Le Mythe des Voitures Piégées contrôlées à distance L

Hugo Kaaman

Report n.15, September 2019

Le Mythe des voitures piégées contrôlées à distance

European Eye on Radicalization

Hugo Kaaman

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La voiture piégée est une arme incroyablement puissante et polyvalente. Selon la façon

dont elle est conçue, elle peut être utilisé pour causer des destructions insondables dans

toutes sortes d’environnements, contre des cibles de nature variable. Les voitures

piégées, également connues sous le nom d’engins explosifs improvisés transportés par

des véhicules (VBIED), figurent parmi les armes les plus utilisées par les acteurs non

étatiques. Traditionnellement, le type d’attentat à la voiture piégée le plus couramment

utilisé a été les VBIED stationnés.

Avec cette méthode, les véhicules civils sont habituellement équipés d’explosifs, puis

stationnés sur leurs cibles avant d’être déclenchés. Le conducteur qui achemine le

véhicule à l’endroit prévu a donc amplement le temps de s’éclipser, laissant derrière lui ce

qui est essentiellement un dispositif explosif improvisé plus grand et dissimulé.

Alternativement, les VBIED peuvent être conduits jusqu’à la cible et détonés par un

conducteur. Entre 2014 et 2019, l’utilisation de ces engins explosifs improvisés

transportés par véhicule suicide (SVBIED) a monté en flèche, l’État islamique en étant le

principal coupable. Rien qu’en 2016 et 2017, l’État islamique aurait utilisé un total de 1 

383 SVBIED, dont la plupart étaient blindés, dans le cadre de leurs campagnes militaires

prolongées en Syrie et en Irak [1].

Nous vivons dans des sociétés technologiques où les innovations se multiplient

rapidement. Les acteurs non étatiques en profitent régulièrement. Dans les guerres de

Syrie et d’Irak, cela est devenu plus évident que jamais. La commercialisation des drones

de loisirs a conduit à leur apparition sur le champ de bataille de «Syraq» dans les mains

de la plupart des acteurs non étatiques. Le plus souvent, ces outils ont été utilisés pour la

reconnaissance, fournissant une plus grande capacité de surveillance et de ciblage aux

acteurs qui ne disposent pas de force aérienne. Certains sont allés plus loin, transformant

les drones eux-mêmes en armes en montant des bombes sur les drones qui pouvaient

ensuite être larguées directement sur des forces qui ne se doutaient de rien[2].

Cependant, le schéma le plus habituel était celui observé pendant la bataille de Mossoul,

où les conducteurs de l’État islamique étaient souvent en contact radio permanent avec

une équipe de drones pour permettre au SVBIED de choisir la voie la moins résistante sur

le chemin vers la cible visée et éviter ainsi des obstacles potentiels[3]. Il s’agit là

d’exemples de premier choix pour utiliser certaines technologies nouvelles et

commerciales pour les actes pernicieux des acteurs non gouvernementaux. C’est

exactement la raison pour laquelle certaines personnes mettent en garde contre la

4

possibilité d’une mauvaise utilisation de la technologie émergente des véhicules

autonomes à conduite automatique [4]. L’accent a surtout été mis sur la capacité

présumée de détourner et de diriger des véhicules sans conducteur vers une foule, mais la

conversion d’un véhicule à conduite automatique en une voiture piégée sans conducteur

devrait inquiéter beaucoup plus les gens.

Ce que la plupart des gens semblent oublier, c’est ce que les voitures piégées sans

conducteur sont déjà une réalité. Les acteurs non étatiques fabriquent depuis des années

des VBIED pilotés à distance à petite échelle. Malheureusement, les quelques fois où ce

phénomène a été souligné dans les médias, les rapports ont été à la fois trompeurs et

inexacts.

Ainsi, début janvier 2016, la chaîne de télévision britannique Sky News a diffusé un

reportage surprenant, mettant en scène des fuites d’images internes d’une «aile recherche

et développement» de l’État islamique à Raqqa, dans l’est de la Syrie, «capitale» du

«califat» du groupe. Dans les images, on pouvait voir des chasseurs assembler et

expérimenter avec une voiture piégée télécommandée — un engin explosif improvisé à

bord d’un véhicule télécommandé, ou RC-VBIED (Remote-Control Vehicle-Borne

Improvised Explosive Device).

Le volant de direction avait été couplé à de multiples engrenages et les pédales étaient

reliées à un actionneur linéaire, ce qui permettait de commander à distance la vitesse et la

direction [5]. Au lieu d’un conducteur, un mannequin avait été enduit de fil métallique,

enveloppé dans du papier d’aluminium, puis relié à un thermostat autorégulant qui le

5

porterait à la même température que le corps humain. Enfin, des lasers ont été fixés aux

yeux afin de compléter la signature thermique [6].

Le niveau d’attention au détail, presque absurde, était assez impressionnant. L’utilisation

du mannequin modifié comme faux conducteur impliquait clairement que le véhicule était

destiné à être utilisé contre des cibles dans des environnements éloignés des lignes de

front des zones de guerre actives. Dans ces zones, un certain niveau de discrétion serait

nécessaire pour mener à bien une telle attaque.

Le rapport Sky News cependant, s’éloignait de la réalité sur un point crucial. Le narrateur a

prétendu que le but était que les cellules dormantes de l’État islamique en Europe et dans

d’autres pays occidentaux reproduisent ce modèle. [7] Dans ces pays, «là où les

kamikazes sont rares», l’utilisation de RC-VBIED serait apparemment l’approche à suivre

pour planifier et exécuter une attaque terroriste[8]. Plus loin dans ce rapport, un dissident

de l’État islamique a affirmé que «le programme de formation est destiné à l’Europe pour

causer d’énormes dégâts (...) bien sûr qu’il n’était destiné ni à la Syrie ni à l’Irak.»[9]

Ce raisonnement n’a guère de sens. Les cellules dormantes de l’État islamique à l’étranger

manquent rarement de personnes prêtes à mourir pour la cause, ce qui va à l’encontre de

l’intérêt de construire un RC-VBIED technologiquement plus avancé pour commencer. La

plupart des attaques terroristes exécutées en Europe à cette époque allaient en fait dans la

direction opposée, avec des méthodes de «terreur à faible technologie» comme le fait de

bourrer des camions d’explosifs et les attaques au couteau comme tactiques les plus

courantes [10]. Les quelques fois où de véritables cellules dormantes envoyées de Syrie et

d’Irak étaient impliquées, les attaquants utilisaient généralement des gilets d’explosifs et des

armes d’assaut. L’archétype des cellules dormantes ou des rapatriés de l’État islamique est

le réseau qui a perpétré les atrocités de Paris en novembre 2015, puis les attentats à

l’aéroport et dans le métro de Bruxelles en mars 2016 [11, 12].

La seule exception possible à cette règle a trait à une affaire judiciaire récente en Grande-

Bretagne, où un sympathisant de l’État islamique envisageait apparemment de construire

un RC-VBIED [13]. Lors de l’inspection, cependant, sa capacité à le faire semblait

douteuse. Le raid de la police sur sa maison a permis de saisir des fusils à air comprimé,

quelques épées de samouraïs et une petite collection de feux d’artifice faits maison [14] : ce ne sont pas les éléments constitutifs d’un RC-VBIED.

6

Jusqu’à présent, aucun attentat terroriste en Europe ou ailleurs en Occident n’a été

perpétré à l’aide d’un RC-VBIED. Alors, où les utilise-t-on réellement?

Il s’est avéré que Raqqa n’était pas la seule ville sous le contrôle de l’État islamique à

disposer d’un département de recherche et développement (R&D) prolifique. En décembre

2016, la chaîne arabophone Al-Aan TV a diffusé un reportage du journaliste Jenan Moussa

basé sur des documents officiels de l’État islamique saisis près de Manbij, au nord de la

Syrie. [15]

Les documents de l’État islamique récupérés par Moussa semblaient avoir été préparés

sous la forme d’une note de service à l’intention des échelons supérieurs et présentaient

une partie du travail de l’aile R&D locale. Parmi toutes les innovations incluses dans la

note de service, la fabrication et les essais réussis d’un RC-VBIED ont été reconnus

comme le développement le plus important.

Sur l’une des pages des documents de l’État islamique capturés à Manbij, l’intérieur du

RC-VBIED était illustré avec une description des capacités du véhicule.

Selon la note de service, la conception du véhicule permettait à l’opérateur à distance de

contrôler les pédales d’accélérateur et de frein, le volant et la marche avant ou arrière [16]. Une caméra montée à l’avant du véhicule lui permettait de voir où il allait et d’enregistrer

l’opération pour une vidéo de propagande ultérieure [17]. Le véhicule aurait une portée

opérationnelle de trois kilomètres (deux milles) au moins ou de vingt kilomètres (douze

milles) lorsque le terrain était plat [18].

7

Avec de multiples unités de R&D dans différentes villes syriennes, on aurait pu s’attendre

à ce que l’État islamique ait largement vulgarisé son utilisation de ces voitures piégées

sans conducteur. Mais ce n’est pas le cas. Si l’on exclut les deux prototypes découverts à

Raqqa et à Manbij, il n’y a eu que deux cas où l’État islamique utilisait ou se préparait à

utiliser des RC-VBIED — tous deux hors de Syrie.

En décembre 2015, une vidéo officielle de l’État islamique de la région de Mossoul, dans

le nord de l’Irak, montrait brièvement une camionnette blindée déchirée RC-VBIED

conduite par un chasseur debout dans le lit arrière du véhicule. C’était la seule fois qu’une

voiture piégée sans conducteur faisait la une des médias officiels de l’État islamique.

Le deuxième exemple a été illustré par la milice de l’Armée Nationale Libyenne (LNA) de

Khalifa Haftar près de Benghazi, dans l’est de la Libye, fin avril 2016. Comme en fait foi la

configuration incomplète de la cabine, le poids lourd IVECO blindé était en train d’être

converti en RC-VBIED lorsqu’il a été saisi.

Dans tous ces cas, les RC-VBIED ont été largement diffusés dans les médias. Pourtant, il

semble que l’État islamique n’ait pas été particulièrement friand de l’utilisation des RC-

VBIED en grand nombre n’importe où. L’État islamique contrôlait le terrain — en Syrie, en

Irak et en Libye — depuis de nombreuses années, et avec lui de vastes ressources, des

équipements industriels et bien d’autres choses encore. Il a produit deux prototypes RC-

VBIED et deux cas enregistrés de voitures piégées sans conducteur. Par rapport aux

8

milliers de SVBIED employés, il s’agit d’un nombre infiniment petit. Alors, pourquoi cela?

La principale raison pour laquelle l’État islamique a largement évité les voitures piégées

sans conducteur est d’ordre idéologique. L’État islamique a porté son radicalisme au-delà

même d’Al-Qaïda et d’autres extrémistes; les SVBIED en sont l’une des manifestations. Il

dispose en abondance de personnes qui sont prêtes — en fait, impatientes — à enfiler un

gilet explosif et à sauter dans une voiture pour attaquer une cible assignée. Il n’est donc

pas vraiment nécessaire d’investir dans la production de RC-VBIED.

Il faut tout de même le demander: pourquoi l’État islamique ne remplacerait-il pas certains

de ses SVBIED par une flotte de RC-VBIED? Comme nous l’avons mentionné plus haut,

ce n’est pas une affaire de ressources. Pour répondre à cette question, il est utile de

comparer l’utilisation par l’État islamique des RCE-VBIED avec celle des autres acteurs

non étatiques au cours de la même période.

Compte tenu de la façon dont les efforts timides de l’État islamique pour développer les

RC-VBIED ont été rapportés, il serait facile de croire qu’il a été le premier groupe à

développer une telle arme. Ce n’est pas le cas. Au contraire, la création et l’utilisation de

voitures piégées sans conducteur remontent à plusieurs décennies, et l’État islamique n’a

même pas été le premier acteur non étatique à développer les RC-VBIED pendant la

guerre en Syrie.

À la mi-avril 2012, le «Arabian Gulf Battalion» — une faction de l’Armée syrienne libre

(FSA) active dans la campagne de Hama — a publié une vidéo montrant le premier cas

enregistré d’un RC-VBIED pendant la guerre syrienne. [19] Le véhicule civil révisé pouvait

être vu roulant sur la route avec quelques bouteilles de propane visibles sur les sièges

passagers et arrière. Sur le siège du conducteur, une maquette de poupée grossière

ressemblant à peine à une personne a été bien attachée afin d’éviter de susciter la

suspicion.

9

Bien qu’il s’agisse du premier dispositif du genre dans le conflit syrien, le dispositif d’avril

2012 était d’une qualité relativement élevée. Elle a été suivie par au moins trente-six

autres RC-VBIED au cours de la guerre. Ce chiffre est basé sur des recherches

approfondies.

Par souci d’uniformité, seuls les cas où il y avait des photographies ou des vidéos

montrant les RC-VBIED et/ou leur utilisation ont été comptés dans le total. Il faut

reconnaître qu’un grand nombre de vidéos montrant l’utilisation des RC-VBIED ont disparu

de l’Internet en raison des différentes vagues de suppressions, soit par les groupes eux-

mêmes, soit par les États qui sévissent contre l’extrémisme en ligne. Il est donc difficile

d’obtenir un chiffre précis. Néanmoins, le chiffre de trente-sept est aussi proche que

possible du chiffre réel, et la diffusion de ces données fournit plus d’amples informations

représentatives, telles que les principaux créateurs de ces armes.

Il existe trois groupes responsables de la fabrication et de l’utilisation des RC-VBIED dans

tous les cas: Jabhat al-Nusra (aujourd’hui Hay’at Tahrir al-Sham), Ahrar al-Sham et

diverses factions des FSA.

Nusra/HTS a été responsable d’au moins douze, soit un peu moins d’un tiers, de tous les

cas enregistrés d’utilisation de RC-VBIED pendant la guerre de Syrie. Nusra s’est d’abord

introduit en Syrie en tant que division de l’État islamique, alors appelée État islamique

d’Irak [20]. En 2013, ce groupe s’est séparé de son organisation mère, l’État islamique, et

a rejoint Al-Qaïda, bien qu’elle ait depuis lors brisé ces liens également [21]. Quoi qu’il en

soit, Nusra/HTS demeure un acteur salafiste-djihadiste sur le champ de bataille syrien

10

[22]. Cet extrémisme idéologique a donné à Nusra la capacité de fournir des hommes

prêts à mourir pour briser des cibles solides, et l’opposition armée assiégée n’a eu d’autre

choix que de compter sur cette capacité dès le début de la guerre [23]. Depuis 2011,

Nusra et ses auxiliaires ont déclaré plus de 250 attaques aux SVBIED dans le pays [24]. Malgré leur utilisation intensive de kamikazes, eux aussi ont commencé des expériences

avec des bombes sans conducteur dès le début du conflit.

À la mi-mars 2013, Nusra a publié des photos montrant une installation assez standard

d’un RC-VBIED qui a été utilisé contre les forces loyalistes syriennes en garnison à

Damas.

Plus tard dans le même mois, la télévision d’État syrienne a diffusé un bref reportage sur

une voiture piégée qui avait été saisie dans la province de Hama. Cela s’est également

révélé être un RC-VBIED fabriqué par Nusra, mais semblait un peu plus complexe dans

sa conception. [25] Comme on peut le voir sur la photo de la page suivante, un

mannequin portant une chemise était assis devant le volant. La coque du véhicule lui-

même appartenait à l’Établissement public de distribution et d’exploitation de l’énergie

électrique (PEDEEE), le service de maintenance de l’électricité de l’État syrien. Bien qu’il

ne soit pas aussi avancé que le mannequin présenté dans le rapport de Sky News, il

s’agissait néanmoins d’un modèle unique à l’époque.

11

Fin mai 2014, Nusra a utilisé plusieurs RC-VBIEDs blindés contre des cibles loyalistes

syriennes dans la campagne d’Idlib. Les véhicules, un SUV et un camion de l’armée

syrienne saisis, avaient été équipés de caméras frontales pour faciliter la navigation. Dans

une rare vidéo diffusée par le groupe, les opérateurs ont pu visionner la vidéo en direct

tout en pilotant les véhicules vers leurs cibles.

Nusra/HTS a perpétré 75 % de ses RC-VBIED documentés entre 2012 et 2014. Après

2014, leur utilisation de voitures piégées sans conducteur a presque complètement

disparu, deux autres ayant été perpétrées en 2016 et une seule en 2018.

12

Par rapport à L’État islamique, Nusra a été beaucoup plus prudent lorsqu’il s’agit d’utiliser

les SVBIED en général. Par exemple, le nombre total d’attaques aux SVBIED qu’ils ont

réclamés tout au long de la guerre civile syrienne représente moins d’un tiers de ce qu’ils

réclamaient en 2016 seulement [26, 27]. Ils ont maintenu une production de SVBIED qui

est relative à leur taille, leur main-d’œuvre et la disponibilité de ressources. Il est vrai,

cependant, leur moindre utilisation de cette tactique peut être attribuée, comme on l’a vu

plus haut, à l’idéologie. Aussi virulents radicaux et sectaires qu’ils soient, Nusra est moins

extrême que l’État islamique. Il est donc tout à fait logique que Nusra/HTS puisse et ait

utilisé moins des SVBIED et ait complété sa production d’attentats-suicide à la voiture

piégée par des RC-VBIED. Avec douze cas d’utilisation de RC-VBIED enregistrés, soit

environ 5 % de leur production totale de VBIED, ce qui est un chiffre considérable.

Ahrar al-Sham a été l’utilisateur le plus prolifique de voitures piégées sans conducteur,

responsable d’au moins vingt d’entre elles, plus de la moitié des cas documentés en Syrie.

L’idéologie d’Ahrar, l’une des forces insurgées les plus puissantes de Syrie, est un

mélange de salafisme-djihadisme, de salafisme traditionnel et d’islamisme politique [28].

En règle générale, le groupe n’utilise pas de voitures piégées. Cependant, il y a eu des

cas individuels où des kamikazes ont été soupçonnés d’avoir été employés. [29].

L’utilisation de RC-VBIED par Ahrar a été particulièrement intense au cours des premières

années du conflit, le groupe ayant employé une flotte de véhicules révisés, principalement

des camions à plate-forme. Tout comme Nusra/HTS, Ahrar a perpétré environ 75 % de

ses RC-VBIED entre 2012 et 2014, avec un énorme huit (un cinquième du total perpétré

dans toute la guerre syrienne) en 2012 seulement.

13

En comparant les modifications apportées au volant de trois des premiers exemples

utilisés par Ahrar dans différents domaines, il devient évident qu’ils montaient des

paramètres identiques à ce moment-là. En normalisant la conception de cette

modification, la fabrication globale de voitures piégées sans conducteur serait

considérablement facilitée.

L’utilisation par Ahrar des RC-VBIED a stagné après 2014 de la même manière que celle

de Nusra/HTS, avec une seule utilisation en 2015 et leurs trois dernières en 2016. Tous

les autres exemples étaient surblindés. Par exemple, un véhicule surblindé de transport de

troupe soviétique BMP-1 révisé a été utilisé contre une position loyaliste syrienne près des

villes chiites assiégées de Fua et Kafraya dans la province d’Idlib en juillet 2015. De

même, un RC-VBIED à base d’un véhicule blindé de transport de troupes BVP-1 AMB-S a

été employé par Ahrar plus d’un an plus tard, en septembre 2016, lors des dernières

étapes de la bataille d’Alep.

À la mi-août 2016, Ahrar a utilisé un RC-VBIED à base d’une camionnette blindée déchirée

contre une position loyaliste syrienne à Alep. Cette attaque spécifique a été très révélatrice,

expliquant en grande partie le raisonnement stratégique qui explique pourquoi certains

groupes choisissent d’utiliser ou non les RC-VBIED.

14

Au fur et à mesure que le véhicule s’approchait de sa cible, il est devenu évident qu’il avait

pris au dépourvu certaines des troupes loyalistes syriennes qui y étaient stationnées. Les

photos d’un drone amateur qui a suivi l’ensemble de la séquence des événements ont

montré une demi-douzaine de troupes hostiles s’élançant dans différentes directions alors

que le RC-VBIED s’approchait à deux pas d’eux.

L’image suivante montre la boule de feu résultant de la détonation de la charge utile

explosive du véhicule, ce qui indique que l’attaque a fait au moins quelques victimes de

l’autre côté.

Cependant, les photos n’en disent pas plus. La vidéo complète du drone raconte une autre

histoire. Alors que les chasseurs ennemis s’enfuyaient au sprint, le RC-VBIED s’est arrêté.

On pourrait s’attendre à une détonation instantanée, mais il a fallu plus de 15 secondes

avant que cela se produise. Ce retard a probablement permis à certains des combattants

hostiles de s’échapper intacts, ce qui a réduit l’efficacité et l’impact de l’attaque elle-même.

Ce manque d’action réflexive est le principal argument contre l’utilisation des RC-VBIED,

et répond également à la question de savoir pourquoi l’État islamique ne remplacerait pas

une partie de sa sortie SVBIED par une flotte de RC-VBIED, bien que certaines de leurs

unités de R&D développent des prototypes et que le groupe dans son ensemble ait

suffisamment de ressources pour ce faire. Piloter une voiture piégée sans conducteur à

distance signifie que le conducteur a une conscience de la situation nettement plus faible

que lorsqu’une personne est physiquement présente pour conduire le véhicule. En

choisissant d’employer un RC-VBIED moins efficace, un groupe peut sauver un chasseur

qui peut être réinséré dans l’infanterie, mais le potentiel accru de succès lors de

l’utilisation d’un SVBIED pèse plus sur la balance la plupart du temps.

Cela ne veut pas dire qu’un groupe est voué à l’échec chaque fois qu’il utilise un RC-

VBIED, mais les voitures piégées sans conducteur sont presque certainement moins

efficaces que leurs homologues suicidaires. L’explication réside dans le fait que la

décision d’Ahrar d’al-Sham de suivre la voie qu’il a suivie est, comme pour l’État islamique

et de Nusra, une décision idéologique. Ahrar n’utilise pas officiellement d’attentats-suicide

à la voiture piégée, il est donc logique pour eux d’utiliser les RC-VBIED en masse à la

place.

La FSA est un terme générique ou une marque de fabrique pour désigner la principale

opposition syrienne [30]. La FSA ne dispose pas de chaîne de commandement efficace à

l’échelle nationale [31] et elle est préférable de la considérer en termes structurels comme

une sorte de résistance française pendant l’occupation nazie. La mise en garde suivante

s’impose: sur tous les RC-VBIED utilisés pendant la guerre de Syrie, les unités des FSA

n’ont été responsables que d’à peine cinq sur trente-sept, soit 13,5 %.

À la mi-décembre 2012, une unité de la FSA dans la banlieue de Damas de Harasta a

publié une vidéo qui les montrait utilisant une voiture piégée sans conducteur. Au début de

la vidéo, on pouvait voir l’opérateur conduire le véhicule à l’aide d’une télécommande

habituellement réservée aux petites voitures télécommandées. Le RC-VBIED semblait

difficile à manœuvrer, le véhicule s’arrêtant constamment avant de disparaître au détour

d’un virage.

Entre mi-2013 et mi-2017, il n’y a eu aucun cas enregistré d’unités FSA utilisant des RC-

VBIED. Cette absence pourrait en partie être le résultat de la suppression des vidéos en

ligne, mais il s’agit tout de même d’une lacune étrange. Les autres exemples sont le

résultat de la coopération inter-opposition dans le sud de la Syrie. La salle des opérations

interarmées des rebelles de Bunyan al-Marsus (BaM) a utilisé un véhicule personnel

blindé et un véhicule blindé de transport de troupes contre les positions loyalistes

syriennes dans la province de Deraa en juin 2017. Il est probable que l’absence générale

d’utilisation du RC-VBIED parmi les différentes factions de la FSA au cours des années

est le résultat d’un manque de coordination et d’un bon leadership.

Il y a de multiples leçons à tirer de l’examen des différents acteurs de la guerre de Syrie

qui ont employé des RC-VBIED. D’abord et avant tout, l’utilisation de ces véhicules est liée

au degré de radicalisation au sein d’un groupe donné. Plus l’idéologie d’un groupe est

extrême, moins il est susceptible d’utiliser les RC-VBIED.

L’État islamique, le groupe ayant l’idéologie la plus extrême de tous les groupes discutés,

et le plus grand utilisateur d’attentats-suicide à la voiture piégée dans la deuxième moitié

de la dernière décennie, est celui qui emploie le moins souvent des RC-VBIED. Certaines

de leurs ailes de recherche et développement ont fabriqué des prototypes de RC-VBIED,

mais le groupe dans son ensemble s’est abstenu de remplacer une partie importante de

leur production de SVBIED par des RC-VBIED, probablement en raison de l’efficacité

réduite de l’utilisation de ces derniers par rapport aux premiers.

Jabhat al-Nusra, juste en dessous, sur la liste des groupes aux idéologies extrêmes, a

réussi à produire douze RC-VBIED contre environ 250 attentats-suicide à la voiture

piégée, ce qui est un chiffre relativement important. Néanmoins, leur production de

voitures piégées sans conducteur a très probablement servi de complément à leur

utilisation des SVBIED.

Ahrar al-Sham, en revanche, a utilisé au moins vingt RC-VBIED, ce qui représente environ

55 % de l’utilisation totale de ces véhicules au cours du conflit.

Le point central de l’aspect de la radicalisation est de savoir si l’idéologie d’un groupe

permet l’utilisation d’attentats-suicide à la bombe. Une autre façon de le résumer est que

les groupes qui autorisent et rendent obligatoire l’utilisation d’attentats-suicide à la voiture

piégée (comme l’État islamique et Nusra/HTS) donneront toujours la priorité à l’utilisation

des attentats suicides plutôt qu’à celle de voiture piégée sans conducteur, car cette

dernière est moins efficace et moins fiable. Inversement, les groupes qui n’autorisent pas

l’utilisation de kamikazes, comme Ahrar al-Sham et FSA, auront recours aux RC-VBIED,

car les avantages de leur utilisation par rapport à leur non-utilisation sont énormes.

L’anomalie de l’utilisation minimale des RC-VBIED par la FSA s’explique en termes plus

matériels: ce groupe manquait de ressources et d’une structure de commandement et

d’organisation efficace et unifiée que possédaient les formations insurgées les plus zélées

en Syrie, ce qui signifie qu’elle ne pouvait créer l’infrastructure pour la production des RC-

VBIED à une échelle qui pourrait aider son effort de guerre.

Si l’on considère l’utilisation générale des voitures piégées sans conducteur pendant la

guerre en Syrie, 75 % ont été utilisées au cours de la période 2012-2014. Cela s’explique

par l’inefficacité et le manque de fiabilité des RC-VBIED. La plupart des attaques qui ont

eu lieu pendant cette période étaient de nature furtive et ont été lancées furtivement contre

les cibles statiques, comme les bases et les points de contrôle hostiles, loin des lignes de

front actives. Lorsque des lignes de front claires se sont solidifiées sur le champ de

bataille syrien après 2014, il est devenu beaucoup plus difficile d’employer avec succès

des RC-VBIED.

En considérant de nouveau le rapport de Sky News, il devient très clair à quel point il était

trompeur, sciemment ou non. Ce rapport à lui seul a fabriqué le mythe de l’attentat à la

voiture piégée télécommandée comme une menace sérieuse. Cela est mal évalué sous

tous les angles. Le prototype de RC-VBIED de l’État islamique n’a pratiquement jamais

été mis en service; il n’y a jamais eu de production de masse de RC-VBIED même

localement en Syrie et en Irak. Et il est peu probable que les RC-VBIED soient un jour

destinés à être utilisés dans des attaques terroristes en Occident.

RÉFÉRENCES

[1] Hugo Kaaman, “Islamic State statistics on its SVBIED use from late 2015 through

2017, including the battle of Mosul”, 18 August 2018,

https://hugokaaman.com/2018/08/18/islamic-state- statistics-on-its-svbied-use-from-late-

2015-through-2017-including-the-battle-of-mosul/

[2] Robert Postings, “The Islamic State’s Armed Drone Program”, International Review, 10

December 2017, https://international-review.org/islamic-states-armed-drone-program/

[3] Hugo Kaaman, “Car Bombs As Weapons of War”, Middle East Institute, 10 April

2019, https://www.mei.edu/sites/default/files/2019-04/Car_Bombs_as_Weapons_of_War_0.pdf

[4] James Titcomb, “Terrorists could use driverless cars to carry out atrocities,

Oxford and Cambridge researchers warn”, The Telegraph, 21

February 2019,

https://www.telegraph.co.uk/technology/2018/02/21/terrorists-could-use-driverless-cars-

carry- atrocities-oxford/

[5] “NATO C-IED BRIEF”, United States Central Command (CENTCOM) , June

2016, https://www.act.nato.int/images/stories/events/2016/c-ied/c-ied_11/centcom.pdf

[6] “Inside An Islamic State Terror Weapons Lab”, Sky News, 5 January,

2016, https://www.youtube.com/watch?v=A9tlDIhpMHo

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Jenny Gross and Stephen Fidler, “London Terror Strike Shows Low-Tech Attacks Are

Harder to Thwart”, The Wall Street Journal, 4 June 2017, https://www.wsj.com/articles/london-terror-strike- shows-low-tech-attacks-are-harder-to-thwart-1496620641

[11] “Paris Attacks: More than 120 killed in concert hall siege, bombings, and shootings;

suspected terrorists dead”, ABC News, 14 November 2015, https://www.abc.net.au/news/2015-11-14/paris- attacks-120-dead-in-shootings-explosions/6940722

[12] “Brussels explosions: What we know about airport and metro attacks”, BBC News, 9

April 2016, https://www.bbc.com/news/world-europe-35869985

[13] “‘Isil-supporters’ accused of plotting terror attack using driverless car bomb to spare

their own lives”, The Telegraph, 4 September 2018, https://www.telegraph.co.uk/news/2018/09/04/isil- supporters-accused-plotting-terror-attack-using-driverless/

[14] Lia Eustachewich, “Terrorist wannabees plotted self-driving car bomb attack:

authorities”, New York Post, 4 September 2018, https://nypost.com/2018/09/04/terrorist-wannabes-plotted-self- driving-car-bomb-attack-authorities/

[15] “Akhbat Arabiyat — Daesh Develops Car Bombs and Mines that Can Be Remotely

Controlled, According to Leaked File” [Ar.], Al-Aan TV (December, 2016) - https://www.youtube.com/watch?v=amWy12E3VjA

[16] Ibid.

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] “Syria: The Arabian Gulf Battalion (Kateeba al-Khaleej al-Arabi) Speaks About the Use

of Remote-Controlled Car Bombs” [Ar.], YouTube (April, 2012) - https://www.youtube.com/watch?v=ezU-IYAZ5rs

[20] Charles Lister, “Profiling Jabhat al-Nusra”, Brookings Institute, 6 July

2016, https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/07/iwr_20160728_profiling_nusra.pdf

[21] “Al Nusra chief in Syria announces break with Al Qaeda”, France24, 28 July

2016, https://www.france24.com/en/20160728-al-nusra-chief-syria-announces-break-al-

qaeda-new- name

[22] Lister, “Profiling Jabhat al-Nusra”.

[23] “The evolution of SVBIED deployment in Jabhat al-Nusra’s armed campaign 2011-2018”,

Jane's Terrorism & Insurgency Centre, 2018.

[24] Ibid.

[25] The IEDs daisy-chained as the explosive payload are relatively unique and

standardized components employed in the majority of early SVBIEDs used by Jabhat al-

Nusra. Nusra was also one of very few groups with enough resources to pull something

like this off at the time.

[26] Kaaman, “Islamic State statistics on its SVBIED use from late 2015 through 2017,

including the battle of Mosul”.

[27] Kaaman, “The evolution of SVBIED deployment in Jabhat al-Nusra’s armed campaign

2011- 2018”.

[28] Lister, “Profiling Jabhat al-Nusra”.

[29] Charles Lister, Twitter post, 6 June 2016,

https://twitter.com/Charles_Lister/status/739944688199864320

[30] Ken Sofer and Juliana Shafroth, “The Structure and Organization of the Syrian Opposition”,

Center for American Progress, 14 May 2013,

https://www.americanprogress.org/issues/security/reports/2013/05/14/63221/the-

structure- and-organization-of-the-syrian-opposition/

[31] Zachary Laub, “Who’s Who in Syria’s Civil War”, Council on Foreign Relations, 28 April

2017, https://www.cfr.org/backgrounder/whos-who-syrias-civil-war