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Vivre, tout simplement ASHTANGA YOGA Kamlesh Patel apporte un nouvel éclairage LE PARADOXE DE L'ESPOIR Charles Eisenstein concilie deux visions de l’avenir COMPASSION Notre relation aux animaux N°1 2018 6,50€

LE PARADOXE DE L'ESPOIR Charles Eisenstein … · holistique de la conception, de la grossesse, de l’accouchement et de la parentalité. Roger-Pol Droit ... Le médecin avait affirmé

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Vivre, tout simplement

ASHTANGA YOGA

Kamlesh Patel apporte un nouvel éclairage

LE PARADOXE DE L'ESPOIR

Charles Eisenstein conciliedeux visions de l’avenir

COMPASSION

Notre relationaux animaux

N°1 2018

6,50€

Vivre, tout simplement

Rédaction – Meghana Anand, Sylvie Berti Rossi, Genia Catala, Elizabeth Denley, Emma Ivaturi, Christine Prisland, Barbara Sonvilla

Graphisme – Hélène Camilleri, Emma Ivaturi, Uma Maheswari, Rike Michaelsen, Nehal TantiaTraduction – Genia Catala, Sylvie Galland, Marie Laure Lagrange, Jean-Pierre Le Grand,

Agnès ValensiPhotographies – Paul Bence, Brendan Church, Talia Cohen, Geneviève Dallaire, Dan Grinwis, Pablo Heimplatz, Om Hellenkamp, Elijah Hiett, Rosie Kerr, Thomas Lambert, Yves Leresche,

Elizabeth Lies, Stephen Lustig, Philippe Matsas, Nathan McBride, Evan McDougall, Rike Michaelsen, Gozha Net, Chiên Pham, Steven Ramon, Lewis Roberts, Miles Storey, Jon Tyson,

Roopa Upadhyaya, Carlo Verso, Alec Weir, Pan XiaozhenIllustrations – Elisabeth Endresen, Henry Ottmann, Jasmee Rathod, Yulia Veresk

Contributeurs – Monique Atlan, Yves Benhamou, Roger-Pol Droit, Charles Eisenstein, Elisabeth Endresen, Alanda Greene, Durga Natarajan,

Kamlesh Patel, Judith Polston, Dr Nandini Shekhar, Jean Staune, Chiara Townley, Dorit Vaarning

Interviewés – Parthasarathi Rajagopalachari, Monicka Singh, Sandeh von Tucher

ISSN : 2491-2255N° CPPAP : 0419 K 93360

Envoi des contributions et correspondance avec la rédactionen français, [email protected] – en anglais, [email protected]

Publicité – en français, [email protected] ; en anglais, [email protected] – en français, www.unimeo.com ; en anglais, www.heartfulnessmagazine.com

Impression – Aumüller Druck, GmbH & Co. KG, Weidener Straße 2, D-93057 RegensburgPublication – Unimeo, 5 Esplanade Compans Caffarelli, 31000 Toulouse

Droits d’impression, publication, distribution, vente, sponsoring et perception des recettes réservés à l’éditeur.

2018 © Tous droits réservés à UnimeoEditeur – Unimeo

www.heartfulness-magazine.frLes termes « Heartfulness, Relaxation Heartfulness, Sahaj Marg Spirituality Foundation, SMSF », le logo « Learn to Meditate »

et le logo « Heartfulness » sont des marques déposées par la Sahaj Marg Spirituality Foundation. Aucune partie de ce magazine ne peut être reproduite sous quelque forme ou moyen que ce soit sans autorisation écrite préalable. Le nom de domaine

www.fr.heartfulness.org est également la propriété de l’Institut Heartfulness.Les opinions exprimées dans les articles de ce magazine ne reflètent pas toujours celles de la rédaction,

de l’Institut Heartfulness ou de la Sahaj Marg Spirituality Foundation.

Heartfulness

Contributeurs

Guide spirituel et responsable international Heartfulness, Kamlesh Patel incarne cette rare fusion du cœur oriental et de l’esprit occidental. Dans une approche à la fois scientifique et pratique, il partage aujourd’hui son expérience de la méditation et de la spiritualité dans des conférences, des interviews et des cours dans le monde entier. Auteur de nombreux écrits, notamment sur l’évolution de la conscience, il vient de co-écrire The Heartfulness Way : Heart-Based Meditations for Spiritual Transformation. Pour en savoir plus : www.daaji.org

Kamlesh Patel

Roger-Pol Droit est philosophe et écrivain. Après avoir été professeur de philosophie, puis chercheur au C.N.R.S. à Paris, il est aujourd’hui chroniqueur au Monde, au Point et aux Echos, et auteur de nombreux récits, romans et livres d’initiation.Monique Atlan est journaliste et rédactrice en chef à la chaîne de télévision France 2. Elle produit et présente l’émission littéraire quotidienne « Dans quel état j’erre ». Ils ont écrit ensemble : L’Espoir a-t-il un avenir ?

Roger-Pol Droit et Monique Atlan

Charles Eisenstein est enseignant, conférencier et écrivain. Il mène une réflexion sur la crise de nos sociétés, la conscience, l’argent, l’évolution culturelle et défend l’économie du don. Licencié en mathématiques et en philosophie, il a vécu 10 ans à Taïwan et travaillé en tant que traducteur, professeur de yoga et ouvrier dans la construction. Il vit à Ashville, en Caroline du Nord, avec sa femme et ses quatre enfants. Son livre le plus célèbre est : Sacred Economics.

Charles Eisenstein

Célébrer l'aube

La nouvelle année a commencé. À quelle hauteur pensez-vous que le baromètre de nos espoirs devrait se situer en 2018 ? À entendre les nouvelles, on pourrait penser qu’il restera plutôt bas, mais si l’on en croit le vieil adage, c’est juste avant l’aube que la nuit est la plus sombre. En fait, mieux que cela, l’aube est déjà présente dans les profondeurs des ténèbres… et si nous considérons le nombre d’initiatives et de réalisations pleines de promesses partout dans le monde, nous devons admettre que l’aube émerge depuis un certain temps, lentement, tranquillement, mais sûrement.

L’énergie s’écoule là où se dirige notre attention, alors que choisissons-nous : la désillusion ou l’espé-rance ? Serons-nous capables de considérer les problèmes qui abondent comme les catalyseurs d’un changement qui nous propulsera vers une vibration plus élevée ?

Puisque nous sommes dotés de la conscience, de la volonté et de l’intelligence nécessaires pour pro-voquer le changement, nous avons en main les moyens de créer notre destinée et de parvenir au but que nous choisirons. Dans ce numéro, Charles Eisentein partage avec nous ses raisons d’espérer, en particulier en côtoyant les jeunes générations. Kamlesh Patel met en évidence l’extraordinaire potentiel des huit pratiques de l’ashtanga yoga pour affiner notre personnalité et harmoniser vie matérielle et vie spirituelle. Dans une interview exclusive, le Dr Monicka Singh présente son approche visionnaire et holistique de la conception, de la grossesse, de l’accouchement et de la parentalité. Roger-Pol Droit et Monique Atlan nous encouragent à nourrir l’espoir envers et contre tout et Jean Staune évoque les prémisses d’une réconciliation de la science et de la transcendance. Ce magazine nous offre ainsi une brassée de raisons d’espérer, de changer et de célébrer le potentiel humain. Alors chantons, comme George Harrison des Beatles : « Here comes the sun ! »

Et si nous cultivions tous l’espoir avec enthousiasme en 2018 !

La rédaction

Auteure & éditrice – Elizabeth Denley (haut, droite)Éditrice – Sylvie Berti Rossi (bas, gauche)

Graphisme & rédaction – Emma Ivaturi (haut, gauche)Graphisme & ligne artistique – Rike Michaelsen (bas, droite)

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focusL'espoir aujourd'hui Vous les reconnaîtrez à leurs fruitsCharles Eisenstein explore le paradoxe de l’espoir et du désespoir auquel notre civilisation est confrontée.

30Points de vue

Trois questions sur l'espoir34L’enquêteL’espoir a-t-il un avenir ?Une des pistes retenues par Roger-Pol Droit et Monique Atlan dans leur recherche : pour penser l’espoir, il faut penser au–delà de soi.

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la pensée et l’actionPenser le futur

Le réenchantement du monde, fin18Sagesse

Celui qui ne fait que donner24

l’interviewDes parents conscientsC’est lorsque les parents pensent à devenir parents que le voyage de l’enfant s’amorce.

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ça changetout

le goût de la vie

Viser hautLa pondération, le top de l'excellenceComment la maîtrise de soi peut nous amener à l’excellence.

44Animaux et compassionLa compassion... seulement pour les humains?46Souvenirs

Graines d’espoir49Attitude

Apaiser la tourmente intérieure 50

Plantes d’ici et d’ailleursLe matcha70S'ouvrir au changementÀ propos de rêves, de serpents et de portes qui s’ouvrent74

PortfolioMonts et merveilles76Dialogue avec la nature

Le compost80Une rencontreL’enfant-miroir84

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être inspiré

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Up 87

La science de la spiritualitéAshtanga Yoga, YamaDans ce 1er article d’une série sur l’Ashtanga Yoga, Kamlesh Patel met en évidence les qualités d’un chercheur de lumière.

54La recherche intérieureUne si profondenostalgieEn spiritualité il n’existe rien de tel qu’un but déterminé. Il est en constant changement.

62PartageTransparence67

Ce n’est ni le lieu, ni le moment de la naissance qui comptent,

mais l’attitude des deux parents. Selon leur niveau vibratoire au moment

de la conception, l’âme s’incarnera dans le ventre de la mère dont le niveau vibratoire

correspond spécifiquement au sien.

Kamlesh Patel

M O N I C K A S I N G H d é b o rd e d e v i e ! E l l e a i d e l e s c o u p l e s à c o n c evo i r, a t t e n d re , m e t t re a u m o n d e e t é l eve r

l e u r e n fa n t e n p l e i n e c o n s c i e n c e .

sinon je ne rentre pas. Et s’il te plaît, viens seul. » Assise dans ce parc, je me disais : « Si quelque chose doit arriver, que ce soit aujourd’hui. »

J’ai bien dû attendre là plus d’une heure et demie, les yeux fermés. Au moment où je les ai rouverts, j’ai aperçu mon mari à l’entrée du parc. Le médecin avait affirmé qu’il ne pourrait pas marcher plus de 200 mètres, et pourtant il venait de descendre trois étages et de faire 900 mètres jusqu’au parc. Il a encore parcouru toute la distance qui le séparait de moi et s’est assis à mes côtés.

Puis nous sommes rentrés ensemble. En l’espace d’un mois et demi, sa maladie avait totalement disparu, tout le fluide accumulé dans les différentes couches de son corps s’était résorbé, son cœur battait normalement, il avait perdu entre 15 et 20 kilos et était en pleine forme. Les médecins crièrent au miracle.

En fait ce n’était pas un miracle, nous avions fait appel à la force du subconscient et l’avions reprogrammé. En changeant notre système de croyances, nous sommes revenus à la vie. J’ai compris alors que c’est la seule façon de vivre. Je n’avais aucune connaissance du subconscient à l’époque. Je ne m’occupais que de mes enfants et de ma famille.

Nous habitions Delhi où mon époux dirigeait un hôpital multi-spécialités. Après ces événements, nous nous sommes installés dans une zone ru-rale près de Dehra Dun, belle région au pied de l’Himalaya, mais un véritable désert médical dans

Votre travail vous passionne ! Qu’est-ce qui vous a amenée à vous spécialiser dans ce domaine, si étroite-ment lié à l’évolution humaine ?

Il y a toujours un événement déclencheur qui nous pousse à choisir une voie plutôt qu’une autre. En 2007, j’ai vécu quelque chose de très perturbant lorsque mon mari, qui est pédiatre, a contracté une infection virale auprès de l’un de ses patients. Ce virus, généralement bénin lorsqu’il affecte un enfant, peut se révéler fatal chez l’adulte. Chez lui, cela s’est traduit par une rétention de fluide dans tout le corps, et plus particulièrement au niveau du péricarde, la membrane qui entoure le cœur, et nous avons failli le perdre. Au bout d’environ huit mois d’alitement, on lui a proposé une ablation chirurgicale du péricarde qui l’aurait réduit à l’état de légume. Nous avions tous les deux rêvé d’un avenir radieux et ce coup du sort hypothéquait totalement la vie que nous avions imaginée.

Nous nous débattions avec nos problèmes et notre quotidien était chaotique. C’est alors qu’un jour d’automne, en 2007, quelque chose s’est produit en moi. À cette époque, mon mari n’était pas autorisé à marcher plus de 150 mètres pour lui éviter de s’essouffler. Je me suis rendue au parc qui se trouvait à quelque 900 mètres de chez nous, je me suis assise et j’ai prié.

Ensuite je l’ai appelé et je lui ai dit : « Re-joins-moi au parc et ramène-moi à la maison,

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lequel nous avons monté un hôpital et commencé à travailler avec foi et conviction.

C’est donc là que ces épreuves nous ont me-nés ! J’ai eu des rêves et des visions très claires et j’ai été guidée vers une prise de conscience que la vie ne débute ni à la naissance, ni pendant les neuf mois de grossesse, ni même au moment de la conception. Notre vie commence lorsque nos parents envisagent notre venue au monde. C’est lorsque les parents pensent à devenir parents que le voyage de l’enfant s’amorce. Ainsi tout ce qu’ils pensent affecte déjà le subconscient de l’enfant. Lorsque l’enfant naît, 70% de son subconscient

est déjà programmé et ce sont ces codes qui vont déterminer son avenir.

Voilà ce qu’ont été mon voyage et ma source d’inspiration. J’ai ensuite fait des recherches sur mes patients, et nous obtenons maintenant d’ex-cellents résultats au sein de notre hôpital.

Pouvez-vous nous expliquer com-ment vous travaillez avec les familles ?

Avec notre programme d’éveil dans l’utérus, Awake-ning in Womb, nous commençons au tout début. Notre travail permet d’accompagner quatre étapes :• Concevoir le bébé en conscience. • Le porter et le nourrir en conscience. • Le mettre au monde en conscience.• L’élever en conscience.

Nous avons également lancé le programme « Cosmic Conception », conception cosmique, au cours duquel des couples qui souhaitent devenir parents expérimentent une élévation de leur niveau vibratoire selon différents procédés qui les aident à attirer dans leur vie une âme d’un niveau vibra-toire plus élevé. Ils ont conscience que cette âme, ce bébé qu’ils reçoivent est un véritable cadeau.

Dans notre programme de conception cosmique, nous aidons les parents à prendre conscience de leurs pensées

et de leurs émotions. Ils savent qu’ils invoquent une âme

qui va commencer un voyage sur terre.

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Comment travaillez-vous avec les parents pour les mener vers une conception en conscience ?

Dans le domaine de l’énergie, les semblables s’at-tirent, de sorte que vous entendrez souvent des parents dire : « Cet enfant est mon portrait tout craché ». Pourquoi ? L’énergie dans laquelle les parents conçoivent cet enfant et les émotions qui les animent à cet instant-là sont intégrale-ment transférées à l’enfant. Ce dernier va donc commencer son voyage dans cette tonalité, cette intention, cette énergie.

C’est pourquoi, dans notre programme de conception cosmique, nous aidons les parents à prendre conscience de leurs pensées et de leurs émotions. Ils savent qu’ils invoquent une âme qui va commencer un voyage sur terre. Ils doivent prendre la mesure de la voie dans laquelle ils s’engagent. Nous les aidons à prendre conscience et à gérer les attitudes qui peuvent les desservir, comme leurs peurs et leur colère. Il n’est pas indispensable qu’ils les surmontent. Il vaut mieux qu’ils acceptent la peur ou la colère, qu’ils l’accueillent avec une attitude positive, au point de ne plus lui accorder d’importance et de bien vivre ces états. Leur cœur se remplit d’espoir, de compassion et d’amour, de sorte que tout prend sa juste place, et c’est alors que la conception peut survenir. L’enfant lui aussi entamera son voyage avec compassion et amour. Nous avons joué notre rôle.

Magnifique ! Que se passe-t-il au cours de la grossesse ? Comment aidez-vous les parents à « couver » leur bébé du mieux possible ?

Nous avons deux approches. La première s’adresse aux parents qui ont conçu en conscience et qui

partent donc d’un niveau particulier. Mais comme la plupart des couples qui viennent dans notre hôpital ne connaissent pas la conception cosmique, nous travaillons avec ce second groupe selon le principe que l’enfant à naître est leur « maître spi-rituel », ce qui veut dire que lors de la conception du bébé, une âme est venue s’incarner dans la vie de ce couple comme une force destinée à les guider. La grossesse constitue essentiellement une période de grande transformation et un grand bond en avant dans le voyage entrepris par les âmes des parents pour évoluer. En fait, elle accélère le pro-cessus. Toutes les programmations, tous les modes de comportements, tous les conditionnements sociaux remontent à la surface. C’est pourquoi nous parlons souvent d’une phase de turbulences, de hauts et de bas émotionnels pour la mère, parce que tout cela surgit de son subconscient.

Nous organisons donc des sessions avec des femmes enceintes pour identifier quels éléments se manifestent dans leur vie à ce moment-là. Nous les aidons à accepter les émotions qui apparaissent, à prendre de la hauteur et à suivre la vibration. Tout est une question d’acceptation. Elles le font en conscience et avec beaucoup d’amour. Bien entendu les programmes sont structurés – nous leur donnons des listes de choses à faire et ne pas faire, des exercices pratiques, de la méditation, etc. – en face à face à l’hôpital ou en ligne. Il s’agit d’un programme complet à suivre sur neuf mois. Les mères s’aident elles-mêmes en suivant les exercices pratiques et deviennent très conscientes de leur grossesse.

Les pères sont-ils eux aussi impliqués ?

Les pères sont très impliqués car leur impact sur la mère se répercute sur l’enfant. Je dis toujours

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qu’une famille avec un père fort est une famille florissante. Le rôle du père est énorme puisque les émotions et la force mentale de la mère sont en quelque sorte en lien direct avec celles de son époux. Le soutien du père est capital tout au long de ce programme.

Je suis certaine que vous connais-sez les études épigénétiques sur le sujet. Pouvons-nous dire que vous participez à la création d’un environnement qui optimise la physiologie de la mère ?

Oui, c’est bien ce que nous visons. L’ épigénétique fait désormais autorité. La recherche a prouvé que chaque gène peut s’exprimer de plus de 20 000 façons différentes selon l’environnement, c’est pourquoi il est essentiel de créer l’environnement le plus favorable au développement du bébé.

Issu de deux cellules initiales, ce bébé devient un corps constitué d’un billion de cellules. C’est un véritable processus de construction qui se déroule dans l’utérus de la mère. Il ne s’agit pas seulement de la construction de l’enfant, il s’agit aussi d’éveiller la mère. C’est pourquoi nous avons baptisé ce programme « L’éveil dans le ventre ». La mère et l’enfant s’éveillent tous les deux. Le matériau de construction est important : la nourri-ture est essentielle, mais pas seulement. L’eau bue par la mère, l’air qu’elle respire, les pensées qui l’animent et ses niveaux d’énergie concourent à la construction de l’enfant. Je ne parle pas seulement du corps physique, mais de tous les corps. C’est donc bien là, à l’intérieur du ventre maternel, que la totalité du programme de l’enfant se constitue.

Cela semble incroyable ! Et que se passe-t-il ensuite ? Comment travaillez-vous avec les mères lors de l’accouchement ?

C’est l’étape que je préfère ! Dans la phase d’ac-couchement, j’appelle ces femmes des déesses vivantes. Ce sont des élues puisqu’elles sont sur le point de donner la vie. C’est pourquoi la façon dont se fait cette mise au monde est extrêmement importante. Si, en tant que femmes, nous sommes capables de transformer cette douleur en plaisir, tout nous est possible.

Je pense que nous, médecins, avons un rôle important à jouer. En premier lieu il y a beau-coup de peur autour de l’accouchement. Tout le monde s’inquiète de la manière dont il va se dérouler. Se passera-t-il normalement, faudra-t-il utiliser les forceps, procéder à une césarienne, etc. ? Notre première tâche est de dissiper cette peur en disant aux mères que c’est l’acte le plus naturel qui soit et qu’elle sera guidée, que son corps tout entier est en travail et que tout se fait de manière automatique. A-t-elle conçu en demandant à un ovule et un spermatozoïde de se rencontrer pour former un corps ? Non, cela s’est produit tout naturellement. De même, donner naissance est un processus automatique. La mère n’a qu’à neutraliser le cerveau qui réfléchit et tout adviendra spontanément.

Lorsque la peur est présente, la mère risque davantage d’attirer toute sorte de problèmes et

Chaque gène peut s’exprimer de plus de 20 000 façons

différentes selon l ’environnement. C’est pour-

quoi il est si important de créer l ’environnement

le plus favorable au développement du bébé.

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de difficultés au cours de l’accouchement. C’est pourquoi, dans notre hôpital, nous tentons de mettre les mères en totale confiance, en dissipant toutes leurs peurs et en ravivant en elles la foi profonde qu’on a veillé à tout.

Nous suivons une procédure qui allie musique, affirmations positives et méditation. Cela permet à la mère de se relaxer pendant l’accouchement et de communiquer avec le bébé. Cet aspect est primordial, car c’est au bébé qu’il incombe de se frayer un passage dans le canal pelvien. Imaginez que la mère soit capable de communiquer avec lui, de le rassurer en lui disant : « Ce monde est beau, empli de paix et de compassion. Je t’y souhaite la bienvenue, mon enfant, de tout mon cœur. Viens, s’il te plaît, je t’attends ». Le bébé a alors plus de chance de sortir naturellement parce qu’il est sécurisé. Tout simplement.

Quel magnifique accueil ! Une fois l’enfant né, la vie de famille passe par une autre phase de transition qui concerne les deux parents. Parlez-nous de l’éducation

parentale en conscience. Quelle aide ap-portez-vous aux nouveaux parents ?

L’ éducation parentale en conscience commence à la naissance. Dès sa sortie du ventre, l’enfant est posé directement sur le cœur de la mère, dont le battement lui est familier. Cela réduit l’angoisse que le bébé peut éprouver dans ce nouvel envi-ronnement, car il est reçu dans ce monde avec amour et se sent en sécurité. Nous le confions ensuite au père qui s’assied pour le prendre dans ses bras et le caresser.

À l’inverse, si sa naissance s’effectue de ma-nière mécanique et si le bébé est ensuite placé en pouponnière, séparé de ses parents, ce qui est inévitable en cas de naissance traumatique, on peut aisément imaginer toute la peur accumulée en lui. Ces nourrissons, qui sont confrontés à des voix, des lumières et des bruits totalement inconnus, deviennent craintifs. La peur est donc la première chose qui s’imprime en eux après la naissance. Nombreux sont les bébés marqués par ce type d’expérience dans les hôpitaux, partout dans le monde, qui finissent par vivre constamment

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Pour contacter Monicka envoyez un mail à [email protected]

dans la peur, même à l’âge adulte, à cause de cette première perception du monde extérieur.

Ce que l’enfant traverse dans les premières heures qui suivent sa naissance est donc essen-tiel. Lorsque c’est de l’amour qu’il perçoit, cet amour devient le fondement sur lequel sa vie va se construire. Ces enfants deviennent généralement compatissants, affectueux et équilibrés. Bébés, ils ne sont pas anxieux, ils pleurent moins et ont moins de demandes puisqu’ils se sentent en sécurité. Les bébés pleurent et demandent beaucoup quand il règne de l’insécurité ou de l’angoisse, chose que les parents ne comprennent pas toujours et que les nourrissons ne peuvent pas expliquer. Ce n’ est que plus tard, une fois qu’ ils ont grandi, que les enfants sont en mesure d’exprimer ce qu’ils res-sentent, mais ils ont déjà accepté la peur comme une chose qui va de soi, inhérente à l’existence. C’est ainsi que nous sommes faits.

En devenant des parents conscients, nous pouvons aider nos enfants à devenir ce qu’ils sont supposés être, dans la compréhension qu’ils ne nous appartiennent pas, que ce sont des individus distincts venus au monde à travers nous. Quels que soient nos modes de pensées, nos croyances et notre conditionnement, nous devons éviter de les transmettre à nos enfants. Ils méritent mieux que ça : la neutralité, de sorte qu’ils puissent construire leur propre système de convictions.

Beaucoup de lecteurs souhaiteront avoir plus d’informationsà ce sujet et tout le monde ne peut pas se rendre à Uttarakhand, comment communiquez-vous avec le grand public ?

Nous avons créé un site web appelé Miracle Medical Mission – www.miralclemedicalmission.com, sur lequel nous proposons en ligne des sessions de

formation, ainsi que le programme « Handhol-ding », un accompagnement « main dans la main » pendant les neuf mois que dure la grossesse.

Seriez-vous prêts à former du personnel médical exerçant dans d’autres régions du monde si ces per-sonnes se rendaient dans votre hôpital ?

Absolument, c’est comme ça qu’il faut avancer dans la vie, en formant des formateurs. Nous devons unir nos forces et travailler à l’unisson. Nous avons aussi un groupe Facebook à travers lequel nous essayons de toucher un maximum de personnes.

Pouvez-vous nous parler de vos deux livres ?

Mon premier livre est en fait une co-écriture inti-tulée Miracle Mission où je raconte mon parcours. Dans mon deuxième ouvrage, Awakening in Womb, je décris en détail la conception, la grossesse, la naissance et l’éducation en conscience.

J’y aborde également les problèmes de stérilité, et tout particulièrement les méthodes qui peuvent être envisagées avant de recourir à la fécondation in vitro et à la maternité de substitution. Nous proposons un beau programme d’acceptation de la fertilité pour les couples, intitulé « Accepting Your Fertility », d’une durée comprise entre 45 jours et deux mois. Là encore, il s’agit d’un programme très structuré et qui fonctionne, puisque les gens ont des bébés !

INTERVIEW ELIZABETH DENLEY

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L ' i n t e r v i e w

(Post Graduate Diploma in Advanced Yoga)

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LA P

EN

SÉE

L’homme a besoin d ’agir. Toutefois,

si agir sans penser n’est pas agir, mais

s’agiter, penser sans agir n’est pas vivre,

mais végéter.

Pierre Reverdy

MondeLe réenchantement

du

Une clé pour notre survie

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Cette révolution a de grandes conséquences pour notre survie. Comme le dit le prix Nobel Barbara Mc Clintock, « nos ingénieurs ne pensent pas assez global ». Une démarche réductionniste permet de nombreuses découvertes, mais pas la prise en compte des interactions globales qui régissent notre environnement. Il n’existe pas de « généra-listes spécialisés » capables de prévoir l’effet d’une molécule, émise ici, sur la couche d’ozone à 20 000 kilomètres de là. Or le développement d’ap-proches non linéaires – comme celui des sciences de la complexité et de la théorie du chaos – peut permettre de détecter les problèmes avant qu’ils n’aient atteint une dimension critique ; et non après coup, comme nous le faisons aujourd’hui.

Cette nouvelle science a aussi des conséquences indirectes. Henri Stapp affirme que la conception de l’homme et du monde donnée par la science

Une révolution scientifique QUI N’EST PAS ENCORE FRANCAISE

Après avoir évoqué dans le numéro précédent les dérives de la science en perte d’éthique et certaines pistes de la recherche qui

rejoignent les grandes intuitions spirituelles, JEAN STAUNE nous parle d’une science émergente ouverte sur un autre niveau de réalité qui se situe au-delà de la matière, de l’énergie et de tout ce que nous

pouvons appréhender par l’expérimentation scientifique.

classique, mécaniste et réductionniste, « fait disparaître les fondements de la responsabilité personnelle » et que « selon cette conception de l’homme, le viol de l’environnement devient tout à fait rationnel » car « aucune valeur ne trouve de fondement rationnel dans cette conception, si ce n’est l’intérêt personnel ». C’est dire à quel point il est important pour notre survie d’invalider une telle vision.Cette révolution scientifique ne fait que commen-cer. Elle n’est achevée dans aucun pays. Néanmoins, peut-être à cause de son héritage cartésien et de son goût pour la pensée linéaire, la France semble prendre du retard. Nous aurions pu citer de nom-breux penseurs à la recherche d’une éthique visant à préserver la nature de l’homme, et de nombreux défenseurs de l’environnement désireux de trouver des bases solides pour cette protection. Mais tous s’appuient sur une éthique bancale qui fait le grand écart entre la nécessaire affirmation de la responsabilité de l’homme et une vision du monde niant l’existence d’un sujet humain.

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Pe n s e r l e f u t u r

Les bouleversements conceptuels auxquels nous ne pouvons faire ici qu’allusion, présentés dans des ouvrages de synthèse comme L’homme face à la science (avec des contributions de H. Reeves, B. d’Espagnat, Trinh Xuan Thuan, etc.), sont incon-nus de la majorité des penseurs français actuels. C’est particulièrement regrettable pour eux. Car la force principale de la science réside dans la négation, non dans la validation. La science ne dira pas : « Oui, Dieu existe ». Mais lorsqu’elle dit : « Non, la terre n’est pas plate », tous les systèmes du monde basés sur une terre plate s’écroulent. Ainsi de nombreux ouvrages qui s’appuient sur la théorie que seul doit être pris en compte ce qui est observable et mesurable, sont-ils réfutés dès leur parution par l’état actuel de nos connaissances.

La science, l’intuitionET LES VALEURS

Faisons le point. La science actuelle est une science ouverte. Elle est ouverte sur un autre niveau de réalité dont l’existence est hautement probable. Quel que soit le nom qu’on lui donne, surréel ( Jean Fourastié), réel voilé (d’Espagnat), univers primaire (David Bohm), il se situe au-delà de la matière, de l’énergie et de tout ce que nous pouvons appréhender par l’expérimentation scientifique.

Attention ! Cela ne signifie nullement qu’un sens existe à cet autre niveau de réalité : le chaos pour-rait très bien y régner. Néanmoins l’hypothèse selon laquelle l’Univers possède une signification devient nettement plus probable que dans le cas où ce niveau n’existerait pas.

La science ne peut aller plus loin. Cela ne nous aide guère dans notre recherche, car aucune valeur ne peut être déduite d’une telle situation : ce serait faire du scientisme à l’envers que de baser une éthique sur le seul état de la science.

Il est donc temps de se rappeler ce que fut l’in-tuition fondamentale de toutes les cultures, à toutes les époques : il existe un autre niveau de réalité. Ce niveau est primordial par rapport au nôtre et la nature même de l’homme est, d’une façon ou d’une autre, reliée à ce niveau. Bien que très répandue, l’intuition de l’existence d’un Dieu personnel créateur n’est pas universelle, mais celle que l’homme a un rôle à jouer à l’intérieur d’un processus qui englobe son existence l’est.

Ainsi apparaît un espoir : celui d’assister au pas-sage de valeurs proclamées ex cathedra à des va-leurs librement admises par tous et basées sur la probabilité que notre existence a un sens. Cet espoir découle de la convergence d’un mouvement concernant l’ensemble des sciences et de la plus ancienne intuition de l’humanité.

Une étoile dont la lumièreNE NOUS EST PAS ENCORE PARVENUE

Hubert Reeves disait que, pour les existentialistes, la destruction du monde aurait paru normale : dans

L’intuition de l ’existence d ’un Dieu personnel créateur

n’est pas universelle, mais celle que l ’homme

a un rôle à jouer à l ’intérieur d ’un processus qui englobe

son existence l ’est.

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Pe n s e r l e f u t u r

un monde absurde, il est normal qu’arrivent des choses absurdes ! Saint-Exupéry dit que « notre humanisme a échoué dans sa tentative ». Effec-tivement, un véritable humanisme doit posséder une dimension transcendantale. « L’Homme de ma civilisation ne se définit pas à partir des hommes. Ce sont les hommes qui se définissent par lui. Il y a en lui, comme en tout Être, quelque chose que n’expliquent pas les matériaux qui le composent. Une cathédrale est bien autre chose qu’une somme de pierres. Elle est géométrie et architecture. Ce ne sont pas les pierres qui la définissent, c’est elle qui enrichit les pierres de sa propre signification. Ces pierres sont ennoblies d’être pierres d’une cathédrale. Les pierres les plus diverses servent son unité. La cathédrale absorbe jusqu’aux gargouilles les plus grimaçantes dans son cantique. »

Une réconciliation historique de deux grandes options intellectuelles, l’humanisme et la vision non-matérialiste du monde, qui parurent s’op-poser dans le passé est donc possible. Mais cette réconciliation ne peut s’établir que si elle est basée sur la tolérance et la modestie.

Ainsi, personne aujourd’hui ne peut affirmer, sous peine de ridicule, être le détenteur d’une vérité absolue. Cette évolution nous délivre donc de la plus grande hypothèque qui ait pesé au cours des temps sur les visions non-matérialistes des philosophies et des religions. C’est en effet leur nombre même qui est incompatible avec leur pré-tention de détenir chacune l’absolue vérité. Bien sûr, il n’est interdit à personne de penser que sa propre religion ou sa propre philosophie est celle qui permet le plus grand « dévoilement du réel » possible. Mais chacune peut être comparée à la vision d’une pièce à travers le trou d’une serrure. Il n’est donc désormais plus possible de s’entre-tuer au nom de différences dues à l’existence d’une multiplicité de portes.

Nous ne devons pas néanmoins nous contenter de nous réjouir de cette bonne nouvelle : il y a urgence ! Si notre civilisation a pu progresser, malgré toutes les horreurs du siècle passé, vers plus de liberté et plus de respect des droits de l’homme, c’est parce que « la civilisation véritable prolongeait encore sur nous son rayonnement condamné, et nous sauvait malgré nous-mêmes » (Saint-Exupéry). Telle une étoile qui a déjà ex-plosé, mais dont le rayonnement nous parvient encore pendant quelques années, les fondements de la vision préscientifique du monde inspiraient encore notre humanisme sans qu’il s’en aperçoive, et l’aidaient à stabiliser son éthique bancale. Mais les fondements ayant disparu, le rayonnement ne peut que s’éteindre inexorablement, nous laissant dans le noir face à nous-mêmes.

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Pe n s e r l e f u t u r

Mais voici qu’existe désormais une nouvelle étoile dont la lumière n’est pas encore parvenue jusqu’à nous. Nous participons à une course dont l’enjeu est énorme. La diffusion des nouveaux concepts à travers la société doit être plus rapide que le rythme auquel nous détruisons notre environnement, notre tissu social et les barrières éthiques nous séparant du « Meilleur des monde ». Il est urgent que le rayonnement d’une nouvelle éthique solidement fondée puisse nous éclaircir tous et nous éloigner de la voie de l’autodestruction. On ne peut voir une nouvelle étoile avant que les lois de la Nature ne nous y autorisent car on n’accélère pas la vitesse de la lumière. Toutefois, la vitesse de circulation des idées, elle, ne dépend que de notre effort…« Le chemin qui mène à la perfection et à l’amour est au fond de nous. Regarde avec ton esprit, prends

Nous participons à une course dont l ’enjeu est énorme. La diffusion des nouveaux concepts à travers la société doit être plus rapide que le rythme auquel nous détruisons notre environnement, notre tissu social, et les barrières éthiques nous séparant du « Meilleur des mondes ».

conscience de ce qui est en toi depuis toujours, fais usage de ta science, enseigne-la, fais-la partager, et tu trouveras la voie de l’envol. » Richard Bach, Jonathan Livingston le goéland.

Ce texte est dédié à ma mère, Nicole Staune, pour l’aide constante qu’elle m’a apportée sur le chemin qui mène au « Réenchantement du monde ».

He a r t f u l n e s s

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Pe n s e r l e f u t u r

Deux livres récents de Jean StauneLes clés du futur, Réinventer ensemble la société, l’économie et la science, Plon, 2015Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique - rééd. Fayard, 2017www.jeanstaune.fr

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Pe n s e r l e f u t u r

C’est en en octobre 1978 que DORIT VAARNING rencontre pour la première fois Ram Chandra, que ses proches appelaient affectueusement Babuji. Elle évoque ici quelques-unes de ses expériences auprès de ce maître extraordinaire, des plus discrets et des plus humbles.

CeluiQUI NE FAIT que DONNER

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C ’est un peu difficile de parler de Babuji parce qu’il me semble que les histoires que je peux raconter en disent plus long

sur moi que sur lui. Car, au fond, qui était-il ? Ce que j’ai pu observer n’était que ce dont je pouvais prendre conscience et ce qu’il m’a permis de voir.

La deuxième fois que je lui ai rendu visite, j’ai fait une étrange expérience : la tête de Babuji est devenue transparente à mes yeux, et j’y ai aperçu des planètes qui se déplaçaient sur leur orbite suivant la loi cosmique. C’était comme regarder à l’intérieur d’une montre. Et même si cette vi-sion était limitée à sa tête, j’observais, comme à travers une vitre, l’univers infini. Lors de ma visite suivante, la tête de Babuji m’est apparue comme un récipient ouvert dans lequel il n’y avait rien.

Je me souviens d’un jour où il était assis dans son fauteuil, entouré d’une foule de gens occupant toute la terrasse de sa maison. Comme j’étais arrivée en retard et qu’il ne restait plus qu’une place à ses pieds, on m’ordonna de m’y asseoir. Nous commençâmes à poser nos questions.

Je demandai : « Qu’est-ce que l’amour ? » Babuji nous donna cette belle image : « L’amour est ce qui est vivant lorsqu’une fleur éclot et qui, lorsqu’elle se fermera, ne reviendra plus jamais. »Profondément troublée par la deuxième partie de cette définition, je demandai : « Mais l’amour doit-il s’en aller ? Peut-il aussi rester ? »

Babuji abaissa son regard vers moi avec tendresse et répondit doucement : « Oui, il peut venir et rester pour toujours. »Pour finir, il ajouta cette définition : « L’amour est l’ardent désir de la Réalité. Vous ouvrir à la Réalité et à la Divinité, c’est l’amour. »Un peu plus tard, je demandai : « Qu’est-ce que la grâce ? » De nouveau, ses yeux doux et tendres rencontrèrent les miens et il dit en souriant : « La grâce est la douceur de l’esprit. »Mon cœur fondit dans l’amour de ses yeux, et je ne pus qu’émettre un soupir.

Babuji sembla réfléchir à nouveau, puis confirma : « Oui, c’est bien ça. »Une autre question me vint : « Babuji, qu’est-ce que la passion ? » Il répondit, comme pour faire une rime, « la passion est une vive émotion en action ». Puis son visage sembla exprimer un doute. « Ce n’est pas exact », dit-il. Mais ensuite il revint à la même idée.« Qu’est-ce que le péché ? » demandai-je encore. « Un mauvais ajustement des choses », répondit-il.

Babuji était la personne la plus originale et poé-tique que l’on puisse imaginer, avec un humour plein de signification.

Un jour à Munich, en 1980, je lui ai demandé : « Babuji, qu’en est-il de l’intoxication divine ? » – « Eh bien, je ne pourrais rien dire à son en-contre, puisque je suis moi-même fumeur ! » Puis, après un certain temps, il me demanda soudain : « Pourquoi ne plongez-vous pas simplement dans l’océan infini ? »

Un soir à Copenhague, toujours en 1980, des gens s’étaient rassemblés dans sa chambre afin de passer avec lui une de ces soirées chaleureuses où il était généralement d’humeur à parler. Assis dans son lit face à tout le monde, il semblait tout

L’amour est l ’ardent désir de la Réalité.

Vous ouvrir à la Réalité et à la Divinité,

c’est l ’amour.

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Sa g e s s e

à fait prêt à entamer une conversation emplie de sagesse et de rires. Cependant le silence régnait. Babuji regardait ici et là, de toute évidence attentif à quelque chose, mais il restait muet.Au bout d’un moment, il regarda autour de lui d’un air contrit et s’exclama : « Aucune pensée ne vient. »

Silence à nouveau de toute part. Soudain, il se redressa comme s’il s’était passé quelque chose. « C’était une pensée ! » s’écria-t-il, le regard fixé sur une chose invisible, comme s’il suivait une étoile filante. Babuji était d’humeur plutôt enjouée, cela a duré un moment. Finalement, de l’air le plus

humble et timide qu’on puisse imaginer, il dit : « Une pensée est une vibration qui vient du Divin, pas d’un être aussi indigne que moi. » Et tout petit, avec un sourire timide, il s’adossa à ses oreillers.

Lors de la visite de Babuji en Afrique du Sud, en 1981, quelqu’un posa cette question : « Quel est le comportement approprié après que l’on a heurté quelqu’un ? » Il répondit : « Être en soi-même. Il s’agit de quelque chose d’intérieur. » – « Devrions-nous éviter à tout prix de blesser les autres ? » – « Chercher le juste milieu, la mo-dération. Éviter de causer des problèmes à autrui. C’est un commandement divin. Ne pas blesser les autres est la plus grande des religions. Je ne suis pas comme une guêpe qui pique si on lui marche dessus. Si quelqu’un me marche dessus, je serai écrasé et je mourrai. [...] Vous ne devriez jamais blesser les sentiments d’autres cœurs. Vous devriez tenir le rôle défensif, pas le rôle offensif. Quand le soi est en jeu, il est juste de se défendre. »

Durant ces dernières heures avec lui, en Afrique du Sud, je lui demandai ce qu’était la sainteté. Il répondit : « La courtoisie, l’humilité. Celui qui ne fait que donner, sans jamais rien demander en retour. »

Je lui demandai ce qu’était la sainteté. Il répondit :

« La courtoisie, l ’humilité. Celui qui ne fait que donner, sans jamais rien demander

en retour. »

Extraits de « All Was Drowned in Divinity » tirés du livre Tears

& Laughter : Rencontres avec un maître spirituel, 1ère édition,

1990, édité par A.J. Born, Shri Ram Chandra Mission, Inde.

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He a r t f u l n e s s

C O M M E N T M É D I T E R ?

Asseyez-vous confortablement dans un endroit où vous pouvez méditer sans bruit ni distractions, de préférence au même endroit et à la même heure chaque jour.Éteignez votre téléphone portable et autres appareils.

Fermez doucement les yeux et détendez-vous. Asseyez-vous le dos droit, mais sans rigidité.

Prenez quelques minutes pour détendre votre corps avec la relaxation Heartfulness. Portez votre attention vers l’intérieur et prenez un moment pour vous observer.

Ensuite, émettez calmement la suggestion que la Source de lumière est là, présente dans votre cœur.

Pensez que cette lumière vous attire de l’intérieur.Faites cela de manière douce et naturelle. Il n’est pas nécessaire de vous concentrer.

Si vous sentez que votre attention dérive vers d’autres pensées, revenez tranquillement à l’idée de la Source de lumière dans votre cœur.

Laissez votre attention posée sur le cœur. Sentez que vous vous fondez dans cette perception.

Vous allez peut-être dépasser l’état de vigilance pour atteindre un état de détente profonde. Tout va bien.

Restez en méditation jusqu’à ce que vous sentiez qu’elle est terminée.

fr.heartfulness.org

He a r t f u l n e s s

Un m o m e nt s u s p e n d u

Aucun homme n’a jamais vécu sans rêver

les yeux ouverts.

Ernst Bloch

L'E

SPO

IR

FOCUS

Vous les reconnaîtrez

à leurs

fruits

Après avoir participé à un festival de musique pas comme les autres, CHARLES EISENSTEIN s’est mis à explorer le para-

doxe de l ’espoir et du désespoir auquel notre civilisation est confrontée aujourd ’hui. Il nous décrit sa perplexité et comment

il s’y est pris pour concilier ces deux points de vue.

He a r t f u l n e s s

J e me trouve actuellement dans un état de dissonance cognitive aiguë, écartelé entre des convictions et des perceptions contra-

dictoires, mais qui chacune, dans sa perspective, m’interpelle. Comment choisir ?

Voyons les deux notions qui s’opposent le plus. Le weekend dernier, j’ai pris la parole dans un extraordinaire festival de musique, le Kinnection Campout, près d’Asheville, en Caroline du Nord. Je n’avais encore jamais ressenti une atmosphère aussi positive, douce et amicale dans un festival. L’équipe d’accueil était joviale et le personnel de sécurité aimable et attentif, et je n’ai assis-té à aucune agression, aucun bad trip, ni à une consommation excessive d’alcool qui, sans être une tendance dominante, sont monnaie courante dans ce genre de manifestations. L’idée m’est venue que cet événement était comme un générateur de champ, capable de créer une « nouvelle norme » de compassion et de partage sur cette planète.

Mais ce qui m’a rendu le plus optimiste, ce sont les échanges étonnants que j’ai eus avec des jeunes sur des sujets comme l’activisme subtil, la permaculture sociale, la politique régénérative, l’indigénéité, etc. – des discussions comme nous n’en avions pas à leur âge. Ils étaient parfaitement à l’aise avec des notions que j’ai mis des décennies à approfondir, et qui me restent relativement étrangères. Que ne pourront-ils accomplir, avec cette conscience qu’ils semblent avoir reçue à la naissance, ou qu’ils ont peut-être atteinte à la suite d’une expérience révélatrice ?

J’ajouterai à l’intention des sceptiques que ces jeunes n’étaient pas des philosophes du dimanche jonglant avec ce genre d’idées pour le plaisir. Plutôt insensibles aux promesses et aux récompenses du système, ils nourrissaient peu d’ambition au sens habituel du terme. Pour eux, on n’en est plus là.

Et même s’ils sont minoritaires dans leur classe d’âge, ils témoignent clairement d’un changement d’attitude face à l’écocide et à l’injustice.

L’autre perspective a émergé les jours suivants, quand mes recherches pour un livre m’ont fait plonger dans les prévisions les plus dramatiques sur le changement climatique. Vous l’ignorez peut-être, mais on prévoit tout simplement l’extinction imminente de la plupart des espèces, y compris la nôtre. Bien sûr, j’ai connaissance de ce scénario depuis longtemps, mais un examen des boucles de rétroaction positive m’a fait réaliser l’urgence de la situation. En fait, les changements climatiques ont déjà poussé notre planète au-delà du point de bascule. Le réchauffement s’emballe et, même si nous éliminions tous les combustibles fossiles aujourd’hui, cela ne suffirait pas à l’enrayer. Et les recommandations du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) – pourtant très conservatrices – sont impossibles à appliquer dans le contexte politique actuel.

Devant un tel constat, l’optimisme que le festival m’avait inspiré n’était qu’une illusion. Et pourtant… Je revois ces beaux visages éveillés, vivants, ces yeux clairs brillant d’une intelligence profonde, et j’ai la conviction intime qu’il y a, dans cette logique du désespoir, quelque chose qui cloche. Je suis incapable d’en présenter la moindre preuve, et pourtant je le sais. Dois-je me fier à ce sentiment que j’appelle « savoir » ?

En fait, je peux envisager un scénario rationnel où – aussi invraisemblable que cela puisse paraître d’un point de vue conventionnel – l’humanité réussit à éviter une catastrophe écologique destructrice de notre civilisation. Ce scénario découle d’une prise de conscience : en fait, la vision moderne du monde – qui est à la racine de la crise écologique – nous permet aussi de comprendre ce qu’il est

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He a r t f u l n e s s

Fo c u s : l ' e s p o i r a u j o u rd ' h u i

possible de faire et comment amener le monde à changer. En sortant du schéma conventionnel, comme l’ont fait tant de jeunes, on élargit le champ du possible et du réel. Cela se perçoit dans tout ce qu’on appelle holistique ou alternatif – dans toutes ces technologies ou ces approches technologiques qui produisent des résultats « impossibles ».

Bien sûr, si vous adhérez à la vision moderne du monde et rejetez tout ce qui s’en éloigne, cela ne vous convaincra pas. Mais si vous avez vécu ou assisté à une expérience prétendument « impos-sible », vous affirmerez moins facilement qu’une telle transition n’est pas à la portée de l’humanité.Si quelqu’un réussit à guérir d’un cancer théori-quement incurable, par exemple un pancréas au stade 4, quelles autres choses seraient alors aussi possibles ? En particulier sur le plan politique ou écologique ? C’est le genre de questions que bon nombre de jeunes commencent à explorer.

Aussi ténu qu’il puisse vous paraître, c’est là un des fils d’Ariane de mon scénario optimiste. L’intuition profonde que ce festival m’a apportée n’est donc pas entièrement déraisonnable – même si elle ne

constitue pas une preuve en soi. Chacun de ces scénarios a sa cohérence, chacun est une réalité en soi. Alors auquel dois-je me fier ?

Dans la Bible, il est dit : « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » Or ces deux réalités portent en moi des fruits très différents, et chacune correspond à une manière d’être. Pour moi, le scénario d’une extinction à court terme est paralysant et démo-tivant : il invalide toute tentative de remédier à quoi que ce soit pour guérir le monde. De toutes les questions qui me tiennent à cœur, laquelle aura encore la moindre importance, devant une telle éventualité ?

L’autre scénario – que j’appellerai « l’évolution de la conscience qui sauvera le monde » – m’enthou-siasme et m’incite à me mettre au service de cette évolution dans toutes ses manifestations, toutes ses applications pratiques. Il n’est pas sans em-bûches – attitudes moralisatrices, élitisme spirituel, manque de réalisme, etc. – surtout si on néglige la réalité sur le terrain. L’horreur et la souffrance, sur cette terre, vont bien au-delà du changement climatique. D’ailleurs à mes yeux, le changement

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Pour en savoir plusCharles Eisenstein, The More Beautiful World Our Hearts Know is Possible, North Atlantic Books, 2013

climatique est en fait le symptôme d’un mal bien plus profond, qui continuera à générer des crises, même si le changement climatique s’avère moins menaçant que prévu. Faire l’impasse sur les bles-sures et les périls qui affligent notre planète, et évacuer le chagrin qu’ils causent avec des discours spirituels lénifiants comme « tout cela arrive pour une raison » ou « la transformation de la conscience nous sauvera », équivaut à nous priver des pouvoirs étendus de cette nouvelle approche en matière de création et de guérison et à les détourner de leur but essentiel.

Le mal appelle le remède. Les multiples crises auxquelles nous sommes confrontés sont préci-sément proportionnées aux compétences qu’elles susciteront en nous. C’est pourquoi il est néces-saire de tenir compte des deux scénarios. Nous devons prendre conscience du mal, sans quoi le remède demeurera inaccessible et inexploité, un secret gênant dans le placard culturel nommé « alternatives ».

Si nous regardons en face les phénomènes les plus désespérants et les plus horrifiants sur notre planète, nous verrons nos propres blessures ca-chées et nos chagrins inavoués émerger pour être dissipés, et nous découvrirons que les deux formes de déni – des circonstances extérieures et des douleurs intérieures – sont le miroir l’une de l’autre. Si nous voulons que notre optimisme soit authentique et efficace, il faut qu’il admette la réalité telle qu’elle est.

J’aime à dire qu’aucun optimisme ne peut être authentique à moins d’avoir affronté le désespoir le plus profond. Aujourd’hui, j’ai pris conscience d’un corollaire : aucun désespoir n’est authentique s’il n’a pleinement accueilli la joie. Des festivals comme Kinnection ont un impact puissant en déjouant la logique du pire et en générant de

l’enthousiasme et de la motivation pour donner naissance à un monde plus beau. Il ne s’agit pas de montrer les failles de cette logique du désespoir, mais simplement de la rendre moins pertinente, moins dominante, moins captivante. Même si nous n’avons, a priori, aucun motif raisonnable d’espérer, nous constatons qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des raisons. En effet, à la faveur d’expériences concrètes de jeu, de joie et de communion, une conscience « déraisonnable » de nos possibilités élargies s’infiltre en nous. Or s’ils n’ont pas vécu de telles expériences, les esprits chagrins passent à côté d’une donnée essentielle. Ils prêcheront dans le désert, car on comprendra intuitivement que leur désespoir est en réalité un manque de joie déguisé en raisonnements objectifs. Or ce quelque chose qui leur manque semblait rayonner, tant chez les jeunes que j’ai rencontrés à Kinnection que dans la manifestation elle-même.

Donc, pour transmettre efficacement un message alarmiste, il faut fréquenter les festivals et autres endroits où règne la joie. Et pour répandre effica-cement la joie, il faut visiter les lieux de ses plus grands chagrins.

Bien sûr, je comprends que des festivals de ce type soient l’objet de critiques politiques, et soient considérés comme des lieux de divertissement pour privilégiés, destinés à rendre un peu plus tolérable notre monde injuste et écocidaire. J’espère cepen-dant avoir montré qu’ils font aussi le contraire : d’une certaine façon, ils rendent ce monde moins tolérable. En nous donnant un aperçu du monde tel qu’il pourrait être, ils renforcent nos ressources intérieures ainsi que les liens extérieurs dont nous avons besoin pour contribuer à son avènement.

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Fo c u s : l ' e s p o i r a u j o u rd ' h u i

À P R O P O S D E L’ E S P O I RNous avons posé trois questions sur l’espoir à nos lecteurs.

Q u’est-ce qui vous donne de l ’espoir ?

Q ue sig nifie avoir de l ’espoir aujourd ’hui ? 

Q uelle est la couleur de l ’espoir ?

SCARLET L’espoir est important quand la vie se fait dure. Ce qui est beau dans

l’espoir, et difficile aussi, c’est que nous devons le conser-ver dans les pires situations : échecs, destructions, trau-matismes, pertes, dangers – il faut même espérer au cœur du désespoir. Espé-rer est un art, l’art de créer une alternative à la réalité. Même si cette nouvelle réalité n’existe d’abord qu’en nous-mêmes. Le pouvoir de l’espoir est qu’il peut devenir ensuite une réalité à l’extérieur. Il est donc le fondement du changement.Avoir de l’espoir aujourd’hui est d’une importance vitale. Devant l’état du monde – les crimes que les humains commettent les uns contre les autres, contre les ani-maux, contre la nature – je dois espérer. Je dois créer en moi un monde meilleur, le vouloir de tout mon être, et espérer qu’il se manifes-tera. L’espoir me vient aussi quand j’observe des actes de gentillesse et de compas-sion. Cela me montre que d’autres espèrent aussi.

Toulon, France

ALICIA Je me souviens de ce que

mon Maître disait à propos de l’espoir : « Sans espoir il n’y

a pas de vie. L’espoir, c’est la vie. » Cela me correspond. L’espoir est pour moi un moteur, le gazole de mon existence, une sensation permanente que chaque être et chaque chose peuvent se transformer pour le meil-leur. L’espoir est ce puissant alchimiste qui me relève lors des épreuves parfois difficiles. C’est la conviction que, la seconde suivante, le prochain pas sera différent.L’espoir, c’est le courage, une baguette magique : j’ai le pouvoir d’accepter tout ce qui se présente à moi, je peux voir tout le champ des possibles à l’intérieur de chacun, de chaque situation.En fait, l’espoir est le visage de la foi. Une super conscience qui me fait considérer et percevoir le Divin en toutes choses. C’est le souffle de la vie, son essence…

Mulhouse, France

DAVID L’espoir, je le sens dans mes pieds et dans la chaleur de mon cœur, quand je

marche sur mon chemin, sachant que chaque pas joyeux m’apporte croissance et lumière.L’espoir, c’est savoir que la nuit noire se dissipera de-vant une nouvelle aube. Et quand les premiers rayons percent les ténèbres, un feu s’allume dans mon cœur. L’espoir peut parfois s’éclip-ser mais il revient.Dans les profondeurs du désespoir et du chagrin, l’es-poir est la lueur qui chasse la peur. Et en l’absence de certitude, nos esprits sont libres d’imaginer le futur fantastique qui les attend.Si vous êtes pris dans les griffes de la peur, cessez d’évaluer les risques, écoutez votre cœur et laissez-vous guider par la lumière de l’espoir.

Edinburgh, Écosse

He a r t f u l n e s s

Fo c u s : p o i n t s d e v u e

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He a r t f u l n e s s

GREGORY L’espoir provient de la foi. La foi est la fonda-tion sans

laquelle il est impossible de concrétiser l’espérance. Avoir de l’espoir au-jourd’hui, c’est renforcer la connexion spirituelle avec le maître intérieur et ne pas arrêter le processus d’évo-lution. C’est le faire ici et maintenant.L’espoir n’a pas de colo-ration universelle, il est individuel. À mon avis, il n’a pas de couleur, mais un rayonnement magnétique, incolore.

Minsk, Biélorussie

LUSINE L’espoir me donne le sentiment intérieur de vivre

et d’aimer la vie et les gens autour de moi ! Ou inverse-ment, le sentiment intérieur de vivre et d’aimer la vie et les gens autour de moi me donne de l’espoir. Juste en ouvrant les yeux, le matin, je suis pleine d’espoir devant la journée à vivre.La couleur de mon espoir est claire et ensoleillée, avec quelques gouttes de pluie, bien sûr !

Minsk, Biélorussie

KIM Pour moi, il s’agit de voir la beauté à chaque instant. Il s’agit de

stabilité d’esprit, ne pas errer dans la négativité. Il s’agit de choisir de regarder dans la direction de la joie, du bonheur, de la foi et de ne pas marcher sur le chemin du doute, de la peur, et ne pas penser, penser, penser. C’est à chaque instant la méditation de la vie, les yeux ouverts et le cœur ouvert. Il n’a pas de couleur ni de forme. C’est la légèreté et l’amour. Comme me le répétait une personne chère, là où il y a de la vie, il y a de l’espoir. Pour moi, l’espoir est une attitude, un état intérieur. La vigilance et la pratique me conduisent à choisir l’espoir à chaque ins-tant. Cela ouvre un chemin vers l’amour. Ce n’est pas une action, mais plutôt une façon d’habiter son cœur. Voilà ce que l’espoir signifie pour moi en ce moment !

Toronto, Canada

ELIZABETHL’espoir a coloré mon monde et a été mon constantcompagnon pendant

les 18 mois qui ont suivi ce diagnostic, en mai 2016 : maladie en phase terminale.Même si ça a été un choc profond, j’ai été entourée, au cours de ce voyage plutôt houleux, d’un cocon extraor-dinaire, fait d’attention, de compréhension, de soutien et d’amour de la part de ceux qui m’entouraient. Mon guide spirituel, mes compagnons de méditation, mes amis et ma famille ont toujours été là pour moi et je leur en suis infiniment reconnaissante. Ils ont ouvert leurs cœurs, donné d’eux-mêmes, sans relâche, pour répondre à chacun de mes besoins.Ce débordement d’amour et de soins a été l’un des prin-cipaux facteurs qui m’ont fait garder espoir. L’espoir de revenir à la santé dans tous ses aspects, spirituel, émotionnel et physique. Parfois, les nouvelles sont si sombres dans ce monde déconnecté et fou qu’il est difficile de rester accroché à l’espoir que les choses changeront. Les traditions

spirituelles soulignent l’im-portance de nous changer nous-mêmes et, ce faisant, de changer le monde.Ma conviction est que notre espoir réside dans l’amour... l’amour qui a gardé mon espoir vivant sur le chemin qui m’a ramenée à la santé.

Sydney, Australie

Fo c u s : p o i n t s d e v u e

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M O N I Q U E AT L A N et R O G E R - P O L D R O I T ont écrit ensemble L’espoir a-t-il un avenir ? dans lequel ils proposent de redonner sa place à l’espoir collectif qui, aujourd’hui, dans un monde obsédé par l’immédiat, manque cruellement. En retraçant les tribulations de la notion d’espoir dans l’histoire de l’Occident, ils nous montrent que l’être humain ne peut vivre sans lui, car l’espoir est une énergie extraordinaire qui nous fait avancer malgré les obstacles.

© Philippe Matsas

a-t-il un avenir?

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He a r t f u l n e s s

À première vue, l’espoir est une notion simple et familière. Mais votre enquête montre qu’elle est plus complexe qu’il n’y paraît, et qu’au cours de l’histoire elle a souvent été occultée et dépréciée. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est simple : l’espoir est la force humaine par excellence, ce qui nous fait, avancer, agir, progres-ser... même dans les pires moments ! On a donc tort de croire que l’espoir s’oppose à l’action. Au contraire, il n’existe pas d’action sans espoir de la voir réussir. Inversement, pour espérer utilement, il faut avoir commencé à agir.

Malgré tout, l’espoir reste difficile à définir avec précision. C’est à la fois un souhait, un désir, l’attente de quelque chose de meilleur, mais pas seulement. Cette matrice de nos vies, de nos existences individuelles comme de nos horizons collectifs, ne peut s’enfermer dans un concept rigide.

L’espoir ne se laisse pas facilement capturer. Il se révèle équivoque, pluriel, toujours impur, c’est-à-dire tissé de sentiments contradictoires, de croyances illusoires, de pensée magique, de rêves autant que de raisonnements et d’estimation des probabilités. C’est à la fois une « émotion-acte » et une émotion pensante.

Les recherches que nous avons menées sur l’histoire de sa constitution – notamment dans la Grèce antique, dans les sources juives, dans la pensée chrétienne – montrent que l’espoir est toujours

à double face, ambigu : individuel et collectif, terrestre et céleste, fluctuant et immuable…

Il ne faut pas imaginer qu’il s’agit uniquement d’un « bon » sentiment, d’une attente forcément positive : les terroristes « espèrent » faire le plus de victimes possibles…

Il a évidemment existé des temps forts où l’espoir collectif s’est formulé de manière positive. La pensée des Lumières et les mouvements d’éman-cipation sociale au XIXe siècle en fournissent de bons exemples : on croyait que tous les progrès de l’humanité allaient cheminer du même pas. Davantage de savoirs, plus de techniques, plus de libertés, plus d’éthique et d’instruction… tout avançait de concert ! C’était le grand espoir du Progrès, continu et triomphant.

Depuis que le XXe siècle a montré que la culture ne protège pas de la barbarie, que la science peut de-venir destructrice, que les lendemains qui chantent débouchent sur le totalitarisme et la terreur, nous avons tendance à nous méfier de l’espoir, et, le plus souvent, à préférer vivre sans.

Mais peut-on vivre sans espoir ?

Bien sûr que non ! Parce que l’espoir, il faut le redire, est une dimension constitutive de l’humain. Notre interrogation de départ était : comment comprendre que l’espoir collectif soit en panne, alors que les individus continuent d’espérer à titre personnel, d’avoir des projets pour eux-mêmes ou leurs proches ? Tous les sondages le montrent : les

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Fo c u s : l ' e n q u êt e

mêmes qui affirment être pessimistes sur l’avenir de leur pays ou de l’humanité disent en même temps être plutôt optimistes concernant leur situation personnelle ! Autrement dit, l’espoir demeure bien ce que le psychanalyste Guy Lavallée nomme une « matrice énergétique », la source de nos projets et de nos actes, bien qu’actuellement les horizons collectifs demeurent au point mort.

Si chacun est habité profondément par ce sentiment, comment se fait-il que nous ne rêvions plus collectivement d’un avenir à la hauteur de nos espoirs intimes ?

C’est ce que nous tentons de diagnostiquer à travers ce que nous avons appelé un « dégrippage philosophique » pour contribuer à sa remise en route. Nous savons qu’on ne peut imposer l’espoir à personne ! Notre pari, c’est qu’en lui accordant l’attention qu’il mérite, en le comprenant mieux

dans ses mécanismes et ses limites, il devienne envisageable d’en réactiver le désir.

L’éclipse actuelle de l’espoir collectif est liée notam-ment aux désastres du siècle dernier, à la perte du sens de l’histoire, à l’affaiblissement de la conscience d’hériter du passé et d’avoir à construire l’avenir, au triomphe du « présentisme » et de l’immédiateté. Mais elle a aussi des causes plus profondes, plus anciennes, dans la culture européenne.

En effet, nous avons pu mesurer combien ce sen-timent si universellement partagé est demeuré, au fil des siècles, le « mal-aimé » des philosophes, en tout cas de l’immense majorité d’entre eux. À la panne du temps et de l’action, il faut donc ajouter, en ce qui concerne l’espoir, une panne de la pensée.

Depuis les stoïciens de l’Antiquité jusqu’aux phi-losophes contemporains, presque personne ne juge bon d’accorder à l’espoir une attention centrale. Soit ils l’ignorent carrément, soit ils en traitent par détour, de façon secondaire, le plus souvent pour exprimer leur défiance, ou préconiser un rejet radical. La méthode employée est toujours la même : relier la crainte et l’espoir, donc rejeter l’espoir pour éviter les risques et l’inconfort de la crainte, valoriser le seul présent, l’instant à vivre, afin de se préserver des incertitudes de l’avenir que tout espoir suppose.

Des exemples : « Tu cesseras de craindre si tu as cessé d’espérer » disait le stoïcien Hécaton de Rhodes, cité par Sénèque. Montaigne renchérit : « La crainte, le désir, l’espérance nous élancent vers l’avenir, et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amu-ser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. » Spinoza, le plus grand pourfendeur de l’espoir, veut chasser toute tristesse pour

En fait, il y a espoir si, et seulement si, on considère

le monde comme jamais achevé, toujours à construire,

tous ensemble. L’espoir fait agir à partir de cette conviction partagée que

la partie n'est pas achevée, le monde pas f ini,

l ’histoire à poursuivre.

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Fo c u s : l ' e n q u êt e

atteindre une sagesse de la joie philosophique et conclut : « Plus nous nous efforçons de vivre sous la conduite de la Raison, plus nous nous efforçons de nous affranchir de l’Espoir ». On pourrait citer aussi Schopenhauer, Heidegger, Camus, Comte-Sponville, et bien d’autres… Malgré leurs différences philosophiques, tous sont unanimes : l’espoir est une illusion néfaste dont il faut se défaire ! La crainte de la désillusion les pousse à « jeter le bébé avec l’eau du bain » ! Car l’espoir implique le risque.

Vous dites que « l’espoir devrait être l’outil principal pour construire un nouvel avenir ». Mais comment, dans ce monde qui a perdu ses illusions ?

En cessant justement de confondre espoir et illusion ! Avoir perdu ses illusions ne signifie pas avoir perdu espoir. Au contraire, il faut considérer l’espoir comme un exercice de lucidité. Nos désirs bruts, nos aspirations dispersées doivent subir un travail de raffinage. Il faut les passer au tamis, les canaliser, les débarrasser des surplus et des fantasmes, les ajuster à la réalité. Sans ce travail, l’espoir ne sera qu’une répétition mécanique, donc vaine, des mêmes formulations. L’espoir se doit d’être travaillé, bien tempéré.

Alors en quoi peut-on espérer aujourd’hui ?

Aucune période de l’histoire, même parmi les plus sombres, n’a vu l’espoir disparaître totalement. Sa flamme persiste même quand tout semble devoir l’éteindre. Ainsi Ernst Bloch ou Hans Jonas, au

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cœur des tragédies du XXe siècle, ont-ils endossé l’idée d’un monde toujours à construire, où la dimension centrale de la vie réside dans le futur. Car, et c’est l’enseignement le plus important que nous avons retenu : pour penser l’espoir, il faut penser au-delà de soi.

Nous en appelons donc à une véritable inversion du logiciel de la philosophie occidentale. Au lieu de la centrer uniquement sur la pensée de l’individu face à sa mort, il faut défendre une philosophie qui pense prioritairement le vivant, la transmission des générations, au-delà de soi. Tant qu’ils restent centrés sur l’individu seul face à la mort, le monde et le temps sont pensés

comme absurdes. Mais si on accepte l’idée d’une humanité poursuivant toujours son chemin, on se place dans un inachevé, toujours ouvert, toujours à élaborer.

Donc on peut partager l’espoir ?

« L’espoir est toujours en partage » dit, à juste titre, la philosophe Catherine Chalier. Cette dimension est essentielle, car l’espoir ne se vit jamais seul. Il faut se souvenir, comme l’a fait l’écrivain italien Erri de Luca, dans son livre intitulé Alzaïa, qu’en hébreu le mot tiqva désigne à la fois l’espoir et la corde, la cordée. Celle qui attache des captifs les uns aux autres, mais qui permet aussi aux humains

He a r t f u l n e s sHe a r t f u l n e s s

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de tenir ensemble, de se libé-rer, comme des alpinistes qui se sécurisent mutuellement. L’espoir n’est jamais une course en solitaire. Il nous relie les uns aux autres. Nous sommes solidarisés par cet espoir en partage.

Qu’avez-vous envie de dire aux jeunes au-jourd’hui sur l’espoir ?

Nous n’avons aucune réponse toute prête ni de savoir-faire infaillible en la matière. Il s’agit avant tout de tenter de comprendre et de faire comprendre. Il faut parler aux jeunes du passé, de la profondeur de champ de l’histoire, des défenseurs des libertés à travers l’his-toire. Il faut leur expliquer que le plaisir de l’immédiat ne peut constituer l’unique valeur qui s’impose, et que les super-héros de Star Wars et d’autres sagas, qui terrassent le mal à coup sûr, ne reflètent pas la complexi-té du monde. Enfin, il faut aussi tracer, inlassablement, la frontière entre le virtuel et le réel, car les confondre conduit à une déréalisation.

Cela dit, nous ne détenons pas les clés du futur. C’est aux jeunes qu’il appartient de les forger. À condition,

Pour aller plus loin Monique Atlan

et Roger-Pol Droit, L’espoir a-t-il un

avenir ?, Flammarion, 2016

pour nous, adultes, d’avoir la plus vive conscience que le monde ne s’achève pas avec nous, que la transmission des générations est la clé d’une réouverture de l’hori-zon et de l’espoir.

En fait, il y a espoir si, et seulement si, on considère le monde comme jamais ache-vé, toujours à construire, tous ensemble. L’espoir fait agir à partir de cette conviction partagée que la partie n’est pas achevée, le monde pas fini, l’histoire à poursuivre.

Mais, pour avancer, il faut encore un récit. L’espoir se doit d’être formulé, raconté, mis en mots, en mythes, en histoires. Il doit se parler, se transmettre, se représenter. Il s’appuie aussi sur un ima-ginaire, sur de la fiction.

Ces récits nous manquent, il faut qu’ils puissent être rêvés, se reconstituer, pour que l’espoir puisse se fonder, trouver son socle.

Personnellement, qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?

Le fait que l’inespéré existe et résiste ! Que l’histoire demeure inachevée. Sou-

venez-vous de ce qui est inscrit sur la porte de l’Enfer de Dante : « Lais-sez tout espoir, vous qui entrez ici ». Ce qui définit l’enfer, c’est qu’il est clos, c’est un espace achevé, sans ouvertures ni rêves possibles. Au contraire, la dignité humaine, dans notre monde, consiste à maintenir indéfiniment le désir d’un futur meilleur. Ernst Bloch, l’auteur du Principe Espérance, en 1959, avait bien compris que cette conscience du futur était le moteur non seulement de l’histoire, mais de toute création humaine. Il affirmait que « l’espoir demeure jusqu’à présent aussi inexploré que l’Antarctique ». Nous pensons qu’il est temps de l’explorer.

He a r t f u l n e s s Ja nv i e r 2 01 8

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Fo c u s : l ' e n q u êt e

ÇA

CH

AN

GE

TO

UTEt vint le jour où

le risque de rester étroitement serrée en un bourgeon fut plus douloureux que celui

de s’épanouir.

Anaïs Nin

DE L'EXCELLENCE

L'autre jour, je lisais un texte sur la pondération – cet état de conscience où tout est en équilibre parfait. La pondération est synonyme d'équilibre, de stabilité, de maîtrise de soi, de grâce et de présence.

En tant que formatrice et pratiquante de la méditation de pleine conscience, je me suis énormément intéressée à la pondération, car elle représentait pour moi la quintessence de la perfec-tion – ce que j'ai toujours recherché – l'équilibre par-fait entre vie matérielle et spirituelle. Cet espace sacré où tout est à sa place.

La pondération est essen-tielle dans tous les do-

maines où les relations ont un impact sur la qualité de la collaboration, du parte-nariat et de la créativité. Quand nous réagissons de façon automatique en per-dant notre sang-froid, nous nous retrouvons prisonniers de schémas prévisibles, incapables de puiser dans nos pouvoirs illimités. La colère, l'irritation, l'impa-tience, l'apitoiement sur soi et la victimisation qui s’ensuit posent des pro-blèmes considérables aux collègues, associés, conjoints ou superviseurs, mais plus encore à nous-mêmes.

Selon Gary Stokes, l'auteur de Poise : A Warrior's Guide, les organisations modernes recherchent des hommes

et des femmes ayant une conscience d’eux-mêmes suffisante pour conserver leur équilibre, leur calme et une humeur égale face à des défis extraordinaires. Stokes dit que la pondéra-tion nous rend pleinement présents à notre environ-nement, à notre entourage, et heureux d'être en vie. Équilibrés et posés, nous sommes en mesure de tirer le meilleur de toute situation. Nous sommes capables de rester connectés, créatifs, enjoués et reconnaissants, indé-pendamment de ce qui se passe. En d'autres termes, la pondération nous mène au top, car elle a quelque chose d’attrayant, de sain.

TOP

Le Dr NANDINI SHEKHAR

évoque le livre Poise : A Warrior's

guide de Gary Stokes. Elle s’inspire

de ses conseils et partage ses propres

réflexions sur l'importance de la

pondération dans la vie de tous les jours.

LE

He a r t f u l n e s s

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Vi s e r h a u t

DE L'EXCELLENCE

TOPLE Stokes se penche également sur les coûts élevés

qu’il s’agit d’assumer lorsque nous perdons notre calme : jugement faussé, erreurs et mauvaises décisions. Notre joie de vivre diminue et notre potentiel s'évanouit temporairement, voire même de façon permanente, puisque nous perdons l’accès à l’amour qui est en nous. Incapables de rester calmes, nous voilà piégés dans une vie étriquée, sans perspectives, à tourner en rond dans un schéma répétitif de pensées et de comportements négatifs. Le passage de ce livre qui m’a le plus frappée, c’est que l’apitoiement sur soi est la cause universelle de la perte de son équilibre intérieur.

En effet, l'apitoiement sur soi est la réponse fréquente à une situation qui nous contrarie. Nous nous posons en victime pour justifier notre mal-être. Nous blâmons les autres : « Tel et tel m’a fait ça ! » Nous racontons notre histoire aux

gens compatissants, et ils nous plaignent en disant : « Oh, mon pauvre » ou quelque chose de ce genre.

Prisonniers de nos obsessions, nous espérons que la justice divine ou un acte personnel de vengeance terrassera notre adversaire. Mais tant que nous nous apitoierons sur nous-mêmes, nous serons en déséquilibre. Notre potentiel restera bloqué et nos vies, prises dans un tourbillon, tourneront en rond.Vivre en équilibre implique la capacité d’accepter tout ce qui nous arrive. Si l’on met à profit les défis qui nous sont lancés, tout devient source d'apprentissage.

Stokes utilise une liste de questions pour revenir au calme, lorsque nous sommes contrariés d’une façon ou d’une autre. Voici sa liste :

• Suis-je dans le présent en cet instant précis ?• Suis-je connecté aux autres avec amour et

suis-je connecté à mes valeurs, à ma mission, à moi-même ?

• Suis-je reconnaissant ici et maintenant ?• Ai-je accès à ma créativité, suis-je ca-

pable de refuser de me laisser piéger et d’improviser ?

• Mon cœur est-il léger, déchargé de ma propre lourdeur et de mon

égocentrisme ?

Il se peut que nous perdions notre calme de temps en temps, mais alors nous savons quoi faire – reve-

nir dans le présent, nous reconnecter, remercier, im-

proviser et rire de nous-mêmes.

Oui, en toutes circonstances, la pondération est le top de l’excellence.

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Vi s e r h a u t

JUDITH POLSTON, membre de Mercy for Animals, organisme dédié à prévenir la cruauté envers les animaux d’élevage, fait un plaidoyer pour une vision

de la compassion élargie aux animaux et soulève quelques questions difficiles.

La compassion...SEULEMENT POUR LES HUMAINS ?

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A n i m a u x e t c o m p a s s i o n

Éprouver de la compassion, c’est ressentir de la sympa-thie pour ceux que le mal-heur frappe et nous soucier de leur sort. Et lorsque l’in-fortune de quelqu’un nous touche au cœur, nous avons aussitôt envie de soulager sa souffrance : au-delà de l’empathie, compassion rime donc avec action. Mais notre compassion est-elle réelle ? Quel sentiment vient en premier – l’amour ou la compassion ? Com-ment les deux sont-ils reliés ?

Un de mes guides spiri-tuels nous met sur la voie : « L’amour doit être com-patissant. Il ne peut rester indifférent à la souffrance d’autrui. Amour, compas-sion et miséricorde ne sont pas trois choses distinctes. L’amour en action est misé-ricorde et compassion. »

Le processus de croissance spirituelle nous conduit à notre état originel de pur amour ; dans cet état, les souffrances des autres nous inspirent automatiquement compassion et miséricorde. Et ces sentiments ne se limitent pas aux humains, ils s’étendent à tous les êtres vivants. Les animaux ont

une âme, et ont eux aussi besoin de notre protection. Tout propriétaire de chien ou de chat sait que son ani-mal éprouve des sentiments, et qu’ils communiquent au niveau de l’âme. D’ailleurs des études scientifiques ont montré que les oiseaux, les chimpanzés, les vaches, les éléphants, les girafes et les moutons, pour ne citer qu’eux, connaissent la souffrance et pleurent leurs morts.

Oui, nous aimons nos ani-maux de compagnie. Cela dit, partout dans le monde, l’élevage industriel impose à certains animaux des conditions de vie souvent atroces, et une mort violente pour répondre à une de-mande toujours plus forte. En 2001, le ministère de l’agriculture des États-Unis (USDA) déclarait qu’on avait abattu 45 milliards d’animaux dans le monde pour la consommation humaine. En 2017, le chiffre est monté à 55 milliards, sans compter les milliers de tonnes de poissons. De plus, bon nombre des animaux d’élevage ne parviennent même pas à l’abattoir et meurent prématurément de stress, de maladie ou des

Tous les êtres tremblent devant la violence.Tous craignent la mort.

Tous aiment la vie. Si tu te voyais dans les autres,

Qui pourrais-tu blesser ?Quel mal pourrais-tu faire ?Celui qui cherche le bonheur

En blessant ceux qui le cherchent aussiNe le trouvera jamais.

Car ton frère est comme toi.Il veut être heureux.

Ne lui fais jamais de mal.Et quand tu quitteras cette vie

Tu trouveras toi aussi le bonheur.

Buddha

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Ja nv i e r 2 01 8

effets des privations, de la manipulation et du transport.

Beaucoup d’entre nous sommes devenus végéta-riens, tout en continuant de manger des œufs et des produits laitiers. Or, il faut savoir que, pendant leur vie écourtée, les vaches sont artificiellement inséminées de façon répétée, pour continuer à produire du lait. L’espèce humaine est d’ailleurs la seule à consommer le lait d’une autre espèce. De

plus les veaux sont séparés de leur mère, et finissent à l’abattoir un à trois jours après leur naissance.D’autres espèces que l’on consomme beaucoup, comme les poulets et les cochons, vivent, elles aussi, dans des conditions terribles et meurent dans la souffrance.

Ces vérités sont dures à entendre, mais il importe qu’elles soient connues pour nous encourager à revoir nos habitudes alimentaires et nos modes de vie. Un ancien enseignement védique, le Va-sudhaiva Kutumbakam, qui signifie « un monde, une famille », nous enjoint d’aimer et de respecter les êtres humains, les animaux, les arbres, les rivières et les montagnes, comme une seule entité. Ainsi la non-violence, ahimsa – éviter de nuire à toutes les créatures vivantes – est une vertu essentielle.

Alors, notre compassion et notre miséricorde sont-elles bien réelles ? Notre croissance personnelle nous rend-elle suffisamment sensibles à la mise à mort d’autres êtres ? Telles sont les questions que nous devons nous poser.

Les animaux, tout comme nous, ont une âme. Ce ne sont pas des choses. Ce ne sont pas des objets. Ce ne sont pas non plus des humains. Pourtant

ils pleurent leurs morts. Ils aiment. Ils dansent. Ils

souffrent. Ils connaissent les ivresses et les affres de la vie.

Gary Kowalski

RéférencesFood and Agriculture Organization of the United Nations; USDA, National Agricultural Statistics Service ; Animal Aid http://bit.ly/2zfGZCG et www.vegnews.com/articles

He a r t f u l n e s s

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Dans mon enfance, j’allais souvent chez mon grand-père maternel, qui vivait dans une très belle ferme. Il y avait des vaches, des poules, et il régnait partout une joyeuse animation. Un jour que je me promenais avec mon grand-père, j’ai aperçu un champ de cannes à sucre en flammes. J’ai d’abord pensé que c’était un accident, mais quand mon grand-père m’a dit que le fermier y avait intentionnellement mis le feu, j’ai été choqué. Pourquoi faire une chose pareille ?

Grand-père m’a expliqué que le prix du sucre brut était trop bas cette année-là et qu’il n’y avait pas d’acheteur pour la canne à sucre. L’agriculteur n’aurait pas couvert ses frais s’il avait produit du sucre brut, et il ne pouvait pas se permettre de perdre de l’argent. Il avait donc laissé sécher les cannes et les brûlait. Quand j’ai demandé à mon grand-père comment ce fermier allait gagner sa vie, il ne m’a pas répondu, mais son expression était éloquente. Quelques mois plus tard, j’ai vu le fermier planter de la canne à sucre dans ce même champ.

Cet incident s’est passé il y a 15 ou 20 ans, pourtant il me revient à l’esprit de temps en temps. L’action de l’agriculteur était-elle une manifestation de son obstination ou de son espoir ? À un moment donné, j’en suis arrivé à penser qu’il était vraiment idiot de recommencer la même culture. Mais un autre point de vue a germé dans mon esprit et m’a fait éprouver un grand respect pour les agriculteurs. J’ai ressenti que cette obstination, cette persévérance face à l’imprévisibilité de la vie, n’était possible que grâce à l’espoir.

La vie des agriculteurs est pleine de paris. D’une part, les prix des récoltes ne sont pas fixés. D’autre part, la nature n’est pas toujours clémente à leur égard. Ils ne dépendent pas seulement de la pluie et des conditions climatiques, mais les insectes, les animaux et les oiseaux ont eux aussi un impact sur leurs récoltes. Malgré tous ces aléas, les agriculteurs continuent à semer leurs graines avec l’espoir chevillé au cœur et nourrissent l’humanité.

P A R T H A S A R AT H I N A R AYA N A s’inspire d’un souvenir d’enfance pour faire l’éloge de l’espoir et de la persévérance.

Graines D’ESPOIR

S o u ve n i r s

APAISER

DURGA NATARAJAN nous décrit ses méthodes préférées pour bien gérer les états d’agitation intérieure et retrouver un sentiment de bien-être.

J’ai souvent remarqué que nous réagissons au stress, à l’anxiété et à l’agitation intérieure en essayant de nous évader de nous-mêmes dans toutes sortes d’activités. L’autre jour, une de mes amies est passée chez moi après le travail pour parler de certains problèmes qu’elle vivait. Pen-dant que je me douchais, je l’entendais chanter en bas une chanson mélancolique tirée d’un film hindi. Selon ses pensées, sa voix s’intensifiait ou s’adoucissait, et j’avais le cœur lourd en l’écoutant, car je sentais qu’elle s’efforçait de ne pas se perdre dans le tourbillon de problèmes professionnels et familiaux qui l’assaillait.

la tourmente intérieure

He a r t f u l n e s s

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At t i t u d e

Se remonter le moral en faisant du shopping est une autre manière bien connue d’essayer d’oublier ses problèmes, mais là encore, peut-on dire que cela fonctionne vraiment ? Nous savons que ces comportements ne sont que les symptômes de notre trouble intérieur et des tentatives d’échapper à notre malaise, mais comment traiter la cause sous-jacente ? Comme notre corps, notre monde intérieur se détraque, se déséquilibre, et il a besoin de notre attention.

Voici quelques moyens simples qui m’ont souvent aidée dans des moments difficiles.

• Détendez-vous et retrouvez votre calme.

• Asseyez-vous tranquillement, et connec-tez-vous à votre monde intérieur.

• Chaque jour, passez quelques instants à ne rien faire. Soyez simplement dans le moment présent.

• Dès que vous vous sentez mieux, levez-vous et analysez la situation : elle n’est pas tou-jours aussi difficile qu’elle en a l’air ; l’accepter change les choses, et vous commencez à sentir que des solutions vous viennent.

• Prenez note des avantages et des inconvénients de la situation, et voyez ce que vous pouvez faire dans l’immédiat.

• Écoutez les conseils de votre cœur, et sui-vez-les.

En un mot, traitez le problème de l ’intérieur. Cela vous mènera loin.

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At t i t u d e

La théorie de l ’évolution des anciens yogis sera maintenant mieux comprise à la lumière de la recherche moderne.

Swami Vivekananda

inspir

é

Ê T R E

Seriez-vous intéressé si quelqu’un vous disait qu’il existe un ensemble de pratiques simples qui aident à gérer tous les aspects de la vie quotidienne, tout en élevant le potentiel humain à un niveau qui dépasse l’imagination la plus folle ? Cela attiserait pour le moins la curiosité de la plupart des gens.

En fait, cela correspond précisément à la description des pratiques du yoga, mais rares sont ceux qui s’en rendent compte. Le yoga comprend un ensemble holistique de pratiques qui visent au développement personnel et au bien-être du corps, de l’esprit et de l’âme. Il y a quelques milliers d’années, le grand sage Patanjali a répertorié les pratiques yogiques en vigueur en son temps et les a présentées dans un traité en huit étapes, qu’on utilise encore aujourd’hui. Il s’agit de l’ashtanga yoga.

Mais les pratiques du yoga ont évolué depuis Patanjali, surtout au cours des 150 dernières années, pour répondre aux besoins de l’époque. Dans cette série d’articles, KAMLESH PATEL décrit chaque étape du yoga à la lumière des pratiques yogiques modernes de Heartfulness. Il nous montre comment concilier nos pratiques spirituelles intérieures à la vie dans le monde, et comment affiner notre personnalité pour parvenir au véritable état du yoga – c’est-à-dire à l’efficacité dans l’action et à l’harmonisation des aspects spirituel et matériel de la vie.

Ashtangayoga

YAMABonne conduite

ASANAPosture

NIYAMARégularité

Observation

PRANAYAMARégulation du souffle

PRATYAHARARetrait à l'intérieur

DHARANAFocalisation

mentale

DHYANAMéditation

SAMADHICondition originelle

(équilibre)

He a r t f u l n e s s

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L a s c i e n c e d e l a s p i r i t u a l i t é

YAMALes cinq vœux du chercheur

Pourquoi le comportement a-t-il tant d’im-portance dans le domaine spirituel ? Le domaine spirituel est-il d’ailleurs le seul

concerné ? Les êtres humains ont de tout temps apprécié la noblesse de caractère, la gentillesse, la générosité et l’humilité. Tout au long de l’his-toire, on a vénéré les personnes qui incarnaient ces qualités ou ces principes.

Quand on se rappelle le sens du mot « yoga », cela devient plus clair. Il signifie union, intégration, unité – ce qui comprend l’intégration de nos états intérieur et extérieur. Nous ne pouvons pas être saints intérieurement tout en nous comportant de façon avide, arrogante et colérique, ce serait manquer d’intégrité. L’absence d’intégration n’est pas naturelle et elle entraîne des troubles de la personnalité ; c’est à l’opposé d’un état holistique. En fin de compte, il n’existe pas d’intérieur et d’extérieur, mais un seul état de fluidité. Donc, si nous entreprenons un voyage spirituel, notre façon de nous comporter s’embarquera avec nous.

De nos jours, cet aspect du yoga est mal compris par ceux qui pratiquent le hatha yoga, comme par ceux qui se contentent de méditer et de faire leur pratique. Pourquoi ? Peut-être parce que, pour changer, cela impliquerait de se regarder dans

un miroir psychologique. La spiritualité n’est pas une voie pour les timorés. Swami Vivekananda disait : « J’ai besoin de lions, pas de moutons. » Vous êtes-vous demandé pourquoi un être d’une telle stature a pu dire ça ? Parce qu’à chaque ins-tant nous devons travailler sur nous-mêmes pour affiner notre mode de vie, si nous voulons que notre âme s’épanouisse.

Tandis que la méditation avec la transmission yogique nous transforme rapidement de l’in-térieur, en faisant fondre ce qui fait obstacle à notre progression, en s’attaquant à la racine de nos limitations, la vie exige de nous davantage. Notre monde intérieur peut bien s’étendre et évoluer, mais si notre personnalité et notre style de vie ne suivent pas, nous continuerons à tourner en rond, comme des petites souris dans leur roue. Nous ne pourrons pas avancer dans notre voyage.

Quel genre de vie doit donc mener un chercheur de lumière ? Lorsque Patanjali définit son ashtanga yoga, il y a des milliers d’années, il considéra le raffinement de la personnalité et du mode de vie comme faisant naturellement partie de la pratique. C’est ce qu’il expose dans les deux étapes intitulées yama et nyama. Aujourd’hui, nous allons découvrir les qualités décrites par Patanjali dans la première,

Yama est la première des huit étapes ou « membres » de l’ashtanga yoga de Patanjali. KAMLESH PATEL l’explique en détail et souligne son importance

dans notre développement personnel et notre cheminement sur la voie de l’illumination.

Ja nv i e r 2 01 8

55

L a s c i e n c e d e l a s p i r i t u a l i t é

yama. J’aime bien les présenter comme les cinq serments du chercheur.

Le mot « yama » a différentes significations. En sanskrit, il signifie « régulation » ou « autodisci-pline ». Ram Chandra de Fatehgarth a écrit 1 : « Yama est l’abandon des faux sentiments et des fausses pensées. Yama signifie renoncer. Yama est le renoncement à ce qu’il y a d’indésirable dans notre cœur. » Yama est donc l’élimination de tout ce qui n’est pas nécessaire à notre voyage spirituel.

Dans la mythologie hindoue, le dieu de la mort s’appelle aussi Yama. Comment associer l’idée de la mort au raffinement du mode de vie ? Pour répondre, il faut avoir une bonne compréhension de la vie elle-même. La vie physique commence à la conception et se termine avec le retrait de l’âme. Et il ne s’agit pas là de suicide. Le vrai

secret consiste à « mourir » tout en étant vivant, à transcender le « je » pour devenir universel. La méditation est aussi un processus où l’on transcende consciemment le soi individuel pour pouvoir se fondre dans la conscience universelle.

On peut le dire d’une autre façon : « Vivez comme si vous alliez mourir d’un instant à l’autre. » Ce rappel constant de yama associé à la mort pourrait sembler morbide, mais il y a une immense sagesse cachée dans cette pensée : il s’agit de transcen-der le « je » de l’ego avec amour. L’ego peut être une force très restrictive – il ne laisse pas la vie s’épanouir – mais lorsque cette transcendance a lieu, il devient notre allié, car son but est alors d’évoluer. La volonté de l’ego, qui était centrée sur la conscience individuelle, cherche maintenant à être en accord avec la conscience universelle.Notre erreur consiste à penser qu’il est question de la mort physique. Il ne s’agit pas de la mort du corps, mais de celle de l’identité que nous nous sommes créée – ces couches de notre persona

1 Ram Chandra de Fatehgarth, Œuvres complètes tome 2, SRCM, Inde

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L a s c i e n c e d e l a s p i r i t u a l i t é

qui se sont accumulées dans le corps subtil. La transcendance, c’est un tel raffinement du corps subtil qu’il en atteint une pureté et une expansion dépouillées de toute lourdeur individuelle.

Ce raffinement comporte deux aspects. Le pre-mier consiste à décharger le corps subtil de toute lourdeur – due aux impressions que nous avons accumulées dans le passé – afin qu’il devienne aussi léger que possible et que la conscience s’élève de plus en plus haut. Dans le yoga, on appelle ces impressions les samskaras. Ce processus mène à la mort de notre propre trame de complexités – nos croyances, nos émotions, nos peurs, nos habitudes et nos désirs. Beaucoup de gens tentent de se dé-gager de leur passé par la psychanalyse ou par une thérapie au niveau mental, alors que le nettoyage yogique, selon la pratique Heartfulness, retire la racine même du problème, les samskaras, en pu-rifiant directement le corps subtil. Ce processus est si efficace que les impressions d’une vie entière peuvent être éliminées en une seule méditation avec un formateur.

Mais si nous ne travaillons pas aussi à supprimer les comportements qui sont les manifestations extérieures de ces impressions, nous finissons par recréer les mêmes lourdeurs. Comme la souris dans sa roue, nous tournons en rond, supprimant les samskaras, les recréant, les supprimant, les re-créant. Ce cycle est sans fin, à moins que nous ne changions de comportement et de mode de vie.

Le deuxième aspect consiste à poursuivre le raf-finement des quatre fonctions principales du corps subtil – la conscience, le mental pensant, l’intellect et l’ego :

Avec la méditation sur le cœur, le mental s’approfondit en passant de la pensée au ressenti, puis au simple état d’être, pour

finalement atteindre le « dédevenir » ou l’inconnaissance, en allant vers le rien. Il s’affine pour atteindre l’état le plus subtil possible.

L’intellect s’approfondit en devenant intel-ligence, puis intuition, puis sagesse, pour ensuite parvenir, au-delà de la sagesse, à un stade appelé inconnaissance ou igno-rance supérieure qui à la fin disparaît lui aussi. C’est désormais d’en haut que nous serons guidés.

En se raffinant, l’ego passe peu à peu d’une focalisation égoïste sur le « je » à l’altruisme et à la générosité du cœur, puis à une hu-milité et une acceptation absolues. Pour finir il ne reste que l’état le plus subtil de l’identité.

Lorsque ces trois corps subtils sont affi-nés, la conscience, libérée de ses entraves, peut s’étendre et atteindre son état in-fini en fusionnant avec la conscience universelle.

Si tout cela pouvait être atteint grâce à la seule pratique spirituelle, tout le monde parviendrait à destination en un instant. Mais l’ego passe-t-il facilement de l’égoïsme à la générosité du cœur ? Pas sans luttes ! Faisons-nous facilement confiance à la sagesse de notre cœur, dans la félicité de l’état d’inconnaissance, en nous en remettant totalement à quelque chose de plus élevé ? Cela signifierait ignorer les pour ou les contre de notre esprit rationnel, dictés par nos principes et nos constructions personnelles. Il faut du temps pour lâcher tout cela et laisser notre conscience prendre son envol dans l’universalité. C’est un processus qui demande que yama et nimaya accompagnent étroitement notre pratique.

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Cette transcendance nous permet pourtant de faire l’expérience de la vraie vie pour la première fois. Qu’est-ce que la vraie vie ? C’est vivre avec le cœur ; c’est une vie connectée à l’éternel et à l’immortel ; une vie où il n’y a ni félicité, ni cha-grin, ni plaisir ni douleur. C’est la transformation qui nous conduit à la sagesse de l’autodiscipline, ou yama.

C’est pourquoi Heartfulness commence avec les trois dernières étapes de l’ashtanga yoga de Patan-jali – dharana, dhyâna, et leur point culminant, samadhi – afin de développer la capacité intérieure et la vitalité qui mènent à l’autodiscipline et à la noblesse. La transformation intérieure devient ainsi le catalyseur qui provoque le changement extérieur. Ensuite, les cinq autres étapes prennent naturellement appui sur l’équilibre nouvellement acquis par le mental.

Il est plus efficace de procéder ainsi que de tenter d’affiner le caractère de l’extérieur en transformant notre personnalité, car le chan-gement de comportement est plus accessible à quelqu’un qui a un manomaya kosha, c’est-à-dire une enveloppe du mental, bien développé. Ce changement n’est évidemment pas possible chez quelqu’un portant encore dans le cœur les samskaras du désir, de l’inquiétude, de la colère, de la peur ou de la culpabilité. La transformation ne peut pas être réelle si elle est artificiellement imposée de l’extérieur.

La littérature yogique utilise une très belle image pour décrire cet état d’autodiscipline conféré par yama : on est dans ce monde mais pas de ce monde ; et on le symbolise par le lotus qui pousse dans la boue mais n’est pas pollué par elle et qui, au contraire, rayonne de pureté et de beauté.

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AhimsaNon-violence

AsteyaHonnêteté

Brahmacharya Modération

des sens

Aparigraha Attitude de non

possessivité

Satya Être véridique

YAMA

Ces cinq qualités constituent nos fondations spirituelles. En fait, aucune spiritualité

n’est possible sans elles, et ce sont elles qui

nous préparent à vivre de plus belles et nobles

expériences.

Voici donc les cinq vœux du chercheur qui incitent à vivre courageusement et à ne pas s’éloigner d’une vie noble : ahimsa, aparigraha, satya, brahmasharya, asteya.

Nous allons les examiner en détail :En accueillant la véracité, la non-possessivité, la modération, l’honnêteté et la non-violence, on vise à faire régner la paix en nous. La paix est toujours présente, elle est notre nature. Mais nous la perdons quand nous nous laissons aller au mensonge, à la malhonnêteté, à la cruauté, à la violence et à l’égoïsme de la possessivité. Mais si la paix devenait un moyen d’atteindre un but, quel qu’il soit, cet acte même serait un obstacle à notre évolution.

Non-violence : ahimsa

Le premier yama commence par l’amour. La loi divine fondamentale qui gouverne la vie est : « Aime tout être et toute chose ». Si nous gardons au cœur l’idée de blesser quelqu’un ou de détruire quelque chose, nous échouons dès le premier pas. Les gens qui veulent causer du tort aux autres peuvent aisément devenir des démons s’ils perfectionnent cette aptitude ; il est donc important d’aimer de façon désintéressée, inconditionnelle et joyeuse. Telle est l’essence d’ahimsa. Mais je pense qu’il y a plus que cela dans la notion d’ahimsa. Pratiquer ahimsa peut nous empêcher de blesser autrui, ce qui est déjà bien, mais il est encore plus nécessaire d’avoir de la compassion, et d’agir non seulement pour éviter de causer du tort aux autres, mais aussi pour leur apporter du réconfort.

Il est facile de comprendre que le fait d’éprouver de la sympathie pour quelqu’un nous amène fina-lement à l’amour. Alors, quand on aime tout être, comment pourrait-on se montrer violent ou blesser les autres ? Lorsque nous aimons, nous sommes

prêts à sacrifier notre confort, nos possessions et pour finir nous-même. N’est-ce pas de la compas-sion ? Il est triste de voir des gens s’entre-détruire sous l’emprise de la haine.

Être véridique : satya

Le deuxième yama consiste à être vrai envers soi-même. Nous connaissons la célèbre phrase de Shakespeare : « Par-dessus tout, sois fidèle à toi-même. »

Soyez sincère, naturel et authentique. Dites ce que vous pensez et pensez ce que vous dites. Pas d’arrière-pensées. Pas de masques. Pas de camouflage. Ne dissimulez pas vos erreurs. Dans la sincérité se manifestent l’innocence de l’enfant, la pureté et la simplicité. Être véridique, tout en veillant à ce que la vérité ne blesse jamais le cœur de quelqu’un, n’est possible que si ahimsa est devenu partie intégrante de nous-même.Quand nous ne suivons pas ce que dit notre cœur, nous prenons parfois une mauvaise direction. Nous souffrons du manque de sincérité de notre cœur, et des contraintes qui en résultent. Cela nous conduit à un manque d’authenticité. Notre monde intérieur en est perturbé et nous prenons

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de mauvaises habitudes. Soyez donc toujours véridique et cultivez votre pureté intérieure.

Lorsque nous blessons les autres, même involon-tairement, nous nous sentons souvent coupable, et supprimer la culpabilité est une des fonctions importantes de yama. On ne peut pas le faire par la méditation ou le nettoyage, mais par un état de prière, de repentance et d’abandon authentiques au moment du coucher. C’est un aspect impor-tant de la véracité – accepter nos manquements avec humilité et les offrir sincèrement dans notre prière. Cela purifie notre système en éliminant les sentiments de culpabilité, qui sont les impressions les plus difficiles à dissiper.

L’honnêteté (ne pas voler) : asteya

Quand nous marchons sur le chemin de la vé-rité, l’amour dans le cœur, l’honnêteté rayonne dans notre existence. Elle se manifeste dans nos pensées, nos paroles, nos actes, et notre seule présence booste la boussole morale de ceux qui nous entourent. L’honnêteté est le résultat d’une vie menée dans la non-violence, ahimsa, et nourrie par la vérité, satya. Il n’y a aucun désir en nous de convoiter ni de voler ce qui appartient à autrui. Ne pas blesser et ne pas voler les autres n’est pour-tant que le minimum. Si nous pouvions y ajouter notre compassion, les autres se sentiraient encore mieux, seraient réconfortés. Et cela suffit-il de ne pas dérober de la nourriture aux affamés ? Là aussi, nous avons sûrement assez de compassion pour que ceux qui ont faim reçoivent ce dont ils ont besoin.

La modération des sens : brahmacharya

Brahmacharya a été compris de façon restrictive comme étant le célibat, alors qu’il s’agit d’un état

de modération de toutes nos facultés. Le mot est composé de Brahm et charya. « Charya » signifie habiter, donc « celui qui habite Brahm, Dieu » est appelé à juste titre un brahmacharya. Prétendre devenir un brahmacharya grâce à des règles im-posées de l’extérieur, c’est mettre la charrue avant les bœufs, c’est artificiel. La modération résulte de la purification de notre condition intérieure par la pratique Heartfulness, qui nous apporte un état d’équilibre. Quand nous demeurons dans cet état, tous nos actes et toutes nos pensées ont de façon naturelle la qualité de Brahman. Dans la pratique Heartfulness, on atteint cet état de modération en méditant régulièrement sur le point A et en nettoyant le point B. Pour une personne dans cet état, la procréation est un acte naturel et sacré. Un acte qui est beau, tant que nos désirs n’en deviennent pas les esclaves.

L’attitude de non-possessivité envers les choses de ce monde : aparigraha

Le cinquième yama est la non-possessivité. Il est l’aboutissement des quatre premiers : l’amour, la véracité, l’honnêteté et la modération. Nous commençons alors à vivre comme si nous étions « dans ce monde, mais pas de ce monde », tel le lotus. Cela signifie simplement que même si vous êtes habité par quelque chose, vous n’êtes pas possédé par cela, ni affecté par sa présence ou son absence. Imaginez l’arrogance d’un sannyasi qui semble avoir renoncé à tous désirs et toutes possessions mais qui s’enorgueillit de sa renon-ciation ! Il a beau avoir renoncé, il reste arrogant. Il est maintenant possédé ! Cet ego lui sera fatal. Il ne servira à rien et n’aura aucune valeur dans la dimension supérieure.

Songez à l’écart émotionnel entre l’idée d’appar-tenance et celle de possession. Quand on a un sentiment d’appartenance, on se sent fier. C’est

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totalement différent du sentiment de possession ! Prenons une situation de la vie quotidienne, où votre mère vous prépare des repas et vous sert avec beaucoup d’amour. Puis une autre circonstance où, votre mère s’étant absentée, vous devez aller dîner chez un ami et vous êtes très reconnaissant envers sa mère de vous recevoir. Imaginez encore une autre scène. Il pleut et vous trouvez un abri sous l’auvent de quelqu’un. Vous éprouvez de la gratitude envers le propriétaire de la maison. Exprimons-nous pareille gratitude à notre mère ou à notre foyer ? Généralement pas. Pourquoi ? Parce que nous les tenons pour acquis, nous avons le sentiment qu’ils nous appartiennent. La pos-sessivité crée en quelque sorte une distance. Le sentiment d’appartenance nous rapproche.

Au cinquième yama, nous développons naturelle-ment une conscience de nos devoirs, non pas de façon contrainte, mais parce que nous considérons les autres avec la générosité intérieure de notre cœur. Notre comportement reflète la courtoisie naturelle qui consiste à faire passer les autres en premier et à en prendre soin, puisque nos actes et nos pensées ne dépendent plus de nos désirs propres. Nous ne sommes plus poussé par notre aversion ou notre attirance pour des personnes, des lieux ou des choses. Nous vivons notre vie simplement, avec dévotion et dans un état naturel et spontané de non-attachement. Ce n’est pas que nous soyons détaché, mais nous aimons de façon naturelle toute personne et toute chose, sans discrimination, inconditionnellement. Dans la pratique Heartfulness, la méditation sur le point A aide à développer cette vertu.Ces cinq qualités dépendent de l’amour. Un cœur aimant, joyeux et content crée un environnement qui fait fleurir la vie, sans aucune contrainte ni faux-semblant. Un chercheur spirituel qui possède les cinq attributs de yama ne sera plus alourdi par l’égoïsme. Même s’il accomplit des miracles

et fait étalage de ses possessions, il n’est ni centré sur lui-même, ni cupide, ni avide.

A quel moment notre intérêt pour ces cinq qualités devient-il si vif que nous éprouvons une grande joie à les cultiver ? C’est lorsque nous réalisons qu’elles jouent un rôle essentiel – préparer notre cœur dans un seul but : la purification de la conscience. Ces cinq qualités constituent nos fondations spiri-tuelles. En fait, aucune spiritualité n’est possible sans elles, et ce sont elles qui nous préparent à vivre de plus belles et nobles expériences. Quand nous ne désirons plus rien de personne, ni même de Dieu, c’est alors que les portes s’ouvrent.

C’est un peu comme avec les banques. Quand on a un urgent besoin d’argent, elles ne nous aident généralement pas, tandis que lorsqu’on n’en a absolument pas besoin, elles viennent nous en proposer. De même, quand Dieu trouve une âme satisfaite, il donne davantage. Les dons du ciel descendent sur ceux qui ont renoncé à tout pouvoir. Si nous demandons le pouvoir, il nous est refusé. La nature fait de même : les pouvoirs sont accordés automatiquement à celui qui dit qu’il n’en n’a pas besoin.

Si vous vous sentez découragé devant l’appel de ces cinq vœux, je vous laisse avec ces vers du poète H.W. Longfellow :

Ni le plaisir ni le chagrin Ne sont notre destination ou notre chemin ;Mais l’action, pour que chaque lendemain Nous trouve plus avancé que la veille.

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Qu’est-ce qui nous pousse à entreprendre une recherche spirituelle ? Par quoi est-elle influencée ?

L’impulsion vient d’une terrible nostalgie que nous avons dans le cœur. Elle dit : « Je dois connaître la vérité. » La vérité en ce qui concerne les valeurs spirituelles. Si nos conditions matérielles sont trop bonnes, trop confortables, trop prestigieuses, elles nous éloignent de notre recherche. Quand on est trop protégé, on la perd de vue. Mais si le

désir de trouver brûle dans notre cœur, on finira par sortir de son cocon, comme le poussin qui brise sa coquille.

Y a-t-il différentes façons de mener une recherche spirituelle ?

Au début on est guidé par la force du désir in-térieur. Mais il peut ne pas être suffisamment intense. On s’égare alors en confondant ce qu’on trouve avec ce qu’on cherche, à moins que la re-

RAMA DEVAGUPTA a interviewé PARTHASARATHI RAJAGOPALACHARI par un bel après-midi ensoleillé à Fremont, en Californie. Ils ont évoqué la recherche

spirituelle et sa place dans la vie de chacun.

Une si profonde

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cherche intérieure ne soit assez puissante pour dire : « Ce n’est pas ça ! Ce n’est pas ça non plus ! » On peut se laisser momentanément piéger par des choses qui semblent correspondre à notre quête, comme la drogue, l’alcool, ou même le sexe. Si on s’en contente et qu’on en reste là, cela signifie que la recherche n’était pas assez intense, ni le but suffisamment défini. On peut s’arrêter avec le sentiment d’être comblé à un certain niveau sensoriel ou social, mais l’aspiration demeure à l’état dormant, c’est-à-dire qu’elle est susceptible d’être réveillée.

Lorsqu’il s’agit d’une vraie recherche, l’envol vers le but est direct, c’est ce que nous appelons la voie du shuka. Shuka est le nom sanskrit du perroquet, dont le vol va tout droit comme celui d’une flèche – sans détour. La voie du shuka dépend de la force de notre détermination à atteindre le but, de notre capacité à rejeter les objectifs temporaires, à résister à la tentation de se dire, à chaque expérience : « Et si c’était ça ! » Sur le chemin du vrai chercheur, il n’y a aucun « et si c’était ça ! » Il peut s’arrêter un jour ou deux, mais ensuite il continue, alors que d’autres se perdent dans une jungle de possibilités pendant des années.

La recherche dépend-elle directement du niveau acquis par le chercheur ?

Absolument pas, elle ne dépend que de la puissance de notre détermination à atteindre le but. Dès qu’on se satisfait d’un but temporaire, c’est l’arrêt. Regardez par exemple la migration des oiseaux. Un oiseau migratoire vole des milliers de kilomètres, souvent d’un continent à l’autre. Beaucoup se perdent au-dessus de l’océan, sont pris dans un orage, n’arrivent plus à voler et tombent dans la mer. Mais la majorité d’entre eux réussissent, c’est donc possible.

Les oiseaux sont guidés par la force de l’instinct, alors que les humains ont pour instrument l’in-tellect. Mais à moins de cultiver la sagesse, cet intellect ne nous mène nulle part, sinon à la pour-suite de buts matériels – scientifiques, artistiques, commerciaux, économiques – mais non spirituels.

Est-il nécessaire d’avoir un enseignant ?

Oui, un enseignant est quelqu’un qui montre le chemin.

Quelle est la place de la pratique et de la technique ?

N’importe quoi peut servir de pratique si c’est utilisé à bon escient. Même quelqu’un qui se met à boire, en croyant ainsi accomplir son rêve de nirvana, peut en tirer un avantage. S’il arrive à y échapper rapidement, la boisson aura joué son rôle, l’alcool ne l’attirera plus. Mais s’il s’en satisfait et se dit « c’est ça », il est perdu. Et c’est notre feu intérieur qui doit nous dire si c’est ça ou non.

Quel rôle jouent la littérature spirituelle et les textes sacrés ?

La littérature spirituelle nous donne une satisfac-tion intellectuelle, et il est facile de se satisfaire intellectuellement. On peut lire quelque chose sur un sujet et avoir l’impression qu’on le connaît, mais les valeurs spirituelles doivent être ressen-ties, et non connues. Ce genre de connaissance n’a pas sa place dans la vie spirituelle. Beaucoup de gens lisent des bibliothèques entières et prétendent tout connaître du nirvana, parce qu’ils savent des choses sur soixante-six sortes de nirvana dans le bouddhisme, l’hindouisme, le taoïsme et le soufisme. Mais ont-ils ressenti quelque chose ?

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La spiritualité demande un certain courage, une approche audacieuse. Elle n’est pas pour les lâches. C’est pourquoi mon Maître disait : « Je veux des lions, pas des moutons. » Nous devons tout miser pour tout obtenir. Ce n’est pas un pari où on peut miser un penny et s’attendre à avoir une livre en retour. C’est ce que dit Jésus dans Matthieu 16, 25 : « Car ceux qui veulent sauver leur vie la perdront, et ceux qui la perdront pour moi la trou-veront. »

Est-il nécessaire d’appar-tenir à une école spiri-tuelle ?

Qu’est-ce qu’une école ? C’est quelque chose qui offre un enseignement. Il y a l’école qu’on appelle « la vie », et ce qu’on y apprend dépend de ce qu’on y cherche. Nous re-venons donc au chercheur. S’il recherche des satisfactions matérielles, il en trouvera. S’il veut des plaisirs sensoriels, il pourra en trouver. S’il veut être millionnaire, il pourra le devenir. La vie offre tout.

Comment un ensei-gnant juge-t-il qu’un chercheur est sincère ou non ?

L’enseignant doit présumer que chaque personne qui vient à lui est un chercheur sincère. C’est le temps qui permettra de différencier le vrai chercheur du faux. Ceux qui sont là pour s’amuser laissent tomber. Les vrais chercheurs restent. Il se peut qu’ils quittent à différentes étapes, ça dépend de leur feu intérieur, du point où il les mènera.

« Cherchez et vous trouverez » ne signifie pas « Cherchez et vous trouverez tout de suite ». Où et quand on trouve dé-pend de l’intégrité de sa re-cherche et de la puissance qui la sous-tend. On peut trouver juste là où on se trouve, ou parcourir l’univers, revenir à son point de départ et y trouver ce qu’on cherche. Ce qui signifie que la recherche spirituelle commence et finit toujours en soi-même.

Un véritable enseignant accepterait donc tout le monde ?

Il le doit ! Parce qu’il ne sait pas ! J’ai eu une fois une vision, dans un état entre veille et sommeil : je regardais un sac de graines dans un magasin, en essayant de choisir les bonnes pour les planter. Quelque chose me dit alors : « Com-ment sais-tu que la graine qui a l’air bonne germera et pas celle que tu rejettes ? »

Nous ne connaissons donc pas le potentiel de vie qui se trouve dans la graine : l’une paraît faible, mais elle peut être forte intérieurement ; une autre est apparemment forte, mais faible intérieurement. Le guru fait évoluer ses disciples et les aide selon ses propres capacités à le faire, au bon moment. Mais il ne peut jamais juger, il ne doit pas juger.

Le chercheur change-t-il et évolue-t-il au cours de sa recherche ?

Dans notre pratique spirituelle, nous considérons qu’il faut voler avec deux ailes, comme la mouette,

l ’aile de la spiritualité et celle de la matérialité.

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Bien entendu. Si on met sa main dans le feu, ne sera-t-elle pas brûlée ? On dit qu’un chercheur spirituel est un peu comme un métal qu’on passe au feu pour le fondre et le purifier afin que toutes les scories soient brûlées. Comme de l’or qu’on purifie.

Doit-on renoncer au monde pour devenir un chercheur ?

Dans notre pratique spirituelle, nous considé-rons qu’il faut voler avec deux ailes, comme la mouette, l’aile de la spiritualité et celle de la matérialité. Il n’est pas question de renoncer à quoi que ce soit, à part à ce qui fait obstacle à l’obtention du but.

Quand avez-vous pris conscience du fait que vous étiez un chercheur ?

Je ne crois pas avoir jamais été un chercheur conscient. Cela a peut-être commencé dans une vie antérieure. Je n’ai jamais cherché un enseignant,

je l’ai trouvé. Il doit y avoir eu une préparation intérieure, mais j’ai dû gaspiller plusieurs vies à chercher ce que j’aurais pu trouver en une seule. Mon Maître m’a dit un jour que nous avions été proches dans une vie antérieure.

La tâche de l’enseignant est d’instruire les autres et de les aider à évoluer. Il revient parfois, vie après vie, tout en étant hautement accompli, car c’est son devoir de revenir pour enseigner, alors que le chercheur ne vient que pour chercher et trouver. On peut dire que la recherche de l’enseignant consiste à trouver des chercheurs, lui-même ayant terminé sa recherche et trouvé ce qu’il cherchait.

Quand on trouve son Maître, est-ce le début de notre voyage ou la fin de notre quête ?

Quand un oiseau pond un œuf, il rend possible une nouvelle vie. Mais tout dépend de l’oiseau qui est dans l’œuf, de sa capacité à sortir de sa

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Tiré de Parabola, Vol. 29, No. 3, Fall 2004, pp. 28-32

coquille. La détermination finale doit venir du poussin qui donne des coups de bec à l’intérieur de la coquille et la brise pour en sortir.

Il y a donc un élément d’ac-complissement quand on trouve son Maître, ça re-présente une grande partie du voyage. Le mien a dit un jour à un disciple très avancé : « Maintenant ton voyage sera très court », et il a ajouté en riant : « Il se peut aussi qu’il soit très long. » Un autre dis-ciple s’est étonné : « Comment ce qui est court peut-il deve-nir long ? » Mon Maître lui a répondu : « Un pour cent de l’infini est encore l’infini, et si on trébuche là… il se peut que tout le chemin parcouru soit perdu et qu’on se retrouve à son point de départ. »

Quels sont les pièges que peut rencontrer un chercheur ?

Tout est un piège pour celui qui manque de vigilance et de foi. Et rien n’est un piège pour le chercheur courageux qui l’écarte simplement comme le ferait un ours d’un coup de patte.

Une fois qu’il a trouvé une technique spirituelle et un enseignant et qu’il s’est

engagé dans une pratique, comment un chercheur peut-il évaluer ses pro-grès ? Quels peuvent être ses critères ?

Il ne peut jamais évaluer ses propres progrès. Même mon Guruji disait : « Ce que je suis et où j’en suis, seul mon Maître le sait. » Cela correspond au principe de Heisenberg en physique : « Si vous connais-sez son emplacement, vous ne connaîtrez pas sa vitesse. Si vous connaissez sa vitesse, vous ne connaîtrez pas son emplacement. » Ce principe s’applique de façon encore bien plus profonde et vraie aux questions spirituelles.

Nous avons tellement l’habitude d’évaluer nos progrès, à l’école ou au travail.

Là, on peut les évaluer. Mais ici, on ne peut pas. Quand on vole, on a besoin d’un altimètre pour connaître sa hauteur. Quand on est dans l’espace, il faut un contrôle au sol, parce qu’il n’y a pas de pression atmosphérique pour indiquer l’altitude. On est dans le vide, on doit donc compter sur une autre source de rensei-gnements. Le contrôle au sol nous suit et il faut lui vouer une obéissance totale. Dans

le domaine spirituel, plus on grandit, plus on dépend de la sagesse de son maître spirituel. C’est une question de survie.

Le chercheur spirituel parvient-il jamais à un stade où il peut se dire qu’il a atteint le but ?

En spiritualité il n’existe rien de tel qu’un but déterminé. Il est en constant changement. Apprenez à aimer et ne recher-chez pas l’amour pour vous-même. Tout s’effondre quand on veut tout pour soi et qu’on ne se soucie pas des autres – qu’il s’agisse d’un individu, d’un pays ou du monde entier. « Je veux être puissant, je veux être riche. » Là où il y a « je », il y a toujours destruction.

Ne vous laissez jamais détour-ner de votre trajectoire par les tentations de la vie, qu’elles soient matérielles, mentales ou même apparemment spi-rituelles. Le monde préten-dument spirituel est plein de tentations. Il faut renoncer à toutes, car la spiritualité consiste, en fin de compte, à devenir rien, là où ce qui importe est le « rien ».

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Bénédicte Hervy

Lorsque j’étais adolescente, j’aimais la poésie et je me souviens d’une phrase qui avait éveillé en moi une profonde nostalgie :J’aimerais être une simple flaque d ’eau pour refléter le ciel.

Revenir à la simplicité, à la transparence qui permettrait à l’infini de l’univers de se refléter en moi… L’idée me fascinait : me rendre invisible pour laisser place à plus grand que moi. Cette simple phrase concentrait à elle seule un sentiment que je vivais alors comme une contradiction. Je me sentais à la fois insignifiante au regard de cet univers immense, et dans le même temps je res-sentais une énergie puissante que mon corps semblait avoir du mal à contenir. La flaque d’eau, c’était moi, le ciel, c’était moi aussi. Comment concilier les deux ? Il y avait une piste à suivre, une invitation au voyage intérieur.

Cette aspiration restait là, dormante, et lorsque j’ai commencé la méditation, elle a réveillé ce désir de devenir une personne simple et cependant riche de l’immensité de l’univers. Cette aspiration spirituelle est présente dans le cœur de tous. Cet état d’éveil n’est pas réservé aux Bouddhas, il est pour chacun de nous, si nous nous laissons fasciner par la beauté de notre monde intérieur et que nous méditons tout comme ils l’ont fait. La différence entre nous et ces géants spirituels, c’est la différence entre le sommeil et l’éveil, entre le potentiel et le réel… mais ce pas est-il infranchissable ?

J’ai quitté l’adolescence, mais je ne suis pas encore comme le Bouddha ! Ce-pendant la méditation m’a fait faire quelques pas dans la bonne direction... et grâce à elle, j’ai changé. Alors qu’auparavant j’avais tendance à regarder l’aspect extérieur des gens, je perçois maintenant leur dimension intérieure, celle de la profondeur, car j’ai appris à regarder avec les yeux du cœur.Et c’est en scrutant la profondeur de mon propre cœur durant la méditation que j’ai découvert cette profondeur dans le cœur de tous ceux qui m’entourent.

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Pa r t a g e

Seigneur, l'air embaume aujourd'hui,échappé des mystères enclos

dans les cours intérieures de Dieu.Une grâce, tels des vêtements neufs épars dans

le jardin, tels des remèdes offerts à chacun.Les arbres en prière, les oiseaux qui rendent grâce, les premières

violettes agenouillées.Tout ce qui est venu de l'Être est prisonnier

de l’être, oubliant dans l'ivresse le chemin du retour.

Rumi

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On dit que le matcha, devenu de plus en plus populaire ces dernières années, était autrefois le thé des maîtres zen au Japon. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En fait le matcha, et toute la culture du thé, viennent de Chine, où au départ, il fut long-temps considéré comme une herbe médicinale. On le réduisait en poudre, on le mélangeait à de l’eau chaude et on le faisait mousser avec un fouet spécial en bambou. À l’origine, il était amer, comme un médicament, du fait de sa haute teneur en catéchines. Puis la connaissance du thé fut introduite au Japon par le maître zen Eisai, au 12e siècle. Dans son monastère de Kyoto, il fit de nombreuses expériences et définit les premières règles de la préparation du thé. Il posa ainsi les bases de la cérémonie du thé japonaise. Les moines tiraient avantage des effets particuliers de cette plante pour méditer plus longtemps et plus in-tensément. Du fait des relations des moines avec les samouraïs et les shoguns, le thé fut introduit dans de nouveaux cercles.

Quelles sont les particularités du matcha ?

Afin d’en affiner le goût, on commença à pro-téger le thé du soleil. L’ombrage a pour effet d’élever le taux d’acides aminés dans la plante,

matchaL’histoire du matcha nous révèle comment une boisson et sa préparation sont devenues une méditation. TOM MICHAELSEN interviewe SANDEH VON TUCHER qui dirige le Tushita Teahaus à Munich et nous introduit au matcha et à sa préparation.

Pl a n t e s d ’ i c i e t d ’a i l l e u r s

Le

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ce qui lui donne un goût plus sucré. Ce n’est que plus tard qu’on découvrit que ces acides aminés avaient également un effet calmant. C’est donc l’association d’acides aminés et de catéchines qui forme l’âme du matcha, les uns apportant un aspect calmant et les autres, quelque chose de revigorant. C’est l’équilibre de ce mélange qui détermine en fin de compte la qualité et le prix d’un matcha de haute valeur, le véritable matcha étant obtenu à partir d’une seule variété de thé vert, la tencha.

Le matcha est donc un « thé ombré », quels sont les effets de cette pratique ?

Avant la récolte, les buissons de thé vert sont protégés par des tapis de paille pendant environ trois semaines, pour éviter que la lumière du soleil ne tombe directement sur les théiers. Le rayonnement du soleil produit plus de catéchines dans la plante, et l’ombre, plus d’acides aminés et de chlorophylle. C’est alors que le thé vert devient du matcha. La chlorophylle a une struc-ture semblable à celle de nos globules rouges, c’est-à-dire qu’elle est directement assimilable par

notre organisme. Ce n’est pas un corps étranger, comme par exemple un comprimé de vitamines. Le corps reconnaît la chlorophylle et l’utilise de manière optimale.

Peut-on détruire les effets du matcha par une mauvaise préparation ?

Oui, si l’eau est trop chaude, elle détruit partielle-ment la chlorophylle et dissout plus de catéchines dans le thé. Du point de vue de la médecine tra-ditionnelle chinoise, les catéchines ont un effet astringent et apaisant, mais elles ont en même temps un effet stimulant, ce qui est nécessaire pour produire un bon matcha, un matcha équili-bré. C’est pourquoi il est essentiel que l’eau soit à environ 70 degrés – la température qu’elle a lors d’une cérémonie traditionnelle du thé.

Le matcha se prépare ainsi :• Versez de l’eau chaude dans un bol à matcha

pour réchauffer le bol et le balai, puis videz-le au bout de quelques minutes.

• Versez 2 g de poudre de matcha dans le bol, puis 60 ml d’eau chaude à 70 ° C.

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• Pressez légèrement le fouet contre le fond du bol, puis faites des mouvements rapides, d’abord circulaires puis en zigzag, jusqu’à obtenir une mousse où se sont formées de nombreuses petites bulles.

Parlez-nous d’autres utilisations du mat-cha, dans un smoothie par exemple.

Dans un smoothie, l’effet du matcha est plus puis-sant du fait qu’il n’est pas chauffé. De plus, selon les éléments qu’on y ajoute, on peut enrichir ses effets. Ainsi, si je mets des fruits, j’aurai évidem-ment une très forte proportion de fructose, ou si je prends de la rucola, elle aura un effet différent des épinards. Il y a donc un nombre phénoménal de mélanges possibles quand on mixe un smoothie.

Ai-je réellement besoin d’un fouet en bambou pour préparer le thé, ou un mousseur électrique peut faire l’affaire ?

Il vaut mieux le faire avec un fouet en bambou, agréable à utiliser et qu’on nettoie facilement. Bien sûr, c’est aussi possible avec un mousseur électrique. Mais préparer le matcha et le boire sont deux choses liées ; et si vous prenez une minute pour le préparer à la main, vous en retirez bien plus de bienfaits que si vous le faites avec un mousseur. Cela vous permet de sentir dans quelle condition vous vous trouvez. Si on est énergique, on le bat vigoureusement. Si on est centré, on obtient une belle mousse. On a le temps d’observer les pen-sées qui nous habitent. Il y a donc de nombreux éléments qui entrent en jeu dans ce court temps

de préparation. On donne aussi de son propre chi au matcha. En se centrant, en respirant avec le ventre, on bat ainsi son thé avec tout le corps, et pas seulement avec le poignet. Et cet acte en soi apporte un plus au thé.

Certains trouvent le matcha traditionnel amer et préfèrent le boire avec du lait, comme un « matcha-latte ». Est-ce que ça change son effet ?

Absolument. Le matcha nous offre cet effet apai-sant et clarifiant, il dissipe le brouillard que nous avons parfois dans la tête ou devant les yeux. Or le lait, s’il s’agit de lait de vache, a un effet opposé parce qu’il est de tendance humide, selon la médecine chinoise. Cela dit, vous pourriez utiliser un lait végétal comme un lait d’amande, de riz ou de soja non sucré. Ils ont eux aussi un effet humidifiant, mais ils ne favorisent pas la formation de mucosités. Parce que c’est également une des actions du matcha : il peut transformer et éliminer ce genre de sécrétions. Avec du lait végétal, ça va très bien, mais avec du lait de vache, ce serait dommage.

Comment reconnaître un bon matcha ?

Matcha n’est pas une appellation protégée. Mais on peut le reconnaître à sa couleur, c’est ce qui compte. Cela dit, nous avons différentes sortes de matcha dans notre Teahouse. Celui qu’on utilise pour les smoothies est également vert, mais pas aussi vert qu’un matcha pur qu’on prépare dans un bol à thé japonais. Le matcha pour les smoo-thies contient plus de catéchines, car on utilise les feuilles les plus grossières, qui ont parfois reçu un peu de soleil.On décèle le bon matcha non seulement à sa couleur, mais aussi à ses effets. Ainsi un matcha de grande qualité éveille les sens tout en calmant

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le cœur. Cela a de l’importance par exemple dans la méditation : il rafraîchit notre esprit en même temps qu’il détend notre corps. Avec un bon mat-cha, on peut observer ses pensées ou son souffle ; alors qu’avec un mauvais, tout le système est sens dessus dessous car il contient moins de chlorophylle et plus de catéchines, ce qui excite le système et rend l’observation de son esprit plus difficile. On peut bien sûr ajouter un peu de légumes ou des herbes, ce qui donnera quelque chose d’apaisant.

Quand on achète un matcha, à quoi faut-il encore être attentif ?

Regarder comment et où le matcha a été emballé. Est-ce au Japon ou en Europe ? Cela aussi fait une différence, car la poudre de matcha, extrêmement finement moulue, est très sensible. Elle s’oxyde très rapidement à l’air, en particulier la chlorophylle. Par conséquent le matcha perd rapidement du chi, c’est-à-dire de l’énergie et de la fraîcheur. C’est pourquoi il ne faut pas le conserver plus de quatre semaines une fois qu’il est ouvert.

Quels sont les ustensiles indispensables pour préparer un matcha traditionnel ?

Un bon service à thé. Il y a ces beaux bols en céra-mique, un peu évasés vers le bas pour qu’on puisse bien faire mousser le thé avec le fouet en bambou. On distingue entre un bol à thé d’hiver, dont le bord est un peu plus haut pour mieux conserver la chaleur, et le bol d’été qui s’évase légèrement pour que le thé se rafraîchisse plus rapidement. Puis il y a les longues cuillères en bambou, utilisées au Japon, avec lesquelles on prend deux mesures de poudre de matcha par tasse. Traditionnellement, on préchauffe la tasse avec de l’eau chaude, puis on la sèche. La qualité de l’eau utilisée est également importante. Si vous utilisez un matcha de grande qualité, il vaut mieux prendre de l’eau pauvre en calcaire – cela le mettra plus en valeur et il aura meilleur goût.

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Pl a nt e s d ’ i c i e t d ’a i l l e u r s

A propos de rêves,serpents

et portes qui s’ouvrentCHIARA TOWNLEY s’intéresse à la signification profonde des rêves, qui nous

permet d’accéder à notre subconscient.

Il arrive à beaucoup d’entre nous de nous sentir agités au réveil après un rêve absurde. Sans parler des rêves prémonitoires. Les rêves nous donnent le pouvoir de puiser dans notre inconscient et de découvrir sur nous-mêmes des vérités plus profondes. Comment développer cette faculté ?

Après avoir lu l’Autobiographie d ’un Yogi, j’ai eu l’idée de tenir un journal pour y noter mes rêves. Yogananda nous explique que les êtres spirituels éclairés peuvent orienter leurs rêves comme ils le souhaitent. Il dit également qu’avoir conscience d’être en train de rêver pendant qu’on rêve est le signe d’un développement spirituel.

Ce livre révélateur m’a donné envie de développer une connexion intérieure avec mes rêves. Je vivais à l’époque des changements dans ma vie – nouvelle ville, nouvelle maison, nouvelle expérience professionnelle – et je ne parvenais pas à distinguer clairement mes priorités. Je me souviens que dans un rêve dont j’ai oublié le contexte, je m’interrogeais sur les « serpents » de ma vie. Je ne pense pas que ce mot se référait nécessairement à des personnes précises ; il était plutôt lié aux pensées anxieuses qui m’habitaient pendant cette période stressante. Au cours du rêve j’ai répété plusieurs fois le mot « serpent », en demandant instamment à l’Univers ce qu’il signifiait. Soudain la réponse « changer de peau » est venue. Je me rappelle avoir répété ces mots plusieurs fois à haute voix en rêvant et, lorsque je me suis réveillée, je savais que l’Univers m’avait transmis un message.

Je crois que les lectures spirituelles et la pratique de la méditation peuvent ouvrir la porte à des réalités merveilleuses cachées derrière le voile du monde rationnel visible. Une fois que cette porte s’ouvre, ne serait-ce qu’un peu, il nous est possible d’élever notre développement spirituel à un niveau supérieur. Cela ne signifie pas que les réponses à nos questions nous parviendront toujours à travers nos rêves, mais que si nous restons ouverts et réceptifs, nous pourrons dé-couvrir des messages partout sur notre chemin.

Après mon rêve de serpents, je ne savais ni quoi penser ni comment changer de peau, mais j’étais certaine d’avoir en partie trouvé un code secret pour communiquer avec mes rêves. Quelques semaines plus tard, à bord d’un avion pour l’Europe, j’ai écouté un podcast de Tara Brach, une enseignante spirituelle. Elle employait la métaphore de la mue du serpent – voilà que me revenait le même message, sous une forme différente.

Je ne sais pas ce que « changer de peau » signifie vraiment, mais j’ai la conviction que l’Univers me dit de changer quelque chose au fond de moi. Je continuerai à chercher d’autres indices sur mon chemin et à pousser cette porte jusqu’à ce qu’elle s’ouvre complètement. Chacun de nous a un chemin spirituel en attente d’être découvert, et je vous assure que si notre recherche est assidue et cohérente, nous pouvons tous le trouver.

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S ' o u v r i r a u c h a n g e m e nt

He a r t f u l n e s s

En haut. Terre de joie. Laissons la joie de la Création emplir notre cœur. À gauche. Fleurs. Les fleurs réchauffent le cœur.À droite. Joie. Quelle joie de regarder des fleurs !

Po r t fo l i o

Je me trouvais sur la côte norvégienne, très au nord. Il avait fait un temps doux, ensoleillé et agréable, pas trop froid. Le ciel était d ’un bleu très clair. Nous étions un petit groupe à construire un bateau à l ’ancienne, en nous inspirant d ’une barque viking. Pendant une pause, nous avons contemplé l ’océan et ce merveilleux paysage du nord de la Norvège, avec ses hautes mon-tagnes impressionnantes, entourées d ’étroites bandes de terre. Des humains avaient survécu ici, dans le froid et des conditions de vie si rudes…

Soudain, une brise fraîche se leva et des nuages foncés, couleur gris bleu, se rapprochèrent. Très vite, le ciel s’assombrit et, avant que nous puissions nous mettre à l ’abri, une violente tempête éclata, accompagnée de tonnerre et d ’éclairs.

Je restais là, complètement fascinée par la nature et l ’extraordinaire puissance de ses éléments. C’était une fantastique démonstration d ’énergie et de trans-formation des couleurs. Le ciel montrait toutes les

merveillesMONTS &

S’émerveiller et s’étonner des prodiges de la nature.

C’est le cœur de mon existence.

D e s p e i n t u r e s d e

B E N T E E L I S A B E T H E N D R E S E N

Ja nv i e r 2 01 8He a r t f u l n e s s

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Po r t fo l i o

gradations du bleu, passant du bleu ciel au gris-bleu foncé presque noir.J’étais dans un bonheur total, reconnaissante d ’assister à ce spectacle grandiose.

Les régions nordiques et arctiques sont ma prin-cipale source d’inspiration pour la plupart de mes peintures. Mon enfance dans le nord de la Norvège et de nombreuses années passées au Groenland m’ont beaucoup marquée. Je peins les éléments – la terre, l’eau, l’air, le feu – et un cinquième élément, le cosmos.

La proximité de la nature a suscité en moi un éternel émerveillement devant la création, de la plus infime semence qui devient un arbre parfait, jusqu’au cosmos fascinant. Un des thèmes actuels de mes peintures est la création, et les études qui tentent de mieux comprendre l’univers me passionnent.

Vivre près de l’Arctique m’a conduite à sensibiliser les gens aux changements climatiques que nous connaissons actuellement. Ils sont particulièrement évidents dans cette région où la nature est très vulnérable aux perturbations de la pollution et aux variations de la température. Les glaciers fondent à une vitesse alarmante. La flore et la faune se transforment à mesure que leurs conditions de vie se modifient. L’océan est complètement pollué par le plastique. Les oiseaux de mer ont jusqu’à 40% de plastique dans l’estomac. Les baleines meurent en en mangeant. En collaboration avec des artistes et des scientifiques, j’ai organisé des expositions, des concerts, des conférences et des ateliers pour aider les gens à observer et comprendre les effets du changement climatique.

Je suis maintenant en contact avec des personnes de multiples professions qui s’engagent en faveur de la durabilité. Nous nous rencontrons réguliè-

rement pour discuter du programme de l’ONU pour la paix et la justice – Développement durable, 17 objectifs pour un monde meilleur – et mettre en place une action positive en sensibilisant les gens à ces questions et en leur faisant connaître les solutions possibles. L’art est l’un de nos moyens d’action.

Parallèlement à ce cheminement extérieur de ma vie, il y a le cheminement intérieur. Pour peindre, je me retire dans un lieu qui m’est propre, dans un espace où je peux être présente aux peintures qui émergent du silence. Il y a beaucoup d’images qui attendent d’être peintes. Mon rôle consiste à être un canal, et à ne pas faire obstacle aux impulsions qui viennent. Pour favoriser leur émergence, je médite, j’écoute de la musique et je lis des mythes qui cultivent l’atmosphère que je veux exprimer dans mes peintures.

De retour dans le nord de la Norvège en hiver, je me rends à l ’intérieur des terres dans un camp où vivent les Lapons.

Dans l ’obscurité de la nuit perpétuelle de l ’hiver arctique, nous partons dans la neige et la glace sur un traîneau tiré par des rennes. Le vent est parfois assourdissant mais, par une nuit claire, les étoiles étincellent dans la voûte du ciel et le silence est absolu. Nous espérons apercevoir une autre merveille silencieuse de la nature, une aurore boréale. Et le miracle a lieu : le ciel est rempli de lumières vertes qui voltigent et dansent entre les silhouettes des sommets.

En haut. L’Arctique. L’Arctique est l’élément eau sous tous ses aspects ; neige, glace, eau, nuages gonflés d’eau.

En bas, gauche. Lumière dans l’Arctique. Le ciel arctique est haut et clair, et il en émane une lumière qui nous élève. À droite. L’élément eau en mouvement. La fascinante

transformation de l’eau dans ses différentes formes.

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Po r t fo l i o

En parlant du processus de compostage, ALANDA GREENE évoque la richesse et la continuité de la vie, ainsi que le pouvoir

de la mort, de la transformation et de la renaissance.

L E S L E ÇO N S

D U

JA R D I N

He a r t f u l n e s s

D i a l o g u e a ve c l a n a t u re

Aujourd’hui, je me sens riche. Je m’enfonce dans la richesse jusqu’aux genoux. Debout dans le compost, j’enlève la couche supérieure pour accé-der au terreau noir qui se trouve en dessous. J’en remplis deux seaux, je les porte au jardin et les déverse sur les feuilles de choux et les fanes de carottes. Puis je retourne au bac et recommence encore et encore. Je creuse une tranchée dans cette végétation pourrie, fermentée et transformée, j’y jette des pelletées de la couche de surface et je puise à nouveau dans l’amas de déchets digérés.

Pour ne rien vous cacher, je ne composte pas de façon experte comme le font beaucoup de gens. Je ne m’occupe pas de diversifier les strates, ni du timing, ni des différentes phases. Ce sont des méthodes qui visent à produire une chaleur suffisante pour détruire les graines de mauvaises herbes restées dans la masse et tout transformer en une terre extraordinairement fertile.

Mais chaque motte que je soulève grouille d’un nombre incroyable de vers qui mastiquent, digèrent et rejettent la matière végétale. Si j’appliquais les méthodes préconisées, il ferait trop chaud pour les vers. Ces petits jardiniers qui se tortillent sont merveilleux, ils font des crottes fabuleusement fertiles et j’aime les avoir dans mon jardin ! Je les aime, c’est tout. Mon compost n’est pas aussi parfait qu’il pourrait l’être, il contient toujours des graines de mauvaises herbes, mais il recèle aussi

quantité de vers efficaces, et finalement ce mode de faire me donne beaucoup moins de travail.

Ma méthode consiste à apporter des végétaux du jardin – des feuilles de radis et de mouron, des tiges de persil, des pissenlits – à les jeter dans le bac, à y ajouter un tas de racines terreuses et à remuer de temps à autre pour mélanger le com-post déjà transformé avec celui qui l’est moins. Grâce aux efforts et à la digestion des vers et des cloportes, j’obtiens un terreau riche et fertile dont bénéficieront les prochains légumes du jardin.Notre bac est grand, il est situé à flanc de coteau, on y jette les végétaux depuis le haut et on retire en bas un riche terreau noir. C’est là que je le prends au printemps et en été, mais en automne il faut entrer dans le bac, remuer méthodique-ment le terreau, et en sortir avec bonheur de plus grandes quantités. C’est pour ça que je me

Le compost

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D i a l o g u e a ve c l a n a t u re

Le compost est un rappel vivant et foisonnant du processus de vie,

mort et renaissance.

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à découvrir, à apprendre. J’avais souvent l’impres-sion que le travail était une obligation gênante qui m’empêchait de faire ce qui comptait vraiment. La sagesse des Amérindiens nous enseigne qu’il faut du temps et de la patience pour apprendre. Cela m’a pris beaucoup de temps – je n’étais guère patiente, mais j’ai persévéré. Et j’ai fini par ap-prendre, souvent par des moyens inattendus. Je suis donc devenue fan de la persévérance et des efforts sous toutes les formes.

Je soulève une pelletée de compost, j’y vois la dentelle de fils rouges que dessinent les vers, j’ob-serve les petits cloportes ovales aux mille pattes qui tentent d’échapper à ce remue-ménage et je me demande ce qui se passerait s’ils cessaient leur perpétuel travail de désagrégation. C’est grâce à eux qu’on peut utiliser cette matière recyclée. Mon rôle est insignifiant, comparé à la magie de leur pouvoir de transformation. Je ne fais que jeter les végétaux dans le bac, et peu après me voilà riche ! Riche de compost fertile, riche de vers laborieux et d’autres convertisseurs de détritus. Et s’ils décidaient de ne plus faire cet effort ?La première fois que j’ai étudié la trinité hindoue Brahma, Vishnu, Shiva – le Créateur, le Préser-vateur, le Destructeur – je n’étais pas très fan de Shiva. Je tenais le Destructeur pour responsable de la mort de mon chien sous les roues d’une voiture, de l’accident de la circulation qui avait tué un ami, et de toute la souffrance que cette force dévastatrice semblait provoquer dans les vies

trouve aujourd’hui enfoncée jusqu’aux genoux dans sa richesse.

Je procède ainsi depuis des années. Quel cycle, quelle abondance ! Pouvez-vous imaginer chose plus fondamentalement riche et utile qu’une terre fertile et productive ?

Notre maison est construite sur une colline qui, à l’origine, était boisée. Nous avons défriché la surface nécessaire pour la maison et le jardin. Le sol de la forêt était épuisé, poussiéreux, couleur chamois clair. J’ai commencé à le travailler avec une houe pour en enlever les pierres ; quand j’ai fini il ne restait guère autre chose qu’un trou. Il a fallu des années pour constituer cette terre aujourd’hui profonde, noire, généreuse, chargée de matières organiques. Les légumes ont poussé, le compost a prospéré et on dirait que plus on en retire, plus il en revient.Il en va de même dans la vie. Enfin, parfois. Il faut des années d’effort, de travail, d’apprentissage pour développer de l’expérience, des compétences et de la sagesse. Mon enseignant me rappelait souvent : « Work is worship, le travail est une vénération. » Je dois avouer que je ne l’ai pas compris au début, quand je construisais ma vie. Il y avait tant à faire,

D i a l o g u e a ve c l a n a t u re

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autour de moi. Pour quelle raison Shiva devait-il faire tout cela ?

Heureusement, mes idées sur le pouvoir destructeur se sont élargies et approfondies, de même que ma compréhension de Shiva. Que serait-il advenu si ma vision adolescente n’avait pas été détruite pour faire place à un nouveau savoir ? Et plus concrètement, puisque je me trouve plongée dans des matières à divers stades de décomposition, que se serait-il passé si celles-ci n’avaient pas été détruites et transformées en quelque chose d’autre ?

Il y a bien longtemps, Rumi nous a dit :

Je suis mort en tant que minéral, et je suis né plante,Je suis mort en tant que plante, et je suis né animal,Je suis mort en tant qu’animal, et je suis né homme.[…] Ai-je jamais été amoindri par la mort ?

Le compost est un rappel vivant et foisonnant du processus de vie, mort et renaissance. Il y a quelques jours j’ai rencontré un jeune homme qui était retourné à l’école après avoir passé deux ans dans une communauté spirituelle. Il m’a parlé de ses études, et de sa gratitude envers ses enseignants qui avaient appris tant de choses pour pouvoir en-suite les transmettre à d’autres. Il réalisait que ces formateurs, qu’il s’agisse de yoga ou de menuiserie, avaient fait l’effort d’acquérir des connaissances,

des compétences et de la sagesse afin de les en-seigner aux autres. Son but était maintenant de consacrer lui aussi du temps, de la persévérance et des efforts à apprendre, pour devenir capable de transmettre ses acquis.Cela ressemble au processus du compost : il s’enri-chit avec le temps, acquiert de nouvelles propriétés, puis toute la matière transformée en une nouvelle terre fertile retourne au jardin pour favoriser davantage de croissance.

Là se trouve la vraie richesse.

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– Tu souffres beaucoup ?– J’ai mal !– C’est ton corps ? Ta tête ?– Les deux.L’ enfant est en train de jouer ; assis au sol sur un tapis, il essaie de construire un hélicoptère. Il pense qu’il pourra s’envoler avec, loin, loin. Loin en tout cas de ce lit d’hôpital et des blouses des soignants, au-delà de ses douleurs et de cette grande fatigue qui ne l’a pas encore terrassé. Mais je sais, moi, qu’elle aura raison de lui, en tout cas de son corps. Je lui dis :– Tu peux être le plus fort. Plus fort que ta douleur, plus fort que ta fatigue.Ses yeux bleus, encore agrandis depuis quelque temps, me fixent. Ce sont deux points d’inter-rogation. Je tente un sourire, et, ma foi, je dois y arriver puisqu’il me sourit à son tour. Je réponds :

– Qu’est-ce que c’est ?– C’est un hélicoptère. – Tu veux dire que ce sera un hélicoptère… parce que là, on dirait plutôt un canard.Nous rions. Et puis, encore, les grands yeux qui me demandent. Je cherche mes mots :– Tu peux être plus fort que ta fatigue.Là, l’enfant lâche son canard-hélicoptère.– Comment ?– Veux-tu jouer avec moi ?– Jouer à être fort ?– C’est cela, jouer à être plus fort. Fermons les yeux… allez, n’aie pas peur, ferme tes yeux… Bien, maintenant, imagine que tu as un hélicoptère dans ton cœur, un magnifique hélicoptère. Monte. Assieds-toi à l’intérieur… tu es bien ? Maintenant laisse ton hélicoptère s’envoler doucement. Il parcourt le pays de ton cœur…

YVES BENHAMOU est médecin homéopathe, écrivain et formateur Heartfulness. Ayant à coeur de partager son savoir et son expérience, il donne régulièrement des conférences en France et à l’étranger sur la méditation et la spiritualité. Il évoque dans cet article une rencontre qui l’a particulièrement touché.

L,enfant miroirmiroir

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– Tu te moques de moi ?Il a ouvert les yeux. Un moment, je suis décon-tenancé, mais je ressens tellement sa fatigue, sa souffrance, je veux l’aider. Je me ressaisis.– Mais non, essaie encore, laisse faire.Il ferme de nouveau ses grands yeux las, respire tranquillement, fronce un peu les sourcils, reste en silence. Je vois qu’il s’est envolé. Je le rejoins dans son cœur, nous voyageons. Je me sens mieux. Nous restons ainsi, lui et moi, dans le silence de nos cœurs. Nous ne sommes qu’un seul cœur et toute la lassitude, toute la fatigue, toute la douleur s’envolent aussi.

Au bout d’un moment – combien de temps ? – je l’entends remuer. J’ouvre les yeux.– Alors ?– J’ai fait un beau voyage.– Et comment te sens-tu ?– J’ai moins mal, et ne suis plus fatigué.– Je le sais bien. – Comment tu peux le savoir, tu n’es pas dans mon corps !– Parce que moi aussi je suis moins fatigué, et moins triste. C’est vrai que je ne suis pas dans ton corps, mais j’étais dans ton cœur. Tu n’as pas senti que j’étais avec toi dans l’hélicoptère ?

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Un e re n c o nt re

– … Explique-moi, je suis sûr que je suis assez grand pour comprendre.– Voilà : tu sais que dans cet hôpital il y a de nombreux savants, des gens qui savent beaucoup de choses, bien plus que toi et moi.– C’est sûr !– Eh bien voilà ce qu’ils ont découvert : on a dans la tête tout plein de neurones. Ce sont comme des petites lampes qui s’allument et qui s’éteignent et nous permettent de réfléchir, de bouger, de vivre, quoi… Les savants se sont aperçus que certaines de ces petites lampes s’allument quand on a mal quelque part, quand on est très triste, mais aussi quand on est très content et qu’on a envie de rire. Mais le plus extraordinaire, c’est que, si tu ris, moi aussi j’ai envie de rire, et si tu pleures et que tu es triste, moi aussi j’ai envie de pleurer. Et sais-tu pourquoi ? Parce qu’il suffit que tes petites lumières du rire ou des larmes s’allument pour que les miennes fassent la même chose ! C’est comme si on avait dans notre tête des petits miroirs qui reflètent les lumières des autres. Tu comprends ça ? On les appelle les neurones miroirs. C’est un beau nom, tu ne trouves pas ?– Et alors ?

– Et alors, comme tu avais mal et que tu étais fatigué, mes neurones miroirs m’ont fait sentir la même chose. – Et quand je me suis senti mieux dans mon hélicoptère, aussi !– T’as tout compris, chef ! Et, tu vois, tu peux être plus fort que ce qui te fait souffrir, toujours, partout. Il te suffit de retourner souvent au pays de ton cœur. Tu peux y aller en hélicoptère, mais aussi en bateau, en sous-marin, en voiture de course ou bien encore sur le dos d’un âne très gentil… Tu peux y aller quand tu veux, c’est tout simple !Quand l’enfant me sourit et reprend tranquille-ment son jeu sur le tapis, je respire en grand, je me sens mieux. Quel beau voyage nous avons fait !Je sors. Dehors, il fait doux, le parc s’endort tranquillement sous ses grands tilleuls verts. Deux rossignols se répondent et mon cœur est inondé de leur chant, je suis transparent comme le monde, léger comme le ciel. Et dans ma tête, et dans mon cœur, mes petites lampes scintillent de mille feux.

Pour aller plus loin www.lecormoran.org

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Un e re n c o nt re

Il suff it que tes petites lumières du rire ou des larmes

s’allument pour que les miennes fassent la même chose !C’est comme si on avait

dans notre tête des petits miroirs qui reflètent les lumières

des autres.

À N E P A S M A N Q U E R

Spectacle vivantCourez les voir !« Il n’est pas encore minuit », 3e création de la compagnie XY, est un spectacle qui tourne en ce moment et qui est brillant, magnifique.Dans un espace vide, 22 acrobates nous montrent le nouveau visage du cirque :beaucoup de haute voltige pleine d’humour sur fond de Lindy Hop, des silhouettes en constants mouvements qui se jettent dans les airs, font des portés fous, des sauts périlleux à couper le souffle… Mais le plus impressionnant, c’est l’attention que les acrobates-danseurs se portent les uns aux autres. Chacun veille sur son complice et sur l’ensemble du groupe. Une vraie démonstration de ce que signifie faire confiance à l’autre. La prouesse côtoie l’humilité, et cette aventure collective se traduit dans des devises telles que « portons-nous les uns les autres » ou « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ».« Est-ce vrai que vous faites trois colonnes à cinq ? » leur ont demandé les élèves d’une école de cirque. « Nous faisons beaucoup plus difficile : nous nous mettons d’accord », ont-ils répondu. Voilà l’esprit de la compagnie XY. Une leçon d’humanité...

www.ciexy.com

N O U S Y É T I O N S

Stage de yogaYoga signifie « unir ». Il a pour but ultime d’unir le soi et la supraconscience. En octobre dernier, j’ai suivi la formation Heartfulness pour les professeurs de yoga. Dès que j’ai pénétré dans le Babuji Memorial Ashram Manapakkam à Chennai, je me suis sentie à la maison. Il y régnait une atmosphère de sérénité et de tranquillité. Nous étions un groupe de 38 personnes venues des quatre coins du monde.Nos journées commençaient tôt par du yoga, suivi d’échanges et de cours portant sur le corps, le mental et l’âme, l’accent n’étant pas mis sur la théorie mais sur le karma yoga et l’apprentissage par l’expérience.Chaque jour, nous avions une méditation de groupe conduite par un formateur Heartfulness expérimenté. Grâce à cette méditation, j’ai vécu une véritable transformation, j’ai perdu mes peurs, ma colère, mon impatience, ma confusion, mes soucis – tout ce qui était pesant et inutile. Je suis ressortie de ce stage avec beaucoup de gratitude et une nouvelle perspective sur la vie.

Up

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Le s c o u p s d e c o e u r d e l a ré d a c t i o n

UpLe magazine Heartfulness, nouvelle formuleAprès deux ans de parution en français, le magazine se mondialise : une rédaction sur trois continents, des contenus communs enrichis par l’apport de différentes cultures, et un design relooké pour mettre ces nouveautés en valeur.Dès janvier 2018, le magazine paraîtra chaque mois en français et en anglais.Le nouvel abonnement annuel est disponible en ligne pour 59€ (France) et 66€ (Europe) frais de port inclus. Vous pouvez le comman-der dès aujourd’hui www.unimeo.comUn cadeau inspirant à s’offrir et à offrir à vos proches pour vous accompagner tout au long de cette nouvelle année !

Retraite himalayennePour vous régénérer, partagez une retraite spirituelle avec vos amis et votre famille à Satkhol, notre superbe centre dans l’Himalaya. Nous vous invitons à faire une expérience unique dans la quiétude de cet environnement, entouré par la beauté et la sérénité des cimes enneigées de l’Himalaya. Nous nous réjouissons de vous accueillir à Babuji Nilayam, votre maison durant votre séjour à Satkhol.

www.sahajmarg.org/smww/satkhol

S E R E S S O U R C E R

Apprendre à êtreDébutez la nouvelle année avec 3 master classes pour apprendre à gérer votre vie et vos émotions grâce à la technique Heartfulness.Suivez ces trois sessions de méditation en ligne et gratuites, conduites par Daaji.Chaque session dure 35 à 45 min.

https://fr.heartfulness.org/masterclass

M A S T E R C L A S S E S

À D É C O U V R I R

He a r t f u l n e s s

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Ja nv i e r 2 01 8

L’évolution de la conscienceSuivez le cours en ligne animé par Daaji sur Udemy (en anglais). Vous y apprendrez à cultiver le calme, la clarté et le contentement, tout en découvrant des aspects plus profonds de la méthode Heartfulness.

daaji.org/udemy

The Heartfulness Way Que feriez-vous si vous appreniez qu’il existait un moyen de transcender la souffrance et de renouer avec l’espoir et la joie ? Durant deux ans, un chercheur, J. Pollock, s’est entretenu avec un maître spirituel, Kamlesh Patel, pour explorer une approche de la vie extraordinai-rement simple, mais efficace, appelée Heartfulness. De cette complicité est né un texte lumineux permettant à chacun de découvrir la pureté, la paix et l’unité en lui-même : the Heartfulness way. En cours de traduction en français.

www.theheartfulnessway.com

À L I R E

C O U R S E N L I G N E

M É D I T E R À D I S TA N C E

L'appli Let's MeditateMéditer avec un formateur Heartfulness à toute heureet en tout lieu.Télécharger sur Android ou iOs

[email protected]

fr.heartfulness.org

Apprendreà être

Débutez cette nouvelle année avec Heartfulness

Apprenez à gérer votre vie et vos émotions grâce la méditation du cœur

3 Master classes de méditation en ligne et gratuites, conduites par Daaji

disponible en janvier 2018

Que ces premiers jours de l'année commencent dans l'unité et l’harmonieDaaji partage sa sagesse, sa connaissance, son apprentissage et sa longue expérience

de la méditation et de la spiritualité. Son approche est à la fois scientifique et pratique.

Il n'est pas nécessaire d'avoir déjà médité pour participer et ressentir les bienfaits pour soi-même.

Inscriptionfr.heartfulness.org