Le Monde Des Livres 27 Février 2009

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  • 8/14/2019 Le Monde Des Livres 27 Fvrier 2009

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    Vendredi27 fvrier 2009

    CAHIERDU MONDE DATVENDREDI27 FVRIER2009, NO 19935.NE PEUTTREVENDU SPARMENT

    Nol 2001. Rory Stewart

    vient de traverser piedlIran,le Pakistan,lInde et

    leNpal.Ilapprendlachutedurgi-me des talibans et dcide alors depoursuivresonpripleenAfghanis-tan. Ce diplomate britannique de28 ans, qui sest mis en cong, vaparcourir le pays douesten est, deHratKaboul,traverslesmonta-gnes : litinrairesuivi,au cours delhiver1506,par Babur, le premier

    empereur moghol de lInde. Luiaussitenaitunjournal,maisilvoya-geaitavecuneescorte,etcheval.

    N Hongkong, ayant grandienMalaisie, RoryStewart a tudilhistoiredelargion,lislam,lara-

    be et le persan. Muni dun sac dos, vtu comme un Afghan, avecunelonguetuniqueetunpantalonflottant, il na pas de tlphone.Pasdecartedtaillenonplus,quipourrait le faire prendre pour unespion.Saseulearmeestunbton.On lui impose au dpart deuxaccompagnateurs,mais il russiraassez vite sen dbarrasser.

    Traversantdes zonesmeurtriespar vingt-quatre annes deguerre, le voyageur note scrupu-leusement ses observations, quilconfronte celles de Babur. Sonrcitdevoyageavancepaspas,la cadence dun marcheur. Milledtails en font un tmoignageexceptionnel. Un soir, ses intes-tinsle trahissent : Aprsle repas,je suis all jusqu une rigole poursatisfaire un besoin pressant, et la

    moitidu villagema suivi pour meregarderdfquer. RoryStewartnapasdidespr-

    conues. Il regarde, simplement,tend loreille, essaie de compren-drece payscomplexe, traverssespeuples multiples et ses paysages.Il va rencontrer successivementdesTadjiks,desAmqs,desHaza-ras, des Wardaks en usant dundialecte local issu du persan. Sesinterlocuteurssont pour la plupartanalphabtes. Ils vivent sans lec-tricit et ne savent peu prs riendu monde extrieur. Dans beau-coup de maisons, le seul exemple de

    technologietrangretaitlakalach-nikov, et la seule marque mondiale,lislam , racontele voyageur. Cet-tesocitest unimprvisibleamal-game dtiquette, dhumour et dex-trme brutalit . La manire dontunhommeentredansunepicesuf-fit dfinirson statut. Le moindreobjet compte. Abdul Haq laissason transistor allum toute la nuit.Commeil nyavaitpas derception,tout ce quil obtenait, ctait un fort

    sifflement de parasites, mais celamontrait tout le monde quil taitpropritaireduneradio.

    Plusvagabond quemystiqueQuenest-ildelhospitalitetde

    la gnrosit, recommandes parle Coran ? Parfois, le mosafer( voyageur) doitvraimentinsis-ter, supplier, pour quune portesouvre dans la nuit glace. Mais,aprscoup,ilcomprendlesrticen-ces de ces gens dmunis, qui ontdes raisons de craindre ltrangeretluiontfinalementtoujoursfour-niunrefugeetdupain.

    Nombre deses htes sontdan-ciens chefs de guerre, commeSeyyedUmar,quiildemande:

    Pourquoi tiez-vous devenumoudjahid ?

    Parceque le gouvernementrus-seaempchmesfemmesdeporterlevoileet a confisqumes nes.

    Et pourquoi voustes-vousbat-tucontrelestalibans ?

    Parce quils ont forc mes fem-mes porter la burqa la place du

    voileet quilsmontvolmesnes. En vrit, Seyyed Umar navaitpas combattu les talibans, il taitlundeleursreprsentants.Cepaysaccumulelesmensonges,maiscestpeut-tre son seul moyen dchap-perauxfantmesdupass

    Un jour, Rory Stewart tombesurun chienaux oreilles coupes,hautcomme un petit poney, dontpersonne ne veut, et dcide deladopter. Il lui donne le nom delempereur moghol puisquil a ledos ray et que babur signifie tigre . Ils vont marcher cinqsemainesensemble.Loindelepro-

    tgercontre lesloups ou lesmau-vaisesrencontres,Babur attire lesjets de pierre et complique la viede son matre, qui doit souvent letraner dans la neige ou sur des

    ruisseauxgels. Lanimal,puis,finira pardclarerforfait.

    Pourquoi prendre tant de ris-ques et sobstiner faire pied chaquemtrede ce parcoursqui se terminera Kaboul dansla maison quoccupait OussamaBen Laden ? Rory Stewart ne lesait pas lui-mme. Il devait mar-cher et crire. Jtais plus unvagabond quun mystique, maispendantquejcrivais,je mesentaisen paix. Il dessinait aussi, etctait uneautre manire dentrerencontactavec lesAfghans.

    LOccident, constate-t-il, nestaitgureproccupdumassa-cre des Hazaras par les talibans : Ce qui lmouvait, ctait la des-tructiondes Bouddhasde Bamiyanou le sort du lion du zoo deKaboul. Dune manire gnra-le, les a dministrations colonialestaientpeut-treracistesetprofiteu- ses, mais au moins elles tra-vaillaient srieusement compren-dre les peuples quelles gouver-

    naient . Riende telaujourdhui : Langationimplicitedesdiffren-ces culturelles est la nouvelle mar-que de fabrique de linterventioninternationale.

    En2003,RoryStewarta reprisdu service, devenant gouverneuradjoint de Maysan et de Dhi Qar,deux provinces du sud de lIrak.Mais lAfghanistan lattirait irr-sistiblement. Il sest install Kaboul,o la FondationTurquoi-seMountainquildirigecherchefaire revivre le centre historique.Levoyagecontinuea

    RobertSol

    Littratures : Keith Gessen, Philippe Vasset, Benjamin Percy... p. 3, 4 et 5Essais : livresse au volant selon Joseph Gusfield p. 6Rencontre : lunivers dsespr et tendre de Pascal Garnier p. 8

    Dans les pas de Babur, au pays des talibans

    Simone

    Weilphilosopheavant tout

    On laura vouluemystique, saintelaque ou saintetout court, toque,

    anorexique Onaura brocard, de

    son vivant mme, sa mise djan-te, son ternelle plerine, sesnormes lunettes, sa laideur tu-die, ses cheveux de cocker, samaladresse proverbiale ou sonton premptoire.

    Aucundes stigmateshabituelsparlesquelsonchercheridiculi-ser une femme qui pense naurat pargn Simone Weil, ellequi pourtant ne se voulait pas fministe ; elle dont luvrerestera pour lessentiel pos-thume, recompose en aphoris-mes par ses amis catholiques,comme Gustave Thibon (LaPesanteuretlaGrce)ourestitueparlintrtqueluivoueraAlbertCamus (qui publie LEnracine-

    ment, rdig peu de temps avantsa mort).

    Delle on ne retient souventque le sjour de la normalienne

    agrge dorigine bourgeoise lusine, lengagement aux ctsdes rpublicains espagnols, laconversion inacheve au catholi-cisme,parallleaurejetopinitredu judasme. Mais les exercicesdadmiration ou de dtestationquelle suscite manquent sou-

    ventlessentiel : lefait queSimo-ne Weil, qui aurait eu 100 ans le3 fvrier,a tdabordune philo-sophe avide de cohrence, danssa vie comme dans ses crits.Lundesplusimportantsphiloso-phes franais du XXe sicle sansdoute,sisonexistencenavaitpastfauche34 ans,auseindelaFrance libre quelle avait rallie,comme son ami lpistmologueetrsistantJeanCavaills.Tuber-culeuse, elle steint le 24 aot

    1943 dans un hpital londoniensouslecoup desprivations quel-le stait imposes par esprit desolidarit avec les restrictions

    dontla populationfranaisetaitvictime.

    Lapublication,lt2008,duquatrime tome de ses uvrescompltessousletitredEcrits deMarseille est loccasion dedcouvrir le penseur quelle atdabord.Cestextesconcer-nent la priode au cours delaquelle, de 1940 lexil NewYorkpuisenAngleter-reen1942,ellersideavecses parents dans le sudde la France, dans lat-tente dun dpart dontelleesprequilluiper-mettra de rejoindreenfin le combatcontrelAxe.

    NicolasWeill Lirela suite page 2

    En Afghanistan(ThePlacesin Between)deRoryStewart

    Traduitde langlaisparEstherMnvisAlbinMichel,328 p., 22 .

    RuedesArchives/Tal

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    Lencombrant statutde nice de

    Un dfi pour ses biographes

    Une philosophie de la ncessit

    Sylvie Weil est avant tout unenouvelliste(1),etsonlivredesouvenirs familiaux, Chez les

    Weil,est,en38brefschapitres,unesuccession de nouvelles, o lon

    retrouvesonregardaigusurlarali-t,sonsensdu dtail,sonhumour,sa frocit, qui ne conduit jamaisaurglementdecomptes,etsaten-dresse, qui ne sabme jamais endvotion.

    Cenestpasunebiographiefami-lialeausensoonlentendgnra-lement.SylvieWeilneretracepaslacourteexistence desa tante,la phi-losophe Simone Weil, morte lan-nede sanaissance.Pasplus quel-le ne revient avec prcision sur lacarrire de son pre, le grandmathmaticien Andr Weil (1906-1998), cofondateur du fameuxgroupebaptisdunomdunsavantimaginaire, Bourbaki. Andr Weilalui-mmeracontsavieavecbeau-coup dironie dans Souvenirs dap-prentissage (d.Birkhauser,1991).

    Ce rcit, qui fait magnifique-ment revivre ce frre et cette surse sentant presque jumeaux, tousdeux surdous Andr Weil a euds lge de 7 ans la passion desmathmatiques , est aussi pourSylvieWeilune manire dese lib-rer dun lourd hritage. Ds sonplusjeunege,ellearessemblsatante, physiquement, de manirefrappante. Et quand on sait quelsenthousiasmessuscite la figuredeSimoneWeil,on imagine cequelleadsubir. Si vous navezchoisi nilincognito dans un monde qui vousesttrangeret vous dplat enloc-currence celui de la mode , crit-elle, ni lexil en Patagonie, il reste lerleintressant,maisambigu,dereli-que:letibiadelasainte.Desgensquevous navezjamaisvus devotreviese prcipitent vers vous,rouges de plai-sir,Mon Dieu,quelleressemblance, jevous ai reconnuetout desuite !

    Letibiade lasainte Le jour de son premier succs,

    en1959,lorsquelegnraldeGaul-le lui remet son prix au concoursgnral, il ne lui dit quun mot, Jai beaucoup aim votre tante . Etcentaitmmepasvrai,remar-queaujourdhuiSylvieWeil.ALon-dres,ilavaitditquelletaitcomplte-mentfolle.

    Bien sr, Sylvie Weil ne sestjamaiscontentedtre letibiadela sainte . Elle a quitt lapparte-ment familial de la rue Auguste-Comtecelaatoutefoistuncr-

    ve-cur dele vendreaprsla mort

    de son pre , est devenue profes-seur de littrature, vit New Yorkdepuis de nombreuses annes, etcrit,non seulementdes nouvelles,maisdesromanset deslivrespour

    enfants. Il y a longtemps que javaislide dcrire ce texte, explique-t-elle.Pasdutoutpourmattristeroume plaindre. Javais ouvert un dos-sier nice de. Jy prenais des notes,pluttsurun modecomique,surcer-tainspropos, certaines rencontres.Jenesuis pasphilosophe, jene suis pasmystique,etquandonmeditausujetdematanteEllemasauvdusuici-dequandjavais16ans,jaidu mal comprendre. En revanche, je com-prendstrsbienquonsoitfascinparsonrefus absolu ducompromis. Moiaussijeladmirepourcela.Jenaipas mevenger,je nai past unevicti-me, mais Simone ma encombre. Ilmefallaitreconnatrequijesuis,com-

    ment jai t dfinie par cela, fairerenatre ce lieu Weil, lapparte-ment dela rueAuguste-Comte,dontjepossdetoujourslesmeubles,venusdautres pays, au fil des exils de mes grands-parents et arrire-grands-parents.Etpuisjtaisfollementatta-che mon pre. Le monde sans luiest diffrent.Et son immense culturememanque.

    Ce pre insupportable et mer-veilleux, qui parle de nombreuseslangues, a lu toute une biblioth-que,estlundesplusbeauxperson-nages du livre. Il refuse dencom-

    brer sa mmoire de mots inutiles,donc, table, si manque le sucre,parexemple,ilfait ungrandgestedelamain,unesortedemoulinet ,

    chargepour sa femme ou sesfillesde comprendre ce quil veut. Ilrprouve les conversations anodi-nes, oiseuses ,maisilestsifasci-nantquonnepeutluienvouloir.

    Quantaux grands-parents, Ber-nardetSelma,SylvieWeillesatou-

    jours vus recopier ligne ligne lescahiers noirs de leur fille Simone, commedeuxbonslves ,commepournejamaislaquitter.a

    JosyaneSavigneau

    (1) Sonpremierrecueil,ANewYorkilny a pasde tremblementsde terre,unpetitbijoudhumourjuifnew-yorkais,

    paruchezFlammarionen1984,a trdit

    chezHBditionsen2002.

    Comment parler de Simone

    Weil ?, sest demand unjour Emmanuel Levinas, lui

    reprochant, dans Difficile libert,lextrme duret avec laquelle ellestait attaque au judasme.Danslattente dune nouvelle vie deSimoneWeilquisajouteralacl-

    brebiographiedesonamieSimone

    Ptrement (La Vie de Simone Weil,Fayard,1997),onsecontenteradeslivraisons,fragmentairesousubjec-tives,occasionnesparlecentenai-re. Lexistence de la philosophepose,ilestvrai,unredoutabledfises biographes tant sa brivet estproportionnellement inverse auxvnementsdontelleatremplie.

    Fille de mdecin, ne Paris en1909 dans une famille juive etagnostique,SimoneWeilsuitpre-mirevuelecursushonorumclassi-que de la bourgeoisie claire desontempsnormalienne,agrgedephilosophie,nettsonmili-tantismedextrme gaucheachar-net unsouciexacerb dela mis-re du monde qui laissera pantoisesa condisciple Simone de Beau-

    voir. Elle sexpose volontairementlaviolencedesontemps,enusinedabord, puis en Espagne, o ellesengage dans le camp rpubli-cain, avant dentrer en rsistancecontreloccupantallemand.

    Le ton parfois hagiographiqueadopt aussi bien par ChristianeRanc queLaureAdler ou lespo-tesChristine Rabedonet Jean-LucSigauxlaissepourtantuneimpres-siondinsatisfaction,mmesitousces ouvrages apportent des prci-sions intressantes sur tel ou telpoint. En effet, ils donnent tous

    limpression que Simone Weil etson uvre ont encore besoindtredfendus.

    Contrequoi ? Elle-mmeasu desonvivantrectifierouregrettercer-taines erreurs de jugement (sonpacifisme obstin davant-guerre,par exemple). En revanche, sonanticolonialisme farouche reste aposteriori lucide. Sans doute las-pect fragmentaire de son uvre afacilit toutes les rappropria-tions,dvotes,politiquesetautres.Mais plus quen sainte , cestsans doute en intellectuelle enga-ge de son temps quellenousparleencorelemieux.a

    N.W.LInsoumise.Simone Weil,de LaureAdler(ActesSud, 278p.,20 ) ; SimoneWeil,deChristiane Ranc(Seuil,256 p.,18 ) ; Simo-neWeil.Mystique etrebelle,de ChristineRabedonet Jean-LucSigaux (LEntrelacs,

    256p.,16 ) ; Simone Weil. Leravissementdelaraison,texteschoisisetprsentsparSt-phaneBarsacq(Points,94 p.,5 ).

    / l a u n e

    Suite dela premirepage

    A premire vue, rien de moinsphilosophique que cette squencemarqueavanttoutparuneaspira-tionduelactionetparllabora-tiondunsuicidaireprojetd infir-mire de premire ligne , quellesobstinera en vain faire adopterparLondresetquiprfigurelenga-gementhumanitaire.Lheuresem-

    ble voue lapprofondissementdunequte religieuse commencedepuis les annes 1930, qui laconduit auseuilde lEglise unseuil quelle ne franchira pas, desonfaitetcausedelarticencedesesinterlocuteurschrtiens,dcon-certs par cette catchumne horsnormes.Cest ce moment quelle

    fait galement la rude expriencede la ferme et des vendanges Saint-Julien-de-Peyrolas (elle sercitele NotrePre engrecpour sedonner du courage). En outre,encourage par sa frquentationdupoteRenDaumal,ellese pas-sionnepour cequellejuge tre lessources non chrtiennes, platoni-

    cienne mais aussi orientale, duchristianisme(letaosme,la Bhaga-vad-Gtetles Upanishad).Danslemme temps, elle sintresse deprslhistoiredessciencesquiluisontimmdiatementcontemporai-nes(laphysiquedeMaxPlanck).

    Letravail,rfrenceultimeDe cette exceptionnelle florai-

    son entre fuite et migration, troisdes ouvrages suscits par la pers-pective ducentenairese fontlchoou le commentaire. Chacun a lemrite de scruter ce qui pourraitconstituerlunitduneproductionintellectuellesidisparatepremi-re vue. Une production que lesncessits de lheure et la relga-tion impose par les lois raciales

    celle quirejette,jusqu lafin etdetoutessesforces,unjudasmedontelle est familialementissue, laisse-ront irrmdiablement ltatdbauches. On nen sent pasmoinsapparatreunfilconducteurdeplusen plusinsistantdanscettepensequildevientpresquepossi-

    ble,grcelaphilosopheettraduc-

    trice Sylvie Courtine-Denamy, Robert Chenavier, qui dirige lesCahiers Simone-Weil, et auxauteurs rassembls dans le trsclairantcollectifdirigparFloren-cedeLussy,dereconstituerpour-quoipas ? ensystme.

    Textes originaux et littraturesecondaire aboutissent en effet mettreau centrede cettepense lanotion de travail. Celle-ci joue lerle de rfrence ultime que rem-plit par exemple le monde de lavie dans la philosophie tardivedHusserl.Ellecommeluisinqui-tent du cours des sciences moder-nes, qui saffranchissent de plusdeslimitesdelaperception.

    LetravailreprsentepourSimo-ne Weil lexprience humaine for-

    matrice de notre rapport au rel.Cestencesens,etencesensseule-ment, que lon peut la considrercommeune matrialiste .ChezellecommechezMarx, quellea lutrs tt, lamatire nerenvoie pasundonninerte,maisestdabordlersultat de llaboration humaine.Cestletravailquiintroduitdeluni-

    tetdelacontinuitdanslunivers.Or lune et lautre sont menacespar lvolution scientifique ainsiqueparle machinismeetla techni-que, dont Simone Weil a, trsconcrtement, bien avant les pr-tres-ouvriersoulesmaostes ta-

    blis ,prouvdanssa chair lavio-lence,lusineen1934et1935.

    Pourtant, paradoxalement, letravail celuidu manuvre prci-se-t-elle incarne galementlobissanceconsentie la ncessi-tet la douleur.Il estdonc lindicele plus certain de notre participa-tion la cration. Non que cetteincessante rvolte ait prch lamoindre rsignation une condi-tionvoueaumalheurquitransfor-me, selon elle, la personnalit en

    chose. Mais parce que le malheur,qui cloue ltre comme le papillonsur la planche de lentomologiste,constituela modalit dela rencon-tre avec un ici-bas dont elle penseque Dieu sest retir pour le crer.Pourtrelamesuredecetteabsen-cequelaCroixsymbolise,lhommedoitenpasser,luiaussi,parlasouf-

    franceet lesclavage. Il doit sesou-mettrela dcration etsabsen-ter le plus possible du monde. Ceque les mystiques dsignent com-me la knosis ( vide en grec),devientchezSimoneWeil le mode

    privilgi de notre relation Dieu,lexpression adapte de notre viereligieuse.Lasaintetpourunchr-tien est le minimum quon puisseattendre, ira-t-elle jusqu affir-mer. Nul masochisme donc, maisunedmarchedontlalogiquetrans-paratdans sescrits ;ldificationdune constellation dont les l-ments se rpondent, puisantautant la mystique rhnanedunMatreEckhartquHomre.Dansson Iliade ou le pome de la force(1940-1941),SimoneWeillouela-de qui chante la guerre sans pren-dre parti. La beaut de lhorreurdevientobjetdamourdansle po-meenlaissantentrevoir,derrirelancessitbrutale,lide dunordre.

    La marche asymptotique de

    Simone Weil vers le catholicismenesaccompagnedaucunrenonce-ment la raison. Danscet agence-ment de la foi et du savoir lremoderne question laquelleelleaura tent de rpondre , rsidelundesintrtsprincipauxdecetteuvre.Cequinemeurt.a

    NicolasWeill

    Frdric Worms est profes-seur luniversitLille-III etdirecteur du Centreinterna-

    tional dtude de la philosophiefranaise. Entretien.

    Pourquoi peine-t-on prendreSimone Weil pour une philoso-phe ?Pourcomprendrelesides,lespra-tiquesetmmelaviequiontdonnlieu tant de ces jugements fasci-nsouironiques,ilfautallerdirecte-

    ment la philosophie de SimoneWeil, et mmedirectement en soncentre, qui est une philosophie delexpriencedelancessit.Laphi-losophie a aussi pour rle dexpri-mer par les mots les plus purs cette exprience que font tous leshommessous desformes extrmesetopposesentreelles:vritetjus-tice, mais aussi force et malheur.

    Ainsi, la philosophie a ce rle cen-tral:reconnatrecesexpriencesetces expressions, critiquer ce quinousenspareetnousmutile.Cestdonc l une grande philosophie, lafoisenelle-mmeetencequelleconduitau-delde laphilosophie.

    Peut-oncomparerson itinraire celuidHenriBergson ?Sil sagit de leur commun passa-ge, qui ne fut pas une conversion,du judasme au christianisme,tout, ici aussi, les oppose et lesrelie:ductdeBergson,lesparo-les de lEvangile dpassent infini-mentles appelsdes prophtes la

    justice, mais elles les prolongentaussi, dans le sens de la morale ouverte ; du ct de Simone

    Weil, lamour mais aussi la Croix

    duChristla conduisent unrefuslui-mmeviolentdunAncienTes-tament rduit au Dieu violent des armes . Mais on com-prend aussi que,sur cepointcom-mesurdautres,cesrelationsetcesruptures sont plus subtiles etimportantes quon ne croit. Defait,lunetlautreopposentfinale-mentdeux attitudesreligieuses,etdanschaquereligion,aveccommecritre lorientation vers la justicecontretoutefermeturesursoi.

    Quest-cequi relve chezelle descourants philosophiquesfran-ais desontemps ?

    Elle retient ce qui nous met encontact direct avec la ncessit, etcritique ce qui sintercale entrenouset cesexpriencespures.Ain-si,Alainlaintroduitelancessitchez Spinozaou Platon,ou encoredanslactionetlart,maisilresteunpenseurdu jugement quilfautdpasser ;demmele personna-lisme ou les droits de lhom-me intercalentselon elledesenti-ts fictives entre lhomme et le sacr ou entre lhomme et les

    obligations ,qui,selonLEnraci-nement, noussont immdiatementetternellement imposes.

    La science y compris lesmathmatiques nestjamaisseu-lementthorique,elle nousmetencontact avec une ncessit galepour tous, etla beautde lunivers.

    A fortiorila connaissance du socialdoitendcouvrirlesmcanismeset notamment celui de loppres-sion, cequafaitMarxselonSimo-neWeil. Biensr pourle transfor-mer, mme si sa conception de lancessitrendceladifficile.

    Quelest lelegsde cettepense ?

    Onne mesure pasle degrde soninfluence aprs la guerre. Il y eutdes fascinations hagiographi-quesou hypercritiques ;mais ellepermit un double maintien delAbsolu dans lexistence mme,sous une forme critique dabord(des mythes, des propagandes),pense et vcue ensuite. DansEurope 51, de Roberto Rossellini,explicitement inspir par Simone

    Weil, Ingrid Bergmanest condui-te par le malheur dpasser les

    illusionsdunmondequiveutlen-fermer comme folle, alors mmeque laction qui en dcoule pourellelui rvle le croisement sur-naturel du malheur etde lajoie.CartelleestlaleonparadoxaledeSimone Weil, que les cris les plussecrets qui nous sont arrachscommuniquenttous enun point.

    Ilnesagitdesenfaireniledisci-plenilejuge,maisdelacompren-drepouraccdercequi,pourcha-cundenous,enaccordouencartavec une telle philosophie, est untel point, quiestle pointmmeenchacundelaphilosophie. a

    Proposrecueillis parN. W.

    Chez lesWeilAndret Simone

    de SylvieWeilBuchet-Chastel,272 p.,18 .

    La cohrence radicale de Simone WeilMme ltat dbauche, son uvre articule brillamment foi et savoir

    uvres compltes,tome IVEcritsde Marseille(1940-1942)deSimoneWeil

    Editionpubliesousla directiondeFlorencede Lussy,Gallimard,608 p.,35 .

    Simone WeilLa qute de racines clestesde Sylvie Courtine-Denamy

    Cerf, Lanuit surveille ,154 p.,18 .

    SimoneWeil.Lattention aureldeRobert Chenavier

    Michalon, Lebien commun ,126 p., 10 .

    Simone WeilSagesse etgrce violente

    sousladirectionde Florencede LussyBayard,318 p.,25,50 .

    En1936, avecla Colonne Durrutipendant la guerre dEspagne.RuedesArchives/PVDE

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    Le livre,comme lcrivain,sontassezsurprenants:LesEclaireurs,dAntoineBello,

    tranchentsurlepaysagedelafic-tionfranaise,oleromanesquenestpassisouventlhonneur.Etsonauteur, quiest aussidiplmdHEC,fondateur duneentrepriseprospre et admirateurde NicolasSarkozy,napasleprofildelartis-temaudit, va-nu-piedsmagnifi-queou looserpatent.DeuximepartiedunehistoirecommenceavecLesFalsificateurs(Gallimard,2007),letexteestdoncunesortede curiositlittraire,qui mlangequalitsetdfauts :quelqueslour-

    deurset unepropensionmal rpri-meaux bonssentiments, alliesbeaucoupdevitalitnarrative,dimagination, defracheur.Uneassezjolie mcaniqueen sommeetnondnue depanache.

    Ilfautdirequeleprojetneman-quaitpasdambition.Ami-che-minentre le romandaventures etlascience-fiction,AntoineBelloaimaginuncomitmystrieux,leCFR,dontlamissionconsistefal-sifierlhistoire : trafiquer le rel,pourfairecroirequedesvne-mentsauraienteulieu(lenvoidanslespacedelachienneLaka,lamenacedexpropriationdune

    tribubochimanpar unemultina-tionale,etc.)oupourmonterdesorganisations detoutes pices(lerseauAl-Qaida),dans le butdin-flchirtelle ou telleorientationgo-politique.Letoutdesfinsultimesquilconvientvidemment detenirsecrtes, pourne pasventerleroman.

    Lide gnraleest neen2000.Au dpart,Antoine Belloavait crit 150 200pages,avantdestopperles machines.Fausseroute: Jenavaispasle bonton,se souvient-il.Jhsitaisentre lescodes duromandespionnage etuneconnotationparodique,un peu

    potache,quifait partie demes ten-tations.Du coup,jaiabandonnpendantcinqans.

    Leregard quiconvient Quandilretrouvelecheminde

    sonprojet,cestentre autres gr-ceaupersonnagedeSliv,son double ,quiestlehrosdesdeuxtomes. Ilme trottaitdansla tte ,ditBello.Slivestun

    jeune hommeidaliste,intelli-gent, rationnel,qui nhsitepas aussi paradoxalque celapuisseparatreseremettreencauseetmme jouersa viepour cher-cherlavrit(entreautressurla

    compositiondu CFRetsur lesobjectifs poursuivis).

    Cepersonnage,agent des oprations spciales pour lecompte du CFR,AntoineBelloachoisi dele faireIslandais,cest--direcitoyende lundespluspetitspays dumonde. Jenevoulaispas quil soitporteur duneidentitnationale forte, expliquelauteur.Silavaitt franaisouamricain, onlauraittout desuiteinterprt enfonction desa natio-nalit. Apartir de cette figureremodele,la narrationse metenplacesansdifficult. Ilfautabsolument trouverle regard quiconvient sur ses personnages,obser-

    veAntoineBello.JohnLe Carrditquilpassela moitidesontemps crirele premier chapitredeses livres.

    Maisletonnestpastout.Lesromanciersquientendentsextrai-redelintimeetfaireparlerlemon-

    deextrieursontobligsdecollec-terdesfaits,puisdeleschevillerensemble,pourqueldificetiennedebout.Etmmeceuxqui,commeBello,btissentsurlidequelerelestsusceptibledtreenpartiefaussnchappentpaslargle.Pourtresrquelenavirepuisseflotter,ilmetdailleursaupointsessynopsispendantdesmois. Celadonne untexte quireprsente15 %dutouteto rienne manque.

    Ayantarrtsonpremiertome lanne 1999,lcrivaindevaitdoncfairefaceau11septembre2001.Une dchirure spectaculairedansletissudelhistoire: Ilest

    videntquun organismecommeleCFRnepeutpastretrangerunvnementde cetteampleur ,confirmelauteur,quivitlui-mmeauxEtats-Unisdepuis2002.Impossible, donc,de passerlachosesoussilence.Oui,maiscomment enparler dunemanirequinesoitpasconvenue ? Jaurais pu mettre Slivdans unechambredhtel, analyseBello,oulefairepasserpar Manhattan cemoment-l,maisctait facile.Jaidoncdcid delemmenerchezlenne-mi,derrirela lignede front.

    CestdoncauSoudan,oilestallassisteraumariagededeuxde

    sesamis,queSlivapprendlanou-velle.Le Soudan, terreinconnue

    dAntoineBello,commelIslandedailleursetlaplupartdespaysdontilparledansseslivres.Leprin-cipeestassum: Jeneparlequedechosesquejene connais pas ,soutient-il.Commentfait-il,alors ?Ehbiencestsimple:Wikipedia,

    YouTubeoulesblogs,sansparlerdeslivresetdesjournaux letoutenfaisantattentiondenepastropsimprgner,pournepastomberdans ledocumentaire .Carlafic-tiondemandeuneffort,quandonalattefaonnepourlesrieux.

    AntoineBellosytientavecbrioetavecuncertainsrieux.a

    RaphalleRrolle

    Sous le regard ironique et dsespr de Keith Gessen,les errements de trois brillants jeunes gensttaniss par le sentiment de linutilit

    Pourreprendreuneformuleclbrede ScottFitzgeralddans La Lie du bonheur(1922), ils[sont]jeuneset

    gravement passionns . Et,visible-ment, Keith Gessen na aucunepitipoureux: ilsen moqueetleshumilie dans son premier roman,La Fabrique des jeunes gens tristes.Nous sommes au tournant duXXIe sicle,etilfaitnuitsurlAmri-

    que. Trois personnages regardentleurnombrilcommeunmiroir:enluidemandantquiestleplusintelli-gent,leplusirrsistible,leplussou-

    vent cit sur Internet. Jusque-l,toutvabien,silonpeutdire.

    Mais regarderde plusprslestroispersonnagesqui separtagentlaffiche de La Fabrique des jeunesgens tristes, on peut lgitimementse demander sils ne sont pas lemme.Toustroisconstatentdune(presque) mme voix leur chec :la prison dore de leur jeunessesest referme sur eux. Seul Keith,le narrateur,semble garder espoir

    jusquaux dernires pages : Ctaittroptard,commeje laiditmaisenmmetemps,pascomplte-menttroptard,sivousvoyezcequejeveux dire , lche-t-il finalement.Biographiquement proche delauteurdontil partagele prnom,

    Keith est le fils dmigrants juifsrusses et il a fait Harvard. Amou-reuxdelafilledAlGore,ilvoit(ouplutt ilentend) soncolocataire lamettredans sonlit.Pas dgot,ilcriraquand mme dansdesjour-nauxdegauche.

    Mise part une tendance laratiocinationetlatemptedecr-ne,Keithest moins plaindrequeMarketSam, figurespresquecari-caturalesde limpuissance.CoincdanslapetitevilledeSyracusenepasfinirunethsesurlesmenche-

    viks, le premier accumule lesdconvenues sentimentales et lesfuites. Quant au deuxime, quiavait reu une avance pour crireune grandepopesioniste ,ilnefinirajamaissonlivreetnetrouve-raquallerJninepourtenterdesauver son me ou autre chose.Probablement le passage le plus

    poignantdulivre,levoyagedeSamestleseulmomentolundesper-sonnagesaffrontevraimentlemon-detelquilest.

    Car, premier roman choral etsubtil, La Fabrique des jeunes genstristes apparat comme celui dunegnration perdue, proche en celadunScottFitzgeralddontlunedesnouvelles (All the Sad Young Men)donne son titre original au recueil

    deGessen:AlltheSadYoungLitera-ryMen. Cetteambitieuse rfrenceouvredefaitsurunepotiquecom-mune Fitzgerald et Gessen, nen1975 Moscou,maisse refermesuruneimpasse.Eneffet,LaFabri-quedes jeunes genstristesnestpasune rcriture fitzgraldienne desannes1990et 2000. Lesprocdsromanesques sont diffrents, toutcomme la densit de leurs person-

    nages ou leur environnement. Lacomparaison des deux auteurs nemnerien,dautantqulpoquedeAlltheSad YoungMen,en1926,Fitzgeraldvenaitdepublier Gatsbyle Magnifique. Il tait dj unauteuren pleinepossessionde sonart quand Gessen nest (encore !)quun jeune auteur trs promet-teur.Ce quilspartagent, enrevan-che, cestune potique, unemmedistanceironique,etunmmesensdu dsastre bien lev ou bienhabill,cestselon.

    En ce qui concerne Keith Ges-sen, cependant, le dsastre nestpasceluiquoncroit.Dansle mon-de trs politis de Sam, Mark etKeith, tout portait croire que le

    11 septembre 2001 se situait quel-que part entre 1998et 2008. Maisle 11-Septembre est justement lechanonmanquantdecettechrono-

    logieenfaitlepointdefuitedunrcit qui fait comme si de rienntait. Le roman nest pas hantpar le 11-Septembre comme celuide Claire Messud (Les Enfants delempereur, Gallimard, 2008), parexemple, avec qui il partage pour-tantbeaucoupdechoses.Acettedif-frence prs, capitale, que lliteculturelleamricainedeGessenestdvalue(comme lerouble,pr-ciseMark)etquellehabiteenban-lieue plutt quen centre-ville. Encho du 11-Septembre, il ny a quelesilence,labsence et,plusterri-

    ble sans doute, la continuit dunchec individuel et collectif. Pourcette raison, il est facile de rduireLa Fabrique des jeunes gens tristes

    auportraitdsabusdunegnra-tion, ce quil nest pas complte-ment.A moins deconfondrela fic-tionetsoncontexte.Oudeprendre

    Sex and the Cityou Seinfeld pourdessries documentaires.

    Aufond,ce nestpas sidrleAtoutprendre,leromandeGes-

    sen est dailleurs plus proche deSeinfeld que de Sex and the City,mme sil y a de cela, aussi. Sonhumour est un humour patient.Petitpetit,sanslesexcsdelasati-re,lesmisesenscnedelacomdieoulesacrobatiesdelaparodie,liro-nieet labsurde dgradentla trameraliste. En ce sens, Keith Gessenest de son temps et il a retenu lesleonsdun JerrySeinfeld. Lironienest pas dans le commentairemais dans le rcit.Car, au fond,cenest pas si drle mme si on rit

    beaucoup.Onnesemoquepastantdunecertaineliteamricainequelon dit son impuissance spirituel-le. Sa non-existence plutt que sa

    seule dvaluation. On rit comme un enterrement. Jai pass lamajeure partie de ma vie dans lesbibliothques , explique Mark. Et

    le narrateur de penser avec lui : Ce ntait pas tout fait vrai, ilavaitpasslamajeurepartiedesaviesur des patinoires de hockey et dans

    dessallesdegym.Etletempsquilpas-saitdanslesbibliothquescesjours-ciconsistaitsurtout regarder desgens poilsur Internet.

    En tant que groupe comme entantquindividu,la grandeinqui-tudedeces jeunesgenstristes estenfaittrsexistentielle.Cestdtrelibres, en bonne sant, cultivs, etdeneservirrien.Denepasexister,donc. De ne pas tre hors de cequils sont. De navoir aucunimpactsur le monde, de ne pas ouplusapparatredansGooglecom-meSamquitlphonepourseplain-dre: MonGoogle.JetapemonnomsurGoogleetchaquefois,celadimi-nue.()Vousnepourriezpasunpeugonfler mon chiffre le temps que jeretombe sur mes pieds ? LironieestbeletbienunenauseetGessennestplusdutoutFitzgerald.Acha-quegnration,finalement,lesjeu-

    nesgensbrillantsquiluicorrespon-dentetlesoindeseperdrechacu-nesafaon.a

    NilsC. Ahl

    Antoine Bello, ou lart du ton juste

    Sonex-petiteamie Arielletaitplus magnanime.Vraiment ?dit-ellequandil luifitpart deson projet. a, cestambitieux.

    Touteslesfemmesdesaviemettaient leschoses en italique.

    MaisArielletaitsonex.Ellelui

    inspiraitdesmotionscompli-quesquesapetiteamieactuelleninspiraitpas.Talia taitun tra-

    vailde longuehaleine. Ilshabi-taient pratiquement ensemble,toutengardantchacunleurappar-tement,etilsavaientfusionnleursgarde-robes, dfautde leurs

    bibliothques. Ils nchangeaientpas,aucoursdelajourne,plusdecinquantemots.Taliareprsentaitunenjeustratgique,territorial:oSamsetrouverait-ilquandellesetrouveraitaupoint A ;quelles

    taient lesliquiditsde Talia,et

    avait-ellebesoinderetirerdesespces ; otaitsapince che-veux enargent ? Taliaavaitdesfai-blesses, desaspirations, desidio-syncrasiesclairementtablies.Ilpasserait,peut-tre,lerestedesa

    vieavec elle cest--dire, siljouaitlesbonnescartes,etsielleaussijouaitlesbonnescartes ; ilyavaitdescomplications,descorrec-tions,desconcessions.

    MaisArielle taitson ex,taitune questionexistentielle,unemanifestation du cur.

    latelier dcriture

    l i t t r a t u r e s /

    recommand par

    ArnaudFvrier

    20

    -

    360

    pages

    LesEclaireursdAntoineBello

    Gallimard,480p., 21.

    SarahRitter(extraitde lasrie quelquechose)

    LaFabriquedes jeunes gens

    tristes(Allthe SadYoungLiteraryMen)deKeith Gessen

    Traduitde langlais(Etats-Unis)parStphaneRoques,LOlivier,302p., 22.

    Extrait La Fabrique des jeunes

    gens tristes , pages 56-57

    Portrait dune

    jeunesse perdue

  • 8/14/2019 Le Monde Des Livres 27 Fvrier 2009

    4/8

    4 0123Vendredi 27 fvrier 2009

    Les affinitsclandestines

    de Linda LS

    ans bruit, les livres de LindaL simposent. De 1992 2007, desEvangiles du crime

    Inmemoriam,enpassantparunevocation de Marina Tsvtaeva,ce sonttoujours destextesbrefsetcristallins,issusdunentretieninfi-ni avec la bibliothque, comme lefaisait Maurice Blanchot. Au fondde linconnu pour trouver du nou-veau se prsente comme une suitedhommages discrets aux cri-

    vains aims. Mais cest aussi unetraverse du XXe sicle dans cequiladeplusjuste,deplusinatten-du,deplusdtachfaceaudsirdegrandeur.

    Les figures de Linda L sontrfractaires. On voit passer descontrebandiers, des marginaux,

    descorchs.Ilssappellentnotam-mentOsamuDazai,SandorMara,Ladislav Klima, Stig Dagerman,Ghrasim Luca ; sont respective-ment japonais,hongrois, tchque,sudois, roumain ; nont pas tconsacrs sans cesse par les dic-tionnaires et les acadmies ; for-menteuxseulsdes terrincogni-t deslettres mondiales.On men-tionneleursnoms dune voixhsi-tante, de peur quun incendie sepropage. Leur rputation estimpossible, leur absence totale de

    bons sentiments difficile accep-

    ter.Ajoutezcelaunecritureradi-

    cale et ils prennent directement lechemindu purgatoire.Histoire de naviguer dans une

    eaumoinstrouble,LindaLsatta-che aussi dans ce volume quel-ques personnages excentriques,malgrledsespoir.Bienquepou-

    vantallgrement figurerdans une anthologiede ladglingue , onsepassionnepourunUruguayenlhumour vif, personnage loufo-que qui semble ne rien craindre.Son nom : Felisberto Hernandez.NMontevideoen1902,mortaummeendroiten1964,ilestpianis-te, autodidacte, auteur de rcits etde nouvelles rassembls dans LesHortenses, Le Cheval perdu et DutempsdeClementeColling.Enavan-ant dans ces morceaux de prosesubtils, on remarque la placemajeuredesnotationssurlecorps,les sensations qui forment lven-tail de la vie dun crivain. Lemme FelisbertoHernandezaffir-me : Au dbut, jallais avec moncorps comme avec un innocent etjtaiscontrari de devoirmoccuperdelui ; maisplustard, jenyai plus penset jtaisheureux.

    A son tour, lessayiste passeduntat un autre, aussi attenti-

    ve aux soubresauts intrieursquau monde extrieur. ErrancedanslesruesdeZurich,immobili-tdansuntrainquiva deLausan-ne Milan. La silhouette joue unrle primordial.

    Robert Walser, le premierfunambule que lon croise dans lelivrede Linda L,est lincarnationparfaite dune simple silhouette.Cet crivain suisse de langue alle-mande,auteur magnifique duBri-gand et des Enfants Tanner, cet

    homme qui souhaitait tre invisi-ble et qui aura vcu intern pen-dant les vingt-sept derniresannesdesavie,cetaristocratepin-ce-sans-rire, longiligne et coiffdunchapeau,tombedanslaneigeaucoursdunemillimepromena-de et meurt, le jour de Nol 1956.Ultimestracesdun flneurimp-nitent , rassur de navoir jamaisrienpossd.Luiquidisaitquesestentatives potiques sont commedesfemmesquidansentjusqucequelles scroulent de fatigue.Dans le sillage de Walser, LindaL poursuitla leonde danse.a

    Jean-PhilippeRossignol

    en

    mar e

    Les lecteurs dUn livre blanc(Fayard, 2007) connaissentlamfiance dePhilippeVas-

    set lgarddu roman: une formemolle commela guimauve des sit-coms, une musique dascenseurqui suscite un dsir rflexe sem-blable celui dela salivationactivepar lodeur des frites et du hambur- ger encorechaud . Endoutant despouvoirs de rsistance du romanface au monde tel quil est, Vassetrejouele procddelilneufcherauxLumires:dplacerleshabitu-desdelectureetdcriture.

    Tous mes livres sont la lettrecrits avec les pieds , disait rcem-ment Vasset sur France Culture.

    Autrementdit, crireen marchant,lier lesphrases au paysage, en lieuet place de la fiction ex nihilo. Semettre en mouvement, aller voirsur place lenvers du dcor, leszones blanches dans la ville, leserrants qui y circulent,noter prci-sment les petits dtails saillantsdurel.

    Au commencement de Journalintime dun marchand de canons,critVasset,ilya lcartsansces-segrandissant entreles fictionsdonton nous abreuve ad nauseam et unrel presque invisible, comme rel-gu la priphrie du champ devision . On consomme de la fic-tioncommedescorn-flakes,dit-il,ilesttempsderveillerlercitavecdes histoires bien relles, cellespar exemple des flux mondiaux,tels quils sprouvent hauteurdhomme. Do un projet de srie

    quisepoursuivraavec Journalinti-me dun affameur, Journal intimedunmanipulateur,etc.

    Unroman portes ouvertes Au seuil du premier volume,

    lauteur expose sa mthode etnotammentsonpartiprisdevraci-t : Chaque pisode se propose dedcrire le fonctionnement dun pandelconomiemondialisehabituelle-mentsoustrait aux regards. Riennysera invent : les vnements relats() auront effectivement eu lieu, lesnoms serontles vrais,toutcomme lesdates. Pour autant, etcestl quea se complique, il y a marqu roman sur la couverture : cecinest pas une enqute journalisti-que,nulsoucidexhaustivit,lenar-rateur nexiste pas, il a t invent pourmnagerunpointdevueinter-nedansunsystmemondialhabituel-

    lement apprhendde lextrieur.Cestdonclhistoirevraisembla-

    ble, fabuleuse vue de loin, dunagent de larmement mondial,mais raconte, pour ainsi dire, auras des pquerettes. Aussi la pre-

    mirephrasedulivre Jeme suistoujours beaucoup proccup dudegr de romanesque de ma vie fonctionne comme un leurre. Cest un roman portes ouvertes,prcise Philippe Vasset. Jai voulufaire linverse dun roman cls. Entendez: ilny a aucun scoop,onse coltine humblement le rel (lesfaits, les situations). On articuledanslafictionlemytheducow-boy qui colle malgr tout au mar-chand de canons avec lextrme

    banalit de son quotidien : lesmmesintriguesprosaques(Bag-dad, Delhi, Caracas, Riyad, Preto-ria,TbilissiouAlger)renvoientauxmmesenjeux politiques et cono-

    miques majeurs. Le basculementde perspectivesincarnepar un jeude contraste entre le narrateur,

    VRP figurant de larmement quipasse lessentiel de son temps attendredans deshallsdhtelsou

    sennuyer en runion, et un per-sonnagenomm X qui,lui,feracarrire de hros flamboyant etassumeraunrleactifdanslHistoi-redelarmementmondial.

    Si Vasset persiste crire desromans, cest prcisment poura : Ecrire des romans qui nensontpas,rendrecomptesans affteriedes bouleversements du monde

    rel. Cestl peut-trele territoire

    sensible du romancontemporain:tre attentif ce qui na pas tou-jourslabellefigurequonvoudrait,aller ladcouverte dece quon neconnat pas. Tout sauf limagina-tion minutieuse dune cathdrale

    de papier, tout sauf la figure delauteur tout-puissant, bien labriderriresoncran,unetassedeth

    brlantlamain,toutsaufdesper-sonnages lgendaires.

    Le narrateur, ex-marchand decanons revenu de tout, ne dit pasautre chose : Pour me vider les-prit, jentreprends des tches physi-ques puisantes, jabats des arbres, je fauche lherbe, je draine lestangs Mon jardinier me regarde faire, mi-amus, mi-inquiet. Auboutdunesemaine, sansdoute lassdeme voirendommager lesalles etdfigurer la fort,il minvite chas-ser.Aprs touteune viepasse ven-dre des systmes darmes sophisti-

    qus, jerre parmi les fougres avec, sous le bras, une ptoire vieille devingt ans. Nous marchons toute lajourne : je manque presque tout cequeje tire. a

    AurlieDjian

    Un demi-sicle de posie estrassembl dans le volumeque publie Michel Wald-

    berg,enmmetempsquestrditson bel hommage ses parents, lecritique dart amricain Patrick

    Waldberg et Isabelle, sa femme,

    sculpteur suisse:La Boteverte(LaDiffrence, Minos ,186 p., 7 ). Un amour acphale , disait-

    il pour dfinir la relation de cesdeux personnalits peu commu-nes. Le peu de ralit : ainsisous-titrait-il sa propre autobio-graphie. Et pourtant, si loin quilse soit tenu dun monde littrairedont il vnre les matres, maisdont il apprcie peu les histrions,MichelWaldbergnenajamaistlongtempsabsent.

    Droit lessentiel,ensomme,enrve et en songe , crivait-il enretrouvantlescahiersdesonprequi lui-mme citait son ami Geor-

    ges Bataille. Cest une formule quiledfinit lui-mme autantque sonpre.Rver,certes,illeveut,illac-cepte,maisnonpoursabandonner une passive contemplation. Pourchercher pluttce quiva larracheraux vidences et lui permettre de

    construire discrtement sonuvre. Aux carrefours,il faudrait chaque fois choisir, non daller auconnu,maisl otourne le paysage,otourneetpivote,sergnrelepay-sage nonobstant le risque des ren-contres,bonnesou mauvaises.

    Lesourire lemporteMais ces carrefours (dans les

    rues et dans les bois) sont surtoutdesentrecroisementsdelivresetdelectures. Dans son exorde ,Michel Waldberg dit quil cher-chait, dans son enfance, des tex-tesfrres enbibliothque.SouslesignedeBaudelaire,ilcomprendce

    quil chercheet ce quil est: Unenatureexiledans limparfait.

    Parfois, et mmedemble,chezMichel Waldberg, le sourire lem-porte.Son premierrecueil, du res-te, sintitule hardiment : Riens. Il

    avaitentre10et20ansetydcrivaitses rves. Je nexiste pas moi/ Onmerve. Celecteurdesmatresdela spiritualit bouddhiste crit ses plumules en hommageappuyauxkanzen,petiteshistoiressym-

    boliques, paraboles difiantes oudconcertantes, apologues sansmorale, auxquelles il reviendradans Vivant ou mort(1979) et, demanire dtourne, dans les jeuxde mots de ses Toccatas tortes

    (1983): Leje quiconjuguele verbenest pas moins spcieux que le pr-sent o il se manifeste. Et, pas plusquilnyadesubstanceauxreprsen-tationsdu rel,il nya desubstancecequinesereconnatultimementque parle non-tre dustyle.

    La musique (le jazz), lcritureautomatique, la peinture soutien-nentparfoislesautresrecueils(de19852008)ocalembours,calli-grammes, anagrammes, cadavresexquis construisent un ensembleinsolite et ludique auquel sajou-tent mme des mots vols diff-rents auteurs et rorganiss dansdespomesnouveaux lasyntaxedsordonne,mais cohrente.LesuvrescompltesdeBarthessontainsi, par ces rapts, rsumes onze vers. Et, en guise de cong,un dernier clin dil Guillaume

    Apollinaire.aRendeCeccatty

    VOUSRVEZ duneaugmenta-tionmaisnesavezcommentlademander ? Vous aspirez unepromotion maispaniquez lidedenparlervotrechef ?Bref,lam-

    bitionvous dvore,maisvous vou-lezviterdepasserpourunarrivis-te ?Unconseil :lisezBalzac !

    Plusquestion de lignorer :LaComdie humainenestpas seule-mentlun desjoyaux dela littratu-remondiale.Cestaussi, commelexpliquetrs doctement BrigitteMra,un vritable manuel de

    dveloppementpersonnel .AuteurdunethsesurlesEtudesphiloso-phiques de Balzacet enseignanteen management,cette universitai-reenestconvaincue :ilnyapasmeilleur coach quelauteurduPreGoriot.Etpasplusbeaumodleque Rastignac.

    Commentun provincial dsar-gentdevient-il enquelquesanneslundeshommeslesplusinfluents de la capitale ? Com-mentpasse-t-onde la sordidepen-sionVauquerauluxueuxsalondu

    barondeNucingenpuisauxorsduministredelajustice ?Brigit-teMraasuivipaspaslirrsisti-

    bleascensiondeRastignac.Etenatirquelquesenseignements dia-grammeset quations lappui.

    Leonno 1 : lesavoirne sertriensilnesaccompagnepasdesavoir-faire.Le jeuneEugneen

    prendvite conscience.Venu Parispourapprendreledroit,ilnetardepasabandonnerseslivrespourselancerdansunprojetbeau-coupplusintressant : sduireDel-phinedeNucingenet, partant,sin-troduiredanslune desfamilles lesplusriches deParis. Traduction :faitesdebellestudesmaisnengligezpaslessentiel,constituez-

    vousun rseau .Leonno 2 : savoirsadapter.

    Rastignacest aussi laiseavecVautrin,lancienforat,quavecllganteMme deBausant. Ilestsouplecommeuneanguille ,ditdelui lemarquisdAjuda-Pinto.Autre-mentdit : neperdezpasde vuecequevousvoulezobtenir,maisnoubliezpasdtreflexibleetprag-matiquepourparvenirvosfins.

    Leonno 3 : nepasmettretoussesufsdanslemmepanier.Cela,Rastignaclapprendrasesdpens.Lamortdesonprotecteur,lepuissantde Marsay, suffiteneffetfragilisersacarrire.BrigitteMraen tirela conclusionsuivan-te : Gareau choixde lallgeanceunseul dirigeantcommemoteurdvolution !()Silementor perddesoninfluence,tout scroule.

    Fortdecesprceptesetdedizai-nesdautres,rsumsdansdesfichessynthtiqueslafindecha-quechapitre,vous voilprt,com-mele hrosbalzacien, prendredassaut le champ debatailledelacivilisationparisienne .Neperdezplusuneminute :telRastignacface Parisdepuisle Pre-Lachai-se,embrassezduregardvotre openspace etnayezpluspeurde ledire : A nousdeux,maintenant ! a

    ThomasWieder

    La MthodeRastignac,deBrigitteMra.Tallandier,304p., 21.

    / l i t t r a t u r e s

    Aufond de linconnupourtrouverdu nouveaudeLindaL

    ChristianBourgois, 140p., 17 .

    Posie, de1950 2008deMichelWaldberg

    LaDiffrence,384p.,35 .

    Waldberg, droit lessentielInsolite et ludique, une posie tourne vers linconnu

    Mon coachsappelle Balzac

    publient de

    nouveaux auteurs

    Service ML - 11 cours Vitton

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    CRIVAINS

    AlanEglintonpour LeMonde

    Journal intimedunmarchand de canonsdePhilippeVasset

    Fayard,180 p.,15,90.

    En qute de relA partir dune observation du milieu des marchand darmes,Philippe Vasset entreprend de librer le roman de sa part romanesque

  • 8/14/2019 Le Monde Des Livres 27 Fvrier 2009

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    Ilnyalqueduvrai,dessouve-nirs, un rcit autobiographi-que, et pourtant lauteur lap-

    prhende comme une fiction. Decetteenqutesursonpre,untypealcoolique, violent, affabulateur,

    JohnBurnside a faitun livresurlahonte et le mensonge. A lheuredtre pre son tour, lcrivain a

    voulu savoir la vrit sur son pro-pre gniteur, raconter tout ce quilavait sem (fables et dsolation),exhumer les souffrances quil luiinfligea, pour, au bout du compte,luipardonner.Et, toutcomptefait,le meilleurhommagequil pouvait

    lui rendre tait de rpter sesbobards, deles perptuer.Comment devient-on roman-

    cier ? Pour John Burnside, cestpeut-tre en apprenant mentir son pre, avant de mentir sur lui.Leur histoire est celle dune rela-tionmanque, dunetransmissionde la haine de soi. Un bb trouvsurlepasduneporteettransbahu-tdunefamillelautresesttrans-form en homme perdu, qui aengendrun filsdontlenfance futsaccage. Le refus de lillgitimit,lahantisedenepasavoirtdsir,peuvent attiser en ricochets laculpabilit,la cruaut, la fureur.

    John grandit donc au sein de laclasse ouvrire, chez un mystifica-teur versatile,et lvocationde sonsjour lasilenestpasla moindrede ses confessions. Il devint untemps psychotique, fou, pour, dit-il,vivre desmomentsextraordinai-res, de vritables illuminations .Maissaindesprit,ilseforgeaitdjtoutjeuneununiversromanesque.LesapprentissagesdeJohnBurnsi-desontceuxduntypequisestfaitducinma.

    Son pre sobstina prtendre

    quil ressemblait Robert Mit-chum. Il sidentifiait aussi Nor-manWisdom,uncomdienburles-que malheureux, sorte de losermaladroit. John, lui, sera obsdpar les personnages incarns par

    Walter Pidgeon, un de ces vrais pres capables de faire limpossi-ble .AvecsapetitevoisineSandra,il improvise des cambriolagesexquisaufildesquelsildoitlaneu-

    traliser,la ligoter, avecuneferveurrotique tacite. Cet attrait pour lesadomasochisme se ravive plustard avec Caroline, grande bruneavec laquelle il recre des atmos-phres de films noirs autour deleurspassages lacte.

    Poursuiviparlemensonge,Johnest confront un jour cette fillefatale qui tente de lui faire croirequelle est atteinte dune maladiemortelle,puisilserveilleenpleinenuit pour la dcouvrir califour-chon sur lui, les mains serresautourdesagorge.Lorsquelleveutluiplanter un couteaudans le dos,

    onest tentde conseiller lauteurdarrter ses boniments.Cette br-vepulsionde doutevapore, onleretrouve genoux devant Hitch-cock et Jacques Tourneur, frisson-nantdesapropreperversit,desondsirdepeuretdesapeurdudsir.

    Aprs viendra le dmon, leje de mon autre , la paranoadtre agress par un fantme desonjumeau, la ronde deschauves-souris,desrves,lesapparitionsdesonpredoutre-tombe.Elucubra-tions ? Allez savoir, chez un cri-

    vain qui finit par avouer quil najamaiseu depre !a

    Jean-LucDouin

    Albert Angelode B. S. JohnsonAlbertAngeloestprobablementlundesromanslespluslisiblesetlesplus classiquesde BryanStan-ley Johnson,crivainexprimental

    anglaisdevenuculte longtempsaprssonsuicideen1973,lgede40 ans,et auquelJonathanCoea consacrune biographiesalueparlacritique(LikeaFieryEle-phant: TheStoryof B. S. Johnson ,Picador,2004).Portraitdunarchi-tecterat,professeurvacataireparncessit,en butteaux vexations,ladpressionet la mlancolieamoureuses,le romanparticipeduncertainralismeen mmetempsqueduneimprovisationlit-traireprochedujazz.Etdonne

    voirun ventailassez completdestalentsdelauteur.Lironieduton,laigreur du personnage,le ren-dentparticulirementexplosifet

    vivant.Publien1964,Albert Ange-lo estlunedesmeilleuresintroduc-tions luvrede B. S. Johnsonpourdeslecteursfranaisquile

    connaissentmal.a

    NilsC. Ahl

    Traduit delanglaispar FranoiseMarel,Quidam, Madein Europe ,187p., 20 .

    Royaumes juifsTrsors de la littrature yiddishEditiontablie parRachel ErtelEnattendantlaparutionauprin-tempsduneanthologiede nouvel-lesdIsaacBashevisSinger(Stock), lesamateursde littrature

    yiddishsergalerontdeces Royau-mesjuifs.Deuximetomedune

    vasteentreprise ditorialerassem-blantdesuvressouventpuisesou indites,ce volumeprsenteseptauteursduXXe siclevenusde Pologne, Russie, Etats-Unis,Isral, France...Parmi eux,I. J.Sin-ger,lefrreandeBashevis,sou-

    ventconsidrcommeaussi talen-tueuxquelui,JosephOpatoshu,

    MosheKulbakouMendelMann.Descrivainsquitmoignentdelarichessede limaginaire duyiddish-landaumomento,laveilledeladeuxime guerremondiale,leslocuteurs de cettelanguetaientplusde 10 millions.a

    FlorenceNoiville

    RobertLaffont, Bouquins ,1 088p., 29 .

    RsistancedOwen SheersNoussommesen 1944,lesAlle-mandsont envahilAngleterre.DansunevalleisoleduPaysdeGalles,leshommesontrejointlarsistance,tandisquunofficierallemand reoitlordrede consti-tuerunepatrouilleenvuedunemissionsecrte:voilcequaima-ginle poteet dramaturgegalloisOwenSheerspoursonpremierroman.Danscetendroitsireculquela guerrene semblaitpouvoirlesatteindre,les femmesvontdevoirassumerseules lestravauxdeschamps.Etcomprendre,seu-lesaussi,queleurshommesnereviendrontprobablement jamais.Maisquefairequandlennemiestl ? Etquand,contretouteattente,lamfiancedevientbienttcompli-cit ?Unequestionquienappelleuneautre : peut-on sortirvicto-rieux dela guerre ? Contresesennemispeut-tre, maiscontresoi-mme ?a

    E.G.Traduit delanglais(Paysde Galles)parBernardHoepffner,Rivages, 416p., 23 .

    Aprs Sherman Alexie, DanChaon ou encore CraigDavidson,voiciquelditeur

    FrancisGeffardpublie,danssacol-lection Terres dAmrique , unmagistral recueil de nouvelles parunauteurde28ans.

    Benjamin Percy a grandi sur lehaut plateau dsertique du centredelOregon,qui sertde dcor sesnouvelles. Ici, les hommes fumentetboivent beaucoup,et il nest pasrare de voir accroch dans leur

    bureau un calendrier de filles poil .Ici, lespersonnagesont desboulots qui cassent le dos et gom-mentles sentiments.Ce sont,com-me les hros des livres dAnnieProulx,desindividusincapablesdecommuniquer,sicenestparlavio-lence.

    Ainsi,dans LesBois ,unpreemmneson fils la chasse.Et luiexplique quil ny a gure de diff-renceentreduquerunchienouunenfant: Unhommequi nerussitpasdressersonchienavecsuffisam-

    mentdapplicationet deconstance,letesteretlediscipliner()peutsat-tendre de srieuses dconvenues. Il est galement question de rela-tions pre-fils dans la nouvelle Sous la bannire toile . Deuxgaminssebattentpoingsnus.Est-ce pour passer le temps ? Ou pourfaireplaisirleurspres,desrser-

    vistes pays quelques dollars deplus largentde labireilsappe-laient a , soudainement appe-ls pour aller combattre en Irak ? On ne savait pas, pas exactement,ce que nos presfaisaient l-bas. Onles imaginait en train de faire destrucshroques.Arrachantdes bbsirakiens des huttes en flammes. Dzinguant des kamikazes avantquils puissent se faire exploser dans

    uneruebonde.OnsinspiraitdHol-lywoodetdeCNNpourbroderdessc-narios complexes. Esprant rece-

    voir un mot rassurant, ils consul-tent frntiquement leurs mails,mais nytrouventque despromes-ses de performances rectilesaccrues ou carctaitavant lacri-se deprts hypothcairesdfianttouteconcurrence. En attendantle

    jouro,leurtour,ilsrpondrontlappel de la guerre et coucherontleurnomsur lepapierpourfairela

    fiert de leurs pres, ils se perdentdanslesvapeursdelalcool.

    Instantdapesanteur Cest aussi une bouteille la

    main etun fusil dans lautreque lepetitamidelafilledeJimlamenace une fois de plus dans LesLiens du sang . Jim coute,impuissant, les cris, le bruit desmeublesrenverss,leverrequivoleen clats jusqu ce que sa fillerepose brutalement le tlphone.Et, comme cette dernire estpareilletantdefemmesqui,para-lysespar lapeur,ne peuventquit-terceuxqui lesagressent, ildcidedallerlui-mmerglersoncompte cesale type.Pendantces longuessecondes, entre le moment o ladtentecde, le percuteur tombeetlerevolvertressautesouslaforcedelaballedcharge,ilyacommeun

    suspens, ce quprouvent ces per-sonnages de dessin anim quand ils saperoivent quils ont saut dune falaise, cet instant dapesanteur, detempssuspendu, avantque le mondeneseffondre .

    Et cest bien de cela dont il estquestiondanstoutescesnouvelles,decetteAmriquedelaprs-11-Sep-tembreenmalderepres,etenqu-te dun sens si tnu soit-il. Com-me lexplique Stephen, tout justerevenudIrak,dans Quelquunvadevoirpayerpoura , se retrou-ver l-bas, cest() essayer de com-prendre () ce quon fout l . Etattendre. Attendre que quelquun

    vous tire dessus, attendre quunebombe explose, ou que son sup-rieurvous sorteune connerie .

    Dans Une pice sans fen-tre , John et sa femme cherchenteux aussi, alors quune temptemeurtrire sabat sur eux, com-prendrecequilsontfaitdeleurvie.

    Aforcedavalermoultcachetspoursupportertoutelajournedeparlerde tendanceshaussireset baissi-res,de retombes fiscales,dopra-tions la clture, et de rythme dumarch, John souffre dhyperten-sion. Sa femme lui reproche de nepasavoirdenfant.Lacinquantaine

    venue, ils se rendent compte, unpeutard,queleurmariageressem-ble unepicesansfentreo,inva-riablement, ils se faisaient des pla-teau x tl en r ega rda nt Entertainment Tonight, buvaientdes gin tonic le vendredi et faisaientla vidange de leur voiture tous lescinqmillekilomtres .

    Paums,voilcequesontlesper-sonnages des nouvelles de Benja-min Percy. A essayer de compren-drecomment ilsen sontarrivs l.Maissilauteurnapaslamainten-drepourcette WhiteTrashAme-rica qui vit dans des caravanes,

    boit de la bire etremplit ses Cad-die avec des cookies premier prixparceque,danscegenredecoin,onne trouve rien dautre quune sta-tion-essence, un Food-4-Less, unterraindefootetlassortimentstan-dard de tavernes etdglises,il na

    pas la plume plus lgre quand ilsagit de dpeindre ces Califor-niensvenuspasserleursvacances

    jouerauxcow-boys,rassdeprsetcocottant lafter-shave : Entho-rie, il(s) adore(nt) les lassos, les pe-rons,lesbandanasetlidedegalopervers uncoucher desoleilorange fluo,et toutes les conneries associes unFar West de pacotille, mais partquelques randonnes guides che-val,cestypesne sauraientpas recon-natreleurcul dunebride.

    Avecceportraitatrocementluci-dedes Etats-Unisdaujourdhui, laFrancedcouvrelun desmeilleurs

    jeunescrivains tre apparussurla scne littraire amricaine cesdernires annes.a

    EmilieGrangeray

    l i t t r a t u r e s /

    Le mensonge en hritageUne mouvante enqute sur un pre affabulateur

    Paums entre Irak

    et OregonLe remarquable recueil de nouvelles dun jeuneauteur la plume acre, Benjamin Percy

    L

    iliOei

    www.plon.fr

    Junot Daz met le feu la langue.Florence Noiville,Le Monde des Livres

    Un cocktail explosif.Andr Clavel,LExpress

    Il y a dans ce roman, une exubrance

    et une jubilation qui restent mme quand

    Yunior raconte les pires horreurs.Nathalie Levisalles,Libration

    On na jamais lu et on na jamais vu.Marie-Laure Delorme,Le journal du dimanche

    Un roman qui se lit les cheveux dresss sur

    la tte, les yeux hallucins par un style qui vous

    saute la fgure comme un aisceau de ptards.

    Astrid Eliard,Le Figaro Littraire

    Une langue aussi cingle que cinglante, drle

    et dchirante, quon nest pas prs doublier.Augustin Trapenard,Elle

    Un joyau de pop culture.Emilie Colombani, Technikart

    Une langue inoue, urbaine et truculente.Karine Papillaud, 20 Minutes

    Le roman vaudou et hip-hop de Junot Daz

    est un prix Pulitzer renversant.Philippe Chevilley,Les chos

    Chapeau la traductrice.Sean James Rose,Livres Hebdo

    Daz est lun des jeunes crivains amricains

    les plus prometteurs de son poque.Raphalle Leyris,Les Inrockuptibles

    Tornade littraire.Direct Soir

    Oscar Wao est bien le grand livre attendu.Olivier Mony, Sud-Ouest

    feux

    croiss

    Sousla bannire toile(Refresh Refresh)deBenjaminPercy

    Traduitde langlais(Etats-Unis)par Renaud Morin, AlbinMichel, TerresdAmrique ,264 p.,20 .

    Mardi 3 mars

    lisabeth RoudinescoEli Zaretsky (USA)

    Mercredi 25 Mars

    Randall Kennedy (USA/Harvard)Pap NDiaye (France/ EHESS)Lundi 30 Mars

    Daniel Arsand, ArletteFarge, Frdric Ferney

    Lundi 9 marsARDE RAND BAREhomas Clerc, BernardComment, Marielle Mac

    25, rue Chazire69004 Lyon

    04 78 27 02 48

    www.villagillet.net

    [email protected]

    (rservations

    obligatoires)

    Unmensongesur monpre

    (ALie About MyFather)deJohn Burnside

    Traduitde langlais(Ecosse)par CatherineRichard,Mtaili, 310p., 20 .

  • 8/14/2019 Le Monde Des Livres 27 Fvrier 2009

    6/8

    6 0123Vendredi 27 fvrier 2009

    Karel Van Mander (1548-1606),qui fit lessentiel desa carrire Haarlem, a

    beaucoup peint, des histoiressacres et mythologiques de pr-frence. Cette abondance et sa

    facilit dexcution auraient-elles suffi leprserverdunpro-gressif oubli sil navait pris soinde dfendre son nom en cri-

    vant ? La question se pose sonproposcommepoursonalterego

    italien Giorgio Vasari. Celui-ci alaiss ses Vies de peintres et VanMandersonLivredes peintres. Enguisedemodedemploi,ilcompo-sa en 1604 le Principe et fonde-ment de lart noble et libre de lapeinture. Ilnavait pas t traduiten franais. Cest un ouvragedconcertant par sa diversit etun document de premier ordrepour leshistoriens etpasseule-mentles historiens dart.

    Letitredonneattendreuntrai-tthorique.Latabledesmatiressembleleconfirmer.Elleannoncedes chapitres intituls Analo-gie, proportion ou dimension despartiesdunefigurehumaine ou

    De lordonnance et de linven-tiondeshistoires ,desconsidra-tions sur la manire de suggrermotionsetpassionsparlaphysio-nomie et lattitude des personna-ges et des propos sur limitationdes pelages des animaux et destoffes.

    Ce dernier point indique djqueVanMander,loindesenteniraux principes, donnedes conseilspratiques.Sontonestceluidelen-seignement dunmatre sonl-

    ve dans latelier. Mais avec deuxparticularitssingulires:cetrai-test critsousla formeduntrslong pome et ne sen tient pas

    aux questions de savoir-faire : lesavoir-vivre y esten cause.

    De lcriture potique, il auraittdlicatlditeurettraducteur,

    Jan Willem Noldus, de tenter derestituer rythme et rimes de lan-cienflamandaufranais.Ilaeulasagesse de ne pas sy risquer, se

    bornant conserver la dcoupedesstrophes. La lecturesen trou-

    vefacilite,maisellenestpassim-ple pour autant, car Van Mandersesertdetoutcequilaluetenten-du.Orsesconnaissancessontaus-si considrables quhtroclites. Ilpuise dansunehistoire dela pein-ture dont, aprs les Grecs et lesRomains, les Italiens sont les

    hros, Raphal et limmenseTitien .MaisBreugheletdautresFlamands sont cits et Van Man-dersedit fier de [les] vanter . Ilpuise surtout dans des recettestechniquesde toutessortes.

    Politesseet sobritPourfaireun cheval, ilestainsi

    bon de commencer par trois cer-cles, dontlunestlacroupe,lautrelapoitrine,letroisimevaservirpourle corps , maismeilleur de nepasappliquercettemthodetroplour-dement etde sesouvenir que les fesses rondes doivent trembler degraisse alors que la tte sera

    petite,maigreetsche .Lanima-lierdoitaussiclbrer la grce desgnisses, qui ont des muscles sifins,des flancssi pleins .

    On regrette que, si bien parti,Van Mander ne passe pas plus

    longtemps en revue btes exoti-ques, poissons et oiseaux. Il sentientunconseil: Ilnyariendemieux pour vous viter les erreurs

    quedevousrenvoyer la Nature. Cest lune de ses habitudes :quand il a, sur toute question,accumulrfrences,allusionslit-traires et avis techniques, il ren-

    voie lobservation empiriquedumonde. A chacun de rsoudre lescontradictionsqui peuvent appa-ratre: VanMandercompileplusquilne raisonne.

    Maisle plus singulier est dansl exhortationaux jeunespeintresenherbe .Ilfautquilssoienttra-

    vailleurs et rguliers, dabord.Lettrs et subtils, bien sr. Poliset courtois, comme, parat-il,

    Apelle et Raphal. Et surtout

    quilssoientsobres. Voyezla cer-voise et ce quelle provoque et com-bien dhommes en porcs elle trans-forme.

    Il y va de luvre de lartiste.Maisilyvasurtoutdelarputationde tous les peintres, que leursconfrres ivrognes compromet-tent:quilscessentdeboire pourque puissent enfin se perdre danslabme du Styx toutes ces faussesrumeurssur les Artistes comme unpeintreestfou etque puisseseffacerle proverbe populaire : Plus on estpeintre, pluson estsauvagepoursetransformer en Plus on est peintre,plus on est serein . Cinq siclesplustard,lesvuxdeVanMander

    nesontpasencoreexaucs.a

    PhilippeDagen

    La conduite automobile etlaconsommationdalcool

    font partie des exprien-ces les plus banales delexistence moderne. Deux exp-riences qui relvent largementdelavieprivemaisdonttoutindivi-dusaitaussile tabouqui pse surleur runion. Boire ou conduire,il faut choisir dit, en France, leslogan publicitaire qui captureavec le plus dautorit lordresymbolique que Joseph Gusfieldsattachaitdjanalyserdansunlivre classiquepubli pour la pre-mirefoisauxEtats-Unisen1981.

    Le sociologue manie mer-veille lironie, cet art de poser lesquestions lenvers, de voirltrangedansleplustrivial,com-me si le monde tel que nous leconnaissons ntait quune hypo-thse parmi dautres. Pourquoi,se demande-t-il dans les premi-res pages du livre, la conduitedune automobile sous linfluencedelalcoolest-elleaprstoutunpro-blme public ? Longtemps, eneffet, la consommation dalcoolfut tolre dans les lieux publicsouautravail.Bienplus,nefut-ellepasencouragejusquaudbutdu

    XXe sicle et, dans nombre desituationsdlictuelles,considre

    comme une circonstance att-nuante ? Cest que les faits delalcool ,selonlabelleexpressionde Gusfield, navaient pas encoret arrachs unemasse de don-nes, nettoys, polis, vernis, retou-chs ici et l, et offerts comme desdcouvertesdanslecontextedespr-occupations pratiques et concrtesdeleurs dcouvreurs .

    En tmoigne ltat de confu-sion qui pouvait encore rgnerdans la tte de Glenn Townsend,ce jeune conducteur qui, le8 novembre 1919, percuta unarbre sur Lovers Lane Kalama-zoo, dans le Michigan. Alors quesa passagre, blesse par une ailede la voiture emboutie, devaitdcder lhpital, Townsendsensortitindemne. Aprslacci-dent,ilrampahorsdelavoiture,sor-titunebouteilledontilbutquelques

    gorges et en proposa aux specta-teurs. Il tait tellement saoul quilnese rendaitmmepas comptede cequitaitarrivsonvhiculeet sacompagne. Plus tonnant enco-re, lavocat du jeune homme neniapasledlitdeconduiteentatdivresse, mais il plaida que rienne permettait dtablir un lienentrecettatetledcsdelajeunefemme.

    Ltatdelaroute,celuidelaglis-sire de scurit ou un dfaut deconception de la voiture elle-mme ne pouvaient-ils pas aussiavoir eu leur part dans ce dcs ?Sans doute, suggre son tour lesociologueconstructiviste,mais

    lpoque, lautorit de tels argu-mentsne pouvait djplus rivali-

    ser avec celle du mythe queconstruisaient au mme momentla science et le droit : celui du conducteur incomptent . Le

    juge ne sen laissa dailleurs pasconter : il fit condamner Town-send aprs lavoir mis au ban delhumanit ordinaire, le dsi-gnant mme comme le symbolede livrogne-tueur.

    Dans son tude, Joseph Gus-field dconstruit magistralementles arguments scientifiques (cest--direpour luirhtoriques)quipermirentdslesannes1920

    au Conseil de scurit nationale,uneorganisationprivequicollec-

    tait les informations sur les acci-dents de toutes sortes aux Etats-Unis, de semparer du probl-me de lalcool au volant. Ceconseil concentra son attentionsur les performances individuel-les des automobilistes plus quesur celles des automobiles ou surltatdurseauroutieretdesservi-ces de secours. Une faon de res-ponsabiliser le conducteur quiconfortait videmment aussi lesintrts des constructeurs auto-mobiles,commedevaitlemontrerRalph Nader dans les annes

    1960. De fait, toutes les donnespubliessurlesaccidentsdelarou-

    te mentionnrent rapidement lesexe du conducteur, son ge, sontaux dalcoolmie, mais pas lgedesonvhiculeousontatdentre-tien, la proximit dun poste desecours, etc.

    Charge rhtoriqueGusfield soumet la mme

    grilledanalyselecodedelaroute,ainsi que tout lappareil du droiten action : le processusdarresta-tion envisag comme un ritedgradant pour le conducteur

    buveur,ladramaturgieduprocs,lejeudesmtaphoresdanslapro-cdure, etc. sont finement diss-qus. Il montre ainsi comment laconduite en tat divresse, sousleffet de cette charge rhtorique,devint petit petit impensableautant que condamnable, et leconducteur buveurun boucmis-

    saire dun ordre social la foissobre et vertueux : La structuremtaphorique du raisonnementjuridique secharge eneffet dimpli-cations sociales et politiques tra-verslamaniredontlaresponsabili-testimpute.()Lecodedelarou-te nest rien dautre que lincarna-tion de telles mtaphores , crit lesociologue.

    Joseph Gusfield, qui fut formdanslesannes1950luniversitdeChicago,aretenudecethrita-ge deux leons magistralementexposesdanscelivre.Ilnyapas,dit la premire, dobjets moinsdignes dattention que dautresdans le monde social. La folie, la

    pauvret, la sexualit et biendautres problmessociaux ont

    connu des dfinitions variablesdansletemps.Pourquoinenirait-il pas de mme de livresse au

    volant ? Ce drame social estaussi un problme dont sempa-rentdes groupes concurrents, quiont tous lambition den devenir propritaires afin dorienter

    jusqu sa dfinition, et ainsi detransformerunensembledeposi-tions morales en faits indiscuta-

    bles, produisant lillusion (...) dela clart, dela certitudeetde lauto-rit .

    Notre existence, dit la secondeleon, possde une dimensionsymbolique qui autorise enapprhender les problmes com-me des textes. Joseph Gusfield cestla granderichesse dece livreetpeut-treaussisalimitesatta-che plus aux discours traitant delalcool au volant quaux acteurs

    quilesportent. Dcrirelastructu-redes problmespublics,cest dcri-relamanireordonnedanslaquel-le des activits, des catgories et desarguments mergent dans larnepublique , note-t-il dans uneconclusion qui pourrait sans malsappliquer, aujourdhui commehier, dautres sujets dinquitu-desociale.a

    GillesBastinSignalonspourlecas franais,avecunepers-

    pectivehistoriquepluslargemettanten vi-

    dencelepoidsdu corpsmdicaldansla ges-

    tionde lalcoolismecommedvianceindivi-

    duelle,la thsercentedeBertrandDargelos

    (LaLutteantialcooliqueenFrancedepuisleXIXe sicle,Dalloz,2008,390p., 45).

    Le livre magistral du sociologueJoseph Gusfield sur la mtamorphosedu conducteur buveur enivrogne tueur et sur la constructiondes problmes publics

    / e s s a i s

    Conseils un jeune artiste sur lart noble et libre de la peintureLe trait compos en 1604 par un peintre flamand sous la forme dun long pome

    Lautomobile estentantquetelleunemachineprendredesris-ques,tantdonn lesconditionsactuellesde safabricationet ltatdesroutespubliques (). Laconduiteparfaiteest unstandard

    valablepour lesanges,sur quelqueautoroute du paradis. Lecitoyennormal,le conducteurmoyen,lhommeprudentetraisonnablesexpose chaquejour desrisques,dsquilsassiedsonvolantetprenddes dcisionsrapidesface la circulationen sensinverse.Lerisqueestmesuretlactionaccom-

    plie.Lecodedelarouteesttrans-gresschaqueminute,quelquesfoisvolontairement,dautresfoisnon.Nilesjuges,nilespoliciers,nilesconducteursne voientdansla

    vitessequelquechosedanormal.Lechangementde voie nestpasunacteodieux,pasplusqueledemi-tourinterdituncrime.Cesinfractionsnont paspour rsultatlarrestationetlagardevue.Quoi-queleur relationaux risques decol-lisionsoitbien connue, cesinfrac-tionsne sevoient pourtant accor-derquunstatutmineur.Ceuxquilesperptrentnencourentaucunedescondamnationsmorales quesattirelaconduitesouslinfluencede lalcool().Lapositionlgalede laconduitesous linfluencedelalcoolse situequelquepart dansla zoneambiguentre loffensemoraleet ledlitpnal.

    Des

    rebondissements,

    des quiproquos,

    des coups fourrsdignes dun polar.

    Jean-Maurice de Montremy,

    Livres Hebdo

    SVERINMILLET

    La Culture des problmespublics.Lalcoolau volant :

    la productiondun ordresymboliquede Joseph Gusfield

    Traduit de langlais(Etats-Unis)parDanielCefa,Economica,

    Etudessociologiques ,354 p.,29 .

    Principeet fondementde lartnobleet librede lapeinturedeKarelVanMander

    Traduction,prfaceetnotes deJan WillemNoldus,Les BellesLettres,282 p.,23 .

    Extrait La Culture des problmes

    publics , pages 147-149

    Diabolisation

    de livresseau volant

  • 8/14/2019 Le Monde Des Livres 27 Fvrier 2009

    7/8

    0 123>Vendredi 27 fvrier 2009 7

    2 marsPaoloGiordano.AParis,pourlasortiedesonromanLaSolitudedesnombres premiers (Seuil),PaoloGiordano, le plusjeune lauratduprixStrega, sentretiendraavec le

    journalisteFabio Gambaro,autourde sa vocation littraire,desonparcoursetdesesprojets.A19 heures.Institutculturelitalien,73,ruedeGrenelle,75007.Entrelibresur rservation: 01-44-39-49-39.

    5 marsShoah.AParis,loccasiondelapublicationdeCarteaNeagra.LeLivrenoirde la destructiondes juifsdeRoumanie.1940-1944,deMata-tiasCarp(Denol),undbatruni-raAlexandraLaignel-Lavastine,IsacChiva,LubaJurgenson,Annet-teWieviorkaet LilianaCarp-Ophir,filledelauteur.

    A19 h 30.Musedartet dhistoiredu judasme,71, ruedu Temple,75003.Rservation :01-53-01-86-48.

    Retrouvez Le Monde des livres ,lmission prsente chaque semainesur LCI par Florence Noiville. Invitde la semaine : Alain MabanckoupourBlackBazar(Seuil).Diffusion :jeu-di 26 fvrier 13 h 40. Rediffusions :

    vendredi 27 15 heures, samedi 28 16 h 30 et dimanche 1er mars 13 h 10.

    AussiaccessiblesurLemonde.fretLci.fr

    En1934,LucienneBoyerrou-couleParlez-moidamour.En 1968, Juliette Grcosusurre Dshabillez-moi.

    Mais comment sexpriment lesvocalises du sentiment, les rimesdu dsir, lharmonie ou la disso-nance du plaisir dans la sphredomestique, les rves des jeunesgens, les chambres coucher ?Saccordent-ils ?

    AuXXe sicle,lamourdesFran-ais se conjugue dabord au plu-riel.Danslesgenres,lespratiques,sinon le langage. Raison pourlaquellelessaiquepublieluniver-sitaire Anne-Claire Rebreyend,

    versionabrgedesathsededoc-

    torat,sintituleIntimits amoureu-ses. Dune plume alerte, lauteurbrosse un panorama dtaill desvariations du sentiment amou-reuxet dela conjugalit,de mmequun demi-sicle de strotypes,deconduiteshtroethomosexuel-lesau regard desmentalitset desnormessociopolitiques.Mais der-rire ce pluriel se cache videm-ment du singulier, dont les chosse retrouvent dans les rcits per-sonnels ; ce qui est tu par honte,ignorance ou pudeur, ce qui estdvoilpeupeu.

    Par lintervalle retenu, 1920-1975,cetouvrageprendlerelaisduquatrime volume de LHistoire dela vie prive. De la Rvolution laGrandeGuerre, dirige parMichel-lePerrot(Seuil,1999).Priodecru-ciale qui voit lmancipation de lafemme, la visibilit grandissante

    des minorits sexuelles et lavne-mentdunesexualitdistinctedelarhtorique chrtienne, des ouvra-ges dducation sexuelle et desromans sentimentaux qui ontconditionn les mois du cur etdu corps. Linterdiction des mai-sons de tolrance (1946), lirrup-tion de la sexologie, linfluence du Deuxime Sexe (1949), les loisconcernantladultre,ledivorce,lacontraception, lavortement, lgede la majorit sexuelle, tout celarejaillit dans les foyers, ou dumoinsdanslesaspirationsdesindi-

    vidus.Le parcours libertinde Nar-cisse, celui dHenri-Jacques, lesconfidencesde Marie etBab, mille

    anecdotes vocatrices de craintesou de frissons, ces extraits o le

    mythedelamoursefrotteauquoti-dien insatisfaisant clairent deneuf et de nuances cette partitionconnueensesgrandeslignes.Ilyadans leurs rcits des constats dedtresse,desdboirescocasses,desobservationsattristes ou joyeusessurle manquede libert, la qualitdesbaisers,leflirt,laviedefamille.

    Lhistoirede Deniseet SergeIl en vaainsi avec les historiens

    du sensible dont des livres-gigo-gnes enchssent des rcits de vie.Celui,parexemple,delabellehistoi-revcuepar Denise, ouvrire pari-sienne et Serge, chef de servicedans unefonderie. Tous deux lont

    consignedansleurcorrespondan-ce qui court sur cinquante ans.

    Leur premire rencontre aux allu-resdecoupdefoudrealieuen1941.Leurs sentiments naissants sontentachs de culpabilit.Serge sestfianc par dvouement avec uneamietuberculeuse.Etnentendpasrompre son serment. Denise estmarieunvoisindsormaiscaptifdes Allemands. Or Vichy durcit lalgislation sur ladultre des fem-mes de prisonniers. Cependant,lamoureuse se rsout renverserlordre tabli et partir, munie demots simples oufaussement ing-nus, laconqutede Serge,vierge,et homme de devoir. Leur relationpistolaire affermit leurs liens petites touches, de laveu de leur

    passion rciproque celui de leurdsir mutuel. Ecrits timides, puisplusdutout.En1952,chacunayantdivorc,ilsseremarient.

    Demmequelesfilmsdelentre-deux-guerres mettaient horschampltreintesensuelle,luisubs-tituantlimagedufeudechemine,les 247 textes collects par lAsso-ciation pour lautobiographie etle patrimoine autobiographique(APA)que lhistoriennea compul-ss, et les lettres conserves dans

    lesfondsBeauvoiretMnieGrgoi-re tmoignent des interdits pesantsur la parole, y compris dans descritsnondestinslapublication.Certes,dsledbutduXX e sicle,lemariage damour est la norme,maislentredanslasexualitdiff-re.La majoritdesfemmes conser-

    vent leur virginit jusquaumaria-getandisqueleshommessinitientlasexualitauprsdeprostitues.Ledoublestandardentrefillesfaci-lesetfillessrieusesauralaviedureauXXe sicle.Danslesannes1930cestlalamconnaissancequidomi-ne. DansLe PetitLarousse, aucunmotnerenvoielactesexuelhumainavantla fin des annes1970 , rap-pelleAnne-ClaireRebreyend.

    Avec la sparation des couples

    lieauxguerres,lafrustrationaffec-tive et physique pousse dire lemanque. La guerre donne locca-sion aux poux de vrifier la profon-deurde lamourconstruitet, surtout,dexprimerce sentiment.Les circons-tancesexceptionnellesles conduisentaussi effleurer le sujet tabou de lasexualit conjugale. Un rappro-chement sopre entre amour etdsir, y compris chez les hommesaspirantdavantageunplaisirpar-tag. Le couple conjugal srotise.Slogan de 1968 : Plus je faislamour, plus je fais la rvolution. Rvolu ce corps comme objet dehonte.a

    MachaSry

    Bruno Delorme part dunconstat et pose une ques-tion : le message dun obs-

    cur prdicateur juif des annes30de notre re constitue le fonde-ment dune religion universelle.Comment cela a-t-il t possible ?Les croyants ou les thologiensrpondront simplement parcequectait la vrit,maisla rponsenesatisfera videmment pas lhisto-rien, croyantou non.Car sil suffi-sait de dire vrai pour tre entendudela Terreentire

    Bruno Delorme dfend avecconviction et pertinence la thseque les textes fondateurs du chris-tianisme,EvangilesetActesdesAp-tres, labors une gnrationaprslamortdeJsusdeNazareth,nem-pruntent peuprs rien la tradi-tionjuiveetaramenne,maisbeau-coup lhellnisme : sa languedabord, ses mthodes dexpres-sionensuite.Pour BrunoDelorme, aucuneproductionlittrairejuda-que na puleurservir desourcenidemodle et, mme sil peuty avoir

    un substrat aramen rduit destraditions orales, cela nexpliquepas llaboration d un ensembledcrits complets parfaitement rdi-gsengrec .

    Il faut donc recourir dautreshypothses, plus riches de sens.Delorme relve que lAntiquit nacessdimitercequistaitfaitaupa-ravant,quitteenmodifierinsensi-

    blementcertainsaspectsmaissansjamais sen vanter ; car linnova-tion nest jamais valorise, et toutlartconsistedansla mimsis, limi-tation. Daniel Marguerat a montrnagure tout ce que Luc, dans lesActes des Aptres, devait la tradi-tion historiquegrecque.Il enva de

    mme pour lesEvangiles,quisla-borentsurunarrire-plandetrag-die grecque, de dialogues platoni-ciens,detraitsaristotliciensetderomanshellnistiques.Ilsapparais-sent alors comme des composi-tions tragico-romanesques ou desromans tragiques, mais avec cettecaractristique nouvelle et singulire,comparativementauxtragdiesanti-ques, de comporter un dnouementheureux ,larsurrection.

    Onanotdepuislongtempscer-tainsempruntsauxgrandsauteursde lAntiquit (LOdysse nest pastrangre aux errances de Paul enMditerrane, le procsde Socrate

    setrouve larrire-plande laPas-sion).Rompusauxtechniquesdelarhtorique grecque, maniant avec

    bonheur le sens du tragique et duthtre, brossant un portrait de

    Jsus en hros mlancolique ausensantiquecequiressortdesonrecoursconstant la mtaphoreet la parabole , les vanglistestransforment le prdicateur gali-len en un Christ lafois si par-fait et si humain quil conduit unesortede prisedotageaffective()quiprendaudpourvutoutaudi-teur ou tout lecteur, le gagne peu peu sa cause et en fait un croyantpresque malgrlui .

    Accder luniversel Conformment aux rgles l-mentaires de la rhtorique grec-que, limportant dans les Evangi-les nest pas la ralit historiquedesfaits,mais leurvraisemblanceet leur agencement de manire susciter la foi. On comprend ducoup que lhistoricit de Jsus queDelormeneremetpasencau-se importe peu en dfinitive: lafigure du Christ domine de trsloincellede Jsus deNazareth ; sicelui-ci appartient lhistoire, cenestpascettevrit-lquiempor-te la conviction du croyant, mais

    bienlafigureduChrist,construite

    aveclemaximumdevraisemblan-ce.Orcelle-ci nauraitjamaispu seulement merger du terreaujuden et palestinien sans le formi-dablelevierdelarhtoriquegrecquequi,parsongniedelamiseenscnetragique et la puissance de persua-sion quelle recle, a permis celui-cidaccder luniversel quiesttou-jours lesien .

    La dmonstration de BrunoDelorme,rondementmene,dansune langue dune clart exem-plaire, a legrandmritede nepasisolerlesauteursdespremierstex-tes chrtiens du monde o ils

    vivent,et dontils sontncessaire-ment solidaires des cadres intel-

    lectuels, philosophiques, artisti-quesetpolitiques.Commentigno-rerquelecultedessouverains,quise dveloppe alors sous la formedu culte imprial, est le modlemme de la transformation dunmortel en tredivin ?

    Alorsquilestdebontondanslathologiecontemporainedinsistersur les origines juives et le milieuaramen de Jsus ce qui est unevidence , on a trop tendance ngliger la dimension proprementgrecquede llaborationde lafigu-re du Christ, la seule qui expliquesonrayonnementuniversel.a

    MauriceSartre

    0123 des LivresSur LCI

    e s s a i s /

    apart

    Fte de la posieLa11e dition du Printemps despotes , dontle parrain estcetteannele comdien DenisPodaly-ds, se tiendra du 2 au 15 mars,avec des centaines de manifesta-tions partout en France. Pour lasaison 2009, le pote Jean Tar-dieu(1903-1995)seramislhon-neur ainsi que la posie trang-re, avec la tourne en France deplusieurs potes libanais (AbbasBeydoun et Iskandar Habache),catalans (Narcis Comadira et

    Alex Susanna) et chinois (LiuHongbin).Rens. :www.printempsdespoetes.com

    Prix CvennesLe 3 e prix Cvennes du meilleurroman europen, dot de 20 000euros,sera remis,avec le concoursdu Mondedes livres ,le 13 juinAls(Gard).Leslibrairesindpen-dants,runis sousla houlette de lalibrairie Sauramps, ont tabli unepremire slection de dix titresissusdeneufpayseuropens :Alle-magne,LeSoldat etle gramophone,

    de Sasa Stanisic (Stock) ; Dane-mark, Tte de Chien, de MortenRamsland (Gallimard) ; Espagne, LEclat dans labme, de ManuelRivas(Gallimard) ; France,Courir,de Jean Echenoz (Minuit) et Uneducationlibertine, de Jean-Baptis-te Del Amo (Gallimard) ; Grande-Bretagne, Quelquechosetedire ,deHanif Kureishi (Bourgois) ; Italie,Chaos Calme, de Sandro Veronesi(Grasset) ; Portugal,Jrusalem, deGonalo M. Tavares (VivianeHamy) ; Russie, Eloge des voyagesinsenss,deVassiliGolovanov(Ver-dier) ; Suisse, Melnitz, de CharlesLewinsky (Grasset).Le jury est compos des critiques,auteurs et traducteurs MargotDijkgraaf,RendeCeccatty,Pierre-

    YvesPetillon,Takis Theodoropou-losetAlbertoManguel.

    RcompensesPrix Louis Guilloux, dot de20 000 euros : BernardChambaz,Yankee (Panama) ; Prix SNCFdupolar franais : Karine Giebel, Les Morsures de lombre (FleuveNoir) ;Prix SNCFdu polareuro-pen : Nick Stone , Tonton Clari-nette ( Srie Noire Gallimard).

    LE PREDUCHESNE,cestuntypecommevousetmoi.Unsans-culottesanshistoires,un citoyencommetoutlemonde.Unquidam,quoi.CepersonnageimaginaireestnauXVIIIesicle,aumilieudesbateleursetdespoissardes,danslesbaraquesdefoiredesfau-

    bourgsdeParis.Alafaveurdesbouleversements rvolutionnai-res,ses aventuresont treprisesauthtre,puisdansdesjournaux.Lundentreeuxfutportparunplumitifdetalent,Jacques-Ren

    Hbert(1757-1794),ancienemployduThtredesVaritsdevenuundesleadersdelasectiondesCordeliers.SonPreDuchesnesimposacommelejournalderf-rencede tousles sans-culottes.

    Outrancier,violent,ordurier,ilavaittoutpourplaire.Etcommeonditdenosjours,lauteurassu-mait. Sijavais voulutrancherunbelesprit,je menseraisaussi bientirquunautre.Moi aussi,je sais parlerlatin ; maisma languenatu-relleest cellede la sans-culotterie ;jaimemieuxtredes pauvresbou-gres()quedeprendrele tondenosjournalistes freluquets qui,pourplai-re auxpetitesmatresses etaux pr-tendus honntesgens,nosentnom-merleschosespar leurnom.Il fautjureravec ceuxqui jurent,foutre !

    CommelaTerreuramaltourn,depuisdeuxsicles,LePre

    Duchesne a pluttmauvaisepres-se.Pourtant,MichelBiard, direc-teurdelarevuedesAnnales histori-quesde la Rvolutionfranaise, aentreprisde luirendre honneur,dunemanireassezinattendue. Ilaexhum,danslesquelque400numrosdujournaldHbert,lesmotset expressionstypiquesdu parlersans-culotte,etenaretra-cle sens,et lorigine.Lersultatestundictionnaireinattendu,lafoishilarantetrudit.

    Endeuxsicles,toutnapaschang:onmettoujours desbtonsdansles roues pourentra-

    verune affaire, les enfonceursdeportesouvertes nesontpasmoinsnombreux(etneprennentpasplusderisques),et la cinquimerouedu carrosse continuetresymboledinutilit( endpitde ladisparitiondes carrosses,et surtout

    malgrlapparitiondune trsutilerouede secours ).On continuemme deviser entrela poireet lefromage ,alorsquelefromage,denosjours,semangeavantlapoire.

    Certainesexpressions,enrevan-che,onttaltres:onsemetsursontrente-et-un,alors quily adeuxsicles,il suffisaitde semet-tresurson dix-huit .Dautrestermes,enfin,ontchangde sens :sousla Rvolution,cest coupsdepieds et coupsde poings quon pelotait .Depuis,lesmurssesontconsidrablementadoucies.

    Hberttaitvucommelechefdupartides Exagrs . Et,defait,ilexagrait.Passeencorequilmoqueles blondins etlespetitsmarquisla languesucre,vitu-prel aristacrasserie ouranimelesouvenirdu Porte-coton de

    Versailles,cenobleenviquireve-naitla lourderesponsabilitdeslatrines.Maispeut-trenaurait-ilpasddonnerdu Charlot Charles-HenriSanson,le bour-reau.Contrairement beaucoupdesvictimesdHbert,lhonntehommeeutloccasiondeseven-ger.Cestluiquieutlhonneurdelemenerau Rasoirnational , le4germinalanII,etdelui couperle sifflet .a

    JrmeGautheretParlez-voussans-culotte ?

    Dictionnairedu PreDuchesne,

    1790-1794, deMichelBiard.Tallandier,578p., 25.

    LeChrist grecDela tragdie auxvangilesdeBruno Delorme

    Bayard,192 p.,20 .

    Histoire des amoursAnne-Claire Rebreyend explore la lente rotisationdu couple conjugal au cours du XXe sicle

    Intimits amoureusesFrance 1920-1975dAnne-ClaireRebreyend

    Pressesuniversitaires du Mirail, Letempsdugenre , 340p.,31.

    Le sans-culottesans peine

    La dimension grecque du christianismeBruno Delorme pointe avec brio linfluence de lhellnisme sur les vangiles

    emmanuelpierrot/ vu(extraitde lasrie personnageset situations)

  • 8/14/2019 Le Monde Des Livres 27 Fvrier 2009

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    8 0123Vendredi 27 fvrier 2009

    Nul ne sort de Suresnes, quisouvent ny revienne. Tuparles Tout change,

    mmeen banlieueOuestde Paris.Odette et Martial Sudre ont bientforcs denconvenir,loptimis-tedevisedeleurcommunene vautdsormais plus tripette. Plus rienneressemble cequece coupledecadresretraitsen a connu.

    En moins de temps quil nenfautpourvieillir, leurpaisibleter-ritoire stait mtamorphos en unesortede jardindenfantshystriques

    oils navaient plusleurplace .Ilsont donc fui avec auto et bagages.

    Versle sud,le cielbleudazuret latranquillit. Mieux encore : ils ontsuccomb au charme rassurantdune rsidence clture etscuri-se avec gardien-rgisseur. Ungenrede villagevacances lannepour seniors angoisss avec club-house,animationsetpiscinechauf-feau solaire. Seulement lorsquilsemmnagentcest encorelhiver,ilpleutet ilssontlespremiers.Illeurfaudra attendre le dbut du prin-

    temps pour voir arriver un autrecouple.LesNode(Maximeet Mar-lne) ont abandonn Orlans etleur quartier rsidentiel devenula proiefavoritedes racailles() quiencerclaientla ville .

    Le dcor est plant. Ajoutez legardien, M. Flesh, un demeurtaciturne, crabouilleur de chats.La, une troisime rsidente, passivieilleet jolie, maisdont lespritsgare.Nadine, enfin,genreder-gothrapeuteprfrant la fumetteet le space cakeaux activitsludi-

    ques avec les personnes ges.Chacun stant mis librement enenfer se convainc dy rester. Jus-quaubout.

    PascalGarnierfaitbouillirdanscevaseclosunetrssourdeangois-se. Cest drle et terrifiant tant onressentlafragilitderrirelescari-catures. Cesttendre rebrousse-poil. Frissonnant. Mchant dhu-manit.a

    X.H.

    Lunecaptivedansun ilmort,

    dePascalGarnier.Zulma,158 p.,16,50 .

    Le15fvrierestparuelader-nireditiondu supplmentlittrairedu Washington

    Post, lundesdeux plusgrandsquo-tidiens outre-Atlantique.Ce cl-

    bresupplment,intitul BookWorld et dontplusieurscriti-quesavaient reu leprixPulitzerfiguraitjusquici lintrieurdu

    journal,maisse vendait galementcommeentitspare.Depuisle22 fvrier, sesarticlesparaissentdansdeux rubriquesconsacres

    dautressujets: Outlook ,pagede dbatset commentaires, et Style &Arts ,unesectioncom-prenant l entertainment soustoutesses formes.CestdsormaissurInternetque la rubriquelitt-rairecontinueradtrepubliesparment, lexceptionde quel-quesnumrosspciaux: leslectu-resdtet leslivrespour enfants.

    Laraisondecetarrtde mort ?Lemanquedepublicit. Elle, vi-demment. Elle nejustifiaitpluslespaceconsacrchaquesemainedansBook World la couverturedeslivres , aannoncla semainedernire MarcusBrauchli,lun des

    rdacteursen