraitsonmessageluiréchauffalecœur.

-Ehbien,jevousremercieencore.

Lejeunehommesouritetretournaasonpetitdéjeuner.

Artemissedépêchaderemonteràl’étage.Laveille,elleavaitàdemiconvaincuPenelopequ'ellesn'avaientpasderaisondes’attarderàPelhamHousepuisqueleurhôteétaitrentréàLondres«poursesaffaires».Avecunpeudechance,elleréussiraitàlafaireseleverplustôtqu'àl'ordinaire.

Lepalierétaitsombre,maisArtemisentenditunvalets’éloignerd'unpasrapideàl'autreboutducouloir. Elle entra dans sa chambre et procéda rapidement à sa toilette. Elle avait l’habitude des'habiller seule, son père n'ayant pas toujours eu lesmoyens de lui payer une femmede chambre.Aprèsavoirrevêtusarobedesergemarron,elles’assitàsacoiffeuse.C’estalorsqu'elleremarquaquesabrosseàcheveuxétaitàl'envers.Elleveillaittoujoursàlaposersurledospournepasabîmerlespoilsdesanglier.

Ladomestiqueyavait-elletouché?

Pourtant,lefeun’avaitpasétéranimé.C'étaitdoncqu'ellen'étaitpasencorepassée.

Elleselevapourallerchercherunepairedebasdanssacommode.Unboutdecamisoledépassaitdudeuxièmetiroir,nota-t-elle,étonnée.Peut-êtreavait-ellereferméletiroirunpeutroprapidementladernièrefois...Non,ellenelecroyaitpas.

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Quelqu'unétaitvenudanssachambre.Etcequelqu'unavaitfouillédanssesaffaires.

Elle se souvint du bruit de pas dans le couloir.Maxime avait-il ordonné à l’un de ses valets defouiller sa chambre pendant qu’elle était appelée dans la cuisine pour voir son messager ? Celaparaissaitbizarreetellenevoyaitpascequil'auraitpousseàagirainsi.Pourrécupérersabaguesansavoiràlaluiréclamer?

Ellesortitlachaînedesoncorsage,examinalependentifetlabague,puislesreplaçaàl’abridesregards.LabagueappartenaitàMaximeetellecomptaitlaluirendredèssonarrivéeàLondres.

Dèsqu'elleauraitvuApollon.

Il ne lui fallut que quelquesminutes pour achever de se préparer, puis elle se précipita dans lachambredePenelope.

Sa cousine était bien sûr encore au lit. Et il fallut deux bonnes heures, qu'Artemis trouvainterminables,pourquePenelopefutenfinprêtepourallerprendresonpetitdéjeuner.

-Jenevoispasl’intérêtdeseleversitôt,maugréaPenelope.PuisqueWakefieldestpartiiln'yapluspersonnepourmevoir.

- Et que faites-vous de Scarborough ? répondit machinalement Artemis, avant de regretter sesparoles.

Ellen'avaitcertespasbesoind’encouragerPenelopeàs’attarderàPelhamHouse.

- Scarborough est charmant, admit celle-ci en rougissant. Mais il n'est pas aussi riche queWakefield.Niaussipuissant.

-Ilestduc,fitvaloirArtemisalorsqu'ellesentraientdanslasalledupetitdéjeuner.Etilvousaimebeaucoup.

Penelopes'immobilisa.

-Vouscroyez?fit-elle,presquetimidesoudain.

- J'ensuis sûre,acquiesçaArtemiset,désignantdiscrètement leducquivenaitdese leverà leurentrée,elleajoutadansunsouffle:Regardezsonexpression.

Scarborough affichait un immense sourire. C'était curieux, mais il semblait tenir vraiment àPenelope-etpasseulementenraisondesajeunesseetdesabeauté:ill'aimaitpourelle-même.

-Maisilestsivieux!murmura-t-elle,l'airdésolé.

-Quelle importance ? objectaArtemis.C'est le genre d'homme à couvrir sa femme de cadeauxsomptueux.Ilparaîtquesapremièreépousepossédaitunvéritabletrésorenbijoux.Vousimaginez?

Penelopesemordillalalèvre,indécise,puis:

-Detoutefaçon,nousrentronsàLondres.

Elles approchaient de Scarborough, qui n'avait pas pu ne pas entendre cette dernière phrase. Ilaffichauneexpressiondésappointée.

-Vousm’abandonnez,ladyPenelope?

Elles'assitsurlachaisequ'illuiavaittirée.

-C’estsurtoutnotrehôtequiaabandonné,répondit-elleenfaisantlamoue.Danscesconditions,je

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nevoispasderaisonderesterici.

Scarboroughrepritsaplace.

-Eneffet,acquiesça-t-il.Wakefieldestpartihiercommeunlièvreaffolé.J’espèrequecenesontpas vos taquineries à propos du Fantôme de Saint-Giles qui l'ont fait décamper, ajouta-t-il en setournantversArtemis,l'airjovial.

-Jenepensepasqueleducs'effaroucheaussifacilement,répliqua-t-elle.

-Iln’empêche,Wakefieldafuisapropremaisondecampagne.

Artemis s'affola. Ce n'était vraiment pas le moment que Maxime soit l’objet de soupçons.Heureusement,Penelopevintàsonsecours.

-Leducaditquedesaffairesurgentesl'appelaientàLondres,intervint-elle.Jenevoispasenquoicelapourraitavoirunrapportavecquelquechosequ’auraitditArtemis.

-Vousavezévidemmentraison,s’empressad’approuverScarborough.Maisaveccedépartbrutal,sasœurseretrouveseulepourrentreràLondres.

-MllePicklewoodseralàpourl'accompagner,objectaArtemis.

Scarboroughsecoualatête.

-Non.MllePicklewooda reçucematinune lettre l’avertissantqu'unedesesamies,àBath,étaittombéegravementmalade.Elleestdéjàpartieàsonchevet.

- Eh bien, lady Phoebe n'aura qu'à rentrer avec sa camériste, suggéra lady Penelope, que cettequestionsemblaitlaisserindifférente.

-Uneservanten'arienàvoiravecunedamedecompagnie,fitvaloirScarborough.Surtoutpourune jeune fille comme ladyPhoebe. Je trouvemalheureuxqueWakefield ait jugé ses affaires plusimportantesquesasœuraveugle.

Artemis tressaillit.Leducyallait fort.Celadit,ellepouvaitutilisersa remarqueàsonavantage.D'ordinaire,Penelopeneluiaccordaitjamaisplusd'unedemi-journéedetempslibreparsemaine.EtmêmesiApollonétaitgravementblessé,ArtemisdoutaitfortquesacousinelalaisseserendrechezleducdeWakefieldplusdedeuxheures.Enrevanche,siellecroyaitquec’étaitsonidée...

Artemisseraclalagorge.

-JesaisqueleducdeWakefieldesttrèsattachéàladyPhoebe.

-Biensûr,biensûr,marmonnaScarborough.

-Etjesuisconvaincuequ'ilseraittrèsreconnaissantquequelqu’unseproposepourvoyageravecsasœur.

Penelopen’était pas complètement idiote.Elle comprit ouArtemisvoulait envenir -mais l'idéen’étaitpaspourlaséduire.

-Jenepourraispas,dit-elle.Avecmesbagages,vousetmacamériste,noustenionsàpeinedansnotrevoiturepourvenirici.Celamesembletoutàfaitimpossible.

-C'est fort dommage,murmuraArtemis.Phoebepourrait toutefoisprendre saproprevoiture etvouslapartageriezavecelletandisquejevoyageraisaveclesdomestiques.

Penelopesemblaithorrifiéeàl'idéedeseretrouverseuleavecPhoebe.

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-Oualors,continuaArtemis,jepourraisl’accompagner.

-Vous?Maisvousêtesmadamedecompagnie.

-Oui, c’estvrai,vousavez raison, s'empressade rectifierArtemis.Un teldévouementparaîtraitextravagant.

Penelopefronçalessourcils.

-VouscroyezqueWakefieldmetrouveraitdévouée?

-Certainement,acquiesçaArtemisd'unaironnepeutplussincère.Etsivousme«prêtez»àladyPhoebejusqu'auretourdeMllePicklewood,leducdeWakefieldnesauracommentvousremercier.

-Oh,maisc’estuneexcellenteidée!s’exclamaPenelope.

-Vousêteslabontéincarnée,milady,laflattaScarborough.

Etiladressaunclind’œilàArtemis.

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10

Le paysan avait à peine terminé sa phrase que l'un des hommes du roiHerla sauta à bas de samonture.Maisàpeine sespieds touchèrent-ils terrequ’ildevintpoussière.Le roiHerla se rappelaalorsl’avertissementduroidesNains:aucund'entreeuxnedevaitdescendredechevalavantlechienblanc ou ils risquaient d’être réduits en poussière. Le roi poussa un horrible cri de détresse, etaussitôt,seshommesetluisetransformèrentenspectres.EtvoilàcommentleroiHerlaetsonescortefurentcondamnésàerreréternellement,sanstrouverlereposdel'âme.

-Seréveillera-t-il?demandaMaxime,lelendemainmatin.

Le vicomteKilbourne reposait dans la cave deWakefieldHouse.Maxime et Craven l’y avaientamenéparletunnel.Ilsl’avaientallongésurunlitdecamp,prèsd'unbraseroquileréchauffait.

Cravenfronçalessourcils.

-C’estdifficileàdire,VotreGrâce.Peut-êtrequesinouspouvionsl'installerdansunendroitmoinsinsalubreque...

Maximesecoualatêteavecimpatience.

-Tusaisbienquenousnepouvonsprendrelerisquequ'onledécouvre.

Cravenacquiesça.

- J'ai entendu dire que les directeurs de Bedlam ont déjà dépêché des soldats pour traquer leFantôme.Apparemment,ilssonttrèsembarrassésqu’undeleurspensionnairesaitpus'échapper.

- Ils feraientmieuxd’être embarrassés par les conditionsqu’ils imposent auxdits pensionnaires,marmonnaMaxime.

-Eneffet,VotreGrâce.Quantàmoi,jem’inquiètepournotrepatient.Lesfuméesdubrasero,sansparlerdel'humidité...

-Ne sont pas idéales pour un blessé, achevaMaxime à sa place.Mais si on le retrouve et qu'ilretourneàBedlam,ceserabienpire.Ilnesurvivraitpasàunenouvellecorrectiondesesgeôliers.

-Sinouspouvionsaumoinsfaireappelàunmédecinqui...

-Non.Tropdangereux.Dureste,tuesaussicompétentsinonplusquelaplupartdesmédecinsdemaconnaissance.

-LaconfiancedeVotreGrâcem'honore,maisjusqu'icijen'aieuqu’àsoignervosplaiesetbosses.C’est la première fois que jeme retrouve avec un patient avec une blessure à la tête et des côtescassées.

-Mêmedanscesconditions,jetefaisconfiance.

Cravenarborauneexpressionsolennelle.

-Merci,VotreGrâce.

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Maximeluijetaunregardoblique.

-Nedevienspassentimental,Craven.

-Jamais,VotreGrâce.

Maximesoupira.

-Jedoisfaireuneapparitionlà-hautsinonlesdomestiquesvontcommenceràsedemanderoùjesuispassé.Préviens-mois'ilreprendconnaissance.

-Bien sûr,VotreGrâce.Celadit, si lordKilbourne se réveille, nous seronsdans l'obligationdetrouverunautreendroitpourlecacher.

-J'yaidéjàpensé,figure-toi.Maispourl'instant,aucuneidéenem’estvenueàl'esprit.

Là-dessus, il regagna le rez-de-chaussée. Craven veillerait surKilbourne, tandis qu'il devrait secontenterd’allersetretoursaugrédesesactivités.Ilavaitdit lavérité : ilnefaisaitconfiancequ'àCravenpours’occuperdublessé.

Alors qu’il traversait le vestibule, Maxime fut arrêté par son majordome, Panders, quiheureusement, n’était pas du genre à poser des questions embarrassantes. Panders était un hommeimposant d'une cinquantaine d’années qui arborait d'ordinaire une expression impassible.Aujourd'hui,cependant,ilétaitperturbéaupointdehausserlessourcils.

- Jevousdemandepardon,milord,maisun soldatvousattenddansvotrebureau. Il insistepourvousparler.Jeluiaiditquevousnereceviezpersonne,maisilrefused'endémordre.J’aipenséfaireappel àBertie et à John pour le déloger,mais l'homme est armé et je n'aimerais pas voir le sangcoulersurvotretapis.

Inquietaudébutdurécitdesondomestique,Maximeavaitàprésentsapetiteidéequantàl’identitéduditsoldat.

-Trèsbien,Panders,répondit-ilaveccalme.Jevaislerecevoir.

Sonbureause trouvaità l’arrièredelamaisonafinqu’ilnesoitpasdérangépar lesbruitsdelarue,niparlesnombreuxvisiteursdontPanderssedébarrassaittoujoursavectact.

Maislevisiteurd’aujourd’huiétaitdifférent.

LecapitaineJamesTrevillionseretournadèsqueMaximeouvritlaporte.L'officierdesdragonsétaitgrand,mince, avecun longvisageaustèrequi le faisaitparaîtreplusvieuxqueMaximealorsqu’ilavaitàpeuprèslemêmeâge.

-VotreGrâce.

Trevillioninclinasibrièvementlatêtequ’unautrequeMaximeauraitpusesentirinsulté.Lavéritéétaitplussimple:Trevillionn'étaitpasquelqu'und'obséquieux,etMaximeluiensavaitgré.

-Trevillion,lesalua-t-ilavantdes'asseoirderrièresonimposantbureau.Qu'est-cequimevautleplaisirdevotrevisite?

-J’aidunouveauconcernantleFantômedeSaint-Giles,VotreGrâce.Il...

Maximel'interrompitd’ungesteagacédelamain.

-JevousaidéjàditqueceFantômenem’intéressaitpas.LevraiproblèmedeSaint-Giles,c'estlegin,etcertainementpascefanfaronentenued'Arlequin.

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-Eneffet,VotreGrâce,jeconnaisvotreopinionsurleFantôme.

-Cependant,vouspersistezàl'ignorer.

-J'essaiederempliraumieuxmamission,VotreGrâce.EtentreleFantômeetLucifer...

-Qui?

Maximen'avaitpus’empêcherd’éleverlavoix.Ilsesouvenaitquel’aristocrateavinéquis’étaitfaitdépouillerl’autresoirluiavaitditavoirétéagresséparLucifer.

-Lucifer,confirmaTrevillion.UngredinquisefaitappelerainsietquihantedepuispeulesruesdeSaint-Giles.

Maxime crispa les mâchoires. Deux ans plus tôt, il avait demandé que soit réquisitionné le 4eRégiment de dragons pour mener la guerre au trafic du gin dans Saint-Giles. Et il avaitpersonnellement choisi Trevillion pour diriger ces soldats. Il voulait un homme courageux etintelligent, capable de prendre des décisions, et par-dessus tout, intègre. Le revers de lamédaille,c’étaitque lorsqueTrevillion repérait cequ'il considérait commeunhors-la-loi, il le traquait avecobstination.EtilavaitétéobsédéparleFantômedeSaint-Gilesquasimentdèsledébutdesamission.

Lasituationnemanquaitpasd'ironie :Maximeavait lui-mêmerecruté l'hommequis'étaitdonnépourobjectifdeledémasqueretdel’arrêter.

Trevillioncroisalesmainsdansledos.

-Vousn’êtessansdoutepasencoreaucourant,VotreGrâce,maislanuitdernière,leFantômedeSaint-Giles s'est introduit dans Bedlam, a agressé un gardien, et fait sortir un dangereux aliénécoupabled'assassinat.

Évidemment,Trevillions’intéresseraitàl’affaire.Maximes'adossaàsonfauteuil.

-Quevoulez-vousquejefasse?

Trevillionleregardaunmoment,levisageimpassible.

-Rien,VotreGrâce.C'estmontravaildecapturerleFantôme,pourqu'ilnepuisseplussévirdansSaint-Giles,niailleurs.

-Etcedernierévénementpourraitvousaideràlecapturer?

- Bien sûr que non, Votre Grâce. Mais je trouve surprenant que le Fantôme, qui ne se montred’habitudequedansSaint-Giles,sesoitaventuréjusqu'àMoorfields.

Maximehaussalesépaules,feignantl’indifférence.

-JecroismesouvenirqueleFantômeaégalementétéaperçuunefoisàCoventGarden.Cen'estpasnonplusdansSaint-Giles.

-C'est toutprès,objectaTrevillion.AlorsqueMoorfieldsse trouveà l'autreboutde laville.Enoutre,leFantômeauquelvousfaitesallusionaprissaretraiteilyadeuxans.

Maximeseraidit.

-Jevousdemandepardon?

-J'ailonguementétudiélaquestion,VotreGrâce,expliquaTrevillionaveccalme.Encomparantlesmouvements,lesactionsetcertainesdifférencesphysiques,jesuisarrivéàlaconclusionqu’aumoinstroishommesontendossél'habitduFantômedeSaint-Giles.

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Maximeétaitconscientquelecapitainel’observaitattentivement.Ilfronçalessourcils.

-Enêtes-voussûr?

-Toutàfait.L’undesFantômesétaitpluscasse-couquelesautres.Ilportaitsouventuneperruquegrisesoussonchapeauetavaittendanceànepassepréoccuperdesasécurité.Jepensequecelui-ciaprissaretraitel’étédernier.UnautreFantômemettaitunpointd’honneurànejamaistuer.Ilavaitlescheveuxbruns,tirésenarrière.Celui-làaprissaretraiteilyadeuxans.Letroisièmeesttoujoursenactivité.C’estunredoutableescrimeur.J'aid’abordcruquec’étaitlui,levraiFantôme,carc'estluiquej'aivuenpremier-lanuitoùl’orphelinatdeSaint-Gilesabrûlé.IlnousaaidésàarrêterMèrePoule.

Bontédivine.Maximeétaitmédusé.C’étaitlui,quiavaitcapturéMèrePoule.

Heureusement,Trevillionneparutpass’apercevoirdesastupéfaction.Ilenchaîna:

-Jesuisconvaincuquec’estcetroisièmeFantôme-leFantôme«originel»,sijepuisdire-quis'estintroduitàBedlamlanuitdernière.Lefouqu'ilalibérédoitêtretrèsimportantpourlui.

- àmoinsque leFantômene soit lui-même fou? suggéraMaximequi s’emparad'une liassedepapierscommes'ils’apprêtaitàcongédiersonvisiteur.Encoreunefois,jenevoispasenquoicetteaffairemeconcerne.

-Vraiment?

Maximeregardalecapitainedroitdanslesyeux.

-Expliquez-vous.

CefutautourdeTrevilliondehausserlesépaules.

- N'y voyez aucune offense, Votre Grâce, mais je constate que le Fantôme partage les mêmesintérêtsquevous.Ilsemblecombattreletraficduginaveclamêmevirulencequevous.

-Onraconteaussiquec'estunvioleurdoubléd’unassassin,luirappelaMaxime.

-Ilyaquelquesmois,j'aiinterrogéunefemmequim'aassuréqueleFantômel'avaitsauvéed'unetentativedeviol.

-Oùvoulez-vousenvenir,Trevillion?

-Nullepart,VotreGrâce.Jevoulaissimplementvousinformerdemesdéductions.

-Ehbien,j'enaiprisbonnenote.Sivousn’avezriend'autreàajouter,j'aidutravailquim'attend.

Lecapitainedesdragonsinclinalatêteetquittalapièce,refermantdoucementlaportederrièrelui.

Maximefixalebattant.Trevillionn'étaitpasloindepercersonsecret.Àsupposer,biensûr,qu’ilnesoitpasdéjàarrivéà laconclusionque leFantômeet leducdeWakefieldn’étaientqu'uneseuleetmêmepersonne.

Avec un soupir irrité, Maxime se concentra sur ses papiers. Il n'avait pas menti : du travaill’attendait.Sonsecrétaireluiavaitlaisséplusieurslettresàlireouàsigner,ainsiqu'unrapportsursespropriétésduNorthumberland.

Ces tâches l’occupèrent jusqu’à l’arrivée de Philby, son secrétaire, en fin de matinée. Maximedemandaqu’onserveledéjeunerdanssonbureau,afinqu'ilspuissentcontinueràtravailler.Cravenfituneapparitionenmilieud’après-midi,secoualatêtesansmotdire,ettournalestalons.Maximese

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remitautravail,s’efforçantdenepaspenseraumalheureuxquigisait,inconscient,danslacave.

Le dîner se passa pareillement, Philby s'étant attardé pour régler certains détails concernant letransfertd'uneparcelledeterrequipermettaitd'accéderàuneminedecharbon.

Cen'estqu'à21heuresqueMaximelevaenfinlesyeuxdesespapiers,etuniquementparcequ’ilavaitentendudubruitdanslehall.

Ilselevaets'étira.

-Ceseratoutpouraujourd’hui,Philby.

CedernierhochalatêteetrassembladiversdocumentstandisqueMaximesortaitdubureau.

Danslevestibule,iltrouvaPhoebequiconfiaitsonchapeauetsesgantsàPanders.Belle,StarlingetPercyluitournaientautour.Maximeétaitétonné.D’ordinaire,leschiensrestaienttoujoursàPelhamHouse.

-J’espèrequetonvoyages'estbienpassé?Dit-il,alorsquePercybondissaitdéjàverslui.

Phoebesejetadanssesbras.

-Oh,Maxime,ç'aétéunvraiplaisirdevoyageravecArtemis!

Ilregardapar-dessusl'épauledesasœuretdécouvritArtemis,quitenaitBonbondanssesbras.Ellelefixad'unregardgrave.

-MademoiselleGreaves,quellesurprise!ditleducdeWakefieldquandPhoebes'écartadelui.

Celafaisaitàpeineplusdevingt-quatreheuresqu'ilss'étaientquittésetcependant,Artemiséprouvaun choc physique en le voyant. Il irradiait l'autorité et la virilité. Cet homme -Maxime - l'avaitembrassée avec une telle passion qu'elle avait eu l’impression de se noyer. Il se tenaitmaintenantdevantelle,ellesetrouvaittoutàcoupincapabledeformulerlesinnombrablesquestionsauxquelleselleavaitpenséduranttoutletrajet.

-VotreGrâce,murmura-t-elleens'inclinant.J’espèrequelasurprisen'estpasdésagréable?ElleposaBonbonparterreetcelui-cis'empressad'allerrejoindrePercy.

- Ne dites pas de bêtises, Artemis, s'esclaffa Phoebe. Et toi, Maxime, ne fais pas cette figured'enterrement.TuvaseffrayerArtemis,etjen'enaipasenvie.Elleestd'accordpourrester.

-Rester?répétaMaxime,arquantunsourcil.

-Oui,confirmaPhoebeenglissantlebrassousceluid'Artemis.CousineBathildas'étantrendueauchevet d'une amie souffrante, lady Penelope a proposé de me prêter Artemis comme dame decompagnie.N'est-cepasadorable?

-Si,certainement,acquiesçaMaxime.Ellet'aaussiconfiésonchien?

-C'esttoujoursmoiquim'occupedeBonbon,expliquaArtemis.

Ellelissasesjupespoursedonnerunecontenance.Àl’idéequeMaximepouvaitluidemanderdepartir,elleéprouvaunetristesseinattendue.

-J'aipenséquecelaluiferaitdubiendechangerd’air,ajouta-t-elle.Penelopeétaitd'accord.

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-Etquiadécidédeprendreaussilesautreschiens?

-C’estmoi,biensûr,répliquaPhoebe.Jesuissûrequ'ilss'ennuientquandnousnesommespasàPelham.

-Hmm,fitMaxime.

-Nousavonseupleind’idéespendantlevoyage.NouspourrionsnousrendreauxFoliesHarte.Etaussifairedushopping.Etpourquoipasalleràlafoire.

Maximepinçaleslèvres

-JeveuxbienvousaccompagnerauxFoliesHarteetdanslesboutiques,maislafoireesthorsdequestion.

-Mais...

-Phoebe.

Lajeunefillecapitula.Sonsourires'altérabrièvement,maiselleseressaisitetenchaîna:

- Quoi qu’il en soit, nous allons nous amuser pendant qu'Artemis sera ici. J'ai envoyé lesdomestiquesluipréparerlachambrerose.Etj’aicommandéduthé.Veux-tutejoindreànous?

Artemis s'attendait à demi que Maxime décline l'invitation - Phoebe lui avait expliqué dans lavoiturequ’ilvivaitleplussouventsaviemêmes'ilspartageaientlemêmetoit.

MaisMaximehochalatête.

-Volontiers.

Il offrit le bras àArtemis et celle-ci profita de cequePhoebe échangeait quelquesmots avec lemajordomepourluidemanderàvoixbasse:

-Oùest-il?

-Plustard.

Elle semordit la lèvre.Levoyage, si agréablequesoitPhoebe, luiavaitparu interminable.Ellen'avaitcessédes’inquiéterpourApollon.

-S'ilvousplaît.

Ilcroisasonregard.

-Dèsquepossible.C’estpromis.

Ses paroles la rassurèrent. Car si Apollon était à l’agonie, elle était convaincue qu’il l'auraitimmédiatementconduiteauchevetdesonfrèreElleserésolutdoncàpatienterencore-aumoinsletempsdeprendrelethé.

Maximeoffritsonautrebrasàsasœurettoustroissedirigèrentversl'escalier,leschienstrottinantallégrementsurleurstalons.Uninstantplustard,ilspénétraientdansungrandsalondontleplafondétaitentièrementpeint.Artemisrenversalatêtepourétudierledécor.

-L’éducationd’Achille,luimurmuraMaximeàl'oreille.

Voilàquiexpliquaitlaprésenced'uncentaure,songea-t-elle.

-Nous devons vraiment prendre le thé ici ? s'enquit Phoebe avec une petitemoue. J'ai toujours

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l’impressiond’êtreenreprésentation.Lesalonbleuestplusconfortable.

Maximeignorasesrécriminations.

-Attention,ilyaunetable,laprévint-il.MmeHenryl'achangéedeplacependantquenousétionsàlacampagne.

Avecsonaide,Phoebecontournaladitetableavantdeprendreplacesurunsofarose.Bonbonsautaàcôtéd’elle,lagueulegrandeouvertesurunsouriredechien.

Artemiss’assitenfacedePhoebeetlesdeuxlévrierssecouchèrentàsespieds.

-J’espèrequelesaffairesquit’ontrappeléàLondresétaientvraimentimportantes,ditPhoebe.Tondépartabruptagâchélapartiedecampagne.Pluspersonnenevoulaitrester.

-Jesuisdésoléquecelat'aitchagrinée,réponditMaxime,quinesemblaitpasdutoutdésolé.

Ils’appuyaaumanteaudelacheminée.Percyselaissachoirdevantl’âtreavecungrossoupir.

Penelopelevalesyeuxauciel.

-Ce n'est pas demoi que tu devrais te préoccuper.LadyPenelope était très vexée.N'est-ce pas,Artemis?

-Ellesemblaitunpeu...déçue,eneffet,réponditprudemmentArtemis.

-Vraiment?fitMaximeenluidécochantunregardsardonique.

-Enfin,jusqu’àcequeleducdeScarboroughprennesurluipourlaconsoler,précisaPhoebe.Tudevraisl’avoiràl’œil,Maxime.IlpourraitbientevolerladyPenelopesoustonnez.

-Jem'inquiéteraideScarboroughquandsafortuneauraétémultipliéepardix.

-Oh,Maxime...commençaPhoebe.

Ellesetutcommedeuxdomestiquesentraientavecunplateau.Ellesdéposèrentlathéière,lelaitetlestassessurleguéridonainsiquedespetitsgâteauxetdesconfiseries.

-Ceseratout?demandalaplusâgée.

-Oui,merci,acquiesçaPhoebe.

Dèsqu’ellesfurentsorties,elledemandaàArtemis:

-Voulez-vousfaireleservice?

-Biensûr.

Artemiss'emparadelathéière.Phoebechipaunpetit-fourqu'elledonnaàBonbon.

-Jesaisquecelanemeregardepas,Maxime,reprit-elle,maisjenepeuxm’empêcherdepenserquetuméritesmieuxqu’uneépousequinetejaugeraitqu'enraisondetafortune.

Maximes'emparadelatassequeluitendaitArtemis.

-Tupréféreraisquejemechoisisseuneépousequin’accorderaitaucuneimportanceàl'argent-etparticulièrementàmonargent?

-Jepréféreraisunefemmequis'intéresseàtoi,plutôtqu'àtonargent,rétorquaPhoebe.

Maximeeutungesteagacé.

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-L'unnevapassansl’autre.Mafortuneestliéeauduchéetleduc,c'estmoi.Nousnefaisonsqu'un.

-Vouslecroyezvraiment?demandaArtemis.

-Oui,répondit-iletsansmêmes'accorderunesecondepourréfléchiràlaquestion.

-Maissivousn'étiezpasduc?insistaArtemis.Alorsquiseriez-vous?

Elle avait consciencequ'elle n'aurait pas dû s'exprimer aussi librement avec lui devantPhoebe -cetteconversationendisaittropsurleurrelation-,maiselleavaitbesoindeconnaîtrelaréponse.

-Puisquejesuisduc,laquestionneseposepas.

-Cen'estpasuneréponse.

Ilouvritlabouche,larefermaetfronçalessourcils.

-Jenesaispas,avoua-t-il,avantd’ajouter,irrité:Votrequestionestidiote.

-Etcependantrévélatriceàenjugerpartaréponse,fitvaloirPhoebe.

Maximereposasatasse.

-Nousenreparleronsuneautrefoissituveuxbien.J’aiencoredutravailquim'attend.Maisdansl'immédiat, j'aimerais t'emprunterMlleGreavespour luimontrer lamaisonet luiexpliquercequej'attendsd'elleentantquedamedecompagnie.

Phoebeparutsurprise.

-Jepensaisfairecelademainmatin.

- Tu montreras ta chambre à Mlle Greaves demain matin sans problème. Mais je souhaite luidonnerdesinstructionsdèscesoir.

-Oh,mais...

-Phoebe.

-Bon,d'accord.

-Merci,réponditMaxime,avantdefairelesgrosyeuxauxchiens:Vous,vousrestezici.

ArtemisselevaàsonsignedetêteetsouhaitabonnenuitàPhoebeavantdeluiemboîterlepas.Ilgagnaaussitôtledeuxièmeétage.

-C'étaitvraimentnécessaire?demandaArtemis.

-Vousvoulezvoirvotrefrère,ouiounon?

-Oui,biensûr,maisvousn'étiezpasobligédevousmontreraussisévèreavecPhoebe.Commesij'étaislàpourlasurveilleretquevousdeviezm'informerdesrèglesàsuivrepoursadétention.

Ilseretournasibrusquementsurlepalierqu'Artemisfaillitleheurter.

- Je n’ai pas menti. Je tiens à vous donner un certain nombre d'instructions. Ma sœur estpratiquement aveugle. Puisque vous vous êtes débrouillée pour lui servir de dame de compagnie,j'entends que vous vous comportiez comme telle. Je compte sur vous pour veiller sur elle. Nel’encouragez pas dans ses idées de sorties. Et chaque fois que vous quittez la maison ensemble,emmeneztoujoursaumoinsunvalet,sinondeux.

Inclinantlatêtedecôté,Artemisl'étudiauninstant.Soninquiétudeétaitcertessincère,maisPhoebe

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devaitsesentirétoufféepartantdesollicitude.

-Vouspensezqu'unaprès-midiàlafoireseraittroprisqué?

-Pourquelqu'uncommeelle,oui.Ellepourraitseperdrefacilementdansunefouleetdesindividuspeuscrupuleuxs'endonneraientàcœurjoie.Lafoireregorgedevoleursetdepickpockets,quandcen’estpaspire.Unejeuneladyàlavuedéfaillanteconstitueraitpoureuxunecibledechoix.

-Jevois.

-Tantmieux.Parcequemasœurm’esttrèschèreetjenevoudraispasqu'illuiarrivequoiquecesoit.

-Quandbienmêmelesmesuresquevousprenezpourassurersaprotectionreviennentàlamettreencage?

-Vousraisonnezcommesielleressemblaitàn'importequellejeunefilledesonâge.Cequin'estpaslecas.Elleestaveugle.J’aifaitappelàtouslesmédecinspossiblesetimaginablesdansl’espoirqu'ils pourraient l'aider. Aucun ne le peut. Puisque je ne peux empêcher que ma sœur deviennetotalementaveugle,j’entendsaumoinsluiépargnertoutesouffrancesupplémentaire.

Artemisétaittroubléeparsasoudaineferveur.

-J'aicompris,murmura-t-elle.

-Parfait.

Iltournalestalonsetremontalecouloir.

-VoilàlachambredePhoebe,dit-il,désignantuneportevertpâle.Etlà,c’estlachambreroseoùelleadécidédevousinstaller.

C'était la chambremitoyenne.Laporte était grandeouverte.Une femmede chambre en sortit etsaluaMaximeaupassage.

Artemis jeta un coup d’œil à l'intérieur. Les murs étaient tendus de soie vieux rose, le lit àbaldaquin,encadrépardeuxtablesdechevetrecouvertesdemarbrejaune,tandisquelemanteaudelacheminéeétaitenmarbrerose.

-C’est ravissant,commenta-t-elle,sincère,avantdedemanderauduc :Vosappartementssont-ilségalementàcetétage?

-Oui.Danscecouloir,répondit-ilenbifurquantdansleditcouloir.

-Là,c'estlesalonbleu,celuiquePhoebepréfère.Etvoicimesappartements.

Laporteétaitpeintedansunvertforêtquitiraitsurlenoir.

-Suivez-moi.

Le duc continua jusqu’à une petite porte peinte dans les mêmes tons que le lambris pour seconfondreaveceux.Elledonnaitsurunescalierdeservice.Ilsdescendirentdanslapénombre,maisArtemislesuivitsanscrainte.

Deuxétagesplusbas,ilsfranchirentuneportequidonnaitsurunescalierdepierre,descendirentencoreetleducs’arrêtadevantuneautreporte.

- Personne ne doit savoir qu'il est ici. Je l'ai fait sortir enme déguisant en Fantôme. Il est déjàrecherché.

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Artemishochalatête,unebouledanslagorge.Quatreans.SonfrèreétaitrestéenferméàBedlamdurantquatreannées.

Maximedéverrouillalaporteetpoussalebattant,dévoilantunelonguepiècesouterrainebassedeplafond.

Aussitôt,sonvaletdechambreselevadesachaise.Àsespieds,surunlitdecamp...

Artemis se précipita vers son frère. Il gisait, inerte, le visage tellement tuméfié qu’il en étaitméconnaissable.

Elleselaissatomberàgenouxprèsdelui,repoussad’unemaintremblantesescheveuxenbataille.

-Craven,voiciMlleGreaves,lasœurdenotrepensionnaire,ditMaximedanssondos.

-Mademoiselle,lasalualedomestique.

-Avez-vousappeléunmédecin?demanda-t-ellesansquitterApollondesyeux.

-Non,réponditMaxime.

Ellesetournaverslui.

-Pourquoi?

-Jevousl'aidit,fit-ild’untonpatient.Personnenedoitsavoir.

Elle soutint son regard un instant, avant de reporter son attention sur son frère. Maxime avaitraison,biensûr.Ilsnepouvaientcourirlerisquequ’ilsoitdécouvertetrenvoyéàBedlam.

Maislevoirdanscetétatsanspouvoirlesoignerluibrisaitlecœur.

Cravenseraclalagorge.

-Jem'occupedelui,mademoiselle,dit-il.Lemédecinnepourraitpasfairegrand-chosedeplus,jepense.

Artemisluijetaunbrefcoupd’œil.

-Merci,dit-elled'unevoixétranglée,lesyeuxbrillantsdelarmes.

-Nepleurezpas,fièreArtemis,chuchotaMaxime.Lesdieuxnelevoudraientpas.

Artemiss'essuyalesyeuxd'unbrusquereversdemain.

-Eneffet.Cen'estpaslemomentdepleurer.

L’espaced'uneseconde,ellecrutsentirunemainsursonépaule.

-Vouspouvezresterunpeuici.Cravenabesoind'unrépit.

Artemishochalatêtesansseretourner.Ellen'osaitpas.

Lesdeuxhommess’éloignèrentet elleentendit laporte se refermerderrièreeux.La flammeduchandelierposéprèsdesonfrèrevacillaquelquesinstantsavantdereprendresaformeimmobile.

Artemisposalatêtesurlebrasdesonfrèreetlessouvenirsaffluèrent.Ilsavaientgrandilibrement,plus oumoins livrés à eux-mêmes. Ils avaient parcouru les bois ensemble, elle cherchant des nidsd'oiseauxdanslesfourrésalorsqueluiattrapaitdesgrenouillesauborddesmaresoucombattaitdesdragonsimaginairesavecdesépéesdebois.Lejouroùilavaitétéenvoyéenpensionavaitétél’undespiresdesavie.Elles'étaitretrouvéeseuleavecsamèreinvalidetandisquesonpèrepoursuivait

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desidéesfantaisistesdansl’espoirderestaurerleurfortune.ElleavaitététellementsoulagéelorsqueApollonétaitrevenupourlesvacances:aumoins,ilnel'avaitpascomplètementabandonnée.

La jeune femme réalisait à présent que tout ce qui avait constitué sa vie lui avait été enlevé :Apollon,l'affectiondeThomas,sesparents,samaisonnatale.Personneneluiavaitjamaisdemandésonavisnines'était inquiétédesavoircedontelleavaitbesoin.On luiavait imposésonsort sansqu’elleaitsonmotàdire.Telleunepoupéesuruneétagère,onl'avaitdéplacée,manipulée,misedecôté.

Saufqu'ellen'étaitpasunepoupée.

Cedontelleavaitrêvéautrefois-unmari,unemaisonàelle,unfoyer-étaitdésormaishorsdeportée.Maiscelanesignifiaitpaspourautantqu'elledevaitrenonceràtout.

Soitellechoisissaitdecontinueràêtremanipuléejusqu’àlafindesesjoursenpleurantsurcequiauraitpuêtre,soitellesecréaitelle-mêmeunenouvellevie.

LeschandellesétaientpresqueentièrementconsuméesquandCravenrevint.

-Mademoiselle,ilsefaittard.JevaisveillerlordKilbournependantquevousdormirez,proposa-t-il.

Artemis se releva, les membres gourds d’être restée aussi longtemps dans une positioninconfortable.

-Merci.Vousmepréviendrezs’ilseréveille?

-Biensûr,acquiesçaCravend’untonempreintdecompassion.

Artemiscaressalajoued’Apollon,puistournalestalons.

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11

LeroiHerlaetsatroupeerrèrentpendantcentans.Ettousceuxquiavaientlemalheurdecroiserlaroutedescavaliersfantomatiquessesignaientetrécitaientuneprière,carlamortsuivaitsouventpareillerencontre.Unenuitparan,etunenuitseulement,leroiHerlaetsescompagnonsretrouvaientleur enveloppe charnelle. C 'était la nuit de l'équinoxe d'automne. Terrorisés, tous ceux qui lepouvaientsecachaientalors.Carcettenuit-là,leroiHerlaentraînaitparfoisquelquesmortelsaveclui,mortelsquisetrouvaientàleurtourmauditspourl’éternité.CefutparunetellenuitqueleroiHerlacapturaunjeunehomme.Ils'appelaitTam.

Maxime cachetait une lettre dans son petit salon quand il entendit la porte de ses appartementss'ouvrir.Cravenétaitredescendus'occuperdelordKilbourne,etlesautresdomestiquesavaientpourordredene jamais ledérangerentre22heureset6heuresdumatin. Il se levapourallervoirquis'étaitpermisd'entrerdanssachambre.

Artemissetenaitàcôtédesonlit,qu'ellecontemplait.

Maximesentitsesveiness’embraser.

-Vousêtesdansmesappartementsprivés,fit-ilremarquerensedirigeantverselle.

Ellesetournaverslui;iln’yavaitpaslatracedecraintedanssonregard.

-Jesais.Jesuisvenuevousrendrevotrebague.

Elle dénoua le fichu qui couvrait sa gorge, révélant le décolleté de sa robe et la chaîne quidisparaissait entre ses seins.Elle fit passer cettedernièreau-dessusde sa têteMaximeeut le tempsd'entrapercevoirunautrebijou -vert, lui sembla-t-il -avantqu’ellen’enôte labague.Aprèsavoirfourrélachaînedanssapoche,elleluitenditsachevalière.Ils'approcha,s'enempara.Lecontactdesapeaul’avaitréchauffée,ramenéeàlaviepresque.SansquitterArtemisdesyeux,illaglissaàsonauriculairegauche.

-Pourquoiêtes-vouslà?articula-t-il.

Ellehaussauneépauledélicate.

-Jevousl’aidit:pourvousrendrevotrebague.

-Celaauraitpuattendredemainmatin.Aulieudequoi,vousavezpréféréentrerdanslachambreàcoucherd'uncélibataire,àuneheurepourlemoinstardive.

Ilauraitvoululasecouer,luifairesentirlaragedanslaquellelemettaitleursituation.End'autrescirconstances,ilauraitpucourtisercettefemme.Peut-êtremêmedemandersamain.

-Vousnevoussouciezdoncpasdevotreréputation?

Elleserapprochadelui,siprèsqu'ileut l’impressionqu’ilsrespiraient lemêmeair.Lorsqu'ellelevalesyeuxverslui,ils’aperçutqu'ellen'étaitpasaussicalmequ’ill'imaginait.

-Non,murmura-t-elle.Pasdutout.

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-Danscecas,leschosessontclaires,murmuraMaxime.

Etils'emparadeseslèvres.

Voilà.Artemisseretrouvaitentraînéedanslemêmetourbillonquelapremièrefois.Sescraintes,ses chagrins, ses doutes, ses penséesmêmes se dissolvaient sous le déferlement de sensations. Lebaiser deMaxime était impérieux, conquérant. Elle se pressa contre lui, se hissa sur la pointe despieds,lesmainsàplatsursonpeignoirdesoie.Siellel'avaitpu,elleseseraitglisséesoussapeau,seseraitlovéeàl'intérieurdesonlargetorseetn'enseraitplusjamaissortie.

Elledésiraitcethomme.Elle ledésiraitendépitdeson titre,desa fortune,deses terres,desonhistoireetdesesinnombrablesobligations.Maxime.JusteMaxime.Ellel’auraitprisdépourvudetouts'ill'avaitfallu,etn’enauraitétéqueplusheureuse.

Ils'écarta,haletant,etlafixad'unregardirrité.

-Necommencezpasquelquechosequevouscomptezarrêter.

Ellesoutintsonregardsansciller.

-Jen'aipasl'intentiond’arrêterquoiquecesoit.

Maximeétrécitlesyeux.

-Jenepeuxpasvousoffrirlemariage.

Ellelesavait,biensûr.Ellen'avaitpasimaginéuneseulesecondequ'ilpuissel’épouser.Pourtant,sabrutalefranchiselablessaquandmême.

Elles'obligeaàsourire.

-Vousl'ai-jedemandé?

-Non.

-Etjenevousledemanderaijamais,promit-elle.

Maxime portait encore sa perruque blanche. Artemis la lui ôta et, d'un mouvement souple dupoignet,lajetasurlesol.Ilportaitsescheveuxbrunscoupéscourt.Elleypassalamain,savourantl'intimité du geste. Devant elle se tenait le vraiMaxime, l'homme privé, débarrassé de son imagepublique.

Tout à coup, elle le voulut tel qu’en lui-même, sans lemoindre déguisement. Elle s'attaqua auxboutonsdesarobedechambreensoie,déchirantpresquelaluxueuseétoffedanssahâte.

- Chut, murmura-t-il en lui attrapant lesmains, et, plongeant le regard dans celui d’Artemis, ildemanda:As-tuseulementdel’expérience,madéesse?

Elle se rembrunit. Elle ne voulait surtout pas que Maxime, en proie à des scrupules idiots, larenvoiedanssachambre.D'unautrecôté,ellerefusaitqu'ilyaitlemoindremensongeentreeux.

-Non.

Sonexpressionnechangeapas,àl’exception,peut-être,d'uneamorcedesourire.

-Dans ce cas, nous allons prendre notre temps.À la fois pour toi et parce que j'ai envie de te

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savourer.

QuandbienmêmeArtemisauraitvouluprotesterqu'elleenaurait étéempêchée.Luiécartant lesbras,Maximeinclina la têtepourcapturerdenouveauses lèvres. Ilensuivit ledessinde la languecommes’ilsavaienttoutleurtemps,ets'écartalorsqu'elleentrouvritlabouchepourl'accueillir.

-Maxime...gémit-elle.

-Patience,lagronda-t-il.

Elle tentade libérer sesmains,mais il les tenait fermement.Touten luimordillant lecoinde labouche,ill'obligeaàreculer.Ellesesentitsoudainbasculerenarrière.

Un court instant elle s'alarma... puis tomba à la renverse sur un matelas moelleux. Maxime ladominaitdetoutesahauteur.Unsouriresatisfaitflottaitsurseslèvres.Ilsepencha,suivitduboutdesdoigtsleborddesondécolleté.

Artemisfrissonna.

- Ne crois pas que j'aie oublié l’épisode à l'abbaye, quand ton fichu est tombé dans l'herbe,murmura-t-il. J'ai pourtant vu des décolletés les plus audacieux dans des bals, il n’empêche quedepuis,jen’aicessédepenseràtesseins.C'estpeut-êtreparcequetamiseesttoujourssimodesteenpublic, mais le dévoilement n'en est que plus excitant. Ou alors, ajouta-t-il en s'inclinant pour luiparleràl’oreille,celatientàtapersonne.Àtoi,toutsimplement.

Maximeluiléchalelobedel'oreille,lemordilladoucementavantdepromenerlabouchedanssoncou,puissurlerenflementdesesseins.

-Jen’aiencorejamaisétéàcepointobsédéparunefemme,murmura-t-iltoutcontresapeau,sonsoufflechaudluiarrachantdesfrissons.Madéessechasseressem'aurait-elleensorcelé?

Elleinspirabrièvementcommesalangues’aventuraitentresesseins.Ilavaitfiniparluilâcherlesmains et elle lespressa sur sa tête inclinée.Si quelqu'un était ensorcelé, c'était plutôt elle.Car elles’apprêtaitàrenonceràtoutespoirdemariage.

Pourtant,laperspectivedeluisacrifiersavirginitéluiinspiraitunsentimentd'exultation.Cettefois,elleprenaitvraimentlesrênesdesonexistence.

Etsielleétaitensorcelée,alorsquelecharmenesebrisejamais!

Ellebattitdespaupièresens’apercevantqueMaximelaregardaitavecinsistance.

-Tuaschangéd'avis?

-Aucontraire,répliqua-t-elle.

Cettefois,cefutellequil'attiraàellepourl'embrasser.Avecfougueàdéfautd’expérience.

-Roulesurleventre,madéesse.Quejetelibèredecetteenveloppeterrestrequit'alourdit.

Artemis s'exécuta.Maximedéboutonna soncorsage,dénoua le lienqui retenait ses jupes,délaçasoncorset.Ilavaitraison:àmesurequ’illadébarrassaitdesesvêtements,ellesesentaitpluslégère.Pluslibre.

Doucement,illafitsetournersurledos,fitpassersoncorsetpar-dessussatête,puisentrepritdeluiretireruneàunelesépinglesquiretenaientsonchignon,lesglissantdanslapochedesarobedechambreaufuretàmesure.

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-Artemis,murmura-t-il lorsquesachevelurecascadaautourdesatête,déessedelachasse,delaluneetdesaccouchements.

Ilfitunepause,l’airperplexe,etavoua:

-Jen’aijamaisbiencompriscedernierqualificatif,puisqu'elleestrestéevierge.

-Tuoubliesqu'elleétaitaussilaprotectricedesanimauxdelaforêt.Aprèstout,l’accouchementestsansdoutecequirapprochelepluslafemmedesautresmammifères.

Illascrutauninstant,puissouritbrièvement.

-J'adoretatournured'esprit.

J'adore.Bêtement, le cœurd'Artemisbonditdans sapoitrine.Ellen'étaitpourtantpasdupe : ellesavait fort bien que ce genre de déclaration n'avait pas grande signification dans une chambre àcoucher.Elledevraitsecontenterdecequ'ellepourraitavoiretnondecequ'ellerêvaitd'avoir.

-Tuportes toujours ta robedechambre, lui fit-elle remarquerennouant lesbrasautourde soncou.

-Mmm,dit-il,concentrantdenouveausonattentionsursesseins.

Lacamisoled'Artemisétaituséejusqu’àlatrameetnedevaitpascachergrand-chose.

Ilglissalamainsurl'undesesseins,quidurcitenréponse.

-C'esttoiquiasfaitcela?s'enquit-ilencaressantdupouceunepetitereprise.

-Oui,souffla-t-elle.Quid'autre?

-Tuesunefemmepratique.

Ilposalabouchesurlapointequisedressaitsousl'étoffe.Artemisarquainstinctivementledos.

-Disonsplutôtunefemmequin'apaslechoix,corrigea-t-elledansunmurmure.

Ilrelevalatête,leregardsombresoudain.

-Es-tuvenuedansmachambreparcequetun’avaispasd'autrechoix?

-Non!répondit-ellevivement.Jesuisvenueparcequej'enavaisenvie.Demonpleingré.J'aiaumoinsledroitd'agiràmaguise.

-Ettunet'enprivespas.

Là-dessus,ilempoignasacamisoleàdeuxmainsetladéchiradehautenbas.

Artemisauraitdûsesentirembarrasséeetvaguementhonteuse.Aulieudequoielleéprouvauneimpressionextraordinairede liberté.Elleallongea lesbrasau-dessusde sa tête, creusa les reinsetregardaMaximeentresescils.

-Vas-tutedécideràenlevertarobedechambre?

Illadévoraitlittéralementdesyeux.

-Oui,jecroisquejevaisl'enlever.

Ilseredressa.Soussarobedechambre,ilneportaitqu'unechemiseetunpantalon.Ilsedébarrassadesachemiseenuntournemain,lesmusclesdesesépaulesroulantsoussapeau.

Artemisretintsonsouffleendécouvrantsontorse.

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Ellen'avaitpasvubeaucoupd'hommestorsenu–unoudeuxpaysans,quandelleétaitenfant,unsoldativredanslesruesdeLondreset,biensûr,lesstatuesantiques-,maiselleauraitétéprêteàjurerqu'unaristocratenepouvaitêtreaussimusclé.Celadit, se rappela-t-elle soudain,MaximeétaitnonseulementleducdeWakefield,maisaussileFantômedeSaint-Giles.Quelgenred'exerciceavaitpuluiforgercetorsed’athlète?s'interrogea-t-ellenéanmoins.Ilavaituncorpsdeguerrier.

Ilplissalesyeuxcommes'ilavaitdevinésespensées.Ilôtarapidementsoncaleçonetgrimpasurlelit.

-Maintenant,noussommescommeDieunousacréés,dit-ellecommeils'allongeaitprèsd'elle.

Ilhaussaunsourcil.

-Tumepréfèresainsi?

-Oui,parcequ’iln'yaplusrienentrenous,àprésent:nitonpassénilemien.Tonrangettontitrenesignifientplusriendanscelit.

Ilsepenchapourdéposerunbaisersurunsein.

-Laplupartdesfemmespréfèrentnevoirenmoiqu'unduc.

-Jenesuispaslaplupartdesfemmes,objectaArtemis.

-C'estvrai,admit-il.Tuneressemblesàaucunedecellesquejeconnais.

Etilhappalapointedesonseinentreseslèvres.

Une onde de chaleur traversa Artemis, qui gémit doucement. Elle sentait la langue deMaximes'activer,puissoudainilluiécartalescuissesdugenou.

Elleretintsonsouffle.Elleavaitbeaunepasavoirhontedesanudité-nidecelledeMaxime,dureste-,celanesignifiaitpaspourautantqu'ellenenourrissaitpasunecertaineappréhensionquantàcequiétaitcensésepasserensuite.Ellen'avaitjamaiscouchéavecunhomme,n'avaitmêmejamaisété caressée.Quand les jeunes femmesde sonâge connaissaientdéjà les joiesdumariage et de lamaternité,elles'étaitcontentéedeclasserlesfilsàbroderdePenelope.

Maiselleenavait envie -elleavaitenviedeMaxime.Elle luicaressa lescheveux, remarqua lespetites touchesdegrisàses tempes ; iln'enparaissaitqueplusviril, songea-t-elle,maisaussiplushumain. Ses mains descendirent jusqu’à ses épaules. Émerveillée, elle éprouva la dureté de sesmusclessoussesdoigts.Ilétaitlaforceetlavieincarnées.Etilseraitbientôtsonamant.

Ils'intéressaàsonautresein,lesuçaavecardeurtoutencontinuantàtitillerlepremierdupouceetdel'index,multipliantsonplaisirpardeux.Ellesetortilla,luiagrippalesflancs.Elleenvoulaitplus.

Ilredressalatête

-Toutvabien?

-Oui,souffla-t-elleavantdesemordrelalèvre.

Elle sentait sa virilité palpiter contre ses cuisses telle une chose dotée d'une vie propre et quiréclameraitunsacrifice.

Ilsourit,luitapotalecôtécommeill’auraitfaitpourapaiserunejumentgrincheuse.

Lefusillantduregard,ellel'attiraàellepourqu'il l'embrassedenouveau.Cequ'ilfit-unbaiserbrefmaisbrûlant-avantdemurmurer:

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-Patience.

-Jeneveuxplusêtrepatiente,répliqua-t-elle,legratifiantd'unregarddedéfi.

Elle voulait savoir ce qu’il en était vraiment de l'union d'un homme et d'une femme, ce qu'onressentait,etsielleseraitdifférenteaprès.

Maximeluisouritencore.Puisillaissasamaincourirsursonventrejusqu’autriangleboucléàlanaissancedesescuisses.Sesdoigtsécartèrentdoucementlespétalesdesonsexe,etelleseraidit.

Ilaventuraundoigtaucœurdesaféminitéetsonsourires’élargit.

-Tueshumide,commenta-t-il.

Artemisfronçalessourcils,carelleignoraitsic'étaitunebonneouunemauvaisechoseetqu’elledétestaitnepassavoir.Ils’inclina,ajoutatoutcontreseslèvres:

-Tueshumidepourmoi.

Donc,c'étaitunebonnechose.

Ellesentitsonpouces’insinuerentrelesreplisdesaféminité,puisilappuyasurlapetitecrêtequis'ynichaittoutenscrutantsonvisage.

Ellesecambrainstinctivement.

L'airconcentré,Maximeappuyadenouveautoutenglissantunautredoigtenelle.

Artemissemorditlalèvre,maisellesoutintleregarddeMaxime,l’implorantdecontinuer.

-ParDieu,murmura-t-ilet,commes'ilcédaitàunebrusqueimpulsion,ils'emparafougueusementdeseslèvres.

Artemiss'ouvraitavidementàlui,s’efforçait,gémissante,delepousseràallerplusloin.Maisilsecontentaitdeluidonnerduplaisiraveclamainsanscesserdel’embrasser.

Elles'arrachaàsabouche.

-Plusvite!

-Commeça?demanda-t-ilenaccélérantlemouvementdesonpouce.

-Oui,souffla-t-elleenfermantlesyeux.Ohoui!

Artemis s'abandonnait avec ravissement aux sensations qu’il faisait naître en elle. Elle sentaitquelquechosegrondersouslasurface,uneforcequinedemandaitqu'àjaillir,avaitconsciencedeseconduirecommeunedévergondée,maisn’enavaitcure.Elleéprouvaitunsentimentvertigineuxdeliberté.

Maxime abandonna soudain ses lèvres pour lui sucer la pointe d'un sein sans pour autantinterrompre ses caresses intimes. Et tout à coup, Artemis eut l’impression que quelque choseexplosait en elle. Elle frissonna, arqua le dos, puis la vague du plaisir déferla et son corps futparcourudespasmes.

La sensation était tellement inédite qu'elle avait le sentiment d'avoir pénétré dans un mondeinconnu.

Ellerouvritlesyeux.Maximelaregardait.

-Çat'aplu?

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Ellehochalatête,incapabled'articulerunmot.Etbrusquement,cefutluiquifermalesyeuxtandisqueseshanchessepressaientcontrelessiennesenunmouvementpresqueinvolontaire.

-Bonsang,jenepeuxplusattendre,grogna-t-il.

Ilsesouleva,etsoudain,sonsexedurglissaexquisémententrelesreplisdusien.Elletressaillit.

Maximerouvritlesyeux,luifitreplierlesjambesdechaquecôtédesoncorpsafinqu'elles'ouvrepluscomplètementà lui. Ilétaitchaudetpesaitsurellede toutsonpoids.Sehissantsurunbras, ilglissasamainlibreentreleursdeuxcorps,titillalapetitecrêteavantdecommenceràlapénétrer.

Artemisretintsonsouffle.

-Courage,murmura-t-il.

Ellehaussaunsourcil,luiarrachantunsourire.

Puis elle sentit la pression, là, tout en bas, et se tendit. Il était si imposant, et elle si frêle parcomparaison.Qu'ilentreenelleluiparaissaitimpossible,improbable,inimaginable.

-Madéesse,luichuchota-t-ilàl’oreille.

Etildonnauncoupdereins.

Elleinspiravivement.Celalabrûlait,àprésent,maispeuluiimportait.ElleétaitArtemis,aprèstout;unechasseresseétaitcenséesupporterladouleur.Etpuis,Maximeétaitenelle,àprésent.Enelle.Etcetteintimité,cetteproximitéétaientsimerveilleusesqu'elles'ensouviendraitàjamais.Illuisemblaitn’êtrenéequepourcetinstant.Etpuis,douleuroupas,Maximeluiappartenait.

Lesyeuxplongésdanslessiens,ilseretiralentement,puisrevintenelle.

Ilrecommençaetcefutcommesiuneétincelles'allumaitauplusprofonddesoncorps.Cen'étaitpasl'incendiequil'avaitdévoréeunpeuplustôt,maisc'étaitunechaleurpresqueagréable.

ElleencadralevisagedeMaximedesesmainstoutenécartantdavantagelescuisses,luiarrachantungrognement.

-Noueleschevillesautourdemesreins,déesse.

Elles'exécuta,cequipermitàMaximedes’enfoncerplusprofondémentenelle.Ilcommençaàsemouvoirplusrapidement,chaquecoupdereinspluspuissantqueleprécédent.

-Madéesse!murmurait-il.Madéesse!

Artemisluicaressaleslèvresdupouce.Ilouvritlabouche,leluimordillatendrement.

Elle ne ressentait plus la moindre douleur, à présent. Juste une joie sauvage, une impressiond’intimité presque animale. Peut-être s’était-elle trompée : ce qui rapprochait le plus la femme del'animal, ce n’était pas l'accouchement, mais l'accouplement - cet instant hors du temps où lescontraintesetlesconventionssocialesdisparaissaient,oùelles'affranchissaitdelacivilisation.

UngrandfrissonsecouasoudainMaxime,quirenversalatête,s'enfonçaenelleunedernièrefoisjusqu'àlagarde,avantd’êtreemportéparlajouissance.

Quoiqu’ilarrive,lelendemainouaucoursdesavie,songea-t-elle,elleauraiteudroitàcetinstantuniqueaucoursduquelelleavaitétéintimementunieàMaxime.

PasleducdeWakefield.L'homme.

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Quandilseréveilla,Apollonpensad'abordqu'ilétaitmort.

L'espaced'uninstant.

Ilavaitchaud.Sesbras,sesjambes,sonvisage,soncorpsentier,àvraidire,lefaisaientsouffrir.Cependant,ladoucechaleur,etl'impressiondereposersurquelquechosedeplusconfortablequedelapailleluifirentpenserquepeut-être-peut-être-ilsetrouvaitailleursquedanssacellule.

PuisilsesouvintdeRidley.

De son regard vicieux tandis qu'il déboutonnait son pantalon, de son rictusmauvais. Il se sentitsoudainoppressé,mélangedepeur,d'horreuretdehontepoisseuse.

Prisdenausée,ilroulasurlecôtéetvomitunpeudebileverdâtre.

Unevoix,àcôtédelui.Etpresqueaussitôt,desmainssursesépaules.

Apollontressaillit.C'étaientdesmainsmasculines.

Ilseretournavivement,lesrepoussaetfusilladuregardsonagresseur.

L'homme leva les mains en l'air en un geste d'apaisement. Il était grand et maigre. En tempsnormal,Apollonn’auraitpaseupeurd'untelindividu.

Maisleschosesredeviendraient-ellesjamaisnormales?

-Milord,dit l'hommedoucement, jesuisCraven, levaletdechambreduducdeWakefield.Vousêteschezlui,ensécurité.

Ils'étaitexprimélentement,commes'ilcherchaitàcalmerunanimalsauvage-ouunfou.

Mais Apollon était habitué à ce qu'on lui parle ainsi, aussi ignora-t-il l'homme pour regarderautourdelui.Ilreposaitsurcequiressemblaitàunlitdecamp,dansunegrandesalleplongéedanslapénombre. Un brasero au charbon brûlait à côté de lui. Quelques bougies étaient allumées et desombresdansaientsurlespiliersdepierresupportantd'antiquesvoûtes.Uneodeurd’humiditéflottaitdansl’air.

Si cet endroit faisait partie de la demeure de Wakefield, alors Apollon avait nourri des idéesfaussesquantàlamanièredontvivaientlesducs.

Il reporta son attention sur le valet, voulut l'interroger, mais à part une douleur aiguë dans lagorge,riennesepassa.

Ilcompritalorsqu'ilnepouvaitplusparler.

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12

Tamétaitungarçontoutcequ'ilyadeplusordinaire,àceciprèsqu'ilavaitunesœurjumelle,Lin.Ettousdeuxétaientaussiprochesl'undel'autrequedeuxpétaleslovésauseind'unboutonderose.QuandLinappritquesonfrèreavaitétécapturéparleroiHerlalanuitdel'équinoxed'automne,ellecommença par pleurer de chagrin. Puis elle s'en alla rencontrer tous ceux qui connaissaient le roiHerla et son escorte fantomatique. C’est ainsi qu'elle se retrouva un jour devant un étrange petithommequivivaitenermitedans lesmontagnes.Etc'estcethommequi luiappritcequ'elledevraitfairepourlibérersortfrèrebien-aimé.

-VotreGrâce.

Lavoixétaitbasseetrespectueuse,maistrahissaitcependantunecertainesurprise.Pournepasdiredel'irritation.

Maximeouvrit lesyeux.Deboutprèsde son lit,Craven tenait unechandelle à lamain, et faisaitbeaucoupd'effortspournepasregarderlajeunefemmeendormieprèsdesonmaître.

-Qu'ya-t-il?

-LevicomteKilbourneareprisconscience,VotreGrâce.

Lesdeuxhommesavaientchuchoté,sibienqu'unepersonneordinairen'auraitpasététroubléedanssonsommeil.

MaisArtemisavaitdéjàamplementprouvéqu’ellen’étaitpasunepersonneordinaire.

-Depuiscombiendetemps?demanda-t-elle.

Maxime tourna vivement la tête vers elle. Une femme ordinaire aurait rougi, eu l'air affolé ouhonteused’êtreainsisurprisedanslelitd'unhommequin'étaitpassonmari.Maximeenconnaissaitmême qui se seraient évanouies - ou, du moins, auraient eu la bonne grâce de feindre unévanouissement.MaisArtemissecontentaderegarderCraven,attendantsaréponse.

Cederniersemblaitquelquepeudésarçonné.

-Jevousdemandepardon?

Artemiseutunsoupirimpatient.

-Monfrère.Depuiscombiendetempsa-t-ilreprisconscience?

Cravenretrouvasonaplomb.

-Seulementquelquesminutes.

-Parfait.

Elleseredressa,plaquantledrapcontresasomptueusepoitrine.

Maximefronçalessourcils.

-Voulez-vousvoustourner,Craven?demandaArtemis.

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Ilavaitàpeinetournéledosqu'ellesortit,entièrementnue.

-Commentva-t-il?demanda-t-elleencore.

Elles’étaitpenchéepourramassersesbasparterre,offrantainsiàMaximeunevueimprenablesursonravissantpostérieur.Puiselles'assitauborddulitpourlesenfiler.

Cravenseraclalagorge.

-LordKilbournesemblesouffrir,mademoiselle,maisilacomprisquandjeluiaiditquej'allaisvouschercher.

-Merci,Craven.

Elle enfila son corset, se débattit avec ses lacets.Marmonnant un juron,Maxime se résolut à seleveràsontour.

-Laissez-moifaire.

Elletressaillitlégèrementquandilluitouchalesépaules,puissoulevasescheveuxpourqu'ilvoieleslacets.

Cen'étaitpasainsiqu'ilavaitimaginéleurréveil.Laveille,Artemisétaitencorevierge,etmêmelesdéessesdevaientéprouveruncertainembarraslematinquisuivaitleurdéfloration.Iljetauncoupd’œilauxfenêtres:l'aubeselevaitàpeine.Ilsnepourraientmêmepasprendreleurpetitdéjeunerentête-à-tête.

-Quelleheureest-il,Craven?

-Pastoutàfait6heures,VotreGrâce,réponditcedernierd'untonpoli.

Maximepinça les lèvresmaisne fit aucuncommentaire. Il terminade lacer le corset d'Artemis,puis se dépêcha d'enfiler pantalon, chemise, gilet et veste. Artemis s'habilla à peu près aussirapidementqueluietilsedemandasielles'habillaitseulejouraprèsjour.Sansdoute.ÀmoinsqueladyPenelopeneluiprêtesafemmedechambre.Cetteidéenefitqu’accroîtresonirritation.Samèreainsiquetouteslesladiesétaientincapablesdesevêtirsansaide.Detoutefaçon,ellesn’étaientpascenséeslefaire.

C'étaitlàletravaildesdomestiques.

Ilattrapaunechandelleetsedirigeaverslaporte.Ilétaitsisouventdescenduàlacavequ'ilauraitpus’yrendresanslumière.MaispasArtemis.

Ladescentes’effectuaensilence.Cen'estquedevantladernièreportequeMaximesesouvintd'undétaild'importance.

Kilbourneavaittuétroishommes.

Ils n'avaient pas pris la peine de l’enchaîner puisqu’il était inconscient, mais à présent, il sereprochaitsastupidité.Quisavaitcequilesattendaitderrièrecetteporte?

-Vousrestezici,dit-ilsèchementàlajeunefemme.

Elleleregardaglisserlaclédanslaserrure.

-Non.

Ilseretournaabruptementverselle.Iln'avaitpasl’habitudequ’onluidésobéisse,aussirespira-t-ilungrandcouppourrésisteràl'enviedeluiordonnerderemonterdanssachambre.

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-Nousnesavonspasdansquelledispositionnousallonsletrouver,fit-ilvaloir.

-C'estbienpourquoijedoisentreravecvous.

MaximejetaunregardàCraven.Celui-ciexaminaitunevieilleinscriptionsurlemurcommes'illavoyaitpourlapremièrefoisetenvisageaitderédigeruncompterenduàsonsujet.

-Ilpourraitsemontrerdangereux.

-Pasavecmoi,répliqua-t-elle.

-Artemis.

Pour toute réponse, elle referma lamain sur celle deMaxime, l'obligeant à tourner la clé et àouvrirlaporte.Ellefitminedepénétrerdanslacave,maisilrefusadelalaisserentrerlapremière.S’ilnepouvaitl’empêcherdevoirsonfrère,dumoinspouvait-ill'enprotéger.

Iltenditlecou,puisentra.

Lacaveétaitsilencieuse.Lebraserobrûlaittoujours.Kilbourneétaitallongésurlecôté,dosàlaporte.

Maximes'approchaprudemment.Artemisavaitbeaujugersonfrèreinoffensif,ilavaitétéretrouvéaveclesangdetroisdesesamissurlesmains.Unhommecapabled'untelcrimeétaitcapabledetout.Iln’étaitqu’àquelquespasdu litdecampquandsonoccupantse levad'unbond telungéantqu'onauraitréveilléparsurprise.MaximesavaitqueKilbournen'étaitpasungringalet-ill'avaitportésursesépaulespourlesortirdeBedlam-,maislevicomtesemblaitavoirrecouvrésesmusclesenmêmetempsquelaconscience.Etilenimposait.

Maximeavait toujours tenupour trèsexagérés les récitsquiavaientétécolportésàproposde lascène du crime.Mais le colosse qui se dressait devant lui semblait capable d'arracher la tête d'unhomme.

-Apollon...

ArtemisvoulutcontournerMaxime,maisilluisaisitlebraspourl’obligeràresteràsescotés.

Lajeunefemmeluiadressaunregardnoir.

Mais celui de son frère était bien plus noir encore. Le colosse regarda un instant la main deMaxime enserrant le poignet d'Artemis, puis il leva les yeux et accrocha le regard deMaxime. Ilouvritlaboucheetunsonétrangléensortit,suivid'ungrondementquisemblaitvenirdirectementdesapoitrine.Lepremierinstantdesurprisepassé,Maximeserenditcomptequecethommegrognaitaprèslui.

-Laissez-moiallerluiparler,insistaArtemis,quiluttaitpourselibérer.

-Non.

Iln’étaitpasquestionqueMaximel’autoriseàapprocherdecegéantquitenaitplusdel'animalquedel’homme.

-Maxime!

CravenetKilbourneparurentaussiétonnés l'unque l'autrequ'elle l'appelleparsonprénom.Ellelesignora.

-Vouspouvezm'accompagner,dit-elle,maisjeveuxquevousmelaissiezparleràmonfrèreetle

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toucher.

Maximemarmonnaunjuron,quiluivalutunregarddésapprobateurdelapartdeCraven.

-Vousêteslafemmelaplusentêtéequejeconnaisse.

Ellesecontentadedardersurluiunregardimplacable.

IlsoupiraetsetournaversKilbourne.

-Montrez-moivosmains.

Il n’espérait pas vraiment de réaction, mais Kilbourne tendit aussitôt les mains devant lui. Sonregardétaitsardonique.

Finalement,iln’étaitpassianimalquecela.

- Je suisWakefield, repritMaxime. Jenepensepasquenousnous soyonsdéjà rencontrés.À larequêtedevotresœur,jevousaisortideBedlampourvousamenerchezmoi.

Kilbournehaussaunsourciletpromenalesyeuxsurlapièce.

-Vousêtesdansmacave,précisaMaxime.J'aiétéobligedevouscacher.LesadministrateursdeBedlamaimeraientbeaucoupvousrécupérer.

Kilbourneétrécitlesyeux,l'airderéfléchir,avantdereporterleregardsurArtemis.

- Tu es en sécurité, ici, dit-elle. Il ne te renverra pas à Bedlam. N'est-ce pas ? ajouta-t-elle àl’adressedeMaxime.

Ilpréféranepasquitterlevicomtedesyeux.

-Non, en effet. Je vous donnemaparole d'honneur que si jamais vous deviez vous retrouver àBedlam,ceneseraitpasparmafaute.

Denouveau,leregarddeKilbournesefitsardonique.IlavaitparfaitementcomprisqueMaximelecroyaitcapabled'actesquileconduiraientunefoisdeplusàl'asile.

-Maxime,fitArtemisd'unairdereproche,maissesparolessuivantesfurentpoursonfrère:Tupeuxluifaireconfiance,monchéri.Jet'assure.

KilbournenequittaitpasnonplusMaximedesyeux,maisilhochalatête.Puisilouvritlaboucheetunautrecroassementterrifiants'échappadeseslèvres.

Maximeécarquillalesyeux.Ilcommençaitàcomprendre.

Artemisréussitàselibéreretcourutverssonfrère.

-Apollon,arrête!

Kilbournegrimaçaithorriblement,lamainreferméesursagorge.

-Laisse-moiregarder,chuchotaArtemis,quiposasamaintoutemenuesurcelle,énorme,desonfrère.Craven,auriez-vousl'obligeancedenousapporterdel'eau,duvinetdeslingespropres?

-Toutdesuite,mademoiselle.

-Apporteaussidupapieretdequoiécrire,luilançaMaxime,avantqu'ilnefranchisselaporte.

-Monchéri,murmuraArtemisaumonstre,etMaximeneputs’empêcherderessentirunpincementdejalousie,quandbienmêmeelles’adressaitàsonfrère,montre-moi.

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Kilbournelaissaretombersagrossemain.

Artemistressaillit.

Mêmeàdistance,Maximevitdistinctementl'hématomesurlagorgedeKilbourne.

Ilavaitlaformed'unesemelledebotte.

ArtemissetournaversMaxime,sonbeauregardgrisétaitdévasté.

Ils'approcha,luirepritlamain,pourlaréconfortercettefoisetnonpourlacontraindre.Kilbourneplissalesyeux.Pourunfou,ilparaissaittrèsbiencomprendrecequisepassaitentreeux.

Artemisaidaensuitesonfrèreàserallonger.Ilavaitbeauavoirreprisconscience,iln'enétaitpasmoinsblessé.Ellerabattitlacouverturesurlui,lalissatendrementtoutenluimurmurantdesparolesréconfortantes.

Aprèscequiparutuneéternité,Cravenréapparutenfin.

Artemis s’empara aussitôt des linges qu'il avait apportés. Elle en trempa un dans la cuvette queCraven avait posée près d’elle, puis l'appliqua sur la gorge de son frère. Ses gestes étaient d'uneinfiniedouceur.

Maximeattenditqu’elleaitterminéavantdetendrepapieretcrayonauvicomte.

Kilbourneleregarda,avantdeseredressersuruncoudepourécrirequelquesmots.

Maximesepenchapourleslire.

Quandpourrai-jesortird'ici?

Apollon était vivant.C'était là l'essentiel, s’efforçait de se répéterArtemis, cet après-midi, alorsqu'ellesuivaitPhoebedeboutiqueenboutique.Mêmesi-etc'étaitterrible-ilnepouvaitpasparleretmêmesiMaximesemblaittoujoursleconsidérercommefou,endépitdecequ’ellepouvaitluidireetluirépéter,etducomportementparfaitementraisonnabled’Apollonduranttoutelamatinée,aumoinsilétaitvivant.

Tout le resten’étaitquesecondaire.Apollonguériraitet retrouverait l'usagede laparole.EtelleprouveraitàMaximequ'ils'étaittrompésursonfrère.

Toutsepasseraitbien.

-Artemis,venezvoir!

L'appeldePhoeberamenaArtemisauprésent.Courirlesboutiquesavecelle,cen’étaitpasdutoutlamême chose que de les courir avec Penelope. Penelope ressemblait à un général préparant uneoffensive:elleavaitdesobjectifs,desstratégiespourmenerl’assautetd'autrespourbattreenretraite- quoiqu'elle battît très rarement en retraite. En outre, elle n'avait aucune pitié pour l'ennemi - enl’occurrence,lescommerçantsdeBondStreet.Malgrésafortune,ellesemblaitconsidérercommeundevoirdemarchandersystématiquement.

Àl’opposé,Phoebesecomportaitcommeuneabeilledansunchampdefleurs:sesdéplacementsétaient erratiques et elle ne poursuivait aucun but en particulier. Pour commencer, elles s’étaientarrêtéeschezunpapetier,oùPhoebeavaitexaminétoutessortesd’articlesavantd’avoiruncoupde

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cœurpourunravissantpetitcarnetreliéenveauvertdécorédebourdonsdorés.Ensuite,ellesétaientpasséeschezunparfumeur.Phoebeavait respiréplusieursflacons,maisn'avait rienacheté,etavaitmurmuréàArtemisensortantquelepropriétairen'avaitaucunnezpourlesparfums.

EllessetrouvaientàprésentchezunmarchanddetabacetPhoebeexaminaitdesfeuillesdetabacséché,destinéàêtrefumé.

Artemisgrimaça.Ellen’appréciaitpasparticulièrementlafuméedutabac.

-Votrefrèrefumelapipe?demanda-t-elle.

-Oh,non!réponditdistraitementPhoebe.Ilprétendqueçaluiassèchelabouche.

Artemisbattitdespaupières.

-Alors,pourquivoulez-vousacheterdutabac?

Phoebeouvraituneàunelesjarresquicontenaientlesfeuillesdetabacséchéespourleshumer.

- Pour personne. Saviez-vous que les feuilles de tabac,même sans être fumées, ont des odeursdistinctes?

-Euh...non,avouaArtemis.

Ellejetaunregarddanslesjarres.Illuisemblaitdiscernerdevaguesdifférencesdenuancesdanslacouleurdesfeuilles,maistoutesavaientlamêmeodeur.

Lepropriétaire,unhommeauxjouesrebondiesetauventreassorti,sourit.

-Miladyadunez.

Phoeberougit.

-Vousmeflattez,monsieur.

-Pasdutout,assural'homme.Voulez-voustesterletabacàpriserquel’onvientdemelivrer?Ilarrived'Amsterdamet,lecroirez-vous,ilsentlalavande!

-Non?s’exclamaPhoebe,quiparaissaittoutexcitée.

Unedemi-heureplustard,ellesortaitdelaboutiqueenserrantdanssamainunpetitsachetrempliduprécieuxtabacàpriser.Artemisétaitsceptique.Beaucoupdedamesàlamodeprisaient,maiselletrouvaitPhoebeunpeujeunepourundivertissementaussisophistiqué.

-Artemis!

Artemis se retourna pour découvrir Penelope, qui venait dans sa direction d'un pas rapide.Unefemmedechambreencombréedepaquetsahanaitdanssonsillage.

-Ah,Artemis,c'estbienvous!s’exclamaPenelopequandellel'eutrejointecommesielleredoutaitdes’êtretrompée.Bonjour,Phoebe,vousfaiteslesboutiques?

Phoebeouvritlabouchepourrépondre,maisPenelopecontinuasursalancée:

-Vousn'imaginezpasàquelpointjemesuisennuyéedurantletrajetderetouràLondres,Artemis!Jen'avaisriend'autreàfairequebroderetjemesuispiquétroisfoislepouce!J'aibienessayédedemanderàBlackbournedemefairelalecture,maissavoixn'estpasaussiagréablequelavôtre.

Artemisseretintdesourire.

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-Voilàquiaduêtreéprouvant.

-Mais,biensûr,jeneregrettepasdutoutdevousavoirprêtéeàPhoebe,assuraPenelope,avantdegâchersoneffetendemandant:Leduca-t-ilremarquémagénérosité?

Artemisseretrouvabrusquementsansvoix.Leduc.Maxime.Penelopeétaittoujoursdéterminéeàl'épouser.Pourquoiyaurait-ellerenoncé,dureste?Ellenesedoutaitderien.Pourelle,rienn'avaitchangé.

AlorsquetoutavaitchangépourArtemis.

Elle avait couché avec l’homme que sa cousine convoitait. Et tout à coup, elle avait envie depleurer.Lavienedevraitpasêtreaussicompliquée.Elleauraitdûgardersesdistancesavecleduc.Avecleduc,c'étaitpossible.MaisavecMaxime,c'étaituneautrehistoire.

Aussi,endépitdelaculpabilitéquilarongeaittelunpoison,ellenepouvaits’empêcherd’estimerqueMaxime,sinonleduc,luiappartenait,plutôtqu'àPenelope.

- … si reconnaissant, disait Phoebe, quand Artemis s’aperçut que les deux jeunes fillespoursuivaientlaconversation.J'appréciemoi-mêmebeaucoupquevousm'ayezprêtéArtemis.

-Jusqu'àcequevousn'enayezplusbesoin,crutbondepréciserPenelope,commesielleregrettaitdéjàsabonneaction.

Artemis éprouvaunnouveau choc en se rendant compte qu’elle ne retournerait peut-être jamaisvivreauprèsdePenelope.QuellesétaientlesintentionsdeMaximeàsonsujet?Voulait-illaprendrepourmaîtresse,ousecontenterait-ild'uneseulenuit?

Blackbourneavaitdumalàtenirtouslespaquets.L'und'euxcommençaàglisserdelapileetellelerattrapadejustesse.

-Jeferaismieuxd'yaller,ditPenelope,quisurveillaitsesemplettescommeunaiglesacouvée.Lafouleestimpressionnante,aujourd'hui.J'aiétéobligéed'abandonnermavoitureàdeuxruesd'ici.

Lestroisfemmessedirentaurevoir,puisPenelopes’éloignaengrondantlapauvreBlackbourne.

Phoebepritlebrasd'Artemis.

-Dépêchons-nous,àprésent.

-Nousdépêcher?s'étonnaArtemis.Maispourquoi?

-Jenevousl'aipasdit?NousallonsretrouverHeropourprendrelethéchezCrutherby.

-Ahbon?

Artemisneputretenirunpetittressaillementdejoie.Elleaimaitbeaucoupl’aînéedessœursBatten,bienqu’ellelaconnutmoinsbienquePhoebe.

Unpâtédemaisonsplus loin, justeaprès l'échopped'unemodiste, ellesaperçurent l'enseignedeCrutherby.Une serveuse leur ouvrit la porte avec un grand sourire etArtemis repéra d’emblée lafemmeàlachevelureflamboyanteassisedansuncoindusalondethé.

-MademoiselleGreaves!s’exclamaladyHeroReadingenlesvoyantapprocher.Quelleagréablesurprise!J'ignoraisquevousaccompagneriezPhoebe.

-LadyPenelopemel'aprêtée,expliquaPhoebe,quis'asseyaitdéjà.Nousavonsfaitlesboutiquesensemble.

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Herolevalesyeuxauciel.

-J’espèrequ'ellenevousapasentraînéechezcemarchanddetabacdontlaboutiqueempeste?

-Ehbien...commençaArtemis,s’efforçantdetrouveruneréponselaplusdiplomatiquepossible.

Heureusement,Phoebevintàsarescousse.

-D’abord,saboutiquen’empestepas,déclara-t-elle.Ensuite, jevoulaisoffrirdutabacàpriseràMaxime.

-Maximeaplusdetabacqu’iln'enutilise,répliquasasœur,alorsqu'uneserveuseapportaitlethé.Etjetrouveinconvenantqu'unejeunefillecélibatairesoitvuedanscegenred’établissement.

Phoebefronçalessourcils.

-C'estpourtantlaboutiqueoùtuvastefournirpourlordGriffin.

-Ladifférence,c'estquejesuismariée.

-Voulez-vousquejeserve?intervintArtemis.

-S’ilvousplaît,acquiesçaladyHero,l'airdistrait.

-Jet'aiaussiachetéquelquechose,ditPhoebe,etelleproduisitlepetitcarnetàreliureverte.

Levisagedesasœurs'illumina.

-Oh,Phoebe,tuesunamour!

Artemiséprouvaunpincementdetristesse.Elleauraitdûsedouterquelecarnetn'étaitpasdestinéàPhoebe.Lajeunefillenevoyaitsansdouteplusassezpourlireouécrire.

Heroexaminaitlecarnet.

-Ilressembleàceluiquemamanutilisait.

Phoebesepencha.

-C'estvrai?

-Mmm, confirma sa sœur aînée.Elle s’en servait pour consigner les noms dont elle voulait sesouvenir. Elle avait une très mauvaise mémoire, mais refusait de le reconnaître, alors elle avaitrecoursàcecarnetdontelleneseséparaitjamais...

LavoixdeladyHeromourutdanssagorgeetsonregardsefitlointain.

-Ellel'avaitoublié,cettenuit-là.Jel’airetrouvédanssachambredesmoisplustard.Elleavaitdûregretterdenepasl'avoiremportépuisqu'ilsallaientauthéâtre.

-Jel'ignorais,avouaArtemis,bienqu'ellenefûtpassûrequeladyHeros'étaitadresséeàelle.Jecroyaisqu’ilsavaientététuésdansSaint-Giles.

-C'estlecas,confirmaladyHero,quireposalecarnetpours’emparerdelatassequ'Artemisluitendait.Etpersonnen'ajamaissucequ'ilsfaisaientlà-bas,Saint-Gilesétantdansladirectionopposéeàcelleduthéâtreoùilss’étaientd'abordrendus.Enoutre,ilsétaientàpied.Leurvoituresetrouvaitàquelquesruesdelà.Quefaisaient-ilsdansSaint-Gilesetpourquoiavaient-ilsabandonnéleurvoiture,celaresteunmystère.

Artemisfronçalessourcils.

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-Leducn’apaspul'expliquer?

LadyHerojetauncoupd’œilàsasœuravantdebaisserlesyeuxsursatasse.

-Jenesaispass’ils’ensouvientseulement.

-Quoi?s'exclamaPhoebe.

LadyHerohaussalesépaules.

-Maxime déteste parler du drame, tu le sais très bien.Au fil des ans, j'ai quandmême réussi àglanerquelquesdétails,maisiln'estpasdisposéàraconterquoiquecesoitàproposdecequis’estpasséaprèslethéâtre.

Lestroisfemmesburentleurthéensilence,puisladyHerorepritdansunmurmure:

-Jesuissûrequ'ilaassistéàleurassassinat.Quandlecocheretlevaletsontarrivés,ilétaitallongésurleurscadavres.

Artemisbattitdespaupières.L'imageétaitterrifiante.

-J'ignoraisqu'ilavaitétéblessé.

-Ilnel’étaitpas,réponditladyHero.

-Oh!soufflaArtemis,dontlesyeuxs’embuèrent.

ImaginerMaxime,sifort,sisûrdelui,enjeunegarçonaucœurbrisé,étreignantlescorpssansviedesesparentsluiétaitinsupportable.

Phoeberompitlesilence:

-J’auraisvoululesconnaître.EtMaximeaussi,avantledrame.Ildevaitêtretrèsdifférent.

LadyHerosourit.

-Ilavait trèsmauvaiscaractèreetétaitbeaucouptropgâté.Unsoir, ilalancéunplatdepigeonsrôtissurunvaletparcequ’ilavaitréclamédubifteck.Leplatatteignitlevalet-ils’appelaitJack-enpleine figureet lui cassa lenez.Maximen'avaitpasvraimentvoulu leblesser,bien sûr,maispapaétaitfurieux.Ill’aforcéàs’excuserauprèsdeJacketiln'apaseuledroitdemonteràchevalpendantunmois.

-Pourlemauvaiscaractère,celanem'étonnepas,avouaPhoebe.Enrevanche,qu'ilaitréagiaussiimpulsivementmesurprend.Ildevaitvraimentêtretrèsdifférentàl'époque.

- En effet, acquiesça ladyHero.Après le drame, il était tellement silencieux...même lorsqu'il aretrouvélaparole.

-C’estétonnantcommelesgenspeuventchanger,murmuraPhoebe.C'esttroublant,non?

LadyHerohaussalesépaules.

-Parfoisçal'est,eneffet.Maiscequejetrouveétrange,c’estquecertainespersonnesnechangentjamais,quoiqu'ilarrive.

Artemishaussaunsourcil.

-Auriez-vousunepersonneenparticulieràl'esprit?

LadyHeroseraidit.

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- Certains hommes peuvent semontrer si protecteurs que cela en devient ridicule. Rendez-vouscompte,Griffinvoulaitquejeresteaulitaujourd'hui,simplementparcequej'étaisunpeuindisposéecematin.C'estàcroirequ'iln'ajamaisvu...

Lady Hero s'interrompit brutalement, mais elle ne put pas s’empêcher de porter la main à sonventre.

Songesten'échappapasàArtemis.

-Vuquoi?demandaPhoebe.

LadyHeros’empourpra.

-Ehbien...

Artemiss’éclaircitlavoix,unsourireaucoindeslèvres.

-Jemetrompepeut-être,maisjecroisquevousallezêtredenouveautante,Phoebe.

Despetitscrisravisaccueillirentlanouvelle,etArtemisfitsigneàlaserveusedeleurapporterunenouvellethéière.

LetempsquePhoebesecalme,elleavaiteuletempsderesservirtoutlemonde.

-L'ennui,c'estqueGriffinestterriblementsoucieux,seplaignitladyHero.

Artemisneputs’empêcherdesongerquelordGriffinneseraitjamaisaussisoucieuxqueMaxime,mais,biensûr,ellesegardadeledireàvoixhaute.

Phoebeétaitdécidémentraviedelagrandenouvelle.

-Jecomprends,àprésent,pourquoituvoulaisabsolumentquenousnousrendionscheztamodistecetaprès-midi.

LadyHeroretrouvalesourire.

-En fait, j’avais commandéunenouvelle robeavantd'apprendreque j’étais enceinte, il vadoncfalloir la modifier. Et puis, ma modiste a reçu les derniers modèles de Paris, dont certains pourfemmeenceinte,et j'aihâtede lesvoir.SanscompterquenousdevonschoisirquelquechosepourMlleGreaves.

Artemisfaillitenlâchersatasse.

-Pardon?

Phoebehochalatête.Ellenesemblaitpassurpriseparlasuggestiondesasœur.

-Maximem’aditcematinqu'ilfallaitvouscommanderaumoinstroisrobes,ainsiquetoutcedontvousauriezbesoin,confirma-t-elle.

-Mais...

Artemis n'ignorait pas qu’une lady ne devait jamais accepter qu'un gentleman lui offre desvêtements.Saufsielleétaitsamaîtresse.

Maisn'était-cepasdéjàcequ’elleétait?

-C'estlamoindredeschoses,décrétaPhoebe.Vousn'avezpashésitéàbousculervotreemploidutempspourvousinstallerchezmoi.

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Artemisfaillits'esclaffer.Quelemploidutemps?Ellevivaitdansl’ombredePenelopeetn’avaitpratiquementjamaisuneheureàelle.

-Etpuis,ajoutalajeunefillesansdétour,jesuisfatiguéedevousvoirdanscettechosemarron.

Artemislissasesjupes.

-Vousn’aimezpasmarobe?

-Leproblème,c'estqu'elleestmarron.Pascaféaulait,pascuivrefoncé,pasfauve,justemarron.Unecouleurquinevousvapas,detoutefaçon.

-Eneffet,confirma ladyHero,pensive. Jepensequedubleu,oupeut-êtreduvert,donneraitunrésultatintéressant.

Phoebeparutsurprise.

-J'auraispenchépourdurose.

- Certainement pas, se récria lady Hero. J’ai repéré une jolie robe crème, ornée de broderiesrouges,rosesetvertfoncé,quipourraitconvenir.Maissurtoutpasdecolorispastel.Sonteintesttropdélicat.Destonsclairsluiôteraienttoutéclat.Mieuxvautopterpourdescouleursprononcées.

Les deux sœurs tournèrent la tête d’un même mouvement pour l’examiner, et Artemis eutl’impressiond’êtreunbeignetà ladevantured'unpâtissier.SiPhoebeavaitdumalàdistinguer lesformes,enrevancheellen'avaitaucunproblèmeaveclescouleursdèslorsque«l'objet»étaitassezgros.

-Oui,admitfinalementPhoebe.Tuasraison.

-Danscecas,ilesttempsd'yaller,suggéraladyHero.

Lesdeuxsœursselevèrent.Ellespensaientluioffriruncadeauentantqu'amies,songeaArtemis,maisl'argentviendraitenréalitédeMaxime,c’étaitévident.

Etelleavaitcouchéaveclui.

Ilétaitsonamant.

Accepteruncadeaudesapartdanscesconditionsferaitd'elleunefemmeentretenue.Etlesfemmesentretenuesoccupaient lebasde l’échelle - ellesvalaient àpeinemieuxqu'unecatin.Un instant, lapanique la submergea. Elle était devenue ce qu'elle avait toujours redouté d’être et qu’elle avaitfarouchementcombattucesquatredernièresannées.Maiselleavaitfiniparsuccomber.

Saproprefaiblessemaisaussilesdangersauxquelssonstatutl’exposaitétaientresponsablesdesachute.

Cependant, il y avait une certaine exultation à toucher le fond. Après tout, elle ne pourrait pastomberbeaucoupplusbas,désormais.Etpuis,sonnouvelétatn'étaitpasaussidétestablequ'onleluiavaitfaitcroire.

Peut-êtremêmeluiprocurerait-iluncertainbonheur.

Elleselevaàsontouretcroisaleregardintriguédesescompagnes.

-Oui,déclara-t-elle,j'aimeraisbeaucoupavoirunenouvellerobe.Etpourquoipastrois.

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13

Unanplus tard, lanuitde l'équinoxed'automne,Lin s'aventuradans lesbois.Frissonnante, elleattenditdansuneclairièrequelaluneselève.Elleentenditalorsunmurmuresemblableàdesmilliersdevoixse lamentant,puisellevitapparaîtredansleciel lescavaliers fantomatiques.Àleurtêtesetrouvaitungéant.Sacouronned'argentbrillaitauclairde lune.Lineut juste le tempsd'accrocherl'éclatdesonregardpâleavantqueleroiHerlanetendelebraspourlacapturer.

Cettenuit-là,lapleinelunescintillaitdoucementsurfonddecieldevelourstandisqueMaximesefaufilaitdanslesruesdeSaint-GilesdéguiséenFantôme.Illevalesyeux,vitqu’ellejouaitàcache-cacheaveclesnuages,mystérieuseetparfaitementinatteignable.

Semoquant de lui-même, il poursuivit son chemin.Quel genred'homme serait assez idiot pourrêveraprèslalune?Celuiquioublieraitsesdevoirs,sesobligations,toutesleschosesqu’ilétaittenudefaires'ilvoulaitmériterlenomd'homme.

Non, pas seulement d'homme, de duc de Wakefield. Les imbéciles romantiques n'étaient pasqualifiéspourcerôle.

Mieuxvalaitseconcentrersurleprésent.Celafaisaitmaintenantplusieursjoursqu’ilavaitnégligésesdevoirs : traquer l'hommequiavait assassinésesparents.Nuitaprèsnuit, annéeaprèsannée, ilavait hanté les rues de Saint-Giles dans l'espoir de découvrir une piste, des indices qui luipermettraient d'identifier celui qui avait dépouillé et tué ses parents. Peut-être était-ilmort depuis,pourtantMaximeétaitincapabled’abandonnersesrecherches.

C’étaitbienlemoinsqu’ilpuissefaireenmémoiredesesparents.

Ilsefigeasoudaincommeuneodeurdeginluiassaillaitlesnarines.Puisilgagnal’extrémitédelaruellequ'ilvenaitd'emprunter.Celle-cidébouchaitdansuneruepluslarge,etilcomprittoutdesuited’oùvenaitl'odeur.Unecharretteavaitversé.Del'alcools’écoulaitdebarriquesbrisées,etunhommegisaitdanslecaniveau.

Untrafiquantdegin-peut-êtremêmeundistillateur,devinaMaxime.Ils’avançaitdéjà,réprimantunhaut-le-cœur,lorsqu’ilaperçutundeuxièmehomme.Montésurungrandchevalnoir,ilsetenaitunpeuenretraitdelaruelleparallèleàcelled’oùMaximevenaitdesortir,cequiexpliquaitqu'ilnel'avaitpasvu.Ilportaitunevestebleufoncéavecdesboutonsd'argent,etavaitunpistoletdanschaquemain.Unfoulardnoirluimasquaitlebasduvisagetandisquesontricornedissimulaitsesyeux.

-LeFantômedeSaint-Gilesenchairetenos,lançal'homme,etMaximeauraitpariéqu'ilsouriait.Jesuisétonnéquenousnenoussoyonspasrencontrésplustôt.Celadit,jen'avaispasmislespiedsdans le quartier depuis longtemps.Mais quandbienmême j'ai été absent pendant des années, vousdevriezsavoirquejesuistoujourslemaîtredeceterritoire.

-Quiêtes-vous?demandaMaximed'unevoixfeutrée-commecelledel’homme.

Cependant, ils avaientbeau l’unet l’autrecontrefaire leursvoix, l'élocutiond'ungentlemanétaitdifficileàdéguiser.

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-Vousnemereconnaissezpas?répliqual’hommed'untonmoqueur.JesuisLucifer.

Etilfitfeu.

Maximeplongea en avant.La balle se ficha dans lemur de brique, là où se trouvait sa tête unesecondeplustôt.Affoléparladétonation,lechevalatteléàlacharrettes'enfuitentirantderrièreluilevéhiculerenversé.

L'hommemasquééperonnasamontureets’éloignaaugalopdanslaruelle.Maximeenjambalesbarriquestombéessurlepavéetselançaàsapoursuite.Peut-êtrefonçait-iltêtelapremièredansunpiège,maisrienn’auraitpuledissuaderdeprendrel’hommeenchassequandbienmêmelediableenpersonnesedresseraitentraversdesonchemin.

Il avaitvuquelquechosebriller sur lagorgede l'homme.Unobjetépingléà son foulardetquiressemblait...

Ilyeutuncri,puisuneautredétonationretentit.

Maximecourutàperdrehaleinejusqu'auboutdelarueetfaillitentrerencollisionaveclechevaldu capitaine Trevillion. Ce dernier tentait de calmer samonture qui ruait tant et plus. L’un de seshommesétaitàterreetdusangcoulaitdesonventre.Lemalheureuxgémissait,lesyeuxécarquilles,l’air incrédule. Un autre dragon, un tout jeune homme, était toujours à cheval,mais il était blanccommeunlinge.

-Resteaveclui,Elders!luicriaTrevillion.Tum'entends?

Letonétaitsiimpérieuxquelejeunesoldatrelevaabruptementlatête.

-Oui,capitaine!MaisleFantôme..

-Jem’occupeduFantôme,coupaTrevillion,quiavaitreprislecontrôledesoncheval.

Maximesepréparaàl'assaut.MaisTrevillionsecontentadeluijeterunregardacéré.

-Ilaprisladirectiond’Arnold'sYard,lança-t-il,avantdetalonnersoncheval.

Maxime escalada la façade d'un immeuble branlant. Arnold's Yard était constitué d’un entrelacsd’étroitesruellessinueuses.SiLuciferavaitvraimentpriscettedirection,Maximesedéplaceraitplusviteenpassantparlestoits.

Lalune,au-dessusdesatête,avaitfinipardaignersemontrer.Etenbas...

Enbas,Trevilliongalopaitcommeundémon,guidantavecadressesonchevalentrelesobstaclesetsautantpar-dessusceuxqu'ilnepouvaitpascontourner.CelafaisaituneéternitéqueMaximen'avaitpaschasséainsi,enéquipe.Autrefois,ilyafortlongtemps,ils'étaitmêléàungroupedejeunesgensdesonâge.Ilss'étaientbienamusés,ensemble.MaisMaximeavaitfinipars’endétacherpourhanterlesruesdeSaint-Gilesensolitaire.Saquêteneconcernaitquelui.

Cesoir,pourtant,ilappréciaitdeneplusêtreseul,d’avoirquelqu'unpourl’épauler.

Il entendit crier en bas, se rapprocha de la bordure du toit pour jeter un coup d’œil. Trevillions’étaitengagédansuneruelledontl'extrémitéétaitobstruéeparunecharrettevide.Illevalatête

-Jevaisdevoirfairedemi-tour,lança-t-ilàMaxime.Pouvez-vouscontinuertoutdroit?

-Oui!

Trevillionhochalatêteetfittournerbrideàsoncheval.

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Maximerepartitaupasdecourse,bondissantdetoitentoit.CettepartiedelavilleavaitéchappéauGrand Incendie et les immeubles étaient pratiquement collés les uns contre les autres.De temps àautre,ildevaitquandmêmesauterpourpasserd’unblocàl'autre,maislesruellesétaientsiétroitesquec’étaitunjeud’enfant.Àunmoment,pourtant,ildérapa,tomba,glissajusqu'auborddutoit.Ilserattrapaalorsquesespiedspendaientdéjàdanslevide.

C'est làqu’unbruitdecavalcade luiparvint.Trevillionn'avaitpaspucontourner l'obstacleaussirapidement.

CedevaitdoncêtreLucifer.

Maximesetorditlecoupourregarderdanslaruelleencontrebas,etvituncavaliers'yengouffrer.Ilneréfléchitmêmepas.

Illâchaprise.

Avait-ild’instinctbiencalculésoncoupousimplementeudelachance,toujoursest-ilqu'iltombapilesurLucifer.Celui-cieut tout juste le tempsde lever lebraspourseprotéger.Maximereçutuncoupdecoudeauvisage,avantdeseretrouversurlacroupedel'étalon,quisecabrasouslepoidsdesdeux cavaliers. Maxime glissa, ses talons touchèrent à peine le sol qu'il bondissait déjà pourenfourcher le cheval. Il tenta d’entraîner Lucifer avec lui,mais ce dernier tenait remarquablementbien en selle.Le cheval reposa si brutalement ses sabots sur le pavé queMaxime faillit tomber. Illançalepoingendirectiondelatêtedesonadversaire,quiesquivaensetordantcommeunserpent.Iltentaalorsdeluiarrachersonfoulard.Siaumoinsilpouvaitvoirsonvisage!

L'autrepivotapresquecomplètementsursaselle.Une lameétincelaauclairde lune.Vifcommel'éclair,Maximelefrappaaupoignetetladaguevoladanslesairs,pourallers'écrasercontreunmur.Luciferéperonnaalorssoncheval toutenrepoussantviolemmentMaximequi,déséquilibré, tombasurlesol.

LeslourdssabotspassèrentàquelquescentimètresdesatêteIlroulaspontanémentcontreunmurtandisquelecavalierbattaitenretraite.Etnebougeaplus.

-Vousl'avezlaissés’échapper.

C'étaitlavoix,légèrementessoufflée,deTrevillion.

-Jepeuxvousassurerquecen'étaitpasvolontaire,répliquaMaxime.

Trevilliongrommela.Ilsemblaitéreinté.Ilétaitarrivéparuneruellesiétroitequ'ilavaitétéobligédemettrepiedàterreettiraitsonchevalparlabride.

Maximesereleva,jetauncoupd’œilàlaruelle,puisàlamontureducapitaine.

-Jesuisétonnéquevousnesoyezpasrestecoincé,dit-il.

L'officieresquissaunsourire.

- Je crois que Primevère a été la première surprise, répondit-il en flattant affectueusementl’encoluredesajument.

Maximeclignadesyeux.

-Primevère?

-Cen'estpasmoiquil’aibaptisée.

Maximesegardadetoutcommentaire.Ilétaitcertesmalplacépoursemoquervulesnomsdontsa

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sœuravaitaffubléseschiens.

Ilsepenchapourexaminerlepavé.

-Quecherchez-vous?

-Ilaperdusadague.Ah,lavoilà!

MaximeramassaladagueetrevintversTrevillion.

C'étaitunelameàdoubletranchant,étroiteettoutesimpleavecunepoignéegainéedecuir.Maximelaretournaentresesmains,àlarecherched’unemarquedistinctive.Sanssuccès.

-Jepeuxregarder?

IlhésitaunefractiondesecondeavantdeconfierladagueàTrevillion,quil'examinaàsontour,avantdesoupirer:

-C'estunearmetoutcequ’ilyadecommun.Ellepourraitapparteniràpresquen’importequi.

-Presque?

Trevillionesquissaunsourire.

-C'estunaristocrate.J'enmettraismatêteàcouper.

Maximeneputqu'acquiescer.Trevillionétaitperspicace,mais,cela,illesavaitdéjà.

-Avez-vouspuvoirsonvisage?s'enquit-ilenluirendantladague.

Maximegrimaça.

-Hélas,non!Ilestaussiglissantqu'uneanguille.Etilnetenaitmanifestementpasàcequejeluiarrachesonfoulard.

-Alors,commeça,vousvousêtesfaitbattreparunadversaireplusvieuxquevous?

Maximeleregardaavecstupéfaction.

Trevillionhaussalesépaules.

- Il aunpeudebedaineet il se tient raide en selle. Il est certes athlétique,mais jene seraispasétonnéqu'ilaitplusdequaranteans.

-Vousavezsansdouteraison,admitMaxime.

-Avez-vousremarquéquoiquecesoitd'autre?

Maximeserappelal’éclatvertqu’ilavaitdistinguésurlacravatedel’homme,maispréféragardercedétailpourlui.

-Non,répondit-il.Quesavez-vousencoreàsonsujet?

-Ilignorelapeur-etlamorale,apparemment.Ildépouillelesrichescommelespauvresetn'hésitepasàblesser,voireassassiner,sesvictimes.

-Oùsévit-il?

-UniquementdansSaint-Giles.Peut-êtreparcequ'ilyrencontrepeuderésistance.LeshabitantsdeSaint-Gilessontplusvulnérablesetmoinsbienprotégésqueceuxd'autresquartiersplushuppés.

Maximecontemplaitladague.UnbrigandquinefréquentaitqueSaint-Gilesetprétendaitavoirété

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absentdurantdesannées.Sepouvait-ilqu'ilfutl'assassindesesparents?

-Jedoisretournerprèsdemeshommes,annonçaTrevillionenremontantenselle.

Maximehochalatête,fourraladaguedanssabotteettournalestalons.

-Fantôme!

Maximes’arrêtaetregardalecapitaine.

-Merci,lâchal'officier,levisageindéchiffrable.

«Si seulementApollonpouvait parler », se répétaitArtemis ce soir-là, alors qu'elle se faufilaitdans le vestibule sombre deWakefieldHouse, Bonbon sur les talons. Il étaitminuit passé, tout lemondedevaitdoncdormir-enfin, tout lemonde,saufCraven,qu'elleavait laisséauchevetdesonfrère.Cethommesemblaitnejamaisdormir.Lejour,ilcontinuaitderemplirsestâchesauprèsdesonmaître,toutenveillantsurApollon.

Artemis réprima un soupir. Craven s'occupait très bien de son frère - d’où lui venait une telleexpérience,ellepréféraitnepasypenser-,cependantApollonn'avaittoujourspasretrouvélaparole.S’ilallaitphysiquementdemieuxenmieux,chaquefoisqu'ilessayaitdeprononcerunmot,sagorgeneproduisaitquedessonsétranglésquiluicausaientdetouteévidencedesdouleursintenses.

Le couloir desservant la chambre de Maxime était désert, ce qui n’empêcha pas Artemis deregardernerveusementautourd’elleavantdefrapperàsaporte.Elleavaitbeaus’êtrerésignéeàsanouvelleconditiondefemmedéchue,iln’étaitpasfaciledetireruntraitsurdesannéesdeprudenceetdepusillanimité.

Elleattenditendansantd'unpiedsur l’autre.Laportedemeurantobstinémentclose,ellesentit ladéceptionl'envahir.Maximen'avaitpeut-êtrepasl'intentiondelarevoir.Peut-êtreavait-ildécidédèsledébutqueceneseraitquel'affaired'unenuit.Peut-êtres’était-ildéjàlasséd'elle.

Ehbien,quantàelle,ellen'enavaitpasfiniaveclui.

Elle tourna la poignée. La porte n’était pas verrouillée. Elle la poussa vivement, se glissa àl’intérieuretrefermalebattantderrièreelle.

Puiselleregardaledécorquil'entourait.

Ellen’avaitpaseuletempsdel’examiner, laveille-elleavaitété...distraitepard’autreschoses.Elle gagna la porte par laquelle Maxime avait surgi. Elle donnait sur un petit salon qui faisaitégalementofficedebureau.Percyétaitcouchédevantlacheminée.Ilselevaets’étira,avantdevenirlessaluer,Bonbonetelle.

Artemis lui caressa machinalement le crâne. Les murs de la pièce étaient tapissés d’étagèresrempliesdelivres.Ilyenavaitaussidespilessagementalignéessurleparquet.Unénormebureaudisparaissait sous les documents et papiers divers, eux aussi parfaitement empilés. Un seul détailfaisaitdésordre: lepeignoirdeMaxime,drapésurleglobeterrestrequitrônaitdansuncoindelapièce.Réprimantunsourire,elles'approchaduglobeetlefittourner,aveclepeignoir.Puiselleallaposersachandellesurlebureauavantdelaissercourirsesdoigtssurlespapiersquil'encombraient.Ellerepéraunefeuillemanuscrite,oùMaximesemblaitavoirconsignéledébutd’undiscoursdestinéauParlement.Elleleparcourutavecémotion.Maximeavaitledondedéveloppersesargumentsde

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manièreclaireetconstruite.

Reposant la feuille, elle s’intéressa à un petit livre qui dépassait d'une pile. Elle le tira avecprécaution.C'était un ouvrage sur la pêche, découvrit-elle, étonnée. Plusieurs cours d’eau devaienttraverser les terres de Maxime, mais avait-il jamais le temps de pêcher ? Cette pensée la renditsoudainmélancolique.Parvenait-ilaumoinsàjeteruncoupd’œilsursonmanueldepêcheentredeuxoccupationsplusfastidieuses?Sitelétait lecas,celafaisaitapparaîtreleducdeWakefieldsousunjournouveau.

Le livre à lamain,Artemis s'installa dans un fauteuil confortable face à la cheminée. Les deuxchienssecouchèrentàsespiedsetuneatmosphèredesereinetranquillitéenveloppalapièce.

L'ouvrageserévélapassionnantetArtemisperditbientôttoutenotiondutemps.Quandellerelevales yeux, et découvritMaxime appuyé au chambranle, elle n'aurait su dire s'il était là depuis cinqminutesouunedemi-heure.

Elleglissaundoigtdansl'ouvragepourgardersapage.

-Quelleheureest-il?

Iltournalatêteverslapendulequisetrouvaitsurlemanteaudelacheminée.

-Uneheuredumatin.

-Turentresbientard.

Ilhaussalesépaulesets'écartadelaporte.

-Celam'arrivesouvent.

Iltournalestalons,pourregagnersachambre.Artemisposasonlivre,selevaetlesuivit,laissantles chiens endormis dans le salon.Maxime portait lamême tenue qu'au dîner, qu'il avait pris à lamaison.

Lajeunefemmes'installadansunautrefauteuiletleregardasedébarrasserdesaveste.

-Faisais-tuleFantôme?

-Quoi?

Ellefaillitleverlesyeuxauciel.Commesiellen'avaitpasdevinéoùilsetrouvaitduranttoutcetemps!

-Étais-tudansSaint-Giles?

Ilôtasaperruqueetlaposasurunsupport.

-Oui,répondit-il,avantdetirerunedaguedesabotte,qu'illaissasurlacommode.

Artemishaussalessourcils.

-Tutransportestoujourscettearme?

Ilhésitauninstant,avantdelâcher:

-Non.C'estunsouvenirdecesoir.

S'était-ilbattupourdéfendreunefemmequ’onagressait?Avait-iltué?

Elleavaitbeaulescruter,elleneparvenaitpasàdéchiffrersonexpression.Sonvisageétaitfermé

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commejamais.

Ilenlevaensuitesongilet,lejetanégligemmentsurledossierd’unfauteuil.Artemissedemandasi,d’ordinaire,Cravenl’aidaitàsedéshabiller-laplupartdesaristocratesavaientrecoursàleurvaletdechambre,maisluisemblaitparfaitementàl'aise.Ellegardalesilenceetilfinitparregarderdanssadirection.

Ilsoupira.

-Je traquedepuisdesannées lebrigandquia tuémesparents.Jepensais l’avoirenfin trouvécesoir,mais...

Ils'interrompit,secoualatête,l'airamer.

-Maisj’aiéchoué.J'aiéchouécommetouteslesautresfois.Jen’aimêmepasétécapabledevoirsonvisage.

Ildéboutonnasachemiseavecdesgestesimpatients,l'arrachapresquelorsqu'illaretira.Combiendefoisétait-ilrentréchezluienayantperducequiluisemblaitpourtantunepisteprometteuse?

Ilsedirigeaverssatabledetoilette,s'emparadubrocetversadel'eaudanslabassine.

-Tunem'offrespasdesparolesderéconfort?

Artemisleregardas'aspergerlevisageetlecou.

-Quoiquejedise,celaferait-illamoindredifférence?

Ilsefigea,maisdemeurapenchésurlacuvette,ledostourné.

-Queveux-tudire?

-Tutraquessecrètementcetassassindepuisdesannées.Seul.Tuesuneforceensoi,VotreGrâce.Quoiquejefasseoudise,jedoutederéussiràt'ébranler.

Illuijetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.

-Nem'appellepasainsi.

-Comment?

-VotreGrâce.

Artemiseutsoudainenviedepleurer,sansbiensavoirpourquoi.Maximeétaitdevenu...importantpourelle.Maislasituation,déjàcompliquée,l'étaitencoredavantageenraisondesontitreetdetoutcequiyétaitattaché.Siseulementilavaitétédeconditionmodeste-unemployé,ouuncommerçant.Penelope ne se serait pas intéressée à lui et elle-même ne se serait pas sentie coupable à l'idée decauserdutortàsacousine.Ilsauraientpusemarier,elleseseraitoccupéedesamaison, luiauraitpréparésesrepas.Toutauraitététellementplussimple.

Maxime attrapa une serviette, se sécha la figure. Puis il se retourna de nouveau et vit Artemisfrissonner.Serembrunissant,ilallatisonnerlefeupourleranimer.Aprèsquoiilsortitunplaidd'unearmoire,etvintledrapersurlesjambesdelajeunefemme.

-Tuauraisdûmedirequetuavaisfroid,lagronda-t-ilgentimentenarrangeantlesplisavecdesgestesinfinimentdoux.

-Toneauétaitfroide.Celanetedérangepas?

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-Non,aucontraire.C'estrevigorant.

-Alorstrempetaserviettedanslacuvetteetapporte-la-moi.

Illuiadressaunregardemplidecuriosité,maiss'exécuta.

Artemisluipritlelingemouillédesmains.

-Tourne-toietmets-toiàgenoux.

Comme il haussait un sourcil, elle se rendit comptequ'elledemandait àunducde s’agenouillerdevantelle.Maispourelle,iln'étaitpasqueduc.Ilétaitd'abordMaxime.

Il pivota et semit à genoux. Le feu jetait des éclats oranges sur son dos, soulignantmuscles ettendons.

Artemispassalentementlelingehumideentresesomoplates.

MaximecourbalatêteEllefitdescendrelelingelelongdesonéchine.

-J'avaisquatorzeansquandilssontmorts,commença-t-ildansunmurmure.

Ellehésitaunefractiondesecondeavantdepoursuivredoucementsonmouvement.

- Je... je ne savais pas quoi faire.Commentm’yprendre pour retrouver leur assassin. J’étais encolère.

Artemissongeaaugarçondequatorzeansqu’ilétait,ayantperdusesparentsdansundrameaussiatroce.«Encolère»étaitàcoupsûruneuphémisme.

- J'ai passé les deux mois qui ont suivi à m’occuper de la succession, reprit-il. J'étais ducdésormais.Maisilnesepassaitpasunenuitsansquejenesongeàmesparents-etàcequejeferaislorsquej'auraisretrouvéleurassassin.J'étaisplutôtgrandpourmonâge,etjemecroyaiscapabledemedéfendreseul.Alors,j'aicommencédesillonnerlesruesdeSaint-Gileslanuit.

Artemisfrissonnaàl'idéequ'ungarçonaussijeune,sigrandsoit-il,aitpuseretrouverseuldanslesruesdeSaint-Gilesenpleinenuit.

-J'avaisunmaîtred'escrime,etjem'estimaisplutôtbonbretteur,poursuivitMaxime.Maiscelanesuffisaitpas.Unsoir,unbrigandm'aflanquéuneracléeetdévalisé.Jesuisrevenuaveclesdeuxyeuxaubeurrenoir.Cravenétaitfurieux.

-Cravenétaitdéjààtonservice?

Ilhochalatête

-Cravenavaitétélevaletdechambredemonpère.Jelesoupçonned’avoirmenésonenquête.Lelendemainalorsquej'étaisalitépourrécupérerdemamésaventure,j'aieuunvisiteur.

-Quiétait-ce?

- Sir Stanley Gilpin. C'était un ami de mon père, pas particulièrement proche, comme je l'aidécouvertparlasuite,etilavaitétéenaffairesaveclui.

Artemisavait finide lui laver ledos,maisellevoulait continuerà le toucher, alors elleposa lamainsursanuque.Elleétaitincroyablementmusclée.

CommeMaximeneprotestaitpas,ellelaissasamain.

-Pourquoiétait-ilvenutevoir?

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- C'est ce que jeme suis demandé. Je ne l'avais jamais rencontré. Ce premier jour, il est restéenvironuneheure,àmeparlerdemonpèreetd'autreschosessansimportance.

Lamaind'Artemis sepromena lentement sur ledosdeMaxime,qui courba l’échine telungroschat.

-Cepremierjour?répéta-t-elle.Ilestdoncrevenu?

-Ohoui!Jesuisrestéunesemaineaulit,etilestvenutouslesjours.Àlafindelasemaine,ilm'aexpliquéqu'ilpouvaitm'apprendreuncertainnombredechosespourquejenemefasseplusagresserquandjeretourneraisdansSaint-Giles.

Artemissuspendituninstantsongeste.D’uncôté,elleétaitheureusequequelqu'unsesoitsouciésuffisammentdeMaximepour luiapprendreàsedéfendre.D’unautrecôté, iln'avaitquequatorzeans.

Seprépareràuneexistencedevengeurmasquéàquatorzeansavaitquelquechosedechoquant.

Ilsoupira.Artemisluicaressaledosetilparutsedétendreunpeu.

-Jesuisalléchezluietj'aidécouvertqu’ilavaitaménagéunevéritablesalled’entraînementdanssamaison.Ilm'aapprisàmeservird'uneépéenonpascommeungentlemanmaiscommeungredin.Àmebattrepourgagner.

-Combiendetempscelaa-t-ilduré?

-Quoi?

Ilfitminedetournerlatêteverselle,maiselleenfonçalespoucesdechaquecôtédesonéchine.Illaissaéchapperunpetitgrognementdesatisfactionetn'insistapas.

-CombiendetempsadurétonentraînementavecsirStanley?

-Quatreans.J'étaispratiquementtoujoursseul.

-Pratiquement?

-Audébut,ilyavaitunautregarçon,unesortedepupilledesirStanley.Ildevaitavoirdix-huitans.

Ilsebattaitavecférocité-quandilnelisait-,etilavaitunhumourcorrosif.Jel’aimaisbien.

Maximeparlaitbas,commes'ils'adressaitd’abordàlui-mêmeArtemissentitleslarmesluimonteraux yeux.Avait-il eu des amis de son âge après lamort de ses parents, ou avait-il passé toute sajeunesseàs’entraînerpourlesvenger?

-Qu'est-ildevenu?

Aprèsunlongsilence,Maximerépondit:

- Il est allé à l’université. Ilm'a laissé un livre,MollFlanders. Une histoire assez osée. Je doisencorel'avoirquelquepartici.Ensuite,jesuispartiàmontour,etsirStanleyaforméuntroisièmegarçon.Jel’airencontréuneoudeuxfois.Jesupposequenousreprésentions,ànoustrois,unesortedetestamenthumaindesirStanley.Curieusement,celafaitdesannéesquejeneleuraiparléniàl’unniàl'autre.

Ilsemblaitému.

Artemis l'était tout autant. Maxime n'était qu'un homme, après tout. Et un homme n'avait-il pasbesoind'amis?

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D'amour?

Dans le silence qui suivit, seulement brisé par le crépitement des flammes, elle entreprit de luicaresserdoucementlesépaules.

Puisdemandafinalement:

-Quandes-tudevenuleFantôme?

Ellepensaitqu'ilrefuseraitdeluiendiredavantage,etfutdoncsurpriselorsqu’ilrépondit:

- à dix-huit ans. C'était depuis longtemps un sujet de discorde, entre sir Stanley etmoi. J'auraisvouluretournerplustôtdansSaint-Giles,maisils'yopposait.Àdix-huitans,j'aidécidédevolerdemespropresailes.

Artemisfronçalessourcils.Undétailluiéchappait.ElleécartalesjambesetrapprochasonfauteuildeMaxime.

-Pourquoiportes-tucecostumed'Arlequin?

Ils'esclaffa.

-Ça,C'étaituneidéedesirStanley.Ilavaitunétrangesensdel'humouretnourrissaitunepassionpourlethéâtreIlm'afaitconfectionnercecostumeetm’aexpliquéqu'unhommemasquéprotégeaitnonseulementsonidentitémaisaussicelledesafamille.Ilpouvaitsedéplacercommeunfantôme.

-Quelleétrangeidée,toutdemême.

- Je me suis parfois demandé si sir Stanley n'avait pas été le Fantôme de Saint-Giles dans sajeunesse.Entoutcas,lalégendeestplusanciennequenous.

-Nous?

- Les deux autres garçons qu'il a formés. Ils ont été également Fantôme de Saint-Giles. À desépoquesdifférentes,etparfoistouslestroisenmêmetemps.

-Ilsontété?Ilssontmorts?

-Non.Ilsontsimplementprisleurretraite.JesuisledernierFantômedeSaint-Gilesenactivité.

Solitaire.Encoreettoujours.Artemissepencha,siprèsqu'elleauraitpul'embrasser.

-Maxime?

Iltournalatêteetregardaseslèvres.

-Oui?

-Pourquoiétiez-vousdansSaint-Gileslesoiroùtesparentsontététués?

Sonregardsedurcitsoudain,etArtemiscompritqu'elleavaitététroploin.

-Jenem'ensouviensplus,murmura-t-il.

Etill'embrassa.

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14

Duranttouteuneannée,LinchevauchaencroupederrièreleroiHerla.Sonchevalspectralgalopaitsans faire lemoindrebruit.Le roiHerla tuanombrede cerfs et sangliers,mais il ne se réjouissaitjamais de ses succès. En revanche, quand Lin attrapait parfois un lapin, il tournait la tête et ellesentait le poids de son regard sur elle. Et lorsqu’elle le regardait à son tour, ses yeux clairsexprimaientunesolitudeinfinie.

Artemistrouvaitétrangementérotiqued'embrasserMaximedanscetteposition,mêmesiellen’étaitpas des plus commodes.Elle sentait sa barbe naissante lui griffer la peau et était obligée d’ouvrirgrandlabouche-luiaussi,dureste-pourqueleurslanguesrestentencontact.End'autrestermes,leurbaisermanquaitd’élégance.Maiscertainementpasdepassion.

Maximeluienserralecoupourluimaintenirlatêteenplaceetcontinueràprofiterdeseslèvres,puis ilseretournasubitementafindeluifaireface.Glissant lebrasautourdesa taille, ilattirasonvisageàluietmurmura«madéesse»,avantderecommenceràl’embrasser.

Il prenait tout son temps, l'explorait à loisir.Artemis émit un petit bruit de gorge, une sorte degrognement qui, en d'autres circonstances, n’aurait pasmanqué de l'embarrasser,mais leur baiserétait si enivrant qu'elle ne s'en souciamême pas.Rien d'autre n'importait que le ballet enfiévré deleurslangues.ElleauraitpuembrasserainsiMaximependantdesheures.

Maisilfinitparrompreleurbaiser,luiarrachantungémissementdeprotestation.

Ellerouvritlesyeux.Illafixaittelunprédateurs’apprêtantàbondirsursaproie.

Ellesoutintsonregard,etilesquissaunsourire.Puisilarrachaleplaidquiluicouvraitlesjambesetretroussasesjupes.

-Tutesouviensdecematindanslesbois?demanda-t-ild'unevoixrauque.Lejouroùtuessortiedel’étangcommeunedéessetriomphante?Cematin-là,j'aiaperçutescuisses.Tulesdévoilaisaveclatimiditéd'unesirènequichercheàensorcelerlesmarins-ettunet’enrendaismêmepascompte,j’ensuissûr.Entoutcas,letempsquetusortesentièrementdel'eau,jebandaiscommeuncerf.

Artemisrougitàcesparolestrèscrues.Ellesesouvenaitdecematin-là,maisellen'avaitpasidéedel'effetqu'elleavaitproduitsurlui.Direqu'ilsavaientbavardétranquillementetquependanttoutcetemps,lesexedeMaximeétaitraidededésir.Pourelle.

Àcetteseulepensée,ellesesentaittoutemoiteentrelescuisses.

Il sourit comme s'il lisait en elle. Il tenait toujours ses jupes dans les mains et les remontaitlentement,àprésent.Etsiellelelaissaitfaire,illesretrousseraitentièrement.

Etdésormais,ellesavaitexactementcommentilréagissaitauspectacledesescuisses.

Ilarquaunsourcild'unairdedéfi.Maiss'ilétaitunredoutableprédateur,Artemisn'avaitrienàluienvier.Enfant,elleavaitparcouruseulelaforêt,s'étaitbaignéedansdesétangs,avaitpourchassélesécureuilsetgrimpéauxarbrescommeungarçon.Soussatenueaustèrededamedecompagnie,ellen'étaitpasmoinssauvagequeMaxime.

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Pasmoinshardie.

Aussisecontenta-t-elledeluisouriretoutens’adossantàsonsiège.SiMaximes'étaitattenduàdesprotestationsdeviergeeffarouchée,ilenseraitpoursesfrais.

Detoutefaçon,ellen'étaitplusvierge.

Unelueurpresqueespièglebrilladanssesprunelles,seslèvress’incurvèrentdavantageetilinclinalégèrementlatête,commepoursignifiersonapprobation.

Puis,d’unmouvementpreste,illuiremontasesjupesjusqu’àlataille.

Artemisavalasasalive.

Les yeux rivés aux siens, Maxime se retourna entièrement, glissa ses longues jambes sous lefauteuildemanièreàseretrouverassisfaceàelle,songirons'offrantàluicommeunfestin.

Illuicaressaleshanches.S'ilcherchaitàladétendre,cefutraté.Artemiss'accrochaitàsonregardparpurdéfi,maissonsouffles’étaitaccéléré.

Maximebaissabrusquementlesyeux.

Pendantunmoment,ilsecontentadelacontemplersansfairelemoindregeste.Maissonregardétait si possessif qu'Artemis sentit quelque chose palpiter au creux de son ventre. Il la désirait. Ildésiraitcettepartiedesoncorps.Elleétaitsoudainjalousedetouteslesfemmesqu'ilavaitregardéesainsi.Iln'avaitpasledroit-ellesn'avaientpasledroit.

Ceregard,cetteexpressionn'étaientréservésqu'àelle.

LesmainsdeMaximeglissèrentdeseshanchesàlajonctiondesescuisses.Illesluiécarta,puis,doucement,fitpasserl’unedesesjambespar-dessusl'accoudoirdufauteuil.Elleseretrouvaitainsitotalementofferte.

Ils'inclinaalorsdevantelle,telunprêtres'inclinantdevantl’autel.Ellecessaderespirer,regardasabouches’approcherdesaféminité.Etfermalesyeux.

Lecontactdesalanguesurlapartielaplusintimedesonanatomieétaitsiexquisqu'elleentrembladelatêteauxpieds.C'était lasensationlaplusextraordinairequ’elleait jamaiséprouvéeetellesutque, désormais, elle ne serait plus jamais la même. Maxime s'attaquait patiemment à sa façade,dissolvait lemortier, renversait lespierres,mettantànu lafemmequisedissimulaitderrière.Et lepluseffrayant,c’étaitqu'Artemisn’étaitpascertainedesavoirquiétaitcettefemme.

Carellenel’avaitencorejamaisrencontrée.

Maximeécartadoucementlesreplisdesaféminité,s’aventuraplusloinentresescuisses.Artemissecambraetgémit.Unlonggémissementimpossibleàretenir.

Il l'embrassait, la léchait, la suçait, la dévorait tour à tour, et son cœur battait furieusement. Setordant soussacaresse,elleagrippa la têtedeMaximeàdeuxmainspour legarder là, toutcontreelle.Desbruitsdesuccionobscènesemplissaientlesilence.Artemisnesavaitpascombiendetempsellesurvivraits'ilcontinuait,maiselleétaitsûred'unechose:ellemourraits'ilcessait.

Àl’instantdel’extaseultime,elleselevadesonsiège.Commeunaiglequiécarteraitlesailespourcapterl'onded'uneexplosionsurvenuesouslui.

Elleavaitl'impressiondevoler.Derenaître.

Quandellerouvrit lesyeux,Maximelaregardait,sabouchetoujoursentresescuisses, leregard

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brûlant.

Elleluicaressalajoue,cherchantcommentluiexprimersagratitude,maislesmotssedérobaient.

Lesourireauxlèvres,Maximelasaisitàlataillepourl'attirerdoucementsurlui,àcalifourchon.Unemainglisséederrièresatête,ill'embrassaàpleinebouche.Salangueavaitunpetitgoûtépicé-etellesavaitd’oùilvenait.

Sanslâchersabouche,Maximerepoussalefauteuilsibienqu'ilsseretrouvèrentassisdevantlefeu.

-Nouelesjambesautourdemeshanches,murmura-t-il.

Artemis s'exécuta tranquillement. Elle ne voyait pas de raison de se hâter. Mais quand elle seretrouvadanslapositionqu’ilréclamait,sonsexedursepressantcontrelesien, il luiapparutque,peut-être,Maximenepartageaitpassonétatd'esprit.

Lorsqu'ilinsinualamainentreeuxpourdéboutonnersonpantalon,Artemiss'agrippaàsoncouetbaissalesyeux.

-Veux-tudel'aide?

Il luimordilla la lèvre pour la punir de sa taquinerie, avant de l'embrasser de nouveau à pleinebouche.Voyanttoutefoisqu’ilpeinaitàdéboutonnersonpantalond'uneseulemain,elles'enchargeaàsaplace.Illaissaéchapperunjuronlorsqu'ellelibérasonsexedesaprisondetissu.

C'était la première fois qu'elle le tenait entre sesmains - la première fois qu'elle tenait un sexed’homme, du reste - et elle profita de l'occasion pour examiner son trophée. Sa peau était douce,découvrit-elle, surprise, veloutée presque. Elle le caressa doucement, émerveillé de sa dureté.Unepetite goutte de liquide clair avait perlé à son extrémité. Elle y posa le doigt, le promena avecdélicatessesurtoutelasurfaceetvitsonsexetressaillirdanssamain.

ElleregardaMaximeentresescils.Laviolencedesondésirluidilataitlespupillesetluicrispaitlestraits.

-Madéesse,souffla-t-il,avantdes'emparerànouveaudeseslèvres.

Toutàcoup,Artemisn'avaitplusenviedejouer.Ledésirpalpitaitenelletelleuneforceramasséeaucreuxdesoncorps,etquinedemandaitqu'àjaillir.EllerefermalamainsurlesexedeMaxime,l'approchadesaféminité.

Maximeréponditd’uncoupdereins.Alors,retenantsonsouffle,ellelefrottalentementcontreelle.Seigneur,ilétaitsidur,siparfaitementfaitpourelle!

Àboutdepatience,Maxime l'empoignapar leshanches et la souleva juste assezpourqu'elle seretrouveau-dessusdelui.

-Accroche-toiàmoi,ordonna-t-il.

S’appuyant d’une main sur son épaule, elle le positionna de l’autre à l’orée de sa féminité.Lorsqu’il la laissaglisser lentement sur son sexedressé, elle se raidit, craignantque ses chairsnes'opposentàcettenouvelleintrusion.

Maximefitunepause.

-Respirebien,murmura-t-il.

Elle hocha la tête. Il interpréta sa réponse comme un encouragement à continuer et l'empala endouceur.Lecœurd'Artemisbattaitàtoutrompreetsonsouffles'étaitfaithaletant.Maiselles’aperçut

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avec soulagement qu'elle ne ressentait aucune douleur.Au contraire, elle trouvait du plaisir à êtreainsiécartelée.Renversantlatêteenarrière,elleondulapourleprendrecomplètementenelle.

Maximelaissaéchapperungrognementdemâlesatisfactionetappuyalefrontcontreelle.Ellefitcourirsesmainslelongdesesbras,sentitsesbicepsdurcir.

Cefutsonseulavertissement.

Maxime l’agrippa fermementpar leshanches, la souleva,avantd’entrerdenouveauenelled'unpuissantcoupdereins.Lespiedsarrimésausol,ilsemitàlapilonnersansrelâche.

Elles'étaitautrefois imaginéquefairel'amourétaituneactivitépresqueéthérée.L'uniondedeuxâmesplutôtquecellededeuxcorps.

Orleurétreinten'avaitriend'éthérée.EtMaximen'avaitplusriendel'aristocratesophistiqué.Ilseservaitdesoncorpspoursonpropreplaisir,allaitetvenaitàunrythmefurieux,lefrontennage,lesouffleerratique.Encetinstantprécis,iln'étaitguèreplusqu’unanimal.

EtArtemis s’en glorifiait. Elle avait réduit un duc capable de captiver tout un Parlement par lasûretédesonéloquenceàl'étatdebêtelubrique.

Ils’enfonçaunedernièrefoisenellejusqu’àlagarde,sefigea,latêterenverséeetlaissaéchapperunrâledepurejouissance.

Artemiscapturaseslèvrestandisqu’ildéversaitsasemenceenelle.

Le lendemainmatin,Cravenattendit sansmotdirequ'Artemis regagne sapropre chambre.Maisdès que la porte se fut refermée sur la jeune femme, il se tourna versMaxime et le gratifia d'unregardnoir.

-J’espère,VotreGrâce,quevousnem’envoudrezpasdevousparlerfranchement...

-C'estsiimportant?marmonnaMaxime,quiauraitpréféréavoirbusonthéavantquesonvaletneluifasselaleçon.

Cravenignoral'interruption.

-…maisjemedemandesivousn'avezpasperdularaison!

Maximecommençadesesavonnerlevisageavecdesgestesimpatients.

-Sijevoulaisconnaîtretonopinion,je...

-Celamepeinebeaucoupdevousparlerainsi,VotreGrâce,maisj’estimequec'estmondevoir.

Maximes'emparadesonrasoir.Cravenétaitderrièrelui,maisiln'avaitpasbesoindeseretournerpoursavoirqu'ilsetenaitledosraide,latêtebiendroite.

-Ungentlemanneviolepasuneladyquihabitesoussontoit,etquisetrouve,decefait,soussaprotection.

Maximecognasonrasoircontreleborddelacuvette,irritécontreCravenetcontrelui-même.

-Jen'aijamaisvioléunefemmedemavie.

-Commentqualifiez-vouslefaitdeséduireunejeunefemmecélibatairedebonnenaissance?

Le coup était rude et Maxime le prit de plein fouet. Artemis lui avait confié combien lecomportement de son crétin de fiancé l’avait blessée. S’était-il mieux conduit que ce goujat ?

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Certainementpas.Aumoins,sonfilsdemédecinn'avaitpasétéjusqu’àlaséduire.

Contrairementàlui.

N'était-ilpasentraindelablesser,luiaussi?Deluibriserlecœur?Cettepossibilitéluidonnaitenvied’écraserlepoingcontrelemur.Personnenedevraitêtreautoriséàfairedumalàsadéesse-lui,moinsquequiconque.Cravenavait raison : ilsecomportaitcommeunmufleetunefripouille.S’ilétaitunvraigentleman,ilmettraitimmédiatementuntermeàleurrelationetrendraitsalibertéàArtemis.

Saufquec'étaitimpossible.Ilnepouvaittoutsimplementpasrenonceràelle.

Ilinspiraungrandcoup,puisdéclarad'untoncrispé:

-Craven,cequisepasseentreMlleGreavesetmoineteregardepas.

-Vraiment? répliquasonvalet,et ilyavaitdanssavoixune tensionrare.Quicela regarde-t-il,dans ce cas ?Écoutez-vous vos sœurs ?MllePicklewood ?Cesmessieurs duParlement que vousappelezvosamis?

Maximeseretournalentementverssonvalet.Personneneluiavaitjamaisparléainsi.

LevisagedeCravenétaitsévère.

-Vousavez toujours été inflexible avecvous-même,VotreGrâce.C'est cequivous apermisdesurvivre à la tragédie. C'est aussi ce qui a fait de vous un membre respecté du Parlement. Leproblème,c'estquelorsquevousêtesdansl'erreur,iln'yapersonnepourvouscorriger.

Maximeplissalesyeux.

-Etpourquoidevrais-jemecorriger?

-Parcequevoussavezpertinemmentquecequevousfaitesn'estpasbien.

- C'est elle qui est venue dans mon lit, pas l’inverse, marmonna Maxime, qui se sentit rougird’offrirunesipiètreexcuse.

-Ungentlemandoitsavoircontrôlersespulsions,rétorquaCraven.Toutessespulsions.Êtes-vousentraindereprochervosfautesàMlleGreaves?

Maximeretournaàsonrasoir.Ilnesesentaitpaslecouragedesoutenirleregarddesonvalet.

-Jenereprocherienàpersonne.

-Vousdevriez,pourtant.

-Craven.

Sonvaletneselaissapasintimider.

-Annoncez-moiquevousdésirezl'épouseretjeserairavi.

Maxime se raidit. Ce qu’il désirait et ce qui était bon pour son duché étaient deux chosesdifférentes.

-Tusaisbienquec’estimpossible.Jeprojetted'épouserladyPenelopeChadwicke.

-Etvoussavezbien,VotreGrâce,queladyPenelopeestunecréaturefrivolequinevousarrivepasàlacheville.NiàcelledeMlleGreaves,enl'occurrence.

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-Attention,Craven,lançaMaximed'unevoixglaciale.N'insultepaslafutureduchesse.

-Vousneluiavezpasdemandésamain.

-Pasencore.

-Pourquoinepasclarifierleschoses?Pourquoinepasépouserlafemmeavecquivouscouchezdéjà?

-Parceque,commetunel'ignorespas,safamilleestcontaminéeparlafolie.

- On pourrait en dire autant d’une bonne moitié des familles de l'aristocratie anglaise, ironisaCraven.Etmêmeplus de lamoitié si on compte lesÉcossais.En outre, je vous rappelle que ladyPenelopeestelle-mêmeparentedeMlleGreaves.Selonvoscritères,ellen’estdoncpasnonplusapteàvousépouser.

Maximeserra lesdents.Cravenavaitassistéàsonbaptême.Il luiavaitapprisàseraser. Ils'étaittenuàsescôtésquandilavaitconduitsonpèreetsamèredanslacrypteoùilsreposeraientàjamais.Cravenn'étaitpasunsimpledomestique.

C'estpourquoiils'obligeaànepaséleverlavoix.

-LadyPenelope n'a pas de frère aliéné,meurtrier de surcroît. ÉpouserMlleGreaves nuirait auduché.Jedoisàlamémoiredemonpère...

-VotrepèrenevousauraitjamaislaisséépouserladyPenelope!s'écriaCraven.

-C'estbienpourcelaquejevaisl'épouser,répliquaMaxime.

Craven se contenta de le fixer du regard. De ce regard dont il l’avait gratifié lorsque, encoreenfant, il avait giflé sa sœur Hero. Lorsqu'il avait abusé du vin pour la première fois de sa vie.Lorsqu'ilavaitrefusédeparleraprèslamortdesesparents.C'étaitlegenrederegardquisignifiait:«Untelcomportementn'estpasdigneduducdeWakefield.»

EtceregardavaittoujoursarrêtéMaxime.

Maispascette fois.Cette fois,c’était luiquiavait raisonetCraven, tort.LeducdeWakefieldnepouvaitpas épouserArtemisGreaves.En revanche, ilpourrait lagarderauprèsde lui commesonplusprécieuxtrésor.

Cariln'étaitpassûr,aupointoùilenétait,depouvoirvivresanselle.

Iltournaverssonvaletunvisagedemarbre.

-J'épouserai ladyPenelopeet jecontinueraidecoucheravecMlleGreavessicelamechante.Sicelaneteconvientpas,tueslibredequittermonservice.

Cravenledévisageaensilence,etMaximesesouvintquelelendemaindelamortdesesparents,c’estlevisagedeCravenqu'ilavaitvuenpremieràsonréveil.Cravenquil'avaitveillétoutelanuit,assisdansunfauteuilàsonchevet.

Sonvalettournafinalementlestalonsetsortitenrefermantdoucementlaportederrièrelui.

Maximeeutl'impressionqu’onluiavaittiréuneballeenpleincœur.

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15

PendanttoutecetteannéeoùLinchevauchaderrièreleroiHerla,ellen'échangeapasunseulmotaveclui.Etquandrevintlanuitdel'équinoxed'automne,elleinspiraungrandcouppoursedonnerducourage et elle fit ce que le petit hommedesmontagnes lui avait conseillé : elle attrapa son frèrejumeaupourlejeteràbasdesoncheval.Aussitôt,Tamsetransformaenunmonstrueuxchatsauvage.

LesmarchesdelacaveétaientglissantesetArtemislesdescendaitd'unpasprudent,carelleportaitleplateau sur lequel se trouvait lepetitdéjeunerd'Apollon :du thé,dupain frais,dubeurre,de lamarmeladeetdesœufsàlacoque.

Ellecalaleplateaucontresahancheletempsdeglisserlaclédanslaserrure.Elletrouvaitbizarred'enfermersonfrèreàdouble tour-quioserait fouillerdanslescavesduduc?-,maisMaximeetCravenavaienttousdeuxassuréquec'étaitpréférable.

Àl’intérieur,riennesemblaitavoirchangédepuisqu’elleavaitsouhaitébonnenuitàsonfrère,laveilleausoir.LebraserobrûlaittoujoursetApollonétaittoujoursassissursonlitdefortune.Maisens'approchant,elledécouvritqu'ilyavaitunedifférencedetaille:sonfrèreavaitunbouletattachéàlachevilleparunechaîne.Elles'immobilisa.

-Qu'est-cequec'estqueça?

Il avaitbeauavoir étébattuàmort etneplusêtreenétatdeparler,Apollonn'avait aucunmalàexprimersapensée.

Illevalesyeuxauciel.Puiscontemplalebouletetlachaîne,etfeignitdetressaillircommes'illesvoyaitpourlapremièrefois.

Artemisréprimaunsourire.L'affaireétaitgrave.

Elleposaleplateauàcôtédesonfrère.Lachaîneétaitassezlonguepour luipermettrequelquesdéplacements.

-Apollon,quiafaitcela?Maxime?

Ilnedaignapasrépondre,s’emparadumorceaudepainqu’ilrompit.Ilfitunepause,puissemitàmangerpresquedélicatement.

Artemisserembrunit,étonnéeparcecomportementétrange.

-Apollon,réponds-mois'ilteplaît!Pourquoit'a-t-onenchaîné?

Ilpritsatasse,regardasasœurpar-dessuslerebordetbutunegorgéedethéavantdelareposersurleplateau.Ilramassaensuitelepetitcarnetquigisaitàcôtédesonlit,griffonnaquelquesmotsetletenditàArtemis.

Jesuisfou,avait-ilécrit.

-Tusaisbienquec’estfaux,répliqua-t-elleenluirendantsoncarnet.

Illadévisageauninstant,sonregards’adoucit,puisilécrivitdenouveau.

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Artemiss’assitprèsdelui.

Tuesbienlaseule,masœurchérie,àmecroiresaind'esprit.Jet'aimepourcela.

Artemisdéglutitpéniblement.

-Jet'aime,moiaussi,souffla-t-elleenluicaressantlajoue.Mêmesiparfois,tumefaisenrager.

Ilsouritets’attaquaàsesœufsàlacoque.

-Apollon,ques’est-ilpasséàBedlam?demanda-t-elledoucement.Pourquoit'ont-ilsbattuàmort?

Ilmangeaitsanslaregarder.

Artemissoupira.Aprèstout,l'essentielétaitqu'ilsoitenvie.Etqu'ilmangedésormaisàsafaim.

Enrevanche,ellenesupportaitpasdelevoirenchaînécommeunanimal.

-JeparleraiàMaxime,reprit-elle.Ilcomprendraquetuasétéaccuséàtortetquetun'espasdutoutfou.

Endépitdesonassurancedefaçade,ellecommençaitàdouterqueMaximepuissechangerd'avis.Quoiqu'il ensoit, ellenepouvaitaccepterqueson frère resteenchaîné -c'était àpeinemieuxqueBedlam.

Toutenmâchantsesœufs,illuijetaunregardencoinet,pourquelqueraisoninexplicable,celalarenditnerveuse.

Ilrepritlecarnetpouryinscrireunseulmot,encapitales:MAXIME?

Artemiss’empourpra.

-C'estunami.

Apollonarquaunsourcilsardonique,puisécrivit:Ildoiteneffetêtreungrandamipourm'avoirsortideBedlamàtademande.

-Jesupposequ'ilavulàl’occasiondefaireunebonneaction.

Son frère afficha une expression incrédule. Il écrivit encore : J 'ai perduma voix,mais pasmafacultéderaisonnement.

-Jen’enaijamaisdouté.

Maisiln'avaitpasfinid'écrire.Jen'aimepastesavoiraussiproched'unduc.

Artemislevalementon.

-Tupréféreraisquejenefréquentequedescomtesetdesvicomtes?

Illuidonnaunpetitcoupd'épaule,puis:Trèsdrôle.Tusaistrèsbiencequejeveuxdire.

ApollonétaitlapersonnelapluschèreàsoncœuretArtemisdétestaitluimentir.Maislavériténeferaitquelemettreencolère.

-Net’inquiètepaspourmoi.Unducnes'intéresserajamaisàunedamedecompagnie.Tusaisquelady Phoebe est mon amie. Je suis ici pour lui tenir compagnie pendant que sa cousine, MllePicklewood,estàBath.C'esttout.

Son frère la fixa d'un regard suspicieux jusqu’à ce qu'elle lui fasse remarquer que son thérefroidissait.Ilterminasonpetitdéjeunersansplusposerdequestions.

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Cependant,Artemisméditaitsespropresparoles.D'unecertainemanière,elleavaitditvrai:unducn'avait aucune raison de s'intéresser à elle.Maxime n'avait d'ailleurs pas laissé entendre que leurliaisonserait appeléeà seprolonger.Et s'ilnedésirait coucherquequelquesnuitsavecelle?Quedeviendrait-elle ensuite ? Elle n'imaginait pas retourner auprès de Penelope, quand bienmême sacousineignoreraitcequis'étaitpassé.

Quoiqu'ilarrive,elleneretrouveraitpassonexistenced’avant.

Ce soir-la, Maxime éprouva une exaltation particulière à se faufiler dans les rues de LondreshabilléenFantômedeSaint-Giles.Commes'ilétaitimpatientdelibérerlabêtequisommeillaitenlui.Cela faisait presque vingt ans - plus de lamoitié de son existence - qu’il traquait l'assassin de sesparents.Ilnes'étaitpasmarié,n'avaitpasentretenudemaîtresseetn'avaitmêmejamaiseudevraisamis.Toutessespensées,toutesonénergieavaientétéconsacréesàunseulbut:vengersesparents.

Etjamaisiln’avaitétéplusprèsd'échouer.

Ilsemitàpleuvoir,commesilescieuxeux-mêmespleuraientsursafaiblesse.

Maxime s’arrêta un instant pour offrir son visage à la pluie. Combien de temps ? Seigneur,combien de temps devrait-il encore chercher ? Craven avait-il raison ? Avait-il fait suffisammentpénitenceouétait-ilcondamnéàcontinuerencoreetencore?

Il se remit en route.Les pavésmouillés étaient glissants, et la pluie tombaitmaintenant à verse,maiscelan’empêchaitpaslesLondoniensdesortir.Ilcroisadeuxdandysquis'abritaientsousleursredingotestenduesau-dessusdeleurstêtesL'und'euxpoussauncrienl’apercevant,etildutaccélérerl'allurepoursefondredanslanuit.

Ilrepérad'autrespassants.Detouteévidence,ilétaitsortitroptôt.

Bifurquant sur sa droite, il escalada un pilier qui supportait le premier étage en encorbellementd’unimmeuble.Etseretrouvanezànezavecungaminblondenrobedechambrequiregardaitparlafenêtre.Prisdecourt,Maximes'immobilisauninstant,tandisquelegarçon,médusé,portaitundoigtàsabouche,puisilpoursuivitsonascension.Ilsehissasurletoitets’élançaaupasdecourse.Lestuiles étaient aussi glissantes que les pavés, et la pluie qui tombait sans discontinuer trempait satuniqueetjetaitsurlavilleunvoilesinistre.

Enbas,lesgenscouraientpourallers'abriter.Maxime,lui,couraitdetoitentoit,risquantàchaquesautunechutefatale.

Il approchait de Saint-Giles. Impossible de se tromper : l'odeur de misère et d'abandonempuantissait l'air. Il croyait sentir le gin - cet alcool maudit qui pervertissait tout le quartier, leplongeaitdanslesaffresdelamaladie,semaitlamortpartoutoùilpassait.

Cettepenséeluisoulevaitlecœur.

Ilpoursuivitsacourseinlassablement,sanssesoucierdelapluie,del’heure,dujour,dequoiquecesoitd'autrequesaquête.

Jusqu’àcequ’illetrouveenfin.

Lucifer se tenait sur une placette si petite qu'elle n'avait même pas de nom. Il était à cheval etbraquaitsonpistoletsurlatêted’unjeunehommequigémissaitdepeur.

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D'instinct,sansréfléchir,Maximeselaissaglisserlelongdelafaçadedel'immeubleettombaentrelejeunehommeetLucifer.

Sanshésiter,celui-cibraquasonarmesurMaximeetfitfeu.

Dumoins,ilessaya.

Maxime,toutdégoulinantdepluie,luisourit.

-Tapoudreestmouillée.

Lejeunehommeenprofitapourprendresesjambesàsoncou.

-Encoretoi,ditLucifer, lavoixàdemiétoufféepar lefoulardtrempéqui luicouvrait lebasduvisage.

Ilnesemblaitpaslemoinsdumondeinquiet.

Maxime s'approcha. Bien que la lumière soit faible, il vit clairement l'émeraude accrochée aufoularddubrigand.Etillareconnut.

Unfrissond’excitationleparcourut.Enfin.Dieutout-puissant.Enfin.

-Tuasquelquechosequim'appartient,Lucifer.

-Ahoui?

-Cela, ditMaximeen indiquant lapierreprécieusedumenton.Cette émeraudeappartenait àmamère.Ilyenavaitdeux.As-tuaussil'autre?

Àsagrandesurprise,Luciferéclatad'unrire tonitruantquirésonnaentrelesmursdesbâtimentsbordantlaplacette.

-J'auraisdûtereconnaître,VotreGrâce!Maisilestvraiquetun’espluslegamind'ilyadix-neufans.

-Non,eneffet.

- En revanche, tu es toujours aussi stupide, reprit Lucifer. Si tu veux l'autre émeraude, je teconseilledelacherchercheztoi.

Maximeenavaitassezentendu.Ildégainasonépéeetchargea.

Lucifertiraviolemmentsursesrênes.Sonchevalsecabraetsesfersbrillèrentdanslapénombre.Maxime plongea en avant dans l’intention de contourner l’animal pour attaquer sonmaître par leflanc.Mais à l’instant où les sabots heurtèrent le pavé,Lucifer éperonna samonture et s’enfuit autriplegalop.

Maximebalayaduregardlafaçadedel'immeubleleplusprocheàlarecherchedepointsd'appuiquiluipermettraientdel'escalader.S'ilnegrimpaitpastrèsvitesurlestoits,Luciferluiéchapperait.

Ils’accrochaàunebriquequifaisaitsaillie,maiscelle-cisedétachadumuretMaximetombaàlarenverse.

Ildemeuraallongésurlesolcrasseuxtandisqueladouleursediffusaitdanstoutsoncorpsetquelapluieluimartelaitlevisage.

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Artemisfutréveilléepardeuxbraspuissantsquilatirèrenthorsdesonlit.Elleauraitdûs'affoler,maiscelaluiparutétrangementnormal.Tandisqu'illaportaitdanslecouloir,elleétudialevisagedeMaxime.Sestraitsétaienttirés,sonregardsansvie,seslèvrespincées.Ellesentaitsoncœurbattreàgrandscoupssourdssoussajoue.

Tendantlamain,ellesuivitdudoigtleslignesduresquiencadraientsabouche.Ilbaissalesyeuxsurelleetlasauvageriequ’elleydécouvritluiarrachauncriétouffé.

Ilouvritlaportedesachambred’uncoupd’épauleetallaladéposersursonlitteluntrophéedeguerre.

Puisilcommençad’ôtersesvêtements

-Déshabille-toi,ordonna-t-il.

Sansmotdire,Artemisseredressaenpositionassise.ElleeutàpeineletempsdesedébarrasserdesachemisedenuitqueMaxime,entièrementnu,s'allongeaitprèsd’elle.

-Jet'interdisdedormirailleursquedansmonlit.

Elleauraitpuprotester,maisdéjàillafaisaitroulersurleventre.

-Tuesàmoi,dit-ilenlacouvrantdesoncorps.Àmoietàpersonned’autre.

-Maxime...

-Capitule,machasseresse,coupa-t-ilenluiécartantlesjambes.Rends-toi,madéessevierge.

-Jenesuisplusvierge.Tum’asdéflorée.

-Etjevaisrecommencerpasplustardquemaintenant.Ensuite,jet'enfermeraidansunchâteauloind'ici,àl’abridesregardsdesautreshommes.Etchaquenuit,jeviendraidanstonlit,etjeplongeraimonsexedanstachatte,etjetebaiseraijusqu’àl’aube.

Loin d'effrayerArtemis, ces paroles crues, ces propos presque délirants la firent se tortiller dedésir.

-Tuenasenvie,madéesse?Tuasenvieden’êtrequ'àmoi,dansunendroitàl'écartdecesatanémonde,oùiln'yauraiquenousdeux?

-Ohoui!réponditArtemisd’untonfarouche.

-Lejour,j'iraichasserlegibier.Jeleferairôtirmoi-même,puisjet'installeraisurmesgenouxetjetenourriraibouchéeaprèsbouchée.Tunemangerasquedansmamain.

Artemisneputs’empêcherderire,carellesavaitqu'ilnedésiraitpasréellementunefemmeprêteàseplieràsavolonté.

Elleseretournapourluifaireface.

-Non,dit-elle en lui encadrant le visagede sesmains. J’irai chasser avec toi. Je suis ton égale,milord.Tonégaleettacompagne.

-Tul'es,acquiesça-t-ilavantdeprendrepossessiondesabouche.

Seslèvressentaientlapluie.Etlevin.Etautrechoseencore.Artemisétaitdéterminéeàluiparler-desonaveniretdelalibérationd'Apollon-,maisdansl'immédiat,ellevoulaitoublierlaréalité.Laréalitéétaitunemégèrequivousempêchaitd’êtreheureux.

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Elleneconnaîtraitpeut-êtrejamaislebonheur,maisellepouvaitaumoinsprofiterdecesinstantsd'extasecharnelle.

Elleluirenditsonbaiseravecardeur,enfonçantlesonglesdanslachairdesondoscommepouryimprimersamarque.

Sontorseappuyaitsursesseins,etellesentaitsavirilitépalpiterentresescuisses.

Ilsehissasurlescoudes.

-Jevaistebaiser,madéesse,maispar-derrière

Etillaretournadenouveausurleventre.

Artemiscreusalesreins,autantpourprotesterd’êtretraitéeaussicavalièrementqueparcequ'elleétaitexcitée.EllesentitlesexedeMaximeseglisserentresescuisses,frottercontresafente.Unjour,sepromit-elle,elleexploreraitchaquecentimètrecarrédesoncorpsmagnifiquemais,pourl’instant,toutcequ'ellevoulait,c'estl'avoirenelle.

Ilcomblasondésir.

Pesantsurelledetoutsonpoids,illapénétrad'uneseulepousséepuissante,etellegémitdeplaisir.Danscetteposition,ellepouvaitàpeinebouger,etencoremoinsrépondreàsescoupsdereins.

Maximeenétaitparfaitementconscient,àenjugerparleriregravequiluiéchappa.Ellelesentitdurcirenelle,etuneondedechaleurlasubmergea.Elleétaittrempée,soudain,etneputs’empêcherd'ondulersouslui.

Ilgrogna,luimordillalelobedel'oreilleavantdes'enfoncerenelleplusprofondément.

-Soumets-toi,madoucechasseresse,murmura-t-il.Tuestellementchaude,jepourraisresterdesheuresainsi.

Artemis s’efforça d’arrondir le dos. Il rit et en profita pour passer les mains sous elle et lesrefermer sur ses seins, tandis que ses longues jambes, disposées de chaque côté des siennes, latenaientcaptive.

-Madéesse,tuescequej’aidepluscheraumonde.

Artemisneputretenirunsanglot.

-C'estbien,dit-il.Pleurepourmoi.Supportemadouleur.Prendsmasemenceentoi,carjen'airiend'autreàt'offrir.

Surce,ilsemitàlapilonnerférocement.

Artemisenfonçalatêtedansl'oreiller.C’étaitàlafoistropettroppeu.Unassautininterrompu,unefêtedetouslessens,uneexplosioncharnelle.

-Jouis,madéesse!l'encouragea-t-il.Laisse-moimenoyerdanstapassion.

Etellejouit.Avecuneviolenceinouïe.

Commesilemondeavaitcesséd'exister.

Maxime la rejoignitdans l’extaseets’écroulasurelle,pantelant. Ilétait lourdsurelle,maisellen’osaitluidemanderdebouger.Ils'étaitpasséquelquechose,cesoir.Quelquechosequil’avaitrendupresquefou.Quelquechosedeterrible.

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Elletournalatête

-Qu'ya-t-il,Maxime?chuchota-t-elle.Quet’est-ilarrivé?

Ilbasculasurlecôté,etl'attiraaussitôtcontrelui,commes'ilnesupportaitpasdenepaslatoucher.

-Jel’aitrouvé.L’hommequiatuémesparents.Jel'aitrouvéetjel’aiperdu.

Artemisétaitbouleversée.

-Oh,Maxime...

Illéchaunpetitriresec,vibrantd’amertume.

-C'estunbrigandquisefaitappelerLucifer.Mamère...mamèreportaitsesémeraudes,cesoir-là.Unsomptueuxcollierconstituédeseptémeraudestailléesenpoireetd'undiamantaccrochésàunechaîneenor,elle-mêmesertied’émeraudespluspetites. Iladû ledémonteraprès l’avoirvolé,carquelquesannéesplustardj'airetrouvélapremièrepierreaucoud'unecourtisane.Celam'aprisdesannées,maisj'airéussiàreconstituerlecollierenpartie.J’airetrouvélachaîne,lediamantetcinqdesseptémeraudes.Hiersoir, ilm’avaitsembléenvoiruneaccrochéeaufoularddeLucifer.Etcesoir,j'enaieulaconfirmation.C'étaitbienl’unedesémeraudesdemamèreJeluiaidemandéoùétaitladernièreetsais-tucequ’ilm'arépondu?

-Non,murmuraArtemis,enproieàunaffreuxpressentiment.

Maximeesquissaunsouriresansjoie.

-Ilm’aconseillédelachercherchezmoi.

Artemisseredressa.

-Oh,monDieu!

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16

Linsautasursonfrèreets'accrochafarouchementàluimalgrésestentativespourladésarçonneretluidonnerdescoupsdegriffe.Carlepetithommedanslamontagneluiavaitditquesijamaisellelâchaitsonfrèreavantlechantducoq,ilsseraientcondamnésàerreréternellement.LeroiHerlanesemblaitpass’êtreaperçudecequisepassaitderrièrelui,maissesmainssecrispèrentsursesrênes.Tamsetransformaalorsenserpent.

Maximecontemplaitl’émeraudeposéedanslapaumed’Artemis.Aprèssonrécit,lajeunefemmeavaitenfilésachemisedenuitetavaitquittélachambreencourantsansluidonnerd’explication.Elleétaitrevenuepeuaprès,serrantquelquechosedanssonpoing.

Àprésent,Maximesedemandaits’ilnedevaitpass'estimertrahi.

-Oùdiableas-tueucela?

- Je... commença-t-elle, refermant lesdoigts sur lapierreprécieuse.Cen'est certainementpascequetupenses,ajouta-t-elle,indignée.

Maximecroisasonregard.

-Etjepensequoiselontoi?

-Quejesuisimpliquéedanslemeurtredetesparents.

Présentéainsi,c’étaitévidemmentgrotesque.

-Désolé,fit-il.Jeveuxsimplementquetumeracontes.

Elles'éclaircitlavoix.

-Monfrèremel'aoffertepourmonquinzièmeanniversaire.

Maximeseraidit.

-Kilbourne?

-Oui.

Songeur, il baissa les yeux.L'assassin s'étaitmontre prudent.Maximen'avait trouvé la premièreémeraudequedixansaprèsledrame.Àforcederecherches,ilavaitdécouvertquelapierren'avaitétévenduequequelquesmoisplus tôt.Malheureusement, lapistes’étaitarrêtée là : lebijoutierquiavaitconclulaventeavaitétéretrouvébaignantdanssonsang.

Ilavaitrachetélacinquièmeémeraudetroisansauparavant.Etlevendeuravaitpareillementpéri:l'assassin avait dû se rendre compte que ces émeraudes risquaient de le trahir en permettant deremonterjusqu’àlui.

Mais si Artemis disait vrai, alors Kilbourne pouvait peut-être l'aider à retrouver la trace del'assassin.Levicomteleconnaissaitpeut-êtremêmepersonnellement.

-àquitonfrèrel'avait-ilachetée?

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- Je l'ignore. Il ne me l'a jamais dit. Et je n'ai appris que c'était une véritable émeraude il y aseulementquelquesmois,quandj'aivoululavendre.

Maximefixalonguementlapierreprécieuseavantdeselever.Ilsoulevalecouvercled’uncoffretposésursatabledenuitetiltirauneclédontilseservitpourouvriruntiroirsecretménagédanslemeuble.

L'intérieurdutiroirétait tendudeveloursnoirsur lequelreposaitcequirestaitduplusprécieuxtrésordesamère:lesémeraudesdesWakefield.

Artemis s'approcha.Puis il lui prit doucement lamainpourydéposer l'émeraudequ'elle serraitdanssonpoing.Ilgardasamaindanslasienneuninstant,avantdela lâcher.Ilétaitbienconscientqu'ellenesecontentaitpasseulementdeluirendrecequiluiappartenait:elleluioffraitsansdoutelapistelaplussérieusepouridentifierLucifer.

Iln’osaitlaregarder,carilsentaitbienquecen'étaitpasseulementlagratitudequiluigonflaitlapoitrine.

Il déposa l'émeraude à côté de ses sœurs. Le collier était presque entièrement reconstitué, àl’exceptiond'untrouensoncentre.

-Iln'enmanqueplusqu’une,souffla-t-elle.

-Oui.CellequeporteLuciferàsoncou.

Ilrefermaletiroiretleverrouilla,avantd'ajouter:

-Quandjel'aurairécupérée,jeferairattachertouteslespierres.

-EttuoffriraslecollieràPenelope,dit-elletranquillement.

Maxime tressaillit. Il ne s’était certes jamais projeté aussi loin dans le futur. Durant toutes cesannées,récupérerlesémeraudesettraînerl'assassindesesparentsenjusticeavaitoccupétoutessespensées.Ilnes’étaitpasdemandécequisepasseraitensuite.

MaisArtemisavaitraison.CecollierappartenaitdedroitàladuchessedeWakefield.

Ilsetournaverscettefemmequiluiavaitdonnésoncorps,etpeut-êtresoncœur.Cettefemmequile connaissaitmieux que quiconque. Cette femme qu'il ne pourrait jamais honorer comme elle leméritait.

Etcommeillesouhaitait.

-Oui,répondit-il

-Penelope l'adorera,assura-t-elle sansciller - sadéesse si courageuse.Elleaun faiblepour lesbijouxetcesémeraudessontmagnifiques.Elleserasuperbeaveccecollier.

Sa bravoure irritaMaxime. Elle nemanifestait aucune jalousie, aucune colère à la pensée qu'ilcoucherait avecune autre femme, et sa réaction, bizarrement, lui donnait envie d'enfoncer le clou.Pour l'obliger à reconnaître ce que cette situation avait d’obscène. À dire à voix haute qu'il luiappartenait.

-Resplendissantemême,renchérit-ilaveccruauté.Jeluiachèteraipeut-êtredesbouclesd’oreillespouralleravec.

Artemisaccrochasonregard.

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-Crois-tu?

Et il eut, à cet instant précis, l’absolue certitude qu'il n’achèterait jamais de boucles d'oreilles àPenelope.

-Non,lâcha-t-il.

Ilfermalesyeux.SiArtemispouvaitsupportercetteépreuve,iln’yavaitpasderaisonqu’iln’ensoitpascapable.Aumoins,ilétaitsurd’avoirArtemispourlui-mêmesicen’étaitquepartiellement.

Ilrouvritlesyeux,remitlacléàsaplace,puisattiralajeunefemmesurlelit.Ilremontadrapetcouvertures,lesarrangeatendrementsurelle.

-Jedemanderaidemainmatinàtonfrèrecommentils'étaitprocurécetteémeraude.

Elleposalatêtesursonépaule.

-Jesaisquetupensesqu'Apollonestunmeurtrier,maisiln’apujoueraucunrôledansl’assassinatdetesparents.Ilétaitbeaucouptropjeuneàl’époque.

Maximetenditlamainpourmoucherleschandelles.

-Jesais.Maisilconnaîtpeut-êtrel'assassin,ouquelqu'unquileconnaît.Quoiqu'ilensoit,jedoisl’interroger.

-Mmm,fit-elled'unevoixendormie.Maxime?

-Oui?

-As-tufaitfouillermachambre,àPelhamHouse?

-Pardon?

Elletraçadudoigtuncerclesursontorse.

-Lematinoùtum'asenvoyéunmessagerpourmeprévenirquetuavaislibéréApollon,quelqu’unafouillémachambre.Aprèsquej'eusapprisquel'émeraudeétaitvraie,enchaîna-t-elle,j'aipréférélaportersurmoienpermanence,carjecraignaisqu'onnemelavole.J'aiaccrochéensuitetabagueàlamêmechaîne.

Maximesesouvenaitdecettechaîne

-Pourquoin'ai-jejamaisvul'émeraudeàtoncou?s'étonna-t-il.

-Je... je l'avaisenlevéeavantquenous...Maispeu importe.Aprèsnotrebaiserdans lesruinesdel'abbaye,jesuisrentréeauchâteausansprendrelapeinederemettremonfichu.Machaîneétaitdoncvisibleàcemoment-là.Ainsiquel’émeraudeettabaguequiyétaientaccrochées.

Maximecompritimmédiatement.

-Tousmesinvitésontdoncpulavoir.

-Oui.

-Siquelqu’unaensuite fouillé tachambre,c'estsansdoute lapreuveque l'assassinse trouvaitàPelhamHouse.Etqu’ilamangéàmatable.

Cetteidéel’emplissaitderage.

Artemisluicaressadoucementletorsepourl'apaiser.

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-Cepourraitêtren'importelequeldeshommesprésents,selontoi?

Maximeréfléchit.

-Wattsestplusjeunequemoi.

-Tupeuxdoncl'excluredelaliste.

-Oui.CequinouslaisseOddershaw,Noakes,BarclayetScarborough.

Scarborough,quiavaitétéunamidesesparents.

Ilsméditèrentunmomentensilence,puisMaximemurmura:

-Merci.

-Dequoi?

Ilseraclalagorgeavantderépondred'unevoixrauque:

-Dem'avoirracontétoutcela.D’êtrelà.

Artemisneréponditpas,maissamains’immobilisasursontorse,làoùsetrouvaitsoncœur.

Maximeouvritlesyeux,lelendemain,serrantArtemisdanssesbras.Pourlapremièrefoisdepuisuneéternité,nonseulementiln'avaitpasfait lemoindrecauchemarnines’étaitréveillé,maisilsesentait...apaisé,corpsetâme.

Ilpromena les lèvres sur lanuqued'Artemis.Elle était toutedouceet soupledans son sommeil,sans plus rien de la vierge chasseresse toujours prête à frapper. Maxime l'aimait en divinitéconquérante,capabledeleregarderdanslesyeuxetdeluidirequ'elleétaitsonégale.Maissoncœurse gonflait de tendresse lorsqu’il la contemplait, ainsi endormie dans ses bras, si délicate etvulnérable.

Elles'étiraavecunpetitgémissement.

-Quelleheureest-il?

Iljetaunregardendirectiondelafenêtre.

-Pasplusde7heures,estima-t-il.

Elles’exclamaetvoulutselever.

Ilresserrasonétreinte.

-Maxime,ilfautquejem'enailletoutdesuite!Lesdomestiquesvontselever.

Illuiembrassalanuque.

-Qu'ilsselèvent.

-Ilsvontsavoirquejesuisici.Nousseronsdécouverts.

-Quelleimportance?

Elleroulasurledosetleregarda.L'undesesseinspointaitaudacieusementau-dessusdudrap.

-Tutemoquesquetoutlemondesoitaucourant?

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Ildéposaunbaisersursonsein.

-Maxime.Jet'aiposéunequestion.

-Jet’achèteraiunemaison.

Ellebaissalesyeuxsansmotdire,etMaximeéprouvasoudainlebesoinirrépressibledel’entendreacquiesceràsaproposition.Quelquechosequiressemblaitàdelapeurl'étreignit.

-Soitici,àLondresoualors,àlacampagne,continua-t-il.Maissitut'installesàlacampagne,jenepourraipastevoiraussisouventquejelevoudrais.

Desbruitsdepasdanslecouloirlesavertirentquelesdomestiquescommençaientàs’affairer.

Artemisgardait lesyeuxobstinémentbaissés.Maximes'aplatitsur ledrap,s’efforçantdecroisersonregard.

-Jepeuxaussit'acheterunemaisonàLondresetuneautreàlacampagne.

Pasderéponse.Maximecommençaitàs'inquiétersérieusement.

-Artemis...

Ellelevaenfinlesyeux.Ilsétaientsecsetsonregardétaitdépourvud’émotion.

-Trèsbien,dit-elle.

Il aurait dû éprouver un sentiment de triomphe, au lieu de quoi il ne ressentit qu'une grandetristesse.Etmême,unsentimentdeperte.Etsoudain,ilcomprit:

Artemisneseraitjamaisàlui-pasvraiment.

Entoutcas,pasdecettemanière.

Etc’estpeut-êtrepourcelaquelebaiserqu'illuidonnafutsidur,empreintdedésespoir.

Artemis entrouvrit les lèvres comme si elle n'était qu’une catin soumise à son bon plaisir. Sapassivité ledéstabilisa,car il savaitbienqu'ellen’étaitpassincère. Il roulasurelle, l'emprisonnantsous son corps comme s'il pouvait aussi emprisonner son cœur Il était prêt à tout donner à cettefemme,pourvuqu'ellenelequittepas.

Laportedelachambres'ouvrit.

-Dehors!criaMaximeaudomestique,quelqu'ilsoit,quiavaitoséledéranger.

Ilsentendirentunpetitcriétrangléetlaporteserefermavivement.

-Tut'esmontréunpeurude,fitArtemis.

Ilserenfrogna.

-Tuauraispréféréqu’ellenousregardebaiser?

-Nesoispasgrossier,répliqua-t-elle.

Elle le repoussa,et ilcédaàcontrecœur,conscientdes’êtremalconduit.Elle se leva,offrant lespectacledesaglorieusenudité.

-Detoutefaçon,ajouta-t-elle,ilsnetarderontpasàsavoirquejesuistamaîtresse.

Ilgrimaça

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Artemishaussaunsourcil.

-C'estcequetuveux,n’est-cepas?Quejesoistamaîtresse?

-Jenepeuxpasavoircequejeveuxréellement.

-Vraiment?répliqua-t-elle,désinvolte.Tuespourtant leducdeWakefield, l’undeshommeslespluspuissantsd'Angleterre.TusiègesauParlement,tupossèdesdesdomainesàneplussavoirqu'enfaireettellementd'argentquetupourraisprendredesbainsdepiècesd'or.Jemetrompe?conclut-elleensepenchantpourramassersachemisedenuit.

-Tusaistrèsbienquenon.

-Danscecas,VotreGrâce,ilmesemblequetupeuxavoirtoutcequetudésires,ycomprismoi,apparemment.Alors,s'ilteplaît,nem'insultepasenprétendantlecontraire.

Maximefermalesyeux.Ilavaitespéréqueleschosessepasseraientplusfacilement.

-Queveux-tu?

Pas de réponse. Il rouvrit les yeux.Artemis lui avait emprunté son peignoir, et l’enfilait sur sachemisedenuit.

-Rien,enfait,répondit-ellefinalement,s’adressantàsesmains.Maliberté,peut-être.

Saliberté.Voulait-ellequ'ilsseséparent?

-Jenetelaisseraipaspartir,répliqua-t-ilsèchement.

Elleluijetaunregardsardonique.

-Tel’ai-jedemandé?

-Artemis...

-Dansl'immédiat,coupa-t-elleavecbrusquerie,toutcequejeveux,c’estquemonfrèrerecouvresaliberté.Tul'asenchaîné!

- Bien sûr, que je l'ai enchaîné. Il reprend des forces à toute allure et il est tout en muscles.D'ailleurs,tudevraisfaireattention,désormais.Ilpourraits'enprendreàtoi.

Artemislefixad'unregardincrédule.

Maximegrimaça.

- Je vais lui trouver un endroit plus confortable que la cave. Peut-être une chambre avec desbarreaux...

-Tuveuxdireunecage?

-Nousenavonsdéjàdiscuté.Jeneprendraipaslerisquequecefoutefassedumal.

Ellesoupiraets'assitauborddulit.

-Apollons'estréveillé,ilyaquatreans,àcôtédescadavresdesescompagnonsdebeuverie.Maisilnelesapastués.Leseulreprochequ’onpuisseluifaire,c'estdes’êtreenivré.

Maximeaffichauneexpressionironique.

-Alorspourquois'est-ilretrouveàBedlam?

-Parcequepersonnenel’acruquandilaexpliquéqu'ilnesesouvenaitderien.Etparcequemon

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oncleajugépréférabledel'enfermeràl’asileplutôtquederisquerunprocès.

-Ettuvoudraisquejelecroieinnocent?

-Oui.Ouplutôt,jevoudraisquetumecroiesquandjet'assurequemonfrèreseraitincapabledetuerquiquecesoit,etencoremoinssesamis,mêmesousl'emprisedel'alcool.

Elle défendait son frère avec une telle véhémence queMaxime en était jaloux. Il aurait préféréqu’elleréservesapassionpourlui.

-J'yréfléchirai,dit-il.

Ellefronçalessourcils.

-Tunepeuxquandmêmepaslegarderenfermé...

-Jelegarderaienfermétantquejen'auraipasacquislaconvictionqu’iln'estpasdangereux.Jeteprometsd'yréfléchir,maisnem'endemandepasdavantagepourlemoment.

Elleparaissaitpeinée.Maximevoulutluiprendrelamain,maiselleselevaetluiéchappa.

-J’espèrequetunem’empêcheraspasdelevoiràmaguisedéclara-t-elleavecraideur.

Ilhésita,etelles'enrenditcompte.

-N'oubliepasquejeluiairendurégulièrementvisiteàBedlampendantquatreans.

Ilsoupira.

-Trèsbien.

Elleinclinalatêtecommel'auraitfaitunereine,avantdegagnerlaporte.

-Tuestropbon.

Maximesoupiradenouveau,d'exaspération,cettefois.

-Artemis...

Maiselleavaitdéjàfranchileseuil.Cequin’empêchapasMaximedelancerunoreillercontrelebattant.

Puisilsedépêchades'habillerafindedescendreinterrogerKilbourne.

Il trouvacederniercouché,maisn'auraitsudires'ildormaitoupas.Ens’approchant, ilconstataqu'ilavaitlesyeuxouverts.

-Milord, lesalua-t-il,veillantàs’arrêteràbonnedistance.Oùavez-vousobtenu l’émeraudequevousavezofferteàvotresœurpoursesquinzeans?

Kilbournesecontentadelefixer.

Maximesoupira.L'hommeétaitpeut-êtrefou,maisiln’étaitpasdépourvud'intelligence.

-Écoutez,reprit-il,Artemism'adit...

Cettefois,sesparolesprovoquèrentuneréaction:levicomtegrondaetseredressabrutalement.Ils'emparaducarnetsurlesoletgriffonnarapidement.Puisilleluitendit.

Maximehésita.

Kilbourneeutunsouriresardonique,commes'illemettaitaudéfides'approcher.

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Finalement,Maximeluipritlecarnetdesmainsetreculapourlire.

Vousn'avezpasledroitd'appelermasœurparsonprénom.

Maximeleregardadanslesyeux.

-C'estellequim'yaautorisé.

Kilbournegrimaçaetserallongeasanslequitterdesyeux.

Maximes'impatienta.

-Jen'aipasdetempsàperdreavecvosbouderies.J'aibesoindesavoirauprèsdequivousavezobtenu cette émeraude. Je vous ai sorti deBedlman.Cen'est pas cher payépour avoir retrouve laliberté,non?

Kilbourne arqua un sourcil moqueur, avant de baisser ostensiblement les yeux sur la chaîneattachéeàsacheville.

Maximeneselaissapasémouvoir.

-Vousavez tué troishommes.Necomptezpas surmoipourvous laisser circuler àvotreguisedansunemaisonoùvitmasœur-etlavôtre,dureste.

Levicomteluijetaunregardnoir,maisilrécupéralecarnet.Ilécrivitàtouteallure,puisletenditàMaxime.

Celui-ci hésita de nouveau.Kilbourne était accusé d’un crime atroce, il avait passé quatre ans àBedlametne semontraitpasvraimentamical.Celadit, iln’étaitpasnonplusviolent.Et il était lefrèred'Artemis.

Maximerepritlecarnetmais,cettefois,nereculapaspourlirecequiyétaitécrit.

Jeseraisincapabledefairelemoindremalàmasœur.Vousm'insultezeninsinuantlecontraire.J'aieul'émeraudequandj'étaisenpension.Je l'aigagnéeauxdéscontreuncamarade-JohnAlderney.J'ignore comment il se l'était procurée. J'ignorais également qu'elle était vraie,mais comme je l'aitrouvéejolie,jel'aiofferteàArtemis.Avez-vousséduitmasœur?

Maximelevalesyeuxets’aperçutqueKilbournes’étaitrapproché.Sonregardn’auguraitriendebon.

Ilreculaprudemment.

Pasassezvite,toutefois.Kilbournesejetasurluiavecunerapiditéétonnantepourunhommedesacorpulence.Maximetombaàlarenverseetlevicomteseretrouvasurlui.Illevalepoing,levisagerougedefureur.Maximeparalecoup,etluidécochauncoupdegenou;ilratasonentrejambemaisl’atteignit au ventre.Kilbourne grogna de douleur, le souffle coupé, etMaxime en profita pour lerepousserdetoutessesforces.Ilroulasurledallage,horsdeportéedelachaîne.

Pendantuneminute,lesilencedelacavenefuttroubléqueparlesrespirationshaletantesdesdeuxhommes.

PuisMaximecroisaleregarddeKilbourne.Unregardféroce,pluséloquentquedesmots.

Ilsereleva.

-Quoiqu’ilarrive,dit-il,soyezassuréquejeprendraisoindevotresœur.

Kilbournebondit.Lachaîneétaitcourte,etilseretrouvaàgenoux.IlcontinuadefixersurMaxime

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unregardempreintdefureur.Àl'évidence,s'ilavaitétélibredesesmouvements,ilseseraitbattuàmort.

Maxime tourna les talons. Il ne pouvait pas vraiment en vouloir au vicomte. S'il s'était agi dePhoebe et que quelqu'un l'avait séduite... Il serra les poings. Probablement aurait-il dû se sentircoupable,mais il n’éprouvaitqu'une infinie tristesse.Si seulement les chosesétaientdifférentes.Siseulementiln’étaitpasleducdeWakefield.

Il carra les épaules. Il l'était bel etbien, et il devait assumer ses responsabilités.Sinon, sonpèreseraitvraimentmortpourrien.

Son père s'était sacrifié pour lui. Le moins qu'il puisse faire, c'était d'honorer sa mémoire enassurantlapérennitéduduché.

Etenvengeantsamort.

Kilbourneprétendaitavoirgagnél'émeraudeenjouantcontreAlderney.Ilneluirestaitdoncplusqu’àinterrogerAlderney.

Artemis n'avait pas revu Maxime depuis qu'elle avait quitté sa chambre, ce matin. Et elle étaitd'humeurmaussademalgré le soleil qui brillait généreusement. LadyYoung avait invité quelquespersonneschoisiesàprendrelethéenpleinair,sansdoutepourleurmontrersonjardinauxpremiersjours de l'automne.Un jardin qui n'avait pourtant rien d’extraordinaire :Artemis n’apercevait quequelquesmargueritesenpiteuxétat.

Leplustriste,c'étaitqu'ellen’avaitquepeuderaisonsdevoirMaximedurantlajournée.Danslamesure où ils ne souhaitaient pas éveiller les soupçons, du moins. Dès lors qu'elle seraitofficiellement sa maîtresse, ils pourraient bien sûr se voir en plein jour, et plus souvent. Encontrepartie,elleneseraitplusinvitéenullepart.

Cequiétaitparfaitementdéprimant.

-MademoiselleGreaves!

LavoixjovialeduducdeScarboroughlafitseretourner.Ilsedirigeaitverselle,Penelopependueàsonbras.

-Jesuiscontentdevousrevoir,ajouta-t-il.

Artemiss’inclina.

-VotreGrâce.

-Quefaites-vous ici,Artemis?demandaPenelope,avantderegarderautourd’elleetd’ajouter :Wakefieldestlà?

Artemissentitlaculpabilitéluienflammerlesjoues.

-Non.JesuisjustevenueavecPhoebe.

-Ah!fitPenelopeavecunepetitemouedéçue,sansparaîtres'apercevoirqueScarboroughs’étaitrembruni.

-J’allaischercherunetassedethépourladyPenelope,ditlevieuxduc.Puis-jevousenrapporter

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une?

Artemisluisourit.

- C'est très aimable à vous, mais j'allais moi-même en chercher pour Phoebe et moi. Vous nepourrezjamaistoutporter.

-Biensûrquesi!répliquaScarborough,bombantletorse.Attendez-moiici,mesdames.

Etils’éloignad'unpasrapide.

Penelopelesuivitduregard.

-Ilestvraimentcharmant,murmura-t-elled'untonaffectueux.Queldommagequ'ilsoitsiâgé.

Artemisretintunsoupir.SiseulementellesedécidaitàconsidérerScarboroughcommeunpartiacceptable !Certes, il n’était plus tout jeune,maispour le reste, ellenepourrait trouvermieux.Etpuis, siellesedécidaitenfinàs’intéresserauduc,elleseraitmoinschoquéequandsa liaisonavecWakefieldéclateraitaugrandjour,songea-t-elle.Cequinerésoudraitpassonproblème,carMaximesetrouveraituneautrehéritièreàépouser.

Penelopesepenchaverselle,latirantdesessombrespensées.

-JemedemandecequetrafiqueleducdeWakefield,dit-elle,surletondelaconfidence.Personnenel’avudepuissonretouràLondres.JesaisquesontravailauParlementl’absorbebeaucoup,maisdelààneplussemontrerdansaucuneréception.

Ellesemorditlalèvre,l'airsoudainvulnérable,avantdedemander:

- Croyez-vous qu'il ne s'intéresse plus àmoi ? Je devrais peut-être refaire quelque chose pourattirersonattention.Onm’aracontéqueladyFellsavaitparticipélasemainedernièreàunecoursedechevaux.Etqu'elleétaitmontéeàcalifourchon.

Artemisavaitlagorgenouée.EllenesepardonneraitjamaisquePenelopeailles'imaginerqu'elledevaitseromprelecouuniquementpourattirerl’attentionduduc.

-Non,machère,répondit-elle.Jesuissûrequ'ils’intéressetoujoursàvous,maisilesttellementoccupé en cemoment.Vous devrez vous y faire quand vous serezmariés.LeParlement lui prendbeaucoupdetemps.Sansparlerdesesaffairesprivées.

Seigneur,elleétaitd'uneperfidieméprisable!

MaisPenelopeavaitretrouvelesourire.

-Mafoi,jem’yhabituerai!s'exclama-t-elle.Jeprofiteraidesonabsencepourdépensersonargentdanslesboutiques.

Étreignantpresquetimidementlebrasd'Artemis,ellemurmura:

-Merci.Jemedemandecequejeferais,sansvosprécieuxconseils.

Artemis crut que ses jambes allaient se dérober sous elle. Comment avait-elle pu trahir aussiodieusementsacousine?Augrandjour,sonpéchéluiparaissaitd'autantplusinsupportable.Qu'elleait fait passer ses propres désirs avant ceux de Penelope, qui lui avait tendu unemain secourablelorsqu'elle était aux abois, l'emplissait de honte. Même si sa cousine se comportait parfois enécervelée,Artemissavaitqu'ellepossédaitungrandcœur.

Etcecœursebriseraitlejouroùelleapprendraitlatrahisond'Artemis.

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La jeune femme baissa piteusement les yeux sur ses mains. Elle craignait qu'en restant avecMaxime,samauvaiseactionneluipèsechaquejourdavantageetqu'ellefinisseparneplusêtrequel’ombre d’elle-même.Maxime la désirait.Mais l’aimait-il ? Avait-elle bradé l'amitié de Penelopepourunhommequi,aufond,netenaitpasvéritablementàelle?

Elle,entoutcas,l’aimait,elles’enrendaitcomptemaintenant,danscejardinécrasédesoleil,alorsqu'elle était en compagnie de sa cousine, qui était aussi, vraisemblablement, sa future épouse.ElleaimaitMaximedetoutsoncœuretdetoutesonâme,maiscelasuffirait-il?

Scarborough revint sur ces entrefaites, les mains encombrées de tasses de thé fumant. Artemiss'empressadeledéchargerdedeuxtassesetleremerciaavantd'allerrejoindrePhoebe.

Elleétaitàmi-cheminquandellefutdenouveauharponnée.

-Jenepensaispasvousrevoirsivite,mademoiselleGreaves!

C'étaitMmeJellett.Etellelaregardaitavecintérêt.

-Euh,bonjour,madameJellett,réponditArtemis.

EllejetaunregardendirectiondePenelope,quil’attendaitsurunbanc,levisageoffertausoleil.

- Vous avez quitte Pelham House si précipitamment, reprit Mme Jellett en s'emparant du brasd'Artemisavantquecelle-ciaitpuréagir.

Lajeunefemmeregarda,affolée,lethéd'unedestassesmenacerdedébordersurlamancheornéededentelledeMmeJellett.

-En fait, continuacettedernière,vousêtespartie aussitôt aprèsWakefield.Queldommage !Magrandeamie,ladyNoakes,étaittrèsdéçuequelapartiedecampagnes’achèveaussiabruptement.Elleasirarementl'occasiondes'amuser.Sonmariamangépresquetoutesadot,savez-vous.Lejeuestvraimentunterriblevice!

-JeportaiscethéàladyPhoebe,expliquaArtemis,méfiante.Sivous...

-Ah,ladyPhoebeestlàaussi?S'exclamaMmeJellett.

Ellesuivitleregardd'Artemisetsourit.

Artemisn’aimapassonsourire.

-Ehbien,nelafaisonspasattendre,repritMmeJellett.

EtArtemisseretrouvadevantPhoebe,brasdessusbrasdessousavecMmeJellett.

- J'ignorais que vous étiez là,ma chère, dit celle-ci en haussant la voix, comme si la cécité dePhoebeavaitégalementaffectésonouïe.

-C'estunebellejournéepourunegarden-party,n'est-cepas?réponditPhoebe.

Artemisluiglissaunetassedanslamain.

-Voilàvotrethé,dit-elle.MmeJellettmeparlaitdelapartiedecampagnedevotrefrère.

LeregarddePhoebes’éclairaetArtemiscompritqu'elleignoraitjusqu'iciquil'avaitsaluée.

-Voulez-vousvousasseoiravecnous,madameJellett?proposa-t-elle.

-Oh,volontiers!réponditsanshésiterMmeJellett.

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Elles'assitàcotédePhoebe.

- Je disais à Mlle Greaves que nous avions tous été surpris du départ si brusque du duc deWakefield.

-MlleGreavesestpartieavecmoi,luirappelaPhoebe.J'endéduisquemondépartaaussiétéjugébrutal.

L'espaced'uninstant,MmeJellettparutdéroutéeparsaremarque,puisellesepenchaverselleetmurmurasurletondelaconfidence:

-Ladifférence,machère,c'estquevousnevousétiezpaspromenéeseuleavecuncélibataireavantdepartir.

Haussantlavoix,elleajoutaavecunegaietéfeinte:

-Figurez-vous,mademoiselleGreaves,quenousnoussommesdemandécequevousaviezbienpufaireavecSaGrâcequandvousvousêteséloignésdel’abbaye?

-Commeje l’aidéjàexpliqué,SaGrâceavouluobserverunoiseauque j'avais repéré, réponditArtemisd'unevoixneutre.

- Et le lendemain, Sa Grâce vous installait chez lui ! J'aimerais partager votre audace,mademoiselleGreaves!

-Enréalité,Artemisestvenueavecmoi,corrigeaPhoebe.Ellemesertprovisoirementdedamedecompagnie.

MmeJellettluitapotalamain.

-Maisbiensûr,machère

Artemisvoulutrépliquer.Phoebelapritdevitesse:

-Jecroisquenousallonsfaireunpetittourdejardin.Sivousvoulezbiennousexcuser,madameJellett.

ElleselevaetArtemiss'empressadeluioffrirsonbras.Lesdeuxamiess’éloignèrentensilence,puisauboutdequelquespas,Artemismurmura:

-Jesuisdésoléepourcettescène.

-Ne vous excusez pas, répliqua Phoebe.C'est une vieille pie - jeme demande comment elle sesupporteelle-même.Etc'estplutôtmoiquisuisdésoléedevoirquevotreprésenceàmescôtésvousexposeauxragots.

LagorgeserréeArtemisdétournalesyeux.Bientôt,trèsbientôt-àenjugerparl'attitudedeMmeJellett-saliaisonavecMaximeseraitconnuedetous.Ellesavaitdepuisledébutquelesecretfiniraitparêtreéventé,maisellen'avaitpasimaginéqueceseraitaussirapide.

Elledevaitseprépareràentrerdansunnouveaucercledelasociété.

Celuiréservéauxfemmesdéchues.

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17

Linn'avait jamaisaimé les serpentset celui-ciétait énorme.Elle s'yagrippacependant, carellesavaitqu'ils'agissaitdesonfrèrechéri,Tam.Leserpentparvintà luimordre lebras,maiselle tintbon.LeroiHerlatournalatêteetlaregardaenfin.Tamsetransformaalorsenbraiserougeoyante.

JohnAlderneyétaitunhommeminceauxgrandsyeuxbleus.Ilétaitaffligéd'unclignementd’yeuxquisemblaitexacerbéparlaprésenceduducdeWakefielddanssonsalon.

-J'aicommandéduthé,annonça-t-il.

Ilfitminedes'asseoirdansunfauteuil,serelevaaussitôt.

-àmoinsquevousnepréfériezdubrandy?

Etilcillaplusieursfoisenregardantautourdeluicommes'ils'attendaitquelebrandyapparaissedelui-même.

Maximeseretintdesoupirerets'assit.

-Iln'estque10heures.

-Ah...oui,c'estvrai.

Les deux hommes furent sauvés par l'arrivée du thé. Une domestique, manifestementimpressionnée, regardaMaximependant tout le tempsqu'elleservaitetcefutunmiraclequ'ellenerenversepasuneseulegouttedethésurletapis.Puisellequittalapièce,révélant,lorsqu'elleouvritlaporte,unpetitgroupededomestiques,ainsique lafemmed'Alderney,massésdans lecouloirpourtenterd'apercevoirunboutdelascèneavantquelebattantnesereferme.

Alderneyfinitpars'asseoir.Ilpritsatassedethéàdeuxmains,parutseressaisir.

-Jesuisbiensûrtrèshonoré,commença-t-il.Cen'estpastouslesjoursqu'unducmerendvisite...mais...euh...jemedemandais...

Soncouragen'allapasplusloin.Ilvidalamoitiédesatassed'untraitetgrimaça-probablements'était-ilbrûlélalangue.

Maximesortitl'émerauded'Artemisdesapochedegiletetlaposasurlatable.

-Jecroissavoirquecettepierrevousaappartenu.Puis-jesavoircommentvousl’avezeue?

Alderney en demeura bouche bée. Il cligna plusieurs fois des yeux, fixant du regard Maximecommes’ilespéraitdeplusamplesexplications,puis,commeriennevenait, il tendit lamainpours'emparerdel'émeraude.

Maximefronçalessourcils.

Alderneys'empressaderetirersamain.

-Je...euh...quoi?

Maxime prit une profonde inspiration, et relâcha lentement son souffle - ce qui parut inquiéter

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Alderney.

-Voussouvenez-vousdecettepierre?

Alderneyplissalefront.

-Euh...non.

-Celaremonteàplusieursannées,ditMaximed’untonpatient.Aumoinstreizeans.

AlderneycalculamentalementetsonVisages’illuminasoudain.

-Ahoui!Harrow!s'exclama-t-il.J’ypoursuivaismesétudes,àl’époque.Monpèren'avaitpaslesmoyensdemepayercetétablissement,maiscousinRobertavaitétéassezaimablepoursubveniràladépense.Belendroit,mafoi,queHarrow.Lanourriture,enrevanche,n’étaitpasàlahauteur.Jemesouviens,enparticulier,d’unplatdesaucissesqui...

Ils’interrompitabruptementenvoyantl’expressiondeMaxime.

-Ah...euh...maispeut-êtrequecelanevousintéressepas?

Maximesoupira.

-LordKilbournem'aditavoirobtenucetteémeraudedevous.

-Kilbourne!répétaAlderneyavecunrirenerveux.Toutlemondesaitqu'ilestfou.Etqu'ilatuésauvagement trois types. Il parait que la tête de l'un d'eux était pratiquement séparée de son corps,précisa-t-il en frissonnant. Je n'aurais jamais cruKilbourne capable d’une telle sauvagerie. C'étaitplutôtunboncamaradeencetemps-là.Dotéd'unbelappétit.Unefois,iladévoréàluitoutseulunpâtéd’anguillesqui...

-Donc,vousavezconnuKilbourneàHarrow?lecoupaMaxime.

-Oui.Nouspartagionslemêmedortoir.Iln'étaitpasvraimentbonélève.Enrevanche,sonappétitétaitinsatiable.Ilétaitcapabledegoberunbifteckpratiquementd'uneseulebouchée.Maintenantquej'ypense,cen'estpeut-êtrepassiétonnantqu'ilsoitdevenuunfousanguinaire.

MaximedévisageaAlderneysansmotdire,s’efforçantdedécidersisonhôtecherchaitàl'égarerous'ilétaitvraimentaussistupidequ'illeparaissait.

Alderneyparutpercevoirsonindécision.

-Désirez-voussavoirautrechose?

Maximeserralesdents.

- Oui. L’émeraude. Vous rappelez-vous les circonstances qui vous ont conduit à la donner àKilbourne?

Alderneyfronçalessourcils.

- J'ai bien peur que non.Nous n’étions pas à proprement parler amis.Kilbourne était plutôt dugenreàliredulatinpendantsesloisirs,alorsquejepréféraisfumerdutabacdansuncoin,sivousvoyezcequejeveuxdire.

Alderneys’entintlàetadressaàMaximeunregardd'impuissance.

Celui-cifermalesyeux.Ilavaitcrutenirenfinunepistesolidepourremonterjusqu'àl'assassindeses parents, mais la mémoire défaillante d'un imbécile l’empêchait d'aller plus loin. Ou alors,

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Kilbourneavaitmenti.Cequin’étaitpasàexclure:aprèstout,ilétaitfou.

Maximerouvritlesyeux,repritl’émeraudeetseleva.

-Merci,Alderney.

-C'esttout?fitl'autre,visiblementsoulage.J’aiétéravidevousaider.Commejevousl'aidit,jenereçoispassouventd'illustresvisiteurs.ÀpartcousinRobert,biensûr.Maisiln'estpasvenudepuislaSaint-Micheldel'andernier.

Maximesedirigeaitdéjàverslaporte.Ils'immobilisa,seretournalentement.

-QuiestvotrecousinRobert,Alderney?

Sonhôteeutunsourireparfaitementniais.

-Oh,jepensaisquevouslesaviez!C'estleducdeScarborough.

Cesoir-là,ArtemisdînaavecPhoebeetMaximeàWakefieldHouse.Etc'estdurantledînerquesonmondes'écroula.

Elles'amusaitdevoirMaximefroncerlessourcilssursonpoissonquanddesvoixretentirentdanslecouloir,suiviesdebruitsdepas.

Phoebeinclinalatêtedecôté.

-Quicelapeut-ilêtre,àcetteheure-ci?

Ilsn'eurentpaslongtempsàattendrepouravoirlaréponse.

Laportedelasalleàmangers’ouvritàlavoléesurBathildaPicklewood.

-Mesenfants,vousn’imaginezpasl'étatdesroutes!Unehorreur!J'aibiencruquenousresterionsenlisésdanslaboueàTyburn.Wilsonaétéobligédedescendredesonsiègepourtirerleschevauxdel’ornièreetjepréfèrenepasvousrépéterlesjuronsqu'ilaproférés.

Belle, Starling, Percy et Bonbon se précipitèrent pour accueillir Mlle Picklewood, tandis queMignonsautaitdesesbraspoursemêlerauxautreschiens.

-Soissage,Mignon!luiordonnaMllePicklewood.MonDieu,maisd’oùsortenttousceschiens?Jecroyaisqu'ilsrestaienttoujoursàPelhamHouse?

-Nousavonspenséqu'unchangementdedécorleurferaitplaisir,expliquaPhoebe.Jesuiscontentequevoussoyezrentrée,cousineBathilda.Nousnevousattendionspasavantunebonnesemaine.

-J’ai jugéutiledepasservoircommentvousalliez,expliquaMllePicklewood,avantd'échangeravecMaximeunregardqu'Artemisnesutinterpréter.

Maislevisageduducs'étaitfermécommeunehuître.

-Votreamieseportemieux?s'enquit-ilpoliment.

-Beaucoupmieux,assuraMllePicklewoodenprenantplaceàtable.C'estpourquoij'aipufairecepetitsautàLondresavantderetournerauprèsd’elle.

Lesvaletss’empressèrentdeluiapporteruncouvert.PuisellesetournaversPhoebe.

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-Raconte-moidonccequetuasfaitaujourd'hui,monenfant.

ArtemistriturasonpoissonduboutdesafourchettetandisquePhoebeselançaitdanslerécitdesajournée.Elleserisquaàjeteruncoupd’œilàMaxime;sonexpressionneluidisaitrienquivaille.Dureste,elletrouvaitétrangequeMllePicklewoodaitquittélechevetdesonamiejustepourfaire«unpetitsaut»ici.

Mais ce n'est qu’après le dessert, auquel Artemis toucha à peine, que la véritable raison de laprésencedeMllePicklewoodsefitjour.

LajeunefemmeselevaitdetablepourseretireravecPhoebedanslepetitsalonoùseraitservilethélorsqueMllePicklewoodl’arrêta.

-Artemis,machère,voulez-vousresterencoreunpeu?J'aimeraisdiscuteravecMaximeetvous.

Phoebefronçalessourcils,maisMllePicklewoodajoutaàsonintention:

-Phoebe,Agnèsvat'escorterjusqu’ausalon.Nousterejoindronsdansquelquesminutes.

Artemisserassit.

-Panders,ditMllePicklewoodaumajordome,pourriez-vousnousapporterlecognacdeSaGrâce?Nousn'auronspasbesoindevosservicesdurantlaprochainedemi-heure,ajouta-t-elle.

- Bien, madame, répondit Panders, qui déposa la carafe de cognac sur la table sans trahir lamoindrecuriosité.

-Jecomptesurvouspourquepersonnen’écouteauxportes.

Le sous-entendu n'était pas tendre pour les domestiques et le majordome se raiditimperceptiblement.

-Biensûr,madame.

Ilquittalapièce,etMaximes’adossaàsachaise,l’airmenaçant.

-àquoitoutcelarime-t-il,Bathilda?

MllePicklewoodsetournaversleducetleregardadroitdanslesyeux.Artemisneputs’empêcherd'admirersoncourage.

-VousavezséduitMlleGreaves,dit-elle.

Maximenecillapas.

-Oùavez-vousentenducela?

MllePicklewoodeutungestevaguedelamain,avantdes’emparerdelacarafedecognac.

-Peuimporte,répondit-elleenremplissantlepetitverreàliqueurposédevantelle.Jesaisquec'estlavéritéetquelanouvellenevapastarderàserépandre.

-Cequejefaischezmoi,dansl'intimitédemondomicile,neregardepersonne,répliquaMaxime,avectoutel'arroganced’unaristocratedontlalignéeremontaitàplusieurssiècles.

MllePicklewoodbutunegorgéedebrandy.

-Jesuisdésolée,VotreGrâce,maisjenesuispasd'accord.Cequevousfaitesdansl’intimitédevotredomicileaffected'autrespersonnes,dontPhoebe.

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Ellereposasonverred’ungestesecetenchaîna:

-Vousnepouvezpasgardervotremaîtressesouslemêmetoitquevotresœurcélibataire.Mêmesicelavouscontraintdevousplierauxrèglesdelabonnesociété.

Artemisbaissalesyeux.

Maximeagitasamaincommes'ilchassaitunemouche.

-Voussaveztrèsbienqu'ArtemisnecorromprapasPhoebe.

-Etvoussaveztrèsbienqu’uneréputationsefondeuniquementsurcequevoient lesgens.Vousavez faitdeMlleGreavesune femmedéchue.Saseuleprésencesuffitàsouiller lesautres femmesprésentessouscetoit.

-Bathilda!tonnaMaxime.

Artemisneputretenirunpetitcriétranglé.Elleavaitbeausavoircequ'elleétaitdevenue,l'entendredireaussicrûmentetparquelqu'unqu'elleconsidéraitcommesonamiedemeuraitchoquant.

MllePicklewoodse tournaversellepour lapremière foisdepuissonarrivée.Sisonexpressionétaitdéterminée,sonregard,lui,étaitempreintdecompassion.

-Jesuisdésolée,maisjevousavaismiseengarde,machère.

-Eneffet,acquiesçaArtemis.

-Vousdevezpartir.

-J'enail'intention,réponditArtemisensoutenantleregarddelavieilledame.Maisdemainsoir,Phoebe a prévu d'assister à une représentation théâtrale auxFoliesHarte avec les autres dames duComitédesoutienàl'orphelinatdeSaint-Giles.Ellesefaitunejoiedecettesortieetseraitdéçuequejeneviennepas.

MllePicklewoodfronçalessourcils.

- Enfin, cousine Bathilda ! intervint Maxime. Ce n'est pas une journée de plus qui va salir laréputationdePhoebe.

MllePicklewoodpinçaleslèvres

-Trèsbien. J’espèreeneffetquecelane luinuirapas.Assistezàcette représentation,machère,aprèsquoi,ilfaudramettreuntermeàtoutcela.

Artemisjetauncoupd’œilàMaxime.Ilserraitlesmâchoires.Leurliaisonnetermineraitpaslà-illuiavaitproposédeluiacheterunemaison-,maisdésormais,elleseraitobligéedevivreenparia.

LajeunefemmeselevasansunregardpourMaxime.

- Vous n'avez pas besoin d’en dire plus, mademoiselle Picklewood, car vous avez entièrementraison.Jenepeuxpasresterici,avecPhoebe.Sivousvoulezbienm'excuser, jevaisallerpréparermesbagages.

Elle gagna la porte la tête haute,mais fut incapable de retenir un sanglot quand elle referma lebattantsansquequiconqueaitprotesté.

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Ilétaittardlorsquelaportedelacaves'ouvrit.Apollonnepritpaslapeinedetournerlatête-levaletdeWakefieldluiavaitdéjàapportesondîner.Àprésent,ilétaitallongésurledosetsommeillait,unbrasentraversdesyeux.

Lespasquis’approchèrentétaientcependanttroplégerspourêtreceuxd'unhomme.

-Apollon.

Ilsoulevalebras.Artemissetenaitdevantlui,unsacàlamain.

Ilseredressa.

-Nousn'avonspasuneminuteàperdre,murmura-t-elle.

Elleposasonsac,quiheurtaledallageavecunbruitmétallique.Puisellesepenchaetentiraunmarteauetunburin.

-Tunedevinerasjamaisletempsqu'ilm’afallupourdénichercesoutils.J'aifinalementdemandéàunvaletd’écurieetvoilà.

Ellesemblaitexcessivementraviepourunefemmequiavaitpristantderisques.Apollonfronçalessourcils et regretta de ne pas pouvoir lâcher une bordée de jurons.Bon sang !Wakefield l’avaitséduite-ilenétaitcertain-etmaintenant,elleencourraitlacolèreduduc.Quedeviendrait-ellesicesalauddécidaitdelamettreàlaporte?

-Ehbien?dit-elle,plaquantlesmainssurseshanches.Jenevaiscertainementpasyarrivertouteseule!

Apollon écrivit dans son carnet avant de le tendre à sa sœur. Elle prit le carnet tandis qu'ils’emparaitduburinetenposaitlapointesurl’undesanneauxdelachaîne.

-Leducnetepunirapas?lutArtemisàvoixhaute.

Apollonfrappal’autreextrémitéduburinaveclemarteau.Sasœurreposalecarnetavecunsoupird'exaspération.

-Biensûrquenon.Maximeneserapascontent,maisilnemepunirapas.

Apollonluiadressaunregardéloquent.«Maxime?»articula-t-ilensilence.

-Jet’aidéjàexpliquéquec'étaitunami.

Apollonlevalesyeuxauciel,puisécrasadenouveaulemarteausurleburinenregrettantqu’ilnes'agissepasducrânedeWakefield.

Autroisièmeessai,l’anneausebrisa.

-Bienjoué!s'exclamaArtemis.

Elle l’aida àdétacher l'anneaubriséde ceuxqui étaient encore fixés à la bandedemétal qui luiencerclaitlacheville.

-Ilfaudraquetulesenveloppesdansunlingepourqu'ilsnecliquettentpasquandtumarches,dit-elle.J'aiapportécequ’ilfaut,ajouta-t-elleendésignantlesac.

Apollonrepritlecarnetetgriffonna:Pourquoicesoir?

Ellelutsaquestion,adoptauneexpressionneutre,puissourit.

-JevaisbientôtquitterWakefieldHouseetjevoulaisquetusoislibreavantmondépart.

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Pourquoidevait-ellepartir?Quesepassait-il?

-Artemis,articula-t-ilensilence.

Maisellefeignitden'avoirrienvu.

-Dépêche-toidet’habiller.

Troublé tant par sa hâte que par son refus de répondre à ses questions, il obéit. Le valet deWakefield lui avait fourni pantalon et chemise ; il les troqua pour des vêtements propres, quiincluaientungilet,unevesteetdeschaussures.

Malheureusement,toutétaitunpeutroppetitpourlui,ycomprisleschaussures.

-Jelesaiempruntéesàunvalet,s’excusa-t-elle.C'étaitceluiquimesemblaitavoirlesplusgrandspieds.

Apollonsecoualatêteet,lesourireauxlèvres,sepenchapourembrassersasœur.Puisilrepritsoncarnetpouryinscrire:Commentpourrai-jetejoindre?

Ellefixalecarnetunmomentetilcompritqu'ellen'avaitpaspenseàcedétail.

Ilrécupéralecarnet.

Artemis, nous ne devons pas nous perdre de vue. Je n'ai plus que toi au monde, et je n'ai pasconfiancedanstonduc.Dutout.

-CequetudisdeMaximeestidiot,répliqua-t-elleaprèsavoirlu.Pourlereste,tuasraison.Sais-tuoùtuirasensortantd'ici?

Apollonavaiteutoutletempsd'ypenserpendantqu'ilvégétaitdanscettecave.Ilécrivit :J'aiunamiquis'appelleAsaMakepeace.Tupeuxm'écrireàsesbonssoinsauxFoliesHarte.

Artemislut,etécarquillalesyeux.

-AuxFoliesHarte?Jenecomprendspas.C'estlàquetucomptestecacher?

Ilsecoualatêteetluirepritlecarnet.Mieuxvautquetunesachespasoùjeserai.

Ellelutpar-dessussonépaule.

-Mais...

Faisattentionàtoi.

Ilcrutlavoirserembrunirquandellelutcesderniersmots,puiselles'empressadeleserrerdanssesbras.

-C'esttoiquidoisfaireattentionàtoi,murmura-t-elle.Tonévasionestencoredanstouslesesprits.Tuestoujoursactivementrecherché,Apollon.

Elles'écartapourleregarderet,àsagrandeconsternation,ildécouvritqu'elleavaitleslarmesauxyeux.

-Jenesupporteraispasdeteperdreunedeuxièmefois,articula-t-elle.

Apollondéposaunbaisersursonfront.Aurait-ilétécapabledeparlerqu'iln'auraitrientrouvéàdirepourlaréconforter.

Iltournalestalons,maisArtemisleretintparlebras.

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-Tiens,dit-elleenfourrantunepetiteboursedanssamain.Ilyalatroislivresetsixpence.C'esttoutcequejepossède.Oh,Apollon...savoixsebrisadansunsanglot.Parsvite!

IlpénétradansletunnelparlequelilavaitvuWakefieldsefaufilerunpeuplustôtcesoir-là.

Maisilignoraittotalementoùilconduisait.

Maximen’auraitsudiredepuiscombiendetempsilarpentaitSaint-Gilesquandilentendituncoupdefeu.Ils’élançaaupasdecoursedansladirectiond’oùprovenaitladétonation.Lalunebrillaitdansleciel,luiéclairantlechemin.

Iln'avaitparcouruquequelquesmètres lorsqu'il entenditdescris et lemartèlementde sabotsdechevaux.

Tournantaucoind'uneruelle,ilaperçutTrevillionquiéperonnaitsamonture.

-IlafiléversSevenDials!crialecapitaine.

Maximecontinuadecourir,etpassasiprèsduchevalqu'ilcrutsentirsonsoufflesursoncou.Àpied, il pourrait emprunter l'une des innombrables petites ruelles trop étroites pour un cheval, etprendreLuciferparsurprise.Carilétaitcertainquec’étaitluiqueTrevillionpoursuivait-l'hommequiavaittuésesparentsdix-neufansplustôt,icimême,àSaint-Giles,parunesoiréepluvieuse.

Ilbifurquaàdroite.Puisàgauche.Sesjambesétaientdouloureuses,sapoitrinelebrûlait,maisilapercevaitdéjàlacolonnequisedressaitaucarrefourdeSevenDials,ainsinomméparcequesituéàlajonctiondeseptrues.Luciferavaitarrêtésonchevalaupieddelacolonne,commes'ill'attendait.

Maximeralentitl'allureetsefaufiladansl’ombre.Lebrigandn'avaitpassortisespistolets,maisilétaitforcémentarmé.

-VotreGrâce!l'appelaLucifer.Tsst,tsst!Jepensaisquevousaviezdépassél'âgedejoueràcache-cache.

Maximesentitunfrissonglacéluiparcourirl’échine.Ilavaitpeurdenepasêtreàlahauteur.Deredevenirlejeunegarçonimpuissantquiavaitassisté,lesbrasballants,aumeurtredesamère.

Lesouvenirdusangruisselantdesonseinetsemêlantàlapluiedanslecaniveauluidonnaitenviedevomir.

-Quies-tu?cria-t-il.

Luciferinclinalatêtedecoté.

-Tunelesaisdoncpas?Tesparents,eux,savaient.C'estpourquoijeduslestuer.Tamèrem'avaitreconnumalgrémonfoulard.Queldommage,vraiment.C'étaitunebellefemme.

-Ainsidonc, tuesbeletbienunaristocrate, lançaMaxime, refusantdemordreà l’hameçon.EtpourtanttuenesréduitàdétrousserlespassantsdansSaint-Giles.

-àlesvoler,rectifiaLucifer,commesicelafaisaitunedifférence.Etc'estunpasse-tempsplaisant.Fairecoulerlesang.

-Tupensesvraimentquejevaiscroirequetufaiscelapourleplaisir,semoquaWakefield.Neme

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prendspaspourun imbécile.Neserais-tupasplutôtuncadetprivéd’héritage?Ouas-tuperdu tonhéritageaujeu?

Lucifersecoualatête

-Riende toutcela,Fantôme.Maiscetteconversationcommenceàme lasser.Cessed’êtreun telpoltronetmontre-toi,quenouspuissionsnousamuserunpeu.

Maximesortitdel'ombre.Iln'étaitpluslegamintremblantd'autrefois.

-Jelesaitoutesrécupérées,dit-il.Saufcellequiestàtoncou.

Luciferportalamainàsagorge.

- Tu parles des émeraudes ? Cela a dû te coûter une petite fortune, car je les avaismoi-mêmevenduesunbonprix.Lesémeraudesdetamèrem’ontfournienvinetencatinspendantdesannées.

Maximesentaitlaragebouillirdanssesveines.

-Ilmefautcelle-cipourquelecolliersoitentier.

Luciferrecourbal’index.

-Vienslachercher.

-C'est bienmon intention, assuraMaxime, qui commença à tourner autour du cheval et de soncavalier.Jevaislaprendre,etprendretavieparlamêmeoccasion.

Luciferéclataderire.

-Serais-je laraisonde tondéguisement?demanda-t-il.Sic'est lecas, tum'envoisflatté.Penserquej'airenduleducdeWakefieldassezfoupourqu'ilsepromènedanslesruesdeSaint-Gilesdanscettetenueridicule!Je...

LasuitesedéroulasivitequeMaximen’eutpas le tempsderéfléchir, justed'agir. Ilentenditunbruitdecavalcadederrièrelui,vitbrillerlecanondupistoletqueLuciferavaitsortidesoussaveste.

Sonarmecrachaunéclair,accompagnéd'unedétonation.

Unedétonationterrifiante.

Un cheval hennit douloureusement.Maxime se retourna à l’instant où l'animal s'écroulait sur lepavé. Il reporta son attention sur Lucifer, mais ce dernier avait déjà éperonné sa monture ets’engouffraitdansl'unedesseptruesducarrefour.

Maximevoulutselanceràsapoursuite.

Lechevalpoussaunautrehennissementdéchirant.

Maximepivota de nouveau, et aperçut cette fois unhommecoincé sous l'animal.Bon sang ! Lechevals'étaitcouchésursoncavalier.

Ilcourutversl'animalblessé.Ilnehennissaitplus,maissesjambess'étaientraidiesetiltremblait.

Unjeunedragondéboulaaucarrefourettirasursesrênes,lesyeuxécarquillés.

-Aidez-moiàlesortirdelà!criaMaxime.

Il s'approchaducavalierensanglantéet reconnutTrevillion.Stoïque,cedernierserrait lesdents,maissestraitsétaientdéformésparladouleur.

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-Prenez-leparlebras,ordonnaMaximeaujeunedragon.

Lesoldats'exécuta,etlesdeuxhommestirèrentTrevillionchacunparunbras.

Le capitaine lâcha un affreux grognement quand ses jambes furent libérées. Il s'étaitmordu leslèvrespournepascrier,etcelles-ciétaientensang.Sajambedroiteformaitunanglebizarre,notaMaximeens'accroupissantprèsdelui.Detouteévidence,elleétaitcassée-etméchammentcassée.

TrevillionagrippalatuniquedeMaximeavecuneforceétonnanteafindel'attireràluietmurmura:

-Nelalaissezpassouffrir,Wakefield.

Maximeregardalajument-Primevère,serappela-t-il.Unnomridiculepourunchevaldesoldat.PuisilbaissalesyeuxsurTrevillion.

-Faites-le,bonsang,luiintimalecapitaine.N’attendezpas.

Maximeseredressa.Lajumenthaletaitbruyamment.Sajambeavantdroiteétaitbriséeetdusangs’écoulaitdesonpoitrail,làoùlaballel’avaitatteinte.L'espaced'uninstant,ilcrutvoirlesangdesamèrecoulersurlepavé.

Ilsecoualatêteetserapprochadel'animal.Primevèrerouladesyeuxoùlasouffrancesemêlaitl'effroi.

Maximetirasonépée.

Ils'agenouilla,couvritlesyeuxdelajumentetabattitsalamesursonencolure.

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18

Linhurla-labraiseluibrûlaitlespaumes-,maisellenelâchapasTam.LeroiHerlatressaillitenentendantsoncri.Iltenditlamain,commes'ilvoulaitluiarracherlabraise.

«Non!s’écria-t-elleenl'écartantduroi.C’estmonfrèreetjedoisnoussauvertouslesdeux.»

LeregardduroiHerladevintsoudaintrèstriste,maisilhochalatêteetn'insistapas.

Ettoutàcoup,lecoqchanta.

Artemisfutréveilléeàl'aubeparunbruitd'éclaboussures.EllesetournadanslegrandlitducaletdécouvritMaximepenché sur sa tablede toilette. II était torsenuet s’aspergeaitd'eauà la lumièred'unechandelle.L'eauquidégoulinaitsursontorseétaitteintéederouge.

Artemisseredressad'unbond.

-Tuesblessé!

Ils'interrompituninstant,avantdereprendresesablutions,sanssesoucierdetacherletapis.

-Non.

Artemisfronçalessourcils.Ils'étaitpasséquelquechose.Elleletrouvaittropcalme.

-Alorsàquiappartientcesang?

Maximeregardasesmains.

-AucapitaineTrevillionetàunejumentquis’appelaitPrimevère.

Artemisbattitdespaupières.Ellen'étaitpas sûred'avoirbienentendu,maisMaximen'enditpasplus.Ils’essuyaitàprésentavecuneserviette.

Elle replia les genoux et entoura ses jambes de ses bras. Elle se souvenait vaguement d'avoirrencontréunjourlecapitaineTrevilliondansSaint-Giles.Ellel’avaittrouvéaustère.Ellefrissonna.

-LecapitaineTrevillionestmort?

-Non.Maisilestgravementblessé.

-Ques'est-ilpassé?

-Jel'aisurpris.

-Qui?

Maximesedécidaàlaregarder.Sestraitsétaienttirés,maissonregardbrûlaitdefureur.

-Lucifer.L'hommequiatuémesparents.

-Ettul'ascapturé?

-Non.

Iljetadecôtésaservietteets'appuyadesdeuxmainsàlatabledetoilette.

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- Nous avons poursuivi Lucifer de Saint-Giles jusqu’à Seven Dials. Il a tiré sur le cheval deTrevillion,quis'estcouchésurlecapitaine.

Artemissavaitqu'untelaccidentserévélaitsouventfatalpourlecavalier.

-Maistuasditqu’ilétaitvivant?

Maximesetournadenouveauverselle.

- Il a une vilaine fracture à la jambe. J’ai été obligé de tuer son cheval, après quoi, j’ai amenéTrevillionici.

Artemiscommençaàsortirdulit.

-Ilabesoinqu’ons’occupedelui,jesuppose.

Maximelevalamainpourl’arrêter.

-J'aienvoyécherchermonmédecindèsnotrearrivée.Illuiaposéuneattelleet,d’aprèslui,silaplaienes'infectepas,Trevillionn'aurapasbesoind’êtreamputé.L'undemesvaletsestàsonchevet.Nousnepouvonsrienfairedepluspourluicesoir.

-Lecapitainepourraitmourir?

-Oui.

-Oh,monDieu,murmuraArtemis.

Maximecommençadedéboutonnersonpantalon.

-J'aiperdumonuniqueallié.

Artemisluijetaunregardacerbe.

-Etunami,jepense.

Ilréfléchitunbrefinstant,avantdemurmurer:

-Etunami.

-Vas-tudemanderqu'onenvoiedavantagedesoldatspourcapturerLucifer?

Maximesedébarrassadesonpantalon,puisfitglissersoncaleçonsurseshanches.

-Jemechargeraideluimoi-même.

-Mais... commençaArtemis, avant de détourner les yeux pour ne pas se laisser distraire par sanudité,ceneseraitpasmieuxsituavaisdel'aide?

Illaissaéchapperunrireamer.

-Ceseraitmieux,si.Maisjen'aipersonneversquimetourner.

-Etcesdeuxautresgarçonsquiontsuivilemêmeentraînementquetoi.Nepourraient-ilspas...

Maximel'interrompitd'unreversdemain.

-IlsonttousdeuxraccrochéleurtuniquedeFantômedeSaint-Giles.

-Alorsquelqu’und'autre.TuesleducdeWakefield!

Ilsecoualatêteavecimpatience.

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-C’estunetraquepérilleuse.Jen'aiaucuneenviequequelqu'unsefasseblesserpourmoi.

-Maxime, insistaArtemis,quivoulait comprendrecequi lemotivait, pourquoi tiens-tu tant à lecapturertoi-même?Jesuissûrequelesdragonsfinirontparl’arrêteret...

Ilfitbrusquementvolte-faceetflanquaunviolentcoupdepieddansunfauteuil,quiallas'écrasercontrelemuretsebrisa.Puisils'immobilisa,larespirationhaletante,lesyeuxrivéssurlesiègeenmiettes-sanslevoir,devinaArtemis.

-Maxime?

-Jelesaitués,articula-t-ild’unevoixenrouée.

-Jenecomprendspas.

Ilsetournaverslajeunefemme.

-Lanuitoùilsontétéassassinés,c'estàcausedemoiqu'ilssetrouvaientdansSaint-Giles.

Sesyeuxétaientsecs,maissonregardétaitsidouloureuxqu’Artemisauraitvouluverserpourluileslarmesqu'ilretenaitprisonnières.

-Raconte-moi.

-Nousnousétionsrendusauthéâtre,cesoir-là,commença-t-ilenlafixantcommes'ilavaitpeurderegarderailleurs.Justemesparentsetmoi.HeroétaittropjeuneetPhoeben’étaitencorequ'unbébé.J’avaisvécucettesortiecommeunprivilège;celanefaisaitpassilongtempsquejen'avaisplusdegouvernante!NousavionsvuLeRoiLearetjem'étaismortellementennuyé,maisjenevoulaispaslemontrerdepeurd’apparaître jeuneetnaïf.Ensuite,noussommesremontésenvoitureet, jenesaispluspourquoi,maismonpères'estmisàparlerd’armes.J'avais reçuunfusildechassepourmonanniversaire et j’avais tiré sur des oiseaux dans un parc, ici, à Londres. Ce qui avait évidemmentrendumonpère furieux. Il est revenu sur l’incident, etm'amenacédeme reprendremon fusil. Jecroyaisl'affaireclose,aussiai-jeétésurpris.Jemesuisemportécontrelui.

Ilpritunebraveinspirationavantdepoursuivre:

-J'aihurlé,jel’aitraitédesalaud.Mamères’estmiseàpleureret,àmagrandehonte,j'aisentileslarmes me monter aux yeux. J'avais quatorze ans et l'idée de pleurer devant mon père m'étaitinsupportable.J'aiouvertlaportièredelavoitureetj'aisauté.Monpèreafaitarrêterl'attelageets'estlancéàmapoursuite.Mamèreasuivi.J'aicourucommeunfou.J'ignoraisoùnousétions,etjem’enmoquais. Les maisons étaient de guingois et une odeur de gin et de misère flottait dans l'air.J'entendais mon père m’appeler, et se rapprocher. Stupidement, je me suis caché derrière desbarriquesempiléescontreunmur.Ellesempestaientlegin,j’avaislanausée.Etsoudain,j’aientenduunedétonation.

Ils'interrompit,labouchegrandeouverte,commes'ilvoulaitcrier.

-J’aisortilatêtehorsdemacachette,reprit-il,leregardhanté.Monpère...

Ilfermalesyeuxetlesrouvritpresqueaussitôt.

-Monpèregisaitsurlesol,lapoitrineensanglantée.Ilm'avuet...ilasecouélatête,justeunpeu,pourmefairecomprendredenepasbouger,etilm’asouri.Etlebrigandatirésurmamère

Ilavalasasalive.

-Ensuite,jenemesouviensplusderien.Onm'aracontéqu'onm’avaittrouvécouchésurlescorps

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demesparents.Toutcedontjemesouviens,c'estdel'odeurdugin.Etdusangdemamèrequicoulaitsurlepavé.

Ilbaissalesyeuxsursesmains,lesfermantetlesrouvrant,commes'ils'agissaitd'appendicesdontildécouvraitsubitementl’existence.

PuisilregardadenouveauArtemisetilseressaisit,ravalacechagrininnommable,cettecolèreetcette peur qui auraient laminén'importe quel autre homme. Il carra les épaules, leva lementon, etredevintleducdeWakefield.Artemisignoraitoùilpuisaitlaforcequiluipermettaitdedissimulercetteterribleblessure,maiselleétaitsûred'unechose:ellel'admirait.

Ellel'admiraitetellel’aimait.

Etparcequ’ellel'aimait,elleressentaitsonchagrincommes'ilétaitlesien.

-Alors, tucomprends,conclut-il tranquillement,puisquejesuisresponsabledeleurmort,c'estàmoideretrouverceLucifer.Jedoislesvenger.Etlavermonhonneur.

Artemisluitenditlamain.Ils’approcha,s'ensaisitets'agenouilladevantlelit.

-Peux-tuencoremeregarderenfacemaintenantquetusaisquellâchejesuis?

Ellepritsonvisageentresesmains.

-Chéri,tuesl'hommelepluscourageuxquejeconnaisse.Tun'étaisqu'unenfant,àl'époque.

-J’étaisdéjàmarquisdeBrayston.

-Peut-être,maisiln'endemeurepasmoinsquetun’étaisqu'unenfantdequatorzeans.Unenfantbuté, capricieux, qui avait perdu son sang-froid. Ton père ne t'en a pas voulu. Il a cherché à teprotégerjusqu’aubout.Réfléchis,Maxime.Situavaisunfils,neserais-tupasprêtàtesacrifierpourlui?Neserais-tupasheureux,mêmesitudevaismourir,desavoirqu'ilvivra?

Ilfermalesyeuxetposasatêtedanslegirondelajeunefemme.Elleluicaressalescheveuxunlongmoment,puissepenchaetl'embrassasurlefront.

-Vienstecoucher,souffla-t-elle.

Il se redressa et se glissa entre les draps. Puis il l’attira contre lui. Elle attendit longtemps lesommeil.

-VotreGrâce.

Un instant,Maximecrut avoir entendu lavoixdeCraven.Mais il devait rêver.Puis il ouvrit lesyeux.

Cravensetenaitàcôtédesonlit.

-Craven,dit-ilbêtement.Tuesrevenu.

Sonvaletparutvexé.

-Jenesuisjamaisparti,VotreGrâce.

Maximetressaillit.Àenjugerpar l’avalanchede«VotreGrâce», iln'était toujourspasdans lesfaveursdesonvalet.

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-Jenetevoyaisplusdanslamaison.

- Votre Grâce n’ignore pas que la maison est immense, répliqua Craven d'un ton acerbe. Ungentlemanvousattendenbas.Ildits'appelerAlderney.

-Alderney?Àcetteheure?

Cravenhaussaunsourcil.

-Ilestbientôtmidi,VotreGrâce.

-Nomd'unchien!

Maxime se redressa vivement, en veillant toutefois à ne pas réveiller Artemis. Il avait encorel'espritembrouillé,maissiAlderneysouhaitaitlevoir,cedevaitêtreimportant.

-J'aifaitservirunecollationàvotrevisiteur,précisaCraven.Ilavaitl'airtoutàfaitravi,jepensedoncquevousavezlargementletempsdeprocéderàvosablutionsetdevousrendreprésentable.

-Merci,Craven,réponditMaximeensortantdulit.Es-tuaucourant,pourlecapitaineTrevillion?

-Oui.Jemesuispermisd'allerlevoir.Ilsemblaitdormirpaisiblement.Lemédecinafaitdirequ'ilreviendraitcetaprès-midi.

-Parfait.

Maximesesentaitmieuxàl'idéequeTrevillionavaitpasséunebonnenuit.

Cravens'éclaircitlavoix.

-J’airemarquéquelevicomteKilbournen'étaitplusdanslacave.

Maxime,quiavaitcommencésatoilette,sefigea.

-Quoi?

-Apparemment,ilabrisésachaîneaumoyend'unburinetd'unmarteau,etaréussiàs'enfuir.

CravenprenaitbiensoindenepasregarderArtemis,lovéesouslescouvertures.

Maximen'eutpasautantdescrupules.Dureste,larespirationdelajeunefemmeluisemblaitunpeutropsuperficiellepourquelqu'unquiétaitsupposédormir.

-Craven,veux-tunouslaisserquelquesinstants?

-Biensûr,VotreGrâce.

Maximelesuivittandisqu’ilsedirigeaitverslaporte.

- Savais-tu queBathilda était revenue deBath alors que nous ne l'attendions pas ?Elle semblaitdisposerd'informationsquinepouvaientprovenirquedecettemaison.Tun'esaucourantde rien,n'est-cepas?

Craven,quivenaitdefranchirleseuil,pivota,lesyeuxcommedessoucoupes.

-Qu'insinuez-vous,VotreGrâce?

Maximeluidécochaunregarddésabuséetrefermalebattantderrièrelui.

Quandilseretourna,Artemisleregardait.

-C'esttoiquil'aslibéré,n’est-cepas?

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-Oui,dit-elleens'asseyant.Tut’attendaisvraimentàautrechosedemapart?

-J'espéraisquetum’obéiraisaprèsquejet'aiditqu'ilétaitpréférablequ'ilresteenfermé.

Elleavaitpâli,maissesyeuxlançaientdeséclairs.

-Quejet'obéirais?répéta-t-elle.

Elleluiéchappait,etilnepouvaitl'accepter.

-Oui.Jeluiauraistrouvéunendroitsûr.Àl'écartdesgensàquiilrisquaitdes’enprendre.Tu...

Ellelaissaéchapperunpetitricanementrailleuretrepoussabrutalementlescouvertures,révélantsoncorpsnu.

- Tu voudrais que je t'obéisse comme n'importe lequel de tes serviteurs ? Que j'accepte d’êtresagementrangéedanslaboîteoùtuasdécidédemeplacer?Tunevoisdoncpasquejevaisdépérirdanscetteboîte?Jenepeuxpasmecontenterd’êtrecequetuattendsdemoi.

Maxime sentit que la dispute dérapait, hors de contrôle. Il était habitué aux débats houleux duParlement,maiscetteconversationn'avaitrienàvoiraveclalogiquedel'argumentationpolitique.Ils'agissaitd'émotionsprimairesentreunhommeetunefemme.

Désarmé, il dévisagea Artemis. Cette discussion dépassait évidemment la seule question de sonfrère.

-Artemis...

-Non,lecoupa-t-elle.

Ellesortitdulitaussimartialequ'unedéessegrecque,etattrapasachemisedenuit.

-C'estdemonfrèrequenousparlons,Maxime.

-Tupréfèresprendresonpartiplutôtquelemien?répliqua-t-ilsansréfléchir.

Etilsut,avantmêmequelesmotsaientfranchiseslèvres,qu'ilvenaitdecommettreunegrossièreerreur.

-S'illefaut,oui,lâcha-t-elle.Nousavonslemêmesang.Etj’aimemonfrère.

-Alorsquetunem'aimespas?

Sachemisedenuitàlamain,Artemissefigea.Sesépauless’affaissèrentuncourtinstant,puiselleredressafièrementlatêteSadéesseconquérante.

- Quand tu te seras lassé de moi, dit-elle doucement, Apollon sera toujours mon frère. Il seratoujourslàpourmoi.

-Jenemelasseraijamaisdetoi,répliquaMaxime,etc'étaitlàl’absoluevérité.

-Alorsprouve-le-moi.

Il savaitcequ’ellevoulait - il le lisaitdanssonregard,soudainsivulnérable.Etelle leméritait.Elleméritait unmari, un foyer, des enfants. Ses enfants à lui.Mais il ne pouvait pas oublier sesdevoirs.Leduché.Sonpère.

-Tusais...commença-t-ild'unevoixaltérée,tusaisquejenepeuxpas.Jedoislavieàmonpère,êtreducestundevoirauqueljenepeuxmesoustraire.

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Ellehaussalesépaules.

-Ehbien,quantàmoi,jenedoisrienàlamémoiredetonpère.

Maximevacillacommesiellel'avaitgiflé.

-Tunepeuxpas...

-Non,lecoupa-t-elle.Jenepeuxpas.Jepensaisquejepourraism'accommoderdecettesituation.Jelepensaisvraiment.Maisjem’aperçoisquejenesuispasassezcourageuse.Jenesupporteplusdefairedumalauxgensquim’entourent,àPenelopeetàmoi-même.Jesuisdésolée,Maxime,maisjenetrouvepasmaplacedanslajoliepetiteboîteoùtuvoulaism'enfermer.Etjenesupporteraispasnonplusdetevoirquittermonlitpourallerrejoindreuneautrefemme.Jenesuispasunesainte.

-S'ilteplaît

Ill'implorait.Luiquines'étaitjamaisinclinédevantpersonne.

Artemissecoualatête,maiselleluipritlamainpourl'attirercontrelui.

-S’ilteplaît,madéesse.Nemequittepas.

Elleneréponditpas.Maisellelevalevisageverslui,etentrouvritdoucementleslèvreslorsqu'ilécrasasabouchesurlasienne.Ilpritdélicatementsonvisageentresesmainscommes'ilnepossédaitriendeplusprécieuxaumonde.

Siseulementilpouvaitlaconvaincrequ'elleétaitàlui,danscemondeetdansl'autre!

Il enfouit les doigts dans ses cheveux, explora sa bouche avecpassion, usant de toutes les rusesqu'il connaissait pour la séduire. Elle laissa échapper un gémissement et lâcha sa chemise de nuit.MaisquandMaximevoulutluiembrasserlecou,elletournalatête.

-Maxime,jenepeuxpas...

-Chut,souffla-t-il,etsesmainstremblaienttandisqu'ill’enlaçait.Jet’enprie,laisse-moifaire.

Ilrecula,l’entraînantavecluijusqu’àunfauteuilsurlequelilselaissatomber.

-Maxime...

Ill'attirasursesgenoux.

-Oui,madéesse,chuchota-t-ilavantderefermerlabouchesurlapointed’unsein.

-Chéri,commença-t-elleenencadrantsonvisagedesesmainspourleforceràcroisersonregard.

Ilredoutalasuite.Iln'aimaitpaslalueurdéterminéeaufonddesesprunelles.

-Jet'aime,murmura-t-elle,etilsentitsoncœursegonflerd'allégresse.Maisjedoistequitter.

-Non.

Illuiagrippaleshanchestelunenfantquirefused'abandonnersonjouet.

-Si.

Le chagrin et la colère aveuglaient Maxime. Il saisit la jeune femme par les cheveux pour luiimmobiliserlatêteets’emparadeseslèvres.Pourrait-elledirenonàcela?

En réponse, elle noua ses bras à son cou et le laissa lui dévorer la bouche. Elle n'opposa pasdavantagederésistancequandill’assitàcalifourchonsurluietluiécartalescuisses.Sonsexeétait

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engorgéetpalpitantdedésir.Maximelepritàpleinemainetlefrottacontresaféminité.

Elleétaitdéjàtrempée,etunejoiemauvaiselesubmergeaquandelleneputretenirunhalètementdeplaisir.

Aumoins,illatenaitparlà.Àdéfautd’autrechose.

Ellecambralesreinsetondulacontrelui.Maximefitcourirsesmainssursonventre,sursesseins,lespalpant,lespinçanttouràtourdansl'espoirdelaconvertiràsonpointdevue.

Maiselleavaitautrechoseentête.Elleseredressaets'emparadesavirilité.

-Maxime,dit-elle,leregardantdroitdanslesyeux.Jet'aime.Nel’oubliejamais.

Etelles'empalasurlui.

Ilfermalesyeuxenlâchantungrognement.EtempoignaArtemisauxhanchespourlui interdiretoutmouvementqui l’amènerait tropviteà la jouissance. Ilvoulaitprofiterpleinementdubonheurd’êtreenelle.

Ilrouvritlesyeux.

-Nemequittepas.

Elle secoua la tête. Puis, se libérant de son étreinte, elle commença à le chevaucher avec uneénergiefarouche,telleladéessechasseressequ'elleétait.Etsonexpressionétaitàlafoisdéterminéeetémerveillée.

Maximel'embrassaàpleinebouche,ets’efforçadeseretenir,denepasjouircommeuncollégieninexpérimenté.Ilréussitàsecontenirjusqu’àcequ'elleralentisselerythme,pousseuncricontreseslèvres et qu'il sente sesmuscles intimes se contracter follement autourde lui tandisque l'extase labalayait.Ilplongeaalorsenelle,profondément,unefois,deuxfois...

Puisvolaenéclats.

Ellereposaitcontrelui,sidouce,sidélicieuse,sonprécieuxfardeau,puistournaunpeulatête.Ilselevaalors,latintserréecontrelui,etlaportajusqu'aulit.

- J'aimerais savoir cequemeveutAlderney,murmura-t-il en l'y déposant avecdouceur. Je n'enauraipaspourlongtemps.Attends-moiici.

Ellefermalesyeux.Ilpritcelapourunassentiment,etaprèss’êtrehabillérapidement,ildescenditaurez-de-chaussée.

Alderney était penché sur un bibelot qu'il examinait avec une grande attention. Il se redressavivementquandMaximeentra.

-Ah!Euh...bonjour,VotreGrâce.

-Bonjour,réponditMaximeet,désignantuncanapé:Asseyez-vous,jevousenprie.

Alderneys'assitetattendit.

Maximefinitparhausserunsourcil.

-Vousvouliezmevoir?

-Oh!Ah,oui!s'exclamaAlderney,commes’ilavaitététiréd'unerêverie.J'aipenséquecelavousintéresserait.

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Ils’arrêtalàetclignadesyeux.

-Quoidonc?lepressaMaxime.

-Jemesuisrappeléquim'avaitdonnél’émeraudequevousm'avezmontrée.Enfin,ilnemel'apasvraimentdonnée.Jel’aigagnéeenpariantcontrelui.Ilprétendaitquelachattedegouttièrequirodaitautour des cuisines et qui était grosse donnerait trois petits. J’ai parié qu'il y en aurait le double.Quandlachattenousafinalementautorisésàvoirsaportée,nousavonscomptésixchatons.J'avaisgagné.Ils'estinclinéetm'adonnélapierre.

Alderneysetutetaffichaunsourireradieux.

Maximeinspiralentement.

-Quivousadonnélapierre?

Alderneybattitdespaupièrescommes'ilétaitsurprisqu'iln’aitpasdeviné.

-Mais,WilliamIllingsworth,biensûr.Ilgardaitlapierredanssapocheetlamontraitàquivoulaitlavoir.Enrevanche,j’ignoretotalementcommentilsel'étaitprocurée.Peudetempsaprès,j’aijouéauxdésavecd’autrescamarades,etc'estlàquejel'aiàmontourperdueauprofitdeKilbourne.

-Illingsworth,répétaMaxime.

-Oui,acquiesçaAlderney,auxanges.Çam’estrevenud'uncouphiersoir,quandmafemmem’aannoncéquenotrechatteauraitbientôtdespetits.Jemesuissoudainsouvenudupariquej’avaisfaitavecIllingsworth.

- Savez-vous où se trouve William Illingsworth à présent ? demanda Maxime, sans vraimentespérerderéponsepositive.

Alderneysecoualatêteavecgravité.

-Justemaintenant?Non.Maissivouspassezchezlui,sesdomestiquespourrontsansdoutevousrenseigner.

-Chezlui?répétaencoreMaxime.

-Ehbien,oui,répliquaAlderney,dutondel'évidence.IlhabitesurHaversSquare.Cen'estpasunquartiertrèschic,maisIllingsworthn’aguèrelesmoyens.Sonpèreétaitunsacréjoueur.

-Merci,ditMaximeenselevant.

-Quoi?fitAlderney,l’airdérouté.

-Monmajordomevavousraccompagner.J'aiunautrerendez-vous.

Maxime attendit à peine que son visiteur ait quitté le salon pour remonter à l’étage.Tout n'étaitpeut-êtrepasperdu.S'ilparvenaitàconvaincreArtemis...

Maisenpoussantlaportedesachambre,ilcompritqu’ilétaittroptard.

Artemisétaitpartie.

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19

LabraiserougeoyantequeLinserraitdanssesmainsrepritlaformedesonfrèreadoré.Tamsautaàbasduchevalfantomatiquequ'ilchevauchaitetàl'instantoùsespiedstouchèrentlesol,ilredevintunmortel.

Ilsouritàsasœur«Tum'assauvé!luidit-il.Àprésent,tudoisaussiquitterlameutedesspectrespourvivredenouveau.»

Lin se tournaalors vers le roiHerla,mais celui-ci regardait droit devant lui, résigné à fixer unhorizonquisedéroberaitéternellement.

Artemis sortit par laportede servicedeWakefieldHouse, sesmaigrespossessions rassembléesdans lepauvresacqu'elle tenaità lamain.Unefoissur leperron,ellehésita, lapaniquelui faisantbattrelecœuràgrandscoupssourds.Elledevaitpartirmaintenant,àl’insudeMaxime-pourqu'ellenesoitpastentéedecéderàsesprières-,maiselleignoraitoùaller.EllenesevoyaitpassonneràlaportedePenelopeaprèscequ'elleavaitfaitavecMaxime.Etilétaittoutaussiexcluqu’elledemandedel'aideàPhoebeouàladyHero.

Laporteserouvritdanssondos.Artemisrassemblasoncourage.Seigneur,ellen’étaitpascertainedepouvoir résister àMaxime !Elleavait l'impressionque sonâmeavait étédéchiquetéeetqu'ellesaignaitsansrelâche,àprésent.

-Monpetit,murmuraunevoixféminine.

Artemisseretourna.MllePicklewoodposaitsurelleunregardempreintd'unecompassionsincère.

-Est-cequejepeuxvousaider?

Alors,pourlapremièrefoisdesavie,ArtemisGreaveséclataensanglots.

Maxime sortit sur le perron et demanda qu'on lui amène un cheval. Il ne lui restait plus rien,semblait-il,quelavengeance.Sitelétaitlecas,ilétaitdéterminéàl'exercersansdélai,etenrépandantleplusdesangpossible.

Quinzeminutesplustard,ils'éloignaitaupetittrot.

HaversSquaren'étaitpas,eneffet,l'undesquartierslesplushuppésdeLondres.Etlamaisonoùvivait Illingsworth paraissait à peu près aussi décrépite que certains immeubles de Saint-Giles.Maximemitpiedàterreetdonnaunshillingàungaminpourqu’illuigardesoncheval.Illingsworthnelouaitquelesdeuxderniersétagesdelabâtisseet,parchance,ilsetrouvaitchezlui.Maximefutintroduitdansunpetitsalonparunevieilledomestique.

Il inspecta le décor qui l'entourait. L'endroit tenait du capharnaüm. Des pièces de mobilierdéfraîchies,maisquiavaientdûcoûterautrefoistrèscher,côtoyaientdesbibelotsdepeudevaleur.Iln’yavaitpasdefeudanslacheminée-sansdouteparmesured’économie.

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Laportedusalonserouvrit.

Maximepivota et découvrit unhommeenpeignoir vert taché sur le devant. Il n'était pas rasé etportaitunbonnet sur la tête.Sonvisageétroit était si émaciéque lesos semblaient sur lepointdepercerlapeau.

-Oui?demandaIllingsworth,l’airméfiant.

Maximeluitenditlamain.

- Wakefield, se présenta-t-il. J'aurais souhaité, si vous en êtes d'accord, vous poser quelquesquestions.

Illingsworthfixasamainavecperplexité,avantdesedécideràlaserrer.Lasienneétaitmoite.

-Oui?repéra-t-il.

Detouteévidence,sonhôtenesemblaitpasdisposéàluiproposerunsiège.

Maximesortitl’émerauded’Artemisdesapoche.

-Ilya treizeans,vousavezperducettepierreaucoursd'unpariavecJohnAlderney,Commentl’aviez-vousobtenue?

-Que...?

Illingsworthsepenchapourexaminerlapierre.Ilfitminedes'enemparer,maisMaximerefermainstinctivementlesdoigtsdessus.

Illingsworthrelevalesyeux.

-Pourquoimedemandez-vouscela?

-Parcequecettepierrefaisaitpartied'uncollierayantappartenuàmamère.

-Ah!fitIllingsworthavecunregardentenduquidéplutàMaxime.Ellel'avaitgagé,c'estcela?

-Non.Onl'aassassinéeavantdeleluivoler.

Illingsworthécarquillafurtivementlesyeux-pasassezfurtivement,cependant,pourqueMaximen'aitpasletempsdeleremarquer.Puisilrepritsonexpressionméfiante.

-Ilyatreizeans,jen'étaisqu’ungamin.Jepeuxvousassurer,VotreGrâce,quejen'aistrictementrienàvoiraveclamorttragiquedevotremère.

-Jen’aijamaisditcela,observaMaxime.Jesouhaiteraissimplementsavoircommentvousaviezobtenucettepierre.

Illingsworthsecoualatêteets'approchadelacheminée.

-Jen’aijamaisvucetteémeraudedemavie.

Sondétachementsonnaitfaux.Ilmentait.

-Cen’estpascequeditJohnAlderney.

Illingsworths'esclaffa.

-Alderneyétaitdéjàunimbécileàl'époque.Jedoutequ'ilsesoitamélioréavecl'âge.

IlseretournaetregardaMaximesansciller.

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Illingsworthsavaitquelquechose,Maximeenauraitmissamainaufeu.Maiss'ilrefusaitdeparler,samargedemanœuvreétaitréduite.

Ilremitlapierredanssapoche.

-Vousmentez,lâcha-t-il.

Illingsworthouvritlabouchepourprotester,maisMaximelevalamainpourl’arrêter.

- Je pourrais vous frapper pour vous extorquer le nom de la personne qui vous a donné cettepierre,maisj'éprouveuncertainméprispourlaviolence.Jevaisdoncvousproposerunmarché.Jevousdonnevingt-quatreheurespourmerévélersonnom.Si,àl'expirationdecedélai,vousn'aveztoujourspasparlé,jevousruinerai.Etquandjeparledevousruiner,c'estlittéralement:vousperdreztout,cettemaison,vosvêtements,lesobjetsauxquelsvoustenez.D’icilafindelasemaine,vousserezobligédemendiersurletrottoirpourvousnourrir.Réfléchissezbien.

Outré,Illingsworthjuradesoninnocence,maisMaximetournalestalonssansmêmel’écouter.Ilperdaitsontemps.

Ilgagnalaportesansattendrequelavieilledomestiquel'yescorte.

Dehors,legaminl'attendaitauprèsdesoncheval.

-Tuesunbongarçon,lefélicitaMaxime.Aimerais-tugagnerunepiècesupplémentaire?

Legaminhochaévidemmentlatêteavecenthousiasme.

-J'aimeraisquetuportesunmessagepourmoi.

Maximeluidonnasonadresse,luiexpliquacequ'ildevaitdireàCraven,puisleluifitrépétermotpourmot.Aprèsquoi,illelaissafiler.

Lui-mêmeremontaenselleetneménageapasseseffortspourmontrerqu'ilrepartait.Maisàpeineeut-il tourné au coin de la rue qu'il remit pied à terre. Il emmena son cheval dans une ruelletransversaled’oùilavaitunevueimprenablesurlamaisond'Illingsworthetattenditdevoircequecedernierferaitdesonultimatum.

-Jesavaisqueceravissantvertbouteillevousiraitàravir,commentaladyHero,cesoir-là,tandisqu'ellesapprochaientduthéâtredeverduredesFoliesHarte.

-Merci,réponditdistraitementArtemis.

Ellenepouvaits’empêcherderegarderautourd'elle,quandbienmêmeellesavaitqu'Apollonnerisquaitpasdesemontrer.S’ilsecachaitici,ilavaitdûchoisirunendroitàl'écartdupublic.

Enproieàuneaffreusetristesse,ellelissalesplisdesanouvellerobe.Àl'origine,cetterobeétaitpour lady Hero, mais quand elle avait appris sa grossesse, et donc compris qu’il lui faudraitrenouvelerentièrementsagarde-robe,elleavaitinsistépourqu'Artemislaprenne.Lamodistel'avaitfaitlivreràl’orphelinatdeSaint-Gilesdansl’après-midi,enmêmetempsquelesdeuxautresrobescommandéespourArtemis.MllePicklewoodluiavaitproposéderesteràl’orphelinatenattendantdepouvoir s'installer à Bath chez Mlle White, son amie malade, qui avait besoin d’une dame decompagnie.

Artemis soupira. Elle était sincèrement reconnaissante àMlle Picklewood de son aide, mais la

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perspective de retourner à son ancienne existence, même auprès d'une nouvelle patronne, ladéprimait.

Oupeut-êtreétait-cesimplementlefaitdequitterMaxime.

Ellecontemplasabellerobe.Oùdiablepourrait-ellelaporterquandellevivraitàBathentantquedamedecompagnied'unevieillelady?Peut-êtrelavendrait-elle.Queldommage!Larobeétaitendamas de soie avec un décolleté bordé de fine dentelle.Une dentelle identique ornait les poignets.L'ensembleétaitd'unesublimesimplicité.Artemisn'avait jamaisportéuneaussibelle toilettedesavie.

ElleauraitaiméqueMaximelavoieavec.

Ellebalayadenouveauleparcduregard.Deslanternesconstituéesdechandellesenchâsséesdansdespetitsglobesdeverrecoloréétaientaccrochéesauxbranchesdesarbres,créantuneatmosphèremagique.Touslesvaletsétaientvêtusdelivréesjaunesetpourpres,certainsavaientdesfleursoudesrubansaccrochésàleurperruque.

ConstruitessurlarivesuddelaTamise,sibienquelemeilleurmoyend’yaccéderétaitd’arriverpar des bateaux spécialement aménagés, les Folies Harte étaient l'un des plus beaux endroits deLondres.Mais,aprèscesoir,Artemisnepourraitplusjamaisyremettrelespieds.

Leur petite troupe se composait d'une dizaine de personnes. Outre Artemis, Phoebe, MllePicklewood, lady Hero et son mari, lord Griffin Reading, il y avait également Isabel et WinterMakepeace-leshôtesd'Artemisàl'orphelinat-,ainsiqueladyMargaretetsonmari,GodricStJohn.Artemisneconnaissaitguèrecesmessieurs,enrevancheelleconsidéraitlesdamescommesesamies.ToutesfaisaientpartieduComitédesoutienàl’orphelinatdeSaint-Giles.Penelopeenétaitelleaussimembre,biensûr,maisellen'étaitpasencorearrivée.

Detoutefaçon,elleétaittoujoursenretard,songeaArtemis,mélancolique.

MllePicklewoodaccrocha son regardetparutdeviner sonhumeurmaussade, car elle inclina latêted'unairdesympathie.

Mue par une impulsion, Artemis se pencha vers elle alors qu'elles franchissaient les portes duthéâtre,etchuchota:

-Merci.

MllePicklewoodrougit.

-Oh,monpetit,vousn'avezpasbesoindemeremercier!Jenecondamnepasvoschoix,soyez-ensûre.Jesuisbienplacéepoursavoirquellesolitudelesfemmescommenousdoiventsupporter.

-Oui,murmuraArtemisendétournantleregard.Jeregrettequeleschosesn'aientpaspusepasserdifféremment.

MllePicklewoodreniflaavecdédain.

-Ellesl'auraientpusiMaximel'avaitvoulu.

Artemis s’apprêtait à répondre, mais elles furent hélées par lord Noakes, qui arrivait avec safemme.

-J’ignoraisquevousétiezdéjàrentréedeBath,mademoisellePicklewood,dit-il.

IlconsidéraitPhoebed'unregardsongeur.Accrochéeàsonbras,safemmesemblaitnerveuse.

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MllePicklewoodétaitsuffisammentrompueauxmondanitéspourcoupercourtàtouteinsinuation.

-J'aifaitunsautàLondresavantderetournerauprèsdemonamie,dit-elle.Jen'aipaspurésisteràl'envied’assisteràcettesoirée.J'adorelesFoliesHarte.Pasvous?

-Ohsi!commençaladyNoakes,quicroisaleregarddesonmarietn'allapasplusloin.

-Leducnevousescortepas,cesoir?s’étonnalordNoakes.

-Nousnesommespasenmanqued'escorte,réponditMllePicklewoodenindiquantlordGriffinetlesautresgentlemenquiapprochaient.Dureste,leducavaitd'autresprojets.

LordNoakeseutuncurieuxsourire.

-J'espèrequ'ilnecourtpasaprèsdesfantômes.

Artemissursauta.Faisait-il référenceauFantômedeSaint-Giles?Non, impossible. IlnepouvaitconnaîtrelesecretdeMaxime.

LordNoakess’inclina.

-Sivousvoulezbiennousexcuser,mesdames,nousdevonsrejoindrenotreloge.

- Quelle étrange formule, murmuraMlle Picklewood, perplexe, tandis qu’il s'éloignait avec safemme.Quevoulaitdirece«couriraprèsdesfantômes»,selonvous?

Artemisseraclalagorge.

-Jen’enaipaslamoindreidée.

-Ah,voilàenfinladyPenelope!s’exclamaIsabelMakepeace.Elleabienfaillinousfaireattendre.

Penelopefitnaturellementuneentréetrèsremarquée.Elleportaitunerobedesatinrebrodéd’oretétaitescortéeparleducdeScarborough.Elledéployasonéventailetjetaunregardlanguideautourd'elle.

Artemis ressentit une bouffée d'affection pour sa cousine. Elle était vaniteuse, superficielle,maniérée,maiselleavaitunbon fond.EtArtemis lui avait faitdumalquandbienmêmePenelopel'ignorait.Maisaumoins,elleavaitquittéMaxime.Ilneluirestaitplusqu'àprierpourquesacousinen'apprenne jamais la vérité. Elle lui sourit et lui tendit la main comme elle approchait. Elles nes’étaientpasvuesdepuisdesjours.

Empoignantsesjupes,Penelopeaccéléral'allure,seruapresquesurelle.

LagiflecueillitArtemisparsurprise.

-Catin!criaPenelope,etsavoixrésonnadanslevestibuleduthéâtretandisqu’Artemistitubait.

LadyHeroetIsabelMakepeacelarattrapèrent.

Mlle Picklewood s'interposa courageusement, mais c'était inutile. Le duc de Scarborough avaitsaisi lebrasdePenelopeet la tirabrutalementenarrière.Sonvisaged’ordinairesi jovialaffichaituneexpressionsévère.

-Qu’est-cequec'estquecettehistoire?

LesyeuxrivéssurArtemis,Penelopecracha:

-VoussaviezquejevoulaisWakefield,maisçanevousapasempêchéed’écarterlesjambespourluicommeunevulgairetraînée!

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Lamainplaquéesurlajoue,Artemislafixaitsansmotdire.

-Vousn’aviezpasledroit!repritPenelope,leslarmesauxyeux.Ilnevousépouserajamais!Ilabientroppeurdelafolied'Apollon.Vousfinirezàlarue,etjeseraibiencontente!Je...

Scarborough interrompit sadiatribe en la secouant sansménagement.Levieuxduc était paledecolère.

-Çasuffit!tonna-t-il.

Penelopesursauta.

-Mais...

-Non!Quoiqu'ilaitpuseproduire,vousn'avezpasàinsulterMlleGreavesenpubliccommeunevulgairepoissonnière.Niàlafrapper!C'estinadmissible,Penelope.Inadmissible.

IlsetournaversArtemis,s'inclina,etreprit:

- J’espère qu'elle ne vous a pas fait tropmal,mademoiselleGreaves. Si vous voulez bien nousexcuser,jevaisraccompagnerladyPenelopechezelle.

Artemisclignadesyeux,etsecontentadehocherlatêteavecraideur.

-Mais,Robert...,plaidaPenelope,incrédule.

-Non,s’entêtalevieuxduc.J'aibeaucoupdepatience,machère,etjecroisvousavoirprouvémonaffection,maisj’aiaussimafierté.Jenepeuxpasvouslaisserhurlerainsiausujetd'unautrehomme.Jecrainsdedevoirreconsidérermapositionquantàlacourquej'avaiscommencéàvousfaire.

-Oh...gémitPenelope,etpourlapremièrefois,Artemislutdel'appréhensiondanssonregard.

-Venez,luiintimaScarborough,quiluipritlebrasetl’entraînaverslasortie.

Leurdépartfutsuivid'unmomentdesilenceabsolu.

Artemisétaitanéantie.Elleselibéradoucementdesmainsd'IsabeletdeHero,puisseretournapourfairefaceàsesanciennesamies.

Quand Illingsworth débarqua aux Folies Harte,Maxime ne put s’empêcher d’être déçu. Il avaitsurveillé sa maison tout l’après-midi, pour finalement se retrouver aux Folies Harte. Il avaitl'impressiond'avoirperdusontemps.S’iln'avaitpassuiviIllingsworth,ilauraitpupasserlasoiréeavecArtemisetsessœurs.Àl'heurequ'ilétait,ellesétaientprobablementdéjàassisesauthéâtre.Avecunpeudechance,Artemisl'autoriseraitpeut-êtreàluiparler.

Il attendit à l’écart pendant qu'Illingsworthmurmurait quelquesmots à l'un des valets en livréechargésd'accueillir lesnouveauxarrivants.Dèsqu'Illingsworth se fut éloigné,Maximedébarquaàsontourdubateau.

-QuevoulaitM.Illingsworth?demanda-t-ilauvaletenluiglissantunepiècedanslamain.

-IlvoulaitsavoirsilordNoakesassistaitàlareprésentationdecesoir,réponditlevalet.

Maximehaussalessourcils.

-Et?

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- Oui, Votre Grâce. Lord et lady Noakes sont ici. Ils ont déjà gagné le théâtre, comme je l'aiexpliquéàM.Illingsworth.

Maxime examina le valet - un jeune homme au regard intelligent - et tira une autre pièce de sapoche,enor,celle-ci.

-Connaissez-vouslordNoakes?

-Ohoui,VotreGrâce!acquiesçalevalet,quilorgnaitlapièce.Sonneveuetluiviennentsouventici.

-Sonneveu?

Levalethaussaunsourcil.

-M.Illingsworth,VotreGrâce.C'estleneveudelordNoakes.

Maximefourramachinalementlapièced'ordanslamainduvalet.Ilignoraitcedétail.Noakesnefaisait pas, à proprement parler, partie de sesproches. Il avait surtout été ami avec sonpère,maisMaximesesouvenaitquesamèrenel'avaitjamaisbeaucoupapprécié.Elledésapprouvaitsapassionpour le jeu. Une image lui traversa soudain l'esprit : celle de lord Noakes aux funérailles de sesparents,arborantuncostumeflambantneuf.

Maxime s'engagea sur le sentier conduisant au théâtre. Jusqu’à présent, il avait eu tendance àsoupçonnerScarborough.MaisNoakesetleducavaientàpeuprèslemêmeâge.Etmaintenantqu'ilysongeait,ilsavaientaussiàpeuprèslamêmecorpulence.Detaillemoyenne,avecunpeud’estomac,ilsétaienttousdeuxathlétiquespourleurâge.CommeLucifer.

Maximesemitàcourir.

Aumêmeinstant,quelqu'uncria.

Ils'immobilisa,tenditl'oreille.Ilentendaitdelamusiqueetdesriresprovenantduthéâtre.Leparcétait sillonné de sentiers artistiquement éclairés de façon à ménager des coins d’ombre pour desinterludesromantiques.Ilétaittrèsfaciledes’ycacher.

Ilyeutdubruitdansunbuissonsursadroite.

Ils’élançadanscettedirection.

Unhommesortitdubuisson,têtebaissée,etfilasansremarquerMaxime.Celui-civoulutselanceràsapoursuite,maisunnouveaucril’arrêta.

-Aidez-moi!

Ilfitvolte-face,selaissaguiderparlavoixetfaillittrébuchersuruncorps.

Ils'agenouillaettâtonnadevantlui.Etsentitunliquidetièdesoussamain.

-Ilm'atué,murmuraIllingsworth.Ilm'atué.

-Qui?demandaMaxime.

-Je...

Illingsworthlaissaéchapperunetouxrauque.Maximevenaitdetrouverlepoignardplantédanssapoitrine.

-Jeluiaiditquevousétiezvenu,etquejevousavaisracontéavoirtrouvél'émeraudedansletiroir

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desonbureauquandj'étaisgamin.Jevoulaisjusteunpeud'argent...Pasbeaucoup.Cen'estpasjuste...

-Illingsworth,quiétait-ce?lepressaMaxime.

Larespirationd'Illingsworthsefitpluslaborieuse.

-…pasjuste,répéta-t-il.Noussommesdelamêmefamille.Ilmedevaitbien...

Unfrissonlesecoua,puistoutsoncorpsseraidit.

Maximepoussaunjuron.Ilapprochalapaumedesnarinesd'Illingsworth.

Rien.Pasunsouffle.

Ilsereleva.Illingsworthn'avaitpaslivrélenomdesonassassin,maisils’agissaitprobablementdesononcle.Qu'allaitfairecedernier,àprésent?S'enfuirouretournerdanssalogepourassisteràlareprésentationcommesiderienn’était?

Maximedécidad'allerd’abordvoirducôtédel’embarcadère.

Alorsqu'ilcouraitverslefleuve,ilentendituneexplosion.Unefemmehurla.

Tournantlestalons,ilseruaverslethéâtre.

Uneodeurdefuméeflottaitdansl'air.

Artemis.

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20

Linpritunedécision.Ellesepenchaetattrapa lepetitchienblancassisdevant leroiHerla.Cederniervoulutlesagripper,maissesdoigtsnerencontrèrentquelevide.Linavaitdéjàsautéàterre,lepetitchienserrécontresonsein.

-Alors,c’estvrai?demandaPhoebeàArtemis.

Elle avait réussi, Dieu sait comment, à entraîner Artemis à l'écart. Toutes deux déambulaient àprésentdansl'undescouloirsdesservantleslogesduthéâtre.

À la grande stupéfaction d'Artemis, les dames de leur petit groupe avaient, semblait-il, décidétacitementd'oublierl'esclandredePenelope.IsabelMakepeaceavaitmêmemisunpointd'honneuràprendrelebrasd'Artemispourgagnersaloge.

-Jelesavais,ajoutaPhoebe,commeArtemisnerépondaitpas.Monfrèrevousàséduite.

- Jenedevraispasparlerdeceschosesavecvous, fitvaloirArtemis.Dureste,aprèscesoir, jedouted’êtreencoreautoriséeàavoiruneconversationenprivéavecvous.

-C'estridicule!s'exclamaPhoebe.Vousn'avezrienàvousreprocher.ToutestlafautedeMaxime.

-Ehbien...commençaArtemis,trèsembarrassée,carlavéritéétaittoutautre:c’étaitellequis’étaitinvitéedanslelitdeMaximeetpaslecontraire.

Maisbiensûr,iln’étaitpasquestionqu'ellel'avoueàPhoebe.

-Jel’étrangleraisvolontiers!repritPhoebe.Carbiensûr,ilnevousapasproposédel’épouser?

-Non,réponditArtemis.Maisjenel’espéraispasnonplus.C'estunchoixquej'aifaitlibrement.

-C'estvrai?

Phoebelaregardaitenplissantlesyeux,commesielleessayaitdedéchiffrersonexpression.

-Lasituationesttellementcompliquée,murmuraArtemis.

-Vousl’aimez?

-Quoi?fitArtemis,désarçonne.Oui,biensûrquejel’aime.

-Danscecas, jenevoispasoùest leproblème,répliquaPhoebe.Car ilestévidentqueMaximevousaime.

-Je...Commentpouvez-vouslesavoir?

-Monfrèreestl'hommeleplusordonnéquejeconnaisse.Ilaclasséleslivresdesabibliothèquepar langues, puis par époque, ensuite par auteurs et enfin par ordre alphabétique. Il prépare sesdiscoursauParlementdes semainesà l'avanceet s'arrangepour savoirquels lordsassisteront à laséance et comment ils voteront.Àma connaissance, il n'a jamais entretenudemaîtresse - ne vousrécriezpas,j’aibeauêtrejeune,jenesuispasnaïve.

Phoebeinspiraunegrandegouléed'airavantdecontinuersatirade:

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-Et c'est cemêmeMaximequivous entraînedans lesboisdevant tous ses invités, quiperd sonsang-froid avec vous et qui vous séduit sous son propre toit - un toit qu'il partage avecmoi. J'endéduisquesoitmonfrèreacontractéunemaladieducerveau,soitqu'ilestfouamoureuxdevous.

Artemisneputs’empêcherdesourire,mêmesiladéductiondePhoebenechangeaitrienàl'affaire.Maximene semarierait paspar amour,mais pour honorer lamémoirede sonpère,mort prèsdevingtansplustôt.

Elles’apprêtaitàl'expliqueràPhoebequandunefemmepoussauncri.

Presqueaussitôt,ellesentituneodeurdefumée.

Unemincevolutepâleflottaitinnocemmentdanslecouloir.

Lepoulsd’Artemiss'emballa.Lethéâtreétaitenboisetenplâtre.

-Jesensdelafumée,ditPhoebe.

Artemisluipritlamain.

-Oui.Nousdevonspartird'ici.

Où était Apollon ? Se trouvait-il seulement aux Folies Harte ? Il s’était montré si énigmatiquelorsqu'elleluiavaitdemandéoùilcomptaitserendreunefoislibre.Quoiqu’ilensoit,ellen'avaitpasletempsdelechercher.Ellenepouvaitqu'espérerqu'ilparviendraitàfuirs'ilétaitbeletbienlà.

ElletiraPhoebeverslasortie.Évidemment,toutlemondeavaiteulamêmeidée.Lesspectateurscommençaientàenvahirlescouloirsetlapaniquegagnait.UngentlemancorpulentpoussaArtemiscontreunmurafindepasser.

LajeunefemmelâchalamaindePhoebeetlaperdit.

-Phoebe!

Soncriseperditdanslafoule.Artemissemitàjouerdescoudesetàbousculerlesgens,sansplussesoucierdesconvenances.

-Phoebe!

Elleaperçutlajeunefille,quiaffichaituneexpressionaffolée.Elleluisaisitlebras.

-Artemis!criaPhoebe.Jevousensupplie,nem'abandonnezpas!

-Iln’enestpasquestion.

La foule était maintenant trop dense pour qu'elles aient une chance d'atteindre le vestibulerapidement.

-Suivez-moi,ditArtemis.Jecroismesouvenirqu'ilyauneportedeservicepasloind'ici.

LafuméeépaississaitrapidementetArtemissemitàtousser.Uncraquementsinistresefitentendreducôtédelascène,aussitôtsuivid'unhurlementdeterreur.Artemistrouvalaportequ’ellecherchaitettournalapoignée.

Envain.Lebattantdemeuraobstinémentfermé.

-C'estverrouillé!Phoebe,aidez-moiàtrouverleverrou.

Lafuméeluipiquaitlesyeux,leslarmesl'aveuglaient,etellesentitundébutdepaniques'emparerd’elle.Siellesneréussissaientpasàouvrircettemauditeporte...

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Sesdoigtsaccrochèrentdumétal.Ellepoussavivementleverrou,etPhoebeetellesortirentàl'airlibreentitubant.

Artemissefigea.

-Qu'ya-t-il?s'écriaPhoebe.

-Toutlejardinestilluminé,murmuraArtemis,médusée.

Des flammes couronnaient la façadedu théâtre alorsmêmeque spectateurs, comédiens et valetssortaientenmassede labâtisse.Unebrigadedepompiersbénévolesarmésdeseauxs’était forméesouslacommanded'unhommeàlacrinièrefauve,maisArtemiscompritquec'étaitunecauseperdued’avance.Lesflammessepropageaientdéjàjusqu'àlagaleriecouverteoùsetenaientd'ordinairelesmusiciensquijouaientdevantlesvisiteurs.Bientôt,leparcentierseraitenfeu.

-Vite,criaArtemis.Nousdevonsrejoindrel’embarcadère!

-MaisHero?EtcousineBathilda?

-Cesmessieurssontavecelles,répliquaArtemis,priantleCielpourquecesoitvrai.Votresœuretvotrecousinen’ontrienàcraindre.

ElletiraPhoebeàtraverslesbuissons,carlessentiersétaientnoirsdemonde.Sabellerobeneuven'yrésisteraitpas,maisArtemisn'enavaitcure.

-Ah,ladyPhoebe!ditunevoix,étrangementcalmeaumilieudecesauve-qui-peutgénéralisé.

Levantlesyeux,ArtemisdécouvritlordNoakesàquelquespasdelà.Iltenaitunpistoletdansunemain,etl'autre...

L'autreétaitcouvertedesang.

-Êtes-vousblessé,milord?demandabêtementArtemis,quiavaitpourtanttoutdesuitedevinéquequelquechoseclochait.

- Oh non, pas moi ! répondit lord Noakes avec entrain. Maintenant, si vous n'y voyez pasd'inconvénient,mademoiselleGreaves,j’aimeraisquevousvouspoussiezdecôté,carjevaisavoirbesoindeladyPhoebe.Jesouhaitequitterl’Angleterreetilmesembleprudentd’emmenerlasœurdeWakefieldavecmoi,aucasoùilvoudraitmemettredesbâtonsdanslesroues.

SiArtemisabandonnaitPhoebeà cegredin,Maximene le luipardonnerait jamais.Elle ne se lepardonneraitjamais.

- Milord, commença-t-elle prudemment, en se plaçant devant Phoebe pour la protéger. LadyPhoebes'estfoulélachevilleetpeutàpeinemarcher.Ellenepourrapasdavantagevoussuivre.

-Vousmentez,répliquacalmementlordNoakes.Maisaufond,quelleimportancequejeprennelasœurdeWakefield,ousacatin?Vousfereztoutaussibienl'affaire.

Artemisvoulut s'enfuiravecPhoebe,mais lordNoakes,vifcomme l'éclair, luiattrapa lebrasetl'attiraàluiviolemment.

Commeellesedébattait,ilbraquasonpistoletsurPhoebe.

-Calmez-vousoujelatue.

Artemissefigea.

-Artemis!criaPhoebe,lesbrastendusdevantelle.

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ElleétaitblêmeetArtemissavaitqu'ellenevoyaitplusriendanslapénombre.

-Suivezlesvoix,Phoebechérie,luiconseilla-t-elle,maisdéjàNoakeslapoussaitdevantlui.

Ilmarchaitvite,courantpresqueendirectionduquai.Ilsémergèrentdesbuissonspourdécouvrirunvéritablechaos.Hommesetfemmessetenaientaubordduquaietappelaienttouslesbateauxquipassaient. Certains allaient même jusqu’à sauter dans des barques déjà surchargées. Des valets semêlaient à la foule, tandis que d'autres tentaient encore futilement d’éteindre l'incendie. ArtemisaperçutHero,MllePicklewoodetIsabel,etsoupiradesoulagement.

LordNoakes fonça jusqu'aubordduquai etbraqua sonpistolet surungentlemanqui aidaituneladyàprendreplacedansunbateau.

-écartez-vousdelà.

-Vousêtesfou?ripostal’homme.

Noakessourit.

-Probablement.

L'autreécarquillalesyeuxetlafemmepoussauncri.

-Danslebateau,ordonnaNoakesàArtemis.

Elles'exécutasousleregardeffarédupropriétairedel'embarcation.

-Conduisez-nousàWapping,ordonnaNoakesàcedernierdèsqu'ileut sautéà son tourdans lebateau.

Ilss'écartaientdéjàdelabergequandquelqu'uncriasurlequai.Maximevenaitdesurgir,Phoebeàsescotés.Artemissourit,lesyeuxembuésdelarmes.Aumoins,Phoebeétaitsaineetsauve.

Maximecriaitaprèslepropriétairedubateau.Artemisnel'avaitjamaisvuaussifurieux.Ilbraquaitunpistoletdansleurdirection,maisNoakesavaitprislaprécautiond’asseoirlajeunefemmedevantlui,sibienqueMaximenepouvaittirersansrisquerdel'atteindre.

-Pensez-vousquecelalerendfou?demandaNoakes,visiblementamusé.M'avoircherchéduranttoutesavied'adulteetjusteaumomentoùilpensaitm'attraper,jeluifilesouslenez!

Ils’esclaffa.

-J’auraisdû le tueravecsesparents,mais il secachait, figurez-vous.Commeun lapindanssonterrier.Legrand-ducdeWakefield!Inutiledefrissonner,machère,ajouta-t-ilenluicaressantlebras,carArtemisavaiteneffetfrissonné.Jen’aipasl'intentiondevousfairedumal.Enfin,pasbeaucoup.

-Vousêtesunindividuméprisable,articula-t-ellecalmement.Vousn'arriverezjamaisàlachevilledeMaxime.Etj’ajouteraiquevousnemeconnaissezpas.

Surce,elleselevad'unbondetplongeadansleseauxnoiresdelaTamise.

À l’instant oùArtemis disparut dans laTamise, toute pensée désertaMaxime. Il était vaguementconscientdel'agitationquirégnaitsurlequai,descris,durugissementdel’incendieetdubateauquiemportaitNoakes,maistoutcelaétaitsubitementreléguédansunrecoindesonesprit.

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Lâchantsonpistolet,ilsortitdesapocheladaguequ’ilavaitarrachéeunsoiràLuciferetlacalaentresesdents.Puisilsedébarrassadesavesteetdeseschaussures,etplongeadanslaTamise.

Une petite voix sous son crâne égrenait les secondes écoulées depuis que la jeune femme avaitdisparudansleseuxnoires,notaitqu'ellen'avaitpasrefaitsurface,calculaitlaforceducourant.

Ilnageaendirectionde l'endroitoùelleavaitsauté.Unedétonationretentit,suivied'uneautre. Ils’enfonçadanslesprofondeurs.

L'eauétaitsisombrequ'ilnevoyaitmêmepassesmains.Ilcherchaitcependantdésespérément.

Rien.

Sespoumonscommençaientàlebrûler.

Il remontaà la surfaceet, sans lâcher ladagueserréeentre sesdents, il écarta suffisamment seslèvrespourinspirerunegouléed'air.

Puisilreplongea.

Rien.Toujoursrien.

Ellenepouvaitpasfinirainsi!Ilnelepermettraitpas.

Ildescenditplusprofond.

Rien.

Sespoumonsmenaçaientd'exploser.

Ilallaitêtreobligéderemonter.

Ilregardaunedernièrefois.Etilaperçutunemain.

Unemainblanche,toutemenue.

Ill'agrippaettirajusqu’àcequelajeunefemmeseretrouvedanssesbras.Lepoidsdesesjupesgorgéesd'eaulesentraînaitverslefond.Attrapantsadague,Maximetranchalarobed'Artemisdansledos,depuisl'encolurejusqu’auxreins.Ilfitdemêmeaveclesmanches,puisrepoussal'étoffesurseshanches.Ilagitaalorslesjambespourremonteràlasurfaceetlarobe,queplusrienneretenait,glissacommeunesecondepeau.

Ilsjaillirentàlasurface.

Haletant, Maxime regarda Artemis. Son visage était livide, ses lèvres bleues et ses cheveuxflottaientàlasurfacedel’eau.

Desbrassesaisirentsoudainde lui.Maximecommençaàsedébattre,avantdeserendrecomptequec'étaientWinterMakepeaceetGodricStJohnquitentaientdelehisseràbordd'unbateau.

-Prenez-lad'abord,leurdit-il.

Les deux hommes tirèrent Artemis dans le bateau. Maxime grimpa ensuite à bord et s'affalalourdement sur le plancher de l'embarcation. Il prit aussitôt la jeune femmedans ses bras.Elle neréagitpas.

-Artemis,fit-ilenlasecouant.

Satêteoscillamollementdedroiteàgauche.

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Makepeaceposalamainsursonépaule.

-VotreGrâce...

Maximel'ignora.

-Artemis!

-VotreGrâce,jesuisdésolé...

Maximegiflalajeunefemme;l'échoserépercutasurl’eau.

Elletoussa.

Aussitôt, il la pencha par-dessus la rambarde du bateau et lui donna des tapes dans le dos. Elletoussadeplusbelleetunflotd'eausalejaillitdesabouche.C’étaitleplusbeauspectaclequeMaximeait jamaisvu.Quandellecessade tousser, il la ramenadans sesbras.St Johnôta savesteet la luitendit.Maximeladrapasurlesépaulesdelajeunefemmeavantdel’envelopperdesesbras.

-Bonsang,Artemis,quellemouchet’apiquée?

Makepeacehaussa les sourcils,maisMaxime l'ignora. Ilnevoulaitplus jamais revivreune telleépreuve.IlregardaArtemisavecsévérité.

- Je... jepensaisqu'enplongeant, je tepermettraisde tirer surNoakes,expliqua-t-elled'unevoixenrouée.

Maximecaressasescheveuxtrempés.

-Etducoup,tuasdécidédetesacrifier?Jamaisjenet’auraiscrueaussitêtedelinotte.

-Jesaisnager!

-Oui,maispasavecunerobegorgéed'eau.

Ellefronçalessourcils,manifestementagacée.

-Tuaspuluitirerdessus?

-J'avaisplusurgentàfaire,répliqua-t-ilsèchement.

Écartantlatête,ellelefusilladuregard.

- Tu le traques depuis presque vingt ans. Qu'est-ce qui pouvait être plus important que de tuerl'assassindetesparents?

-Toi,petitefolleentêtée.Qu'est-cequ'ilt'apris...

Lavisiond’ArtemiscoulantdanslaTamisecontinuaitdelehanter.

- Ne me refais jamais cela, reprit-il d'une voix que l’émotion rendait rauque. Si tu n'avais passurvécu,jet'auraisrejointeaufonddufleuve.Jen'auraispaspucontinueràvivresanstoi.

Ellecilla,etsonexpressionseradoucit.

-Oh,Maxime!murmura-t-elleenluicaressantlajoue.

À cet instant, alors qu'il frissonnait de froid dans cette pauvre embarcation, qu'une fumée noiremontait dans le ciel et que des braises rougeoyantes voletaient autour d’eux,Maxime songea qu'iln’avaitjamaisétéplusheureux.

-Jefiniraiparleretrouver,assura-t-il.Maisd'abord,j'aibesoindet'avoirauprèsdemoi.Neme

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quittepas,madéesse.Jetejuresurlatombedemamèredet’êtreàjamaisfidèle.

-Jenetequitteraipas,réponditArtemis,lesyeuxbrillantsdelarmes.Maisjeregrettequetuaieslaissépassertachanced'enfiniraveclordNoakes.

Makepeaces'éclaircitlavoix.

-Pourcequiestdecegredin...

-Jeluiaitirédessus,enchaînaStJohn,etilsemblaitpresques’excuser.

Maximeleregardaavecstupéfaction.

StJohnhaussalesépaules.

-Celam'asembléêtrelameilleurechoseàfaire.AprèsqueMlleGreavessefutjetéeàl’eau,ilacriéquec'était luiquiavaitallumél'incendieetqu'ilneregrettaitrien.Etpuis, ilvousatirédessusquandvousétiezdansl’eau,Wakefield,cequin'estpasexactementuncomportementdegentleman.Heureusement,ilaratésoncoup,maisiln'étaitpasexcluqu'ilréussisselesuivant.Ilavaitdégainéunautrepistoletquandjel’aiatteint.

Makepeacehochalatête.

-C'étaitunebonneaction.Etuntirparfait.Àplusdevingtmètres.

-Jediraisplutôtquinze,corrigeaStJohn,modeste.

-Toutdemême

-Mais...jenevousaijamaisdemandédem'aideràmedébarrasserdeNoakes,ditMaxime.

Makepeaceaffichauneexpressiongrave.

-Vousn'aviezpasàlefaire,dit-il.

-Vousn'enavezjamaiseubesoin,renchéritStJohn.

Cettenuit-là,Artemis,allongéenuedans legrand litdeMaxime, le regardait se raser.Elleavaitdéjàprisunbonbainchaudets'étaitlavéedeuxfoislescheveux.PuisilsavaientmangéentêteatêtedanslesappartementsdeMaxime.Undînertoutsimple:dupouletensauceavecdescarottesetdespetitspois,etunetarteauxcerisesendessert.

Etjamaisaucunrepasneleuravaitparuaussidélicieux.

-C'estunmiraclequepersonnen'aitpéridansl'incendie,dit-elle.Crois-tuqu’ilrestequelquechosedesFoliesHarte?

-Auxdernièresnouvelles,l’incendien’étaitpasencoretotalementéteint,réponditMaximesansseretourner.Le théâtreestparti en fumée,ainsique lagaleriecouverteoù jouaient lesmusiciens.Lejardin,lui,amoinssouffert,maisjenesaispassiHarteauralecouragedetoutreconstruire.

- Quel dommage. Phoebe adorait cet endroit. Moi aussi, d'ailleurs. C'était un lieu tellementmagique.Àtonavis,pourquoiNoakesya-t-ilmislefeu?

-Sansdoutepoursecouvrir,vuqu’ilvenaitd’assassinersonneveu.

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-Quoi?s'exclamaArtemis,quiserappelatoutàcouplesangsurlamaindeNoakes.Lepauvrehomme!

- Il cherchait à faire chanter son oncle. S’ilm'avait dit, quand je lui ai rendu visite, qu'il tenaitl'émeraudedeNoakes,ilseraitencoreenvieàl'heurequ'ilest.

-Hmm.Quoiqu’ilensoit,jeneseraissansdoutejamaisretournéeauxFoliesHarte.

-Pourquoi?demandadistraitementMaxime.Lapiècenet'apasplu?

Ellesoupira.

- Jen'aipas eu l'occasiondevoir ledébut.Penelopea causéunesclandre à sonarrivée. Je suissurprisequepersonnenet'enaitparlé.

Ilseretourna.

-Quoi?

-Ellem'atraitéedecatin.

-Bonsang!Voilàquicontrecarremesprojets.

-Quelsprojets?

Maximesedirigeaverssatabledenuitetpritlaclédanslecoffret.

-Quand j'étaisdans le fleuve, j'aidécidéque jevoulais faire remonter le collier avant.Celamesemblaitbiend'unpointdevuesymbolique.Mais,apparemment,jevaisdevoirmedébrouillersans.

-Jetedemandepardon?

Maximefitalorsunechosetrèsétrange.Ilposaungenouenterredevantlajeunefemme.

Elles'assitdanslelit.

-Maisquefais-tu,Maxime?

-ArtemisGreaves,veux-tumefairel'honneurde...

-As-tuperdul'esprit?l'interrompit-elle.Ettonpère?Ettarésolutiondenetemarierqu’enpensantauduché?

-Monpèreestmort.Etleduchés'enremettra.

-Mais...

-Chut.J'essaiedetedemandertamaindanslesformes,mêmesanslecollierdemamère.

-Maispourquoi?Tuesconvaincuquemonfrèreestfou.

-Ladernièrefoisquejel'aivu,ilm'aparuplutôtsaind’esprit.Ils'estjetésurmoi.

Elles'esclaffa.

-Beaucoupdegensauraientvulàuneconfirmationdesafolie.

Maximehaussalesépaules,seredressaetouvrit letiroirsecret.L'émerauded'Artemisreposaitàcôtédessixautres,aveclachaîneàlaquelleelleétaitaccrochéeauparavant.Touteslespierresétaientenfinréunies,ladernièreayantétérécupéréesurlecorpsdeNoakeslorsqu’onl'avaitrepêché.

-Tonfrèrepensaitquejet'avaisséduite.

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-Ah,murmuraArtemisenrougissant,quelquepeugênéequ'Apollonaitdevinélavérité.

-Jesaisquec'estassezdécevant,maisj'ail’intentiondefairedetoiunefemmerespectable.

-Cen'estquandmêmepasàcausedecequ’aditPenelope?serécria-t-elle.

-Non.

Ilôtasabagueducalepourl'enfilersurlachaîned'Artemis.Ilyajoutal’émeraudequ'elleluiavaitdonnée,puisilpassaletoutpar-dessussatête.

- Enfin si, d'une certaine façon, reprit-il. Car je ne veux pas que tu penses que j'autoriseraiquiconque à t’insulter de la sorte. Pour l'instant, nous nous contenterons de cette chaîne. Mais tuporteraslecollierpournotremariage.

Artemisluipritlevisageentresesmainspourl'obligeràlaregarder.

-Maxime,jeneveuxpasquetum’épousessimplementpourprotégermaréputationJe...

Ellen'eutpasl'occasiond'endireplus.Ils'emparadeseslèvresetl'embrassaavecardeurjusqu’àcequ'elleenaitoubliédequoiilsdiscutaient.

-Jet'aime,madéesse,souffla-t-il,quandilsedécidaàlâcherseslèvresJet'aiaimée,jecrois,lejouroùjet'aisurpriseentraindetepromenerpiedsnusdanslesboisdePelhamHouse.Mêmequandjepensaisnepaspouvoirt'épouser,j'avaisdéjàl'intentiondetegarderauprèsdemoiàjamais.

Ils'écartaetArtemisdécouvrit,sidérée,unetrace-unepetitetrace-d'incertitudedanssonregard.

-Nemequittepas, reprit-il.Sans toi, lemondeest sombreet tristeetn'aplusdesens.Mêmesi,pourquelqueraisonridicule,turefusesdem’épouser,promets-moiaumoins...

-Chut!Jevaist’épouser,idiot.Jet’aime.Etjesuismêmedisposéeàporterl'extravagantcollierdetamère,mêmes'il rendrasansdoutemoinsbiensurmoiqu’iln'aurait rendusurPenelope. Jesuisprêteàtout,pourvuquenousrestionsensemble.Pourtoujours.

Maximes'emparaànouveaudeseslèvrestoutenl'étreignantavecforce.

- Nous nous marierons dans trois mois, décréta-t-il quand il lui permit enfin de respirer. Tuporteraslecollier,ainsiquelesbouclesd'oreillesassortiesquejeferaifabriquerpourl'occasion.Etsacheunechose :personneneporteramieuxcesémeraudesque toi.Tacousineapeut-êtreun jolivisage,maistoi,macourageuse,maséduisante,mamystérieuse,mamerveilleusechasseresse,tuesladuchessedeWakefield.Maduchesse.

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Épilogue

Tamhurlalenomdesasœur.Ilredoutaitqu'ellenesoitréduiteenpoussièresoussesyeux.Maisunechoseétrangeeutlieuquandelletouchalesol:ilnesepassariendutout.Lajeunefillereposalepetitchien,quiaboyaetremuajoyeusementlaqueue.Aussitôt,lacavalcadedesspectresretombasurla terre et les cavaliers retrouvèrent leur apparence de mortels. Le roi Herla fut le dernier àdescendre.Et lorsqu'ilmitpiedà terre, ilpritune inspiration tremblante,puisoffritsonvisageauxpremiersrayonsdusoleil.

Après quoi il sourit et regarda Lin. « Tu m'as sauvé, courageuse jeune fille. Ta bravoure, tonintelligenceettonamouronteuraisondelamalédictionquis'acharnaitcontremoi,meshommesettonfrère.»

àcesmots,lessoldatspoussèrentdeshourras.

«Demande-moitoutcequetuvoudras»,repritleroi,àl'adressedeLin.

«Merci,monroi,réponditLin.Maisjeneveuxrien.»

«Pasdebijoux?»demandaleroi.

«Non,monroi.»

«Pasdeterres?»

«Non,monroi.»

«Nidechevauxoudebétail?»

«Non,monroi.»

«Vraimentriennetetente?»murmuraleroiHerla,quis'étaitrapprochéinsidieusement.

Linsecoualatête.

« Alors, je pourrais peut-être m'offrir moi-même ? » dit-il. Et il mit un genou en terre.«MerveilleuseLin,m'accepterais-tupourmari?»

«Oh,oui!»réponditLin.Etleshommesduroipoussèrentdenouveauxhourras.

Etc'estainsiqueleroiHerlaépousaLin.Lacérémoniefuttrèsbelle,maispasaussigrandiosequelorsde sonpremiermariage,plusieurs sièclesauparavant.Aprèsquoi, il reconstruisit sonchâteau,entretint ses bois, cultiva ses champs et fit paître du beau bétail bien gras dans ses prairies. Sonpeupleputdenouveaumangerà sa faimet renouaavec laprospérité.Et sid'aventure le roiHerlaéprouvaitl'enviedepartiràlachasse,ilseraisonnaitetregardaitsafemme.Carilavaitdéjàchassélaplusbelleproiequiseputimaginer.

Levéritableamour.

Pendantcetemps...

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-Neuffoutuesannées!

Assis surun seau renversé,Apollon regarda sonami,AsaMakepeace, agiter labouteilledevinqu'iltenaitàlamain,commepourdonnerplusd'emphaseàsesparoles.

- Tum’entends, Apollon ? Neuf foutues années ! Neuf foutues années que j’aurais pu passer àboire,àbaiserousimplementàmepromenerparmontsetparvaux.Au lieudequoi, j'ai travaillécommeunebêtedesommedansceparc,etmaintenantiln'enrestequedesruinesfumantes.Jetelerépète:neuffoutuesannées!

Apollon soupira et porta sa propre bouteille à ses lèvres tandis qu'Asa continuait sa tirade. Labouteilled'Apollonétaitdéjààmoitiévideetc'étaitparfait:ilétaitàprésentassezivrepourneplusdéplorerquelevinsentelafumée.Lesdeuxamisavaienttrouvérefugedanslaseulepartieduthéâtreencoredebout:leslogesdesacteurs,derrièrelascène.

Ouplutôt,decequiavaitétéautrefoislascène.Carleresteduthéâtren'étaitplusqu’ungigantesqueamasdedébrisfumants.

L’incendien'avaitpasseulementréduitencendresneufannéesdelavied'Asa,maisaussilepeudefortunequi restaitàApollon.Justeavantcette tragiquenuitdebeuveriequis’était terminéedans lesang,quandils’étaitréveilléàcôtédescorpssansviedetroisdesesamis,Apollonavaitinvestitoutsonpécule - lepeuqu'il avait héritéde sonpère - dans lesFoliesHarte.À l'époque, cela lui avaitsembléuneexcellenteidée,carcontrairementàlui,quin'avaitjamaisétédouéaveclesfinances,Asagagnaitbeaucoupd'argentavecsonparcd'agrément.

Maissoncapitals’étaitvolatiliséenuneseulenuit.

- Je crois bien que je vaisme retrouver à la rue, disait Asa, s'adressant à sa bouteille d'un airmorose.Mafamillenem’ajamaisbeaucoupaimé.Etjen'aiaucuntalentsinonceluideconvaincre-commej'avaisréussiàteconvaincredemeconfierteséconomies.

Apollonauraitvolontiersrappeléàsonamiqu'ilavaitinvestisonargentdesonpleingré,maisiln'avait toujours pas retrouvé l'usage de la parole.De toute façon, ses protestations n'auraient sansdouteserviàrien.Asasemblaitsecomplairedanssatragédie.

-Bonsoir,messieurs,ditunevoix.

Lesdeuxamisse tournèrent.Apollonvitalorsapparaîtreunhommedepetite taille,exquisémentvêtud'uncostumedesatinrosesurungiletargenté.Ungrandnœudnoirretenaitsescheveuxblondstirésenarrière.

Undandy,pensaApollon.

-Qui êtes-vous ? demandaAsa d'un ton belliqueux.Le dandy sourit. Puis il tira de sa pocheunmouchoirendentelleetleposasurlesrestesd’uneplancheavantdes'yasseoir.

- Je suis Valentin Napier, duc de Montgomery. Et j'ai une proposition à vous faire, monsieurMakepeace.

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Remerciements

MerciàmonamiAnnaCarrasco,quiatrouvélenomdemonépagneul-Percy!

Et,commetoujours,merciàmamerveilleuseagente,SusannahTaylor,àmatalentueuseéditrice,AmyPierpont,etàsesformidablesdirecteursartistiques.Merciégalementàmonpauvrecorrecteur,MarkStevenLong,quiadûsoupirerdevanttousmesretoursàlaligne.