Le Monde Du Vendredi 29 Avril 2016

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  • 8/17/2019 Le Monde Du Vendredi 29 Avril 2016

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     VENDREDI 29 AVRIL 201672E  ANNÉE – NO 22173

    2,40 €  – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR ―

    FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

     Algérie200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA,  Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €,  Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA,  Slovénie 2,70 €,  Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF,  Tunisie 2,80 DT,  Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA

    LE REGARD DE PLANTU

    TERRORISME

    LE DILEMMEDES AVOCATS▶ Frank Berton défendraSalah Abdeslam,qui vient d’être transféréen France. Portraitd’un professionnel rompu

    aux dossiers médiatiques▶ Des pénalistes expliquentla difficulté et la nécessitéd’assister des djihadistes

    FRANCE – L I R E PAGES 8- 9

    Enquête

    La vie des citésdans la prisonde VillepinteL I R E PAGES 14- 15

    ClimatMoins de forêts,plus de verdureL I R E PAGE 6

    Arts Un écrin parisien pour la Fondation Pinault

    L’homme d’affaires Fran-çois Pinault et la maire deParis, Anne Hidalgo, ont

    annoncé, mercredi 27 avril,l’ouverture, à la fin 2018, d’unmusée dans les locaux de l’an-cienne Bourse de commerce, à

    Paris. Dans ce bâtiment circulairesera abritée, sur 4 000 m2, unepartie de l’importante collectiond’œuvres d’art que le milliardairea montée. Dans un entretien au Monde, François Pinault expliqueson choix et son ambition. « Un

    musée ne peut être un lieu où l’onse contente de montrer. C’est aussiun lieu pour faire avancer les cho-ses. » Il espère ainsi aider les artis-tes contemporains dans leurcréation.

    L I R E PAGES 16- 17

    SALMAN D’ARABIE,ENTRE AUDACE

    ET MIRAGE→LIRE P AGE 23

    1 É D I T O R I A L

    Dette : les dirigeants européensaccroissent la pression sur la Grèce▶ Les responsables de l’UEet le Fonds monétaireinternational ont durci lesconditions d’une nouvelletranche de prêt à Athènes

    ▶ Des économies supplé-mentaires et de nouvellesréformes sont exigées dupays. L’Allemagne pousseen ce sens

    ▶ Mis en difficulté parl’aile gauche de son parti,Syriza, le gouvernementTsipras se refuse à d’autresconcessions

    ▶ La situation de blocagelaisse craindre, commeen 2015, une crise finan-cière dans la zone euroÉCONOMIE  – LIRE PAGE 11

    Frank Berton,en février 2015.

    JOËL SAGET/AFP

    La troisième sessiondes pourparlers entrele régime Assad et l’oppo-sition s’est achevée,mercredi 27 avril, sansaucune avancée. Sur le ter-rain, le cessez-le-feu estillusoire et les bombarde-ments se poursuiventLIRE PAGE 2

    SyrieLes négociationsde Genèvedans l’impasse

    Après dix heures dediscussions, les partenai-res sociaux du spectaclesont parvenus à s’enten-dre sur un régime d’assu-rance-chômage propreà cette brancheL I R E PAGE 17

    SocialUn accord pourles intermittents

    Les députés ont adoptéune loi limitant les droitsdes réfugiés et renforçantles frontières avec l’ItalieLIRE PAGE 5

    RéfugiésL’Autriche voteun « étatd’urgence »migratoire

    PolitiqueNicolas Sarkozyen précampagneL I R E PAGE 7

    Info& tickets : www.kunstenfestivaldesarts.be

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    Jusqu’ici, le seul résultat tan-gible des négociations inter-syriennes de Genève est leursurvie. Mais elles sont à boutde souffle. La troisième ses-

    sion de ces pourparlers indirectssous l’égide des Nations unies en-tre le régime de Bachar Al-Assad etl’opposition s’est achevée mer-credi 27 avril sans aucune réelleavancée alors que l’intensificationdes offensives des forces du ré-gime aidées par les Russes, notam-ment autour d’Alep, risque de leur

    donner le coup de grâce. « Com-ment peut-on avoir des discussionsde qualité si l’on n’entend parler quede bombardement et de pilonna- ges ? », a mis en garde mercredidans la nuit le médiateur de l’ONU,Staffan de Mistura, après avoir faitle point par vidéoconférence avecle Conseil de sécurité à New York.

    Le diplomate italo-suédois ap-pelle donc les présidents russe et

    américain, Vladimir Poutine etBarack Obama, à sauver le cessez-le-feu mis en place fin février alorsqu’il y a désormais « un mort sy-rien toutes les vingt-cinq minutesces dernières quarante-huit heu-res ». Cette situation avait incité ladélégation du Haut Comité des né-gociations (HCN) – représentantl’opposition démocratique et lesgroupes armés soutenus par lesOccidentaux, l’Arabie saoudite, leQatar et la Turquie – à quitter, le21 avril, les discussions officielles.

    Fort de ses « quarante-cinq anset sept mois d’expérience dansla diplomatie internationale », Staffan de Mistura n’en est pasmoins décidé à aller de l’avant. « Les parties syriennes ont toutesaccepté la nécessité d’une transi-tion politique », a-t-il insisté, espé-rant pouvoir tenir deux nou-veaux rounds de discussions d’icià l’été, même si aucune date n’a

    encore été fixée. A l’inverse, lesadversaires du régime sont deplus en plus sceptiques. « Ces né- gociations n’ont pas de vie propre. Elles dépendent de ce qui se passesur le terrain et plus encore du le-vier russe et américain »,  recon-naît Bassma Kodmani, une des fi-gures du HCN, rappelant que l’op-position ne reviendrait officielle-ment dans les négociations que« s’il y a une réelle amélioration dela situation humanitaire et un re-tour à la cessation des hostilités en

    vigueur depuis le 27 février ».

    « Posture de l’arbitre »

    Dans cet affrontement, Moscoudétient les cartes maîtresses. En in-vitant Bachar Al-Assad à Moscou àl’automne, il avait lancé ce proces-sus auquel se sont rapidement as-sociés les Américains et qui aabouti à une résolution du Conseilde sécurité en décembre, la 2254,

    fixant le cadre de négociationscensées permettre une transitionpolitique et l’instauration « d’une gouvernance crédible inclusive etnon sectaire » préparant sous dix-huit mois des élections généralesavec un contrôle international.

    « Acteur majeur et partie pre-nante au conflit par son soutienactif au régime dans ses opéra-tions contre l’opposition, la Russiea néanmoins réussi à prendre la posture de l’arbitre »,  relèveCamille Grand, directeur de la

    Fondation pour la recherche stra-tégique (FRS), rappelant que dansce conflit, « ses priorités sont à l’op- posé de celles de la France ou des Etats-Unis, visant d’abord à sauver le régime et à affirmer son nou-veau rôle régional, alors que lalutte contre l’organisation Etat is-lamique [EI] arrive en dernier ».

    Amorcées début février, les né-gociations avaient aussitôt été

    suspendues sur décision du mé-diateur de l’ONU à cause de lavaste offensive sur Alep lancée parle régime avec le soutien russe. El-les n’ont réellement démarréqu’après l’instauration de la trêve,le 27 février. Elles sont aujourd’huià nouveau en péril. Staffan deMistura mise sur une initiative duGroupe international de soutien àla Syrie (GISS) incluant 17 paysainsi que l’ONU, l’UE, la Liguearabe et qui est parrainé par laRussie et les Etats-Unis. Le destindes négociations dépend en pre-mier lieu de Moscou, qui peut im-poser au régime d’arrêter ses of-fensives, mais aussi de la détermi-nation de l’administration améri-caine face au Kremlin.

    « Enfant gâté et capricieux »

    « L’intensification des opérati ons

    vise à augmenter la pression sur la partie la plus vulnérable, c’est-à-dire l’opposition, soit en l’obligeant à accepter de plus en plus de con-cessions au risque de se décrédibili-ser, soit à quitter les négociationset être accusée de leur échec », noteZiad Majed, universitaire et poli-tologue libanais. Cette situationmet à l’épreuve la cohésion duHCN, qui regroupe à la fois des or-ganisations politiques – celles quisont notamment dans la Coali-tion nationale syrienne –, maisaussi la plupart des forces com-battantes sur le terrain en dehorsdes djihadistes de l’EI ou liés à

    Des blessésaprès les frappesaériennesqui ont atteintle quartierFerdous, à Alep,contrôlé parles rebelles,mardi 26 avril.AMEER ALHALBI/AFP

    « Ces négociations

    dépendent

    de ce qui se passe

    sur le terrain

    et du levier russe

    et américain »

    BASSMA KODMANI

    Haut Comité des négociations

    Al-Qaida. C’est ce qui fonde sa légi-timité et sa présence aux négocia-tions face au régime.

    La session commencée le 13 avrils’est concentrée sur la questiondéfinie comme « cruciale » par lemédiateur, celle « de la transition politique, de la gouvernance et des principes constitutionnels ».  LeHCN exige le départ de BacharAl-Assad et que l’autorité de tran-sition soit dotée des pleins pou-voirs exécutifs. Le régimeconcède tout au plus l’entrée de

    quelques opposants triés sur levolet dans un gouvernementd’union nationale. Rien n’a réelle-ment bougé. Mais les discussionsont continué, y compris de façon« informelle », avec le HCN, dont laplupart des représentants et soncoordinateur, Riyad Hijab, sontrestés sur place, même après l’an-nonce de leur départ. Les risquesde la politique de la chaise videsont en effet évidents.

    Les Russes, par la voix de leurministre des affaires étrangères,Sergueï Lavrov, accusent le HCNd’être « un enfant gâté et capri-cieux encouragé par ses protec-teurs étrangers ». Et, surtout, ilrappelle que le HCN n’est pas « leseul groupe d’opposition sy-rienne ». Les représentants dugroupe dit « de Moscou etdu Caire » ou de Hmeihem – la

    base aérienne russe près de Latta-quié, en Syrie – sont présents àGenève depuis le début des pour-parlers et « consultés ». Sans réellereprésentativité, ces anciens res-ponsables du système baasiste oumembres d’organisations de lasociété civile tolérées par le ré-gime sont prêts à jouer les utilitésaux côtés du dictateur. Ils n’enprétendent déjà pas moins êtreinclus dans la délégation de l’op-position, une hypothèse rejetéepar le HCN et les pays qui le sou-tiennent. Mais, aujourd’hui, il estplus affaibli et divisé que jamais.p

    marc semo

    peu après s’être exprimé,  mercredi27 avril, devant le Conseil de sécurité desNations unies, Staffan de Mistura, envoyéspécial pour la Syrie, a plaidé pour quel’aide humanitaire parvienne aux zonesassiégées, et notamment à Daraya. Danscette localité proche de Damas, verrouillée

    par les forces pro-Assad et minée par lafaim, aucun convoi officiel n’a pénétré de-puis plus de trois ans. Les conditions de viedes 4 000 habitants restés sur place sontjugées désespérées.

    Considérée comme une priorité par leshumanitaires, Daraya est le symbole del’échec, malgré les pressions internationa-les, à obtenir un accès régulier aux régionsassiégées ou difficiles d’accès, où viventprès de quatre millions de personnes. Laplupart des sièges, où sont piégés plus de480 000 Syriens, sont imposés par le ré-gime. Le blocage de l’aide vient essentielle-ment des autorités, ce que désormais lesNations unies n’hésitent plus à affirmer.Damas valide au compte-gouttes les de-

    mandes des humanitaires. Mais récem-ment,  « l’opposition armée », rapportel’ONU, a aussi empêché le Croissant-Rougesyrien d’entrer à Azaz, dans le nord du pays.

    « Pas de lieu où accoucher dans la dignité»

    Des progrès ont été enregistrés en 2016. En

    quatre mois, un plus grand nombre de per-sonnes a pu être secouru que tout au longde l’année 2015. Dans le centre de la Syrie,deux villes rebelles difficiles d’accès,Rastan, encerclée par l’armée, et Talbiseh,ont pu être ravitaillées au cours des der-niers jours, après un long isolement. PawelKrzysiek, porte-parole du Comité interna-tional de la Croix-Rouge (CICR) en Syrie, aété frappé, à Rastan, par le manque d’équi-pement médical : « L’unique maternité[pour une vi lle de 120 000 habitants] setrouve dans un garage : les femmes n’ont  pas de lieu où accoucher dans la dignité. »

    De l’aide a pu être larguée à Deir ez-Zor,dans l’Est, à destination des habitants réfu-giés dans les quartiers sous contrôle de l’ar-

    mée, assiégés par l’organisation Etat islami-que. Et, après de longs marchandages, desmalades et des blessés ont été évacués, enavril, de quatre localités – dont Madaya, villemartyre –, prises en étau par le régime oules rebelles, et liées par un accord politique.

    Mais on reste loin des besoins et, encore

    plus, de l’objectif de la levée des sièges sti-pulée par la résolution 2254 des Nationsunies en décembre 2015. « Tant que l’entréedes convois restera sporadique, il n’y aura pas de réelle amélioration, souligne un hu-manitaire.  Les populations encerclées dé- pendent de l’aide, qui s’épuise en deuxmois. » Le régime impose des coupes : plusde 98 000 articles médicaux, dont du ma-tériel chirurgical, ont été retirés des con-vois entre janvier et mars. La mort, enfin,de cinq secouristes, des « Casques blancs »tués dans une attaque du régime, lundi25 avril près d’Alep, montre que le person-nel médical continue d’être visé.p

    laure stephan

    (beyrouth, correspondance)

    Les conditions de vie jugées désespérées dans les zones assiégées

    Efforts de façade pour sauver la paix en SyrieLes pourparlers de Genève n’ont débouché sur aucun résultat, alors que les combats s’intensifient à Alep

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    bir zeit (cisjordanie) -

    envoyé spécial

    L

    es étudiants pro-Hamasde l’université de Bir Zeitont f êté leur victoire jus-qu’au bout de la nuit mais

    n’ont pas pu aller défiler sous lesfenêtres de la Mouqata’a, le siègede l’Autorité palestinienne àRamallah. Ils se sont contentés dequelques tours en voiture dans laville, à une dizaine de kilomètresau nord des bureaux de Mah-moud Abbas. La consigne a étérespectée à la lettre par la policepalestinienne : aucune voiturearborant le drapeau du mouve-ment islamiste n’a pu pénétrerdans la capitale administrative deCisjordanie.

    Perchée sur une colline, l’uni-versité de Bir Zeit a de nouveaudonné sa préférence à la liste affi-liée au Hamas lors des électionsétudiantes, mercredi 27 avril.L’institution palestinienne la plusprestigieuse, qui accueille12 000 étudiants, a mis en tête lebloc islamique avec 45 % des voix.

    Son frère ennemi, le Fatah, le partidu président Abbas, a recueilli40 %, et la gauche marxiste duFront populaire de libération de laPalestine (FPLP), 11 %. C’est unenouvelle victoire pour le mouve-ment islamiste, qui l’avait déjàemporté plus largement l’an der-nier. Considéré comme une orga-nisation terroriste par Israël maisaussi par l’Union européenne etles Etats-Unis, le Hamas confirmeson ancrage en Cisjordanie.

    Dans les territoires palestiniens,privés d’élections nationales de-puis 2006 et la victoire du Hamasaux législatives, ce scrutin étu-diant permet de sonder l’opinion.

    « Pendant longtemps, Bir Zeit étaitle seul endroit en Palestine où se te-naient de réelles élections », témoi-gne Ghassan Al-Khatib, l’un desvice-présidents de l’université.« Aujourd’hui, ces élections tradui-sent une tendance en Cisjordanie.

    C’est pour cette raison qu’elles sont si suivies », assure cet ancien mi-nistre de l’Autorité palestinienne.

    Une fracture sociétale

    Le sentiment de responsabilitéest palpable au sein du corps étu-diant. En dernière année de li-cence de français, MohamedMasri, 24 ans, la chevelure hirsute,n’a jamais eu la chance de prendrepart à une élection palestinienneautre que celle de sa faculté. Sé-duit ces dernières années par leFatah puis la liste de gauche FPLP,il se réjouit de l’attention portée àl’élection étudiante. « Bir Zeit atoujours été le point de départ desévénements qui touchent la so-ciété palestinienne. Les intifadasont débuté ici, beaucoup de mani- festations aussi et c’est à Bir Zeit qu’ont été formés la plupart des

    responsables palestiniens », ré-sume le jeune homme. En octo-bre 2015, alors qu’un soulèvementpalestinien semblait naître, lesétudiants se sont engagés en al-lant manifester au checkpoint duDCO, au nord de Ramallah. Mais lamobilisation estudiantine s’esttrès vite essoufflée, comme dansle reste de la Cisjordanie.

    Difficile de savoir si ce vote est lapreuve d’une adhésion généraleau mouvement islamiste ou sim-plement le reflet d’un travail syn-dical sur le terrain. Un voile beigecachant ses cheveux, Halla AbuNeemah a voté pour la liste Ha-mas. « Je ne voulais pas m’engager

     pour les shabibeh [la liste du Fa-tah] parce qu’ils ont eu le pouvoirtrop longtemps et ils n’ont rien fait. Le Hamas a promis des choses. Jeveux les voir à l’œuvre unedeuxième année pour me faire unavis », affirme la jeune étudiante.Elle aimerait voir baisser les fraisd’inscription qui grèvent le bud-get de sa famille (environ800 euros par semestre en li-cence). Pour Ghassan Al-Khatib, levice-président de l’université,deux facteurs jouent à part à peu

    près égales dans le vote : « Si unsyndicat s’est montré particulière-ment attentif aux problèmes desétudiants, alors il récoltera leurs

    voix. Mais l’appartenance politi-que familiale ou personnelle in- fluence aussi les votes. »

    La fracture est bien plus pro-fonde aux yeux de Khalid Farraj,directeur de l’Institut des étudespalestiniennes basé à Ramallah.« Ce résultat confirme la divisiontoujours plus forte de la société en-tre les partisans nationalistes et is-lamistes palestiniens », analysel’ancien étudiant de Bir Zeit. Lefossé se creuse au sein de la so-ciété palestinienne entre ceux qui

    croient à une solution négociéeavec Israël et ceux qui prônent larésistance armée. Selon lui, « lediscours radical du Hamas séduitdavantage les jeunes. »

    Le Hamas joue sa survie

    Une étude menée auprès de1 000 jeunes par le Centre pour lesmédias et la communication deJérusalem (JMCC) le confirme. Lesondage, dévoilé le 25 avril, mon-tre que 46 % des jeunes soutien-nent les attaques au couteau me-nées depuis plus de six mois alorsqu’ils sont 47 % à les condamner.Un véritable schisme dans l’opi-nion alors qu’une nouvelle tenta-

    tive d’attaque a eu lieu ce 27 avrilau point de passage de Kalandia,entre Jérusalem et Ramallah. Uncouple a tenté d’approcher dessoldats israéliens avec une armeblanche. L’homme et la femmeont été abattus par les militairesavant d’avoir pu passer à l’action.

    La victoire du Hamas au sein del’institution universitaire est unnouvel exemple du désamourcroissant de la jeunesse enversl’Autorité palestinienne gérée parle Fatah. « Ce vote ne doit pas êtresurinterprété », tentent de relativi-ser des cadres du parti nationa-liste venus prendre la tempéra-

    ture durant le vote. Ils rappellentque le Fatah l’a emporté danstoutes les autres universités deCisjordanie même s’ils oublientde dire que le Hamas y a réalisé detrès bons scores à chaque fois. Laréconciliation inter-palesti-nienne semble hypothétique. Lesdifférentes rencontres organiséesà Doha, au Qatar, n’ont débouchésur rien de concret.

    Le Hamas, qui dirige la bande deGaza depuis 2007, sait qu’il joue sasurvie. Chaque camp n’attendqu’un faux pas de l’autre pourprendre l’avantage.p

    nicolas ropert

    Le terrorisme philippin ravivé sous la bannière de l’Etat islamiqueLe groupe Abou Sayyaf, ex-affidé d’Al-Qaida spécialisé dans la piraterie, a décapité un otage canadien faute d’obtenir une rançon

    L es deux hommes à motoont abandonné, le 25 avril,près de la mairie de Jolo,une île de l’extrême sud-ouestdes Philippines, leur sac conte-nant la tête d’un otage. Le Cana-dien John Ridsdel, 68 ans, avaitété kidnappé, le 21 septembre2015 au soir, avec un compatrioteet son épouse philippine, ainsiqu’un Norvégien, dans une ma-rina sur une petite île faisant faceà Davao, la principale ville deMindanao, la grande île du Sud.Son exécution par un groupe is-lamiste est venue rappeler au

    monde le risque terroriste quipèse sur le pays.

    Après leur capture, les quatreotages avaient été transférés à500 kilomètres de là, à Jolo, nonloin de la Malaisie. Le groupeAbou Sayyaf (ASG selon l’acro-nyme anglais) avait exigé d’abord1 milliard, puis finalement300 millions de pesos (5,6 mil-lions d’euros) pour chacun d’entreeux, posant une échéance au25 avril, soit deux semaines avantla tenue des élections générales.

    Le président Benigno Aquino aannoncé mercredi que « d’inten-ses opérations » sont en cours. « Il

     faut s’attendre à des victimes,mais la plus haute importancedoit être donnée à la neutralisa-tion des activités d’ASG », a déclaréle chef de l’Etat. Ce groupe terro-riste créé en 1991 et longtemps af-filié à Al-Qaida s’est trouvé unenouvelle raison d’être : l’organisa-tion Etat islamique. Un meneurd’Abou Sayyaf, Isnilon Hapilon, a

    prêté allégeance à l’EI en 2014. Dé-but janvier 2016, les militants dequatre groupes armés distinctsde Mindanao sont apparus dansune vidéo, faisant allégeance àl’organisation munis de son dra-peau noir et blanc.

    « Nous ne paierons pas »

    Selon la présidence, Isnilon Hapi-lon a envisagé notamment d’enle-ver le boxeur Manny Pacquiaoainsi que la sœur de BenignoAquino, Kris, une célèbre anima-trice de talk-shows, pour leséchanger ensuite contre des mili-

    tants emprisonnés. Le groupe, quia coulé un ferry en 2004, tuant 116personnes, aurait plus récem-ment envisagé une campagned’attentats à la bombe dans Ma-nille afin d’« attirer l’attention » del’EI, a précisé M. Aquino.

    L’organisation terroriste a égale-ment revendiqué l’attaque le26 mars d’un remorqueur indo-nésien, le  Brahma-12, et exige1 million de dollars(880 000 euros) pour libérer sesmarins. Deux autres navires, le Massive-6 battant pavillon malai-sien et le Henry, ont été attaquésrespectivement les 1er  et 15 avril.

    Tous ces incidents ont eu lieu aularge de l’Etat malaisien de Sabah,sur l’île de Bornéo, et dans le suddes Philippines, non loin de Jolo.

    « Nous ne paierons pas de ran-çon », a affirmé mardi 26 avril leprésident indonésien, Joko Wi-dodo, ajoutant : « Nous voulonsque les otages soient relâchés le plus vite possible, mais ils sont dé-tenus [aux Philippines] et nous de-vons obtenir la permission pourdéployer nos forces armées. » « Jo-kowi », comme il est surnommé, aproposé aux gouvernements phi-lippin et malaisien d’organiser

    des patrouilles conjointes en merde Sulu, entre leurs deux pays.« On ne peut pas laisser les chosescontinuer comme ça ! »,  s’est ex-clamé le chef de l’Etat indonésienlors d’une conférence de presse,avant d’annoncer la tenue d’uneréunion cette semaine à Djakartaentre les ministres des affairesétrangères ainsi que des officierssupérieurs des trois pays.

    La décapitation de M. Ridsdel etla recrudescence des actes de pi-raterie disent l’incapacité desautorités philippines à neutrali-ser Abou Sayyaf. Le 9 avril, envi-ron 120 hommes de l’organisa-

    tion ont pris en embuscade destroupes déployées dans une of-

    fensive visant à tuer Isnilon Ha-pilon, causant la mort de 18 sol-dats, selon Manille. Parmi les 37morts enregistrés depuis du côtéd’Abou Sayyaf, on compte un ex-pert marocain en explosifs, Mo-hammad Khattab, dont le but, se-lon l’armée philippine, était« d’organiser et d’unir »  autourd’une « organisation terroristeinternationale ».

    Manille ne nomme pas là l’EI. Legouvernement philippin préfèrene pas donner de stature interna-tionale à son ennemi, ce qui aide-rait au recrutement chez les jeu-nes musulmans de Mindanao et

    Des étudiants et des partisans du Hamas, lors d’un rassemblement près de Ramallah, en Cisjordanie, mardi 26 avril. MAJDI MOHAMMED/AP

    offrirait une légitimation idéolo-gique. Il préfère voir en l’ASG desimples bandits en quête de ran-çons. « Le lien en matière de finan-cement n’est pas établi » entre lesdeux structures, fait valoir IshakMastura, le président du bureaudes investissements de la Régionautonome du Mindanao musul-man. Selon lui, s’il y a bien deséchanges et une idéologie com-mune, le nouvel étiquetage « Etatislamique » relève avant tout de lapropagande.

    Les connexions sont pourtantun fait. « Il existe des preuves : il y a

    des communications entre le siègede l’organisation Etat islamique et Abou Sayyaf, l’envoi d’expertsétrangers, la publication par lesiège de l’EI de vidéos des Philippi-nes »,  soutient l’universitaireRommel Banlaoi, fondateur del’Institut de recherche sur la paix,la violence et le terrorisme, quiconclut : « Tout dépend ensuite dela catégorie dans laquelle voussouhaitez les ranger. » p

    harold thibault

    (manille, envoyé spécial)

    et bruno philip

    (bangkok, correspondant

    en asie du sud-est)

    En Cisjordanie,le Hamas

    à la conquêtedes jeunesLe mouvement islamistea recueilli 45 % des voix lors desélections de l’université de Bir Zeit

    « Ce résultat

    confirme

    la division

    toujours

    plus forte

    de la société »

    KHALID FARRAJ

    directeur de l’Institutdes études palestiniennes

    Deux Palestiniens tués à un checkpoint

    Les policiers israéliens ont abattu mercredi 27 avril deux Palesti-niens, un homme et une femme, qui s’approchaient d’euxarmés de couteaux, a annoncé la police israélienne. Les deuxvictimes ont, selon la police, refusé de s’arrêter malgré lesinjonctions répétées des forces de l’ordre au point de passagede Kalandia entre Jérusalem et la Cisjordanie occupée. Celles-ciauraient ouvert le feu quand la femme a sorti un couteau deson sac et l’a lancé vers les policiers. Un couteau identique à ce-lui de la femme ainsi qu’un couteau papillon (à lame repliable)ont été retrouvés dans la ceinture de l’homme, affirmela police, qui a publié des photos des trois armes blanches.

    PHILIPPINES

    INDONÉSIE

    MALAISIE

    250 km

    Mer de Chine

    méridionale

    Mer 

    de Sulu

    Mindanao

    Etat 

    de Sabah

    Ile

    de Bornéo

    Manille

    Davao

    JoloJolo

    Le 9 avril, 120

    terroristes ont

    pris des soldats

    en embuscade

    pour protéger

    leur chef, causant

    18 morts

    selon Manille

  • 8/17/2019 Le Monde Du Vendredi 29 Avril 2016

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    En Belgique, Jan Jambon, provocateur et ministreLe numéro deux du gouvernement, membre du parti autonomiste flamand, multiplie les sorties contre l’islam

    PORTRAITbruxelles - correspondant

    Jan Jambon est celui qui a vudes musulmans « danser »après les attentats de Bruxel-les. Le ministre de l’intérieurbelge a aussi très malencon-

    treusement assimilé les complici-tés dont a bénéficié Salah Abdes-lam lors de sa cavale à l’aide dontont bénéficié des juifs, cachés du-rant la guerre. Il a également pro-mis de faire le ménage « maison par maison » à Molenbeek, faisantirrémédiablement penser au net-toyage « au K ärcher » de l’ancienministre de l’intérieur d’un paysvoisin…

    Avant cela, il avait estimé queceux qui possédaient une maisonet un carnet d’épargne ne devaientpas bénéficier d’indemnités dechômage. Et il avait jugé que les na-

    tionalistes flamands qui avaientcollaboré avec l’Allemagne nazieavaient « leurs raisons », que lui-même n’avait pas à juger puisqu’il« ne vivait pas à cette époque-là ».

    Encombrant pour la coalition

    Ce quinquagénaire à la taille im-posante, né en 1960 dans le Lim-bourg, devient décidément en-combrant pour la coalition dupremier ministre, Charles Michel.Le numéro deux du gouverne-ment belge, fidèle porte-voix deson parti, l’Alliance néoflamande(N-VA), et de son président, lemaire d’Anvers, Bart De Wever,semble s’être fait une spécialité depropos qui deviennent autantd’obstacles à la survie de la fragilecoalition appelée à gérer leroyaume.

    Les attentats du 22 mars, qui ont

    révélé de nouvelles lacunes dansla gestion sécuritaire, ont plongéle pays dans une nouvelle criseexistentielle, alors que les troispartis flamands au pouvoir (outrela N-VA, les libéraux et les chré-tiens-démocrates) ne cessent dese quereller.

    Provocation, maladresse, atti-tude délibérée à l’heure où lessondages indiquent une chute dela N-VA et un retour d’une partiede son électorat au VlaamsBelang, la formation d’extrême

    droite que M. De Wever avait litté-ralement siphonnée ? AvecM. Jambon, ce Flamand ultra-ra-dical affublé d’un patronyme bienfrançais qui fait sourire (et qu’ilprononce Yam-bonn), rien n’estclair. D’autant qu’en adepte as-

    sidu du rétropédalage, il brouilleles pistes et se dit mal compris.

    A-t-il vraiment vu « une partie si- gnificative de la population mu-sulmane » danser après les atten-tats ? Les informations prove-naient du Conseil national de sé-curité et étaient corroborées « pardifférents services »,  affirmera-t-illors d’une séance houleuse auParlement. La « partie significa-tive » voulait dire « une partie tropimportante », explique l’un de sesproches. La police, elle, n’enquête

    [acronyme arabe de l’organisa-tion Etat islamique]», ajoute-t-il.

    Est-il donc islamophobe, ce mi-nistre contre lequel diverses orga-nisations ont déposé plainte, esti-mant, comme le dit l’une d’elles,que ses propos « irresponsables » 

    sont « un combustible qui propagela suspicion » ? Cuisiné par une dé-putée d’extrême droite au Parle-ment européen, lundi 25 avril, ilrépliquera vivement que « la grande majorité des 600 000 mu-sulmans de Belgique » partage lesvaleurs du pays et que, leur ten-dant la main, il entend bien enfaire « ses concitoyens ». Ovation.

    S’il n’est vraiment que ceconservateur « économique » – etnon « ethnique » – décrit par cer-tains, soucieux surtout de réduire

    les transferts d’argent de la Wallo-nie vers la Flandre, que faisait-ilen 2001 devant une assemblée duSint-Martensfront, un grouped’anciens combattants qui s’en-gagèrent aux côtés de l’armée na-zie ? Il voulait seulement, disent

    ses proches, les amener à mani-fester contre la prétendue « mol-lesse » du mouvement flamandde l’époque, trop tiède à ses yeuxdans l’affirmation de la néces-saire indépendance de la Flandre.Il dira d’ailleurs, quand l’affairesera révélée, que« la collaborationa été une erreur », ce qui lui vaudrades inimitiés à l’extrême droite.

    Au Vlaams Belang, on n’aime ef-fectivement pas ce responsableaccusé de duplicité, qui a refusé des’engager dans le parti alors qu’il

    semblait porter toutes ses aspira-tions. Une rumeur a couru indi-

    quant que M. Jambon aurait étéun membre éphémère de la sec-tion de Brasschaat, une municipa-lité huppée de la banlieue d’Anversdont il allait devenir le maire. Rienne confirme qu’il a franchi ce pas.

    Et puis, il n’était pas facile pourun cadre supérieur (il a été le res-ponsable commercial d’ungroupe de presse et le directeurd’un organisme de cartes de cré-dit) de se revendiquer d’un particerné par un « cordon sanitaire ».Séduit par Bart De Wever, ce pèrede quatre enfants franchit le paset s’engage à la N-VA en 2007. L’an-cien ingénieur informaticien est àl’aise dans une formation libéraleconservatrice qui fixe l’indépen-dance de la Flandre comme un ob-jectif « à terme » et rejette le multi-culturalisme. Loin du programme

    délirant d’un parti d’extrêmedroite qui, pour ce réaliste, handi-capait la cause flamande plus qu’ilne l’encourageait.

    Carrière fulgurante

    Député en 2007, maire en 2012,ministre de l’intérieur et vice-pre-mier ministre en 2014 : la carrièrede ce fils d’un enseignant et d’unemère au foyer est fulgurante. Etelle étonne ceux qui ont côtoyéM. Jambon au cours de sa vie pro-fessionnelle. Ils le décriventcomme un homme plutôt effacé.

    Aujourd’hui, certains se deman-dent quel est, en définitive, l’objec-tif de « Janus Jambon », l’hommeaux deux visages. Veut-il être unvrai ministre fédéral et démontrerque l’Etat belge est en mesured’assumer ses responsabilités et,sous sa férule, de résister notam-

    ment au terrorisme ? Ou bien, enpartisan d’une Flandre indépen-dante, contribuera-t-il un peuplus, par ses propos hasardeux, àson délitement ?

    Une commission d’enquête par-lementaire entend, d’ici à la fin del’année, faire la lumière sur la res-ponsabilité des uns et des autresdans ce qui s’est déroulé le 22 mars.Le jovial Limbourgeois s’apprête àvivre le moment le plus exigeantde sa carrière inattendue.p

    jean-pierre stroobants

    Jan Jambon, à Bruxelles, le 19 avril, lors d’une cérémonie d’hommage aux victimes des attentats du 22 mars. THIERRY CHARLIER/AFP

    Trump face au choix de la respectabilité

    Le milliardaire a quelque peu atténué son discours sur la politique étrangère américaine

    washington - correspondant

    L a rupture en août 2015 avecson conseiller politique Ro-ger Stone en découlait déjà,et la question est redevenue d’ac-tualité au fur et à mesure del’avancée vers la victoire de Do-nald Trump dans la course pourl’investiture républicaine. Le ma-gnat de l’immobilier doit-il se« présidentialiser » dans la pers-pective d’un affrontement en no-vembre avec une experte des af-faires publiques, Hillary Clinton,ou bien doit-il s’en tenir à la for-mule prônée par son directeur decampagne, Corey Lewandowski,avant sa poussée fulgurante dans

    les intentions de vote, puis àl’épreuve des primaires : « Laisser Trump être Trump » ?

    Marquée par une nouvelle ini-tiative de son rival républicainTed Cruz, qui a choisi l’anciennecandidate Carly Fiorina commeéventuelle candidate à la vice-pré-sidence, la journée du 27 avril adonné une idée de cette ambiva-lence. Elle a débuté par un entre-tien à la chaîne MSNBC au coursduquel le milliardaire a réitéré sesattaques virulentes contreMme Clinton. S’est poursuivie avecun discours de politique étran-gère, sans doute le plus structuré

    sur le sujet jamais prononcé par lemagnat de l’immobilier. Et s’estachevée dans l’Etat de l’Indiana –dont la primaire, le 3 mai, pourraitêtre décisive pour la victoire fi-nale – par un meeting qui a étél’occasion pour M. Trump de répé-ter les formules à l’emporte-pièceles plus appréciées de ses parti-sans, et de moquer sans nuanceses adversaires républicains.

    Le discours de politique étran-gère, charge en règle contre l’ad-ministration « Obama-Clinton », aégalement souligné les hésita-tions du probable candidat répu-blicain pour l’élection présiden-tielle de novembre. Tout en insis-tant sur le partage du fardeau de la

    sécurité avec des alliés qui se com-portent trop souvent en passagersclandestins sans verser leur écot,M. Trump s’est abstenu de formu-les définitives contre l’OTAN.

    « La vraie personne »

    De même, il s’est gardé de plaiderpour une prolifération nucléaire(au Japon, en Corée du Sud),comme il l’avait fait en mars, quiréduirait selon lui la portée et doncle coût du parapluie atomiqueaméricain. Il a aussi évité de men-tionner l’usage disproportionnéde la force ou le recours à la torturepour lutter contre le terrorisme.

    M. Trump s’est pourtant placéen rupture des dogmes républi-cains les plus récents en écartantla tentation du « regime change » (« changement de régime ») néo-conservatrice, comme celle de

    l’interventionnisme, et plaidépour la quête de « terrains d’en-tente » avec la Russie comme avecla Chine, dans une perspectiveisolationniste centrée sur le slo-gan « l’Amérique d’abord ». Il a éga-lement refusé de prêter l’oreille à« la mauvaise chanson de la globa-lisation »  et a dénoncé les traitésde libre-échange conclus par lepassé par Washington.

    Rester soi-même pour conserversa base, ou rassurer l’électorat ré-publicain le plus rétif à sa candida-ture pour qu’il s’y résigne plus faci-lement ? Voilà l’interrogation quiva poursuivre le magnat de l’im-

    mobilier au moins jusqu’à la con-vention de Cleveland, fin juillet.L’opposition entre M. Lewan-dowski et l’expert aguerri que M.Trump a incorporé à sa campagnepour consolider le socle de ses dé-légués, Paul Manafort, illustre cedilemme. Il se renforcera aurythme de la professionnalisationcroissante de l’équipe de campa-gne de M. Trump, qui ne cesse dese renforcer.

    Lors d’un échange confidentielavec une centaine de responsablesdu Comité national républicain,en Floride, le 21 avril, M. Manafortavait assuré que le milliardaire se-rait à l’avenir plus prolixe en subs-tance qu’en attaques ad homi-

    nem, selon l’agence AP. « Vous al-lez voir la vraie personne », avait-ilajouté, laissant entendre que le ba-teleur d’estrade n’était qu’un rôlede composition.

    M. Cruz s’est emparé de ces con-fidences en dénonçant un dou-ble jeu. Selon la presse améri-caine, M. Manafort aurait été dé-savoué par le milliardaire qui, enréponse à la question de sa « pré-sidentialisation », mardi soiraprès l’annonce de nouvelles vic-toires, a insisté sur le fait que sonauthenticité en était la raisonprincipale. p

    gilles paris

    Un conseiller

    du magnat a dit

    qu’il allait devenir

    plus prolixe

    en substance

    qu’en attaques

    ad hominem

    T UR QUI EAttentat-suicideet arrestationsLa police turque tentait, jeudi

    28 avril, d’identifier la femmequi s’était fait exploser laveille sur un site historiquede Bursa (nord-ouest de laTurquie), faisant 13 blessés, eta procédé à 12 interpellationsdans le cadre de l’enquête,ont rapporté les médias lo-caux. Cette attaque s’est pro-duite au lendemain d’unenouvelle mise en gardeadressée par l’ambassade desEtats-Unis à ses ressortis-sants, en raison de « menacessérieuses » d’attentats contreles touristes à l’approche dela période estivale. La Turquiea été la cible ces derniersmois d’une série d’attaques

    liées au conflit kurde ou attri-buées à l’organisation Etat is-lamique. – (AFP.)

    CO RÉE D U NORDLe tir d’un missilede moyenne portéeaurait échouéLa Corée du Nord a tenté,jeudi 28 avril, de tirer un mis-sile de moyenne portée, aprèsun premier lancement le15 avril, et semble à nouveauavoir subi un échec, a an-noncé le ministère sud-co-réen de la défense. Ces tenta-tives ont lieu alors que lesinquiétudes vont croissantquant à la possibilité quePyongyang procède à un essainucléaire avant un congrès duParti du travail au pouvoir,prévu le 6 mai. – (AFP.)

    que sur deux ou trois épisodes.Mais le ministre sait que les té-moignages de certains maires,d’enseignants ou d’acteurs de ter-rain confirment ce qu’il qualifiede « phénomène ».  « La Belgiqueest dans le Top 3 des pays où s’ex- priment le plus de soutien à Daech

    En adepte assidu

    du rétropédalage,

    le ministre

    de l’intérieur

    brouille les pistes

    et se dit

    mal compris

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    L’Autriche adopte un «état d’urgence » migratoireVienne limite les droits des réfugiés et renforce ses frontières avec l’Italie, accusée de laxisme

    vienne - correspondant

    Le mercredi 27 avril res-tera un jour noir pour lesdéfenseurs des droits hu-mains d’un pays, l’Autri-

    che, qui fut longtemps syno-nyme de terre d’asile pour les dis-sidents soviétiques, les juifs del’Est persécutés ou les élites per-sanes et arabes.

    Tétanisés par la montée inexora-ble de l’extrême droite – arrivéelargement en tête au premier tourde l’élection présidentielle du24 avril –, les députés de la majo-rité au pouvoir ont en effet adoptéà une large majorité une loi inédited’« état d’urgence » migratoire, quirisque d’inquiéter Bruxelles.

    Sociaux-démocrates et chré-tiens conservateurs, unis dansune coalition gouvernementaledepuis 2008, ont choisi de suivre

    la politique du voisin hongroisViktor Orban en introduisant desdispositions qui, sauf à Budapest,n’ont guère d’équivalent au seinde l’Union européenne (UE).

    Désormais, les réfugiés syriens,afghans ou irakiens auront unpermis de séjour limité dans letemps. Au bout de trois ans, la si-tuation dans leur pays d’origine

    sera examinée. Si la guerre y est fi-nie, ils devront rentrer chez eux.

    Ils auront également plus de diffi-cultés à faire valoir leurs droits àune vie maritale. Un frein drasti-que est mis aux conditions du re-groupement familial. Cette me-sure vise spécifiquement à décou-rager les jeunes hommes afghans,qui ont été les plus nombreuxparmi les 90 000 requérants àl’asile en Autriche (8,5 millionsd’habitants) pour l’année 2015.

    Anticipant une possible arrivéemassive, cet été, de réfugiés enprovenance d’Italie, Vienne veutpouvoir mettre en place un ré-gime d’exception, valable deuxans, afin de refouler les migrants àses frontières, si son administra-tion se juge dépassée.

    Incurie de l’UE

    Les réfugiés, même de nationalité

    syrienne ou irakienne, devrontalors prouver qu’ils sont persécu-tés dans le pays par lequel ils sontarrivés en Autriche.  C’est cettedernière disposition qui choquele plus, car elle est très clairementdestinée à faire pression sur l’Ita-lie, accusée par Vienne de ne pascontrôler efficacement ses fron-tières extérieures et, surtout, delaisser beaucoup de migrantscontinuer leur route vers le Nord,sans les enregistrer.

    L’Autriche s’estime poussée àagir face à ce qu’elle considèrecomme l’incurie de l’UE, elle qui setrouve à la jonction finale desdeux routes migratoires, celle del’Italie et celle des Balkans. Les18 000 demandes d’asile déposéesdepuis le 1er janvier exaspèrent legouvernement, qui a dépensé desmillions d’euros pour lutter con-

    tre les réseaux de passeurs, pesé

    de tout son poids pour dévier lesflux migratoires, et qui subit par

    ricochet sans broncher depuis sixmois la politique du « zéro réfu-gié » ouvertement xénophobe deses voisins d’Europe centrale.

    L’Autriche a plafonné à 37 500 lenombre de réfugiés qu’elle en-tend accueillir en 2016, arguantdu fait qu’il s’agit d’un chiffre gé-néreux, encore supérieur à lamoyenne des efforts consentispar les autres pays européens.

    La police a également détaillé,mardi, les mesures adoptéespour instaurer des contrôles aucol du Brenner, point de passagenévralgique des échanges ferro-viaires et routiers entre le nord etle sud du continent. Une barrièrede 370 mètres y sera installée. Letrafic routier sera entravé. Lestrains s’arrêteront à la frontière,afin de permettre aux forces de

    l’ordre de réclamer des piècesd’identité.Le Tyrol, dont les autorités ré-

    clament une coopération tran-

    salpine plus poussée, n’a pas en-core avancé de date précise pourle début de ces blocages au cœurde l’espace Schengen. Mais, afinde convaincre de sa détermina-tion, Vienne a annoncé une ral-longe de 1,3 milliard d’euros pourl’armée et de 1,1 milliard pour leministère de l’intérieur. Ce jus-qu’au-boutisme fait craindre auxdéfenseurs des droits humains

    un effet boule de neige dans toutle continent.Alors que l’extrême droite a des

    chances de remporter le second

    tour de l’élection présidentielle le22 mai, il n’est pas certain que ces

    nouvelles mesures, prévues etdiscutées depuis longtemps, met-tent un terme aux divisions desAutrichiens. Le Parlement s’estdéchiré, mercredi, lors des débatssur leur adoption. L’extrêmedroite du parti FPÖ a voté contre,ce texte « placebo » n’allant, selonelle, pas assez loin. Les Verts et leslibéraux (NEOS, Das Neue Oster-reich) lui ont emboîté le pas, pourla raison inverse.

    Critiques de l’Eglise catholique

    Les écologistes s’émeuvent d’unepolitique qui « met fin de facto audroit d’asile », alors que l’Autrichene cesse parallèlement de réduireson aide au développement dansles pays d’origine des migrants.Des sociaux-démocrates dissi-dents accusent le chancelier de

    gauche, Werner Faymann, de vou-loir « doubler le FP Ö sur sa droite » et parlent d’une « Orbanisation » galopante de l’Autriche.

    Les défenseurs

    des droitshumains

    craignent

    un effet boule

    de neige dans

    tout le continent

    L’Institut Ludwig-Boltzmannpour les droits humains prévient

    aussi que les plaintes auprès de laCour européenne des droits del’homme pourraient se multi-plier. Il doute de la conformité decette loi avec la Constitutionautrichienne et la Charte desdroits fondamentaux de l’Unioneuropéenne – l’agence censée ga-rantir sa bonne application étantpar ailleurs à Vienne…

    Mais les critiques les plus viru-lentes ont émané d’associationsde défense des migrants, très acti-ves en Autriche, et surtout del’Eglise catholique. Alors queVienne abrite aussi un siège del’ONU et que le commissariat auxréfugiés s’est déclaré « inquiet » d’une telle atteinte au droit inter-national, le cardinal ChristophSchönborn, influent au Vatican, aestimé que la situation dans son

    riche pays ne nécessitait – « Dieusoit loué » –   nullement de telles« mesures d’urgence ». p

    blaise gauquelin

    Au Chili, Pablo Neruda enterrépour la quatrième fois

    L e poète chilien avait de l’humour, mais il n’aurait sansdoute pas apprécié : Pablo Neruda a été enterré pour laquatrième fois, mardi 26 avril, dans sa demeure préfé-rée, Isla Negra, caressée par les vagues de l’océan Pacifique. Sesrestes avaient été exhumés en 2013, à la demande du Particommuniste (PC), qui partageait les soupçons d’empoisonne-ment émis par un témoin, un ancien chauffeur de l’écrivain.Malgré les progrès de la médecine légale, aucune trace de poi-son, d’injection létale ou de virus suspect n’a été trouvée.

    Pablo Neruda est mort le 23 septembre 1973, à l’âge de 69 ans,

    à Santiago du Chili, quelques jours à peine après le coup d’Etatmilitaire. Le cortège funèbre qui accompagna l’ancien candi-dat communiste à la présidence constitua la première mani-festation d’opposition à la dictature, qui allait durer dix-septans (1973-1990). Le stade de Santiago était rempli de prison-niers, le fleuve Mapocho avait déjà charrié son lot de cadavres,mais la stature du personnage, Prix Nobel de littératureen 1971, obligea les putschistes à la retenue.

    La tournure prise par ce premierenterrement était digne du poète.Hélas, la famille à laquelle apparte-nait le caveau emprunté finit par letrouver encombrant, alors que leChili s’enfonçait dans un régime in-quisitorial. D’où le transfert et ladeuxième inhumation, très discrète,en mai 1974, dans le même cimetièregénéral de Santiago. Les dernièresvolontés de l’auteur du Chant géné-ral  et de Vingt Poèmes d’amour etune chanson désespérée allaient êtrerespectées après le rétablissementde la démocratie. En décembre 1992,

    il a été enseveli, pour la troisième fois, à Isla Negra. Le prési-dent Patricio Aylwin (1990-1994) était là, pour lui rendrel’hommage de la nation.

    Dans l’ancienne résidence de Santiago, la Chascona, devenuemusée et siège de la Fondation Pablo-Neruda, on balayait d’unrevers de main les soupçons sur son décès. Les gardiens du tem-ple n’ont pas oublié les visites à l’hôpital, les derniers moments.Jorge Edwards, l’ami, écrivain et diplomate qui le secondait àParis lorsqu’il était ambassadeur du Chili, n’a jamais cru à uncomplot : « Neruda avait un cancer, il avait été opéré en France. »

    Mardi, à son quatrième enterrement, des partisans du PC chi-lien criaient avec l’enthousiasme de néophytes : « Camarade

     Neruda, présent, maintenant et toujours ! » Ce n’est pas tous lesjours qu’on enterre une personnalité morte quarante-deux ansplus tôt. Esprit mutin, le poète demande qu’on laisse enfin sesvieux os se reposer, bercés par l’océan. p

    paulo a. paranagua

    AUCUNE TRACE DEPOISON OU DE VIRUSSUSPECT N’A ÉTÉTROUVÉE LORS DEL’AUTOPSIE RÉALISÉEAPRÈS LA TROISIÈMEEXHUMATION

    Les permis

    de séjour des

    réfugiés seront

    limités dans

    le temps. Un frein

    drastique est mis

    au regroupement

    familial

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    Hausse des températu-res, élévation du ni-

    veau des mers, acidi-fication des océans

    ou encore fonte des glacie rs : laliste des maux associés à l’aug-mentation des niveaux de CO2 dans l’atmosphère ne cesse des’allonger. Pourtant, il existe uneautre conséquence, moins con-nue et plus positive – du moins àcourt terme –, du pic actuel dedioxyde de carbone : une Terreplus verte, c’est-à-dire arborantune végétation plus dense. C’estce que démontre une étude pu-bliée dans Nature Climate Change,lundi 25 avril, menée par uneéquipe de 32 scientifiques issus de24 centres de recherche dans 8pays du monde.

    Pour parvenir à cette conclusion,les chercheurs ont étudié les don-nées de trois satellites, qui ont me-

    suré la quantité de rayonnementsolaire réfléchi par la végétation,jour après jour entre 1982 et 2009.Ils en ont déduit un indice foliairepour chaque parcelle de la planète,compris comme la quantité defeuilles par mètre carré de sol.

    Un « boom vert »

    Les résultats sont inattendus : lescapteurs montrent un verdisse-ment (davantage de feuilles ouparfois d’arbres) de 25 % à 50 %des terres végétalisées du globedepuis une trentaine d’années,essentiellement dans les tropi-ques et à des latitudes élevées. Al’inverse, seulement 4 % des solsont perdu en couverture foliaire –dans certaines régions de Mongo-lie, d’Argentine ou en Alaska. Cetaccroissement de la végétation re-présente, si on la mettait à plat,

    l’équivalent d’un continent vertde deux fois la taille des Etats-Unis (18 millions de km2).Aujourd’hui, les plantes couvrentprès d’un tiers (32 %) de la superfi-cie totale de la planète, occupantenviron 85 % de toutes les terreslibres de glace. Une densificationde la végétation qui n’empêchetoutefois pas la poursuite de la dé-forestation. Cette dernière, bienqu’ayant ralenti, a entraîné la des-truction de 1,3 million de km2 deforêts en vingt-cinq ans selon

    l’ONU, soit l’équivalent de la su-perficie de l’Afrique du Sud. « Il estdifficile de comparer les deux phé-nomènes en termes de superficiecar la déforestation détruit de la for êt qui est généralement rempla-cée par des zones de culture, doncsans réel changement de surfacevégétalisée. En revanche, son effetsur le climat est négatif », expliqueNicolas Viovy, l’un des auteurs de

    l’étude et chercheur au Labora-toire des sciences du climat et del’environnement (LSCE).

    Comment expliquer un tel« boom vert » à l’échelle du globe ?En faisant tourner dix modèlesinformatiques permettant de si-muler le comportement de la vé-gétation, les scientifiques ont dé-terminé et classé les facteursjouant un rôle dans cette crois-sance : pour 9 %, il s’agit de l’aug-mentation de l’azote dans l’envi-ronnement (principalement sous

    l’effet de la combustion d’éner-gies fossiles et des engrais agrico-les), pour 8 %, du changement cli-matique (le réchauffement des ré-gions boréales et arctiques a, parexemple, entraîné des saisons decroissance des plantes plus lon-gues) et pour 4 %, des change-ments d’occupation des sols. Maisle principal facteur (70 %) résidedans l’effet fertilisant du CO2.

    « Les arbres ont besoin, pour leur croissance, d’eau, de nutriments etde CO 2 , qu’ils absorbent et stockent

     grâce au processus de la photosyn-thèse, rappelle Philippe Ciais, co-auteur de l’étude et chercheur auLSCE. Davantage de CO 2 favorise ledéveloppement des arbres et des

     feuilles. » Dans un monde qui at-teint des niveaux inégalés dedioxyde de carbone dans l’atmos-phère sous l’effet des activités hu-maines telles que la consomma-tion d’énergies fossiles ou la défo-

    restation, les plantes, les arbres etmême les cultures croissent plusrapidement.

    « C’est une relation que plusieursétudes avaient déjà suggérée,mais c’est la première fois quenous pouvons la confirmer et la

     généraliser à l’échelle de la pla-nète, ajoute le spécialiste des cy-cles du carbone. En effet, il est trèsdifficile de passer de l’échelle d’une

     feuille à celle d’un écosystème glo-bal. Si l’on connaît le processus debase de la photosynthèse, de nom-breuses questions restaient ensuspens : toutes les feuilles répon-dent-elles de la même manière à lahausse du CO 2 ? L’arbre va-t-il dé-velopper plus de branches pour supporter plus de feuilles ? Uneaugmentation de la masse foliairese traduit-elle par des feuilles plus

    longues, plus larges ou plusnombreuses ? »

    « Il reste quelques incertitudesquant au réalisme des modèles etaux données satellites sur les tropi-ques : ce sont des zones où les obser-vations directes sont plus difficilesen raison des nombreux nuages etoù la saturation en feuilles limite la

     précision des analyses, juge Fré-déric Baret, directeur de recher-ches à l’Institut national de recher-che agronomique (INRA), spécia-lisé en télédétection, qui n’a pas

    participé aux travaux. Reste qu’unverdissement global est bel et bien à

    l’œuvre. »De là à conclure que les émis-

    sions de gaz à effet de serre sontpositives pour la planète, et qu’el-les ne doivent donc pas être limi-tées, il n’y a qu’un pas, que les cli-matosceptiques n’ont pas hésité àfranchir. En réalité, les résultats decette étude ne peuvent être géné-ralisés sur le long terme. « L’effet

     positif de la fertilisation diminueau fil du temps en raison d’une sa-turation des plantes en CO 2 ,  pré-vient Nicolas Viovy. Ce phéno-mène est par ailleurs inefficacelorsque la concentration en CO 2 esttrop élevée. » 

    Le CO2 piégé par les bois

    Surtout, ce verdissement ne signi-fie en aucun cas que les feuillesnouvelles pourront absorber les

    rejets excédentaires de gaz à effetde serre et donc éviter d’avoir à lesréduire comme le prévoit l’accordsur le climat, signé par 174 pays àNew York, le 22 avril. « Une aug-mentation de l’indice foliaire ne si-

     gnifie pas nécessairement que lestockage du carbone atmosphéri-que est plus important, ajoute Phi-lippe Ciais.  Les feuilles, qui tom-bent chaque année dans la plupartdes forêts, ne représentent que

     10 % du stockage du carbone parles arbres. L’essentiel du CO 2 est enréalité piégé par les bois, les racineset les sols. »

    Les conséquences néfastes duchangement climatique sontdonc loin de pouvoir être com-pensées par ce seul effet positif. « La végétation permet d’absorber environ 25 % des émissions de CO 2 anthropiques, tandis que l’océan

    stocke la même quantité. Ce quiveut dire que l’autre moitié de nosémissions s’accumule dans le sys-tème climatique, calcule NicolasViovy. Or, ce phénomène de “puitsde carbone” est déjà pris encompte dans les projections clima-tiques. Les hausses de la tempéra-ture mondiale que l’on prévoit(+ 3 °C ou + 4 °C d’ici à la fin du siè-cle) tiennent donc déjà compte dece bonus que nous offrent la végé-tation et les océans. » p

    audrey garric

    Le réchauffement fragilise un milliard de travailleursLa perte de productivité liée à la hausse des températures pourrait coûter 1 800 milliards d’euros par an d’ici à 2030

    L ors d’une manifestationdans les rues d’Hyderabad,en Inde, j’évoque la tempé-rature élevée, plus de 40 °C, et unmilitant me rapporte qu’à plus de

     50 °C, il a vu un oiseau tomber duciel. Je lui demande alors si cela nel’inquiète pas et il me répond :“Non, je ne vole pas”. » L’histoireracontée par Philip Jennings, lesecrétaire général d’UNI GlobalUnion, fédération syndicale inter-nationale des secteurs de servi-ces, est révélatrice.

    L’augmentation de la tempéra-ture due au changement climati-que touche le monde du travail,mais la prise en compte du phé-nomène est plutôt récente.

    Heures perdues liées aux forteschaleurs, accidents, maladies,productivité en berne, pertesd’emploi et migrations, la liste desconséquences est longue.

    A quelques jours du 1er mai,journée internationale des tra-vailleurs, plusieurs agences del’ONU et organisations internatio-nales ont conjugué leurs appro-ches pour publier un rapport,jeudi 28 avril, « Changement cli-matique et travail : impact de lachaleur sur les lieux de travail ».

    L’enjeu était « de casser les barriè-res, de trouver des solutions possi-bles pour un problème qui concerneà la fois le climat, l’environnement,le développement économique et

    les problèmes sociaux », avanceElise Buckle, du Programme desNations unies pour le développe-ment, à l’origine de ce travail avecle Forum des pays vulnérables.

    Selon ce rapport, inspiré des tra-vaux du Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolutiondu climat (GIEC), la perte de pro-ductivité liée à la hausse de la tem-pérature pourrait coûter plus de1 800 milliards d’euros par an d’icià 2030. Ce thermomètre élevé, au-dessus de 35 °C, est un problèmemajeur pour près d’un milliard detravailleurs, en Asie, en Afrique eten Amérique latine, soit un tiersdu nombre total de travailleursdans le monde. « Ce sont les plus

     pauvres qui paient le prix le plus

    cher, ils sont littéralement placéssous le gril en travaillant à l’exté-rieur ou à l’intérieur sans climati-sation,  explique Philip Jennings.

     Et ils doivent faire un choix diffi-cile : mettre leur vie en danger enétant exposés aux coups de cha-leur et à une grave déshydratation,ou risquer de perdre leur travail etleur revenu pour leur famille. »

    Les personnes travaillant en ex-térieur sont les plus vulnérables,comme dans l’agriculture, où lesfemmes sont particulièrement ex-posées, et le bâtiment. Mais aussidans la confection ou encore l’in-dustrie, dans des pays où les con-

    ditions de travail sont loin d’êtredécentes. « Prendre trente minutesde pause pour se mettre dans unendroit frais, se réhydrater, n’est

     pas très courant dans des pays telsque le Bangladesh, l’Inde, le Pakis-tan, estime Elise Buckle. Sauf, cas

     plutôt rare, si les syndicats sont pré-sents et négocient avec l’em-

     ployeur. » Selon elle, en l’absencede négociations, les gouverne-ments doivent proposer des régle-mentations qui tiennent comptede ces nouvelles conditions. LeBurkina Faso, le Niger et le Tchadont pris des décrets instaurant,dans le secteur public, une journéecontinue de 8 heures à 15 h 30.

    L’érosion côtière menace l’emploi

    Philip Jennings aime à citerl’exemple du Qatar et de la Coupedu monde de football de 2022.« Les footb alleurs ont refusé de

     jouer en été car la température ydépasse les 50 °C, alors les matchsauront lieu en hiver. Mais combiende salariés peuvent se permettred’imposer un tel changement ? », s’interroge-t-il.

    Si rien n’est fait, écrivent lesauteurs du rapport, les pertes ho-raires pour raison de chaleur ex-cessive se révéleront importantes.Plusieurs scénarios ont été étu-diés, selon que le réchauffementatteindrait 1,5 °C ou 2,4 °C, voire

    4 °C. En Inde, ces trois hypothèsesse traduiraient, à l’horizon 2085,par des pertes de 4,3 % d’heuresdiurnes de travail, 7 % et 13,6 %pour le pire scénario. Au Pakistan,6 %, 8,6 % et 15,3 % ; au Nigeria,2,6 %, 5,2 % et 13,8 %. Les pays nor-diques ou tempérés ne sont pastouchés avec une telle ampleur.

    Mais le changement climatiquene se manifeste pas que par ces for-tes chaleurs. La montée des eauxmenace aussi l’économie et lesconditions de travail. Le SénégalaisMoustapha Kamal Gueye est spé-cialiste des emplois verts à l’OIT. Iltémoigne des conséquences de cesdérèglements climatiques. « 30 %des hôtels dans la zone de tourismebalnéaire de Saly, au sud de Dakar,

    ont dû fermer à cause de l’érosioncôtière. C’est autant d’emplois per-dus, alors que le tourisme est ledeuxième pourvoyeur de l’écono-mie du pays »,  explique-t-il.

    Pour lui, comme pour toutes lesorganisations qui ont travaillé surce rapport, la prise de consciencedevient urgente. « Il faut être plusexigeant, reconsidérer les condi-tions de travail, les horaires, lestemps de pause, les tenues… Et sur-tout encourager la réorientation del’économie pour rester bien en des-sous des 2 °C de réchauffement »,  insiste Philip Jennings.p

    rémi barroux

    La forêtde Savernakecouvertede jacinthes,près deMarlborough,dans le sud de

    l’Angleterre.TOBY MELVILLE/REUTERS

    L’accroissement

    de la végétation

    représente

    l’équivalent d’un

    continent vert

    de deux fois

    la taille

    des Etats-Unis

    La Terre verdit grâce aux émissions de CO2Le dioxyde de carbone rejeté par les activités humaines a accru la quantité de feuilles des arbres depuis trente ans

    GÉOLOG IEUn séisme demagnitude 5 secouela Charente-Maritime

    Un séisme de magnitude 5 asecoué, jeudi 28 avril à 8 h 46,la Charente-Maritime, a indi-qué le Réseau national desurveillance sismique. Aucundégât majeur n’était signalé,jeudi matin, dans la zonetouchée par le séisme, dontl’épicentre est situé entreRochefort et La Rochelle. Denombreux témoins ont tou-tefois ressenti une forte se-cousse, qui a parfois fait tom-ber des objets situés sur desétagères ou des morceaux deplâtre des plafonds. – (AFP.)

    NUCLÉAIRENégociations ouvertessur FessenheimLe PDG d’EDF, Jean-BernardLévy, a affirmé, mercredi27 avril, lors d’une audition

    au Sénat, que les négocia-tions étaient en cours avecl’Etat sur l’indemnisation quisera versée à l’entreprise dansle cadre de la fermeture de lacentrale nucléaire de Fessen-heim (Haut-Rhin), qui doitêtre enclenchée cette année.Selon M. Lévy, SégolèneRoyal, la ministre de l’envi-ronnement, « a désigné, il y acinq ou six semaines, un négo-ciateur sur l’indemnisation » des actionnaires de Fessen-heim (EDF, mais aussi l’alle-mand EnBW et les suissesAlpiq, Axpo et BKW). – (AFP.)

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  • 8/17/2019 Le Monde Du Vendredi 29 Avril 2016

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    Nicolas Sarkozy en précampagne en PACALe président de LR tarde à annoncer sa candidature à la primaire, mais ses intentions ne font guère de doute

    nice, marseille - envoyé spécial

    Monsieur le prési-dent, je compte sur vous pour les préli-minaires »… Pen-

    chée sur la table où NicolasSarkozy dédicace avec abnégation La France pour la vie  (Plon), lasexagénaire pomponnée regardel’ancien président de la Républi-que avec les yeux de l’amour. Lelapsus est délicieux, et l’intéressé,qui enchaîne les signatures de-puis près de deux heures, en sou-rit largement. « Vous pouvez », ré-pond-il en rendant le livre grifféde son large paraphe.

    Nicolas Sarkozy n’est pas encorecandidat à la primaire de la droite.Mais, ce mardi 26 avril, dans le dé-cor entièrement tendu d’un bleu

    profond, posé en plein air sous lesfrondaisons du Théâtre de ver-dure de Nice, il ne laisse guère dedoute sur ses intentions. Nice,Toulon, Marseille et Aix, en tren-te-deux heures chrono. C’est à unrythme de campagne que le prési-dent du parti Les Républicains(LR) a sillonné, mardi et mercredi,le littoral sud-est.

    Trois séances de dédicaces pourse gonfler de l’affection de sesfans, nombreux dans ces con-trées. Des rencontres avec les par-lementaires et grands élus de sonparti pour entamer la course auxparrainages et vérifier les fidéli-tés. Une séance publique pour tes-ter les thèmes qui pourraientnourrir son programme prési-dentiel en 2017. Et ce leitmotiv, ré-pété à chac un de ses arrêts : « Il faut rester unis. Notre devoir est de

     préparer l’alternance. »

    « Ça, c’est du réel »

    A Nice, le maire et nouveau prési-dent de la région PACA, ChristianEstrosi, l’entraîne, à peine des-cendu de l’avion, jusqu’au centrede supervision urbaine, où con-vergent les images des caméras devidéosurveillance qui quadrillentla ville. Au même moment, unportique de sécurité à reconnais-sance faciale – dont M. Estrosiveut équiper les fan-zones del’Euro 2016 – est testé sous lesyeux des journalistes. Coïnci-dence calculée ?

    « La sécurité doit être le fonde-ment de notre programme »,abonde Mickaël Basquin, 35 ans.Arrivé à 9 heures, ce jeune élu LRde Roquebrune-Cap-Martin pa-

    tiente, livre sous le bras, dans lalongue queue de plusieurs centai-

    nes de personnes qui descend

    vers la plage. Rare trentenairedans un ruban de têtes blanches,il ne voit pas un autre candidatsortir de la primaire : « Les sonda- ges donnent Sarkozy en retard,concède-t-il, mais c’est parce qu’ilne s’est pas encore déclaré. »

    A quelques pas, Eric Ciotti nemontre guère d’inquiétude. « Ici,la remobilisation autour de Nico-las Sarkozy n’est pas nécessaire, as-sure le président du conseil dé-partemental. Les Alpes-Maritimesseront toujours derrière lui. »Christian Estrosi, lui, se veut « au-dessus de la mêlée ». « Je suis prési-dent de la commission nationaled’investiture du parti. Aucun can-didat ne comprendrait que je dé-clare mon soutien à l’un d’entreeux »,  note-t-il. Au soir de sa vic-toire aux régionales en décembre,

    M. Estrosi avait fustigé le « ni PS, ni FN »  de M. Sarkozy. « Je ne m’en

    souviens pas… »,  assure

    aujourd’hui celui qui, cinq moisplus tôt, appelait les électeurs degauche à la rescousse.

    La séance de dédicaces, com-mencée vers 11 heures, s’éterniseencore deux heures plus tard. Ni-colas Sarkozy s’en délecte : « Ça,c’est du réel, lâche-t-il entre deuxselfies. Personne n’a obligé tousces gens à venir. »  Dans le jardinpublic, les petits sacs rouges de lalibrairie Jean-Jaurès – qui a écoulé250 exemplaires du best-sellerprésidentiel – colonisent l’océanbleu LR. Françoise, retraitée, irra-die après sa rencontre éclair avec« Nicolas »: « Il vaut mieux un soi-disant perdant qui rebondit, qu’unsoi-disant gagnant qui s’écroule », prophétise-t-elle.

    A Marseille, mercredi, la fouleest moins dense et moins una-

    nime. Au Club Pernod, salle quidomine le Vieux-Port, seuls les

    élus et cadres des sections ont étéconviés. La journée a commencétôt. M. Sarkozy a dormi sur place àla suite de son crochet par Toulonla veille, pour rencontrer le séna-teur et maire Hubert Falco, unautre de ses fidèles. Après un foo-ting sur la corniche Kennedy enplein mistral, l’ancien chef del’Etat a rendu une visite de poli-

    tesse à Jean-Claude Gaudin. « Ilsait que je suis légitimiste et que je

    serai derrière lui », confirme le

    maire de Marseille. NicolasSarkozy lui a-t-il confié la date deson entrée en campagne ? « Il neveut pas se déclarer trop tt, et il araison », élude l’ancien vice-prési-dent de l’UMP.

    « Petites phrases assassines »

    Si M. Gaudin assure à NicolasSarkozy qu’il n’a « que des amisdans cette salle », certains pré-sents s’interrogent sur la capacitéde l’ex-président à être le meilleurcandidat pour LR en 2017. « Pour

     gagner la présidentielle, il faut ras-sembler,  s’inquiète Patrick Pado-vani, adjoint au maire et leaderd’un comité Juppé. Avec Sarko, va-t-on avoir encore des petites phra-ses assassines comme cellesd’hier ? Comment peut-on se re-trouver si l’on n’a pas le respect des

    hommes ? » La veille, à Nice, l’an-cien président de la République a

    Myard et les nostalgiques d’Ordre nouveauLe candidat à la primaire LR a participé à une conférence d’anciens du groupe néofasciste dissous

    Q uand un journaliste l’in-terpelle, salle des Quatre-Colonnes à l’Assembléenationale, là où se ren-

    contrent les députés et les médias,Jacques Myard répond souvent parune blague de son cru : « Qu’est-cequ’il a encore fait, M. Myard ? » Legimmick pourrait servir de titre

    aux « aventures » du député (LesRépublicains) des Yvelines, 68 ans,candidat déclaré à la primaire de ladroite. Un matin, on le découvreen Syrie, serrant la main de BacharAl-Assad. Un autre, on le retrouveen Crimée, en soutien à l’annexionde la péninsule ukrainienne par laRussie de Vladimir Poutine. Si sabienveillance pour les régimesautoritaires est affirmée, ses incur-sions parmi les représentants de ladroite extrême française sont, el-les, plus discrètes.

    Le maire de Maisons-Laffitte, quise définit comme « gaulliste »  et« anarchiste de droite », a été l’in-

    vité, il y a quelques mois, d’un clubprivé méconnu : le cercle Iéna .Fondé par d’anciens dirigeantsd’Ordre nouveau, un groupusculenéofasciste des années 1970 dis-sous en juin 1973, qui est à l’originede la création du Front national, cecercle réunit de vieux amis de fa-culté, unis par le nationalisme ré-

    volutionnaire et la lutte contre les« gauchistes ».

    Fort en gueule

    Ses animateurs ont pour pointcommun une réussite sociale évi-dente, et se sont pour certains « re-cyclés » au cours de leur carrièredans d’autres formations politi-ques de droite ou d’extrêmedroite, du FN au RPR, tendanceCharles Pasqua. On retrouveparmi eux Alain Robert, figuremythique de l’extrême droite es-tudiantine des années 1970, ou en-core Philippe Péninque, ancienchef de file du GUD, un groupus-

    cule étudiant radical, devenuaujourd’hui conseiller officieuxde Marine Le Pen.

    Jacques Myard assume franche-ment sa venue devant les mem-bres du cercle. « C’est un labora-toire d’idées avec des gens intéres-sants et influents, ils ont dépassé lestade d’Ordre nouveau. Et puis, je

    ne suis pas membre du cercle,  dé-fend le député, qui met en avant saqualité d’ancien du Quai d’Orsay.

     J’ai fait une conférence sur mes thè-mes, à savoir la diplomatie fran-çaise. » D’autres avant lui se sontdéjà présentés au cercle pour par-ler de leurs « thèmes » à l’occasionde conférences, comme le chef defile de la mouvance néofasciste enItalie Gabriele Adinolfi, figure desannées de plomb. Ou encore le ro-mancier Jean Raspail, auteur duCamp des saints, ouvrage de réfé-rence à l’extrême droite sur lesconséquences, forcément néfas-tes à ses yeux, de l’immigration.

    Héraut de la Droite populaire,courant de l’aile droite des Répu-blicains, et des « apéros saucis-son-pinard », M. Myard s’est cons-truit une image de fort en gueule.De nombreux dirigeants du FN di-sent apprécier ses positions. De-puis des années, il est un des« in-vités permanents » de Radio cour-

    toisie, pour reprendre l’expres-sion du président de cette radiod’extrême droite, Henry de Les-quen. « C’est un excellent homme.Un des bons éléments de LR, coura-

     geux, indépendant et bourréd’idées », félicite ce dernier. Se ren-dre dans la région séparatiste duDonbass, en Ukraine, était une deses dernières idées, justement. Ledéputé frontiste Gilbert Collard seproposait de jouer le rôle du ca-marade de voyage, mais JacquesMyard a décliné. Dommage. Onaurait pu demander : « Qu’est-cequ’il a encore fait, M. Myard ? » p

    olivier faye

    Christian Estrosi,Nicolas Sarkozyet Eric Ciotti,à Nice, le 24 avril.LAURENT CARRÉ

    POUR « LE MONDE »

    « Les Alpes-Maritimes

    seront toujours

    derrière Nicolas

    Sarkozy »

    ÉRIC CIOTTIprésident du conseil

    départemental

    sciemment attaqué le mouve-

    ment de protestation Nuit de-bout : « Des g ens qui n’ont riendans le cerveau qui viennent don-ner des leçons à la démocratie

     française », « des casseurs qui, tousles soirs, occupent la place de la Ré-

     publique ». Quelques minutesplus tôt, une dizaine de manifes-tants tapaient sur des marmitespour rappeler « les casseroles judi-ciaires de l’ex-président ».

    A Marseille, le buzz fait, NicolasSarkozy n’évoque plus Nuit de-bout. Il préfère insister surl’après-primaire : « En 2017, on va

     pouvoir dire, proposer, faire deschoses qui étaient impensablesen 2012, prévient-il. Dans cettenouvelle liberté que nous sommesen train de conquérir, la pensée dedroite ne doit pas s’amollir. Noschoix ne supporteront aucune

    ambiguïté. »p

    gilles rof

  • 8/17/2019 Le Monde Du Vendredi 29 Avril 2016

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    8 | france VENDREDI 29 AVRIL 20160123

    T E R R O R I S M E

    Commentpeut-on défendredes djihadistes ?Des avocats racontent leurs cas de conscienceet convictions face aux dossiers terroristes

    Je ne souhaite pas me défen-

    dre. » Barbe longue et versetsrécités dans le box, CédricVuillemin est poursuivi pouravoir tenté de rejoindre les

    rangs de l’organisation Etat isla-mique (EI). Sans un mot, son avo-cat retourne s’asseoir au fond de la16e  chambre du tribunal correc-tionnel de Paris. Celle qui voit dé-filer les affaires de départs pour laSyrie. Le travail de Gérard Matteiauprès de celui qu’il assiste depuisprès de deux ans s’arrête là. Il étaitmême parvenu à lui obtenir unbracelet électronique pendantquelques mois. « C’est que lqu’und’attachant. Mais bon, il veut fairede ce procès une tribune. » Un gâ-chis pour l’avocat qui souhaitaitjustement montrer de lui un autrevisage que celui de la radicalisa-tion. Il savait ce que son clientavait décidé, mais tenait tout de

    même à être présent à ses côtés le4 avril, au premier jour del’audience.

    Comment peuvent-ils ? Revoilàla ritournelle du dîner en ville.Comment les avocats peuvent-ilsdéfendre les pédophiles, les vio-leurs, les meurtriers… et enfin,personnification actuelle du malabsolu : les djihadistes.

    Frank Berton n’y échappe pas. Leténor lillois savait qu’en étant dé-signé par Salah Abdeslam, il necouperait pas aux critiques.  Niaux menaces dont son confrèrebelge Sven Mary a été l’objet avantlui, en prenant en main le dossierdu principal suspect des attentatsdu 13 novembre. Sven Mary quis’interroge aujourd’hui sur la ca-pacité de la justice « ordinaire » etde ses acteurs à porter l’accusa-

    tion ou à endosser la défense deces suspects de terrorisme. « Cen’est pas la cour d’assises de Parisqui devrait les juger, mais une cour pénale internationale. Ces gens ont commis des actes de guerre »,  es-time l’avocat belge dans  Libéra-tion du 27 avril.

    A ces « comment faites-vous ? »,la plupart des pénalistes répli-quent pourtant par le discoursbien rodé de ceux qui ont l’habi-tude de plaider leur propre cause.Tout le monde a droit à une dé-fense ; il faut bien un contre-pou-voir, un dernier rempart pourl’Etat de droit. Et si vous n’assu-mez pas cette robe, ne l’enfilez pas.

    « Je peux défendre un néonazisans en épouser la thèse. » La com-paraison de Thomas Delanoë peutsembler radicale, mais elle souli-

    gne une réalité nouvelle : le terro-

    riste est devenu une arme de lan-gage absolue. Me Delanoë, lui, a ré-cupéré son premier et seul dossier« terro » par le biais d’une famillequ’il a connue bien avant  « toutça ». Son client n’est pas parti pourla Syrie, il a« juste » fourni de l’aideà d’autres. L’aurait-il défendu s’ilavait été plus qu’un « facilita-teur » ? Pas si sûr.

    Tous ou presque hochent la têtelorsqu’on leur demande s’ils ontdéjà dit non. Parce que le courantne passait pas, qu’une affaire fai-sait un peu trop écho à leur vie… Ilexiste bien des cas de consciencesous les robes. Et des dossiers« in-supportables ». Véronique Massise souvient ainsi d’avoir refermécelui d’un homme qui avait tuéson nourrisson, il y a quelquesannées. Elle était enceinte. Des« méchants », elle en défend beau-

    coup, pourtant, depuis plus dedix ans. « Mais il faut pouvoir seregarder dans le miroir. »  Alorselle se garde le droit de refuser. Et,surtout, le devoir de se retirer sielle hésite à soulever un vice deprocédure qui permettrait à sonclient de sortir de prison.

    Apprivoiser la 16e chambre

    L’un de ses confrères – qui préfèregarder l’anonymat pour éviter quedes dossiers de ce type ne s’empi-lent dans son cabinet – a égale-ment vu resurgir ses anciennescraintes d’étudiant en droit, aprèsles attentats. Pourrait-il assurerune telle défense ? Finalement, enfévrier, un« retour de Syrie » est ar-rivé jusqu’à lui. Il l’a accepté. Undialogue utile des deux côtés duparloir, puisque l’avocat y a trouvé

    un « moyen de démystifier », unecatharsis à ses propres peurs. Lefait même que son client consenteà être défendu l’a rassuré. Leursdeux mondes n’étaient donc pascomplètement fermés, bien que leterrorisme fasse chambre à partdans le droit français.

    En la matière, seule une petitecommunauté a le monopole descommissions d’office. Ils sontdouze, chaque année : les secrétai-res de la conférence des avocatsdu barreau de Paris. Pour lesautres avocats, plus ou moinsnéophytes en géopolitique

    syrienne, il faut apprivoiser la siparticulière 16e  chambre, où ré-sonne l’actualité du Proche-Orient. Où un lexique glissé dansun dossier permet de distinguer ledjihad de la hijra, les sunnites deschiites. Et où chacun peut évaluerles limites de sa tolérance.

    Tester ses limites, Joseph Hazans’y est confronté dans l’affaireMerah. Lui, l’avocat « d’origine juive », aux côtés d’un homme misen examen dans le dossier de l’at-tentat qui a coûté la vie à sept per-sonnes en 2012, dont un rabbin etprofesseur et trois enfants d’uneécole juive de Toulouse. « Juste-ment », précise-t-il. C’est là que saplace lui semble indispensable.Pour tenter de ramener un peu desérénité lorsque l’empressementmédiatique prend le pas sur le

    judiciaire. Pour que la justice soitla même,« même pour eux ». Juste-ment pour eux.

    Tout en espérant que ce ne soitpas « un de [s]es clients »,  il n’adonc pas hésité une seconde aprèsle 13 novembre. A ceux qui lui de-mandent pourquoi, il répond que

    leur question revient à poser cellede l’Etat de droit. Quelque chose amalgré tout changé depuis quel-ques mois : les libérations condi-tionnelles se sont encore raré-fiées. Même pour « ce petit, partidans un délire de gamin », qu’il estencore temps de rattraper et quiincube dans le milieu carcéral. Enattendant que la peur retombe. Enattendant des solutions défaillan-tes, dehors, pour l’encadrer.

    Après une dizaine de « cas » dé-fendus en trois ans, ConstanceDebré ne peut s’empêcher de semettre à la place des juges. Quellepeine opposer à la crainte de cequ’un homme pourrait commet-tre ? Elle pose tout de même des li-mites et plaide pour que les jugesentendent qu’il n’y a pas « le dji-hadiste », mais mille histoires,

    mille parcours. Même si elle a par-fois l’impression qu’ils lui fontsimplement la politesse de la re-cevoir, avant de suivre « systéma-tiquement »  les réquisitions duprocureur, gardien des intérêts dela société.

    Sentiment d’impuissance

    Face à la méfiance compréhensi-ble que suscitent leurs clients, cer-tains avocats questionnent leurpropre utilité, tout leur semblanttellement retenu à charge. Queleurs clients conservent leurbarbe et voilà une preuve de leurancrage radical. Qu’ils la rasent, eton les soupçonne de pratiquer lataqiya (la dissimulation de sa foi).

    Ne leur reste qu’une stratégie :rappeler qui on juge dans cette16e chambre. Un père qui a envoyéde l’argent à son fils parti pour laSyrie, un ami qui a prêté son ap-partement, un jeune homme dontle téléphone déborde de vidéos depropagande de l’EI, un autre quivoulait rejoindre les rangs de l’or-ganisation… Au-delà des faits, toussont jugés sur leur dangerosité

    supposée. « Pas étonnant quel’échelle des peines soit incohé-rente », souligne Constance Debré.

    Peu importe, elle continuera àregarder « ceux qu’on ne veut pasvoir », à raconter la vie des person-nes derrière les « dossiers terro ».Elle évoque avec tristesse leur

    amour déçu de la France, elle quise promène comme elle l’entenddans les paysages de son pays, lesgrands noms de son histoire, sachronologie. « Mais eux… »

    Véronique Massi acquiesce. Du-rant ses treize années passées à ladéfense des petits et grandsvoyous, elle a accompagné « des gamins désœuvrés »  qui font lesmauvais choix, et a observé le sen-timent d’injustice grandir en eux.

    Après les attentats de jan-vier 2015, elle avait décidé de ren-dre visite à tous « ses » détenus.Après ceux de novembre, elle alutté un peu plus fort contre sonsentiment d’impuissance. « Onest l, nous, avec nos petites robes essayer de faire ce qu’on peut. Mais qu’est-ce qu’on peut ? »p

    lucie soullier

    A ces « comment

    faites-vous ? »,

    les pénalistes

    répliquent par

    un discours

    bien rodé. Tout

    le monde a droit

    à une défense

    AUREL

    avec les chroniques

    d’Arnaud Leparmentier,

    d’Alain Frachon

    et de Vincent Giret

    dans Un jour dans le monde

    de 18:15 à 19:00

    19:20 le téléphone sonne

    18:15 un jour dans le monde

    nicolas demorand

    le 18 /20

    venantde choc

  • 8/17/2019 Le Monde Du Vendredi 29 Avril 2016

    9/24

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    Frank Berton, un fort en gueulerompu aux ouragans médiatiquesLe pénaliste lillois a été choisi comme avocat par Salah Abdeslam

    PORTRAIT

    La gueule, évidemment.On ne voit qu’elle. Elle endit tant, cette gueule. Lescabosses de l’enfance face

    à un père violent, la traverséeheurtée de l’adolescence, les ten-tations du mauvais côté, la fiertéd’y avoir résisté, l’insolente revan-che du succès et la crainte sourdede le voir s’échapper. De cettegueule trop bavarde, Frank Bertona dû tôt s’accommoder. « Puisque je l’ai, autant en jouer »,  confiait-ilà l’un de ses plus proches amis lil-lois il y a quelques années. Alors iljoue.

    Cheveux noirs gominés, teintbrouillé par des nuits trop cour-tes, cernes gonflés, regard mi-closde fumeur, sapes de marlou et bel-les bagnoles. Frank Berton sait lacuriosité mêlée de défiance quesuscite sa ressemblance avec ceuxqu’il défend. Mais il y a la robe, jus-tement, son Graal et sa frontière,qu’il a mis plus longtemps qued’autres à décrocher. L’avocatFrank Berton, inscrit au barreaude Lille, est né à 27 ans.

    Il en a le double aujourd’hui etc’est à lui que Salah Abdeslam adécidé de confier sa défense. La re-commandation est venue de SvenMary, l’avocat belge du seul survi-vant du commando des attentatsdu 13 novembre, qui a pointé le

    nom du Lillois sur une liste quicomprenait les plus célèbres pé-nalistes français.

    Les deux hommes se sont ren-contrés une première fois à la pri-son de Beveren, près d’Anvers,pendant deux heures et demie,pour s’entendre sur une ligne dedéfense que Frank Berton a expo-sée à la presse dès que sa désigna-tion a été rendue publique, mer-credi 27 avril : « Il m’a assuré qu’ilexpliquerait un certain nombre dechoses, qu’il dirait ce qu’il a fait,avec qui, comment et pourquoi, etqu’il prendrait ses responsabilités. »

    Nouvelle identité

    Vingt ans plus tôt, Frank Bertonavait fixé la même conditionavant d’accepter de devenir l’avo-cat de Smain Aït Ali Belkacem,l’un des auteurs des attentats de1995 à Paris. L’homme avaitd’abord avoué sa participation,mais il s’était ensuite rétractépendant l’instruction et FrankBerton l’avait lâché. Il a racontél’épisode à Salah Abdeslam et lui aaussi dit qu’il avait défendu unefamille victime de l’attentat deMarrakech en 2011.

    Pour le reste, tout le reste, il estprêt. Les coups à prendre, ceux àrendre, l’ouragan médiatique,Frank Berton connaît. Il s’y estfrotté avec l’affaire d’Outreau,en 2004 à Saint-Omer (Pas-de-Ca-

    LuxLeaks : un lanceurd’alerte « anticapitaliste » ?La police luxembourgeoise a dû défendre sonenquête, mercredi, au procès d’Antoine Deltour

    luxembourg - envoyé spécial

    U n« anticapitaliste », le lan-ceur d’alerte Antoine Del-tour ? C’est la convictiondu commissaire de police luxem-bourgeois Roger Hayard, qui estvenu témoigner mercredi 27 avrilau procès de l’ancien auditeur ducabinet PricewaterhouseCoopers(PwC). Celui-ci est accusé d’avoirvolé des centaines d’accords fis-caux secrets, la veille de sa démis-sion, en octobre 2010, avant de lestransmettre à un journaliste de« Cash Investigation », EdouardPerrin. Un autre employé de PwC,Raphaël Halet, est également ac-cusé de « vol » et de « violation dusecret professionnel » et risque,comme lui, dix ans de prison.

    Lors de son enquête, le commis-saire Hayard a pu avoir accès aumatériel informatique d’AntoineDeltour, rapidement identifié parPwC après la diffusion de « Cash In-vestigation », en mai 2012. Commeaucune trace de transaction finan-cière suspecte n’a été trouvée, lepolicier a cherché un autre motif.Antoine Deltour « était déclaré an-ticapitaliste », a-t-il lâché à la barre.Pour preuve, des propos postés surFacebook où M. Deltour déclarait« avoir du mal à accepter » que le« commun des mortels » ne puissepas échapper à l’impôt comme lesgrosses multinationales.

    Surtout, M. Deltour était abonnéà des newsletters des Verts et « sui-vait l’actualité du site Mediapart »,

    dont le directeur est un « person-nage qui