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Vendredi 11 octobre 2013 - 69 e année - N˚21377 - 1,80 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice : Natalie Nougayrède C ontinuité : ces petits êtres sensibles que sont les marchés financiers ne pourront pas dire qu’ils ont été sur- pris par le choix de Barack Obama pour diriger la Réserve fédérale américaine (la Fed). En désignant, mercredi 9 octobre, Janet Yellen pour remplacer Ben Bernanke à la tête de la banque centrale des Etats-Unis, la Maison Blanche s’est prononcée pour la conti- nuité. Vice-présidente du conseil des gouver- neurs de la Fed depuis 2010 – après y avoir sié- gé une première fois de 1994 à 1997 –, M me Yel- len, 67 ans, a été étroitement associée à la poli- tique monétaire « non conventionnelle » de M. Bernanke. Elle l’a approuvée et partielle- ment inspirée. Si sa nomination est confirmée par le Congrès, M me Yellen prendra ses fonctions fin janvier 2014 et dirigera la Fed avec le même souci du double objectif assigné à l’institu- tion : la stabilité des prix et le maintien de l’emploi. Ce en quoi la Fed, on ne le répétera jamais assez, a un mandat plus large que celui de la Banque centrale européenne, limité à l’évolution des prix. Economiste à la carrière universitaire éblouissante, M me Yellen a toujours posé l’em- ploi comme devant être au cœur de la politi- que économique. C’est ce qui a séduit une bonne partie du groupe démocrate au Congrès et a forcé le président Obama à aban- donner son premier choix, l’ancien secrétaire au Trésor Larry Summers, jugé, à tort ou à rai- son, trop proche de Wall Street. L’arme budgétaire étant neutralisée par la nécessité de lutter contre les déficits, Ben Ber- nanke, après avoir sauvé le système financier américain de la déroute, a choisi, pour soute- nir l’activité, de conduire une politique moné- taire des plus accommodantes. Il a fait mar- cher la planche à billets, et il a eu raison. Il a lancé un programme colossal de rachats d’ac- tifs (85 milliards de dollars par mois en bons du Trésor et obligations adossées à des créan- ces hypothécaires), appuyé par le maintien de taux d’intérêt historiquement bas (taux directeur de la Fed à 0,25 %). Le problème posé par ce genre de politique ressemble à celui que rencontre tout pilote d’aéronef : à un moment, il faut se poser, c’est-à-dire sortir d’une politique de facilita- tion monétaire, sauf à risquer inflation, bul- les spéculatives et quelques autres malheurs. Mais quand ? Avec M. Bernanke jusqu’en janvier, M me Yellen va devoir trouver le bon timing pour resserrer, petit à petit, le robinet à crédit. Elle va devoir le faire avec tout le doig- té nécessaire pour ne pas provoquer une fuite des capitaux investis dans les pays émer- gents, en somme une mini-crise financière. Plus difficile encore, il lui faudra agir au moment précis où la reprise américaine est hésitante – et la conjoncture mondiale portée à la grisaille – et pourrait être remise en ques- tion par l’irresponsabilité budgétaire de la majorité républicaine à la Chambre des repré- sentants. La caractéristique d’une politique monétai- re est d’être difficilement réversible. Pour y arriver sans casser la reprise, il faudra tout le talent de la première femme à diriger la Fed. Il se trouve que Janet Yellen a toutes les qualités requises. p LA GUERRE A DÉSERTÉ NOS ESPRITS Pour l’historien américain Jay Winter , la boucherie de 14-18 a fait perdre toute légitimité et toute gloire au recours à la force armée. LIRE PAGES 1 ET 2 JEAN-NOËL JEANNENEY ET PIERRE NORA FACE À FACE Ces deux figures de la discipline analysent la portée des deux commémorations de 2014, celles de la Grande Guerre et la Libération. LIRE PAGES 4 ET 5 DE LA SYRIE DES ASSAD AUX CAMPS DU LIBAN « Le Monde » publie les bonnes feuilles du récit de Fayza D., jeune Syrienne ballottée à travers les conflits du Moyen-Orient. LIRE PAGE 6 UN SIÈCLE DE GUERRE De 1914 à 2014, un hors-série de 98 pages. LA CHINE, PREMIER IMPORTATEUR DE PÉTROLE CAHIER ÉCO – LIRE PAGE 3 La justice soupçonne Bernard Tapie de fraude fiscale FRANCE – LIRE PAGE 12 LES ADIEUX DE TRINTIGNANT CULTURE – PAGE 14 a Notre correspondant a pu rencon- trer des ouvriers chargés de la décon- tamination de la centrale de Fukushima, au Japon : travail risqué, personnel pas assez nombreux et peu qualifié, salaires trop bas, multi- plication des sous-traitants... « Les ouvriers se sentent ignorés du reste du pays. » LIRE PAGE 4 Le premier ministre libyen enlevé Cinq jours après la capture d’un ancien membre d’Al-Qaida, le chef du gouverne- ment libyen a été enlevé, jeudi 10 octo- bre, par un groupe armé en plein cœur de Tripoli. INTERNATIONAL – P. 3 Le projet de salle de shoot rejeté Le Conseil d’Etat a invalidé le décret autorisant l’expéri- mentation d’une salle de consomma- tion de drogues, à Paris. Uncoupdur pourlesintervenants en toxicomanie. FRANCE – P. 8 Nouvelle révision des programmes du primaire Jugés trop lourds et trop techniques, les programmes de l’école élémentai- re vont être révisés par une instance mise en place jeudi 10 octobre. FRANCE – P. 9 AUJOURD’HUI ÉDITORIAL Fillon, Sarkozy, Juppé : l’UMP déchirée par la guerre des chefs DES LIQUIDATEURS DE FUKUSHIMA PARLENT «UN PREMIER FILM FORT, SAISISSANT, SUPERBEMENT PHOTOGRAPHIÉ» CHARLES TESSON, SEMAINE DE LA CRITIQUE «QUELQUE CHOSE DU SAMOURAÏ DE MELVILLE» LIBÉRATION ANTOINEDECLERMONT-TONNERRE ET RAPHAËLBERDUGO PRÉSENTENT ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR FABIO GRASSADONIA ET ANTONIO PIAZZA AU CINEMA LE 16 OCTOBRE Janet Yellen à la tête de la FED, un bon choix économique LA GUERRE, LA MÉMOIRE ET L’HISTOIRE t Un numéro spécial du « Monde des livres » à l’occasion des Rendez-vous de l’histoire, à Blois UK price £ 1,80 LE REGARD DE PLANTU Soldats américains durant la guerre du Koweït, en 1991. BRUNO BARBEY/MAGNUM PHOTOS t François Fillon défie désormais ouvertement Nicolas Sarkozy, tandis qu’Alain Juppé joue sa carte pour attirer l’électorat centriste t La poussée du Front national affole les chefs de file de la droite et menace l’unité de l’UMP LIRE PAGE 6 Algérie 150 DA, Allemagne 2,20 ¤, Andorre 2,00 ¤, Autriche 2,40 ¤, Belgique 1,80 ¤, Cameroun 1 800 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d’Ivoire 1 800 F CFA, Croatie 19,50 Kn, Danemark 28 KRD, Espagne 2,20 ¤, Finlande 3,50 ¤, Gabon 1 800 F CFA, Grande-Bretagne 1,80 £, Grèce 2,20 ¤, Guadeloupe-Martinique 2,00 ¤, Guyane 2,40 ¤, Hongrie 850 HUF, Irlande 2,20 ¤, Italie 2,20 ¤, Luxembourg 1,80 ¤, Malte 2,50 ¤, Maroc 12 DH, Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,40 ¤, Portugal cont. 2,20 ¤, La Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 800 F CFA, Slovénie 2,50 ¤, Suède 35 KRS, Suisse 3,20 CHF, TOM Avion 400 XPF, Tunisie 2,20 DT, Turquie 7,00 TL, USA 4,50 $, Afrique CFA autres 1 800 F CFA,

Le Monde - 11 Octobre 2013

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Le Monde du 11 Octobre 2013

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Page 1: Le Monde - 11 Octobre 2013

Vendredi 11 octobre 2013 - 69e année - N˚21377 - 1,80 ¤ - Francemétropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice: Natalie Nougayrède

Continuité: ces petits êtres sensiblesque sont les marchés financiers nepourront pas dire qu’ils ont été sur-pris par le choix de Barack Obama

pour diriger la Réserve fédérale américaine(la Fed). En désignant, mercredi 9octobre,Janet Yellen pour remplacer Ben Bernanke àla tête de labanquecentraledes Etats-Unis, laMaisonBlanches’estprononcéepourlaconti-nuité.

Vice-présidente du conseil des gouver-neursdelaFeddepuis2010–aprèsyavoirsié-géunepremière foisde 1994à 1997–,MmeYel-

len,67ans,aétéétroitementassociéeàlapoli-tique monétaire «non conventionnelle» deM.Bernanke. Elle l’a approuvée et partielle-ment inspirée.

Si sa nomination est confirmée par leCongrès,MmeYellenprendra ses fonctions finjanvier2014 et dirigera la Fed avec le mêmesouci du double objectif assigné à l’institu-tion: la stabilité des prix et le maintien de

l’emploi. Ce en quoi la Fed, on ne le répéterajamaisassez,aunmandatplus largequeceluide la Banque centrale européenne, limité àl’évolutiondes prix.

Economiste à la carrière universitaireéblouissante,MmeYellenatoujoursposél’em-ploi commedevant être au cœur de la politi-que économique. C’est ce qui a séduit unebonne partie du groupe démocrate auCongrèset a forcé leprésidentObamaàaban-donnersonpremierchoix, l’anciensecrétaireauTrésorLarrySummers, jugé, à tortouà rai-son, tropprochedeWall Street.

L’armebudgétaire étant neutralisée par lanécessitéde luttercontre lesdéficits,BenBer-nanke,aprèsavoir sauvé le systèmefinancieraméricainde la déroute, a choisi, pour soute-nirl’activité,deconduireunepolitiquemoné-taire des plus accommodantes. Il a fait mar-cher la planche à billets, et il a eu raison. Il alancéunprogrammecolossalde rachatsd’ac-tifs (85milliards de dollars par mois en bonsduTrésor etobligationsadosséesàdes créan-ces hypothécaires), appuyé par le maintiende taux d’intérêt historiquement bas (tauxdirecteurde la Fed à0,25%).

Leproblèmeposéparcegenredepolitiqueressemble à celui que rencontre tout piloted’aéronef : à un moment, il faut se poser,c’est-à-dire sortir d’une politique de facilita-tionmonétaire, sauf à risquer inflation, bul-les spéculativesetquelquesautresmalheurs.

Mais quand? Avec M.Bernanke jusqu’enjanvier, Mme Yellen va devoir trouver le bontimingpour resserrer, petit à petit, le robinetàcrédit.Ellevadevoirlefaireavectoutledoig-ténécessairepournepasprovoquerunefuitedes capitaux investis dans les pays émer-gents, en sommeunemini-crise financière.

Plus difficile encore, il lui faudra agir aumoment précis où la reprise américaine esthésitante–et laconjoncturemondialeportéeà la grisaille – et pourrait être remiseenques-tion par l’irresponsabilité budgétaire de lamajoritérépublicaineàlaChambredesrepré-sentants.

Lacaractéristiqued’unepolitiquemonétai-re est d’être difficilement réversible. Pour yarriver sans casser la reprise, il faudra tout letalentdelapremièrefemmeàdirigerlaFed. IlsetrouvequeJanetYellenatouteslesqualitésrequises.p

LAGUERREADÉSERTÉNOSESPRITSPourl’historienaméricainJayWinter, laboucheriede14-18afaitperdretoutelégitimitéettoutegloireaurecoursà laforcearmée.LIREPAGES 1 ET2

JEAN-NOËL JEANNENEYETPIERRENORAFACEÀ FACECesdeuxfiguresdeladisciplineanalysentlaportéedesdeuxcommémorationsde2014,cellesde laGrandeGuerreet laLibération.LIREPAGES4ET5

DELASYRIEDESASSADAUXCAMPSDULIBAN«LeMonde»publie lesbonnesfeuillesdurécitdeFayzaD., jeuneSyrienneballottéeà travers lesconflitsduMoyen-Orient.LIREPAGE6

UNSIÈCLEDEGUERREDe1914à2014,unhors-sériede98pages.

LA CHINE, PREMIERIMPORTATEUR DE PÉTROLECAHIER ÉCO–LIRE PAGE 3

La justicesoupçonneBernardTapiedefraudefiscaleFRANCE–LIRE PAGE 12

LES ADIEUXDE TRINTIGNANTCULTURE–PAGE 14

aNotre correspondant a pu rencon-trer des ouvriers chargés de la décon-taminationde la centrale deFukushima, au Japon: travail risqué,personnel pas assez nombreux etpeu qualifié, salaires trop bas,multi-plication des sous-traitants...«Lesouvriers se sentent ignorés du restedu pays.» LIREPAGE4

Le premierministrelibyen enlevéCinqjoursaprès lacaptured’unancienmembred’Al-Qaida,lechefdugouverne-mentlibyenaétéenlevé,jeudi10octo-bre,parungroupearméenpleincœurdeTripoli.INTERNATIONAL –P. 3

Le projet desalle de shootrejetéLeConseild’Etata invalidé ledécretautorisant l’expéri-mentationd’unesalledeconsomma-tiondedrogues,àParis.Uncoupdurpourlesintervenantsentoxicomanie.FRANCE–P. 8

Nouvellerévision desprogrammesduprimaireJugéstrop lourdset trop techniques,lesprogrammesdel’écoleélémentai-revontêtre révisésparune instancemiseenplacejeudi 10octobre.FRANCE–P. 9

AUJOURD’HUI

ÉDITORIAL

Fillon,Sarkozy,Juppé: l’UMPdéchiréeparlaguerredeschefs

DES LIQUIDATEURS DE FUKUSHIMA PARLENT

«U N PR E M I ER F I L M FO RT, SA I S I S SA N T,SU PERB E M EN T PH OTO G R A PH I É»

CHARLES TESSON,SEM AINE DE L A CR I T IQUE

«Q U ELQ U E CH OS E D USAM O U RA Ï D E M ELV I L L E»

L I BÉR AT ION

A N T O I N E D E C L E R M O N T - T O N N E R R E E T R A P H A Ë L B E R D U G O P R É S E N T E N T

É C R I T E T R É A L I S É P A R F A B I O G R A S S A D O N I A E T A N T O N I O P I A Z Z A

A N T O I N E D E C L E R M O N T - T O N N E R R E E T R A P H A Ë L B E R D U G O P R É S E N T E N T

É C R I T E T R É A L I S É P A R F A B I O G R A S S A D O N I A E T A N T O N I O P I A Z Z A

A U C I N E M A L E 16 O C T O B R E16 O C T O B R E

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JanetYellenà la têtede la FED,unbonchoixéconomique

LA GUERRE, LA MÉMOIRE ET L’HISTOIREtUnnumérospécial du«Mondedes livres» à l’occasiondesRendez-vousde l’histoire, àBlois

UKprice£1,80

LE REGARD DE PLANTU

Soldats américains durantla guerre duKoweït, en 1991.BRUNOBARBEY/MAGNUM PHOTOS

tFrançois Fillondéfiedésormais ouvertementNicolas Sarkozy, tandisqu’Alain Juppé jouesa cartepour attirerl’électorat centristetLapousséeduFrontnational affole les chefsde file de ladroite etmenace l’unitéde l’UMPLIRE PAGE 6

Algérie 150 DA,Allemagne 2,20 ¤,Andorre 2,00 ¤, Autriche 2,40 ¤, Belgique 1,80 ¤,Cameroun 1 800 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d’Ivoire 1 800 F CFA, Croatie 19,50 Kn, Danemark 28 KRD, Espagne 2,20 ¤, Finlande 3,50 ¤, Gabon 1 800 F CFA, Grande-Bretagne 1,80 £, Grèce 2,20 ¤, Guadeloupe-Martinique 2,00 ¤,Guyane 2,40 ¤, Hongrie 850 HUF, Irlande 2,20 ¤, Italie 2,20 ¤, Luxembourg 1,80 ¤,Malte 2,50 ¤,Maroc 12 DH,Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,40 ¤, Portugal cont. 2,20 ¤, La Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 800 F CFA, Slovénie 2,50 ¤, Suède 35 KRS, Suisse 3,20 CHF, TOM Avion 400 XPF, Tunisie 2,20 DT, Turquie 7,00 TL,USA 4,50 $, Afrique CFA autres 1 800 F CFA,

Page 2: Le Monde - 11 Octobre 2013

Affrontements, place Taksim, entre desmanifestants et la police antiémeute, le 28septembre àAnkara. OZAN KOSE/AFP

international

BruxellesBureau européen

L ’Union européenne estconfrontée à un dilemme:comment sortir les négocia-

tions avec Ankara de la paralysiesans donner l’impression de fer-mer les yeux sur l’ardeur du pou-voir turcà réprimer lesmanifesta-tions de la place Taksim ni de secontenter des timides réformesdémocratiquespromises?

Il y a peu, Amnesty Internatio-nalasortiunrapportaccablantsurles atteintes aux droits de l’hom-mecommisesenTurquiepourfai-retairelemouvementdecontesta-tion. Mercredi 16octobre, StefanFüle, le commissaire chargé del’élargissement, devrait, quant àlui, publier un rapport plutôtnuancé sur la situation politiqueet démocratique du pays. Sonobjectif est de ne pas compliquerdavantage la relance des négocia-tionsd’adhésiond’Ankaraà l’UEetl’ouverture d’un nouveau chapi-tre bloqué depuis desmois – celuiportant sur la politique régionale.

Une décision de principe en cesens avait été prise en juin, maisl’ouverture des négociations enbonne et due forme avait dû êtrereportée in extremis en raison delacrisepolitiqueturque.Encampa-gneélectoraledanssonpays,Ange-la Merkel ne voulait pas entendreparler d’une telle initiative surfond de manifestations et derépressionà Istanbul.

Alors que les négociations d’ad-hésion piétinent depuis desannées, la récente crise politique acompliqué davantage encore lesrelations entre la Turquie et lesVingt-Huit. Cesderniersontmulti-plié les critiques à l’égard du gou-vernement de Recep Tayyip Erdo-gan,dont le comportementrépres-sif à l’égard des manifestants les abeaucoupchoqués.«Notredevoiràtous, les membres de l’Union euro-péenne comme les pays candidats,est d’aspirer aux plus hauts stan-dards et pratiques démocratiques,avait commenté M.Füle, lors d’undéplacement en Turquie : lerecours excessif à la force n’est pasacceptable dans une telle démocra-tie.» Le gouvernement turc avaitaussitôtexigé«desexplications». Ils’étaitensuiteoffusquéd’uneréso-lution très critique du Parlementeuropéen, qui mettait M.Erdoganpersonnellement en cause dansl’usage excessif de la force par lesautorités turques. «Vous vous pre-nez pour qui ? Avec quelle audaceosez-vous adopter une telle déci-sion?Nousnereconnaissonspas lesdécisions européennes sur la Tur-quie», avait alors lâchéM.Erdogan.

Depuis, le gouvernement turc atout fait pour canaliser, à défautd’étouffer, le mouvement de pro-testation. Les manifestations sontdevenues plus sporadiques. Le30septembre,M.Erdoganaprésen-té un «paquet démocratique»plu-tôt salué par les Européens. Dans

son rapport annuel sur les pays del’élargissement, la Commissioneuropéenne devrait prendre acte,mercredi 16octobre, de ces annon-ces.«Cesmesuresdoiventêtrepréci-sées avec la participationdes partisd’opposition, et il faudra voir com-ment elles seront appliquées», dit

un haut fonctionnaire. Le docu-ment, en cours de finalisation àBruxelles, devrait revenir sur lesrécents événements, mais il sera«équilibré», prévient-on, ne cher-chant pas à prendre partie pourl’un ou l’autre camp. Ses conclu-sions guideront les discussionsentre ministres européens le22octobre,avantquechefsd’Etatetde gouvernement n’abordent lesujet de la Turquie, lors du Conseileuropéendes 24et 25octobre.

«Le climat doit changer, il esttempsde faireungeste constructif,dit unhaut diplomate, il nous fautmaintenir un levier pour encoura-ger lesréformesenTurquie.»Aprèsla réélection de MmeMerkel, l’Alle-magne est prête à aller de l’avant.Mais le blocage pourrait cette foisvenir des Pays-Bas, qui ont expri-mé des réserves ces derniers jourset sont traditionnellement trèsréservés à l’égard de l’élargisse-ment, qu’il s’agisse de la TurquieoudesBalkans.«Legouvernement

néerlandais va devoir convaincreson Parlement, ce n’est pas gagnéd’avance», observe-t-on du côtéfrançais.

Depuis l’ouvertureofficielle desnégociations, en 2005, 13 chapitressur 35ont été ouverts et plusd’unedouzaineétaient jusqu’ici bloqués,soit par la France, soit par Chypre.Les Européensontde surcroît déci-dé de ne clore aucun des chapitresouverts tant que la Turquie nereconnaîtra pas Chypre, dont elleoccupe la partie nord. Le volet«politique régionale» est l’un descinq bloqués par Nicolas Sarkozypendantsonmandat.FrançoisHol-lande avait fait savoir en févrierqu’il était prêt à assouplir la posi-tion de la France, afin d’apaiser lesrelationsavecAnkara.

Pour le chef de l’Etat, commepour la plupart des Européens, ilest grand temps de redonner unpeu de dynamisme aux négocia-tionsd’adhésionàl’heureoùlegou-vernement Erdogan ne cache pas

safrustration.«Larelancedesnégo-ciationsdoit permettrededétendreun peu les discussions stratégiquesavec les Turcs, qu’il s’agisse de laSyrie, de l’OTAN,de leur rôle dans laMéditerranée,d’énergieoud’immi-gration», justifieundiplomate.«Ace jour, ce genre de discussion estentravéparlequasi-geldesnégocia-tionsd’adhésion», ajoute-t-il.

Fin janvier, le premier ministreturc avait même suggéré que sonpays pourrait privilégier, faute deprogrèsavec lesEuropéens,unrap-prochementavecl’Organisationdecoopération de Shanghaï, emme-néepar laChineet laRussie.Desoncôté, lenégociateuren chefducôtéturc, Egemen Bagis, ne croit plusvraiment à une adhésion pleine etentière de la Turquie. A terme, sonpays,suggère-t-il,devraitaumieuxse trouverdansunesituationcom-parable à celle de la Norvègevis-à-visde l’Unioneuropéenne…

La relance du processus d’adhé-sionrisque,néanmoins,deheurter

les défenseurs de droits de l’hom-me. Amnesty International pourl’Europe et l’Asie centrale vient depublierun rapport accablant sur larépression lors des protestationsdeTaksim.«Dansaucunautrepaysmembre du Conseil de l’Europe, aucours des dix dernières années, desmanifestations n’ont été confron-téesàuneviolenced’une telle échel-le», dit John Dalhuisen, responsa-ble de l’ONG. Les chiffres sont élo-quents:6morts,plusde8000bles-sés,5000arrestations,130000car-touches de gaz lacrymogène tiréespar les forces de police antiémeuteenvingt jours.

«Le droit de se réunir pacifique-ment a été systématiquementbafouéet lesviolationsdudroità lavie, à la liberté,ànepasêtre torturéet maltraité ont été nombreuses»,estimeAndrewGardner, spécialis-tedelaTurquieàAmnestyInterna-tional.p

PhilippeRicardavecGuillaumePerrier (à Istanbul)

IstanbulCorrespondance

Traversépar les promeneurs etquadrillé par les policiers en civildéguisés en vendeurs ambulants,le parcGezi est calmeen cedébutdumois d’octobre. Lesmanifes-tants ontdéserté la place Taksim,boucléepar un impressionnantdispositif policier.

Depuis la rentréede septem-bre, les rassemblements contre legouvernementdeRecepTayyipErdogansont sporadiques: uneoccupation sur le campusd’uneuniversitéd’Ankarapourprotes-ter contre la constructiond’uneautoroute, des barricades érigéesdansdifférents quartiers d’Is-tanbul après lamort d’unmanifes-tant àAntioche,mi-septembre…Levent deGezi souffle encoreparbourrasquesdans les stades defootball ou dans certainesuniver-sités, où le pouvoir tented’impo-ser sonordre.

Certes, lemouvementdecontestationapparu finmai a per-dude son intensité. «Mais il suffit

d’une étincelle pour que toutreparte, tous lesmotifs dumécon-tentementdemeurent d’actuali-té», prévient Selma, une architec-te investie dans les rassemble-ments dumois de juin. Le pre-mierministre et ses diatribesheb-domadaires contre lesmanifes-tants et contre l’oppositionn’ontrien fait pour calmer les esprits.Le Parti pour la justice et le déve-loppement (AKP, islamo-conser-vateur) aupouvoir est déjà tour-né vers les électionsmunicipalesdemars2014, qui constituerontpour lui un test de popularitéimportant, notamment àIstanbul.

En révélant, le 30septembre, lecontenude son «paquet démocra-tique», une série de réformesattenduespour débloquer le pro-cessusdepaix avec le Parti des tra-vailleursduKurdistan (PKK, indé-pendantiste) et pour apaiser lestensions avec lesminorités,M.Erdoganavait l’occasionderépondre aux revendicationsquela société turque a exprimées auprintemps sur la place Taksim.

Lapresseprogouvernementalea saluéune«révolution silencieu-se». L’annoncea surtoutdéçu lesprincipauxconcernés. Lamouvan-cekurdeprocheduPKKa ainsi cri-tiqué lemanqued’audacedeM.Erdogan. L’enseignementde lalanguekurdeà l’école sera autori-sé seulementdans les établisse-mentsprivés etundébat sur le sys-tèmede représentationparlemen-tairequi désavantage lespetitspartisdevrait être ouvert.Desavancéesbien tropmaigrespourconvaincre lesKurdesde la volon-téd’Ankarade relancer le dialogueavec la guérilla. Pasunmot ausujet desmilliers deprisonnierspolitiques jugéspour terrorisme.

Les communautésalévies, quiréclament la reconnaissance léga-le de leurs lieuxde culte, les ceme-vi, n’ont, elles aussi, rienobtenu.M.Erdogann’est pas revenunonplus sur sa décisionde baptiser lenouveaupont sur le Bosphore, àIstanbul, dunomdu sultanSelimIer, dit « le Cruel» pour avoirfaitmassacrer 30000alévis consi-dérés commehérétiques, au

XVIesiècle. Inquiets de voir lasociété turque s’islamiser sousl’influencede l’AKP, les alévis ontpris unepart prépondérantedanslesmanifestationsde Taksimet larévolte couvedans les quartiersles plusmilitants d’Istanbul.

La principalemesure annoncéeparM.Erdogan, la liberté depor-

ter le voile dans la fonctionpubli-que – exception faitede l’armée,la police et la justice – n’a fait querenforcer les inquiétudes. Par cegeste envers son électorat le plusconservateur, le premierministrea rappelé ses priorités.«Nemeparlezpas depaquet démocrati-que; c’est unpaquet électoral», alancé le principal opposant,

KemalKiliçdaroglu,dirigeant duParti républicaindupeuple (CHP,kémaliste). L’appareil de l’AKP estenordre demarcheàmoinsde sixmois du scrutinmunicipal.

Depuis l’irruptiondumouve-mentde contestation, le premierministren’a cessé de répéter quela démocratie se jouait dans lesurnes, où il excelle depuis dix ans.Dans ce contexte, la bataille pourlamairie d’Istanbul sera la plusobservée.M.Erdogan, ancienmai-re (1994-1998), reste déterminéàgarder lamain sur la gestiondel’agglomérationet de ses 15mil-lionsd’habitants qui lui ont servi,il y a quinze ans, de tremplinnational. L’actuelmaire, KadirTopbas, l’unde ses fidèles, devraitêtre désignépar sonmentor pourtenter de décrocherun troisièmemandat.

Face à lamachinebien rodéeduparti aupouvoir, l’oppositiondegauchevoudrait capitaliser surlemouvementde contestationpour tenter de ravir lamunicipali-té.MustaphaSarigül, lemaireindépendantde Sisli, un arrondis-

sement central d’Istanbul, se ver-rait bien endosser le costumed’hommeprovidentiel.Mais lesecrétairegénéral adjoint duCHP,Gürsel Tekin, s’est lui aussi décla-ré candidat et a critiqué la discré-tiondeM.Sarigül aumomentdel’occupationduparcGezi.

Des divisions internesquiréduisent les chancesde victoirepour l’oppositionet contribuent àson impopularité. A l’AKP, aucontraire, onne voit qu’une seuletête. Sur la façadede l’hôtel de vil-le, le portrait géant deM.Erdogandonnedéjà le tonde la campagneà venir.

«Partout lemétro, dans toutesles directions, lemétro», clame l’af-fiche, qui s’étale dans toute la villepourvanter les investissementsréalisés ces dernières années surles réseauxde transports. Ce slo-ganest aussi unpieddenez auxmanifestantsqui dénonçaient auprintemps le développement fré-nétiqueet irraisonnéd’Istanbul etqui scandaient: «Partout Taksim,partout l’occupation.»p

Gu. P.

«Ilnousfautmaintenirunlevierpourencourager lesréformesenTurquie»

Unhaut diplomateeuropéen

L’UEembarrasséeparlarépressionenTurquieBruxellescherchelesmoyensderelancer leprocessusd’adhésiondelaTurquieà l’Unioneuropéenne

Lepouvoirturcsoignesonélectoratconservateuràl’approchedesmunicipales

Lepremierministren’acesséderépéterqueladémocratiesejouaitdans

lesurnes,oùilexcelledepuisdixans

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Page 3: Le Monde - 11 Octobre 2013

international

L’OIACdemandedes cessez-le-feu

L e gouvernement libyen s’estréuni en urgence jeudimatin10octobre, non sans avoir

appelé les « citoyens au calme»après l’annonce sur son site Inter-net de l’enlèvement, quelques ins-tantsplus tôt, enpleincœurdeTri-poli, du premier ministre Ali Zei-dan par un commando armé. «Lechef du gouvernement de transi-tion a été conduit vers une destina-tion inconnue pour des raisonsinconnuesparungroupe»,ontindi-quélesautoritéslibyennesdansunbref communiqué.

Cette opération spectaculaireintervient après la capture, cinqjours plus tôt, d’Abou Anas al-Libi,ex-membre d’Al-Qaida, par les for-cesspécialesaméricaines,quiapro-voquédevives réactionsenLibye.

A l’aube, jeudi, des hommesarmés ont fait irruption à l’hôtelCorinthia, un luxueux complexesitué à Tripoli sur le front de meroù Ali Zeidan réside, commed’autres membres du gouverne-ment et des diplomates étrangers.Le premier ministre libyen a étéaussitôtembarquédansunevoitu-re, sous le regard sidéré desemployés. «Un grand nombred’hommes armés sont entrés dansles lieux. Mais nous n’avons riencomprisàcequisepassait»,adécla-ré l’und’eux, selondespropos rap-portés par l’AFP. Une photo, nonauthentifiée, a commencé à circu-ler sur les réseaux sociaux mon-trantlepremierministreenchemi-sebeigeentourédedeuxhommes.

Sur son site, le gouvernementlibyen a immédiatement fait partde «soupçons» concernant deuxbrigades d’anciens rebelles, la«ChambredesrévolutionnairesdeLibye» et la «Brigade de luttecontre lecrime»,quidépendententhéorie desministères de la défen-se et de l’intérieur et qui seraient àl’originede l’enlèvementdeM.Zei-dan. Le conseil desministrespréci-sait dans la foulée «ne pas être aucourant d’une levée de l’immunitéou d’aucun ordre d’arrestation»,avantdemettreengardecontre lesrumeursquisesontaussitôtrépan-

dues. L’une de ces brigades auraitainsi revendiqué sur sa page Face-book «l’arrestation» de M.Zeidansur«ordreduparquet», conformé-ment, selon elle, aux articles rela-tifsaux«crimesetdélitspréjudicia-blesàl’Etat»etaux«crimesetdélitspréjudiciablesà la sûreté»de l’Etat.«Il est en bonne santé» et détenupar une cellule anti-crime, annon-çait peu après l’agence de presseofficielle libyenne.

Entré en fonction en novem-bre2012,lepremierministreAliZei-dan doit faire face, deux ans aprèsla chute du régime deMouammarKadhafi, tué à Syrte en octo-bre2011, à une situationde plus enplustendueenLibyeoùilnesepas-se pas un jour sans que des briga-des d’anciens rebelles ne fassentparlerd’elles, enprenant le contrô-le des sites de production pétro-lierspoursatisfaireleursrevendica-tions.

La situation est encore plusdégradéedans l’Estduterritoireoùdes officiers de sécurité sont la

cible d’attentats. Dans ce contexte,la capture de Nazih Abdel HamedAl-Raghie, alias Abou Anas Al-Libi,soupçonné par Washingtond’avoir participé aux attentatsd’août1998 contre les ambassadesaméricaines de Nairobi (Kenya) etDar es Salaam (Tanzanie), estvenue fragiliser davantage encorele gouvernement libyen en proiedéjà à de grandes difficultés pourasseoir sonautorité.

Accord taciteLesréactionsàlacaptured’Abou

Anas,quise trouveraitaujourd’huià bord d’un navire américain pourêtreinterrogéavantd’êtrejugéauxEtats-Unis, ont en effet été trèsvives en Libye, moins par soutienaudjihadisterentréaupaysen2011après plusieurs années passées enprison en Iran, que par nationalis-me. Sur sa page Facebook, l’anciencodirigeant du Groupe islamiquecombattant libyen (GICL), SamiAl-Saadi,quiavaitété livréen2004par les Américains au colonel Kad-

haficommeplusieursautresoppo-sants, a aussitôt réagi en installantla photo d’Abou Anas et en appe-lant à une manifestation de sou-tien vendredi 11octobre. Les isla-mistes radicaux du groupe AnsarAl-Charia ont évoqué des repré-sailles.

Mercredi,M.Zeidan et le minis-trede la justice,SalahAl-Marghani,qui avait convoqué, la veille, l’am-bassadrice américaine à Tripoli,ontreçul’époused’Al-Raghie,OumAbderrahmane, l’assurant qu’ilsferaient « tout» pour obtenir leretour du «suspect». Les autoritéslibyennes ont cependant eu beauaffirmé avoir été mises devant lefait accompli de l’intervention desNavy Seals, leurmessage n’est paspassé.

Selon le New York Times du9octobre, qui cite des sources offi-cielles américaines anonymes, legouvernement libyen avait tacite-mentapprouvéuneopérationcen-sée rester secrète.p

IsabelleMandraud

AuQatar, leschantiersdeVincisontinterditsauxcurieux

L e gouvernement français etleurs familles ont confirméofficiellement, mercredi

9octobre, l’enlèvement en juin,dans le nord de la Syrie, de deuxjournalistes indépendants fran-çais, Nicolas Hénin, 37ans, et Pier-re Torres, 29 ans. La nouvelle deleurkidnapping, le 22juinàRakka,par un groupe rebelle armé, avaitvite circulé dans lesmilieux infor-més. Mais l’information n’avaitpas été rendue publique jusqu’àprésent,à lademandedesfamilles.

Pierre-Yves Hénin, le père deNicolas, a indiqué avoir reçu com-munication des autorités françai-ses, dans le courant du moisd’août, d’une «preuve de vie» desdeux journalistes enlevés. Enrevanche,«rien n’a été indiqué surleurs lieux et conditions de déten-tion», a-t-ilprécisé,ajoutantqu’«iln’estpascertainqu’[ils]soientenco-re à Rakka».

Les familles et amis de NicolasHéninetPierreTorresavaientpré-féré tenir confidentiel leur enlève-mentjusqu’iciet«privilégierladis-crétion en espérant un dénoue-ment rapide». Mais après plus decent jours de captivité, ils avaientdécidé de rompre le silence pour«adresser unmessage à Nicolas etPierre» et faire en sorte «qu’à leurabsence physique, ne s’ajoute pasl’absence symbolique qu’entraîne-rait un trop long silence». Alorsque les familles pensaient donnerune conférence de presse le week-end prochain, c’est le premierministre, Jean-Marc Ayrault, qui arendu public ces enlèvements,mercredimatin sur Europe 1.

NicolasHénin, journalistepigis-te régulier pour Arte et pour

LePoint, en était à son cinquièmeséjour en Syrie depuis le début duconflit en 2011, et Pierre Torres,photographe, avait déjà travaillédans la région d’Alep lors de l’été2012, notammentpour l’AFP.

Ils préparaient, à Rakka, unreportagesurcettevillepriseà l’ar-mée régulière en janvier2013. Pre-mière capitale de province libéréepar la rébellion, Rakka a rapide-ment été le théâtre de la montéeen puissance de l’Etat islamiqueen Irak et au Levant (EIIL), le grou-pe djihadiste le plus radical pré-sent en Syrie, celui qui compte leplus de djihadistes étrangers,notamment irakiens, maghrébinset venusd’Europe.

Après avoir arrêté l’avocat élupar les habitants à la tête duconseil civil chargé de remplacerla municipalité baasiste, l’EIIL amultiplié les exécutions publi-quesdesoldatsalaouitesoud’ado-lescents chiites, accusés d’aposta-

sie et de collusion avec le régime.L’EIILaaussitentéd’imposerlevoi-leauxfemmesetd’interdirelaven-te de cigarettes, sans succès. Il s’enestpris auxsymboleschrétiensenincendiantdes églises. Cesmétho-des ont fini par provoquer desmanifestationsdeprotestationausein de la population et des com-batsavecd’autresgroupesrebellessyriens. C’est l’Etat islamique quidétiendraitNicolasHéninetPierreTorres, ainsi que le prête italienPaolo dall’Oglio, très engagé dansla révolution syrienne et venu enaoût à Rakka pour tenter unemédiation entre l’EIIL et les autresgroupes rebelles. C’est égalementl’EIIL qui aurait kidnappé troisjournalistes espagnols dans lenordde la Syriedepuis ledébutdumois de septembre.

SelonReporters sans frontières,une quinzaine de journalistesétrangerssontretenusenotageouportésdisparusenSyrie,dontqua-tre Français,NicolasHénin et Pier-re Torres mais aussi Didier Fran-çois, grand reporter à Europe 1, etEdouard Elias, photographe indé-pendant, kidnappés le 6juin dansla régiond’Alep.p

ChristopheAyad

Le premierministre libyen, Ali Zeidan, le 11 septembre, à Tripoli. MAHMUD TURKIA/AFP

D euxsemainesaprès laparu-tiond’uneenquêteduGuardianaffirmantque

les conditionsde travail auQatarrelèventde l’«esclavagemoder-ne», l’ambiancereste tenduedanscetémiratdugolfeArabo-Persi-que, censéhéberger laCoupedumondede football en2022.Mer-credi9septembre,unedélégationsyndicale internationalea étérefouléed’unchantierde l’entre-priseQDVC,une joint-ventureentreQatariDiar, ladivisionBTPdufonds souverainqatari, et lasociété françaiseVinciConstruc-tion.

Ladizainedemembresde l’In-ternationaledes travailleursdubâtimentetdubois (IBB), venusenquêteràDoha,n’ontpasétéautorisésàvisiter le siteoùQDVCparticipeà la constructiondutramwaydeLusail.Cettevillenou-velle en lisièredeDoha,qui com-menceàsortir des sables, abriterale stadede90000placesoùsedis-putera la finaleduMondial.Après

avoir consultépar téléphonesahiérarchie,un jeune ingénieurfrançaisa expliquéàses interlocu-teurs,venus sans rendez-vousenbonneetdue forme,qu’ilsnepou-vaientpaspénétrer sur le chantier«pourdes raisonsde sécurité». Lajustificationn’apas convaincu lessyndicalistes,qui enamontdeleurarrivéeauQatar, et avantmêmele «coup»duGuardian,avaientpris contact avecVinciConstruction.«Nous lesavonsapprochésparplusieurs canauxetnousnous sommesheurtésàunrefus catégoriquedevisite, affirmeGillesLetort, de laCGT.C’est la rai-sonpour laquellenousavonsdébarquésur le site sanspréve-nir».

LegéantduBTPfrançais, qui arécemmentremportéuncontratpour la constructiondumétrodeDohaet qui espèrese voirattri-buerquelques-unsdesméga-chan-tiersduMondial 2022,n’apasétéle seul importunépar lavisitedel’IBB. Il a falluque lapetite troupe

manifestedevant le siègeducomi-téorganisateurde laCoupedumonde,encriant«FIFAcartonrou-ge», pourquecelui-ci consenteàles recevoir.Uneopérationd’agit-propquidétonnedanscepays, oùles travailleurs immigrés (99%delamain-d’œuvredans le secteurdubâtiment)n’ont ledroitni defairegrèvenide formerdes syndi-cats.

«Conspiration»Enréaction, leprésidentdu

Comiténationalqatari desdroitsde l’homme,AliAl-Merri, s’estdésolidariséde cettemissiond’en-quête,pourtantorganiséepar sesservices.«L’améliorationdesconditionsdes travailleursn’estpas leurobjectif véritable,a-t-ildéclaré.Nous leuravonspris desrendez-vous (…),mais ils veulentvoirn’importequel responsableàn’importequelmoment». A lapla-ceduministredu travail qatari,AliAhmedAl-Khalifi, qui s’estditindisponible, les syndicalistesont

été reçuspar l’unde ses subordon-nés, le sous-secrétaire,HusseinAl-Mollah.Celui-ci, qui avait taxéles accusationsduGuardiande«conspiration», a assuréà sesinterlocuteursque les entreprisesprésentesauQatar respectaient«à99% le codedu travail», ajou-tant«nous intervenons lorsque letravailleurdéposeuneplainte».Desdéclarationsquiont fait souri-re lesouvriers indiensetnépalaisréunismercredisoirpar l’IBB,dans l’arrière-salled’unrestau-rantdeDoha. Logementsexiguset insalubres,passeportsconfis-quéspar l’employeur,accidentsdutravail ignorés,primesnonver-sées?Dequoi remplirun immen-se cahierdedoléances. Jeudi, lesenquêteursde l’IBBdevaientvisi-ter le sitedeMsheireb,unautrechantierpharaonique,pilotéparl’entrepriseaustralienneBrook-field,qui, a jugéplusopportundeleurouvrir sesportes. p

BenjaminBarthe(Doha, envoyé spécial)

L’Organisation pour l’interdic-tion des armes chimiques(OIAC), chargée de superviser ladestruction de l’arsenal chimi-que enSyrie, a appelé,mercredi9octobre, à des cessez-le-feutemporaires afin que ses inspec-teurs puissent effectuer leurmission dans les délais impartispar la résolution 2118 duConseilde sécurité de l’ONU.Sur le terrain, plusieurs dizainesdemembres des forces loyalis-tes ainsi que des rebelles ont ététuésmercredi dans de violentscombats au sud deDamas, oùl’armée syrienne a effectué uneavancée, selon l’Observatoiresyrien des droits de l’homme(OSDH).– (AFP.)

Leministre britannique des affai-res étrangères,WilliamHague, aappelé, jeudi 10octobre, à cequ’on libère immédiatement lepremierministre libyen, Ali Zei-dan, enlevé cemême jour àl’aube à Tripoli par un groupearmé.«Je condamne l’enlèvement dupremier ministre libyen à Tripolice matin et appelle à sa libéra-tion immédiate», a déclaré

WilliamHaguedansun communi-qué.«Notre ambassadeur est encontact avec d’autres membresdu gouvernement de transition.Sauvegarder le processus detransition politique en Libye estvital. Le gouvernement et le peu-ple libyen ont notre soutien totalen ce moment préoccupant», aajouté leministre britanniquedes affaires étrangères– (AFP.)

LepremierministrelibyenenlevépardeshommesarmésàTripoliLacaptured’AliZeidan intervientcinq joursaprèsunraidaméricaincontroverséenLibye

Lesdjihadistesontmultiplié,àRakka, lesexécutionspubliquesdesoldatsalaouitesoud’adolescents

chiites

Londres appelle à la libération immédiate d’Ali Zeidan

ConfirmationdukidnappingenSyriededeuxjournalistesfrançaisenjuinNicolasHéninetPierreTorresontétéenlevésle22juin, àRakka,parungroupedjihadiste

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international& planète

ANNONCE DE L’APPEL A PROPOSITIONS DU PROJET FI-CONTENT 2Le projet FI-CONTENT 2, soutenu financièrement par la Communautéeuropéenne dans le cadre du programme Partenariat Public-Privé sur l’Internetdu Futur (FI-PPP), recherche de nouveaux partenaires, afin d’enrichir les troisplateformes applicatives en cours de construction dans le projet :‘Social connected TV’, ‘Smart City Services’ et ‘Pervasive Games’.Tous les détails sur cet appel à propositions sont disponibles à l’adressehttp://mediafi.org/open-call/ .

APPEL D’OFFRES - AVIS D’ENQUETE01.49.04.01.85 - [email protected]

BangkokCorrespondant régional

A près la « défection » deBarack Obama, retenu àWashington en raison de la

crise budgétaire américaine, laChine n’a pas eu de mal à se voirattribuer le rôle principal lors desdifférents sommets régionaux etinternationaux qui se sont tenuscette semaineenAsie duSud-Est.

Pour les pays de la région, dontles sentiments à l’égardde lamon-tée en puissance chinoise restentmitigés, l’absence de Barack Oba-ma, après les atermoiementsde cedernier à propos de la Syrie, estvenueporter le doute sur la réalitéd’unevolontéaméricainedevérita-blementseréengagerenAsieaprèslaparenthèseBush,quiavait large-ment ignoré ce continent.

Washington est-il vraiment unallié sur lequel on peut compter,s’interrogent certains en Asie duSud-Est au vu de ce qui est perçucomme une difficulté de la partd’«ObamaII» de prendre des déci-sions fermeset de s’y tenir.

Le sommet des pays membresdu Foruméconomiquepour l’Asiepacifique (APEC) s’est achevé,mar-di 8octobre, à Bali, en Indonésie. Ilest suivi par la rencontre annuelle,mercredi, des dix chefs d’Etat et degouvernement des membres del’Association des Nations de l’AsieduSud-Est(Asean)dansl’émiratdeBrunei. Puis, jeudimatin, toujoursdans l’émirat, le sommet de l’Asiede l’Est réunit, comme chaque

année, les Russes, les Américains,les Japonais et les Chinois avecleurs homologues de la région. Lasemaine diplomatique a été char-gée et l’annulation de la venue deBarack Obama, remplacé par lesecrétaire d’Etat John Kerry, a étéamplementcommentée.

Barack Obama a d’autant plusbrillé par son absence que sonhomologue chinois, Xi Jinping,vient juste de visiter deux paysclefs de la région, l’Indonésie et laMalaisie.S’adressantauparlementindonésien, M.Xi, également chefduParticommunistechinoisapro-mis, jeudi 3octobre, que le mon-tant des échanges commerciauxde la Chine avec l’Asean devraitmonterà1000milliardsdedollars(740541678euros) d’ici à 2020.

Déjà, tous lespaysde larégion,àl’exception des Philippines, ont laChinecommepartenaireéconomi-que numéro un. Le lendemain àKualaLumpur,capitaledelaMalai-sie, le dirigeant chinois a réitéré,par ailleurs, le souhait de Pékin de« soutenir le rôle central del’Asean». La plupart des pays del’Asie du Sud-Est voient la placeoccupée désormais par la Chine àla fois commeune aubaine et unemenace.

LaMalaisie, le Vietnam, les Phi-lippines et Brunei –sans parler deTaïwan– sont en effet en conflitavec la Chine sur des questions desouveraineté d’archipels situésdans lamer de Chine du sud. Poureux, le «parapluie» américain etl’annonce, durant le premierman-

datdeBarackObamadefaire«pivo-ter» la capacité maritime de l’USNavy de 60% en Asie, a constituéun gage de sécurité régionale. Cet-testratégieviseàaugmenterlapré-sencemilitaire américaine dans larégion en déployant les navires auplus près de la zone d’opérations,etainsiéviter lesdeuxsemainesdetraverséedepuislacôteouestamé-ricaine.

Désormais, Washington neparleplusde«pivot»maisde«réé-quilibre»etlacrisebudgétaireamé-ricaineetsesconséquencesinquiè-

tent les dirigeantsde l’Asean. PourSimon Tay, président de l’Institutdes relations internationales deSingapour, « la décision d’Obama[d’annulersavenueauxsommets]pourrait être le signal de ladisloca-tion des promesses du "pivot"».Charles Morrison, président duEast-WestCenter d’Honolulu, esti-me que cet « épisode [la crisebudgétaire] pose la question desavoirsi lesystèmepolitiqueaméri-cain fonctionnevraimentbien et siles Etats-Unis sont capables demaintenir une position de lea-dership».

La façon dont les Chinois ontjoué la carte de la modération aucoursdes sommets, cette semaine,auraétécommelependantàlaper-ceptiond’une supposéeperted’in-fluenceaméricaine.ABrunei,mer-credi, Pékina remisé sonagressivi-té à propos de ses revendicationsterritoriales. «Nous devons tra-vailler ensemble pour faire de lamer de Chine du Sud une mer depaix,d’amitiéetde coopération», adéclaré le nouveaupremierminis-tre chinois LiKeqiang.

Le 4 septembre, M. Li avaitesquissé cette nouvelle approcheen promettant à l’Asie du Sud-Estune «décennie de diamants »,c’est-à-diredeprospéritééconomi-que, après la «décenniedorée»quivient de s’écouler. La Chine avaitpourtant redoublé d’agressivitécontre l’Asean dans les mois quiont précédé l’accession de XiJinpingàlatêtedupartiennovem-bre2012. Les Chinois avaient justi-fié sur le terraindudroit la posses-sionde cette «marenostrum».

Mais les moments de tensionorchestrés par Pékin suivent descycles, augrédes initiativesaméri-caines et des besoins de politiqueintérieure. L’heure semble pourl’instant à l’apaisement en Asie duSud-EstalorsquelaChinefaitmon-ter les enchères avec le Japon enAsie du Nord-Est. Tokyo et Pékinrevendiquent la souveraineté surles îles de Senkaku –appeléesDiaoyupar lesChinois. p

BrunoPhilip(avecBrice Pedroletti à Pékin)

EnAsie, la«désaffection»deWashingtonprofiteàPékinLacrisebudgétaireaméricaineet sesconséquences inquiètentplusieursdirigeantsde l’Asean

Reportage

Iwaki (Japon)Envoyé spécial

L e rendez-vous a eu lieu dansun endroit discret, loin desregards, comme il l’avait

demandé. Parler à des journalistesest risqué : les employeurs sontnerveux et pourraient en faire unprétexte de licenciement. «C’estcomme pour les accidents du tra-vail, il y a une solidarité collective:sicen’estpastropgrave,onlesdissi-mule pour ne pas avoir d’ennuiaveclesassurancessociales», expli-que l’un des « liquidateurs» de lacentrale nucléaire de Fukushima,chargésdesécuriseretdedémante-ler le site.

La trentaine, il travaillait com-meemployéd’uneentreprisesous-traitante à la centrale aumomentde l’accident qui suivit le tsunamidu 11mars 2011. Puis, le contrat desonentreprisen’apasétérenouve-lé. Il vient de reprendre le travailsur le site. «La situation des tra-vailleurs s’est améliorée pour lasécurité,mais leniveaude salaireabaisséet il yademoinsenmoinsdepersonnes qualifiées», confie-t-il,demandant que son nom ne soitpasmentionné.

«La qualité du travail laisse àdésirer car la direction demanded’aller plus vite,mais les gars n’ontpasd’expériencesuffisante.Parfoisils ne connaissent même pas lenom des outils », commente uncontremaître d’une entreprised’inspectiondelaradioactivitéquia une cinquantaine d’ouvrierssoussesordres.«Leséquipeschan-gent souvent. Il y a une rotationobligatoire parce que les ouvriersqui ont reçu le taux d’irradiationmaximumpourl’année,50millisie-verts [la norme internationale estde20mSv/anpour les travailleurs

du nucléaire], doivent quitter lazonemais d’autres partentpréma-turément parce qu’ils s’estimenttropmal payés. Si on ne forme pasrapidement des ouvriers qualifiéset sûrs, on ne pourra pas aller plusviteetfairedubontravail.Onman-que même de chef d’équipe quali-fié. Les travaux sont souvent défec-tueux et bâclés.»

Ces carencesexpliquentenpar-tie les fuites d’eau contaminéequise sont multipliées ces derniersmois.Nos interlocuteurs sourient.«Les fuites? Elles existaient depuislongtemps, mais on n’en parlaitpas. Cen’est qu’après les sénatoria-les de juilletque les grands médiasles ont révélées!»

Même les employés directe-ment embauchés par Tokyo Elec-tricPowerCompany(Tepco), l’opé-rateur du site, quittent l’entrepri-se en raison de l’insuffisance dessalaires et des primesde risque oudu non-paiement des heures sup-plémentaires. «La centrale man-quedebras. Il y aunmillierd’offresd’emploi dans la préfecture deFukushima: à peine un quart deces emplois sont pourvus», précisele directeur adjoint de l’agenced’emploi d’Iwaki. Les travaux dedécontamination moins dange-reux et la perspective des JeuxolympiquesdeTokyoen2020drai-nent de la main-d’œuvre ailleursquevers la centrale accidentée.

Ils sont un peu plus de 3000 àtravailler à la centrale : 1 400vivent à J-Village – Japan FootballVillage, un complexe sportif deTepco transformé en centre d’ac-cueil des ouvriers – et les autres,environ 1600, aux alentours dansdes auberges ou des logementsprovisoires construits sur des par-kings devant lesquels, le soir, sontalignés les minibus qui les amè-nent et les ramènent à J-Village. Ilsen repartent pour le site, à une

dizainedekilomètres,etenrevien-nentpar navette spéciale.

Une partie des liquidateurssont originaires de la région – par-fois, ce sont des agriculteurs chas-sés de leur exploitation située enzone contaminée. Les autres vien-nent des quatre coins du Japon,mêmed’Okinawa–àplusde2000kilomètres au sud. L’embauches’opère à travers une cascade desous-traitants: sixàhuitéchelons,selon les catégories de travail.

«Pourlestroispremiers, lessous-traitants directs de Tepco qui sontde grosses entreprises, on peutsavoir comment sont effectuées lesembauches,maisauxéchelonsinfé-rieurs,c’esttrèsdifficile», commen-te Hiroyuki Watanabe, conseillermunicipal communiste à Iwaki,qui a organisé un service deconseil pour les employésà la cen-trale. «On a l’impression que leJapon, pays technologiquementavancé,utiliselesméthodeslesplussophistiquées, avec ses robots, à lacentrale accidentée,mais la réalitéestdifférente.Onutilisesouventdu

matérielancien, carunefois conta-miné, il devient inutilisable».

Les personnels lesmoins quali-fiés ne bénéficient pas de protec-tion suffisante et sont victimes de«ponctions» sur leur salaire parles intermédiaires par lesquels ilssont passés pour être embauchés.Aufinal, ilsne touchentque6000

yens(45euros)parjour.«Lesentre-tiensavec les travailleurssont révé-lateurs d’un mécontentement etd’une inquiétude latente de ceuxqui sont les plus exposés. Certainsessaient de tricher avec la limited’expositioncumulativeauxradia-tions pour continuer à travailler leplus longtemps possible», expli-

que M.Watanabe. Ils cachent leurdosimètredansun lieupeu conta-minépourdiminuerleniveaud’ir-radiation enregistrée au coursd’une journée.

Des entreprises voudraientabaisser la limite de 50 à 20mSv/an, «mais les ouvriers refu-sent, car ils veulent du boulot. Enmême temps, ils sont amers, car ilsse sentent ignorés du reste dupays.Tokyo est indifférent à leursort», poursuit M.Watanabe. AuJ-Village sont affichées des lettresde lycéens envoyées de tout lepayspour les encourager.

L’époquedesbons salairesdansl’affolement de l’année qui suivitla catastrophe avec l’afflux de tra-vailleurs et, dans leur sillage, desbarsàfillesdanslesvillesalentour,est révolue. Les travailleurs de lacentrale restent cloîtrés dans lesdortoirs en préfabriqué de leursentreprises ou dans les aubergesde la région. Des villes mortes,comme Hirono, à une dizaine dekilomètres au sudde la centrale.

Evacuée, lapetiteville a été rou-

verte en août2012. C’est le dernierarrêt de la ligne de chemin de ferallant vers le nord, qui est inter-rompue.Unmillierd’habitantsestrevenusur les5800avant la catas-trophe. Les écoles sont vides. Laplupart des maisons fermées, lesrideaux de fer des magasins bais-sés. Endébutde soirée, la rueprin-cipale est faiblement éclairée,morose. Seule enseigne lumineu-se : celle du bistrot Maehama. Lapetite salle au premier est quasivide. «On a perdu les habitués,déplore le patron. Les travailleursne viennent pas. Ils achètent dequoimanger dans les supérettes lelongde la nationale.»

Les liquidateurs vivent dans lesmaisons louéespar despropriétai-res qui ne veulent plus y habiter.On ne les voit qu’à l’aube et en finde journée monter et descendredesminibus.Ledémantèlementdelacentraleprendrasansdoutequa-rante ans: il faudra desdizainesdemilliersde«soutiers»commeeux,– invisibleset vulnérables.p

PhilippePons

Fukushima:dansl’enferdes«liquidateurs»Lesouvriers chargésdedécontaminer lesitenucléairesontmalpayéset sous-qualifiés

RUSSIE

UnopposantcondamnéàuninternementpsychiatriqueMOSCOU.Unopposant russe,Mikhaïl Kossenko, a été condam-né,mardi 8septembre, àMoscou, à un traitementpsychiatriquepour sa participationàunemanifestationcontreVladimir Pouti-ne en 2012.M.Kossenko, qui souffred’une schizophrénie légère,a été reconnucoupable de violences contre les policiers etcondamnéàun internementpsychiatrique indéfini. Ce verdictrappelle«les pires excès de l’époque soviétique, lorsquedes dissi-dents étaient placés dans des hôpitauxpsychiatriques et traitéscommedesmaladesmentauxparce qu’ils avaient osé exprimerleur opinion», selon l’ONGAmnesty International.– (AFP.)p

Moscou accuse lesmilitants deGreenpeaced’«autres crimes graves»MOSCOU. LaRussie a annoncé,mercredi 9octobre, préparer denouvelles inculpationspour «crimesgraves» à l’encontrede cer-tains des 28membresdeGreenpeace arrêtés et emprisonnés,avecdeux journalistes, après avoir tentéd’aborderuneplate-for-mepétrolièredeGazpromdans l’Arctique. Lesmilitants écologis-tes encouraient déjà quinze ansde détentionpour «piraterie engroupeorganisé». Le comitéd’enquête russedit avoir trouvé«des produits stupéfiants» à borddunavire arraisonné. –(AFP,Reuters.)

BelgiqueL’ancien premierministreWilfriedMartens est décédéBRUXELLES. L’ancienpremierministre belge et présidentduPar-ti populaire européen,WilfriedMartens, estmortdans la nuit dumercredi9 au jeudi 10octobre à l’âge de 77 ans. Né le 19avril 1936,il fut premierministre de 1979 à 1992, sauf pendanthuitmois en1981. Il a participé à l’évolution fédérale de la Belgique. –(AFP.)

Touslespaysdelarégion,àl’exceptiondesPhilippines,ontlaChinecomme

premierpartenaireéconomique

«Laqualitédutravaillaisseàdésirer.

Parfois, lesouvriersneconnaissentpaslenomdesoutils»

Uncontremaître

Une équipe d’ouvriers revenant en bus du site de la centrale de Fukushima-Daiichi, le 12mars. HITOSHI KATANODA/POLARIS

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international& sciences

T rois pionniers de méthodesdésormais incontournablesdans tous les laboratoires

académiques ou industriels ontreçu, mercredi 9octobre, le prixNobel de chimie. Martin Karplus(83ans), desuniversitésd’Harvardet de Strasbourg, Michael Levitt(66 ans), de l’université Stanford,et AriehWarshel (73 ans), de l’uni-versité de Californie du Sud à LosAngeles, ont développé parallèle-mentdes techniquesdemodélisa-tion desmolécules permettant decomprendre les réactions chimi-ques, mais aussi de prévoir leseffets de composés n’existant pasencore.

Les outils de modélisation desgrosses molécules biologiquesdéveloppés par les trois lauréats«sontdevenus toutà fait indispen-sables, que ce soit pour les recher-ches les plus fondamentales sur lesmécanismesintimesdesmoléculesbiologiques ou pour l’industriepharmaceutique, confirme Jean-Marie Lehn, Prix Nobel de chimie1987, qui a ouvert la porte de sonInstitut de science et d’ingénieriesupramoléculaires (ISIS) à Stras-bourg à Martin Karplus. Pouressayer de mettre au point desmédicaments de façon dirigée, etnon en passant au crible desmolé-cules de manière aléatoire, il fautd’abord modéliser leur conforma-tion et voir quelles molécules peu-vent s’y lier pour activer ou inhiberdes processus biologiques.»

«L’apprentissage de ces outilsfaitpartiedubagagequetout ingé-nieur chimiste doit désormaisavoir»,poursuitCarloAdamo,pro-fesseurdechimiethéoriqueàl’Eco-le nationale supérieure de chimieParistech. Modéliser le comporte-ment d’objets de plusieurs mil-liers voire centaines de milliersd’atomes dans des enzymes, desprotéines,de l’ADN…n’estpasaisé.Même avec des superordinateurs.Les trois lauréats ont montrécependant comment y parvenir.L’idéeestdeséparerdanscesmolé-cules ce qui relève de la réactivitéchimique proprement dite et del’environnement autour de cessites réactifs.

Le premier aspect relève de lamécanique quantique, seule àmême de décrire le comporte-ment des électrons dans les ato-mes. Mais les calculs sont viteimpossibles. Le second s’intéresseàdesensemblesd’atomesdansles-quels s’appliquent les lois de laphysiqueclassiquetenantcompte

de toutes les forces en présence.C’est moins précis que la mécani-que quantique mais les calculsdeviennent faisables.

Lacombinaisondesdeuxéchel-les nécessite tout de même dessuperordinateurs. «C’est très utilecar, dans certaines réactions, desformes intermédiaires apparais-sent trop brièvement pour êtreaperçues. Avec la simulation, nousavons le détail de ces étapes», indi-queMarcDelaruede l’InstitutPas-teur.«Ladynamiqued’unemolécu-leestcequifait le lienentresastruc-ture et sa fonction», précise MarcCecchini, qui travaille à l’ISIS avecMartinKarplus.D’oùl’importancedeces simulationspour suivrepasà pas les changements de forme

moléculaire.Michaël Levitt a ainsiété lepremierà calculer la structu-re d’une protéine en 1969. Il avaitfait ses armes quelques annéesplus tôt dans lemême laboratoirequ’AriehWarshelenIsraëlà l’Insti-tut Weizmann. Puis il a rejoint àCambridge le groupe de MartinKarplus, avant de fonder le sien àStanford. Les trois groupes ontalorsmultiplié les premières danscedomainenouveau.

Ces théoriciensde lachimieontautant la bougeotte que les molé-cules qu’ils étudient, ayant tousles trois plusieurs nationalités.Autrichienne et américaine pourMartin Karplus qui a quitté leVieux Continent en octobre 1938.Anglaise, américaine etisraëlienne pour Michaël Levitt,qui est né en Afrique du Sud.Israëlienne et américaine pourAriehWarshelquiarejointdéfiniti-vement les Etats-Unis en 1976.

« Incontestablement, ils ontouvert ce domaine. Mais celui-cin’est pas encore mûr. Beaucoupd’améliorations sont possibles»,souligneMarc Delarue.

Même des investisseurs se lan-cent. Le département recherchedu groupe financier américainD.E. Shaw développe des pucesd’ordinateursoptimiséespour cescalculs de biologie moléculaire,amenés donc à servir encore long-temps chercheurs et industriels.p

DavidLarousserieetHervéMorin

Cesthéoriciensontautantlabougeottequelesmoléculesqu’ilsétudient

P endantle«shutdown»,cetteparalysiedel’Etat fédéralquidure depuis dix jours, les

famillesdes soldats tués enAfgha-nistan ne perçoivent pas l’indem-nité de 100 000 dollars(74000euros) normalement ver-sée. Faute de disponibilité desfonds,ellesdoiventenoutrepayerelles-mêmes les obsèques. La nou-velle, révélée mardi 8octobre parleNew York Times, a révulsé l’opi-nion américaine dont une partiedoute pourtant de l’utilité de l’ad-ministration.

Le scandale a été tel que BarackObamas’enest dit lui-même« trèsperturbé» et a ordonné d’ymettrefin. Une fondation privée a accep-témercredi d’assurer temporaire-ment l’indemnisation. «Si les élusdu Congrès [qui bloquent le votedu budget] étaient coincés dansune voiture en train de sombrerdans une rivière, je nagerais jus-qu’à la fenêtre, je les regarderaisdroit dans les yeux, et je leur dirais“vous n’avez qu’à couler”», a lâchéle père d’un des six soldats tuésdepuis le début du shutdown.

Deplusenpluspalpable, l’exas-pération de l’opinion reflète uneconséquenceinattenduedelapan-ne de l’Etat : elle fait prendreconscience, en creux, des fonc-tions qu’il assure en temps nor-mal, notamment dans le domainede la sécurité et de la santé

La FEMA, l’Agence fédérale degestion des secours d’urgence, arappelé ses personnels lorsque lecyclone Karen s’est approché descôtes américaines, en septembre.La Food andDrugAdministration,chargée des médicaments, en afait autant depuis qu’une épidé-mie de salmonellose a fait irrup-tion dans 18 Etats, et le Pentagonea réintégré 350000 fonctionnai-res mis au chômage forcé, dontceuxdeladésormaiscélèbreAgen-cede sécurité nationale (NSA).

MêmelesPrixNobelnesontpasimmunisés. Dans le Colorado, lephysicien David JeffreyWineland,Prix Nobel 2012, jugé comme unfonctionnaire «non essentiel», n’apas été réquisitionné. Il est privéderecherchesdepuisquesonlabo-ratoire, le National Institute of

Standard and Technology, est auchômage technique.Dans cet Etat,legouvernementfédéralest lepre-mier employeur avec près de41000salariés.

Les traitements non versés (latradition du paiement chaquequinzainerendcruciale l’échéancedu 15octobre), des chantiers etparcs nationaux fermés, font cou-rirunrisquedeparalysieéconomi-que, redécouvrent les Américains.Quelque 2 200 personnes tra-vaillant pour le parc national duGrand Canyon et les hôtels envi-ronnants sont au chômage et legouverneur de l’Arizona, JanBrewer,aproposé,envain,quesonEtatpaye lepersonnelduparc.Descommerçants manifestent pourprotester. Selon un sondage Pew,48% se disent « très inquiets» et29%«inquiets»parl’impactécono-mique du shutdown; 28% disentenéprouverdesdésagréments.

Mais le gouvernement est-il siindispensable? Des tentatives desubstitution émergent ici ou là.ChrisCox, un artistede 45 ans, ori-ginaire de Caroline du Sud, s’est

présenté au Lincoln Memorial deWashingtonpour tondre la pelou-se et ramasser les déchets. «Demonvivant, jamaisonneverradesordures dépasser de ces poubel-les », a-t-il clamé. Un couple duTexas, JohnetLauraArnold,adon-né 10millions de dollars au pro-

gramme fédéral Head Start, quiaide la scolarisationenmaternelledesenfantsdéfavorisés,pourcom-penser l’absence de fonds publics,permettant à plus de7000enfants de rester à l’école.

Au total, entre 500000 et600000fonctionnaires fédérauxsont contraintsde rester chez eux.Au programme: bricolage, jardi-nage, ménage et parfois déprime.

Lisa Jenkins, 54ans, qui travailleauservice informatiquede l’Agen-ce de protection de l’environne-ment, à Washington, s’occupe deréparer sa résidence secondaire.« J’essaye de rester occupée, maisj’ai hâte de retourner au travail»,assure-t-elle. Sur les réseauxsociaux, chacun raconte ses jour-nées. Sur Twitter, se multiplientles hashtags #DontShutMeDown(« Ne me bloque pas ») ou#Furlough («congés»).

La difficulté à joindre les deuxbouts reste la préoccupation laplus exprimée. Endébut de carriè-re, un fonctionnaire ne gagne pasplus de 40 000 dollars(29600euros) par an. Même siMme Jenkins sait qu’elle sera payéerétroactivement depuis que leCongrès a voté une mesure en cesens, samedi 5octobre, etmême sison mari n’est pas touché par leshutdown,les financesduménagesont très tendues.

Sharon, fonctionnaire desimpôts dans le Massachusetts,continue à travailler car elle faitpartie de la catégorie des salariés

«essentiels». Pourtant, elle devrapatienter avant de toucher sa pro-chaine paye. Elle arrive à s’en sor-tir, mais remarque que plusieursde ses collègues de travail « sontobligés de prendre un crédit enurgence pour payer leurs facturesduquotidien».

La distinction administrativeopérée entre fonctionnaires«essentiels» et «non essentiels»accentue la frustration de ces der-niers. «On peut facilement se sen-tir offensé», reconnaît ShaunO’Connell, qui travaille dans unservice social à New York. Stepha-nie, fonctionnaire fédérale à Den-ver (Colorado), a des sanglots dansla voix en témoignant sur la radiopublique NPR : «Mes parentsétaient employés fédéraux, mesgrands-parents aussi. Le contexteestplusdifficileque jamais. J’ai tra-vaillé dur et longtemps pour deve-nir fonctionnaire du gouverne-ment.Maintenant, jemedemandesi cela en vaut encore la peine.»p

PhilippeBernardavecCorine Lesnes (àWashington)

et Stéphane Lauer (à NewYork)

NobelpourlamodélisationdesréactionschimiquesLesoutilsdeMM.Karplus, Levitt etWarshelsontutilisésdans la rechercheet l’industrie

LesPrixNobelnesontpasépargnés.Tel lephysicienDavid

Wineland,qui, jugé«nonessentiel»,n’apasétéréquisitionné

L’amertumedesfonctionnairesaméricainsauchômageforcéEntre500000et600000salariés sont contraintsderester chezeuxàcausedu«shutdown».Auprogramme:bricolageetparfoisdéprime

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france

P rendre tous les risques pouravoir une chance de s’impo-ser face à Nicolas Sarkozy

dans la perspectivede la présiden-tielle de 2017. Telle est la stratégiesuivie par François Fillon depuisunmois, avant le retour program-méde l’ancienprésident.

Après n’avoir pas exclu le voteen faveur d’un candidat Frontnational, en cas de duel avec le PS,ets’êtreaffichéavecVladimirPou-tine, l’ancienpremierministreten-te aujourd’hui d’imposer un rap-port de forces àM.Sarkozy…en luidéclarant la guerre. Un pari osé àsix mois des municipales, alorsquel’UMPtentedemettreensour-dine les divisions qui la minent,tout en s’efforçant de contenir la

poussée du FN et son emprise surses sympathisants.

«Fillon joue le tout pour le toutcar il se dit que s’il garde son imagelisseetnebougepas, ilvaêtreétouf-fé par Sarko et se retrouver sansmarge de manœuvre», décrypteun filloniste. Dans l’hebdomadai-re Valeurs actuelles, paru jeudi10octobre, le candidat déclaré à laprimairede2016tireàbouletsrou-ges sur son rival. Et lâche: «Je croisque je suismieuxplacé queNicolasSarkozy pour l’emporter en 2017.»«On est de facto en compétition»,avait-il confié deux jours plus tôtau Journal du dimanche, parlantmême d’un affrontement «inévi-table» entre eux.

Le député de Paris s’efforced’installer l’idée d’un duel avecNicolas Sarkozy pour sécuriser saposition de principal rival de l’ex-président.Ilespèreainsimarginali-ser les autres candidatspotentiels,en particulier Alain Juppé qui ledépasse dans certains sondages.«C’est une prise de judo de la partdeFillon:ilveuts’appuyersurlafor-cedeSarkozypourapparaîtreàter-me comme la seule alternative àdroite»,expliqueunprochedel’an-cien chef de gouvernement.

Unmatch à distance s’est enga-gé entre M.Fillon et M. Juppé. Lemaire de Bordeaux, qui n’exclutpas de participer à la course pour2017, a la dentdure contre le dépu-tédeParisdepuissesproposambi-gus sur le FN. Après l’avoir accuséd’avoir commis «une grosse fau-te» de nature à « faire monter leFrontnational»,M. Juppéa fustigéses attaques virulentes à l’encon-tre de M.Sarkozy. «Au lieu de tra-vailler ardemmentauprojet qu’at-tendent nos concitoyens, nousnous complaisons dans leschicayas internes et les rivalités depersonne. C’est désastreux», sedésoleM.Juppé sur son blog,mer-credi. «C’est désormais la surviemêmedel’UMPquiesten jeu», dra-matise-t-il, invitantM.Fillonà«nepas confondre vitesse et précipita-tion».

Le chiraquien, lui, attend d’êtrerééluàBordeauxauxmunicipalesavant d’envisager une candidatu-reàlaprésidentielle.Lereposition-nement de M.Fillon lui ouvre desperspectives: en faisant un pas àdroite, le député de Paris lui déga-ge le créneaude la droitemodéréeà l’UMP. « Ils ont une stratégieopposée,observeunancienminis-tre. Juppé vise l’électorat centristealors queFillonveutattirer les élec-teurs d’extrêmedroite.»

Ce dernier a élargi sa cible élec-torale pour tenter de bousculer lahiérarchie, alors que M.Sarkozyreste de loin le candidat préférédes sympathisants de droite pour2017. Le temps presse pour l’an-cien locataire de Matignon avantle retour de l’ex-président, envisa-géaprès lesélectionseuropéennes

demai2014.«Il lui reste seulementun an pour prouver qu’il peut êtreun meilleur candidat de secondtour que Sarkozy», analyse unex-ministre.

Reste qu’en adoptant le registredela transgression,M.Fillonprendle risque de brouiller son image demodéré et de rassembleur.«Il fautque je me libère. Evidemment, jevais casser un peu de vaisselle»,a-t-il confié au JDD. Pour l’instant,sastratégiederuptureneportepasses fruits. Au contraire… Depuistroissemaines, ilne faitquechuterdansles sondages.Sacotedepopu-larité baisse par exemple de sixpoints dans un sondage BVApublié le 30septembre.

Son repositionnementsèmeentoutcas le troublechezsespropressoutiens (Le Monde du 28septem-bre). Plusieurs d’entre eux, quil’avaient rejoint dans sa bataillepour la présidence de l’UMPcontre M.Copé, ont déjà laisséentendre qu’ils rallieraientM.Sarkozy si ce dernier revenait.C’est notamment le cas des dépu-tés Bernard Accoyer (Haute-

Savoie), Dominique Dord (Savoie)ou Damien Meslot (Territoire deBelfort). « Je préfère encore unBonaparte à un mauvais Pompi-dou», lâche un autre élu déçu parM.Fillon.

Idem pour Christian Estrosi :«Si François Fillon franchit uneligne, bien évidemment c’est au

côté de Nicolas Sarkozy que je metrouverai», a prévenuce sarkozys-te historique, étiqueté filloniste.Mercredimatin, lemaire deNice amême critiqué l’attitude de l’ex-premier ministre. «Arrêtons lesquerelles politiciennes! Occupons-nous des préoccupations des Fran-

çais», a-t-il grogné lors du bureaupolitiquede l’UMP.

Les sarkozystes accusent à leurtourM.Fillonde relancer la guerredes chefs et d’alimenter les divi-sions à droite, en étant unique-mentobnubilépar la présidentiel-le.«Noussommesbien loinde2017et chacun devrait s’en souvenir»,rappelle Brice Hortefeux.Mais lesfidèlesdel’ancienprésidentretien-nent leurs coups. «Pas questionderentrer dans le jeu de Fillon, quiveut pousser Sarkozy sur le champde bataille pour l’entraîner vers lebas, alors que ce dernier doit resterau-dessus de la mêlée», expliquel’und’eux.

En privé, Nicolas Sarkozy semontre très sévère avec sonancien premier ministre, l’accu-sant de fairemonter le FN avec sespropos sur « le moins sectaire».«Fillon a abaissé le pont-levis, cequivapermettreàbeaucoupd’élec-teursdepasserauFN!», a-t-il pestéenpetit comité.

Pour affaiblir François Fillon,Nicolas Sarkozy se montre bien-veillantavec Jean-FrançoisCopéetménage Alain Juppé. Il s’appliqueà garder des relations cordialesavecsonancienministredesaffai-res étrangères. Récemment, il amême confié à des visiteurs qu’ilpréféreraitvoir Juppéseprésenteren 2017 s’il ne pouvait pas revenir.Des propos qui ont suscité la colè-rede…M.Copé,alliédeM.Sarkozy.A l’UMP, les grandes manœuvresse poursuivent.p

AlexandreLemarié

LaurentWauquiezveutremettreencauselesaccordsdeSchengenLAPOLÉMIQUEne faiblit pas surle dossier des Roms. Invitémer-credi 9octobre de l’émission«Questions d’info» sur LCP enpartenariat avec LeMonde, FranceInfo et l’AFP, l’ancienministrechargé des affaires européennes,LaurentWauquiez, s’est pronon-cé pour une remise en cause desaccords de Schengen.«Je pensequ’aujourd’hui l’espace Schengennemarche pas et qu’il faut envisa-ger très sérieusementune sortie»,a-t-il déclaré.

Jusqu’àprésent, lesmembresde l’UMPdemandaientque laRou-manie et la Bulgarienepuissentpas adhérer à cet espacede librecirculationqui compte 26pays. Ledéputé etmaire du Puy-en-Velayvaplus loin. Il estimeque tout lesystèmeest à revoir et plaidepour le rétablissementdes frontiè-res avec certainspaysdu Sud. Ilpointe «des différencesde revenusbeaucoup trop importantes» enEuropeet «unprincipede libre cir-culationnon encadré qui aboutit

à ces situations absurdes oùonprojette sur les routes d’Europedespopulationsqu’on n’est pas capa-ble d’intégrer».

«Seuil de défiance»La proposition de Laurent

Wauquiez, vice-président del’UMP, intervient à quelquesmois des élections européennesprévues enmai2014. Un sondageIFOPpour Le Nouvel Observateurattribue la première place au par-ti d’extrêmedroite en termes

d’intentions de vote (24%)devant l’UMP (22%) et le Partisocialiste (19%).

Pour contenir la pousséeduFN, LaurentWauquiez appellel’UMPà combattre très vite le syn-dromedu «tous pourris qui conta-mine les élus» et «le sentimentd’injustice quimine le rapport à laRépublique».

«Il y aun effondrementde tou-te la politique en France, un seuilde défiancepar rapport à la politi-que qui n’a jamais été aussi éle-

vé», s’alarme-t-il en fustigeant« laguerredes chefs à l’UMP».

Très critique à l’égardde Fran-çoisHollande, il dit ne pas croire àla promessedebaisse du chôma-ged’ici à la fin de l’année.A pro-posduprésident de la Républi-que, LaurentWauquiez a déclaré:«Il est pourmoi l’incarnationdeces politiques qui racontent n’im-porte quoi avant les élections, etconsidèrentque lemensonge faitpartie des outils de la politique.»p

Françoise Fressoz

«C’estdésormaislasurviemême

del’UMPquiestenjeu»

Alain Juppémaire de Bordeaux (UMP)

«SiFrançoisFillonfranchituneligne,bienévidemmentc’estaucôtéde

NicolasSarkozyquejemetrouverai»

Christian Estrosimaire deNice (UMP)

Deux sondagesmontrent la pres-sion que le FN exerce sur l’UMP.Uneétuded’IPSOSpour«Desparoleset des actes»-Fran-ce2-Le Parisienmontre que53,1%des sympathisantsUMPsouhaitentunealliance entre leFNet leur parti lors desélectionsmunicipaleset régionales.

Unautre sondage, de l’IFOPpourLe Nouvel Observateur, place leFNen têtedes intentionsde votepour les élections européennes,devant l’UMPet le PS. 24%despersonnes interrogéessedisentprêtesà voterpourune liste FNsoutenueparMarineLePen lorsdesélections européennes.

François Fillon lors de la fête de la fédération UMPde la Loire, à Saint-Just-Saint-Rambert le 29 septembre. CYRIL BITTON/FRENCH POLITICS POUR «LE MONDE»

FrançoisFillon, lastratégieduquitteoudoublePours’imposerfaceàNicolasSarkozy, l’ex-premierministreprendlerisquederelancer laguerredeschefsà l’UMP

LeretourengrâcedeM.CopéenSarkozie

Municipales, européennes: le FN au centre du jeu

JEAN-FRANÇOISCOPÉ, qui est l’in-vitéde l’émission«Desparolesetdesactes», jeudi 10octobre surFrance2,peutdenouveausepréva-loirde labienveillancedeNicolasSarkozyà sonégard.Confrontéàl’offensivedeFrançois Fillon, l’an-cienchefde l’Etatadécidéderesser-rer les liensavec leprésidentdel’UMP,sonalliépolitique.

La réconciliations’affichait entroisactes, lundi, après l’annoncedunon-lieupourM.Sarkozydansl’affaireBettencourt.«Long» coupde téléphonedeM.Copéà l’ancienprésident, tweet éloquentdesondirecteurdecabinet, JérômeLavrilleux («JoiepourNicolasSarkozyet colère car 2012=victoirevoléepar ceuxquiont traînéNSdans laboue»), et enfinunmessa-gedeM.Sarkozysur FacebookavecunremerciementàM.Copé, seulresponsablepolitiquecité.

«Çam’a fait plaisir»,a réagi l’in-téressé, qui avaitmontré dessignesd’émancipationdepuis quel’ancienprésident l’avait humiliédevant l’ensembledes cadres duparti, le 8juillet.M.Sarkozy le soi-gnedésormais pourdes raisonsstratégiques.«Il a intérêt à s’assu-rer de la fidélité de Copépour isolerFillon», expliqueun sarkozyste.

Unautre penseque l’ex-chef del’Etat remet le président de l’UMPaucentre du jeudans l’espoir de levoir affaiblirM.Fillon. Soit lemêmescénario que celui suivipendant la campagnepour la pré-sidencede l’UMP.«Onabesoind’unCopé fort, quimange lesmol-lets de Fillon», résumece fidèle del’ex-président.

LoyautéEnobservateur avisé,M.Sarko-

zy a aussi voulu tuer dans l’œuftoute tentativede rapprochemententreMM.Copé et Fillon. Ces der-nières semaines, certains ténorsde l’UMP constataientun réchauf-fement entre les deux ennemisde2012 et évoquaient la possibilitéd’unealliance entre euxpour s’op-poser au retour deM.Sarkozy.

Mêmesi leurs relations restentcompliquées,M.Copé reste loyalenvers l’ancienprésident. Tou-joursbasdans les sondages,M.Copéseditprêt à s’effacerdevant la candidaturedeM.Sarko-zyen2017, répétantqu’il sera«àses côtés». En revanche, si l’ancienlocatairede l’Elyséene revenaitpas, lepatronde l’UMPentendbienreprésenter soncamp.p

Al. Le.

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france

D écorer, inaugurer, commé-morer: ceuxqui lecôtoientont maintes fois pu noter

avec quelle délectation FrançoisHollandefaitvivrelaliturgieprési-dentielle. On imagine donc l’inté-rêt qu’il portera au rapport quedevait lui remettre Philippe Béla-val, le président du Centre desmonuments nationaux, jeudi10octobre,sous letitre«Pour faireentrer le peuple au Panthéon».Longd’une cinquantainedepages(hors annexes), ce documentdevrait lui permettre d’avancerdansune réflexionqui, selon l’Ely-sée, aboutira dans les prochainessemaines.«Leprésidentdiraavantlafindel’annéequi il souhaitefaireentrer au Panthéon», assure unproche conseiller.

Si le chef de l’Etat est souveraindesonchoix, lequelfait l’objetd’undécretprisenconseildesministres,celui-ci n’en sera pas moins, cettefois, relativement contraint. Eneffet, l’on imaginemal leprésidentdelaRépubliques’asseoird’iciquel-ques semaines surun rapportqu’ila lui-même commandé, et dans

lequelestformuléeunerecomman-dationprécise: «Rendrehommageà des femmes du XXe siècle incar-nant un message fort d’engage-ment républicain.»

Féminiser le Panthéon? Ce neserait pas une surprise : la seulefoisoùM.Hollandes’estpublique-ment exprimé sur la question, cefut justement à l’occasion de laJournée des femmes, le 8mars,pour dire qu’il était temps «d’ac-cueillir des femmes au Panthéon».Il est vrai que le retard en lamatiè-re est considérable:Marie Curie etSophie Berthelot, les deux seulesfemmes «panthéonisées», le sontaux côtés de leur époux…

Sur les dix personnalités pan-théonisées sous la VeRépublique,sept ont vécu au XXe siècle. Dansson rapport, qui propose parailleurs plusieurs pistes pour ren-dre le monument plus attractif,M.Bélaval recommande à M.Hol-lande de suivre cette tendance :«LeXXesiècle, écrit-il,estencoresuf-fisamment proche de nous pourque les personnalités qui enont étéles acteurs et les actrices conti-

nuent de nous marquer.» La sug-gestion devrait plaire au chef del’Etat, dont l’intérêt pour l’histoiredu sièclepassé est connu.

Une femme duXXesiècle, donc.Reste à savoir ce que celle-cidevrait incarner. Dans son rap-port, M.Bélaval privilégie des per-sonnalités qui, «après avoir mon-trépendantunevoiredeuxguerrestoute l’étendue de leur courage,ont également su tirer de ces expé-riences souvent douloureuses –puisqu’elles ont pu être torturées

oudéportées– lesressortsd’unnou-vel engagement, en faveur de lapaix, de la justice sociale ou encoredu savoir. (…) Les femmes auxquel-les nous suggérons de rendrehom-mage incarnent toutes des com-bats universels, et non exclusive-ment féministes.»

2000noms suggérésSiM.Hollandesuit cette recom-

mandation, il sera à coup sûr àl’unisson de la sensibilité domi-nante tellequ’elle s’estexpriméeà

traversuneconsultationpubliquelancée sur Internet le 2septembre,pendanttroissemaines,parleCen-tre des monuments français. Par-miles2000nomssuggérésparles30000 personnes ayant participéà l’opération, certains reviennentde façon insistante: la révolution-naireOlympedeGouges, l’écrivai-ne et philosophe Simonede Beau-voir, l’ethnologue et anciennerésistante Germaine Tillion, sœurEmmanuelle mais aussi SimoneVeil, si populaire que les Français

la veulent au Panthéon avantmêmed’avoir pleuré samort. Par-mi les hommes cités, moins nom-breux, les plus plébiscités sontceux de l’abbé Pierre, du généralde Gaulle, du généticien JérômeLejeune et de l’ancien officierHélie de Saint-Marc, dont le nomest sans doute apparu en bonneplace en raison de sa disparitionrécente, le 26août.

Si le chef de l’Etat est séduit parleprofil que lui suggèreM.Bélaval,plusieurs candidats resteront surla touche. Le lobbyingest pourtantintense autour de quelques-uns:Denis Diderot, porté par JacquesAttali, l’écrivain Maurice Gene-voix,défenduparlaMissionducen-tenairede lapremièreguerremon-diale, leministre de l’éducationduFront populaire Jean Zay, cher aucœurdeVincentPeillon, ouencorele grand résistant Pierre Brossolet-te, qui bénéficie d’un prestigieuxcomitédesoutienprésidépar l’his-torienneMonaOzouf,etauqueluncolloque sera consacré, à l’Assem-bléenationale, le 17octobre.p

ThomasWieder

Seulementdeuxfemmes«panthéonisées»LEPREMIERHOMMEquientraauPanthéonest aussi lepremieràquilanationa retiré le titredegrandhomme.En1791,Mirabeauaétéinhumédans la cryptede l’édificede lamontagneSainte-Geneviève,àParis; il y est resté jusqu’en 1794quand laConventiondécidaqu’iln’yavait plus saplace– sort qui futégalementceluideMarat.

Encettemêmeannée 1791, c’est

Voltairequi entreauPanthéon. Il ydemeure, commesoixante-douzeautres illustrespersonnages,dis-tinguésaugrédes républiquesetdesempires.C’est d’ailleursNapo-léon Ierquiaété leplus enclinà«panthéoniser». Entre1804et1815,quarante-deuxgrandshom-mes (desmilitairesetdespoliti-ques surtout)ont rejoint la crypte.

Lapatrie aexprimésagratitude

àdavantagedescientifiques,d’écri-vainsou,bienplus tard, de résis-tants. Enplusdedeuxsiècles, laFrancen’aeudereconnaissancequepourdeux femmes.MarieCurie, scientifiqueauxdeuxNobel, a rejoint en 1995SophieBer-thelotdont ladépouille fut transfé-réeen 1907enmêmetempsquecellede sonmari,Marcellin.p

JonathanParienté

L e Conseil constitutionnel avalidé, mercredi 9octobre,l’essentieldesloissurlatrans-

parence de la vie publique, quicréent notamment l’obligationpour près de 8000personnes(ministres, députés, sénateurs,élus locaux, hauts fonctionnai-res…) de remplir des déclarationsd’intérêts et de patrimoine.

« Les quelques réserves duConseil constitutionnel ne modi-fient pas la nature et l’équilibre decette grande réforme», s’est félici-téBrunoLeRoux, lechefdefiledesdéputés PS, pour qui, «grâce à lagauche, la démocratie françaisevient de faire un pas de géant enmatièred’exemplarité».

Les incompatibilités demétiersapplicables aux parlementairesL’incompatibilité d’unmandat deparlementaire avec des fonctionsde dirigeant d’entreprise ou demembre d’une autorité adminis-trative indépendante est mainte-nue. De même que l’interdictionpour un avocat investi d’un man-datparlementairedeplaideroudeconsulterpour certaines sociétés.

Enrevanche,lesjugesontcensu-ré l’interdiction faite à un parle-mentaire d’exercer toute activitéprofessionnelle qui n’était pas lasienne avant le début de sonman-datmaiségalement«l’interdictiond’exercer une fonction de conseil,saufdans le cadred’uneprofessionlibérale ou soumise à un statutlégislatif ou réglementaireoudontle titre est protégé et qu’il exerçaitavant le début de sonmandat».

LeConseilaestiméquecesinter-dictions «excédaient manifeste-mentcequiestnécessairepourpro-téger la liberté du choix de l’élec-teur, l’indépendancedel’éluoupré-venir les risquesde confusionoudeconflits d’intérêts».

L’obligationdedéclarationsd’in-térêts et de patrimoine pour lesministres et les parlementairesL’obligation de déclaration pourles conjoints est confirmée, maispas celle des activités profession-nelles des parents et des enfants.Une disposition supprimée aunomde la protection de la vie pri-vée.«C’estpourtantuncasde figu-re qui peut se poser, estime unjuristespécialiséendroitconstitu-tionnel. Les conflits peuvent impli-quer le cercle deproximité familia-

le. Imaginons par exemple unministre chargé des télécoms dontl’undes descendants serait à la têted’une entreprise de télécom…»

La publicité de la déclaration depatrimoines Le texte adopté le17septembre ne prévoyait pas depublication directe des patrimoi-nes mais seulement la possibilitéde lesconsulterenpréfecture, tou-te publication «sauvage» de cesinformations recueillies étantpunied’unepeinede45000eurosd’amende.LeConseilconstitution-nel a validé cettemesure.

Les élus locaux (présidents dedépartement,de région,mairesdegrandes villes), qui devaient êtresur le même régime, serontexemptésaumotifquelescollecti-vités locales n’ont pas de compé-tencegénérale.

La publicité de la déclarationd’intérêts La loi du 17septembreprévoitquelesdéclarationsd’inté-rêts des élus soient entièrementpubliques et mise en ligne surInternet. Elles devront notam-ment répertorier les activitésrémunérées et bénévoles de l’éluet de son conjoint, les activités deconsultant remontant jusqu’àcinq ans avant la date d’élection,les éventuelles participations del’élu à la direction d’unorganismeprivé ou public et les noms desassistantsparlementaires.

Le Conseil constitutionnel vali-de ce dispositif pour lesmembresdu gouvernement, les députés, lessénateurset leséluslocaux.Toute-fois, les membres des cabinetsministérielset desautoritésadmi-nistratives indépendantes (CSA,CNIL, etc.) en seront exemptés carils ne sontpas élus.

La Haute Autorité pour la trans-parencedelaviepubliqueLaHau-teAutoritérecevraetpasseraaucri-ble les déclarations d’intérêts et depatrimoine des élus deux moisaprès leur entrée en fonction. Ellepourra adresser des injonctionsaux intéressés pour qu’ils les com-plètent et saisir le parquet le caséchéant.LeConseilconstitutionnelpréciseque lepouvoird’injonctionde la Haute Autorité sera stricte-mentencadré.Ilformuledes«réser-ves»,notammentaunomduprinci-pede«séparationdespouvoirs».p

FrançoisBéguin

LesélusetleshautsfonctionnairesdevrontdéclarerleurpatrimoineLes lois sur la transparencede laviepubliqueontétévalidéespar leConseil constitutionnel

Panthéon:FrançoisHollandedécideraavantlafindel’annéeUnrapport remisauprésident suggèrede«rendrehommageàdes femmesduXXesiècle incarnantunmessage fortd’engagement républicain»

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M auvaise nouvelle pour leprojet du gouvernementd’ouvrir des salles de

consommation de drogue àmoin-dre risque. Leministère de la santéa annoncé, jeudi 10octobre, que leConseil d’Etat «recommanded’ins-crire ledispositifdans la loi».Autre-ment dit, la position de l’institu-tion remet en cause la stratégieadoptéepour expérimenter cequesesopposants appellentune«sallede shoot», qui devait ouvrir ennovembre près de la gare duNord,àParis.

L’objectifdecesespacessupervi-sés pardes professionnels de santéest de réduire les risques d’infec-tions ou d’overdoses liés à laconsommation de drogues par lesplus précaires, mais aussi de limi-ter les nuisances pour le voisinagedues à l’usage de stupéfiants dansleslieuxpublics.Lesacteursdudos-sier étaient partis du principe qu’iln’y avait nul besoin, pour lanceruneexpérimentation,de toucheràla loi de 1970qui interdit l’usagedestupéfiants.

Il aurait, selon eux, suffi depublier un décret, qui permettaitd’élargir les prérogatives jusque-làaccordées aux lieux d’accueil destoxicomanes comme les Caarud,où il est possible de distribuer desseringues sans risquer d’être pour-suivi pour facilitation de l’usagedesdrogues,enyintégrantleprinci-pedes sallesdeconsommation.

Le gouvernement a cependantvoulu s’assurer juridiquement ensaisissant le Conseil d’Etat. Il se

retrouve désormais coincé. «Legouvernementva travailleravec lesacteurs concernés par ce projet à lasécurisation juridiquede cedisposi-tif», indique leministère dans soncommuniqué, sans donnerplus dedétails, ni sur le comment ni sur lecalendrier, qui seradiscutéavec lesassociations et la Ville de Paris.Tout juste montre-t-il, politique-ment, son attachement à lanceruneexpérimentation.

Ilparaîtpeuprobablequelegou-vernement passe outre l’avis duConseil d’Etat, car il sait désormaisquel’expérimentationseraitfacile-ment attaquable. Mais modifier laloi de 1970 pour que le projet soitlancée prendra du temps. Et vu lesymbole qu’il représente, ce dos-sier risquedenepas être la prioritédu gouvernement dans les moisqui viennent, s’inquiètent les asso-ciations.

Pour elles, l’avis du Conseild’Etat est un coup dur, alors qu’el-les attendaient la publication dudécret au Journal officielpour pou-voir lancer les travaux.«Noussom-mes atterrés. On nous avait présen-télepassagedevantleConseild’Etatcommeuneformalité.Celafaittroisans que nous travaillons sur ce pro-jet. Un lieu a été trouvé, des gensrecrutés,etc’estàlafinqu’ons’aper-

çoit que cela ne va pas être possi-ble!», s’énerve le docteur ElisabethAvril,directricedeGaïa-Paris,l’asso-ciation qui porte le projet. Ellereproche au gouvernement des’être «pris les pieds dans le tapis»ensollicitant leConseil d’Etat.

Pour le gouvernement aussi, lecoupestrude.Enfévrier,c’estMati-gnon qui avait donné son feu vert

à l’expérimentation à Paris d’unesalle de consommation supervi-sée. Il y a trois semaines, le princi-pedel’expérimentationdecenou-vel outil de réduction des risques(après l’échange de seringues etles produits de substitution) étaitune des mesures phares du plande lutte contre la drogue et lesconduites addictives 2013-2017. Ily était indiqué que d’ici à 2017, enplus de celle prévue à Paris, une àdeux autres expérimentationsseraient lancées.

L’avis du Conseil d’Etat va enrevanche réjouir les opposants auprojet. En premier lieu, l’associa-tion Parents contre la drogue, quiavait cet été annoncé avoirdéposédeuxplaintes, ainsi qu’un recoursdevant le Conseil d’Etat contre ladécision de Matignon, estimantillégale la création d’une salle deshoot.

«Nous sommes très contents,car c’est une deuxième victoirepour nous, après que le Conseild’Etat nous a déjà donné raison enaoût en considérant notre recoursrecevable», explique Serge Lebi-got, son président. «Si [laministrede la santé]Marisol Touraine est sisûreque les sallesde shoot sont for-midables, pourquoi ne passe-t-ellepas devant le Parlement?», insis-te-t-il, dénonçant une «manipula-tiondugouvernementetde lamai-rie de Paris».

Enpleinebataillepourlesmuni-cipales, l’avis réjouira tout autant,l’UMP, clairement opposée au pro-jet.«Nousallons retravailler avec leministère de la santé», a indiqué lacandidate socialiste AnneHidalgo,interrogée sur France Info jeudi,reconnaissant qu’il ne sera sansdoute pas possible d’ouvrir la salleavant l’échéanceélectorale.p

Laetitia Clavreul

france

Legouvernementavoulus’assurerjuridiquementensaisissantleConseild’Etat. Ilseretrouvedésormaiscoincé

Manifestation d’opposants devant lamairie du 10earrondissement de Paris, le 1er juin. C. MARTIN/RESERVOIR PHOTO

LeConseild’Etatremetencausel’ouverturerapided’une«salledeshoot»L’institutionrecommandeaugouvernementd’inscrire ledispositifdans la loi

C ’estunejolieusineàgazcom-meonlesaimedanslahauteadministration française. La

circulaire d’application 1323437Cdu 11septembre, élaborée par lesministères de l’intérieur, de la jus-ticeetdes finances,doitpermettreaux policiers, aux gendarmes etaux douaniers d’utiliser les voitu-resoulesmotossaisies lorsdepro-cédures judiciaires, avant mêmequ’un jugement ait été prononcé.

Ces quatorze pages d’une gran-de complexité concernent l’arti-cle98 de la loi de programmationpour la performancede la sécuritéintérieure du 14mars 2011. Pour ledéfendre, Michèle Alliot-Marie,ministrede l’intérieuraudébutdel’examen du texte, avait usé d’unexemple saisissant : «Lorsqu’unpetit caïddequartier se fera confis-quer sa Porsche et la verra revenirconduiteparunpolicier, il seraridi-culisé aux yeux des autres, ce quiest peut-être la pire sanction qu’onpuisse lui infliger.»

Problème : tous les « petitscaïds» dont on saisit les biens neserontpascondamnésà la fin.Quefairesi lepropriétaired’unvéhicu-

le utilisé est en droit de le récupé-rer à l’issue d’un non-lieu, d’unerelaxe ou d’un acquittement? Lesdéputés et les sénateurs avaientesquivé la question. La circulaire1323437C a tranché : ce seront lesservices d’enquête eux-mêmesqui devront payer non seulement«une indemnité compensant laperte de valeur qui a pu résulter del’usage» du véhicule, mais égale-ment l’expertise finale et les fraisdegarde.

«Ridiculisé»Un vrai pari financier pour des

services enquêteurs où l’achat deramettes de papier devient uncombatàpartirdumoisdeseptem-bre. Surtout qu’il s’agit, par défini-tion,derembourserunanciensus-pectque le serviceavait interpellé.On imagine la tête du patron depolice judiciairequi rendra les clésd’une Porsche Cayenne avec ungros chèque à l’individu qu’il pen-sait (et pense peut-être encore)être un trafiquant de drogue. Quisera alors « ridiculisé », pourreprendre les mots de Mme Alliot-Marie?

«Mais pourquoi n’ont-ils pasconfié cela à l’Agrasc ou à un fondde péréquation?», s’interroge uncommissaire.Depuis2010, l’Agen-ce de gestion et de recouvrementdes avoirs saisis et confisqués(Agrasc) est chargée «d’améliorerle traitement judiciaire des saisieset des confiscations en matièrepénale ». Mais elle dépend duministère de la justice, qui n’a pasforcément envie de financer lesbolides des policiers ou des doua-niers.

L’article98 devrait donc allerrejoindre le cimetière des articlesde loi qui ne servent (presque) àrien. Ironie de l’histoire, il devaitlui-même corriger les imperfec-tions d’une disposition de la loipourla sécurité intérieurede2003quiautorisait les servicesd’enquê-te à s’approprier les véhiculesconfisqués définitivement à l’is-sued’unjugement.Troplong, tropcoûteux: en 2011, après huit ansd’application,seulsquatrevéhicu-les avaient été affectés (2motos,1RenaultTraficet1quad).Uneréus-site… insaisissable.p

LaurentBorredon

Quandlesdéputéssexistessefontvolerdanslesplumes

Lespolicierspourrontutiliserlesvéhiculessaisisavantqu’unjugementsoitprononcéEncasderelaxeoudenon-lieu, lespropriétairesdevrontêtreindemnisés

C ot, cot, cot codec!» «Arrê-tez! Cela suffit ! Faut-il quejene sois considérée que

commeunepoule?»Eugène Labi-che?Georges Feydeau? C’est unescènedevaudeville, oui,maishélas onnepeutplus réelle. Elleest rapportéedans le compte ren-duofficiel de l’Assembléenatio-nale lors les débats sur la réformedes retraites,mardi 8octobre. Lepremierpersonnageest PhilippeLeRay (UMP,Morbihan) et il croitbond’émettre des caquètementsdepoule quandVéroniqueMas-sonneau (EELV, Vienne) s’expri-meaumicro.Auperchoir, leprési-dentClaudeBartolonene laissepaspasser le dérapage; il sus-pend la séance et prévientqu’il yaurades suites.

Les suites – l’acteII duvaudevil-le – seront, elles, d’une intensitédramatiquenettementplus éle-vée. Il est 15h10 le lendemain etles bancsde l’Assemblée sontétrangementvides alors que laséancedequestions augouverne-menta démarrédepuisdixminu-tes.Dans les couloirs, l’informa-tion se propage: en réaction aucomportementdeM.Le Ray, lesélues de lamajoritéboycottent laséance.

Disproportionné? En soi peut-être.Mais cette affairen’est quelapartie émergéed’un icebergdemachismeque ressentent auquo-tidien ces femmes, et avec ellesl’immensemajoritédes assistan-tes parlementaires et des collabo-ratrices, victimesde comporte-ments encore plusdouteux.Alors elles en ferontunexemple.

Sur Twitter, laministre de lafamille,DominiqueBertinotti,

salue la «belle initiative», toutcommesa collèguedu logement,CécileDuflot – elle-mêmevicti-medemachisme lorsqu’elle eutlemalheurdeporter une robe àfleurs à l’Assemblée. Aumêmemoment, LaurenceParisot publiesur son compte: «Y’enamarre.»Puis l’anciennepatronneduMedef ajoute: «Lamisogynie estun racisme.»

Paspour l’UMP,manifeste-ment. Lorsque, auboutde quinzeminutes, les femmesde gauchearriventdans l’Hémicycle, c’estsousune standingovationdetous les hommesde lamajorité.Mais àdroite, unepartiedesdépu-tés, commeun réflexeviscéral,s’insurge. Ceshommes, terrifiésdevoir leur vieuxmondedispa-raître, se lèvent et quittent l’Hé-micycle à leur tour…Deshom-mes conservateursqui s’en vontquand les femmes, en jupe ettalonshauts, débarquent, ou lamétaphoredes vases communi-cants en politique.

AnecdotesPendant la suitede la séance,

chacunoupresque auradesmotspourdénoncer le sexismeavantdeposer saquestionaumicro. LedéputéLe Ray écoped’un «rappelà l’ordre avec inscriptionaupro-cès-verbal», ce qui le priverapen-dantunmois d’unquart(1378euros)de son indemnitépar-lementaire.Dans les couloirs, enfinde journée, des anciens yallaientde leurs anecdotes rappe-lant que «tout çan’est pas nou-veau, çaa toujours existé». Rai-sondepluspour le combattre.p

HélèneBekmezian

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Page 9: Le Monde - 11 Octobre 2013

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L esprogrammesde l’écolepri-mairevontêtrerévisés.Enco-re empêtré dans la réforme

des rythmes scolaires, le ministrede l’éducation nationale, VincentPeillon,prend le risqued’ouvrir cenouveau chantier. Jeudi 10octo-bre, il devait installer le Conseilsupérieur des programmes – l’ins-tance chargée de les concevoir.Afind’éviterdesevoirdenouveaureprocher le manque de concerta-tion, il a porté le sujet jusque dansles écoles, en invitant les ensei-gnantsàdonner leuravis avant lesvacancesde la Toussaint.

Les professeurs des écoles s’ap-prêtentdoncà connaîtreuneéniè-me refonte des programmes. Latroisième en dix ans, après cellesde 2008 et de 2002. La quatrièmesi l’on remonte à 1995. VincentPeillon avait donné le ton enfévrier, en déclarant, en marged’un déplacement à Tours : «Lesprogrammes de 2008 ne sont paslesbons.»Surleterrain,onluidon-ne assez facilement raison. Troplourds, trop chargés, trop techni-ques,trop«vieilleécole»…Lespro-grammes en vigueur depuis cinqansà l’écolematernelleet élémen-taire sont contestés sur la formecommesur le fond.

On lesdit impossiblesàboucleren temps et en heure, d’autantqu’en2008lasemainedesécoliersa été allégée, avec le samedimatinsupprimé. «D’un côté, le tempsconsacréaufrançais etauxmathé-matiques s’est alourdi ; de l’autre,on a chargé la barque en ajoutantde l’informatique, des languesvivantes, de l’histoire des arts, del’instruction civique et morale, delaprévention routière…», rapporteSébastien Sihr, secrétaire généraldu Snuipp-FSU, le principal syndi-cat duprimaire.

On leur reproche aussi d’avoir«primarisé» l’école maternelle ;autrement dit, d’avoir transforméla grande section en «petit» CP.L’entrée dans la lecture – à traversla phonologie– se fait aujourd’huidès4-5ans,audétriment,seloncer-tains, du vivre-ensemble, de l’ap-prentissageparle jeuoudel’acqui-sitiondes règles de socialisation.

D’autres voix s’élèvent contrel’architecture dite «traditionnel-le» de ces programmes, avec leretour d’heures dédiées à la gram-maire,à laconjugaison,à l’appren-tissage du lexique, au calcul… Unrevirement par rapport à la logi-queantérieure.«En2002, leprinci-

peétaitdedécloisonner lesdiscipli-nes, de ne pas cantonner l’appren-tissage du français aux cours defrançais ou des mathématiquesaux cours de mathématiques,explique Philippe Joutard, ancienrecteurquiaparticipéàleurrédac-tion. En histoire, les élèves peuventaussi apprendre à lire, à écrire, àpartir de récits ; en géographie, ilspeuvent faire des mathématiquesenmaniantdes échellesdecartes.»

En 2002 toujours, les program-mes de français avaient tourné ledos au «par cœur» et aux exerci-ces répétés. «Dans toutes les disci-plines, il s’agissait de faire de “l’ob-servationréfléchiede la langue”: latendance était de partir de textespour poser un problème de gram-maire, de vocabulaire ou de conju-gaison», souligne Danièle Manes-se, professeure en sciences du lan-gage à l’université Paris-III.

Uneapprocheambitieuse,maiscomplexeàmettre enœuvrepourles maîtres. «Elle supposait unecapacité de réactivité et une gran-de maîtrise linguistique», pour-suit l’universitaire. Les ensei-gnantsn’aurontpaseuletempsde

s’y faire. En 2008, les leçons d’or-thographe,degrammaire…ontétéréintroduites, avec des horaires etdesobjectifs biendéfinis.

Mêmerevirementenmathéma-tiques: «A l’évidence, les concep-teursdesprogrammesde2008ontpensé qu’il fallait se remettre à fai-reapprendrepar cœur les tablesdemultiplicationauxenfants età fai-re des exercices», note Rémi Bris-siaud, maître de conférences enpsychologie cognitive à l’institutuniversitaire de formation desmaîtres de Versailles. En histoire,«onestrevenuàlafrisechronologi-que ponctuée de grands personna-ges : Clovis, Charlemagne, Jeanned’Arc…, pointe l’historien BenoîtFalaize.Une trame qui parle à toutle monde, qui correspond au senscommundecequedoitêtre l’histoi-re.»

Car c’était aussi cela la finalitédes programmes de 2008: rassu-rer l’opinionpublique, sensible au

slogan du «lire, écrire, compter»,en redonnant de la lisibilité auxcontenus d’enseignement. L’écoleavait-elle besoin de ce change-ment de cap? Difficile d’en mesu-rer l’impact sur les résultats desécoliers. Une chose est sûre: ni lesprogrammes de 2008, ni ceux de2002 n’ont permis d’endiguer lachuteduniveau, qui, selon les sta-tistiques de l’éducation nationale,date de la fin des années 1980 encalcul, de la findesannées 1990enlecture. Et pour cause, on ne leur apas laissé suffisamment de tempspour faire leurs preuves.

«Le temps de l’éducation est untemps long, pas celui de la politi-que», observe Ostiane Mathon,enseignante de CM1. Pour elle,commepourbeaucoupdecespro-fesseursdes écolesqu’ondit «che-vronnés», ce ne sont pas les chan-gements de programmes qui gui-dent,enpremierlieu,l’acted’ensei-gner,maisbien lesbesoinsdesélè-ves. «Dans ma classe, ce sont lesenfantsquidéfinissent leprogram-me. Chaque matin, c’est le mêmerituel : ils proposent les sujets, lesactivités. Ils sont aux commandesde leur trajectoire scolaire.»

Dans les pratiques quotidien-nes, lepragmatismel’emporte.Lesenseignantsdisentdépasserlescli-vages théoriques. «Il ne s’agit pasde bannir le par cœur et l’entraîne-ment, témoigneDominiqueDeco-ninck,maître spécialisée.Le tempsde l’entraînement a toute sa légiti-mité, à condition d’être placé aubonmoment et toujoursau serviced’une finalité comprise par l’élève,pourqu’ilpuisserépondreàlaques-tiondu “àquoi ça sert?”»

« La majorité des collèguesconnaissent les programmes… etles adaptent», rapporte SylvainGrandserre,professeurdeCM1pro-chedumouvementdes«désobéis-seurs», opposé aux évaluationsinstaurées, elles aussi, en 2008, enCE1etCM2,etquinesontplusobli-gatoires depuis 2012. « J’ai vingtans d’ancienneté et je n’ai jamaisvraimentappliquéunprogrammeenentier. J’élague, j’élude…», dit-il.

Des programmes au service desituations réelles d’apprentissa-ge: c’est ce qu’attendent les ensei-gnantsde la réflexionengagée ruede Grenelle. Celle-ci n’échapperatoutefois pas au poids des idéolo-gies, toujoursprésentesdans l’his-toire des programmesscolaires.p

MatteabattagliaetAurélie Collas

Troisièmerefonteendixansdesprogrammesdel’écoleprimaireLeministèrede l’éducationcréeunconseilchargéderevoirdescontenusjugés lourdset troptechniques

UneréformedelamaternelleaucollègeGARANTIEde transparenceetd’in-dépendance: c’est en ces termesque leministrede l’éducationnationale,VincentPeillon, a justi-fié la créationd’unConseil supé-rieurdesprogrammes(CSP). Instal-lé jeudi 10octobre, il sera auxmanettesde la redéfinitiondesprogrammesscolaires jusqu’à lafinduquinquennat.

«Transparence», parceque l’onsait qui sont les dix-huit concep-teursdes futursprogrammes,quandon ignore encorequi a tra-vaillé sur ceuxde2008. «Indépen-dance», parceque lanouvelle ins-tance réunit despersonnalitésdetousbords: trois députés et troissénateurs (dedroite et degauche),deuxreprésentantsduConseil éco-nomique, social et environnemen-tal, et dixpersonnalitésqualifiées,parmi lesquellesdesuniversitai-res, une sociologue,unemédecin,un inspecteurgénéral…A leur tête,l’ancienrecteurde l’académiedeVersailles,AlainBoissinot, qui aenseignépendantplusde vingtansdans le secondaireet lesplusprestigieusesclassesprépaparisiennes.

L’agendaest chargé: leCSP–créépar la loi de «refondation»del’écolepromulguéeen juillet –doitd’abordplancher sur les pro-grammesde l’écolematernelle,qui serontmis enplacedès la ren-trée2014. Il s’attaqueraensuite àceuxde l’école élémentaireet ducollège,qui entrerontenvigueurprogressivement– enCP,CM1et 5e

en2015; enCE1, CM2et 4e en2016;enfin, enCE2, 6e et 3e en2017.

«Avancée»Danssa lettredemission figure

aussi ladéfinitiondu«socle com-mundeconnaissances,de compé-tenceset deculture»,qui fixe lesobjectifsà atteindreavant la findela scolaritéobligatoire, cellede l’en-seignementdemorale laïque, lecontenudubrevet, duCAP,dubac-calauréat,des concoursde l’ensei-gnement…

L’initiativen’estpas toutà faitinédite.Déjàen 1989, la loid’orien-tationsur l’école impulséeparLio-nel Jospinavait crééunConseilnationaldesprogrammes.Celui-ciavait été supprimésix ansplustard, en 2005,par la loi «Fillon».

Sa résurrectionest favorable-mentaccueillie, tantducôtédessyndicatsd’enseignantsquedesspécialistesde l’école.«CeConseilapporteraun regardpluraliste surlesprogrammes»,observePhilip-pe Joutard, ancienrecteur, quiavaitprésidé legrouped’expertslorsde la réformede2002.«Unregardglobal également, sur lacontinuitéduprimaire etducollè-ge», ajoute-t-il. L’historiende l’édu-cationClaudeLelièvreyvoit lecœurde la réformede l’école, le«réacteurde la refondation».

D’autresuniversitaires, spécia-listesdesquestionsd’éducation,commePatrickRayouetStéphaneBeaud, sontplusprudents.Dansuntextemisen ligne le 29septem-bre, ils saluent l’«avancée»queconstitue leCSP,maisposent cer-tainsprincipes«pourunevérita-ble refondation». Parmieux, lanécessitéd’évaluer lesprécédentsprogrammes,d’échangeravec lesenseignants,de respecterun«tempsd’appropriation»…Desattentesdifficilesà satisfairedanslesdélais impartis.p

M.Ba.et A.C.

«Letempsdel’éducation

estuntempslong,pasceluidelapolitique»

OstianeMathonenseignante de CM1

C ’étaitunedemanderécurren-te des élus confrontés à laréforme des rythmes scolai-

res.Recevantl’Associationdesmai-res de France (AMF), mercredi9octobre au soir, Matignon leur adonné raison : l’aide versée parl’Etaten2013pouraiderlescommu-nesàmettreenplace la semainedequatre jours et demi d’école serareconduiteen2014.

C’est ce qu’a assuré le présidentdel’AMF,JacquesPélissard,àl’issuede son entrevue avec Jean-MarcAyrault : «Toutes les communesbénéficierontdumaintiendesaidesde l’Etat, à l’identique», a assuré lemaire UMP de Lons-Le-Saunier(Jura). «Toutes», c’est-à-dire les4000 ayant engagé la réforme en2013et les20000autresquipossè-dent aumoins une école mais ontreporté lamesureà2014.

Pour faciliter la mise en placed’une réforme qui demande auxélus d’organiser trois heures parsemaine d’activités périscolairesen plus, l’Etat a instauré pour 2013un«fondsd’amorçage»de250mil-lionsd’euros. Lesvilles ayant enga-gé la réforme sans tarder perçoi-vent donc 50euros par élève. Autotal, en milieu rural ou en zoned’éducation prioritaire, l’envelop-pe avoisine 150euros par enfant etpar an –peu ou prou l’estimationducoûtmoyende la réformeavan-céepar les associationsd’élus.

Seulunpetitquart(22%)deséco-lier changeant, au final, d’emploidu temps cette année, ce «fonds»n’estpasversédanssatotalité.C’estlui qui se voit «pérennisé», alorsque le gouvernement n’avait, jus-qu’à présent, consenti à le fairequ’en direction des communes les

plus démunies. L’annonce ne sur-prend guère, tant le ministre del’éducation nationale, confrontéaux inquiétudes des édiles, avaitmultiplié les assurancesen ce sens.Ons’attendaitpourtantàunemiseenscèneunpeuplus«officielle», àune annonce lors du prochainCongrès des maires, réunimi-novembre –là même où, il y atout juste un an, le chef de l’Etatavait un peu pris de court VincentPeillon, en permettant « l’étale-ment»de la réformesurdeuxans.

RésistancesC’était compter sans l’inquiétu-

de difficile à endiguer de parentsd’élèves,d’enseignantsetd’anima-teurs mobilisés à Aubervilliers,Toulouse, Paris… Sans compter,aussi, la polémique nourrie parl’UMPqui, à sixmois des élections

municipales, a fait du dossier unsujetdecampagne.Lepartid’oppo-sitiona transmisà ses fédérations,débutoctobre,unmilliondetractsfustigeant la réforme, quand sonprésident, Jean-François Copé,appelait au «boycott», puis plussimplementau «report».

Surleterrain,quelquesrésistan-ces se manifestent. Mercredi9octobre, la commune rurale deJanvry(Essonne)afaitsavoirqu’el-le n’appliquerait pas la réforme,sonmaire (NC), ChristianSchoettl,appelant «à la désobéissance civi-le». Quelques heures plus tôt, onapprenait qu’une petite commu-ne de l’Oise, Crillon, qui pensaitrejoindre les rangs des 4000com-munes «pionnières», devait fairemarchearrière.Descaspourl’heu-re très isolés. p

M.Ba.

Rythmesscolaires: lefondsd’aidemaintenuen2014Lesmairesontobtenuque le soutiende l’Etatà lamiseenœuvrede la réformesoitprolongé

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Page 10: Le Monde - 11 Octobre 2013

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Page 12: Le Monde - 11 Octobre 2013

Les librairiesdu Mans

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REPOUSSER LES FRONTIÈRES?

Forum coordonné et animé par Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres

15 16 17 NOVEMBRE 2013

Frédérique Aït-TouatiMichel Agier

Jean-Claude AmeisenMichel BruneauBarbara Cassin

Alain FinkielkrautAmos Gitaï

Pierre HassnerBruno KarsentiBouchra Khalili

Jacques LévyJean-Claude Milner

Céline MinardFrançois MorelEdgar Morin

Natalie NougayrèdeBruno Patino

Catherine PerretAlain ProchiantzJacques Rancière

Question philosophique, enjeu d’actualité

Bernard Tapie a déposé une plainte contre le centre des impôts du 6e arrondissement, à Paris. FRED DUFOUR/AFP

S ombre horizon judiciairepour Bernard Tapie. Le par-quet de Paris a ouvert, le

13 septembre, une informationjudiciaire pour «fraude fiscale» et«organisationd’insolvabilité», à lasuite d’une plainte déposée par leministère de l’économie et desfinances. L’enquête est confiée aujugedupôlefinancierparisienSer-geTournaireet labrigadefinanciè-re a été saisie. Bercy suspectel’homme d’affaires de vouloirorganiser son insolvabilité enminorant ses résultats, tout enessayant de répartir des fonds àl’étranger, dans diverses structu-res opaques, afin d’échapper auxpoursuites fiscales en France.

En effet, le tribunal administra-tif de Paris avait rejeté, le 9août,par voie de référé, le recours desépoux Tapie. Pour échapper aurèglement des sommes réclaméespar le fisc, le couple Tapie arguaitde sa difficile situation financière– lesmagistrats parisiens ont saisiune grande partie de leurs biensdans le cadre de la procédure judi-ciaireliéeàl’arbitragecontreleCré-dit lyonnais ayantpermisà l’hom-med’affairesdepercevoir405mil-lions d’euros en 2008. Le tribunaladministratif a considéré que « larequête de M.et MmeTapie ne peutqu’être rejetée».

Ceux-ci restaient donc redeva-bles aux impôts, selon cette déci-sion dont Le Monde a eu connais-sance. Ils avaient reçuunemise endemeure de paye r15 709864 euros au titre des

années 1989 à 1991, et un avis àtiers détenteur émis en vue derecouvrer la somme de13026574euros.

Du coup, l’homme d’affaires acontre-attaqué, en déposant à sontour une plainte contre le centredes impôts du 6e arrondissement,à Paris, où il réside. Cette plainte,pour«concussion»et«discrimina-tion», a valu à plusieurs fonction-naires des impôts d’être entenduspar la PJ. La procédure vient d’êtreretournéeauparquetde Paris.

L’information judiciaire pour«fraudefiscale»s’ajouteauxdiver-sesenquêtes lancéesà lasuitede laprocédure arbitrale controversée.Pas moins de six juges d’instruc-tion– laCourde justicede laRépu-blique dans le volet ministériel,mais aussi trois juges du tribunalde grande instance de Paris saisispour «escroquerie en bande orga-nisée» – enquêtent sur les condi-tions suspectesdans lesquelles cetarbitragea été rendu.

En outre, comme l’a indiqué LeParisien jeudi 10octobre, uneenquêtepréliminairea été confiéeà la Brigade de répression de ladélinquance économique (BRDE),à la suite, le 19 septembre, d’unsignalement de Tracfin, l’organis-meanti-blanchimentdeBercy,qui

dénonçait des flux financiers sus-pects relevés autour de Blue Star,une société basée à Hongkong,dont Bernard Tapie dit tout igno-rer.

Tracfin avait déjà, le 23 juillet,adresséauparquetdeParisunpre-mier signalementvisant la sociétéSouth Real Investment (SREI),basée au Luxembourg. C’est cette

même société qui a acquis en 2011pourlecomptedel’hommed’affai-res, moyennant 45567500euros,la somptueuse villa La Mandala,sise à Saint-Tropez.

SREI a été immatriculée le19 septembre 2011. Créée septjours plus tôt par une société dedroit anglais, European Consul-tants Limited, elle avait été rache-tée ensuite par la holding belge deM.Tapie, GBTHolding.

Le 20juillet 2013, la banque de

SREI est sommée de transférer1,8million d’euros sur le comptede la société Gold Access Invest-ments Limited, hébergée par labanque HSBC, à Hongkong. Cettedemande intervient dans uncontexte sensible pour M.Tapie :ses biens font alors l’objet d’unesaisie judiciaire. Selon Tracfin, «cetransfert permettrait ainsi de fairesortir des fonds de France (…). Il nepeut être exclu que cette tentativede virement ait pour principalobjectif d’échapperà cette mesurejudiciaire».

Dans la foulée, Tracfin identifieles différents comptes bancaires,attribués ou liés à M. Tapie,ouverts à l’étranger : ils sont aunombre de vingt et un, dont unegrandepartieàMonaco.Lastructu-re anti-blanchiment note que cesdifférents comptes ont abondé lastructure basée à Hongkong, dontle solde est créditeur à hauteur de10250000 euros. Autre élémenttroublant: GBT Holding a transfé-ré 1760000euros versuncompteouvert à la Barclays Bank, sis surl’île de Man. Conseil de M.Tapie,MeMauriceLantournen’apasdon-nésuiteauxsollicitationsduMon-de.p

GérardDavetet Fabrice Lhomme

france

Tracfinaidentifiédescomptesbancairesàl’étranger,attribuésouliésàM.Tapie:vingtetun,dontunegrandepartie

àMonaco

BUDGET

Lesdéputésveulentlimiterl’optimisationfiscaleLa commissiondes finances de l’Assembléenationale a accepté,mercredi9octobre, plusieurs amendementsprésentéspar le rap-porteur, ChristianEckert (PS), destinés à brider certainsprocédésd’optimisation fiscale. Ainsi, unamendementprévoit d’introdui-re dans les revenuspris en comptepour le calcul de l’impôt desolidarité sur la fortune certains contrats d’assurance-vie sous-crits en Franceou à l’étranger.Le rapporteurpropose aussi de durcir la taxe à 75% sur les reve-nusdeplus de 1milliond’euros ainsi que le nouveau régimedesplus-valuesmobilières, et d’élargir l’assiette de l’«exit tax» surles plus-valuesdes personnesqui quittent la France. Enfin, unautre amendementprévoit deneplus autoriser le cumulde laréductiond’impôtMadelinet de l’abattementpourdurée dedétentionmajoré.p PatrickRoger

MUNICIPALES

MmeKosciusko-Morizetprésentesesvingt«chefsdefile»àParisJeudi 10octobre, jour de l’investituredes vingt têtes de liste duPSpour lesmunicipales à Paris, NathalieKosciusko-Morizet, can-didate de l’UMP, devait présenter ses vingt «chefs de file». Cenesontpas les têtes de liste définitives; «NKM»nedésespèrepasde trouver des personnalitésde la société civile et devra fairepla-ce à ses alliés du centre. Les personnesdésignées sont Jean-Fran-çois Legaret (1er), HélèneDelsol (2e),Marie-LaureHarel (3e), Vin-centRoger (4e), FlorenceBerthout (5e), Jean-Pierre Lecoq (6e),RachidaDati (7e),MartineMérigot de Treigny (8e), DelphineBürkli (9e), DéborahPawlik (10e), Jack-YvesBohbot (11e), ValérieMontandon (12e), Anne-SophieSouhaité (13e), NathalieKosciusko-Morizet (14e), PhilippeGoujon (15e), ClaudeGoasguen (16e), Brigit-teKuster (17e), Pierre-YvesBournazel (18e), Jean-JacquesGiannesi-ni (19e), Atanase Périfan (20e). pBéatriceGurrey

Faits divers Ungynécologue grenobloismis en examenpour agressions sexuellesUngynécologueobstétriciengrenobloisde56ans, soupçonnéd’at-touchementssexuels surdespatientes, a étémisenexamen,mer-credi9octobre,pouragressionssexuelles, indique leprocureurdelaRépubliquedeGrenoble (Isère). Sixplaintesontétédéposéespardespatientes faisantétatdegestesdéplacés.

Justice Fin de garde à vue pourMeGarbariniL’avocat corse PascalGarbarini est ressorti libre,mercredi9octo-bre, de sa garde à vuedans les locauxde la police judiciaire àNan-terre (Hauts-de-Seine) où il a été entendudans le cadre d’uneenquêteouverte par le parquetdeMarseille endécembre2012.

LajusticesoupçonneBernardTapiedechercheràéchapperaufiscUneinformation judiciaireaétéouverte, surplaintedeBercy,pour«fraudefiscale»

Auprocèsdul’UIMM:«C’estvous,Monsieur,qu’onvientvoirpour“lachose”?»

Q uand les dirigeants del’Uniondes industries etdesmétiers de lamétallur-

gie (UIMM), l’unedesplus ancien-nes et influentes fédérationspatronales, distribuentdes enve-loppesd’argent liquide, de lamain à lamain, à des syndicats,des associations, des organismesliés à la vie universitaire, desintellectuelsoudes représen-tants desmédias, ils appellentcelade la «régulation sociale» oudes «dépensesde rayonnement».Le codepénal leur donneunautrenom, «abus de confiance».

Cesdeuxversionssontaucœurduprocèsqui s’est ouvert, lundi7octobre,devant le tribunalcor-rectionneldeParis etdans lequelonzeprévenus,dont l’ex-vice-pré-sidentde l’UIMM,DenisGautier-Sauvagnac,vontdevoir s’expli-quersur ladestinationde 15,6mil-lionsd’eurosretirésen liquidedescaissesbienfourniesde l’organisa-tionentre2000et 2007.

Délicatementappuyésur lepupitrequi tient lieudebarre, samaindroite effleurantsamaingauche,M.Gautier-Sauvagnacaffronte,mercredi9octobre, sonpremier interrogatoire.Aumitandesannées 1990, raconte-t-il, le

présidentde la fédérationpatrona-le, PierreGuillen, lui confie:«Apropos, il y adeux trois chosesqu’ilfautque jevousdise.Nousavonsl’habituded’aider ceuxque j’appel-le lemondesocial»–onentend,oul’onveut entendre«sociââl», tantilporteà cet instantunpandel’histoire française, leComitédesforgesà lui tout seul.

Quelques jours plus tard, pour-suit-il, il reçoit «unhabitué»,quiseprésente en lui disant: «Jecrois que c’est vous,Monsieur,qu’onvient voir désormaispour“la chose”?»

«Je suis un peu coincé»M.Gautier-Sauvagnacn’aime

pas«la chose». «Cen’est pasagréablededistribuer commeceladesbillets»,dit-il. L’undes jugesassesseursmetau supplice cetancienhaut fonctionnaire: «Vousavez étéun serviteurde l’Etat,membrede l’inspectiondes finan-ces, dont l’objet est le contrôle et lalutte contre la fraude, vous savezque lemaniementd’espèces restel’attributdu crimeorganisé…»

LavoixdeDenisGautier-Sauva-gnac trahituneémotionqu’il s’ef-forceaussitôtdedominer, commes’il avait cédéàune insupportable

fautedegoût.«Jepourraisallégerla chargequipèsedepuis sixanssurmesépaules. (…). Si je continueàm’enabstenir, c’estpournepasimpliquerdans cetteaffairedesorganisationsquiparticipentànotrevie sociale, avec ledésordrequiendécoulerait.Despersonneshonorablesseraientainsidési-gnéesà lavindictepublique.Don-nerdesnoms,alorsquependantquinzeans, j’ai travailléà lapaixsocialedenotrepays,nouédes rela-tionsde confianceavecdes interlo-cuteursde tousbords,ne seraitconformeniàmes traditionsniàmesvaleurs…» Il se redresse:«Donc, je suisunpeucoincé,Mada-me laprésidente…»

Celle-ci reprendau vol unedesesphrases: «Pourquoi dites-vous que les personnesbénéficiai-res seraient désignées à la vindictepublique?

–Compte tenudes nomsen cau-se, bien sûr.»

«Je suis héritier d’une longuetraditionde discrétion», ajouteM.Gautier-Sauvagnac.Où l’onneparlepas de «la chose»publique-ment. Il consent juste à préciser:«Ce n’était pas des valises, c’étaitjustedes enveloppes.»p

PascaleRobert-Diard

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culture

Musique

LeHavre (Seine-Maritime)

L ongtemps considérée com-me une des capitales du rockfrançais, LeHavre se retrou-

vait depuis plusieurs années à latraîned’une scènenormande revi-gorée, en particulier, par l’activis-medevillescommeCaenetRouen,richesde leurséquipementsSMAC(scène de musiques actuelles) res-pectifs, le Cargö, lancé en 2007, etle 106, construit en2010.

En inaugurant en septembre,dans le fort de Tourneville, unenouvelle salle de spectacles, leTetris,etunensemblede locauxderépétitions ultra-équipés, le Sonic,la cité portuaire affiche enfin desambitions musicales en phaseavec une revalorisation urbaineboostéepar l’inscriptionde laville,en 2005, au Patrimoine mondialde l’Unesco.

Nourrieparlaproximitédel’An-gleterreet les liaisons transatlanti-ques, la tradition locale s’estd’abord imprégnée d’un purismerock, dont l’âpreté résonnait aussidelacultureouvrièredelaville.Dumilieu des années 1970 au débutdes années 1990, la scène havraisea ainsi fait rugir les guitares, mar-quéepar lespionniersdeLittleBobStory, le groupe de Roberto Piazza(dit Little Bob), figure rock’n’bluesayantconnusapetiteheuredegloi-re britannique (et héros du filmLeHavre d’Aki Kaurismäki, en2011).

A sa suite, des formations tellesque Fixed Up, les City Kids ou lesRoadrunners, des chanteurs com-me Marc Minelli ou Jérôme Soli-gny, ont œuvré dans cette veineanglophone, également creuséeparunedesmeilleuresmaisonsdedisquesde l’époque, le labelCloser.Avant un net reflux en fin deXXesiècle.

«La scène a eu d’autant plus demal à évoluer que les salles histori-ques– le François-Ier, le cinémaNor-mandie, Franklin… – ont fermé»,témoigne Thierry Effray, ancienbassiste des Roadrunners devenuun des responsables du Centred’expressions musicales (CEM),l’école demusiques actuelles hav-raiseporteuseduprojetSonic.Lan-cée dans les années 2000 au sous-sol du Volcan – la maison de lacultureduHavre–, lasalleduCaba-ret Electric palliera tant bien quemalcesmanquesjusqu’àsaferme-ture, en 2011, pour cause de réfec-tionduVolcan.

Devant cette pénurie, le milieu

associatifainterpellélamunicipali-té, en particulier les activistes dePapa’sProduction,spécialisésdansl’accompagnement d’artistes.«Nousavonstantprotestéquelavil-le nous a mis au défi de concevoirunprojet», se souvient Franck Tes-taert,responsabledePapa’sProduc-tion, devenu le directeur du Tetris.«Quelquesmois après, nous avonsprésentélesplansdelasalle.»Egale-ment sollicitée par le CEM, candi-datàlacréationdelocauxderépéti-tion et dont les 800 élèves se trou-vent à l’étroit dans leurs vieuxlocaux du centre-ville, la mairie achoisid’orientertoutcebeaumon-devers le fortdeTourneville.

Construit sous le Second Empi-re, sur les hauteurs de la ville, cetouvrage militaire est le frèrejumeau du fort de Sainte-Adresse,situé plus à l’ouest. Si ce dernier aété transformé, en 2008, en parcbotanique, baptisé les Jardins sus-pendus, le fort de Tourneville,démilitariséen1975,accueillaitjus-que-là une vingtaine de structureset associations (écoles de musi-ques,ateliersdeplasticiens,clubdemaquettistes, archives du

Muséum d’histoire naturelle…)«L’installationduTetris et du Sonicdans le fort permet de créer unedynamique collective dans un lieuqui était déserté des Havrais», esti-me lemaire (UMP)EdouardPhilip-pe, qui a confié à Fazette Bordage,spécialiste de l’aménagement des

friches industrielles, l’étude de latransformation de Tourneville enlieudevie culturelle.

Agauchedel’entréedel’esplana-de de sept hectares, entourée desaustères enceintes, trône désor-mais la joyeuse façade du Tetris,constitué d’une imbrication deconteneurscolorés,clind’œilà l’ac-tivité du port autant qu’au jeuvidéo dumême nom. A son extrê-me opposé se camouflent leslocaux du Sonic, fondus dans les

mursdufort.Conçupardeuxarchi-tectes havrais, Laurent Martin etVincentDuteurtre, le Tetris – «lieude diffusion et laboratoire de créa-tion pluridisciplinaire» – com-prend, entre autres, une salle de815places, un club de 193places,une salle d’expositionde 50m2, unrestaurant, des studios d’enregis-trement et de répétition destinésauxartistes en résidence.

Dessiné par les architectes IvanFranic et Michel Garcin, le Sonicabrite six locaux de répétition ins-tallés sous les voûtes de briquesdes alvéoles du fort. Equipés dematériel de sonorisation et d’ins-truments,ces locaux, louésà l’heu-re (9euros)ouauforfait, sont com-plétés d’une salle dont le profondplateau doit servir à la formationscénique.BaptiséeleTube,cettesal-le a été construite dans l’anciennepoudrière du fort, enterrée etoubliée sousun talus avantque lestravauxne la remettentau jour.

«Dans les années à venir, nousavons aussi programmé les trans-fertsdeslocauxdenotreécole»,pré-cise SandrineMandeville, la direc-trice du CEM. Un déménagement

conditionné par celui des archivesdumuséum.

DucôtéduTetris etduSonic,onestime être au plus près des pro-jetsimaginésparchacunedesasso-ciations. Sans doute grâce au prin-cipe de «coconstruction» adoptépar lamairie duHavre. S’il est cou-rantquedesmunicipalitéscollabo-rent avec des associations pour laconception et la gestion de SMAC,il est rarissime que ces structuresendeviennentlesmaîtresd’ouvra-ge,commecefut lecaspourPapa’sProduction et le CEM. «Nous leuravons proposé d’inventer l’endroitqu’ils désiraient, tout en les accom-pagnant en termes financiers, juri-diqueset logistiques», remarquelemaire, EdouardPhilippe.

Les associations estiment avoir

fait plus vite et moins cher qued’ordinaire : la construction duTetris a coûté 6,6millions d’euros,contre une dizaine de millionsd’euros pour la plupart des SMACconstruites récemment dans lecadre de marchés publics. Ellessont aussi conscientes des risquespris. Si ville, département, régionet Etatmettent lamain à la poche,si la municipalité – qui sera pro-priétaire des lieux après un bailemphytéotique de vingt ans –garantit les emprunts bancaires,les associationsmaîtresd’ouvragesont les principaux financeurs(plus de 3millions d’euros pourPapa’s Production, plus d’1,2mil-lion d’euros pour le CEM) de leurindépendance. p

StéphaneDavet

DuVolcanauxBainsdesdocks,étatd’uneville-chantierArchitecture

LESDEUXCRATÈRESdebétonblancqui trônent au centreduHavrebrûlentd’impatience.Achevéen 1982, leVolcandessinéparOscarNiemeyer fomenteunenouvelleéruption.Auteurde l’édi-ficeoriginel et consultépouruneréhabilitationdequelque60mil-lionsd’euros, l’architectebrésilien,morten2012, à l’âgede 104ans, asigné là sonpremier et dernierchantierpostmortem.Preuvedel’implicationofficielledu«Mes-tre»,AntoineRufenacht,mairedelaville entre1995et 2010, avait faitenpersonne le voyageàRio.

LeVolcanestplusqu’une insti-tutionculturelle. Il est le symboled’unrenouveauurbain.Unsignepolitiqueaussi.A l’extrémitéouestdubassinduCommercedont il clôt laperspective, il avaitsurgiparmi la rigoureusemais élé-gantegéométriearchitecturaled’AugustePerret,maîtred’œuvrede la reconstructionde lavilleaprès lesbombardementsdévasta-teursde 1945.

Devenule siègede lapremièremaisonde la culture françaisenéedans laville audébutdesannées

1960, le site a été classéaupatri-moinede l’Unescoen2005enmêmetempsque l’ensemblede laville reconstruite.C’est aussi l’unedes scènesnationales lesplus acti-ves.Mais au fil des années, leVol-cansedégrade. En cause, la partiebasse,unedallepeuamène, aupieddesdeux«cônes»debéton,qu’aucundesutilisateursdeslieuxn’apuousuanimer. LeVol-canétait devenu« le troude la vil-le». En juillet2010, lamunicipalitélance lenouveauchantier.

Casd’écolePoursortir les lieuxde l’ombre,

deuxaxesde transformationontétévalidés: réhabilitationdesusa-gesde la salle dugrandVolcan,confiéeau cabinetDeshoulières-Jeanneau, et créationpar l’agenceSogno, sous lepluspetit cratère,d’unemédiathèqueà laquellevien-dra s’adjoindre, côté sud,un res-taurant.

Mais l’apport leplusprobantest lepercementdenouvellesvoiesde lumière.D’amplesbaiesvitrées s’ouvrent sur l’esplanadetantdécriée, uneverrièreéclaire lamédiathèqueetde simplesoculusponctuentçà et là lesparoisobli-

ques. Les accès au lieusont égale-mentaccrusgrâce àun jeudepen-te et depassage. Les architectesparlentd’ouvrir le sitepour«refondre son rapportau solurbainetaubassinduport».

Outre sonnécessairedésamian-tage, l’architectured’OscarNie-meyer, toutede courbes et soumi-seàdes contraintes réglementai-resd’unautre âge, n’apas été sim-ple à appréhender.Desélémentsporteursontdûêtre remplacés.L’ossaturedemétalqui supportedésormais le cratèreprincipal–visibleau-dessusdupublic–,n’estpas lamoins impressionnan-tesdes structures.

Dans la solituded’un infinipanoramadequais, de rails, demeretde citernes, à l’emplace-mentde l’anciennegaremaritime,la salle de spectacleduVolcanadû, le tempsdes travaux,poser sesbagages.Mais il lui faudra, selon lamairie,«libérer les lieuxpour l’été2014». A cettedate,Arevaprévoitd’installerunvaste sitedeconstructionsd’élémentspouréoliennesoff shore.«2000emplois sontà la cléà l’hori-zonde cinqannées», se réjouitJeanMoulin, adjoint aumaire

UMPEdouardPhilippe, chargédesfinances, desmarchéset desaffai-res juridiquesde la ville.

L’hommeconnaît l’étatdeschantiersde sa ville. Celuidunou-veaucinémad’art et d’essai Sirius,en cours, ou celui, achevé, de l’an-ciennepiscinemunipaleArtdéco,qui sera inaugurée le 14octobre.Elleva retrouver les traitsde sa jeu-nesse, dontdeuxbronzesmonu-mentaux,unbaigneuretunebai-gneuse, copies conformesdusculpteurAlphonseSaladin(1886-1953).

AuHavre, d’autres bassins–tout aussimajestueux– ont faitdavantagede vagues. Le chantierdesBains des docks livrés par JeanNouvel en juillet2008 estmêmedevenuun cas d’école. Le décolla-ge rapidede la plupart des surfa-ces carrelées a amené la ville àdevoir fermer le site de janvier àaoût2013 et à payer sa réparation(7,5millionsd’euros). Soucieusede récupérer ses fonds, elle a lancéennovembre2008 les premièresexpertises. Les conclusionsdevraient être rendues à l’été2014.D’ici là, leVolcan aura peut-être retrouvé ses terres.p

Jean-JacquesLarrochelle

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FranckTestaertdirecteur du Tetris

Leport d’attachedes graphistes

LeHavremetsesguitaresenconteneursEx-bastiondurockfrançais, lavilleserelanceavec l’ouvertured’unvastecomplexeconsacréauxmusiquesactuelles

Haut lieu du rock et de l’architec-ture française, LeHavre a égale-mentmarquénotre histoirevisuelle et littéraire, deMonet ouDubuffet à Sartre, QueneauouJeanVigo. De ce riche patrimoi-ne, l’élégante revue semestrielle2017 &plus fait sonmiel. Parucet été, son cinquièmenumérorevient entre autres sur l’histoi-re graphiquede la cité, que larevue a d’ailleursmarquée endécrochant lamédaille de bron-ze des EuropeanDesignAwardsen 2012. Aux EDAwards de2013,c’est l’or qu’a reçu LettresduHavre (Editions non standard,2012), d’Elodie Boyer et JeanSegui. Des photographies captu-rant l’identité visuelle du port ydialoguent avec desmissivesenvoyées par desHavrais de fic-tion. Très soigné, l’ouvragerejoint d’autres réussitesgraphiques récentes, telles queHavre, de Frédéric Teschner(Franciscopolis éditions, 19¤),ouOh, ce sera beau! (éd. Alcéa-ne, 35¤), publication collectiveautour des logements sociauxhavrais,mêlant textes et dessinsde Loustal, Schuiten ouDruillet.

Conçu par LaurentMartin et Vincent Duteurtre, le Tetris est un clin d’œil à l’activité duport autant qu’au jeu vidéo dumêmenom. PATRICK GALAIS

130123Vendredi 11 octobre 2013

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14 0123Vendredi 11 octobre 2013culture

Musiques dumonde

F ougueuse et d’un tempéra-ment fort généreux, Toto LaMomposina, l’une des plus

célèbres chanteuses traditionnel-les de Colombie, qu’avait repéréeet signée Peter Gabriel sur sonlabel Real World, au début desannées1990,estunefemmedescè-ne accomplie. En deux temps troismouvements, avec ses musiciens,elle plante le décor des fêtes et car-navalsde sonpaysnatal.

Terre foisonnantedemusiques,la Colombie sera à l’honneur, cetteannée, au festival Villes des musi-quesdumondequisedéploiepen-dantunmoissur lescommunesdelaSeine-Saint-Denisetinvestitplu-sieurs sallesparisiennes.La 14e édi-tion invite pour sa soirée d’ouver-tureTotoLaMomposinaetprésen-tera, entre autres Colombiens, LosHijos de Mama Cumbé, un pro-grammeréunissantdesnomscélè-bres de la cumbia (Petrona Marti-nez,JuanchoFernandez,LidiaMon-tero).

La cumbia est le genre musicalfestiflepluspopulairedelaColom-bie, et certains la connaissent sansle savoir. Elle est entrée dans lesfoyersfrançais,en1980,parlebiaisd’une publicité télévisée pour unemarquedecafé,avecletitreLaCole-giala, interprété par Rodolfo y suTipica (unecompositionduWalterLeón). Remise au goût du jour cesdernières années, en versionélectro, par des DJ producteursargentins (dont El Hijo de la Cum-bia,programméenclôturedufesti-val), «son origine est repérée dès lafin du XVIIIe siècle», écrit CarolineBourgine, dans les notes de pro-gramme. «Pratiqués par les escla-ves, ses pasdedansedériventdirec-tement des pas dansés avec deschaînes et des boulets auxpieds.»

Née en 1940, dans le village deTalaiga, situé au milieu d’une îlenommée Mompox, sur le fleuveMagdalena,quise jettedanslamerdes Caraïbes, Toto La Momposinaest présentée parfois comme la«reine de la cumbia». La formuleest réductrice. Si le genre lui sied àmerveille, le terrain de jeu de la

chanteuse est bien plus vaste. Elleinclut dans son répertoire égale-ment des styles cubains, maisavant tout des couleursmusicalesde sa terre, où se sont « rencon-trés» indiens indigènes, colonsd’Espagneet esclavesafricains.

Peu réceptive aux propositionsde la nueva cumbia digitale, lachanteuse revendique une musi-que authentique et festive que lesgensdupeuple,enColombie,nom-mentmusica de antes («musiqued’autrefois».) Nostalgique, TotoLaMonposina? Pas nécessaire-ment, assure-t-elle dans un de cesgrandséclatsderiredontelleponc-tue ses phrases. Elle a d’ailleurs,rappelle-t-elle, participé à unalbumde Calle 13, un duo portori-cainénervé, trèspopulairechez lesjeunes d’Amérique latine. «Detemps en temps, néanmoins, onregarde le passé malgré soi, pour-suit la chanteuse. On se replongedans ce temps où la parole donnée

avait du sens, où l’on s’attachait àpréserver l’héritagequenoustrans-mettaient les anciens. La mémoireestdevenue très vulnérableaujour-d’hui…» La faute à qui? «Aux nou-velles technologies, à la télévision,aux ordinateurs, totalement abru-tissants…» Et de conclure en sou-riant: «Je regrette cette époque oùl’on savait encore prendre sontemps pour s’écrire de belles lettresd’amour.» p

PatrickLabesse

Toto La Momposina en concert. Le11octobre à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 12 à Fontaine (Isère) et le 25à Marseille (Fiesta des suds).Festival Villes des musiques dumon-de. Du 11octobre au 10novembre.Treize villes de Seine-Saint-Denis etParis.Tél. : 01-48-36-34-02.Villesdesmusiquesdumonde.com

Théâtre

VannesEnvoyée spéciale

I l bruine sur la ville, les nuagessefondentsur lapierregrise,etle ciel de Vannes rend le cœur

chagrincommedansunechansondeBarbara. Jean-LouisTrintignanta choisi d’arrêter là, à bientôt83ans,detirer lerideausurlethéâ-treetsursonspectacleTroispoèteslibertaires,qu’il tournedepuisqua-treans. Il l’aannoncédanslequoti-dienNice-Matin le 23septembre.

Et ce soir du 9octobre, pour ladernière, la grande salle du Théâ-tre Anne-de-Bretagne, remplie àcraquer, palpite d’une émotion etd’unegravité particulières.

La scène est un vaste espacesombre, sans décor, où viennents’asseoir le comédien et lesdeuxmusiciens qui l’accompa-gnent depuis plusieurs années,Daniel Mille à l’accordéon et Gré-goireKornilukauvioloncelle.«Jus-qu’à ce soir, ce spectacle s’intitulaitTroispoèteslibertaires,maisàpar-tirdemaintenantil s’appelleLiber-taires tout court», s’amuse Jean-Louis Trintignant.

Libertaires, donc, Jacques Pré-vert, Boris Vian et Robert Desnos,que l’acteur aime et fréquentedepuistoujours.Lesmots, lamusi-que et la voix ensorcelante, recon-naissable entre toutes, sculptentun espace tout entier dédié àl’écoute. «Il y a beaucoup deméri-te à épouser une femmeplus jeunequesoi [Qu’ya-t-il,deBorisVian]. Ily a beaucoup de mérite à épouserune femme. Il y a beaucoup demérite à épouser », commenceTrintignant.

Du Déserteur de Vian auxQua-tre sans cou de Desnos, de la Four-mi dumêmeDesnos àHistoire ducheval de Prévert, Jean-Louis Trin-tignant emmène dans cet espritdu surréalismed’avant et d’après-guerre,quipeutsemblersiéloignéaujourd’hui,danssalibertéradica-le et désespérée.

«Le soleil ne brille pas dans lesprisons»,ditPrévert,dontlecomé-dien fait aussi entendre Etrangesétrangers, poème de 1955 quirésonne de manière troublante.«Kabyles de La Chapelle et desquais de Javel/ Hommes de pays

loin/ Cobayes des colonies/ Douxpetits musiciens/ Soleils adoles-cents de la porte d’Italie/ Bou-mians de la porte de Saint-Ouen/Apatridesd’Aubervilliers/Brûleursdes grandes ordures de la ville deParis/ Ebouillanteurs des bêtes

trouvéesmortes sur pied/ Au beaumilieu des rues/ Tunisiens deGrenelle/ Embauchés débauchés/Manœuvresdésoeuvrés»…

Mais c’est la mort, surtout, quitraverse ce choixdepoèmes. BorisVian: «Je ne voudrais pas crever/Avant d’avoir goûté/ La saveur de

lamort.» Jean-Louis Trintignant acommencéces récitalspoétiquesàla fin des années 1990, avec sa filleMarie. Tous deux s’échangeaient,depuisdesannées,descassettesdepoèmes, et ce long dialogue leur adonné l’idée de créer ce beau spec-tacle à deux voix sur les Poèmes àLoudeGuillaumeApollinaire.

PuisMarieTrintignantestmor-te, en août2003. Et Jean-Louis acontinué à dire Apollinaire,notamment à Avignon, en 2005, àl’endroit même, entre lesmurailles du Palais des papes où,en 1962, il avait joué La guerre deTroie n’aura pas lieu sous la direc-tionde JeanVilar.

Alorsc’estelle, lamortquiassas-sine, comme dit la chanson desRitaMitsouko, qui court dans cet-te soirée où Trintignant est, com-me toujours, d’une sobriété etd’une libertémagistrales,musica-les –donnant toujours la sensa-tiondelaisserunemargeàl’impro-visation.

Avant de finir avec Paroles, de

Prévert : «Oh Barbara/ Il pleutsanscessesurBrest/Commeilpleu-vaitavant/Maiscen’estpluspareilet tout est abîmé/ C’est une pluiededeuil terrible et désolée/Cen’estmême plus l’orage/ De fer d’acierde sang/ Tout simplement desnuages/ Qui crèvent comme deschiens/ Des chiens quidisparaissent/ Au fil de l’eau surBrest/ Et vont pourrir au loin/ Aulointrès loindeBrest/Dontilneres-te rien.»

Jean-Louis Trintignant regardela mort en face, avec ce sourired’enfant, intact. Ovation debout,of course. Dans la nuit de Vannes,les nuages ont la couleur d’unadieu.p

FabienneDarge

Trois poètes libertaires, Boris Vian,Jacques Prévert, Robert Desnos, parJean-Louis Trintignant, Daniel Mille àl’accordéon et Grégoire Korniluk au vio-loncelle. Mise en scène : Gabor Rassov.Théâtre Anne-de-Bretagne, Vannes,le 9octobre.

C’ÉTAIT IL YAUNAN, dans le«off» d’Avignon.MarieRémondportaitun short en jean etunecoiffure iroquoise célèbre: celled’AndreAgassi, dont elle racontaitl’histoire, en s’inspirantde sabio-graphie,Open (éd. Plon, 2009). Lacomédiennene s’intéressaitpasau tennis,mais à la part humainedu«Kidde LasVegas», en suivantune ligne: commentunpère fabri-que son fils pour en faireunhérosdu rêve américain. Et comment lefils accepte et se révolte, seperd etse retrouvedansune carrière auplushautniveauqu’il n’a paschoisie.

Ce très joli spectacle,Andre,était empreintd’unedélicatessequ’onne retrouvepas dansVersWanda, présentéauThéâtrenatio-nal de la Colline à Paris jusqu’au26octobre. Cette fois,MarieRémondet ses camaradesClé-mentBressonet SébastienPoude-roux sont partis sur les tracesdeWanda, le filmdeBarbara Loden,qui fut la seconde époused’EliaKazan.Guidéspar la questiondelaquête identitaire, comme ils lefurentdansAndre, ils jouent surdeuxniveaux: la reconstitutionde scènesdu filmet l’aspect docu-mentairede sa fabrication, tra-

vaillé essentiellementàpartir dedeux livres:Une vie, l’autobiogra-phieducinéaste (éd.Grasset,1989), et Supplémentà la vie deBarbaraLoden, le livredeNathalieLéger (éd. POL, 2012).

Wandadatede 1970. BarbaraLoden, qui interprète le rôle-titre,l’a réalisé àunmoment charnièrede sonhistoire. Elle devait jouerdans L’Arrangement, d’EliaKazan,mais les studios lui ontpréféréFayeDunaway, alors enpleinegloire, et le cinéaste a cédé à leurdemande.Dans l’histoiredu cou-ple, ce fut une rupture: la déci-siondudivorce fut prise pendantle tournagedeWanda,malaccueilli auxEtats-Unis, et dontondoit la redécouverte enFranceà IsabelleHuppert, en 2003.

Les relations tumultueusesdeBarbaraLoden et EliaKazanoccu-pentunegrandeplacedans lespectacle. C’est légitime,mais letraitementcaustiquede la gouja-terie et de l’égoïsmedu cinéastedéséquilibre le propos: il provo-queun rire occultant l’émotionque l’ondevrait avoir en suivantlespas deBarbara Loden, boule-versanteen femmeperdue sur lecheminde la vie. p

Brigitte Salino

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INSTANTANÉ THÉÂTRE

Onnedoitpas riredeWanda

DanielMille, Jean-Louis Trintignant et Grégoire Korniluk, ovationnésmercredi 9octobre. ARNAUDGUMEZ/SIPA

AVannessouslabruine,Jean-LouisTrintignanttiresarévérenceApresque83ans, le comédiena jouépour ladernière foissonspectacle«Troispoètes libertaires»

Page 15: Le Monde - 11 Octobre 2013

150123Vendredi 11 octobre 2013 carnet

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Catherine DAMELON et Peter LEWISont la joie d’annoncer la naissance deleur petit-fils,

Thomas,le 28 septembre 2013,

chezSimon etMagali.

[email protected]

Anniversaire de naissance

M. BETTINELLI,soixante ans,

est activement recherché par ses enfantsafin de lui témoigner leur amour.

Joyeux anniversaire papa.

Décès

Jackie BALDWIN,née RATSIETISON,

journaliste,

s’est éteinte ce dimanche 6 octobre 2013,sans douleur en pensant au lendemain.

La cérémonie de crémation aura lieule vendredi 11 octobre, à 13 h 15,au crématorium de Montussan.

L’inhumation de l’urne aura lieule samedi 12 octobre, à 10 h 30,au cimetière de Saint-Vivien de Médoc.

Famille et amis s’unissent pour unultime au revoir.

Le Teatro alla ScalaEt tous ses salariés,

sont profondément touchés par le décès de

Patrice CHÉREAU,qui a laissé dans l’histoire de ce théâtre unsigne extraordinaire avec ses spectaclesanimés de passion et de vérité.

Mais ses spectacles restent et lui aussi.

Pour toujours.

Claude et Hélène Chéreau,son frère et sa belle-sœur,Ses neveux et nièces,Pablo Cisneros,

son compagnon,Ses proches,

ont la tristesse de faire part du décès de

Patrice CHÉREAU,survenu le 7 octobre 2013.

Une bénédiction aura lieu en l’égliseSaint-Sulpice, à Paris 6e, le mercredi16 octobre, à 11 h 30.

Patrice aimait les fleurs blanches.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Pierre Leroy,président de l’Institut mémoiresde l’édition contemporaine (IMEC),

Nathalie Léger,directrice générale,

Albert Dichy,directeur littéraire

Et toute l’équipe de l’IMEC,

ont la tristesse de faire part de la disparitionde

Patrice CHÉREAUet se joignent à la douleur de ses proches.

(Le Monde du 9 octobre.)

La famille de

Claude GEORGE,ancien élève

de l’Ecole normale supérieure, rue d’Ulm,professeur

à la Faculté des sciences de Nancy,

a la tristesse d’annoncer son décès survenule samedi 5 octobre 2013,dans sa quatre-vingt-deuzième année.

Une cérémonie aura lieu au crématoriumdu cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,le vendredi 11 octobre, à 14 h 30.

Le Havre.

La famille Guibert

a la tristesse d’annoncer le décès de

M. Laurent GUIBERT,chirurgien - orthopédie pédiatrique,

survenu le 6 octobre 2013,à l’âge de soixante ans.

« You gotta moveOh, when the Lord gets ready

You gotta move. »

« Il faut partirOh, quand le Seigneur donne le signal

Il faut partir. »

Soizic,sa mère,Claude,

son père,Anette,

sa sœur,Olivier,

son compagnon,Sa famille,Ses amis,

ont la douleur d’annoncer la mort de

CharlotteHIRSCH-SEEVAGEN,

le 6 octobre 2013.

Elle reposera au cimetière de Ville-d’Avray, entourée de ses grands-parents.

« Surtout continuez à rire,à sourire, à chanter,

je m’en vais tout simplement… »

L’enterrement aura lieu le vendredi11 octobre, à 11 h 45, au cimetièrede Ville-d’Avray.

Le présidentde l’université Paris-Sorbonne (Paris IV)

Et l’ensemblede la communauté universitaire,

ont la tristesse de faire part du décès de

Jean-Marie MAYEUR,professeur émérite

d’histoire contemporaine,

survenu le 8 octobre 2013.

Le père Provincialde la Compagnie de Jésus,

Sa communautéEt sa famille,

font part du retour à Dieu du

père Jacques ORGEBIN,décédé à Lille, le 8 octobre 2013,dans sa quatre-vingt-troisième annéeet la soixante-quatrième de sa viereligieuse.

Ses obsèques seront célébrées le samedi12 octobre, à 9 h 30, en la chapelle de laMaison Saint-Jean, 73, rue des Stations,à Lille (Nord).

Mme et M. Charles Virot,Natalie Levisalles,Mireille Virot et Henri Girard,Marielle Aubry- Virot,Mélanie Papet, Taymun Yanan,Florentin et Calixte,Julie Papet,Samuel Bitoun,Toute sa famille,Ses amis et complices,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Pascal VIROTsurvenu le 4 octobre 2013.

La crémation aura lieu le vendredi11 octobre, à 10 h 30, au crématoriumdu cimetière du Père-Lachaise, salle dela Coupole, 71, rue des Rondeaux,Paris 20e.

Ni fleurs ni couronnes.

Mme et M. Charles Virot,20, rue du Hameau,75015 Paris.

Anniversaire de décès

Rose DELAISTIER,née ENJINE,1915-2003,

maman, mamie, mamie-Rose,nous ne t’oublions pas !

Louis et Maurice,tes fils,Frank, Nadia, Nathalie et Rachel,

tes petits-enfantsEt Suzanne,

ton arrière-petite-fille,

que tu aurais beaucoup aimée.

ConférenceL’Association amicale des anciens élèves

du Lycée Condorcetorganise une conférence,

le jeudi 17 octobre 2013, à 18 h 15,au Lycée, 8, rue du Havre, Paris 9e,

La distribution des marchandisesdans Paris : problèmes, enjeux

et perspectives,présentée par Jérôme Libeskind,

ancien élève.Entrée libre sur réservation :

Nicolas de Kervern : 06 60 53 77 40,[email protected]

Débat

Débat

Quel pouvoir voulons-nous ?

M. Marcel Gauchet,historien, philosophe,

directeur d’études à l’EHESSLe docteur Charles Melman,

psychanalyste,ex-psychiatre des Hôpitaux

Jeudi 17 octobre 2013.Séances suivantes : 7 novembre,

12 décembre 2013,9 janvier,

13 mars, 10 avril 2014,à 21 heures au Centre Sèvres,35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e.

Inscriptions sur place,entrée : 20 € ou 100 € le cycle.Secrétariat tél. : 01 42 86 13 93

ou www.ephep.com

Communications diverses

Espace analytique« L’Œdipe, la psychanalyse

et la civilisation »Centenaire de Totem et Tabou.

12 et13 octobre 2013,Faculté de Médecine (Amphi Binet),45, rue des Saints-Pères, Paris 6e,

avec Nedra Ben Smaïl, Danièle Brun,Gorana Bulat-Manenti, Edith Campi,Gisèle Chaboudez, Henri Cohen-Solal,Anahit Dasseux Ter-Mesropian,

Marielle David, Laurent Delhommeau,Patrick de Neuter, Frédéric de Rivoyre,Olivier Douville, Sylviane Giampino,Hélène Godefroy, Gérard Guillerault,Christian Hoffmann, Philippe Kong,Patrick Landman, Monique Lauret,Didier Lauru, François Leguil,Serge Lesourd, Silvia Lippi,

Pierre Marie, Vannina Micheli-Rechtman,AndréMichels, Jean-Jacques Moscovitz,Jean-Jacques Rassial, Ouriel Rosenblum,Berta Roth, Guy Sapriel, Thierry Sauze,Charlotte Sibony, Amos Squverer,Myriam Szejer, Bernard Toboul,

Emmanuel Todd,Dominique Tourrès-Landman,

Alain Vanier, Markos Zafiropoulos.100 € (étud. 50 €).Tél. : 01 47 05 23 09.

[email protected]

Le cycle de rencontresde L’Association PenséOaccueillera notamment

Jean-Marie Rouart, académicien,Claude Brovelli, grand reporter à TF1.Ils partageront avec les jeunes étudiants

et les lycéens de l’association,leur trajectoire, leurs engagements

et leur regard sur la société.Renseignements :

Tél. : 01 45 51 06 18,mail : [email protected]

http://association-penseo.blogspot.com/Sur inscription

dans la limite des places disponibles.

Colloque

« Choisir Paris »

Les grandes donations aux muséesde la Ville de Paris

Le 11 octobre 2013, à l’INHA,2, rue Vivienne, Paris 2e

et le 12 octobre, au Petit Palais,avenue Winston- Churchill, Paris 8e.

De 9 heures à 17 h 30,entrée libre.

Ce colloque retrace la genèsedes collections des 14 musées

de la Ville de Paris, et rend hommageà l’action souvent déterminante

de donateurs passionnés.

Informations complémentairessur les sites :

www.parismusees.fr et www.inha.fr

Le monde des associations

Ent’revuesest une association créée en 1986,

qui propose à tous les acteursde la vie des revues

(libraires, bibliothécaires,écrivains, éditeurs, chercheurs...),

un espace d’information,de rencontre et de réflexionpour l’étude et la promotion

des revues culturelles.

Dans ce cadre,Ent’revues organise

les 11, 12 et 13 octobre 2013,son 23e salon de la revue,

à l’Espace d’animationdes Blancs-Manteaux

148, rue Vieille-du-temple, à Paris 4e.

Des rencontres et tables-rondesseront organisées :

• Rencontres autour deHenri Thomas, Henry Bauchau,

Benjamin Péret, Germain Nouveau,Jean-Claude Montel, RosemarieWaldrop, Alexandra Pizarnik,

Lorine Niedecker…

• Tables-rondes riches et variées:La gauche au pouvoir :

comment dépasser l’impuissance ?Dire les homosexualités

d’une rive à l’autre de la Méditerranée.Le Théâtre et l’Argent.

Qu’en est-il aujourd’hui de l’égliseorthodoxe russe et de la Sainte Russie ?Pourquoi une revue de psychanalyse

aujourd’hui ?Le refus de la théorie et ses conséquences.Ecrire sur les musiques populaires.

Écriture(s) et Folie(s).L’Europe pense en plusieurs languesL’Europe, l’euro au prisme des revues.Du côté de la littérature populaire :

Schnock et Charles.

Entrée libre

Programme complet :www.entrevues.org

Tél : +33 (0)1 53 34 23 [email protected]

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Page 16: Le Monde - 11 Octobre 2013

0123 est édité par la Société éditrice du «Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).Rédaction 80,boulevardAuguste-Blanqui, 75707Paris Cedex13 Tél. : 01-57-28-20-00Abonnements par téléphone: deFrance32-89 (0,34¤TTC/min) ; de l’étranger: (33) 1-76-26-32-89Tarif 1 an :Francemétropolitaine : 399¤Courrierdes lecteurs: blog: http://mediateur.blog.lemonde.fr/;Parcourrierélectronique:[email protected]édiateur:[email protected]: site d’information:www.lemonde.fr ; Finances : http://finance.lemonde.fr; Emploi :www.talents.fr/ Immobilier:http ://immo.lemonde.frDocumentation: http ://archives.lemonde.frCollection: LeMonde surCD-ROM :CEDROM-SNI01-44-82-66-40LeMondesurmicrofilms: 03-88-04-28-60

V oix de fumeuse, quadrasexy, pré-cougar, connue etsuccessful: c’estMademoi-

selleAgnès, AgnèsBoulardde sonvrai nom, «MadameMode» deCanal+depuis, ilme semble, quela chaîne existe (elle y a été l’unedes premièresMissMétéo, avantde se tourner à partir de 1991) ;timbreun rien atone, phrasésinueuxavec cette touchede«noble dédain», lanobile sprezza-turades Italiens raffinés de l’èreprébaroque.

LoïcPrigent, sortedegeekauxyeuxclairs (on levoit trèspeuàl’écran), est la voixoff et le réalisa-teur,deux fois par saison,de«Rha-billé(e)pour l’été» (ou l’hiver), decette chroniquefarfeluemais saga-cede la foliequi gagneParis à l’oc-casiondesdéfilésdeprêt-à-porteretdehaute couture.

Onnommecommunémentcela«FashionWeek»etnon«Semainede lamode» (qui faittrop«boloss», diraitMademoisel-leAgnès, aveccevocabulaireen lis-ted’attenteà l’entréeduLaroussequ’ellemanie commeunecollé-giennedu9-3).

Cesdeuxcomparses sont inso-lents et têtusà souhait, filment cequ’ilne fautpas filmer (ah! la«caméra-culotte»deMademoisel-leAgnès audéfilé JeanPaulGaul-tier, qui fixe l’entrebâillementd’undessous), semoquentdeCatherineDeneuveoud’AnnaWin-tour, la patronnehautaineetunrienCruelladuVogueaméricain.

L’humeurpréféréeduduoBou-lard-Prigentest lemi-cuit/doux-amer: cet entre-deuxàmi-chemindusérieuxdocumentaireet dufoutagedegueuledans lepluspur«espritCanal», fait dedrôlerie sai-gnanteet depetitespiquesà sec,

constitueunstylequi est devenuunesortede lingua francadugenre. (Par le biaisde la sociétédeproductiondeMademoiselleAgnès, ils produisentaussi, surParisPremière, «LaMode, lamode, lamode», d’AlexandraGolo-vanoff, sorted’Agnèsbis,maissans la fofollerie.)

Evidemment, ils sontbeaucoupsingés: par lemagazinede Stylia,«A la vie, à lamode», par exem-ple, où ElisabethBost etHugoLopezoccupent lesmêmes rôlesdansàpeuprès lemême registre.(Je conviens cependantque leurémissionhebdomadaire se regar-de avecplaisir et nemanquepasd’esprit.)

Le «Rhabillé(e) pour l’été» quediffusait Canal+mercredi 9octo-

bre à 22h30est unepierre deplusà cet édifice que la série,mine derien, construit patiemment.Dansquelquesannées, visionnée com-meun tout, elle constituerauneintéressante anthologiede lavêture contemporaine.

Mais si le génien’est pas absentdumondede lamode, cet universstupéfie quelquepeupar sonabsurde superficialité. Ce querésumeassez bienMademoiselleAgnès en tapotantun élémentdedécorqui sonne creux: «Bienve-nuedansunmondeoù lemarbreest en plastique.»p

C'EST À VOIR | CHRONIQUEpar Renaud Machart

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Firmin62

Amérique du Sud Forts orages attendus sur le Paraguay

En Europe12h TU

Une goutte froide en altitude générerabeaucoup d'instabilité sur la moitié Nordjusqu'aux Alpes sous la forme d'averses,moins nombreuses cependant endirection du Bassin Parisien et duNord-Pas-De-Calais. La neige tomberaenmoyennemontagne sur les massifsde l'Est. Plus au Sud, le soleil l'emporterasouvent, notamment autour de laMéditerranée. Il fera très frais.

Coeff. demaréeLeverCoucher

LeverCoucher

Maussade et grande fraîcheur

Aujourd’hui

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Solution du n° 13 - 240HorizontalementI. Bien-pensants. II. Adrien. Agora.III. Séants. Le. Et. IV. Saï. Eole.Mue.V. Ille. Raspail.VI.Nille. Sil.Ll.VII.Osé. Désempli.VIII. Item.Dan. Las. IX. Ré. Open. Sage.X. Esquintantes.

Verticalement1. Bassinoire. 2. Idéalistes.3. Eraillée. 4.Nin. El. Mou. 5. Pète.Ed. Pi. 6. Ensor. Eden. 7. Lassant.8. Salésien. 9. Age. PLM. Sn. 10.No.Ma. Plat. 11. Treuillage.12. Satellisés.

Philippe Dupuis

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

1. Poussée par le gondolier. 2. Pourles amateurs de douces vapeursmédicamenteuses. 3. Rassurele consommateur. Ses fleurs ontun parfum de résine. 4. VladimirOulianov. Geste écologique.5. A essayé de charmerCharlemagne. Petit morceau.6.Mettent en bonne place.7.Glapit, trompette et craquette.Haridelle. 8. Sur la portée.Ses belons valent le détour.9.Un peu de café. Possessif.Au cœur de toutes choses. 10. Fitdes réductions. En Italie avantRome. 11. Perdirent un peu temps.12.Dispenseras.

I. Au travail depuis l’inventionde Gutenberg. II. Conducteurpaisible. Equipe les preneursd’images. III.Quitte la Suissepour s’installer en France. Faitl’égalité. IV.Dans les comptes del’entreprise. Impossible à prévoir.V. Pour changer de paragraphe.Fin de partie. Règle.VI. Semangepar la racine. Mettre au pas.VII.Mis de côté. Facilite lestransports de liquide. Espacede culture.VIII. Il y en a pleincette page. Ouverture vers le large.IX. Pour consulter et lire les grosouvrages. Attaqua à la base.X. Entreprises de démolition.

Jeudi10octobreTF1

20.50 Profilage.Série. Dans la lumière. Sortir de l’ombre (S4, 11et 12/12, inédit)U. Insoupçonnable [1 et 2/2](saison 3, 11 et 12/12). Avec Odile Vuillemin.0.55New York, section criminelle.Série. La Folie des grandeurs (saison 7, 2/22)U ;Thérapie de groupe (saison 8, 4/16) (100min).

FRANCE2

20.45Des paroles et des actes.Jean-François Copé. Magazine.Invitée : Najat Vallaud-Belkacem.23.05 Alcaline le mag.0.05 Faites entrer l’accusé.Francis Evrard, l’enlèvement d’Enis (80min)V.

FRANCE3

20.45True Gritppp

Film Ethan Coen et Joel Coen. Avec Jeff Bridges,Hailee Steinfeld (Etats-Unis, 2010)U.22.35Météo, Soir 3.23.35 Edith Piaf amoureuse (115min).

CANAL+

20.55Dexter.Série. La Neuro-psychopathe. Vous êtes parfait(S8, 1 et 2/12). Avec Michael C. Hall (inédit)V.22.45Weeds. Série (S7, 7 et 8/13, inédit)V.23.35 Rock’n’Lovepp

Film David Mackenzie. Avec Rebecca Benson,Luke Treadaway, Natalia Tena (GB, 2011, 80min).

FRANCE5

20.40 La Grande Librairie.Magazine. Invités : Eric-Emmanuel Schmitt,Marie Darrieussecq, Lionel Duroy.21.41 Un film & son époque.Il était une fois... « La Reine Margot».Documentaire.22.35 C dans l’air. Magazine.23.46 Entrée libre. Magazine (20min).

ARTE

20.50 Borgen.Série. Bronzé mais pas trop. Le Malheur des uns...(S3, 3 et 4/10). Avec Sidse Babett Knudsen.22.50 Vie et mort d’un voisin (2013).23.40 Le Voyage des oiseauxmigrateurs. Escale sur la mer Rouge.0.35 Perdita Durangop

Film Alex de la Iglesia (coprod., 1997, 55min).

M6

20.50 Bones.Série. Les Enfants-Soldats (S8, 18/24, inédit).Chasseurs de tornade. Code assassin (S7, 6/13).Une part de mystère... Retour vers le futur(S3, 7/15). Avec Emily Deschanel (250min)U.

météo& jeux écrans

Sudokun˚13-241 Solutiondun˚13-240Vendredi11octobreTF1

21.00 Football.Match amical. France - Australie. En direct.23.00 Vendredi,tout est permis avec Arthur.Invités : Ariane Brodier, Florent Peyre, PatrickBosso, Steevy Boulay, Karine Ferri... (110min).

FRANCE2

20.45Boulevard du Palais.Série. Aimez-moi. Avec Anne Richard, PhilippeAmbrosini, Jean-François Balmer (Fr., 2013)U.22.20 Ce soir (ou jamais !).Magazine présenté par Frédéric Taddeï.0.25 Piaf, hymnes à laMôme (110min).

FRANCE3

20.45 Thalassa.Saint-Malo : au pays des marins. Magazine.Sommaire : Des îles et des forts ; Les Amoureuxde Cancale ; Les Messieurs de Saint-Malo...22.35Météo, Soir 3.23.10Docs interdits.La Longue Marche de Martin Luther King (2013).0.10 Si près de chez vous (50min).

CANAL+

20.55Nous YorkFilm Géraldine Nakache et Hervé Mimran. AvecLeïla Bekhti, Géraldine Nakache (France, 2012).22.30Unbonheur n’arrive jamais seulFilm James Huth. Avec Gad Elmaleh, SophieMarceau (France, 2012, audiovision, 105min).

FRANCE5

20.40Onn’est pas que des cobayes!Défi : gagner une course de caisses à savon !Peut-on faire des glaçons au micro-ondes ?...21.30 L’Univers. [1/3] Démesures.22.25 C dans l’air. Magazine.23.35 Entrée libre. Magazine (20min).

ARTE

20.50 Traque en série.Série. Liget i skoven, del 1 et 2(saison 1, 1 et 2/12). Avec Laura Bach (inédit).22.20Un été à Rome.Téléfilm. Stephan Meyer. Avec Thomas Heinze,Esther Schweins, Mala Emde (Allemagne, 2013).23.50 Court-circuiT.Spécial « dénudé ». Magazine (55min).

M6

20.50NCIS : enquêtes spéciales.Série. Autopsie d’un crime (S10, 16/24, inédit) ;Œdipe et le roi. Opération chant d’oiseau.Le Tueur de port en port (S8, 18 à 20/24) ;Sans issue (saison 1, 22/23)U (250min).

Lessoiréestélé

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Résultats du tirage dumercredi 9 octobre.

1, 12, 18, 20, 26; numéro chance : 2.Rapports :

5 bonsnuméros etnuméro chance : pas de gagnant;5 bonsnuméros : 73706,60 ¤;4 bonsnuméros : 548,80 ¤;3 bonsnuméros : 7,00 ¤;2 bonsnuméros : 4,20 ¤.Numérochance : grilles à 2 ¤ remboursées.Joker : 9094524.

MademoiselleAgnèsetLoïcPrigent,deuxcomparsesinsolentsettêtusàsouhait,

filmentcequ’ilnefautpasfilmer

Motscroisés n˚13-241

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Lesjeux

Loto

La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritairedes publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN0395-2037

PRINTED IN FRANCE

Imprimerie du « Monde »12, rue Maurice-Gunsbourg,

94852 Ivry cedex

Toulouse(Occitane Imprimerie)

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Président : Louis DreyfusDirectrice générale :Corinne Mrejen

16 0123Vendredi 11 octobre 2013

Page 17: Le Monde - 11 Octobre 2013

E n novembre2012, Alain Boc-quet,député(PCF)duNord,etNicolas Dupont-Aignan,

député (non-inscrit) de l’Essonne,sont nommés par la commissiondes affaires étrangères de l’Assem-blée nationale corapporteursd’une mission d’information surles paradis fiscaux. Un tandem aprioribiendissemblable,entrel’an-cien président du groupe commu-niste et le président de Debout laRépublique.

Toutdans leursparcoursrespec-tifs les sépare, sinon une mêmevolonté de ne pas renoncer àmenerdescombatsqu’ilsestimentjustes et de s’attaquer au mondeobscur de la triche fiscale. Pas celledelaresquille,maiscelledeladélin-quance organisée, qui bénéficied’immenses moyens légaux etextralégaux.

Forteressede ladissimulationLes deux élus ont rendu un rap-

port, rendupublicmercredi9octo-bre. En parallèle, Nicolas Dupont-Aignan raconte, dans un livre inti-tulé Les Voleurs de la République etpréfacé par son commissionnaire,cetteplongéedans lesarcanesde lafraude fiscale, de ses comptes ban-caires, comptes offshore, paradisfiscaux – qu’il préfère appeler«parasites fiscaux» – par lesquelstransite l’argent sale. Pas seule-ment l’argent du crime, maisd’abordceluidelafraudeetdel’éva-sion organisées, issues d’activitéséconomiquesclassiques,quiéchap-peauxmaillesdufilet fiscal.

D’autres rapports l’ont précédé.D’autres probablement suivrontavantdeparveniràébranler la for-teresse de la dissimulation, tantles intérêts en jeu sont colossauxet les bénéficiaires puissants,même si les choses commencentdoucement à bouger. Les seuls

avoirs français détenus à l’étran-ger sont estimés à 600milliardsd’euros, le manque à gagner cha-que année à 60milliards. Pour lesseuls particuliers, les sommesdéposéessurdescomptesàl’étran-ger se monteraient à plus de200milliardsd’euros.

Autantdireque,quandlegouver-nement espère, grâce auxmesuresde renforcement de la lutte contrela fraude fiscale qu’il a prises, récu-pérer 2milliards d’euros, il est loindu compte. «Lamisèrede la justiceenFranceexpliqueautantl’impuni-té des délinquants habituels quel’impuissancede l’Etatdans sa luttecontre la criminalité financière»,s’indigneNicolasDupont-Aignan.

Le député de l’Essonne rétablitdes vérités bonnes à dire, surtoutquand se répand comme unmau-vais tube de l’été la rengaine du«ras-le-bolfiscal».Sionveutmodé-rer les impôts du plus grand nom-bre, il fauts’attaquerauxpuissantsinitiés, entreprises ou particuliers,qui ne les payent pas ou peu. Cen’estpas la lourdeurde l’impôtquilespousseàlafuitemaisbienlafui-te qu’ils organisent qui conduit àl’alourdissement de l’impôt desautres.Ce sonteux lesvoleurs.p

PatrickRoger

décryptages

ANALYSEpar François BougonRédaction en chef

Les Voleurs de la RépubliqueNicolas Dupont-AignanFayard, 268 p., 17 ¤

Cent-vingtans après la naissancedeMao,soninfluencesur laviepoliti-que chinoise reste puissante. Pourceux,intellectuelslibérauxousim-ples citoyens, qui espèrent tou-joursuneévolutiondémocratique

du régime, c’est unhéritageencombrant. Aussiimposant que le mausolée construit après sondécès, en 1976, sur la placeTiananmen,enpleincœur de Pékin, où se presse quotidiennementune foule de touristes qui défilent devant lecorps embaumé du grand homme avant dedépenser leur argent dans une boutique regor-geantde souvenirs kitsch.

Après laRévolutionculturelle,durant laquel-le Mao Zedong faillit précipiter le pays dans laguerre civile, Pékin a exclu toute «démaoï-sation». Le travail d’inventaire, approuvé parDengXiaoping, lepèredesréformes,aconcluen1981 en faveur du fondateur de la Républiquepopulairemalgrélesmillionsdemortsdesdiver-ses campagnes politiques: 30% d’erreurs, mais70%de succès. Depuis, cela n’a pas bougé. Pourceuxqui s’intéressent à l’histoire chinoise, il estfascinant de constater l’échec de la théorie prô-

néedans lesannées 1980, selon laquelle l’ouver-tureéconomiqueallaitaboutirà ladémocratisa-tion. Et de voir, en 2013, commentuneChine deplus en plus capitaliste embrasse un «maoïs-me» réinventé. Symbole de ce phénomène, laprochaineédition duPetit Livre rouge sera ven-due, en version de luxe, à 2 000 yuans(242euros).

BoXilai, qui avaitmis cet héritagehistoriqueauservicedesonascensionpolitique,aétésacri-fié. Condamnéenpremière instance à passer savieenprisonpour corruption, l’ancienmembredu bureau politique du Parti communistechinois (PCC) s’est vu accorder,mercredi 9octo-bre, la possibilité de faire appel. Xi Jinping peutmener son «retour à Mao» sans craindre unesurenchère sur son aile gauche. Bo n’est plus làpour exploiter le terreau des inégalités socialescroissantes.

En juillet, il s’est rendudansunevilla oùMaopassait ses étés et qui a été transformée en cen-tre d’éducation sur le patriotisme et la révolu-tion.«Notrenationrougenechangerajamaisdecouleur», a affirméXi Jinping, enréférenceàcesrévolutions de couleur dans les anciens payscommunisteseuropéensquionttanteffrayéleshiérarques chinois. Il a aussi appelé les cadres àse souvenir des paroles deMao leur enjoignantde «restermodestes, prudents et sans arrogancenitéméritédansleurtravail»etde«préserverunmodede vie simple». Des paroles qui entrent enrésonanceavec lavolontéde luttercontre lacor-

ruption,uncancerquirongeleparti.Avecdetelsdiscours,Xi Jinpingagagné le surnomde«Nou-veauMaoZedong». En2012, n’avait-ilpasdécla-ré: «Onne peut pasmettre de côté lemarxisme-léninismeet lapenséeMaoZedong, ce serait per-dre nos racines.» Cette insistance sur «la gau-che»vadepairavecuneattaquecontre«la droi-te». Le pouvoir s’en prend à ceux qui osentrevendiquerunplus grand respect de la Consti-tutionouunéquilibredespouvoirsfaceàlatou-te-puissanceduParti.

Fragilité des nouveaux dirigeantsUne offensive est en cours pour «nettoyer»

lesmicroblogs, les fameuxweibo, afinde les fai-re rentrer dans le rang. Depuis 2009, ils étaientdevenusdes espacesoù l’esprit critiquepouvaits’épanouirmalgré une censure de plus en plusforte.«LePartivaessayerdelesréformerpourfai-re en sorte qu’ils deviennent comme les médiastraditionnels», a souligné Chang Ping, ancienrédacteur de l’hebdomadaire libéral NanfangZhoumo, qui vit en Allemagne. Il s’exprimaitlors d’un colloque sur la stabilité sociale et laréformepolitiqueorganiséà l’universitédeCer-gy-Pontoisepar le sociologueZhangLun.

Undocument interne, dévoilé par lesmédiasde Hongkong et connu comme le «documentcentralnuméroneuf»,aappelélesresponsablesà combattre«les valeursoccidentalesdangereu-ses»endésignant les septpérils: lesvaleursuni-verselles prônant les droits de l’homme, l’indé-

pendancedesmédias, la société civile, les droitsdes citoyens, les critiques «nihilistes» deserreurs du Parti, la classe capitaliste privilégiéeet l’indépendance de la justice. Ce « retour àMao»,avecunpouvoirqui laissepeuderespira-tionà la société civile, est l’unedes trois optionsdu régime pour faire face aux défis posés à ladeuxième économiemondiale, a souligné, lorsde ce même colloque, Wu Guoguang, ancienmembre du bureau de la réforme politique auseinduPCCdans les années 1980avantdedeve-nir professeur au Canada. Les deux autres sontl’accentuation dumodèle de Deng, où on laisselemarché s’épanouir, et, voie lamoinsprobableactuellement,unedémocratisationgraduelle.

Ce recoursàMaomontreaussi la fragilitédesnouveauxdirigeants chinois qui ne bénéficientplusde la légitimitédes grands anciens, commeavaientpuenprofiter JiangZeminouHuJintao.Même si le régime affirme avoir résolu la ques-tioninstitutionnelledelasuccession, lessecous-ses provoquées par le scandale Bo Xilai en ontmontré les limites. Cette fragilité est une sourcepotentielle d’instabilité pour une nation quiambitionne de dépasser les Etats-Unis auXXIesiècle.Lamontéedesrevendications, lescri-sesécologiques,leralentissementdelacroissan-ce économique et les défis de l’urbanisationpourraient faire de l’Empire dumilieuun géantauxpiedsd’argile.p

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COMMENTUNE CHINEDE PLUSEN PLUS

CAPITALISTEEMBRASSE

UN«MAOÏSME»RÉINVENTÉ

Les sept périls chinois

LE LIVRE DU JOUR

Lesparadis fiscaux,cesparasites

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www.lemonde.fr

65eAnnée - N˚19904 - 1,30 ¤ - Francemétropolitaine ---

Jeudi 22 janvier 2009Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA,Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack etMichelleObama, à pied sur Pennsylvania Avenue,mardi 20 janvier, se dirigent vers laMaisonBlanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERSa Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObama en2008, et de nouveaupendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-

miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo.Pages 6-7 et l’éditorialpage 2

a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviewspage 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtesà venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44eprésidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquêtepage 19

GAZA

ENVOYÉSPÉCIAL

D ans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds. « C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mièrefoisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTONCORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, BarackObama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscours ne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvellegénération s’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformation a commencé.Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.

Lire la suite page 6Corine LesnesEducation

L’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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Page 18: Le Monde - 11 Octobre 2013

pLebipartismeestgrippéDéfectiondesailesmodérées

pUnleadershipinternationalaffaibli

débats

Shutdown!» L’Etat en panne, legouvernement paralysé. Quelspectacle politique ! Quellefaçon retentissante de légifé-rer ! Certes, le scénario seraitbien moins palpitant sans ces

deuxcampsarc-boutés, faceà face, ciblantdans leur ligne de mire les points faiblesde l’adversaire, devenu ennemi politiquemortel. Cet échange de tirs traverse unnoman’s landpartisandépourvud’élémentsmodérés dont la mission, en des tempsplus sereins, consisterait à trouver uneentente, stopper leshostilitésavantqu’uncarnagen’embraseleslignesarrièreécono-miquesetsociales.CommentWashingtons’est-il ainsi transformé en champ debataille sansmerci?

Il faut remonter assez loin dans letemps, à Philadelphie en 1787, pour trou-ver les premiers éléments de réponse. Lesfondateursde laRépubliqueont construitles remparts constitutionnels destinés àendiguertoute luttedepouvoirafind’évi-ter le déchirement de la société. Ils n’ontpas adopté, comme on le décrit trop sou-vent, une stricte séparation des pouvoirs,maisunsystèmed’équilibredespouvoirs.Le président dispose ainsi, outre du pou-voir exécutif, d’un puissant outil législa-tif, le veto, qui ne peut pas être surmontésansunemajoritéqualifiée des deux tiersdes deux chambres du Congrès, impossi-ble à atteindre sans l’accord d’un nombresignificatif d’une fraction de l’opposition.Cette pratique est rendue possible grâce àla grande souplesse du système améri-cain, où la discipline de vote est faible. Lefédéralisme, couplé au mode de scrutinmajoritaire uninominal à un tour, favori-se le localisme. Ainsi, les instances desdeux grands partis, démocrate et républi-cain,demeurentfaiblesà l’échellenationa-le par rapport à d’autres démocraties.

Depuis quelques années, ce systèmebipartisans’est grippé:unphénomènedepolarisation partisane a eu comme effetde siphonner les ailesmodérées des deuxpartis au sein du Congrès. Situationd’autant plus paradoxale que le plus grostiersdesélecteursne sedéclareni républi-cain ni démocrate, mais «indépendant».Néanmoins, deux tiers de ces « indépen-dants»penchentvers l’unou l’autreparti,ou y ont été affiliés par le passé. Ils appar-tiennent dans l’ensemble à la fraction laplusmodéréedesAméricains,quigonflaitauparavant les rangs des démocrates etdes républicains. Leurdéfection a laissé lavoie libre à des militants plus radicaux,voire extrémistes dans chacun des deuxpartis. Ladésertiondespartis sedoubledela croissance fulgurante des groupes d’in-térêt,quideviennentdeplusenpluslevec-teurpréféré de l’actionpolitique.

Cette polarisationau seinduCongrès aentravé les possibilités de compromis. Acela s’ajoute le fait que la Chambre desreprésentants est auxmains des républi-cains, alors que la Chambre haute, leSénat, est dominée par les démocrates. Si

la Constitutiondonne à la Chambre bassel’initiative enmatière financière, le Sénatdisposedepuissantesprérogativesconsti-tutionnelles et apparaît comme la Cham-bre haute la plus puissante de toutes lesdémocraties. De surcroît, ne comprenantque cent membres, ceux-ci acquièrentune visibilité nationale, atout nécessairepours’imaginerdans leshabitsd’unfuturprésident américain. Il s’agit là d’une arè-nepolitiquemajeure.

Nous assistons au spectacle nationaldu sénateur du Texas Ted Cruz, leader del’aile la plus conservatrice du Parti répu-blicain, engagé dans un duel de haut volavec Barack Obama. Le sénateur Cruzvient ainsi de s’offrir un exercice typiquede «name recognition » ou visibiliténationale.

Les dispositions constitutionnellescombinéesaupaysageactuelcréentunter-rainminé, où un shutdown se révèle êtreunepossible armede gros calibre. Ce typede blocage est impensable ailleurs. Dansun régime parlementaire, soit l’exécutifest suffisamment fort et dispose demoyensconstitutionnelspourdisciplinersa majorité, soit le gouvernement procé-dant du Parlement serait renversé, et laChambrebassedissoute.

Ce shutdown n’est pas sans précédent.Lesdeuxpartisonteurecoursàcestratagè-me depuis quaranteans. Lors du mandatde Jimmy Carter, cette arme lourde, ulti-merecourspourcontournerunvetoprési-

dentiel, a été employée une vingtaine defois par les deux partis. La plupart n’ontduré que quelques jours. Le record devingt et unjours a été dirigé contre BillClinton.Laseuleissuerésidedansuncom-promis. Serait-ce le résultat d’un lea-dership législatif ouvert à la négociation,ou des capacités des présidents précé-dentsàmaîtriserlesarcaneset lesrésistan-ces du Congrès? La réponse est fonctionde la préférencepartisane.

Pourquoi le nouveauplan de santé est-il la pomme de discorde? La premièreexplication, d’ordre philosophique, tou-che au rôle de l’Etat dans l’économie et lasociété. La seconde relèvede la lutte parti-sane, voire de l’esprit de revanche. La loisur la santé a été adoptée sans une seulevoixducamprépublicain.Cefutsansdou-te là une erreur tactique du président,étantdonnél’enverguredeceprogrammesocial et son impact financier. Cette loidemeurant impopulaire, les républicainsy voient un cheval de bataille efficacepour regagner le Sénat en 2014 et la prési-dentielle en 2016.

Théâtre politique saisissant: une sérieaméricaine comportant tous les élémentsd’un bon show, qui ne se terminera pasnécessairementparun«happyend».p

Fauted’adoptiond’une loi de finances assurantla continuitéde fonctionnement, les services «nonessentiels» de l’administrationaméricaineont étéfermés le 2octobre. Les républicains,qui refusentla réformede la santé votéeen 2010 («Obamacare»),ontbloqué l’adoptiondubudget 2014. Premierblocagedugouvernement fédéral («shutdown»)endix-sept ans, cetteparalysie concernequelque800000fonctionnairesdes secteurs jugésnonindispensablesappelés à rester chez eux tantqueleCongrèsne se serapasmisd’accord sur le budget.Les Etats-Unisvont-ils être conduits audéfautdepaiement le 17octobre? Pourquoi le TeaParty s’est-ilradicalisé? L’Etat fédéral américainest-il en faillite?

C’est entre lassitude et incrédulité que lemonde assiste au dernier psychodrameaméricain.Or, le«shutdown»n’estqueladernièremanifestationdedysfonctionne-mentsauxquelssontconfrontéslesEtats-Unis etpar ricochet lemondeentier.

Il y a toutd’aborddes répercussionssur lapolitiqueétrangère. En fin de semainedernière, le départementd’Etatannonçaitlereportdudeuxièmerounddenégo-ciations sur le commerce et l’investissement (TTIP) etl’annulation du voyage du président Obama en Asie.D’uncôté,cesontlesfonctionnairesfédérauxnécessai-res à la préparation du sommet quimanquent à l’ap-pel.Del’autre,onestimequelaprésenceduprésidentàWashington est indispensable pour régler la crise.Beaucoup de contrats publics passés avec l’étrangersont suspendus. A l’instar des shutdowns de1995 et1996, on peut espérer que le retour à la normale per-

mettraun rapideredémarragede l’Etat américain.Mais la fermeture du gouvernement fédéral n’est

qu’unélémentde la crise liée à la situationbudgétairedésastreusedupays.Derrièreleshutdown,ilyalescou-pes budgétaires automatiques en place depuis le1ermars, et qui touchent les budgets du départementd’EtatetduPentagone.Lasemaineprochaine,il faudraaussi remonter le plafond de la dette fédérale, fixé à16400milliards de dollars. Ce plafond ne peut êtremodifiéquepar la loi, ce qui, dans le contexted’hysté-riesurlessujetsbudgétaires,neseferapassansunnou-vel affrontement entre les partisans du Tea Party,minorité radicale, et les autresmembresduCongrès.

Le risque d’abaissement de la note du pays par lesagencesdenotationet depertede confiancedesmar-chésfinanciersn’estpasnul,ainsiqueceluid’unenou-velle récession, avec les conséquences sur le reste dumonde. L’économiemondiale est donc fragilisée.

Les importantes coupes budgétaires imposées parla séquestration pourraient en outre avoir des effetsen réalité plus graves que le shutdown en imposantdes inflexionsde longtermede lapolitiqueétrangèredu pays. C’est le cas, par exemple, du «pivot versl’Asie».Cettepolitiqueannoncéepar leprésident lorsde son premier mandat devait être l’héritage princi-paldesapolitiqueétrangère: lesEtats-Unisallaientsedégager enfin du Moyen-Orient et de ses mille diffi-cultés pour s’orienter vers la région Asie-Pacifique.Des relations fortes avec les pays d’Asie du Sud-Estdevaientsematérialiserparunredéploiementdesfor-ces américaines.Or, à la tendancebaissièredubudgetde défense engagée depuis 2010, la séquestrationajoute une coupe de 37milliards de dollars en 2013 etde52milliardsen2014:cesélémentsontdéjàfaitcom-prendre aux observateurs que le pivot vers l’Asie nepourra se réaliser commeprévu.

Prenant le relais de la crise syrienne, le shutdowncontribue enfin à l’affaiblissement de l’image desEtats-Unis.DanssondernierouvragePresidentialLea-dership and the Creation of the American Era (Prince-ton University Press, 2013), le professeur à HarvardJoseph Nye insiste sur le rôle personnel des prési-dents enmatière depolitiqueétrangère.

SiM.Obamaaété traitépar les républicainsdepré-sident faible, ses partisans voyaient en lui un prési-dent sage et réfléchi. Or les semaines qui ont suivi lemassacre chimiquedu 21août en Syrie ont plongé lesplus fidèles dans le doute. Ses atermoiements ont entoutcasachevédeternirsonimagedanslemondeara-be. Au-delà de sa personne, c’est la capacité de lea-dershipaméricaindanslemondequiestmiseendou-te. L’incapacité deM.Obamaà faire plier les élus pro-Tea Party et à créer un climat propice au compromisavec le Congrès renforce l’impressionde faiblesse.

Si lapersonnalitéduprésidentestunélémentdéci-sif dans la définition de la politique étrangère, il estbienpossibleque leprochainhôte de laMaisonBlan-che soit enmesure de redresser l’image de son pays.La question est donc de savoir quel genre d’hommeoude femmesera le prochainprésident américain.p

StevenEkovichProfesseur à l’université américaine

de Paris

Lefédéralismeaméricainest-ilencrise?

LaurenceNardonChercheure à l’Institut français

des relations internationales (IFRI)Laloisurl’assurance-maladieaétéadoptéesansunevoix

républicaine.Uneerreurtactiqueduprésident,

étantdonnél’enverguredeceprogrammesocial

LesatermoiementsduprésidentObamadanslessemainesquiontsuivilemassacrechimiquedu21aoûtenSyrieontachevédeternirsonimagedanslemondearabe

CHLOÉ POIZAT

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Page 19: Le Monde - 11 Octobre 2013

débats

NicoleBacharanHistorienne, politologue, chercheuse associéeà la Hoover Institution, à Stanford (Californie)

La paralysie de l’administrationfédérale est le dernier épisoded’une offensive très duremenée depuis 2009 par le TeaParty, l’aile ultradroitière duParti républicain, pour qui

l’Etat fédéral n’est pas qu’un «problème»,commeledisait jadisRonaldReagan,maisunennemi à affaiblir autant quepossible.Le Tea Party n’est pas né de nulle part : ilestunavatardelarenaissanceconservatri-ce entamée dans les années 1960, lors-qu’un ensemble hétéroclite de mécon-tents commença à se constituer, dénon-çantpêle-mêlelesprogrammesd’assistan-ce sociale aumotifqu’ilsmaintenaient lespauvresdanslapauvretéetaugmentaientles impôts, la gestion des terres fédéralesdans l’Ouest, et l’intervention fédéralepourlesdroitsciviquesdesNoirsquiscan-dalisaitunepartie importantede la popu-lationblancheduSud.

La nouveauté du Tea Party n’est doncpastantsonidéologiequesastratégiepoli-tique jusqu’au-boutiste,menéeauméprisdu fonctionnement normal de l’Etat. Aumoyen d’une guérilla parlementaire sansmerci, les élusduTeaPartyaccommodentla bonne vieille recette du conservatismeradical, avec ses ingrédients classiques, ycompris le fond de sauce le plus rance,celui que les observateurs évoquent rare-ment tant il semble renvoyer les Etats-Unis à leurs vieux démons: la questionraciale. Bien entendu, il n’est pas possiblepour les porte-parole du Tea Party – saufquand un lapsus ou une imprudence lestrahissent – de revendiquer une quelcon-que identité blanche. Ces élus ne parlentque de budget fédéral équilibré, d’assé-cher financièrement l’«Obamacare» (laloi sur l’assurance-santé), et autres thè-mes apparemment dépourvus d’enjeuracial.

Si les dépensesmilitaires trouvent grâ-ce aux yeux de la plupart des élus du TeaParty, ce sont lesprogrammessociauxquisuscitent leurs diatribes les plus violen-tes: les dépenses fédérales visant à rédui-re les injustices sociales sont illégitimesetcontre-productives, et il en va de mêmepourlaprogressivitédel’impôtsurlereve-nu. Bien entendu, la loi sur l’assurance-santé qui se met en place en ce momentlesexaspère, tantelle leurparaîtreprésen-ter une forme d’Etat « socialiste». Plusgénéralement, c’est ce qui reste de l’Etat-

providence héritier du New Deal, avec lacréationde la sécurité sociale, les emploispublics, la réduction des écarts de riches-se, et, depuis les années 1960, l’assurance-maladie pour les très pauvres et certainespersonnesâgées,quiestdans leur lignedemire.

Or,cesquestionssontd’unintérêtparti-culierpourlesminorités,quicomposentlamoitiédes 40millionsdenon-assurés auxEtats-Unis.UntiersdesAméricainsnoirsetlesdeuxtiersdesHispaniquesn’ontpasdecouverture santé, ce qui n’est le cas «que»pouruncinquièmedesAméricainsblancs.Les Noirs et les Hispaniques reçoivent dessoinsmédicauxmoinsbons,meurentbienplusque lamoyennenationaledediabète,decanceretd’infarctus,ycomprisceuxquisont (souventmal) assurés.

Actuellement, 71% des Américainsblancssontcouvertsparuneassuranceliéeà leur emploi, ce qui n’est le cas que pourun tiers des Hispaniques et la moitié desAfro-Américains. Dans les Etats dont lespopulations noire ou hispanique sont lesplus fortes, comme l’Alabamaou le Texas,la nouvelle loi aura les effets les plus nets,tant l’accès aux soins y est déplorable. LaloiObamacareestdoncunetrèsbonnenou-velle pour des millions d’Américains. Elledevrait réduire les disparités géographi-ques et ethno-raciales de santé publiqueauxEtats-Unis.

Hystérie de « la vraie Amérique»En ciblant l’Obamacare avec une telle

pugnacité,etavectantderessources(lesfrè-resKoch, desmilliardairesd’extrêmedroi-te, ont dépensé des centaines de millionsdedollarspourfaireéchecàlaloi), lesstratè-gesduTeaPartytracentimplicitementunefrontièreentre «leur»Amérique, celle queSarah Palin appelle « la vraie Amérique»(«real America»), blanche, chrétienne, etl’«autre» Amérique, plus urbaine, pluscolorée, plus pauvre aussi, celle qui a inté-rêtà l’interventionde l’Etat fédéraletàunehaussedel’impôtsur lerevenupourfinan-cerdesprogrammessociaux.

Enfin, le faitquecette loi aitBarackOba-ma pour principal architecte hystérise lesélecteurs du Tea Party. Des enquêtes ontmontré qu’ils n’essaient pas, pour la plu-part,decomprendrelesdétailsdelaloi (quiest, il est vrai, d’une grande complexité) nimême ses principes généraux. De fait, uncertainnombredecesAméricainsultracon-servateurs ont, pour eux-mêmes et leurfamille,objectivement intérêt à la loi,maispourlemomentilsn’enontcure:laprésen-ce d’un homme noir à la Maison Blanchelesulcère,lesobsède.Laloid’assurance-san-té est à leurs yeux un symptôme supplé-mentaire d’une dérive imaginaire: l’Etatfédéraldépensesanscompterauprofitdes«autres».p

On ne peut comprendre lacrise américaine sans larecadrerenfonctiondefac-teurs structurels, qui ladépassent tout en l’expli-quantenbonnepartie.Par-

mi ces facteurs : l’extrême polarisationidéologique et électorale qui divise lesEtats-Unis, la division interne du Partirépublicain et le refus, de la part des élitesdeceparti,dedéfendreunedéfinitioncen-triste et majoritaire de l’intérêt général.Les intérêts extrémistes du mouvementdu Tea Party l’emportent sur la volontégénérale, aunomd’une logique ancienne,inaugurée au XIXesiècle par John C.Cal-houn, que je qualifieraide «tyranniede laminorité».

L’électorat américain, depuis les élec-tions présidentielles de 2008 et de 2012,est désormais nettement polarisé entregroupes ethniques, religieux et idéologi-ques. Ce phénomène est lié à la conquêteduSudpar lesélites républicaines,au len-demain du passage des grandes lois libé-ratrices votées sous l’administrationJohnson: le Civil Rights Act et le Voting

Rights Act de1964 et 1965. Le Sud conser-vateur et traditionnellement démocratebasculait peu à peu dans le camp duGrandOldParty, qui réussissait à rallier àsacauseuneétrangecoalitiond’évangéli-ques conservateurs, de sudistes opposésà ladéségrégationscolaireetà lagénérali-sation du vote des Afro-Américains. Lephénomèneaété renforcépar lesguerresculturelles des années 1960 et l’arrivéemassive d’immigrés, courtisés avec suc-cès par le Parti démocrate.

D’un point de vue ethnique, plus desdeuxtiersdesélecteursnoirs, latinos,asia-tiques votaient pour le président Obamaen2012.A l’inverse, lagrandemajoritédesBlancs d’origine européenne votait pourMitt Romney, particulièrement s’ilsvivaient dans le Sud et les petites villes etcampagnes du Midwest. Les plus reli-gieux des Américains, les évangéliquesblancs et pratiquants réguliers votaientpour les candidats du Parti républicain;l’immense majorité des sans-religion etles chrétiens les moins pratiquantsvotaientpourlescandidatsduPartidémo-crate. A ce clivage ethno-religieux sesuperpose un clivage idéologique toutaussi prononcé, opposant les partisansd’un renforcement de l’Etat-providenceauxpartisansdumoinsd’Etatetd’uneéco-nomie libérale fondée sur la diminutiondes charges sociales, des impôts et desaides aux individus les moins favorisés.

La«distanceidéologique»entredémocra-teset républicainsn’a jamaisétéaussi for-te qu’aujourd’hui et cette distance estmagnifiée par l’homogénéité démogra-phique des circonscriptions électorales,facilitée par des pratiques récentes deredécoupageélectoralfavorableauxrépu-blicains. Il n’est pas rare qu’un élu sortantl’emporteavec30ou40pointsd’écart surson adversaire. Etant presque certainsd’être réélus, les candidats sortants lesplus conservateurs ont peu de raisons defaire des concessions au niveau national.L’intérêt de leur circonscription passedevant l’intérêt général du pays, ce quiexplique la difficulté de faire voter desréformes bipartisanes à la Chambre desreprésentants.

«Pas de concessions»A ces divisions structurelles se super-

posent de profondes divisions à l’inté-rieurmêmeduPartirépublicain,enparti-culier dans le Sud et le Midwest. C’estdans ces deux régions qu’agissent avec leplus d’efficacité les extrémistes duTeaParty, dont le leitmotiv est : «Pas deconcessions.» L’Obamacare est pour euxuneabomination,unetentativeirréversi-ble de socialiser l’Amérique qu’il faut àtout prix empêcher,même si la loi a déjàété votée par les deux Chambres duCongrèset validéepar laCour suprême. Iln’est pas facile de renverser une loi déjà

votée ou sur le point de l’être comme enont fait l’expérience, en France, les adver-sairesdumariagepourtous.Desmanifes-tations, même spectaculaires, ne suffi-sent pas. Mais aux Etats-Unis, il existeune vieille tradition conservatrice (etsudiste)de la«nullification», jadisthéori-sée par John Calhoun, qui consiste à pré-tendrequ’unEtat«souverain»peut inva-lider une loi fédérale considérée commecontraire à ses intérêts. C’est ce que fit laCarolineduSud,en1832,pour«nullifier»une loi sur les tarifs douaniers, favora-blesauxEtatsdunordde l’Union,et impli-citement défavorables au maintien del’esclavage.

Il n’est plus questionaujourd’hui d’es-clavage ou de droits de douane, mais demédecine«socialisée», lahantisedespar-tisans du Tea Party. La solution trouvéeest de neutraliser l’Obamacare en ratta-chant le refus de financer la réforme del’assurance-santéauvoteducollectifbud-gétairede fin d’année. Le budgetnepour-ra être voté sans mettre fin à l’Obamaca-re, même si, comme c’est semble-t-il lecas, une coalition majoritaire d’élusdémocrates et républicains est favorableau vote du seul budget. La procéduredited’Hastert,dunomd’unancienspeakerdela Chambre, interdit l’introductiond’uneloi qui ne recueilleraitpas lamajoritédesseules voix républicaines à la Chambredes représentants. L’usage de cette règle

trèsparticulièrepermetdoncàunemino-ritéd’extrémistesde renverser la volonténationale en conditionnant le vote dubudget (et celui de la dette) au refus definancer une loi pourtant déjà votée parle Congrès.

L’issue est encore incertaine et l’onassiste peut-être à un renversement desvaleurs de la démocratie américaine,d’un régime demajorité parlementaire àun régime de minorité dominante. Lagrande hantise de Tocqueville, le dangerd’une tyrannie de la majorité dictée parune opinion arbitraire et partiale, s’esttransformée en un péril inverse : unetyrannie de la minorité, en l’occurrenceune trentaine d’élus du Tea Party (géné-reusement financés par des lobbiesconservateurs), privilégiant leurs princi-pes irréductibles contre l’intérêt généralou la recherched’un compromis satisfai-sant pour tous.

John Boehner, l’actuel speaker de laChambre, et les républicains les plusmodérés feront-ils passer l’intérêt géné-ral devant les intérêtsdes factieuxduTeaParty, en dissociant le vote du budget et,surtout, celui du relèvement de la dettede la «nullification» de l’Obamacare?C’est probable,mais le plus tardpossible,pour ne pas multiplier les concessionsavant levotedécisifdu 17octobreet fragi-liserunpeuplus le leadershiptrèscontes-té du speaker de la Chambre. p

Nul besoin d’être grand clerc pour com-prendre que le Parti républicain amalchoisi son combat : blocage budgétai-reoupas, BarackObamane renoncerapas à sa réforme de la santé. Ses tergi-versations sur le dossier syrien l’ont

affaibli, nombre de républicains, sentant l’odeur dusang, y ont vu l’occasionde l’achever.

Mais, depuis 2011, le président a été mis en échecpar la Chambre sur tous ses grands projets – contrôledes armes, environnement, immigration. L’écono-mie qui repart, la baisse lente mais régulière duchômage… tout cela est bel et bien pour son bilan,maisnepermetpasd’entrerdans l’Histoire.La loidite«Obamacare», qui donnera accès à des millionsd’Américains à une couverture maladie, est la seulegrande réforme qu’il peut porter à son crédit en cinqans de mandat. Si, dans l’actuel duel budgétaire, lesrépublicains peuvent obtenir des concessions sur lesdépenses publiques et un relèvement, seulement àcourtterme,duplafonddeladette, il estpeuprobablequ’ils obtiennent lamort de l’Obamacare.

D’où cette question: pourquoi le Parti républicains’obstine-t-il? Pourquoi le speaker John Boehner,vieux routier de Washington, des «sages» commeJohn McCain ou Jeb Bush, ne parviennent-ils pas àramener à la raison les jeunes élus du Tea Party quirêvent d’insurrection politique? En réalité, le partisouffreaujourd’huid’unegravecrised’identité, résul-tat de la descente aux enfers qu’il a engagée depuisquelquesannées. Celle-ci a commencé lors de la prési-dentiellede2008lorsqueleparti,déboussolé,amisenselle Sarah Palin («une terrible erreur», m’a un jourconfié Steve Schmidt, patron de la campagne de JohnMcCain). Le coup se voulait habile, le résultat fut cala-miteux. Derrière elle, les tea parties se sont engouf-frés: unmouvement essentiellement blanc, réaction-naire, rêvant de bouter hors de laMaison Blanche unprésident noir au nom impossible, et de remonter letemps, vers une Amérique mythique qui aurait étéblanche,pieuse,ruraleettourneraitledosaumondeetàWashington.

Portés par cette vague, les candidats du Tea Party–jeunes, agressifs, le verbe simplificateur – se sontimposés dans bien des primaires locales en2008 et2010, chassant les républicains à l’ancienne, pas assez«purs» à leurs yeux. Elus dans des circonscriptionsretailléespourêtre leplushomogènespossible, ilsontemportéquelquesdizainesde sièges à laChambre (ilsne sont qu’une poignée au Sénat) et, depuis, mènentune vie impossible aux républicains modérés, lesentraînantdansune série de fautespolitiquesgraves.

La première est l’incapacité chronique à accepterune défaite. Ainsi, la réforme de la santé – votée en2010, confirmée en 2012 par la Cour suprême et parlerésultatde laprésidentielle, financée–estenappli-cation. Peu importe, les ultras la considèrent tou-jourscommeillégitime.Deuxièmefaute: lerejetsys-tématique du compromis. Si les Pères fondateursontconçuunsystèmetelquechacunedestroisbran-chesdupouvoirpuisse bloquer lesdeuxautres, c’estpour que, du blocage, sortent des solutions négo-

ciées et acceptables par tous. Considérer tout com-promis comme une trahison, c’est rejeter le sensmêmede la Constitutionet rendre le pays ingouver-nable. Cette dérive radicale va bien au-delà du débatbudgétaire. Les ultras rejettent la science, le réchauf-fementduclimatet ilsmènentdescombatsd’arrière-garde contre une révolution des mœurs pourtantirréversible…Carlesfemmesaméricainesnerenonce-rontpasà la contraceptionniaudroità l’avortement,les couples homosexuels n’abandonneront pas leurquête de l’égalité; aujourd’hui, la majorité des adul-tesnesontpasmariés, legroupe«religieux»quiaug-mente le plus vite est celui des agnostiques. Telle estl’Amériquevraie qu’ils ne veulent voir.

Résultat de ce déni de réalité : le Parti républicains’enferredansune conception schizophréniquede laliberté, dont il doit à tout prix sortir pour ne paséchouer aux grandes consultations nationales. D’uncôté, il réclame toujours moins d’Etat, moins d’im-pôt,moins de régulation, et revendique un libéralis-me économique à tous crins. De l’autre, il exige quel’Etat interviennedans la vieprivée, impose samora-le religieuse et sexuelle. Ce que les Eglises n’obtien-nent pas de leurs paroissiens, l’Etat fédéral (parailleurs bête noire des ultraconservateurs) devrait

l’imposer par la loi ! Outre que cette ambition estvouéeà l’échec, ellemine la crédibilitéduparti. Com-ment prôner d’un côté la liberté individuelle et cher-cher à la brider de l’autre?

Les ultras ne vont pas disparaître, ils sont bienfinancés, et représentent un courant d’opinion réel.Mais ont-ils encore leur place dans le parti ? En cestemps de déficits budgétaires vertigineux, il y auraitpourtant une opportunité pour un parti rénové, cer-tes libéral (au sens français),mais ancré dans lemon-de moderne. Rappelons ce constat historique: auxEtats-Unis, la liberté (etnon l’égalité)est lavaleurpre-mière. Celui qui réussit à adapter le sens du mot« liberté» à son époque domine le débat : il y eut laliberté d’entreprendre, lemonde libre, les droits civi-ques…LeParti républicainn’adésormaisqu’unchoixpour éviter de se disloquer: refonder son idée de laliberté individuelle, accepter la réalité de l’Amérique,mettre au pas les réactionnaires. Car sinon, l’Histoirenous l’a appris, les partismeurent aussi. p

pRadicalisationduTeaPartyUnestratégiejusqu’au-boutiste

DenisLacorneDirecteur de rechercheau CERI-Sciences Po

LesélusduTeaParty,mouvementessentiellementblancetréactionnaire,

mènentunevieimpossibleauxrépublicainsmodérés, lesentraînantdansunesérie

defautespolitiquesgraves

PapNdiayeProfesseur d’histoire nord-américaineà Sciences Po Paris. Il vient de publier

«Une histoire de Chicago»chez Fayard

¶Le Tea Party est né aprèsla première élection d’Obama,en 2008. Ce nomvient dela révolte des citoyens de Bostonen 1773 qui avaient jeté à lamerdes sacs de thé pour protester contrel’imposition de nouvelles taxes.«Tea» est aussi une abréviationpour «taxed enough already»(«déjà assez taxés»).

pLesEtats-Unisconfrontésàlatyranniedesminoritésethno-religieuses

pDesrépublicainsenpleinecrised’identité

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Page 20: Le Monde - 11 Octobre 2013

Tinca (Roumanie)Envoyée spéciale

Six ans ont passé. Par un petitmatin glacial de début octobre,nous reprenons le chemin deTinca. Le thermomètre des-cenddéjà la nuit au-dessousdezéro degré. C’est dans ce bourg

ruralde8000habitants, nichéau fonddelaRoumanie,àdeuxheuresde la frontièrehongroise, dixheures de Bucarest, qu’en2007 nous avions retrouvé des Romsexpulsésde l’agglomération lyonnaise. LegouvernementFillonetleministredel’im-migration Brice Hortefeux espéraientalors parunepolitiqued’expulsionsmas-sivesmettreunfreindéfinitifà l’immigra-tionpendulairedesRoms.

ATinca,nouslesavionsrencontrés,relé-gués dans un bidonville misérable àl’écartduvillage.Dansdesmasuresdeter-re, plantées dans la boue, sans électriciténi eau courante, 1500 Roms survivaientavec une allocation mensuelle de20 euros. Sans travail, les refoulésn’avaient d’autre moyen de subsistanceque la cueillette en forêt. Tout juste deretourchezeux, ilsmanifestaientuneseu-leobsession: repartirauplusvite enFran-ce pour gagner les euros qui leur permet-traientde senourrir. Peu leur importait lapolice, les expulsions ou les conditionsdes bidonvilles lyonnais dans lesquels ilsallaient s’entasser, plus sommaires enco-re qu’enRoumanie.

Six années ont donc passé. Devant lamairie, les familles se bousculent aveccharrette ou brouette, car l’aide alimen-tairedistribuéeunefoisparanparl’Unioneuropéennevient d’arriver: 5 litres d’hui-le par personne, 17kg de farine, des pâtes,des conservesde jus de tomate et dumiel.Quelques Roumains, des vieux dont laretraite ne dépasse pas 100 euros, atten-dent aumilieud’une foulede Roms.

Dans son bureau, lemaire, Teodor Cos-te,prépareuneautreréception: le23octo-bre, l’ambassadeur de France et une délé-gation de lamairie de Lyon sont attenduspour inaugurerun centre social. Confron-té depuis le début des années 2000 à larésurgencedes bidonvilles, le GrandLyons’est engagé il y a trois ans dans un pro-gramme de coopération avec ce bout deRoumanied’où sont issus la grandemajo-rité des Roms installés sur son territoire.

Espérant faciliter leur intégration surplace, la communauté urbaine a investi300000 euros pour électrifier une partiedu bidonville et financer la constructiond’unbâtimentpublicdestinéauxpluspré-caires.Enéchange, lacommunedeTincaetledépartementduBihordevront assumerl’essentiel du budget de fonctionnement.TeodorCoste a pris des risques car la gran-de majorité des Roumains sont hostilesauxaidespubliquesen faveurdesRoms.

Situéenlisièreduquartierrom,le«cen-tre multifonctionnel» de 350mètres car-rés comporte des sanitaires – cinq toilet-tesetseptdouches–,unelaverie,deuxsal-lesd’apprentissageetun jardin.LavilledeLyon a confié le projet à deux organismesspécialisés, l’ONG françaiseVilles en tran-sition et la fondation roumaine Ruhama,qui gère un centre similaire à Tetchea,près d’Oradea. «Pour les plus jeunes, jus-qu’à 3ans, nous travaillerons, avec lesparents, sur les premières acquisitions del’enfant, l’hygiène, l’alimentation. Ensuite,les enfantsde 3 à 6ansbénéficierontd’unepréparation à l’école», explique MarianDaragiu, le fondateurdeRuhama.

L’homme est un miraculé. Lui-mêmerom, né dans un bidonville pareil à celuide Tinca, il est devenu docteur en sociolo-gie. «Quand les enfants viennent directe-ment à l’école à 6 ans, ils partent avec unhandicap insurmontable, assure-t-il. Cer-tains ne savent pas distinguer les couleurset n’ont jamais tenu un papier et uncrayon.»A l’autreboutde la chaînede for-mation, le centre dispensera des cours dequalification destinés aux jeunes adulteset une aide à l’insertionprofessionnelle.

Malgré une scolarisation obligatoire,peu d’enfants roms fréquentent l’écolepublique de Tinca, faute de pouvoir selaver, porterdesvêtementspropres et cor-rects et parce que les parents, analphabè-tes,n’envoientpaslanécessité.«Lacohabi-tation entre enfants roumains et roms esttrèsdifficile.LesRoumainsacceptentdiffici-lement ces gamins qui apportent des pouxet qui, selon eux, profitent de l’école alorsque les parents ne paient pas d’impôts»,expliqueMonicaAnton,directricedeséco-lesdelaville.RaressontlespetitsRomsquipoursuiventleurscolaritéau-delàdelapri-maire. Dès 12 ans, les garçons sont accapa-résparlestâchesdomestiquesetles jeunesfillespromisesaumariage.Le lycéedeTin-cacompteainsiuneseuleRom,la filled’unpasteur qui a quitté son quartier d’originepours’installerdanslevillageroumainetaété élu au conseil municipal. «Un géniepeut naître ici, il ne deviendra jamais Eins-tein», sedésoleMonicaAnton.

Depuis plusieurs mois, les nuits sontmoins sombres. Les lampadaires publicsplantés depuis des années sans branche-ments ont été raccordés au réseau ainsiqu’unecentainedemaisons.«L’électrifica-tion, c’était la demande la plus forte desRoms, c’est une forme de légalisation de cequartier informel. L’électricité, c’est unetélé, c’est la lumière, c’est moins de rats»,

analyse Thomas Ott, de Villes en transi-tion.Sixannéesontpasséetquelquechosea changéàTinca. Le«village» romn’a tou-jours pas d’asphalte et les jours de pluietransforment les ruelles en bourbier. Lesenfants continuent d’errer en guenilles,une fumée acre sortie des poêles de fortu-nerendl’atmosphèredifficilementrespira-ble.L’espaceest jonchédedébris.Achaquepas de porte, les habitants se plaignent :«Pasde travail ici.»

Mais certaines masures ont bienmeilleure allure. Celle de Romeo et deChristina,parexemple.Lorsdenotreprécé-dent passage, le sol était en terre battue,recouvert d’un lino et de tapis poussié-reux, détrempés les jours de pluie. L’uni-queouvertureétaitprotégéeparunplasti-que. On s’éclairait à la bougie. La maison,deux pièces minuscules, est désormaiscimentée et carrelée, fenêtres et porte ontétéposées. Le couple s’est équipéd’unbuf-fet, d’une télévision, d’une chaîne hi-fi etd’un lavabo. A l’extérieur, la façade a étérepeinteen jaune,unportail en tôleprotè-ge des voleurs. Romeo s’est même achetéuncochon.

C e n’est pas le travail en Roumaniequi lui a permis d’aménager ceconfort minimal, mais six années

d’allers et retours entre Tinca et Lyon,Paris ou Marseille. Le jeune homme n’ajamais été à l’école et sait juste écrire sonnom.Incapabledelire, iln’a jamaispupas-ser son permis de conduire et c’est à borddu minibus d’un passeur, moyennant80euros, qu’il gagne au moins deux foisparanlaFrance.Aprèsquelquesannéesdemanche, il s’est fait ferrailleur et récupèredu métal qu’il revend. Il gagne jusqu’à300euros parmois. Dans sa rue, desmai-sons en brique ont fait leur apparition.Deux ou trois présentent même, comme

celle du maçon, un deuxième étage avecde coquettes fenêtres en chien-assis.

ATinca, Romeon’a jamais trouvéd’em-ploi, comme la plupart de ses voisins.AprèslachutedeCeausescu,en1989,lafer-me d’Etat qui employait la quasi-totalitédesRomsa fermé, laissant lequartierdansle plus complet dénuement. Seules lesrécoltes saisonnières apportent quelquessubsides. L’espérance de vie d’un Rom estinférieure de vingt ans à celle d’un Rou-main. «Les étrangers, les Français doiventcomprendre que la seule chose que lesRoms demandent, c’est à travailler. Ici, sur1500Roms,sixontuntravail.C’est inaccep-table ! », s’emporte Marian Daragiu. Lesociologue poursuit : «L’intégration desRomsne peut pas se faire avec six emplois.L’Etatnefait rien, il se sertdecettemassedegensnonéduquéspourpouvoirlesmanipu-ler aumoment des élections. Tous les qua-treans, les politiquesachètent leursvoixenapportant du pain, du saucisson, des pom-mes de terre, de l’argent. Ils savent que lepauvrepensed’abordavec sonestomac.»

Or,ceuxquin’ontpasbougédeTinca, lagrandemajorité, vivent encore plus dure-ment qu’il y a six ans. On les trouve à l’ex-trémitéduvillage,enborduredeschamps.Une centaine de taudis abritent les pluspauvres des pauvres, ceux qui n’ontjamais pu partir, parce que trop démunis,trop relégués. Difficile de croire qu’icivivent des hommes. Cinq mètres carrés,quatremurs sans fenêtre, un toit de bran-ches, recouvertdesimples tapis, il faitnoircommeenpleinenuit.

Romoloy«vit»avecsescinqenfants.Sapremière femme est morte, le laissantavec la charge de ses deux aînés. Il s’estremarié et trois nouveaux enfants sontnés, dont une fillettemalade. Ses parents,d’anciens ouvriers agricoles, ne sont plusdecemonde. Il n’a rien,ni travailni alloca-tion. Sanouvelle compagnerevientduvil-lage,avecunenfantaccrochédansledosetun sac de nourriture qu’elle a mendié. Letaudis d’à côté ressemble plus à une caba-ne. Il est occupé par un tout jeune couple.La jeune femme n’a pas 14 ans. Le centremultifonctionnel œuvrera en prioritépour ces familles, les plus éloignées detout.

Letravaild’unevie, insisteMarianDara-giu. «Penser qu’avec ce centre vous arrête-rez l’immigration des Roms d’un coup estillusoire. Il faudra vingt ans, deux généra-tions, pour que l’éducationporte ses fruits,et encore, à condition que l’Etat roumainchange radicalement de politique à leurégard. Il faut dépasser le cadre de la bonnevolonté d’unmaire comme celui de Tinca,quiresteuneexception,et instaurerunpro-grammed’aidenational et européen.»

Nesurtoutpasrelâcherl’effort.Aprèslarévolution, une fondation néerlandaiseavait mené une opération humanitaire àTinca et construit une trentaine de mai-sonsendur. Trenteansaprès, fautede sui-vi, elles comptent parmi les pires taudisduvillage.p

reportage

Roumanie

RetouràTinca

«Ungéniepeutnaîtreici,

ilnedeviendrajamaisEinstein»MonicaAnton

directrice des écoles de Tinca

La communauté urbaine de Lyona financé l’électrification

dubidonville de Tinca,enRoumanie.

BRUNOAMSELLEM/SIGNATURES POUR «LE MONDE»

Sophie Landrin

En2007,notrereporter s’étaitrenduedans

cebourgdesconfinsde laRoumanie,terred’origine

de laplupartdesRomsinstallés

àLyon.Entre-temps,lavillea financéunprogrammedecoopération

pour faciliter leurintégrationsurplace

20 0123Vendredi 11 octobre 2013

Page 21: Le Monde - 11 Octobre 2013

Société éditrice du«Monde»SAPrésident dudirectoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirectricedu «Monde»,membre dudirectoire, directrice des rédactionsNatalieNougayrèdeDirecteur déléguédes rédactionsVincentGiretDirecteurs adjoints des rédactionsMichel Guerrin, RémyOurdanDirecteurs éditoriauxGérardCourtois, Alain Frachon, Sylvie KauffmannRédacteurs en chefArnaudLeparmentier, Cécile Prieur, NabilWakimRédactrice en chef «MLemagazine duMonde»Marie-Pierre LannelongueRédactrice en chef «édition abonnés» duMonde.fr Françoise TovoRédacteurs en chef adjoints François Bougon, Vincent Fagot, Nathaniel Herzberg, Damien LeloupChefsde serviceChristopheChâtelot (International), LucBronner (France), VirginieMalingre(Economie), Auréliano Tonet (Culture)Rédacteurs en chef «développement éditorial» Julien Laroche-Joubert (InnovationsWeb),Didier Pourquery (Diversifications, Evénements, Partenariats)Chefd’éditionChristianMassolDirecteur artistiqueAris PapathéodorouPhotographieNicolas JimenezInfographieEric BéziatMédiateurPascal GalinierSecrétaire générale du groupeCatherine JolySecrétaire générale de la rédactionChristine LagetConseil de surveillancePierre Bergé, président. Gilles van Kote, vice-président

C ontrairementà ce qui est souventconseillé, il faut aborder le Proche-Orient avec une idée simple: le pire y est

engénéral le plus sûr. Cette saineprécautionenpoche, il n’est pas interdit de rêver – voirede fantasmer. Et si la régionétait à la veille deconnaîtreunbouleversementde l’ampleurdela finde la guerre froide en Europe?Aprèstout, ceuxqui osèrent anticiper la disparitionde l’URSSn’ont pas été si nombreux.

Lapetite lueur d’espoir qui scintille à l’hori-zonproche-oriental vient d’unpossible dégelaméricano-iranien.Elle est portéepar l’ouver-tured’HassanRouhani, le nouveauprésident,endirectiondeBarackObama, et par la répon-se prudentemaispositivede ce dernier. ATéhéran, le tonet lesmots sontnouveaux, l’in-tentionaffichée: unenormalisationdes rela-tions avec l’Amérique, dès lors qu’unaccordserait trouvé sur la questionnucléaire.

Le chemin sera long. Les Etats-Unis et l’Iranont rompu leurs relationspeu après l’avène-mentde la République islamique, en 1979.Depuis cette date ils s’affrontent, par alliésinterposés, notammenten Syrie. Ils nes’aimentpas, ils ont accumuléde lourdscontentieux, il y a desmorts et du sangdans

les placards.On entenddéjà les sceptiques.L’Iranva fairequelques concessions, obtenirundébutde levée des sanctions économiquesqui plombent le pays, et piéger les Américainsdansunenégociationsans fin. Et, pendant cetemps-là, continuer à faire tourner ses centri-fugeusespour se rapprocherde lamaîtrise del’armenucléaire.

Les sceptiques avancent que la Républiqueislamiquene saurait changer, sauf àneplusêtre. Elle serait subversive, révolutionnaire,«par nature», hégémoniste, destinée à s’impo-ser comme le pouvoirprépondérantdans larégion. Elle a construit son identité en s’oppo-sant auxEtats-Unis, demêmequ’elle amulti-plié les tentatives de déstabilisationde ses voi-sins arabes. Elle parraineouaparrainédes filiè-res terroristes dans lemondeentier, et n’a pascessédementir sur sonprogrammenucléaire.

Toutn’est pas fauxdans l’argumentairedel’école sceptique.Mais elle aurait dit lamêmechosede la ChinedeMaoaudébut des années1970: révolutionnairepar «nature», subversi-ve, cherchant à exporter sa révolution, haïs-sant les Etats-Unis, bref un régimecommunis-te incapabled’évoluer sauf à semettre endan-ger, etc. CetteChine-là reçoit le président

RichardNixonen 1972. Elle estimeque ladéfensede ses intérêts, économiqueset straté-giques, passeparunenormalisationavecWashington, qui voit dans lesmêmes termesl’avenir de ses relations avec Pékin…

Le rapprochementPékin-Washington isoleMoscou, change le profil de la guerre froide etprofitepleinement auxdeuxparties. Lanor-malisationentreWashingtonet Téhéranbou-leverserait le profil duProche-Orient. Si laRépublique islamique considèrequ’il est deson intérêt de se rapprocherdes Etats-Unis –cen’est qu’unehypothèse –, elle sait qu’il y aunprix àpayer: des concessions sur sonpro-grammenucléaire, l’abandond’un certainpro-sélytisme révolutionnaire.

La fin du statut de pariaElley gagneraitbeaucoup.Elleobtiendrait la

levéeprogressivedes sanctions, la findesonstatutdeparia, la reconnaissancedesonrangrégional– tout cequi flatte l’orgueil d’unevieillenation,héritageque revendiqueaussi laRépublique islamiqueetqui compteaumoinsautantque sonprofil révolutionnaire. Si le régi-medeTéhéranest schizophrène,aubazar, onsait faire lesadditions.

Dans laversion laplus roseduconte, cetteévolutionconduit àunapaisement régionalgénéral. Il devientpermisdeneplusdésespérerduProche-Orient.Car les«clients» arabesdel’Irancesseraientalorsd’être au serviced’unepolitique iraniennededéstabilisation–qu’ils’agisseduHamas (dossier israélo-palestinien),duHezbollah (Etatdans l’Etat libanais) oudurégimesyrien (BacharAl-Assadestplusdépen-dantencorede l’Iranqu’il ne l’est de la Russie).

C’est un scénario qui déplaît à beaucoup.Israël se refuse à y croire. Autre allié privilégiédes Etats-Unis, l’Arabie saoudite, vestale de labranchemajoritairede l’islam, le sunnisme,considère la République islamique, porte-drapeaude sa versionminoritaire, le chiisme,commeunennemimortel.

Beaucoupplus que les Iraniens, les Saou-diensont essaimé la terreur islamiste, finan-çantundjihadismesunnite toujours aussivirulent.Mais Riyad, suivie par la plupart desautresmonarchiesduGolfe, redoute la pers-pectived’un rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran.

L’opposition la plus forte pourrait être inté-rieure.A Téhéran, le groupedepressionnucléaire, tous ceuxqui ont la hautemain surunprogrammedans lequel le régimea investides fortunes, cherchera à torpiller l’ouvertureà l’Ouest. AWashington, le puissant lobbypro-israélien, l’Aipac, est déjàmobilisé contrel’ouvertureà l’Est (vers l’Iran). Largement sou-tenuchez les républicains commechez lesdémocrates, il pèse sur le CongrèsdontM.Oba-madépend in fine pourune levéeprogressivedes sanctions.

Rienn’est joué.Unevérité, cependant, etqui ne relèvepas desMille etUneNuits : l’apai-sement auProche-Orientpassepar un rappro-chementTéhéran-Washington.p

PS: Passionné, savant et courageux, Jean-Pierre Filiu racontedans le dernierXXIdix jours passés dans la partie «libérée»de la ville syrienned’Alep. A lire d’urgence.

[email protected]

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INTERNATIONAL | CHRONIQUEpar Alain Frachon

Proche-Orient: faisonsunrêve

A u-delà des deux grandesconfrontations mondiales,la leçon de ce siècle de

guerre (1914-2014), c’est l’affronte-ment du combattant irrégulieravec le soldat conventionnel quise termine souvent par la victoiredu premier, parfois sur le terrainmilitaire,mais le plus souvent surcelui de la politique.

Extraordinaire paradoxe. Lemot qui résume parfaitement cetéternel combat de David contreGoliath, c’est l’asymétrie: pick-upToyotacontrechasseurRafale,voi-tures piégées contre dronesarmés, kalachnikovs contre tanks.Lesmilitaires,qui saventcompter,parlentmaintenantde «guerre dequatrième génération» pour qua-lifier ces conflits où ils affrontentdesopposantsarmésd’uneidéolo-gie oud’une religion.

BarbarieLa deuxième leçon de ce siècle

de guerre est que, si celle-ci estdevenue l’affaire des civils, ils ensontaussi lesprincipalesvictimes.Effectivement,sionregarde la lon-gue période, ce n’est pas très nou-veau, lepillage, le viol, le génocide,la barbarie en général sont de tou-tes lesguerresetnotresiècleaétéàla hauteur des précédents en yajoutant «l’atout» de la démogra-phie et de la technologie. Au sortirde la « grande boucherie » de1914-1918, on répétait sur tous lestons: «Plus jamais ça!»

Puis, on a tenté tout au long dusièclede«réglementer» laguerre:de la Société des nations à l’ONU,des conventions de Genève à laCour pénale internationale. C’estla troisièmeleçondecesiècle,mal-gré les législations internationa-les, les innombrables missions de

paixavec leurs contingentsde cas-ques bleus, la communauté desnationsn’apas réussi à interdire laguerre. Ou à limiter l’exercice aux«guerres justes». Certes, il y a demoinsenmoinsdeguerres et ellessont moins coûteuses en vieshumaines, mais un conflit conti-nue à chasser l’autre sur nosécrans.

Pour ce hors-série, conçu enécho au thème des Rendez-vousde l’histoire de Blois, nous avonsfait appel à des historiens – HervéDrévillon, Christian Ingrao,AndrewBacevich,DenisPeschans-ki –, mais aussi à des écrivains –Atiq Rahimi et Velibor Colic –, auneuropsychiatreBoris Cyrulnik etaugéopoliticienGérardChaliand.

Les textes de théoriciens de laguerre que nous publions, de Carlvon Clausewitz à Raymond Aron,éclairent le champ de bataille,mais le dernier mot restera tou-jours au général chinois Sun Zi(IVe siècle av. J.-C.), qui expliqueque la première règle de l’art de laguerre, c’est d’éviter la guerre.p

Michel Lefebvre

SI LE RÉGIMEDE TÉHÉRANEST SCHIZO-PHRÈNE,AU BAZAR,ON SAITFAIRE LESADDITIONS

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4/10 MONET Impression, soleil levant11/10 VAN GOGH Les Tournesols18/10 VERMEER La Dentellière25/10 RUBENS Hélène Fourment au carrosse1/11 CHARDIN La Raie8/11 MICHEL-ANGE La Sainte Famille15/11 GOYA La Maja nue22/11 KLIMT Les Trois Ages de la femme29/11 RENOIR Le Moulin de la Galette6/12 TIEPOLO L’Immaculée Conception

13/12 GAINSBOROUGH Portrait de Mme Graham20/12 DELACROIX La Mort de Sardanapale27/12 PIERO DELLA FRANCESCA Madone du duc Frédéric3/01 VELASQUEZ Les Ménines10/01 GAUGUIN Femmes de Tahiti17/01 DE LA TOUR Le Tricheur à l’as de carreau24/01 BOUCHER Le Déjeuner31/01 CANALETTO La Place Saint-Marc7/02 DURER Autoportrait à la fourrure14/02 CARAVAGE Corbeille de fruits

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Page 23: Le Monde - 11 Octobre 2013

Auxarmes,historiens!

p r i è r e d ’ i n s é r e r

LaguerreadéserténosespritsLes conflitsarméssontle thèmedes 16esRendez-vousde l’histoire. L’historienaméricain JayWinterévoque icilaplace fondatricede 14-18

Jean Birnbaum

aEntretiencroiséPierre Noraet Jean-NoëlJeanneney

aBiographieBonaparte,de PatriceGueniffey

NatalieNougayrède

Jay Winterhistorien

«L’un des romans les plusenthousiasmants de cette rentrée. »Jean Birnbaum, Le Monde

Éditions de l’Olivier

Un siècle après le début dela Grande Guerre, sonombre continue de noushanter. Les visages son-geurs, les chants et lesvoix stoïques de «ceux de

14» évoquent un moment tragique, trèsdifférent de 1939, 1940 ou 1944. Les deuxguerres impliquèrent de libérer le ter-ritoire français de l’occupation, mais lalibérationde1918alaisséunsouvenirpar-ticulier. Tant de vies perdues ou ruinées,et pour quelle réalisation durable ? Laguerre revint si vite que la victoire de1918 s’évapora purement et simplement

vingt-deuxannéesplustard.Hitlerréécri-vit 1918 en 1940.

Les listes renversantes des victimes etla fin désastreuse de la paix de vingt ans,en1939,aidentàcomprendrelestonssom-bresqui colorentencorenotrevisionde laGrande Guerre. Et c’est vers celle-ci, plusencore que vers celle d’Hitler, que nousdevons nous tourner pour comprendreun des changements les plus frappantsdans l’attitude politique occidentale denotretemps.Malgrél’héroïsmedelaRésis-tance et de la France libre, malgré l’effortet le couragede ceuxquidébarquèrent enNormandie voici soixante-dix ans, laguerre a perdu, à l’Ouest (mais pas en Eu-rope orientale ni au Moyen-Orient), sa

gloire, son lustre, sa légitimité. Desarmées continuent de lancer des actionsde commando contre des irréguliers :ainsi, récemment, auMali, ou, comme cefutlecasilyavingtansdanslesbombarde-ments sur la Serbie;maisellesne sontpasdéployées contre des Etats, comme enSyrie. L’opinion publique ne le veut pas.MêmeauxEtats-Unis, leprésidentObaman’a pu trouver de majorité au Congrèspourautoriseruneattaquecontre la Syrieaprès que la preuve eut été faite de l’utili-sation du gaz sarin. Entrer en guerre acessé d’être une option politique en Eu-ropeoccidentale.

aTraverséeL’individudans la guerre

V endredi 4octobre,dans l’une desinnombrables

émissions de télévision où ils’emploie à briser les tabousqui parasitent encore nosconsciences, Eric Zemmour aposé unmot sur les cercueilsdes femmes, des hommes,des enfants qui venaient demourir à Lampedusa:«Envahisseurs». Sans que ceterme suscite de réactionsmarquantes dans le studio, il apumarteler que «ces gens-làsont des envahisseurs» etconclure d’un rictusfanatique: «Ils prennent leursrisques!»Campé dans cetespace pseudo-subversifmaisauthentiquement indigneque d’aucuns nomment«politiquement incorrect»,il a asséné des propos oùl’abjectionmorale s’avançaitbardée d’aberrationshistoriques – sur le droitd’asile, d’abord. Le vocabulaireétait guerrier, le déliremartial,

l’offensive d’autant plusfuneste qu’elle demeuraitsans riposte.

Alors que s’ouvrent les16esRendez-vous de l’histoire,qui portent sur le thèmede«la guerre», il faut appeler leshistoriens à semontrer plusoffensifs. Effrayés par lebrouillage des cartes commepar le déséquilibre des forces,beaucoupd’entre eux sonttentés de se réfugier derrièreles remparts du pur savoir.Ce repli serait regrettable.

Commeen témoignentles rencontres de Blois, il estpossible de conjuguer rigueuretmobilisation, rechercheérudite et engagementpédagogique. Tel fut d’ailleursl’état d’esprit des grands aînés.Ainsi lemédiévisteGeorgesDuby (1919-1996) insistait-ilsur son désir de trouverle ton et le style pourmettrela «bonne histoire» à la portéede tous. Rappelant quela réinvention dumétier

d’historien passe par «desmoments polémiques, desmoments de très vifscombats»,Duby soulignaitaussi la nécessité d’investirl’espace public : «Je ne perdsaucune occasion dem’adresserà d’autres qu’àmes élèves etàmes collègues (…). Je fais toutpour quemavoix porte»,confiait-il en 1978 auphilosopheGuy Lardreau dansunpassionnant entretien quivient d’être réédité (DialoguesavecGeorges Duby, LesDialogues des petits Platons,216p., 19 ¤).

Amis chercheurs,maîtreséclairés, cet héritage vousoblige. Ne délaissez pas le frontdudébat, ne l’abandonnez pasauxbonimenteurs, ennemisde toute vérité commedetoute rationalité. Votre tâcheexige de la bravoure. Le terrainest certesminé.Mais c’est à ceprix que le champde l’histoiredemeurera un champd’honneur.p

1 8Huit pagesautourde l’histoire,des historienset de leurs livres

aBonnesfeuillesJ’ai connul’enfer. De laSyrie des Assadaux campsdu Liban

Interrogernotretemps

L a guerre, la paix…LeMonden’a jamaiscesséd’être au cœur

de ces enjeux. A sa création,au lendemainde la secondeguerremondiale,HubertBeuve-Mérya souhaitéunjournal qui informeet analyseenprofondeur.De la guerred’Algérie à celles de l’ex-Yougoslavie, de la Libye à laSyrie, les journalistesduMonden’ont cessé de couvrir le terrain,auplus près des événements.LeMondeparticipe aussià la réflexion critique sur cessituationsde conflits. Quellesresponsabilitésont les Etatset la communautéinternationaledans laprotectiondespopulationsciviles?Quel estle poids de lamémoire, alorsqu’approche l’anniversairedu séismede 1914? Cesquestions seposeront lorsdesRendez-vousde l’histoiredeBlois, consacrés à laguerre, et dont LeMondeest partenaire.

De Stendhal à Grossman,deTolstoï à Remarque, commedans l’inlassable travail deshistoriens, la guerre, lalittératureet la pensée ontpartie liée. C’est pourquoi«LeMondedes livres» explorecesdébats, valorisantdesplumes et des points de vue,comme il le fait chaquesemaine. Et il est doncnaturelquenotre journal consacre debelles pages à ces thématiques.Pour interrogernotre temps.pLire la suite page 2

Blois, du10au13octobre

spécial lesrendez-vousdel’histoire

Irak, 2003.CHRISTOPHER ANDERSON/

MAGNUMPHOTOS

Cahier du «Monde »N˚ 21377 datéVendredi 11 octobre 2013 - Ne peut être vendu séparément

Page 24: Le Monde - 11 Octobre 2013

Enpartenariat avec les Ren-dez-vousde l’histoiredeBlois,LeMondepublie le hors-série1914-2014.Un siècle de guerres.Trois parties: «Faire laguerre», «Vivre la guerre»,«Raconter la guerre», dixtextesde stratèges (SunZi,Clausewitz,Mao,Aron, CarlSchmitt…), des entretiensavecGérardChaliand,AndrewBacewich, Jean-YvesLeDrian, Boris Cyrulnik etDenisPeschanski, des contri-butionsd’historiens…a1914-2014. Un siècledeguerres, 100p., 7,50¤, en venteen kiosque pendant deuxmois.

UnregardneufDesmots quistigmatisentl’islamoudurôlede l’argentdans l’électionprésidentielle

américaine, l’histoire est lon-gue. Conviant des historiens àcommenterdes événementsde2012 et 2013, Jean-Noël Jean-neneyet les Rendez-vousdel’histoiredeBlois prouvent,unenouvelle fois, la richessedudialogue entre passéet actualité.paL’Actualité au regard del’Histoire. De l’affaireMerahàl’électiondupape François,sous la direction de Jean-NoëlJeanneney,Autrement/LeMonde/France Culture, 158p., 21¤.

L’or d’AfriqueLe juryduGrandPrix desRendez-vousde l’histoireseradécernécette annéeà François-Xavier Fau-velle-Aymar(photo),directeurde

recherches auCNRS, pourLe Rhinocérosd’or. HistoiresduMoyenAgeafricain,paruchezAlma et salué par «LeMondedes livres» (8février2013). Sepenchant suruneépoquepeudocumentée, leMoyenAge, d’un continent aupassé lui-mêmeméconnu,l’Afrique, l’auteurveut écrireune «histoire incomplète,consentanteauxdécouvertesencoreà faire». Des frag-ments éparsqui s’offrent àlui, il tire demagnifiquestableaux restituant la vie decet éclatant foyer de commer-ce, réputé jusqu’enChinepour ses caravanes, sonnégoced’or et d’esclaves. pLe Prix Augustin Thierry 2013 iraà l’ouvrage Jérusalem 1900. LaVille sainte à l’âge des possibles(ArmandColin), de Vincent Lemire.Le 10e prix Château de Chevernyde la bande dessinée historique auSinge deHartlepool (Delcourt), deWilfrid Lupano et JérémieMoreau.Le Prix du roman historique 2013,avec le soutien du CICOuest, àDans l’ombre de la lumière (ActesSud), de Claude Pujade-Renaud.

Au programmeLes 16esRendez-vousde l’histoire se tiennent à Blois(Loir-et-Cher)du 10 au 13octobre, sur le thèmede la guerre.Commechaqueannée, ces Rendez-vouspermettentla rencontreprivilégiéedes historiens et du grandpublicà travers denombreuxdébats, des expositions, des spectacles,un cycle cinémaet unSalondu livre. Programmecompletet renseignements surwww.rdv-histoire.com

Lesdébatsdu«Monde»

aLeMali, lesenjeuxd’uneguerreVendredi 11octobre, de 15h30 à 17heures,hémicycle de laHalle aux grainsDialogueentre Jean-Yves LeDrian,ministre de la défense,etNatalieNougayrède, directrice duMonde.

aLeFrontnationalest-ild’extrêmedroite?Vendredi 11octobre, de 16heures à 17h30,Maison de lamagieTable ronde avecAlexandreDézé,maître de conférencesà l’universitéMontpellier-I, GérardCourtois, directeuréditorial auMonde, SylvainCrépon,université Paris-Ouest-Nanterre, Caroline Fourest, essayiste, journaliste,NonnaMayer, docteureen sciencespolitiques, directricede recherche auCNRS.

aPeut-on faire laguerreau terrorisme?Vendredi 11octobre, de 17h30 à 19heures,hémicycle de laHalle aux grainsTable ronde avec JeanBirnbaum, responsable du«Mondedes livres», Gilles Kepel, professeurdes universités à SciencesPoParis, Isabelle Sommier, professeureà l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne,RamaYade.

aLeMoyenAgeest-ildedroite?Samedi 12octobre, de 14heures à 15h30,Maison de lamagieTable ronde avec Julie Clarini, journaliste auMonde, JacquesDalarun, anciendirecteurdes étudesmédiévales à l’Ecolefrançaisede Rome,NicolasOffenstadt,maître de conférencesà l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne,etHelenSolterer, universitéDuke.

a2012-2013:uneannéevuepar leshistoriensSamedi 12octobre de 16h30à 18heures,hémicycle de laHalle aux grainsA l’occasiondu lancementde l’ouvrage L’Actualitéau regardde l’histoire. De l’affaireMerahà l’électiondupape François(Autrement/LeMonde/France Culture), dirigépar Jean-NoëlJeanneney.Table ronde avec Jean-Noël Jeanneney, présidentdu conseilscientifiquedes Rendez-vousde l’histoire, PapNdiaye,professeur à l’Institut d’étudespolitiques deParis, DidierPourquery, rédacteur en chef auMonde, FlorenceTamagne,maîtrede conférencesà l’université Lille-III, et GeorgesVigarello, directeurd’études à l’EHESS.

Unesélectionde rencontres,débats et conférences

aYa-t-ilunesciencede laguerre?Jeudi 10octobre, de 14heures à 15h30,Maison de lamagieTable ronde avecAlessandroBarbero, professeur à l’univer-sitédu Piémont-Oriental,GérardChaliand, spécialistedel’étudedes conflits armés et des relations internationaleset stratégiques, Jean Lévi, spécialistede la Chine, directeurderecherches auCNRS,Giusto Traina, professeur à l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne.

aLes crieurs, figuresessentiellesde laviepolitiquemédiévaleVendredi 11octobre de 10heures à 10h45,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avecNicolasOffenstadt,maîtrede conférencesà l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne,auteurd’Enplace publique. JeandeGascogne crieur à LaonauXVesiècle (Stock).

aLaGrandeGuerre faceàsa commémorationVendredi 11octobre, de 14heures à 15heures,hémicycle de laHalle aux grainsConférenced’AntoineProst, professeur émériteà l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne.

aLadouceurde l’ombreVendredi 11octobre, de 15heures à 15h40,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avecAlainCorbin, professeur émériteà l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne,auteurde LaDouceurde l’ombre. L’arbre, source d’émotions,de l’Antiquité à nos jours (Fayard).

aLes cardinaux-ministreset laguerredeGeorgesd’AmboiseàFleury (finXVe-XVIIIesiècle)Vendredi 11octobre, de 17heures à 18heures,salle des conférences, château royal de BloisConférencedeBenoist Pierre, professeur à l’universitéFrançois-Rabelaisde Tours, auCentre d’études supérieuresde la Renaissance, etmembre juniorde l’Institutuniversitairede France.

aDe laguerreVendredi 11octobre, de 19h30à 20h30,hémicycle de laHalle aux grainsConférenced’Elie Barnavi, historienet anciendiplomate.

aPourquoi laBDest-elle«partieenguerre»?Samedi 12octobre, de 10heures à 11heures,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avecKris, scénariste, etMaël, dessinateur,auteursde la série «Notremère la guerre» (Futuropolis), Jul,scénariste et dessinateur, auteur de la série «Silex and theCity» (Dargaud), FabienNury, scénariste, auteur de la série

«Il était une fois en France» (Glénat), et PascalOry, professeurà l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne.

aLaconstructionduromanhistoriqueSamedi 12octobre, de 14heures à 15heures,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avec Chantal Thomas, directricede recherche auCNRS, essayiste et romancière,auteurede L’Echangedes princesses (Seuil).

aFaire lapaixSamedi 12octobre, de 16heures à 17h30, amphi 1, universitéTable ronde avecKoraAndrieu, philosophe,chargéede conférences à SciencesPo, Elie Barnavi,historien,DominiqueBarthélemy, professeur à Paris-IV,PatriceBrun, professeur à l’universitéBordeaux-III,Henry Laurens, professeur auCollègede France,titulairede la chaire d’histoire contemporainedumondearabe,Maurice Sartre, professeur émériteà l’universitéde Tours.

aLesdéfisde l’historienauXXIesiècleSamedi 12octobre, de de 16h15 à 17h15,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avec ChristopheGranger, chercheurassocié auCentre d’histoire sociale duXXesiècle, directeurd’Aquoi pensent les historiens? Faire de l’histoire auXXIesiècle (Autrement), et Jean-François Sirinelli, professeurà l’Institut d’étudespolitiquesde Paris et directeurduCentred’histoirede SciencesPo, auteur deDésenclaver l’histoire.Nouveaux regards sur le XXe siècle français (CNRSEditions).

aLadynastiedesRomanov:refletdumalheur russeSamedi 12octobre, de 16h30à 17h30,Maison de lamagieConférenced’HélèneCarrèred’Encausse, secrétaireperpétuelde l’Académie française, auteure desRomanov.Unedynastie sous le règnedu sang (Fayard).

aLaRépubliqueet le cochonSamedi 12octobre, de 17h30 à 18h15,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avec PierreBirnbaum,professeur émériteà l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne,auteur deLaRépublique et le cochon (Seuil).

aQuia inventé lesdroitsde l’homme?Samedi 12octobre, de 18h30 à 20heures, amphi 3, universitéTable ronde avec LynnHunt, professeureà l’universitéde Californie à LosAngeles, PapNdiaye,maîtrede conférences à l’EHESS,Olivier Postel-Vinay, directeurdumagazineBooks.

aLes«sièclesd’or»de l’AfriquemédiévaleDimanche 13octobre, de 10heures à 11heures,salle Lavoisier, conseil généralCafé littéraire avec François-Xavier Fauvelle-Aymar,directeurde recherches auCNRS, auteurduRhinocérosd’or.Histoires duMoyenAgeafricain (Alma),GrandPrix desRendez-vousde l’histoire 2013.

aRevenantdeguerreDimanche 13octobre, de 11heures à 11h45,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avec Sorj Chalandon, écrivain et journalisteauCanard enchaîné, auteurduQuatrièmemur (Grasset).

aGuerresmodernes:guerreséconomiques?Dimanche 13octobre, de 12heures à 13heures,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avecOlivierGrenouilleau,professeurà SciencesPo Paris, auteurd’Et lemarchédevint roi(Flammarion), et ThomasPiketty, directeurd’études à l’EHESSetprofesseur à l’Ecoled’économiede Paris, auteur duCapitalauXXIe siècle (Seuil).

aL’histoirea-t-elleunavenir?Dimanche 13octobre, de 14heures à 14h45,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avec FrançoisHartog, directeurd’étudesà l’EHESS, auteurdeCroire en l’histoireet deLaChambrede veille (Flammarion).

aQuandfairecommencer l’histoiredeFrance?L’apportdesmondesanciensà laconstructiondes identitésDimanche 13octobre, de 14heures à 15heures, amphi 3, universitéConférencedeBrunoDumézil,maître de conférencesà l’universitéParis-Ouest-Nanterre, auteurdeDesGaulois auxCarolingiens (PUF).

aInformationetpropagandeDimanche 13octobre, de 15heures à 16heures,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avec Fabriced’Almeida, professeur à l’univer-sité Panthéon-Assas, auteurde Propagande.Une histoiremondiale (LaMartinière), et Jean-Noël Jeanneney,professeurémérite à l’Institut d’étudespolitiquesde Paris, auteurdesGrandesHeures de la presse qui ont fait l’histoire(Flammarion).

aFrance,d’oùviens-tu?Dimanche 13octobre, de 16h15 à 17h15,Café littéraire, Halle aux grainsCafé littéraire avec ClaudeGauvard, professeureémériteà l’universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne,auteure duTempsdes Capétiens et du TempsdesValois (PUF), et SylvainVenayre,maîtrede conférencesà l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, auteurdeDes origines de la France.Quandles historiens racontaient la nation (Seuil).

aTavernieret laguerreXVIe-XXesiècleDimanche 13octobre, de 17h30 à 18h30,hémicycle de laHalle aux grainsConférenceàdeuxvoix : StéphaneAudoin-Rouzeau,directeurd’études à l’EHESS, et BertrandTavernier,réalisateur, présidentdes 16esRendez-vousde l’histoire.

Les prix 2013Comment cela est-il arrivé? Ce rejet a

demultiples sources. La fin de la guerrefroide y a sa part, tout comme la défaiteaméricaine auVietnam, ou le chaos et lecarnage en Irak et en Afghanistan. Sur-tout, la guerre asymétrique, comme ondit aujourd’hui, se définit par l’emploid’armesdehaute technologiecontredesadversaires dotés de technologie faibleet, inévitablement, des civils. Et qui ditguerre asymétrique dit souffrancesmassives, mutilation et mort de non-combattants, en particulier de femmeset d’enfants.

Leplusimportant,c’estquecescruau-téssontvisibles.Nouslesvoyonsàlatélé-vision et sur le Net. Impossible de lescacher.Dece fait,ellesévoquentd’autresimages et d’autres catastrophes dontnous avons une conscience aiguë.C’estbien pourquoi les débats actuels surl’usage de la force en Syrie ou ailleurscomportent un élément caché. Cet élé-ment est visuel. Quandnous voyonsdescivils souffrir dans les zones de guerre,noussommes ramenésaux imagesdou-loureuses des deux guerres mondiales:des icônes qui circulent dans la sphèrepublique et qui ne sont pas le pur pro-duit de la recherche historique. Cequ’écrivent les historiens importe beau-coup moins que ce que les gens voientdans les institutions du «memoryboom», de l’«essormémoriel» contem-porain : musées, films, fiction, et sitesInternet. Et dans cette vaste expansionde l’offre et de la demande d’images,maisaussid’informationssur lepassé, laguerre engénéral et laGrandeGuerre enparticulier sont des éléments majeurs.Ce que les gens voient dans ces archivesvisuelles, c’est le moment où la guerreindustrielle et la mort de masse firentleur entrée en Europe.

Vanité de la guerreDu reste, les historiens eux-mêmes

ont prêté une attention croissante auvisuel, aux récits inscrits dans les objetspersonnels, les journaux intimes, les let-tres, et aux légendes implicites dans lesphotographies et les films muets. Lelivre La Première Guerremondiale, dontles éditions Fayard viennent de publierle premier volume sous le titreCombats*, regorge d’images et d’élé-ments de cette nature. Les historiens sesontaussimontrésdeplusenplusdispo-sésà travailleravecdesgensextérieursàl’Université pour donner au public unrécit visuel exact et émouvant de laguerre. En témoigne la réussite desmusées de Meaux, Verdun, Ypres,Péronne, Londres et Manchester, maisaussi de Kansas City, Ottawa et Can-berra : ils mettent le travail des histo-riens à la portée du grand public inté-ressé, fasciné,voireobsédépar laGrandeGuerre. Ce faisant, ils nourrissent la for-mation d’un nouveau consensus sur lavanité de la guerre : un consensus faibleet incomplet, certes, mais étonnam-ment différent de celui qui prévalaitvoici quarante ans.

Ainsi, au fil des générations, et demanièreplusclairecesdernièresannées,la guerre a-t-elle perdu son attrait et saséduction auprès d’une large section dela population d’Europe occidentale.Maispasailleurs.Aquoi tient cecontras-te? Une des raisons en est que les autresrégionsn’ont pas fait du bain de sangdela Grande Guerre un élément fondateurde leur histoire. La saignée s’est certesétendue à l’Europe orientale mais, de1917 à 1989, le communisme a enfoui laguerremondiale sous le récit de la révo-lution soviétique. Les pertes de la Gran-de Guerre ont aussi concerné leMoyen-Orient, l’Afrique et l’Asie,mais l’histoirequicomptelà-bas,celledela luttepourladécolonisation,commencetraditionnel-lement après 1918. Et les Etats-Unis seréfugièrent si vite dans l’isolationnismeque les combats de 1917-1918 laissèrentpeu de traces dans les idées politiquesaméricaines. En Europe occidentale etdans les dominions britanniques, enrevanche, l’hécatombe de la GrandeGuerre a fini par incarner le récit fonda-teur de notre temps. Cela explique enpartiepourquoi,encecentenaire,lacom-mémorationde la guerre ignore les tonssépiade lanostalgie auprofitde ces cou-leurssombres: cellesdu siècledeviolen-ces qu’elle a déclenché.p JayWinter

* Professeur à l’université Yale (Etats-Unis),JayWinter dirige La PremièreGuerremon-diale. Volume 1: Combats. (The CambridgeHistory of the FirstWorldWar, vol. 1),traduit de l’anglais par Jacques Bonnet,Pierre-Emmanuel Dauzat, Odile Demangeet Sylvie Lucas, Fayard, 816 p., 35¤.

Parutions

Suitede la premièrepage

…à la«une» LesRendez-vousde l’histoire2 0123

Vendredi 11 octobre 2013

Page 25: Le Monde - 11 Octobre 2013

L’histoiredelaguerres’écritdésormaisàhauteurd’hommes,auniveaudusoldat.UnessaifondateurdeJohnKeeganestrééditéetdeuxnouveauxlivresenrichissentcetteapproche

Latristessedelachairàcanon

L’IndividuetlaGuerre.DuchevalierBayard au soldat inconnu,d’HervéDrévillon,Belin, «Histoire», 320p., 25¤.Consacré à la façondont,dès la Renaissance, naît un «artde la guerre» –celui de biendisposerles combattants–, ce livre permetde suivre le lent ajustemententreles doctrinesdes stratèges, quidonnent aux soldats une autonomiecroissante, et lesmutationsdu cadrepolitique faisant émerger des «citoyens»sous l’uniforme.

Vaincresansgloire.Le corps expéditionnaire françaisen Italie (novembre1942-juillet1944),de Julie LeGac,LesBelles Lettres, 624p., 29,50¤.LaFrance, vaincueen 1940, reprend lecombat, à partir de 1943, aux côtés desAméricainset desBritanniquesdans lacampagned’Italie. Les troupes, sous lesordresd’Alphonse Juin, y remportentdeduresvictoires, bientôt ternies par desviolencesenvers les populations civiles etles tensions croissantes en leur sein – cequi explique leurmémoire incertaine.

LesRendez-vousde l’histoire Traversée

André Loez

Le fait guerrier est intimementlié à la narration historiquedepuis l’Antiquité grecque, oùHérodote puis Thucydide enétablirent les principes enfixant le souvenir des guerres

médiques et du conflit péloponnésien. Ilsuffit d’observer aujourd’hui les tablesdes libraires pour constater combien lachosemilitairedomineencore,envolumedumoins, les parutions enhistoire.

Cetteproductionest, il estvrai, inégale:s’il est des chefs-d’œuvre, comme LeDimanche de Bouvines, de Georges Duby(Gallimard, 1973), faisant de la guerre unprisme dévoilant en profondeur le fonc-tionnement de la sociétémédiévale, l’his-toire militaire conventionnelle s’y tailletoujours une large part, offrant aux lec-teursfriandsdefaitsd’armesetd’affronte-ments la confortable linéarité des biogra-phies de généraux ou des récits debatailles.

Ce dernier genre fut pourtant réin-venté,voilàprèsdequaranteans,par l’his-torien anglais John Keegan (1934-2012).Dans son ouvragemajeur,Anatomiede labataille, de 1976, que republient aujour-d’hui les éditions Perrin, il fait voler enéclats le modèle narratif traditionnel del’histoiremilitaire, rompantavec lavisionsurplombante des stratèges en chambreet avec l’illusionrétrospectivede combatsau déroulement bien ordonné, conformeaux plans, «qui réduit les soldats à despions».

Dansce livre,cenesontplusleschefsdeguerre qui tiennent la première place,mais les corps des soldats. Corps angois-sés, corpsmeurtris,dont l’auteur, croisantde façon pionnière la lecture des témoi-gnages et l’apport de l’archéologie duchamp de bataille, restitue l’expériencephysique et sensible pour savoir com-ment les hommes ont «dompté leurspeurs, pansé leurs blessures ou trouvé lamort».

Levant le voile sur des aspects peu évo-qués jusqu’alors dans les grands récits deguerre (lesredditionsoumassacresdepri-sonniers, la nourriture des troupes, l’ago-nie des blessés, qui fait l’objet de pages

bouleversantes), il donne aussi une gran-deleçondecontextualisation,eninsistantsur les spécificités matérielles de chaqueépisodeévoqué,dès lorsirréductibleàuneétude générique de «la bataille» : le poidsdes armures médiévales à Azincourt(1415), la fuméedes canons limitant la vueàWaterloo (1815), la cadencemortifèredesmitrailleuses sur la Somme (1916).

Cette démarche est enfin servie par lestyle de l’auteur, riche en détails vivants,plein d’empathie et d’humour, à la foisimprégné d’immenses lectures et volon-tiers irrévérencieux envers ses aînés. Ilfaut cependant déplorer que cette réédi-tion,certesdansunetraductionremaniée,nesoitpasaccompagnéed’unepréfaceoud’un dossier qui retrace justement l’in-

fluence du livre, chez l’antiquisant VictorDavis Hanson, par exemple (Le Modèleoccidental de la guerre, 1989; traductionLesBellesLettres,1990),oudansl’historio-graphie de 1914-1918, si profondémentrenouveléepar l’approchede l’expériencede guerre. Cette initiative aurait aussipermisd’intégrerlesretouchesoulescom-pléments qu’une nouvelle générationd’historiens militaires a pu apporter à cetravail fondateur.

Parmi ceux-ci, HervéDrévillon, profes-seur à l’université Paris-I et directeur del’Institut des études sur la guerre et lapaix, est devenu une figure majeure. Unde ses précédents livres avait fait écho àl’œuvre de Keegan (Batailles. Scènes deguerre de la Table ronde aux tranchées,

Seuil, 2007). Son nouvel ouvrage, L’Indi-vidu et laGuerre, en garde les acquis,maisélargit de nouveau la focale : il s’agitd’interroger la place de l’individudans lesdispositifs militaires et guerriers, duXVIesiècleà 1914,de l’émergencedusoldatautonome doté d’une arme à feu à sonannihilation dans l’hécatombe de laGrandeGuerre.

Ce parcours éclaire des débats impor-tants : celui des facteurs faisant « tenir»les hommes au feu,mais aussi celui de laprétendue naissance d’une «guerre to-tale» à la fin du XVIIIesiècle. Ces enjeuxconceptuelssontrégulièrementconfron-tés aux données empiriques et aux réa-lités guerrières, ce qui rend parfois laconstruction du propos difficile à suivre.Maiscela luidonneaussiunreliefsupplé-mentaire : derrière le débat tactique surla disposition en colonnes ou en lignesdessoldats, c’est,parexemple, l’effaranteviolencede la bataille de Fontenoy (1745),celle du fameux «Messieurs les Anglais,tirez les premiers », qui est rendueintelligible.

Ici, toutefois, pas de plongée dans lamêlée, mais d’abord une analyse des dis-coursetducadrejuridiquequienserrentlesoldat ou, plutôt, qui vont le libérer, sur leplan tactique mais aussi politique, avecl’invention du «soldat-citoyen» durant laRévolutionfrançaise.Ainsi, à travers lesta-tut des combattants, c’est à une histoirebien plus large et plus ambitieuse queconviel’auteur,celledelaconstructiondesEtatsmodernes,dontilmontrequelacom-posante militaire fut essentielle. L’armée,en effet, fut d’abord un lieu de déprise desconventions et des blocages de la sociétéd’ordres où une « forme d’isonomie» (lamême règle pour tous) rapprochait lesindividus; elle fut aussi le lieu où les idéesnouvelles de nation et de république

furentexpérimentées, léguant auXIXesiè-cle l’héritage paradoxal de la gloire napo-léonienne et de la conscription égalitaire,cettedernièreétantpassionnémentdébat-tuesouslaIIIeRépublique,notammentparJean Jaurès (L’Arméenouvelle, 1911).

Hervé Drévillon clôt ainsi l’enquête auseuil de la «guerre desmasses», commesila question de l’individu et du lien socialdans l’armée ne pouvait se poser après1914. C’est pourtant ce que fait, à sa façon,le travail rigoureux de Julie Le Gac consa-cré au corps expéditionnaire français enItalie durant la seconde guerremondiale,Vaincre sansgloire. Il tient comptede touslesacquisde l’historiographiedepuisKee-gan, laissant de côté « le triptyque tradi-tionnel du militaire, du politique et dudiplomatique» comme « l’épopée mythi-que» pour saisir les expériences de ceux

quicombattirentsous l’uniformefrançaisà Monte Cassino ou devant Rome en1943-1944.

L’intérêt premier de l’ouvrage résidedans ce terrain d’enquête quelque peudélaissé, théâtre d’opérations marginald’une armée ambiguë, composée d’an-ciensofficiers vichystes commedevolon-taires gaullistes, véritable mosaïque demétropolitains, de colons et d’indigènesoù figurent même, chose inédite, quel-ques milliers d’auxiliaires féminines.L’histoiredecettetroupeestdonccelledestensions qui la parcourent: ressentimentdes colonisés dont la valeur militaire nesuffit pas à garantir l’émancipation, cliva-ges idéologiques entre maréchalistes etrésistants, incompréhensions entre Fran-çais d’Afrique du Nord et de métropoleque l’épreuve du feu ne pourra entière-mentdissiper.

Pourabordercesenjeux, l’auteurea lar-gementouvert lequestionnaireetrassem-bléune impressionnantedocumentation,avecunrecoursprobantauxarchivesjudi-ciaires et médicales, révélant l’ampleurdes psychonévroses de guerre suscitéespar les très violents combats de la campa-gne italienne, interrogeant également lesdéterminants de l’obéissance. C’est enfinle sombre dossier des viols et des pillagesenvers les civils qui est analysé avec recul,tandisque les effets àmoyentermede cescombats sur la domination coloniale sontfinementpesés. En dépit de passagesplusconventionnels, ce travail d’une jeunechercheuse illustre bien la maturité quipeut être celle de l’histoire militaire lors-qu’elle intègre les individusà sa réflexion.

Libéréedel’anecdote,de l’hagiographieou du récit épique, elle permet d’envisa-ger la guerre dans toute son ampleur, entant que fait social total.Mais à voir le flotde publications suscité par le centenairede la Grande Guerre, dont beaucoup sontsans relief, cette bataille historiographi-que-là est encore loind’être gagnée.p

«Nousnepouvonspasavoir lavisionque les chroniqueursonteuedecesnuéesde flèchesquivolaientau-dessusde la scène,nousnepouvonspas lesenten-dre; nousnepouvonspas savoiroùportait l’effortde l’hommeenarmuresur sonadversaire lorsdupremierchoc;quelles étaient ladensitéde la chargede lacavale-rie française, savitesse.Nousnesavonspasnonplus cequevoyaituntémoinextérieurà lamêlée,parexemple l’undes soldatsde latroisièmeligne française.Nousignorons leniveausonoreatteintpar l’engagementet commentlescommandementssur le ter-rainarrivaientà se faireenten-dre, s’ils yparvenaient.»

Anatomiede labataille, page85

«L’exerciced’unedisciplineplusarbitrairequesévère, l’épreuvedés-humanisanteducombaten ligneet l’iniquitédusystèmed’avance-mentconcouraientàmaintenirlessoldatsdansunétatd’indi-gnitéimpuissante.Lesmœursmilitaireslesencourageaientpourtantàexprimer,parfoisdefaçontapageuse, leurfierté, leurvirilitéetmêmel’honneurd’ap-partenirà lacommunautédesdéfenseursde lapatrie.L’arméeconcentraitainsi toutes les ten-sionsd’unesociétéd’AncienRégi-mepartagéeentre lapréservationdesprivilègeset leurcontestationpar lespratiquesadministratives,fiscaleset judiciairesquiencoura-geaientl’égalitédevant la loi.»

L’Individuet laGuerre, page140

«Le froid, la fatiguephysique, lamortqui rôde, harassent les sol-datsalliés (…). De la simpleappré-hensionprécédant l’assautàl’épouvantequi submerge, enpassantpar les angoissesmulti-ples qui hantent les soldats, lapeur fait partie duquotidienduchampdebataille. Il demeurecependantmalaisé de saisircette émotion, par essence inti-me, parfois inavouée, souventminimisée. Les rapportsde lahié-rarchiemilitaire, nous y revien-drons, abordent la question sousl’anglede la discipline. Il s’agitd’encadrer ces peurs afindepré-venir toute défaillance indivi-duelle ou collectivede la troupedans l’exercice de sondevoir.»

Vaincre sansgloire, pages283-284

Anatomiedelabataille.Azincourt 1415,Waterloo 1815,la Somme1916 (The Face of Battle),de JohnKeegan, traduit de l’anglaispar JeanColonnaet AntoineBourguilleau,Perrin, 420p., 23¤.Appuyéesparune introduction richeetréflexive sur l’écriturede l’histoire, troisétudesdebatailles viennent se juxtapo-ser : Azincourt (25octobre1415),Waterloo(18juin1815) et le premier jour de labataille de la Somme (1er juillet 1916).

Extraits

Derrière le débattactique sur ladisposition encolonnes ou en lignesdes soldats, c’est, parexemple, l’effaranteviolence de labataille de Fontenoy(1745), qui est rendueintelligible

Une photo du film «Waterloo»,de Serguei Bondartchouk (1971).

RUE DES ARCHIVES/COLLECTION CSFF

30123Vendredi 11 octobre 2013

Page 26: Le Monde - 11 Octobre 2013

Propos recueillis par Julie Clarini

L’année 2014 sera marquée parune double commémoration,celledelapremièreguerremon-diale et celle de la Libération.Pour cerner les dimensions à lafois historique, politique et

mémorielle de ces événements à venir,nousavonssollicité le regardde Jean-NoëlJeanneney et de Pierre Nora. Le premierfait paraître L’Histoire, la liberté, l’action,qui rassemble des essais écrits entre1977et 2013, et La GrandeGuerre, si loin, si pro-che,uneréflexionsurlesenjeuxdelacom-mémoration; le second signe un ouvragequi réunit, sous le titre Recherches de laFrance, des articles sur l’identité et lamémoirefrançaises.L’unaprésidéàl’orga-nisation du bicentenaire de la Révolutionfrançaise; l’autre s’est presque toujourstenu en retrait des positions officielles. Atravers leurs analyses, ce sont deux stylesd’«historienpublic»,pour reprendre l’ex-pressionde PierreNora, qui se dégagent.

Dans la commémoration, c’est toujoursle présent qui se célèbre lui-même àtravers lesmodalités du passé. PierreNora, vous avez été l’un des premiers àle dire, tout en exprimantune certaineréticence devant l’engouement actuelpour ces célébrations…

Pierre Nora C’est-à-dire que j’observaisune dérive commémorative qui s’opéraitdepuis quelques années en France et, enmêmetemps,unchangementprofonddumodèle commémoratif. On pourrait direqu’on est passé d’unmodèle historique àun modèle mémoriel. Prenez le simplefait des commémorations nationales: de1880à1980, iln’yenaeuquesixcélébrées

danstout lepaysetquiavaientunevaleurunificatrice puissante: c’était le 14-Juillet,la fête de Jeanne d’Arc, le 11-Novembre, le8-Mai, le dernier dimanche d’avril (pourles déportés) et le 2-Novembre (pour lesmorts de la Grande Guerre)… En quinzeans, de 1990 à nos jours, il y en a eu sixautres, mais qui toutes expriment unemémoire particulière: le 16juillet (com-mémoration de la rafle du Vél’d’Hiv), le25septembre (la Journée d’hommage auxharkis), le 18juin (l’appel de De Gaulle), le10mai (la commémoration de l’escla-vage). Enfin, les deux dernières sont dé-diées aux morts des guerres d’Indochine(8juin) et d’AfriqueduNord (5décembre).Autrement dit, on assiste à une atomisa-tion de la mémoire combattante, alorsquelesgrandescommémorationsd’autre-fois venaient d’en haut et qu’à traverselles c’était la nation, la France, laRépubli-queque l’onhonorait. C’est en ce sensqueje parle dupassage d’unmodèle à l’autre.

Jean-Noël JeanneneyToute commémo-ration est évidemment marquée par letempsoùellesedéroule.Aproposde1789,c’est évident: en 1889, pour le centenaire,la France sort du boulangisme, elle af-firmedonclaRépubliqueetsouligneaussisarentréedansleconcertdesnations.Celase lit très clairement dans les manifesta-tionstellesqu’ellessontvouluespar l’Etat.En1939,c’estEdouardHerriotquiest leres-ponsable du cent cinquantenaire. On aalors besoin de l’Amérique et du mondeanglo-saxon, on insiste donc beaucoupsur les effets de la Révolution françaiseoutre-Atlantique

Jean-Noël Jeanneney, vous avez présidéla commissiondu bicentenaire de laRévolution française. Quels rappro-chements ou différences entre lacommémorationde 1789 et celle de1914 qui s’annonce?

J.-N. J.Une des questions, centrale estcelle de l’unité ou de la diversité de lanation en face de la commémoration. Ence domaine, l’opposition binaire entre1789 et 1914 est fascinante. C’est presquetermeà terme: laRévolutionfrançaise, en1789, constitue un coup de hache dans lanation, dans le corps social ; d’oùune rup-ture qui va durer tout au long du XIXe etunebonnepartie duXXesiècle –mais pro-gressivement,àmesurequeladroiteseral-lie par vagues successives aux idéaux de1789, on voit une certaine unité du regards’organiser. 1914, c’est exactement lecontraire: le seulmoment endeux sièclesoù la Francea vécuuneunité complète, ceque Poincaré, dans une belle intuition, aappelé « l’Union sacrée» – à la stupéfac-tion générale, d’ailleurs, puisqu’on avaitprévu que le monde ouvrier mettrait lacrosse à terre. Mais, à mesure que la listedesmortss’allonge,desmouvementspaci-fistes se dessinent, des divisions se créentaux termes desquelles on lit la guerre de1914 de façon tout à fait différente selonles sensibilités. Cela n’oppose pas,d’ailleurs, strictement la gauche et la

droite, le pacifisme jusqu’au-boutistepeut aller loin à chaque bord de l’échi-quier. Bref, c’est exactement le contrairede la Révolution française. Je pense que lacommémoration devra tenir compte decesdeux configurations très différentes.

Est-ce trop tôt pour savoirquel tour va prendre la commé-morationde la GrandeGuerre?

P.N. Il est trop tôt,mais ilmesemblequ’ilva y avoir une forte mobilisation politi-que. C’est d’ailleurs assez curieux. Pre-nons les deux commémorationsqui s’an-noncent: la guerre de 1914 et la Libérationen 1944. Au départ on croyait que celle delaGrandeGuerreallait êtrepurementhis-torique, puisqu’il n’y avait plus aucuntémoinvivant, etquecelledelaLibérationserait émotionnelle, célébrant unemémoire encore très proche à la fois pourles Français et pour ceux qui avaient étédirectement éprouvés – avec, au fond,cette célébration de la Shoah qui est com-me emblématique de l’horreur de massede la seconde guerremondiale. Eh bien, ilme semble – mais c’est une pure hypo-thèse – que l’on observe un peu le com-mencementdu contraire. C’est-à-dire quela commémoration de 1914 va en fait êtretrèsmémorielle et soulever une émotionà laquelle on ne s’attendait pas : on yretrouve, il estvrai, lamatricedetouteslestragédies du XXesiècle. Elle continue, parlà, à concerner tout lemonde et le deuil yprend non seulement une valeur person-

nelle,mais une valeur émotive pour tous.La commémoration de 1944 va être, sansdoute, très disputée historiquementparcequelaguerre, l’Occupation,laLibéra-tionont laissé les Français très divisés.

Rappelons-nous que 1944, c’est unedate qui oublie le nombre desmorts, effa-rant, survenues entre1944 et 1946; elle nesatisfait donc pas tout lemonde.Un argu-ment supplémentaire en faveur de monhypothèse, c’est que, bizarrement, laGrande Guerre concorde avec quelquechose du victimisme contemporain quifait apparaître les combattants de laguerre de 1914, traditionnellement tenuspour des héros, comme des victimes. Laréhabilitation des mutins et des fusillésen sera sans doute le point de cristallisa-tion. Cela s’appuie sur le sentiment évi-dent que la première guerre mondiale aété tragiquement inutile, suicidaire, alorsque la seconde ne pouvait pas ne pas êtrefaite. Elle génère donc des héros. Bref,entre cesdeuxdatesdontonpensait l’unecomplètementmémorielleet l’autrecom-plètementhistorique, quelque chose s’es-quissed’unpeu l’inverse.

Y a-t-il des «leçons de l’histoire»?La remémorationde la guerre peut-elleservir le présent?

J.-N.J. Je suis persuadéque l’histoire peutservir beaucoup. L’Antiquité en étaitconvaincue, Cicéron disait qu’elle était«maîtressedevie»,etPolybequel’histoireconstituait « la meilleure préparation au

Lemodèlefrançais

Derniervolet d’un triptyquequi réunitHistorienpublic etPrésent, nation,mémoire (tous les deux chezGallimard),Recherchesde la Franceoffre uneanalyse dumodèlehistori-queet politique français tel qu’il s’est bâti autour de l’Etat-nation.A travers les articles dePierreNora ici réunis (surMichelet, Lavisse, l’Action française, l’idéede génération…)sedessine lemouvementde constructionpuis d’épuisementde la «Franceunitaire jusquedans ses divisions», celle qui avécude laRévolutionde 1789 à la findumomentgaulliste etcommuniste. En cela,Recherches de la France est un essai quiprocèdepar coupsde sonde, comme l’entrepreneurdes Lieuxdemémoireaimeà le faire dans samanièrepersonnelled’écrire l’histoire,mûpar la convictionque «l’analyse appro-fondie de chaque éclat dit quelque chose de la singularitémys-térieusedu tout». C’est aussiun livre qui parcourtdeux siè-cles depolitique française, enquêtede lapermanence et destransformationsqu’y a connues l’idéede la «nation», s’inter-rogeant sans relâche sur sonobjet et son ambition: écrireunehistoirenationalequine soit pasnationaliste. J.Cl.Recherchesde la France,de PierreNora,Gallimard, «Bibliothèquedeshistoires», 608p., 24,50¤.

Jean-Noël JeanneneyetPierreNora,quiontbeaucoupécritsur l’histoireet lamémoire,mesurentlaportéedescommémorationsdel’année2014:GrandeGuerreetLibération

«Fairesentirladifférencedestemps »

Jean-Noël Jeanneneyet Pierre Nora.FRÉDÉRIC STUCINPOUR «LE MONDE».

Entretiencroisé LesRendez-vousde l’histoire4 0123

Vendredi 11 octobre 2013

Page 27: Le Monde - 11 Octobre 2013

Surprises-sur-LoireBlois, Chambord, Chaumont, Cheverny...

Un regard étonné et étonnantsur le pays des châteaux de la Loire

Saviez-vous...

Que le «Cheverny» a des accents italiens ?Que Machiavel est venu à Blois à deux reprises ?

Que l’agglomération abrite la seule cité agricole de France ?Que Chambord est une marque internationale ?

...gouvernement de l’Etat» et « la disciplinela mieux capable de nous exhorter àsupporter avec constance les caprices de laFortune». De Gaulle, au début des années1920, avait noté une formule vue par luiauMuséeduLuxembourg:«Expraeteritospes in futurum», «C’estdupasséquenaîtl’espoirdans l’avenir».

Au fond, l’histoire sert d’abord à fairecomprendre ce qui peut passer d’abordpour absurde. Dans le cas de 1914, elle sertà expliquer les enchaînements de laguerre et pourquoi les pacifistes ontéchoué; à comprendre la nature de cetteguerre qui a commencé comme uneguerre classique du XIXe siècle et fini enguerredemasseet enguerre idéologique;à faire comprendre, enfin, à quel point lesiècle qui a suivi en a été marqué. Et toutcela, bien sûr, pour servir le présent, pouren tirer desenseignementsquant à l’équi-libre de notre continent et à la construc-tionde sonunion. Je pense, enparticulier,à nos relations avec l’Allemagne.

PierreNora,même si «Recherchesde la France» est un livre sur le rapportentre histoire et politique, à l’imaged’une grande partie de votreœuvre,vous avez une façon tout autre d’envi-sager le rôle de l’histoire et de l’histo-rien dans la cité…

P.N.Pour les besoins de la cause, je vaissouligner la frontière qui nous distingue-rait. Ilmesemble,pourêtre très schémati-que, que l’histoire a connu trois grandes

périodes dans son exercice. La première,très longue, où elle a été effectivementmaîtresse de vie et où elle a dicté auxgrands leur conduite.

Cette longue tendance s’achève avec lanaissance, si l’on peut dire, de l’«histoirescience»aumilieuetdanslasecondemoi-tié du XIXe siècle, d’abord en Allemagnepuis en France, qui professionnalise lemétierd’historien,qui imposeà l’exercicede l’histoire une doctrine de critique et dedistance. Il se trouve que ce type d’his-toire, dit scientifique, s’est développé aumoment de l’essor le plus vigoureux desnationalismeseuropéens et que, du coup,l’histoire « scientifique» a en mêmetempsmarchéavecl’histoireéducatriceetpédagogique. Au point que l’histoire estdevenue, dans un pays comme la France,lenerfde lapédagogieet l’axede la forma-tionducitoyen.Maiscetteambitiond’unehistoire «objective», distancée, critique,suffisait à en faire autre chose qu’uneleçonde vie.

Une troisième étape s’est déroulée denos jours avec l’avènement de l’âge de lamémoire:elleatenduàmodifiercetteatti-tude purement scientifique par uneappropriation du passé en fonction desbesoins du présent. C’est là, je crois, quel’historiend’aujourd’huin’apasde leçonsà tirer de l’histoire, mais qu’il a à dire ceque le passé permet et ce que le passé nepermetpasàceuxquivoudraients’enser-vir abusivement. C’est plutôt unehistoirerectificatrice.

Et si onmedemandait vraiment à quoisert l’histoire, étant donné qu’elle ne serépètepas, je croisque je répondrais: fairesavoir,commeJean-NoëlJeanneney–l’his-torienest,àtitred’expert,celuiquidevraitsur lepassé en connaître le plus et en faireconnaître le plus. Ensuite faire sentir ladifférence des temps avec l’explorationdes mentalités et la prise en charge desmémoires. Enfin, faire comprendre,remettredansunecomplexitéquifaitquel’histoire n’est jamais en noir et blanc.Cettetâcheestessentielleàuneépoqueoùlesmédias sont si puissants et où l’accélé-ration de l’histoire écrase la longue duréedans laquelle il est indispensable que lesévénements soient replacés. L’historienn’est civique que dans la mesure où il estcritique et distant, et nonengagé.

J.-N. J. Je mesure l’efficacité de cette dis-tinctionternairemaispersonnellementjesuis sceptique. Je crois qu’à chaque épo-que il ya eu concomitancede cespréoccu-pations. D’abord n’oublions pas la pre-mière satisfaction de l’histoire: la jubila-tionde raconter deshistoires !

P.N.Bien sûr. A ce propos, Marc Blochavait d’ailleurs écrit : «Même si l’histoirene sert à rien, il faut lui reconnaître unechose: elle est amusante» !

J.-N. J.C’est pour cela (mais pas seule-ment) qu’il faut le mettre au Panthéon[rires]. Mais je tiens à dire, d’abord, que larecherche de modèles et de précédentscaractérise, selonmoi, toutes les époques.Ensuite, certes, il y a eu beaucoup de pro-grès dans la méthode scientifique mais,enmêmetemps, iln’yapasdepériodesoùl’histoire n’ait été autant mêlée à la pas-sionpolitiqueque leXIXesiècle. Çaneper-met pas, à mon avis, de caractériser lapériode.LesphrasesdeGabrielMonodquiouvraient La Revue historique le prou-vent:«Sansseproposerd’autresfinsqueleprofit qu’en tire la vérité, l’Histoire tra-vaille, d’une manière secrète et pure, à lagrandeur de la patrie en même tempsqu’au progrès du genre humain»… Oxy-more? Je ne le pensepas.

Quant au prétendu désarroi provoquéaujourd’hui par l’accélération de l’his-toire, j’ai écrit sur le sujet [« L’histoireva-t-elleplus vite?», reprisdansL’Histoire,la liberté, l’action] : ce n’est vrai que souscertains aspects. Il y a beaucoup de ralen-tissements à certains égards. La prolonga-tion de la vie moyenne des Français,notamment, fait que la mémoire circuleplus lentement.Monpèreaété tenupar lamain par Clemenceau le 13 juillet1919devant l’Arc de triomphe ; il n’estmortqu’en2010.Bref, il y a eu, à toutes lesépoques, la concomitancedeces trois sou-cis décrits par Pierre Nora: chercher desexemplesdanslepassé,essayerd’arriveràunecertainevéritépar-delàlespassionset«lisser lacourbedel’actualité»enpermet-tantà chacundevoirquechaquemomentn’est pas marqué par la seule instanta-néité. Notre tâche d’historien est de fairecomprendre que ce qui se passe se définittoujours à la rencontre des différentsrythmesde la durée.

Pourquoi et comment combattreunesensibilité qui nous fait voir les poilus

non commedes hérosmais plutôtcomme les victimes d’une immenseboucherie?

J.-N. J.Ce serait très injuste de ne pasrestituer le patriotisme de l’époque; on ale droit, et même le devoir, d’utiliser cemot magnifique, qui ne doit pas perdreson sens. Je déplorerais une commémo-ration qui se concentrerait uniquementsur les fusillés et lesmutins; ce serait uneinjustice.

P.N.Cette transmission, que supposecette cérémonie de la commémorationtelleque Jean-Noël lavoit (et je salueen luile grand commémorateur!), est le pro-blème le plus délicat de nos jours, où lesjeunesgénérationsonttrèsfortementten-dance à être à ce point coupées du passéque cette coupure entraîne la fin de ce quia été le nerf de la transmission: le senti-ment de la dette, ce sentiment, qui a pesésur les hommes pendant des siècles, quenous devons à nos ancêtres d’être ce quenous sommes. Ce lien me paraît, dans lanouvelle culture du passé que connais-sent les jeunes générations, une abstrac-tion.Cequineveutpasdirequ’ellesnes’in-téressent pas au passé, du tout ! Elles s’yintéressent, au contraire ; ce passé lesécrase, il lesdomine, il s’agitde ledéjouer.

Au fond, l’histoire, telle qu’aimerait lamaintenirJean-Noël Jeanneney,meparaîtenperdition,mêmesi lepasséest, lui, pré-sent partout : au cinéma, dans la littéra-ture, le tourismeet les jeux vidéo. Aussi, àtoutes ces dimensions de la commémo-ration et de la transmission, j’aimeraiscroire, mais en tant qu’historien je n’ycrois plus. C’est l’époque elle-même quiest tout entière commémorative.

J.-N. J.Pour moi, je vois de nombreuxsignes qui soutiennent cette espérance.On voit partout des gens qui vont fouillerdans les archives et les documents, quiretrouventdesphotographiesets’interro-gent. Une formidable efflorescence decuriosité s’annonce autour de cet événe-ment, qui sera aiguillonnée par ce senti-

ment de la dette. Or, c’est particulière-ment là que l’Etat peut et doit jouer sonrôle. Et si, par exemple, je pense que leSoldat inconnu incarne de façon efficacece qu’a pu être l’effort demillions d’hom-mes, les blessures et les souffrances de lapremière guerre mondiale, en revanche,dans le cas de la seconde, la Résistance aété le fait du courage personnel, de la bra-voure d’individussouvent isolés : doncdéciderde faire entrer l’un (ou l’une)d’en-tre eux au Panthéon me paraît propre àranimer chez les jeunes générations cesentiment de la dette que beaucoup, aufondd’eux-mêmes, aspirent à rénover.

P.N.Atitretoutpersonnel, jepenseque,sion mettait au Panthéon tout à la foisMicheletetMarcBloch,onexprimeraitunmessagesur laRévolutionfrançaise, sur laRépublique et sur la Résistance. Et onsaluerait le rôle civiquede l’histoire.p

L’empreintedel’actionpubliqueNi «tout est écrit», ni «tout est possible». C’est dans cedouble refusque s’inscrit la réflexionhistoriquede Jean-NoëlJeanneney,undouble rejet que réaffirme la préface inédite àL’Histoire, la liberté, l’action,qui rassemble ses essais de 1977 à2001.Onmesure, dans ce recueil où cohabitent L’avenir vientde loin et Le Passé dans le prétoire, l’empreintede l’actionpubliquequi fut la sienne (dans le domainede la culture etdesmédias essentiellement) sur son travail d’historien,maisaussi sa confiancedans l’importancede l’histoirepour soute-nir l’actionpublique.On arpenteun terrainqu’il a défrichéavecprédilection, celui de la «concordancedes temps», où sedéploie songoût des références et des similitudes surgissantde la comparaisonavec le passé – une façond’éclairer à la foisles permanences sous-jacentes et la singulière irréductibilitéde l’événement. Sonouvrage sur LaGrandeGuerre si loin,si proche, consacré auxenjeuxde la commémorationdelapremièreguerremondiale, est unenouvelle illustrationde cette aisanceàuser des lumièresdupassépour cerner leprésent etmieux répondre à ses sollicitations. J. Cl.L’Histoire, la liberté, l’action.Œuvres 1977-2013,de Jean-Noël Jeanneney, Seuil, «Opus», 1024p., 35 ¤.LaGrandeGuerre si loin, si proche. Réflexions suruncentenaire,de Jean-Noël Jeanneney, Le Seuil, 176p., 16 ¤.Signalons, dumêmeauteur, la parutiondesGrandesHeuresde lapresse qui ont fait l’Histoire,Flammarion, 214p., 9,90¤.

LesRendez-vousde l’histoire Entretiencroisé 50123Vendredi 11 octobre 2013

Page 28: Le Monde - 11 Octobre 2013

FayzaD.,unejeuneSyrienne,racontecequ’elleavécudepuis2011,desmanifestationsàl’exilenpassantparlaguerrecivile.Extraits

J’aiconnul’enfer.DelaSyriedesAssadauxcampsduLiban

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Nous reviendrons à Zaba-dani. Reste à savoirquand. Même s’il n’enreste plus une pierre sur

l’autre, nous nous trouverons unabri, puis nous reconstruirons.Pour lemoment, c’est impossible:parce qu’il a porté les armes avecl’Arméelibreetqu’iln’apasaccom-pli son service militaire, Moha-med est considéré, par le régime,commeuntraître. Il est condamnéàmort, et son exécution peut êtreimmédiate s’il est reconnu à unbarrage. Une solution que je pré-fère, je l’avoue,etluiaussi,àlapers-pectivede la torture.

Avraidire, iln’aplusenviedesebattre. Il dit que cette guerre estdevenue trop sale. C’est uneguerred’argent,d’enrichissement,de folie. Ce n’est plus une guerre,c’est un chaos où les plus forts,ceuxqui roulentenberline– et il yen a dans les deux camps –, s’en-graissent au détriment du peuple,qui, lui, paye le prix lourd. Depuisquarante ans, notre peuple est entrain d’être assassiné, morale-ment, économiquement, physi-quement. Il est au stade de l’ago-nie.Mais jenepleurepascepeuplequi, même dans la déchéance laplus absolue, celle dans laquellenous nous trouvons, oublie de

s’unir. Les décennies de brimadeset d’apprentissage de la délationne s’effacent pas d’un coup debaguettemagique.Lesmoukhaba-rat ont infiltré les rangs des réfu-giés.Desliquidationss’opèrent,endouce. Liquidations d’êtreshumains, d’opposants, cela vasans le dire. Des individus tout àfaitordinaires jouentàce jeuigno-ble. J’ai peurquandMohamedsortde lamaison. Peut-être un jour nereviendra-t-il pas…

Nous avions, un jour où nousavions faim, envisagé froidementnotre retour immédiat en Syrie.Nousaboutissionsàl’équationsui-vante : Mohamed retournerait àZabadani reprendre les armes.Notre bourgade est détruite, inha-bitée, il serait inconcevable que jele suive. Impossiblepourmoid’al-ler dans la famille de mamère : simonpère sort un jour deprisonetqu’il l’apprend, il me privera deHamouda,et c’estuneperspectiveque je suis incapable d’envisager.La seule solution pour moi seraitdoncd’alleràDamas,avecHamou-da, dans la famille de mon père.Maispourcelle-ci, je reste cellequia apporté le déshonneur en rejoi-gnant un homme qui n’était passon époux. Peu importe si nousnous sommes ensuite mariés : jereste une souillure, une tache quidoit disparaître. Tôt ou tard, jeserais égorgée, et l’honneur de lafamilleserait rétabli. Ilnousafallunousy résoudre:pour lemoment,nous n’avons d’autre choix quel’exil.

Je parle de demain. Quelle iro-nie! Enréalité, jenepeuxpasenvi-sager d’avenir : je sais que rien nesera plus comme avant, que nosblessures sont trop profondespourpouvoir être juste gommées.Il n’y a pas une famille qui necompte un mort, un torturé, undisparu. Jenepensemêmepasàcesoir. A cette minute, je suis vi-vante, c’est déjà pas mal, non ?Mohamed est à côté de moi, jepeuxposermatêtesursonépaule,Hamouda est silencieux, commed’habitude.

Faut-il regretter notre révolu-tion?Maudire le printemps arabeet ses conséquences? Ilm’est biensûr arrivé deme poser cette ques-tion, de la poser àMohamed.Maiselle ne se pose pas ainsi. J’appar-tiens à une génération qui estimeavoir des droits et qui les revendi-que. Quand un «supérieur», quelqu’il soit, un fonctionnaire, unpolicier, un patron disait à mongrand-père : « Tais-toi », mongrand-père se taisait. Quand monpère recevait la même injonction,il se taisait lui aussi, et, quand ilmarmonnait ensuite tout basdans son coin, il s’étonnait lui-même de son «insubordination»,se pensait de la trame des héros.Puis est venue notre génération.Nous ne refuserons pas d’obéir etde nous taire, mais nous deman-dons d’abord : «Pourquoi faut-ilque jeme taise?»Nous le ferons sinous sommes convaincus de laréponse. Nous sommes la généra-tiondu «pourquoi», et, à cause dece mot, nous ne pouvons plusnous laissermarcher sur les pieds,voire piétiner, comme ce fut le caspournousenSyrieetdans d’autres paysarabes.

pages166-169

Zabadani [une ville entreDamasetleLiban]deve-nait trop dangereusepour Mohamed [lefiancé de Fayza D.]. Ilvivait caché dans le

maquis, nul ne savait exactementoù,iln’osaitpasvenirmevoir,crai-gnant d’être suivi et demettremavieet celledemafamilleenpéril. Ilétaittraquécommeunebête,nom-mément recherché par les autori-tésdeDamassous leprétextequ’ilavait déserté le servicemilitaire etétaitdoncdevenu«ennemidel’in-térieur», condamné à la peine demort. Il ne restait plus grandmondeenvie,dans lesrangsdesescamarades, et il semurmurait quela rébellion bénéficiait désormaisde sang frais, de nouveaux ren-forts qui étaient, eux, rompus aujeu de la guerre. Beaucoup de sol-dats et de gradés qui avaient dé-serté les rangs de l’armée, des pro-fessionnels du terrain formés enRussie, mais aussi des djihadistesquiaffluaientdumondeentier,duPakistan, d’Irak et même deFrance,deSuèdeetdeGrande-Bre-tagne. Nous n’aimions pas ces dji-hadistes,nousdétestionsleurfana-tisme,nous les appelions«les tali-bans», mais nous avions besoind’eux: leur courage transcendaitlesnormeshumaines,ilspartaientà l’assaut sans tenir compte dudanger. Ils ne fuyaientpas lamort,mais ils la recherchaient, ils sebat-taient au besoin à mains nues ouarmés d’un simple lance-roquet-tespour faire faceauxcolonnesdeblindés,sedisputaientpoursepor-ter volontaires pour un attentat-suicide, et ils faisaient évidem-ment bien plus souvent moucheque nos jeunes gens. Ils voulaients’en aller en «martyrs » pourrejoindre leur paradis d’Allah etcela les rendait invincibles. Tantqu’ils venaient pour leur djihad etn’entendaient pas faire racinechez nous, nous étions biencontraintsde les laisser agir.

Mohameds’estfinalementréso-lu à partir. Il n’avait plus aucunelatitude de mouvement, il étaitclairement identifié et fiché parles forces de Assad, sans doute yavait-il aussi quelques délateursau sein de la rébellion : il étaitcerné, repéré, et il savait que sonarrestation n’était plus désormaisqu’une question de jours, voired’heures. Il m’a annoncé sondépart au téléphone, la mort dansl’âme. Il m’a promis de m’appelerdès qu’il serait arrivé à destina-tion, sans doute au Liban s’il réus-sissait à franchir la frontière. Il estparti à pied, avec deux compa-gnons.Zabadanin’estpaséloignéede la frontière libanaise, mais lesmontagnes nous séparant duLiban avaient été truffées, par leshommesdurégime,deminesanti-personnel. (…) Et il est allé rejoin-dre la cohorte de réfugiés. Il étaiten vie, c’était pourmoi l’essentiel.Il m’a appelée, peu après son arri-vée, m’a dit la vraie raison de sondépart de Syrie : «J’ai quitté Zaba-dani pour toi, pour pouvoir te

retrouver. Tum’as fait connaître legoût du bonheur, ça aurait été stu-pide demourirmaintenant.»

(…) Pendant ce temps, l’Arméesyriennelibre,désormaispluspro-fessionnelle, marquait des pointsdans notre bourgade et ses envi-rons ; en retour, les bombarde-ments se faisaient plus fréquents,à raison d’une heure ou deux parjour, toujours à l’improviste, demanière que les premières bom-bes tuent le plus de civils possible.L’arméeaussis’étaitprofessionna-lisée, et chaque obus atteignaitune cible. Il se murmurait que lesartilleurs syriens,assezpeuprécis,avaient cédé la place à des pasda-rans iraniens, et même à desmili-ciens du Hezbollah. Ceux-làsavaient nous faire mal, nousendormir par de longues heuresdecalmeabsoluet,d’uncoup,abat-tre une nuée d’obus de tous cali-bres sur nous.

Le bruit des explosions se rap-prochaitdangereusement:detou-te évidence, notre vieille ville, ànouveau libérée, était désormaisprise pour cible. Notre apparte-ment ne nous offrait aucune pro-tection : ses murs, son plafondauraient été transpercés par lapluspetitedecesbombes.Lesbom-bardements sont devenus inten-sifs. Au deuxième jour, nous som-mesdescendusnousréfugierdanslesous-sold’unevieillemaisonvoi-sine où une bonne partie de notrequartier s’était déjà entassée. Dumoins ceux qui étaient revenus àZabadani, parce qu’ils n’avaient

nulle part ailleurs où aller. J’aidétesté ce lieu, la promiscuité àlaquelle nous étions contraints, lebruit des conversations, les pleursdesenfants et les sanglotsdesplusgrands. L’atmosphère y était irres-pirable, le brouhaha continu.Nous étions terrés comme desrats, les plus téméraires parminous profitaient de la moindretrêve pour se hasarder à l’exté-rieur,courirchezeuxet revenir lesbras chargés de provisions et debouteillesd’eau. Je pleuraisMoha-med, Hamouda [son petit frère]était de plus en plus terrorisé, masœur tentait tant bien quemal deseconder ma mère, je survivaisdansl’obsessionderegagnernotreappartement, mais maman mel’interdisait. Me l’aurait-elle per-mis, je n’aurais sans doute pas osémettre le nez dehors où s’abattaitun déluge de fer et de feu. C’est làquenouspassionsnosnuits.

Pendant la journée, les bombar-dements se calmaient. L’écolen’ouvrait évidemment plus sesportes. Les enseignants avaienttous déserté leurs postes, jugeantstupidederisquerleurviepourdessalaires de misère. Par contre, cer-tains d’entre eux, qui habitaientdans notre quartier, proposaientdes leçons particulières que papas’obstinait à me refuser. «Tu n’asqu’àdemanderàMohameddetelespayer.Moi, jen’enaipas les moyens »,medit-il un jour.

pages87-91

Bonnes feuilles LesRendez-vousde l’histoire

J’ai connu l’enfer.De la Syrie desAssadaux campsdu Liban,de FayzaD., avecDjénaneKarehTager,Plon, «Témoignages»,172p., 12,90¤ (enlibrairie le 17octobre).

Des habitants d’Alepfuient la ville, juillet 2012.

LAURENT VAN DER STOCKT

POUR «LE MONDE»

6 0123Vendredi 11 octobre 2013

Page 29: Le Monde - 11 Octobre 2013

Singulière sainteClaireEnchoisissantde seplacer dans l’ombredeFrançois d’Assise, sainteClaire (1193 ou1194-1253 ), qui s’appelait elle-même «la petiteplante dubienheureux frère François», a fait lechoixd’unehumilité «au carré», si l’onpeutdire. Elle fut pourtant l’unedes figuresmar-quantesduXIIIesiècle, où la sainteté était pourcertaines femmesune voie d’accomplisse-mentmais aussi une formedeprise deparole.Dans ce volumequi rassemble, traduit etannote les écrits de Claire, les témoignagesdel’époque,mais aussi les textesproduits à l’oc-casionde sa canonisation, les auteursmettenten lumière la singularité de sonparcours. Aumomentoù le Cerf fait aussi paraître en for-matdepoche les Fiorettide François, ce livrepermetdemettre à dispositiond’un largepublicunportrait historiquedeClaire par elle-mêmeet par ses contemporains.Grâce au tra-vail critiquedes savants, cet éclairage évite de

la réduire à son statut de fem-me, oudemodèle spirituel,mais donne la pleinemesurede son expériencehistorique.p

EtienneAnheimaClaire d’Assise. Ecrits, vie,documents, sous la directionde JacquesDalarun et ArmelleLeHuërou, Cerf, «Sourcesfranciscaines», 1 104p., 49¤.

«C’est aux côtés duRobespierrede la fin de 1793 et de 1794que [Bonaparte] se serait assis, le proscripteur des hébertistes,l’assassindeDanton,mais aussi l’ennemi des déchristianisateurset des “pourris” de laMontagne (…). Le rameaud’olivier dansunemain–le décret sur l’Etre suprême– et le glaive dans l’autre – lagrandeTerreur –, ilmarchait inexorablementà la dictature. Deuxhommes, et deux seulement, échapperont toujours au jugementsévère, souvent injuste, queNapoléonportait sur ses contempo-rains:Mirabeau et Robespierre, dont il ne cesserade dire qu’il nemanquait pas de talent,même s’il estimait que l’Incorruptibleétait doté de qualités bien insuffisantespour réussir là où seul lui-même l’avait finalementpu: terminer la Révolution. Car cettepensée qui fut la sienne en prenant le pouvoir, le 18 brumaire,Robespierre l’avait eue avant lui, Napoléon en était convaincu.»

Bonaparte, pages 140-141

Antoinede Baecque

Du nouveau surBonaparte ? Lemoinsqu’onpuissedire est que labibliographie estpléthorique. Des

milliers de volumes ont paru surl’Empire,quidemeureunbest-sel-ler historique, certains diront unmarronnier destiné aux grin-cheux partisans de l’ordre, auxamateurs de batailles, aux nostal-giques d’une gloriole nationaleperdue. Si les travaux n’ont pasmanqué ces dernières décennies,qui autorisent désormais uneconnaissance détaillée de la so-ciété française impériale, et nonplus seulementdu récit épiquedupassage de la Grande Armée à tra-vers l’Europe, les biographiesn’ont pas été si nombreuses. Sansdoute l’ampleur de la tâche, ouencore le risque constant de déra-per vers les bas-côtés d’une épo-que foisonnante, ont rebuté biendesprétendants.

Sûrement, aussi, est-ce la mal-donne biographique propre aumilieu des historiens: le genre n’apas forcément bonne presse, ré-servé souvent aux retraités del’universitéouauxhistoriensama-teurs. On le sauve parfois en leconsidérant comme un terraind’expérimentations:essaisbiogra-phiques qui tentent d’ouvrird’audacieuses traverses vers lesreprésentations, la psychanalyse,l’autoportrait, la micro-histoire

des destinées banales ououbliées… Rien de tel avec ce pre-miervolumedeprèsde900pages(un Napoléon suivra ce Bona-parte). Il revendique le canon dugenre et est écrit par un directeurd’études à l’Ecole des hautes étu-des en sciences sociales en pleinepossession de ses moyens. Cettematuritéet ceclassicismen’empê-chent en rien un côté subtilementprovocateur: c’est précisément enusant de l’outil historiographiquele plus conventionnel que deshypothèses réellement neuves,voire iconoclastes, sont ici avan-cées. Mais Patrice Gueniffeyreprend également le meilleur dela tradition, pour le plaisir du lec-teur:uneéruditionsansfailles’ap-puyant sur une immense docu-mentation revisitée, un sens durécit brillamment maîtrisé et lavigueur d’un style qui, par saclarté, son art de la formule, sa

science de la synthèse, n’est passans rappeler François Furet, lemaître revendiqué.

Qu’y a-t-il de nouveau dans ceBonaparte? D’abord une césuretrès parlante. Par commodité his-toriqueet/ouparpartipris idéolo-gique,laplupartdeshistorienspar-tageaient jusqu’ici l’existence dugrand homme en deux parties :1769-1799 (coup d’Etat du 18 bru-maire) puis 1799-1821. Gueniffeychoisit de couper sa biographie en1802. Non par fétichisme hugo-lien, mais parce que la proclama-tion du consulat à vie lui semblel’aboutissement d’une ambitionpolitique. En rétablissant à sonprofit la monarchie héréditaire etle despotisme éclairé, Bonapartefinit véritablement la Révolution.Il la « finit » aux deux sens duterme : il la termine et il la per-fectionne. C’est évidemment lagrande question et le débat quifâche : Bonaparte est-il le fos-soyeur de 1789 ou son continua-teur? En déplaçant le curseur vers1802, le livre, tout en étayant cettethèse sur des centaines de docu-ments et un solide argumentaire,fait de Bonapartemoins l’hommedebrumaire, honnipar les révolu-tionnaires, que le consolidateurd’une œuvre de modernisationqui, durant les trois premièresannées du Consulat, s’inscrit danstoute une série de réalisations :lois, institutions,paixavecl’Eglise.Soit le portrait d’un Bonaparteenfant des Lumières, modernedictateur, révolutionnaireauthentique.

Plus encore, Gueniffey trace unaudacieux, mais tout à fait perti-nent, parallèle entre Bonaparte etRobespierre. Si bien que la vraie

figure d’admiration etle modèle de stratégiepolitique se trouventdans le fantôme, pour-tantsulfureuxdèsl’épo-que, de l’Incorruptible.Généralement, on nevoit qu’opportunismedans le ralliement (cer-tes relativement pru-

dent et bref – Napoléon est un ha-bilehomme)du jeunegénéral auxjacobins en l’an II. C’est que Bona-parte n’est pas vraiment jacobinmais robespierriste. Il est proched’Augustin, le frère de Maximi-lien, et admire l’aîné des Robes-pierre, dont il cherche à poursui-vre l’obsession historique: arrêterenfin la Révolution, la finir. Cequ’il voit en Robespierre est unestratégiecentristeappuyéesurl’or-dre, voire sur laTerreur, qu’il com-prend. Eliminer à gauche (leshébertistes), éliminer à droite (lesdantonistes) pour faire régner unpouvoir fort et populaire. « S’iln’avaitsuccombéle9thermidor,ceserait l’homme le plus extraordi-naire qui eût paru», écrira-t-il àSainte-Hélènecommeuneprofes-sion de foi. Bonaparte est moinsl’héritier de 1789, date qui le re-bute, que de l’an II… Est-ce de droi-te ou est-ce de gauche que d’affir-

mercette filiationparadoxale?S’ilestdifficilede trancher, il n’estpasinintéressant de souligner quecette hypothèse se nourrit de tou-tes les interprétations, quelle quesoit leurcouleurpolitique,pourvuqu’ellesfassentpreuved’uneintel-ligencehistorique.

Ne quittant jamais son person-nagedesyeux,lebiographerecons-titue avecmaestria tous les épiso-des d’un itinéraire qui n’est pas sitortueux, de la jeunesse corse au«roi de la Révolution», en passantpar les rêves initiaux d’émancipa-tion de l’île de Beauté, les hésita-tions du soldat engagéou les labo-ratoiresdubon gouvernement, del’audacemilitaire,de l’intensepro-pagandeet de la terriblepoignedefer qu’ont été les campagnes d’Ita-liepuisd’EgyptesousleDirectoire.

Mais que reste-t-il in fine deNapoléon Bonaparte dans notreimaginaire contemporain? A cettequestion également, ce livre ap-porte une réponse. Le mythe sem-ble s’être épuisé à mesure que lespassionsquil’ontentretenusesontéteintes, celles de la gloire natio-nale, de l’héroïsme et de la guerre.Lemythearétréciavecleshécatom-bes du XXe siècle. Pourtant, Bona-parte parle encore aux imagina-tions d’aujourd’hui à travers savolontéimpérieuse,celled’unhom-me qui, sans aïeux prestigieux,sans nom, né auxmarges du pays,s’estcréélui-même.«Ilest l’hommequi a fait de sa vie un destin», écritGueniffey. Non plus un modèle,plus vraiment un mythe, mais lafascination d’un rêve qui portetoujours l’individumoderne.p

Sans oublier

LesRendez-vousde l’histoire Critiques

Bonaparte(1769-1802),dePatriceGueniffey,Gallimard,«NRFBiographies»,864p., 30¤.

Un enfantdes Lumières,moderne dictateur,révolutionnaireauthentique

Extrait

PatriceGueniffeysigneunebiographiedugrandCorsequiconjugueérudition,sensdurécitethypothèsesnovatrices.Unplaisirdelecture

Bonapartelerobespierriste

www.regioncentre.fr

70123Vendredi 11 octobre 2013

Page 30: Le Monde - 11 Octobre 2013

Nouveaux témoinsCe recueil de 500notices, qui chacuneprésenteun témoinde laGrandeGuerre, exceptionnel par sa richesse, s’inscrit– et le revendique–dans le prolongementde l’œuvrede JeanNortonCru: cet universitaire, ancien soldat deVerdun, avaitentrepris d’analyser les récits de guerre, afin d’en authentifierla véracité. Sonouvrage, Témoins,dans lequel il enprésentait250, avait été publié en 1929. Faisant sienne cette ambitionaussi biend’expertise que dediversité, l’équipe réunieautourde l’historienRémyCazals présente 500autrestémoins,mais cette fois sans s’en tenir aux seuls combattantsni aux seuls journauxet souvenirs: le livre s’élargitauxparolesde femmes, aux témoignagesorauxetauxœuvresplastiques. Il s’efforce, pour chaquetémoin, de retracer unparcours social (âge, situa-tion familiale, niveaud’études…), car chacun abor-de la guerre «à sa place et avec son passé». Cettenouvelle entreprisemet en lumière la place dutémoignageaujourd’hui dans l’écritured’unehis-toire sociale de la guerre.p Julie Clarinia500 témoins de laGrandeGuerre,sous la direction de RémyCazals,EditionsMidi-Pyrénéennes/Edhisto, 496p., 29¤.

Animauxdans la tourmenteIl n’est pas si aiséd’offrir denouveauxpointsde vue, au senspropre, sur laGrandeGuerre. C’est pourquoi le livre d’EricBaratay, dans la perspectivede ses travaux sur Le Point de vueanimal (Seuil, 2012), est aussi fécondquenovateur. L’histo-rienn’entendpas écrire l’histoiredes animauxdans la guerre,mais bien, à l’aidede l’éthologie, faire comprendre, autantqu’on le peut, ce qu’ont été les expériencesdes animauxdansle conflit, «comme les historiens ont appris à le faire pour lesvaincus, les conquis, les anonymes». L’approche choisie tientcomptedu rapport aux bêtes, différent selon lespays, et per-metde différencier le vécudes animaux selon leur originecomme leur histoire propre. Par exemple, les che-vauxvivant dansune relative solitude, chezunpaysanouunartisan, s’inquiètentplus lors de lamobilisationque ceuxhabitués au groupe, alorsque, pour certains chiens errants, les conditions enguerre sontmeilleures que ce qu’ils ont connuauparavant. Reste que cette histoire, comme le ditle titre d’unepartie, est aussi une «vie desmartyrs».pN.O.aBêtes des tranchées. Des vécus oubliés, d’Eric Baratay,CNRS Editions, 256p., 22 ¤.

Sans oublier

PierreKarila-Cohen

La guerre peut-elle rendrefou? Habitués au conceptde stresspost-traumatique,médiatisé depuis la guerre

du Vietnam,médecins et citoyensordinaires de 2013 répondraient«oui» sans hésiter. Avec ses ton-nes de bombes déversées sur descombattants épuisés, avec le spec-taclequ’ellen’acesséd’offrird’hor-riblesmutilations et les deuils parmillions qu’elle a fait subir, la pre-mière guerre mondiale est unebonne candidate à une étude desliensentreexpériencesindividuel-les comme collectives de la guerreetapparitiondetroublespsycholo-giquesplus oumoins lourds.

C’est sur ce thème original queleshistoriensHervéGuillemainetStéphane Tison se livrent à uneétude tout à la fois passionnante,rigoureuse et nuancée, Du front àl’asile. A rebours de deux tendan-cesd’unehistoriographiepeuétof-

fée, ils ne cherchent en effet ni àinstruire le procès de la médecinemilitaire ni à faire de 1914-1918 lepremier moment d’une histoireédifiante, celle de la prise deconscience des troubles mentauxliés aux traumatismesde guerre.

Joignant leurs compétences res-pectives,HervéGuillemain,spécia-liste de l’histoire de lamédecine, etStéphane Tison, spécialiste de laGrande Guerre, ont fui grandesdémonstrationset casd’école pourobserver, loindufront, lequotidiendes effets du conflit dans trois asi-les de l’arrière, LeMans, Mayenneet Alençon. C’est à cette échellemicro-historique qu’ils analysentunphénomènedebienplusgrandeampleur que ce qu’en a gardé lamémoirede 1914-1918: ce sont plu-sieurs centaines de milliers d’indi-vidusquiontpu,àunmomentouàun autre de la guerre, être exami-néspourtroublesnerveuxoumen-taux. En 1937, 4000aliénés deguerreétaientencoreinternésdanslesasiles français.

L’étude est fondée sur ledépouillement des dossiers despatients, dans lesquels les méde-cins de ces asiles tentent de nom-

mer leurmal et d’en dire la cause :à travers la restitution du regarddes praticiens, l’une des trèsgrandesrichessesdu livreconsistedonc à sonder l’état des savoirsmédicaux ordinaires lors dudéclenchement du conflit. Certes,la guerre russo-japonaise de 1905avait stimulé l’attention sur lestroublesliésàl’expérienceducom-bat mais, en 1914, ces articlesn’étaientencoreconnusquedecer-cles étroits de spécialistes : lesmédecins de ces asiles puisèrentdans une culture médicale plusbanale. Au cours de la guerre, tou-tefois,beaucoupadmirentempiri-quement le lien entre les épreuvesvécues et le malaise psychiqued’individus qui ne présentaientpasd’antécédents.

Vies brisées«Fous furieux», «cafardeux»,

«mélancoliques», « fugueurs dufront»,famillesendeuilléesoupré-occupées occupent dans cet ou-vrage le devant d’une scène dontl’arrière est composé par le gigan-tesque conflit de 1914-1918. En fai-santdecesvies toutessimples,bri-sées pour toujours ou seulement

quelque temps, le cœur de laréflexion historique, les deuxauteurs participent, pour lemeilleur, à une tendance actuellequidépasse largementl’histoireetmêmeles sciencessociales : lapro-motion du récit de vie comme cléde compréhension d’un monde,qu’ilsoitd’hieroud’aujourd’hui.p

“Magistralement construit, Décompressiondéferle comme une lame de fond, noie

le lecteur dans un tourbillon et brise toutecertitude jusqu'à la dernière vague.”

Sandrine Mariette, Elle

“Décompression est un de ces contescruels dont Juli Zeh a le secret.”

André Clavel, Lire

“On se retrouve happé par la forcede l'intrigue et par l'envie de connaître la fin.”

Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche

ACTES SUD

JULI ZEH

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NicolasOffenstadt

Le torpillagedupaquebotbritan-nique Lusitania par les Alle-mands, en 1915, fait partie desimages communément parta-géesdelapremièreguerremon-diale.Maisquisesouvient,dece

côté-ci de l’Atlantique, que les mêmesAllemands ont coulé le Paraná, battantpavillon brésilien, au large de Barfleur, ouleMonte-Protegidoargentin, les 3 et 4avril1917?Danslesdeuxpays,alorsneutres,l’in-dignation est pourtant immense et lesmanifestations se multiplient. Le députébrésilien Ireneu Machado s’enflamme:«Guerre!Guerrecontre labarbarie!Guerrecontre le crime!Guerrepour ledroit!», tan-disquedesmaisonsallemandessontsacca-gées à Sao Paulo, rappelant les excitationsdu début de la guerre en France. D’autresbateauxserontencorecoulés.Pourtant lesdeuxpaysne fontpasunchoix identique:derrière les Etats-Unis, le Brésil entre enguerre contre l’Allemagne tandis que l’Ar-gentinemaintient saneutralité.

A vrai dire, la Grande Guerre a touchél’Amérique latine bien avant 1917. Selonl’historien Olivier Compagnon, c’estmêmeunmoment-cléde sonhistoire. Lesliens financiers et commerciaux avec leVieuxContinentsont si importantsque leconflit exerce des effets économiquesconsidérables,notammentà causede l’in-flation résultant de l’économie de guerre.Les engagements outre-mer sont néan-moins limités : rappel des nationaux parles pays belligérants et entre 1 200 et1800volontairesproprementlatino-amé-ricains; quant auBrésil,malgré ladéclara-tion de guerre, son implication directe,par exemple dans un hôpital à Paris à lafinde la guerre, touchepeu les combats.

Prise de distanceAu-delà, c’est dans les débats intellec-

tuels et l’espacepublic que le conflitmon-dial fait irruption, s’inscrivant en parti-culier dans la forte tradition francophiledevenue«alliadophilie».Mais la violenceet l’amplitude des affrontements que « laguerre d’extermination», selon l’expres-sion d’un journal de Porto Alegre, génèreconduisent aussi, progressivement, à uneprise de distance avec les camps de laVieille Europe, quel que soit le point devue.L’historienbrésilien,plutôtgermano-phile, CapistranodeAbreu l’affirme: «Les

articles défendant ou attaquant les belli-gérantssontdesexercicesdestyle,desmor-ceaux de bravoure, des logomachies ; laréalité, ce sont les millions de Turcs, deSerbes,deRusses,d’Allemands,deFrançais,de Belges qui, chaque jour, tombent (…)

persuadés de la justesse de leurcause» (1915).

Surtout, la Grande Guerreparaît à beaucoup signer l’efface-mentdumodèleeuropéen,si fon-dateur, et désormais enfoncédans la barbarie et le déclin. C’estainsiqu’unrenouveauidentitaireet national ancré dans les tradi-tionspropresaucontinentlatino-américainsedéveloppesurlesrui-

nesde 14-18. L’accent enestparfoismessia-nique. Bref, la Grande Guerre conduit, auBrésil et enArgentine, selondesmodalitésdifférentes, à un «tournant identitaire» etune«cristallisationnationaliste».

L’ensemble de la démonstration del’historien reste avant tout fondé sur laproduction intellectuelle et journalisti-que, ce qui, sans doute, induit certaineslimites. Mais cet Adieu à l’Europe invite àundécentrementsalutaireàl’aubeducen-tenairede laGrandeGuerre. Car c’est bienundes enjeuxde l’écriture de l’histoirede14-18 que de mondialiser les approches,plus que cela n’a été fait, du moins enFrance, que de regarder de plus près leFront oriental et balkanique ou le conflitdans le monde colonial. A vrai dire, c’estaussiunenjeupourlecentenairedanssonensemble,carceseraitunbienpauvreévé-nement s’il ne s’agissait que de cumulerles discours et les rituels nationaux, voired’en faire un instrument de retour dunational, comme cela sourd ici ou là. Leshistoires croisées, d’un monde à l’autre,d’une communauté à l’autre, offrent biend’autresperspectives.p

Lepremierconflitmondialvud’ArgentineetduBrésil:«L’Adieuàl’Europe»,d’OlivierCompagnon,mondialisel’approcheducentenaire

L’Amériquelatines’enva-t-enguerre

Lesmutilésdel’âmeCommentlespoilustraumatisésaucombatétaient-ilssoignés?Uneétudeoriginalerépond

Essais 14-18 LesRendez-vousde l’histoire

Envoyez vos manuscritsEditions Persée29 rue de Bassano -75008 ParisTél. 01 47 23 52 88www.editions-persee.fr

Les Editions Perséerecherchentde nouveaux auteurs

L’Adieuà l’Europe,d’OlivierCompagnon,Fayard,«L’épreuvedel’histoire», 394p.,24¤ (en librairiele 16octobre).

Du frontà l’asile. 1914-1918,de StéphaneTisonetHervéGuillemain,Alma, «Essai histoire»,416p., 24¤.

Combat naval anglo-allemandprès des côtes chiliennes, 1914.Tableau de Paul Teschinsky.

AKG-IMAGES

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Page 31: Le Monde - 11 Octobre 2013

“Un texte inouï qui parle à tous, aux murs,aux morts, aux pas encore nés.”

Marine Landrot, Télérama

“Un roman très libre, souvent très drôle,poignant, déconcertant de simplicité.”Laurent Mauvignier, Le Monde des Livres

ACTES SUD

JAUMECABRÉ ©

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SÉLECTIONS PRIX MÉDICIS ET PRIX FEMINA

SÉLECTIONS TÉLÉRAMALE JOURNAL DU DIMANCHE / FRANCE INTER

Sans effets secondairesDans LaMéthodeArbogast, il est questiond’hypnose, d’unevariétéde grenouille, de peinture, d’enlèvement, des riffsde Sultans of SwingdeDire Straits, deVirginiaWoolf, de coursepoursuite, de psychotropes et de beaucoupd’autres chosesencore…Des amants s’embrassent quand «la lune claire coulesonplâtre sur le bitume». Ils atterrissent endouceur sur du«gazon élastique», vont «à croupetons, de buissonen buisson,vers unbosquet de pins» et finissentpar se fondre «contrel’écorcedes conifères». Commedans LesHémisphèresdeMagde-bourgouBande-son (Minuit, 2009et 2011), c’est la languedeBertrandde la Peine, d’abord, qui constitueune aventure.Onale sentiment qu’elle est à l’originemêmedes rebondissementsd’une intrigue foisonnante et rocambolesque.Qu’elle les télé-commande. Le romancierprocèdeparplans, gros ou larges, deplus enplus larges d’ailleurs àmesureque les pages défilent.Les images sont impeccablement soignées. Ce sont elles queBertrandde la Peine veut fixer dans l’inconscientde ses lec-teurs. Il pratique l’hypnose littéraire afind’exciter leur créati-vité. Saméthode efficace est garantie sans séquelles. Elle neproduit que duplaisir.pVincent RoyaLaMéthode Arbogast, de Bertrand de la Peine,Minuit, 126p., 13¤.

Instants décomposésTroispartiesdans ce récit, pour trois âgesde la vied’unhommeetd’unesociété. EtudiantenAfriqueduSuddans les années1980,Nev fuit la conscriptionenGrande-Bretagne– etne revientqu’après la finde l’apartheid.On le retrouveunedizained’an-nées encoreplus tard, interviewéparune jeune femmequi s’in-téresseà sesphotos. L’échod’unmoment fondateur traversetout le livre: l’adolescentboudeurpassequelquesheuresavecunphotographecélèbredans Johannesburgavantdequitter sonpays– son regard change.Doublenégatifestun romande lades-criptionautantquede l’image.Nevvoit, décrit, détail aprèsdétail. Son regardcapte le temps, ses sédimentations, les cou-ches successivesdesprésentspassés. L’œil vieillit et s’approfon-dit.Une sériedephotographiesdeDavidGoldblatt accompa-

gnait en2010 lapremièreéditionde ce texte enpar-tie autobiographiqued’IvanVladislavic. L’auteurdeLaVueéclatée (Zoé, 2007) gagnecertainementà avan-ceraujourd’hui seul avec son texte – commeàdécou-vert. Surtout, il confronteson texte àd’autres images,cellesd’uneAfriqueduSuddélivréede l’apartheid.Ces clichés-là appartiennentà lamémoirecollectiveautantqu’à celledeNev. Et ils prennent toutautre-ment le temps, la lumière et lesombres.pNils C.AhlaDouble négatif (Double Negative), d’IvanVladislavic,traduit de l’anglais parN.et Ch. Surber, Zoé, 238p., 18, 50¤.

FlorenceNoiville

Un jour, en 1998, «LeMonde des livres»a rencontré ColumMcCann pour lapremière fois.C’était à New York

– ou plutôt dans les entrailles deNew York. McCann avait alors33ansetunebellebouille rondedegrand poupon. Il était arrivé peude temps auparavantde son Irlan-de natale – il est né à Dublin en1965. Il avait traversé l’Amériqueàbicyclette et bourlingué tel unBlaise Cendrars nourri de la BeatGeneration. Il avait luKerouac jus-qu’à plus soif et voulait «avaler laroute», «se cogner aux autres». Ilavait essayé mille métiers pourtâterde lavraievie, enseigné, servidans des bars, repeint des mai-sons, écrit dans des gazettes. Ils’était pris de tendresse pour desmarginaux et avait noté leurs his-toires. Et puis, un jour, il avait euenvied’écrire…

A New York, ce jour-là, on étaitvenu l’interviewer sur Les Saisonsde lanuit (Belfond, 1998).Aprèsun

recueil de nouvelles, La Rivière del’exil (Belfond, 1999, à l’époquenon traduit), Les Saisons de la nuitétait son premier roman.McCannyentrecroisait lesdestinsd’un ter-rassier du début du siècle et ceuxde sans-abri dansRiversidePark. Ilmontrait le parc, semblable, à l’airlibre,à tous lesparcs. Et, sous terre,dansundédaledecavités,deshom-mesetdes femmesdrogués,mala-des, terrés comme des bêtes.Immédiatement, ce roman avaitfait sensation. Le New York Timesavait parlé d’«un styliste douésemblant avoir fait vœu de ne pasécrireuneligneennuyeuse». L’écri-vain JimHarrisonavaitdit«nepasavoir lesouvenirqu’unauteurdelagénération de McCann l’ait aussiprofondément remué».

L’Autre, la grande inconnueLa critique ne s’était pas trom-

pée. Quinze ans plus tard, le jeuneIrlandais à vélo a fait la carrièrequ’onluisouhaitait.Aprèsunepoi-gnée d’ouvrages (Ailleurs en cepays, Danseur, Le Chant du coyote,Zoli…, tous publiés chez Belfond),McCannaobtenu leNationalBookAward, la plus haute récompenselittéraire américaine avec Et que levaste monde poursuive sa coursefolle (Belfond, 2009). On pensaitqu’il avait atteint là le sommet de

son œuvre. Mais on se trompait.Transatlanticcommenceavec l’ex-ploit fou de Jack Alcock et ArthurBrown. En 1919, ces deux aviateursunpeuoubliésbricolentunancienavion de guerre pour rallier sansescale l’Irlande depuis l’Amérique.Avec ce premier vol transatlanti-que, ils créèrent ainsi, pour la pre-mière fois, un pont entre l’Irlandeet les Etats-Unis. Et c’est ce pontqueMcCannnousinviteàemprun-ter tout au longdu roman.Apartirde l’aventure de Brown et Alcock,l’auteur déroule deux siècles deliens entre les deux pays, depuisl’histoire de Frederick Douglass– un ancien esclave devenu l’undes grands abolitionnistes duXIXesiècleaméricain–jusqu’àcellede LilyDuggan– une jeune et pau-vre Irlandaise qui fuit la misère etla famine – en passant par GeorgeMitchell, lesénateurdesEtats-Unisqui a ardemment œuvré pour leprocessus de paix en Irlande duNorddans les années 1990.

Du XIXesiècle à nos jours, c’estdonc une fresque superbe et sub-tile qui se déploie sous nos yeux.Une tresse de destins, une guir-lande de personnages, réels ouinventés, mais tous animés d’unemême soif d’absolu. D’un mêmedésir de produire un peu de lu-mièredans les ténèbres.

«Transatlantic a été pour moiparticulièrementdifficile àécrire»,

notait en juin Colum McCann depassage à Paris. Ce pont entre l’Ir-lande et les Etats-Unis, cet aller-retour entre deux continents fai-sait-il resurgir des émotions troppersonnelles ? « Oui, admetMcCann en indiquant qu’il a misbeaucoup de lui-même dans lelivre.On a beau écrire un ouvragehistorique ou apparemment tel,chaque mot que l’on couche sur lepapier reste profondément auto-biographique.»

Une fois de plus, ce que l’onadmire dans ses pages, au-delà dela constructionmagistrale et de lalimpidité du style, c’est la ten-dressequel’écrivainéprouvepourses personnages. La qualité de sonempathie. L’Autre est toujours lagrande inconnue, pour ColumMcCann.Mais l’écriturepeutnousaider à l’approcher. A le toucherpresque. On sort du récit ému etgrandi.Etc’estbiensûrcequecher-che McCann. «Avez-vous remar-qué? La littérature n’explique rien.Elle nous fait pénétrer au cœur desténèbres sans nous dire commentensortir.Maisellenousmontreaus-si que seule l’obscurité rend lalumière visible.»p

Sans oublier

«Ils ont décidé de partir un vendredi 13. Un trucd’aviateurpour tromper lamort, une date fatidiquepour conjurer le sort.

Les compas sont réglés, les transverses calculées, laradio révisée, les nervures passées à la résine, l’enduitséché sur la toile, et l’eaudu radiateur changée.Oncontrôlepar deux fois chaque rivet, chaque goupille,et l’ensembledu lardage. Lesmanettes de gaz. Lesmagnétos. Les accus pour les combinaisons (…). Ilsfrottent la fourrure intérieurede leurs casques avecdes brins de bruyèrepour se porter chance.»

Transatlantic, page 28

Raphaëlle Leyris

Mais comment oses-tu…» C’estle titre d’une chanson, cellesur laquelle s’ouvre LoveSong ; la dernière création du

narrateur,Daniel, star quinquagénairedurock, équivalent européen de LeonardCohen,auquel samaisondedisques récla-medes titres plus commerciaux. Avec cesparoles, on jurerait que Philippe Djiandevance, bravache, la question que le lec-teurpourrait avoir enviede lui poser, par-fois stupéfait par les chemins qu’em-prunte son roman. Elle est formulée sanspoint d’interrogation, à l’image de tout lelivre – également dépourvu de signesexclamatifs.Cechoixdeponctuationdon-ne à la voix de Daniel sa tonalité tout à lafois circonspecte et résignée : le hérososcille entre ces deux attitudes face auxévénements, y compris les plus incroya-bles. Car, pour «oser», PhilippeDjian ose,dans le premier de ses romans où l’écri-vain éternellement estampillé «rock»,bienmalgré lui,parolierpoursonamiSte-

phan Eicher, évoque lemilieu de lamusi-que. Depuis la série Doggy Bag (Julliard,2005-2008) – tentative romanesque, ensix saisons, de damer le pion aux sériestélévisées, où disparitions, réapparitionsbrutales et phénomènes paranormauxconstituaient le tout-venant des intri-gues–, il s’en donne à cœur joie dans cha-que livre, multipliant les rebondisse-ments et les invraisemblances. Puisque,selon lui, c’est ainsi, en chargeant lourde-ment la barque de ses personnages, quel’on peut vraiment faire entendre leurvoix. Et que cela seul intéresse l’auteur deBleu comme l’enfer (Julliard, 1982).

Atmosphèred’étrangeté«Mais comment oses-tu…», la chanson

est inspiréeàDanielparRachel.Huitmoisplus tôt, elle l’a quitté pour l’un de sesmusiciens. Et la voici, de retour aubercail,sans un mot ou une excuse. Enceinte,apprendra-t-ilbientôt, alorsque leurdiffi-culté à concevoir un enfant est l’une desraisons du dérèglement de leur couple.Fou d’elle, Daniel finira par accepter lamèreet l’enfantàvenir, sansplusposerdequestions. Pas plus qu’il n’en soulèvera àpropos de certainesmorts bizarres, ni desrésurrectionslittéralesoumétaphoriquesauxquelles il va assister ouparticiper.

LaforcedePhilippeDjianestderéussiràplacerlelecteurdanslemêmeétatd’accep-tationquesonnarrateuret rockstar.Si l’onpeutsouleverunsourcildevantlespremiè-res incohérences et impossibilités logi-ques, oudevant le caméodeBradPitt, aveclequel Daniel a une brève discussion, trèsvite,onselaisseemporter,etl’onadmetl’at-mosphèred’étrangetéquinimbeleroman.Satemporalitéaudacieuse, toutenralentispuis en accélérations, ses passages du pas-sé au présent, ses ellipses, ses explicationsà certaines données toujours repoussées(quel est cet accident dans lequel Rachel a

gagné les cicatrices qui constel-lent ses jambes? Pourquoi elle etson frère, Walter, l’agent deDaniel, sont-ilsàcouteauxtirés?),jusqu’à ce qu’elles soient déli-vréescommeenpassant…

Toutendémontrantparadoxa-lement, à force de coupsde théâtre, à quelpoint l’intrigue, finalement, importe peu,et que seul vaut le travail de la langue,PhilippeDjianmetau jour lamassed’irra-tionalité engagée dans les rapports fami-liaux, amoureux, professionnels ousociaux. L’écrivain de 64 ansmontre, sur-tout, à quel point, enmusique comme enlittérature, c’est en «osant» que l’onconstruituneœuvre. p

PhilippeDjian,purementrock’n’rollDans«LoveSong»,quisepassedans lemilieudelamusique, l’écrivainosetout

Love Song,dePhilippeDjian,Gallimard,240p., 18,90¤.

Transatlantic,deColumMcCann,traduit de l’anglaispar Jean-Luc Piningre,Belfond, 500p., 22¤.

Avec«Transatlantic», l’écrivaindonneleromandelarelationpassionnelleentresesdeuxpays,l’Irlandeet lesEtats-Unis

ColumMcCannfaitlepont

Extrait

ULF ANDERSEN/EPICUREANS

Critiques Littérature 90123Vendredi 11 octobre 2013

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10 0123Vendredi 11 octobre 2013

Lapolitesse,ambiguïtésetprofondeursENTREFRANCEetbonnes maniè-res, une longuehistoire a sédi-menté maté-riaux et senti-

ments disparates. On y trouve,dans le désordre, familiarité etdéfiance,attachementetruptures,conservatisme et progrès. Aucunenation au monde, il est vrai, nepeut se targuer d’avoir élaboré sifinementl’artdessalons,conversa-tions, protocoles et mondanités.Nés sous l’Ancien Régime, liés à lamonarchie absolue, développésd’abord à la cour du roi, marquésdonc de tous les signes d’une so-ciété hiérarchisée, la politesse etsesdiversregistresfurenttransfor-méspar les Lumières.Héritantdesformes,mais changeant leur sens,le siècle des philosophes va don-ner à cette sociabilité artificielleune portée nouvelle : progrès desmœurs, amélioration de la naturehumaine. De 1789 à nos jours, la

République et la démocratie enconservent la marque dans leursperplexités et attitudesambiguës.

Car il reste un trouble, un ma-laise diffus, dont Philippe Ray-naudéclairelagenèseetlesarrière-plans avec savoir et finesse. LesFrançais sonteneffet ambivalentsenvers la politesse. Tantôt ils semontrent fiers d’unpasséde cour-

toisie et de bonnesmanièresquifut long-temps un modèlepour toute l’Europe,tantôt ils jugent cescodes surannés, réac-tionnaires ou rin-gards. Ils n’y voient

alors que ronds de jambe demar-quis poudrés, mignardises indi-gnes de Gaulois, de sans-culottes,de vrais hommes. Mais les voilàbientôt rattrapés par le syndromedes « incivilités», soupçonnantsoudain que la violence desmœurs menace à sa façon ladémocratie.

Pour comprendre ces volte-faceet ces tensions, il fautplongerdansl’histoiredes idéeset laphilo-sophie politique. Le beau livre dePhilippe Raynaud montre que lacléne se trouvepasdans l’histoiredes mœurs – manières de table,étiquette, conventions… – maisdans la conceptionmêmedesrap-ports humains et de l’histoire dela civilisation. Avec rigueur etclarté, il fait voir comment ontévolué les analyses, depuis Vol-taire,portantunregardrétrospec-tif sur le siècle de Louis XIV et lemodèle qu’invente la monarchie,jusqu’à Tocqueville, discernanten Amérique les chemins nou-veauxdeladémocratieetdesrela-tions sociales.

Bienfaits de la civilitéLe point central est en effet la

réflexiondesLumièressurla«civi-lité». Ce n’est pas la civilisation,maisplutôt sonmoteur. Et cen’estpas la politesse, mais plutôt sa

cause première. L’enquête de Phi-lippe Raynaud rappelle notam-ment les divergences de fondentre Hume, convaincu des bien-faits de la civilité, et Rousseau,héros de la sincérité authentique– que Kant tentera, en un sens, deréconcilier. Le parcours, captivant,tisse plusieurs relations histori-quescruciales–France-Angleterre,France-Allemagne, Europe-Améri-que,monarchie-démocratie.

En parcourant ces dédales, onsaisitpetit àpetit laprofondeurdechamp insoupçonnée qui habitenos inquiétudes, parfois si étran-ges, relatives aux « incivilités»dans lesbanlieuesouà lapolitessedans les écoles. Derrière ces préoc-cupations de l’heure, mieux vautne pas oublier trois siècles deréflexionpolitiqueetmorale.Nonpas, on l’aura compris, par nostal-gie pour unmonde disparu, celuides salonset des enfants auxyeuxbaissés. Mais pour savoir de quoinousparlons.p

Contrel’aphasie

SOUSTITRÉ «De lagrotteChauvetau centrePompidou», Le Stupé-fiant imageest unrecueil de conférences,préfaces et articles écrits

depuisunevingtained’annéespar RégisDebray: réflexionsur les originesde cequenous appelonsart, sur les vertuspéda-gogiques –toutes relatives–de l’image,sur la pertinencede l’histoire de l’art pourenvisager l’actualitéde l’art (relecturedeMalraux), enfin affinités électives avecdesœuvresqui pour la plupart sont cellesd’amis,Matta, ErnestPignon-Ernest,GérardFromanger, RogerPic… Le titre,empruntéàAragon, annonce la contradic-tiondans laquelle se trouve celui qui s’ex-prime, et qui à la fois se shoote aux ima-ges («Il y ades idolâtres heureux et fiers del’être, je suis dunombre») et entendreprendre face à elles le droit auxmotspourmieux comprendre et analyser.«Sionn’apprendplus auxenfants à lire (pasdesarticles de journaux, Balzac,Mmede LaFayette,Dickens et Shakespeare), onneleurapprendrapasà voir.» Le texte consa-cré à Bergottevaut commeparabole: legrandécrivaindu romandeProustmeurtfoudroyédevant le tableaudeVermeer.Samort «est unaveud’impuissance,écritDebray,mais Proust, qui a inventéBer-gotte et, enun sens, Vermeer lui-même,[est]unvainqueur. L’artificea fonctionné,et lesmots recréent l’enchantementàl’étatpur. Endéfinitive, l’écrit et l’imageavancent en cordée, et peu importe quipasse enpremier». L’expression«en cor-dée» revient à plusieurs reprisesdans celivre,manuelde lutte contre l’aphasiedansunmondeplein d’imagesbavardes.

Partagede l’émotionReste à savoir quelsmotsutilise celui

qui écrit. Lorsqu’il livre unpeude lui-mêmesous le chocde sa visite de lagrotteChauvet ou enévoquant ses rêvesde jeune cinéphile, le partagede l’émo-tion avec le lecteur est total et celui-ci estprêt à le suivre dans ses raisonnements.Notons lanatureparticulière et récur-rentede l’émotion: au fin fondde lagrotte se tient «l’image en relief d’unefemelle» et «il n’est pas indifférentque lespanneauxgravés deChauvet entourentune (…) cavité triangulairedont la formen’est pas sans rappeler le pubis et la vulveféminine, “l’originedumonde”». Demêmequ’au fonddes salles obscuresdecinéma il y a eude «ces hurluberlus»,l’auteur en connaît,«qui sont partis re-faire la guerre d’Espagne sous de tristestropiques (…). Ils se voyaient enGary Coo-perminiature faisant sauterunpontd’unemain et caressantde l’autre IngridBergman». Voilà pourquoi«l’image estdugenre féminin». Pourquoi,«partoutoù les effigies sont détruites (…) les fem-mes sont enfermées ouvoilées».

Enrevanche, il y adesmotsquineconvainquentpas, ceuxdespirouettesver-bales etde lapolémiqueà l’emporte-pièce.Debrayadore les formules: «LesBritan-niques sontà leurmeilleurquand ils seregroupent, les Françaisquand ilsdiver-gent» ; à proposdesœuvresdeWitkin:«hybrides “transavant-gardes” (commeondit transsexuel)». Est-ce làuneapprochebienrigoureusepour celui qui sedit«médiologue»? Surtout, s’il veut rendreserviceauxartistesqu’il défend,qu’ilcessede s’emporter,au longdes textesqu’il leur consacre,dansde longuesdiatri-bes contre«l’establishment»de l’artcontemporainauquel, pardonde ledirecommeça, il ne connaîtpasgrand-chose.Par chancepour lui, cette chroniquenemepermetpasde relever lesapproxima-tionsetmême les coquillesqui lui feraienthonte, à lui et à sonéditeur.Oh, allez!Moiaussi, jeme laisse alleràun jeudemots:pournousconvaincredupouvoir stupé-fiantdecertaines images,Debraydevraitunpeumoins sedoper auxmots.p

Delaplusbelleeau

Ecrit surde l’eau,de FrancisdeMiomandre,LaDifférence, 190p., 8¤.

JE SAIS DÉJÀ, parmi lesauteurs de la rentrée, quisera récompensé par leprix Goncourt. Je suis enmesure de le révéler ici.Et je ne vais pas me

gêner. Inutile de faire durer intolérable-ment ce suspensequi tient enhaleine jus-qu’à la suffocation le public innocent deslecteurs. Alors que tout est joué. Oui,osons le dire, lorsque l’on évolue dans lemilieu littéraire, des informations nousparviennent, des confidences, nous assis-tonsauxtractationssecrètes,nousnesom-mes pas dupes du jeu des influences etnous savons très vite qui sera le lauréat. Ilestd’usagedegarderlesilence,de jouerlesingénus, de participer loyalement à cettegrande imposture, je le sais bien. Et je saisaussi à quoi jem’expose enbrisant ici cet-te omerta. Tant pis. Toutes ces simagréesautourdes prixm’insupportent. Je crachelemorceau, et advienne que pourra. C’estdonc Francis deMiomandre qui sera cou-ronnépoursonromanEcrit surde l’eau. LeGoncourtne peut pas lui échapper.

Et celad’autantmoinsqu’il lui fut attri-bué dès 1908, et que ce livre est donc uneréédition. A cette époque, le fameux prixn’était pas la garantie d’un succès. Il s’enécoula 3000exemplaires en deux ans.«MonGoncourtne futun événementpourpersonne,mêmepaspourmoi»,plaisante-ra l’auteur cinquante ans plus tard. Laréceptioncritique en fut si désinvolte quele journal Le Temps n’hésita pas à préten-dre qu’il s’agissait «d’une étude demœurssur les grands paquebots» !

Et vogue la galère, puisque Francis deMiomandre (1880-1959), après avoir jouide l’estime deGide, Valéry,Milosz ouBre-tonet fait connaître enFrance, par ses tra-ductions, de grandsnomsde la littératurehispanique comme Unamuno ou Astu-rias,aprèsavoirécritsurtoutunecinquan-taine de livres, est sorti des mémoires etdes bibliothèques comme si rien de toutcela n’avait existé. Une petite rue de Parisporte son nom,mais, constate tristementRémi Rousselot dans la biographie parailleurs très allègre qu’il lui consacreaujourd’hui (Francis de Miomandre. UnGoncourt oublié, La Différence, 282p.,20¤) : «Comble de l’oubli, on ne peut pashabiter la rue Francis-de-Miomandre: ellelonge le cimetière de Gentilly et un terrainvague, devenu cimetière aussi.»

Cen’estnilepurgatoirenil’enferdeslet-tres : c’est son néant creux et blafard. Etpourtant, non, il y eut toujours quelquesférus de cette œuvre. Sans doute ne vou-lait-elle pas mourir. Quel roman, parmiles 550 de cette rentrée, aura l’honneurd’une rééditiondans 105 ans, soit en 2118?Lesparis sont ouverts.

Et certes, Francis de Miomandre neméritait pas de disparaître. C’est un sty-

liste délicat, délicieux, de la famille deJulesLaforgueetdePaul-JeanToulet, dontilpossèdeaussicetteformegracieusedelamélancoliequi negardede ses larmesquele sel, si bien que l’on ne cesse de sourirefinement que pour rire franchement enlisant ses pages. Voyez cette descriptiondelapetitesociétéréuniedansunbalmon-dain:«Cartoutescespersonnesqui, le jour,se différenciaient violemment dans la ruepar le port de leur chapeau, la manièred’avachir leur jaquette et l’exubérance iné-

gale de leurs opinions politiques, pre-naient le soir, sous le frac et la robe basse,l’air uniformede gens qui, ayant tous biendîné, sontdevenus conservateursopportu-nistes et souriants défenseurs de la pro-priété et de la famille…»

Alors bien sûr, c’est léger – la guerren’est pas encore passée par là –, c’est duProust volatil, c’est «écrit sur de l’eau», eneffet, et dépourvude solennité commedeprétention. Peut-être d’ailleurs est-cecette modestie de Miomandre qui a bienfailli le perdre dans nos mémoires. Lesmodestes ont cette infortune: on les croitvolontiers. Nabokov, avec le même stylescintillant mais la vanité en plus, seraadmirécommeil le souhaitait, c’est-à-direà sa juste valeur.

Avouons que l’anecdote du roman estdesplusminces. JacquesdeMeillan, jeunehomme oisif, vit àMarseille aux crochetstrèsémoussésdesonpère,hommed’affai-

res fantasque qui brasse surtout du ventet fonde toutes ses espérances de fortunesur l’exploitationd’une improbablemined’alcoolcaucasienne.Unetortueetunvau-tour domestiques complètent ce petitménage.Meillanestmembred’ungroupede peintres, «vraiment sans avoir jamaissu pourquoi», puisqu’il ne peint pas, et serêvevaguement écrivain.Mais «pour êtrelittérateur, il ne suffit point, comme lesapparences portent à le croire, d’avoir étérejeté de toutes les catégories sociales, oude s’être soi-même reconnu incapable dequoi que ce soit, il faut encore avoir écrit».Il s’éprend d’une passante aussi belle quele fantasme de l’amour – lamanière dontil l’aborde est une merveilleuse leçon dedrague qu’il faudrait apprendre par cœurafin de réenchanter un peu nos rencon-tres amoureuses. Ce garçon, sur Meetic,aurait fait unmalheur.

Il sera déçu, pourtant, c’était couru. Pasle lecteur, charmé de bout en bout parcetteécriturejoueusequiménageunesur-prise après chaque virgule et fait naîtredes émotions que la vie sans littératureignore. Décidément, non, il ne serait pasbête d’attribuer à nouveau le Goncourt àce livre cette année.p

Chroniques

Francis deMiomandre neméritait pas dedisparaître. C’estun styliste délicat,délicieux, de lafamille de JulesLaforgue et dePaul-Jean Toulet

Le Stupéfiant image,deRégisDebray,Gallimard, 400p., 30¤.

LaPolitesse desLumières. Les lois, lesmœurs, lesmanières,dePhilippeRaynaud,Gallimard, «L’Espritdes cités», 300p., 23¤.

JEAN-FRANÇOIS MARTIN

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DIDIERCAHEN,poète et écrivain

Allblack(s)

Règlementdeconte

Trans Poésie

Trois livres depoésie, on vit avec et on choisit des vers.On se laisseporter ; on tresse alors lesœuvrespour composerun tout nouveaupoème.

Tu es partie,Il y a des traces de doigts sur la vitre de la cuisine,Au soleil des traces des pigeons

Le vent parcourt l’universEt le néantm’accorde le plaisirD’écrire le poèmepour personne

Je psalmodie cesmots tout en voyellesWooloomoolooWoollahra CoogeeMalabar (sic)

«Le poème commeprière» : pas sûr que l’on adhère à cetteconceptionunpeu trop réductricede l’acte poétique.Heureuse-ment, les intuitions sauvagesdeTomiKontio (né en 1966) embar-quent cette star des lettres finlandaisesvers des contrées bienplus imprévisibles.

La drogue, le sexe, l’alcool ont conduit LeopoldoMaria Panero(né en 1948) enprisonpuis enhôpital psychiatrique. Son écrituretémoignepourtant d’une lucidité obstinée, d’une rageparfaite-mentmaîtrisée. Pas loind’Artaud leMômo.

Longue cartepostale dubout dumondedeCatherineWeinzaep-flen (née en 1946) qui optepour la couleur locale: eucalyptus,kangourouset kiwis… sansoublier la violence de la rue; d’où labellemise en garde d’unepoésie-hakapour engager le combat.

Sansnom tu serais lumière, de Tomi Kontio,traduit du finois parGabriel Rebourcet, Fédérop, 120p., 15¤.Bonnes nouvelles dudésastre&autres poèmes (1980-2004),de LeopoldoMaría Panero, traduit de l’espagnol par VictorMartinezet Cédric Demangeot, Fissile, 240p., 20¤.Ôl’explosion despoppies, de CatherineWeinzaepflen,L’Attente, 48p., 5,60 ¤.

AGATHE,lapetite fille imaginéepar la romancièreHélèneLanscotte –qui signe ici sonpremier livre pour la jeunesse–,n’aimepas les contes. Parce que. Et de faire la liste des chosesqui l’énervent (il y a toujoursun crapaudenchanté, un loupquise fait passer pourunegrand-mère, le chiffre 3), sansparler desbaguettesmagiquesqui ne servent à rienquand son chat estVRAIMENTmort ouque l’on aimerait transformer sonpetit frèreen souris. Et quedire des filles qui sont condamnées à jouerà la poupéeou à la dînette, et ne peuvent épouserdeprincessesi le cœur leur endit? Cet albumfourmille de clins d’œil auxclassiques (Cendrillon, Peter Pan, La Petite Sirène, etc.) et à TomiUngerer, l’auteur desTrois Brigands,qui a très tôt su briser biendes tabousdans la littératureenfantine.On songeaussi àAdelaTurinqui, dès les années 1970, dans de biennécessaires albums(rééditésparActes Sud), avait dénoncé les clichés véhiculésà grands renfort de publicité. Pour toutes ces raisons et quelquesautres –dont les illustrationsd’AmandineLaprun–, saluonsdonc cet un albumfort réjouissantqui fait fi de toutes cesconventions.p EmilieGrangerayaJ’aime pas les contes, d’Hélène Lanscotte et Amandine Laprun,AlbinMichel Jeunesse, 48p., 10 ¤. Dès 5 ans.

Congés danger!Lesvacances?Uncauchemar. Sur laplage,«des fanatiquesdetoutes sortes s’absorbentdansdes jeux tortueux». Les rencontresestivales?Méfiance:«Quandons’intéresseauxgens, eux finissentpar fairedemême,et plus!»Les fondsmarins, les croisières, lespaysétrangers aussi regorgentd’embûches…Ledessin, commetracéà lapointesèche,détaille les souvenirsd’unvoyage fantasméparunhommequin’aurait jamaisquitté sa chambre.Unalbumdrôle, inquiétant, échevelé,oùsouffle l’esprit satiriquedeSwift etunnon-sensdignedeLewisCarroll.pAnne FavalieraLes Incrustacés, deRitaMercedes, L’Association, «Eperluette», 168p., 29¤.

Un tel dévouementC’est l’histoired’unemèrequi s’empêchede vivre pour s’occuperde son fils de 40ans, attardémental à la suite d’un accident.Unsujet délicat que Zidrou, le scénariste dupourtant très déconnant«Ducobu», réussit à traiter avecune incroyable grâce. Par petitestouches, Zidrou fait ressentir la culpabilité, l’abattementmaisaussi les joies fugaces qui étreignentMmeHubeau,magnifiquepersonnage.Virtuosedudessin, l’Espagnol Roger a assagi sontrait pour lemettre au service de l’histoire.p Cédric PietralungaaPendant que le roi dePrusse faisait la guerre, qui donc lui reprisaitses chaussettes?, de Zidrou et Roger,Dargaud, 56p.,15¤.

p o l a r

Saga?SagapasArnaldur Indridason traque le parchemin islandais.Etfaitunpeuregrettersonhabituelleveinesociale

PRESIDE PAR MICHELLE PERROT

12 & 13 oct. 2013saint-sauveur-

en-puisaye

ENTREE LIBRE, INFORMATIONS :

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voyageuses

François Angelier

Ihave a dream ! Etre élève au lycéeNotre-Dame Saint-Sigisbert deNancy pour avoir comme profes-seur Jean-Philippe Jaworski. J’yapprendrais l’essentiel: les sciencesde la chasse et du combat, l’art des

sortsetde lapoésieépique.Eneffet, àquoiressemblent des cours de littératurequandonest l’auteurdeMêmepasmort, leplus magnifique coup de carnyx (longuetrompette de guerre gauloise) sonné encette rentrée dans la fantasy, une splen-deur romanesque consacrée au mondecelte,sesroisetsesbardes, sesgéantsetsesdéesses? Jaworskirègle-t-il lesquerellesdepréauàcoupsdehacheetd’épieu?Organi-se-t-il des virées dans la sylve lorrainepourpister lesbêteschimériques,ydébus-quer les forestiersqui s’y terrentet les féesqui en illuminent les clairières? Les notess’attribuent-ellespar acclamation? Le rec-torat reste muet, mais les nouvelles etromansde l’écrivainparlent en ce sens.

Né en 1969, Jean-Philippe Jaworski afait, comme nombre de ses pairs, ses pre-mièresarmesdans le jeude rôle. Y éclataitd’embléeungoûtpour l’histoireensavio-lencefastueuseetsacruautécharnue,dou-blé d’un sens puissant de l’architecturenarrative. Cap qu’il a gardé avec JanuaVera (LesMoutonsélectriques,2007,réédi-tion augmentée en 2010), recueil de nou-vellesquifonde l’universduVieuxRoyau-me,mondeendéclinlivréauxfureursféo-dales. S’y situe l’extraordinaireGagner laguerre (LesMoutonsélectriques,Prixima-ginales 2009), romandehautbord fort dequinze chapitres batailleurs, véritablebucentaure romanesque fondé sur l’his-toirevénitienne,plusprochede la fresquehistoriquequedustrict romande fantasy.

Entre épopée et anamnèseC’estaveccetteveinequerenoueaujour-

d’hui Jaworski avec Même pas mort, pre-mier volet d’un cycle intitulé «Les Rois dumonde». S’appuyant sur d’authentiquespersonnages et faits de l’histoire celte, il

nous conte la geste de Bellovèse le Bituri-ge. Son père, Sacrovèse, ayant été tué enduel par son oncle, le haut roi Ambigat,pendantlaguerredesSangliers, leBiturigeest contraint de s’exiler aux confins duroyaume avec sa mère, Danissa, et sonjeune frère, Segillos. Les deux frères sontenrôlés de force, sous la gouverne du sei-gneurSumarios,danslaguerredesAmbro-nes. Bellovèse y est mortellement blessé,mais un sortilège l’empêche de mourir.C’est afin d’échapper à la non-mort qu’ilgagne l’île desVieilles et ses résidentes, lesredoutables Gallicènes. Tournoient,autour des figures centrales, d’autres per-sonnagestrépidantsetsavoureuxtelSuob-nos le coureurdesbois ouAelios lebarde.

Ainsi s’éploie, depuis le tronc celte, la«première branche» de ce cycle, qui encomptera trois. On y retrouve le coupd’archet (ou de lame) de Jaworski.Mêmepas mort est un récit de forte houle, quijoue avec la chronologie et les durées,entreépopéeet anamnèse, tenantà la foisdu roman d’initiation (érotique et féeri-que)etdelasagaguerrièrenourriedevéra-cité historique et archéologique; un récit

oùdespersonnagesde«hautepâte»neselimitent pas à quelques traits saillants,mais émeuvent par une forte profondeuraffective (la reine Danissa) ou de puis-sants ressorts comiques et pathétiques(Suobnos). A côté des scènes d’assaut etd’embrouilles familiales shakespearien-nes, l’auteur sait ménager des espacescontemplatifsoù seshéros, confrontés au

pur spectacle de la nature,rayonnent d’un « sentimentocéanique» au panthéismesouvent sublime.

Mais la reine de ce carnavalpaïen demeure l’écriture, tourà tour d’une exquise précisionet d’un flamboiement lyriquetout en ciselure et cataracte :«Le sel surmes lèvres, le dossier

de roc quimepétrit les reins, les ongles vifsde la pluie, tout cela possède une saveurd’éternité menacée, ce parfum de vie crueque je n’aipasarrêtédepoursuivre, je croisdans tousmes voyages et dans toutesmesguerres.» Ainsi parle le héros. Qu’on serallie à sa bannière celte et à celle de sondémiurge, Jean-Philippe Jaworski.p

Bande dessinée

Macha Séry

Il en va des productions d’écri-vains prolixes comme dubeaujolais nouveau. A chaquerentrée, la même rengaine :

«Alors, il est comment le dernierAmélie Nothomb, le dernierMichael Connelly? », comme ondirait d’unmillésime. Pour lenou-vel opus d’Arnaldur Indridason, laréponse, hélas, est : bouchonné etmonotone.Au reste, ceLivre du roidatant de 2006 était demeuré jus-que-là inédit en France. C’eût puêtre un roman «de garde», maisnon. L’écrivain islandais a donnédebienmeilleurslivres (LaCitédesjarres, La Femme en vert, La Voix,tous chez Métailié ; 2005, 2006,2007)quece texte imprégnéd’his-toire.

Fin connaisseurLe cœur du récit, plutôt son

enjeu, ne manque pourtant pasd’intérêt car il lève levoile sur l’ap-propriation des mythologies nor-diques à des fins nationalistes pardes sociétés secrètes allemandesauXIXesiècle puis par les nazis. En1955, un jeune étudiant de Reyk-javikémigreàCopenhagueafindepoursuivre son cursus auprès

d’un compatriote réputé, spécia-liste desmanuscrits anciens et finconnaisseur des sagas islandaises.Levieuxprofesseurnecorrespondguère à l’idée que s’en faisait lejeune érudit. Il est sale, bourru,alcoolique. Mais le disciple et sonmaître partagent un attachementviscéral aux parchemins qui ontfondé la culturede leurnation.Or,l’un d’eux, le Livre du roi, sourced’inspiration de la Tétralogie deWagner, a été subtilisé en 1944.L’universitaire, qui fut contraintsous la torture de le remettre auxnazis,avaitcachécesecreteneffec-tuant une parfaite copie. A l’aidede maigres indices, le tandem selance dans une enquête pourretrouver l’original.Mais,oùqu’ilsaillent, ils sontdevancés ou rattra-pés par les hommes demain d’unanciendignitairedu IIIeReich…

Cette intrigue rocambolesquetraîne en longueur et les péripé-ties s’y répètentà l’identique. Il esturgent de retrouver le commis-saire Erlendur et la veine socialedans laquelle excelle d’ordinaireIndridason.Anoter: lepolarnordi-queadroit à sonpremier festival àParis les 18, 19 et 20 octobre(www.institut-finlandais.asso.fr).p

e n f a n c e

f a n t a s y

Jean-PhilippeJaworskiconvoquebardesetdéessesdans«Mêmepasmort»,flamboyantesaventuresd’unguerrierquinepouvaittrépasser

LeCelteincrevable

Le Livre du roi (Konungsbók),d’Arnaldur Indridason,traduit de l’islandaisparPatrickGuelpa,Métailié, 354p., 21 ¤.

Mélangedesgenres

Mêmepasmort.Rois dumonde,tomeI,de Jean-PhilippeJaworski,LesMoutonsélectriques,304p., 23¤.

MARC TARASKOFF

110123Vendredi 11 octobre 2013

Page 34: Le Monde - 11 Octobre 2013

Philippe Jaenada

Raphaëlle Leyris

Il faudra un jour faire lecompte de ce que la littéra-ture doit à la procrastina-tion. Une nuit de 2010, aulieu d’écrire La Femme etl’Ours (Grasset, 2011), Phi-

lippe Jaenada, découragé, pas ins-piré, s’estplantédevantsontélévi-seur. Il a pris en cours de route undocumentaire consacré à BrunoSulak, gentleman braqueur et roide l’évasion ; un ancien légion-naire parachutiste mort à 29ans,en mars 1985, en tombant d’unefenêtre de Fleury-Mérogis, dont iltentait de s’échapper. Dans l’im-médiat, cette triste fin inspira àPhilippe Jaenada une rapidedigression dans La Femme etl’Ours,unephraseposéeaudétourde son septième roman, histoirede chutes tragiques, délicathymneauxperdants.

Mais ce Sulak lui a tapé dansl’œil, au point qu’il décide de luiconsacrer un livre. Ses lecteurs lesavent, Jaenada ne mégote pas satendresse : c’est l’un des ingré-dients qui font le prix de sesromans,avecsonhumourjoyeuse-mentdésespéré–dugenreàdéclen-cher des rires francs. En retour,l’écrivain inspire autant d’affec-tion à son public qu’il semble endéclencher, sous ses airs de planti-grade à la douceur faussementbourrue, chez ses voisins de quar-tiers, ceux – enfants, piliers de barou prototypes plus branchés – quiviennent le saluer et prendre desnouvelles de la promotion de sonlivre au bistrot du 10e arrondisse-mentdeParisoù il a ses habitudes.

Guère avare de sa sympathie,donc, Philippe Jaenada consacreune année à faire des recherchessur la vie de Bruno Sulak. Il lit lesarchives de l’époque, retrouve,grâce aux réseaux sociaux, d’an-ciens comparses du braqueur(«Tous ces ex-voyous sur Face-book ! »), gagne la confiance dePauline, sa sœur, rencontreThalie,le grand amour de sa vie, et l’ex-commissaire Georges Moréas. Ce«gentle-flic» avait entretenu des

rapports délicieusement courtoisaveclevoleuraupanachefou,sanshaine ni violence, qui ne blessaitjamais personne et lui passaitd’urbains coups de fil depuis sescavales.

Armé de ces témoignages etdocuments, Jaenada, qui s’inquié-taitdefaire«unbienpiètre journa-liste» (lui qui s’occupedepuisdix-sept ans des pages potins deVoici), rédigeenuneannéesupplé-mentaire ce Sulak à la fois très dif-férent de ses précédents romanset bien dans samanière. Il sembleécrit avec l’élégante nonchalanceque son héros affichait en perpé-trant des casses. Sans pourtantsacrifier la dimension tragique desa destinée.

Il est assez logique, au fond,qu’un roman de Philippe Jaenadasoit né de ce qui fut d’abord unesimple digression. Car les détoursnarratifs (qui prennent bien sou-vent chez lui la forme de paren-thèses, mais pas seulement) sontune autre de sesmarques de fabri-queetconstituaient,jusqu’àmain-tenant, les vrais moteurs de seslivres. Lui-même semble avoir faitde la digression une sorte de prin-cipedevie.Soncheminverslalitté-rature fut du genre buissonnier.Lui, enfant, se voyait bien devenir

pilote de ligne. Après avoir com-mencé des études scientifiques ence sens, il arrête tout, à 19 ans, en1983, et se lance dans une succes-sion de métiers plus ou moins«absurdes». D’abord vendeur enporte à porte de tableauxproduitsen usine («Des croûtes immondes

que je présentais comme mesœuvres», s’amuse-t-il encore), ildevient ensuite, «grâce à uneannoncedansParis BoumBoum»,« lapremièreanimatriceduMinitelrose», clame-t-il, un brin de fiertédanssavoixpatinéeparlescigaret-tes. Il reconnaît que «ça peut sem-bler un peu trop symbolique»,maisc’estbienenécrivantdesmes-sages excitants à des messieursque l’ancien matheux, peu portésur la lecture,prend consciencedupouvoirde l’écriture.

Parce que ses activités profes-sionnelles (il inventera égalementle courrier des lectrices d’un jour-nal coquin, puis des nouvellesdansNous deux, avant de s’impro-viser traducteur de bluettes enanglais dont il ne comprend pres-que pas un mot) lui offrent unerelativesécurité financièretoutenlui laissant du temps, Jaenada semet alors à lire «comme un fou».Des classiques français, à hautedose, audébut–Prousten tête, quireste l’un de ses héros –, puis desAméricains, comme CharlesBukowski,DavidGoodis…

Ses premiers écrits – des nou-velles « super-pompeuses »,juge-t-il aujourd’hui en rigolantau-dessus de sa bière – sontpubliés par L’Autre Journal, à par-tir de 1990, ce mensuel où Sulakavait tenu une rubrique avant samort. L’envie d’écrire au long sur-vient à la suite d’une injustice. En1993, tentant de secourir unvieillard agressé dans la rue – «Jene suis pas unmauvais bougre» –,il se retrouve au poste ; on l’a

confondu avec l’agresseur. Letemps que le quiproquo soit dé-mêlé, et l’aspirant justicier relâchéaprès 48heures de garde à vue, iltient l’enviede sevengerpar l’écri-ture, et un début de roman. Qu’ilse met à écrire «dans [son] stylefaussement révolutionnaire,

incroyablement aca-démique», d’abord.Une « banquièregéniale» lui ouvre undécouvert illimitépour qu’il puisse allertravailler à la campa-gne. Sa plume se dé-bride, il semetàécriresansessayerde singer

unstyle quine lui correspondpas,doncavecforceparenthèses.Quel-ques péripéties et années plustard, le manuscrit se retrouvepublié par Julliard, en septembre1997.Lemois suivant, ceChameausauvage reçoit le prix de Flore.

Que ses personnages s’appel-lent Halvard (Le Chameau sau-

vage), Titus (Néfertiti dans unchamp de canne à sucre, Julliard,1999), Hector, époux de Pimpre-nelle (Le Cosmonaute, Grasset,2002), Bix (La Femmeet l’Ours) outout simplement Philippe Jae-nada (La Grande à bouche molle,Julliard, 2001 ; Plage de Mana-ccora, 16h30,Grasset, 2009), c’estlargement sa propre vie queraconte, déforme et recomposel’écrivain dans ses sept premierslivres à la fantaisie noire. Ilsconstituent une sorte de «cycle»autobiographique, commencéavecunjeunehomme«qui se lan-çait dans la vie, plein d’espoir», etqu’on retrouvait bien cabossé à lafinde La Femmeet l’Ours. «Il étaittemps de passer à autre chose. »BrunoSulak lui a fourniuneocca-sion en or d’écrire sur une autrevie que la sienne.

Et l’idée d’inventer? PhilippeJaenada le déplore, lui qui carburesurtout auxpolars américains desannées 1940, et donc à la fiction

pure, mais il «n’arrive à rien» s’ilne peut pas s’appuyer sur «unsocleouunestructure» fournisparle réel. «Sinon, dit-il drôlement,j’ai l’impression d’être en apesan-teur, et d’essayerde sauter, de fairedes bonds vers le haut : je m’agitecommeunenouilledansmagrossecombinaison blanche de cosmo-naute, mais seuls mes bras et jam-bes bougent ; mon corps reste aumêmeendroit.»

En tirant sur le fil de la vie deBruno Sulak, Philippe Jaenada apris «un plaisir incroyable » àécrire. C’est comme cela, en dou-ceur, presque en sifflotant, qu’ils’est fait la belle, a faussé compa-gnie à une forme d’écriture auto-biographique qui lui réussissait,mais dans laquelle il se sentaitenfermé.On luisouhaiteunebellecavale.p

Ilestvenuàl’écritureparhasardetdéveloppedepuis,danssesromans,unstylequiluiressemble,tendre,drôleetpleindeparenthèses.Sonnouveaulivre,«Sulak»,portraitbuissonnierd’ungentleman-braqueur,entémoigne

Digresserpourvivre

L'éléphant (avec notre typo)la première revue de culturegénérale

La premièrerevue de culture

générale

www.lelephant-larevue.fr

La premièrerevue de culture

www.lelephant-larevue.frUne publication

Rencontre

Sulak,dePhilippe Jaenada,Julliard, 496p., 22¤.

Il a été « la premièreanimatrice duMinitelrose », clame-t-il,un brin de fierté danssa voix patinée

Unechuteannoncée

Parcours

NÉEN 1955 ENALGÉRIE, BrunoSulakmeurt le 29mars 1985,tombéd’une fenêtre pendantune tentatived’évasion. Entrecettenaissance, dansune famille stable et aimante, et sa findansdes circonstances troubles – a-t-il été poussé dans levide? –, il auramenéune existence follement romanesque.Entrédans la Légionétrangèrepresqueparhasard, il seretrouvedéserteurpresquemalgré lui, débutant ainsi unevie de cavalequi lemène à commettredes braquagesdansdes supermarchés, puis des bijouteries, aunez et à la barbedespoliciers, dont certainsne cachentpas leur admirationpour son culot et son«éthique» de bandit refusant la vio-lence, y compris quand il s’agit de s’évader deprison.

Philippe Jaenada retrace cet itinéraire avec la juste dis-tanceque lui offre sa pratiquedes notations entre paren-thèses et autres savoureusesdigressions. Portrait d’unhommemais aussi d’une époque – la fin des années 1970 etle début des années 1980 –dont il futune star, Sulak est lerécit d’une chute vertigineuse annoncée. Il y a beaucoupde tragiquedans ce récitmenépied auplancher, racontantcomment l’hommequipouvait sembler le plus libre deson temps s’était laissé enfermerdans sondestin. pR. L.

1964Philippe Jaenadanaîtà Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).

1990Premièrenouvellepubliée«par hasard»dans L’Autre Journal.

1997 Le Chameausauvage,sonpremier roman, paraît chezJulliard. Prix deFlore.

1998 Il rencontre«la femmede [sa] vie». Leur fils naît deuxansplus tard.

2011La Femmeet l’Ours.

2013 Sulak. MARCOCASTRO/AGENT MEL POUR «LE MONDE»

12 0123Vendredi 11 octobre 2013

Page 35: Le Monde - 11 Octobre 2013

j CAC 40 4 171 PTS+0,18%

NOMBRED’ERREURSSTRATÉGIQUESONT MENÉALITALIAAU BORDDE LA FAILLITELIRE PAGE 5

MORT DEL’INVESTISSEURCANADIENPAULDESMARAISLIRE PAGE 6

Un hors-série du Monde, 100 pages

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LegéantaméricainWalmart jettel’épongeenIndeLIRE PAGE3

10/10 - 9H30

La «générationY» existe-t-ellevraiment? Pour LaurentGiraud,chercheur en gestion à Toulouse,aucuneétude scientifique sérieu-senepermet dedéfinir des carac-téristiquespropres à la généra-tionnumérique, si cen’est sa pré-carité sur lemarchédu travail–que l’onpréfère «positiver»sous le termed’un «désengage-ment» plutôt subi que choisi.LIREPAGE7

LaSuisserenonceausecretbancairequia faitsaprospéritéLIRE PAGE 4

Nissan–Renault

Ils sont gonflés chez Nis-san! Le constructeur auto-mobile japonais, allié deRenault, avait annoncé le

20septembre un accord avecles autorités birmanes pourconstruire une usine dans cepays encore totalement ferméauxinvestisseursétrangers ilya deux ans. La première voitu-re«madein»Birmaniedevraitsortir des chaînes de montageen 2015 avec des objectifs deproduction, il est vrai modes-tes, de 10000unités par an.

Mercredi 9octobre, c’est enAfrique que Carlos Ghosn, lePDG de Nissan (et de Renault),vient jouer les pionniers. Il adécidé de ringardiser l’idéereçue selon laquelle monterune usine automobile en Afri-que subsaharienne serait unecause perdue tant les problè-mes d’infrastructures et d’ap-provisionnement en énergie yhandicapent l’émergenced’une industrie d’envergure.

Et bien, Nissan devrait voirsortir dès le printemps 2014son modèle Patrol, un faux4×4 (SUV), d’une usine d’as-

semblagesituéeàquelqueskilo-mètres de Lagos, au Nigeria. Lejaponais a signé un protocoled’accord avec Stallion pourmoderniser et développer l’uni-té dans laquelle ce conglomératlocal assemble déjà des véhicu-les commerciaux. Sa capacité deproduction devrait monter à45000véhiculesdès 2014.

Offensive enAfriqueDans le communiqué de Nis-

san, Carlos Ghosn explique vou-loir faire de ce pays de 160mil-lions d’habitants une «plate-for-me industrielle» pour le groupeen Afrique. Elle sera d’ailleursouverteauxvéhiculesdeRenault«enfonctiondesesbesoins».L’in-vestissement de Nissan, dont lemontant n’est pas précisé, est lepremier à intervenir depuis unemodification législative interve-nueauNigeriapouraider l’émer-genced’une industrieautomobi-le locale.

Dans le cadre de sa stratégiede recherche de croissance dansde nouveauxmarchés, c’est unevéritable offensive que leconstructeur automobile lanceen Afrique. Le partenaire deRenault, qui a commercialisé

110000 voitures sur le conti-nent en 2012, compte doublerses ventes d’ici à 2016. Nissansouhaite lancer en Afrique duSud, avant la fin 2014, son autremarque japonaise Datsun tan-dis que son usine de Pretoriacommence à produire un nou-veau pick-up destiné aux paysémergents.

Les constructeurs françaisont, eux, quitté le Nigeria il y abien longtemps. Peugeot y afabriqué pendant des décenniesses fameuses 504, et Berliet yassemblait, jusque dans lesannées 1980, des camions.

Tout récemment, c’est unautre Japonais qui a pris la placedesFrançaissurce continentsurlequel ils misent à leur tour. Enseptembre2012, la maison decommerce de Toyota mettait lamain pour 2,3milliards d’eurossur la CFAO, le distributeurd’automobiles et de médica-ments qui appartenait à PPR(devenuKering).

Manifestement, certainscroient plus que d’autres audéveloppement économique àvenirde l’Afrique. p

[email protected]

Cette soif d’orqui assèche l’IndeLes Indienscaptent le tiersdesimportationsmondialesd’or.Unappétitquipèsesur lescomptesde lanation.NewDelhichercheàfreiner lesachatsdemétal jauneàl’étranger.Enseptembre,ceux-ciontchutéde82%surunan.LIREPAGE2

j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS 2,36%

J PÉTROLE 109,96 $ LE BARIL

PERTES & PROFITS | par jean-Baptiste Jacquin

Les idées reçues,un freinà l’investissement

LamesurepharedeHollandepourdoperlacompétitivité rateenpartiesacible

IDÉES

J EURO-DOLLAR 1,3499

PLEIN CADRE

j DOW JONES 14 802 PTS +0,08%

Voilà un rapport qui pourrait don-ner du grain à moudre à ceux quiestiment que le crédit d’impôtpour la compétitivité et l’emploi

(CICE) rate, pour partie, sa cible, en bénéfi-ciant à des secteurs et à des entreprises nonsoumis à la concurrence internationale, etqu’il conviendrait de le redéfinir.

Dans sa première analyse, publiée jeudi10octobre, de lamise en place de ce disposi-tif, dont le coût sera de 20milliards d’eurosen rythmede croisière, le comité de suivi du

CICE rappelle, certes, que 97% des établisse-mentssontéligiblesauCICE.Maiscecomité–quimêlepartenairessociaux,économistesetreprésentants de l’administration – admetquecertainssecteursenprofiterontplusqued’autres: ceux, plus gourmands, en main-d’œuvre. L’industrie manufacturière et lecommerce concentreront à eux seuls 36%des gains. Il est vrai que le CICE consiste enune réductiond’impôt calculée sur lamassesalariale: 4% des salaires compris entre 1 et2,5fois le smicpour2013 (6%en2014).

Lecomitéde suivi relèveaussi, et surtout,que le CICE va bénéficier d’abord aux entre-prises qui n’exportent pas du tout, plutôtqu’à celles qui sont présentes à l’export. Lespremières capteront 38% dumontant totaldu CICE, celles «réalisant au moins 5% deleur chiffre d’affaires à l’export ne devraientobtenirque27%desbénéficesdirects», avan-celerapport.Passûrquecelasoitdenatureàassurer le regainde compétitivitévouluparle gouvernement à travers ce CICE.p

LIRE PAGE4

tLe crédit d’impôtpour la compétitivité et l’emploi aidemoins les entreprises exportatrices que les autres

Raffinerie à Suining,dans la province chinoise

du Sichuan. REUTERS

LA CHINE,PREMIERIMPORTATEURMONDIALDE PÉTROLE

t Lepays est passépour lapremière fois,en septembre, devantlesEtats-Unis,avec6,3millions debarilsimportés par jour

t La croissancesoutenuede ladeuxièmeéconomiemondialeexplique cettenouvelledonne. Tout commelamoindredépendanceénergétiquedesEtats-UnisLIREPAGE3

Demandes de préfinancementdu crédit d’impôt compétitivité emploi

680accordés

A l’étude

920Total

enmillions d’euros, au 20 septembre 2013

Vendredi 11octobre 2013

Cahier du «Monde »N˚ 21377 datéVendredi 11 octobre2013 - Nepeut être vendu séparément

Page 36: Le Monde - 11 Octobre 2013

L’Indeetl’or, lecoûtd’unepassionNewDelhichercheàréduire les importationsdemétal jaune,quigrèvent lescomptesnationaux

LES DROITSDE DOUANESUR LES LIN-GOTS IMPOR-TÉS ONT ÉTÉMULTIPLIÉSPAR CINQ,PASSANT DE2% À 10%

DURANT L’ÉTÉ

AU DEUXIÈMETRIMESTRE,LE VOLUMEDES SAISIESD’OR DE

CONTREBANDEA ÉTÉ

MULTIPLIÉPAR SIX ÀL’AÉROPORTDE NEW DELHI

plein cadre

NewDelhiCorrespondant régional

Il porte un écusson et des épaulettes.Sonuniformebleuazurestunbrinfri-pé. Le garde de sécurité, nonchalam-ment assis sur une chaise, une vieillepétoire entre les doigts, n’a pas l’air

bien farouche à l’entrée de la bijouterie-joaillerieHazoorilal, en ce centre commer-cial deGreaterKailash-1, àNewDelhi.Maissait-on jamais…

Dans ladevanture trônentdesbustesenamidon, le cou ceint de colliers aux grainsincrustés d’or, d’argent ou de diamant. Al’intérieur, une enfilade de comptoirsvitrés contenant des pièces scintillant demille éclats conduit au bureau de RameshNarang, le patron au mouchoir rose fichédans lapochettede laveste.

M.Narang n’est pas qu’un joailler. Il estaussi un patriote. Il dit crânement: «Noussommes prêts à aider la nation.» Au nomde l’intérêt supérieur du pays, M.Narangacceptedoncde serrer unpeu les écrous. Iladmetque l’or,quiassuresaprospérité,estdevenul’unedesmenacespesantsur l’éco-nomie indienne.

C’estquelesmassivesimportationsd’or,fruit d’une boulimie des Indiens pour lemétal jaune, grèvent lourdement la balan-ce commerciale. A l’heure où la roupiedévisse, dans un contexte de ralentisse-ment économique, le gouvernement neménagepasseseffortspourtenterderefré-ner l’appétitdes Indienspour l’or.

Les chiffres du commerce extérieur,publiés mercredi 9octobre, sont encoura-geants: septembre a été marqué par unechute de 82% des importations d’or (parrapport à septembre2012). Mais chacunadmet que le situation reste fragile. Lesautorités deNewDelhi auront bienbesoindupatriotismedeM.Narang.

Immense défi ! Comment étancher unesoifquifaitdesIndienslesplusgrosimpor-tateursd’oraumonde,autourde1000ton-nes par an à la fin des années 2000?A euxseuls, ils absorbent le tiers des importa-tionsmondiales. Les Chinois et les Améri-cainsarrivent loinderrière.

Maiscette frénésiecoûtecher: la facturedes achats du métal jaune à l’étranger aatteint près de 40milliards de dollars(29,70milliards d’euros) en 2010-2011, soitprèsde 10%des importations totales. Aus-si, quand la roupie a commencé à faiblirsérieusement à partir de 2012, l’alarme asonné dans les allées du pouvoir. C’est lafaute–partiellement–à l’or!

Un plan a mûri : éloigner l’épargne deplacements « improductifs» – dixit leministre des finances, PalaniappanChidambaram– pour la canaliser vers desproduits financiers soutenant l’investisse-ment. Les droits de douane sur les lingotsimportés ont ainsi étémultipliés par cinq,passant graduellement de 2% à 10%durant l’été.

Et pour participer à l’effort citoyen, laFédérationindiennedespierresprécieuseset bijoux, bien qu’opposée au relèvementdes taxes douanières, s’est imposé «uneinterdictionvolontaire»deventeauxparti-culiers de lingots et de pièces demonnaie,limitant de facto le marché aux bijoux.«Nous sommes des gens responsables, cla-me en triturant son mouchoir roseM.Narang, l’un des dirigeants de la fédéra-tion. Nous voulons contribuer à l’effortnational.»

Il en faudra pourtant bien davantagepour décourager une demande enracinéeautréfondsde lapsychéde l’Indeéternelle.«L’or fait partie de l’ADN de l’Inde», dit ensouriantM.Narang.«L’Indeetl’orsontinsé-parables», ajouteKewalDuggal,duConseilpour la promotion des exportations depierresprécieuseset debijoux.

L’Inde fut naguère riche en réservesd’or– d’où son surnomd’«Oiseau d’or» («Birdof gold») – qui attirèrent tant d’envahis-seurs à travers les âges. Les filons se sontépuisésaufildutemps,maispaslafascina-tionpour lemétalprécieux.

Celle-ci puise dans la mythologie. Dansle Rig-Veda, l’un des textes canoniques del’hindouisme, le cosmos naît d’un utérusd’or. Et dans le panthéonhindou, bien desdieux sont chamarrés d’or,métal qui figu-re la permanence de l’esprit surplombantles corps périssables. Acheter de l’or, c’estdoncs’attirer la faveurdesdieux,Lakshmi,enparticulier, ladéessede laprospérité.

Dans leKerala (IndeduSud),onglissedelapoudred’ordanslemieldestinéaupalaisdunouveau-né,unepotion censée assurersa bonne fortune. Et l’on introduit quel-ques piécettes dans la bouche du défunt

afinqu’ilnesoitpasdémunidans letrépas.Dans ce pays aux 10millions de mariagespar an, on imagine surtout le marché desornements fastueux! «Ne pas offrir de l’orencadeaupourunmariage, c’est une fautede goût sociale, c’est dégrader son statut»,souligneRahulGupta,un joailler.

Les multiples fêtes hindoues ajoutentauxoccasionsd’acheterdel’or.Deuxdomi-nentparticulièrementlecalendrier.Lapre-mièreest la fêted’AkshayaTritiya,quicélè-bre ledébutde larédactionduMahabhara-ta – l’unedes épopéesmythologiqueshin-doues–par le dieuéléphantGanesh.

La seconde est la fête de Dhanteras, à lagloire de la déesse Lakshmi. Dans les deuxcas, les augures sont considérés commefavorablesàl’achatd’or.Etlesjoailleriespri-sesd’assautenconséquence.

Une deuxième motivation s’estajoutéeàcevieuxfonddecroyan-cesmythologiques. Elle tient à laquêtede la sécurité économique.

Acheter de l’or, c’est se protéger contre lescoupsdusort,unréflexeenracinédansl’in-conscient collectif d’une société ballotée àtraverslessièclesparlechaosdesinvasionsetdesguerres.

M.Narang narre ainsi comment safamille a été sauvée de la déchéance parcequesagrand-mèreavaitfuiLahore(aujour-d’hui au Pakistan) avec quelques bijouxdanssonballuchonlorsdelasanglantepar-titiondel’EmpirebritanniquedesIndes,en1947.«LafamilleréfugiéeàNewDelhiasur-vécu grâce à ses bijoux », raconteM.Narang.

Toutesproportionsgardées,cetteinquié-tude de l’instabilité persiste aujourd’hui, à

l’heure où l’environnement économiquese fait plus imprévisible. «Les gens voientl’or comme un actif sûr, tandis que lesautresactifsfinanciersdeviennenttrèsvola-tils», analyse Jayati Ghosh, professeur descienceséconomiquesàlaJawaharlalNatio-nalUniversity (JNU)deNewDelhi.

Et dans les campagnes, l’or s’impose detoutemanière faceàdes servicesbancairessouventembryonnaires.«Lesystèmefinan-cier en Inde, insuffisamment inclusif, nour-rit l’appétitpourl’or»,noteRajatLuthra,unjoailler.

Phénomène inédit, le métal jaune estmêmedevenucesdernièresannéesunpla-cement spéculatif, notamment dans lesclasses favorisées urbaines. Cette évolu-tionestunemauvaisenouvellepourlegou-vernement,car l’augmentationdesprixdel’or, consécutive aux taxes douanières, n’aaucuneffetsurlademande.Bienaucontrai-re, elle lanourrit.

Aussi faut-il rester prudent devant leschiffresofficielsattestantd’unechutedras-tiquedesimportationsd’or.Lesprofession-nels admettent que, si baisse de la deman-de il y a – résultant principalement de lavolatilitédes prix liée au contexte interna-tional (Syrie) –, elle n’est sûrement pas decetteampleur.

Elle doit être pondérée par la prise encompte d’une contrebande en plein essor,conséquence de la crispation douanière.Audeuxième trimestre, le volumedes sai-sies d’or frauduleusement introduit enInde – en général provenant de Dubaï – amultipliépar six à l’aéroport internationalde NewDelhi. L’«Oiseau d’or» indien voleencore trèshautparmi lesdieuxduciel. p

Frédéric Bobin

Ledéficitcommercialseréduit,maisresteimportant

Lesmultiples fêtes hindoues, les 10millions demariages par an ainsi que la quête de sécurité économique sont autant de prétextes pour acheter de l’or. V.SIVARAM/REUTERS

NewDelhiCorrespondant régional

L’heure est au soulagementàNewDelhi. Les chiffres du commerceextérieur, publiésmercredi9octo-bre, révèlentune réductiondudéfi-cit commercial sur les six derniersmois (avril-septembre): il est enbaissede 12,7%par rapport à lapériode correspondantede l’annéedernière. Sur le seulmoisde septem-bre, le déficit se situe à sonplusbasniveaumensuel (6,76milliardsdedollars, soit 5milliardsd’euros)depuismars2011.

Mais cette embellie ne fait qu’allé-gerunpassif qui demeure lourd. Ledéficit de la balancedes transac-tions courantes s’étaitmonté à4,6%duproduit intérieurbrut (PIB)sur l’année fiscale 2012-2013.

Le commerce extérieur est le

miroir des faiblessesde l’économieindienne. Les analystes ne cessentdemettre en garde: le resserrementde la politiquemonétaire américai-ne avant l’étén’est pas le seul res-ponsabledudévissagede la roupieindienne, laquelle a perduprèsde20%de sa valeur contre le dollar,entremai et septembre. Tantque ledéficit commercial se creusera aurythmeactuel, la position extérieu-re de l’Indedemeurera extrême-ment vulnérable.

Lepétrole est le principal postedes importations (35%du total), l’orvenant endeuxièmeposition(10%). Afinde brider la demandedemétal jaune, le gouvernementa rele-vé les droits de douane avecun suc-cès relativisépar l’essor parallèle dela contrebande.Quant aux importa-tionsdepétrole, dont l’Indedépendàhauteurde 80%de sa consomma-

tionnationale, elle est la grandeprioritédeNewDelhi. A eux seuls,les achats à l’étrangerde l’or noirreprésentent lamoitié dudéficitcommercialdu pays. Le grandhan-dicapde cepétrole importé, c’estqu’il nourrit les twin deficits («défi-cits jumeaux»). Car, outre la balan-ce commerciale, il creuse simultané-ment le déficit budgétairepar lebiais des subventionsgouverne-mentalesvisant à alléger le prix à lapompepour les Indiens.

Limiter la facture dupétroleCes subventionsont coûté en

2012-2013aubudget de lanation25milliardsde dollars, soit prèsdesdeux tiers du total des aidespayéespar l’Etat (pétrole, engrais, produitsalimentaires). Ces dernièresdevraient représenter en 2013-2014autourde 2,4%duPIB.

Le gouvernement tente de limi-ter la facture dupétrole importédedeuxmanières. La première consis-te à relever le prix à la pompepayépar les consommateurs,unemesu-re visant tout à la fois à soulager lachargedes subventions et àdécoura-ger la demande.Mais l’affaire estélectoralement très sensible.

Une secondeoption tient dans lerèglement en roupies – et non endollars – dupétrole importéd’Iran,un expédientpermettant de limiterl’effet de la dépréciationde la devi-se indienne. Téhéran consent cetteconcessionà l’Inde afin de la gardercommeclient à l’heure des sanc-tions américaines.NewDelhi penseainsi pouvoir économiser 25mil-liardsdedollars, soit 15%de la factu-repétrolière.Or et pétrole, la doubleobsessiondeNewDelhi.p

F. B.

2 0123Vendredi 11 octobre 2013

Page 37: Le Monde - 11 Octobre 2013

économie&entreprise

L a Chine est devenue, en sep-tembre, le premier importa-teur mondial de pétrole,

juste devant les Etats-Unis. Ce bas-culement, constaté par l’Adminis-tration américaine d’informationsur l’énergie (EIA) dansun rapportrendupublicmardi8octobre,étaitattendu,mais iln’enestpasmoinssymbolique de la redistributiondes cartes en cours dans lemondede l’énergie.

Les importations nettes chinoi-ses (différence entre consomma-tion et production intérieures) ontatteint 6,3millions de barils parjouren septembre, contre6,24mil-lions pour les Etats-Unis, selon lesdonnées de cette agence dépen-dant du ministère américain del’énergie (DoE). Ce croisement descourbes s’explique notammentpar la « solide croissance» de ladeuxièmeéconomiemondiale,tou-joursplusgourmandeenénergie.

Mais l’augmentation de la pro-ductionaméricaine joueaussi.Cet-te dernière ne cesse de progresseravec le fort développement despétroles non conventionnels pré-sents en grande quantité dans lesRocheuses et au Dakota du Nord,provoquantunenouvelleruéeversl’ornoir.L’EIAindiquaitle4octobreque les Etats-Unis accéderaient, en2013,àlapremièreplacedesproduc-teurs d’hydrocarbures mondiaux(gazetpétrole), devant laRussie.

Avec les puits traditionnels(Texas,etc.)etl’exploitationoffsho-re du golfe duMexique, la produc-tion pétrolière des Etats-Unis aug-menterade28%,entre2011et 2014,pour atteindre 13millions de barilspar jour – soit les deux tiers de saconsommation. Dans le mêmetemps, celle-ci stagnerait sous labarre des 19millions de barils, loindes20,8millionsdesonpichistori-quede2005.

Rien de tel en Chine. Le pays estdevenuimportateurnetdebruten1993, alors qu’il était encore expor-tateur net en 1985. Sa dépendanceénergétique globale (pétrole, gaz,charbon…) s’accroît à mesure queses besoins augmentent, pour sestransports et sa production d’élec-tricité.

En 2002, ses importations quo-tidiennes n’étaient que de 1,4mil-liondebarils.Certainsexpertspré-voyaient que le niveau d’aujour-d’hui (6,3millions de barils) neserait pas atteint avant 2020.L’EIA indiqueque «cette tendancecontinuera en 2014». Tirée par laforteprogressiondesonparcauto-mobile – la production locale estpassée de 2millions de véhiculesen 2000 à 20millions en 2013, lademande en carburants liquidesdes Chinois devrait augmenter de13%entre2011et2014,pourattein-dre plus de 11millions de barilspar jour.

Cette évolution est régionalecomme en atteste le rapport del’Agence internationale de l’éner-gie (AIE) relatif à l’Asie du Sud-Est,publié le 2octobre. Il prévoit quecette région, exportatrice depétro-lejusqu’aumilieudesannées1990,comptera parmi les premiersimportateursd’ornoiren2035,auxcôtésde laChineetde l’Inde.

ConséquencesgéopolitiquesQuant à l’intensité énergétique

chinoise (quantité d’énergie pourproduireuneunitédePIB), elle res-tetropforte,etsadiminutionamar-qué le pas depuis 2008. Une situa-tion «préoccupante» compte tenudupoidséconomiqueetenvironne-mental du pays, selon le Conseilmondialde l’énergie.

En2010, laChineétaitdéjàdeve-nue le premier consommateurd’énergie au monde, même si, parhabitant, elle reste loin derrière lesEtats-Unis : un Américain enconsomme quatre fois plus qu’unChinois. Deux ans plus tôt, le paysétait aussi passé au premier rangdes émetteurs de CO2, suivi par lesEtats-Uniset l’Inde.

En revanche, les Etats-Unis res-tent le premier consommateur depétrole(19,8%delaconsommationmondiale), loin devant la Chine(11,7%), selon le rapport annuel surl’énergie de BP. Et ils disposent dedeux fois plus de réserves (35mil-liards de barils) que la Chine. Lesdeux pays jouent à fronts renver-sés:ladépendanceénergétiquedesEtats-Unis se réduit, quandcelle delaChineaugmente.Selon lesprévi-sionsduplanquinquennal chinoisen cours, elle devrait s’élever à 61%en2015, au lieude57%en2011.

Cette nouvelle donne a desconséquences géopolitiques.Pékin se tourne de plus en plusversleMoyen-Orient,qu’ils’agissede l’Iran, de l’Irak ou des monar-chiespétrolièresetgazièresduGol-fe,mais aussi vers les producteursafricains (Nigeria, Angola, Sou-dan…).Pékinlorgneenfinsurl’Afri-quede l’Est (Mozambique,Ougan-da, Kenya, Tanzanie…).

Outre la sécurisation de sesapprovisionnements, qui passenotamment par l’achat d’actifspétroliers et le renforcement deses compagnies (CNPC, Cnooc,Sinopec…), laChineveille aussi surses routes pétrolières. Elle renfor-ce sa marine de guerre et investitdans les ports jalonnant les routesmaritimesqui relient le continentafricain et le Golfe à la Chine (lefameux«collierdeperles»). Etellesurveille la sécurité du détroit deMalacca, par où transite 85% desonpétrole importé.

Al’inverse, lesEtats-Unissesen-tent moins dépendants depuisquelques années vis-à-vis de leuralliée historique, l’Arabie saoudi-te, qui ne leur fournit plus qu’unepetitepartie de leur pétrole.

En mars2012, quelques moisavant sa réélection, le présidentBarack Obama avait annoncé savolontéd’atteindre,àterme,l’indé-pendance énergétique, notam-ment grâce au fort développe-mentdugazetdupétrolede schis-te. Mais la prudence s’impose :n’avait-on pas déjà prédit que lesénormes ressources au large descôtesduTexasetde la Louisiane lagarantiraient? p

Jean-MichelBezatetGilles Paris

L’américainWal-MartsortdumarchéindiendeladistributionLegroupemet finàsonpartenariat avecBharti, illustrantainsi ladifficileouverturedusecteurauxcapitauxétrangers

LaChinedevientpremierimportateurdepétroleLepayspassedevant lesEtats-Unis,avec6,3millionsdebarilsachetéschaquejourenseptembre

EnFrance,lesprixàlapompecontinuentdebaisser

C’ESTUNEÉQUATIONcomplexequi fait la joie des automobilistes:la retombéeprovisoiredes ten-sions auProche-Orient combinéeà la surcapacité des raffinerieseuropéennesexplique la baissecontinuedes prix à la pompemesuréedepuis quelques jours.

Dans l’attente,qui risquedes’éterniser,d’une taxationspécifi-que, le gasoil, qui représente80%dumarché, est revenuauxprixqui étaient les siensaudébutdel’été, si onse fie auxchiffrescompi-léspar leministèrede l’environne-ment,dudéveloppementdurableetde l’énergie. Le litredegasoilvalait enmoyenne1,3297euroauxpompesdes stations-servicehexa-gonalesvendredi4octobre, contre1,3415eurounesemaineplus tôt.

Lesprixde l’essenceont aussireflué, revenantaux tarifs envigueurennovembreet endécem-bre2012, avecun litredesupersansplomb95 (unpeuplusde10%dumarché)valant 1,49eurovendredicontre 1,50euro le 27sep-tembre.Mêmeconstat avec lesuper sansplomb98 (environ2%dumarché)vendu1,56euro le litrecontre 1,57euro.

Enquelquessemaines,uneconjonctionde facteursa contri-buéà labaissedubaril depétrole.D’abord ladissipationenseptem-bredes tensions liéesà la Syrie.Mêmes’ilne s’agitpasd’unacteur

pétrolieràpartentière, puisque lesraresgisementsdupays, passéssouscontrôledes rebelles, sont envoied’épuisement, l’accordsurve-nu le 14septembreentre les Etats-Uniset laRussie sur ledémantèle-mentde l’arsenal chimiquedontdispose le régimedeBacharAl-Assadaéloigné laperspectivede frappesmilitairesoccidentaleset leurcortèged’incertitudes.

Apaisement avec l’IranSurunautre terrain,unaccord

entre factionset autorité centralelibyennesamisunterme, le 20sep-tembre, àun ralentissementde laproduction libyenne, tombéeautourde 150000barilspar jour(b/j) au lieu 1,5milliondeb/j entempsnormal. L’amorced’undégeldes relationsaméricano-ira-niennes,après l’échange téléphoni-queentre leprésidentaméricain,BarackObama, et sonhomologueiranien,HassanRohani, le 27sep-tembre, a renduenvisageableunelevéedes sanctions internationa-lesquipénalisent l’industriepétro-lière iranienne.

Ace contexte régional s’ajoutela surcapacitédes raffinerieseuro-péennesenpériodede faibleactivi-té économique,qui tire lesprixà labaisse.«Lesmarges sontauplusbas», confirme l’analyste indépen-dantAymericdeVillaret. p

G.P.

NewDelhiCorrespondant régional

L e signal est assez fâcheuxpour l’image de l’Inde auprèsdes investisseurs internatio-

naux. Le géant américainde la dis-tributionWal-Martetsonpartenai-re indienBharti ont annoncé,mer-credi 9octobre, la dissolution deleur coentreprise, un divorce quiprend à contre-pied les autoritésde New Delhi, désireuses d’attirerle capital étranger en ces tempsd’adversité économique.

A l’heure où la croissance s’estralentie au deuxième trimestre à4,4% et où la banque centrale son-ne le tocsin pour défendre la rou-pie – en très léger redressementaprèsavoirperdu20%desavaleurfaceaudollar entre juinet septem-bre –, l’annonce de cette rupturesurundomainedevenuembléma-tiqueest duplusmauvais effet.

En 2007, Wal-Mart et Bharti,conglomérat présent notammentdans les télécommunications, l’as-surance,l’agroalimentaireet ladis-tribution,avaientscelléuneallian-ce dans le commerce de gros, sousl’enseigne de Best Price ModernWholesale. Cette coentrepriseétait censée servir de plate-formede lancement de Wal-Mart sur lemarché du détail multimarqueque le gouvernement s’était réso-lu, après bien des atermoiements,àouvrirplusfranchementaucapi-tal étranger.

En septembre2012, New Delhiavait annoncé qu’un investisseurinternational serait habilité àacquérirjusqu’à51%d’unestructu-re commune avec un partenairelocal. Cette ouverture (relative) dela distribution avait pris unedimension fortement symbolique.Elle était censée réveiller l’intérêtpour l’Inde au sein d’une commu-

nauté d’investisseurs étrangers deplus en plus perplexes face auxpesanteurs bureaucratiques et àl’essoufflement de la dynamiquedes réformes au sommet de l’Etat.Danspareil contexte, le jeudeWal-Mart était observé de près. Si unpoids lourd étranger devait être lepremier à ouvrir un hypermarchéenInde, cedevaitêtreentoute logi-queWal-Mart.C’estdire lesymboledesonsubitdésengagement.

Le directeur exécutif de Wal-Mart en Asie, Scott Price, n’avaitpas caché, dans des déclarationsrécentes aux médias, son agace-ment face à des «obstacles criti-ques» qui contrariaient les ambi-tions de son groupe en Inde. Ilcitait en particulier l’obligationimposéeà toute coentreprisedansladistributiondedétaildes’appro-visionner à hauteur de 30% de sesachats auprès de PME locales.D’autrescontraintes,telsdesinves-

tissementsd’infrastructures (chaî-nedu froid), avaient ajouté à la cir-conspection générale des candi-dats à l’entrée sur le marchéindien. Soucieux de dissiper leurscepticisme, le gouvernementavait assoupli cet été la règle des30% d’approvisionnementslocaux. Il ne s’agissait désormaisque d’un objectif à atteindre dansles cinqans.

TergiversationsCela n’a apparemment suffi à

convaincreWal-Mart. L’américainrestera toutefois présent en Indesur le marché de gros puisqu’ilrachètera les parts de Bharti dansBest Price Modern Wholesale, quidispose d’une vingtaine de maga-sinsdans lepays (l’investissementétranger n’est pas limité dans legros). Si Wal-Mart devait changerd’avis et réactiver son intérêtpourle commercedétail, il devrait alors

trouver un autre partenaire queBharti.

L’attitude ambiguëdeNewDel-hi, oscillant entre ouverture etcontrôle,reflètelagrandesensibili-té de toute réforme dans ce com-merce détail qui compte 12mil-lions d’entreprises – pour l’essen-tiel de petite taille – employant40millions de personnes pour unchiffre d’affaire du secteur évaluéà400milliardsdedollars(296mil-liardsd’euros).

Le débat est houleux. Les parti-sans de l’ouverture arguent queles consommateurs et les fournis-seurs locaux seraient les grandsbénéficiaires de la contractionattenduede lachaînedes intermé-diaires, un réseau opaque d’inté-rêtsacquis,aurôlefortementinfla-tionniste. De leur côté, les protec-tionnistes dénoncent les suppres-sions d’emplois attendues d’unedissolution du tissu commercial

local consécutive à l’arrivée dechampionsétrangers.

Le gouvernement indien vadevoir remettre l’ouvrage sur lemétier. Il lui faut impérativementattirer des nouveaux investisse-mentsétrangers–directsoudepor-tefeuille–afinde financer labalan-ce des paiements grevée par unebalance commerciale déficitaire.Les chiffres du commerce exté-rieur publiés mercredi lui appor-tent quelque répit (réduction de12,7% du déficit commercial sur laséquence des six derniers mois),mais l’acquis reste fragile. Depuisun an, les annonces se succèdentd’une plus franche ouverture aucapital étrangerdans les secteurs –outre la distribution – des télé-coms, de l’assurance, de l’aviation,de ladéfense.Mais,échaudéspar lepassé,lescandidatsétrangerspren-nent leur temps. p

F.B.

SOURCE : EIA

Un basculement attenduIMPORTATIONS NETTES DE PÉTROLE, ENMILLIONS DE BARILS PAR JOUR

Prévisions

Septembre 2013

Etats-Unis

Chine

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Janv.2012

Juil.2012

Janv.2013

Juil.2013

Janv.2014

Juil.2014

Déc.2014

SOURCE : EIA

Un basculement attenduIMPORTATIONS NETTES DE PÉTROLE, ENMILLIONS DE BARILS PAR JOUR

Prévisions

Septembre 2013

Etats-Unis

Chine

0

1

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3

4

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9

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Janv.2011

Juil.2011

Janv.2012

Juil.2012

Janv.2013

Juil.2013

Janv.2014

Juil.2014

Déc.2014

Pétrolier amarré dans le port deNingbo, dans la province chinoise de Zhejiang. EYEPRESS NEWS

30123Vendredi 11 octobre 2013

Page 38: Le Monde - 11 Octobre 2013

L aSuisse,l’unedesgrandespla-ces fortes financières duVieux Continent, est en train

de céder sous les coups de boutoirduG20,cesvingtpayslespluspuis-santsde laplanète.Elleest enpassede renoncer au secret bancaire quia fait sa prospérité et celle de sesbanques,depuis les années 1930.

La nouvelle est arrivée mercre-di 9octobrepar voiede communi-quédugouvernementfédéral.Ber-neyannonce,contretouteattente,sonintentiondesigner la fameuse«convention fiscale multilatéra-le» de l’Organisation de coordina-tion et de développement écono-miques (OCDE), spécialementmandatée par le G20, pour seconformerauxrèglesfiscalesinter-nationales.Autrementdit,departi-ciper activement à la lutte contrela fraude fiscale.

Cetteconvention,déjàparaphéepar tous les membres du G20,Chine comprise, et par plus de cin-quante pays au total, n’est ni plusnimoins qu’unengagement à coo-pérersansréserve,encasdedeman-de d’entraide de la part d’un autreEtat, sur les avoirs de ses ressortis-santsàl’étranger.Ils’agitd’unerup-

ture historique pour la Suisse, quia,par lepassé,opposélesecretban-caire aux demandes d’entraide fis-caledepaysétrangers,lorsd’enquê-tesde l’administrationoude la jus-tice surdes comptesbancairesnondéclarés.

La Confédérationdevra changersa législation, etmandat est donnéà la ministre des finances, EvelineWidmer-Schlumpf, de préparer unprojetde loi adhoc.

Concrètement, la nouvelleconvention organise une coopéra-tion fiscale poussée entre l’ensem-ble des pays signataires. Par exem-ple, si des comptesnondéclarés derésidents français sont découvertsen Suisse, les deux Etats peuvents’entendre pour fixer et lever destaxessurcesavoirs.Desenvoisd’in-formations groupées, et non pasindividu par individu, plus labo-rieuses pour l’avancée des enquê-tes, sont enoutrepossibles.

La décision suisse peut surpren-drepar son calendrier. Elle s’inscritdans lanouvellepolitiquenationa-ledeluttecontrel’argentsale,enga-gée depuis la fin des années 2000etrenforcéedepuisunan,quiviseàredorer l’image d’une place finan-

cière écornéepar les affaires–dontcelles, diplomatiques, des comptescachés de résidents américains eteuropéensmis au jour chezUBS etHSBC.

En 2009, la Suisse avait ouvertune première brèche dans sonsecret bancaire, en acceptant, sousconditions strictes, dans le cadre

d’accordsbilatéraux,l’échanged’in-formations bancaires en cas dedemanded’unautreEtat.

Cette politique de retour de laSuisse dans le concert des nationsestacceptéeparlesgrandesinstitu-tionsfinancières,soucieusesderes-taurer leur réputation. Lucides,elles savent le secret bancairecondamnéet cherchent à valoriserleursavoir-fairefinancierenmatiè-redeplacements.

Mais cette politique de transpa-rence rencontre des résistances ducôtédespetitesbanques,desdiscrè-tes boutiques de gestion de fortu-ne, des avocats d’affaires et d’unepartie de l’opinion. C’est pour pré-server cette opinion que le Conseilfédéral a tardé à rejoindre le clubdes signatairesde la conventiondel’OCDE.

Un verrou politique vient doncde sauter. Mercredi, MmeWidmer-Schlumpf a expliqué qu’il étaitmeilleurpour la Suissede«partici-per aux nouvelles règles que desubir». L’adhésion ultrasymboli-quede la Suisse, après celledepaysaussi emblématiques que leLuxembourg ou Singapour,devrait avoir un effet d’entraîne-mentsurlespluspetitscentresoffs-hore,quinesesontpasencoreenrô-lésdans la luttecontre la fraudefis-cale. Il reste néanmoins à la Confé-dérationun long cheminàparcou-rir en matière de transparence. Eneffet, elle ne s’est pas encore enga-géeàpratiquerl’échangeautomati-quede données bancaires avec despays tiers (l’envoi systématiqued’informations sur les comptes etles avoirs détenus chez elle par desnon-résidents,horsenquêtes).Hor-misaveclesEtats-Unis,quiontarra-ché cette transmission d’informa-tions sensibles sous la contraintede leur loi d’application extraterri-torialeFatca.

Laministredes finances a préci-sé, mercredi, que ce point n’étaitpas à l’ordre du jour. Or, l’échangeautomatique, prévu en optiondanslaconventionOCDE,estperçucomme l’instrument le plus effica-ce pour éradiquer la fraude fiscalemondiale.

De surcroît, la Suisse reste dansle viseur du Forum mondial del’OCDE. Cette instance est chargéeparleG20devérifiersilespayscoo-pèrentvraiment,si leurs loisetpra-tiquessontadaptées,depointer lesblocages…

Ce travail est en cours et devraitaboutir à l’élaboration d’une nou-velle listenoiremondialedespara-dis fiscaux. Mais l’on sait déjà quelaSuissenepassepasenphaseIIduprocessus. Elle doit améliorer sesmodalités de coopération etmodi-fier certainesde ses lois… p

AnneMichel

économie& entreprise

LeCICEaideplusl’emploiquel’exportLesentreprisesexportatricesprofitentmoinsducréditd’impôtcompétitivité-emploique lesautres

L e moins que l’on puisse direest qu’on n’attendait pas leFonds monétaire internatio-

nal (FMI) sur ce terrain. L’institu-tionanglo-saxonne,réputéelibéra-le,dirigéeparuneFrançaise(Chris-tine Lagarde) quimit enœuvre lesbaisses d’impôt de Nicolas Sarko-zy,déclarequ’ilya laplace,dansdenombreux pays avancés, pour unrelèvement des taux marginauxde l’impôt sur le revenu.Mais aus-si pour un impôt foncier plus éle-vé, et même pour un impôt sur lafortune, voireune taxationaccruede l’épargne.Qui l’eût cru?

Cettemini-révolutions’est pro-duite, mercredi 9octobre à Wash-ington, lors de la présentation durapport2013duFondssurlesques-tions budgétaires, largementconsacré cette année à la fiscalité.

Dans ce document, au titre évo-cateur, Taxing Times, le FMI ne sefait pas, par provocation, le défen-seur d’une pression fiscale qui aaugmenté partout avec la crise. Ilreconnaît que, dans de nombreuxpays où les taux de taxation sontdéjà élevés, l’essentiel de l’ajuste-ment budgétaire restant à fairepassera par une diminution desdépenses publiques. La France, àen juger par les graphiques quiaccompagnent son analyse, est deceux-là.

L’institution est aussi sensibleau creusement des inégalités,qu’elle jugemarqué dans les paysanglo-saxons. «Les impôts sontpartoutmoins progressifs qu’ils nel’étaient il y a trois ans», a observél’un des auteurs du rapport,Michaël Keen, qui ne trouve pasles mesures prises en matière defiscalité à la hauteurdes enjeux.

Leseffortsderedressementbud-gétaire, ces dernières années, ontdavantage sollicité les revenusqu’on ne l’avait initialement pré-vu, analyse-t-il. «Mais les optionsla plupart du temps choisies ontprocédé davantage de l’urgencequedelavolontéderendrelessystè-

mes fiscauxplus solides et plus jus-tes, cequipeutposerdesproblèmesà long terme, indique le rapport.Les taux d’imposition ont été rele-vés, alors qu’il eût été préférabled’élargir les bases fiscales et decréerdenouvellestaxespourrépon-dreauxpréoccupationsenvironne-mentalesoucorriger les insuffisan-ces du secteur financier.»

LeFMIestpersuadéqu’ilestpos-sible de taxer plus, mieux et plusjustement. Parmi ses suggestionsfigurel’élargissementdesbasesfis-cales, en particulier du nombredes assujettis à la TVA.

Taxer davantage la fortuneDans de nombreux pays avan-

cés, ilyaaussiplacepourdeshaus-ses d’impôts sur le revenu cibléessur les plus riches. Ramener lestaux marginaux d’imposition,pour les 1% les plus riches, à leurniveau moyen des années 1980rapporterait 0,25point de PIB enplus.MaisleFMIestimequelesres-sources supplémentaires ainsigénérées pourraient, dans cer-tainscas,dontceluidesEtats-Unis,être bien supérieures.

Le Fonds juge possible de taxerdavantage le foncier mais aussi lafortune,sansdissimulerlescontre-performances passées d’un telimpôt. Cela peut changer, esti-me-t-il, compte tenu de l’intérêtaccru du public et d’une coopéra-tioninternationalerenforcéedansla lutte contre l’évasion fiscale.

Par ailleurs, le FMIpose la ques-tiondelamiseenplaced’«unprélè-vement une fois pour toutes sur lecapital», pour réduire la dettepublique. Il s’agit d’une hypothè-se.Maisunchiffre est avancépourcette «supertaxe» qui s’applique-rait auxménages disposant d’uneépargnenette positive: à 10%, ellepourrait contribuer à ramener leniveaudedette par rapport au PIBà celui qui était le sien avant la cri-se, fin 2007.p

ClaireGuélaud

E n temps de disette budgétai-re, l’efficacité d’un mécanis-me comme le crédit d’impôt

pour la compétivité et l’emploi(CICE), dont le coût sera de 20mil-liardsd’euros par an en rythmedecroisière, concentrent toutes lesattentions.Cerôledevigieestassu-ré par le comité de suivi du CICE,quimêle partenaires sociaux, éco-nomistes et représentants de l’ad-ministration. Son rapport, publiéjeudi 10octobre,apportequelqueséléments de réponse sur despoints controversés.

Le«racket»Le2octobre, leminis-tre du redressement productif,Arnaud Montebourg, a dénoncé«des phénomènes de racket» de lapart de grandes entreprises surleurs sous-traitants qui bénéfi-cientduCICE, rappelantque celui-ci n’est «pas fait pour siphonnerles avantagesdonnés auxPME».

Le rapport indique que des casont été rapportés en mars. Parcourrier, certains donneurs d’or-dre exigeaient de leur fournisseurdes remises de prix sur descontrats en cours, au titreduCICE.

Le comité de suivi relève «qu’àce jour il n’est pas possible deconnaître l’ampleur de ces tentati-ves»,mais queces courriers«sem-blent avoir été le fait d’initiatives

locales». Il ajoute que, depuis larentrée, lamédiationdes relationsinterentreprises « n’a pas euconnaissance de nouveaux cas decaptationduCICE».

Les entreprises ciblées Certai-nes voix se sont élevées pourdemander un reformatage du dis-positif aumotif qu’il bénéficieraità des secteurs non soumis à laconcurrence internationale, com-me la grande distribution ou leBTP.

Lerapportrappelleque97%desétablissements sont éligibles auCICE,quiconsisteenuneréductiond’impôt calculée sur leur massesalariale,àhauteurde4%pourl’an-née 2013 (6% en 2014) des salairescompris entre 1 et 2,5 fois le smic.Les auteurs admettent que cer-tains secteurs en profiteront plusque d’autres: les plus gourmandsenmain-d’œuvrerecevrontleschè-ques lesplus importants.C’est ain-si que l’industrie manufacturièreet le commerce concentreront àeuxseuls 36%desgainsduCICE.

Enfin, le comité de suivi s’attar-de sur les gains du CICE pour lesentreprisesexportatrices.Et, surcepoint, le dispositif semble rater enpartie sa cible. Le rapport relèveque «pour l’ensemble des entrepri-ses exportatrices, la part de lamas-

se salariale entrant dans le champdu CICE est moindre [58%] quepour les entreprisesnonexportatri-ces [79%]». Cela traduit, expli-quent les auteurs, «que le niveaude salaire pratiqué par les sociétésexportatrices est plus élevé enmoyenne que celui dans les entre-prisesnonexportatrices».

Le comité de suivi estime queles entreprises n’exportant pas dutoutbénéficierontde38%dumon-tanttotalduCICE,«quandlesentre-prisesréalisantaumoins5%deleurchiffre d’affaires à l’export nedevraientobtenirque27%desbéné-ficesdirectsduCICE».

Les demandes de préfinance-ment Pour les entreprises, l’effetfiscal du CICE ne se fera sentirqu’en2014.Maiscertainesontdéjàpu, depuis début 2013, obtenirauprès de Bpifrance ou desréseaux bancaires commerciauxun préfinancement, sous formed’une avance de trésorerie repré-sentantjusqu’à85%desgainsesti-més.

Au 20septembre, Bpifrance areçu 10174demandesdepréfinan-cement, pour unmontant total de920millions d’euros. L’encourseffectif des préfinancementsaccordés s’élevait à 680millions.La valeur moyenne de ces préfi-

nancementsétait de 75000euros.Sur l’ensemble de 2013, le gouver-nement a fixé un objectif de 2mil-liards d’euros de préfinance-ments. Cette cible «ne sera pasnécessairementatteinte»admet lecomitédesuiviquirelève«unefai-blemobilisationdes banques com-merciales».

Ce qu’en disent les bénéficiai-res «Nous avons sollicité le préfi-nancement en avril et les fonds,413 000 euros, ont été déblo-quésfin mai», témoigne Eric Tort,secrétaire général du groupeRDHB (ingénierie industrielle etusinage, 530salariés) «Cela nouspermetdefaireentrerducashpouraméliorer le fonds de roulementdela société et financer des frais d’in-dustrialisation pour lesquels nousn’obtenons pas de financementsclassiques dans des délais aussicourts». «Nousaurions sansdoutepréféré une baisse des chargessociales», ajouteAntoineGorioux,directeur général de Guyader gas-tronomie, (450salariés). Mais leCICE «nous a permis de sauvegar-der des emplois dans notre activitésaumon fuméet de maintenirnotre niveau d’investissementannuel dans une fourchette allantde 1 à 2millions d’euros». p

AnneEveno

LaSuissenes’estpasencoreengagée

àpratiquer l’échangeautomatique

dedonnéesbancairesavecdespaystiers

Evasionfiscale: laSuisserenonceofficiellementàsonsecretbancaireBernerépondraauxdemandesd’entraidesur lesavoirsde ressortissantsétrangers

O n se doutait que le sujet nefaisait pas l’unanimité par-milesmembresdelaRéser-

veFédéraleaméricaine.Lapublica-tion, mercredi 9 octobre, des«minutes», le compte-rendude laréunion du 17 et 18septembre, arévélé la teneur de leurs débats,trèsvifs.

A l’issuede cette réunion, la Fedavait annoncé, déjouant tous lespronostics,qu’elle allaitmaintenirses mesures de soutien à l’écono-mie, en particulier ses rachats de85milliardsdedollarsd’actifs touslesmois sur lesmarchés.

Les «minutes» révèlent que lesmembres du FOMC, le comité depolitique monétaire de l’institu-tion, sont clairement divisés endeuxcamps.

Les «colombes», dont JanetYel-len qui a été officiellement nom-mée par Barack Obama,mercredi,pour succéder à Ben Bernanke à latête de la Fed en janvier, ont faitpartde leurs inquiétudesquantaumarché du travail. «Elles ont jugéque l’emploi et la reprise étaienttrop faibles pour supporter unretrait des mesures», décrypte IanShepherdson, chef économiste dePantheon Macroeconomics. Lesminutesontainsiconfirmél’atten-tionparticulièreportéeparMmeYel-lenauxchiffres du chômage.

Les «faucons», eux, ont estiméqu’il était préférable de réduire lesachats dès septembre, commel’avait laissé sous-entendreM.Ber-nankeenmai.Aprèsd’intensesdis-cussions, le choix du statu quo

monétaire a finalement été voté àla quasi-unanimité. Seule la«faucon»EstherGeorge,présiden-te de l’antenne de Kansas City, s’yest opposée. Une quasi-unanimitéà nuancer puisque seuls 12 des17membres présents ont pris partauvote.

Lamajorité d’entre eux s’est enrevanche montrée favorable à laréduction des aides d’ici à décem-bre. «Mais c’était avant que le shu-tdown ne vienne fragiliser l’écono-mie américaine», prévient PaulAshworth,chezCapitalEconomics.Selonlui,unetelledécisiondevraitdésormais être repousséeà 2014.

Message brouilléLesmarchés,quiespéraientque

les «minutes» permettent d’ensavoirplussur lecalendrieràvenirdemesures, ont donc été déçus. LeFOMC s’est aussi inquiétée «de lahaussedes tauxd’intérêts immobi-liers » observée depuis le prin-temps, et surtout, de la crédibilitéde la Fed.

En optant pour le statu quo,contrairement à ce qu’elle avaitlaissé penser auxmarchés, l’insti-tution a brouillé sonmessage et laprévisibilitéde sa politique.«C’estd’autant plus dommage que sastratégie communicative est juste-ment d’aider les investisseurs à yvoir plus clair», commente Frede-rik Ducrozet, au Crédit AgricoleCIB. L’unedesmissionsdeMmeYel-len sera de restaurer la crédibilitédesmessages de la Fed.p

MarieCharrel

LaFedtrèsdiviséesurlesoutienàl’économieLaparutiondes«minutes»adéçu lesmarchés

LeFMIprôneplusd’impôts,unemini-révolutionL’institution libéraleévoqueune«supertaxe»sur l’épargnepour réduire ladettepublique

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Page 39: Le Monde - 11 Octobre 2013

économie& entreprise

FrancfortEnvoyé spécial

C ’est unevéritable leçond’op-timisme queMarkus Dohle,leprésidentdePenguinRan-

domHouse(PRH),aprofessée,mer-credi9octobre, lorsde laplusgran-de foire de l’édition aumonde quisetientàFrancfortjusqu’au13octo-bre. C’était sapremière conférencedepressedepuis la fusion–effecti-ve au 1er juillet– de deux des plusimportantesmaisons de littératu-re générale, Penguin, joyaudu bri-tanniquePearson,etRandomHou-se, filiale à 100% du géant alle-manddesmédiasBertelsmann.

«Nous croyons toujours dans lelivre et nous allons continuer d’yinvestir, car c’est ce qu’il y a demieux à faire », a expliquéM.Dohle, dont l’entreprise pèse3milliards d’euros. «Notre travailne change pas. Les auteurs restentau cœur de notre métier», a-t-ilajouté,alorsqu’unecertainemoro-sité régnait dans les allées du plusimportantrendez-vousdusecteur.

M.Dohle a rappelé que «80%duchiffred’affairesdel’éditionpro-venait de l’écrit et 20% du numéri-que». Les récentes évolutions dumarché aux Etats-Unis montrentque « le numérique peut aller jus-qu’à 40% de part demarché, maisl’écrit en conserva 60%», esti-me-t-il. Dans ces conditions, l’im-

portant, pour un groupe commePenguin RandomHouse, est de nepas abandonner le livre physique,tout en investissantdans le numé-rique. «Penguin a déjà créé sa pro-pre plate-forme d’autoédition quidraine beaucoup d’auteurs en her-be», a ajoutéM.Dohle.

Alorsquelecélèbreagentbritan-nique Andrew Nurnberg, qui anotamment vendudans lemondeentier Les Bienveillantes, de Jona-than Littell, avait exhorté, mardi8octobre, les éditeurs à «quitterAmazon», M.Dohle a au contraireexpliqué qu’«il avait un immenserespect pour l’innovation entrepre-neuriale d’Amazon, notammentpour le systèmede la liseuse Kindlequi permet de lire beaucoup delivres».

LepatrondePRHaaussiditcroi-re, à titrepersonnel,plus«à la coo-pération qu’à la confrontation»,avec les nouveaux géants du livrenumérique. Si la fusion PenguinRandomHouseaeulieu,c’estnéan-moins pour lutter contre Amazonet le poids qu’il représente désor-mais dans le secteur du livre, auniveau mondial. Le distributeuraméricain réalise aux Etats-Unisunquartdesventesdelivresphysi-ques et 60% des livres numéri-ques. Au Royaume-Uni, 20% deslivres physiques sont vendus enligne, et 90%des e-books.

Pour Bertelsmann et Pearson,

en se mariant, il s’agit aussi des’adapter au changement de com-portement des lecteurs quimigrent de plus en plus vers lesécrans et le Web pour lire desromans,desessais,desbandesdes-sinées, etc.

PRH est une coentreprise déte-nue à 53% par Bertelsmann et à47% par Pearson. Son quartiergénéral reste établi à New York.

Markus Dohle, patron de RandomHouse depuis 2008, a été choisipourdiriger l’ensemble.

PRH est présente en Amériquelatine,enIndeetenChine.Ellepèse25%dumarchédu livre anglopho-ne et publie plus 15000nouveauxtitres par an. A la tête de250«imprints» oumaisons d’édi-tion, comme Penguin, Bantam,Knopf, Pantheon,Doubleday,Dut-ton, le groupe emploie désormaisplusde 10000personnesà traverslemonde.Mais l’ambitionestd’en-treteniruneproximitéaveclesécri-vains, a rappelé M.Dohle, mercre-

di, car «les créateurs n’aiment pascequi est gros».

Dans le même groupe, serontdésormais rassemblés des auteursde best-sellers comme la britanni-que E.L. James, rendue célèbre parsa trilogie érotique Cinquantenuances de Grey, vendue à plus de70millions d’exemplaires dans lemonde. Il y aussi le multimillion-naire Dan Brown, auteur d’InfernoetduDaVinciCode, le chef culinai-re Jamie Oliver, star des livres decuisine aux Etats-Unis, ou l’auteurde thriller,HarlanCoben…

A la suite de la création de PRH,les grands groupes d’édition géné-ralistes sontpassésde six à cinqen2013. Outre PRH, il y a désormaisSimon&Schuster(CBS),HarperCol-lins(NewsCorp),MacMillan(Holtz-brinck), et Hachette (Lagardère).D’autres regroupementsouallian-cespourraientseproduiredans lesmois qui viennent, selon lesexperts.

Arnaud Nourry, PDG d’Hachet-te Livre, se tient prêt à faire desacquisitions dans les Brics (Brésil,Russie, Inde, Chine, Afrique duSud) si desopportunitésseprésen-tentmais aussi dans tous les paysoùHachette n’est pas en situationde monopole. Le groupe françaisest numéro un dans l’Hexagonemais seulement cinquième auxEtats-Unis. p

AlainBeuve-Méry

Carrefourmetsurlemarchéuneliseuseàbascoût

A litaliava-t-ellemettre la clefsous la porte? Les échéan-ces se rapprochent pour la

compagnie aérienne italienne, enproie à de graves difficultés finan-cières. Les caisses sont vides. Adéfaut de trouver un apport d’ar-gent frais dans les tout prochainsjours, Alitalia pourrait ne mêmeplus être enmesure d’assurer sonactivité.Poursemaintenirà flot, lacompagnie aurait besoin d’aumoins 500millions d’euros.Inquiet de ne plus être payé, legroupe pétrolier ENI a mêmemenacé de couper le robinet dukérosène, dès samedi 12octobre.

A l’évidence,unepartiedel’ave-nir d’Alitalia se joue au palaisChigi, le siège du gouvernementitalien. C’est là aussi qu’une partiedes malheurs de la compagnietrouvent leur origine. Jusqu’à safaillite en 2008, l’Alitalia histori-que, commedisent les Italiens, «abénéficié de beaucoup d’aides del’Etat», indique un proche du dos-sier.Mais ces subventions avaientune contrepartie. A l’époque, fait-il savoir, « les syndicats, notam-mentdepilotes, étaient très forts etfaisaientlaloi».Ceprocheprécise:«Comme beaucoup d’entreprisespubliques, Alitalia était aussi utili-sée par les partis politiques pour yfaire embaucher des gens à eux.»Un phénomène de grandeampleur. La compagnie aérienneitaliennea compté jusqu’à plus de21000salariés.

Mais ce ne sont pas ses effectifspléthoriques qui auront raison del’Alitaliahistorique.Cettedernièren’apassupportélechocdelarivali-téavec les transporteursàbascoûtapparus dans les années 2000.«En Italie, les compagnies low costont tout de suite eu beaucoup desuccès», fait savoir un observa-teur, proche d’Alitalia. Notam-ment, ajoute ce dernier, «parceque lespetitsaéroportsdeprovinceleur ont donnébeaucoupd’argent.Ils disaient à l’époque que c’étaitbon pour l’économie régionale.»Selon lui, Ryanairauraitbeaucoupprofitéde ce système.

Malmenée par la concurrencedes«lowcost»,Alitaliaaaussimul-tiplié les erreurs stratégiques. Aucontraire de ses rivales européen-nes,ellenes’estpasconcentréesurun hub unique. Un seul aéroport,

comme Roissy pour Air France ouFrancfort pour Lufthansa, chargéde canaliser les passagers pourremplir les avions vers toutes lesdestinationslong-courriersdesser-vies par la compagnie. Contre tou-te logique économique, Alitalia aconservé un système de doublehub, à Rome et à Milan, qui n’ajamais produit les recettesescomptées.

La classe politique italienne aaussi sa part dans lesmalheurs dela compagnie aérienne. Lors de lafaillite d’Alitalia, en 2008, le prési-dentduconseil,SilvioBerslusconi,s’est opposé à la reprise de la com-pagnieparAirFrance-KLM.Al’épo-que, en campagne électorale pouruntroisièmemandat,M.Berlusco-ni voulait préserver « l’italianité»delacompagnieaérienne.LeCava-liere«s’est beaucoup impliqué, carAlitalia était un peu son cheval de

batailleélectoral», raconteunpro-che du dossier. Il a obligé desgrands patrons italiens, surnom-mésironiquementcapitanicorag-giosi, les «capitaines courageux»,devenirausecoursd’Alitalia. Pourfaire bonne mesure, à l’époque,l’Etat a effacé une ardoisede 2mil-liardsd’euros.

Maissuiteàcesauvetage,lanou-velleAlitalia estmal repartie.«Elleétait sous-capitalisée», déploreunde ses dirigeants à l’époque. Avec1milliard d’euros seulement, sonplan industrielprévoitqu’elledoitreprendre la flotte et les person-nels de l’ancienne compagnie. Elledoit aussi racheter Air One, untransporteur transalpin semi-lowcost. Une très mauvaise affaire.«Alitaliaapayétropcherunecom-pagniequi était aubordde la failli-te», expliqueun témoin.

Depuis sa relance, Alitalia n’ajamais gagné d’argent. Faute d’al-liance, «elle n’a pas une taille suffi-sante pour être compétitive sur lemarché», indique un proche dudossier. «Aujourd’hui, en Europe, ilyatroisgrandsgroupes:AirFrance-KLM,BritishAirwaysetLufthansa»,précise-t-il. Une mission impossi-ble pour Alitalia qui, «sur son seulmarché, doit faire face à la doubleconcurrence des low cost et desriches compagnies du Golfe». Déjàmise à mal par le TGV, qui a prisenviron20%departdemarché,Ali-talia ne peut même plus comptersur lamanne apportée par sa ligneRome-Milan,sadessertelaplusren-table ouverte à la concurrence deslowcostdepuis 2012.

Lecompteàreboursacommen-cé pour Alitalia, qui a accumulé1milliard d’euros de pertes. Uneassemblée générale des actionnai-resdelacompagnieestprévuelun-di 14octobre. «Maintenant, il fautprendre une décision», signale unproche. Trouver un repreneur oubaisser le rideau!p

GuyDutheil

Alitalia,auborddelafaillite,aaccumuléleserreursdestratégieLacompagnieaérienne italienneauraitbesoind’aumoins500millionsd’euros

«Lenumériquepeutaller jusqu’à40%departsdemarché,maisl’écritconserva60%»

MarkusDohleprésident de Penguin

RandomHouse

La Foire du livre de Francfort se tient du 9 au 13octobre. MICHAEL PROBST/AP

AFrancfort, lemessaged’espoirdupatrondeséditionsPenguinRandomHouse«Nouscroyons toujoursdans le livre», aditMarkusDohleà la foire internationalede l’édition

AUMAGASINCARREFOURde laportedeMontreuil, à la sortiedeParis, le rayondes livres est enpleinchambardement.Uneaffi-cheannonçant lenouveauBer-nardWerber,LesMicro-Humains(AlbinMichel), à 14,99eurosenver-sionnumérique, est accrochée, etunprésentoir spéciala été installépour«votre librairienumérique».Mais il est encorevide: les liseusesn’ontpasété livrées…«Uneques-tionde jours»,promet levendeur.

Dans 230de sesmagasins, Car-refour est en train de réaménagerle rayon culturel pour faire de laplace à lanouveautédévoilée jeu-di 10octobre: des liseuses électro-niques. L’enseigneenvendait déjàparmid’autres équipements élec-troniques. Cette fois-ci, elle passeà la vitesse supérieure, et lance sespropres appareils, sousunemar-que crééepour l’occasion,Nolim.

Objectif : participer à l’essor du

livre électronique, unmarchéencorebalbutiant en France. Ilreprésenteàpeine 3%des ventesdes éditeurs,mais commence àgrimper. En France et en Europe,«les ventes de liseuses sont en trèsforte croissance, avec des volumesenhausse de 50%à60%par an»,indiqueainsiMichaëlDahan, l’undes fondateursdeBookeen, lefabricant français de liseuses aveclequel travailleCarrefour.

Dynamiser le rayon culturelPlus globalement, le distribu-

teur veut dynamiser son rayonculturel, dans le cadre duplanduPDG,Georges Plassat, pourenrayer la baissedes parts demar-ché et remonter lesmarges.

Lepari consisteàdémocratiserle livrenumérique.Pouryparve-nir, CarrefouramisaupointavecBookeenune liseuse très simpleàutiliser, et optépourunprix serré:

69,90eurospour lemodèledebase, contre79eurospour lepre-mierKindled’Amazon.Laversiondisposantd’unécranrétroéclairéestproposéeà99,90euros.

Lesdeuxmodèles comportentunecentained’ouvragespréchar-gés,de Flaubertà la collectionHar-lequin, etdonnentaccès,moyen-nantpaiement, àunebibliothèquedeplusde 100000livres.

La cible privilégiée? Cene sontpas les fansdehigh-tech,mais lesgrands lecteursqui fréquententleshypermarchés.Des femmesà70%.Des«mal-aimésde la littéra-ture», commeondit dans le grou-pe, qui, plutôt queProust ouPas-calQuignard, raffolentde romanssentimentaux,de science-fictionet depolars.

Marketing intense, concoursdenouvelles, etc. : Carrefour vatout faire pour séduire cette clien-tèle, notamment avantNoël.Mais

beaucoupdépendrade deuxélé-ments-clés. Le premier, c’est leprix des livres numériques. EnFrance, ils restent jugés trop éle-véspourpermettreunvéritabledécollagedumarché. Sur liseuse,Carrefourpropose le dernierWer-ber 25%moins cher qu’enversionpapier. Cela suffira-t-il?

Laconcurrencedes tablettesélectroniquescommel’iPadconsti-tue l’autrepointdécisif.AuxEtats-Unis, labatailleest féroceentre cesdeuxtypesd’équipements, et lemarchédes liseusesensouffre. En2012, le cabinet IHSprésentaitmêmeles liseuses comme«uneespèceenvoiededisparition».EnEurope,«cen’estpasdu tout le cas,compte tenuduconfortde lecturebien supérieurqu’offrent les liseu-ses»,assureM.Dahan.Maispourcombiende temps?PourCarre-four, la vigilances’impose. p

Denis Cosnard

Lorsdelaprécédentefaillitede

lacompagnie,en2008, l’Etatavaiteffacéuneardoise

de2milliardsd’euros

Air France-KLMposeses conditions

Actionnaire à 25%d’Alitalia, AirFrance-KLMn’acceptera pas demonter jusqu’à 50%ducapitalde la compagnie italienne à n’im-porte quelles«conditions», indi-que sonPDG, Alexandre deJuniac. Air France, considérécommeun repreneur potentiel,souhaiterait que la dette d’unmilliard d’euros soit apurée. AirFrance-KLMvoudrait aussiqu’Alitalia adopte«un plan stra-tégique pour redevenir renta-ble». Elle devrait renoncer à undéveloppement jugé trop oné-reux. Alitalia voudrait ouvrir denouvelles lignes long-courrierset acheter des avions neufs.Plusmodestement, Air Franceveut faire d’Alitalia le troisièmepilier de son groupe en Europe.

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6 0123Vendredi 11 octobre 2013

4milliards d’euros

C’est ce qu’a emprunté l’Espagne,mercredi 9octobre, sur lesmar-chés, à un tauxde 5,15% sur trente et un ans. C’est la premièreémissionobligataire à très long termeduTrésor espagnoldepuis2009. Elle a suscité unedemandeétonnamment forte de la partdes investisseurs, qui font denouveau confiance aupays,malgréla reprise encore fébrile et le tauxde chômagedépassant 26%.L’Espagneapratiquementbouclé sonprogrammed’empruntspour 2013.Madrid envisagedésormaisune émissionà cinquan-teanspour répondre à la demandedes investisseurs.

économie& entreprise

B rassard noir pour le CAC40.LeCanadienPaulDesmarais,l’un des grands actionnaires

historiques de Total, GDF Suez ouPernod-Ricard, s’est éteint mardi8octobre, à l’âgede86 ans.

A travers le holding GBL (Grou-pe Bruxelles Lambert), co-détenuavec son ami de 40ans, le BelgeAlbert Frère, l’homme d’affaires,première fortune duQuébec, étaitun des investisseurs les plusinfluentsenFrance.«Notregroupelui doit beaucoup. Aux côtés d’Al-bertFrère,avecsesfils, ilaaccompa-gné, comme actionnaire, pendantprès de vingt ans, tous les grandsmoments de notre histoire, relateGérard Mestrallet, le PDG de GDFSuez. Il avait l’entreprise dans lesang.»

M.Desmarais avait passé dès1996 les rênes de Power Corpora-tionofCanadaàsesfils,PaulJunioret André, mais il était resté le pre-mier actionnaire de cette sociétéde portefeuille, pesant en Bourseplus de 8milliards d’euros, avecdes intérêts dans l’énergie, l’assu-ranceoulapresse.EnEurope,sadis-paritionnedevraitpasremettreencause la cascade de holding assu-rant le contrôle conjointdeGBL.

Rangde grand-croixFin 2012, les accords liant les

famillesDesmaraisetFrèreavaientété prorogés jusqu’en 2029. Voireplus… «Le grand souci des patriar-ches a toujours été que l’alliancepuisse leur survivre et tous lesmoyens ont été pris en ce sens»,assure au Monde Gérald Frère, lefils d’Albert et présidentdu comitéexécutif de GBL. «Tous les Frère etles Desmarais se considèrent com-me faisant partie de la mêmefamille, témoigne-t-il. C’est vraipour la génération de mon père,pour la mienne mais égalementpour la troisièmegénération.»

«Lui a commencé avec la ventede clous à Charleroi et moi avec lesbus à Sudbury», avait coutume deraconter M.Desmarais, en compa-

rant sa trajectoire à celle de soncomplicebelge.

Canadien francophone exilédans l’Ontario, le jeune hommes’étaitlancéà23ansenreprenantlasociété de bus de sonpère, vouée àla faillite. A force de culot, il par-vient à la redresser et à bâtir unpetitgroupedetransport.Ildémon-tre ensuite ses talents de financierenrachetant,en1968, leconglomé-rat Power Corp., beaucoup plusgrosque lui.

Dans les années 1970, Paul Des-marais est repéré par PierreMous-sa, lepatronde labanqued’affairesParibas, qui a également en bonneplace sur son radar un entrepre-neur de Charleroi. «Paul Desma-rais et Albert Frère étaient l’un etl’autre des clients de Paribas», rap-pelle André Lévy-Lang, ancienpré-sidentdudirectoiredeParibas.

LeCanadienetleBelgeserencon-trentrued’Antin,ausiègedelaban-que, à Paris. Ils se côtoient au

conseil d’administration de l’éta-blissement financier. Leur destinbascule avec l’élection de FrançoisMitterrand.PierreMoussalesasso-cie à la créationde Pargesa, unhol-ding suisse destiné à accueillir lesactifs belges et suisses de Paribas,histoire d’esquiver la nationalisa-tion qui s’annonce. Le pot auxrosesestdécouvertparlegouverne-mentde l’époque.Mais les accordssont bel et bien scellés, sans clausede retour. Et la France devra payerleprixfortpourrécupérerlesactifsde Paribas. «Les nationalisationsfrançaises ont fait la fortune dePaul Desmarais et Albert Frère»,résumeunancienduTrésor.

Les deux partenaires ont ensui-te fait fructifier leur «galette»,selon l’expression chère au Belge,en investissant dans les fleuronsindustrielsfrançais.Mais l’influen-ce de M.Desmarais est allée bienau-delà dumonde des affaires. «Sije suis aujourd’hui président de la

République, je le dois en partie auxconseils, à l’amitié et à la fidélité dePaulDesmarais», avait révéléNico-lasSarkozy,enportantleCanadien,en février2008, au rang de grand-croixde la légiond’honneur.« 1995n’était pas une année faste pourmoi.Unhommem’a invitéauQué-bec dans sa famille. Nous mar-chionsde longuesheures en forêt etil me disait : “il faut que tu t’accro-ches, tu vasy arriver”.»

Dans la propriétémythique desDesmarais, à SagardauQuébec, lesgrands de ce monde, de GeorgeBush père au roi d’Espagne JuanCarlos, venaient jouer au golf, oupêcherlesaumon.«Ilavaittentédem’apprendre la pêcheà lamouche.Jemesuis révélé trèspeudouéet j’aimanqué de l’éborgner», se remé-more Gérald Frère, avec émotion,dressant le portrait d’un homme«plein d’humour, empreint d’unegrande simplicité».p

IsabelleChaperon

ENERGIE

Gazdeschiste: leParlementeuropéenveutunencadrementLeParlement européenadécidé,mercredi 9octobre, que les acti-vités d’explorationet d’extractiond’hydrocarburesnon conven-tionnelspar fracturationhydrauliquedoivent obligatoirementfaire l’objet d’une étuded’impact environnemental. Les eurodé-putés étaient appelés à se prononcer sur la révisiond’une loieuropéennevieille de 20ans, concernant l’évaluationdes inci-dences environnementalesde certainsprojets publics et privés.Si ce texte est retenupar les Etatsmembres, l’étuded’impact seraobligatoirequelle que soit la quantité extraite d’hydrocarburesnonconventionnels lorsque la fracturationhydraulique estmiseenœuvre. – (AFP.)p

ConjonctureLéger rebondpour la productionindustrielle française en aoûtLaproduction industrielle de la France a augmenté de0,2%enaoût aprèsunebaisse confirméede0,6%en juillet, selondes don-nées publiées jeudi 10octobre par l’Insee. – (AFP.)

Culture LaHadopi croit encore à son avenirSi l’avenirde laHauteAutoritépour la diffusiondesœuvres et laprotectiondesdroits sur Internet (Hadopi), et saprobable intégra-tionauConseil supérieurde l’audiovisuel, reste suspenduà lafuture loi Création, la présidentede l’autorité indépendante,Marie-FrançoiseMarais, a expliqué, lors de la présentationde sonrapport annuel, jeudi 10octobre, vouloir«remplir sesmissionstantque la loi actuelle existe». Endépit d’unbudget enbaisse.

HabillementJos. A.Bankoffre 2,3milliardsde dollars pourMen’sWearhouseLa chaîne américainedemagasinsd’habillementpourhommeJos. A.BankClothiers veut racheter sa concurrenteMen’sWea-rhousepour 2,3milliardsdedollars (1,7milliardd’euros), a-t-elleannoncé,mercredi 9octobre. Cette transaction en ferait «le prin-cipal concepteur, fabricant et vendeur de vêtementspour hommedes Etats-Unis», selon le conseil d’administrationdeJos.A.Bank.– (AFP.)

Économie verte et innovation : une nécessité pour releverles défis de l’environnement et une opportunité pour l’industrie.Comment réunir les conditions du succès ?

EnvironnEmEntEt industriESouS le haut patronage du prÉSident de la rÉpublique

Colloque

15 octobre 2013la Maison de la Chimie

28 rue Saint-dominique75007 paris

partenaires:

Paul Desmarais, àMontréal, en 2008. SHAUN BEST/REUTERS

Disparition L’hommed’affairescanadien,trèsliéàNicolasSarkozy,était l’associéduBelgeAlbertFrère

PaulDesmarais, lebâtisseur

L a Mia, la voiture électriquechèreà laprésidente (PS)de larégion Poitou-Charentes,

Ségolène Royal, va pouvoir fairequelquestoursderouesupplémen-taires. Mia Electric, ce fabricant depetits véhicules issu de l’éclate-ment du carrossier Heuliez en2010,s’apprêteàrecevoirdesfondsen provenance d’Asie. Ils doiventlui permettre de tenir un peu plusdansunmarchédifficile.

«Nous venons de conclure unaccord avec un groupe d’investis-seurs coréens», annonce MichèleBoos, la Franco-Coréenne qui arepris,enjuin,MiaElectricenquasi-dépôt de bilan. Ces investisseursvont apporter 5,3millions d’euros,et obtenir 10% du capital. La PMErestera détenue à 78% par lafamille de MmeBoos et ses appuisinitiaux, et à 12%par la RégionPoi-tou-Charentes. Les investisseurscoréens vont aussi verser 1milliond’euros pour devenir les distribu-teursexclusifsde laMiaenAsie.

A Cerizay (Deux-Sèvres), chezMia, c’est peu dire que cet argentfrais sera le bienvenu. Malgré lesaides de la Région présidée parMmeRoyal et l’arrivée de MmeBoos,la société reste en effet sur la corderaide. Débutoctobre, les 220sala-riés ont d’ailleurs été payés avecquelques joursde retard.

«Mia a un bon produit, maisdeux problèmes: l’achat et la ven-te», résumeMmeBoos. Du côté desachats, la nouvelle PDG s’est enga-gée dans un bras-de-fer avec unegrande part des fournisseurs. Elleleurdemandederéduire leursprixde plus de 30% et d’acheter eux-

mêmes des Mia, «pour montrerqu’ils sont avec nous». Pas gagné,d’autantqueMiaestpénalisépar larécente liquidation d’Heuliez, quilui fournissaitdes châssis.

Chute des ventesCôté ventes, MmeBoos a égale-

ment opté pour la manière forte.Dès son arrivée, elle a abaissé lestarifsde32%à45%,selonlesmodè-les. La Mia trois places, la plusconnue, ne coûte plus que10469euros.Objectif:faireredécol-lerlesventes,tombéesà337véhicu-les en 2012. Loin, bien loin des12000unités par an visées à uneépoque.

Grâce à ces efforts, les ventesdevraient remonter à 900véhicu-les cette année, assure MmeBoos.«Mais nous perdons encore de l’ar-gent sur chaque voiture», admet-elle. Sur 14millionsd’eurosdechif-fre d’affaires, Mia se prépare à undéficit opérationnel d’environ5millionscette année.

Pour sortir du rouge, la femmed’affairesmise sur les volumesquiserontécoulésenAsieparsesparte-naires,etsurunaccordsimilaireenprojetauMexiqueetauBrésil.«Lesventes vont venir de l’exportationbeaucoup plus que de l’Europe»,prédit-elle.

Compte-tenu de l’ampleur dudéfi, Mia aura besoin de 36mil-lions d’euros en trois ans, estimeMmeBoos. Il est déjà envisagé queles investisseurs coréens remet-tent au pot dans quelques mois.Mais il faudra sans doute trouverencored’autres financements.p

Denis Cosnard

DucarburantcoréenpourlavoitureélectriquedeSégolèneRoyalUnconsortiumasiatiqueprend10%deMia,ex-filialed’Heuliezendifficulté

Page 41: Le Monde - 11 Octobre 2013

L emondede la gouvernancedes grandes entre-prises vient de connaître deuxprises depou-voir spectaculairespar des actionnaires. Le

27août, SébastienBazin, qui représentait le fondsd’investissementaméricainColonyCapital auconseil d’administrationd’Accor, a été nomméPDGdugroupehôtelier. Le 11septembre, la gouvernancedeVivendi, géant français desmédias et de la com-munication, a été remaniée avec lanominationdesonpremier actionnaire, VincentBolloré, commevice-présidentdu conseil de surveillance.

Dans les deux cas, le coupde force est venud’inves-tisseursqui étaient devenus les premiers actionnai-res de l’entreprise. Il faisait suite à une forte instabili-té dans la gouvernance, avec la successionde quatredirigeants enhuit ans à la tête d’Accor et de deuxendix-huitmois chezVivendi.

Dans lesdeuxsociétés, c’estuneminoritéactived’actionnairesqui s’est emparéedupouvoir.Colonynepossèdeque 10%ducapitald’AccoretM.Bolloréàpeine5%deVivendi. Le capital étant trèsdiluédans lepublic,onpeutêtre lepremieractionnairedecesentreprisesenn’endétenantqu’unepart très faible.M.Bolloréet Colonysontdoncdesminoritairesactifsquine représententqu’une fractionde l’actionnariat.

Colonya accédé à la gouvernanceparun jeud’al-lianceavecunautreminoritaire chezAccor, le fondsEurazeo. L’accessiondeM.Bolloré a étépossiblegrâceà ses liens stratégiquesantérieurs. Il est entré en 2012aucapital deVivendi, lorsqu’il lui a venduses chaînesde télévisionDirect 8 etDirect Star.

Laprisedepouvoirpar l’investisseur se traduitalorspar la concentrationde la directionet du contrô-le sur l’entreprise.Ainsi, nonseulementM.Bazinexer-ce les fonctionsexécutives chezAccor,mais lesmem-bresdu conseild’administrationcontrôlentdésor-mais 24%ducapital de la société.Dirigeants, adminis-

trateurs et actionnaires influents sontdoncalignés.ChezVivendi,M.Bolloré avait exigéunposte auconseil de surveillanceavantde se fairenommervice-président.Mêmeminoritaire, l’actionnairequi tientle conseil a lepouvoir sur l’entreprise.

Faire remonter le cours de l’actionDans lesdeux cas etmalgrédes sensibilitésdiffé-

rentes, laprisedupouvoirvientde la volontéd’accélé-rer lamise enœuvrede stratégies capablesde faireremonter le coursd’uneactionendéclin. Ces straté-gies serontdans lesdeuxcas évaluées selon l’évolu-tionducoursdes titres sur lesquels les investisseursdevenusdécideursontmisé.

Demanièresignificative, lesdeuxstratégiespropo-séesprévoient ledémantèlementdesentreprises.Dèsle 11septembre,Vivendi aannoncéqu’elle se scinde-rait endeuxpour se séparerdeSFR, sonactivitédansla téléphonie, qui seraelle-mêmecotée enBourse. LeplandeColony, lui, consisteàvendre les800hôtelsd’Accor,de telle sorteque legroupe louedésormaisces immeubleset se concentre sur lesprestationsdeservicesauxclientsplutôtque sur lagestiondepatri-moine.Commela scissiondeVivendi, cette cessionimmobilièremassive chezAccorassurerades ressour-ces financièresconsidérablesà l’entrepriseetdoncunredressementmécaniqueducoursde l’action.

Contrairementà ceque la théorie financièreénon-ceen s’appuyantsur les travauxdesAméricainsAdolfBerleetGardinerMeans (TheModernCorporation,1932), les actionnairesminoritairesnesontdoncpascondamnésàagirpar le seul jeudesmarchéspourinfluersur lemanagement. Ils saventaussi s’emparerde lagouvernancepour imposer leurs stratégies. Latrajectoiredes entreprisesest alorsmoinsécritepar lamain invisibledumarché financierquepar lamainbienvisibled’investisseursdéterminés.p

ENTREPRISES | CHRONIQUEpar Pierre-Yves Gomez

L’actionnaireminoritaireaupouvoir

idées

Leconcepta suscité conférences,articles, ouvrages, prestationsde conseil… Les jeunes seseraient détournés de la valeurtravail et seraient aujourd’huiavant tout centrés sur leurs loi-

sirs, leursamis, leurmobile…Ilsconstitue-raient une génération spécifique, lafameuse «génération Y»: Y comme le filde leurs écouteurs sans cesse à leursoreilles, Y comme Why?, la question quibrûle leurs lèvres dès qu’on ose les inciterà l’effort… Des individus connectés etmobiles, ouverts au monde, généreux,mais changeants et infidèles, sans ancra-ge,sansprojetdelongterme.Desextrater-restres pour l’entreprise, sortes d’an-guilles difficiles à cerner, à motiver et àcadrer.

Une description qui parle à de nom-breux parents et à de nombreux diri-geants,mais qui laisse dubitatif celui qui,sociologueou chercheur en gestion, creu-seunpeuplus loin…

En effet, les recherches en gestionmenées ces dernières années peinent àidentifier les véritables spécificités qui,au-delà de la jeunesse, permettraient decaractériser cette fameuse générationY etses relationsau travail.«Nos jeunesontdemauvaisesmanières,semoquentdel’auto-rité, et n’ont aucun respect pour l’âge»,disaitSocrate il y aprèsdedeuxmille cinqcents ans. Le regard porté par les plusanciens sur la générationmontante a tou-jours été critique.

Mais au-delà de la sagesse populaire,que démontrent les études scientifiques?Des jeunes plus infidèles aux entreprisesque les générations précédentes? Pas siévident. Plus sensibles à l’intérêt immé-diatde leur travail qu’auxperspectivesdecarrière? Onne parvient pas à le prouver.Plus altruistes, commeon le dit souvent?Cen’est pas flagrantnonplus.

Enfait, leconcept,quoiquemédiatique,file entre les doigts. Une génération secaractérise par une identité collective for-gée par une expérience historique com-mune: les années de guerre, Mai 68… Lagénéralisationde l’usagedes technologiesnumériques mobiles, le désenchante-ment politique, la récession économiquede longue durée, suffisent-ils à construireune telle identité?

Aucune recherche publiée dans unerevue scientifique sérieuse n’attesteaujourd’hui en tout cas d’un lien fortentre l’appartenance à cette générationYet des attitudes particulières vis-à-vis dutravail. Les liens établis sont souvent fai-bles, incertains. Plusieurs études vontmême complètement à l’encontre desidéesreçues,montrantuneforteappéten-ce des jeunes pour les carrières tradition-nelles. La pléthore de candidats auxconcours de la fonction publique consti-tue d’ailleurs un sérieux indice de cetteaspirationordinaire à la stabilité.

A l’instar d’autres études, notammentcellesdeJeanPralong,professeuràNeomaBusiness School, nos travauxmenés dansle cadre d’une thèse de doctorat en scien-ces de gestion confirment que la généra-tionY n’est pas plus infidèle que lesautres. Les déterminants majeurs de lafidélitédes salariés sontenréalitéd’abordleniveaudesrémunérationset lespossibi-litésdepromotion,puislacapacitédel’en-trepriseà susciterune implicationaffecti-ve. Du côté des salariés, le moment où ils

se situent dans la carrière joue un rôlemajeur dans leurs attitudes au travail.Mais rien ne prouve que les jeunesd’aujourd’hui se comportent différem-mentdes jeunes d’hier.

Enréalité, pournous, lavéritableques-tion est maintenant de savoir pourquoiceconceptmalétayérencontreuntelsuc-cès. Et là, seules des pistes peuvent êtretracées.

Un premier phénomène permet decomprendre pourquoi la générationY areçuun tel écho: il s’agit de «l’intériorisa-tion du stéréotype». Certains chercheursont démontré que l’«essentialisation»d’un groupe, comme la générationY,influencelesmembresdecegroupeetinci-tevéritablementles jeunesàseconformerà l’image supposéede leur génération!

Le succès du concept intervient aussi àun moment où la nature des relationsd’emploi subit une forte évolution. Pourles aînés, il est probablementplus confor-table d’attribuer aux jeunes une volontéde changement rapide d’activité profes-sionnelle que d’admettre qu’un grandnombre d’entre eux ne font que subir laprécarité.Pourles jeuneseux-mêmes,cet-te image est plus valorisante ! Affirmerqu’on accorde une grande importance àses loisirs quandon enchaîne les périodesde chômage est une manière de se sentir

auxcommandes,malgrétout.Onpeutain-sidétecterdans lediscoursdes jeunesuneforme de rationalisation a posteriorid’une situationqui leur est imposée.

En réalité, la discussion sur les caracté-ristiques supposées de la générationYvient occulter un premier débat autre-mentplus complexeet dérangeantsur lesdysfonctionnementsactuels desmarchésde l’emploi. Les salariés ont en effet, selontoute vraisemblance, modifié leur attitu-de au travail en réaction à une périodemarquée par un chômage massif, uneinsertion professionnelle de plus en plusaléatoire, et unmanagement centré sur lecourt terme.

La forêtdudébatquecache l’arbrede lagénération Y est celle des relations d’em-ploi, c’est-à-dire tout ce qui relève de laflexibilité,du tempsetducontenudu tra-vail. Après avoir franchi les obstaclesmenant à l’emploi, il paraît normal queles salariés demandentune certaine rétri-bution en échange des efforts qu’ils ontfournis.

Attribué aux jeunes, le désamourenvers le monde du travail, aujourd’hui,transcende en réalité les générations.Mais qui souhaite enparler vraiment?p

Lemythebiencommodedela«générationY»Désamourdutravail,ouprécaritédel’emploi?

Barrez-vous!»Unmot d’ordre lancé versla jeunesse de notre pays dans Libéra-tion, le 3septembre 2012, par trois jeu-nes français.Nous, entrepreneurs, répli-quons : « Jeunes de France, restez !» Anotre tour d’utiliser un proverbe arabe:

«L’âne peut aller à LaMecque, il n’en reviendra paspèlerin.» Autrement dit, pourquoi aller chercherailleurscequevousavezentre lesmains? Il existeenFrancedesgisementsdecroissanceetdesopportuni-tés immenses, à conditiond’avoir du courage et unevolontéde changerdeperspective.

Nous sommes deux créateurs d’entreprise. Nousavonschoisi la France, notrepaysnatal, pour investiretnouslancer.Notresociété,Ityz,crééeen2012,propo-se une application pour smartphones qui permet àtous, gratuitement, de commander un taxi en deuxclics.UnservicesimilaireexistaitdéjààLondres,àBer-linet àNewYork. Pourquoipas àParis?Défi relevé.

Onnousprendpour des fous, des sortes de candi-desoptimistesquinevoientpas lemondes’écroulerautour d’eux: chaque mois, des entreprises annon-cent des plans de licenciements plus oumoinsmas-sifs ; chaque semaine, des articles de presse expli-quent les effets désastreux d’une crise économiquequi semueen crise sociale.

Etpourtantnousavonsdécidé, dans ce tourbillonde déprimes qui tire vers le bas, de donner un coupde talon pour remonter à la surface: en créant notreentreprise! Folie? Inconscience? Audace? Trop jeu-nes pour comprendre? C’est cette jeunesse d’espritqui nouspousse à croire ennotrepays, la France.

La confiancene se décrète pas, elle se vit. La crois-sancene se décrètepasnonplus, elle se conquiert. SinotrePMEcréedesemploisdans lesprochainsmois,nousy aurons contribué.

Partir, nous dit-on, parce quenous avonsune élitevieillissante qui monopolise tous les pouvoirs? Cer-tes, ceconstatestadmispar tous,mais il signifieaussique, dans quelques années, nous assisteronsde factoàunrenouvellementgénérationnelpuissant.Uneéco-nomieendéclin?Un ralentissementéconomiqueestjustementlemomentidéalpourdémarreruneentre-prise. Cela semble paradoxal, mais pensez-y! Lescoûts sontmoins élevés et davantage de talents sontdisponibles. Les clients potentiels sont plus suscepti-bles d’essayer un nouveau service qui pourra les

aider à réduire leurs dépenses ou à augmenter leurcompétitivité. Il reste encore beaucoup à produireen termes d’idées, de travail et d’investissements…

Les opportunités sont au Sud, et non plus dansnos vieux pays ? Nous applaudissons des deuxmains et nous pensons que, justement, la France estcertainementlamieuxplacéepourexporter, impor-ter,échanger,dialogueretconstruire,avec,parexem-ple,uncontinent commel’Afriqueoù lepotentieldecroissance est considérable. Après la France, nouschercheronsànousdévelopper enAfrique.

A ceuxquinevoientqu’uneFrancequi geint, gro-gneet récrimine,nousrépondonsqu’elleestunpaysde talents où il fait bon vivre. A l’origine de la créa-tion de l’iPhone? Un Français. Facebook, LinkedIn,Google, Apple, Amazon… dans les équipes de direc-tiondecesgéantsduNet,ontrouvedesFrançais.Et laplupart d’entre euxont été formés en France.

«Investissez-vous!»Laréussiteserait-elleuneexclusivité internationa-

le, interdite en France? Nous avons nous aussi debeaux fleurons du Web tels que Viadeo, Criteo,etc.Notre entreprise recrute des talents américainsvenantdesstart-uplesplusenpointedelaSiliconVal-ley. Ils sont séduits par la qualité de vie française. Etparuncertainesprit.Ici,onnevousdemandepascom-bienvous«pesez»avantd’engager la conversation.

La France n’est pas morte. Le rayonnement fran-çaisà l’international représenteunpotentieldecrois-sance incroyable. La francophonie, c’est près de250millions d’individus, partout dans lemonde, quipartagent notre culture ou notre langue, et plus de700millionsen2050.Cesontlàdesmarchésàconqué-rir. PourunePMEcommelanôtre, cela représenteunocéand’opportunités,derencontres,d’échangesetdepartages!Enplusdel’Afrique,nousregardonsdeprèsdesmarchéscommeleCanada.

Mais ne nions pas la réalité ! Il faut du couragepour investir en France. Ici, on paie des taxes en toutgenreetplusd’impôtsqu’ailleurs.Néanmoins,lesser-vices publics qui sont à la disposition de tous sontsans communemesureavec ceuxdes autrespaysdumonde. Que ce soit en termes de santé, d’éducation,de culture, d’infrastructures de transport, d’éner-gie,etc. Oui, en France, l’administration est lourde etsouvent réticente par réflexe, mais il ne tient qu’ànous de la faire évoluer! Les résistances héritées deplusieurs siècles d’histoire ne doivent pas nous faireoublier la chance que nous avons de vivre dans cepays.

Alors nous disons: «Investissez-vous» pour queles choses changent! «Restez», car il y a un potentielde croissance incroyable dans notre pays. «Prenezdes risques», car gérerdes risques, c’est le fondementde l’entreprise. Et pour reprendre les paroles de Nel-sonMandela:«Lecouragen’estpas l’absencedepeur,mais la capacitéde la vaincre.»p

Desjeunesplusinfidèlesauxentreprisesqueles

générationsprécédentes?Pasévident.Plussensiblesàl’intérêt immédiatdeleurtravailqu’auxperspectivesdecarrière?Onnel’apasprouvé.Plusaltruistes?Cen’estpasflagrantnonplus

¶Laurent Giraudest enseignantet chercheur au Centrede rechercheenmanagementde l’Institutd’administration desentreprises de Toulouse(universitéToulouse-I-Capitole)

À CEUX QUINE VOIENTQU’UNEFRANCEQUI GEINT,GROGNE ETRÉCRIMINE,

NOUSRÉPONDONSQU’ELLE ESTUN PAYSDE TALENTS

LaurentGirauduniversité Toulouse-I-Capitole

DavidBrunGrégoirePrévostcofondateurs d’Ityz

¶Pierre-Yves

Gomezest professeur

à l’Ecoledemanagement

de Lyon, directeurde l’Institut

françaisde gouvernement

des entrepriseset président de laSociété françaisedemanagement

JeunesdeFrance,restez-y!Uneterred’opportunitéspourlesstart-up

D’AUTRESDÉBATSSURLEWEB

«Pourquoi les pays émergents resteront au centre de la croissancemondiale»,AlexandreKateb, économiste, auteurdesNouvelles puissancesmondiales. Pourquoiles BRIC changent lemonde (Ellipses, 2011).«La parité au cœur de la réformedes retraites? Une fable qui ne coûte rien…»,Esther Jeffers,membrede l’associationLes économistes atterrés,Huayra Llanque,membred’Attac, et ChristianeMartyde la FondationCopernic.

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S i voushabitezunemaison individuelle,vous avez sûrement été démarchéparune sociétéproposantdespanneauxpho-

tovoltaïquesoudes éoliennesdepignon: danslepremier cas, le commercial vousa dit quel’orientationde votre toit est optimale et quevousallez produirede l’électricité à plein ren-dement.Vous financerez vos panneauxenvendantvotre énergie à EDF; dans le secondcas, votre éolienne tournera commeunmou-lin à vent et vous rendra autosuffisant. Pourdémarrer, vous bénéficierez duprêt d’unorga-nismede crédit associé.

Hélas, les résultatsne suiventpas toujours.Soit les rendementsont été surévalués, soitl’installationa étémal réalisée. Les entreprisesresponsablesse retrouvent souvent en liquida-tion judiciaire, tandisque leurs clients doiventrembourser les crédits associés.Beaucoup fontappel à la justice, sansobtenir gainde cause.

C’est le cas deM.etMmeLemichel dans leVaucluse.Démarchés le 8juin 2009par lasociétéCouverture et énergie solairephotovol-taïque (CESP), ils acceptent demettredes pan-neauxsur le toit de leurmaison,moyennantun crédit associé de 28500euros, fourni par lasociété Sofemo.

Dès le 10juin, sans attendreni le délai derétractationde sept jours ni l’autorisationdelamairie, les techniciensde la CESP viennentlivrer les panneauxphotovoltaïques. Ils fontpressionpour que le couple Lemichel signeun«bonde livraison», qui constitue en fait unordrede libérationdes fondspar l’organismede crédit. Sofemo transfère aussitôt28500euros sur le comptede la CESP.

Or, « livraison»ne signifie pas «fonctionne-ment»: lespanneauxont étéposés sur la toitu-re,maisnon raccordés à l’onduleur qui doit lesfaire fonctionner.Mais la CESP, qui a touchésonpactole, ne se préoccupeplus du chantier.

Enmars2010,M.etMmeLemichel assignentla CESP et Sofemodevant le tribunal de grandeinstanced’Avignon. En 2011, le tribunal annulele contrat qu’ils ont signé avec la CESP, pourvices de forme. Il annule aussi le contrat definancementassocié, comme l’impose le codede la consommation. Tout va bienpour lesLemichel, puisque l’installateurdes panneauxest condamnéà rembourser Sofemoet àremettre leur toiture en l’état.

Mais, entre-temps, laCESPa fait faillite etnepeutexécuter le jugement.Quantà l’organis-mede crédit, il fait appel. Il accuse lesLemichel

d’avoircommisune fauteensignant lebondelivraison,alorsque leur installationnefonction-naitpas. Il les juge responsablesdudéblocageprématurédes fonds, etdemande…qu’ils lesremboursent! C’est envainque l’avocatedesLemichel,MeElisabethHanocq,metencause laresponsabilitéduprêteur: iln’auraitpasdûver-ser les fondssans avoirvérifiéaupréalablequel’installationétait effective. La courd’appeldeNîmesordonneauxépouxderembourser les28500euros, à laplacede laCESP.

Liquidition judiciaireMeHanocq leur conseille de sepourvoir en

cassation: «Il faut que la plushaute juridictiontranche ce point de droit», explique-t-elle.«Eneffet, certaines cours considèrentque le prêteurne commetpas de faute en libérant des fondssur ordre du client; d’autres, au contraire, esti-ment qu’il devrait procéder àune vérification,surtout quand, à la date de signaturedubon,l’installationne peut,matériellement, avoir étéraccordée, les branchementspouvantprendredes semaines.»

Lamêmequestion sepose àproposdeséoliennesdepignon, dont les aigrefinsdupho-tovoltaïquesemblent avoir fait leurnouveaucommerce. Jean-FrançoisL., démarchépar lasociétéPromservicedistribution (Psd13), aacceptéd’en poserune sur lemurde samai-son, elle aussi dans le Vaucluse,moyennant lasommede 14000euros, apportéspar Franfi-nance. Le 9juin 2012, l’éolienne tourne.M.L.signedonc le «bonde livraison».

Mais «tourner» ne signifie pas produire lerendement annoncé.M. L.constatebientôtque l’éolienne consommeplusd’énergie qu’el-

le n’en fournit. «Normal!, explique Jean-Pier-reBrissaud, expert indépendant en énergiesrenouvelables, les éoliennesde pignonont unrendement limité, en raisonde leur faiblealtitu-deainsi quedes turbulencesgénéréespar l’habi-tat auquel elles sont rattachées.»Au lieu de luiéconomiserde 600à 800eurospar an, com-mepromispar Psd13, celle deM. L.devrait luien faire perdre 350.

Finjanvier, Psd13 est placée en liquidationjudiciaire, etM. L.doit rembourser Franfinan-ce.MeHanocq, sonavocate, lui déconseilled’at-taquer l’organismede crédit, du fait qu’il asigné le bonde livraison. Pourquoi la stratégiequi vautpour les panneauxphotovoltaïquesne convient-elle pas auxéoliennes? «Parceque l’éolienneest raccordée le jour de son instal-lation, à la différencedes panneaux», répondl’avocate.

Unpoint de vuequenepartagentniM.Bris-saudniMe JosephCzub, conseil de l’UFC-QuechoisirMartigues.«Il faut attaquer conjointe-ment lemandataire liquidateurde Psd13 etFranfinance, pour annuler le contrat et le créditassocié», estiment-ils.

M.Brissaud jugeque Franfinancea commisune faute endébloquant l’argent sans avoirvérifié aupréalable quePsd13 avait bien faitunedéclarationde travauxenmairie ainsiqu’unedemandede raccordementà ERDF.Celan’a pas été le cas, bienque ces démarchessoient obligatoires.«Puisqu’elle a financé unobjet sans existence légale, sonprêt doit êtreannulé.»Unargumentde bons sens, dont onespèrequ’il convaincra les juridictions.p

http://sosconso.blog.lemonde.fr/

Q uel lienexiste-t-il entre leprixNobeldephysique2013,décernépar l’Académiesué-

doiseaux théoriciensquiontmisau jour lebosondeBrout-Englert-Higgs, et la toutepremière imagepubliée sur Internet en 1992? IlsontencommunleCentreeuro-péenpour la recherchenucléaire(CERN): lebosondoit au labora-toire suisse sapreuveexpérimen-tale, le cliché-pionnierd’avoir ététéléchargésur le site Info.cern.chpar l’ingénieurTimBerners-Lee, leprécurseurduWorldWideWeb.

Cette image, au formatGIF,représente lesmembresdugrou-pe LesHorribles Cernettesdontles chansons «sont fondées surdes plaisanteries sur la physiquedes particules et peu compréhensi-bles pour les non-spécialistes», rap-pelleWikipédia. Les initiales dugroupe, LHC, coïncident avec cel-les du LargeHadronCollider, lepluspuissant accélérateurdepar-ticules aumonde.

Et, en termesd’accélération, lapublicationd’imagessur Interneta connuunessor fulgurant.Cha-que jour, 350millionsdephotogra-phiesviennent recouvrir lesmursvirtuelsdeFacebookqui, depuissesdébutsen2004, aengrangéplusde250milliardsdeclichés.«Facebookreçoitplusdephotosenuneseule journéequecequevouspouvezespérer regarder enunevie»,pointe le sitePosephoto.net.

Les sites d’hébergement,de par-tage et/oudepublicationdepho-tos et d’images sont légion. «Uneimagene veutpas forcémentdireunephoto», souligned’ailleursThierryRoget dans sa liste de cin-quantebanquesd’images gratui-tes qu’il dresse, sansprétendre àl’exhaustivité, sur sonblog«Cock-tailWeb» (bit.ly/GLcZ3t).

Se laisser submergerComment surnagerdans ce flot

continuet noncontenud’imagesaccessibles en ligne?Onpeut, augrédes jours et au fil des naviga-tions, plongerdans les flux et selaisser submergerpar les vaguessuccessives. Se perdre dans lesméandresde la contemplationetdeshyperliens.

Et aussi s’enremettreauxsélec-tionsd’autrui etparcourir leursalbumstelsqueces«40photogra-phiesdupasséquevousdevezabso-lumentvoir» (bit.ly/1fZwqVI): delanageuseet actriceaustralienneAnnetteKellerman,enmaillotdebainunepièce, en 1907,pourdéfendre les droitsdes femmes,auxderniersprisonniersd’Alca-traz, en 1963, enpassantpar levisa-gedeWalterYeo,premierà avoirbénéficiéd’uneopérationdechirurgieplastique, en 1917…

Il n’y a pas photo. Internet estun atout. A tout voir.p

[email protected]

SOS CONSO | CHRONIQUEpar Rafaële Rivais

Commeuneéoliennesansailes

C’EST TOUT NET ! | CHRONIQUEpar Marlène Duretz

Atoutvoir

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PANNEAUXPHOTO-

VOLTAÏQUES,ÉOLIENNESDE PIGNON…

LESRENDEMENTSPEUVENTÊTRE

SURÉVALUÉS

LES INDÉGIVRABLES | par Xavier Gorce

EN VENTE DÈS DEMAIN

© Ward Ivan Rafik pour M Le magazine du Monde