Le Malentendu Du Nouveau Paganisme

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  • 8/2/2019 Le Malentendu Du Nouveau Paganisme

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    Le Malentendu du "Nouveau Paganisme"

    par Julius Evola (publi une premire fois dans: Bibliografia fascista, n.2/1936;

    premire publication de cette traduction franaise: Bruxelles: Centro Studi

    Evoliani 1979)

    Lors d'une interview tout rcemment accorde Vienne, le journaliste qui nousinterrogeait semblait paarfaitement savoir que, depuis longtemps dj, nous prnions enItalie in "imprialisme paen", ajoutant que dans un autre pays l'heure du succs avaitsonn pour celui-ci.Il faisait videmment allusion l'Allemagne, o des courants plus ou moins proches dunational-socialisme entendent crer un nouvel esprit religieux spcifiquement germaniqueet non-chrtien.Nous lui avons rpondu que le temps tait plutt venu o nous nous trouvions presque

    oblig de nous dclarer sinon chrtien, tout au moins catholique!En ralit, ajoutions-nous, ce "nouveau paganisme" d'au-del des Alpes est trsquivoque, et son analyse pourrait prsenter beaucoup d'intrt, tant en soi que pournous-mme, qui y sommes directement impliqu. Nous avons en effet reconnu, jadis, lavaleur que pouvait avoir la reprise de certaines des grandes traditions pr-chrtiennespour la reconstruction de notre civilisation europenne dans un sens hroque, imprial etintgralement "romain". A l'heure prsente, nous sommes loin de penser diffremmentqu'en 1928, lorsque notre ouvrage, intitul prcisment Imprialisme paen, fit scandale.Entre les ides que nous y dveloppions alors et ce qu'aujourd'hui on considre enAllemagne comme "nouveau paganisme", il existe non seulement des diffrences maisaussi des oppositions fondamentales. C'est pourquoi il nous faut dire - pour faire justice

    de quelques racontars intresss - que s'il est vrai que certains de nos ouvrages sont prsent plus apprcis en Allemagne qu'en Italie, ils trouvent une plus grande rsonancedans les milieux de la vieille Allemagne conservatrice que dans le nouveaux courants"paens" avec lesquels nous n'avons, certes, aucun rapport, pas plus qu'avec le courantsemi-officiel d'Alfred Rosenberg. Si celui-ci a manifest tant d'intrt pour nous lorsqu'ilcroyait, par ou-dire et en raison du malentendu provoqu par le terme quelque peuambigu de "paen", que nous tions sur la mme longueur d'onde que lui, prsent qu'il apris connaissance de faon plus prcise de notre point de vue rel, il a d prendre sesdistances. Ce point de vue, s'il peut avoir une influence en Allemagne, ne peut que mettreen vidence la dformation que nombre d'ides susceptibles d'une signification suprieuresubissent du fait de leur adaptation des buts purement empiriques et tendancieusementpolitiques. Mais voyons en quoi consiste objectivement l'quivoque du no-paganismenordique, en tchant d'examiner le problme de la faon la plus impersonnelle possible.Disons en tout premier lieu que le choix du mot "paien" pour dfinir desWeltanschauungen et des modes de vie trangers aux "contenus" du christianisme n'estpas adquat, et nous-mme regrettons de l'avoir employ jadis.Paganus est en effet un terme pjoratif, parfois mme injurieux, employ dans lespolmiques de la preemire apologtique chrtienne. Il existe, non seulement en tant queterme, en tant que mot, mais aussi en tant que substance et qu'ide, un "paganisme" qui

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    n'est qu'une exogitation polmique et sans prcdent dans le vrai monde pr-chrtien etnon-chrtien, abstraction faite des priodes d'vidente dcadence.Pour glorifier et affirmer la nouvelle foi, une certaine apologtique chrtienne procda la dformation et la dprciation, souvent systmatiques, de presque toutes les doctrineset traditions qui la prcdrent et auxquelles elle a ensuite accol l'tiquette globale et

    pjorative de "paganisme".Nous sommes ds lors confronts ce paradoxe: Un "paganisme", qui n'a jamais existet qui n'a t engendr que polmiquement par l'apologtique chrtienne militante,risque de nos jours de natre et d'exister rellement pour la premire fois, et cela

    prcisment en raison d'une action "no-paenne", mais surtout anti-chrtienne, dans

    l'Allemagne nouvelle.

    Quels sont, au juste, les traits saillants de la vision soidisant paenne de la vie, tels quel'apologtique chrtienne les a imagins et leur donn vie?Premirement: le naturalisme. La vision paenne aurait ignor toute transcendance. Elleserait demeure dans la promiscuit entre l'esprit et la nature. Ses limites auraient t unemystique des forces de la nature (la vieille sornette de la "Fort" contre le "Temple") et

    une divinisation superstitieuse des nergies de la race exaltes sous la forme d'idoles.D'o, en premier lieu, un particularisme et un polythisme conditionns par le sol et lesang.Deuximement: l'absence des concepts de personnalit et de libert, et un tatd'innocence qui serait simplement celui propre aux tres qui ne se sont pas encore veills une aspiration vraiment mtaphysique. Contre le dterminisme et le naturalisme"paenne", verrait pour la premire fois le jour, avec le christianisme, un monde de libertsupraterrestre, savoir le monde de la Grce et de la personnalit, un idal de"catholicit" (c'est--dire, tymologiquement, d'universalit), un sain dualisme permettantde subordonner la nature un ordre suprieur, une loi venant d'en-haut.Voil bien, schmatiquement, les traits saillants de la conception la plus courante de ceque l'on entend par "paganisme". Tout ce qu'elle contient de faux et d'unilatral saute auxyeux - il est presque superflu de la souligner - , tout au moins de cuiconque a quelqueconnaissance directe, ft-ce mme trs superficielle, de l'histoire des civilisations et desreligions "paennes". Par ailleurs, dans les limites de la premire patristique - dans lescrits d'Origne, de Clment d'Alexandrie, de Justin, etc. - on trouve la preuve d'unecomprhension plus profonde des principes et des symboles propres la civilisationantrieure.Nous ne pouvons, dans les limites du prsent article, que souligner quelques-uns de ceux-ci.Et, tout d'abord, ce qui caractrise le monde pr-chrtien, du moins dans toutes sesformes suprieures, n'a rien de commun avec une divinisation superstitieuse de la nature,car il s'agit d'une comprhension symbolique de celle-ci, travers laquelle toutphnomne et toute action extrieurs n'apparurent que comme la manifestation sensibled'un monde au-del du sensible: l'essence de la conception paenne de l'homme et dumonde tait en effet symbolico-sacre.Il faut reconnatre, en second lieu, que la manire de vivre "paenne" ne ressemblait enrien une licence naturaliste. Dans les formes originelles et d'intense tension idale de laRome ancienne, de l'Hellade antique, des civilisations primordiales indo-aryennesd'Orient, etc., il n'y avait aucun domaine de la vie, soit individuel, soit collectif, qui ne ft

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    accompagn, soutenu et anim par un rite correspondant, savoir par une action et uneintention spirituelles rputes objectivement efficaces.En troisime lieu, le monde "paen" connaissait dj un dualisme sain. On le retrouve nonseulement dans les grandes conceptions spculatives - bornons-nous citer Platon etankara - , mais aussi dans des conceptions plus "communes" comme celles,

    antagoniques, aujourd'hui universellement connues, des Indo-Europens de l'ancien Iran,de l'opposition entre les "deux natures" des Grecs, celle du monde des "Ases" et dumonde lmentaire des anciens Scandinaves, ou encore l'opposition entre la "voie solairedes dieux", d'une part, et la "voie de la Terre", d'autre part, entre "Vie" et "libration de laVie" des anciens Hindous, et nous pourrions continuer ainsi longtemps.Sur la base de ces quelques exemples, nous pouvons dire que l'aspiration und librationsurnaturelle, c'est--dire un accomplissement mtaphysique de la personne humaine, futcommune toutes les grandes civilisations pr-chrtiennes qui, toutes, connurent une"initiation" et clbrrent leurs "mystres" propres. L'"innocence primitive" paenne estune fable telle qu'on trouve mme pas chez les peublades dites sauvages. Cette forme qui,pour quelques-uns, voquerait la notion de "limite", c'est--dire l'idal classique, ne se

    situe pas en-de, mais plutt au-del du dualisme entre l'esprit et le corps, puisqu'il s'agitde l'idal d'un esprit tellement dominateur qu'il a russi faonner totalement le corps etl'me selon son modle idal, en une correspondance parfaite du contenu et du contenant.On doit, enfin, constater une aspiration universaliste. Partout dans le monde "paen", dansle cycle ascendant d'une race suprieure, il y aune vocation l'"empire", et cette vocationfut mme souvent renforce mtaphysiquement en se manifestant comme uneconsquence naturelle de l'ancienne conception sacre de l'tat et comme la formespcifique d'un monde o une prsence victorieuse du supra-monde tend se manifesteren ce monde. Nous pourrions rappeler ce propos l'ancienne conception iranienne del'Empire en tant que corps du "Dieu de lumire", ainsi que la tradition indo-aryenne du"Seigneur Universel" ou "Kravari", et ainsi de suite, jusqu' la conception "solaire" del'Empire romain, dont le contenu rituel et sacr s'incarna dans le culte imprial. Celui-citait non pas la ngation, mais le sommet hirarchique unificateur d'un "panthon", c'est--dire d'un ensemble de cultes, spatialement conditionns, du sol et du sang. Si l'onvoulait multiplier les rectifications de ce genre, et qui n'ont rien de tendancieux, il n'yaurait que l'embarras du choix. celui qui est parfaitement conscient de ces chosescomprendra aisment qu'il est tout fait dplac de vouloir dfendre sa propre traditionau dtriment d'une autre. Il lui sera facile de reconnatre la voie suivre pour liminertout unilatralisme dict par un esprit partisan, pour donner chaucun son d, poursparer le positif du ngatif et du contingent dans les diffrentes formes historiques, maissurtout pour atteindre une vision plus complte, un point de vue universel, de faon ce qu'on puisse vraiment appliquer l'axiome "catholique". Quod ubique, quod ab omnibuset quod semper. On pourrait ainsi numrer tout un ensemble de principes "traditionnels"au sens minent, du fait qu'ils sont dans le fond - mtaphysiquement - antrieurs etsuprieurs n'importe quelle tradition historique particulire ou n'importe quellereligion positive, et donc non susceptibles d'tre revendiqus comme le monopoleexclusif d'une de ces traditions ou religions historiques.C'est sur ce plan, sans la moindre animosit mais avec la fermet qui dcoule d'une justevision des choses, que l'on peut procder une rvision des valeurs, soit pour limiter etordonner hirarchiquement la validit de certaines conceptions particulires

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    spcifiquement hbraques du christianisme, soit pour prsenter sous un jour plusfavorable nombre d'aspects quasiment oublis des grandes traditions d'un pass pluslointain, antrieur au christianisme, afin de les tester, en vrifiant lesquels parmi ceux-cipourraient encore, sans anachronisme, tre rappels aujourd-hui la vie pour agircrativement. Non pas contre l'glise et contre le christianisme, mais plutt par-del

    ceux-ci, au sein d'une lite dtermine.Hlas! dans le no-paganisme allemand nous ne retrouvons riens de semblable. Toutd'abord, comme nous l'avons dit, c'est presque en tombant dans un pige prpar d'avanceque les no-paens finissent par proffeser et dfendre des doctrines qui se rduisent pourainsi dire un paganisme fictif et priv de transcendance, mais li au sang et immergdans un mysticisme suspect, suscit polmiquement par la dialectique de leursadversaires. Et comme si cela ne suffisait pas encore, l'on passe sous silence, d'unemanire partisane, tous les aspects suprieurs du christianisme et du catholicisme, toutcomme l'on avait jadis pass sous silence les ascpects suprieurs du vrai paganisme.L'argumentation anti-chrtienne se sert finalement de conceptions toutes modernes, nesde la philosophie des Lumires et du rationalisme, qui se sont jadis prsentes en ordre de

    bataille contre l'glise et le christianisme mais sous l'enseigne - comble de drision! - dulibralisme, de la sociale-dmocratie athe et de la franc-maonnerie.L'on ne dcouvre rien d'autre lorsque le nouveau paganisme s'adonne l'exaltation del'immanence, de la "vie" et de la "nature", en crant une nouvelle religion pleine desuperstitions et qui contraste de la manire la plus radicale avec l'idal suprieur"olympien" des anciennes civilisations de l'Orient et d'Occident. Par ailleurs, cenopaganisme se rpand galement en accusations contre tout dualisme asctique danslequel il ne voit qu'un produit de l dgnrescence anti-aryenne qui lui aurait t inoculepar les races "levantines". Il nie alors galement toute vrit suprieure la race et lamystique de la race, n'hsitant pas mettre toute conception surnaturelle de laconnaissance et de l'action (et, par consquent, galement le "surnaturel" chrtien et toutela dogmatique catholique quant aux sacraments et aux miracles) au compte dessuperstitions du "sombre Moyen Age" et d'une tactique de domination des prtres, pourexalter en leur lieu et place les conqutes propres au soi-disant libre examen et laconscience profane moderne. Il exhume alors galement de vieux racontarsanticatholiques sur l'Inquisition ou sur la Donation de Constantin, et se scandalise quant la prtention d'infaillibilit, alors que celle-ci fut de tout temps reconnue, dans lescivilisations traditionelles, ceux qui taient parvenus la vrai connaissancemtaphysique. Rappelons enfin que, vraisemblament en proie l'angoisse de l'inconscientdevant des horizons trop vastes, il ne sait voir dans l'universalisme autre chose qu'unecration du "despotisme judo-romain" qui serait mortel pour les nationalits, moinsqu'il n'y voie le produit d'un chaos ethnique dcoulant d'un climat de "dcadence", au lieud'y dchiffrer une unit hirarchique suprieure, une exigence spirituelle.Souvent, ce no-paganisme s'allie alors galement un fanatisme nationaliste, qui a unrelent de jacobinisme et de ramantisme supect, dans lequel il est beaucoup questiond'"hrosme tragique" et d'amor fati. D'une part, il rveille la mystique de la hordeprimordiale et, de l'autre, il attise la rvolte du pouvoir temporel contre toute autoritspirituelle, jusqu' tre tent de rduire la seconde une pure et simple manation dupremier.Tout cela n'est que du "paganisme" ngatif tel que l'ancienne apologtique militante

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    souhaitait le voir, mais ce qui est plus grave, c'est que tout ceci porte la marque de laconfusion, de la rgression, de la perte de toute orientation vritable, d'une soumission des influences irrationnelles. En fin de compte, ce n'est que de l'amateurisme, dufanatisme et de l'inculture.En Italie, quelqu'un a trouv une formule fort heureuse en disant que, si le nazisme

    accuse le catholicisme de faire de la politique, lui-mme fait en vrit bien souvant de lareligion. C'est foncirement vrai, car la religion se transforme ainsi en politique. Parcontre, dans les temps anciens, dans la conception aristocratique et sacre de l'tat, mmela politique tait religieuse. Le nouveau paganisme, loin de reprsenter, ainsi qu'il leprtend, un retour aux origines, n'est qu'un pot-pourri d'lements qui dcoulentuniquement de la dsagrgation anti-traditionnelle moderne, et plus spcialement destrois lments suivants: le "pathos" de la "nation" plus ou moins difie d'une manirejacobine, l'immanentisme naturaliste moderne et, finalement, un bric--brac de typerationaliste et scientiste qu'on retrouve, dans la mme association paradoxale avec lemysticisme, dans tout ce qui est spcifiquement "raciste".Certes, nous n'entendons pas contester qu' ct des dits lments s'expriment galement,

    dans l'effervescence culturelle allemande de l'heure, des exigences de valeur diffrente, etc'est bien pourquoi nous nous sommes abstenus de nous rfrer nommment desauteurs. Mais cela n'empche pas que le "paganisme" donst nous venons de parler nedonne, en Allemagne, naissance de nouveaux mythes et que ne s'y aggravent desconflits d'ordre spirituel. S'il nous faut sortir de la neutralit que nous avons jusqu'iciobserve dans ce conflit entre le nouveau paganisme et le christianisme, il ne nous serapas possible, malgr toute notre bonne volont, de nous ranger du ct du premier -surtout s'il s'agit du catholicisme et de l'glise catholique plutt que du christianisme engnral.N'oublions pas que le catholicisme peut remplir une fonction de "barrage", car il estporteur d'une doctrine de la transcendance: aussi peut-il, dans une certaine mesure,empcher que la mystique de l'immanence et la subversion prvaricatrice venue d'en-basne dpassent un certain seuil.