Monde + Eco&Entreprise du mercredi 18 mai 2016

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  • 8/17/2019 Monde + Eco&Entreprise du mercredi 18 mai 2016

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    MERCREDI 18 MAI 201672E  ANNÉE – NO 22189

    2,40 €  – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR ―

    FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

     Algérie200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA,  Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €,  Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA,  Slovénie 2,70 €,  Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF,  Tunisie 2,80 DT,  Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA

    L’extrême droite aux marchesdu pouvoir en Autriche▶ Le candidat d’extrêmedroite du FPÖ, NorbertHofer, est donné favoripour l’élection présiden-tielle du dimanche 22 mai

    ▶ Il a obtenu plus de 35 %des suffrages au premiertour, a distancé son rivalécologiste et éliminéla coalition au pouvoir

    ▶ En cas de victoire,le chef réel de l’extrêmedroite, Heinz-ChristianStrache, pourrait êtrenommé chancelier

    ▶ Hostile à l’Europe, le FPÖveut augmenter le budgetmilitaire et a des visées surune partie du Tyrol italienINTERNATIONAL – L I RE PA G E 2

    LE REGARD DE PLANTU

    SCIENCE

    & MÉDECINE

    ▶ Astronomie :

    des télescopespour faire la lumièresur les trous noirs▶ Assa SidibéTraoré combatle diabète au MaliSUPPLÉMENT

    Cahier du «Monde »N o 22189daté Mercredi18mai2016 - Ne peut être vendu séparément

    Gravity, le chasseur de trous noirsAuChili,leVeryLargeTelescopeeuropéens’estdotéd’unnouvelinstrument,Gravity,

    pourtenterd’observerauplusprèsSagittariusA*,cetrounoirprésumétapiaucentredelaVoielactée.

    PAG E S 4-5

    Droitd’enquêtepourlesociologue

    Dansladivisionhistoriqueetclassique desdisciplinesacadémiques,letravailrele vait dudomainedel’économie,toutcommel’électoratetlesroisrelevaient dudomaine

    dessciencespolitiques,le loisiretlevice relevantdelasociologie» ,écrivait,danslesannées1950,lesociolo-gueEverettC.Hughes.

    Etudierletravail,lesroisoulesloisirsneposepasd’insurmontablesproblèmes.Maisenquêtersurle«vice»,c’est-à-direlesdéviancessexuellesainsiqueladélinquance,laviolencepolitiqueoulafraudefiscale,posedesérieuxproblèmesauxsociologues,surtoutquandc’estleurcœurdemétier.

    Desproblèmesd’accèsauterraintoutd’abord.Cenesontpaslespluscomplexes,quandils’agitd’étudierlapetitedélinquance:«petitsconsomma-teurs»etpetitsfraudeursfontpartiedupaysage.Maislagrandedélinquance,elle,possèdedesarmesjuridiques:sociétésécrans,paradisfiscaux,maisaussi«secretdesaffaires»quipeuventserviràmuseleretfairecondamnerlesociologuequise

    pencheraitd’unpeutropprèssurlestechniquesd’évasionfiscale.

    Desprobl èmeséthiquesensuite :lessociol oguesnesontpaslàpourdénoncernominalementetpublique-mentles«vicieux»,quelquesoitleurvice,nipourlescondamner.Protégerleurvieprivéeestundescoûtsmorauxetpsychologiquesdel’enquêtedeterrain,d’autantp lusquelespe rsonnesenquêtées –mêmesansviceaucun–peuventserebifferetporterplainte,commelemontrentSylvainLaurensetFrédéricNeyratdans Enquêter:dequeldroit? (Croquant,2 010).

    Enquêtersurleviceposeenfinunproblèmepoliti-que.DansunEtatpolicierayantmisenplacelasurveillanceélectroniquedetous,lesociologueestcoupableparassociation.Pourcertains,chercheràcomprendre,c’esttoujoursexcuser,voirefairel’apolo-gie.Etlessociologuesnebénéficientpasd’uneprotectionéquivalenteàcelledesjournalistesoudesavocats.A unmomentoùle gouvernementfr ançaischercheàdévelopperlesenquêtessurlaradicalisation,lesépreuvessubiesparThierryDominiciinterpellent.

    En2002,cesociologuebordelais,dontlathèseportaitsurlaviolencenationalisteenCorse,aétéarrêté.Lesentretiensqu’ilavaitréalisésavecdesmembresdesgroupesclandestinsontétésaisisparlajustice,etilaétésoupçonné,àlafoisparlapoliceantiterroristeetparcertainsnationalistescorses,denepasêtrevraimentneutre,d’êtresoituntraîtreàlacause,soitunactivisteenvoiederadicalisation.

    Commelemontreunentretienmisenligneparl’Associationfrançaisedesociologie,cesévénementsl’ontempêchédeterminersonenquête:àlafoisparcequ’ilétaitmenacédereprésaillesviolentes,maisaussienraisondelasuspiciondesescollègues,pourqui«iln’yapasdefuméesansfeu».

    Enquêtersurlesloisirsestcertesintéressant.Maispourquelessociologuespuissentcontinueràétudierlegrandviceetcontribueràsonexplica-tion,ilfaudracertainementlamiseenplaced’unstatutduchercheur,apteàprotégeràlafoissontravailetsonrôlesocial.p

    Système laser créantdesétoilesartificiellespour améliorer la visiondestélescopesde l’Observatoire australeuropéen(ESO) auParanal, auChili. F.KAMPHUES/ESO

    RÉALITÉVIRTUELLE

    L’ART ET LA MANIÈRE DE FAIREPOUSSERUN SIXIÈME DOIGT

    →PAGE 8

    PORTRAIT

    ASSA SIDIBÉ TRAORÉ, PREMIÈREDIABÉTOLOGUE MALIENNE

    →PAGE 7

    MÉDECINE

    RECHERCHESSURL’EMBRYON :REPOUSSERLA LIMITE

    →PAGE 2

    c art e b l an c he

    BaptisteCoulmont

    Sociologueetmaîtredeconférencesàl’université

     Paris-VIII (http://coulmont.com)

    NICOLAS SARKOZY 

    « OÙ EST PASSÉELA VOIXDE LA FRANCE ? »

    L’ancien chefde l’Etat, à Paris,le 16 mai.JÉRÔME SESSINI /MAGNUM PHOTOSPOUR « LE MONDE »

    ▶ Le présidentdes Républicains,dans un entretienau « Monde », regrettel’effacement deFrançois Hollandeen Europe

    ▶ Il défend lesrégimes hongrois

    et polonais, plaidepour une refondationde Schengen

    FRANCE – L I RE PA G E 7

    AutomobileOpel et Daimlerplongés dansle « dieselgate »L I RE L E CA HI ER ÉCO PA G E 4

    Loi travail Des interdictions de manifesteravant une semaine tendue de mobilisation

    O pération fermeté ou communication ? Ré-tablissement de l’ordre ou du délit d’opi-nion ? Alors qu’une nouvelle journée demobilisation contre la « loi travail » était organiséemardi 17 mai, que l’intersyndicale a annoncé une sé-rie de grèves parfois reconductibles (transport rou-

    tier, aéroport de Paris, cheminots, marins, ports etdocks…), une quarantaine de personnes ont été in-terdites de participer aux manifestations ainsi qu’auxrassemblements Nuit debout, à Paris et à Nantes. Cesmesures individuelles, qui prennent la forme d’arrê-tés préfectoraux d’interdiction de séjour dans cer-tains lieux et à certains horaires, sont rendues possi-bles grâce à l’état d’urgence.

    Entré en vigueur au lendemain des attentats du13 novembre 2015, il est censé permettre au gouver-nement de faire face à la menace terroriste à traversdes pouvoirs de police exceptionnels, déployablesen dehors de toute procédure judiciaire. L’utilisa-tion de ses dispositions – particulièrement attenta-

    toires aux libertés publiques – dans le cadre du mou-vement social n’est pas sans rappeler les perquisi-tions et assignations à résidence qui avaient visé desmilitants proches des milieux zadistes et écologis-tes en amont de la conférence climat COP21 à Paris,en décembre 2015.

    julia pascual

    →  L I RE L A S UI T E PA G E 8

    RECRÉER L’ÉTATSOCIAL FACE À LAMONDIALISATION

    LIRE PAGE 23ET LE CAHIER ÉCO PAGE 2

    1 É D I T O R I A L

    ▶ Le film de Jeff Nicholss’inspire d’un mariageinterracial dans l’Améri-que des années 1950

    ▶ Nicole Garcia faitde Marion Cotillardune héroïne rebelle

    ▶ Gérard Depardieuse met au hip-hop

    CULTURE–L I RE PA G ES 14 À 18

    « Loving »fait passerun frissonsur la sélection

    SociétéLa « justicedu XXIe siècle »devant l’AssembléeL I RE PA G ES 10- 11

    Sa démission aujourd’hui« serait un contresens »,

    assure le souverainpontife dans « La Croix ».Il estime en outreque la France « exagèrela laïcité ».FRANCE – L I RE PA G E 9

    ReligionLe pape apporteun soutien mesuréà Mgr Barbarin

        J   e    f    f    N    i   c    h   o    l   s .    S    T    E    P    H    A    N     V

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  • 8/17/2019 Monde + Eco&Entreprise du mercredi 18 mai 2016

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    2 | INTERNATIONAL MERCREDI 18 MAI 20160123

    vienne - correspondant

    Heinz-Christian Stra-che, le chef du Parti li-béral d’Autriche (FPÖ)en est persuadé : son

    pays se trouve  « face à une nou-velle ère politique » avec la possi-ble victoire de Norbert Hofer àl’élection présidentielle du di-manche 22 mai. Pour la premièrefois, un pays membre de l’Unioneuropéenne aurait un chef del’Etat issu de l’extrême droite.

    Le rival du FPÖ, l’écologisteAlexander Van der Bellen, craintd’ailleurs le pire pour son pays. Si

    Norbert Hofer gagne, a-t-il affirmé,il va « renvoyer le gouvernement et provoquer de nouvelles élections »,comme la Constitution l’y auto-rise. Et ce, dans le but de placer tou-tes les fonctions régaliennes« dans les mains de sa formation

     politique, du président de la Répu-blique au chancelier, en passant par les ministères importants ». « Je mesouviens trop bien de Johann Gude-nus [le représentant du FPÖ àVienne] disant que le jour où son

     parti serait au pouvoir, on com-mencerait à sortir les matraques »,a ajouté M. Van der Bellen.

    Selon le candidat des Verts (DieGrünen, 21,3 % au premier tour le24 avril), Norbert Hofer (35,1 %) neserait qu’une « marionnette »  deHeinz-Christian Strache, 46 ans, lechef de l’extrême droite autri-chienne, un technicien dentairede formation qui souhaiterait de-venir chancelier, le véritable nu-méro un de l’exécutif, sans atten-dre les législatives, prévuesen 2018. Il ronge son frein dansl’opposition depuis maintenantonze ans. Des élections anticipéespourraient se tenir cet automne.

    Viscéralement eurosceptique

    En attendant, le nouveau prési-dent d’extrême droite pourraitexiger de siéger au Conseil euro-péen à la place du chancelier. Uneperspective que le président de laCommission européenne, Jean-Claude Junker, qui a publique-ment exprimé son soutien aucandidat écologiste, ne semblepas écarter totalement.

    « Avec Norbert Hofer, le Néerlan-dais Geert Wilders, la Française

     Marine Le Pen et l’Allemande Frauke Petry auraient pour la pre-mière fois des yeux et des oreillesau cœur de l’Europe,  commenteChristian Rainer, rédacteur enchef de l’hebdomadaire autri-chien libéral  Profil. Ils pourraienttout bloquer. A côté de Hofer,Viktor Orban est un nounours ! »Au niveau européen, le FPÖ siègedans le groupe Europe des nations

    et des libertés, auquel appartientégalement le Front national.

    A travers la candidature deNorbert Hofer, un technicien su-périeur de l’aviation de 45 ans, sedessine donc pour la présiden-tielle le projet de Heinz-ChristianStrache pour l’Autriche. Ou plutôtpour l’Europe, tant le choix de cepetit pays de moins de 8,6 mil-lions d’habitants pourrait effecti-vement avoir des conséquencespour la construction communau-taire. Car, malgré un discours gé-néralement plus mesuré ces der-nières années, le FPÖ est viscéra-lement eurosceptique.

    Selon Harald Vilimsky, qui mènela délégation autrichienne d’ex-trême droite au Parlement deStrasbourg, Bruxelles n’est qu’une« agence de voyage pour immi-

     grés », contre laquelle il serait ur-gent de lutter, afin d’empêcher,comme le dit M. Hofer, « l’inva-sion des musulmans ». Dès 1996, iltentait d’entraver la constructiond’une mosquée à Parndorf.

    Le FPÖ partage la position despays du groupe de Visegrad (Polo-gne, Hongrie, Slovaquie, Républi-que tchèque), qui refusent l’ins-tauration de quotas de migrants,car selon M. Hofer, « seuls 20 % en-

    viron d’entre eux en Autriche sontde vrais réfugiés ». Vienne a enre-gistré 90 000 demandes d’asileen 2015 à cause, selon Heinz-Christian Strache, d’AngelaMerkel, la chancelière allemande,qualifiée de  « passeuse de mi-

     grants d’Etat ». Soixante et unpour cent des Autrichiens esti-ment que leur pays ne peut plusaccueillir de réfugiés.

    En février 2015, Hofer s’étaitaussi prononcé pour un retour

    dans le giron de Vienne d’une par-tie du Tyrol rattachée à l’Italie de-puis 1919. En évoquant ouverte-ment un changement des frontiè-res dans l’UE, il s’attaque à un fon-

    dement de l’Europe. « Tyroliens duSud, s’était-il écrié, votre patrie,c’est l’Autriche ! » L’extrême droiteautrichienne souhaite offrir la na-tionalité autrichienne à ces habi-tants germanophones.

    M. Strache promet que l’Autri-che mettra son veto à la ratifica-tion du traité de libre-échangetransatlantique, négocié actuel-lement par l’UE avec les Etats-Unis, car le but de Washington, àtravers ces discussions, ne serait

    que « d’affaiblir par tous lesmoyens la protection des consom-mateurs ».

    Il souhaite mettre en place une« démocratie directe »  reposantsur l’organisation régulière de ré-férendums, le peuple étant, selonNorbert Hofer, « l’instance su-

     prême du pays », représentée à satête par un homme fort ayant ledernier mot, face au Parlement etau gouvernement. Ce dernier estmenacé d’être renvoyé en casd’absences de résultats, ce que57 % des Autrichiens approuve-raient, selon un sondage parudans la presse. Le FPÖ veut égale-

    ment mettre fin aux coupes bud-gétaires dans la défense.

    Cercles universitaires masculins

    Les cadres les plus influents duparti sont quasiment tous deshommes issus du courant natio-nal-allemand. Idéologiquementultra-minoritaire, cette famillepolitique puise ses origines dansla volonté de maintenir la prédo-minance de la population germa-nophone au sein de la monarchie

    Le leader du FPÖ,Heinz-Christian

    Strache (à gauche),et le candidatNorbert Hofer,à Vienne,le 22 avril.LEONHARD FOEGER/REUTERS

    « A côté

    de Norbert Hofer,

    Viktor Orban

    est un

    nounours ! »

    CHRISTIAN RAINER

    rédacteur en chef de « Profil »

    LES DATES

    24 AVRILAu premier tour de l’électionprésidentielle, avec 35,1 % desvoix, le candidat du parti d’ex-trême droite, le Parti libérald’Autriche (FPÖ), Norbert Hofer,a largement devancé son rival,Alexander Van der Bellen,soutenu par les Verts (21,3 %).

    22 MAIAprès l’élimination des candidatsdes conservateurs et des sociaux-démocrates qui dirigent l’Autri-che en coalition, le second tourse tiendra dimanche 22 mai entreM. Hofer et M. Van der Bellen.

    austro-hongroise, au XIXe siècle.L’extrême droite souhaite

    obtenir plus de libertés pour évo-quer l’Histoire. Ses élus conti-nuent d’être recrutés dans des cer-cles universitaires masculins trèsfermés, des corporations pan-germanistes aux codes rigides quise réunissent lors d’un bal annuelauquel fut invitée Marine Le Penen 2012. 

    Heinz-Christian Strache a lui-même manié l’épée pourdéfendre son honneur lors deduels. Norbert Hofer  porte unpistolet Glock de temps en temps,pour augmenter son sentiment

    de sécurité. Son père était un mili-tant du FPÖ. Il voyait sa généra-tion comme une « victime » de laseconde guerre mondiale. Et le di-recteur de cabinet du candidat à laprésidentielle, René Schimanek, aété qualifié en 1998 de néonazipar l’université de Tel-Aviv. Israela d’ailleurs fait savoir qu’aucuncontact officiel ne serait entre-tenu avec un président autrichienissu du FPÖ. p

    blaise gauquelin

    en affirmant pour la première fois quel’on ne « reconnaîtrait plus l’Autriche » en casde victoire de Norbert Hofer à la présiden-tielle, que ce serait même « la fin de la II e Ré-

     publique », Alexander Van der Bellen a effec-

    tué un virage dans sa campagne. Jusque-là,le candidat des Verts s’était gardé d’attaquerfrontalement le FPÖ, demandant à ses sup-porteurs de ne pas organiser de manifesta-tions hostiles, toute polarisation faisant,selon lui, le jeu de l’extrême droite.

    Mais, voyant que cette stratégie d’unecampagne positive et rassembleuse nesemblait pas porter ses fruits, il entend dé-sormais toucher la corde sensible de l’isole-ment probable du pays, en cas de victoire del’extrême droite. En l’absence de sondages– les médias ont cessé de passer commandeaux instituts qui se jugent incapables d’éta-blir un pronostic face à la situation actuelle,inédite –, Alexander Van der Bellen essaied’engranger le soutien de personnalités.

    Artistes, chefs d’entreprise et ex-gloirespolitiques balayant les traditionnels cliva-ges droite-gauche sur le mode du « tout sauf l’extrême droite ». Sur les réseaux sociaux,les Autrichiens de l’étranger se mobilisent.

    Certains syndicats aussi. Le populaire prési-dent sortant social-démocrate, Heinz Fis-cher, est sorti de sa réserve. Mais le FPÖ dis-pose de moyens financiers beaucoup plusimportants qu’Alexander Van der Bellen. Ilse repose sur un réseau d’élus locaux et defonctionnaires sans équivalent.

    Adversaire trop indépendant

    « Il y a n euf chances sur dix pou r que Norbert Hofer soit élu dimanche, pronosti-que le journaliste autrichien Christian Rai-ner.  Les électeurs du parti conservateur chrétien ÖVP vont soit voter pour lui, soitrester chez eux. Ceux des sociaux-démocra-tes (SPÖ) ont déjà massivement voté pour le

     FPÖ au premier tour. Même si les deux tiers

    d’entre eux mettaient un bulletin dansl’urne pour Alexander Van der Bellen, ceserait loin de suffire. »

    Aucun des candidats éliminés au premiertour n’a appelé à voter pour l’écologiste.

    Les ténors des conservateurs ne donnerontpas de consigne de vote. Les milieux éco-nomiques ont aussi refusé de prendreparti. Car, si les élus de la gauche et la droitede gouvernement cultivent souvent debonnes relations avec les 38 députés duFPÖ, il n’en va pas de même avec AlexanderVan der Bellen, jugé beaucoup trop indé-pendant et donc incontrôlable. Et sa forma-tion d’origine reste trop faible pour repré-senter un partenaire de coalition ayant dupoids dans les jeux de pouvoir actuel (14 %en cas de législatives). Dans un pays où lesystème proportionnel oblige à des allian-ces pour gouverner, tout le monde jugepréférable de ne pas insulter l’avenir.p

    bl. g.

    Norbert Hofer favorisé par l’absence de front républicain

    Autriche : l’extrême droite proche du pouvoirLe chef du FPÖ, Heinz-Christian Strache, ne cache pas son projet eurosceptique, xénophobe et autoritaire

  • 8/17/2019 Monde + Eco&Entreprise du mercredi 18 mai 2016

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    Au Venezuela, Maduro mise sur l’état d’exceptionLe président chaviste n’entend pas se soumettre à un référendum révocatoire demandé par l’opposition

    caracas - envoyée spéciale

    Pour faire face à la crisesans précédent que tra-verse le Venezuela, leprésident, Nicolas Ma-

    duro, s’est octroyé ce week-enddes pouvoirs élargis. En invoquantdes « menaces extérieures », il a dé-crété un état d’exception sur l’en-semble du territoire et prolongé« l’état d’urgence économique »en vigueur depuis la mi-janvier.L’opposition, réunie au sein de laTable de l’unité démocratique(MUD), a appelé pour sa part à unenouvelle manifestation mercredi18 mai pour exiger du Conseil na-tional électoral (CNE) l’organisa-tion d’un « référendum révoca-toire » avant la fin de l’année.

    Le scrutin pourrait écourter lemandat de Nicolas Maduro. Selonun sondage de l’institut Datanali-

    sis, en date du mois de mars, plusde 70 % des Vénézuéliens appel-lent de leurs vœux un change-ment de cap. Neuf sur dix quali-

    fient la situation de négative. MaisM. Maduro, qui se dit victime

    d’une tentative de coup d’Etat, en-tend rester en place. Ses alliés ausein du pouvoir judiciaire ont jus-qu’à présent réussi à contrer lesinitiatives de l’opposition, majori-taire au Parlement depuis janvier.

    Publié lundi au journal officiel,le décret d’état d’urgence renforceles prérogatives des Forces arméesvénézuéliennes et des « Comitéslocaux d’approvisionnements etde production », dernière versiondu pouvoir populaire de la révolu-tion bolivarienne. Militaires et co-mités sont dotés de nouvelles res-ponsabilités en matière de distri-bution d’aliments et de maintiende l’ordre public. L’exécutif, lui, estautorisé à prendre toutes les me-sures nécessaires pour que le sec-teur productif « produise, com-mercialise et distribue »  les maté-

    riaux et les biens nécessaires.Dans la journée, le ministre del’industrie et du commerce, Mi-guel Perez Abad, avait annoncé

    une réduction des importationsde 60 % par rapport à 2015, « pourrelancer la production locale ».C’est dire que le Venezuela, mono-exportateur de pétrole et maxi-importateur d’à peu près tout, de-vra encore se serrer la ceinture.

    Dégradationà vue d’œil

    Dans les rues et les files d’attentede Caracas, l’exaspération est per-ceptible. « Comment un pays

    aussi riche en pétrole que le Ve-nezuela a pu en arriver là ? », s’in-terroge Ruben, 67 ans, mécani-cien à la retraite. Pour acheter duriz ou du lait, les gens doiventpatienter des heures devant lessupermarchés qui vendent à prixcontrôlés. Ou acheter très cher àdes revendeurs plus ou moinsclandestins. Ici et là, des consom-mateurs en colère prennent d’as-saut les camions de livraison. Lekilo de viande a dépassé la barredes 4 000 bolivars (353 euros), uncinquième du salaire minimum.Le savon de toilette est devenu unproduit de luxe. Il n’y a plus depneus ni de pièces de rechange.Les urgentistes voient mourir despatients. Les coupures d’électri-

    cité durent des heures, les coupu-res d’eau, des jours. La délin-

    quance explose. Plus personnene fait confiance à la police.

    Les économistes d’oppositionont accueilli avec scepticisme lesmesures du gouvernement.« Riendans le décret n’explique commentla production va augmenter, nicomment l’inflation va être jugu-lée, ni comment l’approvisionne-ment va s’améliorer », résume LuisVicente Leon, le président deDatanalisis. Alors que les condi-tions de vie se dégradent à vued’œil, l’équipe au pouvoir depuisdix-sept ans maintient la ligneainsi que le discours, qui fait por-ter la responsabilité de la crise éco-nomique au secteur privé, de mè-che avec l’opposition et Washing-ton. Les chavistes voient dans larécente destitution de la prési-dente brésilienne, Dilma Rous-

    seff, la preuve que « la droite conti-nentale fasciste » est à l’offensive.Vendredi, Nicolas Maduro a or-

    donné la saisie des usines « para-lysées par la bourgeoisie » et me-nacé d’emprisonnement les en-trepreneurs soupçonnés de sabo-ter le pays. La mesure pourraitviser Polar, la plus grande entre-prise de production et de distribu-tion d’aliments, qui a suspendu laproduction de bière dans ses qua-tre brasseries depuis le 30 avril,faute de devises pour pouvoir im-porter les matières premières né-cessaires. « Si Polar ferme, laconcurrence devrait se frotter lesmains. Pourquoi pas une entre-

     prise étrangère pour occuper la place ? »,  interroge un buveur de

    bière « antichaviste et en colère ».Comme deux millions de ses

    compatriotes, il est allé signer,début mai, pour demander un ré-férendum révocatoire.

    Si celui-ci est organisé en 2016,de nouvelles élections aurontlieu. S’il est programmé après le10 anvier 2017 – c’est-à-dire moinsde deux ans avant la fin du man-dat présidentiel –, c’est levice-président en fonctions quiprendra la place du président des-titué. Au Venezuela, le chef del’Etat peut changer de vice-prési-dent quand bon lui semble.

    La MUD accuse le CNE, qu’ellejuge à la solde du présidentMaduro, de faire traîner les choses.Le CNE doit, dans un premiertemps, valider les signatures pré-sentées. Nicolas Maduro a pré-venu qu’elles seraient étudiées« une par une ». Son v ice-président,

    Aristobulo Isturiz, a rejeté diman-che toute possibilité de référen-dum. « Ils devront tous nous tueravant de nous faire un coup d’Etat

     parlementaire », a-t-il déclaré.« Si vous barrez la voie démocra-

    tique, nous ne savons pas ce qui peut se passer dans ce pays. LeVenezuela est une bombe qui peutexploser à tout moment. C’est pour cela que nous appelons le peuple àse mobiliser pour le référendum », a lancé samedi l’ex-candidatprésidentiel Henrique Capriles.Contre l’avis de l’aile radicale de laMUD, qui rêve de voir la rue ren-verser le gouvernement, ce der-nier prône « une issue démocrati-que » à la crise actuelle.p

    marie delcas

    « Ils devront

     tous nous tueravant de faire

     un coup d’Etat

    parlementaire »

     ARISTOBULO ISTURIZ

    vice-président

    LE CONTEXTE

    RÉFÉRENDUMRÉVOCATOIRELes opposants brandissentla Constitution d’Hugo Chavezpour tenter de se défaire deson successeur, Nicolas Maduro.Adopté en 2000, le texte offreaux citoyens la possibilitéde mettre fin, par référendum,au mandat d’un élu qui nedonne pas satisfaction. Ceréférendum révocatoire obéità des strictes conditions dequorum et de calendrier, fixéespar la Constitution et par une loide 2007. « Très peu de pays auto-risent les électeurs à se défaired’un élu devenu impopulaire. La

     procédure doit être strictementencadrée », expliquait à l’époqueTibisay Lucena, présidente duConseil national électoral (CNE).Une des collaboratrices duprésident rappelle que NicolasMaduro jouit encore de 26 %d’opinions favorables. « Si tousles chefs d’Etat tombés au-des- sous de la barre des 50 %devaient se faire virer par leursélecteurs, le monde serait ingou-vernable », ironise-t-elle. En 2004,l’opposition vénézuélienne avaitobtenu l’organisation d’unréférendum révocatoire contrel’ex-président Hugo Chavez(1999-2013). Elle l’avait perdu.

    Visite espagnole à Cuba

    Le chef de la diplomatie espagnole, Jose Manuel Garcia-Margallo,a commencé, lundi 16 mai, une nouvelle visite officielle à Cuba,dans le but de maintenir la place de l’ancien pouvoir colonialdans un pays qui s’ouvre à l’économie de marché. « Nous arrivonsaprès la signature de l’accord  [de dialogue politique en mars] entre l’Union européenne et Cuba (…) et nous allons faire le point sur les relations entre les deux pays », a déclaré le ministre, quis’était déjà déplacé à La Havane en novembre 2014. Cette visites’inscrit également dans la foulée de la signature, début mai,d’un accord sur la restructuration de la dette cubaine due àMadrid, estimée à 2,4 milliards d’euros. L’Espagne est le troisièmepartenaire commercial de l’île et le premier investisseur étranger.

    Au Brésil, les premiers faux pasdu gouvernement TemerLa nouvelle équipe, blanche, masculine et libérale, ne convainc pas

    sao paulo - correspondante

    L es« panelaços », les bruits decasseroles, ont à nouveaurésonné au Brésil. Diman-che 15 mai, à Sao Paulo, Rio deJaneiro, Brasilia et Porto Alegre, lescitadins ne tentaient plus de cou-vrir les paroles de la présidenteDilma Rousseff du Parti des tra-vailleurs (PT, gauche) mais de faire

    taire son suppléant, Michel Temer.Le vice-président s’exprimaitsur la chaîne de télévision TVGlobo en tant que chef d’Etat parintérim depuis l’ouverture, le12 mai, d’un processus d’« impea-chment »  (« destitution ») contrela présidente éloignée du pouvoirpar le Sénat pour six mois. A peuprès au même moment, desconfrontations à Sao Paulo oppo-saient militants pro et anti-im-peachment. « Ils ont fini par seréconcilier au cri de “Fora Temer !”[Temer dehors !] », raconte DanielPereira Andrade, présent lors dela manifestation.  « Finalement,Temer parvient à faire l’union na-tionale », ironise-t-il.

    Le gouvernement intérimairebrésilien, censé stabiliser le climatpublic, redresser la situation éco-nomique et apaiser une popula-

    tion ulcérée par la corruption desélites politiques, a reçu un accueilglacial dans le pays et en Amériquelatine. Dès le lendemain de sa prisede fonctions, le nouveau ministredes relations extérieures, JoséSerra, du Parti de la social-démo-cratie brésilienne (PSDB, opposi-tion), a dû publier un communi-qué dénonçant l’« interprétationabsurde » des « libertés démocrati-ques »  au Brésil par le secrétairegénéral de l’Union des pays del’Amérique latine (Unasur), Er-nesto Samper. Le Colombien avaitfait part de ses « préoccupations etinterrogations (…) concernant la

    consolidation de l’Etat de droit au Brésil ».  Trois jours plus tard,M. Serra demandait au Salvador de« reconsidérer sa position ». Le pré-sident, Salvador Sanchez Ceren,a décidé de ne pas reconnaître legouvernement de Michel Temer,jugeant le départ de Mme Roussefffruit d’une « manipulation politi-que ». Avant lui, Cuba avait repris àson compte la rhétorique du PT etde la présidente, évoquant un« golpe », un coup d’Etat.

    « La facture de l’impeachment »

    « L’Amérique latine est très sensibleau risque de putsch et la plupartdes pays avaient un lien fort avec le

     PT. La solidarité s’exprime d’autant

     plus que Michel Temer est arrivé au pouvoir de façon légale mais sur unmotif juridiquement fragile  [lié àdes irrégularités comptables] »,souligne Fernando Abrucio, poli-tologue de la fondation GetulioVargas. « La réponse du ministèreaurait dû être celle de la diploma-tie, faisant preuve de patience et detempérance. Cette réaction laisse

     penser que l’équipe de Temer est en-core dans un combat de rue, pas au

     gouvernement »,  ajoute-t-il. L’an-cien coéquipier de Dilma Rousseff est sur la défensive, soucieux de seconstruire une légitimité. Mais sesdébuts sont laborieux. Son gou-

    vernement, exclusivement blancet masculin, composé de vétéransde la politique issus en partie desgouvernements de FernandoHenrique Cardoso (1995-2003,PSDB), de Luiz Inacio Lula da Silva(2003-2010, PT) ou de DilmaRousseff, a laissé perplexes nom-bre de Brésiliens, y compris chezles pro-impeachment. D’autantque plusieurs ministres annoncés

    le 12 mai sont cités dans l’enquête« Lava Jato » (lavage express) sur lescandale de corruption lié augroupe pétrolier Petrobras.

    M. Temer, par ailleurs présidentdu Parti du mouvement démocra-tique brésilien (PMDB, centre),tente de rectifier ses maladresses.Après s’être abstenu de justesse denommer un adepte du création-nisme au ministère des sciences etde la technologie, il a promis de dé-signer une femme à la tête d’un se-crétariat à la culture, subordonnéau ministère de l’éducation maisindépendant financièrement.

    « Michel Temer paie la facture del’impeachment »,  résume le poli-tologue Marco Antonio CarvalhoTeixeira. Pour obtenir l’ouvertured’une procédure d’impeach-ment ,  le vice-président a dû sesoumettre, comme a tenté de le

    faire la présidente pour se défen-dre, à un marchandage afin d’ob-tenir les voix d’une majorité dedéputés et de sénateurs. Lacontrepartie fut de promettre despostes ministériels aux partisrespectifs. Le résultat : « Un gou-vernement réalisé dans la précipi-tation qui ne répond pas aux at-tentes de la société mais aux inté-rêts de partis. Il est le reflet de no-tre système politique dévasté »,  selamente Luiz Flavio Guimaraes,consultant politique redoutantque la crise politique débouchesur un « choc social ». p

    claire gatinois

    « Michel Temer

    est arrivé

    au pouvoir

    de façon légale

    mais sur un motif

     juridiquement

    fragile »

    FERNANDO ABRUCIO

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  • 8/17/2019 Monde + Eco&Entreprise du mercredi 18 mai 2016

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    En Tunisie, l’ombre de la torture est de retourMalgré les acquis de la révolution de 2011, les mauvais traitements perdurent dans les lieux de détention

    tunis - correspondant

    Ahmed Ben Abda,36 ans, a l’œil droitéteint. Il est borgne,séquelle d’un très

    mauvais coup. Sanglé dans sonblouson de cuir, M. Ben Abda ra-conte, sans colère, cette fâcheusesoirée de la fin 2013, quand le ha-sard l’a fait croiser un véhicule depolice à l’entrée de La Marsa, dansla périphérie nord de Tunis. Il estcontrôlé, ses papiers sont en règle.On le prend néanmoins pour unvoleur, il proteste, il est embarquémanu militari. Dans le huis closdu fourgon, les coups pleuventavec une rare violence. Quand ilrouvre les yeux, il ne voit plus qued’un seul. Son syndicat veillera àce que l’infirmité ne lui coûte passon travail d’employé dans unesociété de transports urbains.

    Mais la leçon qu’il tire de soninfortune est grinçante : « La Ré-volution n’a rien changé ! »

    Cas isolé ?  Pratiques systémati-ques ? Si les analyses divergent surla nature du phénomène, le sim-ple fait que l’on débatte de la per-manence de la torture – et d’unemanière plus générale, des vio-lences dans les lieux de détention– souligne les ambivalences de latransition tunisienne, cinq ansaprès la révolution de 2011. Le21 avril à Genève, une délégationde Tunis emmenée par KamelJendoubi, le ministre chargé desdroits de l’homme et des relationsavec la société civile et les instan-ces constitutionnelles, a dû s’ex-pliquer devant le Comité contre latorture des Nations unies.

    « Faire avec un legs »

    L’affaire brouille l’image exté-rieure – globalement favorable –de cette Tunisie célébrée commeun modèle de démocratie dans lemonde arabe. C’est un progrèsréel : Tunis est sorti du déni om-brageux sur le sujet. «  Il ne sert àrien de nier, il faut juste resituer leschoses dans leur contexte, souli-gne M. Jendoubi. Nous devons

     faire avec un legs, le passif de la dic-tature. On avance désormais,même si cela ne va pas aussi vitequ’on le souhaiterait .» Il ne sert àrien de nier, en effet. Comment

    éluder l’évidenc e ? La violencecontinue de sévir dans les com-missariats et les prisons de Tuni-sie. Depuis 2011, sept personnes

    sont décédées de manière sus-pecte durant leur incarcération.L’Organisation contre la tortureen Tunisie (OCTT) dépose chaqueannée une centaine de plaintespour torture et violences dans leslieux de détention. Et encore nes’agit-il pas de la seule organisa-tion mobilisée sur cette questionen Tunisie. Est-ce le retour de pra-tiques que l’on croyait oubliées,celles du régime autoritaire deZine El-Abidine Ben Ali, et, avantlui, de Habib Bourguiba, le fonda-teur de la Tunisie moderne ?

    «  Il ne s’agit pas d’un systèmecomme sous Ben Ali, préciseRadhia Nasraoui, la présidente del’OCTT et figure historique de l’op-

    position à l’ex-dictature. Mais ces pratiques tendent à devenir systé-matiques. »  Amna Guellali, ladirectrice du bureau de HumanRights Watch (HRW) pour la Tuni-sie, souligne aussi que ces prati-ques deviennent « généralisées » au-delà de cibles politiques spéci-fiques, lesquelles concentraient laviolence d’Etat sous Ben Ali. Unesorte de culture du passage à ta-bac où les coups portés sont« plusbruts et moins sophistiqués », se-lon la formule de Mme Guellali,que sous la dictature. « Cela peut

    arriver désormais à quiconque enconflit avec un membre des forcesde l’ordre »,  s’inquiète GabrieleReiter, la directrice du bureau de

    Tunis de l’Organisation mondialecontre la torture (OMCT). L’œiléteint d’Ahmed Ben Abda est làpour en témoigner.

    « Pas des cas isolés »

    Du côté officiel, on relativise évi-demment. « Il y a des cas, mais cen’est plus un système commeavant », nuance le ministre KamelJendoubi.« Il peut y avoir des excèsde zèle personnels, mais il n’y a pasde torture organisée »,  affirmeChokri Hamada, policier et porte-parole du Syndicat national des

    forces de sécurité intérieure. « Onne peut pas dire qu’il s’agit d’une

     politique systématique d’Etat », ad-met Imen Triki, avocate très enga-

    gée dans la défense de certains dé-tenus salafistes, et à ce titre sou-vent en conflit avec le ministère del’intérieur.« Pour autant, il ne s’agit 

     pas de cas isolés, insiste-t-elle. Il y aune mentalité policière qui n’a paschangé. » En somme, le système avécu, mais une culture perdure.

    Avocats et organisations dedéfense des droits de l’homme re-connaissent volontiers que l’Etatpost-2011 tente de faire évoluerles pratiques. Pour preuve,l’adoption par le Parlement, enfévrier, d’un amendement au

    code de procédure pénale ren-dant possible la présence de l’avo-

    cat aux côtés du prévenu au boutde deux jours (au lieu de trois) degarde à vue. La réforme est d’im-portance car la plupart des vio-lences ont lieu durant cette phaseliminaire de la détention. De lamême manière, une instance na-tionale pour la prévention de latorture, créée par une loi fin 2013,vient d’être mise en place par l’As-semblée. « Il faut saluer ces ef-

     forts », se félicite Imen Triki dontla personnalité sulfureuse lui apourtant valu – ainsi qu’à RadhiaNasraoui, de l’OCTT – d’être écar-tée de cette instance.

    Ces acquis législatifs ou institu-tionnels demeurent néanmoinsinsuffisants. L’arbitraire continued’imprégner les pratiques. Les or-ganisations des droits de l’hommedénoncent rituellement « l’impu-

    nité »  dont bénéficient les forcesde l’ordre responsables de violen-ces. De fait, aucune procédure deplainte n’a réellement abouti à descondamnations dans des affairespostérieures à 2011. Ahmed BenAbda conserve l’espoir que ceuxqui ont éteint son œil à l’entrée deLa Marsa, aujourd’hui en déten-tion, finiront par rendre descomptes, mais la pression – di-recte ou indirecte – qui continuede peser sur lui est v ive.

    La flambée d’attentats djihadis-tes que la Tunisie a connue au filde l’année 2015 a compliqué lalutte contre l’arbitraire. Avec unnombre de détenus dans des af-faires de terrorisme oscillant en-tre 2 000 et 3 000, le risque demauvais traitement s’est élevé. Latâche des militants des droits del’homme est rendue difficile par

    un climat général propice à la cris-pation sécuritaire, l’opinion pu-blique étant majoritairement ac-quise aux méthodes à poigne.Afin de lutter contre cet air dutemps, 46 organisations desdroits de l’homme, tunisiennescomme internationales, ontlancé le 28 avril à Tunis une cam-pagne sur le thème « Non au ter-rorisme, oui aux droits del’homme ». « Il nous faut ramer àcontre-courant »,  regrette le mi-nistre Kamel Jendoubi.p

    frédéric bobin

    L’embargo sur les armes vaêtre assoupli

    en faveur du gouvernement libyen d’unionFaïez Sarraj, soutenu par l’ONU, et le général Haftar combattent séparément l’Etat islamique

    tunis - correspondant

    L’ initiative diplomatiquevise à remettre sur les railsune « solution libyenne »,promue par les Nations unies, quitend à s’enliser. La conférence in-ternationale sur la Libye, qui aréuni lundi 16 mai à Vienne, enAutriche, les ministres des affairesétrangères de 21 pays – outre desreprésentants de l’ONU, del’Union européenne, de la Liguearabe et de l’Union africaine –, adécidé d’exprimer solennelle-

    ment tout son « soutien » au gou-vernement d’« union nationale » de Faïez Sarraj, qualifié de « seul

     gouvernement légitime de Libye ».Selon le communiqué publié à

    l’issue de la rencontre de Vienne,les participants affirment notam-ment « soutenir » la requête expri-mée par M. Sarraj d’une exemp-tion de l’embargo sur la livraisond’armes à la Libye, qui date de2011. Il s’agit pour Tripoli« de pou-voir acquérir les armes et les ballesnécessaires pour combattre Daech[l’acronyme arabe de l’Etat islami-que]  et d’autres groupes terroris-tes », a précisé le chef de la diplo-

    matie américaine, John Kerry, quicoprésidait la réunion avec sonhomologue italien, Paolo Gen-tiloni, tout en rappelant quela communauté internationa len’avait en revanche pas l’inten-tion d’intervenir militairement.

    Cette réunion de Vienne vise àconforter la nouvelle autorité in-carnée par Faïez Sarraj, qui peine àétablir sa tutelle sur l’ensemble dupays. Fruit de l’accord politique du17 décembre conclu à Skhirat (Ma-roc) sous l’égide de l’ONU, le gou-vernement d’union nationale de

    M. Sarraj est censé se substitueraux deux pouvoirs rivaux – l’unissu de l’Assemblée repliée à To-brouk (Est) et l’autre adossé à lacoalition Fajr Libya (Aube de la Li-bye), basée à Tripoli (Ouest) – dontl’affrontement avait plongé laLibye dans la guerre civile durantl’été 2014. Débarqués par voie demer le 30 mars à Tripoli, M. Sarrajet les membres de son Conseilprésidentiel (l’instance dirigeantedu gouvernement d’« union »)ont pu s’approprier une demi-douzaine de ministères alors quel’ex-gouvernement régnant defacto sur l’essentiel de la Tripoli-

    taine n’offre plus qu’une résis-tance symbolique. Mais le Conseilprésidentiel n’a toujours pasquitté la base navale d’Abou Sitta.

    Le plus grand obstacle à l’exer-cice de sa souveraineté résidedans le refus de l’Assemblée de To-brouk, reconnue par la commu-nauté internationale après sonélection de 2014, de le valider parun vote d’investiture. L’opposi-tion émane principalement despartisans du général KhalifaHaftar, le commandant en titre del’Armée nationale libyenne (ANL),

    qui veut obtenir des garanties surson maintien en poste dans le ca-dre de la future armée réunifiée.

    Campagnes rivales

    Depuis l’arrivée à Tripoli deM. Sarraj, le général Haftar, quijouit d’une certaine popularité enCyrénaïque (Est), n’a cessé de bra-ver la nouvelle autorité, multi-pliant les opérations militairesunilatérales. Dopé par ses récentssuccès à Benghazi contre des po-ches tenues par des groupes isla-mistes extrémistes, alliés à l’ex-bloc Fajr Libya, il a affirmé se pré-parer à attaquer Syrte sur le litto-

    ral central, le bastion de l’EI enLibye. « Haftar agit de manièr e

     préventive afin de préserver sacapacité de négociation »,  souli-gne Mohamed Eljarh, analyste àl’Atlantic Council. Or le gouverne-ment de M. Sarraj a établi sa pro-pre structure de commandementà Misrata en vue d’un assaut surSyrte. L’existence de deux campa-gnes militaires rivales contre l’EIsuscite l’anxiété des Etats réunis àVienne. « Les Libyens doivent com-battre le terrorisme dans l’unité »,ont insisté les participants.

    Dans ce contexte, une exemp-tion de l’embargo sur les armespromet de soulever de vives diffi-cultés en l’absence d’une structuremilitaire intégrée. La réunion deVienne affirme que le gouverne-ment d’« union » de M. Sarraj est le« seul bénéficiaire légitime de l’as-sistance sécuritaire internatio-nale ». Une levée de l’embargo, plu-tôt que d’améliorer l’efficacité dela lutte anti-EI, risque d’allumer unconflit entre le gouvernement deM. Sarraj et l’ANL du général Haf-tar, et donc d’approfondir la frac-ture entre l’ouest et l’est du pays.p

    f. b.

    Safwen, 19 ans,a été arrêté enseptembre 2015avec un amirecherchépour vol.

    En détention,il subitde multiplestortures. « Ensortant de l’enferde la détention,les jeunes ontla rage dansle cœur. »Il sera acquittéonze jours après.AUGUSTIN LE GALL/

    HAYTHAM PICTURES/

    SOUS LE JASMIN/OMCT

    ISRA ËL/PALESTINELa conférence de Parisrepoussée à l’été

    La réunion internationale du30 mai à Paris destinée à re-lancer le processus de paix is-raélo-palestinien devrait êtrerepoussée à l’été, a annoncéFrançois Hollande sur Eu-rope 1. Le département d’Etataméricain avait annoncé quel-

    ques heures plus tôt que JohnKerry ne pourrait être présentà la date prévue. Le président

    français a par ailleurs déploréle vote « fâcheux » par laFrance d’une résolution con-troversée de l’Unesco sur Jéru-salem et annoncé qu’il veille-rait « personnellement » à laformulation d’une prochainerésolution en octobre.

    Mercredi 18maià 20h30

    GilbertCOLLARDInvitéde

    Emission politique présentée par Frédéric HAZIZAAvec :Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN etYaël GOOSZ

    sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhoneet iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.

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  • 8/17/2019 Monde + Eco&Entreprise du mercredi 18 mai 2016

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    Hollande, aiguillon de la lutte contre Boko HaramParis a annoncé une coopération militaire accrue avec le Nigeria et un plan de développement du lac Tchad

    abuja - envoyé spécial

    C’est dans un rôle deparrain militairequ’est apparu Fran-çois Hollande, sa-

    medi 14 mai, à Abuja, la capitaledu Nigeria. Venu assister à unsecond sommet consacré à lalutte contre Boko Haram, un fo-rum qu’il avait lancé deux ansplus tôt à Paris, le chef de l’Etats’est engagé à « amplifier » les ef-forts de la France dans le combatcontre ce groupe djihadiste etdans le développement du bassindu lac Tchad, l’un de ses dernierssanctuaires. Seul président occi-dental au milieu de huit de seshomologues africains (Nigeria,Cameroun, Tchad, Niger, Sénégal,Gabon, Togo et Bénin), des chefsde la diplomatie européenne, bri-tannique, et du numéro deux du

    département d’Etat américain,M. Hollande se veut « l’aiguillonde la mobilisation internatio-nale »,  selon son entourage,contre « le groupe terroriste le plusmeurtrier au monde en 2015 ».

    Malgré « les résultats déjà im- pressionnants »  ayant permisd’affaiblir militairement le mou-vement et de réduire son empriseterritoriale, le président français aappelé à « poursuivre avec achar-nement le combat » contre les dji-hadistes, qui continuent de me-ner une politique de terreur enmultipliant les attentats, le plussouvent kamikazes.  « Nous de-vons appuyer les armées de larégion,  a-t-il insisté.  Il est indis-

     pensable que la communautéinternationale fasse plus » contreBoko Haram qui, depuis son allé-geance à l’organisation Etat

    islamique (EI), a pris le nom deWilaya d’Afrique de l’Ouest.

    Alors que Muhammadu Buhari,le président du Nigeria, a évaluél’aide nécessaire à 960 millionsd’euros pour « éradiquer les cau-ses » sur lesquelles « prolif ère leterrorisme »,  Paris – qui a déjàaffecté 25 millions d’euros pour lacoopération avec les armées desquatre pays de la région (Nigeria,Cameroun, Tchad et Niger) et17 millions d’euros d’aide huma-nitaire – s’est engagé à lancer unprojet de l’Agence française dedéveloppement (AFD) spécifiqueà la région du lac Tchad.

    Soutien surtout militaire

    Quelques jours après que sonpremier ministre a déclaré que leNigeria est « fantastiquement cor-rompu »,  le chef de la diplomatiebritannique, Philip Hammond, a

    promis une aide de 40 millionsde livres (plus de 57 millionsd’euros), étalée sur les quatre pro-chaines années, pour soutenir lalutte antiterroriste. Il a préciséque son pays formerait un mil-lier de soldats nigérians.

    La Commission européenne a,pour sa part, annoncé le verse-ment de 50 millions d’euros, blo-qués depuis juillet 2015 au niveaude l’Union africaine, pour soute-nir les armées camerounaises,nigériennes et tchadiennes, quiont formé, avec le Nigeria, uneForce multinationale mixte.Bruxelles donnera aussi, sur troisans, 1,7 milliard d’euros d’aidehumanitaire et de programmesde développement pour les ré-gions affectées.

    Si le communiqué final du som-met d’Abuja estime que « la dé-

     faite de l’insurrection ne repose pas seulement sur une solution

    militaire », c’est sur ce terrain quese concentre pour l’instant l’ap-pui français. A l’issue de deuxheures d’entretien avec Muham-madu Buhari, François Hollandea ainsi révélé que, « pour donner un signe supplémentaire de rap- prochement entre nos deux pays,une lettre d’intention a été signéequi préparera un accord en ma-tière de défense ». La créationd’« un haut comité de défense doit permettre d’institutionnaliser larelation engagée au printemps 2014 », rapporte l’entourage deJean-Yves Le Drian. Présent lorsdu voyage présidentiel, le minis-tre de la défense était déjà en vi-site il y a deux semaines pourpréparer le terrain et s’enquérirdes besoins nigérians.

    Dix-sept actions de coopération

    militaire sont prévues. Elles vontd’un soutien renforcé en matièrede renseignement – notammentpar la formation à la lecture

    d’images satellitaires alors que laFrance a déjà fourni depuis deux

    ans plus de 2 000 photos prisespar ses satellites et ses avions dechasse basés au Tchad – à la luttecontre les engins explosifs im-provisés (IED) ou la piraterie ma-ritime dans les eaux nigérianes– « les seules où elle est en aug-mentation en 2015 ».

    En contrepartie, les soldats fran-çais qui pourraient être déployésau Nigeria devraient bénéficierd’une immunité sur place, et lesNigérians se seraient engagés à nepas appliquer la peine de mortaux combattants de Boko Haramcapturés avec un appui français.En difficulté financière du fait dela chute des cours du pétrole, leNigeria espère recevoir des donsde matériels militaires (drones,blindés légers, matériel d’écoute).Au ministère de la défense, « un

     groupe regarde de près les ques-tions d’équipements, mais aucunaccord n’a encore été signé », pré-cise la source déjà citée.

    A terme, les groupes françaisentendent bénéficier de cettenouvelle relation franco-nigé-riane. La collaboration avec l’ar-mée d’Abuja pose cependantquestion, alors que celle-ci est ré-gulièrement accusée d’exactions.La dernière accusation est venued’Amnesty International qui, le11 mai, a révélé que « 149 person-nes sont mortes en détention à la

    caserne de Giwa, à Maiduguri  [lacapitale de l’Etat du Borno]en 2016 ». Parmi les victimes figu-rent « onze enfants âgés de moins

    de 6 ans, dont quatre bébés », pré-cise l’organisation.

    Près de cinquante ans après lafin de la guerre du Biafra, durantlaquelle Paris avait soutenu les sé-cessionnistes, François Hollande aeffectué sa seconde visite au Nige-ria en deux ans. Parmi ses prédé-cesseurs, seul Jacques Chirac s’yétait rendu, en 1999. François Hol-lande a fait du rapprochementavec la première puissance écono-mique et démographique du con-tinent une priorité de sa politiqueafricaine. « C’est la fin d’une ano-malie diplomatique, déclare un di-plomate. La France se devait d’élar- gir son regard sur la région et ne pas demeurer focalisée sur les pays francophones. Mme si le Nigeriava d’une crise à l’autre et que celane se traduit pas par des débou-chés économiques immédiats, c’estune politique de fond et non une

    logique de coup, car la France a des projets pour les cinquante ans à ve-nir dans ce pays. »p

    cyril bensimon

    Depuis deux ans,

    la France a déjàfourni plus de

    2 000 photos

    prises par ses

    satellites et ses

    avions de chasse

    Moscou organise un concourssur les conflits du futur

    moscou - correspondante

    L’ annonce est parue sur le site du ministère de la défenserusse lundi 16 mai : « L’Académie militaire de l’état-major des forces armées russes organise un concours sur les ques-tions de guerre et de paix. »  Sur ce thème, évocateur de l’œuvre deLéon Tolstoï Guerre et Paix, tous les personnels des académiesmilitaires, y compris les doctorants, étudiants et stagiaires, ainsique les employés des organismes de recherche liés à la défensesont invités à remettre, sous forme d’un« essai », le fruit de leurstravaux sur « les formes et les méthodes » des guerres de demain.

    Nouveau en Russie, ce concours, est-il précisé, devra permet-tre « de générer des idées nouvelles scientifiques, philosophiques,sur les éventuels conflits du futur », ou « les problèmes actuels » etd’identifier des personnes susceptibles de« faire preuve de créa-tivité (…) d’analyse et de prospective dans le domaine d’un affron-tement armé ». Les nominés recevront une prime dont le mon-tant n’a pas été communiqué. L’initiative, lancée avec le soutiende la Fondation russe pour les études avancées, s’inspire direc-

    tement de l’agence américaine Darpa(Defense Advanced Research ProjectsAgency), qui investit dans les techno-logies innovantes pour la sécurité na-tionale et qui a été créée en réactionau lancement de Spoutnik 1 le 4 octo-bre 1957. Cette année-là, en pleineguerre froide, les Etats-Unis avaientassisté, médusés, à la mise sur orbitedu premier satellite par l’URSS.

    Depuis, la Russie ne cesse de vouloirreconquérir ses galons perdus face àson vieil adversaire. « Ils ont l’agence

    bien connue, Darpa (…). Et, comme nous le savons tous très bien,beaucoup de développements, d’Internet au GPS, ont fait leur che-

    min dans l’industrie de la défense »,  soulignait, en 2012, l’actuelpremier ministre, Dmitri Medvedev, en donnant naissance à laFondation russe. Plus récemment, Vladimir Poutine a tenu pasmoins de quatre réunions en trois jours avec les principaux res-ponsables de la défense et du complexe militaro-industriel.« Les derniers événements montrent que la situation ne s’amé-liore pas, a-t-il déclaré le 13 mai. Malheureusement, elle se dété-riore mme : je parle du déploiement en Roumanie d’une stationradar comme un élément du futur système de défense antimissileaméricain. » Tout en affirmant s’opposer à « une nouvelle courseà l’armement », le président russe avait ensuite ajouté :« Jusqu’à

     présent, ceux qui prennent ces décisions ont vécu tranquillement,comme des nantis et en sécurité. Maintenant que ces éléments dedéfense balistique sont déployés, nous allons tre contraints deréfléchir à la manière de neutraliser les menaces émergentescontre la Fédération de Russie. » Le concours d’idées est ouvert.p

    isabelle mandraud

    LES PARTICIPANTSAU CONCOURS VONTSE PENCHER SUR« LES FORMES ETLES MÉTHODES » DESGUERRES DE DEMAIN

  • 8/17/2019 Monde + Eco&Entreprise du mercredi 18 mai 2016

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    6 | planète MERCREDI 18 MAI 20160123

    Une nouvelleexpertise minimise

    les effetsdu glyphosateLes ONG mettent en cause l’indépendancedes scientifiques qui ont présidé les travaux

    La saga du glyphosate – lamolécule active du célè-bre herbicide Roundupproduit par Monsanto –

    s’enrichit d’un nouvel épisode.Alors qu’un vote en comité tech-nique européen doit statuer, les 18et 19 mai, sur la réautorisation dela molécule sur le Vieux Conti-nent, le dossier s’épaissit d’une

    nouvelle expertise scientifique,celle du Joint Meeting on PesticideResidues (JMPR), un comité com-munà l’Organisation mondiale dela santé (OMS) et à l’Organisationdes Nations unies pour l’alimen-tation et l’agriculture (FAO).

    Cette nouvelle expertise, renduepublique lundi 16 mai, conclut que« le glyphosate est peu probable-ment génotoxique [toxique pourl’ADN]  aux expositions alimen-taires anticipées » dans la popula-tion. Au total, estime le JMPR, « ilest improbable que le glyphosate

     pose un risque cancérogène pourles humains, du fait de l’exposition

     par le r égime alimentaire ». Ce nou-vel avis scientifique s’ajoute à ceuxde l’Autorité européenne de sécu-

    rité des aliments (EFSA) et du Cen-tre international de recherche surle cancer (CIRC), l’agence de l’OMSchargée d’inventorier les agentscancérogènes. A l’automne 2015,l’EFSA estimait « improbable »  lepotentiel cancérogène du glypho-sate ; six mois plus tôt, le CIRC leclassait au contraire « cancérogène

     probable » pour l’homme.

    Conclusions divergentes

    Favorable à la ré-homologationdu glyphosate en Europe, l’avis duJMPR a déclenché la colère des or-ganisations non gouvernementa-les (ONG), qui reprochent augroupe d’experts des conflitsd’intérêts, qui toucheraient, selonnos informations, la présidence etla vice-présidence du groupe as-semblé par le JMPR.

    Officiellement, l’avis du JMPRn’est pas contradictoire avec celuidu CIRC. L’affaire est délicate, lesdeux organisations étant toutesdeux liées à l’OMS.« Le CIRC opèreune classification, tandis que le

     JMPR fait une évaluation des ris-ques, explique-t-on à Genève. On

     peut, par exemple, classer les ultra-violets comme cancérogènes, maisestimer que l’exposition de la popu-lation générale au soleil ne repré-sente pas un risque cancérogène. »En outre, conformément à sonmandat – l’étude des résidus depesticides dans l’alimentation –, leJMPR a restreint sa conclusionaux risques liés à l’exposition ali-mentaire. Au contraire, le CIRC aconsidéré toutes les formes d’ex-position (professionnelles, etc.).

    Les avis du CIRC et du JMPR diff è-rent en outre sensiblement sur despoints-clés de l’évaluation. Le CIRCestime ainsi que les preuves decancérogénicité du glyphosate surles animaux de laboratoire sont« suffisantes », alors que le JMPR, de

    son côté, considère que« le glypho-sate n’est pas cancérogène sur lerat, mais la possibilité ne peut êtreexclue qu’il soit cancérogène sur lasouris,à très haute dose ».

    Pourquoi de telles divergences ?Le JMPR a eu accès à des étudesnon publiées, que le CIRC n’a pasconsultées pour rédiger sa mono-graphie, explique en substanceDavid Eastmond (université deCalifornie, à Riverside), membredu groupe de travail réuni par leJMPR. D’où les divergences.Sollicité par Le Monde, le CIRC dé-clare n’avoir aucun commentairesur l’avis du JMPR, et estime qu’ilne contredit pas sa classificationdu glyphosate comme «cancéro- gène probable» pour l’homme.

    « Liens avec l’industrie »

    Plusieurs scientifiques familiers

    du sujet, interrogés par Le Monde,se refusent à tout commentaireavant d’avoir eu accèsà l’ensembledu rapport. Pour l’heure, seul unbref résumé a été publié, le rap-port complet devant être rendupublic dans deux semaines. « Lesliens avec l’industrie d’au moinsdeux des experts impliqués dans

    l’évaluation du JMPR soulèvent laquestion de savoir si l’organisation peut garantir l’indépendance deson avis »,  fustige de son côtéGreenpeace Europe dans un com-muniqué. L’ONG cite en particu-lier le toxicologue Alan Boobis,professeur à l’Imperial College deLondres et vice-président de labranche européenne de l’Interna-tional Life Sciences Institute (ILSI),une organisation de lobbying

    scientifique notamment financéepar des producteurs de glyphosatecomme Dow Chemical, Monsantoet Syngenta, note Greenpeace.

    L’ONG cite aussi Angelo Mo-retto, professeur à l’université deMilan, également membre del’ILSI. Greenpeace rappelle, enoutre, que l’EFSA avait ouvert,

    en 2011, une procédure dite de« rupture de confiance » à l’encon-tre de M. Moretto : membre d’unpanel de l’agence européenne de-puis 2008, il avait omis de décla-rer certains de ses conflits d’inté-rêts. Il avait été contraint à la dé-mission. A l’OMS, on proteste vi-goureusement contre lesattaques de Greenpeace, assurantque la politique de gestion desconflits d’intérêts est identiqueau JMPR et au CIRC.

    Une telle configuration ne sem-ble s’être jamais produite au CIRC,au moins dans un passé récent. Deplus, MM. Boobis et Moretto n’ontpas été de simples membres dugroupe de travail du JMPR. Selonnos informations, ils en ont étérespectivement président et vice-président. La  composition  dugroupe est publique depuis plu-

    sieurs semaines, mais les identi-tés de ceux qui ont présidé ses tra-vaux n’ont pas été divulguées parl’OMS. « Ce n’est pas un secret », ré-pond-on à Genève, où l’on refusede donner les noms des intéres-sés. Ceux-ci doivent être annon-cés « dans une dizaine de jours ». p

    stéphane foucart

    La montée des eaux menace1,2 milliard de personnes d’ici à 2060L’Asie, qui compte de nombreuses mégapoles le long des côtes,est la région du monde la plus exposée

    H uit cent vingt-qua-tre millions de person-nes à l’horizon 2030, et1,2 milliard d’ici à 2060, sont me-nacées par la montée des eaux. Cesont les conclusions d’une étuderéalisée sur la base des travaux duGroupe d’experts intergouverne-mental sur l’évolution du climat(GIEC), et publiée lundi 16 mai parl’ONG Christian Aid. Depuis 2008,plus de la moitié de l’humanité viten ville. Et selon les Nations unies,en 2050, la planète comptera6,4 milliards d’urbains, soit 75 % dela population mondiale quiatteindra alors 9 milliards d’indivi-dus. Or, une grande partie de cettecroissance urbaine a lieu en zonescôtières, particulièrement vulné-rables au changement climatique.

    Les projections de l’étude repo-sent sur le scénario d’un réchauf-fement à 3 °C, correspondant aux« contributions nationales » remi-ses par les Etats lors de la COP21.Des engagements qui devrontêtre revus pour tenir l’objectif del’accord de Paris de contenir leréchauffement « bien au-dessousde 2 °C ». L’Asie est la région la plusmenacée. Les cinq premiers paysles plus exposés sont la Chine,l’Inde, le Bangladesh, l’Indonésieet le Vietnam. Quinze des vingtagglomérations côtières les plusvulnérables se trouvent dans l’unde ces pays. Calcutta (Inde), où

    14 millions de personnes pour-raient être exposées en 2070,figure en tête des villes les plus àrisque, suivie de Bombay(11,4 millions), Dacca au Bangla-desh (11,1 millions), Guangzhouen Chine (10,3 millions), puis deHô Chi Minh-Ville (9,2 millions)au Vietnam, Shanghaï en Chine(5,4 millions), Bangkok enThaïlande (5,1 millions) et Ran-goun en Birmanie (4,9 millions).

    Les pauvres, premiers concernés

    Les nations riches ne sont pasépargnées. Les Etats-Unis sont en8e position des pays les plus affec-tés, les Pays-Bas en 19e et la Gran-de-Bretagne en 22e. A Miami,9e métropole la plus exposéedans le monde, ce sont 4,7 mil-

    lions de personnes qui sont me-nacées à l’horizon de 2070. Finan-cièrement, la capitale de la Floridepourrait aussi être la ville la plusfortement touchée, avec 3 513 mil-liards de dollars d’actifs enquestion (3 100 milliards d’euros).

    Selon l’étude, qui a aussi évaluél’impact économique des risquesencourus en 2070 par les villes cô-tières, la facture pourrait s ’élever àplus de 1 000 milliards de dollars,pour une douzaine d’aggloméra-tions. Guangzhou talonne Miamiavec 3 357 milliards de dollars d’ac-tifs en péril. Suivent New York(2 147 milliards), Calcutta

    (1 961 milliards) et Shanghaï(1 771 milliards).

    « Ce sont les populations les plus pauvres qui souffriront le plus,s’alarme Alison Doig, une desauteurs de l’étude. Les pays riches paieront le plus fort tribut financier,mais leurs ménages aisés pourrontbénéficier de possibilités de reloge-ment et être couverts par une assu-rance. Les populations pauvres, fortement présentes dans les villesdes pays en développement les plusaffectés, ne bénéficient pas d’un filet de sécurité financière et sociale,ni d’infrastructures solides », souli-gne-t-elle, tout en constatant queles villes faisant face aux impactsles plus sévères de la montée deseaux sont dans des pays parmi lesplus gros émetteurs de gaz à effet

    de serre. A savoir, la Chine, lesEtats-Unis et l’Inde.

    L’ONG appelle à un sursaut de lacommunauté internationale.Alors que le secrétaire général desNations Unies, Ban Ki-moon, a de-mandé à doubler et à porter lesfonds destinés à la réduction desrisques de catastrophes à 1 % del’aide mondiale au développe-ment (soit 1 milliard de dollars),Christian Aid demande qu’ilssoient élevés à 5 %, pour« aider dèsà présent les villes les plusvulnérables et leur population à prévenir ces risques ». p

    laetitia van eeckhout

    Action de l’ONGRoundUp NonMerci dansle Carrefourde Rosny 2 (Seine-Saint-Denis),en 2014.DENIS ALLARD/REA

    L’Europedoit statuer,

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    « Où est passée la voix de la France ? »Nicolas Sarkozy souhaite que la France prenne « l’initiative » d’un nouveau traité européen « dès l’été 2017 »

    ENTRETIEN

    Nicolas Sarkozy, prési-dent du parti Les Répu-blicains (LR), appelle à« refonder profondé-

    ment le p rojet européen »  aumoyen d’un nouveau traité dont ildétaille le contenu, à la veille de lamatinée de travail sur l’Europeorganisée par LR, mercredi 18 mai.

    Selon Frontex, 2 700 réfugiéssont arrivés en Grèce en avril,dix fois moins qu’en mars. L’ac-cord de l’Europe avec la Tur-quie est donc un succès, non ?

    Non. Ne confondons pas ce quiest conjoncturel et structurel.L’effondrement de la Syrie provo-que un afflux de population versl’Europe. De plus, l’Afrique va dou-

    bler de population en trente ans.Penser que la Turquie peut dura-blement gérer et résoudre ces pro-blèmes est une erreur. L’Europepeut-elle faire confiance à un pou-voir turc, qui évolue de plus enplus vers un régime autoritaire ?Je le conteste.

    Angela Merkel a-t-elle eu tortdans la crise des réfugiés ?

    Un des problèmes majeurs enEurope est actuellement l’ab-sence complète de leadership. Oril n’y en a qu’un possible : c’est leleadership franco-allemand. J’enai douté avant d’être élu présidenten 2007. Je croyais qu’on pouvaitavoir un leadership à cinq ou sixpays. Très vite, je me suis renducompte que cela ne fonctionnaitpas et que l’entente franco-alle-mande était indispensable. C’est

    pourquoi je ne critiquerai pasMme  Merkel et la politique alle-mande. Mais ce qui m’a choqué,c’est de voir Mme Merkel négo-ciant seule avec le gouvernementturc. Où était M. Hollande ? Où estpassée la voix de la France ?Quand Barack Obama vient enEurope, il rencontre en Allema-gne la chancelière, après s’être ar-rêté au Royaume-Uni. La Francea-t-elle disparu de la carte diplo-matique ? Quelle humiliation !C’est moins le leadership deMme  Merkel que l’effacement deM. Hollande que je déplore.

    Mme Merkel a-t-elle fait monterl’extrême droite avec sa politi-que d’accueil des réfugiés ?

    On voit partout la montée del’extrême droite en Europe. Ce

    n’est pas nous, Français, qui allonsdonner des leçons. Mais il y a unedifférence entre le discours et laréalité allemande. Certaines ex-pressions de la chancelière ont pulaisser penser que l’Allemagnesous-estimait le problème, alorsque Donald Tusk [le président duConseil européen]   dans le mêmetemps m’indiquait que ce n’étaitpas moins de 10 millions de per-sonnes qui s’étaient mises enmarche en direction de l’Europe.Mais force est de reconnaître que

    derrière le discours, le durcisse-ment des règles allemandes esttrès fort. Ce fut pour moi un réelsoulagement que de le constater.

    En attendant, l’extrême droitepourrait remporter la prési-dentielle en Autriche, le 22 mai.

    La situation en Autriche est trèspréoccupante. Dans ce pays, dontla capitale, Vienne, fut le centreculturel de l’Europe il y a près d’unsiècle, les partis de gouvernementfont 11 % des voix et l’extrêmedroite, 35 %. Laquelle va affronterun écologiste au second tour de laprésidentielle ! L’Autriche paiel’échec des grandes coalitionsqu’aiment tant les élites : quand iln’y a plus ni gauche ni droite,quand il n’y a plus de débat, vouslaissez un espace immense aux ex-

    trêmes. C’est une méconnaissancecomplète des ressorts de la démo-cratie, qui nécessite un débat vif etparfois frontal. En France, cela faitvingt-cinq ans qu’on ne peut pasdiscuter d’immigration sans êtretraité de raciste, d’islam sans êtretraité d’islamophobe, d’Europesans être traité d’europhobe. Cequi se passe en Autriche pourraitarriver en France.

    Vous n’excluez pas une victoiredu FN à la présidentielle ?

    Je dis qu’une des raisons pourlesquelles je suis revenu dans lavie politique, c’était qu’après l’af-frontement Fillon-Copé, la voixde l’opposition était atone, ce quilaissait au FN un monopole face àla politique de François Hollande.

    Au-delà de l’Autriche, vivons-nous une rupture de valeursavec l’Europe centrale, incarnéepar la démocratie « illibérale »de Viktor Orban en Hongrie ?

    Je conteste votre interprétation.M. Orban n’a pas été exclu du PPEet, à ma connaissance, il a tou-jours respecté le verdict des ur-nes. Il a gagné à trois reprises et aété battu une fois, ce qui n’est pasla marque d’une dictature.

    La commission de Venise, or-

    gane consultatif du Conseil del’Europe, a émis des réservessur la nouvelle Constitution…

    On ne peut pas dire qu’il n’y a pasde démocratie en Hongrie. C’est letravers des élites françaises que devouloir donner des leçons aumonde entier. Quant à la Pologne,j’ai vu les frères Kaczynski au pou-voir. Ils ont respecté les règleseuropéennes et quand ils ont étébattus, ils sont partis. Après cin-quante ans de joug communiste,ces pays sont des démocraties qui

    fonctionnent, subissant une pres-sion migratoire extrêmementforte. Préféreriez-vous qu’on re-crée un mur de Berlin ?

    Le 23 juin, les Britanniques vo-tent sur le maintien du Royau-me-Uni dans l’Union euro-péenne (UE). Que faire en casde « Brexit » ?

    Je suis totalement opposé à lasortie du Royaume-Uni de l’Eu-rope. Le pire serait le Brexit et l’ad-hésion de la Turquie : on aurait faitle grand chelem de l’erreur ! Mais,Brexit ou pas, il faudra dans tousles cas de figure refonder profon-dément le projet européen et celapassera par un traité dont la Francedoit être à l’initiative dès l’été 2017.

    Qu’y aura-t-il de nouveau dans

    ce nouveau traité ?La priorité sera de poser les basesd’un Schengen 2 car Schengen 1est mort. Je propose que soit crééun euro-Schengen, c’est-à-dire ungouvernement de Schengen com-posé des ministres de l’intérieurdes pays membres, avec un prési-dent stable, qui aurait autorité surFrontex. La liberté de circulationdes extra-communautaires nedoit plus être permise dans l’UEtant que Schengen 2 ne sera pasadopté. Adhérer à Schengen 2 sup-

    posera l’adoption préalable d’unepolitique d’immigration com-mune, avec une harmonisationdes prestations sociales accordéesaux demandeurs d’asile. Au-delàde ces derniers, tout nouvel en-trant dans l’UE ne pourra pas tou-cher d’allocation sociale avant undélai de cinq ans. Chaque pays de-vra aussi disposer de la même listede « pays sûrs ». Ce n’est qu’une

    fois que nous aurons atteint cetteharmonisation que nous pour-rons nous passer de frontières in-térieures à l’Europe.

    En quoi ce nouveau traité per-mettrait-il de faire face à lacrise des réfugiés ?

    Je suis fermement opposé à lapolitique de quotas. C’est une er-reur d’installer des « hot spots »

     [centres de traitement des deman-des d’asile] à l’intérieur de l’Europecar il est dans ce cas-là trop tard, lesréfugiés ayant déjà traversé la Mé-diterranée. Ces hot spots doiventêtre installés au sud de la Méditer-ranée et financés par l’Europe. Lesdossiers des demandeurs d’asile yseront étudiés et les pays qui n’ac-cepteraient pas la présence surleur territoire de hot spots pour-raient se voir refuser des visas.

    Si vous plaidez pour la présencede hot spots à l’extérieur del’Europe, pourquoi condamnez-vous l’accord avec la Turquie ?

    Ce n’est pas le fait d’avoir des hotspots en Turquie que je contestedans cet accord, c’est la suppres-sion des visas, irresponsable dansle climat sécuritaire actuel, et larelance des négociations d’adhé-sion, incompréhensible comptetenu de l’évolution du pouvoirturc sur les libertés publiques.

    Que faire pour renforcer lazone euro et plus largement

    Nicolas Sarkozydans son bureau,rue de Miromesnil,à Paris, le 16 mai. JÉRÔME SESSINI/MAGNUM

    PHOTOS POUR « LE MONDE »

    « C’est moinsle leadership

    de Mme Merkel

    que l’effacement

    de M. Hollande

    que je déplore »

    l’Union européenne à 28 ?La France et l’Allemagne doivent

    assurer le leadership de la zoneeuro. Il faut un vrai gouvernementéconomique, avec la création d’undirecteur du Trésor européen etun Fonds monétaire européen. Jene comprends pas que le FMI soittoujours présent dans la zoneeuro. En ce qui concerne l’UE à 28,elle s’occupe de trop de domaineset doit se concentrer sur le fonc-tionnement du marché intérieuret d’une dizaine de politiques prio-ritaires (agriculture, énergie, com-merce…). Tout le reste doit êtrerendu à la souveraineté des Etats.

    Vous engagez-vous à respecterles règles européennes, quiprévoient 3 % de déficit ?

    La France ne peut pas s’exonérer

    des règles qu’elle a elle-même vo-tées. Mais il faut faire attention àla manière dont on respecte le 3 %.S’il s’agit de réduire les déficits enaugmentant les impôts, il en esthors de question, le remède seraitpire que le mal. Ce qui compte, cesont les réformes que l’on met enplace pour réduire les dépenses.

    Approuvez-vous l’idée d’un ré-férendum sur l’Europe avancéepar Bruno Le Maire ?

    Le référendum est un instru-ment particulièrement utile pours’assurer de l’accord du peuplesouverain. Mais la question doitêtre binaire, afin que l’on puisse yrépondre par oui ou par non. Lamonnaie unique à la place dufranc, le service militaire suppriméou conservé… En revanche, je necrois pas que le référendum soit la

    meilleure façon de répondre à desquestions si complexes portantsur la refondation de l’Europe, quisont de la compétence de la repré-sentation parlementaire. Les pro-cédures juridiques sont secondai-res mais toutes nécessiteront depasser au moins par un traité rati-fié par les Parlements nationaux. Ilfaut d’abord être fort sur le fond.p

    propos recueillis par

    alexandre lemarié,

    arnaud leparmentier

    et thomas wieder

     Lire l’intégralité de l’entretiensur Lemonde.fr 

    Que dites-vous aux électeurs de Mme LePen qui partagent ses idées sur l’Europe ?« Ne jetez pas l’Europe avec l’eau du bain ! »L’Europe est un acquis et une chance. Cer-

    tes, l’Europe actuelle n’est pas celle quenous voulons ; c’est bien pourquoi il faut larefonder. Pour ma part, Européen je suis,Européen je reste.

    « Je ferai une campagne résolumentproeuropéenne », promet Alain Juppé.Diriez-vous la même chose ?

    Je ne sais pas ce que ça veut dire, unecampagne « proeuropéenne ». Si c’est pourrester assis sur sa chaise et crier « Europe !Europe ! Europe ! », ne c omptez pa s surmoi. Ce qui compte, c’est de mettre du con-tenu et du concret.

    Sous la pression du FN et d’une partiede la droite, le maire PS de Verdun a an-

    nulé le concert de Black M prévu le29 mai pour le centenaire de la bataille.A-t-il eu raison de céder ?

    Beaucoup de Français ne votant pas FN

    ont été profondément choqués qu’on in-vite à une commémoration nationale unchanteur qui a insulté dans ses textes laFrance et a tenu des propos homophobeset antisémites, même s’il s’en est excusé. Jesuis contre la censure, mais je demande unpeu de réflexion : ce n’était à l’évidence pasune bonne idée que d’inviter un chanteurpouvant prêter à polémique pour une tellecommémoration, qui doit être un mo-ment solennel de rassemblement, de di-gnité et de recueillement.

    François Hollande a-t-il perdu l’électionprésidentielle ?

    La vie politique n’est faite que de surpri-ses et de redressements spectaculaires.

    Bien malin celui qui peut dire comment leschoses vont se passer. Un peu d’humiliténe messied pas en la matière. Cela vautpour les acteurs comme pour les commen-

    tateurs.

    La mobilisation contre la « loi travail »se poursuit cette semaine. Appelez-vous les Français à manifester contrele gouvernement ?

    Je n’encourage pas Nuit debout, ça, c’estsûr. Ce n’est pas la loi El Khomri qui est encause : elle dit si peu de choses… Ce qui esten cause, c’est le mensonge originel de 2012 :à quel moment M. Hollande a-t-il dit à sesélecteurs, aux parlementaires et aux syndi-cats qui le soutenaient qu’il modifierait lecode du travail ? Jamais. Tout le problèmeest là : dans le sentiment justifié qu’ont tantd’électeurs d’avoir été trompés.ppropos recueillis par al. le., ar. le. et t.w.

    « Ce qui est en cause, c’est le mensonge originel de 2012 »

  • 8/17/2019 Monde + Eco&Entreprise du mercredi 18 mai 2016

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    Ils ne désarment pas. Pour-tant, le passage en force pour

    faire adopter la loi El Khomrien première lecture à l’As-

    semblée nationale, en recourant àl’article 49.3, rend plus que jamaisimprobable le retrait de ce textecontre lequel les syndicats contes-tataires se mobilisent depuis troismois. « Je ne céderai pas »,  a dé-claré à son propos François Hol-lande, invité, mardi 17 mai, de lamatinale d’Europe 1.

    Marquée par des incidents vio-lents lors des derniers rassemble-ments, cette mobilisation s’es-souffle. Le 12 mai, la cinquièmejournée d’action n’a rassemblé,selon le ministère de l’intérieur,que 55 000 manifestants à traversla France (la CGT n’ayant pasdonné de chiffre global) contre390 000 le 31 mars. Malgré tout,les sept organisations (CGT, FO,

    FSU, Solidaires, UNEF, UNL etFIDL) ont appelé à « deux nouvel-les journées de gr èves et de mani- festations »,  les mardi 17 et jeudi19 mai. « Je pense qu’effectivementil y a encore une capacité non seu-lement à mobiliser, mais à fairebouger le gouvernement »,  aassuré Jean-Claude Mailly (FO),lundi 16 mai sur RTL.

    L’intersyndicale a annoncé unepluie de grèves dès cette semaine. « Des secteurs  professionnels, a-t-elle indiqué, ont déposé des préa-vis de grève, parfois reconducti-bles, dès le 16 mai au soir : trans- port routier, Aéroports de Paris, cheminots, marins, ports et docks. D’autres travaillent à de fortes mo-bilisations, y compris par la grève :commerce, énergie, services pu-blics, chimie.»

    Stratégie radicale de contestationA la SNCF, la CGT, appuyée parSUD-Rail, a appelé à une grève re-conductible illimitée, chaquemercredi et jeudi, pour peserd’abord sur les négociations ausujet des conditions de travail.Mais les cheminots participerontainsi au mouvement contre la loiEl Khomri, en gonflant les rangsdes manifestants. La grève desroutiers, qui craignent une re-mise en cause du paiement desheures supplémentaires, devraittoucher mardi, selon FO, le Nordet les villes de Nantes, Marseille etBordeaux. La CGT envisage debloquer les ports du Havre et deNantes-Saint-Nazaire. Des grèvespourraient aussi toucher le traficaérien, La Poste, la RATP, les ban-ques et les assurances.

    En utilisant l’arme des grèvesreconductibles, la CGT, suivie par

    FO, qui est historiquement sasœur ennemie depuis qu’elle afait scission en 1947, joue son va-tout. Lors de son récent congrèsconfédéral, à Marseille, du 18 au22 avril, de nombreux militantsde la centrale, venus pour la plu-part de l’extrême gauche, avaientréclamé une grève générale re-conductible jusqu’au retrait de la

    loi El Khomri.Philippe Martinez, qui a pour-tant opté pour une stratégie radi-cale de contestation du gouverne-ment, avait dégagé en touche. Lesecrétaire général de la CGT avaitfait adopter à la quasi-unanimité– un quart des délégués ne pre-nant pas part au vote – un appel à« amplifier la riposte »,  dès le28 avril, où une journée d’actionétait prévue. Au programme, la te-nue d’assemblées générales dansles entreprises « pour que les sala-riés décident, sur la base de leurs re-vendications et dans l’unité, de la grève et de sa reconduction pour gagner [le retrait du texte]». Mais,depuis le 28 avril, cet appel mi-chè-vre mi-choux n’a eu aucun écho.

    La Fédération nationale des in-dustries chimiques de la CGT s’estplacée en pointe de la contesta-

    tion. Le 13 mai, elle a appelé à un« blocage progres sif des pro duits pétroliers » du 17 au 19 mai et à unegrève reconductible sur tous les

    sites pétroliers, à partir du 20 mai.Au sein de la CGT, cette fédérationest l’une des plus radicales.Comme la fédération agroalimen-taire, elle est membre de la Fédé-ration syndicale mondiale (FSM)qu’elle a rejointe en 2014. La FSMest l’internationale syndicale

    communiste. La CGT l’a quittéeen 1995, et est aujourd’hui mem-bre de la Confédération syndicaleinternationale (CSI), comme la

    CFDT, FO et la CFTC. La FSM, deve-nue fantomatique, a tenu son der-nier congrès à Damas, en Syrie.

    Une cause perdue ?

    En 2010, à la fin du conflit sur la ré-forme des retraites, la fédérationCGT de la chimie avait bloqué plu-

    sieurs raffineries de pétrole. Nico-las Sarkozy avait alors réquisi-tionné les salariés en grève, lesmenaçant d’amendes et de peines

    de prison. La CGT avait portéplainte, en 2011, devant le comitéde la liberté syndicale de l’Organi-sation internationale du travailqui avait enjoint à la France de neplus recourir à de tels actes.

    Avec cette tentative de lancer desgrèves reconductibles, la CGT joue

    gros, et utilise ses dernières car-touches. Pour que celles-ci puis-sent être éventuellement effica-ces, cela suppose deux conditions.

    La première est qu’elles bloquentune activité (transports, dépôts decarburant). Une grève minoritairedans une entreprise n’aura aucuneffet. La seconde est qu’elles s’ins-crivent dans la durée, ce qui sup-pose de tenir jusqu’au 13 juin, dateà laquelle la loi El Khomri doit être

    débattue au Sénat.M. Martinez, qui a toujours

    écarté l’idée d’une grève générale,est conscient de la difficulté à mo-biliser. « Le processus de renforce-ment de la mobilisation est entrain de se mettre en œuvre , obser-vait-il dans L’Humanit é , le 12 mai. Ce sont des décisions difficiles à prendre, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton. »  Mais, voulaitcroire le secrétaire général de laCGT, « les salariés semblent déci-dés à s’engager dans un  mouve-ment plus dur  ». Le pari est redou-table. Dans une centrale qui nesyndique, d’après ses propreschiffres, que 2,62 % des salariés,quelle proportion sera prête à su-bir des baisses de salaire pour unecause qui paraît déjà perdue,comme en 2010 sur la réforme des

    retraites ?p

    michel noblecourt

    Une quarantaine de personnes ont été interdites de manifesterRendues possibles par l’état d’urgence, les interdictions préfectorales visent des manifestants considérés comme des « casseurs »

    suite de la première page

    Cette fois, les « casseurs »  sontdans le collimateur, alors que leclimat social ne cesse de se tendre.Samedi 14 mai, à Nantes, un jeunede 18 ans a été mis en examenpour « tentative d’homicide »après le passage à tabac d’un com-mandant de police, le 3 mai. Lemême jour, la préfecture d’Ille-et-

    Vilaine a interdit une manifesta-tion contre les violences policiè-res à Rennes. En déplacementdans la ville, le lendemain, le mi-nistre de l’intérieur, Bernard Ca-zeneuve, a déclaré : « Si le droit demanifester est sacré, il n’y a pas dedroit de casser . »

    Jusqu’à la fin de l’état d’urgence

    Pendant ce temps-là, les préfectu-res de Paris et de Loire-Atlantiquedistribuaient des interdictions deséjour comme autant de mesurespréventives. Dans ses arrêtés, lepréfet de police de Paris déve-loppe invariablement le même

    raisonnement selon lequel l’indi-vidu visé a été « remarqué, à denombreuses reprises », lors de ma-nifestations ayant dégénéré, qu’ilprévoit donc de « participer à desactions violentes » et qu’il y a lieu« d’interdire sa présence ».

    A Nantes, les arrêtés pris à l’en-contre de huit personnes ne se li-mitent pas à la journée de mobili-sation du 17 mai mais demeurent

    valides jusqu’à la fin de l’état d’ur-gence. La préfecture de Loire-At-lantique explique en outre avoirciblé les personnes« qui ont été in-terpellées à l’occasion de manifes-tations, soit dans le cadre revendi-catif actuel, soit dans des manifes-tations ces deux dernières années,où il y a eu des débordements ».

    Ce durcissement intervientalors que, mercredi 18 mai, lessyndicats de police appellent àdes rassemblements en Francepour dénoncer les « violences an-ti-flic ». Depuis plusieurs semai-nes, ils regrettent le manque defermeté des autorités civiles dans

    les dispositifs de maintien de l’or-dre. La tentation était forte de leurdonner le change. « On est tout à fait favorables à ce genre de mesu-res, réagissait ainsi Johann Caval-lero, du syndicat CRS Alliance.C’est ce qui se fait pour les hooli- gans. » Même satisfecit du porte-parole d’Unité SGP Police FO :« Tant qu’à avoir l’état d’urgence,autant que ça serve », confie Nico-las Comte. Avant de reconnaîtreque ces mesures sont un pis-aller :

    « Si les individus avaient été con- fondus de quelque chose, ils se-raien