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Q ui s’occupe de «travail» (sinon de «travailler») à Genève? En cherchant ce mot sur le site local.ch, on tombe sur deux groupes d’ac- teurs ennemis, dont l’un a l’his- toire pour lui, l’autre, le nombre. «Travail» et surtout «travailleur» colle aux syndicats et à certains partis, mais la liste la plus longue est celle des agences d’intérim. A quoi s’ajoutent plus d’un «groupe de travail» sur des sujets divers, souvent techniques ou religieux. Cherchant leur équilibre sur cette pile, des autorités locales ou mondiales, et des centres d’études: l’Organisation interna- tionale du travail, et ses satel- lites comme le Centre interna- tional d’informations de sécurité et d’hygiène du travail, l’Office cantonal pour l’inspection des relations du travail, la Fondation Collège du travail, plusieurs ins- tances publiques pour observer ou réguler le «marché du travail», divers centres de recherche sur le droit ou la médecine du travail (certains médecins privés ayant aussi mis ce mot clef dans leur adresse), la Haute école de travail social (à ne pas confondre avec la sociologie du travail). Reste encore le travail à domicile et le travail protégé, mais rien sur le travail sur mesure ou le travail domestique. Femmes au foyer ou sans foyer? On l’a vu, le «travailleur» n’a pas tout à fait les mêmes couleurs que le «travail», même si Wiki- pedia, que je consultais sur le «travail», commutait d’office sur «travailleurs exploités»: le terme «travailleur» est pour l’essentiel réservé aux syndicats (et à leurs fédérations mondiales qui gravi- tent autour du Bureau internatio- nal du travail), et à des associa- tions ou amicales, plus quelques foyers. Attention de ne pas confondre «l’Association des tra- vailleurs portugais» avec celle qui précise «démocratique». «L’As- sociation des travailleurs des étudiants et des femmes éryth- réens» est, si je lis bien l’intitulé, ouverte aux femmes (mais non aux hommes) d’affaires. Notons encore le «Service social pour travailleurs italiens» du consulat, le «Collectif des travailleurs sans statut légal», et – hors de Genève - le magasin de vêtements profes- sionnels «Au Travailleur»; quant aux «travaux», ils riment bien sûr avec «publics», un mot piège. Comme celui de «populaire», qui fit le lit des «républiques» avant de passer dans celui des «banques», qui s’accouple sans vergogne avec la musique douce ou avec la politique brute, et qu’on retrouve vautré sur les cafés, garages ou pharmacies, mais qui réintègre sa virginité dans le «Mouvement populaire des familles», et «l’Uni- versité populaire» (albanaise ou non). Le patron est-il un chef-d’œuvre? «Ouvrier» (ou «ouvrière») sort à l’écran comme adjectif d’une «Université» et d’un «Centre d’éducation», d’une «Union» et d’un «Cercle» (à Lausanne) et même d’un «Cercle d’études de littérature», d’une «Fédéra- tion suisse de gymnastique et de sport» (c’est la littérature et la fédération qui sont ouvrières, pas la gymnastique). Restent une «Organisation suisse d’entraide ouvrière» sise à la rue de l’En- traide (en Gruyère, du moins), une «Coopérative du logement ouvrier» et une «Association ou- vrière des compagnons du De- voir», sans qu’il soit précisé si cet énigmatique devoir s’oppose aux habituels droits des travailleurs. «Emploi» désigne surtout «l’Of- fice cantonal», «Uni Emploi», et la cohorte des agences de place- ment… tandis que les «employé(e) s» appartiennent aux syndicats, et à une «Coopérative d’habitation des employés du rail» (quel 23 janvier 2012 – No 528 Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les autres communes de la Zone économique 11 (Triangle Genève- Gland-Saint Cergue). 181 928 exemplaires certifiés REMP/FRP. Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi Directeur-Rédacteur en chef: Thierry Oppikofer Coordination, Publicité, Gestion des annonces: Patrick Gravante Maquette: Imagic Sàrl Carouge, Daniel Hostettler, Sophie Hostettler Flashage et impression: Courvoisier-Attinger Arts Graphiques SA Distribution: Epsilon SA Rédaction, Administration, Service de publicité: 8, rue Jacques-Grosselin • 1227 Carouge Tél. 022/307 02 27• Fax 022/307 02 22 CCP 17-394483-5 E-mail: [email protected] © Plurality Presse S.A., 2012 www.toutemploi.ch Le paresseux est suspendu «Heureux les paysans», disait le poète Virgile, jonglant avec tous les mots évoquant la vie bucolique. «Heureux les ouvriers», pourrait dire un poète moderne écrivant une ode au boulot: le vocabulaire du travail est, lui aussi, plus riche que les travailleurs. Regardons de plus près ces mots dont le sens bouge sans cesse. tout L’empLoi & foRmatioN • No 528 • 23 jaNVieR 2012 L’abolition des «jurandes, maî- trises et corporations» au XViie siècle en france fit suite à la polé- mique sur le «Statute of artificers» (créé en 1563) en angleterre; cette mesure anti syndicale fut à l’époque «progressiste», comme l’expliquent toutes les bonnes encyclopédies, de «L’homme et ses métiers» (ou Histoire générale du travail, nouvelle édition, Nouvelle Librairie de france, 2000)» au Grand Larousse ou à Wikipedia (voir «corporation»); encore deux bonnes lectures: «Les compa- gnonnages», d’emile Coornaert (Les editions ouvrières, 1966), et «treize à la douzaine» de frank B. Gilbreth et ernestine Carey... ainsi que les sites amefi.ch, boiteabou- lots.ch et compagnons-du-devoir. com. et trois bons rendez-vous: «tous cobayes… du travail?», lundi 30 janvier au musée d’histoire des sciences (voir bancspublics. ch); un festival de films du travail (imfmetal.org), et le ciné-club d’unia (dès le 28 janvier à 10 h. au Bio de Carouge). merci à peter Cattan (de l’art Club, bien caché dans atrisansadema.ch), dont la musique a inspiré cet article. pOUR EN SAvOiR pLUS oui, il y a un Club des paresseux au travail!

Le paresseux est suspendu - toutemploi.ch€¦ · riche que les travailleurs. Regardons de plus près ces mots dont le sens bouge sans cesse. tout L’empLoi & foRmatioN • No 528

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Qui s’occupe de «travail» (sinon de «travailler») à Genève? En cherchant

ce mot sur le site local.ch, on tombe sur deux groupes d’ac-teurs ennemis, dont l’un a l’his-toire pour lui, l’autre, le nombre. «Travail» et surtout «travailleur» colle aux syndicats et à certains partis, mais la liste la plus longue est celle des agences d’intérim. A quoi s’ajoutent plus d’un «groupe de travail» sur des sujets divers, souvent techniques ou religieux. Cherchant leur équilibre sur

cette pile, des autorités locales ou mondiales, et des centres d’études: l’Organisation interna-tionale du travail, et ses satel-lites comme le Centre interna-tional d’informations de sécurité et d’hygiène du travail, l’Office cantonal pour l’inspection des relations du travail, la Fondation Collège du travail, plusieurs ins-tances publiques pour observer ou réguler le «marché du travail», divers centres de recherche sur le droit ou la médecine du travail (certains médecins privés ayant aussi mis ce mot clef dans leur adresse), la Haute école de travail social (à ne pas confondre avec la sociologie du travail). Reste encore le travail à domicile et le travail protégé, mais rien sur le travail sur mesure ou le travail domestique.

Femmes au foyer ou sans foyer?On l’a vu, le «travailleur» n’a pas tout à fait les mêmes couleurs que le «travail», même si Wiki-pedia, que je consultais sur le «travail», commutait d’office sur «travailleurs exploités»: le terme «travailleur» est pour l’essentiel réservé aux syndicats (et à leurs fédérations mondiales qui gravi-

tent autour du Bureau internatio-nal du travail), et à des associa-tions ou amicales, plus quelques foyers. Attention de ne pas confondre «l’Association des tra-vailleurs portugais» avec celle qui précise «démocratique». «L’As-sociation des travailleurs des étudiants et des femmes éryth-réens» est, si je lis bien l’intitulé, ouverte aux femmes (mais non aux hommes) d’affaires. Notons encore le «Service social pour travailleurs italiens» du consulat, le «Collectif des travailleurs sans statut légal», et – hors de Genève - le magasin de vêtements profes-sionnels «Au Travailleur»; quant aux «travaux», ils riment bien sûr avec «publics», un mot piège. Comme celui de «populaire», qui fit le lit des «républiques» avant de passer dans celui des «banques», qui s’accouple sans vergogne

avec la musique douce ou avec la politique brute, et qu’on retrouve vautré sur les cafés, garages ou pharmacies, mais qui réintègre sa virginité dans le «Mouvement populaire des familles», et «l’Uni-versité populaire» (albanaise ou non).Le patron est-il un chef-d’œuvre?«Ouvrier» (ou «ouvrière») sort à l’écran comme adjectif d’une «Université» et d’un «Centre d’éducation», d’une «Union» et d’un «Cercle» (à Lausanne) et même d’un «Cercle d’études de littérature», d’une «Fédéra-tion suisse de gymnastique et de sport» (c’est la littérature et la fédération qui sont ouvrières, pas la gymnastique). Restent une «Organisation suisse d’entraide ouvrière» sise à la rue de l’En-traide (en Gruyère, du moins), une «Coopérative du logement ouvrier» et une «Association ou-vrière des compagnons du De-voir», sans qu’il soit précisé si cet énigmatique devoir s’oppose aux habituels droits des travailleurs. «Emploi» désigne surtout «l’Of-fice cantonal», «Uni Emploi», et la cohorte des agences de place-ment… tandis que les «employé(e)s» appartiennent aux syndicats, et à une «Coopérative d’habitation des employés du rail» (quel

23 janvier 2012 – No 528

Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les autres communes de la Zone économique 11 (Triangle Genève-Gland-Saint Cergue). 181 928 exemplaires certifiés REMP/FRP.

Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi Directeur-Rédacteur en chef: Thierry Oppikofer Coordination, Publicité, Gestion des annonces: Patrick GravanteMaquette: Imagic Sàrl Carouge, Daniel Hostettler, Sophie HostettlerFlashage et impression: Courvoisier-Attinger Arts Graphiques SADistribution: Epsilon SA

Rédaction, Administration, Service de publicité: 8, rue Jacques-Grosselin • 1227 Carouge Tél. 022/307 02 27• Fax 022/307 02 22 CCP 17-394483-5 E-mail: [email protected]

© Plurality Presse S.A., 2012

w w w . t o u t e m p l o i . c h

Le paresseux est suspendu«Heureux les paysans», disait le poète Virgile, jonglant avec tous les mots évoquant la vie bucolique. «Heureux les ouvriers», pourrait dire un poète moderne écrivant une ode au boulot: le vocabulaire du travail est, lui aussi, plus riche que les travailleurs. Regardons de plus près ces mots dont le sens bouge sans cesse.

tout L’empLoi & foRmatioN • No 528 • 23 jaNVieR 2012

L’abolition des «jurandes, maî-trises et corporations» au XViie siècle en france fit suite à la polé-mique sur le «Statute of artificers» (créé en 1563) en angleterre; cette mesure anti syndicale fut à l’époque «progressiste», comme l’expliquent toutes les bonnes encyclopédies, de «L’homme et ses métiers» (ou Histoire générale du travail, nouvelle édition, Nouvelle Librairie de france, 2000)» au Grand Larousse ou à Wikipedia (voir «corporation»); encore deux bonnes lectures: «Les compa-gnonnages», d’emile Coornaert (Les editions ouvrières, 1966), et «treize à la douzaine» de frank B. Gilbreth et ernestine Carey... ainsi que les sites amefi.ch, boiteabou-lots.ch et compagnons-du-devoir.com. et trois bons rendez-vous: «tous cobayes… du travail?», lundi 30 janvier au musée d’histoire des sciences (voir bancspublics.ch); un festival de films du travail (imfmetal.org), et le ciné-club d’unia (dès le 28 janvier à 10 h. au Bio de Carouge). merci à peter Cattan (de l’art Club, bien caché dans atrisansadema.ch), dont la musique a inspiré cet article.

pOUR

EN

SAvO

iR p

LUS

• oui, il y a un Club des paresseux au travail!

• e m p l o i

tout l’emploi & formation • no 528 • 23 janvier 2012

42

• c a s p r at i q u e

Heures supplémentaires: savoir raison gardercédric est comptable. selon son contrat, la durée du travail était fixée à 40 heures par semaine, à accomplir du lundi au vendredi, avec présence obligatoire de neuf heures à midi et de quatorze heures à seize heures. Des arrangements particuliers étaient possibles, avec l’accord de la direction. le salaire mensuel était fixé à cHf 7500.-, payable douze fois l’an. il s’y ajoutait un bonus annuel, dont le montant était déterminé librement par la direction. cette rémunération comprenait «les compensations pour les heures supplémentaires et les voyages d’affaires». le contrat a été résilié en mars 2010. cédric a demandé en vain le paiement des heures supplémentaires.

L’employeur refuse de payer les heures sup-plémentaires, au motif

que le contrat de travail prévoyait expressément que le salaire mensuel et le bonus annuel in-cluaient le paiement des heures de travail supplémentaires qui n’étaient pas compensées. Conformément à l’article 321c al. 3 CO, l’employeur est tenu de rétribuer les heures sup-plémentaires – soit celles qui excèdent le nombre d’heures à fournir d’après le contrat - qui ne sont pas compensées par un congé, en versant le salaire normal majoré d’un quart au moins, sauf clause contraire d’un accord écrit, d’un contrat-type de travail ou d’une conven-tion collective. Ainsi, les parties ont la liberté de valablement prévoir, par écrit, que les heures supplémentaires

seront rémunérées sans supplé-ment ou ne seront pas rémuné-rées du tout.

Des limites à ne pas dépasserCette liberté contractuelle qui permet à l’employeur d’exclure le paiement des heures supplémen-taires a toutefois ses limites. En effet, un employeur a le droit de refuser de payer les heures supplémentaires à condition que le salaire soit suffisamment élevé pour inclure une rémunération équitable des heures supplémen-taires. Pour cela, il est nécessaire que la rémunération prévue ex-cède sensiblement un éventuel salaire minimum. Par ailleurs, selon la théorie de l’imprévision, la partie liée par un contrat peut se dégager partielle-ment ou totalement de ses obli-

gations en cas de changement important et imprévisibles des circonstances, ayant pour effet de créer une disproportion grave, entre sa prestation et la contre-prestation de l’autre partie, de sorte que le maintien du contrat se révélerait abusif. Il s’agit du cas où le travailleur accomplit des heures supplémentaires en nombre excédant notablement ce qui était prévisible lors de la conclusion du contrat, de sorte que l’employeur ne peut plus se prévaloir de la clause écrite qui exclut le paiement des heures.

Un salaire suffisant et des heures de travail prévisiblesEn l’espèce, le Tribunal a consta-té que le salaire et le bonus aux-quels Cédric avait droit ne parais-saient pas insuffisants à couvrir

aussi, de manière forfaitaire, les heures de travail supplémentaires normalement prévisibles.Ainsi, au vu de la rémunération et du fait que Cédric ne s’est pas plaint d’avoir dû accomplir des heures supplémentaires en quantité extraordinaire et im-prévisible, l’employeur n’a pas outrepassé son droit en appli-quant la disposition contractuelle excluant le paiement des heures supplémentaires. n

Nicole de Cerjat, juriste, responsable du service juridique au secrétariat romand de la SEC

Suisse, Neuchâtel.

Société suisse des Employés de Commerce (SEC Suisse)Case postale 3072 – 2001 NeuchâtelTél. 0848 810 910 (membres)Tél. 0901 555 717 (non- membres: Fr. 2.50 / min.).

sexisme). Seuls parlent encore de «main-d’œuvre» les offices traitant des permis de travail; le «prolétaire» est démonétisé, sauf en histoire. Le «personnel» est de moins en moins revendiqué par les associations ou les directions, son avenir dans la «prévoyance» est menacé, mais c’est le para-dis des «coaches» qui en assu-rent le «développement», dans un sens moins collectif. «Res-sources humaines» sort plutôt de la bouche des patrons et des cadres, «métier» survit grâce à

l’artisan - comme «L’Artisan du Piano», «du Parquet», voire «de l’Eau» - mais garde un côté rin-gard dans la «Chambre» et dans le «Conservatoire national des arts et métiers», dont une an-tenne pourtant moderne est très active aux portes de Genève.

Travaillez à loisir

Cet article laisse de côté l’histoire de tous ces mots, même si la ra-cine de «salaire» fait sourire (le sel), et celle de «travail», pleurer

(la torture). Plus utile est de pla-cer les termes dans leur famille: le «boulot» est-il une «corvée», un «labeur», un «emploi», ou un «mandat», une «mission», un «projet»… enfin un «métier» ou une «œuvre»? Une «profession» est-elle une «occupation» ou une «vocation», et «l’employabilité» est-elle une (con)damnation? La sociologie du «travail» recoupe-t-elle celle des «organisations», et comment les «arts et mé- tiers» supportent-ils «l’organisa-tion scientifique du travail»? Mais

c’est sans doute «corporation» le terme le plus explosif de l’histoire du travail: même s’il est tombé en désuétude, il contient les ques-tions les plus actuelles sur le bien de tous et des parties (voir an-nexe). n

Boris Engelson

service après venteDans mon article de la semaine dernière, un chiffre était faux à un zéro près: la Suisse est plus agraire que je le pensais, chaque Suisse a un pré carré d’au moins vingt mètres de côté pour se nourrir.