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DIMANCHE 26 - LUNDI 27 AVRIL 2020 76 E ANNÉE– N O 23420 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA Covid : risques et espoirs du traçage téléphonique Les modalités de l’appli- cation StopCovid de suivi sanitaire des Français par smartphone doivent être examinées, mardi 28 avril, par l’Assemblée nationale Selon un collectif de mé- decins, l’outil est un atout indispensable pour casser les chaînes de transmis- sion du virus et éviter un nouveau confinement Les experts du numéri- que voient, eux, dans ce « projet désastreux piloté par des apprentis sor- ciers », une sorte de brace- let électronique volontaire D’autres s’inquiètent de la pérennisation du sys- tème, et de son efficacité : il faudrait que 60 % des ci- toyens soient consentants pour qu’il soit efficace « Le Monde » ouvre le débat avec quatre pages de contributions, sur l’équilibre entre la sécurité sanitaire et les libertés IDÉES – PAGES 28 À 31 AMAZON ENQUÊTE SUR JEFF BEZOS Au Club de l’économie Milestone, à Washington, le 13 septembre 2018. GRIPAS/ABACAPRESS Le confinement des écono- mies a placé l’entreprise de vente en ligne au premier plan Avec 145 milliards de dollars, son fondateur est l’homme le plus riche du monde Il a un temps refusé de payer les congés maladie de ses salariés ayant les symptômes du Covid-19 PAGES 10-11 Créées il y a dix ans, les ARS sont en première ligne de l’organisation sanitaire et sont dotées d’un champ de compéten- ces très vaste. Ce qui agace fortement les hospitaliers ou les parlementaires PAGE 2 Epidémie Pluie de critiques sur les agences régionales de santé Les chercheurs chinois se sont eux-mêmes demandé si le virus n’avait pas pu s’échapper d’un de leurs centres de recherche. Le fameux laboratoire P4 a, certes, été conçu avec les Français, mais ils n’y ont plus accès depuis HORIZONS – PAGES 16-17 Virologie Dans la jungle des laboratoires de Wuhan LES LEÇONS DE LA PÉNURIE DE TESTS PAGE 32 1 ÉDITORIAL Justice Les violences conjugales et le confinement l’essentiel des gardes à vue est, depuis le début du confine- ment, consacré aux violences in- trafamiliales. La distribution des téléphones « grave danger » a franchi la barre du millier en avril, mais la justice tourne au ra- lenti, et l’éventail des réponses pénales s’est réduit. Les obligations de soins sont renvoyées à l’après-11 mai, les sta- ges de responsabilisation ne sont plus possibles, alors que le minis- tère de l’intérieur a noté une hausse de 48 % des interventions à domicile, du 16 mars au 12 avril, par rapport à la même période de l’année dernière. PAGES 6-7 ALLEMAGNE AUX RACINES DE LA VIOLENCE D’EXTRÊME DROITE après les attaques meurtrières de février contre deux bars à chi- cha d’Hanau, près de Francfort, l’Allemagne prend désormais conscience de la menace terro- riste d’extrême droite. Le phénomène n’est pas propre à l’ex-RDA, où l’économie est à la traîne et la démocratie encore jeune. Les radicaux de l’ultra- droite sont en réalité plus nom- breux dans le sud que dans le nord du pays, et les autorités sont accusées de sous-estimer le dan- ger. De son côté, l’AfD contribue très officiellement à banaliser la rhétorique xénophobe. PAGES 18 À 21 Des militants d’extrême droite brandissent l’ancien drapeau impérial, à Hanovre, le 23 novembre 2019. D. SPEIER/NURPHOTO VIA AFP Islam Un ramadan terne et confiné, du Sénégal à l’Indonésie PAGE 3 Brésil La démission du juge Sergio Moro fragilise le pouvoir PAGE 15 Presse Presstalis tente désormais d’éviter la liquidation PAGE 12 Vie quotidienne Les coiffeurs reprendront leurs ciseaux à partir du 11 mai PAGE 12 La France et les Pays-Bas vont débloquer jusqu’à 11 milliards d’euros pour sauver la compagnie, si Bruxelles donne son feu vert. L’hypothèse d’une nationalisation a été pour l’heure écartée PAGE 14 Transports Air France-KLM sera renfloué par les Etats Avec la crise sanitaire, les services publics sont devenus la priorité, et le volontarisme de l’Etat re- devient audible à gauche PAGE 9 Politique La gauche renoue avec l’Etat-providence LE PETIT BONHEUR DE SORTIR LES POUBELLES PAGES 26-27 4 5 LUDOVIC MARIN, GONZALO FUENTES, JOHN THYS/AFP Cahier numéro un de l’édition n° 2894 du 23 au 29 avril 2020 19 11 MAI 12 18 Les coulisses, les enjeux P. 20 CESCROYANTSQUI NIENTLEVIRUS JEANTIROLE P. 34 LESDANGERSDELA SURVEILLANCENUMÉRIQUE RELIGION O PÉRATION DÉCONFINEMENT P. 55 AFR. CFA 3800 F CFA, ALG. 410 DA, ALL. 5,90 €, AND. 5,50 €, AUT. 5,90 €, BELG. 5,30 €, CAN. 8,35 $CAN, DOM 5,30 €, ESP. 5,50 €, GB 4,90 £, GRÈCE 5,50 €, ITA. 5,50 €, LUX. 5,50 €, LIB. 9500 LBP, MAR. 45 DH, PAYS-BAS 5,60 €, PORT. CONT. 5,50 €, SUI. 7,20 CHF, TOM 950 XPF, TUNISIE 6,00 DT 3’:HIKMMC=]UY^UX:?m@i@t@e@a"; M 02228 - 2894 - F: 4,90 E EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Le Monde - 26 04 2020

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Page 1: Le Monde - 26 04 2020

DIMANCHE 26 - LUNDI 27 AVRIL 202076E ANNÉE– NO 23420

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

Covid : risques et espoirs du traçage téléphonique▶ Les modalités de l’appli­cation StopCovid de suivisanitaire des Français parsmartphone doivent êtreexaminées, mardi 28 avril,par l’Assemblée nationale

▶ Selon un collectif de mé­decins, l’outil est un atoutindispensable pour casserles chaînes de transmis­sion du virus et éviterun nouveau confinement

▶ Les experts du numéri­que voient, eux, dans ce« projet désastreux pilotépar des apprentis sor­ciers », une sorte de brace­let électronique volontaire

▶ D’autres s’inquiètent dela pérennisation du sys­tème, et de son efficacité :il faudrait que 60 % des ci­toyens soient consentantspour qu’il soit efficace

▶ « Le Monde » ouvre ledébat avec quatre pagesde contributions, surl’équilibre entre la sécuritésanitaire et les libertésIDÉES – PAGES 28 À 31

AMAZON ENQUÊTE SURJEFF BEZOS

Au Club de l’économie Milestone, à Washington, le 13 septembre 2018.GRIPAS/ABACAPRESS

▶ Le confinement des écono­mies a placé l’entreprise devente en ligne au premier plan▶ Avec 145 milliards de dollars,son fondateur est l’hommele plus riche du monde▶ Il a un temps refusé de payerles congés maladie de sessalariés ayant les symptômesdu Covid­19PAGES 10-11

Créées il y a dix ans, les ARS sont en première ligne de l’organisation sanitaire et sont dotées d’un champ de compéten­ces très vaste. Ce qui agace fortement les hospitaliers ou les parlementairesPAGE 2

EpidémiePluie de critiques sur les agences régionales de santé

Les chercheurs chinois se sont eux­mêmes demandési le virus n’avait pas pu s’échapper d’un de leurs centres de recherche. Le fameux laboratoire P4 a, certes, été conçu avec les Français, mais ils n’y ont plus accès depuisHORIZONS – PAGES 16-17

VirologieDans la jungle des laboratoiresde Wuhan

LES LEÇONS DE LA PÉNURIE 

DE TESTSPAGE 32

1É D I T O R I A L

JusticeLes violences conjugales etle confinementl’essentiel des gardes à vue est, depuis le début du confine­ment, consacré aux violences in­trafamiliales. La distribution des téléphones « grave danger » a franchi la barre du millier enavril, mais la justice tourne au ra­lenti, et l’éventail des réponsespénales s’est réduit.

Les obligations de soins sontrenvoyées à l’après­11 mai, les sta­ges de responsabilisation ne sont plus possibles, alors que le minis­tère de l’intérieur a noté unehausse de 48 % des interventions à domicile, du 16 mars au 12 avril, par rapport à la même période del’année dernière.

PAGES 6-7

ALLEMAGNE AUX RACINES DELA VIOLENCE D’EXTRÊME DROITE

après les attaques meurtrièresde février contre deux bars à chi­cha d’Hanau, près de Francfort,l’Allemagne prend désormaisconscience de la menace terro­riste d’extrême droite.

Le phénomène n’est pas propreà l’ex­RDA, où l’économie est à la traîne et la démocratie encore

jeune. Les radicaux de l’ultra­droite sont en réalité plus nom­breux dans le sud que dans le nord du pays, et les autorités sontaccusées de sous­estimer le dan­ger. De son côté, l’AfD contribuetrès officiellement à banaliser la rhétorique xénophobe.

PAGES 18 À 21

Des militants d’extrême droite brandissent l’ancien drapeau impérial, à Hanovre, le 23 novembre 2019. D. SPEIER/NURPHOTO VIA AFP

IslamUn ramadanterne et confiné,du Sénégalà l’IndonésiePAGE 3

BrésilLa démission du juge Sergio Morofragilise le pouvoirPAGE 15

PressePresstalis tente désormais d’éviter la liquidationPAGE 12

Vie quotidienneLes coiffeurs reprendrontleurs ciseauxà partir du 11 maiPAGE 12

La France et les Pays­Bas vont débloquer jusqu’à 11 milliards d’euros pour sauver la compagnie, si Bruxelles donne son feu vert. L’hypothèse d’une nationalisation a étépour l’heure écartéePAGE 14

TransportsAir France­KLM sera renflouépar les Etats

Avec la crise sanitaire,les services publics sont devenus la priorité, et le volontarisme de l’Etat re­devient audible à gauchePAGE 9

PolitiqueLa gaucherenoue avecl’Etat­providence

LE PETIT BONHEUR DE SORTIR LES POUBELLESPAGES 26-27

4 5

LUDOVICMARIN,GONZALOFUENTES,JOHNTHYS/AFP

Cahier numéro un de l’édition n° 2894 du 23 au 29 avril 2020

19

11 MAI 12

18Les coulisses, les enjeux

P. 20

1918Les coulisses, les enjeux

P. 20

CESCROYANTSQUINIENTLEVIRUS JEANTIROLEP. 34

LESDANGERSDELASURVEILLANCENUMÉRIQUERELIGION

OPÉRATIONDÉCONFINEMENT11Les coulisses, les enjeux

18Les coulisses, les enjeuxLes coulisses, les enjeuxLes coulisses, les enjeux

P. 20

DÉCONFINEMENT

P. 55

AFR. CFA 3800 F CFA, ALG. 410 DA, ALL. 5,90 €, AND. 5,50 €, AUT. 5,90 €, BELG. 5,30 €, CAN. 8,35 $CAN, DOM 5,30 €, ESP. 5,50 €, GB 4,90 £, GRÈCE 5,50 €, ITA. 5,50 €, LUX. 5,50 €, LIB. 9500 LBP, MAR. 45 DH, PAYS-BAS 5,60 €, PORT. CONT. 5,50 €, SUI. 7,20 CHF, TOM 950 XPF, TUNISIE 6,00 DT

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Page 2: Le Monde - 26 04 2020

2 | CORONAVIRUS DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

Les ARS, bouc émissaire de la crise sanitaireEn première ligne dans la gestion de l’épidémie, les agences régionales de santé font face à diverses critiques

P énurie de masques,médecins généralistessans boussole, Ehpad endéshérence, difficultés

dans le lancement des tests… Le coupable de tous les maux de la crise du Covid­19, pour les élus comme pour les soignants, est souvent tout désigné : les ARS. Il ya quelques semaines, ces trois let­tres familières des professionnelsdu secteur l’étaient encore peu dugrand public. Créées voilà dix ans,les Agences régionales de santésont en première ligne de l’orga­nisation sanitaire. Pour le meilleur, parfois. Pour le pire, aussi, si l’on en croit les critiquesqui fleurissent.

« L’ARS est débordée, ça ne suitpas », cingle ainsi le maire (LR) de Reims, Arnaud Robinet. « L’ARSforme une élite qui ne rend decomptes à personne et qui prend des décisions technocratiques, loindes besoins concrets des territoi­res », raille Syamak Agha Babaei,médecin urgentiste à Strasbourg et élu écologiste. La charge est lourde, répétée, polyphonique, trouvant des artilleurs dans tousles partis, jusque dans la majorité.« Les ARS ont trop de pouvoir et ne sont pas soumises au contrôle par­lementaire », ajoute Sacha Houlié, député (LRM) de la Vienne.

Boulets de la crise pour leurscontempteurs, les ARS sont plutôtun bouc émissaire, estiment d’autres voix. L’ancienne minis­tre de la santé Marisol Touraine (PS) joue les avocats de la défense.« Je suis frappée par cet “ARS bashing”. Je n’en comprends pas le sens ni les enjeux. Moi j’en ai unavis plutôt positif, même si on peuttoujours s’améliorer. Elles ont faitau mieux dans cette crise. Je ne saispas si elles étaient dimensionnées pour, mais rien ne l’était. Je trouve ces critiques excessives et injus­tes », juge­t­elle. « C’est facile de s’en prendre aux ARS. Elles font ce qu’on leur demande de faire. Les ARS, c’est l’Etat », constate quant à lui Thomas Mesnier, député LRM de Charente et urgentiste.

Tour de force logistiqueDe fait, à quoi servent ces agences,face au coronavirus ? A énormé­ment de choses. Trop, peut­être. « On doit décliner sur le terrain la gestion de la crise sanitaire. Noussommes un chef d’orchestre », dé­taille Pierre Pribile, le directeur gé­néral de l’ARS Bourgogne­Fran­che­Comté. Et d’énumérer l’éten­due de ses récentes missions : « Il afallu multiplier par deux les capaci­tés en réanimation des hôpitaux, faire la passerelle public­privé, as­surer un soutien opérationnel des Ehpad avec les conseils départe­mentaux, mobiliser la médecine de ville, les kinés, infirmiers libéraux, les équipes mobiles, veiller auxéquipements de protection, au sou­tien gériatrique… »

Cette longue liste n’est pas ex­haustive. Des ARS ont aussi orga­nisé les spectaculaires évacua­tions sanitaires qui ont permis d’envoyer, par train, autocar ouavion, des malades hors d’Ile­de­France ou du Grand­Est. Un vraitour de force logistique. « Les ARS viennent de montrer qu’elles sont capables ! Qu’il y ait eu des ratés iciou là, certainement, ça me paraît

inévitable. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain », de­mande Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé à l’origine de leur création en 2010. Elle déplore des critiques « récur­rentes », remises opportunément au goût du jour.

La naissance des ARS, en effet,ne s’est pas faite sans heurts,comme leur parcours depuis.Elles ont succédé, avec un champde compétences beaucoup plus vaste, aux Agences régionales del’hospitalisation (ARH). Ellessont chargées de mettre enœuvre la politique de santé pu­blique dans les régions, ont unrôle central de coordination ter­ritoriale mais aussi de « rationali­sation » de l’offre de soins. Autre­ment dit, elles jouent au quoti­dien le rôle du marteau et de l’en­clume. Elles fixent les objectifs,font appliquer des normes sévè­res, tout en tenant fermementles cordons de la bourse. Unequadrature du cercle, parfois.

Elles ont aussi été conçues pourreprendre le pouvoir aux « man­darins », chefs de service alorsomnipotents dans les hôpitaux. « Il y avait des rivalités, une gestionà améliorer. Mais le pouvoir est to­talement passé dans les mains des administratifs, avec les directeurs d’hôpitaux, et derrière eux les ARS.C’est allé trop loin. Aujourd’hui les chefs de service n’ont plus rien àdire », estime Philippe Chalu­meau, député LRM d’Indre­et­Loire et médecin. Il reconnaît à ces agences d’avoir amené « une culture qualité qui n’existait pas ».Au prix de nouvelles tâches par­fois mal acceptées, protocoles et autres tableaux à remplir.

Du côté des élus, comme à l’hô­pital, les tensions ne datent pas d’hier. Maires, présidents de dé­partement, de région, députés, se heurtent souvent à cette adminis­tration, qui applique sans état d’âme la ligne officielle. Ainsi, récemment, quand des collectivi­tés ont décidé d’acheter des mas­ques, elles ont été rappelées à l’ordre par les gendarmes régio­naux de la santé : priorité aux soignants, comme le veut ladoctrine du gouvernement.

Cette logique a été poussée àson paroxysme sur le tarmac del’aéroport de Mulhouse, où unecargaison destinée à la régionBourgogne­Franche­Comté a étéréquisitionnée le 5 avril, sur or­dre du préfet, créant un petit scandale. « Pour les masques, les ARS suivent logiquement la lignedu gouvernement… et il est logi­que que les élus s’en agacent. Quand j’étais ministre, je répétaisaux ARS “vous avez la responsabi­lité du dialogue avec les élus”, cen’est pas toujours dans leur culture, contrairement à celle despréfets, qui l’ont appris », raconte Marisol Touraine.

A l’époque, entre 2012 et 2017,des élus lui faisaient déjà remon­ter des piles de doléances. Deux ans plus tard, c’est Agnès Buzyn qui a pu mesurer le mécon­tentement. Lors de la crise des « gi­lets jaunes », des maires, des dépu­tés, des sénateurs sont remontés àla charge contre ces administra­tions jugées trop verticales, inhu­maines. Dans leur viseur, les fer­metures de services, urgences ou maternités, qui mobilisent les ha­bitants contre l’Etat… et contre desélus de la majorité, qui jouent surde tels dossiers leur réélection.

Ancrage local insuffisantEmmanuel Macron lui­mêmesemble avoir entendu le message.En 2019, le chef de l’Etat s’estopposé deux fois à des décisions de fermeture de maternités déci­dées par des ARS, à Guingamp (Côtes­d’Armor) et à Creil (Oise).

L’Elysée vient aussi de limogerle 8 avril, sans sourciller, le patronde l’agence du Grand­Est, Christo­phe Lannelongue, dans l’une des régions les plus touchées par le Covid­19. Ce haut­fonctionnaire apoussé la logique administrative jusqu’à la faute politique : alors que les blouses blanches étaient en première ligne face au coronavirus, il a assuré que larestructuration du CHRU deNancy allait se poursuivre… Cetancien conseiller de MarisolTouraine n’a pas pesé lourd face au courroux des soignants.

Au­delà des jeux de rôles classi­ques entre élus, médecins et Etat,

des problèmes très concrets sontvenus ajouter ces dernières se­maines aux ressentiments. « A un moment, il n’y avait plus de gelhydroalcoolique. On s’est tourné vers l’ARS. Ils nous ont dit “pas deproblème, on en a plein”. Ils enavaient plein, mais on n’en avaitpas, raconte ainsi DelphineBagarry, députée (ex­LRM) desAlpes­de­Haute­Provence etmédecin. Ils sont sympas, c’estune institution nécessaire… maiselle est inopérante. »

Autre souci, d’une ARS à l’autreles réponses peuvent différer surune même question. Lorsque desmédecins libéraux ont décidé decréer des centres de détectiondes malades du Covid­19, horshôpitaux, ces initiatives ont été accompagnées… ou non. « Certai­nes ARS considèrent qu’il n’y a pas lieu d’aider les professionnels de santé libéraux. A part en Ile­de­France, en Bretagne et en Auver­gne Rhône Alpes, il n’y a paseu d’aides pour ceux qui ont mis en place des centres de dépis­tage », explique Jacques Battis­toni, président de MG France,le premier syndicat chez les mé­decins généralistes.

« Les ARS sont restées hospitalo­centrées », appuie le député LRMPhilippe Chalumeau. Dans lesEhpad, des résidents sont morts étouffés, sans accompagnementmédical, faute de moyens ou desavoir­faire. Et les ARS n’ont, parfois, pas entendu les crisd’alarme des familles. « Dansl’Ehpad où je travaille, à Tours, ona voulu créer une structure Covid,pour les onze malades. Cela re­vient à créer un petit hôpital. On ademandé à l’ARS comment faire. Ils nous ont dit de voir avec le ser­vice de gériatrie de l’hôpital, quin’en avait pas les moyens. On adonc fait seuls. Les ARS n’ont pasla culture du médico­social », poursuit M. Chalumeau.

La gestion de la crise dans lesEhpad souligne aussi une autre faiblesse des ARS : un ancrage lo­cal insuffisant, une entente aléa­toire avec les conseils départe­mentaux. Lorsque le politique et l’administratif ne s’accordentpas, l’orchestre joue faux. « Si les

directeurs régionaux tiennent la route face aux préfets de région, cesont des profils plus divers au ni­veau départemental. C’est problé­matique, car la réponse aux élus sefait beaucoup à cette échelle », pointe Marisol Touraine.

Rivalité au quotidienEn matière d’organisation, les ARS ont également souffert de la réforme territoriale de 2015 de François Hollande. L’Etat a réduit le nombre de régions, imposé unerestructuration paralysante. Lessalaires, par exemple, n’étaient pas partout les mêmes. Pas facile, dès lors, de fusionner les agences.Le chantier a consommé beau­coup d’énergie. « Sur une organi­sation encore juvénile, cette ré­forme inutile a eu un effet délé­tère », estime Roselyne Bachelot.

Faut­il désormais, pour plusd’efficacité, une redistribution des rôles pour gérer les risquessanitaires ? Certains poussentdans cette direction. « La préfec­ture doit reprendre la main, en fai­sant le lien entre les ARS, les dépar­tements et les intercommunali­tés », propose Philippe Chalu­meau. Une piste qui ne plaît guère à Marisol Touraine, qui yvoit le retour de vieilles lunes. « L’idée des ARS, c’est de coordon­ner, de rassembler les politiques desanté à l’hôpital, en ville, dans lemédico­social. Cette politique spé­cifique ne peut pas être portée par les préfets. Les préfectures n’ont enpratique pas le temps de s’occuperdes politiques médico­sociales. Il ya une frustration des préfets et du ministère de l’intérieur, qui cher­chent à pousser leurs pions », considère l’ancienne ministre.

Les ARS ont évacué des patients hors d’Ile­de­France ou du Grand­Est en TGV, comme ici le 14 avril à la gare d’Austerlitz, à Paris. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »

« C’est une institution

nécessaire… mais elle est inopérante »DELPHINE BAGARRY,

députée (ex-LRM) des Alpes-de-Haute-Provence

et médecin

Cette rivalité, entre représen­tants de l’Etat, date du premierjour. Et elle se vit au quotidien. « Lors de l’inauguration d’unemaison de santé, vous avez deux discours, celui du directeurde l’ARS et celui du préfet, qui nedisent pas forcément la mêmechose. Qui parle en dernier ? Qui est le chef ? », demande le députéThomas Mesnier.

La crise du coronavirus a faitbouger beaucoup de lignes, mon­trant les forces, soulignant lesfailles. « Avec cette crise, l’hôpitalrevient à sa vocation première, qui est de soigner des patients. Lesfinances et les exigences budgé­taires sont souvent loin du médical. Lorsqu’on est sur le soin, ça râle moins… », observeBernard Dupont, directeur géné­ral du CHRU de Nancy.

En filigrane, la question­cléreste donc posée : celle des moyens. Des budgets ont été dé­bloqués pour contrer le Covid­19.Et après ? Les ARS se sont abîmées,aux yeux des soignants, à incar­ner de longues années de politi­que d’austérité dans les hôpitaux,dont elles ont été les exécutriceszélées. « Les ARS ont un défaut deconception. On a construit un grosmachin avec pour objectif de réduire les dépenses de santé, de rationaliser, c’est un outil conçupour faire fermer des lits, pas pour gérer des crises », estime ainsi UgoBernalicis, député (La Franceinsoumise) du Nord.

La question des moyens nes’arrête pas aux hôpitaux. Pour Roselyne Bachelot, un péché origi­nel explique en partie les difficul­tés des ARS lors de la gestion de la crise sanitaire dans les Ehpad : « Dans leur feuille de route, il yavait au départ d’affronter la pro­blématique du grand âge. Mais j’ai échoué à obtenir la réforme de laprise en charge de la dépendance.J’ai perdu l’arbitrage. Et tout le monde s’est retrouvé les bras bal­lants. » La réforme enterrée parNicolas Sarkozy, qui l’avait pour­tant érigée en priorité, est tou­jours un projet dix ans plus tard.

rémi dupré, pierre jaxel­truer,et samuel laurent

« Qu’il y ait eu des ratés ici ou là,

certainement, ça me paraît

inévitable. Maisne jetons pas le bébé avec

l’eau du bain »ROSELYNE BACHELOT

ancienne ministre de la santé

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Page 3: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 3

les médecins du pakistan craignent lepire : les autorités de ce pays musulman de220 millions d’habitants ont autorisé l’ouverture des mosquées pour les prières collectives durant le ramadan. Le prési­dent Arif Alvi a annoncé cette décision, sa­medi 18 avril, à l’issue d’une rencontre avec les chefs religieux qui faisaient pres­sion pour obtenir que les mosquées soientexemptées de toute mesure de confine­ment. Le premier ministre, Imran Khan, l’ajustifiée en expliquant qu’on ne peut « em­pêcher par la force les gens d’aller à la mos­quée ». « Je connais ma nation. Le ramadan est un mois de culte », a­t­il dit. Cette pé­riode est aussi pour les religieux un mo­ment privilégié de collecte d’argent.

Les fidèles pourront prier chaque soir en­semble et célébrer la rupture du jeûne. Des règles de bonne conduite ont été édictées par les autorités, comme respecter 2 mètresde distance, apporter son tapis de prière,désinfecter le sol des mosquées, ne pas dis­cuter, ne pas se serrer la main, faire ses ablutions à la maison. Les personnes âgées et les malades devront rester chez eux.

« Le gouvernement a pris une très mau­vaise décision », s’est emporté Qaiser Sajjad, secrétaire général de l’Association médicale du Pakistan, au cours d’une conférence de presse à Karachi, pourfendant l’attitude desoulémas « qui jouent avec des vies humai­nes ». L’association a écrit au gouverne­ment pour lui demander de limiter l’accès des mosquées à cinq personnes maximum.Selon les praticiens, les hôpitaux désignés pour traiter l’épidémie sont déjà presque à saturation, alors que le pic n’est pas atteint. Officiellement, 11 700 cas et 250 morts étaient recensés au samedi 25 avril, princi­palement dans le Pendjab et dans le Sindh.

Système en déshérenceLe système de santé du pays est en déshé­rence. Le personnel hospitalier, qui ne dis­pose pas d’équipements de base, masques ou gants, a déjà payé un lourd tribut : 253 soignants ont été contaminés, dont 124 médecins. « Comment l’administration va­t­elle faire appliquer les règles de bonne conduite ? C’est impossible », a rappelé le docteur Saad Niazi.

Ces derniers jours, l’accès aux mosquéesavait été restreint dans plusieurs régions, mais les fidèles ont continué de prier dans la rue, serrés les uns contre les autres. La police est intervenue, donnant lieu à des heurts entre fidèles et forces de l’ordre.

Depuis le début de la crise sanitaire, lepremier ministre tente de ménager uneéconomie déjà à genou et défend le prin­cipe « d’un confinement intelligent », c’est­à­dire souple. Mais certaines provinces ont ordonné des mesures plus strictes,avec fermetures des écoles, des lieux deculte, des entreprises, des commerces. Après l’appel des médecins, la province du Sindh, dont la capitale est Karachi, dans le sud du pays, et dirigée par l’opposition, ainterdit les prières collectives du ramadan.

Bilawal Bhutto Zardari, le fils de l’an­cienne première ministre assassinée en 2007 et l’un des principaux opposantsde Khan, estime que le pays, ignorant la science, « se dirige en somnambule vers un désastre ».

sophie landrin (new delhi, correspondante)

Contre l’avis des médecins, mosquées ouvertes au Pakistan

Du Sénégal à l’Indonésie, les restrictions changent la nature de ce mois sacré habituellement festif

beyrouth, istanbul, dakar,bangkok ­ correspondants

L e premier jour de jeûnedu ramadan s’est achevédans une grande partiedu monde musulman,

vendredi 24 avril, alors que, del’Afrique de l’Ouest à l’Indonésie, ilsubit les conséquences de l’épidé­mie de Covid­19. Les restrictions liées au confinement ont changé la nature de cette fête sacrée par­tout où elle est célébrée. Dès larupture du jeûne, au coucher du soleil, elle est en effet l’occasion, chez les musulmans, de grandes réunions familiales, de longues sorties nocturnes dans des rues etdes cafés bondés ou de copieux achats. Cette année, les sociétésmusulmanes entament un rama­dan plus terne et plus solitaire,privé de sa dimension sociale, tandis que les conséquences éco­nomiques de la crise suscitent les inquiétudes.

Au Sénégal, où la crise est venuese greffer à l’état d’urgence sani­taire, c’est l’inquiétude qui do­mine. Mama Sidibe recouvre sonpetit stand de légumes d’un drapblanc à 16 heures la veille du ra­madan, qui commence ce samedi 25 avril dans le pays. La journée aété maigre dans ce marché popu­laire de Dakar. « C’est dur, je n’ai pas beaucoup de clients et le mar­ché ferme quatre heures plus tôtque d’habitude à cause du corona­virus », se plaint la mère de cinq enfants qui appréhende avec in­quiétude le mois béni, habituelle­ment de forte consommation. « D’habitude, les Baye Fall, liés à la confrérie mouride, nous donnent un café et à manger pour nous ré­chauffer le corps au moment de la rupture du jeûne », se rappelle­t­

elle déjà avec nostalgie, masque blanc en tissu devant la bouche.

Le mois de jeûne est chamboulédans ce pays de 16 millions d’ha­bitants, à 95 % musulmans, où 545 cas de Covid­19 ont été décla­rés, dont sept décédés. Dès le23 mars, le chef de l’Etat sénéga­lais avait déclaré l’état d’urgence, ainsi qu’un couvre­feu de20 heures à 6 heures du matin.Les rassemblements et prièrescollectives sont maintenant in­terdits, les mosquées sont fer­mées et le port du masque est de­venu obligatoire.

Des mesures en partie remisesen question par certaines asso­ciations, comme la Ligue des imams et prédicateurs du Séné­gal. « Nous avons demandé uneréduction du temps de couvre­feuet l’ouverture restreinte et en toutesécurité des mosquées », expliqueIsmaila Ndiaye, membre du bu­reau de cette association, qui rap­pelle tout de même que « respec­ter les mesures médicales et la dis­tanciation sociale, c’est aussi une obligation religieuse car il faut éviter de porter atteinte à sa vie ouà la vie d’autrui ».

« Adapter nos rituels »Ce mois de spiritualité sera « gâ­ché » par le coronavirus, selonOmar Bâ, 23 ans. « Il n’y a pas le même engouement ni la même ambiance », regrette­t­il, en pen­sant aux ndiogou dans les rues,ces distributions de nourriture au moment de la rupture dujeûne qui ne pourront pas être or­ganisées. « Les nâfila, prières col­lectives nocturnes, vont me man­quer. Je ne les ai jamais ratées dema vie », se désole le jeune homme, qui va prier seul, chezlui. Il ne pourra même pas se déplacer pour rompre le jeûneavec sa famille.

En Egypte, les grandes tables ha­bituellement installées dans les rues pour offrir des repas d’iftar (de rupture du jeûne) aux plus né­cessiteux lors du ramadan ne se­ront pas non plus sorties.

L’Iran, premier foyer régional del’épidémie de Covid­19, où le jeûne ne commençait que sa­

medi, pourrait annuler les ras­semblements publics. Alors quecertains représentants des autori­tés religieuses s’étaient opposés dans les premières semaines de lacrise sanitaire à la fermeture des sanctuaires, le Guide de la révolu­tion, l’ayatollah Ali Khamenei,avait appuyé la mise en œuvre de mesures restrictives qui vien­draient troubler l’agenda reli­gieux, hautement politisé, de la République islamique.

En Turquie, l’entrée dans lemois de ramadan a commencé par un couvre­feu de quatre jours,décrété dans trente et une des provinces du pays dont Istanbul et Ankara. Le pays a dépassé jeudi la barre des 100 000 cas déclarés de coronavirus avec 2 491 décès, selon le bilan officiel annoncé jeudi soir par le ministère de lasanté. Le couvre­feu obligatoire prendra fin lundi, mais les restric­tions à la circulation vont se pro­longer pendant tout le mois.

L’innombrable flotte d’autobusqui assure d’ordinaire les liaisons entre toutes les provinces du paysne roule plus, au grand désespoir des habitants des grandes villes, toujours partants pour aller pas­ser quelques jours « au village » avec la parentèle, surtout au mo­ment de l’Aïd­el­Fitr, la fête qui marque la fin du mois de jeûne, le24 mai cette année. « Nous espé­rons le retour à une vie normale après la fête », a déclaré le prési­dent Recep Tayyip Erdogan.

Pour les Saoudiennes, le rama­dan au rabais imposé par l’épidé­mie, qui a causé la mort de 127 personnes dans le royaume, estpeut­être encore plus difficile à

vivre que pour les hommes. C’est en effet le rare moment de l’an­née où elles peuvent vivre leur foide manière collective, entre fem­mes, à l’intérieur de la section qui leur est réservée dans les mos­quées. Les autres mois de l’année, cet espace est très peu fréquenté, la plupart préférant prier à leurdomicile, du fait, entre autres rai­sons, du traditionalisme de leur société.

A Dubaï, iftar livré à domicile« Mais pendant le ramadan, c’estquasiment obligatoire d’aller à la mosquée, explique Sheikha, unefonctionnaire de 35 ans, jointe àRiyad. On se retrouve entre amieset voisines, c’est un moment departage très fort. Malheureuse­ment, cette année, ce ne sera paspossible. » Les édifices religieuxétant fermés au public, le ritueldes tarawih, ces prières collecti­ves, organisées chaque soirdurant le ramadan, ne pourra passe tenir. « Les imams vont seretrouver à prier tout seul,remarque Sheikha, c’est franche­ment triste. »

Dans les grandes villes, qui sontsoumises à un couvre­feu à partir de 15 heures, les fidèles doivent re­noncer aussi à toute la dimensionsociale de l’iftar. Le repas de rup­ture du jeûne est traditionnelle­ment l’occasion de réunions fa­miliales, de visites chez les amiset d’échanges de plats entre voi­sins. Autant de pratiques interdi­tes cette année. « On avait l’habi­tude de cuisiner pour les pauvres, poursuit Sheikha. Un peu avant l’iftar, une association de charité passait récupérer une de nos mar­

mites et l’amenait sous une tente dressée à côté de la mosquée. Cetteannée, même si je voulais distri­buer cette nourriture moi­même,je ne le pourrais pas. »

Les musulmans de Dubaï sontun peu plus chanceux. Le couvre­feu intégral, qui a pétrifié lacité­Etat des Emirats arabes unis jour et nuit pendant trois semai­nes, a été partiellement levé. Les autorités du pays, où l’on recense9 200 cas et 64 morts, ont édicté une longue liste de consignes,codifiant ce qu’il est possible ou non de faire. Les fidèles ont, parexemple, la permission d’aller rendre visite aux membres deleur famille, mais seulement aupremier et au deuxième degré, etles rassemblements doivent êtrelimités à cinq personnes. Lepartage de nourriture avec desvoisins est autorisé, à conditionque les plats soient transportésdans des conteneurs parfaite­ment clos.

Si les mosquées restent fer­mées, les centres commerciaux etles restaurants sont autorisés à rouvrir, mais à seulement 30 % deleur capacité. « Ce sera le ramadanle plus spécial des soixante rama­dans que j’ai vécus dans ma vie »,s’exclame Abdallah, un profes­seur d’université.

Pour ceux qui ne trouveraientpas de place dans un restaurant etqui n’ont pas envie de cuisiner, il reste la solution de l’iftar livré à domicile. Depuis le début du con­finement, même les tables les plus huppées de la principauté se sont converties à la commandepar Internet. Le repas de rupturedu jeûne est déposé sur le perron du domicile par un serveur à moto. Non seulement casqué, mais aussi masqué et ganté.

« Atmosphère lugubre »En Indonésie, le plus peuplé despays musulmans, le mudik, lagrande migration de dizaines demillions personnes employées dans les grands centres urbains,qui intervient traditionnelle­ment au moment du ramadan, aété interdit. Ce mouvementaurait pu contribuer à une spec­taculaire dissémination de l’épi­démie dans cet archipel aux6 000 îles habitées. Les deux plusgrandes organisations musul­

« On n’a vraimentpas l’impression

que le ramadan acommencé, je n’ai

jamais vu ça… »AZIZ

fonctionnaire à Djakarta

manes, la Nahdlatul Ulama et laMuhammadiyah, qui réuni­raient une centaine de millionsd’adhérents, ont promulgué unefatwa demandant aux fidèles dene pas se rendre en groupe dansles mosquées et de ne pas organi­ser de dîner d’iftar en dehors deleur foyer. Pour l’instant, le nom­bre de personnes infectées dansl’archipel reste limité, avec 8 200 cas et 689 morts pour 267 millions d’habitants. Mais l’absence de test de masse ne per­met pas de se faire une idée pré­cise de son ampleur.

« On n’a vraiment pas l’impres­sion que le ramadan a com­mencé, je n’ai jamais vu ça…,s’étonne Aziz, 45 ans, un fonc­tionnaire qui habite Kebun Jeruk,dans la partie ouest de Djakartaoù vit la classe moyenne modé­rée. Ici, tout le monde obéit aux recommandations gouverne­mentales de ne pas se rendre engroupe à la mosquée, on n’entendque le son de l’appel à la prière. »

Une parole du prophèteDans les régions plus conserva­trices, comme celle de Bogor, oùvivent les parents d’Aziz, les mos­quées restent toutefois ouvertes. Dian, 35 ans, également à Dja­karta, fait part du sentiment defrustration qui règne chez les croyants : « Pour les musulmanspratiquants, un ramadan comme ça, ce n’est pas vraiment un rama­dan… » A Padang, dans l’ouest deSumatra, un autre territoire très conservateur en matière reli­gieuse, Elza, 30 ans, professeure et très pieuse, regrette une « at­mosphère lugubre », des rupturesde jeûne isolées et sans joie quiaffectent en particulier les plusâgés : « Ce n’est pas facile passé 60 ans de ne pas pouvoir vivre pleinement ce moment… »

Les chefs religieux ont utiliséun hadith pour convaincre leurs ouailles de ne pas voyager : une parole du prophète recomman­dant de ne pas se rendre dans unendroit « où sévit une peste ». Enrevanche, les imams de la pro­vince d’Aceh, dans l’ouest dupays, qui jouit d’un statut parti­culier et où la charia est appli­quée, ont fait savoir qu’ils laisse­raient les fidèles aller prier dans les mosquées.

Pour cette année exception­nelle, l’Organisation mondiale de la santé a elle aussi clairementpréconisé « l’annulation des ras­semblements sociaux et reli­gieux », y compris « dans des lieux associés aux activités du rama­dan, tels que les lieux de divertisse­ment, les marchés et les maga­sins »

benjamin barthe,marie jégo, théa ollivier

et bruno philip

Rassemblement dans une mosquée de la province d’Aceh (Indoésie), durant le ramadan, le 23 avril. ZUMA/REA

« Il n’y a pas le même

engouement ni la même ambiance »

OMAR BÂmusulman du Sénégal

En temps de confinement, un ramadan sans joie

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Page 4: Le Monde - 26 04 2020

4 | coronavirus DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

Le défi du confinement dans les bidonvilles d’ArgentineLes autorités ont adapté les mesures de distanciation sociale à la réalité des quartiers populaires, où les services essentiels font défaut

buenos aires ­ correspondante

I l n’aura fallu que quelquessemaines pour bouleverserle quotidien de la paroisseSan Juan Bosco, située au

cœur du bidonville La Carcova. En cuisine, les bénévoles s’activent, équipés de masques et de gants : ils sont passés d’une moyenne de 250 repas distribués chaque jour aux familles du quartier à près de 2 000 depuis le début de l’épidé­mie due au Covid­19. « On doit toutrepenser, tout adapter », lâche le père José Maria Di Paola, à la tête de la paroisse.

Près de 80 000 personnes viventdans les quartiers populaires – dont fait partie La Carcova – de la municipalité de San Martin, à l’ouest de Buenos Aires. Le confine­ment, en vigueur depuis le 20 marsdans toute l’Argentine et jusqu’au 26 avril au moins, y est « compris etrespecté dans la mesure du possi­ble », selon le père Di Paola, qui fait partie du mouvement des « curas villeros », ces prêtres catholiques qui logent et travaillent dans les vil­las, les bidonvilles. « Mais pour les habitants, poursuit­il, il y a uneforte tension entre la nécessité de protéger leur santé et leurs besoins économiques. »

Dans un pays marqué par uneimportante pauvreté structurelle (35,5 % des Argentins vivent ac­tuellement sous le seuil de pau­vreté selon les chiffres officiels) etfrappé depuis deux ans par une grave crise économique, la pandé­mie due au coronavirus est une épreuve supplémentaire pour les quatre millions de personnes vi­vant dans des quartiers populaires

(bidonvilles ou terrains occupés) d’Argentine. Les mesures mises en place très tôt par le gouvernementargentin ont permis de contenir, pour l’heure, l’épidémie dans le pays – au 24 avril, l’Argentine (44 millions d’habitants) comptait 3 607 cas confirmés de Covid­19, dont 176 mortels. Mais plusieurs cas ont alerté sur les risques que présenterait une contagion mas­sive parmi les plus démunis.

Au début du mois d’avril, AndreaGomez, femme de ménage au Sé­nat et habitante de la villa 1­11­14, l’un des plus grands bidonvilles deBuenos Aires, est morte du Co­vid­19. Mardi 21 avril, un premier cas de coronavirus a été confirmé dans la villa 31, immense bidon­ville qui borde l’autoroute nord de la capitale. « Moins de 10 % des ha­bitants de ces quartiers ont accès aux services de base, comme l’eau courante ou un système d’évacua­tion des eaux usées, indique Felipe Bosch, géographe, analyste du Groupe d’études géopolitiques de l’Ecole normale supérieure. Dans un contexte de crise, il est quasi im­possible de suivre toutes les recom­mandations sanitaires. »

« Reste dans ton quartier »Conscientes des difficultés d’appli­quer un confinement strict dans ces conditions, les autorités et les acteurs locaux (Eglise, organisa­tions sociales, ONG) ont adapté leur stratégie de prévention face à l’épidémie à la réalité des quartierspopulaires. Après une rencontre avec les curas villeros, et sur leur conseil, le président péroniste Al­berto Fernandez, au pouvoir de­puis décembre 2019, a transformé sa consigne « Reste chez toi » en « Reste dans ton quartier ».

« Ce n’est pas la même chosed’être en confinement dans un appartement de deux ou trois piè­ces que de vivre à cinq personnesdans une même pièce, souligne Daniel Arroyo, ministre du déve­loppement social. Les habitants [des quartiers populaires] ont l’habitude de sortir sur le pas deleur porte, il y a nécessairement plus de mouvement dans ces quar­tiers. » Pour Felipe Bosch, « à la différence d’autres pays d’Améri­

que latine, comme le Brésil ou le Mexique, l’Etat argentin cherche depuis des années à dialoguer et à coordonner des actions avec desacteurs installés dans ces quar­tiers ». Une coopération qui se ré­vèle cruciale dans ce contexte de crise sanitaire.

Alors que plus d’un tiers des em­plois sont informels en Argentine, le confinement a entraîné une perte de revenus considérable pour ceux qui vivent de changas, petits boulots non déclarés (em­ployés domestiques, électriciens, plombiers, etc.) Habitant du bi­donville La Carcova, Miguel Fer­nandez, charpentier, indique « ne plus trouver du tout de travail de­puis le début de l’épidémie ». Ce père de quatre enfants va bénéfi­cier du revenu familial d’urgence, une prime de 10 000 pesos (140 euros) mise en place par le gouvernement afin de pallier la perte de revenus dans le secteur informel, qui a commencé à être distribué la semaine du 20 avril. « Nous avions calculé que 3,6 mil­lions de personnes en bénéficie­raient ; finalement nous allons la verser à près de 8 millions. Cela montre l’ampleur du travail infor­mel en Argentine », souligne le mi­nistre Daniel Arroyo.

Le gouvernement, qui a égale­ment versé des primes exception­nelles aux familles déjà bénéfi­ciaires d’allocations, encourage le développement de l’économiepopulaire et des « changas loca­les » (petits boulots locaux), à l’in­térieur des quartiers. Malgré tout,de nombreux habitants conti­nuent de sortir chercher du tra­vail ailleurs, comme en témoigne Rodrigo Hernandez, représentant

régional de l’organisation sociale Barrios de Pie (« quartiers de­bout ») à Mar del Plata.

Dans cette ville de 1 milliond’habitants, qui compte l’un desplus forts taux de chômage du pays, « les aides du gouvernement sont utiles, mais ne suffisent pas à couvrir tous les besoins. La ques­tion des courses se pose aussi. Cespersonnes cherchent à trouver lesproduits les moins chers possible, et vont parfois loin pour le faire », explique M. Hernandez, qui plaide pour la mise en place de marchés de produits frais à des prix contrôlés à proximité des quartiers populaires.

Isolement des personnes âgéesAutre stratégie­clé dans le cadredu confinement : l’isolement des personnes à risque. A La Carcova, les petites salles de classe de la pa­roisse San Juan Bosco – qui fonc­tionne aussi en temps normal comme collège­lycée pour adul­tes – ont été transformées en chambres temporaires. Quatre personnes âgées y dorment, iso­lées du reste du quartier. « On en attendait davantage, mais les familles pensent souvent que lespersonnes âgées seront mieux pro­tégées à la maison », déplore le père Di Paola.

Tandis que le discours officiel seveut rassurant – « Nous sommesen train d’aplanir la courbe de nou­veaux cas », affirme le ministreArroyo –, la préoccupation des ac­teurs sociaux reste forte. A la fois face à la dégradation attendue de la situation économique du pays– la récession pourrait être de − 6,5 % en 2020, selon la Commis­sion économique pour l’Améri­que latine et les Caraïbes, et la pauvreté pourrait atteindre 45 % de la population – et face à unepossible contagion massive dans les quartiers populaires, alors quele pays est entré dans l’automne austral et que le pic de l’épidémie est attendu à la mi­mai. « Nous avons un système de santé publi­que qui est toujours à la limite de ses capacités, s’inquiète le père Di Paola, cette épidémie va le mettrerudement à l’épreuve. »

aude villiers­moriamé

Erdogan utilise l’épidémie pour ses ambitions régionalesLe pouvoir islamo­conservateur, en déclin, ravive le mythe d’une Turquie conquérante

istanbul ­ correspondante

L e président turc, RecepTayyip Erdogan, en estconvaincu, la bataille du

Covid­19 se joue aussi sur le ter­rain géopolitique. Dans le nouvel ordre mondial censé émergeraprès la pandémie, la Turquie estappelée à jouer un rôle prépondé­rant. « Pour la première fois depuisla seconde guerre mondiale, nous assistons à une nouvelle restructu­ration du monde. La Turquie a l’op­portunité d’être au centre de ce processus », a­t­il déclaré dans unerécente adresse à la nation.

L’idée séduit les zélotes du Partide la justice et du développement (AKP, islamo­conservateur), au pouvoir depuis dix­huit ans. Les ministres ne parlent que de ça.Ibrahim Karagül, le chantre du gouvernement, rédacteur en chef du quotidien Yeni Safak, est, pour sa part, persuadé que le « miracle turc » est à portée de main.

Le pays, écrit­il dans un éditorialpublié le 21 avril, « s’y préparait de­puis des années ». Sous la houletted’Erdogan, rien n’est impossible : « L’Empire ottoman était une grande famille répartie sur troiscontinents. Pendant la première guerre mondiale, cette famille a été brisée, partagée, capturée, as­servie. (…) Erdogan l’a rassemblée, il a changé le cours de l’histoire. »

Touchée par l’épidémie de Co­vid­19, qui a fait 2 491 morts et 101 790 cas déclarés, la Turquie af­fiche plus que jamais son « pou­voir de séduction ». Il est urgent de redorer son blason, terni parses violations des droits de l’homme, sa perte de dynamisme économique, l’autoritarisme dé­bridé de son président.

Ces dernières semaines, du ma­tériel médical (masques, blouses jetables, kits de dépistage, médi­caments, respirateurs artificiels)a été livré à une trentaine de pays à travers le monde, dont l’Italie, l’Espagne et la Grande­Bretagne, et aussi Israël et l’Arménie, des Etats avec lesquels les relations sont d’ordinaire plutôt tendues. Tous les colis portent la mention « présidence », afin de souligner le rôle central joué par le numéro undans la mise en œuvre de cette « diplomatie humanitaire ».

Vendre du rêve à la populationLe pouvoir de coercition continuede s’exercer. Les envois de soldats et de matériel ont repris vers Idlib,dans le nord­ouest de la Syrie, oùl’armée turque a créé des dizainesde postes d’observation supplé­mentaires pour défendre les terri­toires qu’elle contrôle face à une éventuelle offensive du régime deDamas. En Libye, les drones turcs au service du gouvernement d’ac­cord national (GAN) poursuiventleurs frappes sur les forces du ma­réchal dissident Khalifa Haftar.

Nul ne sait mieux que le « GrandTurc » vendre du rêve à sa popula­tion. « Si notre président nous di­sait qu’il s’apprête à construire uneautoroute à quatre voies vers laLune, nous le croirions », résumait,le 31 mai 2018, Berat Albayrak, legendre du président, nommé de­puis ministre du Trésor et de l’économie. Raviver le mythe d’une Turquie conquérante est la

bouée de sauvetage du pouvoir is­lamo­conservateur, en déclin, comme l’a prouvé son échec aux municipales du printemps 2019. Cet exercice de rhétorique est d’autant plus nécessaire qu’unchoc économique s’annonce.

« Si la gestion de la crise sanitaireest bonne, la politique monétaireest catastrophique », estime l’éco­nomiste Ahmet Insel. Depuis le début de la pandémie, la Banquecentrale turque (BCT), qui a abaissé mercredi 22 avril son tauxdirecteur pour la huitième fois enmoins d’un an, épuise ses réser­ves de change pour soutenir la li­vre, la monnaie locale, qui a perdu15 % de sa valeur par rapport audollar depuis le début de l’année. Orienté à la baisse, le marché fi­nancier risque de contraindre l’institution monétaire à capitu­ler. Le combat, perdu d’avance, laisse le pays à la merci d’une nou­velle crise monétaire.

Relocalisation vers l’EuropePour parer à l’effondrement del’économie, un projet à dimen­sion géopolitique a été mis decôté. On a appris cette semaine que les systèmes de missilesS­400, livrés par la Russie en 2019,ne seront pas activés avant plu­sieurs mois, officiellement en rai­son de l’épidémie. En réalité, An­kara ne veut pas risquer de subir les sanctions économiques pro­mises par l’administration améri­caine. Il semble que l’option pro­posée par Washington, à savoir que les S­400 restent dans leursboîtes pour éviter les sanctions,ait prévalu.

Contrarier l’allié américain n’estpas une option au moment où lesautorités turques, en quête denouvelles sources de finance­ment, courtisent la Fed, la banquecentrale américaine, dans l’espoir que cette dernière leur donne ac­cès à ses liquidités en dollars via l’ouverture de lignes de swap (échange de devises), ce qu’elle a fait pour 14 pays récemment.

La Turquie n’est pas sur la listecar elle ne coche aucun des critè­res de sélection (faible inflation,déficit courant maîtrisé, budget à l’équilibre). Et ses orientations de politique étrangère ne sont pasnettes. « Depuis la crise diplomati­que entre Washington et Ankara, née de l’emprisonnement du pas­teur américain Andrew Brunson à Izmir en 2018 et, plus tard, l’achatde S­400 russes susceptible d’en­traîner des sanctions économi­ques, la Turquie est un pays dont laFed se méfie », souligne sur sonblog Ugur Gurses, un ancien fonc­tionnaire de la BCT.

Le président turc n’a pourtantpas tout à fait tort. A l’heure où la politique de sécurité industriellede l’Union européenne est remise en question, son pays pourrait ti­rer avantage de la relocalisation decertaines productions de la Chine, où elles sont concentrées, vers l’Europe et son pourtour. « Les pays d’Europe centrale et orientale,le Maroc, la Tunisie mais aussi la Turquie, pourraient devenir les ré­ceptacles de cette relocalisation », explique Ahmet Insel. A conditionque l’économie tienne le choc.

marie jégo

File d’attente devant une cantine populaire, dans un bidonville de Buenos Aires, le 21 avril. ANITA POUCHARD SERRA/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »

La préoccupationdes acteurs

sociaux reste forte. En 2020,

la pauvreté pourrait

atteindre 45 %de la population

« Si la gestion de la crise est bonne, la politique

monétaire est catastrophique »

AHMET INSELéconomiste

« Chez les habitants,il y a une forte tension entre

la nécessité de protéger la santé

et les besoins économiques »

FELIPE BOSCHgéographe

Tous les colis dematériel médical

portent le mot« présidence »

pour souligner le rôle central

joué par Erdogan

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Page 5: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 5

Désaccords entre l’UE et le Royaume­Uni sur les relations d’après­BrexitLe négociateur européen Michel Barnier déplore un « manque d’engagement » de Londres sur les points fondamentaux

bruxelles, londres ­correspondants

L’ urgence sanitaire n’a pasrapproché les points devue de Londres et de

Bruxelles : à l’issue d’une semainede négociations de la relation « post­Brexit » entre le Royaume­Uni et l’Union européenne (UE), les parties se sont « virtuelle­ment » quittées vendredi 24 avril sur des positions tout aussi éloi­gnées qu’avant le début de la crisepandémique. Cela augure mal de la suite des discussions, à moins d’une volte­face, peu probable, dugouvernement Johnson ou, en­core plus hypothétique, des Euro­péens. Comment, dès lors, échap­per à un « no deal » à la fin de cetteannée, si Londres continue à refu­ser de réclamer une prolongation de la période de transition ?

Michel Barnier, le négociateuren chef pour les Européens, n’a caché ni son agacement ni sa pré­occupation, depuis Bruxelles, à l’issue d’un round de négociation commencé au début de la se­maine et consistant en 40 visio­conférences. « Le Royaume­Uni veut des progrès tangibles. Nous sommes sur la même ligne. Celaveut dire que nous avons besoin d’accomplir de vrais progrès avant la fin juin, pour trouver un bon ac­cord à la fin décembre. Dès lors, ilfaudra plus de dynamisme politi­que et avancer en parallèle sur tousles volets de la négociation », a in­diqué le négociateur européen.

Or, a précisé le Français (guéri duCovid­19, après être tombé maladeen mars), s’il y a eu quelques « rap­prochements techniques », il n’y a « pas d’engagements du Royaume­Uni sur des points fondamentaux, que nous n’avons pourtant pas in­ventés, puisqu’ils sont contenus dans l’accord de retrait [le traité dudivorce]». M. Barnier a énuméré « quatre thèmes de déception ».

« Responsabilité particulière »Le premier, le « level playing field [harmonisation réglemen­taire]», base de la « meilleure rela­tion » entre deux parties souverai­nes, certes, mais qui ne peut être déséquilibrée au profit de la plus petite (le Royaume­Uni), laquelle devrait se rendre compte, a­t­il sous­entendu, qu’il y va de son accès à un marché de 450 millionsde consommateurs.

Londres refuse toujours absolu­ment de s’engager à s’aligner sur certaines normes européennes (droit du travail, fiscalité, environ­nement), bien que Bruxelles en fasse une condition nécessaire d’accès à son marché intérieur.

Deuxième sujet : la gouvernanceglobale de la relation future : les négociateurs britanniques refu­sent l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme et, plus encore, la recon­naissance du rôle de la Cour euro­péenne de justice. Troisième « dé­ception » : pas de garanties fermes non plus de Londres quant à la coopération judiciaire et pénale ou la libre circulation des person­nes. Enfin, déplore M. Barnier, les parties n’ont fait aucun progrès sur la pêche, sujet extrêmement sensible, pour lequel Londres n’a déposé aucune proposition, con­

trairement aux Européens. Or, « il n’y aura en aucun cas un partena­riat économique durable sans ac­cord sur ce point, c’est clair comme de l’eau de roche », a­t­il précisé.

« Des difficultés sérieuses sontdevant nous. Elles sont encore sur­montables si l’on fait preuve de vo­lonté politique, de réalisme, de respect mutuel », a conclu le Fran­çais, très grave, le contexte du mo­ment, c’est­à­dire la pandémie, imposant quand même « une res­ponsabilité particulière ».

Premier ministre convalescentDans un communiqué publié ven­dredi après­midi, Downing Street campait sur les positions sans concession adoptées par Boris Johnson début 2020 : « Nous ne parviendrons à aucun progrès con­cernant l’harmonisation régle­mentaire et la gouvernance de l’ac­cord tant que l’UE persistera dans son insistance à imposer des condi­tions au Royaume­Uni qu’elle n’im­pose pas dans le cadre d’autres ac­cords commerciaux et qui ne tien­nent pas compte du fait que [notre pays] a quitté l’UE et est indépen­dant. » Et, concernant la pêche, « nous ne pourrons avancer que si la réalité selon laquelle le Royau­me­Uni doit pouvoir retrouver le contrôle de ses eaux territoriales àla fin de l’année est reconnue ».

A ce stade, il n’est toujours pasquestion, pour Londres, de formu­ler une demande de prolongation de la période de transition au­delà du 31 décembre (période aména­gée pour donner du temps aux parties pour négocier la relation post­Brexit, et durant laquelle le Royaume­Uni reste traité quasi­ment comme un membre de l’UE).« Nous ne réclamerons pas d’exten­sion de la période de transition et, sil’Union européenne en fait la de­mande de son côté [ce qui est une possibilité], nous la refuserons », a même affirmé le porte­parole de Downing Street le 16 avril.

Le gouvernement britanniquechangera­t­il d’avis quand BorisJohnson reprendra pleinement le travail ? Le premier ministre pour­suit depuis près de quinze jours saconvalescence, après avoir été gra­vement malade du Covid­19, maisil pourrait revenir à Downing Street dès lundi 27 avril, selon le Daily Telegraph. C’est en tout cas ce qu’on espère à Bruxelles, lesEuropéens n’ayant absolumentpas envie d’expédier une négocia­tion complexe et cruciale, alors qu’ils sont par ailleurs happés par une crise sanitaire historique.

M. Johnson a théoriquementjusqu’au 30 juin pour réclamer une extension. M. Barnier a tenté l’argument économique, ven­dredi, soulignant qu’un Brexit sans accord au 31 décembre cau­sera « un choc ». Un « hard Brexit »en plus d’une pandémie aux effets économiques et sociauxdévastateurs : comment le Royau­me­Uni, pourrait­il se permettrepareil scénario, alors que sonproduit intérieur brut pourrait chuter de 25 % au deuxième tri­mestre ? A moins que Londres parie une fois de plus sur la fai­blesse des Européens et leur peur d’un « no deal »…

cécile ducourtieuxet jean­pierre stroobants

Lors de manifestations en ligne, les Russes dénoncent la gestion de crise du KremlinLes mesures d’aide économique sont insuffisantes pour de nombreux foyers et entreprises

moscou ­ correspondance

E n Russie, les opposantsaux Kremlin se sont aussimis en mode confine­

ment. Alors que se multiplientles signaux de mécontentementface à la gestion par les autoritésde la crise due au coronavirus, lacontestation s’organise sur le Web. Ilya Azar, l’une des figures de la société civile derrière lesmanifestations de l’été 2019 àMoscou, a appelé à « une protes­tation on line » sur YouTubemardi 28 avril. Avec, pour slogan :demander au Kremlin et au gou­vernement des mesures urgen­tes pour aider familles et tra­vailleurs contraints de rester à lamaison pendant la pandémie.

En début de semaine, profitantdes espaces « conversations » desapplications de cartes de Yandex,le principal portail Internet en Russie, des manifestations vir­tuelles sont apparues dans plu­sieurs villes autour des bâti­ments officiels. A distance, les in­ternautes se sont ainsi rassem­blés en déposant des épingles surles administrations visées et ont laissé éclater leur colère. Dansdes encarts écrits, ils ont mis desmessages pour, parfois dans unstyle cru, évoquer leurs difficilesconditions de vie et exiger desaides publiques.

D’autres internautes ont ajoutéquelques mots plus politiques, ciblant tantôt les autorités locales, tantôt directement le chef du Kremlin, Vladimir Poutine. So­ciété privée mais sous étroit con­trôle des régulateurs au service du Kremlin, Yandex a rapidement faitdisparaître tous ces messages.

Des rassemblements spontanésont aussi surgi en dehors des ré­seaux. Dans les rues de Vladikav­kaz, ville moyenne du sud de laRussie, en plein Caucase, quelque2 000 personnes ont protesté con­tre les mesures de confinement etdénoncé les difficultés économi­ques. Sans masques, elles se sont regroupées devant le siège de l’ad­ministration régionale. Mettant en doute l’ampleur du danger sa­nitaire, elles ont expliqué craindreplus le chômage que le coronavi­rus. L’organisateur de la manifes­tation, le chanteur d’opéra VadimTcheldiïev, a été placé en déten­tion pour deux mois.

Virtuelles ou réelles, ces protes­tations restent minoritaires et lo­calisées. Mais la crise due au coro­navirus pourrait avoir un effet plus large sur la confiance des Rus­ses, déjà entamée par la baisse du pouvoir d’achat depuis 2014. « Face aux difficultés sociales et économiques provoquées par la pandémie, mais aussi la chute du prix du pétrole, la popularité du

Kremlin pourrait baisser, explique le politiste Andreï Kolesnikov. Tou­tes ces cybermanifestaions sont le reflet du mécontentement de per­sonnes non politisées qui ne vont pas forcément rejoindre l’opposi­tion politique. Mais cela accroît sonréservoir… » D’autant que la « stabi­lité », au cœur du discours de Vla­dimir Poutine depuis vingt ans, nerépond plus aux attentes d’une part croissante de la population, lasse et désireuse d’évolution.

« Inaction des autorités »Demandant aux Russes de fairepreuve de « discipline », le chef duKremlin a déclaré avril « moischômé ». Les unes après lesautres, les régions ont organisé leconfinement. Puis le président amultiplié les déclarations, an­nonçant des rafales de mesures économiques et sociales de sou­tien. Mais, dans les faits, le pro­gramme fait pâle figure, loin desuffire pour compenser les per­tes de revenus provoquées par le confinement. Le président aexigé « le maintien des salaires » pour tous. Si elle est applicabledans les pléthoriques adminis­trations, cette mesure est cepen­dant irréaliste pour de nom­breux secteurs de l’économie quifonctionnent encore largement au noir, sans contrat de travail niprotection sociale.

Dans les faits, les licenciementsse multiplient et beaucoup de Rus­ses se retrouvent chez eux, sans emploi et sans revenu. Le gouver­nement a certes promis d’accélé­rer les versements de subventions aux familles ou d’augmenter les allocations­chômage. Les foyers touchés par des baisses de revenuspeuvent aussi demander une sus­pension temporaire des rembour­sements d’emprunts. Face à la perte de salaires, de nombreuses familles sont au contraire tentées de s’endetter. Avant même la pan­démie, le surendettement mena­çait déjà le système bancaire.

Dans une économie gagnée parla stagnation depuis trois ans, la colère gagne aussi le secteur des petites et moyennes entreprises qui, loin du soutien public aux grandes entreprises d’Etat, peine face au gel de leurs activités depuisle début du confinement.

« La plupart d’entre nous ne com­prenons pas l’action, ou l’inaction, des autorités. Poutine est vu comme le principal responsable », témoigne un homme d’affaires. Les mesures d’urgence du Kremlin, notamment fiscales avec baisses des charges, risquent d’êtreinsuffisantes pour sauver de la faillite de nombreux employeurs privés. On et off line, beaucoup sont prêts à se mobiliser.

nicolas ruisseau

21 % des New­Yorkais auraient été contaminés par le coronavirusUne étude montre un taux d’infection inégalé dans le pays, mais très loin du seuil permettant une éventuelle immunité de groupe

new york ­ correspondant

U n New­Yorkais sur cinqaurait été contaminépar le coronavirus.C’est le résultat d’une

enquête sérologique commandée par le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo. Réalisée auprès de 3 000 personnes sélec­tionnées au hasard en se rendant au supermarché, elle a révélé jeudi 23 avril que 21,2 % des habi­tants de la ville (8,5 millions d’habitants), cœur mondial de l’épidémie, avaient développé des anticorps, tandis que ce taux dans tout l’Etat est de 13,9 %.

Ce résultat, selon le gouverneurCuomo, indiquerait que 2,7 mil­lions de New­Yorkais (sur une po­pulation de 19,5 millions) ont eu le virus sans le savoir. Un chiffre bien supérieur aux 250 000 cas recensés officiellement dans l’Etat. Selon M. Cuomo, ce chiffre indiquerait que le taux de létalité n’est que de 0,5 %. En réalité, sil’on ajoute aux 15 740 morts « offi­ciels » les 5 000 décès non testés, mais manifestement provoqués par le Covid­19, on arrive à un taux de létalité d’environ 0,75 %.

Cette enquête a ses biais : la fia­bilité des tests sérologiques n’est pas complète, les personnes sélec­tionnées sortant de chez elles, pardéfinition, ne sont pas confinées et n’ont pas eu de symptômes, ce qui pourrait conduire à une sous­estimation de la contamination.

Il n’empêche, à un moment oùle nombre de morts aux Etats­Unis a dépassé les 50 000, ona une idée de la contaminationdans l’épicentre de la pandémie mondiale : énorme, mais insuffi­sante. Enorme, car ce chiffre est leplus élevé connu (des études réalisées à Los Angeles et Santa

Clara, au sud de San Francisco, ontdonné des taux de contamina­tion de 4 % à 5 %). Insuffisante, carpour atteindre l’immunité de groupe – à supposer que les per­sonnes ayant aujourd’hui des an­ticorps soient protégées durable­ment –, il faudrait faire encoretrois fois le chemin accompli.

L’étude est publiée alors que lescénario de la contamination américaine a été totalement revu.Le 1er mars, on croyait que New York ne comptait qu’un cas de co­ronavirus et que le total dans cinqgrandes villes américaines (New York, San Francisco, Seattle, Bos­ton, Chicago) n’était que de 23. Ce chiffre était complètement faux.

Selon une enquête de laNortheastern University, NewYork avait alors déjà 10 700 conta­minés, et le total des cinq métro­poles était de 28 000, selon l’en­quête, dont les résultats ont été révélés par le New York Times.

Ainsi, dès le début février et jus­qu’au 16 mars, date de fermeture des écoles, en l’absence de tests et de mesures de protection, les New­Yorkais se sont activement conta­minés les uns les autres. Une autreétude réalisée par la New York Uni­versity et l’hôpital Mount Sinai avait conclu que le virus n’était pasarrivé par la Chine à New York, mais par l’Europe.

Les décès dans l’Etat de NewYork sont désormais en baisse. Le

gouverneur a renvoyé le navire­hôpital, dépêché fin mars de Nor­folk (Virginie). Mais il est trop tôtpour relâcher les mesures de pru­dence. Le confinement a été pro­longé jusqu’au 15 mai. Le port du masque est d’ores et déjà obliga­toire dans l’espace public. Pen­dant ce temps, la ville et l’Etat fontfaillite. L’Etat devrait perdre13 milliards de dollars (12 mil­liards d’euros) de recettes fiscales – celles­ci ont chuté de 15 %. La mairie estime qu’elle pourraitperdre 10 milliards de dollars.

Trump apprenti médecinLe gouverneur Andrew Cuomo a demandé le secours de l’Etat fédé­ral. Mais, en pleine campagne électorale, le leader républicain duSénat Mitch McConnell, sénateur du Kentucky, refuse de renflouer les Etats « de gauche », leur suggé­rant de se déclarer en faillite.

Cuomo a traité la suggestion de« déclaration la plus stupide de tous les temps ». « Parlons d’équité,Mitch, écrit M. Cuomo sur Twitter : New York donne au pot fédéral 116 milliards de dollars [cumulés depuis 2015] de plus qu’il ne reçoit. Le Kentucky PREND au pot fédéral 148 milliards de dol­lars de plus qu’il ne donne. Maisnous ne méritons pas d’aide parce que les 15 000 personnes qui sontmortes étaient majoritairementdémocrates. »

Selon une enquête du Rocke­feller Institute for Government, chaque habitant de New York verse chaque année 1 100 dollars àl’Etat fédéral et aux autres Etats,tandis que chaque habitant du Kentucky reçoit 10 110 dollars de la solidarité nationale.

La semaine s’est achevée par lasignature par Donald Trump d’unplan d’aide – le quatrième – à

l’économie, pour un montant de 484 milliards de dollars, dont310 milliards destinés à payer lessalaires des PME.

Au total, le plan de soutien fédé­ral atteint près de 3 000 milliards de dollars, soit 15 % du produit in­térieur brut (PIB) annuel, alors que 26,4 millions d’Américains,sur une population active de 165 millions, se sont inscrits auchômage en cinq semaines.

Les conférences de presse quoti­diennes de Donald Trump sontdevenues des meetings électo­raux, où le président se trans­forme en apprenti médecin, sur lerôle imaginé de la lumière ou desdésinfectants ménagers pour tuerle virus. La Food and Drug Admi­nistration (FDA) et Reckitt Bencki­ser, le fabricant de produits de net­toyage Lysol, ont dû publier desmises en garde, invitant les Amé­ricains à ne pas ingérer ou aspirer ces produits.

La FDA en a aussi émis une surl’hydroxychloroquine, vantée par Donald Trump – et en France le professeur Didier Raoult –, en rai­son des risques cardiaques que ce médicament, présenté commeun remède contre la maladie, fai­sait courir.

Les tentatives de réouverture del’économie sont menées par les Etats du Sud, notamment la Géor­gie. Le volontarisme de son gou­verneur républicain, Brian Kemp, qui veut rouvrir salons de mas­sage et autres professions avec contact physique, a finalementété désavoué par Donald Trump. Il n’empêche, même les Etats très conservateurs comme le Wyo­ming exigent un confinementdes nouveaux venus. Et la ferme­ture du parc de Yellowstone a été prolongée jusqu’au 15 juin.

arnaud leparmentier

Selon le dernierbilan, le nombre

de morts aux Etats-Unis a dépassé les 50 000

Il n’est toujourspas question,

pour Londres, de demander

une prolongationde la période de transition

Le Royaume-Uni refuse toujours

absolument de s’engager à s’aligner sur

certaines normeseuropéennes

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Page 6: Le Monde - 26 04 2020

6 | coronavirus DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

M ercredi 1er avril, tribunaljudiciaire de Nanterre.Dans l’enceinte, ferméeau public, résonnent lespas des policiers. Uneseule salle d’audience

est ouverte, où sont tranchées les demandes de mise en liberté de certains détenus, enten­dus depuis leur prison par visioconférence. Sont jugés, aussi, de rares prévenus en com­parution immédiate, surtout pour non­res­pect du confinement. Quand soudain, profi­tant d’une suspension d’audience, la procu­reure de Nanterre, Catherine Denis, s’invite dans la salle et interpelle le magistrat qui pré­side les débats du jour.

Mme Denis souhaite qu’un certain Saïd,poursuivi pour avoir frappé à plusieurs repri­ses son ex­compagne, soit jugé, comme cela avait été initialement prévu un mois plus tôt. Or la procureure vient d’apprendre que l’af­faire risque fort d’être renvoyée. « Là, il est là. Qu’est­ce qui s’oppose à ce qu’on le juge ?, s’étonne Catherine Denis auprès du prési­dent. Avouez que c’est quand même ubues­que. » Avant de s’en aller, elle conclut : « Je vousaurai fait part de mon incompréhension. »

Les faits : Saïd, un grand gaillard maigred’une trentaine d’années, est poursuivi pour avoir frappé sa femme. Coups de poing, de pied, tirage de cheveux, voilà plus de sept ans que ça dure. Plusieurs plaintes ont été dépo­sées, son casier judiciaire s’est rempli. Sa com­pagne a dénoncé des violences sur leurs deuxenfants, de 9 et 8 ans. Le 4 mars, il a été placé en détention en attendant son procès, fixé au1er avril. Fin mars, en pleine épidémie, sa de­mande de mise en liberté a été acceptée. Alors

Saïd est sorti de prison, avec interdiction d’entrer en contact avec son ex­compagne.Mais il n’a pas respecté cette condition, a mul­tiplié les menaces, et la jeune femme, in­quiète, a dû quitter l’hébergement d’urgence qu’elle occupait. Nouvelle interpellation donc, le 31 mars. Le débat procédural tient en une question : Saïd, qui devait comparaître libre le 1er avril, doit­il être jugé alors qu’il est sous main de justice, et que le juge des libertéset de la détention ne s’est pas encore pro­noncé sur son cas ?

NOMBREUX REPORTS D’AUDIENCESTandis que Saïd, veste de jogging et masque sur le visage, vient de s’installer dans le box vitré, la représentante du parquet, en écho à Catherine Denis, se dit favorable à une incarcération : « Je ne sais pas ce qu’il faut pour que monsieur comprenne. La seule solu­tion c’est que monsieur soit derrière les bar­reaux. » Le tribunal reporte l’affaire au13 mai. Quelques heures plus tard, ce 1er avril,le juge des libertés et de la détention a décidéde ne pas réincarcérer Saïd. « Il a maintenu lecontrôle judiciaire. Fin de l’histoire, et pour l’instant sa femme est toujours en vie », ra­conte au Monde Catherine Denis, mi­avril. Mais la magistrate, devant les nombreux re­ports d’audiences, s’inquiète pour « la sécu­rité des victimes ».

Cette affaire illustre les difficultés de la jus­tice face au délicat sujet des violences conju­gales, l’un des « contentieux essentiels » en temps de coronavirus. Au niveau national, les ordonnances de protection pour les victi­mes qui se terminaient pendant le confine­ment ont été prolongées. La distribution de

téléphones « grave danger » s’est accélérée. De 897 attribués au 5 mars, leur nombre estpassé à 956 le 27 mars, puis a franchi la barredu millier courant avril, indique le ministèrede la justice. Fin mars, la garde des sceaux, Nicole Belloubet, a averti que les remises depeines spéciales pour les détenus ayant eu « un comportement exemplaire pendant la période d’état d’urgence sanitaire » ne concerneraient « ni les terroristes, ni les crimi­nels, ni les personnes condamnées pour des violences intrafamiliales ».

Mais la justice tournant au ralenti, l’éven­tail des réponses pénales s’est réduit. Les obligations de soins sont renvoyées à la fin du confinement. Tout comme celles depointer au commissariat. Les stages de res­ponsabilisation, pour les auteurs, ne sontplus organisés par les services pénitentiairesd’insertion et de probation. « Tout ne méritepas des peines d’emprisonnement ferme,souligne la procureure Catherine Denis. D’ailleurs, on nuance nos réponses, on ne ren­voie pas tout devant le tribunal. Mais en ce moment, on n’a pas beaucoup d’autres répon­ses alternatives. »

Si les situations varient localement, les dif­férents procureurs interrogés par Le Monde, à Amiens, Grenoble, Nanterre, Alès dans le Gard, ou Rennes, observent tous que les vio­lences conjugales représentent la plus grande partie des gardes à vue. « Les bagarresde rue, les conduites alcooliques en récidive, les délits de fuite, sont devenus très résiduels,relève François Schneider, le procureur d’Alès. Il y a du coup un effet de loupe qui fait que les violences conjugales apparaissent beaucoup plus représentées dans les faits les

plus graves. » Même s’il craint une « vague » qu’il sent déjà arriver, M. Schneider assure que la politique pénale en la matière, dans leressort de son parquet, n’a pas changé.

HAUSSE DES INTERVENTIONS À DOMICILEA Rennes, comme dans d’autres juridictions en France, le dispositif des « porteurs de pa­roles » a été lancé fin mars. Un bordereau à remplir en ligne permet à des « primo­confi­dents », de donner l’alerte, en accord avec la victime. « J’ai fait le choix, eu égard au contexte à risques, de conserver un haut ni­veau de réponse pénale, explique PhilippeAstruc, procureur de Rennes. Alors que les violences conjugales ont occasionné 137 dé­ferrements en 2019, nous en avons déjà or­donné 108 cette année, au 8 avril. »

Du 16 mars au 12 avril, le ministère de l’inté­rieur a noté une hausse de 48 % des interven­tions à domicile, par rapport à la même pé­riode de l’année, en 2019 − un chiffre de + 33 %pour la Préfecture de police de Paris. Des interventions qui ne sont pas toutes liées à des violences conjugales, mais à des « diffé­rends familiaux ». Le numéro 114, qui permet àdes victimes d’envoyer des SMS pour alerter sur leur situation, représente « plus de

DEPUIS LE DÉBUT DU CONFINEMENT, 

LE 3919 A SOLLICITÉ « 8 À 10 FOIS PAR 

SEMAINE » LES SERVICES DE POLICE ET DE GENDARMERIE, 

CONTRE DEUX À TROIS PAR MOIS EN PÉRIODE ORDINAIRE

« Le confinement est devenu un instrument supplémentaire pour exercer des violences »Alors que les violences conjugales représentent l’essentiel des gardes à vue depuis le début du confinement, police, justice et acteurs associatifs doivent s’adapter pour protéger au mieux les victimes

Le délicat suivi à distance des conjoints auteurs de maltraitancesPendant l’état d’urgence sanitaire, on éloigne les coupables de violences, pour éviter d’imposer aux victimes un changement de domicile

D epuis le début du confi­nement, Benjamin [leprénom a été modifié]

descend parfois en bas de son im­meuble pour jouer avec ses deuxfilles. Sa femme reste dans leurappartement, proche de Lyon, pour veiller sur leur plus jeune enfant, un nourrisson de quel­ques mois, malade depuis sanaissance. Un quotidien ponctué par les appels du service péni­tentiaire d’insertion et de proba­tion (SPIP) du Rhône : il y a pres­que deux ans, Benjamin a étécondamné pour des violencessur sa femme.

Parmi les 526 auteurs de vio­lences conjugales suivis à dis­tance dans le département, sonaccompagnement fait partie des« dossiers sensibles ». « Au mo­ment où je l’ai eu au téléphone,tout se passait plutôt bien », at­teste Laurence Zobel, sa con­seillère d’insertion et de proba­tion. Suivi par un psychologuedans le cadre de son sursis avec mise à l’épreuve, il participait de­puis plusieurs mois à un groupe de parole d’hommes violents or­ganisé par le SPIP, interrompu

par le confinement. L’intégralité de son contrôle judiciaire se dé­roule désormais à distance.

Depuis le 17 mars, quatre signa­lements de situations de violen­ces ont été effectués en urgence auprès du parquet de Lyon, et sui­vis d’interpellations. « Nous som­mes très attentifs aux hommes quiacceptent mal d’avoir été exclus deleur domicile, à ceux dont nous connaissons le caractère impulsif,parfois lié à leur consommation d’alcool, et aux familles reformées après une condamnation pour violences », décrit Laurent Theo­leyre, directeur du SPIP du Rhône.

A Lyon, un centre d’héberge­ment accueille également quatrehommes dont la peine de prison s’est terminée en plein confine­ment. Soumis à une interdiction de s’approcher de leur ancien do­micile, ils ne peuvent être ac­cueillis par leurs proches et amis face au risque sanitaire. Un autrehomme, libéré depuis plusieurs mois, dormait dans sa voiture lorsqu’un logement, temporaire,a pu lui être proposé.

Tensions exacerbéesLes conseillers craignent la tenta­tion des conjoints de se présenterau domicile de leur ex­compagne et les accès de violences liés à d’importants changements dans le quotidien des familles. « Entresorties contrôlées et contact per­manent avec les enfants, certains hommes s’adaptent mal à la dé­couverte d’un confinement connu par de nombreuses femmes depuisdes milliers d’années », observeLaurence Zobel. « La situationexacerbe les tensions, et peut transformer des violences verbaleset matérielles existantes en violen­ces physiques », constate aussi

Mélanie Chaverot, responsable à Lyon du Service de contrôle judi­ciaire et d’enquêtes (SCJE).

Depuis le début du confine­ment, le SCJE est contacté quoti­diennement par le parquet pourprendre en charge des conjoints violents dès leur interpellation, lorsque le placement en déten­tion provisoire n’est pas de­mandé. Suivant les consignes du ministère de la justice, l’expulsiondu conjoint est privilégiée pen­dant toute la durée de l’état d’ur­gence sanitaire, pour éviter d’im­poser aux victimes un change­ment de lieu de résidence pen­dant le confinement. Une plate­forme nationale d’orientation, reliant procureurs, SPIP et jugesaux affaires familiales, permet de­puis le 6 avril d’intervenir en ur­gence avec les associations et de reloger, en centre d’hébergement ou à l’hôtel, l’auteur de violences.

« Si l’éviction du conjoint n’estpas nouvelle, le confinement fait apparaître de façon plus criante laproblématique de son relogementimmédiat, déjà soulevée pendantle Grenelle contre les violences conjugales : sans solution d’hé­

bergement, ou avec des solutions précaires, la situation ne fait que s’aggraver », considère LaurenceZobel. Le SCJE a procédé à vingt relogements dans le Rhône. Au niveau national, 41 places ont ététrouvées grâce à la plate­formed’orientation au 22 avril, selon lecabinet de la garde des sceaux,Nicole Belloubet.

Prise en charge immédiateEn Seine­Saint­Denis, le conseildépartemental a aussi financé dix chambres d’hôtel dans ce but,dont cinq sont actuellement oc­cupées. « Les magistrats se saisis­sent plus souvent de l’opportunité d’éviction et de relogement, ce qui mériterait d’être pérennisé aprèsl’urgence », souligne ErnestineRonai, responsable de l’observa­toire des violences faites aux fem­mes du département.

Lorsqu’une solution d’accueilest trouvée, un suivi psychologi­que par téléphone est mis en place et le SCJE multiplie les échanges avec l’homme violent comme avec la victime, pour s’as­surer du respect de l’interdiction de contact. « L’obligation de soin

ne peut attendre le déconfine­ment », insiste Mélanie Chaverot, pour qui la prise en charge immé­diate est d’autant plus importanteque la tenue des procès pourrait, compte tenu du ralentissementde l’activité des tribunaux, être décalée de plusieurs semaines.

Le 6 avril, un numéro national aété, pour la première fois, mis en place par la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de vio­lences conjugales et familiales (Fnacav). Une trentaine d’écou­tants, psychologues et interve­nants spécialisés, se relaient pour des discussions, gratuites et ano­nymes, avec les hommes violents,leur conjointe ou des proches in­quiets. Cent cinquante appels ont été recensés en quinze jours.

« Pour les hommes qui ont desdifficultés psychologiques, un al­longement du confinement risque­rait d’être très problématique, alerte Alain Legrand, son respon­sable. Cela va susciter des angois­ses profondes, qui risquent ne pas pouvoir être levées, sauf à entamer une discussion dès maintenant. »

simon auffret

« NOUS SOMMES TRÈS ATTENTIFS AUX HOMMES 

QUI ACCEPTENT MAL D’AVOIR ÉTÉ EXCLUSDE LEUR DOMICILE »

LAURENT THEOLEYREdirecteur du service pénitentiaire

d’insertion et de probationdu Rhône

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Page 7: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 7

150 dossiers par jour », ajoute­t­on au minis­tère. De son côté, la chancellerie n’avance aucun chiffrage des plaintes pour l’instant nides condamnations pour ces faits. « La re­montée des chiffres est très compliquée, con­firme Véronique Parent, procureure à Saint­Quentin, dans l’Aisne, et secrétaire générale du parquet général de la cour d’appel d’Amiens. Il n’y a pas de hausse significativedes gardes à vue ni des plaintes, mais le confi­nement les rend plus difficiles à déposer. »

« Le recueil de la parole de la victime est en­core plus complexe que d’habitude », abonde la substitut du procureur à Grenoble, Inès Delay, référente sur les violences conjugales, tout en louant le travail des associations. Alors que les contacts physiques sont rendusplus difficiles, la magistrate observe une hausse élevée des alertes sur un portail spé­cifique : « La police a eu huit signalements pour la période du 15 mars au 14 avril, alors qu’en temps normal elle en reçoit environ un par mois. Sur ces huit signalements, l’un est un fait de viol de la part d’un copain de la vic­time, hébergé dans le cadre du confinement,et les sept autres sont des violences conjuga­les. » Comme d’autres magistrats, elle craintqu’après la grève des avocats le coronavirus fasse exploser les délais d’audiencement, déjà très importants. « Quand vont être effec­tivement jugés les auteurs qui avaient com­mis une infraction en septembre 2019, qui de­vaient être jugés en mars 2020 et dontl’audience a été reportée sine die ? On traitel’urgence, l’éviction rapide du conjoint vio­lent, mais pour l’instant on n’a pas de solu­tions pour les situations “non urgentes” quirisquent de le devenir. »

Il s’agit de tout mettre en place pour éviterque certaines violences ne passent sous lesradars de la justice. « Il existe une difficulté sup­plémentaire pour les femmes de se signaler quand elles sont victimes, souligne Ernestine Ronai, présidente de l’observatoire départe­mental des violences envers les femmes de Seine­Saint­Denis. Parce que, en période de confinement, monsieur est toujours là. Les mé­decins, les assistantes sociales, les associations,tous ces acteurs qui peuvent repérer les violen­ces sont moins en contact avec les victimes. »

9 000 APPELS DEPUIS LE 21 MARSLa communication autour des canaux de si­gnalement s’est donc intensifiée ces derniè­res semaines. Certaines enseignes de super­marché impriment ainsi, en bas de leurs tic­kets de caisse, les contacts utiles en cas de violences conjugales. Les pharmaciens ontété mis à contribution, comme possibles re­lais d’alerte. Peu habitués à cette situation,certains se sont tournés vers les profession­nels du 3919, qui reçoit beaucoup de leursappels. D’abord perturbée, la ligne destinée aux femmes victimes de violences fonc­tionne désormais tous les jours et a pris en charge plus de 9 000 appels depuis le 21 mars− et près de 2 500 appels la seule semaine du 12 avril, soit 20 % en plus par rapport à la pre­mière semaine de mars. « Des femmes qui

avaient du mal à mettre des mots sur les vio­lences au sein de leur couple conscientisentbrutalement cette question », indique Fran­çoise Brié, la présidente de la Fédération na­tionale Solidarité femmes. Parmi elles, denombreuses professionnelles de santé, « déjà soumises à une situation éprouvante », dont certaines sont accusées par leurs conjoints de mettre en danger leurs famillesen poursuivant leur activité dans les hôpi­taux et les Ehpad. « On connaît la stratégie des agresseurs : le confinement est devenu un instrument supplémentaire pour reprendre lamain sur leur conjointe et exercer de nouvel­les violences », poursuit Françoise Brié.

Les écoutantes, pour la plupart en télétra­vail depuis leur domicile, évoquent des ap­pels « plus courts que d’habitude » passés àvoix basse depuis le local poubelle ou la filed’attente d’un supermarché. Depuis le débutdu confinement, le 3919 a sollicité « 8 à 10fois par semaine » les services de police et de gendarmerie contre deux ou trois par mois en période ordinaire. Ces signalements, dé­clenchés avec l’accord des victimes, susci­tent systématiquement l’intervention à do­micile et souvent le déferrement au parquet.

Le ministère de l’intérieur fait le mêmeconstat au sujet de son portail de signale­ment des violences sexuelles et sexistes Arre­tonslesviolences.gouv.fr, dont les effectifs ontété renforcés pour répondre à l’afflux de de­mandes. « C’est monté en flèche depuis le16 mars, observe le commissaire de police Samuel Hosotte, responsable de la division dela prévention et des partenariats à la directioncentrale de la sécurité publique. Nous consta­tons surtout une proportion plus importante des signalements pour violences conjugales : 50 % contre 25 % à 30 % habituellement. » En cas de danger imminent, si la personne ne veut pas s’identifier, la police a les moyens de la localiser grâce à son adresse IP. « Ce qui nousa permis d’éviter des situations catastrophi­ques, explique le commissaire. Mais en cas d’urgence, on préconise toujours l’appel au 17 ou au 112. »

L’homicide n’est pas le seul risque craint parces professionnels : « On a aussi des personnessuicidaires, qui se sentent coupables d’être vic­times et ne supportent plus de vivre dans la vio­lence. Leur passage sur le portail permet de les

GPA: la colère des parents empêchésde voir leur enfantPlusieurs couples ayant entamé des procédures de gestation pour autrui en Ukraine ne peuvent rejoindre le pays

I ls ont reçu une photographiequelques heures après sanaissance. Océane, 3,5 kg et

56 centimètres, est née mardi 21 avril à Kiev, et ses parents, Ka­rine et Thierry, l’ont découverte devant leur écran, à 2 400 kilomè­tres de là, avec un mélange d’émo­tion et de colère. « Comme nous n’avons pas reçu l’autorisation de nous rendre en Ukraine, nous n’avons pas pu la rencontrer, ni dé­clarer sa naissance. Notre fille est donc non seulement privée de ses parents, mais aussi apatride. Sesdroits fondamentaux sont ba­foués et nous craignons les réper­cussions de la situation sur son dé­veloppement », dénonce Karine.

Le couple de Parisiens a fait lechoix, en 2019, d’avoir un enfant par le biais d’une gestation pour autrui (GPA) en Ukraine. L’abou­tissement d’un long parcours, marqué par la leucémie de Karineet une fausse couche.

Plus d’un an après cet épisodedouloureux, Karine et son épouxse rendent donc à Kiev pour en­tamer une GPA. La pratique, in­terdite en France, est réservée enUkraine aux couples hétéro­sexuels mariés présentant uneinfertilité constatée médicale­ment. Il faut débourser30 000 euros environ. A l’été2019, l’embryon formé à partirdes gamètes de Thierry et deceux d’une donneuse est im­planté avec succès dans l’utérusd’une « femme porteuse ». C’estle début de la grossesse. Neufmois plus tard, ils ont prévu defaire le voyage pour assister à lanaissance de leur fille.

Mais, dans l’intervalle, l’épidé­mie de Covid­19 a tout boule­versé. Depuis le 16 mars, l’Ukraineinterdit l’entrée de ressortissantsétrangers sur son sol, sauf déroga­tion. A Paris, Karine et Thierry commencent à s’inquiéter. Ils ne sont pas les seuls. Sophie Labau­ne­Parkinson et son époux viventen Australie. Atteinte du syn­drome de Rokitansky, la Françaisede 30 ans est née sans utérus. La GPA est le seul moyen pour euxd’avoir un enfant doté de leur pa­trimoine génétique. Ils ont euxaussi choisi l’Ukraine, « parce que la pratique là­bas est encadrée, légale et protectrice pour tous :parents d’intention, enfant, et mère porteuse ». La naissance de leur fils est prévue le 27 avril.

A l’annonce des premières me­sures de fermeture, la jeunefemme décide par précaution derentrer dans sa famille en Nor­mandie. Dès son arrivée, elle prend contact avec le ministèredes affaires étrangères ainsiqu’avec l’ambassadeur françaisen Ukraine.

« Le pire, c’est l’incertitude »Pour espérer se rendre dans lepays, tous les ressortissants étrangers doivent en effet de­mander à leurs représentants d’intercéder par l’envoi d’un do­cument diplomatique. Sans cette « note verbale », leur demande n’est pas examinée.

Sophie fait donc la demande,d’abord à titre privé, puis en fai­sant appel à une avocate. « J’ai priscontact avec une consœur ukrai­nienne qui m’a indiqué que plu­sieurs pays, comme l’Irlande, le Royaume­Uni, Israël, avaient émis cette note verbale. En suivant ses indications, j’ai donc adressé plu­sieurs courriers avec les motiva­tions de Sophie ainsi que le trajet qu’elle comptait emprunter, dansle respect du cadre fixé par l’Ukrai­ne », explique Me Catherine Cla­vin, avocate au barreau de Mar­

seille. Le premier courrier est datédu 1er avril.

En attendant une réponse,Sophie fédère grâce aux réseauxsociaux un petit groupe de cou­ples de Français dont les bébésdoivent naître dans les prochai­nes semaines à Kiev. Ils échan­gent, se soutiennent, envisagent les solutions possibles. Il y aKarine et Thierry, à Paris, maisaussi, par exemple, Christophe etSonia, qui vivent dans le Tarn­et­Garonne. Leur fils est né le23 avril. « On devrait être joyeuxparce que pour nous c’est l’abou­tissement d’un combat de plus dedix ans, mais on se demande quand on pourra voir notre fils »,témoigne Christophe.

Maurine Monstin et Carles Far­rarons attendent la naissance deleur fils pour le 17 mai. Citoyennefrançaise mariée avec un Espa­gnol, résidant en Espagne, Mau­rine a sollicité les deux canaux pour débloquer la situation. « Lepire, c’est l’incertitude, si ça se trouve on ne pourra pas y aller avant juillet ou septembre. » Après avoir un temps envisagé de mon­ter dans un avion sans dérogationofficielle, elle a dû renoncer : son vol a été supprimé.

Pouponnière de fortunePour alerter sur leur situation, le petit groupe a averti la presse, et lancé une pétition en ligne. Plusde 1 200 signatures ont été re­cueillies en l’espace de quelques jours, à la date du 23 avril. Sur le front officiel, après plusieurs se­maines de silence, une réponseleur est finalement parvenue.Dans un mail générique envoyé le17 avril, le ministère des affairesétrangères français se contente derappeler que « les frontières exter­nes [de l’Ukraine] sont interdites d’accès aux non­résidents perma­nents et que les entrées et sorties pour les voyages non essentiels desrésidents permanents sont elles­mêmes prohibées ».

Tout en se disant « bien cons­cient des difficultés que soulèventces restrictions », le Quai d’Orsayindique qu’« il n’est pas possible d’envisager une dérogation aux dispositions qui ont été prises par l’Etat ukrainien ».

La réponse a « horrifié » SophieLabaune­Parkinson. « Il n’est pas une seule fois question des enfants, ou de la possibilité d’émettre une note verbale. En fait, aucune ré­ponse ne nous est apportée », se dé­sole­t­elle. Plusieurs de ces parentsd’intention envisagent désormais de déposer dans les prochainsjours une requête en référé­libertédevant le tribunal administratif deParis, une procédure d’urgence destinée à « démontrer que l’inac­tion des autorités contrevient auxdroits fondamentaux d’enfants français », explique Sophie.

En attendant qu’une solutionsoit trouvée, Océane, la fille deKarine et Thierry, va rejoindre une pouponnière de fortune ins­tallée par l’agence de GPA dans unhôtel, où se succéderont au che­vet des nouveau­nés une équipe de nourrices et des médecins.

solène cordier

repérer : nous mettons tout en place pour évi­ter qu’elles ne passent à l’acte. »

Plus que jamais, Ernestine Ronai prônel’éviction du conjoint violent du domicile fa­milial. « Dans le cadre du confinement, on ap­plique le principe de précaution : nous sommesconfinés pour que tout le monde ne soit pas contaminé. Il faut aussi appliquer ce principe de précaution pour les victimes. » Le ministère de la justice et le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes ont annoncé la mise en place d’une plate­forme nationale d’hébergement pour les auteurs de violences conjugales, qui a concerné une qua­rantaine de personnes en moins d’un mois.

SOLUTIONS TEMPORAIRESLa Ville de Paris, en coopération avec le par­quet, a débloqué une quinzaine de places en centres d’hébergement et de réinsertion so­ciale pour les conjoints violents dont l’évic­tion a été prononcée et pour ceux dont la sor­tie de prison est programmée pendant cette période. Mais ce sont encore souvent les victi­mes qui quittent le domicile familial. Pour elles, la situation est complexe : aucun démé­nagement n’est organisé actuellement et les commissions d’attribution de logements so­ciaux sont figées. « Les dispositifs étaient déjà engorgés avant le confinement, mais si la dé­cohabitation n’est pas organisée, on prend le risque d’avoir des féminicides et des infantici­des », alerte Hélène Bidard, l’adjointe chargée de l’égalité femmes­hommes à la Mairie de Paris. Au 23 avril, une dizaine de féminicides ont été recensés sur la page Facebook du collectif Féminicides par compagnons ou ex.

Outre les nuitées d’hôtel, les mairies, avecles associations, imaginent et bricolent dessolutions temporaires. A Marseille, l’OM a ainsi mis à disposition son centre d’entraî­nement. A Paris, « une quinzaine de loge­ments sociaux, des T2 et des T3, dans lesquels les bénéficiaires ne se sont pas encore instal­lés, sont occupés par des femmes avec en­fants, indique Hélène Bidard. Des logements étudiants vides accueillent 44 femmes, seules ou avec un enfant. Et des propriétaires privésont fait donation d’un immeuble vide dans le 9e arrondissement pour les accueillir. »

Au­delà de l’urgence, les professionnels desviolences conjugales pensent déjà à l’après. « De nombreuses situations sont aggravées par le confinement : des suites juridiques forte­ment ralenties, l’état psychique et physique de ces femmes après des semaines de violences, laprécarisation de celles qui ont perdu leur em­ploi ou sont au chômage partiel…, explique Françoise Brié. Il faudra envisager des disposi­tifs importants de soutien. » D’autres respon­sables associatifs, présents dans une taskforcemise en place par le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, redoutent un effet « sortie de prison » à partir du 11 mai. Leur crainte : que le déconfinementet la fin du huis clos imposé se traduisent par une recrudescence des violences sexuelles et sexistes dans l’espace public.

yann bouchez et zineb dryef

« On devrait êtrejoyeux, mais

on se demandequand on pourravoir notre fils »,

témoigne Christophe

« IL EXISTE UNE DIFFICULTÉ 

SUPPLÉMENTAIRE POUR LES FEMMES À SE SIGNALER QUAND 

ELLES SONT VICTIMES »ERNESTINE RONAI

présidente de l’Observatoire des violences envers les femmes

de Seine-Saint-Denis

SÉVERIN MILLET

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Page 8: Le Monde - 26 04 2020

8 | coronavirus DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

A Paris, le rectorat d’académie renonce à fermer plusieurs classesMalgré la baisse du nombre d’élèves à la rentrée 2020, l’instance a reculé, jeudi, sur la suppression de seize postes et de huit classes

L es parents d’élèves, les en­seignants, les élus pari­siens étaient montés au

créneau. Ils ont obtenu en partiegain de cause : à Paris, le nombre de classes de maternelle et de pri­maire qui fermeront cette annéesera plus limité que prévu. Lors d’une très longue réunion tenuejeudi 23 avril en vidéoconférenceorganisée par le rectorat d’acadé­mie, le ministère de l’éducationnationale a renoncé à fermer huitclasses sur les 71 qui étaient me­nacées pour la rentrée de septem­bre. Il a en outre accepté d’ouvrir cinq classes de plus que prévu.

Au bout du compte, « nouscomptons ouvrir 68 classes en sep­tembre, notamment pour dédou­bler des grandes sections de ma­ternelle, et n’en fermer que 63, in­dique­t­on au rectorat. Le soldesera donc finalement positif ».

Pareil arbitrage n’avait riend’acquis. D’année en année, lenombre d’élèves dans les écoles publiques parisiennes ne cesseen effet de diminuer.

Plusieurs raisons se conju­guent. Un tassement des naissan­ces. Le départ de Paris de certai­nes familles, en raison de l’envo­lée des prix des logements. « Maisaussi l’essor de l’enseignementprivé, notamment dans les arron­dissements de l’Est », souligneJean­André Lasserre, président dela fédération de parents d’élèves FCPE Paris. Pour cette rentrée, lesprofessionnels s’attendent à ac­cueillir entre 1 700 et 2 000 élèvesde moins qu’en septembre 2019dans le premier degré.

Compte tenu de cette fortebaisse, sensible en particulier dans l’est de la capitale, le minis­tère de l’éducation avait prévu de

fermer plusieurs classes. D’autant qu’il doit simultané­ment dédoubler les grandessections de maternelle, une pro­messe présidentielle. Pour pou­voir mettre plus d’enseignants engrande section, le projet pré­voyait d’en retirer dans les écolesprimaires, en profitant du recul du nombre d’élèves dans certainsquartiers.

Des élèves sonnés par l’épidémieCette perspective a fait bondir les intéressés. Les parents d’élèves, les syndicats d’enseignants sont intervenus. Le SNUipp­FSU et d’autres ont réclamé un mora­toire sur les fermetures, en s’ap­puyant notamment sur la crisesanitaire. Selon eux, impensablede fermer des classes alors que lesécoles censées rouvrir le 11 maivont récupérer des élèves parfois

sonnés par l’épidémie, et que l’ur­gence consiste à « lutter contre les inégalités scolaires qui se sont – malheureusement – aggravées pendant la fermeture des écoles ».

Les responsables politiques ontpris le relais. Pour que les enfantsrattrapent le retard pris avec leconfinement, « il faut allégerl’effectif par classe et dédoublerles grandes sections sans fermerd’autres classes », a plaidécomme d’autres David Belliard,le candidat écologiste à la Mairiede Paris.

« Il est inimaginable que les en­seignants compensent les consé­quences de la crise actuelle dansdes classes aussi surchargées qu’aujourd’hui, a tonné l’élucommuniste Nicolas BonnetOulaldj. Etre à la hauteur de lacrise actuelle suppose de sortirdes schémas d’austérité. » Patrick

Bloche, l’adjoint socialiste chargéde l’éducation, est intervenudans le même sens.

La pression a eu de l’effet. Lerectorat d’académie a renoncé aux seize suppressions de postesenvisagées dans l’académie. Ettout en refusant de reporter la ré­forme, il l’a amendée, en annu­lant en particulier plusieurs fer­metures prévues dans les 19e et20e arrondissements. C’est dansces quartiers de l’Est, en cours d’embourgeoisement, que la mo­bilisation avait été la plus forte. « Nous avons voulu mieux pren­dre en compte les conséquences des inégalités sociales et territo­riales sur la réussite scolaire, iné­galités que la crise sanitaire ac­tuelle a pu encore aggraver », ex­plique­t­on au rectorat.

Résultat : cette année encore, letaux d’encadrement devrait

s’améliorer dans les écoles pari­siennes. En septembre, « 1 000 pro­fesseurs enseigneront dans des classes de grande section, CP ou CE1 de l’éducation prioritaire avec un nombre d’élèves limité à quinze », se félicite­t­on en parti­culier au rectorat.

Jean­André Lasserre, de la FCPE,se montre moins enthousiaste.« Le rectorat a montré une vo­lonté de dialogue, et la mobilisa­tion a permis d’améliorer le pro­jet, reconnaît­il. Mais fondamen­talement, la volonté louable dedédoubler les classes bute sur le manque de moyens. Comment réussir ce dédoublement sansavoir davantage d’enseignants ? Cela oblige à déshabiller Paulpour habiller Pierre… » Il craintdonc fort que la question ne serepose ces prochaines années.

denis cosnard

Vivre avec le virus :les politiques pensentle déconfinementGénéralisation des masques, « gestes barrières »… De nombreux responsables réfléchissentà l’organisation de la société après le confinement

E n 1960, dans le Parispourtant joyeux et festifde la rive gauche, JulietteGréco chantait la douleur

de la rupture et le deuil de la vie d’avant, sur des paroles de Guy Béart : « Il n’y a plus d’après/A Saint­Germain­des­Prés/Plus d’après­de­main/Plus d’après­midi/Il n’y a qu’aujourd’hui. » C’est à un long, très long aujourd’hui que nous invite désormais l’épidémie de co­ronavirus. Le premier ministre, Edouard Philippe, a alerté les Fran­çais à ce sujet lors d’un point presse, le 19 avril ; leur vie quoti­dienne, a­t­il souligné, va être bou­leversée par la persistance de cette maladie, y compris après le dé­confinement.

« Notre vie à partir du 11 mai, ce nesera pas la vie d’avant le confine­ment, pas tout de suite et probable­ment pas avant longtemps, a in­sisté le locataire de Matignon. Nous allons devoir apprendre à vi­vre avec le virus. » Et à trouver, a­t­ilajouté, de « nouvelles habitudes, unquotidien un peu différent ».

L’équation est simple. La France,avec seulement 6 % de sa popula­tion qui auraient été infectés par le

SARS­CoV­2, semble très loin d’at­teindre l’immunité collective, seuil de 70 % à partir duquel un groupe est considéré comme im­munisé. Or, pas question de laisserle virus se propager à sa guise d’une personne à une autre : les hôpitaux ne pourraient encaisser une telle charge de patients.

Surtout, a rappelé le ministre dela santé, Olivier Véran, au micro deFrance Inter, vendredi 24 avril, « personne ne peut vous dire dé­cemment les yeux dans les yeux qu’il est sûr qu’il faille une immu­nité collective », dans la mesure où il n’est pas prouvé que les indivi­dus infectés développent des anti­

corps immunisants. « On ne peut pas confiner toute la planète pen­dant six mois ou un an en atten­dant d’avoir un vaccin, a reconnu leministre. Dans l’intervalle, il faut être prudent, il faut vivre avec le vi­rus, vivre avec les gestes barrières pour limiter les vagues épidémi­ques. » Selon une étude de l’univer­sité Harvard, des mesures de contrôle de l’épidémie, en l’ab­sence de traitement ou de vaccin, pourraient être nécessaires au moins jusqu’en 2022.

« Les mentalités vont changer »Finies donc embrassades, terras­ses de cafés bondées et heures in­souciantes ? Dans un premier temps, oui, prévient l’exécutif. « Il y aura des contraintes », assure undirigeant de la majorité. Les fa­meux gestes barrières − tousser etéternuer dans son coude, ne pas se serrer la main, etc. − seront maintenus, tout comme le prin­cipe de la distanciation sociale. Le port du masque, objet de polémi­ques depuis bientôt deux mois, sera fortement généralisé, au moins dans les transports encommun − l’Académie de méde­

cine recommande, elle, un port systématique pour toute sortie,même au coin de la rue.

De manière générale, un fort ac­cent sera mis sur la responsabilité individuelle et la prévention. Le patron de La République en mar­che (LRM), Stanislas Guerini, enappelle même à la construction d’une « société de vigilance sani­taire ». « Nos vies ne reprendrontpas à la normale pour longtemps, voire à jamais. Nous avons tous une responsabilité par notre ac­tion, ce n’est pas l’Etat seul dans soncoin », estime­t­il. Car, en cas de re­prise de l’épidémie, des épisodes de reconfinement pourraient s’avérer nécessaires. Un proched’Emmanuel Macron évoque des « mesures de confinement davan­tage ciblées », quand un visiteur dusoir d’Edouard Philippe parle d’un « confinement partiel ».

Selon certains, ces changementsde comportements sont appelés à s’inscrire dans le temps. « Après l’épidémie de coronavirus, les men­talités, les mœurs vont énormé­ment changer dans tous les Etats du monde, assurait Olivier Véran,le 4 avril, dans un entretien au média en ligne Brut. Nous serons amenés à avoir des conduites sani­taires bien différentes, bien plus proches de celles qu’on a pu consta­ter dans certains pays asiatiques. »

Citant en exemple le Japon et laCorée du Sud, son prédécesseur, Xavier Bertrand, estime ainsi que les masques « vont devenir incon­tournables » dans la vie des Fran­çais. Une nouvelle éducation à la santé serait d’ailleurs nécessaire à ses yeux. « Ne se lave­t­on pas déjà beaucoup plus les mains depuis l’apparition du Covid­19 ? Cela pourrait avoir des effets sur d’autres virus ou pour les gastro­entérites », remarque le président (ex­Les Républicains) de la région Hauts­de France.

Il en est en tout cas qui n’atten­dent pas pour passer aux travaux pratiques. Lui­même victime et guéri de ce nouveau mal, Chris­tian Estrosi, maire (LR) de Nice, a installé depuis plusieurs semai­nes dans sa métropole une équipe pour travailler sur cettequestion. « Les transports, l’éduca­tion, la formation, plus rien ne seraorganisé comme avant », anticipe­t­il. Savoir être agile, avec poten­tiellement des périodes de confi­nement et de déconfinement suc­cessives ; « inverser les politiques » dès que nécessaire.

La ville a prévu une agence quipuisse encadrer, conseiller, voiredonner du matériel aux commer­ces qui en exprimeraient le be­soin pour se conformer aux nou­velles normes sanitaires. Le tou­risme, secteur phare de l’écono­mie locale, devra lui aussi s’adapter. « Ne faudrait­il pas re­qualifier le tourisme ? Se diriger vers un tourisme responsable, qui privilégie la culture, l’environne­ment ? », s’interroge l’édile, qui ré­fléchit à un système de « passe­port sanitaire » afin de filtrer, àl’avenir, les provenances de paysconsidérés à risque : « Il y a biendes pays où des vaccins sont exigéspour entrer, alors pourquoi pas une sérologie ? »

L’épidémie, assurent d’autres,relance le débat sur la densité de villes comme Paris. Si plus d’un habitant sur dix a quitté la capi­tale à l’annonce du confinement, n’est­ce pas, en partie, pour échapper au risque de contami­nation entraîné par la promis­cuité, et fuir ce voisin frôlé de tropprès sur un trottoir exigu ? « Les métropoles hyperdenses sont des bombes virales », estime DavidBelliard, candidat écologiste à la Mairie de Paris, pourfendeur de la« bétonisation ». L’idée de rendreles villes plus hygiéniques par une refonte de l’urbanisme re­monte à loin.

La première des missions offi­cielles des travaux du baron Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870, était d’« aérer » Paris pour mieux faire circuler l’air et l’eau en perçant de vastes avenueset détruisant des immeubles in­salubres. « C’est un mouvement detrès long terme, qui, à Paris, débuteen 1780 », quand est créé un poste d’inspecteur de la salubrité, indi­que l’historien Thomas Le Roux, coauteur de La Contamination du monde, une histoire des pollutionsà l’âge industriel (Seuil, 2017).

Gare, toutefois, aux excès dezèle et aux travers hygiénistes. « Les crises sanitaires peuvent fa­voriser les mesures de privation de liberté et il faudra être hypervigi­lants », prévient Xavier Bertrand.

Selon Bruno Retailleau, prési­dent du groupe LR au Sénat,mieux vaut apprendre à « accep­ter » le risque pour le « dominer ».« Cette période va aussi nous per­mettre de vivre et d’habiter ce que nous sommes. Peut­être va­t­onmoins se divertir et vivre plus in­tensément », prédit le sénateur de Vendée. Oublier l’après pour sur­vivre aujourd’hui.

sarah belouezzane,denis cosnard et olivier faye

« Les crises sanitaires

peuvent favoriserles mesures de

privation de liberté. Il faudraêtre vigilants »

XAVIER BERTRANDprésident de la région

Hauts-de France

Selon une étuded’Harvard,

des mesures de contrôle de

l’épidémie pourraient être

nécessaires jusqu’en 2022

HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENTpour 100 000 habitants

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guadeloupe

Guyane

de 100 à 150

de 150 à 187

de 50 à 100

de 25 à 50

de 10 à 25

moins de 10

Petite couronne2 972

771816

28 554

4 785

43 486

18 mars 24 avril18 mars 24 avril

RETOUR À DOMICILE

Personneshospitalisées

En réanimationet en soins intensifs

DÉCÈS EN FRANCE HOSPITALISATIONET RÉANIMATION

depuis le 1er marsdont 13 852 à l’hôpital

22 245COMPARATIF EUROPÉEN

Italie FranceAllemagne Royaume-Uni

Espagne

Les donnéescommencent au 10e décès.

Jour 0 Jour 20 Jour 40 Jour 48 Jour 59

22 524 mortsen Espagne

25 969 mortsen Italie

22 245 mortsen France

19 506 mortsau Royaume-Uni

(jour 41)

5 723en Allemagne

0

5000

10000

15000

20000

25000

Sources : Santé publique France, Johns Hopkins UniversityInfographie Le Monde

Epidémie de Covid-19 : situation au 24 avril, 14 heures

Bilan quotidien

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Page 9: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 9

La gauche et les syndicats renouent avec l’Etat providencePour faire face aux conséquences de la crise, de nombreuses voix plaident pour un retour de la puissance publique en France

ANALYSE

I l ne faut pas tout attendre del’Etat. » La phrase pronon­cée par Lionel Jospinen 1999 serait­elle devenue

le symbole de l’ancien monde ? Al’époque, le premier ministre so­cialiste reconnaissait son im­puissance à empêcher les 7 500licenciements décidés par Mi­chelin. Un aveu douloureux pource défenseur d’un Etat stratège.

Depuis, l’allégement de l’inter­vention de la puissance publiqueest devenu la grammaire com­mune des partis de gouverne­ment. Même en ayant appartenuà des gouvernements de gauche,certains en ont fait une marquede fabrique. Emmanuel Macronn’a ainsi jamais caché sonprisme libéral, par lequel on nedoit « pas tout attendre del’autre », selon ses propres ter­mes quand il était ministre de l’économie. Aujourd’hui, il évo­que régulièrement le rôle salva­teur d’un Etat plus intervention­niste. Comme si la crise liée aucoronavirus avait ébranlé sesconvictions passées.

Mais, depuis quelques semai­nes, la gauche et les syndicatsveulent croire qu’un change­ment de paradigme est en cours.Avec l’épidémie, tout semble avoir basculé. Aides massives aux entreprises, directives répé­tées aux banques et assurances,mesures de chômage partiel,prolongation des droits aux allo­cations de chômage, soutien àl’emploi et aide aux plus dému­nis… C’est par le gouvernementet les administrations centralesque les décisions vitales pour la survie économique du pays sontprises. Oubliée la règle des 3 % dedéficit à ne pas dépasser et lapeur des dépenses, les robinets sont ouverts.

Avec la crise sanitaire, les servi­ces publics, notamment les hôpi­taux, tiennent la première ligne,même affaiblis. Dans ce con­texte, la critique de l’austérité a pris de l’ampleur et est redeve­nue audible.

Tourner la page libéraleAvec le Covid­19, la « première gauche » – jacobine, centralisa­trice, interventionniste – semble tenir sa revanche : ses idées rede­viennent à la mode. En premier lieu, celle de l’Etat protecteur. Une notion critiquée encore récem­ment par une grande partie duspectre politique, y compris l’aile droite du Parti socialiste (PS), qui vantait les bienfaits du social­libé­ralisme, de la « troisième voie » chère à Tony Blair, l’ancien pre­mier ministre britannique. Il fautdire que les principaux tenants decette ligne ont quitté les rives de lagauche pour rejoindre La Républi­que en marche (LRM) et Emma­nuel Macron. Quelques années auparavant, déjà, les plus libéraux – comme Jean­Marie Bockel – avaient choisi Nicolas Sarkozy. Cesdéfections ont donc laissé la gau­che sans contradiction interne.

« On vient de subir trente ansd’idéologie de haine de l’Etat. Cela a commencé dans les années 1980,et peut­être que ça se termine aujourd’hui. Toutes les sphères sociales ont été contaminées », ex­plique l’eurodéputé Emmanuel Maurel, proche de La France in­soumise, (LFI). Il estime que l’heure des néolibéraux triom­phants est passée. Un sentiment partagé par Clémentine Autain. La députée (LFI) de Seine­Saint­Denis l’a expliqué dans un texte publié sur son compte Facebook : « Les services publics sont plébisci­tés. L’obsession de la rentabilité pour notre système de soins, visi­

blement criminelle, n’est plus à l’or­dre du jour. (…) L’idée de nationali­sation ou de réquisition s’énonce sans susciter des cris d’orfraie. (…) Oui, ça fait du bien. » Fabien Rous­sel, le secrétaire national du Parti communiste français, partage cetavis : « L’heure est venue de tournerradicalement la page d’un néolibé­ralisme (…) et de prendre le pouvoirsur la finance (…), de défendre et d’étendre les services publics, de prendre le contrôle des secteurs­clés de l’économie. »

Peu de voix dissonantes dans ceconcert interventionniste. Même du côté de ceux qu’on appelle les« sociaux­libéraux », qu’ils soient des anciens proches de Manuel Valls ou d’ex­partisans de Domini­que Strauss­Kahn, le ton a changé.Il faut dire que l’ancien directeur du Fonds monétaire internationala lui­même publié, le 5 avril, dansla revue Politique internationale, un long texte dans lequel il plaide pour l’émission massive de droits de tirage spéciaux – sorte de ré­serve de monnaie mondiale –pour les pays pauvres et une relo­calisation des économies nationa­les. « Tout responsable politique, une fois l’état de sidération face au virus passé, a une responsabilitéd’ouvrir les robinets pour répondre à l’urgence sanitaire, économique et sociale et accompagner tout le monde », reconnaît Luc Carvou­nas, député du Val­de­Marne et ancien vallsiste.

Pour la première gauche, c’est lemoment d’avancer ses pions et de porter un coup majeur au néolibé­ralisme. Plus question de laisser passer des réformes qui vont dans le sens d’un affaiblissement des autorités publiques ou même de réduction des coûts et d’investis­sements dans les domaines comme la santé, l’éducation ou la sécurité. Boris Vallaud, député so­cialiste des Landes, confirme : « La première urgence est le retour de l’Etat protecteur face à l’insécurité sanitaire et sociale. Il faut mettre enplace une sorte de caisse d’amortis­sement de la dette sociale. »

Arnaud Montebourg ne s’ytrompe pas : le moment actuel est propice pour défendre ses positions favorables à des pou­voirs publics interventionnistes. « En organisant l’austérité, on a af­faibli l’Etat. Son réarmement sera le moyen par lequel les Françaisvont retrouver le chemin de la dé­cision collective, avance l’ancienministre du redressement pro­ductif. Et dépasser la remise en question et la contestation de ladécision publique. »

« Revoir la politique salariale »De même, ils sont nombreux àréclamer qu’on rémunère mieuxceux que la CGT appelle les « pre­miers de corvée », les professions« les plus modestes », souvent enpremière ligne aujourd’hui. « Ilfaut revoir la politique salarialede l’Etat dans la fonction publiqueet revaloriser le smic dans le privé,sur lequel est appuyée l’échelle dessalaires », plaide Fabrice Angei,membre de la direction de la confédération de Montreuil (Sei­ne­Saint­Denis).

Problème : comment financercette générosité sans trop creuser la dette du pays ? « Si on veut réin­vestir, il faudra le faire par l’impôt :ce nouvel Etat social demandera une fiscalité juste et un registre fi­nancier tant au plan national qu’international, afin de pouvoirmettre à contribution les plus ri­ches et les grandes entreprisesautant que nécessaire », estime Thomas Piketty, directeur d’étu­des à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et à l’Ecole d’éco­nomie de Paris, auteur d’une chronique régulière dans les co­lonnes du Monde.

Un avis partagé par Laurent Ber­ger, secrétaire général de la CFDT, pour qui « il faudra redistribuer lesrichesses ». Dans une interview àOuest­France, mardi 21 avril, ce dernier propose de créer « un im­pôt exceptionnel sur des entrepri­ses liées à des secteurs qui n’ont pas été impactés par la crise, voire qui ont réalisé des bénéfices ».

« Revenu minimal automatique »La crise sanitaire et économiqueactuelle oblige le personnel politi­que à réfléchir à de nouvelles pro­tections. L’idée d’un revenu uni­versel – très éloignée de la culturede la première gauche et chère à Benoît Hamon – revient dans le débat. L’ancien candidat socia­liste à la présidentielle a défendu la mise en place de cet « antidote social » dans une tribune au Monde. D’autres pistes sont éga­lement explorées.

Le secrétaire national d’EuropeEcologie­Les Verts, Julien Bayou, prône « une garantie universelle des loyers, sorte de cinquième pilierde la protection sociale ». Ce der­nier n’a jamais fait des nationali­sations l’alpha et l’oméga de sa pensée : « Nationaliser ne rime pas forcément avec intelligence », affir­me­t­il. Mais il souhaite, malgré tout, une intervention publique.

D’autres cherchent à adapter lesréponses étatiques à une écono­mie qui a muté. « On a vu avec cettecrise que notre système social est inadapté : construit au XXe siècle quand les carrières étaient linéaireset sécurisées par des CDI, il est inapte à aider des salariés précai­res, intérimaires ou autoentrepre­neurs qui ne peuvent bénéficier du chômage partiel et qui souffrent, assure Julia Cagé, économiste à Sciences Po, par ailleurs prési­dente de la Société des lecteurs du Monde. On doit mettre en place un mécanisme de revenu minimal automatique, immédiat et sans dé­marche administrative. »

Au­delà de cette mission depompier, le débat tourne autour du rôle stratégique de l’Etat. Des mots comme « planification » ou « nationalisation » ont refait sur­face. La puissance publique doit re­trouver sa place centrale, plaident économistes comme politiques. « En matière industrielle, il faut êtreen capacité de restaurer une appro­che planifiée et stratégique et ne pas s’en remettre aux marchés. Dans un contexte mondialisé, ça nepeut fonctionner que s’il y a une ap­proche coordonnée au niveau européen », assure Yves Veyrier, se­crétaire général de Force ouvrière.

Les autorités publiques doiventdonc orienter les choix majeurs dedéveloppement et ne pas laisser faire le seul marché. Au risque, si­non, de voir partir des filières stra­tégiques et de se rendre trop dé­pendants des pays fournisseurs, comme on l’a vu avec les médica­ments, les masques ou les respira­teurs. « On doit aller vers un Etatentrepreneur qui affiche un volon­tarisme, pour regagner de la souve­raineté économique par des socié­tés publiques d’investissement dans les secteurs des énergies, du

stockage, des transformations éco­los », explique ainsi M. Vallaud.

Les leviers d’intervention sontlà, il suffirait de s’en servir. « L’Etat en tant qu’actionnaire doit jouer son rôle dans les entreprises où ilest présent. Il peut aussi renforcer la réglementation et agir en sou­tien financer avec la BPI. Et, enfin, ily a le levier de la commande publi­que nationale et de celle des collec­tivités locales pour faire pression sur les grandes entreprises pourqu’elles relocalisent et réduisent leur impact environnemental », re­lève Gabrielle Siry, chargée d’en­seignement en économie à l’uni­versité Paris­Dauphine et mem­bre de la direction du PS.

A la différence des années 1980,l’urgence climatique s’est ajoutée à l’équation. En clair, la puissance publique doit anticiper l’avenir. Un point de vue partagé par Mme Cagé : « Réinjecter de l’argent de manière aveugle serait un con­tresens, il faut réorienter les inves­

tissements vers le moins de car­bone », prévient l’économiste. En clair, on ne doit pas relancer l’in­dustrie automobile sans se préoc­cuper de la conversion des chaî­nes de production vers la voiture propre ni engager de plan de sou­tien à l’aérien sans engagementferme à moins polluer. M. Bayoureprend la « théorie du donut », développée par l’économiste bri­tannique Kate Raworth, selon la­quelle il est impératif de ne laisserpersonne tomber dans un trou, sans les éléments essentiels à la survie, tout en respectant la na­ture : « On agit dans un espaceavec un plancher social de droits élémentaires et un plafond envi­ronnemental des ressources à pré­server. Entre les deux, c’est la so­ciété vivable. »

Les conséquences de cette crisepeuvent être considérables. Cer­tains espèrent que ce trauma­tisme provoquera un change­ment des règles du marché, une volonté d’investir dans les écoles ou d’anticiper les conséquencesdu réchauffement climatique.« L’histoire nous a montré que des crises financières ou sociales peu­vent transformer le rôle de l’Etat etsa conception », souligne encore Thomas Piketty.

Les Français, en tout cas, veulentplus de protection. Selon une étude de Viavoice pour Libération, publiée le 31 mars, la « souverai­neté collective », nationale et euro­péenne, le « dépassement de la so­ciété de marché » et la défense desbiens communs, rencontrent une adhésion inédite (entre 70 % et 85 % d’opinions favorables, selon les items). En affirmant, le 13 avril, qu’il souhaitait « sortir des sentiers battus, des idéologies » et se « réin­venter », Emmanuel Macron a, peut­être, ouvert une brèche. raphaëlle besse desmoulières,

abel mestre et sylvia zappi

Des mots comme« planification »

ou « nationalisation »ont refait surface

dans le débat

CHLOROQUINELe ministère des armées stocke « par précaution »Le ministère des armées a reconnu, vendredi 24 avril, avoir acheté de la chloroquine en Chine pour constituer un stock « par précaution », si jamais ce traitement, dont l’efficacité contre le coronavi­rus fait débat, était finalement validé par les autorités sanitai­res. Cette déclaration a fait suite à la publication sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant cette livraison. Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a expliqué, vendredi, « ne pas avoir à commenter les décisions du ministère des armées ».

IMMIGRATIONLes titres de séjour des étrangers prolongésde six mois au totalLa validité des titres de séjour des étrangers, prolongée une première fois de trois mois en mars, a été rallongée d’un trimestre supplémentaire, soit de six mois au total en raison « du contexte sanitaire », a annoncé, vendredi, le minis­tère de l’intérieur. Les démar­ches de renouvellement de ces documents de séjour ont été rendues impossibles de­puis le début du confinement.

COMMERCELes marchés couverts parisiens peuvent livrerLes commerçants de neuf marchés parisiens couverts sont autorisés, depuis ven­dredi, à recourir à la vente à distance de leurs produits, soitpar la livraison à domicile, soit par le retrait des commandes à l’entrée des marchés, ont annoncé la Mairie de Paris et la Préfecture de police. – (AFP.)

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Page 10: Le Monde - 26 04 2020

10 | coronavirus DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

Jeff Bezos, sujet incontournable en tempsde criseLa mise en confinement des économies, avec son cortège de boutiques et de centres commerciaux fermés, a placé Amazon au centre du jeu. Non sans couacs. Mais l’occasion estbelle pour son fondateur de redorer son image

PORTRAITnew york ­ correspondant

L’ épidémie de coronavirus estsurvenue, et Amazon était là.Plus puissante que jamais.Dans une Amérique confinée,l’entreprise fondée par JeffBezos a changé de nature.

L’ancienne librairie Internet de Seattle est presque devenue un service public recentré sur la livraison de produits alimentaires et médicaux de première nécessité. C’est ainsi que le leader américain du commerce par le Net se présente. « Les employés d’Amazon tra­vaillent 24 heures sur 24 pour livrer les produitsde première nécessité, à la porte des gens qui enont besoin », écrivait mi­avril Jeff Bezos, dans sa lettre aux actionnaires. Le propos n’est pas complètement faux, comme le reconnaît le New York Times, dans une enquête pourtant très critique. « Plus le monde se dégrade rapi­dement, plus l’entreprise est attrayante. L’arri­vée du coronavirus, qui a fait du déplacement au supermarché un risque et un supplice, n’a fait qu’accélérer le processus ».

Dans un monde où tout s’écroule, où l’Etatfédéral et la Fed impriment les dollars sanscompter pour sauver l’économie, Amazon af­fiche une santé insolente. Son action a touchémi­avril un plus haut historique de 2 461 dol­lars (2 282 euros), en hausse d’un tiers depuis le début de l’année. L’entreprise vaut 1 200 milliards de dollars, plus de cent fois sesbénéfices, et la fortune personnelle de son fondateur, qui détient 11,2 % des actions, at­teint désormais 145 milliards de dollars. L’homme le plus riche du monde devance largement Bill Gates et Bernard Arnault quitournent autour de 100 milliards, selon le magazine Forbes : en moins d’un an, Bezos a presque effacé l’accord de divorce doulou­reux conclu avec son ancienne épouse Mac­Kenzie Bezos, qui avait amputé sa fortune de 38 milliards de dollars.

DES COUPS DE GÉNIEDans un pays qui admire les entrepreneurs, Bezos n’est que le huitième patron le plus po­pulaire des Etats­Unis avec 26 % d’avis favo­rables selon la société YouGov (loin derrièreles 58 % de Bill Gates). Sans doute parce qu’il a la réussite brutale des titans du XIXe siècle, John Davison Rockefeller dans le pétrole et Andrew Carnegie dans l’acier. Comme eux, parti de rien, Jeff Bezos a multiplié les coups de génie pour transformer en empire sa li­brairie Internet fondée en 1994.

Dans les années 2000, il ouvre sa plate­forme à tous les fabricants de la planète,pour devenir un supermarché mondial, et fi­délise ses clients en leur promettant une li­vraison en deux jours au prix de 119 dollars par an. Puis, après la grande récession, il construit des entrepôts gigantesques dans laplupart des Etats américains, alliant robots et ouvriers, pour fournir tous les ménagesaméricains. Mais comme Rockefeller et Car­negie, il a aussi maltraité ses salariés, com­battu les syndicats, usé de sa position domi­nante et laminé ses fournisseurs, en prati­

quant ce qui a été qualifié en interne de stra­tégie du léopard contre la gazelle : épuiser ses proies en commençant par les plus fai­bles. Dans un curieux aveu, semi­incons­cient, Bezos avait rédigé au début de la dé­cennie un mémo baptisé « Amazon.love », dans lequel il décrivait ses valeurs et ce qui était « cool ». Un antiportrait des pratiques d’Amazon. Dix ans plus tard, il a une oppor­tunité de changer son image. Sauveur ouprofiteur de crise, l’Amérique frappée par le Covid­19 se déchire plus que jamais sur Ama­zon et son fondateur si controversé.

En février, M. Bezos semblait jouir de sanouvelle vie privée. On avait vu le proprié­taire du Washington Post, bête noire de Do­nald Trump, à Los Angeles, flanqué de sa nouvelle compagne Lauren Sanchez lors dela soirée des Oscars, à l’occasion du défilé de mode de Tom Ford, aux côtés de la papesse de la mode et patronne de Vogue, Anna Win­tour, puis lors d’une soirée donnée par Va­nity Fair. Le milliardaire défrayait aussi la chronique immobilière, en achetant à Be­verly Hills la villa légendaire du magnat d’Hollywood Jack Warner au milliardaire Da­vid Geffen pour 165 millions de dollars, quel­ques mois après s’être offert un triplex de 80 millions de dollars sur la Ve Avenue aucœur de Manhattan.

Il s’était acheté une stature de philanth­rope, annonçant qu’il consacrait 10 mil­liards de dollars à la lutte contre le réchauffe­ment climatique. Il pensait ainsi en avoir fini avec ses salariés qui l’avaient poussé enseptembre 2019 à adopter enfin un plan deréduction de ses émissions carbone. Il devi­sait avec les puissants, envoyant à ses 1,396 million d’abonnés sur Twitter – M. Bezos, lui, ne suit le compte que d’une seule personne, son ex­épouse – le 28 février,une photo de sa rencontre avec Emmanuel Macron, en compagnie de Mme Sanchez, dans les salons de l’Elysée, pour discuter « cli­mat et développement durable ».

En réalité, Jeff Bezos sait à ce momentqu’Amazon a changé de monde. La veille, ladirection du groupe a appris qu’un de ses sa­lariés revenu de Milan a contracté le Co­vid­19. Depuis des semaines. Amazon crai­gnait d’avoir des ruptures d’approvisionne­ment venu de Chine, où sont fabriqués une grande partie de ses produits, et observaitavec inquiétude la ville de Seattle, premier foyer d’infection sur le territoire des Etats­Unis. La direction suspend immédiatement les voyages, y compris à travers les Etats­

Unis, ce qui fait d’elle la première à prendre cette décision. Ses entretiens de recrute­ment ne se déroulent plus que par vidéocon­férence. Début mars, les salariés du siège dé­sertent le centre­ville de Seattle et sont invi­tés à passer au télétravail. Jeff Bezos prend leschoses en main, anime des réunions quoti­diennes en compagnie, notamment, de ses deux adjoints Jeff Wilke et Dave Clark. Pourrésoudre la crise et penser le monde d’après.

Le blog de l’entreprise fait le récit d’un pa­tron mobilisé sur tous les fronts. Jeff Bezos rendant visite, masqué, à ses salariés dansdes entrepôts de sa filiale alimentaire WholeFoods. Jeff Bezos généreux avec sa commu­nauté, qui fait offrir quelque 1 200 ordina­teurs aux écoles de Seattle. Jeff Bezos, politi­que, qui discute logistique avec le gouver­neur de l’Etat de Washington, Jay Inslee. Jeff Bezos, au secours de la planète, en vidéocon­férence avec le patron de l’OMS pour aider àéradiquer la pandémie. Tout cela n’est pas faux. Amazon apparaît largement comme un recours, alors que 22 millions d’Améri­cains ont perdu leur emploi le premier mois de crise.

GESTION DE LA CRISE DÉLICATEDès la mi­mars, la firme a ouvert quelque 100 000 postes pour pouvoir répondre à lademande supplémentaire, puis 75 000 nou­veaux emplois en avril. « L’institutrice dematernelle de Dallas, Darby Griffith, nous arejoints après la fermeture de son école le9 mars et elle nous aide à traiter nos stocks.Nous sommes heureux d’avoir Darby avec nous jusqu’à ce qu’elle retrouve sa classe », écrit Bezos, dont l’entreprise est désormais le deuxième employeur américain, derrièreWalmart, avec 590 000 salariés directs. Lepatron annonce aussi qu’il augmente de2 dollars, à 17 dollars, le salaire horaire mini­mal et payera désormais les heures supplé­mentaires doubles (contre 1,5 fois jusqu’à présent). Accusée pendant des années par Bernie Sanders, le sénateur du Vermont, deverser des « salaires de misère », Amazon avait fini par s’aligner sur les exigences du candidat malheureux à l’investiture démo­crate en fixant son salaire minimal à 15 dol­lars de l’heure, plus de deux fois le mini­mum fédéral.

Ses détracteurs, telle la militante antitrustStacy Mitchell, notent qu’Amazon a agi ainsi en raison du plein­emploi, puis pour pallierl’absentéisme qui atteignait 30 % chez ses

ouvriers, inquiets de la pandémie. Il n’empê­che, les hausses de salaires vont coûter500 millions de dollars à Amazon sur la pé­riode allant jusqu’à la fin avril et le groupe of­fre des emplois qui font pâlir d’envie cer­tains. C’est le cas de Michelle Caruso­Ca­brera, candidate à l’investiture démocrate dans le Queens : l’ancienne journaliste de NBC n’a pas digéré que l’aile gauche du parti,emmenée par la députée sortante Alexan­dria Ocasio­Cortez, ait refusé, début 2019,l’implantation du siège new­yorkais d’Ama­zon, sous prétexte qu’elle avait obtenu un ra­bais fiscal de 3 milliards de dollars. Les 25 000 emplois directs promis par Amazon auraient été bien utiles à sa circonscriptionqui a perdu le tiers de ses 350 000 emplois enraison de la pandémie. « Les restaurants et leshôtels ont dû fermer, mais un employeur demasse a gardé ses effectifs et embauche même des dizaines de milliers de personnes supplémentaires à travers le pays : Amazon », écrit Michelle Caruso­Cabrera, qui déplore le manque à gagner fiscal alors que la faillites’annonce à New York.

« La ville et l’Etat de New York auraient reçu27 milliards de recettes fiscales au lieu de 30.Lorsque les résidents comprendront que lessubventions étaient simplement une réduc­tion sur les impôts plutôt que des versements en liquide, ils auront le sentiment d’avoir étéembobinés, trahis par Mme Ocasio­Cortez », accuse­t­elle, écrivant en post­scriptum :« Note pour Jeff Bezos : possible de revenir sur votre décision ? » Jeff Bezos ne reviendra pas sur sa décision, et la gauche démocrate est loin d’être convaincue par Amazon. L’atti­tude de M. Bezos et des siens n’y est pas étrangère.

En premier lieu, la gestion de la crise a étéplus délicate que ne le montrent les apparen­ces. Mi­mars, la star du e­commerce menacede dérailler : la demande des consomma­teurs américains confinés explose, mais le distributeur peine à s’approvisionner enmarchandises et souffre d’un absentéismede 30 % dans ses entrepôts. Les fournisseurs sont priés de ne plus envoyer de biens nonessentiels pour permettre à Amazon de se concentrer sur les biens de première néces­sité. Une équipe est mise en place pour expli­quer aux consommateurs que leurs com­mandes non prioritaires mettront long­temps à arriver : une révolution dans une en­treprise qui a fait fortune sur la livraison endeux jours.

Les pratiques du groupe avec les vendeurs tiers sont contestéesC’est une révélation très gênante pour Amazon : des employés du leadeur mondial de l’e-commerce ont accédé à des données sur les ventes de produits commercialisés sur sa plate-forme par des vendeurs tiers, pour ensuite créer des articles concurrents sous des marques d’Amazon. Les faits, exposés par le quotidien américain Wall Street Journal, jeudi 23 avril, contredisent le dis-cours toujours tenu par l’entreprise de Jeff Bezos. L’affaire accrédite certains soupçons des autorités de la concurrence. Amazon affirme, lui, que les pratiques décrites sont contraires à sa politique et annonce une enquête interne.

DANS UN PAYS QUI ADMIRE LES 

ENTREPRENEURS, BEZOS N’EST QUE 

LE HUITIÈME PATRON LE PLUS POPULAIRE 

DES ÉTATS­UNIS AVEC 26 % D’AVIS 

FAVORABLES, SELON LA SOCIÉTÉ YOUGOV

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Page 11: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 coronavirus | 11

En dépit de ces efforts et de cette « obses­sion du consommateur », pour reprendre l’un des slogans historiques de Bezos, l’entre­prise n’est pas complètement au rendez­vous. Le supermarché sur Internet, y com­pris Whole Foods, chaîne spécialisée dansl’alimentation, était soudain mal achalandé. A Manhattan, mi­mars, on ne pouvait pascommander de fruits ni de légumes, tandis qu’Amazon nous informait aimablement que 5 articles avaient été substitués au grédes disponibilités : une petite bouteille d’eauplate au lieu de l’eau gazeuse désirée, des nouilles vermicelles en remplacement des penne. Plus tard dans la semaine, il n’y avait plus de créneau de livraison disponible, etl’on s’est retourné sur Target pour les com­mandes de nécessité et un réseau de petitscommerçants de bouche de Manhattan. Deux semaines après sa commande, un ma­tériel médical n’avait toujours pas été expé­dié. Mais dans un monde où seul le numéri­que survit, Amazon, qui présentera ses résul­tats trimestriels le 30 avril, s’en sortira sans aucun doute.

Mais c’est dans le rapport à ses salariés quel’entreprise a été la plus contestée. Début mars, Amazon explique à ses employés con­taminés qu’ils ont droit à deux semaines de congés maladie. Mais la mesure n’empê­chera pas le virus d’entrer dans une cinquan­taine d’entrepôts en Amérique du Nord. Pre­mièrement parce que la mesure est mal ap­pliquée par les sous­traitants. Ainsi, le16 mars, Jeysson Manrique, employé d’uneentreprise de livraison, appelle, fiévreux,son chef. Lequel lui demande une photo du thermomètre. Le jeune homme n’en a pas et va donc travailler dans l’entrepôt Amazon du Queens, raconte le New York Times. Deux jours plus tard, son beau­père (qui vit avec lui et travaille chez Amazon) est diagnosti­qué positif et les deux hommes mis en qua­rantaine, tandis que l’entrepôt est désin­fecté. Trop tard, le virus est là.

Deuxième problème, au début, Amazon nepayait les congés maladie qu’en cas de qua­rantaine ou de test Covid positif. « Des em­ployés ont continué d’aller travailler aprèsqu’ils ont présenté les symptômes mais avant d’avoir le retour positif de leurs tests lorsqu’ils deviennent éligibles au congé maladie payé », accuse le New York Times. La pingrerie d’Ama­zon (11,6 milliards de profits en 2019) suscite un tollé, et elle est accusée de ne même pas respecter la loi fédérale s’imposant aux PME.Le 23 mars, quinze procureurs emmenés par celle du Massachusetts, Maura Healey, met­tent en demeure Jeff Bezos : « En limitant le congé maladie uniquement aux employésdiagnostiqués positifs au Covid­19 ou placés en quarantaine, les entreprises [Amazon et Whole Foods] font courir un risque signifiant d’exposition au virus aux autres employés, à leurs clients et au public en général », repro­chent la procureure Healey et ses collègues. « Il a fallu la lettre des quinze procureurs pour qu’Amazon bouge », s’afflige Emily Cunnin­gham, qui était jusqu’à Pâques salariée d’Amazon.

LICENCIEMENTSLe 2 avril, l’entreprise, qui juge ces critiques« non fondées », annonce sur son blog DayOne avoir adopté 130 mesures nouvel­les pour protéger les salariés. Gants, mas­ques, tests de température par centaines demilliers chaque jour… Lentement, l’entre­prise se met en ordre de bataille. Mais toutne se fait pas en un jour. Dans une lettre à ses employés, en mars, M. Bezos reconnais­sait que les masques allaient pour l’instanten priorité au personnel médical. Et ceuxqui ont sonné l’alarme ont été combattus.Sans merci. C’est le cas d’Emily Cunnin­gham et Maren Costa, deux militantes pro­climat de Seattle, licenciées le Vendredi saint pour avoir voulu organiser une réu­nion d’information avec des ouvriers desentrepôts par un mail donnant accès autexte d’une pétition.

C’est aussi le cas de Chris Smalls, employédu centre de tri de Staten Island, à New York, où avait eu lieu une tentative de syndicalisa­tion en 2019. Apprenant qu’un de ses collè­gues salariés avait été testé positif, M. Smalls a demandé l’arrêt de l’entrepôt pour sa dé­sinfection. La direction l’a refusé et l’a mis enquarantaine payée. Le salarié a organisé dansla foulée, le 30 mars, une petite manifesta­tion qui lui a valu d’être licencié, pour avoir

L’ENTREPRISE D’E­COMMERCE EST 

DÉSORMAIS LE DEUXIÈMEEMPLOYEUR AMÉRICAIN, 

DERRIÈRE WALMART

Jeff Bezos,le 6 juin 2019,à Las Vegas (Nevada).JOHN LOCHER/AP

En France, l’épreuve de force continue entre la justice et AmazonLe groupe a décidé de maintenir fermés ses entrepôts après une décision défavorable

C’ est un moment symbo­lique dans le conflit en­tre la multinationale

Amazon et les syndicats français,devenu affaire nationale et suivi de près au siège américain de Seattle (Etat de Washington) : ven­dredi 24 avril, la cour d’appel de Versailles a confirmé, tout en l’adoucissant un peu, la décision qui avait ordonné dix jours plus tôt à Amazon de mieux protéger ses salariés du coronavirus et de restreindre d’ici là ses activités aux produits jugés essentiels.

C’est à la suite de ce revers que lasociété de Jeff Bezos avait décidé de fermer ses entrepôts français. Vendredi, les juges ont de nouveauintimé à l’entreprise de « procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des ris­ques professionnels inhérents àl’épidémie de Covid­19 ».

La réaction d’Amazon ne s’est pasfait attendre : le groupe américain a décidé de ne rien changer et de ne pas rouvrir ses entrepôts. Dans un communiqué très vindicatif, il n’hésite pas critiquer vertement ladécision de la justice française. « Elle nous conforte dans l’idée que l’enjeu principal n’est pas tant la sé­curité que la volonté de certaines organisations syndicales de tirer parti d’un processus de consulta­tion complexe avec les comités so­ciaux et économiques », écrit l’en­treprise. « Nous ne pensons pas quecette décision soit dans le meilleur intérêt des Français, de nos collabo­rateurs et des milliers de TPE et de PME françaises qui comptent sur Amazon pour développer leurs ac­tivités », ajoute la direction.

Une forme de « chantage »Amazon souligne que ses « entre­pôts sont sûrs ». Et que les comités sociaux et économiques (CSE) ont été « impliqués » dans la mise en place des mesures anti­coronavi­rus. Les syndicats dénoncent, eux, une approche « unilatérale », me­née seulement au niveau de cha­que entrepôt. La cour leur donne raison en demandant une consul­tation du CSE central.

« Amazon, plutôt que de négocier,choisit de poursuivre son bras de fer. La direction joue l’opinion con­tre la force du droit. Ce n’est plus un problème économique, c’est un problème psychologique. “Je suis l’employeur, je décide” : on est dans le dogme », déplore Laurent De­gousée de la fédération SUD­Com­merce, auteur de la plainte en pre­mière instance et rejoint en appel par la CFDT, la CGT et FO. L’entre­prise de Jeff Bezos est connue poursa culture américaine rétive au syndicalisme.

Pourtant, la décision judiciairepermet à Amazon d’écouler « 50 %de son catalogue », souligne lesyndicaliste. La cour d’appel nedonne aucun chiffre mais elle esten effet allée dans le sens du géantaméricain sur certains points : elle a élargi et précisé les catégo­ries de produits autorisées à la vente, en se référant au catalogue de la plate­forme : « high­tech », « informatique », « bureau », « toutpour les animaux », « santé et soinsdu corps », « homme », « nutri­

tion », « parapharmacie », « épice­rie », « boissons » et « entretien ». Cet éventail large dépasse celuifixé par le tribunal judiciaire deNanterre le 14 avril, restreint auxseuls produits « alimentaires », « médicaux » et « hygiène ». De plus, la cour a allégé l’astreinte, ju­gée exorbitante par Amazon : cel­le­ci passe de 1 million d’euros à 100 000 euros, même si elle reste due pour chaque colis interdit.

Sans pour autant infléchir la po­sition de l’entreprise : « L’astreinte pourrait impliquer que même un taux infime de traitement acciden­tel de produits non autorisés, de l’ordre de 0,1 %, pourrait entraîner une pénalité de plus de 1 milliard d’euros par semaine, assure la di­rection. Malheureusement, cela si­gnifie que nous n’avons pas d’autre choix que de prolonger la suspen­sion temporaire de l’activité de nos centres de distribution français alors que nous évaluons la meilleure façon d’opérer au regard de la décision. »

Car depuis le 14 avril, AmazonFrance s’est arrangée pour pour­suivre son activité, malgré la déci­sion de justice, en s’appuyant sur d’autres réseaux. Le groupe a fait appel à ses entrepôts étrangers, al­lemands, italiens ou polonais. Et aussi aux 2 000 employés de ses onze petites « agences de livrai­son ». Ces dernières, dépendantes d’une autre filiale, n’étaient pas concernées par la décision et elles acheminent des colis en France, avec l’aide des prestataires habi­tuels d’Amazon pour le « dernier kilomètre », dont La Poste. Enfin,certains vendeurs indépendants de la plate­forme ont continué àassurer leurs livraisons par eux­mêmes. « Continuez à comman­der, les produits sont disponibles »,dit à ses clients Amazon, qui se dé­peint aussi en « entreprise néces­saire à la vie de la nation ».

La multinationale mène uneforme de « chantage » auprès desautorités françaises, estime Alma Dufour, chargée de campagne auxAmis de la Terre. L’association éco­logiste espère que la France fera unexemple et que le conflit actuel marquera « un tournant dans l’im­punité environnementale, sociale et fiscale dont Amazon jouit ».

Et elle demande au gouverne­ment un « moratoire » sur les « huit à onze » projets d’ouverture d’entrepôts ou d’agences de livrai­son en France. Car, malgré l’oppo­sition, la pandémie n’a pas pour l’heure arrêté l’expansion d’Ama­zon. Au contraire.

alexandre piquard

brisé son confinement. « Agir m’a coûté mon job », a déploré M. Smalls sur Bloomberg TV.Les Démocrates se sont saisis de l’affaire : la procureure de New York, Letitia James, a dé­noncé un licenciement « immoral et in­sensé », tandis que le maire, Bill de Blasio, ademandé à la Commission des droits hu­mains de la ville « d’enquêter immédiatementsur Amazon ».

La polémique n’a pas gêné M. Bezos outremesure. Dans un mémo, l’avocat de la firme, David Zapolsky, s’est réjoui cyniquement d’avoir pour figure de proue Chris Smalls lorsd’une réunion en présence de Bezos : « Il n’estpas intelligent ou clair, et tant que la presse voudra se concentrer sur “nous contre eux”, nous serons dans une meilleure position qued’avoir à expliquer pour la xième fois com­ment nous essayons de protéger les tra­vailleurs », écrit Me Zapolsky, qui a proposé dediscréditer le mouvement en accusantM. Smalls d’avoir eu une attitude dange­reuse, voire illégale. L’homme s’est entre­temps excusé et Amazon tient sa ligne.

UN CÔTÉ BISMARCK« Nous n’avons pas licencié M. Smalls pouravoir organisé une manifestation de 15 per­sonnes, nous l’avons licencié pour avoir mis endanger la sécurité et la santé des autres », nous déclare Amazon, ajoutant qu’il avait reçu « de nombreux avertissements pour avoir violé les règles de distanciation ». Mêmepropos sur Mmes Cunningham et Costa.« Nous défendons le droit de chaque salarié àcritiquer les conditions de travail fournies par leur employeur, mais cela ne donne pas une immunité contre les règles internes. Nousavons licencié ces salariées pour violation ré­pétées des règles internes. » Il y a un côté Otto von Bismarck chez Bezos, adoptant in fine des mesures progressistes pour mieux com­battre les catholiques et les socialistes.

Les salariées licenciées estiment qu’ellessont à l’origine du mouvement de M. Bezos sur le climat. « La situation s’est améliorée carles gens ont mis la pression sur Amazon », as­sure Mme Cunningham. Et elles veulent pour­suivre leur combat, estimant que la crise Co­vid­19 est une répétition de la manière dontseront traités les plus faibles lors du réchauf­fement. Avec sa collègue d’infortune Maren Costa, Emily Cunningham a coorganisé cevendredi une grève de protestation sur Inter­net. La participation (quelques centaines) semble dérisoire pour une entreprise de 600 000 salariés, si on la compare aux 48 000 salariés de General Motors qui firent grève pendant quarante jours dans cin­quante usines à l’automne 2019. « C’est la plusgrande révolte de travailleurs contre Amazon dans l’histoire américaine », rétorque Stacy Mitchell, militante du Maine, qui combat de­puis des années ce qu’elle estime être un abus de position dominante d’Amazon.

La lutte pour le climat est pour l’instantmise en sourdine, tout comme les accusa­tions d’abus de monopole. Bezos a endossé le beau rôle pour lutter contre les prix exor­bitants. « Nous avons retiré 500 000 référen­ces de produits pour prix abusifs en raison du Covid­19 et suspendu plus de 6 000 comptes de vendeurs pour avoir violé notre politiquede prix équitable », écrit Bezos à ses action­naires. Pour Stacy Mitchell, qui entend conti­nuer son combat antitrust, « la crise a rendu Amazon plus fort, mais c’est aussi plus visi­ble. C’est une sorte de service public du com­merce, qui joue un rôle d’infrastructure es­sentielle, mais elle n’a pas de supervision.Personne ne conteste le commerce électroni­que mais il faut une régulation pour être cer­tain que la concurrence est équitable », accu­se­t­elle, tout en reconnaissant. « Cela n’arri­vera pas demain. »

Bezos, lui, continue de préparer l’avenir deson entreprise. Il avait profité de la récession pour implanter ses centres de tri dans tout lepays alors éprouvé par la grande crise finan­cière de 2008. Il s’annonce comme un des ga­gnants incontestés de 2020, alors qu’il a in­vesti, en 2019, 36 milliards de dollars en re­cherche et développement, plus de la moitié de la recherche faite en France. Dans sa lettreaux actionnaires, M. Bezos cite Dr. Seuss,nom de plume de Theodor Seuss Geisel, auteur pour enfants : « Quand quelque chose de mauvais survient, vous avez trois choix : vous pouvez le laisser vous définir, le laisser vous détruire ou le laisser vous renforcer. » Etd’ajouter : « Je suis très optimiste sur laquelle de ces civilisations nous allons choisir. »

arnaud leparmentier

« LA DIRECTION JOUE L’OPINION CONTRE 

LA FORCE DU DROIT. CE N’EST PLUS UN 

PROBLÈME ÉCONOMIQUE, C’EST UN PROBLÈME 

PSYCHOLOGIQUE »LAURENT DEGOUSÉE

fédération SUD-Commerce

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Page 12: Le Monde - 26 04 2020

12 | coronavirus DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

Presstalis :« Il est temps que l’Etat montre la voie »Cédric Dugardin, président du distributeur de presse, veut éviter un long redressement judiciaire

ENTRETIEN

L undi 20 avril, Cédric Du­gardin, président dePresstalis, a déposé unedéclaration de cessation

de paiement de l’entreprise, pré­lude à un redressement judiciaire,et signe de la gravité de la situa­tion du premier distributeur de lapresse française. Pour sortir de lacrise, les éditeurs de presse doi­vent s’entendre sur un plan de continuation de l’activité. Mais alors que la situation ne cesse dese dégrader sous l’effet du confi­nement, presse magazine et presse quotidienne continuent de se déchirer.

Vous avez déclaré Presstalis en cessation de paiement. Que va­t­il se passer maintenant ?

Cette déclaration est un acte ju­ridique. Il faut maintenant une audience au tribunal, qui peut dé­cider d’un redressement judi­ciaire, ou dans le pire des cas, d’une liquidation. Cette audience devait avoir lieu ce vendredi 24 avril, elle se tiendra finalementle 12 mai.

J’ai demandé son report car jeconsidère qu’il y a eu des avan­cées significatives avec l’Etat etles partenaires sociaux. Ce délaidoit nous permettre d’arriver de­vant le tribunal avec un plan abouti et d’éviter à Presstalis derester longtemps en redresse­ment judiciaire.

Quelle est la situation de Presstalis ?

Quatre cents marchands dejournaux ont rouvert depuis le début du confinement. Il en reste donc 2 800 fermés, soit 16 % du chiffre d’affaires de Presstalis,contre 20 % au départ.

Deux plans de poursuite de l’activité sont sur la table. Que proposent­ils ?

Le plan proposé par les magazi­nes prévoit de faire des Message­ries lyonnaises de presse [MLP], concurrent de Presstalis, une mes­sagerie unique. Presstalis devien­drait un centre de prestations de services, assurant certaines fonc­tions supports (informatique, ré­glage des « fournis »…). En face, le plan que nous proposons est un plan intermédiaire, qui intègre MLP dans le système, et prévoit undébut de mutualisation des outils.Cela permet d’ouvrir la voie à une messagerie unique à terme. Dans tous les cas, la restructuration va coûter aux alentours de 150 mil­lions d’euros. Le plan des magazi­nes prévoit la reprise de 300 per­sonnes sur 910. Celui de Presstalis,360. C’est une réduction significa­tive des effectifs.

Quelle est la réaction des syn­dicats face à cette perspective ?

Il n’y a pas eu de grève, les équi­pes poursuivent leur mission, et elles n’ont pas l’intention de l’in­terrompre. Les organisations syn­dicales continuent de discuter.Pour elles, le plan de Presstalis est un point de départ. En revanche, elles ont présenté un refus trèsclair au plan des magazines, quitransforme Presstalis en sous­traitant. Depuis le membre du co­mité de direction jusqu’au res­ponsable syndical, tous souhai­tent préserver leur messagerie carc’est la garantie d’avoir les clés de leur avenir. Dans un mariage, ilfaut être deux. Et les forcer à une alliance avec les MLP dont ils ne veulent pas serait suicidaire. D’ailleurs, MLP ne propose pasd’investir dans la nouvelle struc­ture, mais simplement d’appor­

le même temps, ils réduisent drastiquement les « fournis » [lenombre d’exemplaires envoyésdans les points de vente] : deux desplus gros éditeurs de magazines, Prisma et CMI France [dont le pro­priétaire, Daniel Kretinsky, est ac­tionnaire indirect du Monde], ontrespectivement baissé de 44 % et 45 % le nombre d’exemplaires enkiosque. En avril, tous éditeurs confondus, cela devrait représen­ter 36 millions d’euros de fournis,soit un manque à gagner de 28 %du chiffre d’affaires 2019. Pour­quoi ? Certains souhaitent ré­duire leur exposition à Presstalis afin de pouvoir en partir plus faci­lement. N’oublions pas que s’il y aune presse magazine aussi déve­

loppée en France, c’est qu’elle a profité du système de distribu­tion en étant distribuée pendant longtemps à coût marginal. Il y a ceux qui veulent tout prendre aubénéfice d’un seul.

La Coopérative de distribution des magazines assure que Presstalis ne paye plus les éditeurs, et lui reproche d’avoir une créance à leur égard de 120 millions d’euros…

Il y a bien une créance éditeurs,qui est de 120 millions d’euros. Mais c’est une créance client nor­male, qui est roulante, et qui cor­respond au montant qu’on leurdoit au regard de leurs ventes. Cedélai de paiement est passé de 45

à 60 jours l’an passé. En revanche,les petits éditeurs, qui sont les plus fragiles, sont payés en prio­rité. Il n’y a pas de retard sur cequ’on leur doit. Il y a des retards uniquement sur les gros éditeurs,de la presse quotidienne et maga­zine, mais nous arrivons à payer.

Qu’attendez­vous de l’Etat ?L’Etat, qui est le garant de la plu­

ralité de la presse, a un rôle­clé. Il nous aide à faire face à noséchéances depuis deux semaines,en compensant la baisse du chif­fre d’affaires. Il a accepté de nousaider à payer les diffuseurs de presse, auxquels nous devions16 millions d’euros. L’argent est actuellement en transit. Ces der­niers toucheront leur chèque les29 et 30 avril. En parallèle, la con­ciliatrice du tribunal, HélèneBourbouloux, a demandé aux éditeurs s’ils étaient prêts à accep­ter un plan, en échange d’une aidede l’Etat.

Ainsi, les pouvoirs publics pour­raient prendre en charge 83 % du montant des créances éditeurs : cette somme serait pour 50 % dela subvention, pour 50 % des prêtsbonifiés, remboursables en six ans. En échange, les éditeurs s’en­gageraient à investir 70 % des sommes perçues dans la restruc­turation et la relance de l’entre­prise. A une ou deux exceptionsprès, tous sont d’accord. Reste à choisir le plan.

L’Etat a simplement dit que leplan devait être acceptable socia­lement. Or, celui qui paie com­mande, et il est temps que l’Etat montre la voie et qu’il dise quelplan il est prêt à financer.

Les éditeurs de magazines disent que votre plan est provisoire, tandis que celui des MLP est pérenne…

Qui peut prévoir ce qu’il se pas­sera dans deux ans dans un mar­ché qui baisse de 15 % à 20 % par an ? Je considère qu’avec un plan àtrois ans, ça donne le temps d’en­visager une messagerie unique.

propos recueillis parsandrine cassini

Cédric Dugardin, le 13 juillet 2019, à Paris. LEWIS JOLY/JDD/SIPA/LEWIS JOLY/JDD/SIPA

Les coiffeurs reprendront leurs ciseaux le 11 maiFranck Provost estime à 100 millions d’euros le coût de la fermeture de ses salons durant deux mois

J − 15. Partout en France, lescoiffeurs comptent les joursavant de retrouver leursclients. Franck Provost, prési­

dent du Conseil national des en­treprises de coiffure, a envoyé « la fiche de travail » pour la reprise d’activité du secteur au ministère du travail, jeudi 23 avril, pour vali­dation, quelques heures après avoir obtenu l’aval des partenairessociaux. Les salons devraient ouvrir leurs portes à partir du lundi 11 mai, près de deux mois après leur fermeture dans le cadre des mesures de confinement adoptées en France pour lutter contre la propagation du Covid­19.

Etabli avec l’Union nationaledes entreprises de coiffure, autre organisation patronale, et la mu­tuelle du secteur, Aésio, le plan de réouverture impose des « règles strictes pour protéger le personnel et la clientèle », explique celui quia fondé Provalliance et exploite3 500 salons sous différentes en­seignes. A partir du 11 mai, un coif­feur en activité devra être équipé de masque et de lunettes ou d’une

visière en plastique transparent qui couvre son visage ; le barbier, qui, lors d’une coupe, est très ex­posé au souffle de son client et donc aux postillons, devra porter un masque et une visière. Chaque coiffeur devra asseoir son client à plus d’un mètre d’un autre. Même règle lors du shampooing.

Nouvelles pratiques capillairesLe client devra être équipé d’un masque, dès son entrée dans le sa­lon et tout au long de la prestation.« Il devra porter un modèle à élasti­ques qu’on enfile sur les oreilles, si­non le coiffeur ne peut pas tra­vailler sa chevelure », précise M. Provost. Le salon pourrait le lui fournir. Mais il serait « préférable » que le client soit équipé de son propre masque. Il devra aussi se la­ver les mains ou se les désinfecter à l’aide d’un gel hydroalcoolique.

Pour des raisons d’hygiène, le sa­lon lui fournira un peignoir lavé à 30 degrés et séché au sèche­linge ou une blouse à usage unique qui sera jeté après la prestation. Les gé­rants n’auront pas l’obligation de

mettre en place un filtrage, pour soumettre à un quota le nombre de clients présents dans le salon, contrairement à ce qui s’est im­posé dans les grandes surfaces ali­mentaires. « C’est trop compliqué »,juge M. Provost, en évoquant la surface de ses établissements qui peut varier d’une dizaine de mè­tres carrés à plusieurs centaines. Ces nouvelles méthodes d’accueil et de travail en salon devraient avoir une incidence sur le coût d’exploitation. « De 2 à 3 euros par client », estime M. Provost, qui, pour l’heure, dit ne « rien avoir dé­cidé » sur une éventuelle augmen­tation de ses tarifs.

Dans ces conditions, les clientsreviendront­ils ? « C’est l’inconnu »,reconnaît le patron. Mais, à l’en croire, il y a urgence à autoriser l’ouverture des salons en France. Déjà, le travail au noir, qui lamine ce secteur, a repris. Plusieurs pro­fessionnels exercent leur activité de manière clandestine. A Mont­pellier, mi­avril, la police a verba­lisé un coiffeur qui, rideau tiré, re­cevait sa clientèle dans son établis­

sement du centre­ville. L’urgenceest surtout financière. Car la fer­meture des établissements a mis « leur trésorerie à plat », dit­il. La France en compte plus de 63 000. « Les plus petits auront du mal à se relever » de l’absence de recettes depuis le 17 mars, juge M. Provost, en estimant que rares sont les en­trepreneurs de la coiffure à obte­nir des prêts garantis par l’Etat. Pour soutenir ses franchisés, Pro­valliance a décidé d’annuler pour deux mois les royalties dues par ces derniers.

L’Oréal, dont les ventes de pro­duits capillaires aux profession­nels ont chuté de 10,5 % au pre­mier trimestre, a aussi annoncé des mesures d’aides aux salons en gelant les créances de 11 000 d’en­tre eux dans l’Hexagone. « Nos charges continuent de courir. No­tamment les loyers qui, pour la pé­riode de ces deux mois, s’élèvent à 9 millions d’euros. Nous n’en avons pas obtenu l’annulation dans les centres commerciaux », ajoute M. Provost, en chiffrant le manqueà gagner dû à la crise du coronavi­

ter son « savoir­faire ». L’entre­prise veut prendre le meilleur et laisser le reste.

Les magazines ne font plus confiance à Presstalis, auquel ils reprochent d’être responsa­ble de cette faillite. Que leur répondez­vous ?

Il y a beaucoup de posture de lapart des grands groupes de maga­zines. Aujourd’hui, certains sou­haitent la disparition de Pressta­lis, afin de ne pas assumer le pas­sif social, qu’ils ont contribué àcréer. Je les soupçonne de jouer la montre, et de pousser à la liquida­tion. Plus on attend, plus la situa­tion se dégrade. Ils font mine desoutenir les kiosquiers, mais dans

rus « à 100 millions d’euros » pour le groupe dont l’activité s’est éta­blie à 1,5 milliard d’euros en 2019.

Reste aussi à savoir si le person­nel des salons est prêt à cette re­prise et ces conditions de travail. M. Provost le croit. « Les coiffeurs en ont ras le bol de ne pas tra­vailler », jure­t­il. Et, sans doute, doivent­ils réagir aux nouvelles pratiques capillaires adoptées de­puis le début du confinement : les Français sont de plus en plus nom­breux à se tondre les cheveux ou à les teindre seuls, à l’aide de pro­duits achetés en grandes et moyennes surfaces. Les ventes de teintures « font un carton, avec unehausse de 33 % », note Emily Mayer,responsable d’études chez IRI.

A force, ce comportement pour­rait devenir une habitude et assé­cher l’activité des salons. Une en­quête d’opinion menée par l’insti­tut de sondage Harris devrait ce­pendant leur donner du cœur à l’ouvrage : 59 % des Français disentvouloir se rendre chez le coiffeurdans la semaine du 11 mai.

juliette garnier

« Du membre du comité

de direction au responsablesyndical, tous

veulent préserverleur messagerie.C’est la garantied’avoir les clés de leur avenir »

TEXTILERéouverture des commerces de tissuLes commerces de tissu sont autorisés à rouvrir dès ce ven­dredi pour « permettre à cha­que Français qui le souhaite de se procurer les matières pre­mières nécessaires » pour des masques, en prévision du dé­confinement prévu le 11 mai, a annoncé le gouvernement vendredi 24 avril. – (AFP.)

PRESSE« Paris-Normandie » : dépôt des offres de rachat jusqu’au 12 maiLes candidats à la reprise de Paris­Normandie (240 sala­riés) ont jusqu’au 22 mai midi pour déposer leurs offres de rachat du quotidien placé en liquidation judiciaire avec prolongation d’activité, selon une annonce parue vendredi 24 avril dans Les Echos.

FINANCES&P maintient la note de la dette italienneL’agence de notation S&P a maintenu vendredi 24 avril la notation financière de l’Italie pourtant durement affectée par le Covid­19, mettant en avant une « économie diversi­fiée et riche ». – (AFP.)

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Page 13: Le Monde - 26 04 2020

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Page 14: Le Monde - 26 04 2020

14 | coronavirus DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

Les deux pays vont débloquer jusqu’à 11 milliards d’euros pour aider la compagnie aérienne

L’ Etat avait promis une aidemassive pour Air France, ila tenu parole. Le ministre

de l’économie, Bruno Le Maire, a annoncé, vendredi 24 avril, sur TF1,le déblocage de 7 milliards d’euros pour Air France. Un « plan histori­que » pour « sauver notre compa­gnie nationale », comme l’a quali­fiée M. Le Maire. Moins généreux, les Pays­Bas devraient attribuer dans les prochaines semaines en­tre 2 milliards et 4 milliards d’euros à KLM pour la mettre, elle aussi, à l’abri de la faillite. Pour­tant, la France et les Pays­Bas dé­tiennent chacun 14 % du capital dela compagnie franco­néerlan­daise. Pour devenir effectif, l’appuifinancier de la France et des Pays­Bas devra d’abord recevoir le feu vert des autorités européennes de la concurrence. En revanche, la France comme les Pays­Bas sem­blent avoir, pour l’instant, aban­donné l’idée d’une nationalisa­tion, même temporaire, d’Air Fran­ce­KLM, ainsi que celle d’une mon­tée au capital de la compagnie.

Comme prévu, Air France perce­vra cette aide exceptionnelle sous deux formes : 4 milliards de prêts garantis à 90 % par l’Etat et 3 mil­liards supplémentaires de prêts di­rects. L’entrée en jeu de l’Etat est une victoire personnelle pour Ben Smith, le directeur général d’Air France­KLM. Ces dernières semai­nes, il avait constitué un com­

mando soudé autour de lui pour négocier non seulement une aide financière pour éviter la faillite, mais aussi un investissement de l’Etat pour aider Air France à parti­ciper activement à la phase de con­solidation qui interviendra à l’is­sue de la pandémie.

Stratégie offensiveEn interne, il se dit que M. Smith ades vues sur des compagnies à bascoûts pour renforcer Air France­KLM. Avec l’appui financier de l’Etat, la compagnie franco­néer­landaise pourrait faire son entrée,à terme, au capital d’easyJet ou de Norwegian, une compagnie low cost long­courrier en très grandes difficultés financières. Cette stra­tégie offensive semble indispen­sable pour Air France­KLM. M. Smith estime, en effet, que « lesdeux grands groupes low cost [ea­syJet et Ryanair] pourraient re­commencer leur activité plus vite

et plus fort qu’Air France ». Car, au sortir de la pandémie, c’est le sec­teur du moyen­courrier qui redé­marrera le premier et le plus fort. Un atout pour les compagnies àbas coûts, mais un problème pourAir France pour laquelle le long­courrier constitue plus de 50 % deson activité. En prenant pied dansune compagnie low cost, la com­pagnie franco­néerlandaise rega­gnerait d’un côté le moyen­cour­rier, ce qu’elle perd de l’autre, le long­courrier.

Toutefois, le ministre de l’écono­mie a prévenu : ce soutien finan­cier massif « n’est pas un chèque enblanc ». Avant de mettre la main à la poche, M. Le Maire a assuré que l’Etat a « fixé des conditions à Air France. Des conditions de rentabi­lité car c’est l’argent des Français, donc il faut qu’Air France fasse un effort pour être plus rentable, et desconditions écologiques. Air France doit devenir la compagnie aé­rienne la plus respectueuse de l’en­vironnement de la planète. C’est la condition à laquelle je suis le plusattaché ». La direction d’Air Francea bien compris le message. Audi­tionnée, jeudi 23 avril, par le Sénat,elle s’est engagée à rembourser, au moins en partie, l’aide finan­cière de l’Etat.

Surtout, Ben Smith va devoirtailler dans le vif des foyers de per­tes du groupe. Comme sa concur­rente allemande Lufthansa, Air

France­KLM ressortira de la crise plus petite après qu’avant. L’objec­tif de la direction est de transférer l’activité court et moyen­courrier déficitaire d’Air France à sa filiale àbas coûts Transavia, installée à Orly. En 2019, Air France Hop et le court­courrier ont accumulé200 millions d’euros de pertesd’exploitation. Pour effectuer ce transfert d’activité, la direction d’Air France doit auparavant obte­nir l’aval des pilotes de la compa­gnie. En effet, en vertu des accordsdits « de périmètre », Transavia n’est pour l’instant pas autorisée àeffectuer des vols domestiques. Lesilence des organisations syndica­les et, notamment, du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) semble indiquer que M. Smith s’est déjà assuré du soutien des pilotes.

Enfin, la volonté affichée deM. Smith de refaire d’Air France­KLM un leader mondial aura aussiun coût social. « Mais les salariés doivent être assurés que nous fe­rons en sorte de minimiser cet im­pact », a promis M. Smith devant les sénateurs. Selon nos informa­tions, l’Etat aurait fixé commecondition à son aide financière qu’il n’y ait pas de licenciements. En revanche, la direction devraitmettre en place de nouveauxplans de départs volontaires pour réduire ses effectifs.

guy dutheil

Sur l’île de Ré, les agriculteurs re­tiennent leur souffle. La récolte des pommes de terre primeurs vient de débuter. Emballées dans leurs cagettes, estampillées du précieux label AOP, elles sont prêtes à être commercialisées. Les plus belles « truffes » sont vendues 3 euros le kilo par la coopérative Uniré. Comme la bonnotte de Noirmoutier, la gre­naille de l’île de Ré tient le haut du panier. Et sonne le début d’une nouvelle saison pour la pomme de terre. Mais, cette année, avec le confinement, les Français auront­ils envie de succomber ?

Si le tubercule a trouvé sa placedans le panier panique des con­sommateurs aux côtés des pâtes et du riz glanés dans les rayons de supermarché, il a vu les portes des cantines, restaurants et autres fast­foods se fermer le 15 mars. La pomme de terre n’a plus la frite. Les industriels tran­formant pour McDonald’s, KFC ou Burger King ont donc mis le pied sur le frein et rechignent dé­sormais à accepter les livraisons des producteurs sous contrat. Même s’ils acceptent parfois de dédommager l’agriculteur.

Résultat, des pommes de terreviennent engorger le marché. « L’industrie en consomme en moyenne de 5 000 à 6 000 tonnes

par jour », estime Antoine Pee­naert, producteur dans le Pas­de­Calais, qui chiffre le trop­plein à 200 000 voire 300 000 tonnes. Et toutes les variétés ne se valent pas. La petite frite blanche demandée par McDonald’s ne franchira jamais les portes d’une friterie des Hauts­de­France, où les amateurs l’exigent d’un jaune doré… Dans ce jeu de chamboule­tout, l’excédent de tubercules vient déséquilibrer les exporta­tions. Or, la France vend hors de ses frontières les deux tiers de sa production estimée à 6,1 mil­lions de tonnes. « Sauf pour les très belles variétés, les prix ont été divisés par deux », affirme M. Peenaert.

Les agriculteurs français, mais aussi belges et néerlandais, logés à la même enseigne, ont inter­pellé Bruxelles. La Commission européenne, qui s’est déclarée, mercredi 22 avril, favorable à des mesures d’aide au stockage privé des produits laitiers et de la viande, des filières confrontées également à des surplus, a donné son accord pour des retraits de produits sur le marché de la pomme de terre. Quitte à déro­ger aux règles de la concurrence. Reste à savoir comment ces me­sures de soutien agricole seront financées. La patate chaude du confinement…

Les prêts garantis par l’Etat font aussi des déçusMême si plus de 250 000 sociétés ont été aidées, les TPE et les start­up voient souvent leur dossier rejeté

M ichelle Dominguez,propriétaire de qua­tre boutiques deprêt­à­porter en

Rhône­Alpes, à Lyon, Oullins et Voiron, ne comprend pas. La de­mande de prêt garanti par l’Etat (PGE) qu’elle a faite auprès de sabanque a été rejetée. « On a eu lesgilets jaunes, les grèves des trans­ports qui ont provoqué un gros manque à gagner sur décembre et janvier, et maintenant on a le Co­vid. J’ai huit salariés à temps com­plet et une à mi­temps, tous nos stocks de printemps qui sont dans les boutiques et qu’il va falloir bra­der pour faire de la trésorerie. Je nevois pas comment on peut s’en sor­tir », dit la commerçante.

De nombreux chefs d’entrepriseont connu ce type de déconvenueces dernières semaines. Olivier Roubin, créateur d’une start­upsur la Côte d’Azur, en fait partie. « La banque nous a répondu que nous n’avions pas assez de fonds

propres. Le problème, pour une so­ciété comme la nôtre qui a moins de trois ans d’existence, c’est que nous n’entrons pas dans les ca­ses. » Ironie du sort, la jeune pousse en question, Le Panier Bleu, une marketplace qui ras­semble des producteurs locaux, connaît une activité exponen­tielle depuis le début du confine­ment – et a fini par obtenir un cré­dit classique de sa banque.

Selon le président de la Fédéra­tion bancaire française (FBF), Fré­déric Oudéa, les sociétés dont lademande a été refusée restent très minoritaires. Pour les entre­prises éligibles au dispositif, letaux de refus est inférieur à 5 %, « voire plutôt entre 2 % et 3 % ». « Sur plusieurs centaines de mil­liers de demandes, ça fait quandmême du monde », reconnaît un banquier sous le couvert de l’ano­nymat. De fait, à la date du mer­credi 22 avril au soir, 251 000 en­treprises ont obtenu un PGE pour

un encours global de près de 40 milliards d’euros, soit un mon­tant moyen de 140 000 euros, adéclaré le directeur général deBpifrance, Nicolas Dufourcq. Les TPE (très petites entreprises) sont les principales bénéficiaires à côtéde grands noms comme AirFrance.

« Prouesse industrielle »L’annonce du dispositif de PGE, qui pourra atteindre au total un encours de 300 milliards d’euros, aen effet remporté un succès im­médiat lors de son annonce le 16 mars par Emmanuel Macron. Les banques ont vu affluer les dos­siers, les contraignant à réaliser une véritable « prouesse indus­trielle » : après avoir mis au point lemécanisme du prêt avec Bercy en un week­end, elles ont dû s’organi­ser pour former les conseillers clientèle et faire circuler l’informa­tion dans leurs réseaux – non sansdifficultés au départ, du fait du

contexte du confinement. Les per­sonnels ont également été massi­vement mis à contribution. « 60 000 salariés sont mobilisés pour ces prêts, tout le monde donneun coup de main, indique Frédéric Guyonnet, le président national du syndicat SNB­CFE­CGC. Pour gagner du temps, des employés normalement chargés de la main­tenance ou de la formation sont ré­quisitionnés pour scanner et clas­ser les documents. On a mis les moyens, et on le vit mal quand on entend que les banques ne jouent

pas le jeu. » D’autant que dans le secteur, selon le syndicat, le taux d’absentéisme en raison du coro­navirus atteignait 28 % au 17 avril.

A lui seul, le groupe BPCE (Ban­que populaire Caisse d’épargne) a enregistré plus de 100 000 deman­des, pour près de 19 milliards d’euros. « Pour les Caisses d’épar­gne, notre production de prêts ga­rantis par l’Etat équivaut à notre production habituelle de crédits en­treprises et professionnels d’une an­née, c’est énorme », affirme Chris­tine Fabresse, la directrice généralebanque de proximité et assurance chez BPCE. Chez BNP Paribas, des « comités minute » se réunissent quotidiennement dans les territoi­res pour traiter tous les dossiers complexes. Sur plus de 30 000 de­mandes de crédit, pour un mon­tant de 7,3 milliards d’euros, le tauxde refus s’élève à 1,3 %. « Les dos­siers qui ont été refusés concer­naient des entreprises à la situationtrès dégradée avant la crise, pour

lesquelles le besoin de trésorerie n’était pas le sujet », indique Mar­guerite Bérard, la directrice des ré­seaux France chez BNP Paribas. « Il y a un alignement d’intérêt entre nous et nos clients, nous avons tousintérêt à ce qu’ils passent cette pé­riode de crise. Mais la garantie de l’Etat c’est l’argent de nos impôts, et nous sommes comptables du bon usage des deniers publics. »

Frédéric Visnovsky, médiateurdu crédit à la Banque de France,qui traite les réclamations des chefs d’entreprise dont les dos­siers ont été refusés – dont 90 %de TPE, comptant en moyenne 5 à6 salariés –, confirme cette appro­che. « Ce dispositif n’est pas fait pour surendetter les entreprises, plaide­t­il. Il faut qu’elles soient ca­pables de dégager de la rentabilité à l’avenir. » A l’issue de la média­tion, environ les deux tiers des de­mandeurs obtiennent satisfac­tion. Les autres pourront désor­mais accéder à un dispositif qui fait l’objet d’un décret publié sa­medi 25 avril, sous forme d’octroi de fonds participatifs. « Il y a un certain nombre d’entreprises qui ont davantage besoin d’être aidéesen termes de fonds propres qu’avecun crédit », fait valoir Frédéric Vis­novsky. Par ailleurs, plusieurs ré­gions étudient la possibilité de proposer des « prêts rebond »,d’un montant de 10 000 à 50 000 euros, dispositif qui pourrait être lancé dans la semaine du 27 avril.

Pour le Syndicat des indépen­dants, il y a urgence. « Nous de­mandons depuis maintenantvingt mois au gouvernement des aides pour les petites entreprisesfragilisées hier par le climat social (« gilets jaunes », grève…) et au­jourd’hui par la crise sanitaire, rappelle Marc Sanchez. A ce jour,et selon notre dernière enquête, 400 000 TPE sont sans solution. Pire, 77 % d’entre elles se déclarent être en impasse de trésorerie sous deux mois. »

béatrice madelineet véronique chocron

« Ce dispositif n’est pas fait

pour surendetterles entreprises »

FRÉDÉRIC VISNOVSKYmédiateur du crédit

à la Banque de France

c’est un filet de sécurité auquel les très petites entreprises (TPE) ont large­ment eu recours depuis le début du confinement. Le fonds de solidarité en fa­veur des entreprises, créé par l’Etat et les régions pour prévenir la cessation d’acti­vité des microentrepreneurs, indépen­dants ou professions libérales, a déjà reçuplus d’un million de demandes et versé plus de 800 000 aides, pour un montant de 1 milliard d’euros.

Les très petites structures peuvent enbénéficier (jusqu’à 1 500 euros, auxquels peut s’ajouter une aide complémentaire de 5 000 euros) dès lors qu’elles sont tou­chées de plein fouet par les conséquenceséconomiques du Covid­19, soit parce qu’elles font l’objet d’une interdiction d’accueil du public, soit parce qu’elles ontperdu plus de 50 % de leur chiffre d’affai­res. Alors que la crise s’amplifiait, le fondsde solidarité est devenu plus généreux. Les critères d’attribution ont été élargis, d’abord à certains agriculteurs, aux artis­

tes­auteurs, et aux entreprises en redres­sement judiciaire et en procédure de sau­vegarde. Pour l’hôtellerie­restauration, le tourisme et le loisir, plus durablement touchés par la crise, l’accès au fonds a été étendu, vendredi 24 avril, à des entrepri­ses de taille supérieure et la subvention doublée, à 10 000 euros au maximum.

« Appel solennel »Le budget du fonds de solidarité a donc été revu, passant de 1 milliard à quelque 7 milliards d’euros. Premier contributeur,l’Etat va apporter 6,25 milliards. Les ré­gions participent également à hauteur de500 millions d’euros.

Le ministre de l’action et des comptespublics a appelé à la générosité des entre­prises, mais sans beaucoup de succès. Seul le secteur des assurances a abondé lefonds de manière significative, à hauteur de 400 millions d’euros. « Mais il a fallu leur tordre le bras, note une source à Bercy. Après la polémique sur l’assurance

des pertes d’exploitation qui n’a servi à rienpour couvrir les entreprises dans cettecrise sanitaire, la pression a été forte pour que les assureurs contribuent à la solida­rité nationale ». Le groupe de luxe Her­mès a versé pour sa part la somme sym­bolique de 3 millions d’euros.

Mardi 21 avril, le sénateur (LR) Jean­François Husson a proposé de « faire unappel solennel (…) à l’ensemble des grands groupes (…) qui (…) sont en bonne santé »,estimant que « l’heure est suffisammentgrave et importante pour demander une contribution volontaire ». Dès le 16 avril, par un amendement au projet de loi de fi­nances rectificative, des parlementaires avaient souhaité la participation de la grande distribution. Mais, pour les distri­buteurs, pas question d’abonder le fonds de solidarité national. Certes, ils font par­tie des rares commerces encore en acti­vité qui génèrent du chiffre d’affaires, mais, selon eux, les bénéfices sont loin d’égaler ceux que la population imagine.

« L’évolution du chiffre d’affaires est rela­tivement faible. On est, ces derniers jours, àpeine à + 5 % par rapport à l’an dernier », explique Jacques Creyssel, délégué géné­ral de la Fédération du commerce et de la distribution. Les paniers sont plus volu­mineux, mais les gens viennent moins souvent et ne font plus de dépenses inu­tiles. De plus, argumentent les distribu­teurs, ils ont eu des dépenses « gigantes­ques », en matière d’« équipement de 200 000 carrés de Plexiglas devant les caisses, de recrutement d’agents de sécu­rité pour filtrer les flux de clients, ou d’inté­rimaires pour assurer la cadence des dri­ves », mais aussi avec « la prime de 1 000 euros, qui représente entre 500 et 600 millions d’euros à sortir pour les en­seignes », précise M. Creyssel. « La diffi­culté, c’est que tout le monde souffre de la crise actuelle, indique­t­on à Bercy. Mais certains moins que d’autres. »

vé. ch.et cécile prudhomme

Les grands groupes ne se précipitent pas pour abonder le fonds de solidarité

L’entrée en jeude l’Etat estune victoire

personnelle pourBen Smith, le

directeur générald’Air France-KLM

MATIÈRES PREMIÈRESPAR  LAURENCE  GIRARD

« La pomme de terre n’a plus la frite »

Air France­KLM : Français et Néerlandais contraints de mettre la main à la poche

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Page 15: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 international & planète | 15

Le premier opposant malien porté disparu depuis un moisLa piste djihadiste est privilégiée depuis l’enlèvement de Soumaïla Cissé

D epuis un mois, le Maliest sans nouvelles deson principal opposant.

Soumaïla Cissé, arrivé en deuxième position lors des prési­dentielles de 2013 et 2018, a étéenlevé le 25 mars alors qu’il bat­tait campagne pour le premier tour des législatives. Le rapt s’estproduit non loin de son fief élec­toral de Nianfunké, au centre duMali. « Je lui ai parlé quelquesminutes avant l’enlèvement. Iln’était pas inquiet. Il avait déjà traversé trois villages lorsqu’ils sont partis dans l’après­midi pourKoumaïra », raconte Assa Cissé,l’épouse du président de l’Unionpour la République et la démo­cratie (URD), épuisée par « cettetrop longue attente ».

D’après plusieurs récits, leconvoi de deux véhicules et d’unepetite quinzaine de personnes esttombé dans une embuscade, à moins de 5 kilomètres de sa desti­nation finale. Le véhicule qui transportait M. Cissé a été mi­traillé sans sommation. Songarde du corps est mort des suitesde ses blessures, deux autres « jeunes » ont été blessés : « l’un d’une balle à la mâchoire qui lui a arraché huit dents, un autre a vu une balle lui glisser sous la peau duventre », relate un membre du parti. Tous les membres du cor­tège ont par la suite été libérés, hormis Soumaïla Cissé. Blessé à une main lors de l’attaque, l’homme politique aurait été aus­sitôt isolé par ses ravisseurs.

« Flou le plus complet »Très vite, les regards se sont tour­nés en direction des éléments de la katiba Macina. Les zones rura­les de cette partie du pays, où le fleuve Niger se transforme en del­tas, sont largement sous la coupe des djihadistes aux ordres du pré­dicateur Amadou Koufa.

Mais, à ce jour, aucun groupe n’arevendiqué le rapt, et ce silence inquiète, tant parmi les prochesde l’otage que chez certains habi­tués des médiations avec les isla­mistes armés maliens. « Nous ne savons pas qui l’a enlevé. Pour­quoi ? Où se trouve­t­il ? Nous som­mes dans le flou le plus complet.Nous avons appris dans les médiasqu’il aurait reçu de l’eau et des mé­dicaments, mais nous n’avons aucune confirmation officielle », soupire Me Demba Traoré, l’undes membres de la cellule de crisemise en place par l’URD.

« L’absence de revendication esttroublante. Nous sommes en train d’étudier toutes les pistes possi­bles. Il a été enlevé dans la zone où la katiba Macina a une grande in­fluence. Ils ont pu être infiltrés, mais cela reste leur zone de prédi­lection », ajoute l’imam Mah­moud Dicko, qui en plus de l’équipe montée par les autorités, a proposé ses contacts avec les fi­gures djihadistes du pays pourobtenir la libération de M. Cissé.

Pour l’heure, les premières né­gociations nouées au niveau lo­cal ont échoué. Amadou Kolossi, le maire de Koumaïra, qui devaitaccueillir le président de sonparti à quatre jours du premier tour des législatives, a tenté de

faire valoir ses relais locaux pour obtenir la libération, mais, le 9 avril, lui aussi a été kidnappé. « Il avait dit à Cissé que Koufan’avait aucune objection à ce qu’ilvienne faire campagne, maisKoufa n’a jamais donné son auto­risation et le lui a fait payer », avance, sous couvert d’anony­mat, un notable de la région.

Cela « nous oblige à négocier »Le flou actuel engendre toutes les spéculations, et certains veulentvoir derrière l’enlèvement du pre­mier opposant du pays « un mau­vais coup » de certains organesdes services de renseignementmaliens, peu enthousiastes àl’idée de voir les autorités dialo­guer avec les djihadistes locaux, comme le président Ibrahim Bou­bacar Keïta s’y est engagé en fé­vrier. « Aucun motif d’enlèvement ne nous est parvenu mais, pour cesgens, tomber sur un responsable politique de premier ordre est une aubaine », coupe court une source proche de la médiation engagée par le pouvoir.

Selon cette source, qui estimeque des éléments décisifs pour lalibération de l’homme politiquepourraient intervenir sous peu, « il n’y a pas de raison de s’alarmer de l’absence de revendication, cel­le­ci étant à l’usage du public. Sou­maïla Cissé n’est plus dans la zone où il a été enlevé par la katiba Ma­cina. Il est fort possible qu’il soit dé­sormais dans le Timétrine [dans le nord­est du pays] entre les mainsdu Groupe de soutien à l’islam etaux musulmans [GSIM] », organi­sation ralliée à Al­Qaida, dirigée par Iyad Ag­Ghali, dans laquelle lakatiba Macina a fusionné.

De manière plus large, ce rapt,ajouté à la mort de plus de 50 sol­dats maliens dans deux attaques revendiquées par le GSIM le 1er novembre 2019, repose la ques­tion de la volonté réelle d’Iyad Ag­Ghali et de ses affidés de négocieravec Bamako. Directeur de cam­pagne de Soumaïla Cissé lors de ladernière présidentielle, ministredes affaires étrangères depuis qu’il a rejoint les rangs du pouvoiret promoteur de longue date d’undialogue avec les djihadistes, Tié­bilé Dramé juge que, « même si nous n’étions pas dans la disposi­tion de négocier, cet enlèvement, odieux et condamnable, nous yoblige. Sinon, comment parvien­drions­nous à le faire libérer ? »

Selon des sources bien infor­mées, le pouvoir malien pourrait, à cet effet, une fois de plus, élargirdiscrètement des cadres djihadis­tes emprisonnés à Bamako.

cyril bensimon

Avec le changement climatique, les ouragans devraient être plus lents et plus destructeursLe réchauffement conduira les cyclones à stagner, occasionnant des pluies torrentielles

P rès de 90 morts, 125 mil­liards de dommages,200 000 maisons détrui­

tes. C’est le bilan de l’ouragan Har­vey, qui, en août 2017, a dévasté le Texas et la Louisiane. L’une des raisons pour lesquelles il a été sidestructeur est qu’il s’est déplacé de manière inhabituellement lente, et est resté sur la même zone pendant des jours. Avec le changement climatique, ce scé­nario pourrait devenir beaucoup plus fréquent, selon une étude publiée dans la revue Science Advances mercredi 22 avril.

Une équipe internationale dechercheurs de l’université de Prin­ceton, dans le New Jersey (Etats­Unis), et de l’Institut de recherche météorologique de Tsukuba, au Ja­pon, a cherché à en savoir plus sur le lien entre le changement clima­tique et ces ouragans « lents ». Ils ont ainsi sélectionné un modèle prévisionnel basé sur une aug­mentation de la température moyenne de 4 0C – un niveau de réchauffement qui, selon les ex­perts, pourrait être atteint avant la fin du siècle si aucune mesure n’est prise pour limiter les émis­sions de gaz à effet de serre.

Au total, 90 simulations ont étéeffectuées sur ce modèle, variant les conditions atmosphériques et océaniques. « Nos simulations suggèrent que le réchauffement

anthropique pourrait entraîner un ralentissement significatif du mou­vement des ouragans, en particu­lier dans certaines régions très peu­plées des latitudes moyennes, comme le Japon ou la Côte est des Etats­Unis », explique Gan Zhang, chercheur en sciences atmosphé­riques et océaniques de l’univer­sité de Princeton et premier auteur de l’étude. Selon les résul­tats, le déplacement des ouragans pourrait se réduire d’environ 10 % à 20 % d’ici à la fin du siècle.

Pourquoi les tempêtes ralenti­raient­elles ? « Le déplacement des cyclones est lié à la circulation at­mosphérique et le changement cli­matique diminue cette circulation, explique Matthieu Lengaigne, chercheur au Laboratoire d’océa­nographie et du climat du CNRS. Pour faire simple, on observe deux phénomènes. Dans les tropiques, la température augmente, ce qui a pour effet de stabiliser l’atmos­phère. » Les courants seraient doncmoins nombreux et moins puis­sants. « Deuxième chose, on sait que l’Arctique se réchauffe beau­coup plus vite que le reste du globe. Donc le gradient de température entre cette région et les tropiques diminue, ce qui induit une diminu­tion des courants de l’atmosphère. »

« Dans notre étude, lorsque nousparlons d’ouragans lents nous par­lons de leur mouvement de transla­

tion, précise Gan Zhang. Un oura­gan lent peut très bien avoir des vitesses de vents très élevées à l’in­térieur de la tempête. » Ainsi, l’ouragan Dorian, qui a frappé l’île de Grand Bahama, dans l’océan At­lantique, en 2019, était un ouragande catégorie 5 avec des rafales de vent atteignant près de 300 km/h, mais avait une vitesse de transla­tion de seulement 2 km/h lorsqu’ila touché l’île. « Au moment de re­prendre sa course vers les Etats­Unis il se déplaçait à 7 km/h, contre15 à 25 km/h pour la plupart des ouragans », poursuit le chercheur.

Un an de pluie en quelques joursLes conséquences de ce ralentis­sement des cyclones devraient être importantes. « Lorsque la vi­tesse des cyclones diminue de 15 %,leur puissance destructrice aug­mente de 15 %, explique Matthieu Lengaigne. Et plus les cyclonessont lents, plus ils déchargent de vents et de précipitations. » Lors­que des ouragans s’attardent autour d’un endroit spécifique,leur séjour prolongé multiplie les dégâts. L’ouragan Harvey a ainsi entraîné des précipitations supé­rieures à 1 000 millimètres, soit l’équivalent d’une année de pluie, en quelques jours, et a submergé l’infrastructure locale. « Une telle accumulation de précipitations est peu probable lorsqu’un oura­

gan s’éloigne rapidement », pré­cise Gan Zhang.

Selon le rapport du Groupe d’ex­perts intergouvernemental sur l’évolution du climat, plusieurscorrélations entre le changement climatique et les ouragans sontdéjà établies. « Premièrement, lenombre de cyclones à forte inten­sité devrait croître de 15 % d’ici à la fin du siècle. Ensuite, les précipita­tions associées aux cyclones de­vraient elles aussi augmenter de15 % à 20 %, détaille M. Lengaigne. Nous savons que les cyclones se dé­placent petit à petit vers les pôles. Des régions qui n’ont pas l’habi­tude de faire face à ces événementsclimatiques vont devoir désormaisprendre en compte ce risque. »

Le consensus est là : les ouragansvont causer de plus en plus de dé­gâts. « Il est donc important, non seulement de travailler à réduire lesémissions de gaz à effet de serre, alerte Gan Zhang, mais également de prendre des précautions dans le développement côtier et l’urba­nisme. Par exemple, le développe­ment de logements dans la zone inondable de Houston a été ques­tionné après Harvey. Chaque ré­gion va devoir faire face à des défis uniques. C’est pour cela que nous devons évaluer les risques le plus précisément possible pour trouver des solutions adaptées. »

clémentine thiberge

Au Brésil, la démission de Sergio Moro fragilise le pouvoirLes accusations de l’ancien juge pourraient justifier un « impeachment »

rio de janeiro ­ correspondant

U ne pandémie mon­diale, doublée d’unecrise économique :tout cela n’était pas

suffisant pour Jair Bolsonaro. Depuis vendredi 24 avril, avec ladémission brutale du très popu­laire ministre de la justice, Sergio Moro, le Brésil est égalementplongé dans une grave crise poli­tique, aux conséquences poten­tiellement explosives.

Tout a commencé jeudi. Dansl’après­midi, le président an­nonce son intention de rempla­cer le directeur de la toute­puis­sante Police fédérale (PF), équiva­lent du FBI américain, subor­donné au ministère de la justice. Problème : Mauricio Valeixo,chargé du poste, est un procheparmi les proches de SergioMoro. Tous deux issus du Parana (sud du pays), ils menèrent en­semble de front l’opération anti­corruption « Lava Jato », l’uncomme magistrat et l’autrecomme chef de la police locale.

La nomination du directeur dela PF est une prérogative prési­dentielle. Qu’importe : SergioMoro est le ministre le plus popu­laire du gouvernement et il n’en­tend pas se la laisser dicter. A la surprise générale, il présente sadémission, mais sans parvenir àfaire plier Jair Bolsonaro, qui campe sur sa décision. Toute la nuit, députés et généraux tente­ront de raccommoder les deux hommes, sans succès. Vendredimatin, le Journal officiel publie le renvoi de Mauricio Valeixo. A 11 heures pétantes, Sergio Moro annonce son départ.

Face à la presse, déterminé, ledésormais ex­ministre de la jus­tice et de la sécurité publiquelâche ses coups. Il accuse le président Bolsonaro d’attenter à

l’indépendance de la justice en souhaitant nommer à la tête dela PF « un proche qu’il pourrait ap­peler pour obtenir des informa­tions » sur les enquêtes en courset en particulier sur celles visantsa famille. « Il était clair qu’il y aurait une ingérence politique dans la Police fédérale, qui remet­trait en cause ma crédibilité per­sonnelle », conclu l’ancien « su­per juge », soucieux de « protéger[s]a réputation ».

« Heureuse opportunité »La contre­offensive viendra en find’après­midi, brutale. Sergio Moro « se préoccupe d’abord de lui­même et de son ego, plutôt que du Brésil », lance un Jair Bolsonarooutré lors d’un discours de cin­quante minutes entouré des membres de son gouvernement. Alternant rictus et gorge nouée,ce dernier a livré un discours pourle moins confus, évoquant tour à tour la situation politique du moment, mais aussi les aventuresamoureuses de son dernier fils,Jair Renan, ou l’état de la piscine du palais présidentiel. Balayant les accusations de son ex­minis­tre, le président est longuement revenu sur leur relation, à lamanière d’un amoureux déçu. « Je lui ai toujours ouvert moncœur, mais je doute qu’il m’ait déjàouvert le sien », a fait mine de s’attrister le chef de l’Etat.

En vérité, les deux hommes ne sesont jamais appréciés. « Le rempla­cement du chef de la police est une heureuse opportunité pour Moro,qui voulait sortir du gouvernementdepuis longtemps », estime le poli­tologue Mathias Alencastro. De­puis sa nomination, en jan­vier 2019, le ministre était exas­péré par l’imprévisible style prési­dentiel, mais aussi par le manque de soutien politique du chef de l’Etat dans ses projets de réforme. « En claquant la porte, Moro sort renforcé et se pose habilement en garant de l’indépendance de la jus­tice », note le chercheur.

Lors de l’opération « Lava Jato »,le « petit juge » de Curitiba nes’était pourtant pas distingué par son respect de l’Etat de droit. « Tout l’inverse ! », accuse mêmeCarol Proner, professeure de droitet membre de l’Association brési­lienne des juristes pour la démo­cratie. « Les conversations privéespubliées par le site d’information The Intercept en 2019 montrent justement un Sergio Moro juge partial, manipulant la presse et lajustice à des fins politiques afin de faire emprisonner l’ancien prési­dent Lula », insiste­t­elle.

Alors que le coronavirus a faitofficiellement 3 670 morts au Bré­sil, le départ de Sergio Moro dé­sorganise un peu plus la luttechaotique contre la pandémie.Surtout, il est un tremblement de terre dans le jeu politique brési­lien et un coup dur porté au gou­vernement d’extrême droite. Pour ses partisans, l’ancien juge de Curitiba est un véritable héros national, le symbole même de lalutte contre la corruption dans lepays. Il était de loin la plus belle« prise » de Jair Bolsonaro au pou­voir. « Moro fidélisait un électoratplus modéré, pour qui Bolsonaro est trop excessif », décrypte Mathias Alencastro.

Est­ce le début d’une hémorra­gie ? La semaine dernière avait déjà vu le départ du très médiati­que ministre de la santé, Luiz Hen­rique Mandetta, renvoyé manu militari pour avoir été trop actif dans sa lutte contre le coronavi­rus. Le prochain sur la liste pour­rait être rien de moins que le ministre de l’économie, Paulo Guedes, qui était parvenu, en 2018,à rallier autour de Jair Bolsonaro les élites économiques et financiè­res du pays. Ultralibéral, celui­ci est aujourd’hui en conflit avec l’aile militaire du gouvernement, à la tradition plus « étatiste ».

Moro, témoin embarrassantPlus grave : les accusations por­tées par Sergio Moro pourraient potentiellement justifier l’ouver­ture d’une procédure de destitu­tion (impeachment) contre Jair Bolsonaro, réclamée par l’opposi­tion et que beaucoup considèrentdéjà comme inévitable. Dans cecontexte, l’ancien juge pourrait devenir un témoin embarras­sant : Sergio Moro, décrit comme un « homme bombe » par la presse, disposerait d’enregistre­ments audio et d’échanges de messages compromettants sur les agissements présidentiels.

Vendredi soir, le nom du nou­veau ministre de la justice n’étaitpas encore connu. Mais, d’ores et déjà, une chose est certaine : l’am­bitieux Sergio Moro devrait sans aucun doute se porter candidat àla présidentielle de 2022, se po­sant en rival particulièrement dangereux pour Jair Bolsonaro.« Je vais me reposer un peu (…) et chercher un travail », a d’abord dé­claré mollement l’ancien minis­tre face à la presse. Avant d’ajou­ter, soudain plus ferme : « Peu im­porte où je serai, je resterai à la disposition du pays. »

bruno meyerfeld

Sergio Moro disposerait d’éléments

compromettantssur les

agissements présidentiels

A ce jour,aucun groupen’a revendiqué

le rapt, et ce silence

inquiète

CANADALe tueur de Nouvelle-Ecosse avait d’abord agressé sa conjointeLa pire tuerie de l’histoire du Canada a débuté quand le ti­reur, Gabriel Wortman, un prothésiste dentaire de 51 ans, a agressé sa conjointe, ce qui pourrait avoir servi de « cataly­seur » pour les 22 meurtres qui ont suivi, ont fait savoir

vendredi 24 avril les autorités canadiennes. Un responsable de la Gendarmerie royale a fourni une chronologie de la chasse à l’homme qui s’est en­clenchée le 18 avril, en Nouvel­le­Ecosse, et qui a connu son dénouement treize heures plus tard quand le suspect a été tué. Sa conjointe avait réussi à s’échapper et à se ca­cher dans les bois. – (AFP.)

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Page 16: Le Monde - 26 04 2020

16 | horizons DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

Dans la jungle des labos de WuhanLe coronavirus a­t­il pu s’échapper accidentellement de l’un des centres de recherche de cette ville chinoise, d’où est partie l’épidémie ? « Le Monde » s’est plongé dans cet univers particulier, où la coopération franco­chinoise a montré ses limites

L orsque l’épidémie a débuté, àWuhan, Shi Zhengli a connu unmoment de pure angoisse. Unede ces peurs qui envahit l’esprit,vous obligeant à refaire en pen­sée chaque geste, à reprendre

chaque étude. Spécialiste des coronavirus àl’Institut de virologie de la ville, capitale de laprovince chinoise du Hubei, elle n’en a pasdormi pendant plusieurs jours, s’inter­rogeant sans cesse : « Et si le virus venait de nos laboratoires ? »

Qui, en ce mois de décembre 2019, aurait puimaginer l’inquiétude de cette femme de 55 ans, frêle mais déterminée, que les virolo­gues du monde entier ont l’habitude de croi­ser dans les congrès internationaux ? La maladie paraissait encore cantonnée à quel­ques cas, rapportés par les hôpitaux de Wu­han, ville laide et tentaculaire où Shi Zhengli vit depuis qu’elle y a fait ses études et où elle travaille. Un genre de SRAS, avec fièvre, toux et infection des poumons. Une de ces sales infections que Shi Zhengli, hélas, ne connaîtque trop bien.

En France, où elle a passé quelques annéespour sa thèse – à l’université de Montpellier, en 2000 –, aucun des chercheurs avec les­quels elle collabore parfois n’a rien su de sesinquiétudes. « Sheu », comme disent les Fran­çais dans une imitation approximative de l’accent chinois, est estimée. Mais hormis le fait qu’elle parle un peu français et qu’un mi­nistre de la recherche lui a un jour décerné lespalmes académiques, on ne connaît d’elleque ses recherches. « Quand la maladie estarrivée en France, nous avons bien reçu de noscollègues de Wuhan un e­mail de soutien, rap­porte un chercheur de Lyon, qui la connaît bien. Mais pas un échange, tant que l’épidé­mie a sévi essentiellement chez eux. »

En Chine, c’est autre chose. Les journaux lasurnomment « Batwoman » depuis qu’elle a étudié ces chauves­souris qui, dans les régionssubtropicales et méridionales du Guangdong,du Guangxi et du Yunnan, paraissent de véri­tables usines à virus. En 2005, c’est chez unechauve­souris que la virologue avait identifiédeux coronavirus proches du SARS­CoV, l’agent infectieux à l’origine de l’épidémie de SRAS de 2003. Depuis, les coronavirus sont sa spécialité. Et c’est aussi pour cela que, dès l’hospitalisation des premiers malades à Wuhan, elle s’est tout de suite inquiétée.

« Et si le virus provenait de nos laboratoi­res ? » Shi Zhengli a repris ses études des der­nières années, anxieuse à l’idée de retrouver dans ce nouveau tueur, apparu précisément à Wuhan, les séquences caractéristiques quiauraient pu signaler une « fuite » venue deson département, le Centre pour les maladiesinfectieuses de l’Institut de virologie. « Cela m’a vraiment fait perdre la tête et empêché de fermer l’œil », a­t­elle confié à Jane Qiu, jour­naliste au mensuel Scientific American.

À LA CHASSE AUX CHAUVES-SOURISShi Zhengli navigue entre plusieurs univers. Les grottes sombres et humides des provinceséloignées, où il lui faut pénétrer en combinai­son, masquée et bottée, munie d’un grandfilet pour attraper les chauves­souris sans ris­quer l’infection. Et les laboratoires attribués à son département sur le campus de l’Institut de virologie de Wuhan, près du lac de l’Est.

Ses recherches sur les coronavirus, élabo­rées, nécessitent un laboratoire de niveau de sécurité P3. Mais Shi Zhengli est aussi direc­trice adjointe, toujours à Wuhan, du nouveaulaboratoire P4, pour les pathogènes de classe 4, ces virus dont le taux de contamination et de mortalité est le plus élevé, comme Ebola, qui tue près de 90 % de ceux qu’il contamine.

Le « P4 », comme disent les chercheurs pourdésigner le National Biosafety Laboratory de Wuhan, est un drôle d’endroit, une sorte de blockhaus carré et gris, flanqué d’une tour et d’un immeuble de bureaux, adossé à ungrand massif boisé. Construit dans le cadre d’un accord de coopération franco­chinois,sur le modèle du laboratoire P4 Jean­Mérieuxde Lyon, ce laboratoire hautement straté­gique pour la Chine a mis près de quinze ans à voir le jour. Il est devenu opérationnel au début de l’année 2019, après deux ans detests et d’ajustements.

Le site qui l’accueille est situé dans la loin­taine banlieue, à une trentaine de kilomètres au sud­ouest de Wuhan, là où les parcs indus­triels mangent les anciens villages et les cultures. L’endroit a longtemps été isolé, maisun nouveau campus de brique rouge, sorti deterre il y a deux ans, lui est aujourd’hui accolé : il accueille chercheurs et étudiants.L’adresse et la localisation du P4 sont diffici­les à trouver : le site officiel de l’Académie des sciences et Google Maps le situent tous deux, de manière erronée, sur le campus historiquede l’Institut de virologie, près du lac de l’Est.

Shi Zhengli, donc, s’inquiète. Et elle n’estpas la seule. Bien avant que le Washington Post ne publie, le 14 avril, un article affirmantque des diplomates américains avaient alerté, dès mars 2018, sur le manque de « techniciens et d’enquêteurs correctementformés pour faire fonctionner en toute sécu­rité ce laboratoire de haute sécurité », lessoupçons sur une éventuelle fuite ontd’abord circulé en Chine même.

LE WEB CHINOIS EN ÉBULLITIONDès la fin du mois de janvier, le laboratoire P4et « Batwoman » mettent la blogosphère chi­noise en ébullition. Celle­ci se penche aussi sur le cas d’un autre laboratoire, appartenantau Centre de contrôle et de prévention des maladies infectieuses, situé, lui, à 280 mètresdu marché aux fruits de mer de Huanan, aucœur de Wuhan, devenu le premier foyer de contamination par le SARS­CoV­2.

Il n’est pas difficile de retrouver, sur You­Tube, le reportage qu’une chaîne de télévi­sion de Shanghaï avait consacré, le 11 décem­bre 2019, à un technicien de ce labo, Tian Jun­hua, dans lequel on le voit escalader l’entrée de grottes sombres et terrifiantes de la pro­vince du Hubei, vêtu d’une combinaisonblanche et muni d’un filet à chauve­souris. « Près de 2 000 types de virus ont été décou­verts par les chercheurs chinois ces douze der­nières années, claironne le reportage. Le reste du monde n’en avait découvert que 284 en deux cents ans. La Chine est désormais en tête de la recherche fondamentale sur les virus. »

Quelques semaines plus tard, dans lecontexte de l’épidémie qui s’étend à Wuhan, ce petit film prend cependant une tout autre résonance sur les réseaux sociaux chinois.Soudain, le chercheur ne paraît pas si bien protégé, avec sa mince combinaison et ses gants en latex. « Le simple contact des excré­ments de chauve­souris sur ma peau nuepourrait m’infecter », reconnaît­il sans fard. Il a d’ailleurs dû, une fois, se mettre en « qua­

torzaine » volontaire, explique­t­il, après avoir reçu quelques gouttes d’urine d’un chiroptère. Un incident similaire aurait­il eulieu dans ce laboratoire ?

Peurs, rumeurs… Le Web chinois imaginemille scénarios plus ou moins rationnels. Ons’interroge ainsi, malgré les démentis offi­ciels, sur le sort d’une ancienne étudiante de l’Institut de virologie, Huang Yanling, dont une partie de la biographie aurait été effacée du site Internet de l’institut. Même le quoti­dien Global Times, farouchement patrioti­que, juge « légitimes », dans une longue en­quête datée du 18 février, les interrogations sur d’éventuels coronavirus de synthèse pos­siblement mis au point par l’Institut de viro­logie de Wuhan, et demande si des expérien­ces « ont été menées sur des primates ». Lors­que le célèbre commentateur Cui Yongyuan lance, dix jours plus tard, sur Weibo, le Twit­ter chinois, un sondage sur l’origine du virus,51 % des 10 000 personnes qui répondentsont persuadées qu’il s’agit d’un « virus artifi­ciel échappé par négligence », 24 % estiment qu’il a été répandu par malveillance. Seules 12 % pensent qu’il est d’origine naturelle…

LE SCAPHANDRE ET LE CONGÉLATEUR« Batwoman » a donc rouvert tous ses dos­siers. Elle ou son équipe ont­ils pu commet­tre une négligence ? Ils sont pourtant unedemi­douzaine de membres de l’institut àavoir suivi, des années plus tôt, à Lyon, au cœur du Laboratoire Jean­Mérieux, géré par l’Inserm, la difficile formation aux procédu­res de sécurité des P4. Car la France n’a passeulement fourni à la Chine la technologiedu laboratoire de Wuhan, ainsi que des PME françaises très spécialisées – même si les Chi­nois ont imposé leur propre maître d’ouvrage au dernier moment. Elle a aussi dûapprendre aux Chinois à s’en servir et à res­pecter les très rigoureuses mesures de sécu­rité. Bref, à travailler dans un univers ultra­codé. « Trois semaines de manipulations enscaphandre, détaille l’immunovirologue d’origine croate Branka Horvat, à répétermille fois les gestes et les procédures, puis encore plusieurs semaines de tests et de suivi avant d’avoir le droit d’accéder au congélateuroù sont entreposés les virus. » Installée depuistrente ans en France, où elle travaille pourl’Inserm en collaboration avec les chercheurschinois sur le virus Nipah, Mme Horvat a suivila formation avec Shi Zhengli.

Pareil apprentissage est éprouvant. Il fautparvenir à respirer en scaphandre, calculerchaque geste, savoir débrancher et rebran­cher son arrivée d’air pour circuler dans le la­boratoire. Préparer soigneusement chaque expérience avant de la démarrer afin d’éviter l’oubli qui compromettrait la manipulation. Claustrophobes et distraits s’abstenir. Même les gants, plus épais que ceux réservés aux la­bos de type P2 et P3, offrent une sensibilité moindre à laquelle il faut s’habituer. L’en­droit est en outre protégé par de multiples sas qui ne s’ouvrent que si l’on est dûment badgé. Et il faut encore prendre une douchedécontaminante à la sortie… Les chercheurs chinois venus à Lyon se former ont franchi

toutes les étapes. « Shi elle­même est une femme intelligente, vive et rigoureuse, pour­suit Branka Horvat. Elle a eu beaucoup de contacts avec des chercheurs du monde entier.Scientifiquement, elle est de très bon niveau. Elle est aujourd’hui la cible de plusieurs ques­tions, mais je lui fais confiance. »

La blogosphère n’est pourtant pas la seule às’agiter en cette nouvelle année lunaire chi­noise, qui commence le surlendemain du confinement de Wuhan. Au plus haut niveaudu régime, une décision majeure a été prise : le 31 janvier est arrivée dans cette ville lamajor générale Chen Wei, de l’unité des ris­ques bactériologiques au sein de l’armée. La presse nationale lui consacre des articles enthousiastes, tous écrits sur le même mo­dèle. Dépeinte comme « une déesse de la guerre », la major Chen Wei a investi le labora­toire P4 pour, officiellement, y mettre aupoint dès que possible un vaccin contre le Covid­19. La direction du Parti ne s’y seraitpas prise autrement si elle avait voulu mis­sionner pour mener l’enquête un émissaire investi de tous les pouvoirs… Les dirigeants du pays croient­ils, eux aussi, à une « fuite »dans un des laboratoires de Wuhan ?

C’est que ce genre d’accident existe bien plusqu’on ne le croit. Et pas seulement en Chine. En 2014, l’Institut Pasteur lui­même avait« égaré » 2 349 échantillons de SRAS, jusque­là stockés dans un de ses laboratoires de niveau P3. L’affaire, d’abord gérée sans aucune publi­cité ni déclaration aux autorités, n’avait heu­reusement eu aucune conséquence grave. Leséchantillons ne contenaient qu’une partie du virus, et ce dernier, incomplet, était inoffensif.En 2015, ce sont trois échantillons de MERS, cecoronavirus du système respiratoire venu duMoyen­Orient, qui étaient arrivés à l’InstitutPasteur, transportés clandestinement par une chercheuse, à bord d’un vol Séoul­Paris. Le virus, rangé dans une petite boîte de pro­duit cosmétique, était ensuite resté sur l’éta­gère du bureau d’un chercheur de l’Institut sans aucune précaution sanitaire pendanttoute une semaine…

En 2014, c’est aux Etats­Unis qu’uneenquête avait révélé que des échantillons non inactivés d’anthrax avaient été envoyés par erreur aux quatre coins du pays. L’en­quête avait également mis en évidence une contamination accidentelle d’un échantillon de grippe classique par un virus bien plusmortel, le H5N1, et la découverte d’échan­tillons contenant un virus de la variole bien vivant alors qu’on le croyait inactivé.

MATIÈRES À HAUT RISQUEA Wuhan, cependant, l’hypothèse d’une fuiteprend un tour plus politique à mesure que l’épidémie s’étend. Quatre jours après la pa­rution du Washington Post du 14 avril, YuanZhiming, directeur du laboratoire P4 et « patron » de Shi Zhengli, est monté au cré­neau pour assurer : « Il est impossible que levirus vienne d’ici. Nous avons des règles trèsprécises et rigoureuses pour éviter les fuites et nous sommes sûrs de cela. » Microbiologisteformé en Chine, en France et au Danemark, délégué à la chambre consultative du Parle­ment chinois, M. Yuan défend la réputation de l’ensemble de la recherche chinoise. Il est conscient des bruits qui courent, à l’étranger et dans son pays, sur les laboratoires locaux,et aussi sur le nombre important d’étudiantsqui y passent – « parfois vingt étudiants pour un chercheur, quand, en France, ils sont à peine trois », note Branka Horvat. Mais M. Yuan écarte sans ciller l’hypothèse d’une contamination accidentelle de l’un d’entreeux. « Aucun de nos étudiants ni aucun de noschercheurs n’ont été infectés », assure­t­il.

« IL EST IMPOSSIBLE QUE LE VIRUS 

VIENNE D’ICI. NOUS AVONS DES RÈGLES TRÈS PRÉCISES ET 

RIGOUREUSES POUR ÉVITER LES FUITES »

YUAN ZHIMINGdirecteur du laboratoire

P4 de Wuhan

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La virologue Shi Zhengli au National Biosafety Laboratory, le laboratoire de niveau P4 ,de Wuhan, en février 2017. JOHANNES EISELE / AFP

Les recherches sur les coronavirus sontpourtant nombreuses dans les laboratoires de l’Institut. Shi Zhengli mène ainsi avec ses équipes des expériences « gain de fonction »,c’est­à­dire consistant à remodeler les virus pour les rendre contagieux et ensuite identi­fier des faiblesses qui permettraient de testerdes traitements. Par ailleurs, quand Shi Zhengli publie, le 20 janvier, le génome du nouveau virus, elle démontre qu’il est le plusproche, à 96 %, d’un coronavirus de chauve­souris, le RaTG13, jusqu’alors inconnu. Et pour cause : l’institut l’a enregistré au même moment, ce qui interroge sur ce que recèleson congélateur.

« RÉUNIONS HOULEUSES »En février, dans le Global Times, Yang Zhan­qiu, le directeur adjoint du département debiologie des agents pathogènes de l’univer­sité de Wuhan, a ouvert une autre piste. Les chercheurs chinois en général – c’est­à­direen dehors des rares scientifiques formés aux procédures P4 – sont connus pour être peu regardants sur le traitement des litières etdes cadavres d’animaux. Normalement,ceux­ci exigent des processus très strictsd’emballage, de transport et d’incinération.

Or, a reconnu Yang Zhanqiu, « certains cher­cheurs déversent du matériel de laboratoiredans l’égout après des expériences, sans méca­nisme d’élimination biologique spécifique ». Ces déchets, a­t­il poursuivi « peuvent conte­nir des virus, des bactéries ou des microbes d’origine humaine ayant un impact potentiel­lement mortel sur les êtres humains, les ani­maux ou les plantes ». Les nouvelles règles que le gouvernement chinois vient d’édicterpour renforcer la biosécurité des laboratoiressont­elles l’indice qu’une fuite de cette nature a pu être découverte au sein de l’un deceux de Wuhan ?

Ce risque de pollution biologique a toujoursinquiété les observateurs de la recherche chi­noise. Notamment parce qu’il s’est accru avecla course aux découvertes à laquelle se livrentles laboratoires de ce pays, dans tous les domaines. « En Chine, la recherche est avanttout un instrument au service de la puissancenationale. Elle est menée de manière excessi­vement peu transparente et avec peu ou pas de respect de l’éthique scientifique et médicale.Cela rend possibles toutes les dérives », estime le neurobiologiste français Alexis Génin, qui s’est intéressé à la Chine en tant que con­seiller scientifique de Dafoh, une association contre le trafic d’organes dans le monde. Ce contexte très productiviste implique un rou­

lement très élevé des jeunes chercheurs, etdonc des risques accrus de mauvaises mani­pulations et d’infection. Quant à savoir si unvirus « retravaillé » a pu s’échapper par erreurd’un des sites de recherche de Wuhan, seules une mission d’inspection et la revue descahiers de virologie des laboratoires pour­raient l’éclaircir, ajoute le professeur Génin.

Les épidémies jouent souvent le rôle derévélateur. On cherchait l’origine possiblede celle­ci et voilà que l’on découvre d’autresunivers, vastes et obscurs comme des gouf­fres. Les doutes sur le laboratoire P4 ontainsi révélé les difficultés de la coopérationavec la Chine. Jusque­là, en France, seules quelques entreprises déçues, un petit groupe de diplomates du Quai d’Orsay etquelques hauts cadres du ministère de la dé­fense s’insurgeaient contre le comporte­ment à la fois ultranationaliste et fonda­mentalement opaque de ce pays. A la lu­mière de l’épidémie, on découvre soudain les coulisses de l’accord de coopération fran­co­chinois autour de la construction du la­boratoire P4 que dirigent Yang Zhiming et Shi Zhengli. Et il paraît de plus en plus clairque, malgré la dernière visite, en mars 2019,d’une délégation de diplomates du consulatde France à Wuhan, dont la photo figure surle site Internet de l’Institut de virologie, laFrance a en réalité été très vite écartée dufonctionnement de ce « labo ».

En 2004, ce P4 avait été voulu conjointe­ment par le président français, Jacques Chirac, et son homologue chinois, Hu Jintao, afin, d’après Chirac, de « donner corps et amplifier cette alliance de nos chercheurs et cette confiance nées au cœur de la terrible épi­démie de SRAS ». A l’époque, bon nombre dediplomates français n’avaient pas caché leursréticences. « Le Quai d’Orsay avait la convic­tion que les Chinois cherchaient à développer, comme d’autres pays, un programme de re­cherche sur les armes biologiques, se souvientGérard Araud, directeur des affaires stratégi­ques au ministère des affaires étrangèresentre 2000 et 2003. Il était très difficile de s’assurer que le P4 n’y contribuerait pas d’une façon ou d’une autre. »

Craignant l’isolement, après l’opposition dela France à une intervention occidentale en Irak, en 2003, le ministre des affaires étrangè­res, Dominique de Villepin, cherchait cepen­dant un rapprochement à la fois avec Moscouet avec Pékin. Et puis, fait valoir aujourd’hui Hervé Raoul, le directeur du P4 lyonnais, « la virologie draine toujours derrière elle la peurdes guerres bactériologiques. Mais la collabo­

ration scientifique est justement un bonmoyen d’écarter l’utilisation d’un laboratoire ou d’une recherche à d’autres fins ». Bref, dansl’enthousiasme d’une coopération sino­fran­çaise, les préventions avaient été balayées.

La France a­t­elle été trop optimiste sur sacapacité à jouer à parts égales avec la Chine ? Le 23 février 2017, il fait beau et frais lorsque lepremier ministre, Bernard Cazeneuve, pré­side, aux côtés du secrétaire du Parti commu­niste à Wuhan et du maire de la ville, la céré­monie d’accréditation officielle du fameuxlaboratoire. Il n’est plus question de soup­çonner les Chinois. Mieux, la France paraîtmultiplier les projets avec eux. En cette belle journée d’hiver, Bernard Cazeneuve estd’ailleurs d’abord venu à Wuhan pour célé­brer, se souvient­il, « un autre programme de coopération, cette fois sur la ville durable, surlequel avait beaucoup travaillé MartineAubry ». D’après lui, le directeur de l’Inserm de l’époque, Yves Lévy, mari d’Agnès Buzyn, lafuture ministre de la santé, « a beaucoupinsisté » pour qu’il fasse d’une pierre deuxcoups et vienne aussi inaugurer pour la France le P4. C’est que la coopération franco­chinoise concernant la recherche sur les maladies infectieuses est prometteuse. Le gouvernement français a promis d’allouer 1 million d’euros par an à ce laboratoire. Lesdeux pays échangeront, promet la Chine, moyens, informations et résultats.

L’UNILATÉRALISME DE PÉKINCe n’est qu’à la fin de 2017 que Jean­Yves Le Drian, qui a quitté le ministère de la défense occupé sous François Hollande pour devenir ministre des affaires étrangères du nouveauprésident Emmanuel Macron, charge l’am­bassade de France à Pékin de rédiger unenote faisant le point sur la réalité de cette coopération scientifique. En vérité, elle sem­ble inexistante. « Il y avait des réunions hou­leuses à Paris, avec l’Inserm et le ministère de la recherche, se souvient une source alors impliquée. Rien n’avançait. »

En effet, si Shi Zhengli a bien été reçue dansle P4 de Lyon, comme d’autres chercheurs de son pays, la réciproque est loin d’être vraie.L’industriel Alain Mérieux, qui s’était impli­qué « personnellement », dit­il, dans la cons­truction du bâtiment, s’est retiré « dès la remise du laboratoire aux autorités chinoi­ses ». Après l’accréditation de ces installa­tions, une phase de dix­huit mois de montée en puissance a été prévue, avec un fonction­nement « à blanc », sans virus. Pendant cette phase, un « M. Qualité » a été mandaté par le

Quai d’Orsay, René Courcol, médecin infectio­logue, afin de s’assurer de la bonne mise en place des procédures nécessaires. A quellesinstallations a­t­il vraiment eu accès ? Quellessont aujourd’hui ses recommandations et seséventuelles inquiétudes ? Ce dernier a refusé de répondre aux questions du Monde.

En vérité, la France ignore totalement ce quise passe derrière les murs de ce laboratoire qu’elle a pourtant contribué à construire. Le directeur du P4 de Lyon, Hervé Raoul, qui a accompagné une bonne partie de la coopéra­tion franco­chinoise à Wuhan, souligne poursa part : « Le laboratoire avait l’air plutôt bienconçu, mais, pour en être certain, il aurait fallule voir en mode opérationnel. Je l’ai visité plu­sieurs fois, mais je ne l’ai pas vu en fonctionne­ment. » Et M. Raoul de reconnaître : « Il n’y a pas de chercheurs français dans le P4 de Wuhan, et je n’ai aucune idée de la façon dont il fonctionne. » En somme, la relation bilaté­rale célébrée par Jacques Chirac en 2004 est devenue unilatérale… « C’est très typique de ceque deviennent tous les projets franco­chinois,assure un conseiller des entreprises françai­ses désireuses de se lancer en Chine. Il y a tou­jours un immense écart entre les échanges attendus et le résultat à l’arrivée. »

C’est cette opacité qui préoccupeaujourd’hui. Pas seulement parce qu’un inci­dent aurait pu se produire dans ce labo fran­co­chinois. A vrai dire, aucune preuve fac­tuelle ne permet de corroborer cette hypo­thèse. « Il est même bien plus improbable, assure une source française qui a suivi le dos­sier, qu’un incident soit lié au P4 qu’aux autreslaboratoires », c’est­à­dire ceux de l’Institut de virologie de Wuhan ou du Centre de contrôle et de prévention des maladies, oùopérait le chasseur de chauve­souris célébré dans le reportage télévisé. Si cette opacité in­quiète, c’est aussi parce que cette coopérationaurait dû permettre d’éviter la catastrophesanitaire et économique qui touche actuelle­ment une large partie de l’humanité.

En 2016, l’ambassadeur de France à Pékin,Maurice Gourdault­Montagne, avait décoré, àWuhan, Yuan Zhiming et Shi Zhengli de l’Or­dre national du mérite et de la Légion d’hon­neur pour leur ardeur à promouvoir la coopé­ration dans le domaine de la prévention et de l’émergence des maladies infectieuses. Quand le virus a frappé, ni les recherches de Shi Zhengli ni la situation de la France commepartenaire privilégié des scientifiques chinoisne semblent avoir aidé Paris à comprendre l’épidémie, ni à s’y préparer.

raphaëlle bacqué et brice pedroletti

« IL N’Y A PAS DE CHERCHEURS FRANÇAIS DANS 

LE P4 DE WUHAN, ET JE N’AI AUCUNE IDÉE DE LA FAÇON 

DONT IL FONCTIONNE »

HERVÉ RAOULdirecteur du laboratoire

Jean-Mérieux, à Lyon

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Page 18: Le Monde - 26 04 2020

18 | GÉOPOLITIQUE DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

christophe ayad et thomas wiederberlin, hanau (hesse) ­ envoyés spéciaux,

L a jeune femme a jeté un froid dansla salle comme on jette un pavé decolère dans une mare de consen­sus. Jusqu’ici, l’hommage funèbreaux dix victimes de l’attentat deHanau, commis le 19 février par un

extrémiste de droite, se déroulait dans le calme et le recueillement. En ce 4 mars plu­vieux et venteux, le maire de la commune, Claus Kaminsky, le ministre­président du Land (Etat­région) de Hesse, Volker Bouffier, etle président de la République fédérale d’Alle­magne, Frank­Walter Steinmeier, avaient pris la parole avec émotion au centre de conféren­ces de la ville. Entre chaque officiel, un parent ou un proche d’une victime. La cérémonieétait retransmise sur des écrans géants dans cette ville­dortoir située à une vingtaine de ki­lomètres à l’est de Francfort. La chancelière Angela Merkel, présente au premier rang, n’avait pas dit un mot pour des raisons proto­colaires. Elle avait dénoncé quelques joursauparavant le « poison du racisme ». Tous avaient répété que l’extrémisme ne vaincrait pas, que le pays appartient à tous, quelle que soit la couleur de peau ou la religion.

Saida Hashemi s’est exprimée en dernier.Son frère, Said Nesar, a été abattu comme les autres, à bout portant. Tout de noir vêtue, la voix monocorde, de sages lunettes posées surun visage rond, elle a asséné quelques véri­tés : « Mon cœur s’est brisé quand j’ai appris la mort de mon frère, cette nuit­là. Mais mon cœur se brise aussi chaque fois qu’on écorchemon nom, chaque fois qu’on me demande de quelle nationalité je suis, alors que je suis alle­mande. Mon cœur se brise chaque fois que je dois cacher mon nom pour obtenir un travail ou un logement. Mon cœur est brisé de savoirqu’un homme qui portait tant de haine en soiet la diffusait sur Internet pouvait vivre parmi nous, au milieu de cette ville, sans que per­sonne s’en inquiète. » Ce fut le seul accrocd’une cérémonie conclue par l’allumage d’une bougie pour chacune des victimes.

UNE QUESTION MAJEUREAu­delà du racisme ordinaire d’une société al­lemande réticente à regarder en face ses dé­mons, Saida Hashemi a soulevé une questionmajeure : la menace posée par l’extrême droiteradicale est­elle prise au sérieux dans ce pays ? Le passé récent ne plaide pas pour l’affirma­tive. Bilan des douze derniers mois : l’assassi­nat, le 2 juin 2019, du préfet de Cassel (Hesse), Walter Lübcke, proche d’Angela Merkel, dont il avait soutenu la politique d’accueil en faveur des réfugiés ; l’attentat de Halle (Saxe­Anhalt), le 9 octobre 2019 (une passante tuée devant la synagogue et un homme mitraillé dans un restaurant turc) ; la double attaque à l’arme à feu contre deux bars à chicha de Hanau, le 19 février (dix morts, dont la mère de l’auteur, lequel s’est ensuite suicidé) ; sans compter unemultitude de crimes et délits de moindre en­vergure, meurtres racistes non élucidés, in­cendies de centres de demandeurs d’asile et de

commerces ou domiciles appartenant à des immigrés, tags sur des synagogues, des mos­quées et dans des cimetières…

Sur les trois attentats majeurs des douze der­niers mois, deux – ceux de Hanau et de Cassel – ont été commis dans la Hesse, un Land du centre, pas le plus riche du pays mais loin d’être le plus pauvre. La ville principale, Franc­fort, est au cœur de la finance européenne. Au nord, un tissu industriel ; au sud, des bourgs agricoles. La preuve qu’il ne faut pas s’en tenir au cliché selon lequel le radicalisme d’extrêmedroite serait un phénomène propre à l’ex­RDA,où l’économie est à la traîne et la démocratie encore jeune. « Qu’il y ait des différences entre l’Est et l’Ouest, sans doute. Mais cela ne doit pasfaire oublier que les radicaux d’extrême droite sont aussi beaucoup moins nombreux au nord qu’au sud de l’Allemagne, ou encore qu’ils viventpresque tous dans des petites villes ou à la cam­pagne, observe Matthias Quent, directeur de l’Institut pour la démocratie et la société civilede la Fondation Amadeu Antonio à Iéna (Thu­ringe). En en faisant un problème spécifique à l’ex­RDA, on s’empêche de penser le phénomèneà l’échelle de l’Allemagne, ce qui est rassurant mais totalement trompeur. »

DEUX PLACES FORTES DE NÉONAZISY a­t­il quelque chose de pourri dans la Hesse ?Cette question, que la plupart de nos interlo­cuteurs officiels balaient d’un revers de la main, était pourtant le thème d’un article dutrès sérieux quotidien conservateur Frankfur­ter Allgemeine Zeitung, le 1er mars. L’auteure, Livia Gerster, se demande si la multiplication des violences dans cette région n’est pas le fruit d’une longue tradition politique. Elle cite ainsi l’idéologue antisémite Otto Böckel, qui fit son entrée au Reichstag en 1887.

La scène d’extrême droite dans la Hessecompte deux foyers majeurs : au nord, autour de Cassel, et au sud, à Seligenstadt et Wetterau.Cassel est sur l’axe reliant la Ruhr et la Thu­ringe, deux places fortes des néonazis. Quant au sud du Land, il est composé de gros bourgs agricoles marqués par une culture politique ultraconservatrice, antisémite et très favora­ble au nazisme dans les années 1920 et 1930.

A Hanau, la devanture du Midnight est re­couverte de fleurs, de bougies et de mots écritsà la main. C’est l’un des deux bars à chicha atta­qués par Tobias Rathjen, 43 ans, à l’arme auto­matique le 19 février. A côté des photos des vic­times, plusieurs inscriptions accusatrices : « Meurtrier solitaire ? », peut­on lire près d’une série de petits bâtons barrés illustrant le déni des autorités qui persistent à y voir des inci­dents isolés. Et cette inscription, incompré­hensible pour qui n’est pas de la région : « Le dossier de la NSU doit être ouvert au public ! »

La NSU (Nationalsozialistischer Untergrund,« Clandestinité nationale­socialiste ») : le pire scandale policier de l’Allemagne du XXIe siè­cle. Entre 2000 et 2006, ce groupuscule de trois néonazis originaires de Zwickau (Saxe) a assassiné huit commerçants d’origine turque et un d’origine grecque à travers le pays. Il a également tué une policière, en 2007, braqué quinze banques et mené deux attentats à labombe, à Cologne, en 2001 et 2004. Il n’a été

démantelé qu’à la suite de l’explosion de l’ap­partement du groupe, en novembre 2011, dans laquelle les deux membres masculinssont morts. Leur partenaire, Beate Zschäpe,s’est rendue à la police : jugée à Munich avec quatre hommes accusés de complicité d’ho­micide et de soutien à une organisation terro­riste, elle a été condamnée à la réclusion à per­pétuité, le 11 juillet 2018. L’enquête a mis au jour d’innombrables complicités et destruc­tions de preuves au sein des forces de l’ordre, notamment en Saxe et en Thuringe.

Mais c’est dans la Hesse que l’incident leplus grave s’est produit. Le 6 avril 2006, Halit Yozgat, 21 ans, était assassiné de deux ballesdans la tête dans son cybercafé de Cassel. Le

ENTRE 2000 ET 2006, LE GROUPUSCULE 

NÉONAZI NSUA ASSASSINÉ,

À TRAVERS LE PAYS, HUIT COMMERÇANTS 

D’ORIGINE TURQUEET UN D’ORIGINE 

GRECQUE

Allemagne Aux racines

de la violence d’extrême droite

Après les attaques meurtrières contre deux bars à chichad’Hanau, près de Francfort, en février, le pays prend conscience

de la menace terroriste d’extrême droite à l’Est comme à l’Ouest. Les autorités sont accusées d’avoir sous­estimé le phénomène, tandis que l’AfD contribue à banaliser la rhétorique xénophobe

LES DATES

20192 juin A Cassel (Hesse), un militant néonazi assassine à son domicile le préfet Walter Lübcke, membre de la CDU et connu pour son soutien à la politique d’accueil des réfugiés d’Angela Merkel.

9 octobre A Halle (Saxe-Anhalt), un homme tue deux personnes et en blesse deux autres après avoir tenté d’entrer dans une synagogue lors de la fête juive de Yom Kippour.

202014 février Dans six Länder, la police interpelle douze membres du Groupe S., alors qu’ils prépa-rent des attaques contre des mosquées et contre des person-nalités politiques, dont le copré-sident des Verts, Robert Habeck.

19 février A Hanau (Hesse), neuf personnes sont tuées dans deux fusillades contre des bars à chicha. Chez lui, le meurtrier tue sa mère puis se suicide.

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0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 géopolitique | 19

LA SOUS­ESTIMATION DE LA MENACE A PERMIS

À DE NOUVEAUX GROUPUSCULES DE SE CRÉER, SURTOUT 

DEPUIS LA CRISE DES RÉFUGIÉS

DE 2015

lendemain, plusieurs immigrés de la ville manifestaient au cri de « Qu’attendez­vouspour agir ? » Aucun élu local, aucun représen­tant de l’Etat, de parti ou de syndicat n’était présent. L’enquête ultérieure a prouvé qu’un membre de l’Office fédéral de protection de laConstitution (Verfassungsschutz, BfV, le ser­vice de renseignement intérieur), AndreasTemme, était sur les lieux au moment du meurtre. Détenu vingt­quatre heures par lapolice, il a été relâché sans explication et ja­mais poursuivi. Juste muté. Le dossier a été enterré et le ministre­président de la Hesse en a interdit l’accès pour plusieurs décennies.Sollicités par Le Monde, l’Office de protection de la Constitution de la Hesse, le ministère de

l’intérieur local et le bureau du ministre­pré­sident n’ont pas souhaité répondre.

Ce silence sur l’épisode le plus troublant dela sanglante saga de la NSU a été interprétépar les militants antifascistes au minimumcomme un déni, au pire comme une volonté de dissimulation de la part des autorités. Le parti de gauche radicale Die Linke a mêmedemandé la dissolution du Verfassungss­chutz régional au Parlement de la Hesse.

L’institution, bien que restructurée et « épu­rée », ne s’est pas non plus montrée à son avan­tage dans l’affaire Walter Lübcke. Ce haut fonc­tionnaire conservateur, honni par l’extrême droite en raison de ses idées libérales sur les questions migratoires, était depuis 2009 le

préfet de l’arrondissement de Cassel. Là mêmeoù travaille désormais le fameux Andreas Temme. Walter Lübcke a été retrouvé avec uneballe dans la tête, le 2 juin 2019, sur le perron desa villa, dans la banlieue de Cassel.

Son assassinat, qui semblait être le fait deprofessionnels, a d’abord été attribué à un« mobile personnel » par des sources policiè­res « en l’absence de menace particulière », malgré l’évidence. Deux semaines plus tard, Stephan Ernst était arrêté. Agé de 45 ans, ce militant néonazi aguerri a déjà été con­damné à sept reprises entre 1993 et 2009, dont une fois pour avoir attaqué un centre dedemandeurs d’asile avec une bombe artisa­nale, au début des années 1990. A partir de2011, l’Office de protection de la Constitution avait abandonné toute surveillance en par­tant du principe qu’il était inactif.

L’enquête a par la suite démontré que Ste­phan Ernst disposait d’un véritable arsenal, qu’il était membre d’un club de tir, qu’il conti­nuait à poster des messages haineux sur You­Tube et avait fait un don au parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). On aégalement appris qu’il était en relation avec deux complices, dont l’un répertorié commeun membre actif de l’extrême droite, et qu’il était aussi suspecté d’avoir assassiné un de­mandeur d’asile irakien, poignardé dans le dos en janvier 2016. Une telle accumulation d’erreurs et de négligences laisse pantois. « C’est au point que les associations antifascis­tes avaient plus d’informations sur Ernst quel’Office de protection de la Constitution », s’ex­clame Benno Hafeneger, professeur de scien­ces de l’éducation et spécialiste de la jeunesse et de l’extrême droite.

« QUATRIÈME PHASE DE RADICALISATION »Benno Hafeneger a dirigé le Centre pour la dé­mocratie de Marburg, spécialisé dans l’obser­vation des phénomènes politiques radicaux. « Nos études montrent qu’un quart de la popu­lation allemande a une affiliation politique po­puliste de droite. C’est l’humus dont se nourrit lascène violente d’extrême droite », explique­t­il, rappelant que celle­ci est loin d’être une nou­veauté dans l’histoire de la RFA depuis 1949.

« Nous en sommes à la quatrième phase de ra­dicalisation d’extrême droite, dit­il. La premièrea vu, dans les années 1950, la reconstitution desréseaux des anciens des Jeunesses hitlériennes. La deuxième débute au milieu des années 1960 avec l’entrée du Parti national­démocrate [NPD,néonazi] dans les assemblées de sept Länder (7,9 % dans la Hesse en 1966, 9,8 % dans le Bade­Wurtemberg voisin, en 1968), mais pas au Bun­destag [Parlement fédéral], où il échoue. Dans les années 1970, on observe la constitution depetits groupes d’activistes enfants de l’après­guerre, le pendant des groupuscules violents d’extrême gauche. La dernière phase, dont nousconnaissons aujourd’hui le paroxysme, a dé­buté juste après la chute du Mur en 1989. »

Au lendemain de la réunification du pays,en 1990, de nombreux groupuscules néonazisont essaimé en ex­Allemagne de l’Est. Ce phé­nomène s’est traduit par une brusque hausse des incidents racistes au début des années 1990, notamment dans la région de Rostock (Mecklembourg­Poméranie­Occidentale), près de la mer Baltique, avec plusieurs atta­ques de logements et de commerces de tra­vailleurs étrangers en ex­RDA, mais aussi àl’Ouest avec l’incendie meurtrier (six morts, dont cinq enfants) d’un foyer d’immigrés à So­lingen (Rhénanie­du­Nord­Westphalie), le 29 mai 1993.

Stephan Ernst, le meurtrier présumé deWalter Lübcke, appartient à cette génération qui s’est structurée dans des « camaraderies » (Kameradschaft), des groupuscules violents autonomes. Aujourd’hui, de telles structures de politisation existent toujours, mais elles nesont plus les seules. « La nouveauté, c’est qu’In­ternet sert souvent de plate­forme à ces groupesde rencontre, précise Reiner Becker, directeurdu Centre pour la démocratie de Marburg. Denouvelles sociabilités ont émergé, dans les clubsde sport, sur le Web, et cela rend le travail de ren­seignement plus difficile. »

Exemple typique : le « Groupe S », cette cel­lule démantelée le 14 février, alors qu’elle se préparait à attaquer des mosquées pendant des heures de prière et à commettre des atten­tats contre des dirigeants politiques, dont le coprésident des Verts, Robert Habeck. Liés pour la plupart à différents groupuscules d’ex­trême droite, les douze membres qui ont été arrêtés, originaires de six Länder différents, s’étaient connus quelques mois plus tôt sur ungroupe de discussion avant de se rencontrer physiquement. D’abord virtuelle, cette forme de sociabilité permet aux cellules de s’affran­chir des logiques territoriales classiques, ce quiconstitue un défi dans un Etat fédéral comme l’Allemagne, où la communication entre les services de police et de renseignement d’un Land à un autre est souvent difficile.

Un autre point distingue la période actuelledes précédentes : l’existence, avec l’AfD, d’un parti capable de réaliser des scores auxquels ni le parti néonazi NPD ni les Republikaner –

une formation ayant connu de petits succèsélectoraux dans les années 1980 en Bavière – n’étaient jamais parvenus. Propulsé par le mouvement anti­islam Pegida lancé à Dresdeen 2014, l’AfD est monté en puissance en 2015avec l’arrivée massive de migrants auxquelsAngela Merkel a laissé les portes du pays ouvertes. Depuis, les portes ont été refer­mées, mais rien n’a calmé la colère nationa­liste.

C’est aussi à ce moment­là qu’une nette re­crudescence des violences a été observée. Le 17 octobre 2015, Henriette Reker, aujourd’hui maire de Cologne, est gravement blessée dans une attaque au couteau par un militant d’extrême droite. Deux ans plus tard, le mairede la petite ville d’Altena, toujours en Rhéna­nie­du­Nord­Westphalie, est agressé de lamême manière alors qu’il achetait un kebab.

Pendant ce temps, les attaques de foyers demigrants et de demandeurs d’asile se multi­plient, à l’Est comme à l’Ouest. En août 2018, à Chemnitz (Saxe), des activistes d’extrême droite se livrent à une véritable chasse à l’homme en ville en représailles à l’assassinat d’un Allemand par des migrants. C’est à cette occasion que Hans­Georg Maassen, le prési­dent de l’Office fédéral de protection de la Constitution, crée le scandale en mettant en doute la réalité de ces chasses à l’homme, n’hé­sitant pas, sur ce point, à contredire Angela Merkel en personne.

Critiqué de toutes parts, y compris au sein del’Union chrétienne­démocrate (CDU), le parti de la chancelière, dont il est membre, il se dé­fend en s’estimant victime d’une « conspira­tion d’extrême gauche ». Mis à la retraite antici­pée quelques semaines plus tard, Maassen a, depuis, rejoint l’Union des valeurs, un collectifultraconservateur fondé en 2017 au sein de la CDU, dont les membres envisagent des coopé­rations avec l’AfD, au moins au niveau local, enrupture totale avec la ligne de non­coopéra­tion absolue avec l’extrême droite, défendue par Mme Merkel.

Maassen incarne une frange importante duparti conservateur pour laquelle la violence d’extrême droite est la faute des gouverne­ments de grande coalition, coupables selon eux d’avoir fait de la CDU un parti de centre­droit, voire de centre­gauche, au risque de brouiller les lignes de clivage politique. Trèsprésente dans les rouages de l’Etat, cette tech­nostructure ultraconservatrice a tendance à minimiser les crimes d’extrême droite.

« Maassen a été nommé en 2012 à la tête del’Office fédéral de protection de la Constitutionpour remplacer Heinz Fromm, qui était là de­puis 2000 et n’avait absolument pas fait la lu­mière sur les crimes de la NSU. On aurait pu croire que son arrivée allait changer les choses de ce côté­là. Ça n’a pas du tout été le cas », ex­plique Hajo Funke, professeur émérite à l’uni­versité libre de Berlin et grand spécialiste de la droite radicale. Selon lui, cette « sous­estima­tion durable et profonde » de la menace au cours des années 2000 et 2010 a permis à de nouveaux groupuscules de se créer, surtoutdepuis la crise des réfugiés de 2015. Des indivi­dus sans passé militant en ont également pro­fité pour se radicaliser et passer à l’acte en solo.

MARGINAUX OU LOUPS SOLITAIRESEn examinant la liste des derniers attentats majeurs, le professeur Benno Hafeneger dis­tingue ainsi deux profils bien distincts de ter­roristes : « Vous avez ceux qui sont sociale­ment peu insérés, pas diplômés, vivant dans lamarge et souvent issus de familles défaillan­tes. Ils trouvent dans le compagnonnage radi­cal une seconde famille et une identité : leur socialisation se fait sur le mode d’une radicali­sation croissante, comme Stephan Ernst. Etpuis, vous avez les “loups solitaires” comme lestueurs de Hanau et de Halle. Ils ont fait des études et travaillent. Malgré leur insertion so­ciale, ce sont des individus très isolés et auto­centrés, qui mûrissent leur acte en secret. Ilssouffrent fréquemment d’une pathologie mentale ou de fragilités psychologiques. Ceux­là sont indétectables, à moins d’exercer une surveillance massive et intrusive. »

Pour les autorités, il s’agit là d’un défi ma­jeur. Ainsi, le travail de l’Office de protectionde la Constitution, totalement séparé de celui

Hanau (Hesse), le 22 février. Fleurs, bougies et photos entourent la statue des frères Grimm, originaires de la ville. Les habitants ont ainsi rendu hommage aux victimes du massacre perpétré le 19 février par un extrémiste de droite allemand de 43 ans. MICHAEL DANNER/LAIF-REA

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de la police pour éviter les dérives de l’ère na­zie, se limite souvent à la surveillance des or­ganisations d’extrême droite dûment réper­toriées et de leurs manifestations publiques,comme les concerts, dans un pays qui compte la scène rock identitaire la plus im­portante d’Europe. « C’est un phénomène très important, note Benno Hafeneger. C’est là quese nouent les amitiés, les amours, toute une connexion émotionnelle qui lie les jeunes gensbien plus fortement que des idées. » Ces con­certs peuvent rassembler jusqu’à 3 000 parti­cipants et se tiennent souvent dans des pro­priétés privées, de grandes fermes de l’est del’Allemagne, pour échapper à la surveillance.

Quant aux « loups solitaires », un fait nota­ble est leur proximité avec la sphère des « in­cels », ces célibataires involontaires qui ont théorisé leurs échecs amoureux en en reje­tant la faute sur le féminisme. Partie des Etats­Unis, cette mouvance misogyne, incar­née par le jeune meurtrier de masse Elliot Rodger (6 morts en Californie, en 2014), a beaucoup essaimé sur les forums de jeux vi­déo. Selon Nils Böckler, chercheur en psycho­criminologie à l’Institut de psychologie deDarmstadt, Tobias Rathjen, le tueur de Ha­nau, se rattache à cette catégorie : « Dans sonmanifeste, il a consacré tout un chapitre à sahaine des femmes. Le terroriste de Halle, Ste­phan Balliet, souffrait aussi d’une inhabilité avec les femmes. L’extrême droite donne à cesindividus qui ont un problème avec leur iden­tité masculine un cadre idéologique, une vi­sion du monde mêlant “le grand remplace­ment” et l’antiféminisme. Elle leur donne aussil’occasion de se racheter une masculinité “ac­tive” à travers l’action radicale. »

Un autre point commun caractérise l’ac­tuelle génération : une assimilation accélérée

du concept de « résistance sans chef » mis au point par les idéologues suprémacistes américains des années 1990. C’est le cas des terroristes de Halle et de Hanau, qui se sont inspirés d’Anders Behring Breivik, le Norvé­gien responsable de 77 morts en juillet 2011 surl’île d’Utoya, et de Brenton Tarrant, le tueur de Christchurch, en Nouvelle­Zélande (51 morts dans deux mosquées, en mars 2019) : le pre­mier en publiant un manifeste, comme Brei­vik, le second en cherchant à filmer en direct son attentat, à l’instar de Tarrant.

« C’est une mécanique infernale, relèveBenno Hafeneger. Ces attentats accélèrentl’avènement de la guerre civile appelée de sesvœux par l’extrême droite radicale, notam­ment sa frange “accélérationniste”. Parallèle­ment, l’extrême droite intellectuelle et politi­que se présente comme le dernier rempart contre la guerre civile. » Après chaque atta­que, l’AfD réagit en effet en niant avec véhé­mence toute responsabilité, tout en se pré­sentant comme la solution au problème etnon pas comme sa source.

Erika Steinbach est une figure connue de labonne société francfortoise. Quand elledonne rendez­vous, c’est au très guindé Café Siesmayer, avec vue sur la palmeraie, le Jar­din des plantes local. Tailleur rose et perma­nente blonde, elle y est accueillie avec défé­rence. Agée de 76 ans, elle était jusqu’à il y a peu un pilier de la CDU locale. Elle a été dépu­tée du parti d’Angela Merkel sans disconti­nuer de 1990 à 2013. Mais, en 2015, c’est larupture. Elle désapprouve la politique migra­toire de la chancelière et quitte la CDU deux ans plus tard, « car la direction ne respecte plus les valeurs fondamentales du parti ». De­puis, elle dirige la fondation Desiderius­Eras­mus, proche de l’AfD, sans avoir elle­même adhéré au parti d’extrême droite.

Mme Steinbach connaît très bien AlexanderGauland, le président d’honneur de l’AfD, auteur d’essais sur la pensée conservatrice et réputé pour avoir notamment déclaré, que « Hitler et les nazis ne sont qu’une fiented’oiseau » – autrement dit un point de détail –« à l’échelle de plus de mille ans d’histoire glo­rieuse » de l’Allemagne. « Il a milité pendant des années au sein de la CDU de la Hesse, lui aussi », rappelle Erika Steinbach. Sur l’atten­tat de Hanau, où elle est d’ailleurs née, elle n’arien à dire, ou presque : « C’est un acte isolé. Que voulez­vous ? Il est clair que l’auteur souf­frait de troubles mentaux. Mais je m’étonne que personne ne mentionne le fait que son père a milité chez les Verts. On préfère pointer du doigt l’AfD qui n’a rien à voir avec ça. Quandil y avait un terrorisme d’extrême gauche, on ne jetait pas l’opprobre sur les partis de gau­che. Plus de la moitié des agressions d’hom­mes et femmes politiques visent des responsa­bles de l’AfD. » Des militants antifascistes ontbombé à la peinture à deux reprises la façadede son local, se plaint­elle. Elle tient aussi à souligner que l’AfD accueille des juifs etqu’elle a personnellement « toujours soutenu Israël ». Enfin, l’adhésion d’anciens membres du NPD, souligne­t­elle, est interdite par l’AfD.

« APPEL À LA GUERRE CIVILE »Ce discours victimaire met hors de lui le pro­fesseur Hajo Funke, pour lequel l’AfD, loind’être le respectable refuge d’un conserva­tisme pur et dur qui aurait déserté la CDU, estau contraire un aiguillon pour l’extrême droite la plus radicale. Dans un article publié dans l’hebdomadaire Die Zeit, en octo­bre 2019, le chercheur a ainsi montré en quoi l’essai doctrinal de Björn Höcke, chef de l’AfD en Thuringe, intitulé Nie zweimal in densel­ben Fluss (« Jamais deux fois dans la même eau », Manuscriptum, 2018, non traduit), pouvait se lire comme un véritable « appel à la guerre civile ». Dans ce texte, le leader de l’aile radicale de l’AfD défend notamment l’idée d’un « projet de remigration » dont l’ob­jectif est de délivrer l’Allemagne de ses élé­ments « culturellement étrangers ». Un projet qui, pour être mené à bien, devra passer par« une politique de violence bien tempérée ».« Les crises existentielles exigent des actes horsdu commun », écrit Höcke, qui n’hésite pas à prédire une « saignée » purificatrice afin de « donner un coup de balai dans la porcherie ».

En Thuringe, où l’AfD de ce même Höcke aobtenu près de 25 % des voix aux élections ré­gionales d’octobre 2019, et où une partie de laCDU a, pour la première fois depuis la se­conde guerre mondiale, mêlé ses voix à celle de l’extrême droite pour tenter d’empêcherl’élection d’un ministre­président de gauche à la tête du Land, cette évolution a de quoi in­quiéter. Depuis son bureau d’Iéna, Matthias Quent, directeur de l’Institut pour la démo­cratie et la société civile de la Fondation Ama­deu Antonio, n’hésite pas à le dire : « L’AfD est clairement un danger pour la démocratie, pas seulement parce qu’elle en bafoue les valeurs fondamentales, mais aussi parce que son dis­cours peut être entendu comme une légitima­tion de la violence ». Certains dirigeants du parti s’en défendent d’ailleurs à peine. A l’ins­

tar de Rainer Rahn, tête de liste de l’AfD aux régionales de 2018 dans la Hesse. « Les bars à chicha sont des lieux qui dérangent beaucoup de gens, moi, particulièrement. Quand quel­qu’un se sent constamment dérangé par un établissement, ça peut d’une certaine façon contribuer à de tels actes », déclarait­il au len­demain des fusillades de Hanau.

Proférée par des élus dont le parti constitue,depuis 2017, la première force d’opposition auBundestag avec 91 députés, cette rhétoriqueprospère sur Internet. Erika Steinbach a ainsi été vivement mise en cause pour avoir parti­cipé à l’hallali contre le préfet Walter Lübcke sur les réseaux sociaux, en retweetant une vi­déo prise lors d’une houleuse réunion publi­que en 2015, où il invitait avec maladresseceux qui n’étaient pas d’accord avec l’accueildes réfugiés « à quitter le pays ». « Je n’ai faitque relayer ses propres propos », se défendMme Steinbach.

Achtsegel (« Huit Voiles ») est une petiteONG basée à Francfort spécialisée dans la lutte contre l’extrémisme de droite sur Inter­net. Fabian Jellonnek et Pit Reinesch, deux anciens étudiants en science politique ré­cemment diplômés de l’université de Mar­burg, en sont les permanents. « La scène estbeaucoup plus difficile à cerner sur Internet même s’il y a des groupes constitués commeles “gamers” de Reconquista Germanica (30 000 membres), très actifs en période élec­torale, concède Fabian Jellonnek. Une choseest évidente : la haine en ligne a exploséen 2015. Depuis, on observe une radicalisation croissante des messages. C’est dû à la décep­tion, au fait que la révolution annoncée par ceux qui espéraient un soulèvement du peuplecontre le choix de Merkel ne s’est pas produite.L’arrêt des arrivées de migrants depuis 2016 n’apas fait cesser ce phénomène. » Dans leur der­nier rapport, ils ont comptabilisé 540 actes d’extrême droite (de l’assassinat au taggage d’un commerce ou d’un foyer de deman­deurs d’asile en passant par la profanation decimetière) dans la Hesse pour l’année 2019.

« UN DÉNI TERRIBLE »Depuis leur poste d’observation, les deux jeu­nes gens voient passer toutes les tentatives de l’extrême droite de mettre le feu au pays.Comme les diatribes du youtubeur Henryk Stöckl contre « l’invasion musulmane » de l’Al­lemagne et du monde entier. « Le problème, reprend Pit Reinesch, est que la majorité de lasociété, y compris la classe politique, refuse de reconnaître un dysfonctionnement systémi­que. Tant que l’AfD n’est pas au pouvoir, tout cela relève d’une minorité. Il y a un déni terri­ble. Les attaques des années 1990 étaient mises sur le compte de la délinquance juvénile.On a pensé qu’en grandissant et en se mariantces jeunes gens s’assagiraient. On a vu ce qu’il en a été avec l’assassin de Lübcke. » Depuis, lesautorités de la Hesse ont décidé que les éco­liers devraient suivre un cours d’éducationcivique aux médias et à Internet. « Les répon­ses sont trop lentes et timides, renchérit Fa­bian Jellonnek. Il a fallu des années de procé­dure pour faire interdire Combat 18, un grouperadical d’extrême droite actif depuis le début des années 2000 et décrété illégal en jan­vier 2020 seulement. »

La législation destinée à éviter les abus de lapériode nazie, où syndicats et partis d’oppo­sition avaient été interdits en six mois, est mise à profit, près d’un siècle plus tard, par l’extrême droite. Ainsi, le NPD continue d’exister malgré des années de « mise sous surveillance ». Quant à L’Aile, le courant de l’ultraradical Björn Höcke, ce n’est qu’en marsde cette année qu’il a subi le même sort. Une classification qui, en pratique, ne change pas grand­chose : dès l’annonce de la « mise sous surveillance » du courant de Höcke, la direc­tion nationale de l’AfD en a certes exigé la dis­solution par souci de ne pas voir l’ensembledu parti soumis au même traitement. Mais les membres plus « modérés » de l’AfD savent aussi qu’ils n’ont pas intérêt à provoquer une rupture avec l’homme qui contrôle la plupartdes fédérations de l’est du pays, celles où l’AfDobtient ses plus gros scores, souvent bien au­delà de 20 %…

Après des années d’aveuglement ou desous­estimation de la menace, la confiance dans la volonté des autorités de s’attaquer vraiment au phénomène est fortement écor­née. La structure fédérale du pays, destinée à empêcher toute centralisation excessive du pouvoir, est aussi vue comme un handicap.Les offices régionaux de protection de la Constitution peinent à communiquer entre eux et à se coordonner avec l’échelon fédéral.Même problème entre les polices régionales et fédérale. Cette dispersion des moyens ra­lentit les enquêtes. Ainsi, les deux militants de l’ONG Achtsegel refusent d’avoir affaire auVerfassungsschutz de la Hesse, tant le man­que de confiance est grand depuis l’affaireAndreas Temme. « C’est une institution qui aété infiltrée par des anciens de la Gestapo à sesdébuts, fait remarquer Fabian Jellonnek. Et

par la suite, elle a été obsédée par la lutte anti­communiste et contre l’extrême gauche. En re­vanche, il nous arrive d’échanger avec des poli­ciers dignes de confiance. »

Mais c’est loin d’être le cas de tous. Fin 2018,un autre scandale a ébranlé la Hesse : ungroupe de policiers est accusé d’avoiréchangé des propos racistes et des symbolesnazis sur le réseau WhatsApp. Plus grave, des menaces de mort par courriers anonymes sont parvenues à l’avocate d’origine turque Seda Basay­Yildiz, qui avait défendu les par­ties civiles dans le procès de la NSU. Certains de ces messages signés « NSU 2.0 » faisaientmention du nom et de l’adresse de ses pa­rents ou de sa fille. Des journalistes, des acti­vistes antifascistes et des politiciens ont aussiété visés. Les enquêteurs soupçonnent des complicités policières, au moins dans la transmission de renseignements personnels.

« La police allemande compte 250 000 mem­bres, évidemment qu’elle n’est pas immunisée, admet Oliver von Dobrowolski, président desPoliciers verts, une association de membresdes forces de l’ordre affiliés au parti écolo­giste. Les violences du début des années 1990 n’ont pas été combattues avec la force néces­saire. Cela s’est amélioré par la suite. Mais cesdernières années, la menace djihadiste a acca­paré les esprits et les efforts, et l’extrême droiteest passée au second plan. »

Dans la Hesse, une quarantaine de cas dedérives d’extrême droite ont été signalésdans la police, selon les statistiques des Poli­ciers verts. « Ce sont souvent des policiers aigris qui voient quotidiennement le pire de la société et finissent par se radicaliser, tente d’expliquer Oliver von Dobrowolski. Mais iln’y a pas que la Hesse. Dans le Bade­Wurtem­berg, une cellule du Ku Klux Klan a été mise aujour. Je pourrais aussi citer le Schleswig­Hols­tein, la Rhénanie du Nord­Westphalie, etc. Pour combattre cela, il faudrait plus de diver­sité dans la police et plus d’enquêtes internes. »

A l’échelle nationale, le professeur BennoHafeneger évalue à 12 000 ou 13 000 le nom­bre d’activistes d’extrême droite susceptibles de commettre un acte de violence, dont 1 200dans la Hesse. « Ils étaient la moitié il y a cinq ans », note­t­il. Ces chiffres correspondent grosso modo à ceux donnés par l’Office fédé­ral de protection de la Constitution dans son dernier rapport annuel, publié en septem­bre 2019. Pour prendre la mesure de l’am­pleur du problème, il suffit de savoir que c’estautant que le nombre de « fichés S » en Francepour radicalisme islamiste. Il faut, en outre, yajouter 19 500 Reichsbürger – une particula­rité allemande : des citoyens refusant les lois de l’actuelle République fédérale, qu’ilssoient nostalgiques de l’empire de Guillaume II (au pouvoir de 1888 à 1918) ou du IIIe Reich nazi. Une partie d’entre eux sontconsidérés comme potentiellement violents.Un de leurs membres a tué un policier en Ba­vière en 2016. La police a effectué une vasteperquisition (10 Länder sur 16) dans la nébu­leuse des Reichsbürger le 19 mars, saisissant des armes et de la propagande nazie.

DES SERVICES D’ÉTAT INFILTRÉSPour Uli Jentsch, porte­parole d’Apabiz, uneONG de Berlin qui archive la propagande d’extrême droite, ces données sont sous­éva­luées : « Si vous ajoutez 30 %, vous approche­rez peut­être de la réalité. Mais les chiffres ne sont pas le plus important. Le plus grave, c’est l’infiltration des services de l’Etat par des mili­tants de l’extrême droite. » Il évoque le cas de Franco A., un officier du bataillon franco­alle­mand originaire d’Offenbach… dans la Hesse,qui s’était enregistré sous une fausse identitécomme réfugié afin de commettre un atten­tat. Muté, il est toujours en liberté. D’aprèsune enquête du quotidien Tageszeitung, il était en contact régulier avec un certainAndre S., surnommé « Hannibal », un soldatdes forces spéciales à la tête d’un vaste réseausurvivaliste d’extrême droite. Ce réseau Han­nibal, partiellement démantelé depuis, était en lien, dans le Land de Mecklembourg­Po­méranie, avec le groupe Nordkreuz, composé

POUR MESURER L’AMPLEUR DU 

PROBLÈME, IL SUFFIT DE SAVOIR QU’IL Y A 

AUTANT D’ACTIVISTES D’EXTRÊME DROITE

EN ALLEMAGNEQUE DE « FICHÉS S »

EN FRANCE POUR RADICALISME 

ISLAMISTE

«  L’EXTRÊME DROITE DONNE

À DES INDIVIDUS QUI ONT UN 

PROBLÈME AVEC LEUR IDENTITÉ 

MASCULINE UNE VISION DU MONDE 

MÊLANT L’ANTIFÉMINISME 

ET LE GRAND REMPLACEMENT »

NILS BÖCKLERchercheur en crimino-

psychologie à Darmstadt

De haut en bas : portraits des néonazis (groupe NSU) Beate Zschäpe, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, diffusés dans la presse en février 1998. DR

Le 7 septembre 2018, des milliers d’extrémistes de droite manifestent à Chemnitz (Saxe) contre l’accueil de migrants, après l’assassinat d’un Allemand par des réfugiés. Sur la pancarte : « Chemnitz n’est ni gris ni brun ». JOHN MACDOUGALL/AFP

Tobias Rathjen, 43 ans, a tué neuf personnes à Hanau, le 19 février, avant de se suicider. GETTY IMAGES/AFP

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0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 géopolitique | 21

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SARRESARRE

HESSEHESSE

BRÊMEBRÊME

BRANDEBOURGBRANDEBOURG

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ANHALT

BAVIÈREBAVIÈRE

THURINGETHURINGE SAXESAXE

MECKLEMBOURG-POMÉRANIE-OCCIDENTALE

MECKLEMBOURG-POMÉRANIE-OCCIDENTALE

BADE-WURTEMBERG

BADE-WURTEMBERG

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SCHLESWIG-HOLSTEIN

SCHLESWIG-HOLSTEIN

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Rotenburg an der FuldaRotenburg an der Fulda

Bad ReichenhallBad Reichenhall

Ost�ldern kemnat LammOst�ldern kemnat LammOst�ldern kemnat LammOst�ldern kemnat LammOst�ldern kemnat Lamm

WülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWuppertalVelbertWuppertalVelbertWuppertalVelbertVelbertVelbertVelbertVelbertVelbertWuppertal

MarlMarlMarlMarl

OberhausenOberhausenBochumOberhausenOberhausenOberhausenBochumOberhausen

WülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrathWülfrath Altena

Bad BlankenburgBad BlankenburgBad BlankenburgBad Blankenburg

BochumBochumBochumBochumBochumBochum

OschatzOschatz

FlensburgFlensburg

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MagdebourgMagdebourgMagdebourg

StrausbergStrausbergFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-Vogelsdorf

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StrausbergStrausbergFredersdorf-Vogelsdorf

StrausbergKönigs WusterhausenKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-VogelsdorfFredersdorf-VogelsdorfKönigs WusterhausenFredersdorf-Vogelsdorf

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Strausberg

Arnstadt

Bad BlankenburgBad BlankenburgArnstadtBad Blankenburg

Arnstadt

Bad BlankenburgBad BlankenburgBad BlankenburgArnstadtBad Blankenburg

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Eisenach

Rotenburg an der Fulda

EisenachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch GladbachBergisch Gladbach

Ex-RDAEx-RFA

50 km

A L L E M A G N E

Sources : Amadeu Antonio Stiftung ; Wahlatlas.net ; rapport de 2018 de l’O�ice fédéral de protection de la Constitution ;BAMF, O�ice fédéral des migrations et des réfugiés ; « Ergebnisse früherer Landtagswahlen », Der Bundeswahlleiter, 2020 ;N.K. Wissmann, « Le terrorisme d’extrême droite en Allemagne. Une menace sous-estimée ? », notes du Cerfa n° 151, IFRI, 2019 ;J. Vaillant, « L’AfD : un parti d’extrême droite entre recherche de respectabilité et radicalisation », Diploweb, 2020 ; Le Monde

Cartographie Sylvie Gittus-Pourrias, Flavie Holzinger et Véronique Malécot

28 %2019

23 %2019

24 %2019

4 %2017

10 %2018

15 %2016

7 %2017

6 %2017

6 %2015

22 %2016

6 %2017

16 %2016

24 %2016

13 %2018

14 %2016

L’extrême droites'installe dansle paysage politique...Le parti antimigrants Alternativepour l'allemagne ( AfD) s'enracine avec la crise des migrants

Nombre de demandeurs d’asile par année

Au niveau fédéralrésultats de l’AfD aux électionsdu Bundestag en 2017, en %

Aux élections régionalesrésultats de l’AfD

Aux élections législatives (2013 et 2017)et européennes (2014 et 2019)score national de l’AfD

L'héritage du Parti national-démocrate(NPD, nazi), créé en 1964

Land de RFA (Ouest)dans lequel le NPD a fait son entréeau Parlement régional au milieudes années 1960

Land de l’Est dans lequelle NPD est entréau Parlement régionaldans les années 2000

... tandis que la violencedes militants radicauxcontinue de sévirRépartition des morts liées à l’extrême droite,par Länder

Nombre de morts liées à l'extrémisme de droite

Localisation des morts liées à l'extrême droite entre 1990 et 2010

Militants d’extrême droite... considérés comme violents

Nombre d'attaques contre des centres d'hébergement pour demandeurs d'asile,en lien avec la mouvance d'extrême droite

Axe Est-Ouest : foyers majeursde groupuscules néonazis

Villes où le Parti national-socialiste clandestin (NSU) a commisdes assassinats d'immigréset des attaques de banquedans les années 2000

2010 2019

20134,7 %

20147,1 %

201911 %

201712,6 %

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9

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1

3

17 12

3232

2 24

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SAXESAXE

XX %20xx

476 649

745 545

2010 2019

48 589165 938

1990 2010 2015 2018

65 000dont 1 400violents

25 000dont 5 600

23 850dont 11 800

24 100dont 12 700

2014 2015 2016 2017 2018

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894 907

286 164

1990 2000 2010 202005

1015

202530

10

27

11

1 5 10 15

A l’Est comme à l’Ouest, la terreur d’extrême droite

d’une trentaine de membres des forces del’ordre (police criminelle, forces spéciales de l’armée et de la police), qui préparait active­ment le « jour X » en amassant des armes et en tenant à jour une liste de 25 000 person­nes « à éliminer » avec la liste des casernes où les « éliminations » devaient intervenir. Plu­sieurs membres de Nordkreuz étaient encontact avec de hauts responsables politi­ques, sans que l’on sache la nature de leurs rapports. Un des policiers membres du groupe a été condamné à un an et neuf mois de prison, en décembre 2019, pour posses­sion illégale d’armes de guerre.

Sans nier l’existence de ces « passerelles »,d’autres chercheurs mettent en avant des évolutions jugées plutôt encourageantes. D’abord, de la part de certains dirigeants poli­tiques conservateurs qui, depuis l’attentatcontre Walter Lübcke, un membre de la même famille politique, ont compris qu’ils pouvaient être eux aussi la cible de l’extrême droite radicale.

Après l’attentat de Halle, le ministre de l’in­térieur, Horst Seehofer, a présenté un plan d’embauches d’une ampleur sans précédent visant à créer 600 postes destinés spécifique­ment à la lutte contre l’extrême droite, égale­

ment répartis entre l’Office fédéral de protec­tion de la Constitution et l’Office fédéral de police criminelle. Fin décembre 2019, M. See­hofer a aussi annoncé la création d’une « cel­lule » destinée à « mettre en lumière les activi­tés d’extrême droite dans la fonction publi­que ». Implantée au sein du BfV, cette struc­ture devra établir un audit concernant l’ensemble du secteur public, notamment l’ar­mée et la police, au niveau de l’Etat fédéral et des Länder. Le résultat de cette investigation est attendu pour le courant de cette année.

« Ce sont des signes importants, notammenttoutes ces embauches, pour lesquelles les cré­dits ont été votés au Bundestag, même si cela prendra du temps », explique Matthias Quent.Pour ce jeune chercheur, cependant, « la ré­ponse ne peut pas être que sécuritaire ». Une façon de dire que l’allocation de moyens sup­plémentaires aux services de police et de ren­seignement, si elle est indispensable, ne suf­fit pas : « La question doit être envisagée comme un sujet de société globale, en interro­geant notre culture politique, notre histoire, mais aussi en étant beaucoup plus ambitieuxdans l’éducation aux valeurs démocratiques ».

Dans un très long texte intitulé « Nousavons besoin d’un plan d’ensemble contre

l’extrême droite », publié dans Die Zeit après la tuerie de Hanau et cosigné avec Stephan J.Kramer, le président de l’Office de protection de la Constitution de Thuringe, et Farhad Dilmaghani, ancien secrétaire d’Etat à l’inté­gration du Land de Berlin, Matthias Quent ré­clame également la mention de l’antiracismedans la Loi fondamentale de la République fé­dérale, comme c’est le cas dans la Constitu­tion du Land de Brandebourg depuis 2013. Unacte « pas seulement symbolique », estime­t­il,dans un pays qui a longtemps résisté à penserses immigrés autrement que comme des « travailleurs invités »…

UN FOSSÉ INVISIBLEA Hanau, l’attentat du 19 février a creusé un fossé invisible entre ceux qui se sentent viséset ceux qui ne le sont pas. Yonça, une ly­céenne de 18 ans d’origine turque rencontrée en train de se recueillir devant la façade cri­blée du Midnight, couverte de fleurs et de bougies, pense que son avenir « n’est pas ici », bien qu’elle y soit née. « Maintenant que j’y re­pense, je réalise que même mes professeurs ne me considèrent pas comme une Allemande. Je ne suis jamais allée à une fête ou à un anniver­saire chez des Allemands de souche. Je ne serai

pas forcément adaptée à la vie en Turquie, mais je sais que j’y serai mieux acceptée. Ici, je ne me sens plus en sécurité. » Puçât, ouvrierd’origine turque à l’usine Dunlop, se pose desquestions depuis l’attentat : « Ma femme medit que l’avenir est mort pour nous ici. Moi, j’hésite encore. »

Dans la région de Francfort, une nouvelleaffiche, placardée par des militants antifas­cistes, a fait son apparition : la liste des « 300meurtres commis par les nazis depuis 1989 »en Allemagne. Près d’un siècle après son in­vention, le nazisme est toujours un problèmedans son pays d’origine : à l’Est, on n’en a pas assez parlé aux gens, et, à l’Ouest, certains ont le sentiment qu’on l’a trop fait. Dans un monde de plus en plus nationaliste, une par­tie des Allemands revendique le droit de l’êtreaussi. Sur la place centrale de Hanau, une sta­tue, entourée de fleurs et de bougies en sou­venir des victimes de l’attentat, rend hom­mage aux frères Grimm, les enfants du pays, au nom de leur contribution à la culture « du peuple allemand ». L’histoire ressemblera­t­elle à leurs célèbres contes qui commencent comme des fables pour enfants et se termi­nent en tragédies sanglantes ?

christophe ayad et thomas wieder

UNE AFFICHE,QUE DES MILITANTS 

ANTIFASCISTESONT PLACARDÉEDANS LA RÉGIONDE FRANCFORT, 

LISTE LES « 300 MEURTRES COMMIS PAR LES 

NAZIS DEPUIS 1989EN ALLEMAGNE »

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Page 22: Le Monde - 26 04 2020

22 | CULTURE DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

CINÉMA

C omme annoncé, le festi­val documentaire Vi­sions du réel, sis à Nyon(Suisse), manifestation

de stature internationale, a bas­culé dans la spectralité numéri­que. Forums de spectateurs, con­férences de cinéastes, inscriptionaux séances de son choix, dans la limite des places rendues dispo­nibles par la jauge festivalière. Une partie du programme a déjà été montrée depuis le 17 avril, sui­vie, du 25 avril au 2 mai, par les quatorze films de la compétition internationale. Parmi beaucoupde belles tentatives qui perdent en cours de route de leur allant, parmi d’autres qui posent d’em­blée question, l’attention se foca­lise sur deux titres très fortement recommandables, qui se révèlent quant à eux de bout en bout à la hauteur de leur ambition.

C’est le cas du nouveau film duFinlandais Markku Lehmuskallio, cinéaste au spectre ethnologique, qui connut son heure de gloiredocumentaire au début des an­nées 2000, cosignant avec safemme, Anastasia Lapsui, une très belle trilogie consacrée auxNenets, peuple autochtone sibé­rien. Il revient aujourd’hui avec Anerca, Breath of Life, cette fois encompagnie de son fils, Johannes. Il semble donc entendu queMarkku Lehmuskallio a deux pas­sions, et qu’il n’en changera pas : le travail en famille et l’intérêt, nourri d’une estimable mélanco­lie, pour les habitants du Cercle arctique. Anerca fait à cet égardl’effet d’un compendium ethno­poétique de son œuvre.

Distanciation froideIci donc, du Canada à la Russie,Sayisis, Inuits, Selkoupes, Ne­nets, Nganasans, Samis, d’autres encore, défilent dans l’antholo­gie inspirée des Lehmuskallio, qui peignent à chaque arrêt unesorte d’enluminure évocatrice. Peu de mots, pas d’histoires, un historique assez bref de l’histoirede chaque peuple, des archives de diverses époques, une mise enscène des rituels qui subsistent et qui révèlent un rapport aumonde et à la nature infiniment plus mystérieux et respectueuxque celui de la civilisation qui lesa assujettis. Cet univers restituécomme trace sensible nourrit un

sentiment profondément élégia­que. L’hétérogénéité et la jus­tesse de la mise en scène évo­quent la démarche de ce grandartiste du documentaire que fut Johan van der Keuken.

C’est vers de tout autres latitu­des, géographiques et esthéti­ques, qu’entraîne The Pageant (« Le Concours »), du réalisateurEytan Ipeker. On ne voit rien demieux que de le « pitcher » sansambages pour donner la mesure du malaise avec lequel il nous confronte. Voici donc l’histoire d’un concours de beauté réservéaux survivantes de la Shoahd’une maison de retraite d’Haïfa, laquelle est financée, ainsi que le­dit concours, par l’Ambassadechrétienne internationale de Jé­rusalem. Ce mouvement évangé­lique pro­Israël, créé en 1980,

pense que la création de l’Etat d’Israël conditionne le retour duChrist, soutient fermement l’alya [l’immigration des juifs en Terre sainte] et la colonisation, et fi­nance un certain nombre d’œuvres caritatives dans le pays.

L’énoncé est toutefois brutalpour un film qui tarde à révélerson sujet et avance à petits pas.Adoptant un parti pris de distan­ciation froide et des dispositifs deprises de vues et de son déper­sonnalisants, il accuse sans mot dire, de manière très efficace etintelligente, l’étrangeté radicale, pour ne pas dire la doucereuse obscénité de son sujet. Au point qu’on se prend parfois à penserqu’Eytan Ipeker, consciemment ou non, a tourné un film d’hor­reur. Si ce n’est le cas, il montre du moins avec un brio certain la

collision fatale entre la Shoah et le défilé de mode, le malheur dumonde et la société du spectacle.

Nonobstant la philosophie ré­demptionnelle des gentils orga­nisateurs à l’égard de ces vieillesfemmes qui ne sont jamais vrai­ment ressorties de l’enfer, ici,rien ou presque ne pardonne.Cette ex­dauphine de Miss Israël

qui fait hystériquement valoirson expertise auprès des mortes­vivantes. Cette séance de photo­graphie qui donne des frissonstant les participantes, s’exécu­tant docilement, semblent en vé­rité absentes à ce qu’on leur de­mande. Cette harangue de foireaux bestiaux qui stimule la céré­monie en vantant la présencedes télévisions du monde. Cette chanteuse hors sol qui vocifèresur un air de casserole la ren­gaine « J’ai survécu ». Ce séjour àAuschwitz qui fait gagner despoints dans la notation du jury.Cette prime à l’atrocité qui faitaugmenter la cote d’une concur­rente violée par les nazis. Cesserveurs qui débarrassent « en loucedé » durant l’hymne natio­nal en version pompier célé­brant la fin de la cérémonie. Ce

Eytan Ipeker a filmé « The Pageant » dans une maison de retraite d’Haïfa, en Israël. KAMARA PRODUCTION

On se prend parfois à penser

que le réalisateur,

consciemmentou non, a tournéun film d’horreur

panier beauté miteux qui récom­pense les concurrentes hagardes.N’en jetons plus.

Mais quel est ce monde ren­versé ? Quel est ce kitsch innom­mable ? Le film n’en dit pas long sur le sujet, ce qui est sans doutedommage sur le plan de la com­préhension politique, ni ne s’enindigne explicitement. Il donneen revanche une forme juste àce concours américain des élé­gances génocidaires, organisé avec la bénédiction d’un Etat hé­breu passé depuis belle lurettedans la gestion évangélique dudestin juif. Vignette de la fin desharicots mondialisée. Aperçud’un affaissement moral. Rien d’une « bonne nouvelle ». On necherchera pas plus loin la raisonde sa nécessité.

jacques mandelbaum

Un concours pour survivantes de la ShoahLe festival Visions du réel, désormais numérique, présente « The Pageant », long­métrage d’Eytan Ipeker

Eytan Ipeker : « Mon film n’est pas un documentaire informatif »Le cinéaste turc explique qu’il veut « que les spectateurs puissent méditer sur la façon dont la politique, la mémoire et le spectacle sont interconnectés »

ENTRETIEN

N é à Istanbul en 1981, co­fondateur de la sociétéde production Kamara,

le réalisateur et monteur turc Ey­tan Ipeker propose, avec The Pa­geant, son premier long­métrageaprès un court (Unmade Bed) etun moyen (Idil Biret : The Portraitof a Child Prodigy) en 2015.

Quelques mots sur votre parcours personnel. Vous êtes turc, mais votre prénom est israélien, voilà qui interpelle…

Je fais partie de la communautéjuive d’Istanbul. Ma famille a im­migré en Israël quand j’avais2 ans et ma langue maternelleétait l’hébreu jusqu’à un certainpoint. Quand j’avais 6 ans, ils ontdécidé de retourner à Istanbul. Sij’ai été attiré par ce sujet, c’est enpartie à cause de mes problèmesnon résolus avec Israël, et doncmon enfance : d’une part, jesuis profondément lié à ce pays par mes souvenirs et mon héri­

tage juif, mais en même temps, jesuis assez perturbé par sa politi­que et son idéologie. Sur le plan émotionnel, c’est une situation très conflictuelle.

Comment êtes­vous venu au cinéma ?

J’étais passionné par le cinémadès mon enfance, avec des pa­rents qui m’ont beaucoup sou­tenu. A cette époque, l’accès au « cinéma d’auteur » était limité.Ainsi, le Festival du film d’Is­tanbul est devenu un outil éduca­tionnel crucial : cela m’a permisde voir pour la première fois desrétrospectives de cinéastes im­portants sur le grand écran. Plustard, j’ai étudié le cinéma à Bostonet New York, où la culture du ci­néma expérimental a eu unegrande influence sur moi.

Comment avez­vous découvert l’incroyable sujet de « The Pageant » ?

Grâce à un article en ligned’Haaretz, un journal israélien de

gauche. Il couvrait le deuxième concours et contenait ces photosvraiment troublantes des survi­vantes en coulisses, se faisantmaquiller. Dans ma famille, j’ai des parents qui sont morts à Aus­chwitz, ainsi que des survivants. J’ai visité les camps. L’idée d’unspectacle sur le thème de l’Holo­causte mettant en scène des sur­vivantes m’a donc choqué. Cela m’a obligé à poser des questions difficiles sur l’éthique de la com­mémoration : même si les survi­vantes semblent être heureusesde participer, est­ce que cela jus­tifie un concours sur la souf­france et leur beauté extérieure ?Est­ce qu’on peut hiérarchiser lessouffrances ? Que transmettons­nous aux générations futures ausujet de l’Holocauste ? Et puis j’aidécouvert que c’était les évangé­listes de droite qui finançaient leconcours, ce qui a tout ramené àun autre niveau, celui de la politi­sation de la mémoire, quandbien même, de leur point de vue,ils restent persuadés de mettre

en valeur « la beauté intérieure »des déportées.

Vous vous éloignez des prérequis pédagogiques d’un documentaire classique. On ne sait à peu près rien du mouvement évangélique à l’origine de ce concours. On ne sait pas davantage ce qu’en pensent les partici­pantes. Pourquoi ce choix ?

Mes inspirations étaient desdocumentaristes contemplatifstels que Chantal Akerman et Fre­derick Wiseman. Je voulaisouvrir un espace pour que les spectateurs puissent méditer surla façon dont la politique, la mé­moire et le spectacle sont inter­connectés. Donc, vous avez rai­son, ce n’est pas un documen­taire informatif. En mêmetemps, nous soulignons le sou­tien politique et financier desévangélistes et la façon dont ilsvisent à « restaurer Sion ».

En ce qui concerne les survivan­tes, j’ai essayé d’éviter les explica­

tions psychologiques simples. Sophie, notre personnage princi­pal, a ses propres contradictions, comme tout autre être humain.Elle n’aime pas l’idée de raconterson histoire devant un publicanonyme, mais elle décide departiciper au concours pour ho­norer sa sœur. Mais est­ce vrai­ment l’histoire complète ? Le concours offre une promesse deglamour et Sophie arrive à son in­terview pleine de bijoux. Et fina­lement, peut­être qu’au fond elleveut partager son traumatismeface au public. On peut même sentir qu’elle aimerait gagner.C’est donc très complexe. Je veuxque les spectateurs sympathi­sent avec elle sans se contenter de réponses faciles. N’oublions pas non plus la question du finan­cement de la maison de retraite : les survivantes sont très recon­naissantes du soutien des évan­gélistes et, bien que cela puisseêtre troublant, on ne peut s’em­pêcher d’éprouver de la sympa­thie pour ce geste.

Ce concours est­il de notoriété publique en Israël ? Y fait­il débat ?

Les deux premières années,le spectacle était assez contro­versé. Il y a eu des débats sur lesmédias et des personnes influen­tes comme Colette Avital, à latête du groupe de coordination des 54 organisations de survi­vants, l’a qualifié de « macabre ». Aujourd’hui, les critiques se poursuivent mais il semble que le concours soit devenu une nou­velle réalité.

Le film sera­t­il vu en Israël ?Il y aura sûrement une distribu­

tion grâce à notre coproducteurisraélien, Spiro Films, mais il estdifficile de savoir à l’avance, vu lasituation avec le virus. Pendant l’étape du montage, la plupartdes Israéliens à qui j’ai montré lefilm ont eu des réactions inten­ses. Le sujet est beaucoup pluschargé pour eux.

propos recueillis parj. ma.

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Page 23: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 culture | 23

LE

CT

IO

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BU

MS VÉRONIQUE GENS, I GIARDINI

NuitsMélodies de Lekeu, Fauré, Berlioz,La Tombelle, Massenet, Saint­Saëns,Chausson, Liszt, Ropartz, Widor, Louiguy,Messager, Hahn. Véronique Gens(soprano), Shuichi Okada et PabloSchatzman (violons), Léa Hennino (alto),

Pauline Buet (violoncelle), David Violi (piano), I Giardini.Rodé à la flamme du concert, ce récital de mélodies françaises, mâtiné de transcriptions pour le quintette à cordes avec piano I Giardini, est remarquable. Comme tous les projets du Palazzetto Bru­Zane, le programme mêle le rare au célébrissime. Ainsi Après un rêve, de Fauré, côtoyant l’un des Quatre poèmes, de Guy Ropartz. Il faut l’art consommé de Véronique Gens pour donner à ces saynètes vocales leur content de poésie, de mystère et de nuit, nonobstant quelques éclats lumineux comme le malicieux J’ai deux amants, de Messager. Amour du son, art de la langue, la chanteuse raffine la ligne et cajole le verbe qu’elle pare de demi­teintes chatoyantes ou dramatiques. L’écrin chambriste et cares­sant des cordes, le toucher aérien du piano, que tentent parfois des horizons plus orchestraux (extrait du Quintette, de Widor), parent cette musique de salon de raffinements capitonnés. Qu’il s’agisse d’évoquer l’exotisme teinté de romantisme d’un La Tombelle ou d’un Saint­Saëns, ou de brosser les paysages sym­bolistes d’un Chausson ou d’un Lekeu. marie­aude roux1 CD Alpha Classics.

HENRI TEXIERChanceLe dernier opus du contrebassiste ne dé­routera personne. Et c’est sa chance. VoirStanding Horse, deux minutes à mainsnues, confort, exactitude, sécurité. Régula­rité de Chaix, délicatesse des choses bienfaites, les huit thèmes de Chance, dont

quatre composés par ses partenaires, font le point d’une explo­ration en cours. Texier, acteur fondamental : outre la rondeur d’un son qui lui ressemble, le goût de la mélodie, Chance a des airs de famille. Avec Sébastien Texier et Vincent Lê Quang (saxo­phone), Gautier Garrigue (batterie) et Manu Codjia (guitare), la recherche de l’essentiel, sous photo de Guy Le Querrec (agence Magnum), un cheval né en 1945 dans la lande de Batz (Finistère). On nomme oologistes les collectionneurs de coquilles d’œufs et numismates, ceux de monnaies. Avis à ceux qui collectionnent les albums avec Manu Codjia : guitariste étonnant, il est plus dis­cret qu’un sideman classique, et plus offensif. Il colore, détoure, augmente de quintes diminuées les musiques qui n’attendent que lui. Celle de Texier, ce n’est pas la première fois, comme une chance aussi prévisible qu’inattendue. francis marmande1 CD Label bleu/L’Autre Distribution.

RON SEXSMITHHermitageVoix douce, caressante, Ron Sexsmithravit avec Hermitage et ses quatorze chan­sons réalisées avec un soin d’orfèvre. LeCanadien allie pop et folk­rock, allant plusou moins vers la première forme (Cha­teau Mermaid, Small Minded World…) ou

la seconde (l’allègre Lo and Behold, Winery Blues, Morning Town). Il y a ici une légèreté, une envie de luminosité musicale bien affirmées, qui avaient commencé à se faire entendre depuis quelques albums – Carousel One, en 2015, The Last Rider, en 2017 –, lui qui aura souvent évolué vers des ambiances au ro­mantisme plus sombre. Guitares acoustiques ou légèrement électriques, piano, rythmique tranquille constituent la base instrumentale, ici ou là rejointe par quelques cordes, à un ensemble tout en courbes mélodiques. sylvain siclier1 CD Cooking Vinyl/V2-Bertus.

OTHER LIVESFor Their LoveChantre d’une pop­folk feutrée mais pasmoins cinégénique, Other Lives, emmenépar Jesse Tabish, avait frappé un grandcoup en 2011 avec le spectaculaire TamerAnimals et ses orchestrations à donner letournis. Depuis, la formation basée à

Portland (Oregon) s’imposait comme trait d’union entre le Radiohead crépusculaire de Street Spirit (Fade Out) et la country­pop léchée d’un Glen Campbell. Alors que le précédent opus, Rituals (2015), explorait les champs de l’électronique, For Their Love marque le pas technologique pour revenir à une approche symphonique plus traditionnelle : la pop en Cinémascope de Cops exhume les bandes originales de John Barry, tandis que We Wait multiplie les clins d’œil à Ennio Morricone. On découvre chez ces adeptes de l’harmonie en clair­obscur des éléments soul plus prononcés (Night’s Out, Sound of Silence), escortés d’en­voûtants chœurs féminins. franck colombani1 CD PIAS.

DABABYBlame It on BabyVoilà la première pochette d’album d’unrappeur américain confiné, masque dechantier sur le nez. DaBaby est aussiconnu aux Etats­Unis pour ses disques(deux en 2019, Baby on Baby et Kirk), quepour ses frasques judiciaires (fusillade,

agression d’un producteur de concerts et gifle à une fan). Son troisième album, Blame It on Baby, rafle déjà les premières pla­ces sur les plates­formes d’écoute en ligne. Enregistré sur la route lors de la dernière tournée de DaBaby, juste avant le confi­nement planétaire, il est produit par son DJ, K.I.D, qui avait lancé un appel sur Instagram en janvier pour compléter ses propres productions. Le résultat est étonnant. Le phrasé en notes déta­chées de DaBaby, proche du staccato, s’amuse sur un arpège de guitare et une avalanche de beats (Find My Way). Agrémenté de chant et de basses surpuissantes, il fait mouche sur Can’t Stop et Rockstar, avec la participation d’un autre prodige du rap améri­cain, Roddy Ricch. Sont aussi invités Quavo, de Migos (Pick Up) et l’idole Future (Lightskin Sh*t). Parfait pour « s’ambiancer », confiné(e) dans son salon. stéphanie binet1 CD Interscope/Universal Music.

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POP

A ucun album ne feramieux l’éloge du confine­ment que Fetch the Bolt

Cutters, le cinquième de Fiona Apple, que la chanteuse et pianisteaméricaine a mis près de huit ans àconcevoir en restant chez elle. Composé et enregistré dans sa de­meure de Venice Beach (Califor­nie), ce disque fascinant doit autant à l’intimité d’une vie do­mestique qu’à l’organique mise enson de celle­ci. Refuge pour une ar­tiste fuyant la violence du monde, ce havre s’est aussi transformé en instrument de musique, dont les murs, le plancher, la batterie de cuisine ou les animaux sont deve­nus les caisses de résonance d’une fiévreuse intranquillité.

Fêlures, vulnérabilité et puis­sance créative accompagnent Fiona Apple depuis un premier al­bum, Tidal (1996), révélant le ta­lent mature d’une New­Yorkaise d’alors 18 ans. Tout en profondeur mélancolique, ses chansons im­prégnées de culture classique et jazz, de John Lennon, des songwri­ters féminins (Kate Bush, Joni Mitchell, Carole King…) et du re­nouveau hip­hop, vibraient aussi d’un malaise à vif. La musicienne,victime d’un viol à l’âge de 12 ans, confiait alors au Monde : « J’ai vécu des expériences douloureuses qui m’ont coupée rapidement des gens de mon âge. On m’a forcée à entrer dans le monde des adultes, alors que j’aurais dû rester une gamine paisible. Je suis extrêmement sensi­ble, le moindre événement peut profondément m’affecter. Mais j’ai aussi appris à transformer ces épreuves de manière positive et créative. J’ai vieilli plus vite. »

Après un deuxième album,When the Pawn… (1999), qui lais­sait craindre que cette précociténe l’enferme dans une écriture« adulte » conventionnelle, la pia­niste aux yeux bleus et à la voix grave a pris le temps de remettreen question son travail dans cha­cun des autres chapitres de sa dis­cographie. Parfois au prix de vio­lents conflits avec sa maison de disques (Epic, filiale de Sony), comme lors d’Extraordinary Ma­chine (2005), mais en finissant parimposer toujours plus d’audace (The Idler Wheel…, 2012), et une

sensibilité radicale, n’hésitant pas à explorer une vie amoureuseécorchée ou à exposer la fragilitéde sa santé mentale, en précur­seure de Lorde ou de Billie Eilish.

Rudesse intense et ludiqueLe titre de son nouvel album – lit­téralement « Allez chercher le cou­pe­boulons » – dit beaucoup de la fonction émancipatrice de sonart. La formule fait référence àune phrase prononcée dans la sé­rie The Fall par une enquêtrice jouée par Gillian Anderson qui, découvrant une victime séques­trée et torturée, demande un « bolt cutters » pour la libérer. Pourcelle qui n’a jamais hésité à parler ouvertement du traumatisme sexuel de sa jeune adolescence, on devine à quel point la vague #metoo a pu contribuer à nourrir l’énergie d’un disque ciblant sou­vent une masculinité toxique.« Tu m’as violée dans le même lit [que celui] où ta fille est née », assè­ne­t­elle dans « For Her ».

Fiona Apple construit la quasi­totalité de ces treize titres à partir d’une trame rythmique lui per­mettant d’exprimer la violence de ses émotions, comme une guer­rière chargeant au son du tam­bour. Œuvre confinée, Fetch the Bolt Cutters n’en est pas moins le fruit d’échanges avec la batteuse Amy Aileen Wood, le bassiste Sebastian Steinberg et le guitaristeet vibraphoniste David Gazza. Prêts à tous les jeux, ces musiciensont accompagné la chanteuse dans l’exploration d’un environ­nement lui fournissant une ma­tière sonore. En tambourinant les cloisons de sa maison, en piéti­nant le plancher, en créant un ins­trumentarium à partir des usten­siles de cuisine, des meubles ou des aboiements de ses chiens, Fiona Apple a ancré dans le quoti­dien des compositions à l’impact d’autant plus cru qu’émotionnel.

Cette rudesse intense et ludiquepermet à son chant de s’évader comme jamais. Dans une même

chanson, elle passe d’une grave ca­resse à un âpre tremblement (I Want You to Love Me), d’une dic­tion enfantine à une imprécation façon Patti Smith (Shameika). Sanshésiter aussi à souffler, grommelerou japper sauvagement.

Cette intensité pourrait éprou­ver les nerfs, si l’album n’était pas traversé par des figures rythmi­ques accrocheuses et une musica­lité affleurant derrière la force cruede ces expériences. Fiona Apple se réinvente en demeurant une pia­niste et chanteuse façonnée par les mélodies du jazz, du cabaret, dela chanson romantique (Cosmo­nauts), la puissance du gospel (La­dies) et du blues (Heavy Balloon, l’extraordinaire Relay). Tout cela sublimant, comme dans Under theTable (« Tu peux me donner des coups de pied sous la table tant quetu veux/Je ne la fermerai pas »), undésir ardent de se faire entendre.

stéphane davet

Fetch the Bolt Cutters, Epic/Sony.

Des inédits de Bowie réunis dans un nouvel album« ChangesNowBowie » rassemble des chansons qui avaient été enregistrées pour une émission de la BBC, à l’occasion des 50 ans du chanteur, en janvier 1997

MUSIQUE

M adison Square Garden,9 janvier 1997. Dans lagrande salle new­yor­

kaise, l’on fête, avec un jour de re­tard, les 50 ans de David Bowie, néle 8 janvier 1947 à Londres. Au ré­pertoire des succès du chanteur, des reprises, dont des titres de Lou Reed, invité avec d’autres comme The Foo Fighters ou Ro­bert Smith, de The Cure, des nou­veautés d’un album à venir, Earth­ling (dont Little Wonder, Battle for Britain, Dead Man Walking…). Avant ce concert, Bowie a enregis­tré une douzaine de ses chansons,dans des versions acoustiques ou légèrement électriques, en vued’une émission pour la BBC, diffu­sée le jour de son anniversaire.

Si le concert n’a pas encoreconnu de publication officielle,alors qu’il est disponible depuis longtemps en version pirate, les neuf chansons conservées pour l’émission, elles aussi largement piratées, sont désormais réunies dans l’album ChangesNowBowie.

A l’origine, elles étaient entrecou­pées d’entretiens avec le chanteuret de témoignages d’amitié et d’admiration de musiciens. Aux côtés de Bowie, qui joue de la gui­tare, la bassiste Gail Ann Dorsey etle guitariste Reeves Gabrels, tousdeux aux chœurs, ainsi que le cla­viériste Mark Plati par moments.

Bowie a surtout choisi des com­positions du début des années 1970, plutôt acoustiques dansleurs premières versions. Ainsi,The Man Who Sold the World, plusdépouillé, Aladdin Sane, dans unesobriété à laquelle il manque lepiano torrentiel et free de MikeGarson, que Plati évoque lointai­nement, et le solo de saxophone final, Lady Stardust ou Quicksand,tout aussi superbe que l’original, qui a conservé son envol de cor­des, ici réalisé aux claviers.

Plus surprenantes sont les re­prises de Repetition, morceau unpeu oublié à la fin de l’album Lod­ger (1979), et Shopping for Girls, dudeuxième album studio de TinMachine, groupe formé par Bowie avec Gabrels et les frères

Tony et Hunt Sales, respective­ment à la basse et à la batterie, et actif de 1988 à 1992. L’une etl’autre sortant gagnantes de cette révision, la seconde plus particu­lièrement, sans la pesanteur ryth­mique initiale. Et, pour rendre hommage, Bowie reprend White Light/White Heat du Velvet Un­derground, avec un appui métro­nomique de grosse caisse.

Sortie physique prévue le 20 juinA cet agréable ensemble, proposépour l’heure en dématérialisé surles principales plates­formes de diffusion en ligne, par abonne­ment ou à l’achat – la sortie phy­sique est prévue le 20 juin –, l’on ajoutera le mini­album Is It Any Wonder ?, lui aussi en dématéria­lisé, après une sortie physiqueen tirage ultralimité, mi­mars, épuisé. Dans un traitement net­tement plus expérimental etélectrique, ce recueil comprendcinq inédits – et un mix anecdo­tique par Brian Eno de The ManWho Sold the World, qui figu­rait sur un CD single en 1995 –, en

relation avec l’album Earthling,sorti en février 1997 et la tournéequi a suivi.

Entouré de Gabrels, Garson,Dorsey et du batteur Zack Alford,Bowie remet Tin Machine à l’hon­neur avec Baby Universal et I Can’tRead, sans batterie. Lui et ses camarades réinventent aussi le funky Stay de l’une de ses grandesœuvres, l’album Station to Sta­tion (1976), avec fidélité et innova­tion. Le résultat est très réussi,comme l’est Nuts, un temps prévupour Earthling, sur une base drum’n’bass traversée de guitaressaturées. Dommage que la diffu­sion en ligne de ce court mais dense album omette, contraire­ment à l’édition physique, leClownboy Mix de Fun, bizarrerie qui trouve son origine dans la li­gne de basse de Fame (Young Americans, 1975) et dont circulent plusieurs remixes.

sylvain siclier

ChangesNowBowie et Is It Any Wonder ?, Parlophone/Warner Music.

La chanteuse américaine Fiona Apple chez elle, aux Etats­Unis, en 2020. EPIC/SONY

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Page 24: Le Monde - 26 04 2020

24 | télévision DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

HORIZONTALEMENT

I. Ne fera même pas bouger le fléau. II. Servent de référence, à tort ou à raison. Certaines sont restées vierges. III. Transformèrent en charmant pe-tit mouton. IV. Sortis de la boîte. Fit de nombreux tours et détours. V. Ro-bert De, acteur. Bon conservateur. Du narthex au chœur. VI. Attend les re-tours en cave. Point. Panade ou autre purée. VII. Réfractaire au labo. Pas toujours facile à entretenir ni à parta-ger. VIII. Bouffé par la ville. Pas très futé. IX. Cube chiffré. Débarquâtes. In-terjection. X. Ouverture instrumen-tale. Expérimentées.

VERTICALEMENT

1. Sans borne et beau comme du Sé-golène. 2. Extrêmement dangereux. 3. S’adresser avec insistance. Bonne appréciation. 4. Médecin du monde. Travailleur manuel. Salutation angé-lique. 5. Dans les temples grecs et égyptiens. Peut-être vu mais pas connu. 6. Fûtes dans l’obligation. Saintement protégé. 7. Difficile d’aller plus loin que lui. 8. Tristes comme des veuves. 9. Pour le repos ou le bat-tage. Chef de gang. Patron du jour. 10. Sans écailles et allongées, elles vivent en eaux douces. 11. En tête en attendant de passer au grattage. Fait appel. 12. Courriers express.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 099

HORIZONTALEMENT I. Dédoublement. II. Enervée. Ouïr. III. SVP. Es-gourde. IV. Toise. Ur. V. Rut. SNE. OPEP. VI. Utes. ONG. Eté. VII. Ce. Imites. Rt. VIII. Tumeur. Nuait. IX. Iseut. Giclée. X. Ferrailleurs.

VERTICALEMENT 1. Destructif. 2. Envoûteuse. 3. Dépité. Mer. 4. Or. Sieur. 5. Uvées. Muta. 6. Bès. Noir. 7. Lèguent. Gl. 8. Or. Genil. 9. Mou. Suce. 10. Europe. Alu. 11. Nid. Etrier. 12. Trempettes.

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GRILLE N° 20 - 100PAR PHILIPPE DUPUIS

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CHEZ VOTRE MARCHANDDE JOURNAUX

Chaque jeudi,l’essentielde la presseétrangère

lavied’aprèsDans quel état

allons-nous sortirdu confinement ?

Quels effets sur notrecorps, notre psychisme,

notre relation aux autres ?Pour la presse étrangère,

nous entrons dans l’èredu sans-contact

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No 1538 du 23 au 29 avril 2020courrierinternational.comFrance : 4,50€

D I M A N C H E   2 6  AV R I LTF121.05 Hôtel Transylvanie 2Film d’animation de Genndy Tartakovsky (EU, 2015, 85 min).France 221.00 La Guerre des boutonsFilm de Yann Samuell. AvecAlain Chabat, Eric Elmosnino, Mathilde Seigner (Fr., 2011, 110 min).France 321.05 Inspecteur BarnabySérie. Avec Neil Dudgeon (RU, 2017).Canal+21.05 Best of Top 14Rugby. Clermont-Auvergne.France 520.50 FannyPièce mise en scène par Irène Bonnaud. Avec Marie-Sophie Ferdane, Gilles David.Arte20.55 La Fille de D’ArtagnanFilm de Bertrand Tavernier.Avec Sophie Marceau, Philippe Noiret, Sami Frey (Fr., 1994, 125 min).M621.05 Zone interditeMagazine présenté parOphélie Meunier.

LU N D I   2 7  AV R I LTF121.05 Astérix et Obélixcontre CésarFilm de Claude Zidi. Avec Christian Clavier, Gérard Depardieu, Roberto Benigni (Fr.-All.-It., 1998, 125 min).France 221.00 Meurtres au paradisSérie. Avec Ralf Little (Fr.-RU, 2020).France 321.05 Le Monde de JamyCes animaux qui nous font du bienDocumentaire de Bruno Bucher et Mathieu Duboscq (Fr., 2019, 120 min).Canal+21.05 Le Bureau des légendesSérie. Avec Mathieu Kassovitz,Sara Giraudeau (Fr., 2019).France 520.55 Symphoniepour un massacreFilm de Jacques Deray. Avec Jean Rochefort, Charles Vanel, Michèle Mercier (Fr.-It., 1963, 110 min).Arte20.55 Opération juponsFilm de Blake Edwards. Avec Cary Grant, Tony Curtis (EU, 1959, 115 min).M621.05 Mon beau-père et moiFilm de Jay Roach. Avec Robert De Niro, Ben Stiller (EU, 2000, 100 min).

« Dix petits Nègres » adapté en thriller sans enquêteurSarah Phelps a réalisé pour la BBC l’une des meilleures versions du classique d’Agatha Christie

TF1 SÉRIES FILMSDIMANCHE 26 - 21 H 00

TÉLÉFILM

A Christie for Christmas »,autrement dit « unAgatha Christie pourNoël », fut longtemps

le plus futé des slogans pour écou­ler comme des petits pains les ro­mans de celle qui est toujours sur­nommée « la reine du crime ». Re­mettant cette devise au goût du jour, la BBC réunissait les Britanni­ques devant le petit écran, le 26 décembre 2016, en leur offrant une nouvelle adaptation de Dix petits Nègres, le plus vendu de ses romans. Cette version nous est resservie en plein printemps par TF1, pour notre plus grand plaisir.

Pour cette adaptation en troisparties, la BBC avait fait appel àl’une des scénaristes les plus envue dans le pays, Sarah Phelps, la­quelle décida, tout en restant par­faitement fidèle à l’esprit du ro­man, de fouetter le sang du spec­tateur, même le plus averti, en in­tensifiant encore la dimensionde thriller noir psychologique deDix petits Nègres.

Qui plus est, avec l’accord de lafamille de la romancière, la scé­nariste a apporté quelques tou­ches plus « sexy » à la dramatur­gie, esquissant ici une romance, ajoutant là une scène mêlant dro­gue et alcool, introduisant un

langage moins châtié que l’épo­que ne le supportait, et modifiantà la marge la façon dont certainspersonnages mourront.

Une comptine du XIXe siècleCar oui, mieux vaut le savoir, les assassinats ne manqueront pasdans cette minisérie, et aucun dé­tective professionnel ou amateur à la Poirot ou à la Miss Marple ne

sera là pour enquêter et élucider les meurtres qui vont s’enchaîner.Jusqu’à l’image finale, le mystèrerestera entier.

Rappelons le point de départ dece thriller sans enquêteur. En août 1939, dix personnes qui ne seconnaissent pas (huit invités etdeux domestiques) sont conviées à rejoindre l’île du Soldat, un coin désolé de roc et de lande, au sud de

l’Angleterre. A leur arrivée dans la riche demeure, leurs hôtes, M. et Mme. A. N. O’Nyme, ne sont pas là pour les accueillir. Ils resteront tout autant absents lors du dîner réunissant pour la première fois leurs invités, lesquels se présente­ront les uns aux autres avant qu’une voix, comme venue d’outre­tombe ou de la bouche d’un Commandeur, n’accuse cha­

cun d’eux d’un crime qu’il aurait commis dans le passé sans que ja­mais justice ait pu être rendue…

Décors et musique, écriture ettension paranoïaque, réalisation et, surtout, jeu des acteurs, tout,ici, concourt à la réussite de cette adaptation télévisée. La scéna­riste et le réalisateur auront moins cherché à mettre en scènedes morts théâtrales, glauques eteffrayantes, qu’à instiller une op­pressante sensation de mystère.

Il est à noter que ce roman cal­que son évolution sur celle d’une comptine du XIXe siècle, Ten Little Niggers (elle­même adaptée d’une chanson américaine, Ten Little Indians) : Dix petits Nègres s’en furent dîner/L’un d’eux but à s’en étrangler/N’en resta plus que neuf./Neuf petits Nègres se cou­chèrent à minuit/L’un d’eux à ja­mais s’endormit/N’en resta plus que huit. Etc. D’où le titre original du roman, Ten Little Niggers, qui devint And Then There Were None dans l’édition américaine (der­nier vers de la comptine, ajouté par Agatha Christie), et qui fut adopté comme titre définitif.

martine delahaye

Agatha Christie : Dix petits Nègres, téléfilm adapté du roman d’Agatha Christie par Sarah Phelps. Avec Maeve Dermody, Charles Dance, Sam Neill (RU, 2015, 3 × 55 minutes).

Maeve Dermody, dans l’adaptation de la BBC de « Dix petits Nègres ». 20TH CENTURY FOX/TF1

Aux origines du culturisme de masseArte jette un regard historique, politique, économique et philosophique sur la démocratisation de la « gonflette »

ARTE.TVÀ LA DEMANDE

SÉRIE DOCUMENTAIRE

D epuis quand fait­on dubodybuilding ? Réservé àla fin du XIXe siècle aux

« Hercule de foires », le culturismeest devenue en quelques décen­nies une norme qui s’affiche à la « une » des magazines, dans les blockbusters hollywoodiens, les salles de fitness et sur les réseaux sociaux. « Les muscles n’ont jamaisété aussi visibles que depuis qu’on n’a plus besoin d’eux », nous dit le

commentaire de Tous musclés, websérie en dix épisodes. Que ré­vèle cette quête de notre société et de notre époque ? Jérôme Momcilovic et Camille Juza, déjà auteurs d’un film sur la star du milieu, l’acteur et homme politi­que américain Arnold Schwarze­negger, nous plongent dans l’his­toire de cette pratique apparue avec les sociétés industrielles.

A la fin du XIXe siècle, l’épanouis­sement du capitalisme, qui valo­rise l’individu, accompagne ce quel’historien Johann Chapoutot ap­pelle le « triomphe du darwinisme

social », qui veut que « seuls les plusforts s’imposent ». « Ce modèle s’imprime dans tous les domaines de l’existence » – y compris le corps –, explique l’économisteGuillaume Vallet.

« Corps d’un nouvel ordre »L’on apprend ainsi qu’il existe aujourd’hui 5 500 salles de fitness en Europe pour 60 millions de pratiquants et 27 milliards d’euros annuels de chiffre d’affaires. On y construit un « corps d’un nouvel ordre », qui n’incarne pas que laforce, le masculin, le féminin ou

l’érotisme, mais vient nourrir le rêve de parvenir au stade ultime du développement humain, voire au post­humain. « Le muscle est­ilpolitique ? » Forcément, répond l’historien Johann Chapoutot, puisqu’il s’agit « d’affirmer une puissance, la place d’un individu dans un champ concurrentiel ». Plus d’un siècle après ses débuts, ce processus d’individualisation du corps et cette quête de perfec­tion s’étalent en long et en large sur les réseaux sociaux. Aux té­moignages de bodybuilders, pro­fessionnels ou amateurs, Jérôme

Momcilovic et Camille Juza ajou­tent des éclairages, tels ceux de l’anthropologue Jean­Jacques Courtine et de l’écrivain Nicolas Chemla, et des images spectacu­laires. Tous musclés tisse l’his­toire d’une pratique sportive et ar­tistique souvent considérée com­me une sous­culture réservée à des « freaks ».

mouna el mokhtari

Tous musclés, de Jérôme Momcilovic et Camille Juza (France, 2019, 10 × 5 min). Sur Arte.tv à partir du lundi 27 avril.

V O SS O I R É E S

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13. Tél. : 01-57-28-20-00

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Page 25: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 carnet | 25

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N° 60AVRIL 2020

& CIVILISATIONS

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UN APÉRO AVECBigflo et OliLes deux frères n’ont pas letemps de souffler. Un succèsqui ne se dément pas.Rencontre avec les rappeurspréférés des enfants

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4SAMEDI 19 OCTOBRE 2019 - 75E ANNÉE - N O 23257 - 4,50 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

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MASPÉCIAL DESIGN JAPONAIS idées Saviano, Ferrante, Vargas Llosa, Rushdie… :

« La cause des Kurdes nous concerne »

UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

BREXIT: UN NOUVEL ACCORD ET DES INCERTITUDES▶ Jean­Claude Juncker,président de la Com­mission européenne,et Boris Johnson,premierministrebritannique, ont an­noncé, à Bruxelles,jeudi 17octobre, avoirconclu un accord surla sortie du Royaume­

1ÉDITORIALAMER COMPROMISPOUR L’EUROPE

la décision en juin 2016 desdu RoyaUni de l’UE▶ Approuvé par lesVingt­Sept, le textedoit encore être va­lidé, samedi, par unParlement britanni­que qui resteextrêmement divisé

Britanniques de quitter l’UEreprésente une régressionpour le continent et traduitun échec collectif. Mais, ac­quise à 51,9%, elle doit êtrerespectée. L’accord sur lesmo­dalités de ce départ, conclujeudi 17 octobre à Bruxelles,prévoit une rupture nette, unBrexit plus dur que celui, flou,qui avait été vendu aux élec­teurs.Mais, face à lamenace

DIMANCHE 27 - LUNDI 28 OCTOBRE 201975E ANNÉE– NO 23264

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT LES ARTISTES MORTS N’ONT JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ

Chômage: l’espoir d’une amélioration durable▶ Au troisième trimestre,le nombre de demandeursd’emploi sans aucune acti­vité a diminué de 0,4%,selon les chiffres publiésvendredi 25octobre

▶ Le reflux du nombrede chômeurs se confirmedoucement. Il s’agitdu quatrième trimestrede baisse. Sur un an, ladécrue est nette, à – 2,4%

▶ Ces résultats font écho àla bonne santé dumarchédu travail. Jeudi, le réseaudes Urssaf a fait étatd’une «augmentationsoutenue» des CDI

▶ Lamontée en régime duplan gouvernemental deformation contribue aussià cette baisse, encore fra­gile dans une conjonctureinternationale incertaine

▶ L’exécutif et samajoritéjugent atteignablel’objectif d’un taux dechômage ramené à 7%à la fin du quinquennatPAGE 10

CHILI AUX SOURCESDE LA COLÈRE▶ Lemouvement de contestation quidénonce les inégalités sociales a connu unemobilisation historique à Santiago vendrediPAGE 4

Géopolitique Le rêve briséd’autonomie des Kurdes

TURQUIE

SYRIE

▶ L’offensive turquedans le Nord­Est syrienmarque un coup d’arrêtau projet politique dupeuple apatridePAGES 16 À 19

Lubrizol Corse

IRAK

SYRIE

1 ÉDITORIAL

ÉTERNELS LAISSÉS­POUR­COMPTEPAGE 30

19e

/mois

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Le Carnet

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Mme Françoise Baudin,son épouse,

Catherine et Florent Prévot,Jean-Bernard et Claire-Anne Baudin,François et Isabelle Baudin,Isabelle et Nicolas Fougeront,

ses enfants,Tous ses petits-enfantsEt ses arrière-petits enfants,

ont le chagrin de faire part du décèsde

Bernard BAUDIN,

survenu à Reims,le 9 avril 2020,dans sa quatre-vingt-treizième année.

Une messe sera célébrée dès queles circonstances le permettront afinde prier pour lui et se recueillir en samémoire.

Cet avis tient lieu de faire-part.

1, rue Jean-Jacques-Sardou,06110 Le Cannet.

Delphine, Sophie, Emmanuelleet Christophe,ses enfantsainsi que leurs conjoints,

Ses huit petits-enfantsEt ses trois arrière-petits-enfants,Françoise Auricoste,

sa sœur,

ont l’immense chagrin de faire partdu décès de leur sœur, mère, grand-mère ou arrière-grand-mère chérie,

Mme Claude BAUDOIN,née GIRARD,

qui s’est éteinte à son domicile,le 21 mars 2020,à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

A ceux qui l’ont connue et aimée,que vos pensées et prièresl’accompagnent.

Une cérémonie religieuse seracélébrée ultérieurement.

[email protected]

La famille de

Jean Claude BERGONZINI,

a la douleur d’annoncer son décès,survenu le 24 février 2020.

Bernard et Dina Boutin, Hubertet Jeanne Boutin, Florence et JacquesCurnillon,ses cousins,

Tanguy et Charlotte Boutin,Olivier et Clotilde Boutin,ses neveux,

Hélène Becharat-Reltgen,sa filleule,

Toute sa famille,Ses amis,Ses anciens collègues des éditions

Gallimard,Tous ceux qu’il a aimés,

font part du rappel à Dieu de

M. Gérard DUBUISSON,

le samedi 18 avril 2020, à Caen,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

La bénédiction suivie del’inhumation ont eu lieu le jeudi23 avril, au cimetière de Fleury-sur-Orne, dans la plus stricte intimité.

PF Barbier, Fleury-sur-Orne.Tél. : 02 31 82 34 43.

Le docteur Armelle George-Guiton,son épouse,

Julie et Sébastien Castegnaro,Lise George et Eli Commins,

ses filles et gendres,Ivanne, Gabin, Anna, Theodore,

ses petits-enfants,Thierry et Colette Sabin,

son frère et sa belle-sœur,Coralie, Amaury, Alban, Laetitia,

Priscille, Alexis,ses neveux et nièces,

Martine Guiton,sa belle-sœuret ses enfants, Romain et Marion,

Olivier Guiton,son beau-frèreet ses enfants, Thomas et Laura,

Les familles George, Ulrich,Touchot, Breton, Dellestable, Cazard,Gorsse, Butler, Maziol,ses cousins et cousines,

Les familles Guiton, Vergara,Richard,sa belle-famille,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès du

docteur Christian GEORGE,ancien interne

des Hôpitaux de Paris - ACCAHP,ancien chef de service

de psychiatrie infanto-juvénile,

survenu à Paris le 18 avril 2020,à l’âge de soixante-dix-sept ans.

La cérémonie religieuse seraorganisée ultérieurement.

[email protected]

Le docteur Hélène LilianeGherchanoc,son épouse,

Florence et Jérôme,ses enfants,ainsi que leurs conjoints, Daniel etSophie,

Vladimir, Anouk, Ève et Ruben,ses petits-enfants qu’il aimait tant,

Toute sa familleEt ses amis,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Benoît GHERCHANOC,

survenu le 16 avril 2020.

Il a été inhumé au cimetièreparisien de Bagneux, le 20 avril.

Ce présent avis tient lieu de faire-part.

La famille Harbi

a l’immense tristesse de faire partdu décès de

Cherif HARBI,ancien journaliste

et fonctionnaire à l’ONU,

survenu à Paris le 16 avril 2020,à l’âge de quatre-vingts ans.

L’inhumation a eu lieu le 20 avril,au cimetière parisien de Thiais.

Lyon.

Les familles Houssel, Millet,Nagarettiname,

Jean-Marc, Dominique, Hadrien,Bertrand, Laurence, Nobel, Sophie,Alice, Arnaud, Antonin, Hanna,ses enfants, ses beaux-enfants etses petits-enfants,

Sa famille,Ses amis,Ses collèguesEt tous ceux qui l’ont connu, qui

nous témoignent leur amitié,

ont la douleur de faire part du décèsde

Jean-Pierre HOUSSEL,professeur émérite

à l’université Lumière - Lyon II,

survenu le 19 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Il a été inhumé dans la plus stricteintimité au cimetière du Mazet-Saint-Voy, auprès de son épouse,

Suzanne,née BOUCHET.

Cet avis tient lieu de faire-part.

[email protected]

Nous avons la grande douleurde faire part de la mort de

Claude NABOKOFF,née JOXE,

survenue le 22 avril 2020,dans sa quatre-vingt-onzième année.

Ivan Nabokoff,son mari,

Alexis et Barbara Nabokov,son fils et sa belle-fille,

Catherine Nabokov,sa fille,

Basile et Lisa Bretagne,ses petits-enfants,

Alain et Pierre Joxe,ses frères,

Cécilia Joxe et Roula Zein-Joxe,ses belles-sœurs,

Valérie Joxe,

Peter Nabokov et AlexandreNabokoff,ses beaux-frères,

Baptiste, Benoit, Julien, Marianne,Marie, Nicolas, Sandra, Simon Joxe,ses nièces et neveux.

« Quiconque vit et croit en moine mourra jamais. »

(Jean 11, 26).

Dès que les circonstances lepermettront, un culte commémoratifd’action de grâce aura lieu.

[email protected]@[email protected]

L’association Maisons Paysannesde France

a la grande tristesse de faire partdu décès de

Jean PEYZIEU,administrateur,

survenu à Montpellier,le 18 avril 2020.

Il avait mis sa forte personnalité etses compétences de grand journalisteau service de la défense du patrimoine.Ses actions et ses articles rendaientcompte, avec une grande exigence,des richesses de notre héritagevernaculaire et à son intégration dansle monde d’aujourd’hui.

Maisons Paysannes de Frances’associe à la peine de son épouseJacqueline et de ses enfants.

Cet avis tient lieu de faire-partet de remerciements.

La Celle-Saint-Cloud.

Ses enfants,Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Françoise SABARLY,née LASMARTRES,

survenu le jeudi 9 avril 2020,dans sa quatre-vingt-quinzième année.

Elle sera inhumée le 7 mai, dansla plus stricte intimité au cimetièrede La Celle-Saint-Cloud.

Olivia, Gabriel et Lilia,ses enfants,

Elisabeth, Jean, Béatrice et Noa,ses petits-enfants,

Christiane Demoulin,sa sœur

Ainsi que toute la famille,

ont la douleur de faire part du décèsde

Me Marie-France SANCHEZ,née DEMOULIN,

avocate au barreau de Paris,

survenu le 22 avril 2020.

En raison des circonstancessanitaires actuelles, la cérémoniereligieuse aura lieu dans l’intimitéfamiliale, le lundi 27 avril.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Sa famille,Ses amis,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Bernard TERRIEUX,lecteur assidu,

survenu à Toulouse, le 20 avril 2020.

Bourg-la-Reine.

Mme Teresita Morales de Velarde,son épouse,

Socorro et François, Juana et Denis,Sophie et Véronique, Anaë, Yaëlle,Roberta

Et toute sa famille,

ont la douleur de faire part du décèsde

M. Juan Hipólito VELARDETORRES,

avocat et enseignant,

survenu le 17 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

Pour nous joindre :[email protected]

Anniversaires de décès

Victor DEL JÉSUS

nous pensons à lui, à sa sœur,ses parents, ses grand-parents etses amis.

Victor DEL JÉSUS,

le temps ne fait rien.

Emma, Michèle, Thierry.

La Fondation AGESrend hommage

à ses généreux donateurs.

En désignant notre fondation,reconnue d’utilité publique,

comme bénéficiairede leur patrimoine,

ils contribuent à améliorerla vie quotidienne des personnes

âgées dépendantes, souvent isoléeset vulnérables, et à soutenir

leurs aidants à domicile et en ehpad.Leur mémoire restera à jamais

ancrée dans nos souvenirs.Nous ne les oublierons jamais.

Fondation AGES75, allée Gluck - BP 2147

68060 Mulhouse Cedex.www.fondation-ages.org/

Remerciements

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Page 26: Le Monde - 26 04 2020

26 | L’ÉPOQUE DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

Ce soir, je serai la plus belle pour sortir la poubelleAller au supermarché, faire le ménage, ou sortir le chien. Pour beaucoup de confinés, les corvées du quotidien sont l’occasion de happenings quasi festifs

TRAI

N-T

RAIN

Par Maroussia Dubreuil

P as question pour Valérie, lavoisine du troisième étage,de manquer son tour de sor­tie des poubelles depuis quel’homme de ménage de sarésidence ne vient plus. « Sa­

medi dernier, quand je suis descendue,elles étaient déjà vidées… Les jaunes comme les vertes ! Cela m’a agacée, j’ai tout de suite écrit sur le WhatsApp del’immeuble : “C’est ki ki a sorti les poubel­les ? On m’a volé mon tour ?” » Frustréed’avoir perdu la triple occasion de se dé­gourdir les jambes, de se sentir utile et depapoter avec un riverain, la vaillante sexagénaire est rentrée se terrer et s’est inscrite illico pour le samedi suivant. « Cette fois, je prendrai de l’avance ! »

Depuis que le Covid­19 nous a for­cés au confinement, nous sommes nom­breux à nous accrocher aux petites cor­vées habituelles qui jusque­là nous irritaient. En cette période incertaine où ilest difficile de se projeter au­delà des JT et des frontières de notre logis, faire la pous­sière, nettoyer les vitres, déboucher un siphon, relever le courrier, s’approvision­ner à la supérette, sont parfois même de­venus nos petites épiphanies du quoti­dien. « J’éprouve un certain plaisir à noter religieusement dans mon agenda mes to­do lists de tâches ménagères ! », avoue Caroline, 30 ans. Héritière inopinée de Georges Perec, qui nous invitait à traquer « les choses communes », à « les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelleelles restent engluées » (L’Infra­ordinaire, Seuil, 1989), cette assistante juridique, contrainte au télétravail à temps partiel, s’attelle depuis un mois et demi à les reva­loriser en leur accordant une place de choix dans son planning plus qu’amaigri.

Pour pimenter notre train­train dereclus, nous pouvons suivre les conseils des spécialistes de la vie cloîtrée. « Vivre son quotidien au jour le jour », préconi­sait, tout en pléonasme, Aziz, le confinéde Loft Story, en 2001. Dans une vidéo dif­fusée début avril sur le YouTube de la Pastorale des Jeunes Cathos de Lyon, une moniale appelle, quant à elle, au travail manuel et à la créativité à partir des moyens du bord. En l’occurrence, la cired’un mini Babybel. « Je vais fabriquer un cierge pascal avec », annonce­t­elle, bien­heureuse. Il suffit de la découper en forme de croix, de la faire fondre légère­ment avec un sèche­cheveux et de lacoller sur un cierge. Privés de messe de Pâques, nous voilà désormais suffisam­ment équipés pour ressusciter notreincroyable appétit de vie.

Si ces modestes activités ont lemérite de grignoter par les deux bouts notre jour sans fin du 17 mars, elles nous permettent aussi de secouer l’extraordi­naire banalité de notre routine de mar­motte. « Désormais, quand je fais mes exercices de renforcement musculaire, je baisse le son de mon tuto et j’envoie à la place la reprise de Hallelujah par Jeff Buc­kley… La gym devient cosmique ! », ventile Aude, une athlétique femme de 38 ans, tandis que sa colocataire, Claudia, court sur un tapis roulant en écoutant des cours de philosophie : « Une manière de revenir à l’essentiel et de développer ma vieintérieure puisqu’on n’a plus d’échappa­toire… » D’autres se surprennent à admi­rer les aménagements paysagers à moins d’un kilomètre de chez eux quand jadisils focalisaient sur les crottes de chiens et les papiers gras. Serions­nous en train de suivre la voie des maîtres zen en rafraî­chissant notre regard sur tout ce qui re­lève du « rien de spécial » ?

Serpillière au pied ou gamelle à lamain, nous nous étonnons même de mettre du cœur à l’ouvrage… « Il y a quel­ques jours, j’ai fait le premier flan de mavie !, se réjouit Maurice, cinquantenaire isolé dans sa résidence secondaire, en Espagne. J’en fais tout un flan de cette his­toire mais je vous assure qu’il y a eu un avant et un après ! Non seulement il res­semble en tout point à celui que j’allais acheter après l’école, mais en plus il m’apermis de réaliser que je pouvais enfin mesubstituer au boulanger de mon enfance ! Ce flan, c’est une autonomie absolue. »

Quant à Léa, une jeune Pari­sienne qui ne sort plus de chez elle que pour faire ses courses, elle s’est empres­sée de « mettre des couleurs dans sonappartement » en présentant ses bonspetits plats sur la nappe rose fuchsiaqu’elle a ramenée de ses dernières va­cances au Sénégal. Et chez Philippe,42 ans, étendre le linge revient désor­mais à jouer une bonne partie de Tétris :« Privé de mon job de commercial, je neme suis jamais autant appliqué… Pas unslip ni un tee­shirt qui viennent se su­perposer. C’est simple, j’ai envoyé unephoto à mon ex­femme », se gargarise­

t­il, comme un enfant qui aurait fait sonpremier popo dans le pot.

Pour ne pas se lasser, les plus créa­tifs d’entre nous transforment les micro­événements du quotidien en une sorte dehappening festif… Voyez ces Australiens,lanceurs du #BinIsolationOuting, dégui­sés en bébé Trump, dinosaure ou Fée Clochette, pour sortir les poubelles. SurInstagram, les défis de ce type, révéla­teurs sans doute d’une société qui a tou­jours besoin de se fixer des objectifs selon une logique de performance, se multiplient pour épicer nos besognes lesplus convenues et faire sortir notre bana­lité de son anonymat : le #BroomChal­lenge consiste à rendre au balai ses propriétés magiques ; le #PQChallenge, popularisé par les footballeurs, invite àdribbler avec un rouleau de papier toi­lette quand le #TableChallenge, du skieur suisse Andri Ragettli, propose de grim­per sur une table et d’en faire le toursans toucher le sol ; moins prosaïque, le #TussenKunstEnQuarantaine recrée avec les moyens du bord des peintures célè­bres. Le 20 avril, une jeune fille se collait un sceau sur la tête pour imiter Portrait d’une jeune fille (1465), du NéerlandaisPetrus Christus.

Forcés à hiberner au printemps, ilfaut bien avouer que notre vie quoti­dienne s’est transformée en une expé­rience radicale et bizarre qui se détache,qu’on le veuille ou non, de l’ordinaire. « Regardez­nous ! Avec ma copine, nous faisons les courses, avec une chaussette en laine un peu épaisse sur le visage et unevalise pour éviter de sortir trop souvent, décrit Alexandre, 40 ans. Avant on allait au bout du monde pour vivre une expé­rience différente, aujourd’hui il suffit d’aller au supermarché au bout de sa rue. Tenez, cette chaussette qu’on prenait du bout des doigts et qu’on méprisait jus­que­là, la voilà qui s’imprime sur nos faces et nous sauve la vie. C’est un peu comme sion marchait sur la Lune. »

Pique-nique d’intérieur, en avril, à Paris.FLORENCE LEVILLAIN/ SIGNATURES

« Il y a quelques

jours, j’ai fait

le premier flan

de ma vie ! »Maurice, 50 ans

Trois questions à Philippe Filliot, professeur de yoga et auteur d’Etre vivant, méditer, créer (Actes Sud, 2016). En 2014, il a publié le texte « Trouver l’extraordinaire dans l’infra-ordinaire : pour une mystique profane » dans la revue Sociétés.

Depuis le début du confinement, il nous arrive de partager avec nos amis des microévénements qu’on passait jusque-là sous silence : « J’ai fait le plein aujourd’hui ! », ou « Ça y est, j’ai nettoyé mes carreaux ! » Serions-nous en train de valoriser les petites choses du quotidien ?Lorsque nous ne sommes pas malades ou confrontés à l’angoisse, le confinement a le mérite de nous inviter à une sorte de conversion du regard. Par la force des choses, nous nous retour-nons vers des détails de notre environnement proche, dont la valeur s’accroît. Il devient plus aigu et plus sensible. Privés de l’ailleurs, nous retournons à l’ici et c’est l’occasion d’inventer une mystique de l’ordinaire qui s’éprouve vraiment dans la vie de tous les jours.

Qu’entendez-vous par « mystique de l’ordinaire » ?C’est une manière d’enchan-ter notre quotidien… Comme ces internautes qui reproduisent chez eux, en se déguisant, des peintures célè-bres. Ces tableaux vivants faits avec trois fois rien sont

un mélange de sublime et de dérisoire. C’est une manière de vivre ce moment de confi-nement comme une expé-rience mystique qui ne s’ins-crit pas dans un cadre reli-gieux mais advient dans le quotidien le plus banal. On peut aussi parler de mystique profane en clin d’œil à la formule de Walter Benjamin « l’illumination profane ». Je crois que nous vivons un temps très proche du zen, pas au sens du cool mais au sens spirituel du terme, qui invite à un retour total à la vie immédiate, sans échappa-toire, sans illusion, sans construction. Un retour à une réalité brute et évidente. C’est le sens d’un court dialo-gue entre un moine zen et son disciple qui lui demande : « Qu’y a-t-il d’extraordi-naire ? » Le maître lui répond : « Etre assis sans rien faire. » Voilà une manière de retour-ner à l’ordinaire et de le voir comme quelque chose de merveilleux.

C’est toute la difficulté, non…Oui… Mais alors que nous ne pouvons plus nous tourner vers nos activités extérieures, nous sommes plus enclins à chercher des ressources en nous-mêmes qui permettent d’inventer d’autres façons de faire et de penser. Nous vivons un temps d’arrêt, de mise entre parenthèses qui est mondial, comme une sorte de yoga planétaire – au sens originel du terme, « yoga » signifie « arrêt » et « repos ». Cela nous incite à un retour à soi, définition essentielle de la spiritualité.

Propos recueillis par M. Dl

« Il s’est développéune sorte de mystiquede l’ordinaire »

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Page 27: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 l’époque | 27

Méditation,la grande évasion

La crise sanitaire a permis à la pratique de conquérir de nouveaux adeptes. Soyons zen !

Marlène Duretz

L a méditation atteindrait­elle des sommetsen ces temps confinés, à commencer parceux des Etats ? « Un grand nombre de per­sonnes, quelle que soit leur confession, se ren­dent compte qu’il y a là une occasion de ralen­tir, de réfléchir, dans la prière ou la médita­

tion », a déclaré la reine Elizabeth II dans son allocutiontélévisée du 5 avril, préconisant à sa manière cette pra­tique au cœur de la pandémie.

Rien d’étonnant à cela pour Frédéric Lenoir, quipratique la méditation depuis plus de trente­cinq ans.« Méditer entraîne notre esprit à être présent à tout ce qui est, ici et maintenant, ce qui augmente progressive­ment nos capacités de concentration et d’attention, sou­ligne le philosophe et sociologue, auteur de Méditer àcœur ouvert (Nil Editions, 2018). Il en résulte toute unesérie de bienfaits, tant physiques que psychologiques. »

« C’est un peu comme une montagne encerclée denuages : la méditation en pleine conscience va agir comme le vent, dissiper les nuages et montrer quelquechose de stable sur lequel s’ancrer », confirme le médi­tant et formateur Franck Plüss, qui cumule les fonctionsd’« happyculteur » et de responsable du service culturel de Kingersheim (Haut­Rhin), près de Mulhouse, où il anime des ateliers d’initiation à la méditation de pleine conscience à destination des agents municipaux.

La méditation de pleine conscience, adaptationlaïque de la méditation de tradition bouddhiste, est ba­sée sur le programme éducatif et préventif de réduc­tion du stress (ou méthode MBSR, pour mindfulness­based stress reduction), élaboré dans les années 1970 aux Etats­Unis par le biologiste et professeur éméritede médecine Jon Kabat­Zinn, et introduit en Francedans les pratiques de soin par le psychiatre Christophe André. Depuis une petite décennie, elle a pris son essor,notamment appuyée par les nouvelles technologies, et elle est actuellement plébiscitée avec le confinement.

En multipliant les initiatives gratuites en ligne,les instructeurs MBSR, coutumiers de séances en pré­sentiel ou virtuelles, vont à la rencontre des médi­tants et néoméditants. « La période est compliquée etstressante, explique Franck Plüss, à l’origine d’unesérie de méditations vidéoguidées, égrenées depuis le23 mars sur YouTube et sa page Facebook, à travers les­quelles il accompagne ceux qui, « au front ou confinés,partagent tous l’incertitude et le stress d’une situationsanitaire inédite ». Si la méditation n’a rien d’une « pi­lule miracle », c’est toutefois un moyen de « redevenir maître de ses émotions ». 41 % des Français affirmentvivre des périodes intenses de stress, de nervosité oud’anxiété, bien plus qu’avant la crise sanitaire (étudeIfop/Consolab du 8 avril).

« C’est simple, je ne peux plus m’en passer », re­connaît Valentine, une énergique quadragénaire confi­née avec mari et enfants de 5 ans et 9 ans. Plutôt adeptede la zumba, elle considérait jusqu’ici la méditation comme « une pratique limite ésotérique et tellementlente… ». Mais dans le contexte actuel, « très anxio­gène », elle a « mordu à l’hameçon ». Comme 4,8 mil­lions de personnes depuis 2015, elle s’est inscrite surl’application Petit bambou. Le nombre de nouveauxinscrits a décuplé depuis le début du confinement, et celui des séances quotidiennes suivies a triplé, selon son cofondateur Benjamin Blasco. « Cela démontre une soif de résilience, mais aussi un besoin de communion. »

L’instructrice bordelaise Emmanuelle Roquesanime, elle, des séances en ligne de méditation guidéesur l’application de visioconférence Zoom, dont plu­sieurs instaurées par le collectif d’enseignants Euthy­mia. Contrairement à une vidéo YouTube ou à un live àsens unique sur les réseaux sociaux, « cette plate­forme gratuite permet non seulement les interactionsentre instructeur et méditants, mais aussi des retrou­vailles d’une séance à l’autre, à l’instar de toute séance en présentiel ». Ce que confirme Martin Aylward, ins­tructeur et cofondateur de l’appli Mind, 40 000 télé­chargements depuis le 17 mars, soit 40 % de plus qu’entemps normal. « Ce sentiment de présence partagée,d’intention et d’attention communes, de s’asseoir en­semble, c’est très fort et très touchant. J’ai le sentiment d’accueillir les méditants dans une salle de pratique.Même si la salle est virtuelle, on s’écoute, on s’aligne, on est là ensemble. Et c’est de suite plus rassurant. »

Myriam pratique la méditation depuis 2012, etça fait quelques jours qu’elle suit, devant l’écran de son ordinateur, une formation MBSR. « C’est tout nouveaupour moi, la méditation par écran interposé. Je prends cequi vient, sans attendre, dans ma présence de chair, et, bien que seule chez moi, je me sens reliée à l’autre », se félicite cette professeure de yoga et réflexologue. « Pourcertains, la méditation aura été une béquille pendant cette période, mais ça laissera des traces », projette­t­elle.« Le confinement est un indéniable levier. Beaucoup vontvenir à la méditation parce que les ingrédients sont là : du temps à soi et la volonté d’explorer son espace inté­rieur, considère Emmanuelle Roques. Mais ce ne sera pas la panacée pour tous. »

ANTI

-STR

ESS

De la série« D’un autre côté »

(avril 2020).IVAN GUILBERT/REA

XAVIER LISSILLOUR

C’ était un matin deconfidence, devantun bol de céréales auchocolat : « Moi, je neveux plus jamais êtredéconfiné. Le confi­

nement, papa, c’est trop cool ! », m’a dit mon fils de 5 ans. Même si l’enferme­ment est loin d’être une partie de plaisir pour tout le monde, le sentiment ex­primé ici de manière abrupte est partagé – pour des raisons diverses et avec unengouement plus mesuré – par de nom­breux adultes. Selon un sondage BVA pour Europe 1 et Orange, un quart des Français espèrent que le déconfinement sera repoussé au­delà du 11 mai, là où 38 % souhaitent qu’il soit lent, et étalé surplus de deux mois.

Au­delà des craintes sanitairesliées à une reprise de l’épidémie, on peutvoir, dans ce refus d’abandonner le cocondomestique, l’aveu qu’il est toujours psy­chologiquement compliqué de faire le deuil d’un refuge. « Lorsque les conditions nécessaires sont réunies pour que l’indi­vidu, enfant comme adulte, vive bien son confinement, il va percevoir ce “temps” de quarantaine comme hors du temps ordi­naire, un moment où il est possible de profiter davantage de son chez­soi, de ses parents, ses frè­res et sœurs, ses ani­maux. Le logement devient alors un “so­ciofuge”, soit un lieu qui, en période incer­taine, permet d’ins­taurer une norma­lité provisoire et ras­surante », explique l’anthropologue Fanny Parise.

Pas faciledonc de s’imaginer sortir de nouveau de sa bulle et intera­gir avec ses contem­porains alors que rôde, de poignées de main en poignées de porte, un virus po­tentiellement mortel. Mais ce rejet diffus du déconfinement a incontestablement d’autres racines, qui vont bien au­delà d’un pragmatisme social embarrassé.« Certains craignent que tout s’effondre, d’autres ont peur que rien ne change », résume Fanny Parise. Cette idée que le monde d’après pourrait reprendre levisage hideux du monde d’avant est dansbeaucoup de têtes. Lorsque j’ai interrogé mon fils aîné sur la question, il m’a fait savoir qu’il souhaitait être déconfiné leplus tard possible. Pourquoi ? « Je préfère le télétravail, c’est mieux que d’être assis pendant quatre heures sur une chaise. »

En brisant la routine, cette inéditepériode de quarantaine nous a donc arra­chés à l’état d’hébétude dans lequel nousnous trouvions, nous faisant toucher du doigt des évidences alternatives que l’on ne voyait pas. Les enfants ont compris qu’on pouvait continuer à apprendre

sans forcément être enfermé entre quatremurs. Les adultes, eux, ont constaté que l’on ne disparaissait pas du monde des vivants parce qu’on cessait soudain defaire du shopping et de prendre l’avion.

A petits pas, le confinement (phy­sique) a débouché sur un déconfinement (mental), soit l’idée que la vie pouvait êtrevécue différemment, en faisant l’écono­mie d’habitudes superflues, en s’autori­sant enfin à penser les choses autrement.C’est Marguerite Duras qui, en 1969, dans une interview télévisée à l’ORTF, appelait de ses vœux cette tabula rasa introspec­tive comme moyen d’inventer une nou­velle société de demain authentique, qui ne serait pas la redite de celle d’hier : « Je crois que si l’on ne fait pas ce pas intérieur, si l’homme ne change pas dans sa solitude,rien n’est possible. Je suis pour qu’on recommence tout. Le départ à zéro. Qu’il n’y ait plus aucune mémoire de ce qui a étévécu. C’est­à­dire de l’intolérable. Sur tous les fronts, sur tous les points. »

Sans le savoir, les enfants ont étéles premiers à mettre en œuvre ce pro­gramme de révolution intérieure. Avecune ferveur innocente découlant de leur science inégalable du présent, ils ont rapi­

dement réinventénos façons de vivreen partant de zéro.En s’amusant etsans que personnene les y invite, lesmiens ont créé unenouvelle monnaie,le schling, abon­dante pour tout lemonde, car sonunité de base est lecaillou. Entre deuxexercices de maths,quelques bagarresaussi, ils ont montéune structure desoins pour abeillesmalades dans deuxboîtes à chaussuresreconverties en

hôpitaux de fortune. Pour tenter de les réanimer, ils ont soufflé avec des pailles sur ces butineuses hagardes, tombées des fleurs dans un semi­coma. J’ai trouvécela admirable, comme si, parce que tenus à distance des institutions adulteset des contraintes qu’elles imposent, lesenfants revenaient d’eux­mêmes, instinc­tivement, vers les véritables priorités.

Sensibilité aux animaux, aux pier­res, aux végétaux. A notre environne­ment. Chez certains adultes, le confine­ment a eu un effet similaire, revivifiant eneux la biophilie réprimée du post­enfant.Ce temps suspendu leur a fait apparaître comme une évidence désirable tout ce à quoi notre société invite quotidienne­ment à renoncer : l’air pur, l’eau non souillée, le chant des oiseaux, la présence attentive aux siens… Qui, franchement, aurait envie d’être déconfiné pour vivrede nouveau dans ce monde suffoquant où les espèces meurent, les glaciers fon­dent et les SUV prospèrent ? « Je ne laisse­rai plus faire. Le premier jour du déconfine­ment, j’entrerai en résistance active et dé­verserai des milliers de clous sur mon ave­nue au moment où des hordes de voitures et de deux­roues se remettront à défer­ler ! », écrivait sur Facebook un ami à moi. Un post­enfant, manifestement.

Mes fils ont créé une nouvelle

monnaie, le « schling »,

abondante pour tout le monde, car son unitéde base est

le caillou

PARENTOLOGIE

Le déconfinement ? Non merci !

Journal d’un parent confiné, semaine VI. Nicolas Santolaria s’interroge sur le rejet du retour au « monde d’avant » chez ses enfants, qui ont vite

réinventé une façon de vivre en partant de zéro

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Page 28: Le Monde - 26 04 2020

28 | IDÉES DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

L’application StopCovid, dont l’usage est fondé sur le volontariat et l’anonymat, serait un outil indispensable

contre la diffusion du virus, affirme un collectif de scientifiques et professionnels de santé, alors qu’un débat

sur le traçage numérique est prévu à l’Assemblée le 28 avril

Le 11 mai, seule une faible fractionde la population française, auxalentours de 5 %, aura été infectéepar le virus SARS­CoV­2. D’impor­tantes mesures de contrôle del’épidémie resteront nécessaires.

Elles sont indispensables pour éviter uneseconde crise sanitaire majeure et, à terme, un nouveau confinement. Face à ce risque, considérable, la gageure est d’obte­nir, après le confinement, les mêmes effetsque le confinement, mais sans le confine­ment. Le contrôle de la transmission duSARS­CoV­2 doit être obtenu par des mesu­res moins éprouvantes pour la sociétéfrançaise grâce à de nouveaux moyens, tout à la fois humains et technologiques.

Si les instruments d’action restent, enmai, les mêmes que ceux dont nous dispo­sons aujourd’hui en dehors du confine­ment, le risque d’une seconde crise sani­taire est considérable et les options seront alors limitées et éprouvantes. A nouveau, seules des mesures drastiques, difficile­ment supportables sur le long terme, de­vraient être envisagées : fermeture des écoles et de la plupart des commerces, ré­duction de la vie collective, voire confine­ment global de nos concitoyens.

Pour relâcher ces contraintes, il est possi­ble de nous inspirer de pays comme Taïwan, la Corée du Sud ou Hongkong, qui ont endigué la progression de l’épidémie avec des mesures moins lourdes que le confinement.

La stratégie est d’identifier et d’isoler lescas contagieux et de retracer tous leurscontacts, afin de les diagnostiquer et de lesisoler à leur tour s’ils sont contagieux.Etant donné la transmissibilité élevée du virus, mettre en place cette stratégie est un

nouveau défi majeur pour notre pays. Elle nécessite des moyens humains et techno­logiques inédits pour réaliser des centai­nes de milliers de tests, organiser unmaillage des centres de dépistage et rendretrès vite les résultats. Elle nécessite aussiune prise en charge adaptée des personnesinfectées et le traçage de leurs contacts.

Garantir le contrôle de l’épidémiePour un virus comme le SARS­CoV­2, la dé­tection rapide et exhaustive des contacts est essentielle pour garantir le contrôle de l’épidémie. C’est le seul moyen d’identifier les personnes déjà infectées et contagieu­ses, mais ne présentant pas de symptô­mes. Ces personnes peuvent être des pro­ches comme des inconnus croisés dans des lieux publics. Dans ce contexte, un consortium d’acteurs publics et privés pi­lotés par l’Inria [Institut national de recher­che en sciences et technologies du numéri­que] a développé, en lien avec des partenai­res européens, l’application StopCovid.Cette application « trace » les contacts dansle respect des règles de consentement et d’anonymat, conformément au Règle­ment général sur la protection des don­nées [de l’Union européenne].

Installée volontairement, l’applicationenregistre de façon chiffrée les contactsdes utilisateurs, en prenant en compte la distance entre téléphones et la durée ducontact, sans géolocalisation. Lorsqu’une personne est diagnostiquée positive, ses contacts au cours des jours précédents sont alors informés par l’application, sans que la source possible de l’infection ne leursoit révélée. Ils sont alors invités à s’isoler et à se faire tester rapidement. L’intérêt sa­nitaire est ici majeur : les contacts à risque sont tracés de façon instantanée et ano­nyme pour l’ensemble des cas détectés un jour donné. Une telle performance est im­possible avec les seules approches tradi­tionnelles de traçage des contacts.

Le Conseil scientifique juge ces métho­des innovantes indispensables pour conte­nir l’épidémie. Elles posent certes de nom­breuses questions et imposent une grandevigilance quant à l’utilisation des données.Mais ces interrogations ne doivent pas conduire à renoncer à un outil qui, adopté sur la base du volontariat, pourrait être dé­cisif. Nous pensons qu’une telle décisionméconnaîtrait ce qui fera l’efficacité du dis­

positif global de sortie du confinement.Aucune application ne sera jamais la solu­tion miracle au contrôle de l’épidémie. D’ailleurs, aucun outil, pris isolément, ne suffira à éviter une seconde crise sanitaire.Mais la combinaison de différentes appro­ches, parce qu’elles touchent différents pu­blics et se complètent, offre une chance d’éviter une seconde crise. Cette applica­tion est un moyen innovant de tracer les contacts, qui séduira peut­être une partie de la population moins réceptive à d’autres mesures. Elle complétera les me­sures de traçage des contacts plus habi­tuelles, s’adressant en particulier à nos concitoyens éloignés du numérique.

Compléter le travail des équipes mobilesCette application est un moyen parmi d’autres, mais elle est un atout incontesta­ble pour identifier de nombreux contactsde façon instantanée. Elle permet de ga­gner du temps. Elle viendra compléter le travail des nombreuses équipes mobilesqui seront déployées dans les territoires pour effectuer des investigations et ac­compagner les personnes vers les systè­mes de diagnostic et de soins. Elle pourra informer ces patients des autres program­mes innovants pour organiser au mieux leur isolement. Associé aux tests et aux in­vestigations épidémiologiques, cet outil contribuera à casser précocement les chaî­nes de transmission, à contrôler l’épidé­mie et à limiter la morbidité et la mortalitéliées à ce virus. Son adoption et son utilisa­tion dépendront en tout état de cause de son appropriation par la société.

Si nous voulons éviter une seconde crisesanitaire, nous devons nous en donner les moyens. D’un point de vue sanitaire, l’ap­plication StopCovid, dûment encadrée,doit faire partie d’une stratégie nationalede contrôle de l’épidémie.

Pierre-Yves Boëlle, Simon Cauche-mez, Vittoria Colizza, Dominique Costagliola, Jean-Claude Desenclos, Arnaud Fontanet, Chiara Poletto, Alfred Spira, Alain-Jacques Valle-ron, épidémiologistes ; Patrick Cou-vreur, Liliane Keros, Elias Fattal, Christiane Garbay, Alain Gouyette, Philippe Liebermann, pharmaciens ; Philippe Aegerter, Jacques Beni-chou, Anita Burgun, Fabrice Carrat, Gilles Chatellier, Alain Duhamel, Stefan Darmoni, Jean-Charles Du-four, Pierre Dujols, Bruno Falissard, Jean Gaudart, Roch Giorgi, Sophie Grabar, David Hajage, Nathanaël Lapidus, Delphine Maucort-Boulch, Laurence Meyer, Jean-Jacques Pa-rienti, Pascal Roy, Roger Salamon, Louis-Rachid Salmi, Rodolphe Thié-baut, professeurs en santé publique ; Franck Chauvin, médecin de santé publique ; Daniel Benamouzig, sociolo-gue ; Lila Bouadma, Eric Maury, Jean-François Timsit, Frédérique Schortgen, Romain Sonneville, Paul-Henri Wicky, réanimateurs ; Philippe Sansonetti, microbiologiste ; Bruno Lina, Félix Rey, virologues ; Jean Laurent Casanova, immunolo-giste ; France Cazenave-Roblot, Karine Lacombe, Odile Launay, Denis Malvy, infectiologues ; Pierre Corvol, Pascale Cossart, Nathalie Kapel, Philippe Vernier, biologistes ; Olivier Faugeras, chercheur en neuros-ciences mathématiques ; Patrick Flandrin, physicien ; Pierre Léna, astrophysicien ; Olivier Pironneau, mathématicien, professeur d’analyse nu-mérique ; Didier Roux, physico-chimiste

LA DÉTECTION RAPIDE ET EXHAUS-TIVE DES CONTACTS EST ESSENTIELLE POUR GARANTIR LE CONTRÔLE DE L’ÉPIDÉMIE

SERGIO AQUINDO

Pour éviter une seconde

crise sanitaire, il faut s’en donner

les moyens

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Page 29: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 idées | 29

Antonio Casilli, Paul-Olivier Dehaye et Baptiste SoufronStopCovid est un projet désastreux piloté par des apprentis sorciersIl faut renoncer à la mise en place d’un outil de sur­veillance enregistrant toutes nos interactions humaines et sur lequel pèse l’ombre d’intérêts pri­vés et politiques, à l’instar du scandale Cambridge Analytica, plaident trois spécialistes du numérique

Le mardi 28 avril, les parlementai­res français seront amenés à votersur StopCovid, l’application mo­bile de traçage des individus im­

posée par l’exécutif. Nous souhaitons que, par leur vote, ils convainquent l’exécutif de renoncer à cette idée tantqu’il est encore temps. Non pas de l’amé­liorer, mais d’y renoncer tout court. En fait, même si toutes les garanties légales et techniques étaient mises en place(anonymisation des données, open source, technologies Bluetooth, consen­tement des utilisateurs, protocole dé­centralisé, etc.), StopCovid serait expo­sée au plus grand des dangers : celui dese transformer sous peu en « StopCovidAnalytica », une nouvelle version duscandale Cambridge Analytica [siphon­nage des données privées de dizaines de millions de comptes Facebook].

L’application StopCovid a été imagi­née comme un outil pour permettre desortir la population française de la si­tuation de restriction des libertés publi­ques provoquée par le Covid­19. En réa­lité, cette « solution » technologique neserait qu’une continuation du confine­ment par d’autres moyens. Si, avec cedernier, nous avons fait l’expérienced’une assignation à résidence collec­tive, les applications mobiles de sur­veillance risquent de banaliser le portdu bracelet électronique.

Tous les citoyens, malades ou nonC’est déjà le cas à Hongkong, qui impose un capteur au poignet des personnes en quarantaine, et c’est l’objet de tests et de propositions en Italie, en Corée du Sud etau Liechtenstein pour certaines catégo­ries de citoyens à risque. StopCovid, elle, a vocation à être installée dans les smart­phones, mais elle concerne tous les ci­toyens, malades ou non. Chaque jour,toutes les interactions humaines de cha­cun d’entre nous seraient enregistrées par un outil de surveillance étatique, sur lequel pèse l’ombre d’intérêts privés d’entreprises technologiques.

L’affaire Cambridge Analytica, révéléeau grand jour en 2018, avait comme pointde départ les travaux de chercheurs de l’université anglaise. Une application ap­pelée « Thisisyourdigitallife », présentée comme un simple quiz psychologique,

avait d’abord été proposée à des utilisa­teurs de la plate­forme de microtravail Amazon Mechanical Turk. Ensuite, cesderniers avaient été amenés à donner ac­cès au profil Facebook de tous leurs con­tacts. C’était, en quelque sorte, du traçage numérique des contacts avant la lettre. A aucun moment ces sujets n’avaient con­senti à la réutilisation de leurs informa­tions dans la campagne du Brexit, dans celle de Donald Trump, ou dans des élec­tions en Inde et en Argentine.

Cela est arrivé ensuite, lorsque les cher­cheurs ont voulu monétiser les don­nées, initialement collectées dans un but théoriquement désintéressé, par le biais de l’entreprise Cambridge Analy­tica. En principe, cette démarche respec­tait les lois des différents pays et les rè­gles de ces grandes plates­formes. Néan­moins, de puissants algorithmes ont été mis au service des intérêts personnels etde la soif de pouvoir d’hommes politi­ques sans scrupules.

Les mêmes ingrédients sont réunis ici :des scientifiques « de bonne volonté »,des géants de la « tech », des intérêts poli­tiques. Dans le cas de StopCovid, c’est leconsortium universitaire européen Pan­European Privacy Preserving Proximity Tracing (PEPP­PT), qui a vu le jour à la suite de la pandémie. Ces scientifiques sesont attelés à la tâche de concevoir dans l’urgence le capteur de contacts le plus puissant, dans le respect des lois. Cela s’articule avec les intérêts économiquesd’acteurs privés, tels les grands groupes industriels nationaux, le secteur auto­mobile et les banques en Italie, les télé­coms et les professionnels de l’héberge­ment informatique en France. Mais sur­tout les GAFA, les géants américains dunumérique, se sont emparés du sujet.

Cette fois, ce ne sont pas Facebook etAmazon, mais Google et Apple, qui onttout de suite proposé d’héberger les ap­plications de suivi de contacts sur leursplates­formes. La menace qui plane au­delà de tous ces acteurs vient des ambi­tions de certains milieux politiqueseuropéens d’afficher leur détermina­tion dans la lutte contre le Covid­19, ense targuant d’une solution technique àgrande échelle, utilisant les données personnelles pour la « campagne dudéconfinement ».

Le projet StopCovid n’offre aucunegarantie sur les finalités exactes de lacollecte de ces données. L’exécutif fran­çais ne s’autorise pas à réfléchir à la phase qui suit la collecte, c’est­à­dire au traitement qui sera fait de ces informa­tions sensibles. Quels algorithmes lesanalyseront ? Avec quelles autres don­nées seront­elles croisées ? Son court­termisme s’accompagne d’une myopie sur les dimensions sociales des données.

Que se passerait­il si, comme plusieursscientifiques de l’Inria, du CNRS et d’In­formatics Europe s’époumonent à nous le dire, des entreprises ou des puissan­ces étrangères décidaient de créer des « applications parasites » qui, commeCambridge Analytica, croiseraient les données anonymisées de StopCovidavec d’autres bases de données nomina­tives ? Que se passerait­il, par exemple,si une plate­forme de livraison à domi­cile décidait (cela s’est passé récemmenten Chine) de donner des informations en temps réel sur la santé de ses cour­siers ? Comment pourrait­on empêcherun employeur ou un donneur d’ordres de profiter dans le futur des données sur l’état de santé et les habitudes socia­les des travailleurs ?

L’affaire Cambridge Analytica nous apermis de comprendre que les jeux depouvoir violents et partisans autour de la maîtrise de nos données personnelles ont des conséquences directes sur l’en­semble de la vie réelle. Il ne s’agit pas d’une lubie abstraite. Le cas de StopCovid est tout aussi marquant. En focalisant desressources, l’attention du public et celle des parlementaires sur une solution tech­nique probablement inefficace, le gou­vernement nous détourne des urgences les plus criantes : la pénurie de masques,de tests et de médicaments, ou les inéga­lités d’exposition au risque d’infection.

Recul fondamentalCette malheureuse diversion n’aurait pas lieu si le gouvernement n’imposait pas ses stratégies numériques, verticale­ment, n’étant plus guidé que par l’ur­gence de faire semblant d’agir. Face à ces enjeux, il faudrait au contraire impliqueractivement et à parts égales les citoyens, les institutions, les organisations et les territoires pour repenser notre rapport à la technologie. Le modèle de gouver­nance qui accompagnera StopCovid sera manifestement centré dans les mainsd’une poignée d’acteurs étatiques et marchands. Une telle verticalité n’offre aucune garantie contre l’évolution rapide de l’application en un outil coerci­tif, imposé à tout le monde.

Ce dispositif entraînerait un reculfondamental en matière de libertés, à lafois symbolique et concret : tant sur la li­berté de déplacement, notamment en­tre les pays qui refuseraient d’avoir dessystèmes de traçage ou qui prendront ceprétexte pour renforcer leur forteresse, que sur la liberté de travailler, de se réu­nir ou sur la vie privée. Les pouvoirspublics, les entreprises et les chercheurs qui, dans le courant des dernières se­maines, sont allés de l’avant avec cette proposition désastreuse, ressemblent à des apprentis sorciers qui manient des outils dont la puissance destructrice leur échappe. Et, comme dans le poème de Goethe, quand l’apprenti sorcier n’ar­rive plus à retenir les forces qu’il a invo­quées, il finit par implorer une figure d’autorité, une puissance supérieure quiremette de l’ordre. Sauf que, comme lepoète nous l’apprend, ce « maître ha­bile » ne reprend ces outils « que pour les faire servir à ses desseins ».

Antonio Casilli est sociologue,membre de La Quadrature du Net ;Paul-Olivier Dehaye est mathématicien, expert aux sources de l’affaire Cambridge Analytica ;Jean-Baptiste Soufron est avocat, ancien secrétaire général du Conseil national du numérique

La crise due au nouveau coro­navirus a invité au débat le su­jet de la détention de nos don­nées personnelles de santé. Il

est notamment question de mettre en place une application de traçage, permettant de suivre les données mobiles pour lutter contre le Co­vid­19. L’utilisation de ces données peut s’avérer décisive pour la phase très sensible du déconfinement.

Déjà nombre de nos données fontaujourd’hui l’objet d’un traitement par l’Etat. Soit il les détient directe­ment, comme les données fiscalesou familiales, soit indirectement, car le détenteur fait lui­même l’ob­jet d’un contrôle par l’Etat.

C’est par exemple le cas de nosdonnées bancaires. Nos relations àl’Etat sont donc, de ce point de vue, marquées du sceau de la confiance. En effet, en définissant le régime ju­ridique de ces données, l’Etat seporte garant de leur utilisation et garantit par là même le respect de laliberté de chacun.

Mais par une sorte de schizophré­nie effarante, si nous acceptons que l’Etat trace au quotidien l’usage de nos cartes Vitale, la plaque d’imma­triculation de notre voiture ou en­core la composition de nos produitsalimentaires courants, nous hési­tons à lui confier nos données per­sonnelles et spécifiquement notre état de santé.

Aucun régime juridique aujour­d’hui ne les encadrant, nous con­fions de fait nos données aux Ga­fam (Google, Amazon, Facebook,Apple et Microsoft). Notons d’ail­leurs que, demain, Google sera unegigantesque entreprise de santépour deux raisons simples : la santé est le domaine d’activité le plus utile et c’est le domaine dans lequel il y a le plus d’argent à gagner.

Unité nationaleDès lors, en matière de données et en l’état actuel du droit, c’est le droitaméricain qui s’applique car les ser­veurs, les logiciels, les dispositifs de cryptage et les algorithmes d’ana­lyse sont américains.

Que préférons­nous ? Livrer aveu­glément nos agendas aux Etats­Unis, dont l’administration a toutpouvoir pour les exploiter, ou faireconfiance à notre propre pays ?Nous faisons confiance à l’Etatpour assurer notre sécurité dans larue, il doit aussi garantir notre sé­curité numérique.

Le moment est donc venu d’éta­blir notre souveraineté numérique.C’est le préalable à toute question detraçabilité et d’utilisation des don­nées. Et c’est un débat qui dépasse de loin les clivages politiques tradi­tionnels. Si l’unité nationale doit se faire, c’est sur ce sujet.

Ne nous trompons pas d’enjeu : ilne peut y avoir de juste milieu en lamatière. Evoquer l’anonymisationde la donnée ou son utilisationpour un temps déterminé au­delà duquel elle serait détruite est une plaisanterie. Sans la garantie de lasouveraineté numérique, toute donnée numérisée et collectée est éternelle et publique. C’est­à­dire

qu’actuellement elle est améri­caine et fait la joie des capitalisa­tions boursières des Gafam.

L’intervention de l’Etat en la ma­tière n’est pas un problème mais lasolution : il est le garant du respectdu droit et de nos droits sur nosdonnées. Il s’agit donc de comblerun vide juridique en introduisant le droit dans ce champ numérique.Eriger une souveraineté françaiseconsiste simplement à faire ensorte que nos données résident surnos serveurs et soient donc soumi­ses à nos lois.

Solidarité Le droit et la Constitution pourronts’appliquer aux données lorsquecelles­ci seront résidentes. Ce n’estpas le cas aujourd’hui. Il y a donc urgence à établir la République et le droit dans ce champ nouveau etvirtuel qu’est le domaine des don­nées. C’est la raison pour laquellenous proposons une révision cons­titutionnelle en vue d’instaurerune charte du patrimoine com­mun numérique.

Notre vie entière migre sur le ré­seau. Notre passé, par nos souvenirsnumérisés, est sur le réseau. Notreprésent y transite de plus en plus qui, sans cesse, oriente nos déci­sions. Notre futur dépend du réseaucar les informations collectées sur nous, aujourd’hui, déterminent les choix qui nous seront proposés de­main. Chacun a une vie virtuelle surle réseau. Il convient que celle­ci aussi soit protégée par le droit et que l’Etat y exerce sa souveraineté.

De la même manière que le coro­navirus de quelqu’un peut devenir celui de plusieurs autres, les don­nées de quelqu’un renseignent surde nombreuses autres personnes. Il doit donc y avoir une solidarité nu­mérique comme il existe une solida­rité sanitaire. Seul l’Etat peut en être le garant. Etablir notre souveraineté numérique est une protection juri­dique supplémentaire nécessaire dont les Français ont besoin.

La souveraineté numérique par lacréation du patrimoine commundes données, qui les place sous no­tre droit, est la seule manière de ga­rantir simultanément notre liberté, notre sécurité et notre santé.

Sans cette fondation, il nous fau­dra sans cesse faire des choix déchi­rants : la mort de nos proches ou la dépendance à des tiers étrangers ; la mort de nos proches ou la fin des libertés civiles.

La souveraineté numérique està la fondation de notre avenir,chaque jour plus en réseau. Elleest la réponse qui détermine toutesles autres pour un pays en urgenceabsolue.

Jean-François Husson est sénateur de Meurthe-et- Moselle (LR) ; Robin Reda, est député de l’Essonne (LR)Liste complète des signatairessur Lemonde.fr

L’EXÉCUTIF FRANÇAIS NE S’AUTORISE PAS À RÉFLÉCHIR À LA PHASE QUI SUIT LA COLLECTE, C’EST-À-DIRE AU TRAITEMENT QUI SERA FAIT DE CES INFORMATIONS SENSIBLES

Le moment est venu d’établir notre souveraineté numériqueA l’initiative du sénateur Jean-François Husson et du député Robin Reda, 108 parlementaires de la droite et du centre appellent à une révision constitutionnelle pour une charte du patrimoine commun des données numériques

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Page 30: Le Monde - 26 04 2020

30 | idées DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 20200123

Philippe Delmas L’Etat doit en sortir par le hautL’expert en stratégie industrielle considère que l’utilisation d’un éventuel outil de traçage sanitaire doit donner l’occasion aux autorités de se montrer créatives en matière de respect des libertés

La technologie a l’efficacité pourseule valeur. C’est sa nature. De cefait, si nous en attendons autrechose, il faut le lui imposer, et donc,

forcément, la restreindre. Sur tout sujet, ilen résulte des compromis instables et ja­mais loin de l’incohérence, pour les Etatscomme pour les citoyens.

Ces derniers assument leurs antagonis­mes. La tech améliore leur vie tous lesjours et la période actuelle en est une preuve magistrale, du suivi scolaire desenfants aux soirées de streaming, en pas­sant par le télétravail et la télémédecine. Mais s’ils utilisent ses outils, ils s’enméfient aussi. En cinq ans, la part des utili­sateurs de Google qui en redoutent l’es­pionnage est passée du quart au tiers – etdu tiers à la moitié pour Facebook. 75 % desFrançais ne font confiance ni à leur messa­gerie, ni aux sites marchands, ni aux réseaux sociaux. Dans aucun pays euro­péen, plus d’un quart des citoyens ne fait confiance à l’information trouvée sur cesréseaux. Cette méfiance est nourrie par unflux de révélations sur des abus. Après le scandale Cambridge Analytica, Facebook vient d’être condamné pour avoir utilisé sans leur accord les photos de ses clients

pour faire de la reconnaissance faciale, tan­dis que Google a obtenu l’accès aux don­nées médicales nominatives d’un grand réseau de cliniques aux Etats­Unis. Et demultiples travaux ont montré que l’anony­misation des données était assez illusoire.

Ces ambivalences se retrouvent à l’iden­tique dans les attentes des citoyens envers l’Etat. D’un côté, ils peuvent être très criti­ques sur son défaut de modernité et d’effi­cacité. De l’autre, ils détestent les abus de pouvoir, privés comme publics.

La tech doit donc être contrôlée, y com­pris son emploi par l’Etat. L’administration« tout numérique », qui vide les territoires de leurs services publics, ou encore l’excès de surveillance sont très mal vécus. Il y a une vraie sagesse très française dans ce souci de mesure et d’équilibre.

Textes liberticides Cette qualité complique la tâche de l’Etat, lui­même pris dans ses propres contradic­tions. En effet, l’attente des citoyens est celled’un contrat moral très exigeant : l’Etat doit faire tout ce qu’il faut et pas plus, cet équili­bre étant évolutif. C’est un assez bon résumé de ce que la plupart des Etats nesavent pas faire, car ils sont fascinés par l’ef­ficacité de la tech, comme on l’a vu face au terrorisme. Les révélations d’Edward Snowden ont mis un coup au crédit moral des démocraties, y compris en Europe, où il s’est avéré que les Etats n’en faisaient pas moins mais avaient seulement moins de moyens. Partout, des textes sérieusement liberticides ont été votés à la quasi­unani­mité par les Parlements avec l’argument, repris des régimes autoritaires, que cela ne peut pas nuire aux « honnêtes gens ». Argu­ment censé justifier aussi une surveillance systématique des sites marchands pour lut­ter contre la fraude fiscale. Cette attitude ne révèle pas une pulsion totalitaire, mais laconscience de l’attente de résultats de la part des citoyens et une confiance naïve

que la discipline républicaine des fonction­naires suffit à éviter les dérapages.

Dans ces conditions, nos dirigeants ontraison d’être prudents sur l’utilisation du traçage pour suivre le SARS­CoV­2. Et d’autant plus que la géolocalisation est en train d’émerger comme un risque majeur d’atteinte à la vie privée : qu’en reste­t­il avec une localisation à cinq mètres près chaque minute ? Elle n’est pas spécifique­ment réglementée par le règlement général de la protection des données (RGPD), alors que plus d’un millier d’applications com­portent une telle fonction sans qu’elle soit indiquée ni annulable, et c’est le prochain grand procès de la tech.

Sans en être encore bien informés, les ci­toyens ont une réserve instinctive : en Eu­rope, les deux tiers sont réticents à fournir des données de santé captées par un smart­phone à leur assureur, et même pour la re­cherche médicale. Evoquer les différences entre telle ou telle technologie de traçage est politiquement sans objet s’il n’y a pas une confiance au préalable que les limites seront respectées. Faute d’avoir jamais montré un réel intérêt pour ce contrat mo­ral, l’Etat risque aujourd’hui, face au di­lemme, soit d’être soupçonné de réduire encore plus les libertés, soit de ne pas défen­dre au mieux la santé publique.

Cette situation n’est cependant pas sansissue et pourrait même fonder un nouveaudépart. En effet, la démocratie numérique commence à prendre forme. Non pas celle naïvement imaginée où les outils de la techpermettraient l’égale information et parti­cipation au débat public. Cette démocra­tie­là est largement dévaluée par quinzeans de fausses informations et manipula­tions diverses. En revanche, les citoyens sont de plus en plus actifs pour définir leslimites de l’acceptable et en demander la réglementation. Aux Etats­Unis, un nom­bre croissant de villes et d’Etats limitent la reconnaissance faciale sous la pression des

citoyens, lesquels ont imposé en Californie – berceau de la tech – une loi équivalente auRGPD et qui fait des émules. Quand Face­book a été condamné, en 2019, à 5 milliardsd’amende pour l’affaire Cambridge Analy­tica, une violente campagne a dénoncé la clémence du verdict. Et l’Europe est sou­vent en tête sur ces sujets.

Dans ces conditions, nos dirigeants pour­raient saisir l’occasion du traçage sanitaire pour montrer que l’Etat a changé. Il pour­rait se montrer aussi créatif en matière de respect des libertés et donner de sérieuxgages qu’il n’est pas prêt à tout au nom de l’efficacité, sécuritaire, fiscale ou sanitaire, et qu’il n’est pas naïf non plus : les outils dela tech sont trop puissants pour que l’on puisse se reposer sur le respect des libertéset de la démocratie par les fonctionnaires.

Les pistes abondent : rendre obligatoiresles avis de la Commission nationale de l’in­formatique et des libertés, pour l’instantconsultatifs ; un éventuel outil de traçage sanitaire serait confié à une autorité indé­pendante, seule détentrice des données personnelles ; certaines dispositions pas­sées depuis 2015 en matière de surveillanceet de gestion des données personnellespourraient être réexaminées… Pas plus qu’en matière de terrorisme, l’Etat ne peut se reposer sur le fait que, dans l’instant de la crise, l’opinion paraît acquiescer. Pour que l’Etat puisse attendre de nous que nouslui confiions un peu (plus) de notre liberté, nous devons ’être assurés qu’elle est bien sapremière préoccupation.

Philippe Delmas est président de PhD Associates, cabinet de conseil en straté-gie. Il a notamment écrit « Un pouvoir implacable et doux. La Tech ou l’effica-cité pour seule valeur » (Fayard, 2019)

Claire Gerardin Le tracking, un danger pour nos libertés

Pour la consultante en communication, il y a un risque que le contrôle des citoyens mis en place à l’occasion de la crise sanitaire devienne pérenneE

n période de crise sanitaire, legouvernement bénéficie de pou­voirs extraordinaires qui lui per­mettent de restreindre nos liber­tés personnelles. En ce moment,c’est le cas pour notre droit d’aller

et venir. Et pour vérifier la bonne mise en application de ces restrictions, le gouver­nement se dote, entre autres, d’instru­ments numériques de surveillance : le « backtracking » (le traçage, en français).

Le backtracking est la collecte, par lesopérateurs télécoms, de nos données degéolocalisation issues de nos smart­phones. A la demande de la Commis­sion européenne, huit opérateurs euro­péens (dont Orange, Deutsche Telekom,Vodafone et Telefonica) ont communi­qué ces données aux gouvernements del’Union afin de lutter contre la pandé­mie de Covid­19, en cartographiant entemps réel les déplacements des popu­lations, ce qui permet d’identifier les lieux où elles se concentrent et l’inten­sité des interactions entre les person­nes. Le but est, à ce jour, de prédire leszones où le virus se déploiera le plusafin d’adapter le système de soins. Ces informations sont anonymisées, et il n’est pour le moment pas autorisé deremonter à un individu et de l’identi­fier. Cette collecte de données sans leconsentement des individus est per­mise par le règlement général de la pro­tection des données (RGPD), en cas denécessité liée à l’intérêt public. Dans le cas de la pandémie actuelle, elle est uti­lisée pour des motifs de santé publiqueet de protection des intérêts vitaux.

Le backtracking va aussi permettre dedévelopper, dans ce même cadre régle­mentaire, l’application StopCovid. Celle­ci vise à identifier les personnes qui ont été en contact avec des malades afin de jugu­ler la circulation du virus. Au­delà du fait que la technologie au cœur de cette appli­cation (le Bluetooth) n’est pas très perfor­mante pour le résultat visé, et que la con­dition d’atteindre 60 % d’utilisateurs pour qu’elle soit effective est quasi irréali­sable, ce projet relève d’un choix politiquequi ne fait pas l’unanimité.

Trois niveaux d’informationLe risque d’une telle mesure est en effetsa pérennisation, alors qu’elle ne doit concerner que des situations extraordi­naires, comme celle que nous vivonsactuellement. Certains Etats pourraientdécider de conserver ce dispositif en invoquant, par exemple, l’incertitude surla fin de l’épidémie puisque les médecinsaffirment qu’elle pourrait ressurgir. Ils le feraient pour instaurer des systèmes de surveillance et de contrôle des popula­tions, en vue de leur sécurité, mais aux dépens de leurs libertés. Plus on s’accou­tume à ces systèmes de surveillance, pluson les considère comme anodins, et plusils sont intégrés à notre quotidien. Parexemple, après les attentats de 2015, plu­

sieurs mesures exceptionnelles instau­rées durant le régime temporaire de l’état d’urgence ont été transposées dans le droit commun (à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2020). Parmi cel­les­ci : les perquisitions administratives,la fermeture de lieux de culte, ou encore la création de périmètres de sécurité lors d’événements publics.

En temps « normal », voici ce qui sepasse derrière la collecte de nos données.Ceux qui la font (opérateurs et entrepri­ses) possèdent trois niveaux d’informa­tion sur nous. Le premier, qui est sous notre contrôle, recense les informations

que nous postons sur les réseauxsociaux et applications mobiles (infor­mations de profil, publications, messa­ges privés, inscription à des événements,sites Web visités, etc.).

Le deuxième analyse nos comporte­ments. Il est composé de métadonnées,c’est­à­dire des informations qui four­nissent, sans que nous en soyons cons­cients, un contexte à nos profils. Il s’agit, via des informations de géolocali­sation, de cartographie de nos relationsintimes et sociales et de nos comporte­ments (récurrence et durée des lieuxvisités, des contenus consultés, de lanature des achats en ligne, et même de la vitesse à laquelle on tape sur le clavieret du mouvement de nos doigts sur les écrans), de construire le canevas de noshabitudes de vie.

Mine d’orLe troisième niveau interprète les deux premiers, grâce à des algorithmes qui nous comparent avec d’autres profils afin d’opérer des corrélations statisti­ques. Il ne s’agit plus de savoir ce que nous faisons, mais qui nous sommes.

Dans le secteur privé, cette collected’informations est une mine d’or pourle développement de l’intelligenceartificielle. Car avec elle vient la pro­messe d’automatiser, sur la base de nosprofils créés par les algorithmes, lesdécisions des banques, des assureurs,des recruteurs ou encore des adminis­trations publiques.

Dans le cadre d’une politique de sur­veillance de la mise en application de

mesures exceptionnelles, la collecte de données par les gouvernements (ou la demande de leur mise à disposition parles collecteurs) pourrait être élargie àtout moment. A ce jour, elle est partielle – elle ne concerne « que » nos déplace­ments et le fait d’avoir été ou non encontact avec une personne infectée – etanonymisée. Mais la réglementation européenne permet aux Etats, s’ils enfont la demande et pour des raisons d’in­térêt général, de légiférer afin de désano­nymiser ces données ou d’en collecterd’autres (de niveau un, deux ou trois). Onpourra alors identifier les individus auteurs de comportements considéréscomme transgressifs et les pénaliser. C’est déjà le cas de la Pologne, qui a lancé une application exigeant des personnesmalades de prouver quotidiennementqu’elles restent chez elles, sous peine d’intervention policière.

Il ne faudrait pas que, en en forçant l’ac­ceptation sociale pour cause d’urgence, ces méthodes se muent par la suite en mesures ordinaires. Ce choix d’utilisa­tion des outils technologiques pourrait alors donner lieu à la mise en place d’un mode de gouvernement fondé sur la sur­veillance sécuritaire, ce qui n’est un idéalpour aucun régime démocratique…

Claire Gerardin est consultante en communication, spécialiste des nouvelles technologies

L’INSOLUBLE ÉQUATION DU TRAÇAGELes modalités d’une application de suivi sanitaire des citoyens

seront débattues et votées mardi 28 avril par l’Assemblée nationale. Comment concilier efficacité et démocratie ?

PLUS ON S’ACCOUTUME À CES SYSTÈMES DE SURVEILLANCE, PLUS ON LES CONSIDÈRE COMME ANODINS

LA TECHNOLOGIE DOIT ÊTRE CONTRÔLÉE, Y COMPRIS SON EMPLOI PAR L’ÉTAT. IL Y A UNE SAGESSE TRÈS FRANÇAISE DANS CE SOUCI DE MESURE ET D’ÉQUILIBRE

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Page 31: Le Monde - 26 04 2020

0123DIMANCHE 26 ­ LUNDI 27 AVRIL 2020 idées | 31

IL FAUDRAIT UN TAUX D’ADOPTION SUPÉRIEUR À 60 % POUR QUE STOPCOVID SOIT EFFICACE

David Bounie, Winston Maxwell et Xavier Vamparys Les paradoxes de l’application StopCovidLes trois chercheurs se demandent s’il y a un sens à lancer une application qui ne serait efficace que si elle était obligatoire, mais qui susciterait, si elle était obligatoire, la défiance légitime des citoyens

Comme sa cousine singa­pourienne TraceTogether,l’application françaiseStopCovid serait intro­

duite sur la base du volontariat. C’est un pari : l’application asiati­que n’a été téléchargée que par 10 % de la population alors que, selon le réseau européen eHealth, il faudrait un taux d’adoption supérieur à 60 % pourque StopCovid soit efficace.

Y a­t­il un sens à lancer uneapplication fondée sur le volonta­riat, sachant qu’elle sera proba­blement inefficace ? La Commis­sion européenne, comme le pré­sident de la République, compte sur la confiance et la solidarité des citoyens pour que le disposi­tif soit massivement adopté, deux éléments qui semblent avoir fait défaut à Singapour. La confiance des citoyens ne sera ac­quise que si certaines conditions techniques, opérationnelles et ju­ridiques sont remplies et présen­tées clairement aux citoyens. Quelles sont ces conditions ?

En premier lieu, la confiance descitoyens dépendra de la finalité del’application. D’après l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), StopCovid ne servira qu’àprévenir de manière anonyme les personnes qui ont eu un contact récent avec une personne testée positive. Elle permettra égale­ment à Santé publique France d’étudier la progression de l’épidé­mie grâce à des données anony­

misées (même si on peut se de­mander comment Santé publique France pourra étudier la progres­sion de l’épidémie sans données géographiques). Contrairement à son équivalent polonais, Stop­Covid ne servira pas à vérifier le respect du confinement ; contrai­rement aux approches israélienneet sud­coréenne, StopCovid ne permettra pas de retracer les déplacements passés. Mais la fina­lité exacte de l’application de­mande à être confirmée.

Deuxièmement, la confiancedes citoyens dépendra d’un enca­drement juridique précis. Le sys­tème devra être soumis au contrôle d’une commission indé­pendante, qui veillera à son effica­cité, à sa sécurité et au respect des droits individuels. Nous préconi­sons que le système en France soitplacé sous la responsabilité de Santé publique France, qui gère déjà la collecte de données pour

les maladies à déclaration obliga­toire (Zika, fièvre jaune, VIH…). LesFrançais partagent avec l’Etat de très grandes quantités de donnéesmédicales, notamment au travers du système d’assurance­maladie. La confiance des citoyens repose sur la protection institutionnelle et technique de ces données sen­sibles, et le respect du secret médi­cal par l’ensemble des acteurs de la santé en France. StopCovid de­vrait s’insérer dans cet écosys­tème de confiance.

Messages contradictoiresTroisièmement, la confiance des citoyens dépendra de la durée de validité du dispositif ; autrement dit, l’Etat devra s’engager sur unedate ferme de fin du traçage. Comme nous en avons fait l’expé­rience en matière de lutte contre le terrorisme, des mesures annon­cées comme temporaires peuvent devenir permanentes, créant une menace pérenne pour la vie pri­vée. Limitation dans le temps, mais aussi limitation des donnéescollectées à ce qui est strictementnécessaire pour la finalité recher­chée et la sécurité du système. Se­lon l’Inria, l’application StopCovid ne stockera que des « crypto­iden­tifiants » éphémères. Ainsi, lors­que l’Etat enverra un message à une personne via l’application pour la prévenir d’une possible exposition au virus, il ne pourra obtenir ni l’identifiant du télé­phone contacté, ni le nom du patient à l’origine de l’alerte.

Mais quid des fausses alertes, dé­clenchées par négligence ou par des personnes malintentionnées ?Pour éviter ces dérives, le réseau eHealth européen recommande que ce soit un professionnel de santé – le laboratoire d’analyse ou le médecin traitant – qui déclen­che l’alerte. Mais si le laboratoire ou le médecin aide le patient àdéclencher l’alerte, sommes­nous toujours dans un régime pure­ment volontaire ?

Ce qui nous amène au plusgrand paradoxe du dispositif. Pour être légitime, StopCovid doit prouver son efficacité, c’est­à­dire, comme indiqué ci­dessus, être adopté par plus de 60 % de la population. On sait, grâce à l’expé­rience singapourienne mais aussi à la vivacité des débats publics, que ce pourcentage ne sera proba­blement pas atteint sur la base du seul volontariat.

Dans l’affaire des masques, dontle port avait été rendu obligatoire par la municipalité de Sceaux, le Conseil d’Etat a souligné la néces­sité d’assurer une cohérence d’en­semble des mesures de lutte con­tre le virus et de ne pas semer la confusion dans l’esprit du public par des messages contradictoires. Dans le cas de StopCovid, on ris­que de buter sur la même diffi­culté. Si l’application est impor­tante pour la santé publique, elle devrait en toute logique être obli­gatoire pour espérer atteindre le taux minimal d’adoption néces­saire à son efficacité. Les obstaclespratiques d’une application obli­gatoire ne doivent pas être igno­rés, mais la démarche serait au moins cohérente. A l’inverse, si l’application ne s’avère pas essen­tielle en matière de santé publi­que, son efficacité est de peu d’importance et nous pouvons rester sur une approche volon­taire. Mais se poserait alors la question de la légitimité et de laproportionnalité du dispositif.

David Bounie, Winston Maxwell et Xavier Vamparys sont chercheurs à Télécom Paris

Thierry Klein Le RGPD, contrainte absurdeL’entrepreneur estime quele règlement général sur la protection des données est un monstre juridique dont la France subira les conséquences quand elle mettra en place des outils de suivi de la contagion

Vous vous rendez compte de l’existencedu règlement général sur la protectiondes données (RGPD) quand, en surfantsur le Web, chaque site commence par

vous demander si vous acceptez bien tous ses cookies. Ça vous gêne profondément 50 fois par jour mais, comme vous n’avez pas le tempsde sélectionner les cookies, vous les acceptez sans regarder, et donc la situation est inchan­gée par rapport à avant, sauf que vous devez faire deux clics de plus par site visité.

L’autre effet notable du RGPD a été l’ubues­que génération de spams au moment de sa mise en place. Toutes les entreprises de la pla­nète vous ont écrit pour vous demander si elles avaient le droit de vous écrire. Chaque de­mande d’autorisation était elle­même illégale,car non sollicitée. Un énorme progrès, donc.

Si on en croit Cédric O, le secrétaire d’Etat aunumérique, le RGPD symbolise « nos valeurs », ce qui nous différencie des Etats­Unis ou de la Chine. Il y a une certaine forme de protection­nisme compréhensible derrière tout ça, puis­qu’il s’agit de créer des lois favorisant le déve­loppement d’un écosystème spécifiquement européen. Mais surtout, c’est un aveu incons­cient d’impuissance : comme nous sommes incapables de peser réellement dans la révolu­tion numérique, nous nous réfugions derrière

des prétextes bidons, mais qui nous rassurent. Nous jouons aux purs pour ne pas admettre que nous sommes faibles.

Le RGPD est totalement inefficace vis­à­visdes applications des pays tiers, car il est impos­sible de vérifier qu’il est appliqué. Les PMEaméricaines ou chinoises passeront outre sansrisque, les GAFA passeront outre au risqued’amendes légères devant les enjeux et qui, ar­rivant trop tard, ne changeront pas la donne. Les entreprises françaises, forcées, elles, de s’y soumettre, sont retardées dans leurs projets.Ainsi, nous avons encore enfanté un monstre juridique, nous nous sommes encore tiré une balle dans le pied avec cette loi.

Pour une quarantaine numériqueBeaucoup de Français sont sincèrement trèsattachés au RGPD. Il y a d’abord une sorte de méfiance paranoïaque envers toute constitu­tion de fichier, considérée a priori comme un flicage liberticide, qui est une sorte de retour d’une culpabilité refoulée remontant à notrepassé collaborationniste et vichyste – c’est pourquoi tous les pays européens, Allemagne comprise, sont pour une fois d’accord.Ensuite, ne se rendant pas compte que leursdonnées sont déjà ailleurs, les Français ont l’illusion que cette loi les protège réellement.

Le pompon de la bêtise, celle qui tue, est enpasse d’être atteint avec le traitement du coro­navirus. Au moment où nous déconfinerons, il devrait être possible de mettre une applica­tion traceuse sur chaque smartphone (« de­vrait », car il ne faut pas préjuger des capacitéstechniques d’un pays qui n’a su procurer ni gel ni masques à ses citoyens). Cette applica­tion, si vous êtes testé positif, va être capable de voir quels amis vous avez croisés et ceux­cipourront être eux­mêmes testés. Ainsi utili­sée, une telle application réduit significative­

ment la contagion, sauve des vies (par exem­ple en Corée du Sud), mais réduirait, selon certains, nos libertés et, drame national, en­freindrait le RGPD.

Une telle interprétation est un détourne­ment de la notion de citoyenneté, au bénéfice d’une liberté individuelle mal comprise – de fait, la liberté de tuer. Pour bien le comprendre,il faut faire le parallèle avec la quarantaine. Quand une maladie contagieuse se déclare sur un bateau, on le met en quarantaine. Aucun passager n’a le droit de débarquer jusqu’à la visite des services sanitaires.

L’immense majorité des passagers ne pré­sentent aucun symptôme, la plupart des passa­gers ne développeront pas la maladie. On leur empêche donc en quelque sorte injustement lelibre accès au port. Mais peut­on considérer que les passagers du bateau sont injustement privés de liberté ? Evidemment non. La mise enquarantaine, c’est la participation citoyenne dechaque passager à la sécurité sanitaire géné­rale. Le passager qui ne s’y soumet pas est moralement complice de la maladie. Il en va demême pour la non­installation de l’applicationsur un portable. Ceux qui refusent de le faire devraient être strictement confinés et, si cetisolement les empêche de se rendre au travail, leur salaire devrait être suspendu sans com­pensation sociale. Jusqu’à présent, le RGPDnous ennuyait sans raison et sans bénéfice.Maintenant, il risque de nous tuer.

Thierry Klein est fondateur et PDG de Speechi, éditeur de solutions matérielles et logicielles de formation et de communication à distance

Les banques non plus n’ont pas de vaccin

LA CHRONIQUE DE JÉZABEL COUPPEY­SOUBEYRAN

La « grande récession » de 2008 avaitété causée par la crise financièremondiale. Aujourd’hui, avec lacrise sanitaire, c’est l’économie à

l’arrêt qui pourrait, à son tour, entraînerune crise bancaire et financière, bienau­delà des turbulences des marchés boursiers des dernières semaines. Mieuxvaudrait l’éviter.

La contamination des bilans bancairespourrait emprunter plusieurs canaux. Des défauts de paiement et de remboursement de crédits arri­vant à échéance vont faire augmenter la part des créances dou­teuses à l’actif des banques. Les titres détenus à des fins de tran­sactions risquent de voir leur valeur baisser avec la chute des va­leurs boursières. Et la sollicitation des réseaux informatiques bancaires, intensifiée par le confinement, va également aug­menter le risque de panne, d’erreur humaine, de piratage, etc.

Les banques pourraient ainsi enregistrer des pertes consé­quentes à l’actif de leur bilan. Ce n’est pas leur clientèle de parti­culiers, qui se sait protégée par la garantie des dépôts couvrant jusqu’à 100 000 euros par personne et par banque, mais celle de leurs créanciers professionnels – les autres banques, les fondsd’investissement, les assurances, etc. – qui, à court de liquidités, pourraient se ruer sur leurs guichets virtuels.

Quelle est leur capacité de résistance face à ces risques ? Le cadrede résilience forgé par les réformes post­2008 suffira­t­il ? Certes,grâce au rehaussement des exigences de ratio des fonds propres sur bilan à la suite des accords dits « de Bâle III », ceux­ci ont aug­menté en proportion des actifs risqués : de 8,8 % en 2008 à 14,7 %en 2016 pour la zone euro, de 9,8 % à 12,9 % aux Etats­Unis, de 8,7 % à 13,6 % au Japon, selon les données de la Banque des règle­ments internationaux (BRI). Les banques européennes seraient­elles donc les plus solides ? Ce n’est pas sûr, car ces mêmes fonds propres rapportés au total du bilan (c’est­à­dire sans les pondéra­tions de risques opérées, et parfois manipulées, par les modèles utilisés en interne par les banques elles­mêmes) sont passés sur la même période de 3,7 % à 5,8 % pour les banques de la zone euro,mais de 7,2 % à 9,3 % pour les banques américaines.

En clair, une perte supérieure à 5,8 % de la valeur des actifs desbanques de la zone euro épuiserait en totalité leurs fonds propres.Avec un montant total d’actifs de 34 000 milliards d’euros, dont un tiers de crédits à la clientèle (selon les données de la BRI et de laBanque centrale européenne, BCE), il suffirait que moins d’un crédit sur cinq ne soit pas remboursé pour faire tomber à zéro lesfonds propres des banques européennes. Cela peut paraître beau­coup comparé à la moyenne de 5 % de prêts non performants ob­servée avant la crise sanitaire, mais c’est au niveau des 18 % affi­chés par les banques italiennes en 2015… Et si ce crash test de coin

de table peut effrayer, c’est moins parson arithmétique simple que par sonexcès d’optimisme, puisque les ris­ques ne se réduisent pas au risque decrédit et que des effets de contagionet d’amplification sont toujours lesprémices des crises bancaires.

De telles difficultés obligeraient àmobiliser les « mécanismes de réso­lution » des faillites bancaires, autrevolet des réformes post­2008. Celuides banques de la zone euro prévoitque les créanciers seniors des ban­ques prennent au moins 8 % des per­tes, avant l’entrée en scène du Fondsde résolution unique (FRU), dont les40 milliards d’euros environ serontbien insuffisants s’il faut recapitali­

ser plusieurs banques en même temps. Or, d’après le Comité européen du risque systémique, la probabilité qu’au moins deuxgrandes banques européennes fassent défaut a dépassé la barre des 5 % en mars… On est certes encore loin des 15 % observés lorsde la crise des dettes souveraines, mais cela monte vite.

Dégonflement des « coussins »Le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui pourrait venir enrelais, prévoit des instruments de recapitalisation directe et indi­recte pour les banques de la zone euro. Ceux­ci seraient toutefoislimités à 60 milliards, ce qui incite deux économistes allemands,Moritz Schularick et Sascha Steffen, à proposer de les étendre à 200 milliards d’euros (A Protective Shield for Europe’s Banks,Macrofinance Lab Bonn, 15 mars 2020).

Face à ces difficultés probables, les banques centrales, dont laBCE, ont offert aux banques un refinancement sans limite et sans coût, ce qui devrait très vraisemblablement éloigner tout risque d’une rupture de liquidité. De leur côté, les superviseurs bancaires (dont la BCE en zone euro) recommandent aux ban­ques d’utiliser pleinement la flexibilité des limites de fonds pro­pres – le « coussin contracyclique ». Mais toléreraient­elles queceux­ci descendent en deçà des standards de Bâle III ?

Le 16 avril, la BCE a certes annoncé une diminution des exigen­ces de fonds propres relatives aux risques de marché. Ce choixest justifié par la volonté d’accroître, le temps de la crise sani­taire, la capacité de réponse des banques aux difficultés de l’éco­nomie. Mais d’une part, pratiquement rien ne vient lier le sou­tien dont les banques bénéficient à celui qu’elles doivent appor­ter à l’économie. Et d’autre part, mieux vaudrait que la crise sani­taire ne soit pas trop longue, sinon l’accumulation des pertes et le dégonflement des « coussins » de fonds propres mèneront droit aux défauts bancaires.

Quant aux plans d’aide budgétaire, ils soulageront indirecte­ment les banques, comme tout ce qui vient aider l’économie à faire face à la crise, mais aucune ligne de crédit n’est prévue pour,par exemple, rehausser les capacités du FRU ou du MES. Les ban­ques non plus n’ont pas de vaccin contre le Covid­19.

UNE PERTE SUPÉRIEURE 

À 5,8 % DE LA VALEUR DES ACTIFS 

DES BANQUES DE LA ZONE EURO 

ÉPUISERAIT EN TOTALITÉ LEURS 

FONDS PROPRES

Jézabel Couppey-Soubeyran est maîtresse de conférences à l’université Paris-I, Ecole d’économie de Paris

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Page 32: Le Monde - 26 04 2020

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Q ue de la catastrophe ilpuisse naître quelquechose : c’était l’espoirde ceux qui se sou­cient de l’environne­

ment. Il aura fallu très peu de temps pour que cet espoir soit douché. Le « monde d’après » la pandémie de Covid­19 s’annonce, en dépit des discours, la copie con­forme de celui d’avant. En Europe, aux échelons communautaires comme nationaux, tout concourt à relancer les économies sans con­sidération pour la question écolo­gique. Le Green Deal dont la prési­dente de la Commission euro­péenne, Ursula von der Leyen, veut faire le pilier de son mandat, est attaqué par les lobbys indus­triels et remis en cause par une majorité d’Etats membres.

Même l’Allemagne tarde à trans­mettre à Bruxelles son plan éner­gie­climat, qui doit préciser les moyens qui seront mis en œuvre pour réduire ses émissions d’ici à 2030. De toutes parts, la gestion de la pandémie de Covid­19 et les mesures nécessaires à la sortie decrise conspirent à faire de l’envi­ronnement une question subsi­diaire, qui pourrait, au mieux, être remise à plus tard une fois l’économie relancée.

L’industrie de la plasturgie réus­sit la prouesse d’un retour en grâce du plastique à usage uniquepour des motifs discutables d’hy­giène, les agrochimistes et l’agro­industrie demandent des assou­plissements de normes sur l’usage des pesticides et les limi­tes maximales de résidus autori­sées dans l’alimentation, voire sur les distances de sécurité entrehabitations et zones traitées… Parla voix de son patron, Geoffroy Roux de Bézieux, le Medef exigecarrément, en réponse à la pandé­mie, « un moratoire sur la prépa­ration de nouvelles dispositionsénergétiques et environnementa­les », dans une lettre du 3 avril, au ministère de la transition écologi­que et solidaire, révélée par Le Ca­nard enchaîné.

Rendez-vous (presque) manquéUn peu partout, ces demandes rencontrent l’oreille compatis­sante de ceux qui sont aux affai­res. Relancer l’activité économi­que, reconstruire la demande, re­mettre le monde sur les rails qu’ila brièvement quittés : cela sem­ble la priorité. En France, par exemple, aucune contrepartieenvironnementale ou climatique n’a été demandée aux grands groupes qui se verront soutenusà hauteur de 20 milliards d’euros d’argent public.

Pourtant, la mise à l’arrêt del’économie était une occasion de refaire de la politique au sens pre­mier du terme, c’est­à­dire de dé­finir et de poursuivre des objec­tifs communs désirables. L’occa­sion était inespérée de reprendrele contrôle de la marche du monde, et de commencer à l’in­fléchir en choisissant les secteurs d’activité à relancer et à soutenir. Ce n’est pas ce qui semble se pré­parer, et ce rendez­vous (presque)manqué met en lumière l’un desgrands paradoxes de notretemps : faire de la politique au XXIe siècle, c’est refuser d’en faire.C’est décider qu’on ne décidera pas, c’est s’en remettre à l’offre et à la demande. Et c’est aujourd’hui d’autant plus paradoxal que le

hiatus avec l’opinion, en Franceau moins, semble béant. Interro­gés par l’institut Ipsos entre le 7 etle 14 avril, c’est­à­dire dans la pé­riode la plus aiguë de la crise sani­taire, les Français ont placé sans surprise l’épidémie en tête de leurs préoccupations (76 %), puis le système de santé (42 %) et le changement climatique (33 %). Tout cela devant les sujets habi­tuels que sont le pouvoir d’achat(31 %), la dette publique (24 %), le chômage (18 %), ou encore l’insé­curité (16 %).

Face au rouleau compresseur dela pandémie, qui détruit les em­plois, aggrave les inégalités, dé­possède chacun de nous de ses li­bertés les plus fondamentales – se déplacer, se réunir, embrasser ses proches ou simplement met­tre le nez dehors –, le réchauffe­ment climatique demeure unepréoccupation majeure.

Pourquoi ? Ce n’est sans doutepas que la propagation de la mala­die est attribuée à la dégradation de l’environnement. De nom­breuses voix se sont certes éle­vées, ces jours­ci, pour faire le lienentre l’irruption de la maladie etla déforestation, la destruction des habitats, etc., qui auraientcréé les conditions de l’émer­gence et de la transmission du vi­rus. De tels liens de causalité uni­voques sont à la vérité hasardeux.

Si la catastrophe en cours ren­force la sensibilité à la questionenvironnementale, c’est plutôt qu’elle nous ouvre à la fragilité dusystème que forme l’intercon­nexion des structures sociales, dusystème productif et de la bios­phère. Tout à coup, nous prenons conscience qu’un événement présentant peu de risques à l’échelle de l’individu (pour une grande majorité de la population, la probabilité de mourir du Co­vid­19 est très faible) se révèle ca­pable de confiner la moitié de l’humanité et d’arrêter l’écono­mie mondiale.

Cette question – celle de l’appré­ciation du risque – est au cœur dudébat sur l’environnement : les réticences à prendre des mesures de protection fortes reposent gé­néralement sur une approche in­dividualiste des risques. De fait, laprobabilité demeure objective­ment faible de mourir directe­ment d’une intoxication au plas­tique ou aux pesticides, ou du ré­chauffement. Mais cette manièrede cadrer la question, sous une apparence de calcul froid et ra­tionnel, est en réalité politique.Elle postule que l’individu est lamétrique de toute chose, elle oc­culte la fragilité des structures économiques et sociales dont nous dépendons, et de l’équilibre de celles­ci avec l’environnement au sens large.

Il y a, en somme, une pédagogiede cette crise. Si le réarrangementde quelques nucléotides sur l’ARNd’un virus transporté par un petitmammifère est capable du désas­tre en cours, qui peut imaginer ceque produira sur le long terme l’élévation de plus d’un mètre desocéans, comme le promettent les experts du climat pour les pro­chaines décennies ?

C e n’est qu’à la fin de l’épidémie liéeau Covid­19 que pourra être dressé,pays par pays, l’inventaire de ce qui a

fonctionné et de ce qui a échoué dans la lutte contre ce fléau mondial. Il est cepen­dant indéniable que, depuis le début de la crise, la France est apparue en retard de deux guerres. Elle a d’abord dû faire face àune pénurie de masques, que les pouvoirs publics ont, dans un premier temps, tenté de nier. Elle a ensuite eu beaucoup de mal à se conformer à l’injonction du directeur gé­néral de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui, dès le 16 mars, conseillait aux pays contaminés de « tester, tester, tester ».

Le dépistage précoce des personnes sus­ceptibles d’être porteuses du virus, même faiblement symptomatiques, permet en ef­

fet de les isoler et de rompre la chaîne de transmission de la maladie. Des pays comme l’Allemagne ont suivi à la lettre cette recommandation, avec jusqu’à pré­sent des résultats évidents. La France, aucontraire, est apparue à la traîne. Selon les chiffres fournis par l’Organisation pour lacoopération et le développement économi­ques (OCDE), la proportion de personnes testées, au 15 avril, était de 5,1 pour 1 000 ha­bitants, soit près de trois fois moins que lamoyenne des autres pays.

Le gouvernement s’est engagé à monteren puissance, mais les conséquences sontlourdes : pour éviter que l’épidémie n’ex­plose et sature le système de santé, l’ensem­ble de la population se trouve, depuis le 17 mars, confinée pour une période de deux mois, ce qui a de fortes conséquences sur l’activité économique, mais aussi sur le mo­ral et la santé des personnes assignées à rési­dence. « Le coût humain est effrayant », cons­tatait, dans une récente interview au Monde,le médecin et épidémiologiste William Dab, directeur général de la santé de 2003 à 2005.Il opposait l’« héroïsme » des soignants et l’« excellence » des soins aux graves lacunes du système de santé publique qui, de plus enplus atomisé et soumis aux pressions du marché, a dangereusement négligé, ces der­nières années, le volet préventif.

Pour les tests comme pour les masques, laFrance ne manque ni de compétences ni de

bonne volonté pour les produire. On a vu fleurir ces dernières semaines à travers toute la France des ateliers de couture et mille initiatives, nombre de laboratoires ont proposé leurs services pour activer laréalisation de tests. Mais, soudainement mis en tension, le système administratif,davantage formaté pour la gestion, a eu le plus grand mal à s’adapter. Toutes sortes delourdeurs sont apparues, qui n’étaient passeulement liées à la nécessité de s’assurerde la fiabilité des tests : respect excessif des procédures, désir de protéger telle ou telle citadelle, ou manque de dialogue entre les préfectures et les agences régionales desanté. Près d’un précieux mois a été perdu ;ce n’est qu’à la mi­avril que le gouverne­ment est parvenu à rassembler enfin tous les acteurs publics et privés au sein d’une « cellule de tests ».

Interrogé la semaine dernière par le Fi­nancial Times, Emmanuel Macron estimait que la France, comme ses partenaires, était en train de « faire l’expérience de notre vul­nérabilité ». La leçon à tirer, disait­il, c’estqu’il faut désormais mettre au premierplan « l’agenda éducatif, sanitaire et climati­que ». Il ne suffira cependant pas d’injecter des milliards d’euros dans le système de santé français pour le consolider. Tout de­vra être repensé pour assurer, dans les meilleures conditions possible, la protec­tion des Français.

LE GREEN DEAL DE LA COMMISSION 

EUROPÉENNE EST ATTAQUÉ PAR 

LES LOBBYS ET REMIS EN CAUSE PAR UNE MAJORITÉ D’ÉTATS 

MEMBRES

LES LEÇONS DE LA PÉNURIE DE TESTS

PLANÈTE  |  CHRONIQUEpar stéphane foucart

L’écologie au temps du Covid-19

FAIRE DE LA POLITIQUE AU XXIE SIÈCLE, C’EST REFUSER 

D’EN FAIRETirage du Monde daté samedi 25 avril : 166 934 exemplaires

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