14
LE PARI DE PASCAL: ENTRE JEU ET ARGUMENT STEPHANE NATAN Rider University, New Jersey Pascal, avec Les Provinciales, avait réussir à intéresser le tout-Paris à un débat de théologiens par “sa vraie éloquence [qui] se moque de l’éloquence” (fr. 671). 1 Avec ses dix-huit lettres, écrites de 1656 à 1657, Pascal entendait assurer la défense de Port-Royal face aux calomnies des jésuites. Le succès des Provinciales fut immédiat: Boileau les plaçait au rang d’œuvre littéraire digne de rivaliser avec les plus grandes réussites de l’Antiquité, loin devant les écrits des modernes. Aujourd’hui, Les Provinciales ont offert à Pascal une place de choix au rang des plus grands auteurs du dix-septième siècle, et c’est en tant que succès littéraire et pour leurs traits d’esprit qu’on les admire. Avec les Pensées (publication posthume de 1670), Pascal avait entrepris de consacrer les dernières années de sa vie (1657–61) à écrire une apologie du christianisme, non pas pour briller au firmament en tant que génie scientifique, théologique, philosophique ou littéraire, mais pour répondre à une situation d’urgence: sauver des âmes, âmes au nombre desquelles figuraient celles de ses amis. C’était compter sans la mort qui vint chercher Pascal dans la nuit du 19 août 1662 à une heure du matin: son projet apologétique est interrompu, laissé dans un état fragmentaire, dans un désordre décourageant pour les éditeurs. Pourtant, à la faveur du temps, ces brouillons sont devenus, eux aussi, un chef- d’œuvre de la littérature française. En effet, Pascal savait que pour convaincre l’athée les recettes de l’apologie traditionnelle ne pouvaient plus fonctionner, et il a compris la nécessité de faire appel à une rhétorique nouvelle pour sensibiliser son interlocuteur. A l’intérieur des Pensées, on rencontre le fragment 680 de l’édition Sellier, nommé “le discours de la machine” et plus connu sous le

Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

LE PARI DE PASCAL: ENTRE JEU ET ARGUMENT

STEPHANE NATAN Rider University, New Jersey

Pascal, avec Les Provinciales, avait réussir à intéresser le tout-Paris à un débat de théologiens par “sa vraie éloquence [qui] se moque de l’éloquence” (fr. 671).1 Avec ses dix-huit lettres, écrites de 1656 à 1657, Pascal entendait assurer la défense de Port-Royal face aux calomnies des jésuites. Le succès des Provinciales fut immédiat: Boileau les plaçait au rang d’œuvre littéraire digne de rivaliser avec les plus grandes réussites de l’Antiquité, loin devant les écrits des modernes. Aujourd’hui, Les Provinciales ont offert à Pascal une place de choix au rang des plus grands auteurs du dix-septième siècle, et c’est en tant que succès littéraire et pour leurs traits d’esprit qu’on les admire. Avec les Pensées (publication posthume de 1670), Pascal avait entrepris de consacrer les dernières années de sa vie (1657–61) à écrire une apologie du christianisme, non pas pour briller au firmament en tant que génie scientifique, théologique, philosophique ou littéraire, mais pour répondre à une situation d’urgence: sauver des âmes, âmes au nombre desquelles figuraient celles de ses amis. C’était compter sans la mort qui vint chercher Pascal dans la nuit du 19 août 1662 à une heure du matin: son projet apologétique est interrompu, laissé dans un état fragmentaire, dans un désordre décourageant pour les éditeurs. Pourtant, à la faveur du temps, ces brouillons sont devenus, eux aussi, un chef-d’œuvre de la littérature française. En effet, Pascal savait que pour convaincre l’athée les recettes de l’apologie traditionnelle ne pouvaient plus fonctionner, et il a compris la nécessité de faire appel à une rhétorique nouvelle pour sensibiliser son interlocuteur. A l’intérieur des Pensées, on rencontre le fragment 680 de l’édition Sellier, nommé “le discours de la machine” et plus connu sous le

Page 2: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

26 NATAN

nom du pari, qui constitue sans doute l’écrit le plus célèbre de Pascal. Dans ce texte, l’homme est confronté à la nécessité de prendre un pari sur l’existence ou l’inexistence de Dieu, la raison étant incapable de nous fournir des preuves incontestables pour trancher dans un sens ou dans l’autre. La quête de la vérité y est perçue sur le mode métaphorique du jeu: nulles traces ici du long et dur périple que représente la vie de foi; il s’agit de faire un choix purement intéressé et par là-même raisonnable. La présente étude se propose de redécouvrir les raisons pour lesquelles Pascal a choisi d’utiliser l’image du jeu dans l’argument du pari. Cette image est effectivement omniprésente dans tout le fragment 680, comme en témoigne un champ lexical très riche, tournant autour de cette thématique: “joueur,” “jouer,” “jeu,” “croix ou pile,” “parier,” “perdre,” “gagner,” “engager,” “le gain et la perte,” “hasard,” “parti” (certains de ces termes sont même utilisés à de multiples reprises). Pourtant, cette mise en parallèle du jeu et de la religion a été fortement contestée, et il y a fort à parier que Pascal devait en avoir conscience. Quoiqu’il en soit, il n’a pas hésité à y recourir, à l’imposer pour en faire un argument en faveur du christianisme, un argument qui relève certes de la captatio benevolentiæ mais qui va également la dépasser pour s’inscrire dans l’essence de l’homme. Nous réfléchirons également ici sur le destinataire du fragment 680 et sur la place que le pari aurait tenue dans l’Apologie achevée—si tant est que Pascal l’y ait inclus—, sur un texte qui est aujourd’hui publié dans les différentes éditions des Pensées, et qui représente le texte de Pascal qui a suscité—et continue de susciter aujourd’hui encore—nombre de passions, en raison des termes mis en présence et du paradoxe entre le jeu et la gravité du sujet. Peter Dalton, dans son article “Pascal’s Wager: the First Argument,” imagine un dialogue où le libertin dirait à Pascal: “You have turned to a topic I hoped we would avoid: religion.”2 Or, c’est précisément parce que Pascal s’adresse au libertin, qu’il sait que ce dernier ne veut pas entendre parler de religion, qu’il garde un puissant à priori face à un genre où l’objectivité cède couramment le pas à une défense péremptoire du christianisme que Pascal, dans le pari, n’a pas recouru aux deux preuves de Dieu, développées—ou redécouvertes—au Moyen Age et très prisées par les apologistes: la preuve de Dieu par l’ordre admirable de la nature de saint Thomas et l’argument ontologique de saint Anselme. Antoine Adam nous rappelle que la preuve de Dieu par l’ordre de l’univers était encore très à l’honneur au dix-septième siècle, y compris à Port-Royal.3 En matière d’apologie, ces deux preuves semblent incontournables,

Page 3: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

Le pari de Pascal 27

étant, à première vue, ce que la raison peut offrir de plus accompli. Pourtant, Pascal, dans les Pensées, a jugé ces preuves totalement inefficaces (fr. 690) et “impuissantes” (fr. 221). Pour lui, la preuve de Dieu par la nature ne peut convaincre aucun incroyant: l’athée ne perçoit dans cette dernière “qu’obscurité et ténèbres” (fr. 644), la nature restant silencieuse pour l’incroyant (fr. 233). Et, si le chrétien, quant à lui, accepte cette preuve, c’est parce qu’il a été convaincu, au préalable, que “tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage [de] Dieu” (fr. 644). Immédiatement, Pascal comprend que pour être entendu il faut innover en matière apologétique, et c’est bien ce qu’il entendait faire. Reprenant à la captatio benevolentiæ l’idée force qui est de parler un langage qui touche son interlocuteur, Pascal, avec le pari, a développé l’image du jeu, image qui appartient à l’univers de référence du libertin. En effet, comme l’indique L’Art de persuader, Pascal sait qu’une vérité amenée à l’aide de la captatio benevolentiæ a plus de chance de réussir, car “nous ne croyons presque que ce qui nous plaît” (2: 171): la captatio benevolentiæ ne fait que tirer profit de la force de la volonté, force supérieure à celle de la raison. Toutefois, comme Pascal le revendique au fragment 547, le plaire ne peut se faire que dans la mesure où il reste en accord avec la vérité. Jeu et religion sont à première vue antithétiques: le jeu renvoie à l’image du plaisir, de l’insouciance, du rire, de la passion, alors que la religion—catholique—, elle, symbolise davantage le sérieux et l’austérité. Dans le Dictionnaire universel de Furetière, le jeu se définit en première entrée comme “ce qui est opposé à serieux, qui se fait par divertissement pour relâcher l’esprit, qui n’est pas fait tout de bon,” et les jeux de hasard sont caractérisés péjorativement comme des “jeux des faineants, des débauchez ou des avares.”4 Apparemment jeu et religion ne font pas bon ménage. En dépit de ces diverses connotations, Pascal a recouru au jeu pour en faire une image essentielle des Pensées:5 cette image est d’autant plus remarquée et remarquable qu’elle se trouve dans une apologie du christianisme. Sachant que Pascal est l’auteur des Pensées, le lecteur est moins surpris par ce mélange détonnant entre jeu et religion: le précédent des Provinciales reste dans tous les esprits, Provinciales où Pascal avait utilisé le rire—plus exactement la raillerie—pour sensibiliser le public mondain contre les jésuites relâchés. Nonobstant cela, l’image du jeu a été rejetée par plusieurs lecteurs de Pascal, pour des raisons tout à la fois religieuses et morales de manière on ne peut plus dogmatique. En effet, les lois religieuses—qu’il s’agisse des lois hébraïques, musulmanes ou chrétiennes—interdisent tous les jeux d’argent, considérés comme

Page 4: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

28 NATAN

la part du diable (ce qui n’empêchait nullement les rois de France, “très saints et très catholiques,” de s’y adonner). Aussi, Port-Royal, à qui Pascal était très lié, a gommé, tant bien que mal, dans son édition des Pensées, les références au jeu: “en prenant croix que Dieu est” devient “en prenant le parti de croire que Dieu est,” “voir le dessous du jeu” devient “voir un peu plus clair,” “ceux qui parient maintenant tout leur bien” devient ceux “qui n’ont présentement aucun doute” (2: 936–38). Dans ces conditions, D.A. Askew a-t-il pu écrire que le pari constitue le texte qui a subi le plus de modifications dans l’édition de 1670: “This rationalism is everywhere apparent in the PR version of the pari dictating a considerable amount of alteration and omission.”6 Or, par ces substitutions, comme l’indique Lucien Goldmann,

Port-Royal n’avait pas faussé la pensée de Pascal, mais seulement—et la chose est assez grave—substitué pour éviter le scandale, le genre à l’espèce, car s’il est vrai que tous ceux qui parient ne doutent pas, il n’en est pas moins vrai que la plupart de ceux qui ne doutent pas ne parient pas pour autant.7

Il faut pourtant croire que cette épuration—ou plus exactement cette expurgation—n’était pas assez satisfaisante, puisque le rapprochement du jeu et de la religion chrétienne choquait encore Voltaire un siècle plus tard: “Cet article paraît indécent et puéril; cette idée de jeu, de perte et de gain ne convient point à la gravité du sujet.”8 Voltaire n’était pas le premier, ni le dernier à penser de la sorte. Déjà, en 1671, c’est-à-dire moins d’un an après la publication de l’édition de Port-Royal, l’abbé de Villars écrivait dans son Traité de la délicatesse:

Je perds patience de vous entendre traiter la plus haute de toutes les matières, et appuyer la plus importante vérité du monde, et le principe de toutes les vérités, par une idée si basse et si puérile, par une comparaison du jeu de croix et de pile plus capable de faire rire que de persuader.9

En rapprochant la religion et le jeu, Pascal prenait le risque de choquer le sens commun, prenait le risque de s’attaquer aux vieux clichés, beaucoup plus porteurs de superstition que de foi, et révélateurs d’une fermeture d’esprit certaine. D’autre part, le pari de Pascal fut attaqué, car on lui reprochait d’avoir à son fondement le seul intérêt, alors que le christianisme, lui, possède à sa base l’amour: “Ou il [le parieur] renonce à son petit

Page 5: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

Le pari de Pascal 29

bien présent dans l’espoir d’une grande somme future; ou il renonce à une grande somme future de peur de risquer son petit bien présent. Dans les deux cas, il apparaît âpre au gain, vil, sans magnanimité.”10 Quel est le vrai reproche qui est fait à Pascal? D’être trop lucide sur l’homme? Car, que recherche tout homme à travers une multitude de choses et de personnes, si ce n’est son seul intérêt? Tout homme, n’est-il pas guidé par l’intérêt, motivation humaine par excellence? Pour Pascal, pour changer cet ordre de fait, la charité, entendue comme amour de Dieu jusqu’à l’excès, sera nécessaire. Pour l’heure, Pascal, ou plus exactement le parieur, n’en est pas encore là... Pour les détracteurs de Pascal, le texte du pari est à proprement parler une insulte au christianisme: il transformerait la sainte voie du salut en un vulgaire pari intéressé. D’ailleurs, plusieurs critiques de Pascal aussi refusent de voir dans ce texte un texte clef; ils prennent bien souvent le parti de le cantonner à un public déterminé, de le repousser hors de l’œuvre apologétique des Pensées, et de le situer sur un plan inférieur au texte du Mémorial. Ainsi, Léon Brunschvicg écrit, en note du fragment 233—fragment du pari—à son édition des Pensées et opuscules, que le pari ne constitue nullement un argument essentiel de l’apologie.11 Du reste, la foi de Pascal est on ne peut plus éloignée du sentiment pragmatique que veut susciter cet écrit chez son lecteur. A première vue, il semble tout droit sorti de la bouche d’un de ces trop fameux casuistes relâchés contre lesquels Pascal est parti en guerre dans Les Provinciales: l’argument du pari avait effectivement été exposé en 1635 par un jésuite, le Père Sirmond, dans son ouvrage, écrit en 1637, Démonstration de l’immortalité de l’âme, tirée des principes de la nature.12 Pourtant, ce texte est pascalien, et il va s’insérer de manière parfaitement cohérente dans les Pensées, à défaut de toujours l’être dans la pensée de Pascal. En recourant à l’image du pari, Pascal veut réaffirmer que le jeu n’est pas mauvais en soi. Pascal n’est certes pas un adepte des jeux d’argent, si répandus au dix-septième siècle et responsables de la ruine—financière et psychologique—de tant de vies (Thirouin, Le Hasard 38); il sait aussi que le jeu, forme du divertissement par excellence, peut entraîner l’absence de lucidité. Néanmoins, à l’instar de l’homme et du monde, le jeu s’inscrit dans le monde du paradoxe. Le jeu c’est la vie, le jeu c’est le plaisir, et c’est aussi un moyen de saisie de certaines vérités: n’oublions pas que c’est en jouant que Pascal démontre seul, à l’âge de onze ans, la trente-deuxième proposition d’Euclide. Platon et Aristote eux-mêmes élaboraient leur philosophie en jouant, si l’on en croit Pascal:

Page 6: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

30 NATAN

C’étaient des gens honnêtes et comme les autres, riant avec leurs amis. Et quand ils se sont divertis à faire leurs Lois et leurs Politiques, ils l’ont fait en se jouant. C’était la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie, la plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement. (fr. 457)

Et, si Pascal, en dépit des oppositions que l’image du jeu ne va pas manquer de susciter, choisit de la développer, de la développer comme aucune autre image de toute son œuvre, c’est tout bonnement parce qu’elle est représentative de la condition humaine. L’homme, par sa finitude, n’a pas accès à la métaphysique; aussi, toutes ses connaissances dans ce domaine ne peuvent que résulter d’un pari:

Nous connaissons [. . .] l’existence et la nature du fini, parce que nous sommes finis et étendus comme lui.

Nous connaissons l’existence de l’infini, et ignorons sa nature, parce qu’il a étendue comme nous, mais non pas des bornes comme nous.

Mais nous ne connaissons ni l’existence ni la nature de Dieu, parce qu’il n’a ni étendue, ni bornes. (fr. 680)

Autrement dit, la raison peut exercer un certain pouvoir13 dans le domaine scientifique,14 mais aucun dans le domaine métaphysique.15 Somme toute, la raison ne peut prouver ni infirmer l’existence de Dieu. La raison se doit dès lors d’avouer son impuissance, l’incompréhensible en étant un effet concret. A ce sujet, l’apologiste en profite, au fragment 182, pour donner une leçon de vocabulaire à l’athée: “Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être.” Fort de cela, l’apologiste défie l’athée, au fragment 656, de trouver une solution autre que la solution biblique au mystère que représente l’homme: “Incompréhensible que Dieu soit, et incompréhensible qu’il ne soit pas; que l’âme soit avec le corps, que nous n’ayons point d’âme; que le monde soit créé, qu’il ne le soit pas; etc.; que le péché originel soit, et qu’il ne soit pas.” Perdue dans ces oppositions, dans le rythme binaire, la raison s’accorde finalement avec des thèses contraires qui réclament son abdication, l’aveu de son échec (fr. 164). Des preuves infaillibles du christianisme (au sujet de sa vérité ou de son mensonge) n’existant pas, l’homme doit se contenter de preuves relatives, de présomptions. Il se doit concrètement de faire un choix incertain, un pari. L’incertain—agir avec certitude supposerait nécessairement

Page 7: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

Le pari de Pascal 31

une raison infinie—est ce qui rythme la vie de tout homme (fr. 480). En préférant croire les récits de Tacite plutôt que ceux de la Bible (fr. 619), et en se prononçant pour une vie finie, l’athée fait un choix incertain. Or, ironie de la situation, le principal reproche que fait l’incroyant au chrétien est de suivre une voie que la raison ne justifie pas. L’apologiste, lui, adopte un autre angle de vision, un angle plus cohérent: le choix de l’athée est-il plus raisonnable que celui du chrétien (fr. 46)? Indépendamment de la réponse donnée, tout homme se doit de s’interroger, l’interrogation métaphysique lui étant consubstantielle (fr. 513). La raison ne pouvant y apporter de réponses certaines, l’homme ne peut que parier. En se prononçant pour un pari, l’apologiste inaugure une méthode apologétique nouvelle: refusant d’affirmer des vérités de manière péremptoire, il se prononce pour un raisonnement hypothétique. Son attitude s’oppose notamment à celle de Descartes qui affirme “qu’il faut croire tout ce que Dieu a révélé, encore qu’il soit au-dessus de la portée de notre esprit.”16 Par sa démarche, l’apologiste des Pensées est novateur, et il se situe dans la droite ligne du système de pensée de l’athée: Pascal utilise un langage raisonnable, celui de la raison humaine et non pas celui de la révélation divine. Par ailleurs, l’image du jeu n’est pas seulement liée à la métaphysique, elle se retrouve aussi dans la société elle-même, qui n’est autre chose qu’un jeu qui tourne au théâtre. Comme le rappelle Louis Van Delft, “bien loin d’être une création du dix-septième siècle, le thème du theatrum mundi est vieux comme le monde lui-même,”17 et il est omniprésent au Grand Siècle: selon ce lieu commun, les hommes pécheurs sont contraints de jouer un rôle, le théâtre étant le lieu du faux, et le metteur en scène de ce spectacle n’est autre que notre amour-propre, qui finit par nous duper nous-mêmes (206). Tout un chacun s’accorde sur ce lieu commun: philosophe, chrétien, libertin, honnête homme. Notons néanmoins que si Pascal emploie des topoï, il s’en sert pour constituer sa propre vision du monde, puisant dans le patrimoine de l’humanité, pour mettre en relief les observations communes et les approfondir. En effet, qu’est-ce que la société, sinon un jeu avec ses règles arbitraires, ses participants, ses gagnants et ses perdants? Du reste, la grimace (c’est-à-dire les principes de cérémonies, les grands manteaux de magistrats, les carrosses, les armes, les livrées...) fondement de notre société, n’est pas le signe de la vraie vie, mais plutôt celui du masque et du jeu (Thirouin, Le Hasard 60). En d’autres termes, la grimace est le pendant culturel de la force. Ainsi, les plus grands hommes—les grandeurs d’établissement—portent des déguisements grandioses, devenus si impressionnants qu’ils ont

Page 8: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

32 NATAN

réussi le tour de force de rendre leurs porteurs plus grands, plus respectueux pour ceux qui les regardent, et par un effet de boomerang, à force d’être admiré, ces hommes ont eux-mêmes fini par se croire grands: c’est le cas des médecins, des magistrats, du roi. Du reste, les bonnets carrés des magistrats et les bonnets pointus des médecins sont la preuve même que la société n’est qu’une immense scène de théâtre (fr. 78, 650). L’ensemble de la société joue donc un rôle, chacun s’y laissant plus ou moins prendre en fonction de son degré de sagesse. D’ailleurs, la théâtralité n’est pas seulement le fait de la société, elle se rencontre aussi au niveau individuel, tout homme jouant un rôle guidé par la concupiscence, rôle qui le fait paraître autre que ce qu’il est: il se crée une vie imaginaire (fr. 653), il entretient des rapports basés sur l’hypocrisie avec autrui, et il se plaît à prendre pour vrai le monde amoureux de la comédie (fr. 630). Au fragment 776, ce rôle finit par primer complètement, au mépris du bien-être, du bonheur: “On se retire et cache huit mois à la campagne, pour en vivre quatre avec éclat à la cour.” Malheureusement, la pièce de théâtre dans laquelle se produit l’homme se rapproche davantage d’une tragédie que d’une comédie, tragédie qui contraste avec l’inconscience de l’homme: “Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais” (fr. 197). L’image est on ne peut plus nette et frappante. Le jeu se termine de manière tragique, jeu qui n’a fait que dissimuler la misère de l’homme, condamné à être du côté du paraître, à défaut de pouvoir être. Le plus grave est que l’homme ne peut s’empêcher de jouer, sa misère ne lui laissant pas d’autre issue. Au total, si le jeu est parfois guidé par le hasard, la vie humaine, elle, l’est toujours. Jeu, incertain, théâtralité, voilà les termes qui agitent la condition humaine. Le jeu devient par conséquent une composante de la vie qui fait que l’image du jeu dans les Pensées n’est absolument pas ornementale. On est alors en droit de s’interroger sur la place exacte que cette image aurait eue dans les Pensées. Bien que le pari se trouve aujourd’hui dans toutes les éditions des Pensées, cette présence ne va pas forcément de soi. En effet, pendant longtemps, les éditeurs se sont demandé s’ils devaient l’intégrer dans les Pensées: Henri Gouhier a retracé les querelles de la critique au sujet de la place du pari.18 Aujourd’hui, nous savons qu’en 1658 Pascal avait lui-même constitué des liasses, au nombre de vingt-sept, en vue de construire son apologie du christianisme. Or, les deux feuilles du pari ne possèdent aucun trou d’enfilure: qu’est-ce à dire, si ce n’est que le pari n’a pas fait partie de ces vingt-sept liasses, et donc du projet initial de l’apologie?19 En revanche, ces

Page 9: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

Le pari de Pascal 33

deux feuilles portent des traces de plis, et les coins en sont cornés, preuve qu’elles ont dû être longtemps portées dans la poche d’un vêtement, d’un vêtement de Pascal, preuve que ce texte avait beaucoup d’importance pour son auteur (Gouhier 245). Ce texte fait-il alors partie de l’apologie? A qui s’adresse-t-il? De par l’image du jeu, le texte du pari restreint forcément son auditoire à un public spécialisé, le pari étant un argument ad hominem. N’oublions pas que Pascal écrivait pour une élite sociale et culturelle, s’inscrivant dans le contexte socio-économique du siècle qui voulait que la littérature reste cantonnée à un public de privilégiés. D’ailleurs, l’Avis de Port-Royal, avis au fragment “infini-rien” du pari, intitulé dans l’édition de 1670, “Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire ce qu’enseigne la religion chrétienne,” dit: “Presque tout ce qui est contenu dans ce chapitre ne regarde que certaines sortes de personnes qui n’étant pas convaincues des preuves de la Religion, et encore moins des raisons des athées, demeurent en un état de suspension entre la foi et l’infidélité” (2: 935). Dans ces êtres à mi-chemin entre la foi et l’athéisme, on reconnaît les libertins,20 libertins férus de jeux et de mathématiques.21 Notons que les libertins dont il est ici question ne sont pas des débauchés; ils sont des esprits forts qui possèdent une liberté de pensée qui se veut affranchie des croyances religieuses. En définitive, le fragment du pari s’adresse en priorité à un auditoire très spécialisé, cultivé que Pascal fréquentait et pour lequel il avait de l’affection, à défaut d’avoir de l’admiration. Cependant, bien que destiné aux libertins, le pari ne tombe pas dans le piège facile d’un jargon fastidieux et pédant. Ici, comme ailleurs, Pascal a respecté les règles de validité d’un écrit, règles qu’il a lui-même énoncées dans L’Art de persuader. Nous avons vu que le pari s’adressait prioritairement aux libertins, l’alliance du jeu et de la religion pouvant difficilement plaire à un autre public au dix-septième siècle. Reste à déterminer sa place dans l’apologie. Comme nous l’avons déjà dit, en 1658, lors de la constitution des liasses, Pascal n’y fait pas entrer le pari. Toutefois, en 1662, au lendemain de sa mort, on retrouve le texte du pari au milieu d’autres fragments qui se rapportent tous à l’apologie. On peut donc supputer que Pascal a finalement décidé de se servir de l’argument du pari dans l’apologie, comprenant que le pari constituait un argument de poids pour convaincre l’incroyant. Il nous faut alors savoir—de manière hypothétique toutefois—où Pascal aurait placé ces deux feuilles. Sur ce point, les grands éditeurs des Pensées divergent: certains placent le pari au début de l’apologie (Port-Royal,22 Léon Brunschvicg23), d’autres au milieu (Jacques

Page 10: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

34 NATAN

Chevalier,24 Louis Lafuma,25 Michel Le Guern26), et d’autres encore à la fin.27 Contrairement à ce que dit Henri Gouhier—“ce qui importe, c’est la fonction du pari: il peut l’exercer à des places différentes” (306)—, la position du pari est loin d’être sans conséquences: l’emplacement final semble être à nos yeux le plus approprié. En effet, avant de parier, l’homme doit prendre conscience de sa misère, de la relativité des valeurs mondaines, pour comprendre à quel point sa mise et le risque qu’il prend sont dérisoires. En outre, il doit également connaître les preuves qui font de la religion chrétienne la seule vraie religion pour pouvoir parier sur le christianisme. Sans cela, le pari ne pourrait être valable, car comme le faisait si justement remarquer un éditeur de Voltaire, “l’argument du pari, appliqué aux religions dont la fausseté ne serait pas démontrée, conduirait à cette absurde conséquence, qu’il faut toutes les pratiquer à la fois” (143). Dès lors, on comprend toute l’importance de la place du pari dans l’apologie afin de contrer les détracteurs du pari. Pris de manière isolé, le pari devient la proie de ce qui est appelé “the many Gods objection.”28 Néanmoins, comme le souligne si justement A.D. Askew, “after all, the pari is not treated as self-sufficient by Pascal himself, since he wrote very much more than the mere MS 418—and the rest of what he wrote is filled with argument trying to secure conviction” (179). Au jour d’aujourd’hui, le pari est un développement qui s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste: les Pensées. Loin d’être un banal ornement, il conditionne l’apologie: il témoigne d’une attitude d’ouverture, l’apologiste se positionnant du point de vue de l’homme sans Dieu, refusant toute démarche dogmatique. L’argument du pari est bien la meilleure preuve que Pascal n’est pas métaphysicien: Dieu est objet et non pas sujet du fragment 680. L’homme pascalien n’ayant aucune certitude, il se doit donc de parier. Le tout, pour lui, maintenant est de faire le bon pari, est de parvenir à choisir, à travers le pari, l’hypothèse qui le conduira au bonheur. Dans le cas contraire, l’homme apprendrait à ses dépens la vérité suivante de Pline, citée en latin, au fragment 674: “Comme s’il y avait plus malheureux qu’un homme soumis à ses chimères” (traduction de l’éditeur). Notons que cette vérité irait tout aussi bien à celui qui parie pour Dieu qu’à celui qui parie contre Dieu. Ainsi, de plus en plus, le jeu revêt l’habit du sérieux. D’ailleurs, le pari ne propose qu’une chance unique de jouer, de jouer, qui plus est, à un jeu contraint. Le risque du pari de Pascal est amplifié par le fait que le pari, même s’il offre un parti extrêmement favorable, ne se joue qu’en “un seul coup,” comme le remarque si justement Laurent Thirouin: “Ce serait comme une loterie où l’on miserait en une fois

Page 11: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

Le pari de Pascal 35

toute sa fortune: même s’il y avait eu une chance sur dix de la retrouver centuplée, oserait-on affronter les neuf chances adverses sachant que l’on ne pourra plus jouer en cas de défaite?” (Le Hasard 151). Par ailleurs, une des caractéristiques principales du jeu est d’être libre. Or, le pari de Pascal est un pari forcé, car que l’homme le veuille ou non, sa mise—sa vie—est déjà engagée, la mort venant nécessairement y mettre un terme. Le pari est donc nécessaire, il ne peut être évité, et Pascal est on ne peut plus clair à ce sujet: “il faut parier, cela n’est pas volontaire” (fr. 680), tant et si bien que l’homme est dans “une nécessité de jouer” (fr. 680). Refuser de parier, c’est parier d’office que Dieu n’est pas: dans un souci de clarté, l’édition des Pensées de Port-Royal de 1670 rajoute que “ne parier point que Dieu est, c’est parier qu’il n’est pas” (2: 936). On rencontre un écho de cela dans Matthieu, 12.30, où Jésus-Christ dit: “Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi dissipe.” Le plus mauvais choix est donc l’absence de choix. Le pyrrhonien est tout particulièrement visé par Pascal, lui qui, pensant qu’il est impossible de connaître Dieu, préfère suspendre son jugement, c’est-à-dire qu’il refuse de jouer. Pascal se montre ici un partisan de la générosité au sens cartésien du terme à savoir que, pour l’homme, une décision même risquée est préférable à l’abstention: la générosité pour Descartes, c’est donc d’être toujours ferme dans son jugement. L’homme se doit de suivre une voie avec fermeté; la vertu se confond alors avec la science du meilleur choix, choix qui ne sera pas remis en question. Toutefois, le libre arbitre—“Liberté de franc arbitre [. . .] [qui] consiste seulement en ce que nous pouvons faire une même chose ou ne la faire pas, c’est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir une même chose”29—n’est guère possible dans le pari de Pascal: il y a une contrainte du pari.30 Pour Henri Gouhier, c’est précisément cette obligation qui fait que le pari ne peut rentrer dans la catégorie des jeux (260). Du reste, pour Pascal, dans ce pari, il n’y a qu’une seule solution raisonnable, solution qui consiste à parier pour Dieu, comme on peut le voir au fragment 681: “il n’y a que deux sortes de personnes qu’on puisse appeler raisonnables: ou ceux qui servent Dieu de tout leur cœur parce qu’ils le connaissent, ou ceux qui le cherchent de tout leur cœur parce qu’ils ne le connaissent pas.” En plus d’être contraint de jouer, l’homme sensé n’a pas le choix, il ne peut que parier pour Dieu. Effectivement, parier contre Dieu est impossible, comme le dit Laurent Thirouin: “le pari contre Dieu n’est pas nommé spécifiquement, mais il se confond avec le refus du jeu.”31 Par ses contraintes, le pari de Pascal n’est pas un jeu au sens habituel du terme. Il est en réalité un jeu inconnu avec ses règles propres et

Page 12: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

36 NATAN

inhabituelles, un jeu où les proportions accoutumées ont perdu toute commune mesure: ici, tout se pèse à l’aune de la vie—humaine ou divine?—, et, dans un tel système de valeurs, la volonté, le temps humains sont bien peu de choses. L’image du jeu dans le pari est essentielle à plus d’un titre, le pari étant le point suprême où l’homme par ses seules forces peut arriver en matière métaphysique. Néanmoins, ce qui semblait être au départ un jeu, ce qui paraissait appartenir seulement à la captatio benevolentiæ, cède rapidement le pas au sérieux et à l’urgence. A son destinataire, Pascal dévoile la complexité de la foi: il n’existe pas d’évidences toutes faites, la foi constitue un risque, un pari. Les preuves du christianisme que Pascal a apportées ne peuvent constituer une certitude, elles ne peuvent que faire pencher la balance du côté du christianisme dans le cadre d’un pari. Le pari devient alors un appel à la réflexion, à une prise de conscience, à une remise en cause du choix de l’homme sans Dieu. En outre, pour l’apologiste, le pari est porteur d’espoir: on voit ici tout l’écart qui sépare Pascal janséniste de Pascal apologiste; ce dernier croit qu’il peut conduire l’athée à la foi, et c’est cette croyance même qui justifie son projet. Dieu est un “Dieu caché” qui se laisse néanmoins trouver par ceux qui le cherchent. L’apologiste refuse à cet endroit la seule prédestination: il se révèle optimiste et humaniste. Le pari, c’est également le pari personnel de Pascal qui mise sur le fait que son interlocuteur jouera le jeu jusqu’au bout. Pour gagner son pari, Pascal a produit un texte agréable et ludique, qui s’est placé d’emblée sur le même terrain que les libertins: ils sont joueurs, Pascal jouera avec eux; mais que les libertins, habitués aux jeux, se méfient: ils sont face à un jeu inconnu dont Pascal seul connaît les règles, et dont Dieu seul connaît l’issue. La partie est donc loin d’être facile pour les deux clans en présence: pour Pascal qui veut dompter des intelligences réticentes à toute religion, pour les libertins qui doivent résister au jeu et qui ne voient pas que cette première étape en cache une autre: la prédestination. Pascal, à nouveau, a retourné les choses: c’est par le divertissement qu’il amène chez son lecteur le désir de la foi. Battu sur son propre terrain, le libertin, ne peut qu’écouter un texte fait pour lui, dans un langage qui ne peut que le séduire. Pascal a réussi son pari: il a capté l’attention du libertin. A la grâce maintenant de faire le reste... NOTES 1 Le numéro des fragments des Pensées renvoie à l’édition Philippe

Sellier (Paris: Bordas, 1994); les citations des autres textes de

Page 13: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

Le pari de Pascal 37

Pascal—et l’édition des Pensées de Port-Royal—sont empruntées à l’édition Michel Le Guern des Œuvres complètes, 2 vols. (Paris: Gallimard, 1998–99).

2 Peter Dalton, “Pascal’s Wager: the First Argument,” International Journal for the Philosophy of Religion 7 (1976): 347.

3 Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, vol. 2 (Paris: Albin Michel, 1997) 288.

4 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, vol. 2 (Paris: Robert, 1984). 5 Michel Le Guern, L’Image dans l’œuvre de Pascal (Paris: Armand Colin,

1969) 62. 6 D.A. Askew, “Pascal’s Pari in the Port-Royal Edition,” Australian

Journal of Philosophy 5.1 (1965): 176. 7 Lucien Goldmann, Le Dieu caché (Paris: Gallimard, 1959) 329. 8 Voltaire, Lettres philosophiques (Paris: Mille et une nuits, 1999) 142. 9 Cité par Laurent Thirouin, Le Hasard et les règles (Paris: Vrin, 1991)

169. 10 Charles Journet, Vérité de Pascal (St Maurice: Editions de l’œuvre de

Saint-Augustin, 1951) 47. 11 Blaise Pascal, Pensées et opuscules, éd. Léon Brunschvicg (Paris:

Hachette, 1905) 438. 12 Léon Blanchet, “L’Attitude religieuse des jésuites et les sources du

pari de Pascal,” Revue de métaphysique et de morale 26 (1919): 515. Les sources du pari de Pascal semblent être diverses: pour Léon Brunschvicg, comme il le précise dans son édition des Pensées, il s’agirait de la Théologie naturelle de Raymond Sebond (438); pour Bernard Howells, des Evangiles de Mathieu et de Marc (“The Interpretation of Pascal’s ‘ Pari,’ ” Modern Language Review 79 (1984): 61); pour Michel Bouvier du Psaume 72 (“A propos du Pari de Pascal,” Dix-septième siècle 207 (2000): 339); pour Mochizuki Yuka des Ecrits sur la Grâce (“Sur les deux feuilles de manuscrit du ‘ pari ’ de Pascal,” Etudes de langue et littérature françaises 60 (1992): 40–43); pour Jean Brun, des salons parisiens où les jeux de hasard qui engageaient des paris rencontraient un certain succès (La Philosophie de Pascal, [Paris: P.U.F., 1992] 94).

13 Pas un pouvoir total, étant donné que la raison prouve grâce à des arguments négatifs, reconnaissant seulement l’absence d’erreur comme principe de vérité (Pascal, De l’esprit géométrique 2: 164).

14 La science, qui est une illustration concrète de la raison, est porteuse des avancées que réalise cette dernière, avancées qui distinguent l’intelligence humaine de l’automatisme animal: “Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière” (Pascal, Préface sur le traité du vide 1: 455).

15 En matière religieuse, la raison peut tout de même récuser toute religion qui se caractérise par un amas d’absurdités (fr. 204).

16 René Descartes, Principes (Paris, Paléo: 1999) 55.

Page 14: Le Pari de Pascal: Entre jeu et Argument

38 NATAN

17 Louis Van Delft, Le Moraliste classique (Genève: Droz, 1982) 192. 18 Henri Gouhier, Blaise Pascal: Commentaires, 2e éd. (Paris: Vrin, 1984)

245–306. 19 Marie-Rose et Michel Le Guern, Les Pensées de Pascal (Paris: Larousse,

1972) 54, écrivent, « Au moment de la constitution des liasses, en 1658, Pascal n’y fait pas entrer le fragment du pari. On peut donc penser qu’à ce moment-là il n’a pas l’intention de l’utiliser. En 1662, au lendemain de sa mort, le fragment est retrouvé dans un paquet de papiers dont la destination ne semble pas faire de doute: il s’agit de travaux préparatoires à l’apologie. Il est donc vraisemblable qu’entre 1658 et 1662, Pascal a envisagé d’utiliser l’argumentation du pari, et tout ce qui lui est rattaché, dans sa grande œuvre apologétique. »

20 Pour Jean Mesnard, le pari est plus précisément un dialogue entre Pascal et Mitton, entre Pascal et le chevalier de Méré, représentant tous deux des libertins qui ont pour règle l’honnêteté. Jean Mesnard, Les Pensées de Pascal (Paris: Sedes, 1976) 124, 132–133.

21 Henri Gouhier soutient que les Pensées sont destinées à “un milieu d’hommes cultivés, capables de s’intéresser à la récente astronomie et de suivre une discussion où interviennent les infinis mathématiques” (Préface de l’édition Lafuma des Œuvres complètes de Pascal [Paris: Seuil, 1963] 10). Pour Dominique Descotes, l’argument du pari “ne concerne à aucun titre le chrétien” qui, lui, est certain de l’existence de Dieu. Dominique Descotes, “Sur les arguments mathématiques dans l’apologie de Pascal,” Révolution scientifique et libertinage, éd. Alain Mothu (Brepols: Turhout, 2000) 263.

22 L’édition de 1670 le situe à la section VII (sur un total de XXXII sections).

23 Il le place au fragment 233, à la section III (sur un total de XIV sections) de son édition des Pensées et opuscules (434–41).

24 Il insère le pari au fragment 451 de son édition des Pensées. Blaise Pascal, Œuvres complètes, éd. Jacques Chevalier (Paris: Gallimard, 1991) 1212–16.

25 Dans l’édition Lafuma des Pensées, le pari se trouve aux fragments 418 à 425.

26 Il place le pari au fragment 397 de son édition des Pensées (676–81). 27 Philippe Sellier positionne le pari au fragment 680 de son édition des

Pensées (467–73). 28 Dans les tenants du “many Gods objection,” on trouve Martin, Saka,

Gustason… 29 René Descartes, Méditations métaphysiques (Paris: Nathan, 1995) 71. 30 Laurent Thirouin écrit: “Le pari donne l’exemple d’une de ces

preuves insuffisantes qui n’amènent pas un incroyant à la religion mais qui donnent aux croyants le pouvoir de fonder en raison leur croyance” (Le Hasard 185).

31 Laurent Thirouin, “Propositions sur le ‘ pari ’ de Pascal,” Courrier du centre international Blaise Pascal 16 (1994): 29.