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MARDI 18 FÉVRIER 2020 76 E ANNÉE– N O 23361 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA Coronavirus : la Chine durcit les règles de quarantaine Pour combattre l’épidé- mie, les autorités ont encore renforcé et étendu les mesures de contrôle, qui touchent désormais la moitié de la population La ville de Pékin a été placée sous surveillance maximale, et toute personne entrant dans la capitale est astreinte à 14 jours de quarantaine A Shanghaï et dans les grandes villes, les comités de quartier délivrent des permis d’entrée et de sor- tie, et n’autorisent parfois l’accès qu’aux résidents A Wenzhou, un foyer de la crise, les habitants ne peuvent plus faire de courses ni se faire livrer à domicile. Shiyan s’est décrétée « en guerre » Le Parlement envisage de repousser sa session annuelle, prévue début mars, qui rassemble 2 500 délégués de tout le pays PAGES 6-7 LE REGARD DE PLANTU LE DÉFI D’AGNÈS BUZYN APRÈS L’ABANDON DE BENJAMIN GRIVEAUX Le 16 février, devant le ministère de la santé. GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP Agnès Buzyn a été désignée, dimanche 16 février, par LRM pour mener la cam- pagne des municipa- les à Paris Olivier Véran, député de l’Isère, lui succède au ministère de la santé Récit de ces semai- nes qui ont fait tomber Benjamin Griveaux. Piotr Pavlenski, Alexandra de Taddeo, Juan Branco : le rôle de ces trois protagonistes Points de vue : Faut-il changer la loi sur les réseaux sociaux ? Les politi- ques, entre contrôle et voyeurisme PAGES 8 À 10 – IDÉES PAGE 27 Alstom prêt à acheter Bombardier Transport le groupe tricolore aurait trouvé un accord préliminaire pour reprendre la division ferroviaire du canadien. Selon le Wall Street Jour- nal, l’affaire aurait été conclue ce week-end pour une transaction de plus de 7 milliards de dollars améri- cains. De son côté, l’entreprise fran- çaise a indiqué dans un communi- qué, lundi matin, que « des discus- sions étaient en cours ». Plusieurs sources, en France et au Canada, as- surent au Monde qu’une annonce est imminente. PAGE 16 Le chef de l’Etat doit abor- der, mardi, à Mulhouse, les questions de radicalisa- tion, d’islam politique et de communautarisme PAGES 14-15 Société Macron et la lutte contre le « séparatisme islamiste » Depuis son acquittement par le Sénat dans la procé- dure d’impeachment, le président américain n’hésite pas à faire pression sur l’appareil judiciaire. Il durcit le ton contre ses opposants, écarte les tièdes de son administration et les remplace par des fidèles PAGE 2 Etats-Unis Trump tente d’accroître son pouvoir Retraites A l’Assemblée, les députés s’engagent dans un long marathon PAGE 12 – IDÉES PAGE 28 Culture La scoumoune de Marka, musicien, père d’Angèle et de Roméo Elvis PAGE 23 Cloud Le stockage des données sensibles, enjeu de souveraineté PAGES 18-19 1 ÉDITORIAL LE MAUVAIS EXEMPLE DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE PAGE 30 Offres exceptionnelles dans le plus grand espace tables et chaises de repas à Paris ! Tables extensibles, plateaux laque, bois, verre et céramique, procédés anti-rayures, fabrication française et européenne. CANAPÉS, LITERIE, MOBILIER : 3000 M 2 D’ENVIES ! Tables et chaises : Paris 15 e • 7j/7 • M° Boucicaut 147 rue Saint-Charles, 01 45 75 02 81 63 rue de la Convention, 01 45 77 80 40 Canapés, literie, armoires lits, dressings, gain de place, mobilier contemporain : toutes nos adresses sur www.topper.fr UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Le Monde - 18 02 2020

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MARDI 18 FÉVRIER 202076E ANNÉE– NO 23361

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

Coronavirus : la Chine durcit les règles de quarantaine▶ Pour combattre l’épidé­mie, les autorités ontencore renforcé et étendules mesures de contrôle,qui touchent désormaisla moitié de la population

▶ La ville de Pékin a étéplacée sous surveillancemaximale, et toutepersonne entrant dansla capitale est astreinteà 14 jours de quarantaine

▶ A Shanghaï et dans lesgrandes villes, les comitésde quartier délivrent despermis d’entrée et de sor­tie, et n’autorisent parfoisl’accès qu’aux résidents

▶ A Wenzhou, un foyerde la crise, les habitantsne peuvent plus faire decourses ni se faire livrerà domicile. Shiyan s’estdécrétée « en guerre »

▶ Le Parlement envisagede repousser sa sessionannuelle, prévue débutmars, qui rassemble 2 500délégués de tout le paysPAGES 6-7

LE REGARD DE PLANTU

LE DÉFI D’AGNÈS BUZYN APRÈS L’ABANDON DE BENJAMIN GRIVEAUX

Le 16 février, devant le ministère de la santé. GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

▶ Agnès Buzyn a étédésignée, dimanche16 février, par LRMpour mener la cam­pagne des municipa­les à Paris▶ Olivier Véran,député de l’Isère, luisuccède au ministèrede la santé▶ Récit de ces semai­nes qui ont faittomber BenjaminGriveaux. PiotrPavlenski, Alexandrade Taddeo, JuanBranco : le rôle de cestrois protagonistes▶ Points de vue :Faut­il changer la loisur les réseauxsociaux ? Les politi­ques, entre contrôleet voyeurismePAGES 8 À 10 – IDÉES PAGE 27

Alstom prêt à acheter BombardierTransportle groupe tricolore aurait trouvé un accord préliminaire pourreprendre la division ferroviaire ducanadien. Selon le Wall Street Jour­nal, l’affaire aurait été conclue ce week­end pour une transaction deplus de 7 milliards de dollars améri­cains. De son côté, l’entreprise fran­çaise a indiqué dans un communi­qué, lundi matin, que « des discus­sions étaient en cours ». Plusieurs sources, en France et au Canada, as­surent au Monde qu’une annonce est imminente.

PAGE 16

Le chef de l’Etat doit abor­der, mardi, à Mulhouse, les questions de radicalisa­tion, d’islam politique et de communautarismePAGES 14-15

SociétéMacron et la lutte contre le « séparatisme islamiste »

Depuis son acquittement par le Sénat dans la procé­dure d’impeachment, le président américain n’hésite pas à faire pression sur l’appareil judiciaire. Il durcit le ton contre ses opposants, écarte les tièdes de son administration et les remplace par des fidèlesPAGE 2

Etats­UnisTrump tented’accroîtreson pouvoir

RetraitesA l’Assemblée,les députés s’engagent dans un long marathonPAGE 12 – IDÉES PAGE 28

CultureLa scoumoune de Marka, musicien, père d’Angèle et de Roméo ElvisPAGE 23

CloudLe stockage des données sensibles, enjeu de souveraineté PAGES 18-19

1 ÉDITORIALLE MAUVAIS EXEMPLE DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINEPAGE 30

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Page 2: Le Monde - 18 02 2020

2 | INTERNATIONAL MARDI 18 FÉVRIER 20200123

washington ­ correspondant

D onald Trump exulte.Plus que jamais encampagne pour saréélection, le prési­

dent des Etats­Unis part, lundi17 février, dans l’ouest du pays pour une tournée qu’il va mettre à profit en tenant trois meetings de campagne dans l’Arizona, le Colorado puis le Nevada, à la veillede la primaire démocrate qui s’y tiendra samedi. Donald Trump avait fait de même dans l’Iowa et le New Hampshire et il récidivera en Caroline du Nord le 2 mars, à la

veille d’un Super Tuesday décisif pour la course à l’investiture dé­mocrate. Entre­temps, ce prési­dent si sensible aux chiffres de sespublics aura été gratifié à Ahme­dabad, en Inde, par le premier mi­nistre Narendra Modi, d’une dé­monstration de force des mili­tants de son parti nationaliste.

Libéré de l’affaire ukrainiennedepuis son acquittement par les sénateurs républicains, le 5 fé­vrier, rasséréné par la résilience de l’économie américaine qui nemontre pour l’instant aucun signe de ralenti, même si sacroissance reste inférieure auxpromesses du candidat républi­cain en 2016, Donald Trump affi­che une assurance qui le pousseplus que jamais à mettre àl’épreuve le cadre institutionnel dans lequel sa présidence est théoriquement insérée.

Pétition d’anciens fonctionnairesJeudi 13 février, il a ainsi remis enquestion la pratique qui veut queses appels téléphoniques avecdes dignitaires étrangers soientsuivis en direct par ses con­seillers. « Je pourrais y mettre fin,parfois vingt­cinq personnesécoutent », a­t­il déclaré. L’affaireukrainienne était partie du si­gnalement d’un lanceur d’alerteinformé du marchandage pro­posé par le président américain àson homologue ukrainien, enjuillet 2019 : le déblocage d’uneaide militaire et une invitation àla Maison Blanche, en échanged’enquêtes par Kiev visant desadversaires politiques de DonaldTrump.

La pression se concentre cepen­dant sur le département de la jus­tice. Les interventions publiques de Donald Trump au bénéfice de l’un de ses proches, Roger Stone, accusé d’avoir menti au Congrès et menacé un témoin dans l’af­faire « russe » – les interférences pendant la campagne de 2016 – enont témoigné. Elles ont contraint

l’attorney général des Etats­Unis(ministre de la justice), William Barr, à une mise au point specta­culaire, le 13 février. « Avoir des dé­clarations publiques et des Tweets sur le département, sur les gens du département, les hommes et les femmes qui travaillent ici, sur lesaffaires en cours au sein du dépar­tement et sur les juges devant les­quels nous avons des dossiers fait qu’il m’est impossible de faire montravail et d’assurer aux tribunauxet aux procureurs du département que nous travaillons avec inté­grité », a assuré cet ancien de l’ad­ministration Bush père. « Je nepeux pas faire mon travail ici, au département, avec un commen­taire de fond constant », a­t­il ajouté, soucieux de dissiper l’image d’une justice aux ordres de la Maison Blanche.

Reprenant une citation deWilliam Barr, qui avait assuré que le président ne lui avait jamais de­mandé « de faire quoi que ce soit dans une affaire pénale », DonaldTrump lui a répondu le lende­main que « cela ne veut pas direque je n’ai pas le droit légal de le faire en tant que président. Je l’ai,mais j’ai jusqu’ici choisi de ne pas le faire ! ». Il a le mérite de la cons­tance sur ce point : « Je peux fairetout ce que je veux avec le minis­tère de la justice », avait­il déclaré en décembre 2017, lors d’un entre­tien accordé au New York Times.

La démarche de William Barr n’ad’ailleurs pas convaincu plus d’unmillier d’anciens fonctionnaires du département de la justice. Ses « actes sont malheureusementplus éloquents que ses paroles », ont­ils estimé dans une pétitionrendue publique dimanche. « Les dommages qu’elles ont causés à la réputation d’intégrité du départe­ment de la justice et à l’état de droitobligent M. Barr à démissionner », ont­ils ajouté. Les interventionspubliques du président à propos de Roger Stone, qui sera fixé surson sort jeudi, ne relèvent pas

uniquement de leur vieille com­plicité. Donald Trump ne cachepas sa volonté de réécrire à sa ma­nière l’affaire « russe ». Pour cette raison, il ne cesse de s’en prendre,près d’un an après la remise de son rapport, au procureur spécial Robert Mueller. Ce dernier avait conclu à la réalité de l’interfé­rence russe, mais à l’absence de coordination avec l’équipe de campagne de Donald Trump.Jeudi 13 février, le président amé­ricain a une nouvelle fois dé­noncé « une honte », assurant que cet épisode devrait être « effacé ».

Mise sous tensionLe trouble créé à la justice est comparable à celui suscité au dé­partement d’Etat par la gestionde l’affaire ukrainienne par le se­crétaire d’Etat Mike Pompeo. Cedernier a toujours refusé de dé­fendre publiquement l’ambassa­drice à Kiev mise en cause par lesproches de Donald Trump, limo­gée, puis attaquée par le prési­dent lui­même. Dans les deuxcas, les rouages de l’Etat fédéralont été ou sont mis à l’épreuvepar la pratique du pouvoir de Donald Trump.

Cette mise sous tension inter­vient alors que la garde rappro­chée du président ne cesse de ga­gner en importance. DonaldTrump a ainsi rappelé auprès delui deux éléments essentiels desa campagne de 2016 : son ex­di­

rectrice de la communicationHope Hicks, et son ancien assis­tant John McEntee. La première avait quitté la Maison Blanche en 2018 pour rejoindre la direc­tion de la chaîne conservatrice Fox News, qui compte de nom­breux partisans déclarés de Trump. Le second avait étéévincé brutalement par John Kelly, alors chef de cabinet duprésident, après un problème d’accréditation lié, à l’époque, àsa pratique de paris en ligne.

John McEntee avait alors immé­diatement rejoint l’équipe decampagne de Donald Trump que dirige Brad Parscale. Il y avait cô­toyé le fils aîné du président, Do­nald Jr., la compagne de ce der­nier, Kimberly Guilfoyle, une an­cienne de Fox News, et Lara Trump, l’épouse d’Eric Trump, letroisième enfant du président, qui y sont très actifs. La présenta­tion du plan concernant le conflit israélo­palestinien par son gen­dre Jared Kushner, en janvier, asouligné la prééminence de cedernier à la Maison Blanche. Hope Hicks travaillera d’ailleurssous son autorité. Le président,enfin, ne manque jamais une oc­casion pour louer le travail prêté àsa fille Ivanka, conseillère à son côté, régulièrement créditée de la création de « 14 millions d’em­plois », bien que le total des créa­tions s’élève depuis trois ans à un peu plus de 6 millions d’emplois.

Alors que la course à l’investi­ture démocrate n’a, pour l’ins­tant, pas encore produit la décan­tation espérée par les adversaires de Donald Trump, la passe favora­ble traversée par ce dernier ne l’a pas orienté vers une attitude plus magnanime. Sa longue interven­tion à la Maison Blanche, le 6 fé­vrier, après son acquittement, a été teintée de ressentiment.

Il ne cesse, depuis, d’accabler leseul sénateur républicain à lui avoir fait défaut, Mitt Romney (Utah). Donald Trump a égale­

Donald Trump montre la « une » du « Washington Post » annonçant son acquittement dans la procédure d’impeachment, le 6 février, à la Maison Blanche. JOSHUA ROBERTS/REUTERS

« Il m’est impossibled’assurer

aux tribunaux du département que nous faisons

notre travail avec intégrité »

WILLLIAM BARRattorney general des Etats-Unis

ment vivement attaqué un séna­teur démocrate élu de Virginie­Occidentale et situé à la droite de sa formation, Joe Manchin, dont il espérait un vote en faveur de son acquittement qui aurait pu lui permettre de revendiquer uneexonération bipartisane.

Limogé de façon humilianteDonald Trump s’est aussi montrévirulent à l’encontre de JohnKelly, qui avait pris ses distancesavec certaines de ses décisions, le12 février, lors d’une conférencedans une université du New Jer­sey. L’ancien général des marinesavait notamment exprimé sonsoutien à l’un des anciens con­seillers de Donald Trump, le colo­nel Alexander Vindman. Ce der­nier a été limogé de manière hu­miliante au surlendemain de l’acquittement du président,pour avoir témoigné devant le Congrès dans l’affaire ukrai­nienne. Il s’était alarmé de la te­neur de l’échange téléphonique àl’origine de la mise en accusationdu président. « Il a fait exacte­ment ce que nous leur apprenonsà faire pendant toute leur carrière(…). Il a dit à son chef ce qu’il avaitentendu », a assuré l’ancien chefde cabinet.

Donald Trump a assuré surTwitter qu’il aurait dû se débar­rasser plus tôt de John Kelly, pré­sent à son côté de juillet 2017 à janvier 2019, jugé pas à la hauteur de sa tâche. Un autre limogé, JohnBolton, ancien conseiller à la sé­curité nationale, s’en est ému. « John et moi avons eu parfois desdésaccords, comme c’est courant àce niveau de responsabilités, maisil a toujours servi fidèlement son pays. Les conservateurs doivent re­jeter les attaques sans fondement contre lui », a­t­il écrit sur son compte Twitter. Bien peu de voix se sont élevées dans les rangs ré­publicains, cependant, pour dé­fendre l’ancien général.

gilles paris

Donald Trump tente d’accroître son pouvoirAcquitté dans la procédure d’impeachment, le président américain teste maintenant les limites des institutions

LE PROFIL

William BarrA 69 ans, le républicain William Barr est attorney général (ministre de la justice) depuis février 2019. Avant d’être nommé par Donald Trump, il avait fait un long passage dans le privé, après avoir déjà occupé le poste de procureur général des Etats-Unis, sous l’administration de George Bush, en 1992 et 1993. M. Barr a été critiqué pour sa gestion du rapport Mueller sur les ingérences russes dans la campagne de 2016. Avant la publication du rapport, il en a fait une synthèse qui minimise les soupçons d’obstruction à la justice de la part du président américain. « Personne ne m’obligera à faire quoi que ce soit que je jugerai inapproprié, ni les éditorialistes, ni le Congrès, ni le président », avait-il assuré devant le Sénat, en février 2019.

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Page 3: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 international | 3

A Munich, la faille transatlantique béanteLa conférence sur la sécurité a mis en exergue les différences d’appréciation entre les Etats­Unis et l’Europe

munich ­ envoyés spéciaux

U n mot, et pas desmoindres, était absentdes discours pronon­cés, samedi 15 février,

par les deux plus hauts responsa­bles américains venus défendre les positions de Washington à la tribune de la conférence de Mu­nich sur la sécurité, le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et son collè­gue de la défense, Mark Esper : « Trump ». Après l’expérience, il y a un an à la même tribune, du vi­ce­président Michael Pence, qui avait été accueilli par un silence glacial en invoquant à plusieurs reprises le président américain, MM. Pompeo et Esper, eux, ont préféré éviter de mentionner son nom, ne serait­ce qu’une fois.

C’est dire l’ampleur de la failletransatlantique, de nouveau béante pendant les trois jours de cette conférence qui, chaque an­née depuis un demi­siècle, réunit dans la capitale bavaroise les éli­tes du monde de la défense et de ladiplomatie. Face à des Européens de plus en plus critiques pour lesuns, déroutés pour les autres, de­vant les orientations et les métho­des de la diplomatie américaine, Mike Pompeo a repris les accents triomphants de la guerre froide : « The West is winning » (« L’Occi­dent est victorieux »), a­t­il mar­telé, pour tenter de contrer l’idée choisie par les organisateurs eux­mêmes comme thème de la con­férence, la « disparition de l’Occi­dent » (« Westlessness »).

Menaces« La mort de l’Alliance atlantique aété grossièrement exagérée », a poursuivi le chef de la diplomatieaméricaine, sur la défensive : « Ne vous laissez pas abuser par ceux qui prétendent le contraire. » Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qui l’a précédé à la tribune, a défendu la même ligne,à sa manière : « Il nous arrive de trébucher, mais nous n’avons pas perdu notre chemin », a­t­il assuré.En novembre 2019, Emmanuel Macron avait suscité la polémi­que en affirmant, dans TheEconomist, que l’OTAN était en« état de mort cérébrale ».

Si la défunte Union soviétiquefut le ciment de l’Occident, c’est contre la Chine et ses ambitions « impériales » que les responsablesaméricains tentent à présent de

refaire l’unité occidentale, mise à mal notamment par les divergen­ces sur la façon de gérer le défi du régime iranien. Le secrétaire à la défense a consacré à la menace chinoise la totalité de son inter­vention à Munich, soulignant que « la République populaire de Chine est la préoccupation numéroun du Pentagone ». « Je continue d’insister auprès de mes amis euro­péens : cela devrait être leur préoc­cupation aussi », a­t­il ajouté.

Les différences d’appréciationdu degré de la menace que repré­sente Pékin se sont cristallisées, ces derniers mois, sur la stratégie

à suivre à l’égard de Huawei. Legéant du high­tech chinois veutéquiper l’Europe en technologie 5G, après avoir été exclu par les Etats­Unis. Le Royaume­Uni, qui aouvert un accès limité à Huawei, s’est attiré les foudres de Donald Trump, et plusieurs pays euro­péens semblent prêts à adopter lamême position que Londres.

A Munich, M. Pompeo a qualifiéHuawei de « cheval de Troie des services de renseignement chi­nois ». C’est un des rares points sur lesquels démocrates et répu­blicains sont unis à Washington. Nancy Pelosi, la présidente démo­crate de la Chambre des représen­tants, venue à Munich pour expri­mer son opposition à la politique de repli de l’administration Trump, a défendu la même lignesur Huawei pour mettre en garde les Européens. M. Esper s’est même fait menaçant, laissant en­tendre que les divergences tran­satlantiques sur Huawei ris­quaient de « compromettre l’al­liance la plus efficace de l’histoire, l’OTAN ». La menace s’est faite

plus précise, dimanche soir sur Twitter, par la voix de l’ambassa­deur américain à Berlin, Richard Grenell, qui a indiqué avoir reçuun appel du président Trump lui demandant de diffuser ce mes­sage : « Tout pays qui choisit d’avoir recours à un distributeurnon fiable pour la 5G remettra enquestion notre capacité à partagerles renseignements et l’informa­tion au plus haut niveau. »

Eviter les propos disruptifsDans ce contexte d’une relation transatlantique particulièrement dégradée, et alors que les Bri­tanniques brillaient cette année par leur absence, deux semaines après le Brexit, plusieurs diri­geants européens en ont profité pour appeler leurs partenaires du Vieux Continent à un sursaut. A commencer par Emmanuel Macron, dont c’était la premièrevenue à Munich depuis son élec­tion. Son intervention a com­mencé par un diagnostic diamé­tralement opposé à celui du se­crétaire d’Etat américain. « Il y a

un affaiblissement de l’Occident, a déclaré le président français,samedi matin. Et il y a une politi­que américaine qui est celle d’un repli relatif, en tout cas qui reconsi­dère sa relation avec l’Europe. »

Emmanuel Macron a, cette fois,évité les propos disruptifs, cher­chant davantage à convaincrequ’à provoquer un auditoire ma­joritairement acquis aux idées « atlantistes ». « Nous avons be­soin de l’OTAN très clairement, mais nous avons besoin de cons­truire une capacité propre qui nous donne une crédibilité vis­à­vis du partenaire américain, etdonc une possibilité d’avoir une li­berté d’action », a­t­il expliqué.

Même tonalité à propos de laRussie. Six mois après avoir en­gagé un rapprochement qui a sus­cité beaucoup d’inquiétudes en Europe, notamment à l’Est,M. Macron a tenté de dissiper toutsoupçon de naïveté vis­à­vis de Moscou. « La Russie continuera àessayer de déstabiliser » la vie dé­mocratique d’Etats comme la France, « soit via des acteurs pri­

vés, soit directement via des servi­ces, soit via des “proxies” [intermé­diaires] », a­t­il déclaré, avant d’ajouter : « Des acteurs privés uti­lisent des technologies de “deep fake”, manipulent, pénètrent, dif­fusent de l’information à très grande vitesse de toutes natures,sans traçabilité, dans des systèmes démocratiques hypermédiatisés où tout se sait tout de suite, avec uneffet d’émotion et d’intimidation ».

Convaincu que rien ne peut sefaire en Europe sans un accord en­tre Paris et Berlin, Macron a, une fois de plus, exhorté les Allemandsà être plus ambitieux. « Je n’ai pasde frustrations, j’ai des impatien­ces », a­t­il déclaré, appelant l’Alle­magne à « des réponses claires »afin de donner une nouvelle dyna­mique à l’aventure européenne.

Sur ce point, le président fran­çais a reçu un excellent accueil, mais de la part de responsables al­lemands n’ayant de pouvoir que celui de la parole. A l’instar du pré­sident fédéral, Frank­Walter Stein­meier, qui a appelé son pays à « saisir l’invitation au dialogue [stratégique] » lancé par M. Ma­cron en matière de dissuasion nu­cléaire. De la coprésidente des Verts allemands, Annalena Baer­bock, avec qui il a dîné vendredi soir, et qui, à la tribune, a plaidé pour une Europe beaucoup plus ambitieuse en matière d’investis­sements, faisant écho aux appels du président français. Ou encore du conservateur Armin Laschet (CDU), ministre­président de Rhé­nanie­du­Nord­Westphalie et po­tentiel candidat à la succession de Mme Merkel à la chancellerie :« J’aurais voulu une réponse beau­coup plus vigoureuse et rapide auxpropositions de M. Macron », a­t­il déclaré, n’exprimant de désac­cord avec le président français quesur le budget de la zone euro.

sylvie kauffmannet thomas wieder

Le délicat parrainage des présidences de l’UE à l’heure du « green deal »Des ONG dénoncent les risques de conflit d’intérêts après que la Croatie a choisi deux groupes pétroliers pour soutenir son action ce semestre

bruxelles ­ bureau européen

A l’heure où la Commissionveut faire du « greendeal » sa priorité, le choix

de la Croatie de faire sponsoriser par des compagnies pétrolières sa présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, ce semes­tre, n’a pas manqué de faire polé­mique. Et de relancer les débats sur le financement de cet exercice alors que, tous les six mois, l’un des Vingt­Sept a pour mission d’organiser et de présider les con­seils des ministres européens et autres réunions qui rassemblent les experts des Etats membres.

Zagreb, qui a succédé à Helsinkile 1er janvier, a publié, le 3 février, laliste des entreprises qui aident le pays pour l’occasion. On y trouve, entre autres, les groupes pétroliersINA, détenu par l’Etat croate, et hongrois MOL, qui est « le fournis­seur officiel d’essence ». Un choix très critiqué par les ONG, qui dé­noncent un mélange des genres etpointent un risque de conflit d’in­térêts. « Cela décrédibilise l’engage­

ment de l’Union à mener une ac­tion ambitieuse contre la crise cli­matique et à réduire le recours aux énergies fossiles », juge ainsi Vicky Cann, de Corporate Europe Obser­vatory, un centre de recherche. Avant de poursuivre : « Le sponso­ring des présidences est le symp­tôme d’un mal plus grand, celui d’un Conseil de l’Union européenneassez ouvert aux intérêts indus­triels et aux entreprises qui ont inté­rêt à influencer l’agenda politique. »

Rien d’illégalL’agence de communication 404,à laquelle le gouvernement d’An­drej Plenkovic a eu recours pour l’aider à trouver des mécènes, n’aen tout cas pas hésité à mettre en avant cette proximité. Sur sonsite, l’une de ses consultantes ex­pliquait le fonctionnement des institutions communautaires et « les bénéfices que le secteur privé pourrait tirer de la présidence croate du Conseil de l’Union euro­péenne », évoquant notamment « une occasion unique pour les en­treprises de plaider pour leur cause

et de mieux se placer sur le marchéeuropéen ». « La Croatie est pleine­ment consciente des défis poséspar le changement climatique et souhaite que, durant sa prési­dence, l’Europe se donne les moyens d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 », ré­pond­on à Zagreb, où l’on rappelleque le coût de la présidence est in­tégralement pris en charge par le pays concerné. Et, c’est indénia­ble, tous les Etats membres ne dis­posent pas des mêmes moyens.

La Croatie n’a rien fait d’illégal.Non seulement rien n’interdit aux pays de se faire aider par des entreprises pour financer leur présidence, mais cette pratique n’est pas encadrée et est laissée àleur entière discrétion. Depuis cinq ans, elle est monnaie cou­rante. La Finlande, qui officiait au second semestre 2019, a eu re­cours aux services de BMW. A l’époque, le constructeur auto­mobile allemand, qui a mis à sadisposition une flotte de limousi­nes pour le transport des déléga­tions, était accusé par la Commis­

sion européenne d’ententes illé­gales avec Daimler et Volkswagen pour avoir freiné le développe­ment de systèmes antipollution.

Avant elle, au premier semestre2019, la Roumanie avait égale­ment suscité la critique en faisantappel, notamment, à Coca­Cola. « Lors de rencontres officielles, lesministres étaient accueillis avec boissons gratuites, pubs, poufs rouges affublés du fameux logo…Il s’agissait d’un criant conflit d’in­térêts alors que la malbouffe et l’alimentation, plus particulière­ment la question de l’étiquetage

nutritionnel, figuraient parmi les sujets débattus à l’agenda euro­péen », explique l’ONG Food­watch, qui avait alors saisi la mé­diatrice de l’Union européenne,Emily O’Reilly. Après enquête, cel­le­ci a jugé qu’il était temps que les mœurs changent. Dans ses conclusions, le 6 janvier, elle re­connaît que le parrainage com­mercial « peut nuire à la réputa­tion de l’Union » et estime que les présidences de l’Union doivent être « neutres et impartiales ». Dans ce contexte, elle recom­mande au Conseil européen, et donc aux Etats membres, d’enca­drer ces pratiques.

« Une approche raisonnable »Le Conseil, qui a jusqu’au 6 avril pour répondre à la médiatrice, ré­fléchit à « une approche raisonna­ble » du sponsoring qui permet­trait « d’éviter les conflits d’intérêtset de ne pas abîmer l’image de l’Union européenne ». En clair, Bruxelles pourrait éditer une sorte de guide des bonnes prati­ques. Mais, à moins de changer les

traités, « nous ne pouvons pas obli­ger les Etats membres à suivre des règles contraignantes en la ma­tière », reconnaît­on au Conseil.

La France, qui doit prendre laprésidence de l’Union euro­péenne au premier semestre 2022, n’a pas encore arrêté sa posi­tion sur le sujet. « Nous y réfléchi­rons en temps voulu », confirme un diplomate. Berlin, en revan­che, qui prendra la suite de Zagreble 1er juillet, a déjà fait savoir qu’iln’aurait pas recours à des spon­sors. « C’est une question de trans­parence, d’intégrité et de neutra­lité », explique un diplomate alle­mand, qui précise que de « petites exceptions pourront être faites pour des produits ou des services régionaux ». Ainsi, le gouverne­ment d’Angela Merkel ne s’inter­dit pas de servir à ses hôtes des spécialités locales – que telle ou telle entreprise mettrait gratuite­ment à sa disposition – lorsque, dans le cadre de la présidence, cer­taines réunions européennes se­ront délocalisées en Allemagne.

virginie malingre

« Cela décrédibilisel’engagement

de l’UE à mener uneaction ambitieuse

contre la crise climatique »

VICKY CANNCorporate Europe Observatory

Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, lors de la conférence de Munich, le 15 février. CHRISTOF STACHE/AFP

Pour M. Macron,« la Russie

continuera à essayer de

déstabiliser » lavie démocratique

d’Etats comme la France

Mike Pompeo aqualifié Huawei

de « cheval de Troie des services de

renseignementchinois »

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Page 4: Le Monde - 18 02 2020

4 | international MARDI 18 FÉVRIER 20200123

Au Mexique, « aucune femme n’est à l’abri »Le meurtre d’Ingrid Escamilla, mutilée par son compagnon, provoque la colère des Mexicaines

mexico ­ correspondance

P as une de plus ! » C’est lecri lancé par des centai­nes de Mexicaines quiont défilé à travers le

pays, samedi 15 février, en réac­tion au meurtre barbare d’Ingrid Escamilla, 25 ans, tuée et dépecée une semaine plus tôt dans la capi­tale. Par leur mobilisation, elles dénoncent aussi l’incurie desautorités dans un pays où pres­que trois femmes sont assassi­nées chaque jour. Au son des tam­bours, les manifestantes ont mar­ché le visage souvent masqué par des cagoules noires ou des fou­lards verts. « On cache notre iden­tité par peur des représailles », confie l’une des membres du col­lectif féministe No las olvidamos(« on ne les oublie pas »). Cette productrice culturelle de 36 ans se dit « encore sous le choc dumeurtre sauvage d’Ingrid ».

Le corps de la jeune femme a étédécouvert le 9 février dans un ap­partement du nord de la capitale. La victime a été poignardée puis éventrée par son compagnon, un ingénieur de vingt et un ans son aîné. Ce dernier lui a ensuite arraché les organes, avant d’en jeter certains dans les toilettes. « Aucune femme n’est à l’abri ! », soupire Bereniza Gonzalez, 20 ans, qui brandit le portrait de sacousine Brenda. « Elle a été tuée par son fiancé, mercredi 12 février, à Ecatepec dans la banlieue de Mexico », raconte­t­elle la gorge

serrée. C’est l’un des derniers fémi­nicides d’une liste morbide à ral­longe : 1 006 femmes ont été tuéesen 2019, un chiffre en hausse de 145 % depuis 2015, selon les autori­tés. La plupart ont été assassinéespar un proche. « On dort avec l’en­nemi », soupire Bereniza Gonzalez.

A côté, Veronica, étudiante de24 ans, arbore un maquillage qui couvre son visage et ses bras de faux hématomes. « Le cas d’Ingrid est emblématique de la crise quenous vivons toutes, raconte la jeune femme, venue déposer desfleurs au pied de l’autel dressé en l’honneur de la victime devant le lieu du crime. Son corps a non seu­lement été mutilé par son bourreaumais les détails de cette barbarie ont été rendus publics, le lende­main, par des journaux. C’est de l’apologie de la violence machiste. »Les clichés du cadavre d’Ingrid Escamilla, pris probablement par des policiers ou des médecins lé­gistes, ont été publiés en « une » deplusieurs tabloïds. La vidéo des confessions de son assassin, le torse taché de sang, a largement circulé sur les réseaux sociaux.

Porter plainte « ne sert à rien »Si les manifestantes ont rendu hommage à la jeune femme dans le calme samedi à Mexico et dans sept autres Etats, elles avaient ex­primé leur colère la veille devant lesiège de La Prensa, dans le centre de la capitale. Trois véhicules ap­partenant au quotidien à sensa­tion ont été saccagés puis incen­

diés face au refus du directeur du journal de présenter des excuses publiques. « L’intégrité de la vic­time a été violée, condamne Sio­mara, 23 ans, courtière en assu­rances. L’extrême violence ma­chiste ne peut pas être un produit de consommation. Que représen­tent quelques vitres cassées face aux blessures provoquées par les violences de genre commises entoute impunité ? »

Six Mexicaines sur dix de plus de15 ans ont subi des agressions phy­siques ou sexuelles, selon l’Institutnational des statistiques (Inegi). Mais 88 % d’entre elles confient nepas les avoir dénoncées auprès desautorités. « Ça ne sert à rien », juge Siomara en réajustant son ban­deau vert, couleur du combat pourle droit à l’avortement, légal seu­lement à Mexico et dans l’Etat de Oaxaca (sud­ouest). La jeune

femme, qui porte aussi le foulard violet, emblème des féministes, a fait elle­même les frais des failles de la justice : « J’ai échappé de jus­tesse, l’année dernière, à une tenta­tive d’enlèvement à la sortie d’une station de métro. Quand j’ai porté plainte, les policiers m’ont reproché de ne pas être accompagnée et de porter une tenue provocante. » Sa plainte est restée lettre morte.

Les manifestantes se sont aussirassemblées vendredi devant le Palais présidentiel pour exiger que le président, Andres ManuelLopez Obrador, agisse contre le fléau des féminicides. « AMLO » ne les a pas reçues, mais a assuré qu’il ne faisait « pas la politique del’autruche ». Quant à la ministre de l’intérieur, Olga SanchezCordero, elle a confirmé sur son compte Twitter que « l’agenda[des revendications] des femmes

était une des priorités du gouver­nement ». Elle a aussi promis des « sanctions contre les respon­sables de la diffusion » des images du crime d’Ingrid Escamilla, etune enquête a été ouverte. A Mexico, les autorités ont déposéun projet de loi au congrès local prévoyant des peines de huit à seize ans de prison pour la divul­gation de scènes de féminicides.

Les critiques contre le présidentde gauche se multiplient, les aler­tes contre les violences de genre émises dans 18 des 32 Etats mexi­cains n’ayant pas permis de contrer l’hécatombe. A Mexico, la mobilisation déclarée en novem­bre 2019 par la mairie prévoit la création d’un ministère publicconsacré aux féminicides. De­puis, aucun budget ni responsa­ble n’ont encore été désignés.

« Mes amies me protègent, pasles policiers ! », scandaient samedi les manifestantes. Un slogan révélateur des défaillances desautorités, de l’ultraviolence ma­chiste et des dérives médiatiques. Autant d’ingrédients d’un cock­tail mortifère qui place le Mexi­que en tête des pays les plusmeurtriers du continent améri­cain pour les femmes.

frédéric saliba

La Grèce durcit encore sa politique migratoireFace à une situation de plus en plus tendue, le gouvernement conservateur projette d’installer une barrière flottante en mer Egée

athènes ­ correspondance

A u printemps, un murflottant long de 3 kilo­mètres et haut de 1 mè­

tre pourrait s’ériger au large del’île de Lesbos. « Tous les moyenssont bons pour aider à protéger

taires sont déplorables, les bagar­res entre migrants se multiplientet l’hostilité des locaux ne fait quegrandir », constate EpaminondasFarmakis, le directeur de l’ONGHumanRights360.

Pris de court par cette situationexplosive, le gouvernement grec a lancé un appel d’offres publié par le ministère de la défense, le 29 janvier, pour un « système de protection flottant » d’une « lon­gueur de 2,7 kilomètres » et d’une « hauteur de 1,10 mètre » (dont 50 centimètres au­dessus du niveau de la mer), équipé de feux clignotants, afin de « gérer le flux migratoire qui ne cesse d’aug­menter ». Cette barrière flottante serait installée au nord de l’île de Lesbos où débarquent désor­

mais le plus grand nombre de ré­fugiés dans le pays.

Le budget total comprenantconception, installation et main­tenance pour quatre ans est de500 000 euros, sans financementeuropéen. En 2012, la Grèce avait déjà érigé un mur d’environ 12 ki­lomètres de long sur la frontièreterrestre avec la Turquie, dans larégion de l’Evros. Les passeurs avaient alors redirigé les mi­grants vers les îles de la mer Egée – le pic d’arrivées, lorsque plus de 875 000 migrants ont traversé laGrèce, a été constaté en 2015.

Cette barrière en pleine mer asuscité de vives réactions de la part des ONG et de l’opposition. « Ce plan soulève des questionspréoccupantes sur la possibilité

pour les sauveteurs de continuerd’apporter leur aide salvatrice aux personnes qui tentent la dange­reuse traversée par la mer jusqu’à Lesbos », estime Massimo Mo­ratti, directeur des recherches pour le bureau européen d’Am­nesty International. Pour Epami­nondas Farmakis, le gouverne­ment va à l’encontre du droit in­ternational : « La grande majorité des réfugiés qui arrivent sur les îlesviennent de pays en guerre et ne peuvent pas être refoulés, selon laConvention de Genève. »

Le parti de l’ex­premier minis­tre de gauche Alexis Tsipras,Syriza, accuse le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis de mettreen place des « politiques à laOrban ou à la Salvini » : « Cettebarrière flottante est plus un ca­deau aux constructeurs qu’unevéritable solution. » Le gouver­neur du nord de la mer Egée,Kostas Moutzouris, a affiché sonscepticisme : « Ils vont placer unebarrière flottante de 2,7 kilomè­tres alors que la côte orientale deLesbos est d’environ 40 kilomè­tres. C’est ridicule ! »

Colère des habitantsUne nouvelle annonce du gou­vernement inquiète les habi­tants : la saisie de propriétéspour la construction de centresfermés sur les îles de la mer Egée,« des champs abandonnés, pourlesquels les propriétaires vont recevoir une compensation deloyer », selon le ministre des mi­grations, Notis Mitarachi. Mais

Manifestation contre les féminicides, le 14 février, à Mexico. GINNETTE RIQUELME/AP

GRÈCE TURQUIEGRÈCEGRÈCEGRÈCEGRÈCEGRÈCE TURQUIETURQUIETURQUIETURQUIETURQUIETURQUIETURQUIETURQUIE

Arrivées de migrants en Grèce par la mer, depuis le 1er janvier 2020*

Source : HCRInfographie : Le Monde

Lesbos2 034Chios164

Samos693

2017 2018 2019 2020*

29 718 32 494

Lesbos

59 726

2 034Chios164

Samos693

Autres îles654

3 545

* au 9 février

cette décision n’a fait qu’attiser la colère des habitants des îlesqui manifestent déjà depuisplusieurs mois en réclamant letransfert rapide des demandeursd’asile vers le continent. Leconseil municipal de Lesbos, lui, a décidé de mettre en place despatrouilles d’habitants autour dela zone où doit être construit leprochain camp et envisage de saisir le Conseil d’Etat.

« La barrière flottante s’inscritdans une communication du gouvernement visant à séduire les électeurs d’extrême droite, mais ce discours conforte aussi les actions violentes contre les réfugiés »,soutient Epaminondas Farmakis, de HumanRights360.

La police grecque a égalementinterpellé sept individus suspec­tés de préparer des attaquescontre les migrants à proximitédu camp de Moria. D’après cer­tains médias grecs, des groupes de jeunes voulant assurer la sé­curité des habitants de l’île circu­laient avec des battes de base­ball pour chasser les réfugiés qui setrouvaient sur leur chemin.

« De nombreux cas de violencescontre des travailleurs d’ONG, des volontaires et des deman­deurs d’asile ont été enregistrésdans le village de Moria, a dé­noncé MSF à la suite de l’intimi­dation d’un de leur médecin.Pour combien de temps encorele gouvernement va­t­il ignorerces incidents violents dans les îlesdu nord de la mer Egée ? »

marina rafenberg

les frontières de la Grèce et del’Europe », a expliqué le porte­pa­role du gouvernement grec,Stelios Petsas, justifiant le dur­cissement de la politique mi­gratoire de la Grèce.

Depuis son élection, enjuillet 2019, le premier ministreconservateur, Kyriakos Mitsota­kis, a durci la politique migra­toire grecque : 400 patrouilleurssupplémentaires ont été dé­ployés au large des îles voisinesavec la Turquie, une nouvelle loi sur le droit d’asile a été votée,permettant notamment d’aug­menter les durées de détentionpermises pour les demandeursd’asile et d’accélérer les renvois vers la Turquie des candidatsdéboutés, tandis que l’accès à la santé des réfugiés a été renduplus difficile…

« C’est ridicule »Pour la première fois depuis2016, la Grèce est redevenue,en 2019, la principale porte d’en­trée des migrants en Europe. Selon le Haut­Commissariat des Nations unies pour les réfugiés(HCR), plus de 41 000 deman­deurs d’asile se trouvent actuel­lement sur les îles du nord de lamer Egée (Lesbos, Samos, Chios, Kos, Leros) dans des campsconçus pour accueillir 6 200 per­sonnes. « A l’été 2019, moins de7 000 personnes se trouvaient dans le centre de réception de Mo­ria, à Lesbos, désormais ils sontplus de 20 000. C’est une bombe àretardement, les conditions sani­

Au total, 1 006 féminicides

ont été enregistrésen 2019

au Mexique, en hausse de 145 %

depuis 2015

Avis de convocation àl’assemblée des créanciers

Devant la Cour suprême de GibraltarNuméro de procédure : 2019/COMP/002

Elite Insurance Company Limited(Objet d’une procédure

d’administration)Numéro de l’entreprise : 91111

Siège social : Suite 23, Portland Road,Glacis Road, Gibraltar

AVIS EST PAR LA PRÉSENTE DONNÉqu’une assemblée des créanciers setiendra chez PricewaterhouseCoopersLimited, 327 Main Street, Gibraltar, levendredi 3 avril 2020 à 13 heures (CET).Il s’agit d’une première assemblée descréanciers convoquée par lesadministrateurs en vertu de la section80(1) de la loi sur l’insolvabilité de 2011.Pour avoir le droit de vote, les créanciersdoivent remettre leurs procurations et leurscréances à Clare Davison,PricewaterhouseCoopers LLP, CentralSquare, 29 Wellington Street, Leeds, LS14DL, Royaume-Uni, avant 16h00 le jourouvrable précédant l’assemblée.Administrateurs conjoints : EdgarLavarello (IP No. FSC0001IPA),PricewaterhouseCoopers Limited, 327Main Street, Gibraltar et Dan YoramSchwarzmann (IP No.8912),PricewaterhouseCoopers LLP, 1Embankment Place, Londres, WC2N 6RH,Royaume-Uni.Date de nomination des administrateursconjoints : 11 décembre 2019Adresse électronique de contact :[email protected]

E Lavarello et D Y SchwarzmannAdministrateurs conjoints :

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Page 5: Le Monde - 18 02 2020

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6 | PLANÈTE MARDI 18 FÉVRIER 20200123

« Ils ont tout fermé » : la Chine durcit les règles de confinementLes déplacements au sein du pays et des villes sont fortement limités. Pékin impose une quarantaine de 14 jours à toute personne entrant dans la capitale

shanghaï, pékin ­ correspondants

L e paradoxe est detaille. Officiellement,les chiffres concer­nant l’évolution dunouveau coronavirus– désormais appelé

SARS­CoV­2 – sont encourageants et les responsables chinois con­fiants. « On peut déjà voir les effetsde la prévention et du contrôle de l’épidémie dans diverses parties dupays », a indiqué dimanche 16 fé­vrier Mi Feng, le porte­parole de lacommission nationale de la santé. Lundi, la commission na­tionale de la santé a fait état de2 048 nouveaux cas – contre 2 009 annoncés la veille – dont 115hors du Hubei, l’épicentre de l’épi­démie. Ce dernier chiffre baisse régulièrement depuis le 3 février.

Pourtant, dans le même temps,les autorités chinoises, dans tout le pays et à tous les niveaux, multi­plient et renforcent les mesures li­mitant au strict minimum les dé­placements. Autant d’initiatives qui finissent par engendrer une paralysie du pays mais aussi par­fois un sentiment de chaos. Ainsi, vendredi, la mairie de Pékin an­nonçait que toute personne en­trant dans la capitale devait être soumise à quarantaine durant quatorze jours. Une mesure desti­née à limiter le retour d’environ 6 millions de Pékinois qui ne sont pas encore revenus depuis les fêtes du Nouvel An lunaire.

Principale conséquence decette quarantaine, le Parlement envisage de repousser sa sessionannuelle, principal moment de lavie politique chinoise, qui réunitenviron 2 500 délégués habituel­lement la première quinzaine de

mars. Ce report, qui doit être acté formellement le 24 février, cons­tituerait une première depuis plusieurs décennies. Mais nuln’imagine les responsables poli­tiques régionaux quitter si long­temps leurs provinces en ces temps de crise aiguë.

Par ailleurs, la quarantaine s’ap­plique aux personnes venant de l’étranger. Après trois jours d’in­certitudes, le ministère des affai­res étrangères de la ville de Pékinl’a confirmé lundi oralement. Même si la grande majorité des compagnies aériennes étrangères ont cessé de desservir la Chine, l’enjeu est de taille. Ainsi, les expa­triés rentrés en France en attendant la réouverture du lycée français de Pékin, prévue le 23 mars, devraient revenir qua­torze jours plus tôt.

DÉSORDRE COMPLETCe qui semble clair, c’est que les mesures de contrôle se sont en­core renforcées depuis vendredi.Mais, comme beaucoup dépend des comités de quartier, la situa­tion évolue d’une résidence àl’autre. Dans telle résidence, seulsles habitants sont autorisés à en­trer ; dans une autre, les sortiessont limitées à trois par semaine et par famille ; dans une troi­sième, les visites sont encore pos­sibles. Cette situation chaotique se retrouve dans tout le pays.

A Shanghaï, le désordre estcomplet. Depuis vendredi, la plu­part des résidences délivrent des « permis d’entrée et de sortie » mais, là encore, les règles varient. En général, un tel document per­met d’aller et venir librement, mais un Français habitant une ré­sidence du centre s’est vu remet­

tre un permis muni d’un code QRdonnant droit à deux allées et ve­nues par jour : « En pratique, c’est assez peu vérifié. Je n’ai pas besoin de le scanner, mais je montre le pa­pier aux gardiens, ce qui me donnedroit à un hochement de tête ap­probateur », relate cet expatrié.

Un homme d’affaires allemandrésidant à Shanghaï aurait été placé en quarantaine pour deux semaines au Xinjiang, où il s’étaitrendu pour une réunion de quel­ques heures. Et, après son retour, il devra théoriquement être ànouveau placé en quarantaine à Shanghaï. Dans certaines villes, seuls les résidents permanents ont le droit d’entrer. Ceux qui viennent voir des proches ou avaient une réservation d’hôtel doivent faire demi­tour.

A Wenzhou, à 400 km au sud deShanghaï, les habitants n’ont plusle droit de sortir du tout. Danscertains villages les plus touchés, les maisons ont même été fer­mées par des scellés en papier. Les membres des comités de quartier passent distribuer desvivres par la fenêtre, raconte un habitant de Xitang, petit villagede Yueqing, le comté qui compte le plus de cas à Wenzhou. « Au dé­but, on avait le droit de sortir une fois tous les deux jours, mais maintenant on n’a plus le droit du tout. Il y a eu beaucoup de casdans notre village, raconte cet ha­bitant qui a préféré garder l’ano­nymat. Je ne sais pas exactement combien, ils ne nous disent pas, mais plusieurs dizaines au moins : tous des gens qui travaillent à Wuhan. C’est pour cela que le gou­vernement est très sévère. Le gouvernement de Wenzhou fait bien les choses au moins ! Si les

autorités de Wuhan avaient réagi plus vite, tout le pays ne serait pas paralysé comme ça. »

A Wuhan, épicentre de la criseoù les autorités ont encore le plusgrand mal à maîtriser la situation,les habitants n’ont plus le droit desortir de chez eux. « C’est de pire en pire : maintenant, les livreurs derepas ne peuvent plus venir et on n’a plus le droit de sortir pour faire les courses, se désole Shiqi, une trentenaire. Pour l’instant, ils ontsimplement tout fermé, ils gardentl’entrée des résidences, ils ont éta­bli un barrage à l’entrée de la rue. Je ne sais pas comment on va pou­voir manger. Ils ne nous ont pas expliqué comment on allait être

ravitaillés », s’inquiète­t­elle. Oli­via, une autre jeune femme habi­tant à Shanghaï mais rentrée àWuhan pour le Nouvel An chi­nois, ronge son frein. « Cela fait des semaines que je ne suis pas sortie de chez moi. Avant, on pou­vait sortir faire les courses tous les trois jours, mais mes parents ne voulaient pas que je sorte. Mainte­nant c’est interdit. J’en ai plus qu’assez. Au moins, depuis une se­maine, j’ai repris le travail, à dis­tance, ça m’occupe. »

EN ÉTAT DE GUERRELe Hubei, où de nombreux mili­taires ont été envoyés pour aiderles équipes médicales locales,s’estime en état de guerre etimpose une quarantaine à toutepersonne présentant la moindrefièvre. Dans cette province de56 millions d’habitants, lacirculation de véhicules privésest désormais interdite.

Déjà, vendredi, le Global Timesannonçait qu’un arrondisse­ment de la ville de Shiyan, dans le Hubei, avait pris les devantsen se déclarant officiellement« en guerre ». Résultat : nul n’ale droit de sortir de chez soidurant deux semaines. Les dis­tricts voisins se chargent d’ali­

menter la population, un « ser­vice » d’ailleurs payant.

Autre exemple dans le Yunnan,dans le sud­ouest du pays, où la ville de Dali a également instauré une quarantaine. Nul étranger à lacommune ne peut y entrer et les habitants ne peuvent sortir qu’une fois par jour de chez eux. Leurs déplacements sont enregis­trés par l’intermédiaire d’un QR code. La ville avait fait parler d’elledébut février en s’appropriant plusieurs centaines de boîtes de masques qui transitaient par la commune mais étaient destinéesà Chongqing, mégapole située à lalisière du Hubei. Une anecdote ré­vélatrice du « chacun pour soi » qui règne en ce moment en Chine.

Selon le New York Times, environ760 millions de Chinois sont sou­mis à des restrictions de déplace­ment. Ces derniers jours, le prési­dent Xi Jinping a réaffirmé que la lutte contre l’épidémie ne devait pas paralyser le pays et remettre en question les objectifs de crois­sance affichés. Mais, manifeste­ment, les responsables politiques continuent, à tous les niveaux, demettre l’accent sur la lutte contre la propagation du virus.

frédéric lemaître et simon leplâtre

« C’EST DE PIRE EN PIRE : MAINTENANT, LES LIVREURS DE REPAS 

NE PEUVENT PLUS VENIR, ET ON N’A PLUS LE DROIT 

DE SORTIR POUR FAIRE LES COURSES »

SHIQIhabitante de Wuhan

Dans une station de métro de Shanghaï, le 16 février. ALY SONG/REUTERS

Le Japon critiqué pour sa gestion de l’épidémie de Covid­19L’Archipel est le deuxième pays le plus touché par le coronavirus. Les mesures tardives du gouvernement sont mises en cause

tokyo ­ correspondance

U ne communication déficiente etdes mesures tardives voire dis­cutables fragilisent le Japon face

à l’épidémie de pneumonie virale Covid­19. Lundi 17 février, deux avions af­frétés par les Etats­Unis ont quitté l’Archi­pel avec, à bord, 380 passagers du ferry Diamond­Princess. Washington a jugé queles conditions à bord du navire amarré auport de Yokohama, au sud de Tokyo, exa­cerbaient les risques de contagion au lieu de les réduire. Faisant le même constat, d’autres pays – le Canada, l’Italie ou en­core Taïwan et la Corée du Sud – vont éga­lement évacuer leurs ressortissants du ferry immobilisé depuis le 3 février.

Ces décisions traduisent une défianceenvers la gestion de la crise par le Japon.Les autorités sanitaires nippones avaientdétecté le 16 février 355 cas de coronavi­rus – dont un Français de 80 ans – à bord du ferry, mais n’avaient contrôlé que

1 200 des 3 700 passagers et membres d’équipage, en raison d’un manque demoyens et de personnel. La fin de la qua­rantaine est prévue pour le 19 février mais les personnes encore à bord ne de­vraient pouvoir quitter le navire qu’à par­tir du 21, après de nouveaux tests.

Centres d’appels débordésLa situation n’a rien de rassurant dans un pays qui totalise – en incluant ceux du Diamond­Princess – 408 cas, dont un décès. Chaque jour, de nouveaux maladessont signalés, avec parfois une impossibi­lité de définir la voie de contamination. Lenombre de cas place le Japon en deuxième position des pays les plus tou­chés, derrière la Chine. Cité par l’agencede presse Kyodo, Takaji Wakita, le chef de l’Institut national des maladies infectieu­ses, estime que « la situation actuelle re­présente le début d’une épidémie natio­nale » et « pourrait s’aggraver ». Koji Wada,spécialiste de santé publique, redoute une

« contamination des personnes bien au­delà des groupes de patients identifiés ».

Le ministre de la santé, Katsunobu Kato,a reconnu dimanche qu’il fallait « s’atten­dre à une propagation des contamina­tions ». Le gouvernement a débloqué des fonds et demandé aux entreprises de fa­voriser le télétravail. Contrairement aux attentes du ministère de la santé, il a néan­moins refusé d’élever son niveau d’alerteà celui d’une épidémie en évolution ra­pide. Une telle décision aurait permis de renforcer les contrôles et les moyens pourtraiter les malades, voire de rassurer une population de plus en plus inquiète.

Les centres d’appels pour consultationsont débordés. Il y a pénurie de masques. L’accès aux tests reste très encadré, mêmes’il a été assoupli. Il faut attendre quatre jours après l’apparition de symptômes pour se rendre à l’hôpital. Il fallait aupara­vant justifier d’un contact avec une per­sonne passée par Wuhan, ville chinoise où le coronavirus a fait son apparition.

La confiance dans les autorités se délite,le taux de soutien du premier ministre, Shinzo Abe, ayant perdu en un mois huit points pour passer sous les 40 %, selonune enquête des 15 et 16 février de la chaîne Asahi. Le gouvernement paye une gestion contestée de la crise, qui n’est pas sans rappeler celle de la catastrophe nu­cléaire de Fukushima de 2011, quand l’ad­ministration avait alors tout fait pour mi­nimiser la gravité de la situation.

Cette fois, le Japon a commencé par lais­ser les 206 premiers ressortissants rapa­triés le 29 janvier de Wuhan rentrer chez eux en se contentant de leur demander dene pas sortir pendant deux semaines, alors que les autres pays les plaçaient en quarantaine dans des structures isolées. Critiqué, il a rapidement changé d’avis et les rapatriés ont été logés dans des instal­lations isolées. Il n’a par la suite annoncé des mesures « d’urgence » que le 6 février.

Depuis le début, l’administration Abesemble plus préoccupée par l’image du Ja­

pon, qui attend la venue en avril du prési­dent chinois, Xi Jinping, et qui accueille lesJeux olympiques en juillet. Il a demandé le6 février aux médias japonais et à l’Orga­nisation mondiale de la santé (OMS) de nepas comptabiliser les cas observés sur le Diamond­Princess comme des cas du Ja­pon. Un don de 10 millions de dollars à l’OMS pour lutter contre le coronavirus a opportunément été fait le même jour.

D’après le quotidien Nikkan Gendai, legouvernement redoute de voir le Japon soumis à des restrictions à l’immigra­tion. La Micronésie, Etat du Pacifique, a interdit le 5 février l’entrée sur son terri­toire aux personnes venues de l’Archipel.

Enfin, l’accueil du public dans les jardinsdu palais pour l’anniversaire du nouvelempereur Naruhito le 23 février a été an­nulé, a annoncé lundi la Maison impé­riale. Dimanche le gouvernement japo­nais avait appelé la population à éviter les rassemblements « non indispensables ».

philippe mesmer

C O R O N AV I R U S

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Page 7: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 planète | 7

Les échanges universitaires entre la France et la Chine perturbésLe pays accueille près de 11 000 étudiants français, dont une bonne part à Shanghaï, et en envoie 28 000 dans l’Hexagone

L e 13 janvier se tenait engrande pompe à Bordeauxla cérémonie de parrainage

de la nouvelle promotion de l’Ins­titut franco­chinois créé par l’école de commerce Kedge avec l’université Renmin du Peuple de Chine, à Pékin, pour former desétudiants chinois francophones.Un profil très prisé par des grou­pes comme L’Oréal – parrain de lapromotion de cette année –, pour qui « les “millennials” chinois apportent une vision inédite ».

Moins d’un mois plus tard,Kedge fait savoir qu’elle préfère « ne pas du tout communiquer sur les questions liées de près ou deloin au coronavirus ». Toutes lesécoles et universités françaisesprésentes en Chine ne pratiquent pas le même « couvre­feu » mé­diatique. Mais toutes marchentsur des œufs. « Nous sommes très attentifs à la continuité de nos re­lations avec nos partenaires chi­nois », dit Benjamin Morisse, ledirecteur des programmes del’Ecole supérieure des sciences commerciales d’Angers (Essca), installée à Shanghaï depuis2007. Des partenaires très sour­cilleux sur l’attitude des Occiden­taux quant à cette crise. D’autantplus en ce qui concerne l’ensei­gnement supérieur, l’un des fersde lance du « soft power » déployépar le président Xi Jinping.

Le campus local de l’Essca a étéfermé jusqu’à début mars sur décision de la municipalité de Shanghaï. Parmi ses 250 élèves, « seule une moitié a exprimé le sou­hait de rentrer en Europe pour évi­ter le confinement qui leur est im­posé sur place ». Les autres ont pré­féré rester « parfois contre l’avis de leur famille », révèle M. Morisse. La centaine déjà rentrée en France, enBelgique, aux Pays­Bas est sous observation, mais pas en quaran­taine proprement dite. « Shanghaï est loin de l’épicentre de Wuhan », tient à rassurer le directeur des programmes. Ce qui n’empêche pas les rapatriés de « respecter, par principe de précaution, une période

de retrait de quatorze jours avant de pouvoir se rendre sur l’un des campus de l’école, en France ou en Europe ». Quant aux 120 étudiants chinois qui ont commencé leur se­mestre le 6 janvier en France, « aucun n’est parti pour le Nouvel An lunaire, ils sont tous restés ici ».

A Nantes, Audencia dit être « encontact permanent » avec ses ex­patriés, « sachant qu’il n’y en a pasdans la région de Wuhan ». Les étudiants, membres du person­nel et professeurs qui ont sé­journé ou ont été en contact avec des personnes ayant voyagé dans la province du Hubei « font l’objet d’une dispense scolaire pour une durée de quatorze jours ».

Stratégie « pas remise en cause »A l’université de technologie de Troyes (UTT), où la rentrée du se­cond semestre doit avoir lieu le 24 février, « tous les départs vers laChine ont été suspendus. Celaconcerne une cinquantaine de per­sonnes ». Une cellule de veille fait « un point quotidien sur l’évolu­tion de la situation ». A ce stade, le coronavirus « ne remet pas en cause notre stratégie en Chine ». Une stratégie de grande ampleur, déployée avec ses deux homolo­gues de Compiègne (UTC) et de Belfort­Montbéliard (UTBM), pourformer chaque année quelque 1 300 étudiants, chinois, euro­péens et français, au sein de l’uni­versité de technologie sino­euro­péenne de l’université de Shan­ghaï (UTSEUS), fondée en 2006.

La crise sanitaire va­t­ellegripper la mécanique d’échanges

universitaires franco­chinois ?L’heure est dans l’immédiat aux mesures d’urgence. Mais à moyenterme, reconnaissent à mi­voixplusieurs observateurs français,la question de la Chine commedestination phare et partenaire universitaire incontournable ris­que de se poser.

En Chine, le ministère de l’édu­cation décomptait 10 700 étu­diants français en 2018 (sur un to­tal affiché de 492 000 étudiants étrangers). A l’heure de la mondia­lisation à l’anglo­saxonne de l’en­seignement supérieur, et de la montée en puissance des « étu­diants voyageurs » (2 % de la popu­lation étudiante mondiale d’ici à 2025), la France est une alternativetrès prisée. Même si elle n’est que le huitième pays d’accueil des étu­diants chinois (28 436 inscrits en 2018­2019, dont un quart enécoles de commerce), nul n’oublieque plus de 2 000 jeunes Chinois vinrent y étudier au lendemain dela Grande Guerre, dont un certain Zhou Enlai, le bras droit de Mao.

Les grandes écoles françaises fu­rent parmi les premières à misersur la Chine, s’installant en prio­rité du côté de Shanghaï, la capi­tale financière du pays. Maigreconsolation, l’un des enseigne­ments positifs de la situation ac­tuelle est l’expérimentation à grande échelle de nouvelles tech­nologies de pédagogie à distance pour limiter la casse dans le dé­roulement des cursus. Ainsi dusystème Teams de Microsoft ou de la plate­forme Moodle dé­ployés à l’Essca pour permettre, tant aux étudiants restés surplace à leur demande qu’à leurscamarades rapatriés, de conti­nuer à travailler ensemble grâce à des visioconférences. « Des tech­nologies que nous avions utilisées en France au moment des grèves de décembre 2019 pour nos étu­diants en alternance qui avaient du mal à se déplacer entre leurs entreprises et les campus », préciseBenjamin Morisse.

pascal galinier

Un octogénaire chinois mort en FranceUn touriste chinois de 80 ans, hos-pitalisé en France depuis fin jan-vier, est mort vendredi 14 février au soir. Il s’agit du premier décès enregistré en dehors du continent asiatique, dû au coronavirus SARS-CoV-2. L’état de ce patient, arrivé en France le 23 janvier et placé en réanimation plus de deux semaines, à Paris, avec une grave infection pulmonaire, « s’était rapi-dement dégradé et il était depuis plusieurs jours dans un état criti-que », a précisé, samedi, Agnès Buzyn, ministre de la santé qui a démissionné de ses fonctions di-manche. Sa fille de 50 ans, égale-ment touchée par la maladie et hospitalisée à Paris, n’inspire en revanche aucune inquiétude.Outre ce cas français, seuls trois décès ont été recensés jusqu’ici hors de Chine continentale : aux Philippines, à Hongkong et au Japon. L’épidémie de pneumonie virale, apparue fin 2019, a infecté plus de 71 000 personnes, princi-palement dans la province du Hu-bei, en Chine, et entraîné près de 1 770 morts. L’Organisation mon-diale de la santé a averti que la propagation du coronavirus reste « impossible à prévoir ». – (AFP.)

LA SITUATION PERMET D’EXPÉRIMENTER 

À GRANDE ÉCHELLE DE NOUVELLES 

TECHNOLOGIES DE PÉDAGOGIE À DISTANCE

MmeAgnes PANNIER-RUNACHER,Peut-être que votre bureau estsubmergé par lenombrededemandes? Mais en ce qui nous concerne, lasituation est catastrophique. Laloi EGAlim et plus précisément parson article 3 de l’ordonnance du 12décembre 2018, relatif au relèvementdu seuil à perte et à l’encadrementdes promotions, a produit sur notresociété des effets dévastateurs.

Nous avons perdu en quelquesmois 30% de notre chiffre d’affaireset dû supprimer dans l’urgence25% de nos emplois (22 postessur 88, filiales incluses). Notremodèle économique est détruit.La pérennité de notre entrepriseet ses emplois restants sont enpéril. La continuité d’exploitationde l’entreprise est lourdementcompromise : au regard de sa taille,de sa situation concurrentielle face àdes grands groupes multinationaux,nous n’avons pas les moyens decompenser du jour au lendemain lalimitation des ventes en promotionpar des ventes en fond de rayon.

Dès le 8 juillet 2019, la DGCCRF apourtant prévu notre cas d’espèce,par la prise en compte de la situationparticulière d’entreprises en grandedifficulté. Elle leur offre la possibilitéde ne pas être sanctionnées aumotif que le plafond de 25% duchiffre d’affaires prévisionnelserait dépassé.

Conformément à ces lignesdirectrices, notre société a déposéune demande d’exemption le 7novembre 2019 auprès de votrecabinet et de la DGCCRF, quinous a reçus le 2 décembre2019. A l’issue de cet entretienet à la lecture des pièces quenous leur avons fournies, nosinterlocuteurs nous ont affirméqu’une issue favorable devraitêtre donnée rapidement à notredossier pour tenir compte du début

des négociations avec la GrandeDistribution.

Mais depuis cet entretien et malgréplusieurs relances, RIEN !Sauf que les négociations avec laGrande Distribution sont à ce jourdans leur phase finale.

Quoi qu’il en soit, c’est pourtant avecune «très grande diligence» que lesservices de la DGCCRF ont accordédans un délai de 3 jours, à au moinsune entreprise, le bénéfice de cetteexception. Nous attendons donc devotre part que vous nous expliquiez ladifférence de traitement entre une ouplusieurs entreprises et la nôtre, quantaux résultats et aux délais… 3 jourspour un OUI, contre 3 mois et de lafumée…

Peut-être pensez-vous qu’en yrépondant favorablement, vousintroduiriez un facteur discriminantde nature à mettre en place uneconcurrence déloyale entre acteurséconomiques ? La question mériteréflexion, mais en attendant, untrès grand nombre de PMEdans différentes filières del’agroalimentaire sont sur le pointde sombrer.

Madame, il ne peut y avoir deux poids- deux mesures et vous devez agirvite dans l’intérêt de notre société,et des PME qui sont en train demourir. Devant le dilemme posé, uneréponse de bon sens serait deprocéder àunmoratoire supprimantl’encadrement en volume pourtous afin de rétablir un semblantd’équilibre concurrentiel.

La loi EGAlim est certes expérimentalepour une durée de 2 ans, mais il noussera très difficile d’y survivre d’ici la finde cette période. Avec cette loi, voussouhaitiez une meilleure répartitionde la valeur, mais ce sont les PME,poumon de l’économie française,que vous condamnez à mort.

ENTREPRISEFAMILIALEFRANÇAISE

Bernard GIMBERTManager Général - Fondateur

[email protected]

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Alors, Madame la Ministre,pour notre demande d’exemptionc’est OUI ? C’est NON ? Ou c’est .…. ?

Loi EGAlim

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Page 8: Le Monde - 18 02 2020

8 | FRANCE MARDI 18 FÉVRIER 20200123

Mairie de Paris : Buzyn y va « pour gagner »A quatre semaines du premier tour, l’ancienne ministre de la santé remplace Benjamin Griveaux dans la course aux municipales

Agnès Buzyn s’adressant à des militants LRM, à Paris, le 16 février. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

AGNÈS BUZYN « EST EN SITUATION 

DE CHANGER L’ÉQUATION, 

DE FAVORISER LE RASSEMBLEMENT », 

VEUT CROIRE UN STRATÈGE 

DE LA MACRONIE

Des appels à plus de sévérité pour les atteintes à l’intimité sur InternetDes élus et autres personnalités publiques veulent durcir la loi de 2016, qui prévoit une peine de deux ans de prison et 60 000 euros d’amende

L e site sera resté moins detrois jours en ligne : Porno­politique, la plate­forme

sur laquelle l’artiste russe réfugiéen France Piotr Pavlenski a re­vendiqué avoir publié deux vi­déos intimes de Benjamin Gri­veaux, a disparu du Web samedi15 février, vingt­quatre heuresaprès le retrait de l’ancien secré­taire d’Etat de la campagne pour la Mairie de Paris.

Le site « a été bloqué par lesautorités françaises », a expliqué M. Pavlenski sur Facebook, sa­medi matin. « C’est ça, la libertéde parole et d’expression ! Mais jene laisserai aucun pouvoir dé­truire ce à quoi j’ai mis tant d’ef­forts et de temps. Et je promets àtous les spectateurs et lecteurs de Pornopolitique que la ressource porno sera restaurée. »

Le site ne semble cependant pasavoir fait l’objet d’une mesurede blocage : il est totalement

inaccessible, quel que soit le pays,et son serveur ne répond plus,comme s’il avait été entièrementeffacé. Il était hébergé sur la pla­te­forme israélienne Wix, quipermet de créer rapidement des sites Web simplifiés. Sollicitéepar Le Monde, l’entreprise n’avaitpas donné suite au moment de lapublication de cet article.

« Réguler les torrents de boue »Contrairement à d’autres scan­dales récents, dont la diffusion d’e­mails de la campagne d’Em­manuel Macron, les vidéos de Benjamin Griveaux n’ont pas étémises en ligne de manière ano­nyme. M. Pavlenski avait signé laplupart des articles publiés sur lesite avec deux autres personnesse présentant sous leur vrai nom.

Le site utilisait également uneplate­forme commerciale surlaquelle il faut s’inscrire et quiest gérée par une entreprise, là

où les « MacronLeaks » avaientété diffusés par le biais d’outilspermettant un anonymat beau­coup plus grand.

Cette différence majeure n’a pasempêché certains élus, ou encore l’avocat Eric Dupont­Moretti, de réclamer, dès samedi, des mesu­res contre « l’anonymat sur les réseaux sociaux ». Le député (La Répulique en marche, LRM) du Rhône Bruno Bonnell a ainsi fus­tigé les « déviances que l’anony­mat cautionne, comme la calom­nie ou la diffamation », tandis quele président (Les Républicains, LR)du Sénat, Gérard Larcher, estimaitqu’il fallait « réguler les torrents de boue qui se déversent sur lesréseaux sociaux ».

La publication en ligne d’imagesintimes est déjà punie par la loifrançaise. Une loi de 2016 prévoitune peine de deux ans de prisonet 60 000 euros d’amende pourla diffusion de ce type d’enregis­

trements ; c’est plus sévère que pour les atteintes à la vie privéequi ne présentent pas de carac­tère sexuel.

Initiative législativeCes sanctions pourraient, enthéorie, concerner toutes les per­sonnes ayant contribué à la dif­fusion des vidéos. Mais les tribu­naux l’appliquent essentielle­ment aux personnes qui ont ini­tialement mis le fichier en ligne.Poursuivre l’ensemble des per­sonnes ayant diffusé des liensver le site serait impossible : desdizaines ou des centaines de mil­liers d’internautes l’ont partagé jeudi et vendredi, notam­ment dans de très populairesgroupes Facebook du mouve­ment des « gilets jaunes ». SelonM. Pavlenski, certaines pages deson site ont été vues par plus de 130 000 personnes avant qu’il nesoit mis hors ligne.

Selon les informations de LCI,un groupe de députés LRM réflé­chit d’ores et déjà à une « initia­tive législative » dès « la semaineprochaine » pour « améliorer » letexte de 2016.

Le gouvernement semble, lui,vouloir prendre davantage detemps : « La crise actuelle, commed’autres, interroge sur le respect de l’Etat de droit dans un monde

numérique, écrit le secrétaired’Etat au numérique Cédric O.Nous avons besoin d’une ré­flexion collective sur ce sujet. Maisla fin de l’anonymat (qui n’est sou­vent qu’un “pseudonymat”) estun mauvais combat, dangereux et probablement vain. »

M. Pavlenski et sa compagne,soupçonnée d’avoir été la des­tinataire originale des vidéos mi­ses en ligne, qui datent de 2018, ont été placés en garde à vuesamedi. Elle a été prolongée di­manche soir. M. Pavlenski étaitrecherché dans le cadre d’uneautre affaire – il est soupçonnéd’avoir donné des coups de cou­teau à deux personnes, le 31 dé­cembre 2019, lors d’une soiréedans un appartement parisien.Benjamin Griveaux a, lui, portéplainte samedi pour « atteinte àl’intimité de la vie privée » et uneenquête a été ouverte.

damien leloup

A P R È S   L A   R E N O N C I AT I O N   D E   B E N J A M I N   G R I V E A U X

« LA FIN DE L’ANONYMAT (QUI N’EST SOUVENT 

QU’UN “PSEUDONYMAT”) EST UN MAUVAIS COMBAT, 

DANGEREUX ET PROBABLEMENT VAIN »

CÉDRIC Osecrétaire d’Etat au numérique

I l est 20 heures, ce dimanche 16 fé­vrier, et la pluie commence à tomberdevant la brasserie Mon Paris, oùAgnès Buzyn doit rencontrer pour lapremière fois ceux qui feront campa­gne avec elle. Pour se réchauffer et

faire arriver la candidate qui tarde, militantset têtes de liste des arrondissements se met­tent à scander « Agnès ! »

Ils enchaînent avec Bella Ciao, puis hur­lent « On va gagner ! On va gagner ! » Malgréla pluie de plus en plus drue, ils sourient. Etsi cette victoire à laquelle ils ne croyaientplus redevenait possible ? Oui, « j’y vais pourgagner », assure la nouvelle candidate.

Renverser la table. Repartir à zéro, et ten­ter de remporter les municipales à Paris,après des mois d’une campagne à moitié ra­tée et l’abandon soudain de Benjamin Gri­veaux à trente jours du scrutin. Telle est lamission confiée par le président de la Répu­blique, Emmanuel Macron, à Agnès Buzyn.

La ministre des solidarités et de la santé aété choisie dimanche pour prendre au piedlevé la relève du candidat mis hors course par la révélation d’une vidéo à caractère sexuel. Elle a immédiatement démissionnédu gouvernement, et a été remplacée par ledéputé La République en marche (LRM) de l’Isère Olivier Véran. Elle est désormais lacandidate officielle du parti présidentieldans la capitale, face notamment à deux autres femmes, la socialiste sortante AnneHidalgo et Rachida Dati, la tête d’affiche duparti Les Républicains (LR).

CRÉER UNE NOUVELLE DYNAMIQUEBombardée à la tête d’une équipe de quelque500 candidats qu’elle découvre en partie,Agnès Buzyn ne devrait guère toucher aux listes déjà élaborées, qui doivent être dépo­sées en préfecture avant le 27 février. Tout juste devra­t­elle choisir un arrondissement où être elle­même candidate. Peut­être le 17e, à la place laissée par Benjamin Griveaux. Ellepourrait revoir davantage le programme. « On va sans doute enlever des trucs qui ne collaient pas, comme le déménagement de la gare de l’Est en banlieue », avance un élu.

L’objectif officiel ne consiste pas seule­

ment à sauver les meubles, après les diffi­cultés en série de Benjamin Griveaux, passépeu à peu du statut de favori à celui de troi­sième ou quatrième candidat dans les in­tentions de vote. A 57 ans, Agnès Buzyn estchargée de créer une nouvelle dynamique.« Elle est en situation de changer l’équation, de favoriser le rassemblement », veut croire un stratège de la Macronie. « Par son poids personnel, elle peut modifier le rapport de force, même si c’est dégradé et compromis »,appuie un proche du chef de l’Etat.

Pas facile. Pour renforcer les chances dela nouvelle venue, les macronistes ont tentéde mettre un terme à la guerre fratricide avec Cédric Villani, qui a tant compliqué latâche de son prédécesseur. Dès samedi, lepatron de LRM, Stanislas Guerini, a rencon­tré le dissident. Plusieurs autres soutiensd’Emmanuel Macron lui ont parlé : « Main­

tenant que Griveaux a renoncé, toi aussi tudois te retirer, pour qu’une nouvelle figurepuisse gagner », lui a dit l’un d’eux. « Si j’étaisAgnès Buzyn, je passerais dès ce soir uncoup de fil à Villani, conseillait, dimanche après­midi, un responsable macroniste. Il faut vraiment renouer le dialogue, et qu’ilréintègre l’équipe. »

VILLANI NE COMPTE PAS S’EFFACERUne demi­heure plus tard, l’ancien mathé­maticien douchait cependant les espoirs de réconciliation rapide. Même s’il n’a aucuncontentieux avec elle, pas question de s’effa­cer derrière Agnès Buzyn. « Le 15 mars, au pre­mier tour, il y aura des bulletins de vote des candidats de Cédric Villani », a fait savoir son équipe. Et de critiquer vivement la décisionprésidentielle : « Après de longs conciliabules,l’appareil LRM finit par choisir une candidate

qui n’aura que quatre semaines pour seplonger dans les dossiers parisiens. Ce choixfragilise l’exécutif en pleine crise sanitaire,au détriment d’un rassemblement et d’unevictoire possibles derrière Cédric Villani. On ne s’improvise pas maire de Paris à trente jours de l’échéance. »

S’il doit intervenir, le rapprochement entreles deux camps macronistes n’aura donc lieu qu’au second tour. Et l’alliance paraît très incertaine, tant Cédric Villani et sonéquipe ont de ressentiment à l’égard duparti. Ils défendent en outre une ligne un peuplus à gauche que celle de LRM, et envisagentdans ce cadre de s’entendre plutôt avec lesécologistes menés par David Belliard.

Agnès Buzyn peut­elle gagner malgré tout ?L’Elysée, Matignon et les dirigeants du partiestiment en tout cas qu’elle est de loin lamieux placée. « Seule Agnès Buzyn est à

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Page 9: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 france | 9

LE PRÉSIDENT DE MG FRANCE, LE PREMIER 

SYNDICAT DE MÉDECINS GÉNÉRALISTES, ESTIME 

QU’AGNÈS BUZYN « PART AU MILIEU DU GUÉ » 

De la PMA pour toutes à une crise hospitalière sans précédentAgnès Buzyn laisse à son successeur au ministère de la santé, Olivier Véran, plusieurs dossiers chauds, dont la réforme en faveur du grand âge

E n deux ans et huit mois,avenue de Ségur, AgnèsBuzyn n’a pas chômé.Dans un calendrier très

resserré, la ministre des solidarités et de la santé, qui a démissionné deson poste dimanche 16 février, a dûà la fois mettre en œuvre plusieurs promesses­phares d’Emmanuel Macron et faire face à des crises ma­jeures, comme dans le secteur du grand âge ou à l’hôpital public.

Si elle a échoué à infléchir les poli­tiques en matière de consomma­tion d’alcool, le nom d’Agnès Buzynrestera associé à plusieurs mesuresemblématiques de santé publique,comme le passage de trois à onze vaccins obligatoires, le dérembour­sement progressif de l’homéopa­thie ou le passage du paquet de cigarettes à 10 euros.

Elle restera également comme laministre qui aura dû faire face à une crise hospitalière sans précé­dent, conséquence d’années de res­trictions budgétaires. « A son arri­vée, elle a représenté un espoir parcequ’elle partageait notre constat d’un hôpital à bout de souffle, té­moigne André Grimaldi, le prési­dent du Collectif Inter­Hôpitaux.Mais au final, elle a été une ministrefaible, qui a plié devant Darmanin[ministre de l’action et des comp­tes publics]. Ce qu’elle a fait sur l’hô­pital est un vrai échec. » Hématolo­gue de renom, se disant profondé­ment attachée à l’hôpital public,dont elle est issue, Agnès Buzyn n’a eu pour sa part de cesse de van­ter l’ampleur de l’aide apportée à ce« trésor national », qu’elle souhai­tait « réenchanter », avec notam­

ment l’octroi de primes pour cer­taines catégories de soignants et la reprise par l’Etat d’un tiers de la dette des établissements publics desanté. Chez les médecins libéraux, fâchés avec sa prédécesseure Marisol Touraine, le ton est plusamène. « Qu’elle quitte le ministèren’est pas une bonne nouvelle pour nous », estime Jean­Paul Ortiz, leprésident de la CSMF, le premier syndicat de médecins libéraux, qui salue « le retour du dialogue » per­mis par Mme Buzyn.

Arbitrages non tranchésParmi les principales mesures prises depuis 2017 : la création d’as­sistants médicaux, afin de dégager du temps médical aux médecins et la mise en place de communautésprofessionnelles territoriales de santé, pour mieux organiser la médecine de ville. Tout en lui dres­sant un « satisfecit », Jacques Battis­toni, le président de MG France, le premier syndicat de médecins gé­néralistes, estime qu’Agnès Buzyn « part au milieu du gué », alors qued’importantes annonces surles modalités du futur système d’accès aux soins étaient attenduesces jours­ci.

Sur le projet de loi relatif à la bioé­thique, la méthode Buzyn a plutôt fait recette. Pour défendre le texte, et en particulier l’emblématique ouverture de la procréation médi­calement assistée (PMA) aux fem­mes célibataires et aux couples de lesbiennes, la ministre a passé delongues heures à l’Assemblée na­tionale puis du Sénat – où la loi a étévotée en première lecture –, faisant

montre d’une bonne connaissance du dossier et d’un style, certes sans éclat mais réfléchi et volontiers pé­dagogique, globalement salué.

Aux côtés de ses collègues dugouvernement, cette bonne connaisseuse du dossier a défendu tout du long la ligne fixée par le gouvernement : ouverture sur laPMA mais extrême fermeté sur le reste. Et en particulier face à tout risque de « dérive eugéniste », plu­sieurs fois pointé par la ministre lors des débats. Et c’est parfois con­tre son propre camp qu’Agnès Buzyn a dû batailler, comme par exemple sur le sujet sensible du diagnostic préimplantatoire.

Moins à l’aise sur ce chapitre,Agnès Buzyn n’a jamais été en pre­mière ligne sur les retraites. Si Jean­Paul Delevoye, alors haut­commis­saire, a longtemps été considéré comme un « ministre bis », elle n’a cependant jamais laissé le sujet lui échapper totalement – elle a tou­jours eu la tutelle sur ce dossier ex­plosif. Elle quitte ses fonctions alors que le projet de loi devait fran­chir lundi 17 février une nouvelle

étape : son examen en séance à l’Assemblée nationale. Pour Frédé­ric Sève, l’un des dirigeants de la CFDT, son départ ne devrait pas changer grand­chose : « Ce n’est pas son cabinet qui a géré ça de près, mais plutôt ceux de Pietraszewski [secrétaire d’Etat chargé de la ré­forme] et Matignon. »

Autre chantier attendu, en de­hors du très sensible revenu uni­versel d’activité prévu d’ici à 2023 :celui de la dépendance, maintes fois reporté. Fin janvier, Mme Buzyna assuré que cette réforme en fa­veur du grand âge n’était pas enter­rée et que le projet de loi serait pré­senté à l’été. L’enjeu ? « Donner lapossibilité d’un maintien à domicilele plus longtemps possible », avait­elle rappelé. Un défi qui nécessiteraun engagement budgétaire de très grande ampleur : pas moins de 9,2 milliards d’euros par an à partir de 2030 selon un rapport remis,en 2019, par le président du Haut Conseil du financement de la pro­tection sociale, Dominique Libault.

Certains interlocuteurs du gou­vernement craignent cependant que la volonté de l’exécutif de re­mettre les comptes du système deretraite à l’équilibre d’ici à 2027 nevienne compromettre cet objectif. Mme Buzyn laisse de très nombreuxarbitrages non tranchés à son suc­cesseur, Olivier Véran, faute d’avoirpu obtenir du gouvernement desassurances sur le financement dela future réforme.

françois béguin,raphaëlle besse desmoulières,

solène cordieret béatrice jérôme

Olivier Véran, un médecin neurologue nommé au ministère de la santéLe député LRM de l’Isère, âgé de 39 ans, remplace Agnès Buzyn au ministère de la santé. Cet ancien socialiste était rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale

PORTRAIT

T out vient à point à qui saitattendre. Déjà pressenti auministère des solidarités et

de la santé en mai 2017, le députéLa République en marche (LRM) de l’Isère Olivier Véran a finalement été nommé avenue de Ségur, dimanche 16 février. Il remplace Agnès Buzyn, partie en catastropheà la conquête de la Mairie de Paris. En plein épisode du coronavirus, sanomination intervient égalementalors que l’hôpital public traverse une crise sans précédent, après des années d’austérité budgétaire, et que la réforme des retraites est toujours très contestée.

A seulement 39 ans, l’ambitieuxneurologue grenoblois au débit de mitraillette accède à ces prestigieu­ses fonctions à l’issue d’une carrièrepolitique fulgurante. Député socia­liste de 2012 à 2015, à la suite de l’en­trée au gouvernement de Gene­viève Fioraso dont il est le sup­pléant à l’époque, Olivier Véran a été élu conseiller régional en Auver­gne­Rhône­Alpes il y a cinq ans. Lors de la précédente législature, ce père de deux enfants fait parler de lui en poussant un amendement très médiatisé, qui sera adopté, pour interdire l’activité de manne­quin aux personnes trop maigres.

Au côté de Marisol Touraine,ministre de la santé, il ne parvient cependant pas à empêcher un dé­tricotage de la loi Evin encadrant lapromotion du vin. Un projet alors défendu par François Hollande et le ministre de l’économie… Emma­nuel Macron. Il rallie malgré tout lecandidat d’En marche ! pendant lacampagne présidentielle, qui enfait son référent santé. En juin 2017,il devient député de l’Isère.

Technicien sans oublier d’êtrepolitique, Olivier Véran occupe de­puis deux ans et demi le poste stra­tégique de rapporteur général de la commission des affaires sociales. Fin connaisseur du monde de la santé, en particulier de l’hôpital dont il est issu, l’homme ne manquepas d’idées. Ces derniers mois, il a

notamment défendu l’expérimen­tation du cannabis thérapeutique, fait voter la création d’une taxe mo­dulable sur les boissons gazeuses sucrées et mis en place un dispositifvisant à payer les urgences hospita­lières pour qu’elles renvoient des pa­tients non urgents vers la médecine de ville. Une expérimentation qui a irrité nombre de médecins libéraux.

Habitué à défendre l’action del’exécutif sur les plateaux télé, l’an­cien socialiste n’hésite pas non plusà faire entendre sa petite musique. En 2019, il a désapprouvé, avant de rentrer dans le rang, le choix du gouvernement de ne pas compen­ser financièrement à la Sécurité sociale certaines exonérations decotisations sociales, décidées à la suite du mouvement des « gilets jaunes » et qui creusaient le déficit.

« Le choix de la logique »Nommé au ministère de la santé enpleine crise de l’hôpital public, Olivier Véran, qui ne manque jamais de rappeler qu’il a lui­mêmeété aide­soignant de nuit à l’hôpitalpour payer ses études, devramettre en œuvre les différents plans annoncés par Agnès Buzyn ces derniers mois, jugés insuffi­sants par les syndicats et collectifs de soignants. Il devra aussi renouerle dialogue avec des personnels

hospitaliers qui s’étaient sentistenus à distance par Mme Buzyn. Surle front des retraites, sa prise de fonctions intervient alors que le projet de loi devait commencer à être examiné en séance à l’Assem­blée nationale avec pas moins de41 000 amendements déposés. Le sujet ne lui est pas inconnu : ilvenait d’être nommé rapporteurdu volet organique de la réforme.

Si ses nouvelles fonctions laissentun trou à combler rapidement, son collègue LRM Guillaume Gouffier­Cha, rapporteur général du texte, sedit « ravi » pour lui. « C’est le choix dela logique et il s’y est préparé depuis assez longtemps, juge­t­il. Pournous, ce sera un plus, c’est l’un des députés qui connaît le mieux le dos­sier des retraites. » Un avis que nepartage pas le député commu­niste des Bouches­du­Rhône Pierre Dharréville. « Oui, Olivier Véran est un connaisseur, notamment en bud­gets calamiteux pour la santé, la Sécu ou les retraites… », critique­t­il.

Parmi les autres dossiers que luilaisse Mme Buzyn, outre la fin du par­cours parlementaire du texte sur la bioéthique, la dépendance et le revenu universel d’activité, passés au second plan ces derniers mois. Deux sujets minés de plus, après ceux de l’hôpital et des retraites.

r. b. d. et fr. b.

NOMMÉ EN PLEINE CRISE DE L’HÔPITAL PUBLIC, OLIVIER VÉRAN DEVRA 

METTRE EN ŒUVRELES DIFFÉRENTS PLANS ANNONCÉS PAR AGNÈS 

BUZYN CES DERNIERS MOIS

même de redonner un espoir de victoire », a confié le premier ministre, Edouard Phi­lippe, à des proches au cours du week­end.

Vendredi, après le retrait forcé de BenjaminGriveaux, tous les responsables de la campa­gne se réunissent au siège de LRM pour lui trouver un remplaçant. De nombreux noms sont cités, de la secrétaire d’Etat à l’égalitéentre les hommes et les femmes, MarlèneSchiappa, à Stanislas Guérini en passant par Jean­Louis Borloo. Un semblant de procé­dure est même mis en place, et quatre candi­dats se déclarent : le sénateur Julien Barge­ton, les députés Sylvain Maillard et Mounir Mahjoubi, et Antonio Duarte, un ancien can­didat écologiste à l’investiture.

ELLE N’A JAMAIS MENÉ DE CAMPAGNE« Mais le seul nom qui faisait consensus était celui d’Agnès Buzyn », raconte un participant à ces réunions, qui se sont poursuivies sa­medi. « C’est une femme honnête, connue, quia réussi dans sa carrière de médecin avant de s’engager en politique, bref, elle correspond parfaitement à notre promesse de dépasse­ment des partis », argumente un autre.

Le problème, c’est que personne ne saitalors si l’intéressée est prête à se lancer. Depuis de longs mois, elle n’a pas caché son envie, elle, la « techno », de participer à une première bataille électorale. En 2019, elle a envisagé de se présenter aux élections euro­péennes. Puis, avec Benjamin Griveaux, ellea pensé être tête de liste dans le 6e ou le 15e ar­rondissement… avant de renoncer.

Vendredi, celle qui était encore ministre af­firmait sur France Inter qu’elle ne « pourrait pas » être candidate en raison de son agenda beaucoup trop chargé, avec la réforme des re­traites, la crise des hôpitaux et le coronavi­rus. Des propos si catégoriques que, samedi, certains songeaient, si elle maintenait son refus, à une solution incongrue : chaque tête de liste ferait campagne dans son arrondisse­ment, mais sans figure de proue pour rem­placer Anne Hidalgo !

Au bout du compte, Emmanuel Macronconvainc Agnès Buzyn de s’engager dans labataille de Paris. Sur le papier, elle dispose detrois atouts. D’une part, une forte notoriété. D’autre part, une image plutôt positive de femme, et de médecin. « On sent qu’elle atraversé des épreuves, qu’elle a été chargée de situations humaines dramatiques, ça enrichitson rapport aux autres », souligne le prési­dent du MoDem, François Bayrou. « Face auxpersonnalités clivantes que sont Anne Hi­dalgo et Rachida Dati, elle apparaît comme apaisante, solide, rassembleuse », plaideégalement Pierre­Yves Bournazel, député (Agir) de Paris. « Elle peut prendre des voix à Villani, Hidalgo, Dati et même aux écolo­gistes », suppute un autre élu. Enfin, AgnèsBuzyn dispose du soutien de LRM, mais ausside partenaires comme le MoDem, qui sou­haitait, dès l’automne 2019, qu’elle remplace Benjamin Griveaux.

Ses points faibles sont néanmoins faciles àidentifier. Elle est née et a toujours habité Pa­ris, mais ne connaît pas particulièrement les dossiers municipaux ni le fonctionnementde la Ville. Comme Benjamin Griveaux, elle risque de souffrir du rejet du gouvernement par une partie des électeurs, et de la compéti­tion avec Cédric Villani auprès de ceux qui restent séduits par Emmanuel Macron.

Elle n’a que quatre petites semaines pourredresser la barre. Or, elle n’a jamais mené de campagne, surtout pas aussi violenteque celle­ci. Désignée depuis une heure, Agnès Buzyn était déjà accusée d’abandon­ner son poste en pleine épidémie, et delaisser pour bilan « la destruction de l’hôpital public ». Le ton est donné.

denis cosnardet olivier faye

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COMME BENJAMIN GRIVEAUX, ELLE RISQUE DE SOUFFRIR DU REJET 

DU GOUVERNEMENT PAR UNE PARTIE DES ÉLECTEURS 

ET DE LA COMPÉTITION AVEC CÉDRIC VILLANI

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Page 10: Le Monde - 18 02 2020

10 | france MARDI 18 FÉVRIER 20200123

C’est autour d’un avocat proche de l’extrême gauche, d’un performeur russe et d’une étudiante que s’est noué le scandale politique

ENQUÊTE

C’ était il y a deux mois,le lundi 9 décem­bre 2019, dans l’am­phi Poincaré de

l’Ecole polytechnique. « Dr. Juan Branco » – comme le jeune avocat d’extrême gauche se fait désor­mais appeler sur son compte Twit­ter – est invité par une association d’élèves de l’X, l’école d’ingénieursla plus prestigieuse de France. Su­jet : les élites.

Devant cette « masse d’héri­tiers », ces « immenses privilégiés » de 20 ans qui se trouvent face à lui,Juan Branco, 30 ans, gronde : « La République ne vous appartient pas. » « Vous aurez en toutes cir­constances une certitude, se désolel’avocat des « gilets jaunes » dans l’un des principaux amphis du campus de Palaiseau, celle de pré­server, au sein du petit Paris et de l’Etat, un capital qui vous permet­tra de vivre agréablement. » Pen­dant ce temps, « la République pé­rit de sa corruption » et « le pays choit par sa tête. Sa décomposition (…) est le fruit d’une décadence dé­vastatrice ». A eux « de corriger ce monde qui va à sa perte » et de « l’aider à se relever, avant qu’unenouvelle crise ne finisse de mettre fin à ces processus qui se nourris­sent des restes cadavériques de l’Etat », exhorte­t­il.

Corriger ce monde, c’est la mis­sion que s’est fixée ce fils d’une psychanalyste et du producteur decinéma Paulo Branco. Par tous les moyens. Le succès de son livre Cré­puscule, d’abord téléchargé gratui­tement une centaine de milliers de fois avant d’être édité Au DiableVauvert (2019) et de s’écouler à 130 000 exemplaires supplémen­taires (sans compter les 20 000 en format poche depuis sa sortie, il y a quatre mois), lui a ouvert de nombreuses portes, y compris dans les cénacles les plus élitistes.

Oreille coupée, lèvres cousuesLe défenseur du « gilet jaune » Maxime Nicolle, alias « Fly Rider »,court d’un amphi de Polytechni­que aux pages de Elle, du Web Sum­mit de Lisbonne – un des plus grands rendez­vous de la « tech » européenne – à France Culture, où l’ancien candidat de La France in­soumise (LFI) aux élections législa­tives de 2017 dans la 12e circons­cription de Seine­Saint­Denis (13,94 %, en quatrième position) défendait, il y a quelques jours en­core son dernier ouvrage, Assange.L’antisouverain (Editions du Cerf, 496 p., 20 euros).

Au même moment, un autretrentenaire, un Russe réfugié en France, fait le tour des universités. Le 19 décembre, le performeur Piotr Pavlenski planche devant desétudiants dans les locaux de l’écolede droit de Panthéon­Assas (Pa­ris­II), place du Panthéon, sur « l’artpolitique ». Efflanqué, le visage émacié, ce natif de Leningrad (an­cien nom de Saint­Pétersbourg) aufrançais tâtonnant s’est fait con­naître par ses automutilations, oreille coupée, lèvres cousues, scrotum cloué, sa manière de pro­tester contre le régime du prési­dent russe Vladimir Poutine.

« L’art politique agit de l’intérieurde la mécanique du pouvoir et forcel’appareil d’Etat à se démasquer », explique­t­il. Un curieux person­nage, probablement assez peu au fait des municipales parisiennes, qui a obtenu l’asile en France alors qu’il « n’était pas menacé pour des motifs politiques, mais pour des soupçons de violences et d’abus sexuels », assure sa traductrice Ga­lia Ackerman dans Le Parisien.

L’activiste russe a convié pourl’occasion Juan Branco. Non qu’il connaisse bien l’avocat français, mais il a une invitation à rendre. Un mois plus tôt, Branco lui a pro­posé d’intervenir à Lisbonne dans une conférence consacrée à « La ré­sistance aux pouvoirs », aux côtés de dissidents venus de Chine ou d’Algérie et de l’ancien président équatorien Rafael Correa, réfugié politique en Belgique.

« Il me semblait que Piotr Pa­vlenski était une figure majeure », explique aujourd’hui Branco au Monde. Le performeur russe n’apu s’y rendre mais a dépêché son avocate de l’époque, Dominique Beyreuther­Minkov. Mais mainte­nant qu’il est lui­même l’invité ve­dette d’une université parisienne, Piotr Pavlenski a demandé à sa pe­tite amie, Alexandra de Taddeo, de reprendre contact avec Branco sur Facebook et de l’inviter à sa confé­rence sur « l’art politique ».

D’Alexandra de Taddeo, cettebrune de 29 ans qui traduit la con­versation, Branco ne sait presque rien, dit­il. Tout juste constate­t­il que cette étudiante en droit à l’uni­versité Paris­II parle parfaitement le russe. Elle­même connaît Pa­vlenski depuis quelques mois. Auparavant, celui­ci était marié à une Russe, Oksana Chaliguina, avec laquelle il vivait une union li­bre aux exigences étranges : parce qu’elle n’avait pas respecté « l’hon­nêteté » que le couple s’était jurée, Oksana s’est coupé la phalange d’un doigt de la main droite, pour se faire pardonner…

Alexandra de Taddeo, originairede Metz, vient d’un milieu plus bourgeois et sans doute plus con­ventionnel que la précédente épouse de Pavlenski. Mais elle a le goût de l’étranger et des relations internationales. « La politique étrangère de la Fédération de Rus­sie en Arctique », c’est le titre du mémoire de maîtrise pour lequel elle s’est rendue en Arctique en mars 2019, quelques mois après avoir effectué un stage à l’Alliance des avocats pour les droits de l’homme, puis un autre à l’Unesco.En 2016 et 2017, elle a aussi animé deux émissions sur la Russie sur laradio confessionnelle Fréquence protestante. Membre du Conseil

parisien de la jeunesse, elle sembles’intéresser beaucoup à la politi­que. Aux candidats aux élections municipales dans la capitale, en tout cas.

En novembre 2018, Alexandra deTaddeo prend ainsi contact avec Gaspard Gantzer, l’un des candi­dats à la Mairie de Paris, qui vient de lancer son mouvement Pari­siennes, Parisiens. « J’ai initié la création de la webradio de l’univer­sité de Paris­II. Nous avons une émission sur la précampagne pour les municipales de 2020 », a­t­elle écrit à l’ancien conseiller en com­munication de François Hollande. Les numéros de téléphone ont bien été échangés mais la jeune femme n’a ensuite jamais rappelé. Gantzer ignore que, quelques moisplus tôt, cette jeune femme dont il a tout juste regardé les publica­tions sur Instagram, partageait desvidéos intimes avec le porte­pa­role du gouvernement, Benjamin Griveaux.

Une bagarre éclateEn somme, Juan Branco est l’invitéd’un couple qu’il connaît à peine. Avant de se rendre au Panthéon, l’avocat est passé dans le « squat » qu’occupent Piotr et Alexandra, aucœur du quartier de la Mouzaïa, dans le 19e arrondissement de Pa­ris – en réalité, une maison occu­pée illégalement et dont le couple a fait changer toutes les serrures, au grand dam des propriétaires. L’avocat devine « la situation pré­caire et socialement isolée » de Pa­vlenski. Aussi, après la conférence à Paris­II, alors qu’ils sont allés par­tager un verre, il propose à ses nouveaux amis – c’est sa version – de passer le Nouvel An en sa com­pagnie. Il a convaincu son amie, Lola H., une étudiante en méde­cine dont les parents possèdent unvaste appartement au­dessus du Café de Flore, d’organiser une fête le 31 décembre.

Ce soir de réveillon, l’assembléecomprend donc les très jeunes in­vités de l’étudiante et les connais­sances de Juan Branco. Plusieursamis de l’avocat ont décliné l’invi­

tation. L’éditeur Florent Massot a fait faux bond, comme l’ancienpatron de Grazia parti chez VanityFair Joseph Ghosn. Ou encore De­nis Robert, défendu en 2009 dans l’affaire Clearstream – coïnci­dence du « petit Paris » – par l’épouse de Benjamin Griveaux, Me Julia Minkowski. Mais les nou­veaux amis de l’avocat, Alexandra et Piotr, sont bien là.

C’est lors de cette fête qu’Alexan­dra évoque mystérieusement « une importante action » et indi­que que Piotr pourrait, à cette oc­casion, solliciter Juan Branco pour sa défense. « Je m’attendais à quel­que chose de l’ordre de ses actions en Russie, je dois dire que j’étais en­thousiaste », reconnaît Branco. Evoque­t­on déjà ce soir­là, autour de coupes de champagne, le nom de Benjamin Griveaux et ses échanges intimes ? Parle­t­on plus généralement d’« outings » en tout genre, comme lorsqu’il avait suggéré une « sympathique pro­motion canapé » du secrétaire d’Etat Gabriel Attal, « pacsé à la ville » avec un conseiller politique de l’Elysée ?

Personne n’ignore en tout cascombien Branco déteste le nou­veau pouvoir. Dans son livre Cré­puscule, il étrille aussi bien Attal, qui fut son condisciple à l’Ecole al­sacienne (6e), que Griveaux, ce pi­lier de la Macronie triomphante, naguère proche de Dominique Strauss­Kahn, dont il détaille les salaires et les avantages au porte­parolat du gouvernement.

Le soir du 5 janvier 2019, Brancose trouvait aux côtés d’un groupe de « gilets jaunes » et de manifes­tants vêtus de noir lorsque quel­ques­uns d’entre eux, du haut d’unengin de chantier, avaient tenté de forcer le porche en bois du minis­tère, rue de Grenelle. Depuis, l’avo­cat se vante souvent de cette soiréeoù Griveaux a dû être exfiltré par son service de sécurité : « A la vio­lence du gouvernement, ils ont ré­pondu en investissant le lieu censé porter leurs mots. »

Le 31 décembre, la soirée bat sonplein dans l’appartement du bou­

levard Saint­Germain lorsqu’une bagarre éclate. Piotr Pavlenski, fu­rieux de la réflexion d’un des invi­tés, lui assène un coup de poing dans la figure. Selon des témoins, le Russe s’empare même d’un cou­teau, et pendant qu’on cherche à lemaîtriser, reçoit une bouteille de champagne sur le crâne. Il par­vient cependant à planter son arme dans la cuisse d’un invité et trace une longue estafilade sur le visage d’un autre. Lorsque la policearrive, le couple a disparu. Diman­che 16 février, Piotr Pavlenski a d’ailleurs été entendu en garde à vue au sujet de cette agression.

Début février, l’activiste russe re­prend néanmoins contact avec Juan Branco et lui montre les fa­meuses vidéos de Benjamin Gri­veaux, dont tout le monde ignore encore l’existence.

Il est loin ce temps où, comme le11 janvier 2017, l’avocat s’encom­brait de scrupules : « Voir que l’in­time et le sexuel restent, en nos es­paces “civilisés”, des armes de des­truction politique, est désespé­rant. » Le défenseur de Julian Assange, auteur des WikiLeaks, considère désormais que toute vé­rité doit être exposée – qu’impor­tent les conséquences. « Le citoyen doit lui­même décider ce qui peut être reçu ou non. Toute création d’intermédiation, y compris jour­nalistique, crée un pouvoir et ce pouvoir peut être vecteur de corrup­tion », développe­t­il sur Fran­ce Culture, le 11 février. Quelques heures avant le scandale.

« C’est ta décision »Voilà les vidéos postées sur le site Pornopolitique.com, créé quel­ques semaines plus tôt par PiotrPavlenski. Elles sont aussitôt re­prises par des sites de « gilets jau­nes ». Mais ce sont deux Tweet renvoyant vers Pornopoliti­que.com qui leur donnent une audience plus large. Le premier est l’œuvre de l’ex­urologue et chroniqueur à L’Express Laurent Alexandre. Le second du député Joachim Son­Forget, exclu de LaRépublique en marche (LRM) à la suite de propos sexistes, avant de s’afficher sur Twitter avec Marion Maréchal, puis de tenter de faired’Alexandre Benalla son assistant parlementaire.

Nous sommes dans la soirée dujeudi 13 février. A Paris, au Théâtredu Rond­Point où Juan Brancovient de donner une nouvelle conférence, cette fois avec l’écri­vain Alain Damasio, l’avocat mon­tre les vidéos à son préfacier DenisRobert et aux convives qui parta­gent sa table au restaurant. Le can­didat à la Mairie de Paris Benja­min Griveaux, lui, sait déjà qu’il varenoncer à sa campagne : il a ap­pris ce qui se tramait la nuit précé­dente par le député (LRM) de ParisMounir Mahjoubi, lui­même alerté par… l’équipe de Cédric Vil­lani, le candidat dissident de LRM.

Est­ce pour ne pas se faire pho­tographier ou parce que l’épreuveest trop rude ? Griveaux renonceà se rendre à l’Elysée et téléphonelonguement à Emmanuel Ma­cron. Le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, comme leconseiller Philippe Grangeon,sont d’avis que le candidat pour­rait poursuivre sa campagne. Le président de la République laisse le choix au candidat : « C’est ta dé­cision. Si tu veux y aller, je te pro­tège et on se met en phalange der­rière toi. » Griveaux décline. Iln’ignore pas que sa cote de popu­larité était déjà faible. Selon les in­formations du Monde, il sait, sur­

tout, que ses ennemis détiennentd’autres images compromettan­tes. Autant s’éviter un supplice lent.

Quel rôle joue ensuite l’avocatdu trio ? « L’inénarrable avocat et activiste Juan Branco m’a envoyé,ce midi, un lien au­delà du réel (si­gné par l’artiste Piotr Pavlenski) », écrit le 12 février sur les réseaux sociaux une certaine Zoé Sagan. Une mystérieuse créature qui tra­que dans des chroniques acides les « dérives » du monde de lamode, de la culture et du journa­lisme, une jeune plume énigmati­que qui semble proche de Juan Branco (certains assurent mêmeque Zoé Sagan est un pseudo­nyme de l’avocat ou qui désigne un collectif) et vient tout juste de publier au Diable Vauvert (l’édi­teur de Branco) un premier ro­man engagé, Kétamine (496 p., 23 euros) « critique sociale au vi­triol par une Balzac 2.0 ».

« Résistance » à MacronBranco détaille, devant les micros,les motivations de Piotr Pa­vlenski : montrer ces vidéos et cesSMS, échangés durant quelques semaines, au printemps 2018, sont une manière de dénoncer la « tartufferie » de Benjamin Gri­veaux, qui avait mis en avant du­rant sa campagne des « valeurs fa­miliales ». Un « geste de résis­tance » à Emmanuel Macron…« Piotr considère que le régime ma­cronien s’assimile de plus en plus au régime poutinien », explique Branco. Mais dimanche, sur Twit­ter, il se montre tout à coup plusprudent : « Si j’ai été heureux de voir ce couple, dans son innocente folie, se jouer de tous pour révéler àquel point cette société sombre dans la plus scabreuse inanité dès qu’on lui propose une fixation libi­dinale, je n’y ai évidemment pas participé. Sinon comment les re­présenter ? »

Comment, en effet ? A l’AFP,Piotr Pavlenski a expliqué qu’il abien « consulté » Me Branco avantde « mettre la vidéo en ligne ».Dans l’après­midi, l’avocat se pré­sente néanmoins dans les locaux de la police judiciaire parisienne pour rencontrer celui qu’il nomme déjà son « client » russe. Et s’indigne : « Le parquet, en une violation exceptionnelle des droits de la défense, a décidé de s’opposerà ma désignation. » Impossible :seul le bâtonnier peut demanderà un avocat de se retirer. En vérité,l’activiste russe n’a jamais dési­gné Juan Branco pour le défendre,il a choisi dès samedi Me Marie­Alix Canu­Bernard, également dé­signée par Alexandra de Taddeo, avant que l’avocate pénaliste ne renonce, dimanche, à assurer ladéfense de ses clients.

Benjamin Griveaux, lui, a portéplainte samedi dans les locaux de la direction de la police judiciairepour atteinte à l’intimité de la vie privée. Une enquête préliminairea été ouverte. M. Griveaux a égale­ment visé Laurent Alexandre et Joachim Son­Forget.

Les responsables politiques,horrifiés par cette opérationcommando, ont unanimementvolé à son secours. LFI, l’ancien parti choisi par Branco aux légis­latives de 2017, a également dé­sapprouvé la publication des vi­déos. Mais une partie radicaliséede l’opinion continue de poursui­vre le candidat déchu de sa vin­dicte. Selon son avocat, Me Ri­chard Malka, un groupe de « gi­lets jaunes » a publié sur les ré­seaux sociaux adresse et code d’entrée de Benjamin Griveaux,qui vit depuis samedi 15 février sous protection policière. Un cau­chemar sorti des cerveaux fousd’un activiste russe, d’une intri­gante et d’un avocat bien décidé àfaire tomber le lieutenant de son pire ennemi : le président de la République.

raphaëlle bacqué,ariane chemin

et simon piel

Piotr Pavlenski, le 14 février, à Paris. LIONEL BONAVENTURE/AFP

A P R È S   L A   R E N O N C I AT I O N   D E   B E N J A M I N   G R I V E A U X

GRIVEAUX A APPRIS CE QUI SE TRAMAIT 

LA NUIT PRÉCÉDENTE PAR LE DÉPUTÉ (LRM) MOUNIR 

MAHJOUBI, LUI­MÊME ALERTÉ PAR L’ÉQUIPE 

DE CÉDRIC VILLANI

SELON LES INFORMATIONS DU « MONDE », GRIVEAUX SAIT QUE SES ENNEMIS 

DÉTIENNENT D’AUTRES IMAGES 

COMPROMETTANTES

Juan Branco, le 14 février, à Paris. LIONEL BONAVENTURE/AFP

Derrière la chute de Griveaux, un trio sans foi ni loi

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Page 11: Le Monde - 18 02 2020

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Page 12: Le Monde - 18 02 2020

12 | france MARDI 18 FÉVRIER 20200123

Retraites : un marathon à l’Assemblée nationaleAu menu des discussions à partir de lundi, 75 articles, 29 ordonnances et… 41 000 amendements

A réforme d’ampleur, dé­bats inédits à l’Assem­blée nationale. Les dé­putés entament lundi

17 février la deuxième phase de discussions parlementaires sur la réforme des retraites. Après avoirpassé dix jours pleins en commis­sion spéciale à débattre du texte, ils se retrouvent à partir de 16 heures dans l’hémicycle. Théo­riquement, le vote du texte est prévu le 3 mars, mais personne necroit à ce délai au Palais­Bourbon. Enième incertitude dans une procédure dont les conditions d’organisation questionnent et seront invoquées lors de la vrai­semblable saisine du Conseilconstitutionnel.

Mardi 11 février dans la soirée,les débats en commission se sontachevés sans atteindre la fin du texte. « C’est une première depuis2008 », note l’historien Christo­phe Bellon, maître de confé­rences en histoire contempo­raine à l’Université catholique de Lille, spécialiste de l’histoire par­lementaire. Il constate aussi que « c’est la première fois qu’il y a euune manœuvre d’obstruction en commission ».

Les délais d’examen du textechoisis par la majorité et le gou­vernement étaient trop courts pour passer en revue l’ensembledes 22 000 amendements qui avaient été déposés – un record pour ce quinquennat –, dont 19 000 par le groupe de La France insoumise (LFI). Au total, les dé­putés en ont examiné 5 566. « L’ensemble des sujets ont pu être abordés même si on n’est pas allés au bout de l’examen des articlesà proprement parler », relativisait,mardi, Marie Lebec, vice­prési­dente du groupe La Républiqueen marche (LRM), renvoyant la responsabilité de cette situation au groupe LFI.

Comme le permet la Constitu­tion dans ce cas de figure, les dé­putés reprendront le texte à zéro en séance publique, lundi, en tra­vaillant à partir de la version dugouvernement et non celle de la commission. Et cette fois pas moins de 41 000 amendements ont été déposés – un nouveaurecord –, dont 23 000 de LFI et 13 000 des communistes.

Les députés devraient donc sié­ger les week­ends. Les vacances parlementaires prévues à partirdu 6 mars, avant les élections mu­nicipales, peuvent être annulées. « Ça va durer le temps que ça du­rera, mais on va devoir être tous ettoutes présents. (…) Ça va être un combat et on va avoir besoin de toutes les énergies », a prévenu Guillaume Gouffier­Cha, rappor­teur général LRM du texte, mardi soir, lors d’une rencontre des dé­putés de la majorité avec Macron.

Pour le député socialiste del’Ardèche Hervé Saulignac, cette situation résulte des conditionsd’examen du texte imposées par l’exécutif. « Une provocation à la­quelle LFI [en déposant des mil­liers d’amendements] répond par une provocation, a­t­il expliqué sur La Chaîne parlementaire mer­credi. Il y a une concertation d’un an et demi, puis un texte de300 pages et une étude d’impactde 1 000 pages déboulent quatre jours avant le débat. »

Le délai d’examen du texte est« extraordinairement court », se­lon le constitutionnaliste DidierMaus. Le texte a été présenté enconseil des ministres le 24 janvier,et les députés ont eu une semainepour l’étudier avant de proposer des amendements.

« Cette réforme est un gruyère »Le gouvernement a opté pour laprocédure accélérée, employéequasiment pour tous les textes depuis plusieurs années, mais quicompacte les délais d’examen dutexte en les limitant à un aller­re­tour entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Un calendrier justifiépar le souhait du gouvernement de voir le projet de loi définiti­vement voté « avant le début du mois de juillet », explique Marc Fesneau, ministre chargé des rela­tions avec le Parlement. L’hémicy­cle du Palais­Bourbon sera en ef­fet hors d’usage cet été et jusqu’enoctobre en raison de travaux. Etpas question pour l’exécutif de re­porter de plusieurs mois l’abou­tissement de ce feuilleton.

« Cela fait dix­huit voire vingt­quatre mois que les termes du dé­bat et les fondements de la réformeont été posés », rappelle toutefois M. Fesneau. Le hic : les modalités précises de sa mise en œuvre nesont pas toutes arrêtées. « Cette ré­forme des retraites est un gruyère, il y a plus de trous que de matière »,ironisait Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, mer­credi, devant l’Association des journalistes parlementaires.

Plusieurs discussions sur des su­jets­clés sont toujours en cours. C’est notamment le cas sur un point central : le financement à court et moyen terme du système.Il a été renvoyé à une confé­rence réunissant les partenairessociaux et qui doit rendre ses conclusions d’ici à la fin avril – soit

une fois que l’Assemblée aura fini l’examen du texte en première lecture. Idem pour d’éventuelles avancées sur la pénibilité ou le minimum de pension. « Tous les jours arrivent de nouvelles propo­sitions qui n’ont pas été discutées ni mesurées. Plus ça va, moins cetteréforme est simple. On se demandesi c’est de l’amateurisme ou une vo­lonté de brouiller les cartes », réagitRégis Mezzasalma de la CGT. La ré­forme « n’est pas prête, truffée d’or­donnances, accompagnée d’une étude d’impact lacunaire et ten­dancieuse. (…) Vous devriez donc laretirer, plutôt que de forcer le pas­sage au Parlement », a dénoncé le communiste Pierre Dharréville(Bouches­du­Rhône), mardi, lors des questions au gouvernement.

Les députés sont agacés. Letexte de soixante­cinq articles compte vingt­neuf ordonnancesqui, quoique fréquentes, les pri­vent d’une partie de la rédac­tion du texte. D’autant que le Conseil d’Etat s’est lui­même ému du recours à ce véhicule « pour la définition d’éléments

structurants du nouveau système de retraite », ce qui « fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation desconséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ».

A ces incertitudes se sont ajou­tées les interrogations de certains macronistes. Mercredi, deux pi­liers de la commission des finan­ces de l’Assemblée, Laurent Saint­Martin et Emilie Cariou, ont écrit au premier ministre pour deman­der des réponses sur les implica­tions financières de la réforme.

« Les députés vont voter dans lenoir ! », a ironisé le président Les Républicains (LR) du Sénat, Gé­rard Larcher, mercredi sur la pla­te­forme de vidéo Twitch. « C’est dans le droit fil de l’élaboration de cette réforme, il n’y a pas la volontéde concerter les rouages basi­ques de la démocratie politique »,s’insurge le président (LR) de lacommission des finances de l’As­semblée nationale, Eric Woerth.

Le renvoi à la « confiance » dansle dialogue social a été constam­ment invoqué par la majorité pour justifier cette situation. « Onne peut pas nous avoir reproché pendant des mois de ne pas avoirparlé avec les syndicats et ensuite nous reprocher de discuter », as­sène Marc Fesneau. « Les parte­naires sociaux ne sont pas des ac­teurs constitutionnels. Ce n’est pas le Conseil économique, social et environnemental [CESE] qui vote la loi, mais l’Assemblée nationale et le Sénat », rappelle toutefois le constitutionnaliste Didier Maus.

« Je n’ai jamais vu ça sur un texteaussi majeur qui va changer la vie

de millions de personnes. Ils ontcontraint les débats dans des limi­tes rarement atteintes », se désoleun fin connaisseur des retraites. « Des délais aussi courts ne sont pas contraires au règlement, ditDidier Maus. Mais si quand on vote sur l’état d’urgence, on com­prend l’urgence, là on ne peut pas dire qu’on était à huit jours près. Il n’est pas raisonnable de dire “on a mis deux ans à monter un projet et il faudrait que le Parlement déli­bère en trois mois”. »

Débat illisible« On est dans un climat où la dis­cussion parlementaire est considé­rée comme retardant une réforme inéluctable ; on est dans une réduc­tion des droits du Parlement, ren­chérit Bruno Daugeron, profes­seur de droit public à l’université Paris­Descarte. Ça me semble mal­sain : soit on considère que le tempsparlementaire est un temps où l’on peut changer les choses, soit on considère que c’est dans le pro­gramme, décidé dans les ministèreset on supprime le Parlement ! »

Tout cela risque d’aboutir,comme en commission, à un dé­bat illisible, dont la majorité s’in­terroge sur la capacité à aboutir. Dans ce contexte, le spectre de l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de pro­voquer un vote sur un texte sans le discuter, a ressurgi. Un objectif visé par LFI : « On va faire en sorte qu’ils ne puissent pas finir le 3 marsou alors qu’ils aient besoin du49.3 », a déclaré Eric Coquerel.

Cette option divise franchementla majorité. « Cela reviendrait àtuer le débat », estime Marie Lebec,vice­présidente du groupe LRM. Pour Laurent Berger, secrétaire gé­néral de la CFDT, « le 49.3 serait un scandale ». « Le Parlement doit avoir le temps nécessaire pour étu­dier tous les amendements, dit­il au Monde. S’il faut plus de quinzejours, il faut plus de quinze jours. »

Dans ce contexte, cet ensemblede facteurs pourrait être consi­déré, en cas de saisine du Conseil constitutionnel, comme une at­teinte à la sincérité des débats.« Chaque élément pris individuel­lement n’est pas inconstitutionnel mais c’est la juxtaposition qui créé le risque, estime Didier Maus. Le Conseil constitutionnel hésitebeaucoup à annuler la totalité d’une procédure. » « S’il ne le fait pas là, il ne le fera jamais, estime un haut fonctionnaire. C’estcomme une arme de dissuasion massive. C’est fait pour ne pas s’en servir mais si vous êtes agressé etque vous ne l’utilisez pas, elle de­vient inutile. » Un risque qui n’in­quiète pas l’exécutif. « Pas à ce stade », précise Marc Fesneau.

raphaëlle besse desmoulièreset manon rescan

Habitat indigne : l’ex­adjointe au logement de Marseille épingléeLe mari d’Arlette Fructus, actuelle vice­présidente de la métropole, loue des chambres considérées comme « impropres à l’habitation »

marseille ­ correspondant

E n novembre 2018, le maireLes Républicains (LR) deMarseille, Jean­Claude

Gaudin, avait pointé la responsa­bilité des « marchands de som­meil » dans la catastrophe de larue d’Aubagne, qui venait de faire huit morts dans l’effondrementde deux immeubles dégradés ducentre­ville. Dix­huit mois plus tard, six élus de sa majorité sontdésormais touchés par des affai­res d’habitat indigne.

La dernière, révélée le 10 févrierpar le site d’investigation Mar­sactu, concerne cette fois Arlette Fructus, membre du Mouvement radical, adjointe en charge du loge­

ment jusqu’à sa démission en jan­vier. L’affaire implique également Jacques Ansquer, administrateurdu Centre communal d’action so­ciale nommé par le maire de Mar­seille en 2014. L’ex­président de la Banque alimentaire des Bouches­du­Rhône est un des soutiens af­firmés de la candidate LR aux mu­nicipales, Martine Vassal.

En novembre 2018, M. Ansquer apiloté, à la demande de cette der­nière, les Assises citoyennes de l’habitat. Cette consultation sou­haitée par la présidente de la métropole Aix­Marseille devait apporter des réponses à la crise dulogement insalubre, qui a entraînél’évacuation de 4 000 Marseillais dans plus de 350 immeubles.

Dans le quartier de Périer, au9, rue Mireille, M. Ansquer loue depuis des années une série de chambres que le service d’hygiènede la municipalité juge désormais « impropres à l’habitation ». Des pièces de moins de 9 m2, selon les enquêteurs qui se sont rendus surplace, non équipées de chauffage fixe, ni de système d’aération, dont certaines apparaissent forte­ment dégradées et dont le loyer oscille entre 300 et 400 euros. Mi­chel Fructus, avocat et époux d’Ar­lette Fructus, possède, lui, troischambres dans cette copropriété.

Interrogée, Arlette Fructus, quiest toujours adjointe à la politi­que de la ville et à la rénovation urbaine et vice­présidente de la

métropole Aix­Marseille, expli­que qu’elle ignorait l’existence de ces chambres dans le patrimoine familial. Les actes d’achat ne font, en effet, apparaître que le nom de son conjoint, avec qui l’élue est toutefois mariée sous le régime de la communauté des biens.

Arrêté préfectoral d’insalubritéDès le 11 février, le parquet de Mar­seille a ouvert une enquête préli­minaire pour « conditions d’hé­bergement contraires à la dignité de la personne ». Le cas du 9, rue Mireille doit être rapidement étudié par la commission dépar­tementale de l’environnement, des risques sanitaires et technolo­giques. Un arrêté préfectoral d’in­

salubrité pourrait suivre. A un mois des élections municipales, l’impact de ces affaires à répéti­tion se fait sentir. A gauche, la can­didate du Printemps marseillais, Michèle Rubirola, reproche ainsi àMartine Vassal d’avoir confié la responsabilité des assises de l’ha­bitat à un « marchand de som­meil ». Dans ses listes révélées cevendredi 14 février, la candidateLes Républicains n’a retenu aucun des élus concernés par cesdifférents scandales. Ainsi le na­geur médaillé olympique Frédé­rick Bousquet, dont la presse mar­seillaise révélait en janvier qu’il a revendu, avec une plus­value de 52 %, un immeuble en péril à une société contrôlée par la municipa­

lité, n’y figure pas. De même, les conseillers municipaux Bernard Jacquier, André Malrait et Thierry Santelli, épinglés pour des loca­tions d’appartements indignes.

Non concerné par les joutes mu­nicipales, le conseiller régional Xa­vier Cachard, dont Le Monde a ré­vélé qu’il possédait un logement dans un des immeubles effondrésde la rue d’Aubagne a, lui, quitté sa fonction de vice­président de la collectivité tout en conservant son mandat. En décembre 2019, une pétition lancée par des uni­versitaires a obtenu son rempla­cement au sein du conseil d’admi­nistration d’Aix­Marseille Univer­sité, où il représentait la Région.

gilles rof

« Il n’y a pas la volonté

de concerter lesrouages basiquesde la démocratie

politique ȃRIC WOERTH

député LR

Dans l’hémicycle,les députés

reprennent le texte en partantde la version dugouvernement

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Page 13: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 france | 13

Le face­à­face tendu entreRamadan et ses jugesL’islamologue suisse a été de nouveau mis en examen pour le viol de deux femmes

E xcusez­moi, est­ce que jepeux faire une introduc­tion ? » A la première ques­

tion des juges, Tariq Ramadanrend la pareille. « Je ne suis pas en état de faire cet interrogatoire »,enchaîne­t­il. Puis de conclure : « Je veux que ce que je dis en intro­duction soit acté, j’ai mal à la tête. Vous allez m’écouter. Ça faitquinze mois que je veux vous voir. Ce n’est pas vous qui voulez me voir, c’est moi qui veux être inter­rogé. » Le ton est donné, en ce matin du jeudi 13 février. Moinsde cinq heures plus tard, au termed’un interrogatoire marqué par une tension constante et que Le Monde a pu consulter, l’islamolo­gue suisse de 57 ans, doublement mis en examen pour « viol » et« viol sur personne vulnérable »depuis février 2018, est ressorti du tribunal avec deux nouvellesmises en examen pour viols.

Avant même la notification deces nouvelles poursuites et avant même de répondre aux magistra­tes, Camille Guillermet et CamillePalluel, M. Ramadan en a profitépour dire tout le mal qu’il pensait de l’enquête le visant : « J’ai une dernière remarque et après jerépondrai à vos questions. Je suis scandalisé par la manière dont cette instruction est menée. Apartir d’aujourd’hui, je demande­rai à mon conseil de la manière la plus claire, de façon institution­nelle et médiatique, de dénoncer toutes les atteintes à mes droits. Lecode de déontologie vous imposel’impartialité. » Les juges, du tacau tac : « Nous ne vous avons pasconvoqué pour recevoir une leçonsur l’impartialité. »

« Souffler le chaud et le froid »Si les magistrates souhaitaiententendre le théologien, c’est qu’elles avaient des questions à lui poser concernant les témoi­gnages de deux femmes audition­nées par la brigade criminelle de Paris en tant que témoins, en février 2019, après avoir été iden­tifiées par les enquêteurs sur les photos retrouvées dans l’ordina­teur de M. Ramadan. Toutes deux ont décrit des relations sexuelles violentes avec lui.

La première a déclaré avoir ren­contré l’intellectuel musulman en mars 2016, dans un hôtel pari­sien. Quelques semaines aupa­ravant, elle avait commencé à échanger des messages avec lui. Il lui demande de lui envoyer des photos d’elle, comme dans cemessage daté du 1er mars : « Tutiens parole avec une présence constante avec des messages et une photo minimum par jour et la possibilité de communiquer sur Viber ou tu disparais à tout jamais.Ou tout, ou rien. »

N’a­t­il pas joué à « souffler lechaud et le froid » avec cette jeune femme, en lui signifiant la fin deleurs échanges, puis en reprenantceux­ci après qu’elle lui a envoyé les photos exigées ?, demandentles juges. « Une lecture partiale et sélective », estime M. Ramadan :« Vous auriez un zéro pointé enévidence, car dans ces échanges,l’évidence montre qu’elle joue autant au chaud et au froid. » Il avance une relation « consentie ».

La femme, elle, qui avait parléd’un « viol moral » ressenti aprèsdes actes sexuels décrits commeviolents, avait déclaré aux enquê­teurs : « Il a une telle emprise survous qu’on fait tout ce qu’il nousdemande, on n’est plus maître denotre personne. Mais cette rela­tion physique a été consentie. Il faudrait une autre infraction pour ce genre de personne. » Elle a fini par porter plainte il y a quelques semaines. Mais Tariq Ramadanl’assure : « Tout ce qui s’est passédans la chambre s’est passé de façon consentie, sans aucune vio­lence. » Agacé par certaines inter­rogations des juges, qu’il estime

partiales, l’islamologue afficheson incompréhension. Parfois, il rit, note la greffière présente. Puisil s’exclame : « C’est surréaliste !Mon Dieu, mon Dieu… » A certai­nes questions très précises sur ledéroulé de ces rencontres, il ne souhaite toutefois pas répondre.

« La matérialité de gestes sexuelsdans un dossier ouvert pour violsfait absolument partie des ques­tions utiles à la manifestation dela vérité, tentent les juges.

– La femme qui témoigne vousdit c’est consenti, vous lisez “il y a viol”.

– Elle indique avoir été “violéemoralement”.

– J’aimerais que vous fassiezintervenir dans la loi française et la jurisprudence la définition cri­minelle du viol moral. »

A propos de la deuxièmefemme, qu’il a vue en novembre et décembre 2015 dans un hôtel, M. Ramadan évoque aussi des relations consenties. Il souli­gne qu’elle n’a pas porté plainte. Et balaie les descriptions de rapports violents, « copier­coller » selon lui des dépositions des premières plaignantes. Enfin, il déplore que les juges n’aient pas entendu ces deux femmes avantde l’interroger.

« Quels sont les gestes sexuelsavec elle ?, essaie à nouveau une juge.

– Tous les gestes qui ont été faitsont été consentis.

– Ce n’est pas ma question.– C’est ma réponse. »

« Une mascarade »Tariq Ramadan balaie une quel­conque « fascination » qu’il aurait exercée à l’époque sur cesfemmes qui le mettent désormaisen cause. « [Elles] ne sont pas sous emprise. C’est vous qui êtes sous emprise, accuse­t­il. Une emprise politique. Cette instruction est une instruction sous emprise. Ces femmes ont des dépositions chan­geantes, similaires, concordantesdans leurs mensonges. Et votrelecture, c’est de chercher entre les lignes des éléments qui pourraient vous sauver ou sauver le naufrage de cette instruction. J’assiste de­puis deux ans à une mascarade. »

Il dénonce une persécutionjudiciaire, selon lui liée à ses idées.« Vous, mes juges d’instruction, vous êtes en passe de donner une nouvelle définition du viol qui ne s’appliquera de fait à aucun homme politique, aucun metteuren scène (…), à l’exception d’unhomme qui n’est pas coupable par son action mais qu’on veutrendre coupable (…) de ce qu’il pense et ce qu’il défend. C’est ça maseule culpabilité.

– L’homme dont vous parlez,c’est vous ?

– Oui, je parle de moi à la troi­sième personne pour me mettre à distance de ce sujet. »

De cet interrogatoire, TariqRamadan résume sa vision enune phrase : « Nous assistons – et vous le savez – au dévoiement de lacause des femmes. »

Face à ces accusations répétées,les magistrates s’interrogent :

« Avez­vous déposé ou envisa­gez­vous de déposer une requête en suspicion contre vos jugesqui instruisent selon votre expres­sion de manière partiale ?

– J’en discuterai avec monconseil. »

yann bouchez

Thiriez, la mission des dupesAprès des mois de polémiques, le rapport sur la haute fonction publique doit être officiellement remis mardi au premier ministre

RÉCIT

L e 10 novembre 1630,Louis XIII réussit unmagistral coup politique :faisant croire à tous qu’il

s’apprête à limoger son premier ministre Richelieu, il lui réitère aucontraire sa confiance, tout en éliminant ses ennemis. C’est la« journée des dupes ». La missionThiriez sur la haute fonction publique a de cela : une formida­ble opération de dupes, dans laquelle tout le monde s’est trompé sur tout le monde.

Le rapport de Frédéric Thiriezdoit être officiellement remis au premier ministre, Edouard Phi­lippe, mardi 18 février. En réalité,l’énarque, avocat et ancien prési­dent de la Ligue de footballprofessionnel, missionné il y a neuf mois, a remis le document par courriel dès le 24 janvier. Il en a même fait porter, le 11 février, une version imprimée et brochée,accompagnée d’un courrier, à Emmanuel Macron et à M. Phi­lippe. Matignon affirmait cepen­dant encore, la semaine dernière, attendre impatiemment le rapport Thiriez…

Le jeu de dupes dure en réalitédepuis le début. Le 25 avril 2019, lechef de l’Etat tient une conférencede presse pour tirer les leçons dela crise des « gilets jaunes ». Depuis quelques jours, on lui prête l’idée de supprimer l’Ecolenationale d’administration (ENA).Ce jour­là, il la confirme, presqueà contrecœur, au détour d’une question, évoquant également« la fin » des grands corps. M. Ma­cron entend­il fermer l’Inspec­tion générale des finances (IGF), leConseil d’Etat et la Cour des comptes, dans la foulée de l’école sise à Strasbourg ? Son entourage se montre rassurant, mais la confusion est générale.

« Un drôle de choix »Peu avant l’intervention présiden­tielle, le secrétaire général de l’Ely­sée appelle Frédéric Thiriez. « Si jamais le président de la Républi­que vous confie cette mission, est­ce que vous l’acceptez ? », inter­roge Alexis Kohler. Bien sûr, répond l’avocat, qui avait envoyéune note de deux pages à M. Ma­cron pour lui présenter ses idées.« Mais ce n’est pas sûr », précise M. Kohler. Deux heures plus tard, Frédéric Thiriez apprend sa nomi­

nation en regardant la conférencede presse à la télévision. « Cela m’asurpris. Je n’ai pas compris ce que l’ancien président de la Liguede foot venait faire là­dedans », confie aujourd’hui un ministre. « C’est un drôle de choix, abonde un haut fonctionnaire. Thiriez est tout de même l’exemple même du pantouflage. Je ne critique pas, mais, du coup, il était extrême­ment éloigné du sujet. Cela nous a tous surpris de voir qu’il s’intéres­sait encore à la fonction publique. »

Frédéric Thiriez est reçu dès lelendemain par Edouard Philippe. Veut­il une commission ? « Sur­tout pas, répond l’avocat. Je ne suispas un perdreau de l’année : une commission, cela sert à enterrer un sujet. » Ce sera donc « un com­mando » constitué de FlorenceMéaux, responsable de la mission« cadres dirigeants » de l’Etat, etde Soraya Amrani­Mekki, profes­seure de droit, bientôt rejointes par un ami de M. Thiriez, le conseiller d’Etat Benoît Bohnert.

Ils reçoivent une lettre de mis­sion signée le 8 mai par M. Phi­lippe. Mais elle est aussitôt an­nulée par une seconde missive,qui arrive le 14… Les courriers sont quasiment identiques, à une différence près : le premier indi­que que le gouvernement est l’ini­tiateur de cette réforme, ce que le second rectifie : non, il s’agit du président de la République. Mati­gnon a toujours nié l’existence de deux lettres.

Le rapport est attendu pour finnovembre 2019. Les auditions s’enchaînent – 270 en tout –, lescontributions pleuvent : 150 arri­veront sur le bureau de M. Thiriez.Le rythme est intense. Il arrivemême que la petite troupe se retrouve pour un week­end de travail dans le manoir de l’avocat, situé dans le Perche. « Ça a été trèsdur, commente une source qui a vu la petite équipe travailler. Lamission était gigantesque, et ils

avaient neuf mois quand il auraitfallu deux ans. » Surtout que les rapporteurs n’ont pas lâché leur activité professionnelle.

En novembre, les rumeurs vontbon train. Les premières proposi­tions seraient « trop faibles », entend­on, et Frédéric Thiriez neserait pas un bon choix. « Comme tous ces anciens énarques,commente un observateur avisé, ils parlent de l’école qu’ils ont connue il y a trente ans, mais qui n’existe plus. Le procès en incom­pétence est venu de là. » De son côté, un ministre lâche : « Il neconnaissait rien au sujet. Ses propositions n’allaient pas. »

Frapper fortThiriez a cédé aux grands corps, affirment certains. « Ils ont plaidé leur cause avec beaucoup declasse, pas du tout avec la hargneque l’on dit », assure au contraireune source de premier plan. Contrairement aux magistrats ju­diciaires, ils étaient même très de­mandeurs de réformes. C’est qu’ils ont senti le vent du boulet…Car, en réalité, c’est l’Elysée qui aexercé la plus forte pression, pré­cise un haut fonctionnaire très aufait des péripéties de la mission : « L’Elysée a toujours été sur une li­gne plus dure de rupture par rap­port à Matignon. » EmmanuelMacron juge la protection à viedont jouissent les hauts fonction­naires des grands corps commeune rente hors d’âge. Et, au grand dam de Matignon, la présidenceest prête à frapper fort.

La fonction publique est diviséeen « corps » : chacun d’eux regroupe des fonctionnaires quirelèvent d’un statut particulier(mode de recrutement, missions, avancement, etc.). L’idée est de supprimer ceux du Conseil d’Etat,de la Cour des comptes et de l’Ins­pection générale des finances. Voilà ce qu’Emmanuel Macronavait en tête le 25 avril.

C’est une bombe. Cela revien­drait à retirer beaucoup de protec­tions aux magistrats des grands corps. En novembre, on demandeà Frédéric Thiriez d’étudier cette option qu’il avait eu le tort d’oublier. Finalement, il ne la pro­posera que pour l’IGF, car le Con­seil d’Etat et la Cour des comptes sont protégés par la Constitution.

A cette époque, un autre pointagite l’exécutif. Emmanuel Ma­cron est persuadé que l’on ne réus­

sira pas à rendre la haute fonction publique plus représentative de la population sans instaurer unconcours spécifique pour les can­didats issus des milieux modes­tes. Frédéric Thiriez réfléchit donc à cette option, ainsi qu’à un dou­ble classement. Entre­temps, de nombreux membres du gouver­nement ont alerté le chef de l’Etat sur les dangers de la discrimina­tion positive. « Si vous instaurez un concours spécifique à l’entrée decette école, explique l’un d’eux, vous commencez à mettre le doigt dans quelque chose qui ne serait plus républicain. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Il estpossible de lancer de nombreuses actions afin d’améliorer la diversitéterritoriale et sociale. »

La mission est donc prolongée.Lors d’une réunion, il est demandéà Frédéric Thiriez de retirer ces propositions. C’est non. « Je vais lesproposer quand même, aurait­il répondu. Chacun son job. Je pro­pose, le gouvernement dispose. » De même pour le classement de sortie de l’ENA, que M. Thiriez veutsupprimer. « Le premier ministre etle président de la République sont en fait d’accord pour maintenir le classement de sortie de l’ENA et rejeter l’idée d’un concours spé­cial », considère une source prochede la mission. Les divergences en­tre Matignon et l’Elysée ne s’avè­rent en réalité pas si profondes.

Un autre soubresaut se produit :Soraya Amrani­Mekki quitte le commando mi­décembre. La pro­fesseure de droit, ancienne mem­bre du Conseil supérieur de la ma­gistrature, n’a pas voulu commen­ter sa décision. Mais il ne fait guèrede doute que la vive opposition dumonde judiciaire à l’idée d’untronc commun avec les autres hauts fonctionnaires n’y est pas étrangère. Elle sera remplacée par Catherine Lagneau, directrice ad­jointe de l’école Mines ParisTech.

Fin janvier, le gouvernementsemble réticent à publier le rapport Thiriez. Qu’en retiendra­t­il, finalement ? « Je ne suis pas sûrque le rapport est à la hauteur des enjeux et qu’il changera grand­chose aux décisions que prendra le gouvernement, suppute un minis­tre. Cela aura été un travail de do­cumentation. » Que le chef d’Etat se décide à le mettre en œuvre, et ce ministre rejoindra les victimesde cette « mission des dupes ».

benoît floc’h

« Je n’ai pas compris ce que

l’ancien présidentde la Ligue

de foot venait faire là-dedans »,

confie un ministre

« Ces femmesne sont pas

sous emprise,c’est vous

qui êtessous emprise »

TARIQ RAMADAN

lorsque emmanuel macron confie, le25 avril 2019, une mission visant à réfor­mer la haute fonction publique à l’avocatFrédéric Thiriez, il expose ses objectifs : les plus hauts serviteurs de l’Etat doivent être plus représentatifs de la société, et il fauten finir avec « la protection à vie » dont jouissent les énarques nommés dans les grands corps. Au terme de neuf mois, lamission a défini quarante propositions.

Une nouvelle ENA pour tous L’Ecole na­tionale d’administration devrait bien dis­paraître. L’établissement qui la remplacera sera dénommé « Ecole d’administration publique » (EAP). Pendant un temps, la mis­sion avait même envisagé « Ecole Charles­de­Gaulle ». Contrairement à aujourd’hui, il sera doté d’un statut d’établissement d’en­seignement supérieur, placé sous l’om­brelle de l’université Paris Sciences et Lettres. Une marque « ENA international » sera préservée pour les activités en lien avecl’étranger. L’EAP aura vocation à formertous les hauts fonctionnaires. Un socle commun de six mois, géré par sept écoles (administrateurs civils, magistrats, com­missaires, santé publique…), débutera par une préparation militaire de trois semaineset l’encadrement de jeunes du service na­tional universel. Suivront quatre mois sur le terrain. Par groupes de sept élèves (puis­qu’il y a sept écoles), ils se rendront qui dansun hôpital, qui dans un tribunal, qui dans une mairie. Objectif : travailler ensemble à

la résolution d’un problème réel. Ensuite, les élèves seront réunis sur trois sites (Stras­bourg, Bordeaux et Rennes), pour suivre quinze jours d’enseignements communs. L’EAP accueillera les futurs administrateurscivils et les ingénieurs des corps techniquesde l’Etat (Mines, Ponts et Chaussées, etc.).

Concours et discrimination positive Leconcours sera profondément remanié. Lamoitié des places sera réservée aux étu­diants, l’autre moitié aux professionnels. Le nombre d’épreuves passerait de dix àsix. La dissertation de culture générale se­rait remplacée par la rédaction d’une notesur une problématique contemporaine.Le candidat, qui aura accès à Internet, de­vra exposer une opinion personnelle. Une épreuve collective de mise en situationévaluera les compétences des futurs élèvesdans une situation donnée. Pour ce qui est de la discrimination positive, la mission propose d’organiser, à titre expérimental,un « concours spécial » pour les jeunes is­sus de familles modestes. Cette voie, diffé­rente du concours général, sera accessible sous conditions de ressources des familles.Dix places (sur 130) leur seront réservées. Le rapport devrait également suggérer la création sur l’ensemble du territoire de vingt classes préparatoires publiques.

Classement de sortie Le classement desortie serait supprimé. Cette procédure, quidénature la formation actuelle de l’ENA,

permet de constituer « la botte », le groupedes quinze meilleurs élèves qui intègrent directement les grands corps à la sortie de l’école. Dorénavant, une phase de recrute­ment aurait lieu entre employeurs et candi­dats. L’entrée dans le grand corps ne se ferait pas immédiatement. Le jeune devraitpartir deux ans dans l’administration de terrain, puis deux années dans l’institutionqu’il a choisie pour apprendre son métier.La titularisation dans le grand corps n’in­terviendrait qu’après quatre ou cinq ans.

Grands corps Les fonctionnaires tra­vaillant au Conseil d’Etat et à la Cour des comptes conserveraient le bénéfice d’un corps spécifique. En revanche, cela ne serait plus le cas pour l’Inspection généraledes finances. Pour lutter contre « la rente », le passage au « troisième grade » (les fonc­tions les plus élevées dans les grands corps)ne sera plus automatique, mais assujetti à une mobilité de trois ans dans des postesopérationnels. A partir de dix ans de car­rière, un haut fonctionnaire pourra candi­dater à l’« Institut des hautes études de ser­vice public ». Chaque année, une promo­tion de 130 à 150 personnes pourra suivre un an de formation « à temps très partiel ».L’exécutif sera invité à puiser dans ce vivierpour les postes les plus prestigieux, dont il conserve le monopole de nomination (pré­fets, ambassadeurs, présidents de tribunal, directeurs d’administration centrale…).

b. f.

Ce que contient le rapport Thiriez sur la haute fonction publique

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Page 14: Le Monde - 18 02 2020

14 | france MARDI 18 FÉVRIER 20200123

Le plan de lutte de Macron contre le « séparatisme »Le chef de l’Etat doit se rendre à Mulhouse, mardi, pour aborder les questions de radicalisation, d’islam politique et de communautarisme. Une prise de position très attendue depuis le début du quinquennat

A près les débats sémanti­ques, place aux annonces.Emmanuel Macron doitcommencer à dévoiler,mardi 18 février, à l’occasiond’un déplacement à Mul­

house (Haut­Rhin), son plan de lutte contrele communautarisme. Ou plutôt contre le« séparatisme islamiste », appellation fina­lement retenue par l’Elysée, après plusieurs mois de tractations et de débats. Unemanière, selon l’entourage du chef de l’Etat, d’agréger sous un même terme ces « notionsentremêlées » que seraient la radicalisation, l’islam politique et le communautarisme. Etde cibler plus clairement « l’hydre islamiste »dénoncée par Emmanuel Macron au lende­main de l’attentat contre la Préfecture de police, à Paris, en octobre 2019.

En se rendant à Mulhouse, dans le quartierde Bourtzwiller, où il doit notamment visi­ter un commissariat de police et rencontrer des acteurs associatifs, le président de laRépublique entend illustrer sa supposée prise en main d’un sujet sur lequel il peine àêtre identifié par l’opinion. « Il recherche uneprise de conscience, un sursaut républicain,une stratégie, des moyens et des mesures clai­res de réponse par l’Etat », assure un proche, pour « mettre un frein au repli communau­tariste et au séparatisme islamiste offensif, prélude à la radicalisation, qui conduit par­fois au terrorisme ». M. Macron devraitcontinuer à enfoncer le clou, la semaine pro­chaine, à l’occasion d’un nouveau déplace­ment consacré à cette question, puis conti­nuer à dérouler ses mesures au lendemain des élections municipales des 15 et 22 mars.

Financement étranger des lieux de culte,formation des imams, structuration de l’is­lam de France, contrôle du développementdes écoles hors contrat ou de l’instruction à domicile… L’ensemble de ces sujets devraitêtre balayé par l’exécutif dans les semaines à venir. « Nous assumons de parler d’isla­misme, qui n’est pas l’islam », soutient un ministre, qui se montre par exemple favora­ble à des contrôles accrus, voire à des disso­lutions d’associations culturelles coupables de dérives : « Certaines associations culturel­les ne font pas du soutien scolaire, maisl’apprentissage du Coran. » « Il y a la volonté d’y substituer une reconquête républicaine », assure­t­on à l’Elysée, qui ferait la part belle à« l’éducation populaire ».

MAJORITÉ DIVISÉECette offensive intervient à la suite deplusieurs mois d’atermoiements de la part d’Emmanuel Macron. Fin 2018, ce dernier avait suscité un tollé en envisageant de réfor­mer la loi de 1905 sur la séparation des égli­ses et de l’Etat, un projet finalement retiré. « Il faut déjà nommer les choses et faire respecter la loi telle qu’elle est. Toucher à la loide 1905, ça fait ressortir l’hystérie », estime undéputé de La République en marche (LRM).

En parallèle, la majorité s’est affichéedivisée sur les questions de laïcité et de communautarisme. Les propos du ministre de l’éducation nationale, Jean­Michel Blan­quer, jugeant le voile islamique « pas souhai­table » dans la société française, ont ainsi provoqué la discorde parmi les macronistes.Un soir de l’automne 2019, M. Blanquers’est notamment agacé dans le huis clos d’une réunion de la direction de LRM de cer­taines prises de position trop conciliantes à son goût : « Nous ne sommes pas le commu­nautarisme en vadrouille, nous sommes La République en marche ! » « Si vous mettiez autant d’énergie à traquer l’argent occultedes mosquées que les mères voilées en sor­

DÉSIREUX D’AFFICHERUN SEMBLANT DE CONCORDE

SUR LE SUJET, EMMANUEL MACRON A RÉUNI, À L’ÉLYSÉE,DES MAIRES DE TOUS BORDS 

CONFRONTÉS DANS LEUR VILLEÀ CES PROBLÈMES

« Communautarisme », « sécession », « séparatisme »… Les dangers de l’amalgameLes atermoiements de l’exécutif réactivent à chaque fois, chez les musulmans, un profond sentiment de malaise, de colère et d’injustice

ANALYSE

A près le plan contre la « ra­dicalisation » et l’appel àune « société de vigilance »

pour lutter contre l’« hydre isla­miste », le combat contre l’« islam politique » et la défense de la « laï­cité », est venu le temps de la lutte contre le « communautarisme », terme remplacé jeudi 6 février par le « séparatisme », plus proche de l’idée de « sécession » évoquée à plusieurs reprises par le chef de l’Etat. Laïcité, loi de 1905, structu­ration de l’islam de France, com­munautarisme… Après une valse­hésitation, Emmanuel Macron devrait finalement dévoiler une partie de sa stratégie visant ceux qui ont « un projet de séparation d’avec la République » au terme d’un déplacement à Mulhouse (Haut­Rhin), mardi 18 février.

Chacun de ses revirements sé­mantiques sème encore un peuplus le flou sur la nature de la « menace » que le gouvernementdit – et redit – vouloir combattreet replace sans cesse l’islam aucœur des débats. Sans compter les polémiques sur le port duvoile, les mères voilées accompa­gnatrices en sortie scolaire ouencore les « listes communautai­res » qui ont jalonné 2019. Des sé­quences très médiatiques, large­ment alimentées par certainsmembres du gouvernement.

Reste une impression : le prési­dent de la République s’y perd ;une certitude : les Français aussi ;et un goût amer : celui, pour lescitoyens de confession musul­mane, d’avoir le sentiment d’être

sans cesse « instrumentalisés »au nom d’un « jeu politicien quinous dépasse », déplore Moham­med Moussaoui, le président deConseil français du culte musul­man (CFCM). Et pour les quar­tiers populaires, d’être en perma­nence montrés du doigt.

« On voit bien qu’il ne s’agit plusde djihad et de terrorisme, on veuts’attaquer à autre chose, sansbien comprendre de quoi il s’agit, observe le député La Républiqueen marche du Val­d’Oise, Auré­lien Taché. La question est desavoir à quoi on s’attaque et qui doit s’y attaquer. » M. Moussaouiappelle à un traitement « propor­tionné » du sujet. « Les musul­mans se sentent doublement ota­ges : de ceux qui veulent leur im­poser des pratiques qui les heur­tent – ils sont les premiers à en souffrir – et des débats publics quifont de leur spiritualité un objet de suspicion permanent. Les pra­tiques d’une petite minorité ontpour effet de mettre à l’indextoute une communauté. Certains politiques en arrivent parfois àfaire comme les islamistes, ils nous essentialisent, nous rédui­sent à notre religion. »

Les atermoiements de l’exécu­tif réactivent à chaque fois unprofond sentiment de malaise,de colère et d’injustice, avec le ris­que de « nourrir ce que les pou­voirs publics sont justement cen­sés combattre », alerte une sourcepolicière, très en pointe sur cesquestions. « Cette surenchère de­vient contre­productive, notam­ment en renforçant le sentiment d’exclusion et de victimisation ».

« A force de manier mal les mots, on fait le double jeu des plus radicaux », met en garde Olivier Klein, maire socialiste de Clichy­sous­Bois (Seine­Saint­Denis).

Vendredi 31 janvier, en déplace­ment à Maubeuge (Nord) sur lethème de la lutte contre le com­munautarisme, Gabriel Attal, se­crétaire d’Etat auprès du minis­tre de l’éducation nationale et dela jeunesse, n’a rien dit de ce« phénomène » érigé début jan­vier par Emmanuel Macron aurang des « grands enjeux de2020 ». Il a parlé de la « relation deconfiance » à restaurer et du « re­tour » de la République dans lesquartiers populaires. « Sur le ter­rain, les habitants des quartiersne se reconnaissent pas dans leterme “communautarisme”, c’est un mot politique et médiatique,explique­t­il. Il ne faut pas arrêterde parler du sujet, mais il faut enparler plus clairement. »

« Phénomène marginal »Cela faisait des mois que certains leaders associatifs et élus de ban­lieue tentaient d’alerter l’exécutifsur les effets pervers de l’impré­cision du terme « communauta­risme ». Le 25 novembre 2019, face à Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’in­térieur, les membres du Conseil présidentiel des villes (25 person­nalités censées alimenter la ré­flexion du président en matière de politique de la ville) dont Em­manuel Macon se dit en privé« très déçu » ont demandé à ce que le gouvernement cesse d’utiliser ce mot « stigma­

L A Ï C I T É

tie scolaire, ça irait mieux déjà… », répondà cela un élu local régulièrement consultépar le chef de l’Etat.

Désireux d’afficher un semblant deconcorde sur le sujet, Emmanuel Macron a réuni pour un déjeuner à l’Elysée,jeudi 6 février, des maires de tous bords confrontés dans leurs villes à ces problèmesde communautarisme. L’occasion pour cer­tains, comme Karl Olive, maire (ex­Les Ré­publicains) de Poissy (Yvelines), de plaider en faveur de la signature d’une charte de la laïcité à chaque embauche de fonctionnaire.Un rendez­vous à l’occasion duquel le chef de l’Etat a tâché de faire preuve d’œcumé­nisme en invitant à sa table les députés LRMAurore Bergé et Aurélien Taché, qui repré­sentent respectivement l’aile droite et l’ailegauche de la Macronie.

PLUS DE FERMETÉJadis soucieux de souligner la « part deresponsabilité » de la société française dansl’émergence du terrorisme – « Quelqu’un, sous prétexte qu’il a une barbe ou un nom à consonance qu’on pourrait croire musul­mane, a quatre fois moins de chances d’avoirun entretien d’embauche qu’un autre », estimait l’ancien ministre de l’économie, en 2015 –, Emmanuel Macron évolueaujourd’hui vers plus de fermeté. « Vousavez des gens qui ne sont pas intégrés, quisont en sécession de la République, qui se moquent de la religion, mais l’utilisent pourprovoquer la République », soulignait­il,en octobre 2019, dans un entretien au très droitier hebdomadaire Valeurs actuelles.« Le président a autour de lui des gens aux idées, beaucoup plus conservatrices que lui,peste un macroniste. Après, c’est lui qui choisit ces personnes… »

Selon certains élus, cette conversionrépond aussi à un impératif électoral, à la veille des municipales et de la présidentiellede 2022, visant à endiguer la droite. « Nous sommes aujourd’hui jugés en deçà sur laréponse pénale, sur la lutte contre le sépara­tisme, sur l’immigration. On a un manque d’autorité sur ces sujets par rapport à certainsde nos adversaires », relève une députée de lamajorité. Le président du groupe Les Répu­blicains au Sénat, Bruno Retailleau, ne s’y est d’ailleurs pas trompé. « Il a fallu trois ans à Emmanuel Macron pour savoir si on devaitparler de communautarisme ou de sépara­tisme. Pendant ce temps, on est en train de perdre le combat contre l’islamisme », esti­me­t­il dans un entretien au Journal du dimanche, relevant un « manque » de « luci­dité » et de « courage ».

« Il faut qu’on se forge une doctrine, qu’ons’exprime sur ces sujets, sinon on seratoujours en réaction sur des faits divers, et c’est l’extrême droite qui emportera la mise », prévient un cadre de la Macronie. Pour l’heure, le chef de l’Etat a prévu de semer çàet là des petits cailloux.

olivier faye et cédric pietralunga

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Page 15: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 france | 15

Emmanuel Macron au repas de la rupture du jeûne, organisé par le Conseil français du culte musulman, le 20 juin 2017, à Paris.IVAN GUILBERT/COSMOS POUR « LE MONDE »

tisant » à « tout bout dechamp ». En vain. Du moins jus­qu’au 6 février.

Alors, de quoi parle le présidentde la République lorsqu’il ex­horte ses ministres à se saisir dusujet lors du conseil des minis­tres du 15 janvier ? A quel typede comportements fait­il réfé­rence ? « Ce n’est pas un tableauExcel, répond Gabriel Attal. C’estsouvent de l’ordre du ressenti desélus, des associations… Une prati­que rigoriste ne pose pas de pro­blème en soi, ce qui en pose, c’estlorsque des gens qui ont un projetpolitique s’installent dans unquartier et cherchent à imposerdes règles qui ne relèvent pas de laRépublique mais d’une concep­tion dévoyée de la religion. » Un phénomène qui, précise le mi­nistre, reste « marginal au niveaunational », mais « préoccupantdans certains territoires ». Le poli­cier, fin connaisseur du sujet, précise : « Je n’ai jamais vu dequartier entier à la main des isla­mistes, mais plutôt des petits groupes composés de quelques familles qui peuvent polluer tout un quartier en exerçant une pres­sion sociale diffuse. »

Pour Didier Leschi, président del’Institut européen en sciences des religions (IESR) et ancien pré­fet pour l’égalité des chances en Seine­Saint­Denis, le mot « sépa­ratisme » est « un mot plus juste » : « Il est utilisé lorsque l’on parle de dérives sectaires et décrit une vo­lonté d’entre soi avec mise à dis­tance plus violente des autres et une volonté d’imposer des normes sociales à l’intérieur de ce groupe. »

Illustration de ces « dérives », lenombre d’écoles hors contrat : enprogression de 65 % entre 2013 et2018. 60 % d’entre elles sont desécoles confessionnelles musul­manes. Avec les scolarisations à domicile, cela concerne 100 000enfants sur 12 millions d’élèves scolarisés. « La question n’est pascelle du nombre, très minoritaire,mais celle de la dynamique : est­ceque cela progresse ou pas ? Et sioui, comment enrayer ce mouve­ment. » Malgré les demandes, leministère de l’éducation natio­

nale ne transmet aucun exempleprécis d’entorse à la laïcité. Dans sa note d’information da­tée de novembre 2019, la direc­tion de l’évaluation de la pros­pective et de la performance(DEPP) évalue les atteintes à la laïcité à seulement 1 % de l’en­semble des faits graves déclaréspar les chefs d’établissement,évoquant succinctement le refusou la contestation d’un ensei­gnement, le port de signes ou devêtements ostentatoires, ainsique des actes de prosélytisme.

Le social, « parent pauvre »A Maubeuge (Nord), la directricede l’école Pierre­Corneille liste quelques cas : un élève qui refusede chanter en cours de musique, une autre qui présente un certifi­cat médical pour éviter la piscine,des pères qui ne s’adressent pas aux enseignantes ou encore cer­tains enfants qui, en classe d’his­toire, convertissent les dates se­lon le calendrier de l’Hégire. « Dessituations de moins en moins fré­quentes », précise la jeune femmequi met en avant les actions engagées afin d’inclure les mères,voilées ou pas, dans la scolarité de leurs enfants, comme descours d’alphabétisation par lebiais d’une association.

« La plupart des personnes accu­sées de communautarisme ne sont pas contre la République,elles ne connaissent pas la Répu­blique, estime Arnaud Decagny,maire sans étiquette de Maub­euge. Il y a eu un abandon. Réaf­firmer la République, ça veut dire

discuter et inclure, pas montrer du doigt et exclure. »

Parallèlement à la création dequartiers de reconquête républi­caine (QRR), des « plans de luttecontre l’islamisme radical » ontété mis en place depuis fé­vrier 2018. Les services de l’Etatont fait usage de la loi controver­sée sur la sécurité intérieure(SILT) qui permet la fermeture delieux de culte en s’appuyant surla simple diffusion de « propos »,« idées » ou « théories » « incitantà la violence, à la haine ou à la dis­crimination ». Douze mosquéesont ainsi été fermées. En multi­pliant les contrôles en ma­tière d’hygiène, de sécurité oude fraude fiscale, 129 débits de boissons ont également été fer­més, ainsi que quatre écoles etneuf associations.

Au­delà de cette « stratégied’entrave » reste le volet social, « l’enjeu majeur », selon OlivierKlein, et le « parent pauvre », se­lon nombre d’associations etd’élus, des trois premières an­nées du quinquennat au cours desquelles le tissu associatif a étésensiblement fragilisé par le geldes emplois aidés. Si les ques­tions relatives à la formationdes imams, l’apprentissage de l’arabe ou encore le financementdes lieux de culte (qui nécessi­tera éventuellement un toilet­tage de la loi de 1905, une optionque le chef de l’Etat n’a pas écar­tée) devraient figurer parmi lesannonces du président de la Ré­publique, « investir dans l’emploi,le logement et les associations reste les premiers outils de luttecontre ce “communautarisme” », martèle l’élu de Clichy­sous­Bois.Plusieurs pistes sont évoquées :le développement des maisons France Services, de cités de l’em­ploi et des commerces de proxi­mité, la lutte contre les discrimi­nations… « La coercition ne doit pas être la seule approche, plaidele député Aurélien Taché, qui re­présente l’aile gauche de la Ma­cronie. Il faut développer une lo­gique d’inclusion afin que tous sesentent pleinement français. »

louise couvelaire

Accompagnement sexuel des handicapés : le débat rouvertLe gouvernement a saisi le Comité consultatif national d’éthique sur cette pratique existante mais illégale en France

L a question autour de l’ac­compagnement sexuelvient d’être relancée. Le

8 février, le gouvernement a saisi le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur le sujet, après un premier avis négatif rendu en 2013. Le droit à la vie sexuelle des personnes handicapées ne doit plus être « un tabou dans la so­ciété », a renchéri, mardi 11 février, Emmanuel Macron lors de la Con­férence nationale du handicap. AuDanemark, en Allemagne, auxPays­bas, en Belgique ou en Suisse,les « accompagnants sexuels » ont une existence légale.

D’une voix aux intonations mé­talliques caractéristiques d’une trachéotomie, Marcel Nuss se sou­vient de l’épisode qui fonda, dans les années 1970, son combat en fa­veur du droit à la sexualité des per­sonnes handicapées. Celui qui créera quelques décennies plus tard l’Association pour la promo­tion de l’accompagnement sexuel (APPAS) n’est alors qu’un jeune adulte, qu’une amyotrophie spi­nale a conduit à l’hôpital. Il passe plus de cinq ans, de ses 19 à ses 25 ans, dans un service de réani­mation. Les infirmières et aides­soignantes ont le même âge que lui. Elles lui racontent tout de leursrendez­vous galants. « Je voulais à mon tour partager ce que je ressen­tais, mais elles avaient alors sou­dainement une urgence qui les ap­pelait hors de ma chambre. » Un jour, « rongé par [s]a libido », Mar­cel Nuss invite une infirmière à soulever son drap pour constater l’impasse dans laquelle il est. Elle découvre son pénis en érection : « Elle a souri, et elle est partie. J’ai eutellement honte ce jour­là ! »

Désormais sexagénaire, MarcelNuss a eu une vie affective bien remplie. Il a épousé deux femmes – dont une ancienne accompa­gnatrice sexuelle – et a eu deuxenfants. Après avoir cofondé en 2007 le collectif Handicaps et sexualités, il s’inspire des disposi­tifs existant à l’étranger et lance l’APPAS. Cette association met en relation des personnes en situa­tion de handicap avec des accom­pagnants sexuels ayant préalable­ment suivi une formation : des cours théoriques sur la législa­tion, la sexologie et les handicaps, ainsi qu’un apport pratique par le biais de témoignages et d’exerci­ces de mises en situation.

Depuis 2015, environ 80 « ac­compagnants » ont été formés parl’APPAS et quelque 2 500 person­nes ont fait appel à ses services. Aux yeux de la loi, il s’agit de« proxénétisme ». Les accompa­gnants sexuels se livrent à de la prostitution, dont l’exercice n’est

pas illégal en France. Leurs clients handicapés, en revanche, risquentune amende de 1 500 euros.

Jeanne (le prénom a été modifiéà sa demande) a été parmi les pre­mières personnes à suivre le pro­gramme de l’APPAS. A 46 ans, elle est devenue auxiliaire de vie auprès d’un homme lourdement handicapé. « Alors que nous nous promenions, je lui ai passé de la crème solaire sur le bras. “Tu as un toucher sensuel”, m’a­t­il lancé. C’est à cet instant que j’ai pris cons­cience que personne ne le touchaiten dehors des actes médicaux. » Elle commence à le masser plus souvent. Puis ses demandes se font plus spécifiques. C’était il y adeux ans et demi. Depuis, Jeanne fait de l’accompagnement sexuel.

Comme Cybèle Lespérance,38 ans, ex­travailleuse du sexe : « Il y a un an et demi, j’ai été contactée par quelqu’un qui cherchait à aiderun proche paralysé à la suite d’un accident à se reconnecter à son corps. » Bien souvent, les tra­vailleurs et travailleuses du sexe sont confrontés aux diversités descorps, mais certains refusent d’avoir des rapports avec des per­sonnes handicapées, dit­elle. « Il y a des éléments spécifiques à pren­dre en compte : une possible incon­tinence, la question de la douleur ou encore la manière de déshabillerl’autre », précise Mme Lespérance.

L’accompagnement sexuel estune activité complexe, qui ne se résume pas à l’acte de pénétra­tion. Masseur de profession, Fa­brice Flageul a rejoint l’associa­tion en 2015. Il a depuis côtoyé unedizaine de clientes : « Je n’en ai ren­contré qu’une dont la demande était purement physique, précise lequinquagénaire. Les désirs sontvariés, mais il est plus souvent question d’une expérience affectiveet sensuelle. » Sa prestation se ré­sume parfois à un simple dîner.

C’est cette « chaleur humaine »que cherchait Patricia Assouline, atteinte d’une arthrogrypose qui la rend incapable de se servir de ses membres, en recourant à des accompagnants sexuels. En 2013, àla suite du refus du CCNE, la comé­dienne avait lancé un cri d’alarme

dans Libération : « Je veux faire l’amour ! J’ai passé quarante ans sans aucune expérience ni intime ni sexuelle. » Passer par des asso­ciations la rassurait.

L’activité d’accompagnementsexuel est tarifée : l’APPAS préco­nise 150 euros pour une session d’une heure trente minimum. Une transaction financière qui permet de limiter les risques d’at­tachement, dit Marcel Nuss, maisqui l’inscrit dans une zone grise. Fabrice Flageul réfute toute assi­milation de son travail à la prosti­tution : « On crée un lien. Cela de­mande du temps et de l’investisse­ment. Notre activité ne peut pas être résumée à celle d’un escort. »

Déplorant l’hypocrisie qui pré­vaut en France – « Nous n’avons ja­mais été inquiétés par la justice » –,Marcel Nuss plaide pour un enca­drement légal : « On ne dit pas que c’est la solution, mais c’est une so­lution. » Les récentes déclarations de la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, sont pourtant loin de satis­faire l’APPAS. « C’est une annoncepurement politique : la ministre ne nous a même pas contactés pour en discuter », souffle M. Nuss.

« Ghettoïsation »Le Haut Conseil à l’égalité (HCE) a fait part, mardi, de son opposi­tion : « Légaliser l’achat de services sexuels serait contraire à notre lé­gislation contre l’achat de prostitu­tion. » Le HCE cite dans son com­muniqué Maudy Piot, ex­prési­dente de l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir, se­lon laquelle il s’agit « d’une mau­vaise réponse à un vrai problème » :« Poser comme principe qu’il y a une sexualité spécifique des per­sonnes handicapées qui réclameune réponse spécifique est une er­reur, et conduit – une fois de plus – à la ghettoïsation du handicap. »

« L’un des principaux intérêts denotre démarche, rétorque Fabrice Flageul, c’est que les personnes quenous accompagnons retrouvent suffisamment confiance en elles et en leur corps pour s’épanouirsans. » Patricia Assouline se mon­tre plus sceptique : « On reste avec le même handicap et les mêmes problématiques, mais indéniable­ment, on se sent mieux. »

Pour les partisans de la fin de lacriminalisation du recours à la prostitution, comme Cybèle Les­pérance, « le véritable enjeu est defavoriser l’inclusion des personneshandicapées dans la société. C’est par ce biais qu’elles seront capablesde rencontrer d’autres individus, desociabiliser, et naturellement desrelations se noueront. »

aude lasjaunias

« Il est plus souvent questiond’une expérience

affective et sensuelle »FABRICE FLAGEUL

membre de l’Association pour la promotion de

l’accompagnement sexuel

« ON VOIT BIEN QU’IL NE S’AGIT PLUS DE DJIHAD 

NI DE TERRORISME, ON VEUT S’ATTAQUER 

À AUTRE CHOSE, SANS BIEN COMPRENDRE 

DE QUOI IL S’AGIT »AURÉLIEN TACHÉ

député LRM du Val-d’Oise

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, fait sa-voir que, la garantie financière dont bénéfi-ciait la :SARL ATLAN CONSEIL ÉTUDE ETTRANSACTION EN IMMOBILIER :

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Page 16: Le Monde - 18 02 2020

16 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE MARDI 18 FÉVRIER 20200123

Alstom prêt à acheter Bombardier TransportLe groupe tricolore aurait trouvé un accord préliminaire pour reprendre la division ferroviaire du canadien

montréal ­ correspondance

A près des semaines derumeurs, l’accord tantannoncé entre Alstomet Bombardier devrait

être présenté prochainement. Lundi 17 février, dans un commu­niqué, l’entreprise française aconfirmé que « des discussionssont en cours concernant une po­tentielle acquisition de Bombar­dier Transport », mais qu’« aucunedécision finale n’a été prise ». Selonle Wall Street Journal, un accord préliminaire a été conclu dès ceweek­end. Le quotidien améri­cain évoque une transaction deplus de 7 milliards de dollars amé­ricains (6,5 milliards d’euros).

Plusieurs sources en France etau Canada assurent au Mondequ’une annonce est bel et bien at­tendue très rapidement. « C’estune bonne nouvelle pour la France et le Canada, et le Québecen particulier », commentait ainsi une source proche du gouverne­ment québécois.

Du côté des syndicats d’Alstom,l’annonce ne fait vraiment plus de doute. « Par rapport au projet de fusion avec Siemens, qui aéchoué l’an dernier, ce projet appa­raît plus équitable, notamment au niveau de la gouvernance »,assure une source syndicale fran­çaise. De fait, l’entreprise diri­gée par Henri Poupart­Lafarge devrait mettre la main et contrô­ler directement BombardierTransport, qui compte plus de 40 000 salariés, contre 36 000pour le groupe français.

Dans le détail, Alstom doit ache­ter l’entreprise canadienne – dontle siège de la division est histori­quement installé à Berlin – pour70 % en numéraires et 30 % en ac­tions. La Caisse de dépôt et pla­cement du Québec (CDPQ), quidétient 32,5 % de BombardierTransport, doit devenir, à moyenterme, le premier actionnairedu groupe ferroviaire français,avec une participation de 15 % à20 %. Bouygues, l’actuel premier actionnaire d’Alstom, pourrait,

pour sa part, voir sa participationdiluer à quelque 10 %, contre 15 % actuellement.

Au Canada, la cession du secteurtransports de Bombardier à Als­tom est un pas de plus dans le dé­mantèlement de l’entreprise, de­venu inéluctable au regard de sonendettement, 9,3 milliards de dollars américains de dettes àlong terme. Son PDG, Alain Belle­mare, avait pris les commandesde ce groupe familial, ex­fleuronéconomique canadien, le 13 fé­vrier 2015, et commencé à pro­céder à la cession de nombreux actifs : avions turbopropulsés,Q400, jets régionaux CRJ et l’an­cien C­Séries, devenu Airbus A220. Mais, apparu en sauveur il ya tout juste cinq ans, Alain Belle­mare a échoué à dessiner une stratégie claire et pérenne pour sortir la multinationale de son endettement. La défiance à son égard s’est accrue ces derniers mois, l’action Bombardier, qui co­tait 2,61 dollars à son arrivée, senégociait à 1,65 dollar le 14 février.

Malgré un carnet de comman­des bien rempli (10 milliards dedollars américains de nouveaux contrats en 2019, et un carnet to­tal de 35,8 milliards, selon les ré­sultats financiers présentés le 13 février), la division transports de Bombardier a connu, en 2019,une baisse de ses résultats en rai­son de problèmes techniques en­traînant des retards de livraison, en Allemagne, en Suisse ou au Royaume­Uni, qui l’ont privée d’autant de liquidités attendues et fragilisé un peu plus sa crédibi­

lité aux yeux des investisseurs. Le13 février, à l’occasion de la pré­sentation des résultats financiers du groupe pour 2019 (et une pertesupplémentaire de 1,6 milliard de dollars), Bombardier avait an­noncé avoir cédé sa participation restante dans la société en com­mandite Airbus Canada, qui con­trôle l’A220, à Airbus et au gouver­nement du Québec.

L’entreprise affirmait alors« qu’elle étudiait toujours active­ment des options pour accélérer son désendettement ». Avec ce ré­cent retrait dans l’aéronautique et cette nouvelle cession de sa divi­sion transports, la multinationale canadienne va désormais se con­

centrer sur une seule activité, les jets d’affaires, la plus rentable aujourd’hui, notamment avec son programme phare, le Global (7,5 milliards de revenus en 2019). L’entreprise annonçait, jeudi, une livraison programmée d’au moins160 avions pour l’année 2020.

Double avantage pour le QuébecLe scénario qui se dessine est celuiqui, depuis quelques semaines, avait la préférence du premier mi­nistre du Québec, François Le­gault (CAQ , Coalition Avenir Qué­bec, centre droit). Il offre, selon le gouvernement, un double avan­tage : celui de voir Bombardier préserver sa division des jets d’af­

faires, la plus porteuse en termes d’emplois (13 700 au Canada dont 10 800 au Québec), tout en se don­nant les moyens de constitueravec Alstom « un champion fran­co­américain du transport ». Un géant de quelque 15 milliards d’euros de chiffres d’affaires qui serait à même de concurrencer le numéro un du secteur, l’entre­prise d’Etat ferroviaire chinoiseCRRC, deux fois plus gros que lui.

Reste un important écueil à pas­ser pour le futur ensemble : faireaccepter ce rapprochement par les autorités de la concurrence, notamment en Europe. En fé­vrier 2019, la Commission euro­péenne avait refusé le regroupe­

La Suisse freine le déploiement de la 5GPremier pays après la Corée du Sud à adopter cette technologie, la Confédération helvétique doit faire face à une contestation populaire qui prend de l’ampleur

genève ­ correspondance

C’ est le paradoxe du dé­ploiement de la 5G enSuisse. La Confédéra­

tion, habituellement raillée pour sa lenteur et son caractère rétif auchangement, fait aujourd’hui les frais de sa hâte à installer cette nouvelle technologie sur l’ensem­ble de son territoire, sans avoir saisi l’enjeu citoyen derrière cette révolution numérique.

Résultat, un an après avoir ac­cordé les premières licences d’ex­ploitation, le déploiement de la 5G se heurte à une opposition po­litique, à coups de moratoirespour bloquer les nouvelles instal­lations d’antennes et une forte mobilisation citoyenne. Après des mois à faire la sourde oreille, Berne a fait un premier pas en di­rection des opposants, samedi15 février. La Confédération a dé­cidé de reporter indéfiniment ses directives en attendant de mieux mesurer les effets réels de la 5G et de conserver les valeurs limites actuelles, qui ne permettent pas de déployer ce nouveau standard mobile à sa pleine capacité.

Tout avait pourtant bien com­mencé. La Suisse devait être lepremier pays occidental à déve­lopper cette technologie révolu­

tionnaire, censée améliorer la ra­pidité et réduire les temps de la­tence pour mieux développer les objets connectés, de la voiture autonome au réfrigérateur intel­ligent. En moins de deux mois, lesfréquences, mises aux enchères pour 380 millions de francs suis­ses (357 millions d’euros), avaient été attribuées aux trois opéra­teurs de téléphonie mobile Swiss­com, Sunrise et Salt. Le 17 avril 2019, les premières antennesétaient déployées, et les opéra­teurs promettaient que 90 % du territoire suisse serait couvert, dès décembre 2019.

Quel « effet sur la santé » ?Mais, à Genève, des habitants commencent à ressentir les pre­miers effets secondaires, dès le18 avril 2019. Le mouvement estlancé. Bertrand Buchs, médecin et député du Parti démocrate chrétien (PDC) pour le canton de Genève, s’étonne encore de la « vi­tesse supersonique des conces­sions offertes sans aucune concer­tation sur les risques sanitaires,environnementaux et sécuritaires, avec l’utilisation par l’opérateur Sunrise de la technologie de l’en­treprise chinoise Huawei. »

L’Etat Suisse – actionnaire à51,2 % de l’opérateur Swisscom –

n’a pas pris la peine d’attendre la publication d’un rapport d’ex­perts sur les risques engendrés par la 5G. Rendu public en novem­bre 2019, celui­ci n’offre aucune recommandation concrète.

Le médecin, lui, ne décolère pasdu flou savamment entretenu. « Les opérateurs assurent qu’ils dé­ploient de la 5G, mais c’est une 4G améliorée. Le jour où la 5G va vrai­ment arriver, ce sera autre chose.On n’a aucune idée de l’effet de cesondes sur la santé. Il n’y a aucuneurgence à déployer la 5G en Suisse. Les citoyens ne veulent pas de cesaut dans l’hyperconnectivité. »

Du côté des opérateurs de télé­phonie mobile, on plaide l’éter­nelle querelle entre les anciens etles modernes. Swisscom rappelle« qu’il y a eu les mêmes opposi­tions avec la 3G. Et pourtant, per­sonne ne souhaiterait revenir en arrière », estime Christian Neu­haus, porte­parole de l’entre­prise. Chez Salt, le concurrent, propriété de Xavier Niel, action­naire à titre individuel du Monde,on souligne le paradoxe. « Lesconsommateurs utilisent de plusen plus de données mobiles. Ilsveulent le meilleur réseau et le ré­seau le plus rapide, partout. Maisils ne veulent pas de l’infrastruc­ture nécessaire. »

Faux, répondent les organisa­tions citoyennes, créées au prin­temps 2019, à l’image de Frequen­cia, qui souligne « ne pas avoir de positions idéologiques ». Sa copré­sidente, Tamlin Schibler Ulmann, assure « rechercher le dialogueavec les opérateurs ». « Nous ne sommes pas dans un non de prin­cipe, mais nous sommes pour une technologie saine et respectueusede l’environnement et du vivant. »

Selon elle, 80 % des communi­cations auraient lieu en milieu fermé. Son organisation plaide pour un meilleur développementde la fibre optique pour déconges­tionner le réseau des antennes extérieures, argument régulière­ment invoqué par les opérateurs.

Frequencia prévoit d’ailleurs dedéposer, dans les prochaines se­maines, une initiative populaire fédérale pour proposer une mo­dification de la loi. « Je suis trèsoptimiste, car des solutions alter­natives plus sûres et durablesque la 5G existent. Notre mouve­ment est fait pour durer, estime lamilitante. C’est aussi une chanceque ce débat naisse en Suisse, carnous avons les moyens de faire changer les lois et potentielle­ment de faire changer les chosespour le reste du monde. »

marie bourreau

Le site Bombardier de Hennigsdorf, près de Berlin, le 20 septembre 2018. JOHN MACDOUGALL/AFP

Le démantèlementdu canadien

est devenu inéluctable

au regard de sonendettement

de 9,3 milliards de dollars

ment entre Alstom et Siemens,qui mettait à mal la concurrence, notamment dans les secteurs dela signalisation où les deux grou­pes combinés auraient détenu près de la moitié du marché, et la très grande vitesse, où ils auraientété ultramajoritaires. Un rappro­chement Alstom­Bombardier se­rait moins problématique dans ces deux secteurs de marché. Enrevanche, dans certains pays, lesdeux groupes détiennent une part de marché plus que significa­tive, comme en France ou en Alle­magne, les plus grands marchés ferroviaires européens.

jean­michel bezat (à paris)et hélène jouan

L’Ecole Centrale deNantes recrute

son.sa directeur.ricedans le cadre d’un mandatde 5 ans renouvelable une fois

Ce poste à temps plein est à pouvoir à partir du 01/06/2020.Le.la directeur.rice aura vocation à inscrire son action dansle développement de la politique de site.

Centrale Nantes est une grande école d’ingénieurs fondéeen 1919 qui réunit 2 400 étudiants, 100 enseignants etenseignants-chercheurs, 300 personnels administratifs ettechniques. Elle délivre des diplômes d’ingénieur, de masteret de doctorat ainsi qu’un bachelor. Sa recherche et sa forma-tion s’organisent autour de 3 grands enjeux :manufacturing,transition énergétique et santé, et s’appuient sur des plates-formes technologiques d’envergure. Centrale Nantes viseà promouvoir son enseignement et sa recherche au niveauinternational.

Profil : Le poste est ouvert à toute personne ayant vocationà enseigner dans l’école, sans condition de nationalité,disposant d’une expérience de management à un niveaucomparable à celui de chef d’établissement ainsi que d’unebonne compréhension de l’enseignement supérieur et de larecherche et de ses enjeux. Le.la candidat.e doit avant toutêtre capable de proposer une vision pour l’école, son aveniret ses évolutions possibles. Il.elle doit apporter la preuve deses capacités à dialoguer avec l’ensemble des acteurs etdes partenaires de l’école, ceci à l’échelle locale, régionale,nationale et internationale. La maîtrise de l’anglais estindispensable.

Candidature : CV, lettre de motivation et note d’analysedes enjeux actuels et futurs de l’école sur le planacadémique et scientifique à adresser avant le 19 mars2020 sous pli recommandé.Procédure détaillée sur le bulletin officiel du 13 février :https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid20536/bulletin-officiel.html

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Page 17: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 économie & entreprise | 17

PERTES & PROFITS | AIRBUS­SAFRANpar philippe escande

En Libye, l’exploitation de pétrole à l’arrêtLe blocage d’installations par le maréchal Haftar entraîne l’effondrement de l’or noir

L e pétrole libyen est quasi­ment à l’arrêt, ajoutantau chaos ambiant. De­puis la fermeture, à la mi­

janvier, d’installations pétroliè­res stratégiques par le maréchal dissident Khalifa Haftar, en Cyré­naïque (est) et dans le Fezzan (sud), la production d’or noir en Libye a plongé de 90 %, passant de 1,2 million de barils par jour à 110 000. Jamais l’ex­eldorado pé­trolier d’Afrique du Nord, pour­tant déjà durement éprouvé parles turbulences ayant suivi la chute du régime de Mouammar Kadhafi, fin 2011, n’avait connuune baisse aussi spectaculaire de sa principale ressource (65 % du produit intérieur brut), sur unlaps de temps aussi court. « Ceblocage est une tragédie, un dé­sastre qui va détruire l’économie libyenne », déclare au Monde Mustafa Sanalla, le président de la compagnie publique National Oil Company (NOC).

Cet effondrement du pétrole li­byen est perçu de manière con­trastée. D’un côté, il aggrave l’in­fortune de la population à un moment où la « bataille de Tri­poli », déclenchée en avril 2019par le maréchal Haftar, se radica­lise à la faveur de l’escalade d’in­gérences étrangères. L’assèche­ment des revenus pétroliers (95 % des recettes fiscales) conju­gué à l’aggravation des coupures d’électricité, et donc d’eau, exa­cerbent les difficultés quotidien­nes. De ce point de vue, la ferme­ture de la raffinerie de Zaouïa, àl’ouest de Tripoli, annoncée le 8 février, en raison du blocage de l’oléoduc acheminant vers le lit­toral le pétrole extrait des champs de Sharara et El­Feel,dans le Fezzan, annonce bien des perturbations dans la région de laTripolitaine (ouest).

D’un autre côté, l’éviction del’offre mondiale de la Libye, pre­mière réserve de pétrole en Afri­que, est apparemment accueillie sans déplaisir par les marchés, alors que l’approvisionnement enor noir est déjà excédentaire, crisedu coronavirus et affaiblissement de la demande chinoise obligent.Dans un contexte de prix du brent à la baisse – autour de 12 %

depuis le début de l’année –, l’in­quiétude viendrait plutôt d’une éventuelle rémission libyenne. « La possibilité d’une reprise de la production en Libye préoccupe les marchés, car elle obligerait les autres pays producteurs à réduire leur offre pour faire de la place au pétrole libyen », estime Claude Ap­pert, conseiller au Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales.

L’effet coronavirus a ainsi com­plètement faussé les calculs du maréchal Haftar qui espérait, àtravers son blocus pétrolier, for­cer la main de la communauté in­ternationale en sa faveur, dans l’épreuve de force qui l’oppose

aux autorités de Tripoli. « L’ab­sence de la Libye de l’offre mon­diale est finalement une bénédic­tion pour les autres producteurs,commente un industriel français du pétrole. L’opération d’Haftar negêne personne, bien au contraire. »

Le maréchal escomptait en effetsusciter l’émoi international. Le 17 janvier, les quatre terminaux du Croissant pétrolier – Harriga, Brega, Sidra et Ras Lanouf – sur le littoral de la Cyrénaïque étaientfermés sur ordre de groupes loyaux à l’Armée nationale li­byenne (ANL) d’Haftar qui con­trôle cette région depuis 2016.Zone névralgique, ce Croissantpétrolier est la plate­forme d’ex­portations par laquelle transitent les deux tiers du brut libyen.

Il s’agit de la première fois quel’arme du pétrole est utilisée de­puis le début de l’assaut, lancé en avril 2019, par Haftar contre le gouvernement d’accord national(GAN) de Tripoli, reconnu par les Nations unies. Deux jours aprèsl’immobilisation du Croissant pétrolier, alors même qu’un som­met international sur la Libye se tenait à Berlin, dans l’espoir deconsolider une fragile trêve dans

la « bataille de Tripoli » et de pré­venir des ingérences étrangères en plein essor (Egyptiens, Emira­tis et Russes en faveur d’Haftar ;Turcs auprès du GAN de Tripoli), l’oléoduc en provenance des champs d’El­Feel et de Sharara était à son tour bloqué.

En l’espace de quelques jours, laLibye était ainsi privée de plus de 1 million de barils par jour, soit un manque à gagner quotidien d’environ 55 millions de dollars(51 millions d’euros). Les pertescumulées se chiffrent, selon M.Sanalla, à 1,5 milliard de dollars depuis le début du blocage. Lemaréchal Haftar ne pouvait mieux faire monter les enchères.

La crise actuelle renvoie à ladualité qui caractérise la géo­politique interne de la Libye :l’essentiel des terminaux et deschamps d’hydrocarbures est en­tre les mains de groupes pro­Haftar, tandis que la redistribu­tion des revenus pétroliers re­lève de la banque centralehébergée par le pouvoir rival deTripoli. Alors que la guerre se ra­dicalise aux portes de la capitale,Haftar a fini par céder à la tenta­tion d’exploiter un tel atout stra­tégique en sa possession.

Un tournant dans la guerreSon geste relaie un vieux ressen­timent de la région pétrolifère de Cyrénaïque qui s’est toujours plainte du déséquilibre dans la répartition de la manne au profit du gouvernement central. Dans le contexte précis de la « bataille de Tripoli », Haftar accuse la ban­

que centrale de canaliser les reve­nus du pétrole extrait de ses bas­tions vers les « milices » tripolitai­nes, celles­là mêmes qu’il combat. Il veut donc frapper ses adversaires au portefeuille.

C’est un tournant dans laguerre en Libye. Soucieux de sarespectabilité internationale, le maréchal n’avait jamais osé sau­ter le pas d’un chantage au blo­cage d’installations pétrolières. « Il voulait se présenter comme le libérateur du pétrole libyenauprès des internationaux », sou­ligne l’industriel français. Les Oc­cidentaux sont en effet très sou­cieux de l’« unité » des institu­tions économiques et financièresde la Libye, notamment l’« inté­grité » de la société publique NOC,basée à Tripoli, maîtresse exclu­sive des transactions avec lesopérateurs étrangers.

Lorsqu’il avait ravi le Croissantpétrolier, en septembre 2016, à un milicien local jouant au maître chanteur, Haftar avait dopé son crédit international en restituant la gestion des terminaux à la NOC,rouvrant du coup le robinet du pétrole libyen. Cette époque est ré­volue. A son tour, le maréchal n’hésite pas à jouer au « spoiler » usant du blocage pour arracher des concessions. Face à son défi, laréaction des capitales occidenta­les a été plutôt molle. « Il s’agit d’un dangereux précédent, dé­nonce M. Sanalla. La communautéinternationale doit comprendre que si elle tolère ce type de blocage,il se renouvellera ailleurs. »

frédéric bobin

Fezzan

Tripolitaine

FezzanFezzanFezzan

TripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaineTripolitaine

LIBYEÉGYPTE

ALG.

TUNISIE MerMéditerranée

Benghazi

Tripoli

Syrte SidraSidra

Al-FeelAl-Feel

ShararaSharara

ZaouïaZaouïa

BregaBrega

Al-HarrigaAl-Harriga

Ras LanoufRas Lanouf

Oubari

Misrata

200 km

CyrénaïqueForces en présenceau 15 février

Gouvernement d’accord national (Faïez Sarraj)

Armée nationale libyenne (maréchal Khalifa Haftar)

Autres factions

Pipelineset hydrocarbures

Terminal pétrolierRa�inerie

Zone désertique

Source : Libya.liveuamap.comInfographie : Le Monde

Dans un contextede prix du brent

à la baisse, l’éviction de

l’offre libyenneest accueillie sans déplaisir

par les marchés

DISTRIBUTIONCarrefour se renforce au BrésilLe groupe de distribution Car­refour a annoncé, dimanche 16 février, l’acquisition de la chaîne Makro au Brésil pour un montant de 420 millions d’euros. Ses 30 magasins rejoindront l’enseigne Atacadao, filiale spécialisée dans les hypermarchés dis­count (187 magasins). Carre­four réalise près de 20 % de ses ventes au Brésil. – (AFP.)

CONJONCTURELe Japon risquela récessionLe Japon a connu au qua­trième trimestre 2019 une chute du PIB de 1,6 %, en rai­son d’une augmentation de la taxe sur la consommation. Sur l’année 2019, la crois­sance du pays s’établit ainsi à + 0,7 %, un chiffre non défi­nitif. Deuxième foyer de l’épidémie due au coronavi­rus dans le monde, derrière la Chine, le pays risque de subir un deuxième tri­mestre de baisse du PIB et d’entrer en récession. L’an­nonce de ces résultats a fait chuter, lundi 17 février, la Bourse de Tokyo. – (AFP.)

MÉDIASNouveau président pour PresstalisCédric Dugardin succède à Dominique Bernard à la tête du distributeur de presse Presstalis, ont annoncé, di­manche 16 février, les deux coopératives qui gèrent l’en­treprise. M. Dugardin a été PDG de Conforama entre avril et septembre 2019. De­puis la fin 2019, Presstalis se retrouve de nouveau en diffi­culté financière. – (AFP)

Donald Trump sort les couteauxJamais à court d’imagination, le président des Etats­Unis, Donald Trump, vient de sortir de son cha­peau une nouvelle salve de taxes douanières contre l’Europe. Après le vin, le fromage, les anoraks et les lames de couteaux pliables, l’administration américaine est montée d’un cran en visant égale­ment les couteaux de boucher. Mais le plat de résistance de cette offensive concerne les deux grands postes d’exportation de l’Europe vers les Etats­Unis, l’aé­ronautique et l’automobile. Ven­dredi 14 février, Washington a an­noncé une hausse de 10 % à 15 % des droits de douane sur les im­portations d’avions Airbus.

Cette mesure se veut une ré­ponse à la reconnaissance par l’Organisation mondiale du com­merce (OMC) de la réalité des sub­ventions reçues par Airbus depuisplus de quinze ans. Une querelle interminable qui devrait connaî­tre un nouveau rebondissement dans quelques mois, quand la même OMC statuera sur les sub­ventions américaines à Boeing. Chacun affûte ses lames en prévi­sion de la grande bataille. L’acti­visme de Donald Trump s’expli­

que par sa volonté de peser dans les nouvelles négociations qui de­vraient s’ouvrir entre l’Europe et les Etats­Unis sur la signature d’un traité de libre­échange. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen s’est engagée, en janvier, au forum de Davos, en Suisse, à conclure au plus vite un accord.

Une commode arme douanièreUn enthousiasme qu’il convient de tempérer quand on se sou­vient de l’échec, en 2016, après des années de négociations, du traité de libre­échange transatlan­tique (TTIP), ardemment poussé par l’administration Obama. Compte tenu du retrait du pays de l’accord de Paris sur le climat de 2015 et de l’hypersensibilité des opinions à la question des échanges dans le domaine agroa­limentaire, on peut douter de la possibilité d’un partenariat d’am­pleur conclu en quelques mois.

Qu’importe, pour Trump, l’arme douanière est la plus com­mode, quitte à faire preuve de pragmatisme, quand le risque de dommages collatéraux est trop important. Il n’a toujours pas

mis en vigueur sa menace de taxer les voitures allemandes, et les usines américaines d’Airbus ne seront pas touchées par les tracasseries douanières.

Cette politique est proche de celle menée à l’égard de son autre grand partenaire commer­cial, la Chine. Avec le même mé­lange d’annonces brutales sui­vies de négociations laborieuses. A deux différences près : d’une part, le personnel politique est unanime contre l’empire du Mi­lieu et, d’autre part, l’objectif n’est pas celui d’un rééquilibrage des échanges, mais d’un affai­blissement de l’adversaire.

Témoin, l’acharnement contrele groupe technologique Huawei et la nouvelle guerre qui se des­sine dans l’aéronautique. L’admi­nistration américaine envisage d’interdire à General Electric et à Safran de vendre au chinois Co­mac des moteurs pour ses futurs avions. Une mesure destinée à ralentir la progression du futur concurrent d’Airbus et de Boeing dans les avions commerciaux. Trump voit des ennemis partout, mais, avec certains, les couteaux sont bien plus aiguisés.

LES QUARTIERS D’AFFAIRES LYONNAISINTÈGRENT LE RÉSEAU ECN

LYON: 12EME CAPITALE EUROPÉENNE DU RÉSEAU ECNLe réseau DOOH* ECN, installé dans les quartiers d’affaires de Paris etde sa 1ère couronne, étend son réseau sur la ville de Lyon.

Lyon est la 10ème ville en Europe en termes d’attractivité pour lesinvestisseurs immobiliers. Au cœur de Lyon, de grands projets urbainsont été menés afin d’enrichir l’offre immobilière de bureaux. Sondynamisme économique et la construction d’immeubles neufs dequalité attirent les investisseurs et les entreprises.

5 nouveaux sites à Lyon sont à présent connectés au réseau digitalECN, dans les quartiers d’affaires les plus prisés de la ville : La Part-Dieu, Confluence, Gerland et Vaise.

La métropole Lyonnaise est la 12ème capitale européenne dans laquellele réseau ECN se déploie.

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ECN (Executive ChannelNetwork) : le 1er réseauDOOH*, spécialiste desactifs urbains sur l’universdu Workplace.

Le Workplace, 1er réseausocial des actifs, est unlieu d’interconnexion etd’influence entre individus.Au cœur du parcoursconsommateur, c’est un lieuoù l’on recherche, partageses expériences de marqueset où l’on réalise des achatspersonnels.

ECN apporte des servicesutiles et uniques à plus de50 foncières dans Paris et sa1ère couronne ainsi qu’à Lyon.

Soit 175 sites, 290 écransdigitaux et 2,6 millions dem² d’immeubles de bureauxconnectés au réseau ECN.

La société poursuit sondéveloppement surles grandes capitaleseuropéennes.

*Digital Out Of Home

www.executivechannelnetwork.fr

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Page 18: Le Monde - 18 02 2020

18 | économie & entreprise MARDI 18 FÉVRIER 20200123

Le cloud par-delà les nuagesEn dépit de l’échec des premiers « clouds souverains », la France ne baisse pas les bras et défend l’idée d’une solution nationale ou européenne pour abriter les données sensibles et échapper à la mainmise des géants américains

Dans le centre de données de Sberbank, à Moscou, en décem­bre 2019. ANDREY RUDAKOV/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

DOSSIER

L e 1er février, Cloudwatt s’estéteint. Discrètement, sans fleursni couronnes, les derniers ordi­nateurs ont été débranchés. Unmessage laconique sur le sited’Orange confirme la fermeture

définitive de ce « cloud souverain », un ser­vice d’hébergement sécurisé de données. Voulu par le gouvernement en 2012, ce ser­vice devait proposer aux administrations etaux entreprises une offre nationale – com­prendre non américaine – d’hébergement enligne de leurs données sensibles pour en ga­rantir la confidentialité. Las, malgré 250 mil­lions d’euros investis par l’Etat et par les prin­cipaux partenaires, notamment Orange et SFR, ce projet n’a pas trouvé son public.

« Il nous manquait les volumes ; ni l’Etat niles services publics n’ont vraiment adhéré au projet. Les besoins étaient très différentsd’une institution à une autre, l’écosystèmen’était pas assez développé et la certification des applications augmentait de beaucoup lecoût de la solution », explique Helmut Rei­singer, directeur général d’Orange Business Services (OBS). Le retard pris à ce moment­làsur les fournisseurs américains – Amazon, Microsoft et Google – n’a fait que s’accen­tuer depuis. Et faute d’offre nationale, « lesutilisateurs n’ont pas eu d’autre choix que de recourir à des solutions non souveraines », souligne Stéphane Volant, président du Clubdes directeurs de sécurité et de sûreté des entreprises (CDSE).

Ces déboires ont fini par bannir le terme de« cloud souverain » du vocabulaire des politi­ques et des industriels. Pourtant, de plus en plus d’entreprises et de particuliers sont sé­duits par l’idée de faire héberger leurs don­nées en ligne, dans des nuages (clouds) d’or­

dinateurs, situés parfois au bout du monde.Avantages de cette solution : elle mutualise les ressources (ordinateurs et logiciels), qui sont disponibles à la demande, simplifie lestockage des données et facilite l’accès, à un coût abordable, à des solutions puissantes et actualisées en permanence.

« Beaucoup d’entreprises migrent leurs appli­cations vers AWS ou Azure, les clouds d’Ama­zon et de Microsoft, car ces grands acteurs américains ont énormément investi et créent sans arrêt de nouvelles fonctionnalités qui ap­portent de l’innovation et donc de la perfor­mance », constate Emmanuelle Olivié­Paul, directrice associée au cabinet Markess. En té­moigne l’adoption massive par les entrepri­ses du monde entier de solutions comme celle de la gestion de la relation client de Sa­lesforce ou avec Office 365 de Microsoft. Ouencore celle, par les particuliers, des services de stockage en ligne de photos et de vidéos.

VULNÉRABILITÉ DE CERTAINES SOLUTIONSLe modèle économique est donc aujourd’huien faveur du cloud. Mais les risques qu’ilcomporte sont, eux aussi, apparus au grand jour. En novembre 2019, le Wall Street Jour­nal révélait que Google accédait aux don­nées médicales de millions de patients amé­ricains sans leur consentement, grâce à un contrat signé avec Ascension, un grand ac­

teur de la santé aux Etats­Unis, afin d’amé­liorer le parcours de soins à l’aide d’intelli­gence artificielle…

Imagine­t­on que les informations com­merciales de milliers d’entreprises euro­péennes soient librement consultées par le département du commerce des Etats­Unis, ou que les documents du dernier conseil d’administration soient accessibles à un am­bitieux concurrent ? « Un document d’une mairie, par exemple, a peu de valeur s’il est isolé ; mais si vous agrégez les documents de toutes les mairies, vous avez énormémentd’informations à votre disposition, illustreEdouard de Rémur, cofondateur d’Oodrive, gestionnaire de données dans le cloud. Et si un problème quelconque survenait demain sur le cloud américain – qui hébergerait les do­cuments des mairies –, elles ne pourraient plusfonctionner ! » Transposé en période d’élec­tions, cet exemple illustre la vulnérabilité de certaines solutions.

L’Etat français et les entreprises les plusstratégiques peuvent­ils stocker et traiter leurs données en ligne dans des immensescentres de données gérés par des acteursaméricains ou chinois ? La question est de­venue encore plus cruciale en mars 2018,lorsque le Congrès américain a adopté leCloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act). Cette loi autorise les forces de

l’ordre et les agences de renseignement dupays à accéder à des données stockées pardes opérateurs américains en cas de suspi­cion de crime ou de menace terroriste, et cequelle que soit la localisation dans le monde de ces données.

Concrètement, une entreprise américainepeut demander à un juge l’autorisation d’ac­céder aux données d’un de ses concurrents français, par exemple, si cette société a re­cours aux services d’un fournisseur de cloud de nationalité américaine, même si ses données sont hébergées en France ou enEurope, arguant que cette société vend desproduits en Iran, par exemple, ce qui contre­vient aux lois américaines… « Cette extrater­ritorialité du Cloud Act est un pied de nez des Etats­Unis au monde », affirme Jean­Noël de Galzain, PDG de Wallix et président d’Hexa­trust, groupement d’entreprises du cloud et de la cybersécurité.

Ainsi montrés du doigt, les Amazon, Goo­gle ou Microsoft répondent qu’ils respectent parfaitement les réglementations européen­nes, à commencer par le règlement généralsur la protection des données (RGPD). « Il y a une mauvaise compréhension des lois améri­caines, détaille Julien Groues, directeur géné­ral d’AWS France. Le gouvernement n’a pas ac­cès aux données. Il faut demander à un juge etil faut qu’il y ait un acte criminel… Sur lesdouze derniers mois, il y a eu vingt­cinq de­mandes dans le monde, et aucune ne concer­nait la France. Nous conseillons à nos clients, dont plusieurs grandes sociétés du CAC 40, de chiffrer leurs données. Ainsi, la seule chose qu’ils pourraient transmettre à un juge sont des données chiffrées, et donc inutilisables, carseul le client a la clé de chiffrement. Il est donc le garant de la sécurité de ses données. »

Plusieurs exemples lui donnent raison.Airbus héberge chez AWS sa plate­forme Skywise de maintenance prédictive, quiconsolide les données de milliers d’avions.De même, Doctolib a confié sans hésitationses données à Amazon et à d’autres acteurs,puisqu’elles sont chiffrées de bout en bout.

« UN CLOUD DE CONFIANCE »Ces arguments n’empêchent pas le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et le commissaire européen aumarché intérieur et au numérique, ThierryBreton, ainsi que nombre d’acteurs du sec­teur, d’insister sur la nécessité d’un cloud stratégique et sécurisé, français ou euro­péen, dans lequel les Etats et les entreprises pourraient stocker leurs données sensibles.« Aujourd’hui, le marché comme les clients sont plus matures et les acteurs ont pro­gressé, en France comme en Europe. Tout est prêt pour un cloud de confiance », affirme

« AVEC OVH, OUTSCALE, OODRIVE 

ET BIEN D’AUTRES, NOUS AVONS UN POTENTIEL 

FABULEUX »JEAN-NOËL DE GALZAIN

PDG de Wallix

les acteurs européens de l’infor­matique et de l’hébergement de don­nées en ligne savent qu’ils ont loupéle coche. Le mieux placé en Europeaujourd’hui, le français OVH, réaliseun chiffre d’affaires annuel de 600 millions d’euros, là où le leader mondial, AWS (Amazon), affiche près de 32 milliards d’euros. « Nous som­mes petits par rapport aux géantsaméricains du secteur, mais si nousnous mettons à quinze, nous ferons lepoids », affirme Michel Paulin, direc­teur général d’OVH.

Conscients de la nécessité de bâtirun écosystème européen dans ce do­maine stratégique pour la souverai­neté de l’Europe, les acteurs concer­nés appellent à la création d’un « Air­bus du cloud ». Cette ambition a com­mencé à prendre forme à l’automne2019 à l’initiative du ministre alle­mand de l’économie, Peter Altmaier,qui a lancé le projet Gaia­X. Il ne s’agitpas de concurrencer les géants améri­cains de l’hébergement de données – les hyperscalers –, mais plutôt deconcevoir une architecture sécurisée

pour stocker les données sensiblesdes entreprises – architecture qui ga­rantirait l’interopérabilité et la réver­sibilité entre les différentes solutions nationales.

« Créer une dynamique »Autrement dit, si un acteur national venait à faire défaut ou était rachetépar une entreprise étrangère, sesclients pourraient facilement passersur un autre cloud européen. Sou­tenu par la France, le projet est en­core flou, mais il devrait être opéra­

tionnel d’ici à 2021. « Ce n’est plus à laportée d’un seul pays de rattraper Amazon, Microsoft ou Google, qui ontinvesti des milliards et proposent desdizaines de nouvelles fonctionnalités chaque semaine. Mais la France et l’Allemagne ont les moyens de démar­rer ce projet en se concentrant sur lessujets critiques et de créer une dyna­mique qui entraînera les autres pays », affirme avec confiance Gode­froy de Bentzmann, président deSyntec numérique.

so. c.

Gaia-X, futur « Airbus » de l’hébergement de données en ligne ?

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Page 19: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 économie & entreprise | 19

Godefroy de Bentzmann, président du syn­dicat professionnel Syntec Numérique. Avec Tech in France, association de l’industrie nu­mérique, ce dernier vient d’adresser auxpouvoirs publics dix recommandations « pour une ambition européenne en matière de cloud qui concilie souveraineté numériqueet besoins du marché ».

« Les données sont un élément de la créationde valeur, mais aussi un enjeu stratégique et éthique, développe Michel Paulin, directeur général d’OVH. Le stockage de ces données estun acte de puissance. Aujourd’hui, 60 % des données mondiales sont stockées par des ac­teurs américains ou chinois. C’est bien un en­jeu de souveraineté ! L’Europe est­elle capable d’apporter une réponse industrielle, finan­cière, politique, éthique et stratégique à cet en­jeu ? » A l’heure de la cyberguerre, et malgré l’échec de premières tentatives, les données numériques sont des actifs qui méritent d’être protégés. « On parle d’indépendanceénergétique, il est temps de parler d’indépen­dance numérique ! Il faut une stratégie de fi­lière, un contrat entre l’Etat et les acteurs, et que l’Etat agisse pour faire vivre ce marché »,indique Edouard de Rémur.

L’Etat semble avoir pris la mesure des en­jeux. Un des cinq projets du contrat signé fin janvier par le comité stratégique de filière pour les industries de sécurité, baptisé « Nu­mérique de confiance », prévoit de structurer l’offre française afin de sécuriser les données sensibles des entreprises. « L’Etat doit avoirune doctrine claire sur l’utilisation des don­nées sensibles et, pour cela, il faut définir ce quiest sensible pour chaque administration ou entreprise, car la sensibilité est un concept très différent d’une organisation à une autre », pré­vient Servane Augier, directrice déléguée d’Outscale, filiale cloud de Dassault Systèmes.

« IL FAUT CHASSER EN MEUTE »Malgré ces efforts et cette prise de cons­cience, il reste du chemin à faire. A commen­cer par la construction d’un véritable écosys­tème national d’offres. « Il faut chasser enmeute », rappelait récemment Marc Darmon,directeur général adjoint de Thales et prési­dent du comité stratégique de filière pour lesindustries de sécurité.

Mais construire d’autres possibilités auxoffres intégrées, éprouvées, très fonctionnel­les et accessibles d’AWS, de Microsoft ou de Google ne sera pas une partie de plaisir. « Ilfaut garder à l’esprit que les grands fournis­seurs américains de cloud ont énormément investi au cours de la dernière décennie, del’ordre de 150 milliards de dollars. Chaque an­née, ils ont doublé la taille de leur infrastruc­ture. Les problèmes qu’ils ont eu à résoudre ont enrichi leur expérience et ils réalisent deséconomies d’échelle en étant présents dans le monde entier. Il est impossible pour de nou­veaux acteurs d’atteindre ce niveau », argu­mente Bernard Ourghanlian, directeur tech­nique et sécurité de Microsoft France.

Message reçu pour Jean­Noël de Galzain :« Il n’est pas nécessaire de créer de nouveauxacteurs, il faut adapter et développer les of­fres existantes. Avec OVH, Outscale, Oodriveet bien d’autres, nous avons un potentiel fa­buleux. Nous ne travaillons pas en adversai­res, il nous faut bâtir des espaces de con­fiance avec des partenaires européens ou américains. L’enjeu est de maîtriser l’ensem­ble de la chaîne de valeur. »

La souveraineté a toutefois un prix. « Onnous dit que le cloud souverain français coû­tera entre 10 % et 15 % de plus et qu’il offrira moins de fonctionnalités au début que les so­lutions américaines… La question est donc :quel est le coût de la souveraineté et qui est prêt à le payer ? », s’inquiète Stéphane Volant.

Les grands acteurs américains ne restentpas indifférents à cette aspiration à la souve­raineté. De fait, ils participent aux groupes detravail du projet de cloud souverain euro­péen. « La nouvelle génération de politiques a une meilleure culture du numérique ; quand Emmanuel Macron parle en anglais devant lesstart­up à Station F ou que Thierry Breton évo­que le sujet au niveau européen, cela aug­mente la visibilité de la France. Nous avons de bons ingénieurs et décideurs, les industriels sont prêts à y aller, il semble que les étoiles soient alignées pour que le cloud souverain de­vienne réalité », analyse Francis Weill, prési­dent d’EuroCloud, association des acteurs du cloud. Reste à convaincre un acteur essentiel, et souvent moins enthousiaste : le client.

sophy caulier

Le cloud public et la question de la souveraineté

SOURCES : SÉNAT, ANSSI, GARTNER, SYNERGY RESEARCH, AMAZON, OVH Infographie : Marianne Boyer, Maxime Mainguet

Un marché en forte croissance...Marché mondial du cloud public*en milliards de dollars

*A l’inverse d’un cloud privé, les infrastructures d’un cloud public sont utilisables par plusieurs entités et ne sont jamais situées chez le client.

196,7

266,4

354,6

2018 2020 2022

… dominé par les géants américains et chinois

Part du marché mondial au 4e trimestre 2019, en %

Infrastructures cloud :

Américaines

Chinoises

33 %Amazon/AWS

18 %

Microsoft/Azur

8 %Google

6 %IBM

5 %Alibaba

3 %Salesforce

2 %Oracle

2 %Tencent

Chi�re d’a�aires en 2019,en milliards de dollars

OVHcloud (France)(Etats-Unis)

Amazon/AWS

32

0,6

… sous la surveillancedes autorités.

EN CHINE2017

Loi stipulant que tous les acteurs chinois (particuliers et entreprises) doivent coopérer avec les services de renseignement si ces derniers l’exigent.

AUX ÉTATS-UNIS2018

Cloud Act. Loi stipulant que les entreprises américaines doivent si besoin (crime, menace terroriste, etc.) fournir des données stockées dans leur serveurs, qu’ils soient aux Etats-Unis ou à l’étranger.

2011Lancement o�iciel d’Andromède, projet visant à créer un cloud souverain français.

2012Avec la participation de la Caisse des dépôts, lancement de : Cloudwatt, par Orange, et de Thales Numergy, par Numericable-SFR et Bull

2014L’agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi) teste un référentiel d’évaluation des « clouds de con�ance ».

2015Orange rachète 100 %des parts de Cloudwatt.La Caisse des dépôts (et donc l’Etat) n’est plus au capital.

2016Numericable-SFR rachète 100 % des parts de Numergy. La Caisse des dépôts n’est plus au capital.Publication du référentiel d’évaluation des « clouds de con�ance » par l’Anssi.

2020Orange met �n à Cloudwatt.Signature du contrat stratégique de la �lière « industrie de sécurité », visant notamment à la création d’un « cloud de con�ance ».

Un constat qui pousse les autorités à créer un « cloud de con�ance » pour les acteurs français

EN FRANCE

« LA QUESTION EST : QUEL EST 

LE COÛT DE LA SOUVERAINETÉ ET QUI EST PRÊT 

À LE PAYER ? »STÉPHANE VOLANTprésident du CDSE

bernard charlès est directeurgénéral de Dassault Systèmes,qu’il a rejoint en 1983, deux ans après sa création. Devenue leader mondial des logiciels de concep­tion, de fabrication et de simula­tion industrielle, la société est en­trée au CAC 40 en septembre 2018.Le capitaine d’industrie invite les politiques français et européens às’engager pour la protection du patrimoine que constituent les données numériques.

De quelle manière la souveraineté doit­elle s’appliquer aux données numériques ?

Le monde dans lequel nous vi­vons n’est plus seulement physi­que, c’est un monde agrandi par levirtuel, le numérique. Cela néces­site de définir de nouvelles con­ventions sociales, sociétales,d’éthique, d’interactions… Au fil de l’histoire, des choses intangi­bles comme les frontières, qui dé­finissent un territoire, ou les fré­quences de communication sontdevenues les éléments du patri­moine d’un pays. Aujourd’hui, les données font partie de notre pa­

trimoine. Nous n’acceptons pas que nos autorités de police et de sé­curité accumulent des données sur nos déplacements, et c’est interdit par la CNIL [Commission nationale de l’informatique et des libertés],mais des plates­formes étrangèresle font, totalement et sans limites, en échange d’un service qui nous est offert ! Il me paraît anormal quel’on passe des accords avec des pla­tes­formes étrangères sans avoir posé la question de la souveraineté des données qui y sont stockées.

Le cloud souverain, qui garantit la confidentialité et l’hébergement des données en France, répond­il à cette question ?

La notion de cloud souverain doitrépondre à des règles de précautiondéfinies. Nous avons développéune telle solution pour nos clients, non seulement en France et en Eu­rope, mais aussi dans différentes parties du monde. Et nous avons même démontré que c’était renta­ble. Mais le cloud souverain n’est pas un problème informatique ! Il doit surtout répondre au problème de dissymétrie commerciale.

Qu’entendez­vous par « dissymétrie commerciale » ?

Google Maps sait où vous êtes etoù vous allez, mais il y a une dissy­métrie entre les données récoltées et le service que vous obtenez en échange. De plus, vous n’avez pas conscience de la valeur que cesdonnées représentent pour eux. Dès qu’il existe une dissymétrie de ce type, l’Etat régalien doit interve­nir car cela a un impact sur les con­ventions sociétales. C’est un vraisujet politique.

Prenons le domaine de la santé.Toutes les données numériques qui traitent de la santé des indivi­dus font partie du patrimoined’une nation. Ce « bien commun »,au sens de Jean Tirole [prix Nobel d’économie 2014], doit permettre derendre un service de santé efficace et abordable. Pour cela, il convientde définir des règles de protection, de droit d’usage, de partage, etc. Grâce aux données stockées sur une plate­forme de prise de rendez­vous chez le médecin, aux feuilles de soins, aux comptes rendus d’examens…, en fait tout ce qui en­tre dans le parcours de santé, il estpossible de « profiler » une popula­

tion ou de prédire une épidémie. Ces données doivent être au servicedu soin en France. Et c’est la voca­tion du ministère de la santé de gé­rer ces données plutôt que celled’un service hébergé sur une plate­forme étrangère, même chiffrée !

C’est donc à l’Etat de réguler l’hébergement des données ?

Je ne suis pas du genre à deman­der plus de régulation de l’Etat,mais il faut prendre conscience quenotre monde étendu, où réel et vir­tuel s’entrelacent, demande que de nouvelles règles soient définies. Si un opérateur, disons une plate­forme étrangère, utilise les infras­tructures que sont les routes pour proposer un nouveau service à lapopulation, il ne serait pas anormalqu’il paie un droit d’utilisation à l’Etat et lui restitue les données col­lectées. Ce qui permettrait à l’Etat de comprendre les flux et doncd’optimiser le service et sa qualitédans un environnement multimo­dal de transport. Mais le politiquecommence seulement à compren­dre ce modèle économique, ses en­jeux et ses conséquences.

propos recueillis par so. c.

Bernard Charlès : « L’Etat doit intervenir »

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Page 20: Le Monde - 18 02 2020

20 | sports MARDI 18 FÉVRIER 20200123

A Dortmund, pas de nostalgie Thomas TuchelMardi, l’entraîneur allemand du PSG affronte son ancien club lors des 8es de finale de la Ligue des champions

FOOTBALLdortmund ­ envoyé spécial

C’ est un petit mot ve­nant de l’anglaisaussi valable en Alle­magne. « Nerd » :

terme à connotation souvent pé­jorative, désignant un individu obsédé de mathématiques etd’informatique, au risque de se couper de la société. A Dortmund,divers interlocuteurs du Monde ont eu recours à la même analo­gie pour présenter l’Allemand Thomas Tuchel. Un nerd du foot­ball, selon eux. Un grand tacti­cien. Mais un entraîneur sans le supplément d’âme nécessaire. Pas assez raccord avec le Borussia Dortmund, objet de toute la fer­veur locale, qu’il a quitté plus tôt que prévu : en 2017, après seule­ment deux saisons, à un an du terme de son contrat.

Voilà maintenant que l’inté­ressé s’apprête à revenir dans laRuhr. Cette fois comme entraî­neur du Paris­Saint­Germain, mardi 18 février, à l’occasion duhuitième de finale aller de la Li­gue des champions. Il sera « ac­cueilli amicalement ». Promesse diplomatique de Michael Zorc, le directeur sportif de son ancienclub, il y a deux mois.

La rédaction bénévole du siteSchwatzgelb.de attend les retrou­vailles. Dans son local, entre un baby­foot aux couleurs du club et un barbecue entreposé, le fanzine des supporteurs noir et jaune a déjà eu l’occasion de travailler sur le paradoxe Tuchel. Bilan sportif indéniable : un titre en Coupe d’Al­lemagne, une finale perdue, deux places sur le podium du cham­pionnat de Bundesliga et une atta­que prolifique. Mais des relations humaines plus compliquées.

« Emotion »« A sa toute première conférencede presse au Borussia, Tuchel s’était lui­même présenté commequelqu’un qui entraînait avec émotion. C’est ce qu’il avait dit. Mais, cette émotion, il ne l’a pas dutout laissée transparaître », re­grette le rédacteur Kay­Uwe Hoff­mann. « Il a eu très peu de contactsavec les supporteurs », résume Christian Fritzkowski, un autre membre de la rédaction.

Qui cite, par ailleurs, un « belexemple » d’incompréhension mutuelle : le 10 avril 2016, sur le terrain de Schalke, le grand rival

de la région, Tuchel mettait au re­pos les titulaires habituels (2­2,score final). C’était pour tout mi­ser sur un quart de finale décisif contre Liverpool en Coupe d’Eu­rope (défaite 4­3 et élimination). « Certains supporteurs l’ont trèsmal pris. Pour eux, le match le plusimportant de l’année, cela reste lederby de la Ruhr. Tuchel l’avaitsous­estimé. »

L’état­major du club n’a pas ré­pondu à nos sollicitations. Luiaussi a eu du mal avec Tuchel. Le30 mai 2017, la direction annon­çait la fin prématurée de son

contrat par une lettre ouverte deHans­Joachim Watzke, directeurgénéral. Le même jour, l’entraî­neur ouvrait son propre compte Twitter pour court­circuiter cette communication (« Dommage quecela ne continue pas », écrivait­il).« Depuis, a­t­il beaucouptweeté ? », feint de s’interroger M. Fritzkowski. Réponse négative.

Même dans les pires circonstan­ces, Tuchel et sa direction ont manqué de concertation. Un mois plus tôt, le 11 avril 2017, stu­peur : un attentat à l’explosif vi­sait le bus de l’équipe avant la ré­ception de Monaco (quart de fi­nale de Ligue des champions). L’entraîneur exprimait très vite son désir de ne pas rejouer le match dès le lendemain, laissant àsa hiérarchie cette responsabilité. « Manière de passer pour le défen­seur des joueurs et de présenter Watzke comme un monstre », es­time le journaliste Dietrich Schul­ze­Marmeling, auteur de nom­breux livres (non traduits) sur le football, dont trois sur le Borussia.Comme nombre de supporteurs,

Watzke regrette toujours Jürgen Klopp (2008­2015) : deux titres de champion d’Allemagne, unecoupe nationale, et une finale de Ligue des champions, jusqu’à son départ pour Liverpool. Or, « il n’y aqu’un seul Jürgen Klopp dans lemonde », reconnaît Thomas Krause, représentant d’un groupe de supporteurs, le Fanclub Hein­rich Czerkus. Sous­entendu : per­sonne d’autre pour se mettre aussi facilement dans la poche les joueurs, les dirigeants et le public.

Personne d’autre, non plus, pour taper le carton avec Watzke autour d’une partie de skat, un jeude cartes populaire outre­Rhin.

Là où Tuchel paraissait plutôt fo­calisé sur ses titulaires et « en re­trait » de tout le reste, Klopp se voulait « omniprésent » dans l’en­vironnement du club, raconte Kay­Uwe Hoffmann. « Parfois, au lendemain d’un match, on pouvait l’apercevoir sur le bord du terrain pour regarder jouer l’équipe ré­serve », se souvient M. Fritzkowski.

Aux célébrations de son premiertitre de champion, Klopp s’affi­chait avec une écharpe : celle du Fanclub Heinrich Czerkus, recon­naissable à ses deux étoiles rougeset au visage du résistant commu­niste ayant travaillé à l’intendancedu club, avant d’être assassiné, en 1945, par les nazis. Face à la gareprincipale de la ville, un « musée allemand du football » expose un autre exemple de lien avec le pu­blic : une photographie d’un sup­porteur se faisant tatouer sur le dos le visage de « Kloppo ».

Tuchel, lui, n’a pas eu le droit àun surnom. Ni à un tatouage, jus­qu’à preuve du contraire. Et il n’est pas le seul à avoir souffert dela comparaison. Depuis 2017, troisautres entraîneurs ont déjà pris place sur le banc du Borussia : le Néerlandais Peter Bosz, l’Autri­chien Peter Stöger et, à présent, le Suisse Lucien Favre.

« Tuchel a donné l’impression dequelqu’un de plus replié sur lui,comme s’il s’agissait d’une petite entreprise à lui seul », considère M. Schulze­Marmeling. L’auteurparle aussi tactique : « Klopp avait mis en place un football très offen­sif, avec un pressing permanent. » Un football où il faut trimer dur. Parfait, dans le contexte histori­que : « Dortmund est maintenant une ville de services, mais, avant, il s’agissait surtout d’une ville ouvrière. Et les petits­enfants ontgardé cet ethos du travail. »

Le Westfalenstadion, à présent,porte justement le nom d’une société de services financiers : Signal Iduna Park. Il fallait voir lachorégraphie de la tribune sud, vendredi 14 février, pour un sim­ple match de championnat contreFrancfort (4­0). Et ce tifo repré­sentant les vieux symboles de laville, comme surgis de nulle part :l’ancienne grande brasserie et l’ancien complexe sidérurgique. Affluence en ce jour de semaine etde Saint­Valentin : 81 365 specta­teurs. Dont plus de 24 000 placesen « Sudtribüne », le gigantesque « Mur jaune ».

Dans un entretien au quotidienDie Welt, deux jours plus tard, Thomas Tuchel évite d’« accorder une trop grande signification » à sa prochaine confrontation face au Borussia Dortmund. Sans s’ap­pesantir sur les contrariétés pas­sées. « J’ai traité et analysé ces choses, maintenant, elles restentoù elles se trouvent. »

adrien pécout

Manchester City : « L’UEFA a montré qu’elle prenait le sujet au sérieux »Antoine Duval, chercheur en droit européen du sport, revient sur la sanction imposée au club anglais pour non­respect du fair­play financier

ENTRETIEN

L e match judiciaire com­mence, et il s’annonceaussi crucial qu’une ren­

contre à élimination directe de Ligue des champions. Vendredi 14 février, Manchester City, l’un des clubs de football les plus ri­ches du monde, a été exclu pour les deux prochaines saisons de Coupes d’Europe, par le « gen­darme » financier de l’Union desassociations européennes de football (UEFA). Motif ? Avoircommis de « sérieuses violationsen surévaluant les revenus issus des contrats de sponsoring dansses comptes portant sur la période2012­2016 ». Et avoir ainsi en­freint les règles du fair­play fi­nancier, un mécanisme introduiten 2010 en vertu duquel les clubsne doivent pas dépenser plus qu’ils ne gagnent.

Pour Antoine Duval, chercheuren droit européen du sport à l’Ins­titut Asser, aux Pays­Bas, cette dé­cision constitue « le début d’une

histoire judiciaire », l’équipe championne d’Angleterre en titre ayant saisi le Tribunal arbitral du sport (TAS) pour faire annuler cette sanction.

Comment décryptez­vous la décision prise par l’UEFA ? A­t­elle voulu envoyer un message à d’autres clubs ?

Tout part des « Football Leaks »[publiés depuis novembre 2018 dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel et mettant notam­ment au jour le système fraudu­leux mis en place par le club an­glais pour gonfler artificiellement ses recettes]. Ils ont révélé la fai­blesse de l’UEFA et ses difficultés : le fair­play financier était facile­ment contournable, et mêmequand l’instance avait des infor­mations, elle n’était pas prête à agir fortement.

Cette fois, elle a eu besoin demontrer qu’elle prenait ce sujetau sérieux. Surtout, les « Football Leaks » ont montré des forts soupçons de manipulations des

comptes de la part de ManchesterCity pour contourner les règles, etc’est la première chose que l’UEFAa voulu sanctionner.

D’autres clubs, qui ont été visés pour non­respect du fair­play financier, comme le PSG, ont­ils des raisons de s’inquié­ter au vu de cette sanction ?

Le message qui est adressé àtous les clubs est que si vous tri­chez, si vous ne donnez pas votrevéritable situation financière etque l’UEFA arrive à mettre la main sur les informations, la sanction sera très sévère. Si, au contraire, vous coopérez, l’UEFAest prête à discuter et à trouverdes sanctions plus douces etadaptées à votre situation. C’estce qu’il s’est passé avec le PSG [enjuin 2018, la chambre d’instruc­tion de l’Instance de contrôle fi­nancier des clubs avait décidé de ne pas poursuivre le club, après une enquête lancée à la suitedes recrutements de Neymar et deKylian Mbappé, à l’été 2017].

Avec le recours devant le TAS, quelle chance cette sanction a­t­elle d’être appliquée ?

Le TAS devrait, dans un premiertemps, suspendre provisoire­ment l’exclusion en attendant de se prononcer sur le fond de l’ap­pel. Il serait judicieux, au vu de l’affaire et des conséquences, que les débats des parties se tiennent au printemps et que la décision intervienne assez vite. Mais ce ne sera pas avant l’été.

Sur le fond, le TAS a déjà concluque le fair­play financier était compatible avec le droit del’Union européenne dans unedécision contre Galatasaray[en 2016, le club turc avait con­testé son exclusion de toute com­pétition européenne pendant un an et avait été débouté par le tri­bunal]. Un renversement de ju­risprudence serait très improba­ble. Ce ne sera sans doute pas untest au niveau du TAS.

Le recours de Manchester City est­il donc sans espoir ?

Pas nécessairement, il est pos­sible que le Tribunal arbitraldu sport considère que la ma­nière dont les règles ont été ap­pliquées est problématique. Parexemple, il pourrait considérerqu’il y a une rupture d’égalité encomparaison avec le traitementdu PSG par l’UEFA [une enquêtedu quotidien américain New YorkTimes avait montré que l’ins­tance n’avait pas fait beaucoup dezèle lors de l’enquête]. Si le TASrend une décision favorable auclub anglais, ce serait plus surl’application des règles que sur leur compatibilité avec le droitde l’Union. C’est difficile à éva­luer, car on ne connaît pas les dé­tails des affaires dans ces deuxcas. Il y a un manque de transpa­rence dans la manière dont lesaffaires sont traitées. Ce seraitd’ailleurs une bonne chose sil’audience au TAS pouvait êtrepublique.

Le fair­play financier est­il assez solide juridiquement ?

Manchester City a déjà affirmé[dans des e­mails internes, publiés lors des « Football Leaks »] qu’il se­rait prêt à investir « 30 millions de livres sterling [36 millionsd’euros] pour recruter les cin­quante meilleurs avocats » pourcontester la décision devant les instances européennes. Si le TAS donne raison à l’UEFA, l’affairepourrait se retrouver devant les instances européennes, commela Commission et la Cour de jus­tice à Luxembourg.

Ce serait une bataille juridiqueouverte pour poser la questionfondamentale de la compatibilité avec le droit de la concurrence et le droit de la liberté d’entrepren­dre prévus dans les traités euro­péens. Ce serait là le vrai test pourle fair­play financier. A titre per­sonnel, je pense que l’UEFA peutle démontrer. La décision de ven­dredi est loin d’être la fin d’une procédure, mais bien plutôt le dé­but d’une histoire judiciaire.

propos recueillis parflorian soenen

Thomas Tuchel, entraîneur du PSG, au Parc des Princes, à Paris, le 9 février. THIBAULT CAMUS/AP

« Au Borussia, Tuchel a donné

l’impression de quelqu’un

de replié sur lui »DIETRICH

SCHULZE-MARMELINGjournaliste

et auteur allemand

La présence de Neymar incertaineAprès la victoire du PSG en quarts de finale de la Coupe de France face à Dijon, mercredi 12 février, l’entraîneur du club parisien, Thomas Tuchel, avait indiqué que Neymar n’était pas certain de jouer le 8e de finale aller de Ligue des champions face à Dortmund. En cause, sa blessure aux côtes, contractée face à Montpellier au début du mois, qui fait toujours souffrir le Brési-lien. Vendredi 14 février, Tuchel a ménagé le suspense : « Il ne va pas arriver à Dortmund dans les meilleures capacités, en tout cas, pas celles d’il y a deux semaines. Mais il va nous aider, c’est sûr. » Le capitaine, Thiago Silva, s’est dit, lui, confiant sur la présence de son compatriote : « Il est bien, il a fait une bonne semaine de préparation et, mardi, je suis sûr qu’il va être là. »

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Page 21: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 horizons | 21

Au Cameroun, la mort au bout de la piste

En 2015, des soldats camerounais exécutent

deux femmes et leurs jeunes enfants, qu’ils soupçonnent

d’aider les djihadistes. Leur procès se tient à Yaoundé. « Le Monde » a eu accès au

dossier, où transparaît le chaos régnant dans la région

B H, tu vas mourir ! » Cette me­nace d’un militaire camerou­nais n’a rien d’une parole enl’air. La femme qu’il accused’appartenance au groupe dji­hadiste Boko Haram (BH) est

condamnée. Sur cette vidéo, postée sur les ré­seaux sociaux en juillet 2018, on voit le soldaten question, lunettes de soleil et fusil d’as­saut, gifler et traîner par le cou une quadragé­naire vêtue d’un boubou en loques. Elle tient sa petite fille par la main mais ne peut la re­garder. Juste derrière se tiennent un soudard à l’œil torve et des villageois haineux. Une autre prisonnière est là, elle aussi accusée d’être une « BH ». Elle porte un tee­shirt rose,sa taille est entourée d’un morceau de pagne. Sur son dos, un bébé.

La scène se passe entre mars et avril 2015sur une piste de l’extrême nord du Camerounbordée de plaines arides et de collines recou­vertes de champs en terrasses. Désignéessans preuves, les deux suppliciées ont été ar­rêtées le long de la frontière avec l’Etat nigé­rian du Borno, infesté de djihadistes et de contrebandiers. Ont­elles été abandonnées, quelques heures plus tôt, au cours de com­bats avec les militaires ? Glanaient­elles des renseignements au sein de la population pour le compte des « BH » ? Elles n’auront pasle temps de s’expliquer. Cette piste de Zele­ved, village pauvre et reculé, est un couloir dela mort où les voici bientôt agenouillées, les yeux bandés. Trois soldats camerounais les exécutent à bout portant, ainsi que leurs en­fants. Des images qui, diffusées sur Internet trois ans plus tard, provoqueront une indi­gnation internationale.

Longtemps considéré comme une zone derepli et de ravitaillement par les cadres de la secte salafiste nigériane devenue groupe dji­hadiste, le Cameroun n’est alors plus épargnépar leur folie meurtrière. Au mois de mai 2014, le vieux président camerounaisPaul Biya, alors de passage à Paris, déclarait la« guerre » à Boko Haram. Un an plus tard, lebrutal et fantasque chef des « BH », Abubakar Shekau, le mettait en garde : « Paul Biya, si tu ne mets pas fin à ton plan maléfique, tu vasavoir droit au même sort que le Nigeria. »

L’important déploiement de l’armée et desunités d’élite encadrées par des ex­militaires israéliens ne suffit pas à contenir les assautsdes « BH », dont une branche a prêté allé­geance, en mars 2015, à l’organisation Etat is­lamique. Ils incendient et pillent les villages, kidnappant ou massacrant les civils. D’autresacteurs surgissent alors sur le champ de ba­taille, le plus souvent armés de pétoires etd’arcs aux flèches empoisonnées : des villa­geois organisés en « comités de vigilance », des groupes d’autodéfense encouragés par le pouvoir politique et les chefferies tradition­nelles. Devenus des supplétifs de l’armée,certains en profitent pour régler des comp­tes, quitte à amplifier les violences perpé­trées par les soldats et les djihadistes.

« J’AI FAIT LE TRAVAIL QUE JE DEVAIS FAIRE »A Zeleved, ce sont eux qui ont identifié et livréaux militaires les deux suspectes. Puis, tout comme les notables du village, ils ont de­mandé leur exécution avec leurs deux en­fants, au pied d’une colline, à près d’un kilo­mètre du poste de l’armée. L’un des trois ti­reurs, aujourd’hui identifié, était à l’époque un caporal de 29 ans, Cyriaque Hilaire Bityala,alias « Tcho­Tcho ». On le reconnaît sur la vi­déo, qui n’aurait jamais dû être rendue publi­que. Avec six autres militaires, il a été arrêtéen août 2018, interrogé et incarcéré dans l’at­tente de son jugement. Le procès, maintes foisreporté, a démarré, le 20 janvier, à Yaoundé, avant d’être renvoyé au 17 février. Il se tiendra à huis clos. Mais il est possible, grâce aux près de 200 pages de documents judiciaires et mi­litaires dont Le Monde a eu connaissance, dereconstituer les grandes lignes de ce drame révélateur du chaos régnant dans la région.

« Je ne me reproche rien, a déclaré « Tcho­Tcho », en août 2018, aux enquêteurs de la po­lice judiciaire. L’enseigne de vaisseau 2e classe àl’époque Etienne Fabassou nous a confié lamission d’aller les exécuter. J’ai fait le travail que je devais faire, en suivant les instructions

de mon chef. » Cette version concorde avec le témoignage d’un autre tireur, le soldat Gorvo Barnabas Donossou, alors âgé de 25 ans etpère de trois enfants. « Nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas les tuer pendant qu’elles nous regardaient. C’est ainsi que nous avons décidé au préalable de leur bander les yeux », précise­t­il sur le procès­verbal. Dans son souvenir, elles ont reçu « au moins trois balles chacune (…) On ne comptait pas ». Laplupart des accusés désignent le même don­neur d’ordre : le lieutenant Etienne Fabassou,un militaire de la marine né « vers 1968 » dansla région. Dans la zone de Zeleved, voisine du Nigeria, ce quinquagénaire esquinté par laguerre, père de six enfants, commandait unetrentaine d’hommes, en majorité issus de l’ar­mée de l’air. Des costauds, plutôt indisciplinésmais utiles pour les basses besognes ou pour faciliter son trafic présumé de bétail. A l’en croire, son autorité sur le groupe était relative et diminuait au fil des attaques djihadistes.

« Est­ce à dire que c’est vous qui avez instruità vos éléments d’exécuter ces dames et leurs bébés ?, lui demandent les enquêteurs enaoût 2018.

– C’est sous la menace et la pression de meséléments et du comité de vigilance que je leurai demandé d’en faire ce qu’ils voulaient. En

d’autres termes, j’ai répercuté les ordres du général [commandant de la 4e régionmilitaire inter­armées] qui ne voulait plus enentendre parler.

– Quelles étaient les instructions formellesdu général ?

– Tuer tous ceux qui se trouvent dans lecamp ennemi, car nous déplorions déjà assezde pertes en vies humaines. »

Alors, chaque belligérant sombre dans l’ul­traviolence et amplifie la terreur. Dans le vil­lage frontalier d’Achigachia, des militaires ca­merounais exécutent une dizaine de civils cette même année 2015. Cette fois encore, la barbarie est filmée et se retrouvera, bien plustard, sur Internet. Le lieutenant Fabassou dit avoir suivi les consignes de son supérieur, le charismatique général de division de l’armée de terre, Jacob Kodji – décédé lors d’un acci­dent d’hélicoptère en janvier 2017. Mais com­ment les deux hommes auraient­ils pu échan­ger alors qu’aucun réseau GSM ne couvrait la zone ? Ces explications du lieutenant sont ju­gées « dilatoires » par les enquêteurs pour les­quels « l’initiative de cette tuerie lui incom­bait », peut­on lire dans une note de la sécuritémilitaire. A Zeleved, après l’exécution, le lieu­tenant Fabassou n’exige aucun compte rendu de ses hommes. Une fois les dernières balles

tirées, les villageois balancent les quatre cada­vres dans une fosse creusée dans le cimetière. C’est là que s’accumulent les corps de « BH ».

« Ce n’était pas la première fois que nousexécutions les terroristes », souligne un soldat. « Nous les exécutions car les gendar­mes auprès de qui nous les conduisions au dé­part nous répondaient qu’ils ne savaient pas quoi faire d’eux et refusaient ainsi de les pren­dre en compte pour les différentes poursuites judiciaires », ajoute un autre. Selon eux, lesdjihadistes interpellés et remis à la gendar­merie, à la sous­préfecture ou au tribunal étaient parfois libérés et revenaient ensuite attaquer le village, ce qui attisait l’ire du co­mité de vigilance. « Nous étions alors sevrésde renseignements pendant un bout detemps », précise un troisième militaire. D’après leurs témoignages, ce serait néan­moins la première fois que des femmes et des enfants ont été tués de la sorte.

Cinq ans ont passé. Les dépouilles des qua­tre victimes n’ont toujours pas été retrou­vées, « au vu de la multiplicité des corps et de l’anarchie observée dans le cimetière », est­il précisé dans un rapport. Les enquêteurs ont tout de même pu identifier la dame en bou­bou. Agée de 43 ans, elle s’appelait ZoumtiguiDanoukoua. Sa fille, Lada Hada, n’avait que 6 ans. Nul ne sait si la maman s’était jetée dans les bras des djihadistes, toujours prêts à recruter des femmes pour les marier à descombattants, leur confier des tâches domes­tiques ou les utiliser comme kamikazes.

CAPTIVE OU « ADEPTE » DE BOKO HARAM ?Mais le lieutenant Fabassou assure qu’elle et son amie étaient en possession d’une cartou­che de calibre 7,62 et, surtout, d’une lettre dé­taillant un plan d’attaque du village par Boko Haram. Il n’a pas gardé la missive qu’il pré­tend avoir remise au défunt général Kodji. Ment­il pour tenter de justifier cette exécu­tion ? Au moment des faits, ses soldats et sessupérieurs n’ont en tout cas jamais entenduparler ni de la lettre ni de la balle. Et si Mme Da­noukoua avait été enlevée de force, avec safille et d’autres, par les « BH », comme l’ont ditaux enquêteurs son neveu et son beau­frère ?

Prisonnière de « BH » ou « adepte », le doutedemeure. Ce qui ne tracasse pas le lieutenantFabassou. Aujourd’hui encore, il se dit per­suadé « d’avoir bien accompli [la] mission con­tre ceux qui veulent envahir [le] pays ». Il sa­vait que le soldat Ghislain Landry Fewou Ntieche, désormais âgé de 26 ans, avait filmé l’exécution avec son smartphone. « J’étaischargé de prendre toutes nos différentes mis­sions en vidéo », a expliqué le jeune hommequi a reconnu avoir transmis, par Bluetooth les images à des frères d’armes. Il démentnéanmoins les avoir lui­même mises en li­gne, ce dont doute Fabassou. « Il l’a fait dans le but de nuire à la troupe », insiste le lieute­nant, comme pour dénoncer une forme de trahison.

Les exactions de l’armée, dont certaines ontété plus tard documentées par des ONG, de­vaient rester confidentielles. « Dans cette guerre contre Boko Haram, on a pu observer untransfert mimétique de la violence entre insur­gés et militaires, constate le chercheur came­rounais, Raoul Sumo Tayo, de l’Institut d’étu­des politiques de Lausanne, en Suisse. La pu­blication de cette vidéo d’exécution a une di­mension pathologique et donne à voir unesorte de nécro­pornographie liée au plaisir que les soldats éprouvent. »

Au sein des contingents sur place, des briga­des informelles dites de « refroidissement » se sont chargées des exécutions, selon plusieurs sources concordantes. « Ils ont voyagé », di­saient les sicaires à propos de leurs victimes. « Nous avons mis en place un dispositif pour conduire les enquêtes et s’assurer que les règles internationales sont respectées. Pas question donc de s’en prendre à des civils, nous ne le tolé­rons pas », prévient aujourd’hui le capitaine defrégate Cyril­Serge Atonfack, porte­parole de l’armée. Un discours qui contraste avec celui de son prédécesseur. Tout comme certains ministres du président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, l’ancien communicant de l’ar­mée Didier Badjeck avait dénoncé une « cam­pagne de désinformation » et nié mordicus l’authenticité de la vidéo, un « grossier mon­tage ». L’enquête leur donne tort.

Ordonnateur présumé, le lieutenant Fabas­sou se retrouve sur la sellette, accusé de viola­tion de consigne et de complicité d’assassi­nat. D’après son avocat, Me Sylvestre Mbeng,il plaide non coupable. Les six soldats autre­fois sous ses ordres, dont « Tcho­Tcho », se­ront jugés pour assassinat et violation deconsigne. Tous risquent la peine de mort. La plupart ne regrettent rien. Même s’ils ne sa­vent toujours pas qui ils ont exécuté. Compli­ces ou victimes des « BH », ces femmes et leurs enfants demeurent un mystère. Sur lesrives et les îles du lac Tchad, Boko Haram con­tinue d’entretenir la flamme d’une violenceégalement exercée par les armées de la ré­gion. Au nom d’un dieu ou d’une république,plus de 270 000 déplacés survivent sur ces terres ensanglantées.

josiane kouagheu (yaoundé,correspondance) et joan tilouine

« NOUS EXÉCUTIONS LES TERRORISTES 

CAR LES GENDARMES 

NOUS RÉPONDAIENT QU’ILS NE SAVAIENT 

PAS QUOI FAIRE D’EUX », EXPLIQUE 

L’UN DES MILITAIRES

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Page 22: Le Monde - 18 02 2020

22 |carnet MARDI 18 FÉVRIER 20200123

Pavel VilikovskyEcrivain slovaque

E crivain en Tchécoslova­quie sous l’ère soviéti­que, Pavel Vilikovskyavait refusé de publier

ses romans sachant qu’il ne pour­rait éviter la censure. Travaillantcomme journaliste et traducteur, il a commencé à faire paraître ses textes après la chute du Mur. Vi­likovsky posait un regard ironi­que sur son « petit pays », son sta­tut d’écrivain et sa personne. Un geste de pudeur et de retenue,plutôt que de moquerie.

Le jour de sa mort, le 10 février, àl’âge de 78 ans, la radio et la télévi­sion publiques slovaques ont dif­fusé les archives des entretiens donnés par l’auteur ainsi que des lectures de ses romans. La prési­dente de la République slovaque,Zuzana Caputova, a regretté la perte du plus grand écrivain con­temporain du pays. « Celui qui souhaiterait comprendre ce que si­gnifie être d’abord tchécoslova­que, puis slovaque et, en mêmetemps, d’Europe centrale, n’a qu’à lire les livres de Vilikovsky », a­t­elle déclaré.

Né le 27 juin 1941 à Paludzka,alors en Tchécoslovaquie, PavelVilikovsky grandit auprès d’unemère professeure d’anglais et de slovaque et d’un père historien dela littérature. Il fréquente d’abord une école de cinéma à Prague,avant de se tourner vers les étu­des de langues à l’université deBratislava. Son diplôme en poche,il travaille comme rédacteur pourdifférentes revues et maisons d’édition.

Une prose si particulièreDès les années 1960, il commenceà écrire, d’abord des nouvelles. En 1965, Vilikovsky profite de lapériode de « dégel » pour faire pa­raître son premier livre. Mais la conviction que ses écrits, bien quetrès éloignés de la politique, se­ront censurés, le décide à cesser lapublication de ses textes. Il se consacre alors à la traduction, no­tamment de William Faulkner, Virginia Woolf et Joseph Conrad.

« Traduire était une activité pas­sionnante et très valorisante sous l’ère soviétique, confie au Monde Peter Brabenec, le traducteur de Vilikovsky en français. En ces temps­là, la littérature slovaqueétait très ennuyeuse et toujours unpeu politiquement orientée. Donc, les traductions étaient très atten­dues des lecteurs, et les traducteursétaient considérés comme plus im­portants que les auteurs. »

Après l’effondrement du blocsoviétique paraissent trois ro­mans de Vilikovsky en Slovaquie. Peter Brabenec, qui s’est installé en France dix ans plus tôt, les lit etchoisit immédiatement de tra­

duire deux d’entre eux. La chance veut qu’il écrive des recensionspour La Quinzaine littéraire. Il en­voie sa première traduction à son fondateur, Maurice Nadeau, qui décide de le publier dans sa mai­son d’édition. Nous sommesen 1997.

Un cheval dans l’escalier est lemonologue intérieur d’un prota­goniste qui entreprend un longvoyage en autocar pour fuir ce quil’angoisse : la mort de sa mère et la perspective de la sienne. L’intri­gue se déroule juste avant la findu communisme. Dans les colon­nes du « Monde des livres », PierreLepape s’attarde sur la prose si particulière de Vilikovsky qui mêle dans un « enchaînement im­perturbable et acrobatique des choses insignifiantes » à des ré­flexions et situations plus graves. « Incidents, anecdotes, dialogues, digressions, aphorismes » formentla matière des fictions de l’écri­vain slovaque.

On la retrouve intacte, ainsi quele fil conducteur du voyage, dansUn chien sur la route (Phébus), l’un des trois romans parus en France en 2019, à l’occasion du sa­lon Livre Paris dont Bratislavaétait la ville à l’honneur. Récit del’errance à l’Ouest d’un éditeur àla retraite reconverti en « reven­deur ambulant de littérature slo­vaque », ce roman aborde les thè­mes chers à Vilikovsky : le faitd’être né dans un petit pays an­ciennement communiste qui n’a« même pas de Mozart », d’écriredans une langue minoritaire, mais aussi des sujets plus inti­mes comme l’amour à l’âge où lapeau se flétrit et les muscles flé­chissent, ou encore le statut de l’écrivain.

Car son narrateur n’a jamais decesse de critiquer Thomas Bern­hard, et de moquer son estime de soi. Le refus de l’image d’un écri­vain qui serait la « vérité révélée » n’a rien à voir avec ce que pensait Pavel Vilikovsky de l’importancede la littérature. Lui à qui on aurait pu prêter la pensée du nar­rateur d’Un chien sur la route : « Je voulais simplement que les lec­teurs n’oublient pas que réfléchir était une belle chose. »

gladys marivat

27 JUIN 1941 Naissance à Paludzka (ex-Tchécoslovaquie)1997 « Un cheval dans l’escalier » (Maurice Nadeau)2019 Parution de trois romans : « Un chien sur la route » (Phébus), « Autobiographiedu mal » (Maurice Nadeau)et « Neige d’été » (éd. de l’Aire)10 FÉVRIER 2020 Mort

En mars 2019. JOEL SAGET/AFP

Société éditrice du « Monde » SAPrésident du directoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur délégué de la publication,membre du directoire Jérôme FenoglioDirecteur de la rédaction Luc BronnerDirectrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise TovoDirection adjointe de la rédaction Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Franck Johannes,Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile PrieurDirectrice éditoriale Sylvie KauffmannRédaction en chef numérique Hélène Bekmezian, Emmanuelle ChevallereauRédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille SeeuwsDirecteur délégué au développement du groupe Gilles van KoteDirecteur du numérique Julien Laroche-JoubertRédacteur en chef chargé des diversifications éditoriales Emmanuel DavidenkoffChef d’édition Sabine LedouxDirectrice du design Mélina ZerbibDirection artistique du quotidien Sylvain PeiraniPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinMédiateur Franck NouchiDirectrice des ressources humaines du groupe Emilie ConteSecrétaire générale de la rédaction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président

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Le Carnet

AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Émilie BRUNETet

Stéphane BOUCHE OSOCHOWSKIet leurs parents,

Paul et Françoise BRUNET,Marlena BOUCHE OSOCHOWSKA,

Camille BOUCHE,ainsi que son grand frère,

Alexandre BOUCHE,sont très heureux de faire part de lanaissance de

Brune, Marlena, FrançoiseBOUCHE,

le 23 janvier 2020, à Paris.

62, rue Charlot,75003 [email protected]

Décès

Marie Faucher-Desjardins,son épouse,

Augustin, Joséphine, Anne-Laure,Claire, Pierre et Emma, Matthieuet Maud,ses enfants et ses belles-filles,

Michelle Desjardins,sa mère

Et toute sa famille,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Christophe DESJARDINS,

survenu le 13 février 2020,à l’âge de cinquante-sept ans.

La cérémonie aura lieu le mardi18 février, à 10 h 30, à La Bellevilloise,21, rue Boyer, Paris 20e.

Genève.

C’est avec beaucoup de tristesseque la fondation Igor Carl Fabergéannonce le décès de

Tatiana Fedorovna FABERGÉ,

survenu à Versonnex, le 13 février2020, à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

Arrière-petite-fille de Peter CarlFabergé, elle était la fille de TheodoreCarl et Tatiana Fabergé (néeCheremetieff).

Née à Genève, elle a étudié ledesign de bijoux à Paris au début desannées 1950, où elle était en contactétroit avec ses oncles Eugène etAlexandre Fabergé. Elle s’est toujoursintéressée à la Maison Fabergé etdepuis sa retraite du CERN(Organisation Européenne pour laRecherche Nucléaire), elle a entreprisdes recherches sur l’histoirefamiliale et la valorisation de sonpatrimoine. Le travail de sa vie estdevenu la préservation de l’héritagehistorique de la famille.

Elle a rédigé de nombreux livresen anglais et en russe, dont le derniera été publié en 2012, le MagnumOpus, Fabergé A ComprehensiveReference Book, co-écrit par Éric-Alain Kohler et Valentin V. Skurlov.Tatiana était vice-présidente de laFondation.

www.igorcarlfaberge.com

Claudia Mehler et MouradKardache,

Pablo et Karine Mehler,Claire Mehler Jacob,

ses enfants et leurs conjoints,Lucas, Hugo, Alexis et Camille,

ses petits-enfants,Jacqueline Mehler Amati,

sa sœurEt toute sa famille,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Jacques MEHLER,directeur de recherche émérite

au CNRS,directeur d’étude émérite

à l’EHESS,

survenu le 11 février 2020,à l’âge de quatre-vingt-trois ans.

La cérémonie aura lieu aucimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,le mercredi 19 février, à 13 h 30,en la salle de la Coupole, 71, rue desRondeaux.

La société des amis de GeorgesClemenceau venant aux droits decelle des amis de Georges Mandel

Et la fondation le muséeClemenceau,

Son présidentEt les membres de son conseil,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Mme Maria de las MercedesESTRADA ROTHSCHILD,

ultime descendante directe del’indomptable homme d’Etat, que futGeorges Mandel assassiné par lamilice de Vichy, le 7 juillet 1944.

Ensemble, elles veilleront ausouvenir de celui qui fut un toutpremier résistant au nazisme.

Paris.

Bernard Mortureux,son époux,

Yves, Anne et Marc,ses enfants

Et ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Mme Marie-FrançoiseMORTUREUX,

née PETIOT,professeur honoraire

à l’université de Nanterre,

survenu à Saint-Mandé,le 12 février 2020,à l’âge de quatre-vingt-sept ans.

Les obsèques ont lieu ce lundi17 février, à 14 h 30, à Notre-Damede Saint-Mandé (Val-de-Marne).

Cécile Boyer RungeEt toutes les équipes

des éditions Robert Laffont,

partagent la peine des proches de

Roman PERRUSSET,éditeur,

1979-2020.

Disparu le 13 février 2020, RomanPerrusset a rejoint les éditionsRobert Laffont en 2014, à l’âge detrente-quatre ans.

En quelques années, il a marquéde tout son talent l’histoire de notremaison.

Les livres qu’il a publiés, ainsi quele souvenir de sa personnalitééclatante de passion, d’intelligenceet d’humour, continueront de nousaccompagner.

Emmanuelle et Bénédicte,ses filles,

Patrick Duboux et Nicolas Petitot,ses gendres,

Léo, Anouk, Elie, Gabrielle etArmand,ses petits-enfants,

Bruno et France Prats,son frère et sa belle-sœuret leurs enfants,

Marguerite Prats,sa belle-sœur,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Yves PRATS,

survenu le 13 février 2020, à sondomicile, entouré de ses proches.

La messe sera célébrée en l’égliseSaint-Sulpice, Paris 6e, le mercredi19 février, à 10 h 30.

L’inhumation aura lieu dansl’intimité familiale à Saint-Estèphe(Gironde).

M. Francis EsménardEt les éditions Albin Michel,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Michel RAGON,écrivain et ami,

critique d’artet d’architecture,

survenu le 14 février 2020,dans sa quatre-vingt-seizième année.

Ils s’associent à la douleur deson épouse Françoise RAGON etlui présentent leurs sincèrescondoléances.

Les obsèques auront lieu enl’église Saint-Eustache, à Paris 1er,le mercredi 19 février, à 14 heures,suivies de l’inhumation au cimetièredu Montparnasse, Paris 14e.

Françoise Ragon,son épouse,

Pierre, Mireille et Paule,son beau-frère et ses belles-sœurs,

Ses petits-cousins Ragon,Toute la famille,Ses fidèles amis,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Michel RAGON,écrivain,

survenu le 14 février 2020,dans sa quatre-vingt-seizième année.

Les obsèques auront lieu lemercredi 19 février, à 14 heures,en l’église Saint-Eustache, Paris 1er,suivies de l’inhumation au cimetièredu Montparnasse, Paris 14e.

« Il n’y a de liberté pour personnes’il n’y en a pas pour celuiqui pense autrement. »

Rosa Luxemburg.

Mme Jacqueline Vidot,son épouse,

Mme Isabelle Vidot (†),Mme Catherine Vidot,M. Jean-Louis Vidot,

ses enfants,Marie et Jean-Gabriel,Constance et Teymouras,Alexia,

ses petits-enfants,Grégoire, Paul,

ses arrière-petits-fils,Mme Nelly Vidot,

sa sœur,M. Gérard Graudejus,Mme Monique Prot,

son filleul et sa filleule,

ont la douleur de faire part du décèsde

Max VIDOT,préfet honoraire,

chevalier de la Légion d’honneur,croix de la Valeur militaire,

officierdans l’ordre national du Mérite,

chevalierdans l’ordre des Palmes académiques,

survenu le 13 février 2020,à l’âge de quatre-vingt-six ans.

La cérémonie religieuse seracélébrée le mercredi 19 février,à 14 heures, en l’église Saint-Louis-des-Chartrons de Bordeaux.

Conférence

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Programme des conférencesde L’École des Arts Joailliers

12 mars, à 19 h 30 :Conférence « Inside Out :

le monde intérieurdes pierres précieuses »

guidée par :Billie Hughes,gemmologue

& Olivier Segura,gemmologue

et directeur scientifiqueà L’École des Arts Joailliers

A L’École des Arts Joaillers,31, rue Danielle- Casanova, Paris 1er.

Inscriptions surwww.lecolevancleefarpels.com

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Page 23: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 CULTURE | 23

RENCONTRE

L e Marcassou. Saucissondes Ardennes. Au sens fi­guré : une petite frappe,une crapule. C’est ce qui

était inscrit sur son tee­shirtquand il était jeune. Alors ses copains l’ont baptisé Marka. Serge Van Laeken, la grande baraque élé­gante, casquette à la Peaky Blinders, qui traverse le café, sou­rire aux lèvres, vous regarde d’un air amusé : « Les enfants sont des éponges. On ne sait pas ce qu’on donne en héritage. » Des gosses, il en a eu deux. Le premier s’appelle Roméo Elvis. A 27 ans, le jeune rappeur est déjà une star, deux albums et des dizaines de colla­borations à son palmarès. La deuxième, Angèle, a 24 ans, meilleures ventes d’albums en France, primée en 2019 et cette an­née encore – meilleur concert – aux Victoires de la musique.« Avoir des enfants qui réussissent ?Mais c’est génial ! », s’étonne­t­il enlaissant traîner un « âl » guttural.

La maman, Laurence Bibot, estune comédienne et humoriste connue en Belgique. Le père, lui, aeu son heure de gloire sur la scènerock du temps où il tenait la bassedans le groupe de funk Allez Allez,culte en Belgique. « Dans les con­certs d’Allez Allez, les gens dans lafosse étaient serrés comme des sardines, écrasés contre la scène. Aujourd’hui, je peux faire tous les concerts que je veux, j’aurai plus ja­mais ça. C’est mon fils qui vit ça.On n’est pas – on ne peut pas être –jaloux de ses enfants. Simplement, on se dit : “Putain, je suis passé àcôté de quelque chose !” »

Avec son chaleureux accentbelge – Flamand de Molenbeek, quartier populaire de Bruxelles, il est passé par l’école francophone

pour ne pas suivre le parcours mo­deste de son père, qui conduisait les camions­poubelles –, il raconteune vie de musicien. Une vraie. Decelles où les bas écrasent les hauts,et donnent envie de reprendre une pinte de Chouffe. « Je vais le dire franchement : j’ai eu un maxi­mum de moments où ça a patiné. »

Liste noireDifficile de dire le contraire. 1982 :Allez Allez signe en Angleterrechez Virgin, époque Simple Minds. La gloire. Le premier sin­gle sort en novembre. L’album estattendu pour janvier. Mais pata­tras, la chanteuse annonce qu’elle se marie et raccroche. Tout tombeà l’eau. 1985, il monte un groupe,Les Cactus. Il est à la guitare, cette fois. « Le bassiste, Dirk Schoufs, avait beaucoup de charisme, mais c’était un mec difficile à gérer. Avecle batteur, on a craqué, on le vire.Ce con monte Vaya con Dios et de­vient une star internationale. » Il rit de ce manque d’à­propos. Pourvivre, il devient représentant eninstruments de musique. « Diffi­cile pour l’ego, quand tu croises les musiciens dans les boutiques… »

La rencontre de sa femme et desa troupe de comédiens luidonne envie de remonter surscène. Il sonne aux portes de tousles labels. « J’envoyais des choco­lats belges avec mes démos. Parfois, on me retournait les cas­settes en disant : “Les chocolatssont bons”… L’autre jour, on m’afait le même coup, un jeune Suisse m’a filé son CD avec des choco­lats… suisses. Je ne sais pas quelpouvoir il pensait que j’avais, peut­être parce que j’étais le père de… »

Après un passage chez PIAS, ilest signé en 1995 par Didier Varrod chez Columbia. Heure de gloire avec Accouplés, hymne auvivre­ensemble, sonorités arabo­andalouses façon Négresses ver­tes, qu’il voit déjà exploser en tube. Mais la chanson disparaît d’un coup des hits et des playlists de radio. La faute aux attentats dans le métro parisien, il en estpersuadé. Trois ans plus tard, quand Varrod est viré de Colum­bia, Marka saute avec lui.

Et la liste noire continue. Ill’égrène avec bonne humeur. En 2002, après un passage auxFrancofolies de La Rochelle, il si­

gne avec Inca Music (Les Elles, Yves Duteil). Le label met la clefsous la porte trois mois après lasortie de l’album. La scou­moune ? « Je deviens un connard de parano qui croit que le monde entier lui en veut. » Cette annéeencore, alors qu’il est invité, di­manche 2 février, à La Nuit de la déprime, aux Folies­Bergère, où, entre Eddy Mitchell et OliviaRuiz, il doit interpréter une chan­son de Jacques Brel dont il ne con­naît pas toutes les paroles, voilà que le téléprompteur part enroue libre et tourne à toute vi­tesse. Fou rire sur scène. Et le pu­blic avec. « Alors tu vois, con­clut­il, mes enfants me vengent. »

Aujourd’hui, il vivote entre di­verses productions – de docu­mentaires et de livres – et des pe­tits concerts. « Et puis j’ai un pota­ger, je fais mes légumes, je suis qua­siment autosuffisant. » Linkebeek, dans la campagne à la lisière sud de Bruxelles. Il a le sourire géné­reux et la vie chevillée au corps. Ledimanche soir, c’est « steak­fri­tes ». En famille. Quand personne, bien sûr, n’est retenu sur unescène quelconque. L’idée a été im­posée par sa femme. « Moi qui ve­nais d’une famille explosée, je ne pigeais pas bien, mais elle avait rai­son, c’est important pour les en­fants d’avoir ces repères… Le steak, le même goût, c’est rassurant. Pourla même raison que les gens vont

au McDo, quarante ans après, ça a toujours exactement le même goût. » C’est Marka qui cuisine.

C’est lui qui a gardé la maisonaprès leur séparation en 2010 et leurs retrouvailles un an plus tard,même s’ils ont trouvé commeéquilibre de ne plus habiter en­semble. « Les gosses nous en ontvoulu quand on leur a annoncé qu’on se remettait ensemble. An­gèle a juste dit d’un air dégoûté :“Tout ça pour ça ?” Et elle a fermé laporte de sa chambre. »

Un nouvel albumLe père et le fils communientdans le foot. Le 25 mai 2005,finale de la coupe de l’UEFA,l’AC Milan mène 3­0 à la mi­temps. Match plié. Le père envoieson fils de 13 ans, alias Roméo Johnny Elvis Kiki, se coucher. Enseconde mi­temps, Liverpoolremonte les trois buts et l’em­porte finalement aux tirs au but.« Il avait les bouuuuules, raconte­t­il. Depuis, c’est un fan de Liver­pool. » Et, après des études d’art àl’institut Saint­Luc, à Tournai, etdeux ans de photo à Bruxelles,une star du rap.

« Il y a une corrélation entre lemouvement punk d’hier et le rapd’aujourd’hui, analyse le père. Lecôté DIY, do it yourself. Pas besoinde dix ans de solfège. Il suffit d’unordi. Tout le monde a la possibilitéde se lancer, comme nous le criaitJoe Strummer lors du concert desClash après lequel j’ai acheté ma première guitare. D’ailleurs le rap,j’en faisais avant lui. J’avais montéun groupe qui s’appelait Blabla­bla, c’était à l’époque des BeastieBoys. Je ne connaissais pas encorema femme. Après, elle m’a tou­jours dit qu’elle trouvait ça nulet qu’elle éteignait la radio lors­qu’on était diffusés. »

A Bruxelles,le 13 février.FRÉDÉRIC PAUWELS/COLLECTIF HUMAPOUR « LE MONDE »

Rien ne semble pouvoir attein­dre notre apprenti boxeur (il montre son pendentif, un gant de boxe) élevé par ses grands­parents(« Ça, c’était magique ») parce que ses parents se déchiraient. « Je tra­vaille sur un album depuis quatre ans. Jusqu’ici, j’avais peur de le sor­tir, sachant ce que mes enfants sont désormais. Mais là, je crois que je suis prêt. » Le voici de nou­veau en campagne. Il cherche unlabel, a trouvé un tourneur…

Titre de l’album : Virilus sed cor­rectum. « Viril mais correct, tra­duit­il. C’était ce qu’il y avait d’ins­crit sur le blason de mon équipe defoot, le Sporting Etterkijs, un clubde bistrot affilié à l’Abssa, l’Associa­tion belge des sportifs du samedi après­midi. L’Etterkijs, c’est un fromage de Bruxelles qui pue. »

Marka ne doute de rien. Pasmême de se planter. Qu’importe,du moment qu’on est vivant. Sur son futur album, une chanson, Le Daron, écrite par le parolier Jacques Duvall (Banana split, de Lio…), décalque son histoire. « Le daron bouge encore alors qu’on le donnait pour mort et que les vau­tours tournent autour… Ils font cequ’ils veulent les jeunes loups, tan­dis que les ieuv [les vieux], ils font ce qu’ils peuvent surtout… Les cou­pables sont Brutus et sa petitesœur… » Second degré.

« Le succès de mes enfants est in­croyablement rapide, surtout parrapport à moi qui suis toujoursnulle part et fier d’y être. » Quand ilest à Paris, il dort chez sa fille. « Peut­être qu’on ne les a paspoussés vers les études parce que là, on n’aurait pas pu les suivre. Tout ça, ce n’était rien qu’une ma­nière de transmettre un parcours de vie. » Il remet sa casquette etrepart dans la bise.

laurent carpentier

Angèle, Roméo Elvis et le chant du daronLe musicien Marka est toujours passé à deux doigts de la gloire, mais ce sont ses enfants qui remplissent Bercy

« Je vais le direfranchement :

j’ai euun maximumde moments

où ça a patiné »

La réussite des héritiersDans la famille Van Laeken, c’est la petite dernière qui casse la baraque. A 24 ans, Angèle est en première place des meilleures ventes d’albums en France en 2019 avec 532 000 ventes (disque de diamant) pour Brol : 730 000 vendus tout cumulés depuis le 5 octobre 2018. Elle coiffe sur le poteau son grand frère, Roméo Elvis (alias Roméo Johnny Elvis Kiki), 27 ans, dont le deuxième al-bum, Chocolat, tient néanmoins la 28e place et est passé disque de platine (100 000 exemplaires vendus) dès juillet 2019. Il sera à Bercy, le 26 mars. La chanteuse fait quatre fois mieux, c’est logi-que, avec quatre Bercy, du 18 au 21 février. On pourra également la voir dans le prochain Leos Carax, Annette, dont la sortie est prévue cette année, avec Marion Cotillard et Adam Driver dans les rôles principaux. Le grand frère, lui, tiendra dans le même temps un premier rôle dans le film de Quentin Dupieux, Mandibules.

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Page 24: Le Monde - 18 02 2020

24 | culture MARDI 18 FÉVRIER 20200123

ENTRETIENnew york, correspondant

A ctrice (Thelma etLouise, Beetlejuice), pro­ductrice et scénariste,Geena Davis, 64 ans,

milite depuis de nombreuses an­nées pour la cause des femmes à Hollywood, notamment au sein du programme Women in Mo­tion, de Kering. Rencontre à New York à l’occasion de la sortie, mer­credi 19 février, du documentaire de Tom Donahue, Tout peut chan­ger. Et si les femmes comptaient à Hollywood ?, qu’elle produit.

Ce film explore la sous­repré­sentation des femmes dans l’industrie du cinéma améri­cain. Une seule a ainsi reçu l’Oscar du meilleur réalisateur,

Kathryn Bigelow, en 2010, pour « Démineurs ». Comment expliquez­vous cela ?

C’est parce qu’on ne donne pasaux femmes les mêmes chances qu’aux hommes. En partie en ne leur faisant pas confiance quand elles débutent. Et même lorsqu’el­les réalisent des films brillants, el­les ne sont pas nominées pour autant. Cela fait partie d’un biais culturel inconscient. L’industrie du cinéma avait pourtant com­mencé de manière extraordinai­rement égalitaire [au temps du muet]: les femmes dirigeaient des studios, elles étaient de grandes stars et metteuses en scène. Avec l’arrivée du sonore, l’argent a com­mencé à couler à flots et les hom­mes ont pris les postes­clés. On nes’en est jamais remis. Je ne sais pass’il y avait une volonté d’exclure

les femmes, mais c’est ce qui s’est passé. A cause du sexisme, qui est désormais très ancré dans la culture d’Hollywood.

Depuis « Thelma et Louise », sorti en 1991, la représentation des femmes au cinéma n’a­t­ellepas évolué de manière positive ?

Les choses ont effectivementbeaucoup changé, mais nous avons encore du chemin à parcou­rir. On ne peut pas se contenter dedire : « On a fait quelques progrès,

c’est bien », quand il y a encore tant d’inégalité de salaire et que sipeu de femmes parviennent à réa­liser, écrire, produire ou à accéder à de hautes responsabilités.

La bataille se joue­t­elle à l’écran ou derrière la caméra ?

Partout, mais les problèmessont plus aigus derrière la caméra.Les femmes réalisatrices, compo­sitrices, cheffes de la photogra­phie sont moins de 10 %. Quand une femme réalise un film, il y a

plus d’actrices à l’écran et c’est une manière d’améliorer les cho­ses. Nous voulons que le cinémasoit le reflet du vrai monde, qui est à moitié féminin et très divers.

Comment travaillez­vous pour améliorer les choses ?

Je travaille sur la représentationdes femmes et des petites filles à l’écran. Vous ne pouvez certes pasfaire jouer des femmes dans Il faut sauver le soldat Ryan, maisl’objectif est d’atteindre la parité hommes­femmes sur les écrans,particulièrement dans les pro­grammes regardés par les en­fants. Ils doivent voir des person­nages féminins accomplir des choses importantes. Nous ve­nons d’atteindre l’égalité sur lesrôles principaux dans les pro­grammes pour enfants pour latélévision. C’est historique, ce n’était jamais arrivé auparavant.

Est­ce que le mouvement #metoo a été un accélérateur ? On a l’impression que tous les personnages principaux sont désormais des femmes…

Des films comme Captain Mar­vel étaient en chantier avant#metoo. Mais il a été prouvé que les films ayant des femmes pour héroïnes marchent très bien fi­nancièrement.

Peut­on parler de problème politique alors que, dans l’Amérique de Trump, Hollywood reste à plus de 90 % démocrate ?

Les gens observent qu’Hol­lywood est extraordinairement progressiste, démocrate, soucieuxd’égalité et de diversité, mais nous

ne le montrons pas vraiment à l’écran. La plupart des décideurs sont des hommes et toutes les his­toires, tous les films sont racontésà partir de la perspective des hom­mes. Nous mettons de côté le point de vue des femmes.

Dans le documentaire, Meryl Streep dit que, pour faire des progrès, les hommes doivent prendre positon. Il faut pourtantplus d’une heure pour les voir apparaître vraiment. Avez­vous eu du mal à les embarquer dans ce projet ?

Oui. Le metteur en scène, TomDonahue, a évoqué la difficulté à faire témoigner des hommes. Il voulait des patrons de studio et aucun n’est venu. D’aucuns ont ditque c’était pour des raisons légalesqu’ils ne devaient pas parler. Nous devons entendre tout le monde, etles hommes font partie de la solu­tion, bien sûr. Nous n’avons vrai­ment rien contre les hommes.

Les Etats­Unis comptent 4 % de réalisatrices, contre près d’un quart en France. Est­ce un problème américain ?

Cet écart dit beaucoup des diffé­rences culturelles entre les deux pays. Les stars françaises peuvent avoir n’importe quel âge à l’écran, c’est merveilleux pour nous de voir ça. Il faudrait que ce soit pos­sible aux Etats­Unis, mais il n’y apas beaucoup de rôles pour les femmes âgées. C’est un problème énorme. Les femmes acceptent devieillir, veulent en profiter, mais on ne leur offre pas d’opportuni­tés. C’est très frustrant.

propos recueillis pararnaud leparmentier

Le ministère de la culture lance une radiographie du spectacleLe déploiement du nouveau Système d’information billetterie (Sibil) permettra d’établir des statistiques sur les représentations

L a « petite révolution statisti­que » promise en 2018 parla Rue de Valois est en mar­

che. A l’image du Centre national du cinéma (CNC), qui permet an­nuellement de connaître la fré­quentation des salles et la réparti­tion des entrées par film, le spec­tacle vivant disposera cette annéed’un Observatoire de la créationartistique. Grâce à la mise enplace du nouveau Système d’in­formation billetterie (Sibil), le mi­nistère de la culture devrait enfin avoir des données exhaustives, fiables et régulières sur le nombrede représentations et de specta­teurs dans tous les domaines duspectacle vivant (théâtre, opéra,musique, danse), qu’ils relèvent d’une gestion publique ou privée. D’ici au 1er avril, les quelque20 500 entrepreneurs de specta­cles (exploitants de lieu, produc­

teurs, diffuseurs) répertoriés en France devront tous ouvrir un compte sur le logiciel Sibil ettransmettre leurs déclarations chaque trimestre.

Recueil de donnéesCette inscription a été rendueobligatoire par la loi « liberté de lacréation, architecture et patri­moine » du 7 juillet 2016. Il auradonc fallu près de quatre anspour mettre en place ce recueilde données dont l’objectif estd’obtenir une photographie du secteur économique du spectaclevivant et de mieux évaluer l’im­pact des politiques publiques. « Jusqu’à présent, nous n’avionsque des enquêtes déclaratives par­cellaires », reconnaît­on à ladirection générale de la création artistique (DGCA), chargée dudossier au sein du ministère.

Développé par l’entrepriseCapgemini pour un budget deprès de 300 000 euros, l’outil Sibila démarré mais est encore loin de fonctionner à plein régime. Son déploiement a été prévu en trois vagues, de janvier 2018 àavril 2020 : les 500 sallessubventionnées (lieux labellisés, scènes conventionnées), puis les 5 000 structures relevant du théâ­tre privé ou du Centre national dela musique et, enfin, les quelque 15 000 organismes de spectacle (salles des fêtes, espaces polyva­lents, cabarets, festivals, etc.).

« Nous avons été confrontés àdeux obstacles, qui ont retardénotre calendrier : il a fallu con­vaincre les éditeurs de billetteried’adapter leurs logiciels pour per­mettre l’automatisation des dé­clarations, et les organismes despectacle, de s’inscrire sur Sibil »,

explique­t­on à la DGCA. Résul­tat : seules 1 000 structures ont,pour l’heure, ouvert un comptesur Sibil. Et vingt éditeurs debilletterie – sur les trente identi­fiés en France – ont réalisé unemise à jour qui permet d’éviteraux entrepreneurs de spectacleune saisie manuelle. Si la loiprévoit une amende administra­tive en cas de non­transmissionde données, son montant(150 euros, passant à 600 eurosaprès un an de non­déclaration) est jugé peu dissuasif.

Première restitution en juinQue devront déclarer les organis­mes ? Le type de spectacle, le titre de l’œuvre, le nom de l’auteur, la distribution, le lieu de représenta­tion, la durée de la programma­tion et le volume de billetterie (ta­rif normal, abonné, exonéré ou

gratuit). Les données ainsi collec­tées pour chaque représentation seront analysées par les services statistiques du ministère puis rendues publiques. Une première restitution est prévue en juin.

« Il ne s’agit pas de dévoiler desdonnées brutes mais de les met­tre en perspective et de les croiser,précise­t­on à la DGCA. Nouspourrons, par exemple, voir com­ment circulent les œuvres, mieuxappréhender la réalité de la diffu­sion, mais aussi cartographier la répartition des lieux de spectaclesur le territoire en fonction de lapopulation et mesurer la fré­quentation. » A terme, il sera no­tamment possible de savoirquels auteurs sont les plus jouésen France, dans quelle ville on« sort » le plus au spectacle, ouencore quelle région est la plusamatrice de jazz ou d’opéra.

Geena Davis dans « Tout peut changer... ». CREATIVE CHAOS VMG, WOMEN IN HOLLLYWOOD

sujet brûlant et urgent de notre épo­que, la place des femmes dans l’industrie ci­nématographique risque de faire couler en­core beaucoup d’encre, en France comme ailleurs. Tout peut changer. Et si les femmes comptaient à Hollywood ?, de Tom Dona­hue, arrive à point nommé pour résumer lasituation à Hollywood, où s’élabore la grande majorité des fictions qui ruissellent sur les écrans. Hollywood est le lieu où s’ob­servent les dérives et manquements qui empêchent les femmes d’accéder à des fonctions déterminantes dans la produc­tion de récits collectifs, celui aussi où se me­surent les efforts qu’une industrie peut fournir pour mettre fin à toute forme de discrimination à l’embauche.

Reste à savoir de quoi l’on parle lorsquele documentariste Tom Donahue pose laquestion, dans son titre : Et si les femmes comptaient à Hollywood ?. Et c’est l’un des problèmes du film que de poser un nombrevertigineux de questions qui, si elles sont liées, n’appellent pas toutes le même dia­gnostic : la représentation des femmes dans la fiction hollywoodienne, leur temps de parole et de présence dans les films, la sexualisation des petites filles, le plafond

de verre qui empêche les réalisatrices de passer d’un film à petit budget à une super­production, la présence des minorités eth­niques devant et derrière l’écran…

Une illusionDifficile de tout aborder sans procéder à des simplifications et raccourcis, comme lorsque les plus grandes actrices américai­nes (Meryl Streep, Cate Blanchett, Natalie Portman) se plaignent d’un système qui a pourtant contribué à célébrer leur talent et à faire d’elles des femmes de pouvoir. Sur cesujet, il semble de plus en plus compliqué de penser le paradoxe, l’idée que Hol­lywood a été capable du pire comme du meilleur avec les femmes. Contrairement àce que le documentaire assène, le système des studios n’a pas attendu Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991) pour se réveiller de son long sommeil féministe.

De grandes héroïnes incarnées par desactrices influentes ont toujours existé (Mary Pickford, Barbara Stanwyck, Eliza­beth Taylor…). Elles étaient dotées d’un pouvoir de décision souvent égal à celui des réalisateurs. Il est paradoxal de les invi­sibiliser pour étayer un propos féministe.

C’est justement lorsque Donahue aban­donne la généralisation à outrance pour entrer dans le détail des recours que sonfilm devient un document précieux : l’im­portance, expliquée par Geena Davis, de la statistique pour faire apparaître de ma­nière irréfutable la discrimination ; l’ac­tion en justice, en 1980, d’un groupe de réalisatrices, qui a permis de basculer sur un plan légal ; l’échec de la « coopérationvolontaire » qui laisse aux employeurs le soin d’engager plus de femmes.

Il aura fallu des décennies pour com­prendre que l’idéal d’autorégulation était une illusion et que l’égalité ne s’obtient que par une prise de conscience suivied’actions contraignantes. L’impression­nant cas de la chaîne FX, passée de 89 % à49 % de réalisateurs blancs, entre 2014 et 2015, tout en produisant des séries à suc­cès, est sans doute la meilleure manière derépondre aux frilosités.

murielle joudet

Tout peut changer. Et si les femmes comptaient à Hollywood ? Documentaire américain de Tom Donahue (1 h 35). Sortie en salle le 19 février.

Un film qui pèche par ses simplifications et ses raccourcis

« Nous n’avons jamais été oppo­sés à la transparence des données, mais ce nouvel outil a été élaboré dans un esprit de secteur privé, re­grette Nicolas Dubourg, nouveau président du Syndicat national des entreprises artistiques et cul­turelles (Syndeac). L’observation ne doit pas se faire seulement d’unpoint de vue économique ou deprofit mais aussi comprendre l’évolution du public. »

L’observatoire, dont la composi­tion des membres n’a pas encoreété arrêtée, « mènera des études complémentaires, notamment sur les publics », promet le ministère. Reste aussi à savoir si cet observa­toire et la gestion de Sibil reste­ront dans le giron de la DGCA ou basculeront dans une autre direc­tion à l’occasion de la réorganisa­tion de la Rue de Valois.

sandrine blanchard

« Hollywood met de côté le point de vue des femmes »L’actrice Geena Davis produit un documentaire qui dénonce le manque de parité dans l’industrie du cinéma

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Page 25: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 télévision | 25

HORIZONTALEMENT

I. Exprime tout, douleur, surprise, appel et aussi l’ordre de se taire. II. Longue et pieuse suite. Pourra être approuvée. III. Académicien qui fut président. Cours d’Europe centrale. Préposition. IV. Queue de persil. Les vertes sont toxiques. Renforce l’as-semblage. V. Plat de terre et de légu-mes. Associées dans l’action. VI. Bien remontée. Bien dégagés. VII. Règle plate. Dans l’erreur. Canton des Pyré-nées-Orientales. VIII. Sera réglé par le débiteur. Note. IX. Dégagé. Décorti-quera chaque lettre. X. Se penchent sur l’élimination de nos déchets.

VERTICALEMENT

1. Envoyée par carton quand elle est importante. 2. Laisse beaucoup traî-ner. 3. Elimine. Cours du Nord. Per-met de comparer les énergies. 4. Pour une distribution locale. Levée avant de partir. 5. Voie écologique. S’éloi-gner de la vérité. 6. Indicatif est préfé-ré sous la Coupole. Pousse à se sur-passer. 7. Se traîne bien tristement. Station du Morbihan. 8. Démonstra-tif. Equitable. Patron en région. 9. Ramasse tout en remontant. 10. Personnel. Découpage du temps. Piégé. 11. Ouvre des choix. Base de lancement. Ne rumine plus. 12. Ren-dis indispensable.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 040

HORIZONTALEMENT I. Chlorophylle. II. Huit. Dia. Ail. III. Emmenés. Dito. IV. Aoste. Si. V. Ingagnable. VI. Nævi. Aton. VII. Grâces. Etêté. VIII. GIG. Zeste. Ar. IX. Unes. Virunga. X. Mesquineries.

VERTICALEMENT 1. Chewing-gum. 2. Hum. Narine. 3. Limogeages. 4. Oté. AVC. Sq. 5. Nagiez. 6. Odéon. Sévi. 7. Pissai. Sin. 8. Ha. TB. Etre. 9. Délateur. 10. Lai. Eté. Ni. 11. Lits. Otage. 12. Eloigneras.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

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GRILLE N° 20 - 041PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­041

2

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6 5 9

8 5

9 1 7 8

7 2 8 4

4 6 1 7

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3 8 4 6 1 2 5 9 7

9 7 2 3 8 5 6 4 1

8 5 6 1 4 9 2 7 3

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Jamal Khashoggi, un homme à abattreIl critiquait les dérives du prince héritier. Une solide enquête revient sur l’assassinat du journaliste saoudien

ARTEMARDI 18 - 20 H 50

DOCUMENTAIRE

L e 2 octobre 2018, le jour­naliste saoudien JamalKhashoggi était assassinédans le consulat de son

pays à Istanbul (Turquie). Seize mois plus tard, le journaliste amé­ricain Martin Smith, qui parcourt le Moyen­Orient depuis vingt ans pour l’émission d’investigation« Frontline » (sur la chaîne améri­caine PBS), livre le fruit de son en­quête dans un solide et glaçantdocumentaire en deux parties.

Le film montre comment JamalKhashoggi, d’abord soutien du ré­gime – il estime par exemple que la guerre au Yémen est néces­saire –, a été transformé en dange­reux opposant par Riyad. Pour le comprendre, Martin Smith s’inté­resse à la personnalité de Moham­med Ben Salman, dit « MBS », le prince héritier qui a pris les rênes du royaume d’Arabie saoudite.

Récit rétrospectifLe reporter tisse ainsi un récit ré­trospectif qui débute en décem­bre 2018, trois mois après l’assassi­nat de Khashoggi, alors que la fa­mille royale saoudienne organise une fastueuse « petite réception ».En 2016, le journaliste, qui a ses en­trées auprès du gouvernement, est« emballé par le discours de “MBS”

sur la nécessité des réformes ». Ré­duction de la prédominance reli­gieuse, évolution d’une partie du statut des femmes, réintroductiondes concerts, des salles de cinémaet diversification d’une économiequi repose depuis trop longtempssur la manne désormais fragile du pétrole vers le tourisme, le di­vertissement et les nouvelles technologies… « MBS » se cons­truit une image de réformateur

social et économique, dans le pays autant qu’à l’extérieur.

Mais, la même année, Khashoggiparticipe à une conférence d’un think tank américain pour, no­tamment, commenter l’élection de Donald Trump à la tête des Etats­Unis. Il recommande aux autorités saoudiennes de « diversi­fier leur réseau de relations ». « Si ona eu des problèmes avec M. Obama,on en aura encore plus avec M.

Trump », alerte­t­il. Cette participa­tion est perçue par le pouvoir saoudien comme une interfé­rence dans ses relations avec les Etats­Unis, dont le nouveau chef de l’Etat sera reçu avec les plus grands honneurs en mars 2017. « Difficile de savoir s’il a conscience qu’il a franchi la ligne rouge, note Martin Smith. Jamal Khashoggi ra­conte que, à partir de ce mo­ment­là, les autorités saoudiennes

lui ont interdit d’écrire, de tweeter ou de passer à la télévision. »

Le journaliste ne sera pas le seulà faire les frais de la terreur instau­rée par le prince. Surveillance des réseaux sociaux, harcèlement, in­timidations, purges… Le film dé­voile les arcanes du nouveau pou­voir, concentré entre les mains de « MBS » – persuadé par son père « qu’on ne peut pas gouverner l’Arabie saoudite avec des gants » –,capable d’ordonner l’emprisonne­ment, la torture ou l’assassinat de quiconque s’autorise à commen­ter sa politique, la neutralité fai­sant même office de trahison.

Le documentaire décrypte enoutre la stratégie mise en place parle pouvoir saoudien pour devenir l’acteur numéro 1 du Moyen­Orient, avec l’appui de l’inconsé­quente administration Trump.Martin Smith s’est entretenu et a échangé des SMS avec « MBS ». Il a interviewé à plusieurs reprises Jamal Khashoggi et a rencontré in situ les protagonistes de cette af­faire : membres influents de la fa­mille royale, anciens collabora­teurs de la CIA, militants des droitshumains, dissidents et proches de détenus politiques ainsi que jour­nalistes experts de la question.

mouna el mokhtari

Meurtre au consulat, par Martin Smith et Linda Hirsch (EU, 2019, 2 × 55 min).

Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi. MOHAMMED AL-SHAIKH/AFP

La « Baby Division » d’Hitler et ses adolescents criminelsJulien Johan éclaire l’histoire brève et sanglante de la 12e division blindée SS, composée de très jeunes soldats

FRANCE 2MARDI 18 - 23 H 10

DOCUMENTAIRE

C onstruit à partir d’archi­ves filmées inédites colo­risées et de témoignages

de survivants, le passionnant do­cumentaire de Julien Johan met l’accent sur l’histoire aussi brève que sanglante de la 12e divisionblindée SS, composée majoritai­rement de 20 000 très jeunes sol­dats, 15 % de ses effectifs seule­ment ayant dépassé la vingtaine.

L’idée de transformer des ga­

mins en tueurs vient d’Himmler, chef de la SS qui, en février 1943,décide de piocher dans le réser­voir des Jeunesses hitlériennes. Approuvée par Hitler, l’idée de­vient réalité, d’autant plus rapi­dement que le IIIe Reich autoriseles mineurs à s’enrôler sans l’accord parental.

Cinq mois plus tard, 20 000 jeu­nes ont été formés à la dure pour devenir des soldats d’élite au sein de la 12e division blindée SS. Mais en novembre 1943, un rapport se­cret indique que cette « Baby Divi­sion », comme la nommeront

quelques mois plus tard les Bri­tanniques, Canadiens et Améri­cains, n’est pas opérationnelle.

Colère du Führer et réorganisa­tion rapide, avec l’arrivée d’un ma­tériel haut de gamme et la nomi­nation de Kurt Meyer, héros mili­taire. Malin, Meyer relâche la pres­sion sur des recrues épuisées, ordonne aux officiers de repro­duire « avec les jeunes une relation proche du cadre familial ». Les ga­mins ne savent pas que leur idole est aussi un criminel de guerre ayant fait assassiner 872 habitants d’un village sur le front de l’Est…

Envoyés en France pour contrerle futur débarquement, les jeunes SS commettent un premier mas­sacre début avril 1944, dans le vil­lage d’Ascq. A la suite d’un acte de sabotage de la Résistance, 86 hom­mes sont abattus. Ce n’est que le début d’une descente aux enfers où la morale n’a pas sa place. « Les ados, c’étaient les pires ! Ils nous tiraient dans le dos », se rappelle unvétéran britannique qui les a com­battus dans le bocage normand.

Combattants fanatiques, les jeu­nes SS, dont la moitié périra aucombat, ont commis plusieurs

crimes de guerre : exécution de prisonniers de guerre canadiens en juin 1944 puis de civils françaiset belges, femmes et enfants com­pris, en août et septembre. « Je ne les tiens plus ! », écrira un officier. Après guerre, Kurt Meyer sera jugé et condamné à mort avant devoir sa peine commuée en prison à perpétuité. Il sera libéré en 1954,dix ans après son arrestation.

alain constant

Baby Division, les adolescents soldats d’Hitler, de Julien Johan (Fr., 2019, 52 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

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Page 26: Le Monde - 18 02 2020

26 |styles MARDI 18 FÉVRIER 20200123

« saint laurent doitreprésenter l’extrême luxe »Des silhouettes flamboyantes, des défilés spectaculaires à Malibu ou devant la tour Eiffel, des ouvertures de boutiques remarquées… Alors que la maison Saint Laurent vient d’annoncer un chiffre d’affaires record, entretien croisé avec le directeur artistique, Anthony Vaccarello, et la PDG, Francesca Bellettini

ENTRETIEN

L e luxe aime les symboles,et celui­ci en est un : le12 février, François­HenriPinault, président direc­

teur général du groupe Kering,propriétaire de Saint Laurent, an­nonçait que la marque avait dé­passé les 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019. Et quel’ambition était d’atteindre les 3 milliards à moyen terme. Ce capmarque un réel changement destatut et, en termes d’envergure, rapproche la maison de blockbus­ters comme Gucci (Kering) ou Dior (LVMH).

Saint Laurent connaît une crois­sance impressionnante depuis 2012, année où le designer HediSlimane a sorti la maison de satorpeur. Au moment de son dé­part, quatre ans plus tard, le chif­fre d’affaires avait déjà fortementaugmenté, dépassant 1,2 milliard d’euros.

Anthony Vaccarello, qui lui asuccédé à la direction artistiquede la maison, a transformé l’essai.Depuis 2016, il affirme une sil­houette empreinte de glamour,non dénuée de dramatisme, avec des robes couture aussi courtesque volumineuses, des smokingsau décolleté vertigineux nappésd’un déluge de sequins, des escar­pins d’où jaillissent des plumes etdes bottes brodées de cristaux.

Cette flamboyance vénéneuseest habilement mise en scène lorsde défilés spectaculaires – sur une plage de Malibu ou devant la tour Eiffel scintillante – à traversdes collaborations avec des artis­tes chics, des campagnes de pub offensives et des ouvertures de boutiques très remarquées, à l’instar de celle du faubourg Saint­Honoré, à Paris, à la placedu concept store Colette.

Pour mettre en œuvre ses idées,Anthony Vaccarello peut comp­ter sur la PDG Francesca Bellet­tini. Cette Italienne de 49 ans pas­sée par Prada, Helmut Lang,Gucci et Bottega Veneta a fait con­fiance au jeune Belge alors qu’il n’avait signé de collections quepour sa propre marque et Versus,la ligne bis de Versace.

Alors qu’ils s’expriment pour lapremière fois ensemble dans lesmédias français, nous les avons rencontrés dans les studios Saint Laurent de la rue de l’Université,rive gauche, à Paris. Tous deux vê­tus de noir, portant la mêmemontre, et partageant la fatiguedu décalage horaire après un pas­sage à Los Angeles pour la céré­monie des Oscars.

Francesca Bellettini, pourquoi avoir choisi Anthony Vaccarello comme directeur artistique ?

Francesca Bellettini : Cela faisaitun moment que je suivais le tra­vail d’Anthony pour sa propre li­gne ainsi que ce qu’il faisait pour Versus [Versace], et je trouvais ça très pertinent. Avec François­Henri Pinault, nous étions d’ac­cord sur le fait qu’il fallait trouver quelqu’un qui soit naturellement en adéquation avec la marque. Anthony est le seul candidat que j’ai vu, je n’avais pas de plan B.J’étais certaine de mon choix.

Anthony Vaccarello : Je me suisrendu au rendez­vous avec des pieds de plomb parce que je ne sa­vais pas pour quelle maison j’étais

contacté et, étant très heureuxavec ma propre marque, j’avais déjà décliné plusieurs proposi­tions. Mais la rencontre avec Fran­cesca s’est très bien passée. Et puison ne dit pas non à Saint Laurent !

En 2016, c’est une maison avec un double héritage, celui d’Yves Saint Laurent, mais aussi celui d’Hedi Slimane. Comment l’avez­vous géré ?

A. V. : Double héritage, c’est ré­ducteur pour cette maison où sesont succédé à la direction artisti­que Alber Elbaz, Tom Ford, Ste­fano Pilati et Hedi Slimane. Tousont dû composer avec l’héritage d’Yves Saint Laurent. Je les ad­mire pour ce qu’ils ont apporté. Ma proposition pour Saint Lau­rent s’est inscrite surtout dans lacontinuité de ce que je faisais pour ma propre marque, réinter­prété pour cette maison.

F. B. : Il fallait avoir les épaulessolides pour reprendre la maison à ce moment­là. En quatre ans,nous avions doublé le chiffre d’af­faires, passant de 500 millions à 1 milliard d’euros, et le projet étaitde continuer sur cette lancée.

Comment avez­vous fait pour le doubler en quatre ans ?

F. B. : Dans une maison de luxe,on peut se concentrer sur deux aspects : les produits ou la mar­que. Nos prédécesseurs s’étaient focalisés sur les produits, dont lescatégories étaient très dévelop­pées. On a récolté le fruit de leurtravail et on a pu travailler sur la définition de la marque. Anthonya eu le courage de la positionner àun niveau plus élevé, pour qu’ellereprésente l’extrême luxe et laqualité absolue.

A. V. : Quand je suis arrivé chezSaint Laurent, j’ai découvert une

duits plus accessibles. Le but est d’élargir le spectre de nos clients, tout en gardant ceux qu’on avaitdéjà. Nous avons été très heureuxet surpris de constater que nousavions désormais des clients demoins de 18 ans.

A. V. : Et c’est fantastique de lesattirer sans faire de jeunisme, sans leur courir après avec des baskets ou des produits dans l’air du temps qui ne seraient pas vrai­ment emblématiques de SaintLaurent.

Parvenez­vous à atteindre un équilibre entre les ventes de vêtements et celles de maroquinerie ?

F. B. : Nous n’avons pas de planen tête sur ce que nous devons at­teindre par catégorie. Ce qui nousintéresse, c’est de travailler surl’univers « au global », et d’avoirdes lignes de produits variées. Nos défilés ont vocation à expri­mer l’ADN de la marque et, con­trairement à certains, nous nemettons pas de sac sur chaquemannequin.

A. V. : Je suis fier que nous par­venions à vendre autant de ma­roquinerie sans se plier à cette convention. Je pense vraiment

que c’est en se sentant libre de faire autrement et en explorantdes nouveaux modes de fonc­tionnement que nous avons at­teint les 2 milliards.

F. B. : Toute notre stratégie s’ap­puie sur la créativité d’Anthony.Quand il propose un projet, nousessayons de le réaliser rapide­ment, plutôt que de lister les rai­sons pour lesquelles il va êtrecomplexe à mettre en œuvre. Ledéfilé homme de juin derniersur la plage de Malibu, par exem­ple, nous a demandé beaucoupd’efforts. La veille du show, unetempête a détruit toute l’installa­tion. On a tous retroussé nosmanches, on l’a reconstruite enune nuit.

Cet état d’esprit est­il compati­ble avec la nécessité d’être plus soucieux de l’environnement ?

F. B. : Comme je le répète tou­jours aux équipes, l’écoresponsa­bilité ne doit pas se faire aux dé­pens de la créativité. Ce qui n’em­pêche pas de faire les chosesbien ! Notre siège et nos bouti­ques respectent les critères decertification des bâtiments à haute qualité environnementale,nous recyclons les chutes decuir… J’ai des réticences à com­muniquer sur ce sujet car l’écolo­gie, ce n’est pas un exercice mar­keting, mais une mentalité. Etnous n’avons jamais fini de nousaméliorer.

Quels sont les marchés où votre croissance est la plus forte ?

F. B. : Les Etats­Unis. Et récem­ment, nous avons rattrapé notreretard en Chine, où nous n’avi­ons pas multiplié les ouverturesde magasins dans les années 2000 comme d’autres marques. Notre boutique principale, à Pé­

kin, a été inaugurée en mai 2019.Mais tout cela, c’était avant le co­ronavirus. Il est difficile de savoirquelle tournure vont prendre lesévénements.

Vous êtes une marque globale basée à Paris. Comment parler à tous les marchés ?

F. B. : On ajuste évidemmentnos achats à chaque région, maisla collection est la même partoutdans le monde. Il y a vingt ans,c’était différent, les marques esti­maient qu’il fallait des produits spécifiques pour chaque marché,et n’importe quel sac se vantaitd’être « exclusif ».

A. V. : Aujourd’hui, il me paraîtplus pertinent d’être fidèle à quinous sommes. Et de surprendre les clients avec des pièces dont ilsn’auraient même pas imaginé avoir envie, comme les cuissar­des Niki [entièrement brodées decristaux, vendues 8 000 euros,modèle épuisé].

De quoi êtes­vous le plus fiers ?

A. V. : Je ne sais pas si je suis ungarçon très fier. Je suis content.Nous avons fait beaucoup de cho­ses, mais je préfère ne pas y pen­ser. Je dresserai un bilan dans dixans !

F. B. : Le fait qu’Anthony soit là,et son succès. Au moment de lerecruter, j’étais intimement con­vaincue que je faisais ce qu’il fal­lait pour la marque. Dans cette in­dustrie, les gens peuvent vous sourire tout en étant persuadés que vous allez vous planter. Ceuxque le choix d’Anthony laissaitdubitatifs n’ont pas d’autre op­tion aujourd’hui que de reconsi­dérer leur jugement.

propos recueillis par elvire von bardeleben

Francesca Bellettini, PDG de Saint Laurent, et Anthony Vaccarello, directeur artistique de la maison, le 7 février, à Los Angeles. CHRIS COLLS

armée de couturiers avec desdoigts de fée – alors qu’au sein dema propre marque, nous n’étionsque trois ! J’ai vu le potentiel de cesavoir­faire français. Le mettre enavant a permis de placer SaintLaurent au niveau où j’estimaisque la maison devait être, près de Chanel par exemple, et ces quel­ques autres qui ont un ADN etune histoire très forts. On a mon­tré des pièces couture lors de dé­filés spectaculaires, mis en place des collaborations avec des artis­tes comme Wong Kar­wai ou Gas­par Noé, lancé des projets spé­ciaux comme la boutique Saint Laurent Rive Droite [qui a rem­placé Colette]…

Comment connecter l’image et les produits ?

A. V. : C’est facile parce que lesvêtements Saint Laurent ont tou­jours été très portables : Yvesdessinait aussi des marinières,des sahariennes, des cabans…portés par des femmes excep­tionnelles, immortalisés par degrands photographes.

Vendez­vous vraiment les pièces spectaculaires du défilé ?

A. V. : Oui ! Mais évidemment,elles permettent aussi de rendre les pièces simples désirables. Il faut vendre du rêve. Une robe en plumes donnera envie d’acheter une petite robe noire de tous les jours. La mode doit donner à nos clients le sentiment d’appartenir à une communauté, de faire par­tie de l’aura sulfureuse de SaintLaurent.

Vos prix ont­ils augmenté ?F. B. : Notre repositionnement

plus luxe a évidemment fait aug­menter les prix, mais on veille àgarder un équilibre avec des pro­

« TOUTE NOTRE STRATÉGIE S’APPUIE SUR LA 

CRÉATIVITÉ D’ANTHONY. QUAND IL PROPOSE 

UN PROJET, NOUS ESSAYONS DE LE 

RÉALISER RAPIDEMENT »FRANCESCA BELLETTINI

PDG de Saint Laurent

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Page 27: Le Monde - 18 02 2020

0123MARDI 18 FÉVRIER 2020 IDÉES | 27

Suzanne Vergnolle Le législateur ne peut concurrencer la rapidité des innovations technologiquesLa diffusion d’une vidéo à caractère sexuel, à la suite de laquelle Benjamin Griveaux a renoncé à sa candidature municipale, a rouvert le débat sur la protection de la vie privée sur les réseaux sociaux. Or, pour la doctorante en droit, la solution n’est pas à chercher du côté de la loi, mais plutôt dans la responsabilité personnelle et sociale de chacun

Suzanne Vergnolle est doctoranteen droit à l’université Paris-II-Panthéon-Assas, spécialiste de la protection des données personnelles et de la vie privée

Affaire Griveaux : le contrôle des responsables publics, et non le voyeurisme, doit orienter le regard du public

Le caractère sordide de cette histoire ne doit pas masquer le fait que, dans certaines situations, la vie privée des personnalités publiques peut constituer un élément du débat démocratique, estime Charles-Edouard Sénac, professeur de droit public

Les responsables publics ontaussi droit au respect de leurvie privée ! L’affirmation sem­ble flotter sur toutes les lèvres

ou sur tous les claviers, depuis larévélation et la diffusion d’un enre­gistrement vidéo intime d’un des candidats à la Mairie de Paris. Au­delà des nombreuses réactions,l’affaire Griveaux conduit à se demander si les responsablespublics ont droit à une protection deleur vie privée équivalente à celle des personnes ordinaires.

Apparemment, la réponse estentendue. La vie privée est un espacequ’il s’agit de préserver des regardsextérieurs indésirables, comme le souligne la métaphore du « mur de lavie privée », chère à Stendhal et à Littré. La sphère privée, qui équivaut souvent à la sphère familiale ou in­time, est alors opposée à la sphère publique, où rien n’est dissimulé. Elleest, pour reprendre la formule de Jean Carbonnier (1908­2003), émi­nent juriste et professeur de droit ci­vil, « une sphère secrète de vie d’oùl’individu a le pouvoir d’écarter des tiers ». En effet, le respect de la vie pri­vée est un droit fondamental pour tout individu, quel que soit son em­ploi ou sa fonction, qui est garanti par la Constitution, la Convention européenne des droits de l’homme, le Code civil et qui est protégé, no­tamment, par le Code pénal.

Pourtant, la vie privée des respon­sables publics n’est plus le « sanc­tuaire » qu’elle paraissait être il y a plusieurs décennies. Le mur s’estfissuré, voire effondré à certains endroits. La vie privée des responsa­bles publics ne leur appartient plusentièrement ; certains de ses aspects occupent désormais l’espace public.

Le phénomène de publicisation dela vie privée des gouvernants est protéiforme : il s’opère à leur insu, malgré eux ou de leur fait. A leur insu, d’abord, car la publicité de la vie privée des responsables publics est devenue, au XXe siècle, un champd’investigation de la presse, « la­bouré » encore et encore au nom du droit à l’information.

Que l’on se rappelle la publication,en mars 1914 par Le Figaro, d’unecorrespondance privée de JosephCaillaux, à l’occasion du « bras defer » politico­médiatique relatif à la

création de l’impôt sur le revenu.Plus proches de nous, les révélationsde la presse sur le cancer de FrançoisMitterrand, les comptes bancaires de Jérôme Cahuzac, les escapadesamoureuses en scooter de FrançoisHollande, ou encore les emplois familiaux de François Fillon sont autant de témoins du phénomène de médiatisation de vie privée des responsables publics.

Le choix de dévoiler sa vie privéeLa publicité de la vie privée des gou­vernants s’opère également malgré eux, c’est­à­dire lorsque le droit vient la rendre contraignante. La divulgation de scandales financiers a débouché sur une demande popu­laire de transparence dont lespouvoirs publics se sont faits les relais. Initialement limitées auxéléments du patrimoine, parce qu’il s’agissait de prévenir l’enrichisse­ment frauduleux des élus, les exigences de la transparence de vie publique visent désormais leurs liens d’intérêts. C’est le nouvel âged’or de l’éthique du bon gouvernant.

Enfin, la publicité n’est pas seule­ment subie par les responsables publics : elle intervient parfois de leur propre fait. Ils admettent queleur vie privée, voire intime, peut intéresser l’opinion publique. Ilsfont parfois le choix de la dévoiler

par le moyen des médias ou l’utilisa­tion des réseaux sociaux, en particu­lier pour lancer une campagne électorale. Ce faisant, ils contribuent eux­mêmes à l’enchevêtrement des sphères publique et privée.

Que l’on songe aux innombrablesreportages photos consacrés aux têtes couronnées ou grands de cemonde et à leur progéniture qui fontle bonheur des lecteurs et lectrices des magazines « people », ou bien aux enregistrements vidéo réalisés dans sa cuisine par François Ruffin et diffusés sur les réseaux sociaux.

La vie privée des responsablespublics n’est désormais plus totale­ment privée. On peut évidemmentregretter cette évolution de la viepolitique et médiatique, en particu­lier lorsque la vie privée est violée à l’insu de la ou des personnes concer­nées, qui plus est lorsqu’il s’agit del’intimité personnelle. Mais faut­il pour autant exiger une protection identique entre ceux et celles quiont choisi de participer à la vie poli­tique et le reste de la population ?

Le caractère sordide de l’affaireGriveaux ne doit pas masquer le fait que, dans certains cas de figure, la vie privée des responsables publics peut constituer un élément du débatdémocratique. A ce titre, la Coureuropéenne des droits de l’homme admet que la liberté d’expression doit parfois primer sur le droit à la vie privée lorsque les informations dévoilées apportent une contribu­tion à un débat public relatif à une question d’intérêt général. La diffi­culté tient évidemment à détermi­ner ce qui relève ou non d’une question d’intérêt général. Ou, plus précisément, à identifier qui est le mieux placé pour le décider : les

médias, les personnes concernées,les juges ou bien la population ?

Dans nos démocraties contempo­raines, il est généralement admisque l’exercice du pouvoir exige laresponsabilité de ses détenteursdevant ceux au nom duquel il est exercé, c’est­à­dire le peuple. Les gouvernants sont considérés comme responsables devant lui et, à ce titre, supposés lui rendre des comptes de leur action politique. La question de savoir s’ils ont aussi des comptes à rendre au sujet de leur vieprivée est désormais posée.

La place croissante prise parl’objectif de moralisation de la viepublique et l’idée d’exemplarité des décideurs publics plaident pour une réponse positive. Mais il fauttoujours garder à l’esprit que c’est l’objectif de contrôle des responsa­bles publics, et non le voyeurisme,qui doit orienter le regard du public. Les éléments dévoilés sont­ils des informations pertinentes pour évaluer la capacité des hommes et femmes politiques à gouverner ? Sice n’est apparemment pas le cas dans l’affaire Griveaux, il n’en a pas toujours été de même et on peutespérer, à l’avenir, que la fonction de vigie des médias et des réseaux sociaux servira à nouveau pour le meilleur, et non pour le pire.

Charles-Edouard Sénacest professeur de droit public au Centre d’études et de recherches comparatives sur les Constitu-tions, les libertés et l’Etatà l’université de Bordeaux

LES ÉLÉMENTS DÉVOILÉS SONT-ILS DES INFORMATIONS PERTINENTES POUR ÉVALUER LA CAPACITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES POLITIQUES À GOUVERNER ?

CHAQUE PERSONNE DEVRAIT PRENDRE CONSCIENCEDE L’IMPACT POTENTIELDE SES MOTSET DE SES CLICS

Lady Godiva, splendide épouse duseigneur de Coventry, déambulaitnue sur son cheval dans les rues de laville. Son mari lui avait fait la pro­

messe de diminuer les lourdes taxes impo­sées aux habitants de la ville en échangede cette promenade, inconvenante pour une femme de son rang. Reconnaissants, tous les villageois s’étaient cloîtrés chez eux pour lui accorder l’intimité requise. Tous, sauf Tom. Tom, lui, s’était caché pourdérober, d’un rapide coup d’œil, une visionde la belle Lady Godiva. Cette légende,datée du XIe siècle, fut relatée deux siècles plus tard et a donné naissance à l’expres­sion anglaise « Peeping Tom », reprise par la littérature juridique au sujet des affaires de voyeurisme, et désormais entrée dans de nombreux droits anglo­saxons.

Aujourd’hui, le pouvoir de Tom estdémultiplié. Il peut enregistrer l’image

grâce à son téléphone et la publier sur un site. Le lien est d’abord relayé par quel­ques connaissances, puis sa transmission se propage. Chaque personne partageant le lien renforce inéluctablement le tour­billon de la diffusion. Face à ces nombreu­ses interactions, l’algorithme décèle un sujet d’intérêt et augmente encore sa ré­sonance. Tout le monde doit être au cou­rant, tout le monde doit savoir. Mais qu’est­ce que le monde apprend ? Que Tom a violé l’intimité de Lady Godiva ?Que Lady Godiva se baladait nue sur un cheval pour une juste cause ? Qu’en se­rait­il si cette cause n’était pas juste, qu’elle était personnelle, voire très in­time ? Peu importe, chacun est sommé de prendre instamment position.

L’opinion de toute personne a un inté­rêt. Que celle­ci soit fondée sur uneconnaissance antérieure du sujet ou

qu’elle se fonde sur des « faits alternatifs », cela n’a pas d’importance. Il faut se pro­noncer et avoir un avis.

D’aucuns appellent alors à la suppressionimmédiate (ou en quelques heures) de l’in­formation ! Tant pis si le juge n’a pas les moyens de prendre une décision dans ces délais, l’on confierait la censure à des entreprises privées. Celles­là mêmes quisont accusées de participer à la viralité dela diffusion.

D’autres accuseront l’anonymat d’être lacause de cette propagation, confondant lanotion avec l’une de ses cousines : lepseudonymat. L’affaire Griveaux sert denouveau prétexte pour attaquer inoppor­tunément la possibilité pour chacund’utiliser un pseudo, liberté garantissantpourtant une forme certaine de protec­tion des personnes.

Une prise de conscience collectiveMais tous s’accordent pour reconnaîtreque l’attrait de l’interdit est si puissantqu’il en conduit certains à manger le fruit défendu. Voir ce qui ne devrait pas être vu. Ecouter ce qui ne devrait pas être entendu. Partager ce qui devrait rester caché. Cette force irrésistible qui pousse chaque êtrehumain à faire quelques écarts à la bonne conduite qu’il s’était imposée.

Cela amène à s’interroger sur la valse me­née par la loi dans la définition de l’inter­dit. Il est classique d’affirmer que la normejuridique tire sa force d’une foi partagéedans un devoir­être. Ainsi, le groupe parti­cipe à la définition de l’interdit, et il fa­çonne au fil de ses clics, de ses commentai­res, les limites des comportements accep­tables. Les actions individuelles délimitentdonc les contours de ce devoir­être, suppo­sément consacré ensuite par la Loi. Sou­vent, le législateur cherche à anticiper

chaque distorsion possible. Il s’empresse d’adopter des réglementations tatillonnes et aberrantes dans tous les domaines.

Ce foisonnement rend chaque loi prati­quement obsolète dès son entrée en appli­cation, car la créativité humaine n’a pas de limite, et le législateur ne peut concurren­cer la rapidité des innovations technolo­giques. Les rouages de la mécanique du« un fait divers = une loi » sont enrayés, ils ne fonctionnent plus. Dès lors que l’on accepte la fin du solutionnisme juridique, il faut proposer autre chose.

Et si cette autre chose passait par une res­ponsabilité individuelle ? Une responsabi­lité juridique bien sûr, mais aussi uneresponsabilité personnelle sociale. Puis­que c’est bien la somme de tous les com­portements individuels qui délimite ce que la Société est en mesure d’accepter, chaque personne devrait prendre cons­cience de l’impact potentiel de ses mots et de ses clics. Avant de cliquer, elle pourraits’inviter elle­même à savoir si elle souhaiteque ce genre d’actions soit « érigé en loimorale universelle ». Effrayée par son re­flet et celui d’une société dans laquelle le venin prendrait le pas sur la douceur, peut­être se raviserait­elle et les images interdi­tes de Lady Godiva resteraient cachées.

Cette prise de conscience collective sem­ble d’autant plus indispensable que la lé­gende voudrait que, à la suite de son acte devoyeurisme, Tom ait été rendu aveugle.

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Page 28: Le Monde - 18 02 2020

28 | idées MARDI 18 FÉVRIER 20200123

LA PROBABILITÉDE MOURIR AVANT 60 ANS CHEZ LES HOMMES OUVRIERS EST DEUX FOIS PLUS ÉLEVÉE QUE CHEZ LES HOMMES CADRES

Francis Marion On ne peut faire l’économie d’évaluer tant l’usure physique que la fatigue psychologiqueLa pénibilité n’est pas l’apanage des activités physiquement lourdes, estime le médecin généraliste, prônant des aménagements des fins de carrière

Devoir travailler plus long­temps, ce consensus s’ins­talle progressivement dansles esprits. Toutefois, les

statistiques sur l’allongement de la durée de la vie réveillent une anxiété justifiée sur la qualité del’existence après l’interruption professionnelle. Vieillir, d’accord, mais pour combien de temps en bonne santé ? De ce fait, la peur de reculer l’âge de la retraite vientquestionner profondément no­tre société.

La pénibilité n’est pas seule­ment l’apanage des activités phy­siquement difficiles. Certaines activités épuisent psychologique­ment et socialement. La pénibi­lité ne concerne pas seulement ceux qui ne font pas du travail de bureau ou ceux qui n’ont pas d’horaires inhumains. Elle est le lot de tout un chacun, car il s’agit d’un ressenti individuel étroite­

ment lié aux exigences entrepre­neuriales ou institutionnelles.

On sait que, passé la cinquan­taine, les perspectives de changer de métier ou de trouver une nouvelle activité sont improba­bles. Subir et tenir toujours reste la seule solution en attendant que

les droits à la retraite seconsolident. Dans mon métier de médecin, j’ai souvent constaté que nombre de personnes nesont pas tellement fatiguées parleur profession, mais plutôt par les conditions liées aux difficultésd’une fin de carrière devenant de plus en plus épuisante. Qu’il s’agisse de l’usure physique, bien sûr, mais aussi de la non­recon­naissance de l’âge dans des mé­tiers sous tension, des exigencesinstitutionnelles qui ne s’adou­cissent guère, du rendement, de la pression continue, de la disqua­lification liée à la fatigue générale.

On gagnerait sûrement en hu­manisation des fins de carrière si,arrivés à un certain âge, les sala­riés se voyaient proposer des missions plus légères, des objec­tifs moins contraignants. Si on leur permettait de moins monter sur les échafaudages, d’aménager

leurs horaires, de modifier leurposte en les accompagnant si nécessaire par des formations complémentaires. On pourrait accepter qu’ils développentd’autres types de compétences en consacrant, par exemple, plus de temps à former les apprentis,et en faisant profiter de leur expérience les nouvelles généra­tions. L’entreprise n’aurait sans doute pas à y perdre, en défini­tive, car elle rentabiliserait davan­tage le capital et le savoir­faire as­sociés aux compétences acquises par ses agents vieillissants.

La retraite se préparerait ainsiprogressivement dans le respectdes aînés, et il y a fort à parierqu’ils envisageraient alors plus aisément de prolonger leur vieprofessionnelle. Sans offrir une perspective d’un changementdes conditions concrètes du tra­vail, le management dit « mo­

derne » emprisonne nombre de contemporains dans une spirale négative qui ne laisse pas d’autre horizon que le désir de stopper net et d’arrêter avant de s’écrou­ler ou de tomber malade.

Valoriser la médecine du travailLorsque la fatigue chroniques’installe, beaucoup deviennent des intermittents de l’arrêt mala­die pour pouvoir garder leur souffle. C’est alors la collectivitéqui finance le manque d’adapta­tion des employeurs. On peutimaginer que la médecine du tra­vail – qu’il faudrait renforcer dansles PME – puisse mettre en placeune sorte de « bilan des 50 ans » visant à évaluer la fatigue profes­sionnelle. En concertation avecles directions des ressources hu­maines, cela pourrait déboucher sur l’aménagement d’un plan de fin de carrière adapté aux vérita­

bles ressources des salariés, béné­fique également pour l’entre­prise. Il s’agirait aussi d’une valo­risation de la médecine du travailqui ferait ainsi véritablement œuvre de prévention.

Le débat sur la pénibilité nepeut faire l’économie d’évaluertant la fatigue psychologique que l’usure physique. Reste aux éco­nomistes à calculer comment ladiminution d’une certaine pro­ductivité pourrait se faire, tout engardant un niveau correct dumontant final des pensions de re­traite. Une société développée doit bien cela à ceux et celles qui font sa richesse.

Francis Marion est médecin généraliste à Grenoble (Isère)

Réforme des retraites et pénibilité : il faut agir sur la conception du travail

Une prise en compte de la pénibilité est indispensable pour fixer un âge de départ juste et équitable, estime un collectif de quatre ergonomes, qui appelle à une « politique incitative pour un travail soutenable »

Equipé d’un voice­picking donneur d’or­dres [système permettant la prépara­tion de commandes guidée par re­connaissance vocale], ce travailleur

d’un entrepôt, ouvrier des temps modernes,soulève huit tonnes par jour. Ce n’est pas as­sez. Son mal de dos ne cède pas, il doit quit­ter son emploi. Cette caissière, elle, ne sou­lève « que » cinq tonnes par jour en horairescoupés, à un rythme effréné et en souriant : c’est la règle. Lui est cadre. Il travaille tard lesoir, la nuit, les fins de semaine, cherchant àfaire correspondre les indicateurs de perfor­mance et les résultats de ses équipes. Ça ne colle pas toujours, il ne dort plus, le corps lâ­che, c’est le burn­out. Pour cette aide­soi­gnante en gérontologie, transmettre son métier aux nouvelles devient insoutenable,sauf à transmettre du sale boulot. Pas assezde temps, pas assez d’effectifs.

Du misérabilisme ? Non, le quotidien d’ungrand nombre d’actifs. Une réforme des re­traites sans prendre en compte les réalités du travail, sans politique incitative pour un tra­vail soutenable ne peut être juste et équitable.Un travail soutenable, c’est un travail qui n’expose pas à des nuisances, ne crée pas depathologies persistantes, n’évince ni les plus

vieux, ni les plus jeunes, ni ceux ayant des problèmes de santé. Un travail qui repose surla confiance dans l’intelligence de celles et ceux qui le font. Un travail soutenable, c’est aussi celui qui assure les conditions d’un par­cours professionnel durable, qui produit de lavaleur économique et sociale, en plus d’enavoir aux yeux de ceux qui le font. Le chantierest certes audacieux, mais pas hors de portée.

Le taux de chômage des plus de 50 ans a tri­plé entre 2008 et 2019 et parmi les 60­64 ans, ceux qui perçoivent l’allocation adulte handi­capé ont augmenté de 192 % depuis 2010 ; se­lon la direction de l’animation de la recher­che, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, 40 % des personnes in­terrogées disent ne pas se sentir capables de faire le même travail jusqu’à 60 ans ou jus­qu’à l’âge de la retraite. La probabilité de mou­rir avant 60 ans chez les hommes ouvriers estdeux fois plus élevée que chez les hommes ca­dres (13 % contre 6 %). L’espérance de vie sans incapacité entérine ces inégalités.

Agir sur les causes de ces injustices sociales,c’est agir sur la conception du travail, ce que

défend l’ergonomie. Notre pays est doté d’or­ganismes publics, d’acteurs de la prévention, de chercheurs en santé au travail, détenteurs de connaissances et de méthodes, qui ne de­mandent qu’à être pris au sérieux. Se priver de leurs éclairages, au­delà des apports essen­tiels des enquêtes nationales de la Dares, et del’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du tra­vail (Anses) paraît surréaliste.

Organiser la préventionDeux horizons se dessinent alors. A courtterme : la prise en compte indispensable dela pénibilité dans la réforme des retraitespour fixer un âge de départ juste et équitable.D’un point de vue épidémiologique, nous connaissons déjà les facteurs de risque etleurs conséquences, et l’employeur a, par ailleurs, l’obligation de les évaluer, en vue deprotéger la santé physique et mentale des travailleurs. A moyen et long terme : la miseen œuvre de pratiques de prévention de lapénibilité qui passe nécessairement par une nouvelle conception du travail.

Du point de vue de la méthode, plutôt quede produire des dispositifs réglementairesdescendants, élaborés de façon déconnectéedes réalités locales, le principe d’interven­tions et d’expérimentations sociales pour lesbranches professionnelles concernées par lapénibilité est un levier d’action à encoura­ger. Ce niveau de négociation intermédiairepermet de mobiliser les acteurs concernés aux niveaux des entreprises, des institutionsde prévention, des communautés de cher­cheurs et de praticiens, etc. Ce travail en plu­ridisciplinarité permet d’identifier les for­mes de pénibilité, qu’elle soit physique oupsychique, vécue par les travailleurs. Certai­nes ne réduisent pas l’espérance de vie maisdéterminent le fait de tenir jusqu’à l’âge de la

retraite. Il s’agit alors de les reconnaître dansles droits à la retraite, mais aussi et surtouten vue d’agir sur la conception d’un travaildécent et soutenable tout au long de la vie.

Si la suppression à la source des facteurs depénibilité, tel le travail de nuit, n’est pasenvisageable dans nombre de situations,d’autres pistes peuvent être négociées auplus près des spécificités des secteurs d’acti­vités : améliorer les conditions de travaildurant les postes, limiter les expositionstrop longues de l’échelle de la journée à cellede la vie, repenser les parcours profession­nels, etc. Les retours d’expérience de cesactions concertées permettraient d’alimen­ter l’élaboration de textes réglementaires etde modalités d’accompagnement des bran­ches professionnelles.

Quoi qu’il en soit, il n’est plus temps de ren­voyer dos à dos la question économique et laquestion politique. Nous avons tous à gagnerà enrayer la pénibilité en déployant des poli­tiques incitatives de prévention efficaces :l’Etat, les branches professionnelles, l’entre­prise et les salariés à l’œuvre. Pour l’entre­prise, éradiquer les conditions de travail délétères, c’est accroître ses chances de voirdiminuer les coûts liés aux accidents du tra­vail et aux maladies professionnelles. Cette vigilance s’applique aussi aux nouvelles for­mes d’organisation et de transformation nu­mérique du travail et de l’emploi. C’est aussi renforcer son image sociale, faire preuve, au­delà des intentions affichées, d’une respon­sabilité sociétale en inscrivant concrètement dans sa raison d’être le rôle citoyen de l’entre­prise. Pour l’Etat, c’est accroître l’employabi­lité tout au long de la vie des salariés, amélio­rer la situation de l’emploi. C’est aussi enga­ger des mesures qui, au­delà d’être favorablesà la santé au travail, servent plus générale­ment la santé publique.

Ce n’est pas en refusant de nommer le réelqu’il disparaît, c’est en l’affrontant sans détours : réparer, compenser et prévenir par laconception d’un travail digne et respectueux. L’ergonomie défend qu’un travail soutenable, c’est avant tout un travail humain.

Béatrice Barthe, maîtresse de conférencesen ergonomie, université Toulouse-II, prési-dente de la Société d’ergonomie de langue française ; Alain Garrigou, professeur d’ergonomie, université de Bordeauxet Inserm, président du Collège des ensei-gnants-chercheurs en ergonomie ; Corinne Gaudart, ergonome, directrice de recher-che au CNRS, codirectrice du laboratoire LISE ; Sophie Prunier-Poulmaire, maî-tresse de conférences en ergonomie, vice-présidente de l’université Paris-Nanterre

ON PEUT IMAGINER QUE LA MÉDECINE DU TRAVAIL PUISSE METTRE EN PLACE UNE SORTE DE « BILAN DES 50 ANS »

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Page 29: Le Monde - 18 02 2020

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ANALYSE

P resque un siècle de combat parfoissanglant n’a pas permis aux répu­blicains irlandais de satisfaire laplus chère de leurs revendications :

la réunification de l’île, partagée depuis 1922 entre une République – au sud – et les six comtés d’Irlande du Nord rattachés auRoyaume­Uni. Mais cet objectif historique que ni la lutte politique et militaire ni le ter­rorisme de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) n’ont permis d’atteindre, le Brexit est en train d’en accélérer la réalisation. Le suc­cès éclatant que vient de remporter, aux élec­tions législatives en République d’Irlande, leSinn Fein, parti dont la raison d’être, depuis sa fondation en 1905, est l’indépendance de la totalité de l’île vis­à­vis de la Grande­Breta­gne, n’en est qu’un signe supplémentaire.

Certes, la réunification n’était pas un thèmedébattu dans une campagne électorale domi­née par les questions de logement et de pro­tection sociale. Mais en faisant du Sinn Fein lepremier parti du pays (24,5 % des voix), les Irlandais ont plébiscité une formation long­temps considérée par beaucoup comme in­fréquentable car elle fut le bras politique de l’IRA. Seul parti irlandais actif des deux côtés de la frontière, le Sinn Fein cogère déjà l’exé­cutif régional du Nord. Au Sud, sa charismati­que présidente, Mary Lou McDonald, est dé­sormais en position de participer à un gou­vernement et de pousser l’un des premiers points de son programme : la réunification.

Le paradoxe est que, avant le référendumbritannique de juin 2016 sur le Brexit, les re­lations entre Londres et son ancienne colo­nie étaient au beau fixe. L’Irlande du Nord, secouée par trente années de violence à partir de 1968, avait retrouvé la paix grâce à l’accord du Vendredi saint (1998), la Républi­que d’Irlande, ancien parent pauvre devenu symbole de réussite économique, avait scelléen 2011 sa réconciliation avec les Britanni­ques en réservant un accueil chaleureux à la reine Elizabeth dont le tailleur vert Irlande avait fait sensation. Evénement longtemps inimaginable, la souveraine avait, l’année suivante, serré la main de Martin McGuin­ness, ancien commandant de l’IRA.

Mais à Londres, où le sort de l’île ne suscitequ’indifférence ou condescendance, per­sonne n’a vu venir à quel point le Brexit allaitêtre une affaire irlandaise. En réalité, la ques­tion de la frontière entre les deux Irlandes a été au centre des négociations et donné lieuà une étonnante manifestation de solidarité des Etats de l’UE à l’égard de la petite Républi­que dont les 4,8 millions d’habitants, mem­bres de l’Union, sont à 93 % pro­européens.

Dès le lendemain du référendum de 2016,Gerry Adams, alors président du Sinn Fein,l’un des anciens chefs de la lutte armée, a ré­clamé l’organisation d’un référendum surl’unité en arguant du fait que Londres devait respecter le vote (à 56 %) des Nord­Irlandais en faveur du maintien dans l’UE. Depuis lors, la réunification n’a cessé d’apparaître à un nombre croissant d’Irlandais du Nord

comme l’unique moyen de demeurer dans l’Union. En septembre, un sondage a donné un court avantage (51 % contre 49 %) dans la province britannique à la perspective d’un rattachement à la République. Dans cette der­nière, 57 % des électeurs sont favorables à l’or­ganisation d’un référendum. Que les Nord­Ir­landais la souhaitent ou la redoutent, l’unitéde l’île est « généralement perçue comme plus probable », confirme Katy Hayward, profes­seure à Queen’s University de Belfast.

Cette perspective a reçu un coup de pouceinvolontaire lorsque Boris Johnson, pour écarter le maintien du Royaume­Uni dans l’union douanière européenne, a accepté quel’Irlande du Nord seule y demeure. Ce choix, qu’avait refusé Theresa May, induit la mise enœuvre de contrôles systématiques des échan­ges entre la Grande­Bretagne et l’Irlande du Nord. Il érige de fait l’île d’Irlande en une entité économique cohérente, rendant crédi­ble une éventuelle unification politique.

Une réunification inévitableLe Brexit ne fait qu’accélérer une perspectivequasi inéluctable pour des raisons démogra­phiques. Prévu en 2021, le prochain recense­ment de la population en Irlande du Nord pourrait marquer un basculement : les pro­testants, attachés au lien avec l’Angleterre, devraient y perdre la majorité au profit descatholiques, traditionnels soutiens du ratta­chement à la République.

Taboue jusqu’au référendum sur le Brexit,la réunification imprègne désormais tous les

débats, au Nord comme au Sud. Au lende­main du succès électoral du Sinn Fein, BertieAhern, qui était taoiseach (premier ministre)au moment de l’accord de paix de 1998 et reste une figure du parti centriste Fianna Fail, l’a jugée « inévitable dans la décennie quivient ». En vertu de ce texte, l’initiative d’unréférendum appartient au gouvernement britannique. L’unification suppose qu’unemajorité d’électeurs la souhaite à la fois auNord et au Sud. Mais les partis irlandais favo­rables à l’unité, Sinn Fein compris, saventparfaitement qu’un tel vote, hypothétique,n’est nullement gagné d’avance.

Afficher la simple perspective d’un référen­dum pourrait relancer la violence en Irlande du Nord où certains unionistes considèrent leur identité comme une question de vie oude mort. A l’instar de la réunification alle­mande, l’unité irlandaise poserait aussi delourdes questions sociales et économiques.Intégrer le Nord, où le revenu par habitant est la moitié de celui du Sud, supposeraitd’augmenter les impôts. Sans parler de la compensation pour les 10 milliards de livres de subventions versées par Londres à sa pro­vince irlandaise.

A Dublin comme à Belfast, la longue mar­che des partisans de la réunification est loin d’être achevée. Mais l’histoire retiendra peut­être un jour que c’est l’ancienne puissancecoloniale qui, en décidant du Brexit pour af­firmer sa puissance, a précipité la perte de sa possession irlandaise.

philippe bernard (éditorialiste)

À LONDRES,OÙ LE SORT DE L’ÎLE 

NE SUSCITE QU’INDIFFÉRENCE 

OU CONDESCENDANCE, PERSONNE N’A VU 

VENIR À QUEL POINT LE BREXIT ALLAIT ÊTRE UNE AFFAIRE 

IRLANDAISE

Comment le Brexit favorise l’unification de l’Irlande

Jean-Paul DemouleLa protohistoire transgressiveAlors qu’en France refont surface des angoisses identitaires, l’archéologue et préhistorien puise dans les temps très anciens de quoi éclairer un présent tourmenté

PORTRAIT

Bien que riche de vestigesromains, Arles est un peu sonvillage gaulois. Un îlot d’irré­ductibles communistes qui ré­

sistent pour l’heure à l’appel du Ras­semblement national bien implanté en Camargue, doublé d’un havre de tranquillité, loin de l’intelligentsia pa­risienne. C’est ici que l’archéologue Jean­Paul Demoule, spécialiste du néolithique, a élu domicile il y a dix ans. Or, à l’écouter parler de sa ville,on ne serait pas étonné que cette at­mosphère dissidente le séduise da­vantage que les vieilles pierres pro­pres aux berceaux d’art et d’histoire.« Un temple grec ou romain, c’est beau.Mais à étudier, je trouve ça sans inté­rêt », assène ce professeur émérite de protohistoire à l’université Paris­I­Panthéon­Sorbonne, fondateur et an­cien président de l’Institut nationalde recherches archéologiques préven­tives (Inrap). L’homme a l’esprit ta­quin. Il vient de signer le premier cha­pitre d’une Histoire universelle de la connerie (Sciences humaines, 2019), juste avant Aux origines, l’archéologie (La Découverte, 2020, 240 p. 19,90 €). D’articles de blogs en ouvrages scien­tifiques, il prend surtout plaisir à dé­busquer les mythes éculés de la France éternelle.

« J’aurais été déçu si l’extrême droiten’avait rien dit ! », claironne­t­il à pro­pos des réactions qu’a suscitées son best­seller, Mais où sont passés les In­dos­Européens ? Le mythe d’origine del’Occident (Seuil, 2014), récompensé par le prix Roger­Caillois de l’essai etle prix Eugène­Colas de l’Académie française. Une excursion érudite du côté de la linguistique qui, parce qu’elle démonte le mythe d’origine del’Occident, lui a valu les foudres d’unearmée de trolls. Raison de plus pour sensibiliser le public aux mondes en­gloutis plutôt qu’aux monumentsdes peuples conquérants flattantl’identité nationale : « Quand j’ai com­mencé, la Grèce et Rome étaient les vraies racines culturelles des élites françaises. Elles occultaient toute l’his­

toire de la Gaule, aujourd’hui encoreentachée de stéréotypes. On continue de présenter les Gaulois comme deshordes d’ivrognes indisciplinés, com­battant à moitié nus, se laissant pous­ser la barbe, mangeant salement… »

Pourtant la Gaule le faisait moinsrêver, enfant, que l’Egypte ancienne. A 7 ans, il se découvre une vocation pour l’archéologie. « Au départ, je vou­lais être explorateur mais, tout ou presque ayant déjà été exploré, j’ai dé­cidé de devenir archéologue en me plongeant dans le récit de la décou­verte du tombeau de Toutankha­mon », raconte­t­il. Un mélange defascination pour les chasses aux tré­sors et pour le mystère des origines. Sauf que, en grandissant, « les gens de­viennent raisonnables et exercent des métiers normaux. A part quelques ob­sessionnels qui s’obstinent… » Il faut croire que Jean­Paul Demoule en estun, lui qui entre à l’Ecole normale su­périeure dans le but d’intégrer l’Ecole française d’Athènes. Mais à tout juste 20 ans, alors qu’il s’apprête à s’exiler, il déchante. « J’ai découvert un cauche­mar intellectuel : les statues grecques, les temples, les vases… M’être donnéautant de mal pour ça ! J’ai vraimentfailli tomber en dépression », relate­t­ilavec humour.

« Il y a chez lui une certaine légèreté àlaquelle l’autorise son statut de re­traité. Mais cette distance est aussi cequi fait de lui un bon vulgarisateur.Pour sensibiliser aux enjeux, il n’hésite pas à plaisanter ou à faire des ana­chronismes », commente l’histo­rienne et amie Laurence De Cock.

La découverte des écrits du préhis­

metière médiéval, Orléans est ainsi le théâtre d’une scène macabre : « Les Orléanais voyaient passer des ca­mions pleins de terre avec des crânes et des tibias qui dégringolaient dans le caniveau ! » Même effarement à Mar­seille, Lyon, Paris, Bourbonne­les­Bains (Haute­Marne)… Ces premiers scandales donnent raison à l’archéo­logue qui œuvre à l’instauration de fouilles dites « préventives ». Vingt ans plus tard, Jean­Paul Demoule ré­dige à son tour un rapport, avec le maire de Quimper et un membre duConseil d’Etat, qui débouche en 2001sur une loi. Puis prend les rênes de l’Inrap qui en est issu.

« Je suis un social­démocrate dansmon rapport aux institutions », con­fesse le chercheur. Côté famille de pensée, il se réclame de « l’anthropo­logie anarchiste » dont Pierre Clastres passe pour le précurseur. Et, en tantque tel, le motif de l’effondrement descivilisations ne l’effraie pas plus queça : « On dit que la Grèce entre dans des“âges sombres” vers – 1200. Et c’estvrai qu’il n’y a plus de palais, de mas­ques en or, de fresques, de magnifiquestombeaux… Mais on n’est pas pour autant dans un paysage de ruines. On voit toujours les mêmes petits villages,les mêmes communautés agricoles. Cesont les élites qui ont disparu. » A l’en croire les sociétés inégalitaires finis­sent toujours dans le mur.

« Si Jean­Paul Demoule était un his­torien moins militant, plus impartial, il ajouterait que, dans l’histoire des ci­vilisations, nombre de sociétés égali­taires se sont aussi effondrées et sou­vent de façon plus brutale. Et que cel­les qui n’ont pas suffisammentexploité le milieu dans lequel elles évo­luaient n’ont pas accumulé assez de ressources pour accompagner unquelconque essor démographique »,pondère Dominique Garcia, prési­dent de l’Inrap, codirecteur avec luid’Une histoire des civilisations (La Dé­couverte, 2018).

Jean­Paul Demoule n’a pourtantpas tout à fait le profil du militant. Ce­lui qui fut autrefois selon ses dires un« communiste tendance ramollie » ne s’est inscrit sur les listes électorales qu’à l’âge de 40 ans et aime à relever qu’une des rares pétitions qu’il ait ja­mais signées visait à défendre « la préservation des fromages à pâtecrue ». Il y a surtout chez lui une irré­vérence polie : « J’ai toujours refusé la Légion d’honneur par avance, pour ne pas mettre les gens en porte­à­faux. C’est embêtant de ridiculiser ceux qui nous veulent du bien. » On l’aura com­pris, les médailles l’attendrissent aumoins autant que les fiers monu­ments, encore qu’il ne dirait pas non à l’installation d’un grand centre ar­chéologique sur l’île de la Cité.

marion rousset

« AU DÉPART, JE VOULAIS ÊTRE EXPLORATEUR MAIS TOUT OU PRESQUE AYANT DÉJÀ ÉTÉ EXPLORÉ, J’AI 

DÉCIDÉ DE DEVENIR ARCHÉOLOGUE »

torien marxiste Gordon Childe,en 1967, sera déterminante. Comme les liens qu’il noue avec son directeur de thèse Jean Deshayes, qui l’envoie se former en Tchécoslovaquie auprès d’un autre archéologue aux métho­des innovantes, Bohumil Soudsky, alors que le « printemps de Prague » vit ses dernières heures. « Ces rencon­tres m’ont permis de m’extraire de la voie normale et triste de l’archéologiecomme histoire de l’art gréco­ro­maine », assure­t­il. Il faut dire quel’époque est au bouillonnement intel­lectuel et politique : « En 1968, la der­nière barricade était située rue Gay­Lussac, devant l’Ecole normale supé­rieure. J’attendais que la police l’aitprise à coups de grenades lacrymogè­nes pour retourner, le soir, travailler sur le néolithique grec dans ma cham­bre de l’ENS. »

« Communiste tendance ramollie »Dans la foulée des événements de Mai 68, sa discipline n’échappe pas aux remises en cause qui touchent lesinstitutions. « En 1973, nous avions pu­blié ensemble un article pour secouerle cocotier qui nous avait valu des re­marques : qui étions­nous donc pour se permettre de telles critiques ? Le fait est que la France était très en retard enmatière d’archéologie, aussi bien sur leplan de la recherche que de la préser­vation du patrimoine enfoui », se re­mémore son ancien collègue AlainSchnapp. Les sous­sols hexagonaux sont alors le parent pauvre de la pro­fession. On dévaste des sites archéo­logiques entiers pour construire des autoroutes et, quand des vestiges re­font surface, on appelle à la rescousse des équipes souvent bénévoles.

Parti dans la vallée de l’Aisne menerdes fouilles avec des étudiants, Jean­Paul Demoule s’alarme : les carrières de sable et de gravier destinées à pro­duire du béton pour la région pari­sienne grignotent, en silence, des ri­chesses insoupçonnées. Le rapport Soustelle remis en 1975, suivi de la création d’un fonds d’intervention,ne freine pas l’hécatombe. Lorsqu’un parking est construit à la place du ci­

YANN LEGENDRE

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Page 30: Le Monde - 18 02 2020

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D ans le Nord canadien,une compagnie pétro­lière attend le feu vertd’Ottawa pour lancer

« Frontier », le plus vaste projet d’extraction de sables bitumineuxjamais développé. Des milliers d’emplois, 260 000 barils par jour et des milliards de recettes fisca­les, voilà ce que lui offre Teck Re­sources, assortis de promesses « vertes » aux écologistes et aux Amérindiens. A 10 000 km de là, au cœur d’une forêt proche de Ber­lin, la future Gigafactory de Tesla va sortir de terre pour produire, dès 2021, les Model 3 électriques d’Elon Musk, qui se voit en Henry Ford du XXIe siècle.

Deux secteurs, deux mondes. Ausiècle dernier, les constructeursautomobiles et les compagnies pétrolières avaient destin lié, d’abord aux Etats­Unis, puis par­tout dans le monde. Et voilà que leurs routes semblent se séparer. A l’heure de la mobilisation géné­rale contre le réchauffement cli­matique, les premiers sont som­més d’aborder le virage écologi­que très rapidement, aiguillonnés par les gouvernements et les suc­cès de Tesla ; les secondes ont le droit de le négocier à leur rythme, encore épargnées par l’absence de substituts aux hydrocarbures.

ExxonMobil, BP ou Total sontdans une situation en apparence confortable. Personne n’a encore trouvé la martingale pour sortir du pétrole comme on sort du nu­cléaire – sur un oukase politique.Quel gouvernement se risquerait à fermer les vannes, même au nom du salut de la planète ? Faute de mieux, la consommation d’é­nergies fossiles va croître dans les prochaines décennies, tirée par des pays émergents dont les popu­lations veulent améliorer leurs conditions de vie. D’ici à 2040, 10 millions de barils quotidiens vont s’ajouter aux 100 millions aujourd’hui brûlés ou transfor­més en plastique.

Argument de poidsCe quasi­monopole offre aux pé­troliers un sursis, le temps de se réinventer et de développer des sources d’énergie alternatives. Ils se hâtent lentement. Dans le débatsur la transition énergétique, la hausse de la demande de gaz leur apporte même un argument de poids : il émet moins de CO2 que le pétrole et surtout le charbon, avancent­ils pour se repeindre en vert. Ajoutez­y des investisse­ments dans les biofiouls et le cap­tage du carbone, le solaire et l’éo­lien, le stockage du courant et les bornes de recharge pour véhicule électrique.

Rien de tel pour Renault, Fiat ouVW, confrontés à une alternative sans échappatoire possible : faire leur révolution dans les cinq ans ou disparaître, victime d’un darwinisme « écolomique », qui veut que seuls survivront les cons­tructeurs ayant fait les bons choix technologiques. En Europe, l’ou­kaze est tombé en avril 2019, quand le Parlement a fixé à 95 g deCO2/km les émissions moyennes des nouvelles flottes en 2021, et à 59 g en 2030 (contre 112 g actuelle­ment). Une norme à respecter sous peine de payer une amende maximale de 30 milliards d’euros, soit 45 % de leurs profits.

Pour atteindre les objectifs del’accord de Paris sur le climat, le secteur doit être… moteur. Pour franchir le cap fixé par Bruxelles,

l’assureur­crédit Euler Hermes es­time que les dizaines de nouveauxmodèles électriques ou hybrides rechargeables devront décrocher pas moins de 25 % du marché au­tomobile dans les deux ans. CarlosTavares, patron de PSA, a dénoncé « un vote contre l’industrie euro­péenne » et ses 13 millions de sala­riés. C’est dire si les années 2020­2021 s’annoncent périlleuses.

A y regarder de près, l’avenir de« Big Oil » est plus sombre que ce­lui des constructeurs. Environ 60 % du pétrole raffiné alimente un secteur des transports terres­tre, aérien et maritime en pleine mutation verte. Et de partout montent des critiques, plus nom­breuses et plus virulentes, contre leur empreinte carbone. Même de la part d’actionnaires, activistes ou non, qui reprochent aux com­pagnies de ne pas suffisamment intégrer le risque environnemen­tal dans leurs anticipations, leurs livres de comptes et leur stratégie.

Ces actionnaires, il faut donc lesgarder, alors que le cours des ac­tions des pétroliers stagne ou baisse depuis des années. Et à toutprix. Entre 2010 et 2018, Exxon­Mobil, Shell, BP, Chevron et Total ont généré 329 milliards de dollars(300 milliards d’euros) de trésore­rie disponible, mais elles ont con­sacré 536 milliards au versement de dividendes et aux rachats d’ac­tions ; le solde a été financé par la vente d’actifs et la dette. L’Insti­tute for Energy Economics and Fi­nancial Analysis, qui a réalisé ces calculs, y voit le signe d’« un sec­teur en plein désarroi ».

La pression de l’opinion et desinvestisseurs est de plus en plus forte. Les pays producteurs s’en désintéressent, « accros » aux pé­trodollars. Les pétroliers améri­cains l’ignorent, qui s’en tiennent à ce mot de George W. Bush – en­core plus vrai sous Donald Trump :le mode de vie des Américains est « sacré ». Comme les 4 × 4, les SUV et les pick­up sortis des chaînes deDetroit (Michigan). Elle pousse au contraire les majors européennes aux limites de la surenchère. A peine nommé, le patron de BP, Bernard Looney, a annoncé un ob­jectif « zéro carbone » en 2050 et la baisse « inévitable » de la produc­tion d’or noir. Le PDG de Total, Pa­trick Pouyanné, admet que « le pé­trole n’est plus une source de crois­sance sur le long terme ».

Le destin commun des énergéti­ciens et des constructeurs s’écrit désormais autour de la batterie automobile. « On voit l’attrition progressive du marché du pétrole avec le développement du véhicule électrique, expliquait récemment Jean­Bernard Lévy, PDG d’EDF, ir­rité par la montée en puissance deTotal dans la production d’électri­cité, le stockage et les bornes. Nous, on n’a pas besoin d’aller sur lemétier des autres ! » Oh que si, lui a répliqué Patrick Pouyanné, tout aussi agacé de voir EDF revendi­quer un « monopole de l’électron ». Il y voit « l’énergie de l’avenir », pressentant que Total peut « dis­paraître comme un dinosaure ». Alors, le week­end, il sort sa Zoe, lapetite citadine de Renault. Un hommage du vice pétrolier à la vertu électrique ?

R arement profession de foi aurasonné aussi faux. Dans un plai­doyer sur les valeurs occidentales

visant à resserrer le lien transatlantique, devant la conférence sur la sécurité de Mu­nich, samedi 15 février, le chef de la diplo­matie américaine, Mike Pompeo, a invoquél’Etat de droit et l’attachement des Etats­Unis à la démocratie.

L’Ouest, cette communauté née de laguerre froide, est en bien meilleure santéque ne le prétendent certains en Europe, a assuré M. Pompeo. « L’Occident est victo­rieux. La liberté et la démocratie sont victo­rieuses. Nous respectons l’Etat de droit. »

Si ces arguments étaient efficaces à l’épo­que où l’unité du « bloc » occidental se for­geait autour du leadership américain con­

tre l’idéologie soviétique, ils sont, malheu­reusement, de moins en moins crédibleslorsqu’ils émanent de l’équipe du prési­dent Donald Trump. Alors que les démo­craties européennes sont secouées par lamontée des mouvements populistes et despartis d’extrême droite, les Etats­Unis ap­paraissent non plus comme les promo­teurs de la démocratie libérale, mais, aucontraire, comme la matrice de cette con­testation « illibérale ».

La célèbre « cité scintillante sur la colline »qui attirait les pèlerins au bout de leurodyssée transatlantique, vantée par le pré­sident Ronald Reagan, a été remplacée par le « trumpisme », une forme très person­nelle d’exercice du pouvoir, qui met cons­tamment à l’épreuve les garde­fous du sys­tème politique américain, les fameux checks and balances.

Dans la seule semaine écoulée, DonaldTrump, renforcé par son acquittement dans un procès en destitution dont il a con­testé toutes les règles, a défendu sa prati­que d’interventions publiques dans le sys­tème judiciaire ; à son ministre de la justice,l’attorney général William Barr, qui se plai­gnait de ne pas pouvoir travailler sereine­ment dans un environnement où les Tweetprésidentiels venaient sans cesse troublerl’enquête sur les interférences russes dansl’élection présidentielle de 2016, M. Trump a réaffirmé son « droit légal » de « faire ce

qu’[il] voulait en tant que président ». Onpeut difficilement imaginer contradiction plus flagrante du principe démocratique deséparation des pouvoirs.

Le chef de l’exécutif américain a égale­ment remis en cause la pratique, très éta­blie, de faire partager à ses équipes l’écoute de ses entretiens téléphoniques avec des di­rigeants étrangers, source de sa mise en ac­cusation dans le procès en destitution. Les auditions au Congrès dans le cadre de cette procédure ont par ailleurs mis en lumière des tentatives systématiques d’instrumen­talisation du personnel diplomatique à des fins de politique intérieure qui ne sont pas àl’honneur de M. Pompeo, censé le protéger.

Ce ne sont que les derniers exemples desaccrocs de l’administration Trump à ce que l’on appelle l’Etat de droit en démocratie, etqui correspond essentiellement au respect des règles issues de la Constitution. Plus gé­néralement, le trumpisme est marqué par un climat permanent d’insultes et d’atta­ques personnelles contre les représentants de l’opposition et par le déni des faits et de la vérité comme base de l’information ; les journalistes, quant à eux, sont dénoncés comme « ennemis du peuple ».

Ce n’est pas exactement ce que l’on peutqualifier de « victoire de la liberté et de la dé­mocratie ». Par ses méthodes, M. Trump les rend, au contraire, plus vulnérables face aux régimes qu’il prétend contrer.

ÉCONOMIE  |   CHRONIQUEpar jean­michel bezat

La fée électricité prend le volant

LEUR DESTIN COMMUN S’ÉCRIT DÉSORMAIS 

AUTOUR DE LA BATTERIE AUTOMOBILE

Tirage du Monde daté dimanche 16 ­ lundi 17 février : 194 287 exemplaires

LE MAUVAIS EXEMPLE DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE

LES CONSTRUCTEURS SONT SOMMÉS 

D’ABORDER LE VIRAGE ÉCOLOGIQUE TRÈS VITE, 

LES ÉNERGÉTICIENS ONT LE DROIT 

DE LE NÉGOCIER À LEUR RYTHME

LA NATURE PEUT-ELLEHUMANISER LA VILLE ?

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