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Le Partenariat Public-Privé au Maroc : Quel avenir ? 2014 Le Partenariat Public-Privé au Maroc, quel avenir ? Abdelatif Laamrani Docteur en droit de l'Université Paris1-Panthéon-Sorbonne Introduction : L’ambition de cette modeste contribution n’est pas de lever le voile entièrement sur la matière des partenariats public-privé, PPP, le lecteur intéressé trouverait une littérature surtout européenne abondante qui défriche le sujet et l’étudie en profondeur. En effet, le PPP fait l’objet actuellement d’un intérêt marqué en Europe, il est même un sujet d’étude « en vogue » puisqu’il n y a pas un mois qui passe sans que l’on assiste à une conférence ou un séminaire qui traite le sujet. L’objet limité de cet article est de s’atteler à la reconstruction conceptuelle de cette pratique au Maroc et à l’explication de ses mécanismes juridiques permettant de transférer le financement, la réalisation et la gestion des équipements publics aux privés, Il s’agit d’éclairer le domaine de ce type de contrats spéciaux 1 de l’Administration, les 1 Yves Gaudemet a écrit : « on a compris que le contrat de partenariat public-privé est une variété particulière de contrat administratif, une 1

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Le Partenariat Public-Privé au Maroc : Quel avenir ? 2014

Le Partenariat Public-Privé au Maroc, quel avenir ?

Abdelatif Laamrani

Docteur en droit de l'Université Paris1-Panthéon-Sorbonne

Introduction :L’ambition de cette modeste contribution n’est pas de lever le voile entièrement sur la matière des partenariats public-privé, PPP, le lecteur intéressé trouverait une littérature surtout européenne abondante qui défriche le sujet et l’étudie en profondeur. En effet, le PPP fait l’objet actuellement d’un intérêt marqué en Europe, il est même un sujet d’étude « en vogue » puisqu’il n y a pas un mois qui passe sans que l’on assiste à une conférence ou un séminaire qui traite le sujet.

L’objet limité de cet article est de s’atteler à la reconstruction conceptuelle de cette pratique au Maroc et à l’explication de ses mécanismes juridiques permettant de transférer le financement, la réalisation et la gestion des équipements publics aux privés, Il s’agit d’éclairer le domaine de ce type de contrats spéciaux1 de l’Administration, les moyens juridiques à travers lesquels elle cherche et mobilise le financement d’infrastructures très importantes.

Loin de constituer un travail de prise de position « idéologique » pour ou contre le mécanisme en tant que tel , il entend mettre à contribution à la fois les outils de droit public et ceux de droit privé afin de dessiner les contours légaux et contractuels de ce montage juridico-financier qui pourrait être une solution aux contraintes du financement classique public des gros projets structurants à travers le budget de l’Etat ou des collectivités territoriales.

Il est certain que lorsque l’autorité compétente, nationale ou locale, entame la procédure légale devant conduire à la décision de ne plus se charger directement d’un service public et d’en confier la gestion à une tierce personne, c’est qu’elle a déjà épuisé un certain nombre de démarches et pris des décisions. En sa qualité de future autorité délégante, elle ne prend la décision de déléguer la gestion du service public, dont elle a la responsabilité, que sous l’effet

1 Yves Gaudemet a écrit : «  on a compris que le contrat de partenariat public-privé est une variété particulière de contrat administratif, une sorte de contrat spécial pour employer la terminologie du droit privé des obligations », in. Partenariat-public-privé, sous la direction d’Ali Sedjari, L’Harmattan, GRET, 2005, p. 210

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conjugué de considérations de contraintes d’ordre économique, techniques et juridique2. Un processus juridique administratif s’enclenchera alors aboutissant in fine à l’adoption de la solution juridique choisie par l’Etat ou la collectivité locale, encadré par les autorités de tutelle, le tout sous le contrôle vigilant du juge.

D’une manière générale, au Maroc, l’Etat est garant d’un certain nombre de services publics, qu’il doit prodiguer aux citoyens, en conformité avec les principes des droits de l’homme auxquels il est tenu constitutionnellement, dans ce sens l’article 154 de la nouvelle constitution de juillet 2011 dispose : «  Les services publics sont organisés sur la base de l’égal accès des citoyennes et citoyens, de la couverture équitable du territoire national et de la continuité des prestations. Ils sont soumis aux normes de qualité, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité, et sont régis par les principes et valeurs démocratiques consacrés par la Constitution ». Le principe proclamé par cet article est d’une importance capitale car les constitutions précédentes ne traitaient pas de cet aspect des services publics sous l’angle des droits de l’homme, ce qui constitue à nos yeux une véritable avancée.

Mais la nouvelle loi fondamentale, ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, en se contentant de la consécration des règles d’égalité, d’équité, et de continuité dans l’accès aux services publics, elle est allée bien au-delà en soulignant que : «  Les services publics sont à l’écoute de leurs usagers et assurent le suivi de leurs observations, propositions et doléances. Ils rendent compte de la gestion des deniers publics conformément à la législation en vigueur et sont soumis, à cet égard, aux obligations de contrôle et d’évaluation. »(article 156), Cette vision nous parait novatrice et audacieuse devant, avec sa déclinaison en des lois organiques et des textes d’application et son institutionnalisation concrète mener à une transformation positive des services publics et des organismes chargés de leur desserte. Dans le même ordre d’idée, le constituant de 2011 a même prévu l’élaboration d’une nouvelle charte des services publics.3

En tout état de cause, le Maroc malgré son choix délibéré du système du marché libre, a depuis bien longtemps fait preuve d’interventionnisme dans des contextes et des circonstances bien déterminés, et l’Etat s’est déclaré désormais le promoteur du développement par une intervention directe dans l'organisation et le fonctionnement de l'économie; c’est ce rôle que traduisait déjà la politique administrative qui va être suivie jusqu'à la fin des années 1980. Le grand changement qui allait se produire alors peut être daté du 8 avri1 1988 et du discours prononcé ce jour là par feu le Roi HASSAN II à l'occasion de l'ouverture de la session de printemps du parlement4

Dans cette optique le Maroc contemporain s’est équipé, avec le protectorat, de services publics modernes en usant du contrat de concession5. Peu avant le protectorat, les premières concessions avaient leurs origines dans le traité d’Al Gésiras de 1906 dont les articles 105 et 106 prévoyaient le recours à des capitaux étrangers pour l’exploitation de services publics. Par la suite la convention de 1911 entre la France et l’Allemagne prévoyait la possibilité d’exploiter les services publics soit par l’Etat soit au moyen de concession au secteur privé.

2 Mohammed Hajji Droit et pratique des services publics au Maroc, de la concession à a gestion déléguée, 1ére Edition 2007, Zaouia. P. 33 Article 157 de la constitution de juillet 20114 B.O. 1990, p, 277. Le discours du Roi a été publié en préambule de la loi sur la privatisation.5 Mohammed Hajji Droit et pratique des services publics au Maroc, de la concession à a gestion déléguée, 1ére Edition 2007, Zaouia. P. 3

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Le traité du Protectorat ouvrait la voie à la concession au profit de sociétés françaises. Ainsi plusieurs contrats de concessions ont été signés6.

Aussi, le Maroc, à partir des années 1980 connaît-il un regain d’intérêt pour la gestion déléguée des services publics, notamment dans les domaines des autoroutes, du transport urbain, de la distribution d’eau, d’électricité, d’assainissement et de collecte des déchets.

Pour le juriste, l’originalité dans ce type de contrats réside dans le fait qu’ils soient à mi-chemin entre l’acte administratif unilatéral 7 et le contrat de droit commun, il est par définition un acte bilatéral, une convention synallagmatique négociée de commun accord entre la personne de droit public et son futur cocontractant. Le principe dit de « privilège du préalable »8 serait alors adouci, aménagé pour s’adapter à la logique du consensualisme et de sa devise « pacta sunt servanda ». Mais le contrat à conclure n’aura d’existence légale que par référence à un ordonnancement juridique étatique. Celui-ci, entendu dans son acception large : législation et jurisprudence déterminera en dernier ressort son régime juridique9, car la condition sine qua non qui autorise un contrat à accéder à « une existence juridique » est sa soumission au moment de sa formation aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur10.

Dans le cadre limité de cet article, nous ne pencherons pas sur toutes les spécificités juridiques qui caractérisent les actes par lesquels l’Etat ou l’un de ses démembrements concède ou délègue un certain nombre de services publics dont il avait la charge originellement. Contentons-nous de souligner que dans le cadre de l’évolution de ce processus au Maroc, on est passé d’un système concessif à un régime de délégation ou de gestion déléguée, à la différence du premier, ce dernier se définit comme étant un acte de dévolution de nature contractuelle11, puisqu’il s’agit bel et bien d’un accord de volonté librement consenti entre deux protagonistes : l’une publique nommé « autorité délégante » , représentée notamment par une ou des communes ou un groupement d’agglomérations, et l’autre privée représentée par « le délégataire ».

Les collectivités locales ont largement utilisé ce mécanisme pour déléguer l’exploitation et l’exécution des services publics locaux, et ce même avant l’adoption du dahir du 14 février

6 En 1914 avec la SMD pour la production et la distribution de l’eau potable dans quatre villes du Royaume chérifien. Pour l’exploitation de la ligne ferroviaire entre Tanger et Fès, en 1916 pour l’exploitation du Port de Casablanca, Fédala et Tanger, en 1920 pour l’exploitation de la ligne ferroviaire entre Fès et Marrakech, entre 1947 et 1950 extension de la concession au profit de la SMD pour la distribution de l’eau potable dans 20 villes.7 Voir pour plus de développements sur la notion d’acte unilatéral et sa relation avec celle de contrat, R.Chaput, Droit Administratif général, Tome 1 Montchrestien, 2001, p. 492, voir également, D. Bénchillon, « Le contrat comme norme dans le droit positif », RFDA, 1992, p.15 ; S. Flogaîtis «  Contrat et acte administratif unilatéral », Mélange Braibant, 1996, p. 229 ; A. de Laubadaire, F. Moderne et P. Devoulvé, Traité des contrats administratifs, LGDJ, 1983, Tome1 ; Y. Madiot, Aux frontières du contrat et de l’acte unilatéral : recherche sur la notion d’acte mixte en droit public français, Thèse LGDJ, 19718 Notion développée par le doyen Hauriou selon laquelle l’acte administratif a dès son entrée en vigueur une autorité immédiate préalable à toute vérification juridictionnelle. Cette règle a été qualifiée par le Conseil d’Etat comme « Règle fondamentale du droit public » dans l’arrêt Huglo de 1982 ( CE, 2 juillet 1982 ,Leb. p. 257 ; AJDA 1982, p. 657, concl. Biancarelli.9 Mohammed Hajji Droit et pratique des services publics au Maroc, op.cit. p. 810 Laurent Richer, Droit des contrats administratifs, LGDJ, EJA 2004, 4ème édition, p. 151.11 J-C Douence, La dévolution contractuelle du service public local, Encyclopédie Dalloz, collection locale 1993, n° 6190-5

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2006 portant promulgation de la loi n° 54-05 relative à la gestion déléguée des service publics12, et la prééminence acquise en pratique par la gestion déléguée dès le début de son application, lui a conféré « une légitimité de fait », en témoigne l’attrait qu’elle a pu exercer sur les édiles locaux.

En tout état de cause, on avait pu écrire par rapport au mécanisme de la gestion déléguée au Maroc, qu’il révèle l’approfondissement des lézardes qui sont apparues dans cette construction, aggravant ce qui est dénommé depuis plus d’un demi-siècle « la crise du service public ». Avec la gestion déléguée, l’acception classique de la notion de service public et ses anciennes modalités d’exécution on t été dépassées, car elles se révèlent impuissantes à contenir les rapides évolutions successives de l’environnement sociétal marqué par la prééminence du libéralisme13.

Dans le même ordre d’idées, et afin de pallier la sclérose du système de concession ou de gestion déléguée « à la française » des auteurs ont proposé l’invention de nouvelles formules, par l’adoption des contrats de « paiement virtuels » ou « Shadow Tolls » 14. Selon les défenseurs de ce mécanisme, la concession classique, présente en ce qui a trait à l’aspect financement des projets, l’inconvénient «  de reporter le financement de l’ouvrage sur l’usager, ce dernier a tendance à le supporter de moins en moins, car il est aussi contribuable »15.

En revanche, dans la concession à « péage virtuels », la redevance est calculée en fonction de l’utilisation de l’ouvrage est perçue auprès de la collectivité concédante. Le taux d’utilisation est mesuré par des instruments appropriés. S’il s’agit d’autoroutes, rocades ou tunnels, la fréquentation est mesurée par des bornes de comptage et la redevance sera un droit de péage16. On remarque également l’apparition de formules novatrices d’origine anglo-saxonne qui commencent à être utilisées au Maroc, en l’occurrence le BOT17 et le BOOT18, qui

12 B.O N° 5404 du 16 mars 200613 A. Mecherfi, Les contrats de gestion déléguée des services publics locaux au Maroc entre droit public et droit privé, in. Revue Marocaine des Contentieux, p. 5414 Didier Linotte et Bruno Cantier, « Shadow Tolls » : le droit public français à l’épreuve des concessions à péages virtuels, AJDA, nov. 2000, p. 863-87215 Ibid.16 Mohammed Hajji,Droit et pratique des services publics au Maroc, op.cit. p. 18317 Build Opérate and Transfer : construire, exploiter et transférer.18 Build Opérate, Own, and Transfer : construire, être propriétaire, exploiter, et transférer, on peut rencontrer plusieurs autres variantes de cette formule comme le BOOST (Build own, operate, subsidize, transfer : construire, être propriétaire, exploiter, subventionner, transférer) ou le DBFO : (Design, buid, finance and operate, pour, concevoir, construire, financer et exploiter), le BOO (Build, own, operate : construire, être propriétaire, exploiter), le « Lease contract » que l’on peut traduire par effermage-Angleterre), le BT(Build and transfer), etc. voir pour plus de développements utiles sur ces différentes formules : Christian BETTINGER, La gestion déléguée des services publics dans le monde : concession ou BOT, Berger-Levrault, 1997 ; AntoineKHYR, Joël MAGDELAINE, Le financement de projet en concession (BOT model) ; BNP Direction du Commerce Extérieur, Cellule Ingénierie Financière, 1988, p. 6 Ole STEEN-OLSEN, The Build – Operate – Transfer (BOT) concept : an overvieu, in The BOT concept and experiences in developing countries, Papers, UNIDO BOT programme, sans année, p. 1 ; Nguyen DINH AI, Mode de financement de projets, contrat de Construction- Opération – Transfert de technologies (BOT), RIDC, n° 4, 1997, p. 883 ; Guidelines for Infrastructure Development through Build- Operate-Transfer (BOT) projects, United Nations Industrial Development Organization (UNIDO), Vienna, 1996, pp. 3 et ss. ; Mark AUGENBLICK and Scott CUSTER, The Build, Operate, and Transfer (BOT) approach to infrastructure projects in developing countries, The World Bank, Working Paper Series 498, 1990, p. 3 ; John E. BESANT-JONES, Private sector participation in power through BOOT schemes, The World Bank, Industry and Energy Department, Energy Series Paper, n° 33, 1990, p. 1 ; Pierre-Henri GANEM, Sécurisation contractuelle des investissements internationaux : grands projets mines, énergie, métallurgie, infrastructures, FEC, Bruylant Bruxelles, 1998, pp. 729 et ss.

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ressemblent plus aux concessions qu’à la gestion déléguée. On distingue la première de la deuxième formule en se basant sur le critère de la durée du transfert : dans le cadre des projets BOT, les biens ayant servi à l’ouvrage, seront transférés au bout de dix à vingt-cinq ans, tandis que dans les BOOT, cette période peut s’étendre jusqu’à cinquante ans.

Ces formules sont conçues pour attirer l’investissement privé dans la construction de nouvelles entreprises, le BOT autorise le secteur privé à construire de nouvelles unités conformément aux normes établies par l’Etat et à l’exploiter sur une période suffisamment longue pour être remboursée de l’investissement initial et réaliser un profit. L’Etat redevient propriétaire au terme du remboursement. Une fois que l’infrastructure a été transférée à l’Etat, le secteur privé peut louer l’infrastructure à l’Etat (contrat de gestion).

La principale différence entre les BOT et la concession est que dans cette dernière les biens nécessaires au service, même ceux financés par le concessionnaire, sont censé appartenir ab initio au concédant, alors que dans les premiers, la fin du contrat est souvent tributaire de la récupération de « la mise » de l’exploitant : «  Le groupement construira et mettra en application le projet qui lui appartiendra pour une période définie entre dix et cinquante ans ou jusqu’à ce que le retour sur investissement prévu ait été atteint.»19

Il faut noter à ce propos que le Maroc a utilisé la formule BOT dans un certain nombre de projets de grande envergure portant essentiellement sur la mise en place d’infrastructures ou la construction d’installations de production d’énergie, tel était le cas du projet de la création puis de l’extension de la centrale électrique de Jorf Lasfar, l’objet du contrat était initialement, la mise en place et l’Exploitation des tranches 1 et 2 ainsi que le Financement, la Construction et Exploitation des Tranches 3 et 4, la durée du contrat s’étalait sur 30 ans, une société « Jorf Lasfar Energy Compagny » (JLEC) a été créée, pour l’occasion, afin de jouer le rôle de l’entrepreneur que détenait le Consortium ABB/CMS, l’helvético-suédois et américain choisi après appel d’offres, le montant de l’investissement était de 1.480 Milliard USD. L’entrepreneur avait comme obligations de : réaliser les tranches 3 et 4 dans les délais contractuels (mises en service respectivement en 2000 et 2001) ; d’exploiter les 4 tranches avec une garantie de performance (disponibilité, consommation spécifique, etc.), L’Office Nationale d’Electricité, l’ONE, s’est obligé à prendre toute la production de la centrale (take or pay) et de payer dans les délais des factures (garanties)20.

Si l’on revenait à l’expression « partenariats public-privé », elle n’est que la traduction française de celle de « public-private partnership » , qui semble être utilisée pour la première fois au sens qui nous intéresse, aux Etats Unis à la fin des années 1970 pour désigner le fait pour des autorités publiques locales de confier à des entreprises du secteur privé le soin de réaliser des investissement nécessaires à certains services collectifs palliant ainsi le progressif désengagement du gouvernement fédéral dans le financement des programmes de développement urbain21. Toutefois, c’est au Royaume Uni que cette pratique trouvera à partir des années 1980 une terre d’élection de premier ordre : incarnant un volontarisme libéral résolument favorable à la pénétration du secteur privé dans l’ensemble des services collectifs

19 Christian Bettinger, La gestion déléguée des services publics dans le monde : concession ou BOT, Berger-Levrault, 1997, p. 101.20 Abdelaziz TALBI, « PPP : l’expérience marocaine », Direction des Entreprises Publiques et de la Privatisation, Rabat, 20-21 mai 2008, p. 1621 G. Marcou, « Le partenariat public-privé : retrait ou renouveau de l’intervention publique ? », in Caisse de Dépôt et des Consignations (CDC) (Dir.), partenariat public-privé et collectivités territoriales, Paris, La Documentation française, 2002, p. 15.

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dépendant de la puissance publique, le gouvernement central les impulsa en vainquant les résistances à l’échelon local, où la gestion directe par les autorités était nettement plus dominante22.

Les deux gouvernements successifs de John Major (1992) et de Tony Blair (1997) ont utilisé le procédé de « public-private partnership » dans le cadre de leur politique dite de « Private Finance Initiative »(PFI), conçue et pilotée par le Trésor britannique, cette politique était inséparable de l’objectif assigné aux autorités publiques de rechercher le meilleur rapport possible entre le coût et les performances des activités dont elles ont la responsabilité (« Best Value for Money »). Plus précisément elle procède de la conviction qu’une amélioration peut être obtenue en chargeant un opérateur du secteur privé de préfinancer, de réaliser, d’entretenir et d’exploiter les investissements nécessaires aux activités dont les autorités publiques sont responsables, moyennant une rémunération dont le montant est susceptible de varier en fonction des performances atteintes par l’opérateur23.

L’originalité de ce mécanisme consistant pour l’opérateur de recevoir sa rémunération sous forme de paiement périodiques de la part des autorités publiques a permis son extension à des domaines jusque là considéré comme une chasse gardée de la puissance publique, comme l’administration pénitentiaire ou la défense. Dans ce sens, si le secteur des transports est celui où le montant total des investissements réalisé dans le cadre d’opérations de FPI est le plus élevé, c’est dans les secteurs de la santé de l’éducation et de la défense que ces opérations ont été les plus nombreuses24.

En France, une ordonnance du 17 juin 200425 a crée, dans le même mouvement général de désengagement de l’Etat, un nouveau contrat administratif appelé contrat de « partenariat » ayant pour objet la dévolution à un opérateur économique d’ « une mission globale ayant pour objet la construction de ou la transformation, l’entretien la maintenance, l’exploitation ou la gestion d’ouvrages, d’équipements, ou de biens immatériels nécessaires au service public, ainsi que tout ou partie de leur financement »26

Il convient de citer une autre définition beaucoup plus large qui corrobore la définition légale apportée par la législation française, mais qui peut faire entrer sous l’appellation « partenariats public-privé » plusieurs instruments juridiques, régissant diverses opérations de partenariat économique « (permettant) à l’administration de tirer profit des capacités de gestion d’une entreprise privée, tenue de trouver les financements les mieux adaptés à son activité, voire d’assurer aux équipements en cause des débouchés autres que ceux qui répondent strictement aux besoins de l’administration contractante27».

22 G. Stocker, « Grande Bretagne : le volontarisme politique » (traduction française G. Belleteste), in. D. Lorrain, G. Stocker (Dir.), La privatisation des services urbains en Europe, Paris, La Découverte, 1995 pp. 61-80 23 E. Muller, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, L’Harmattan, 2012, p. 2524 F. Marty, S. Trosa, A. Voisin, les partenariats public-privé, Paris, La découverte, 2006, pp. 12-1425 Ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat (JORF du 19 juin 2004, p. 10994) modifiée par la loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat (JORF de 29 juillet 2008, p. 12144).26 Article 1er de l’Ordonnance du 17 juin 2004.27 Les Contrats de Partenariat, Principes et méthodes, Document élaboré par le MINEFI, www.ppp.minefi.gouv.fr, consulté le 19-12-2013

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Au Maroc, un projet de loi (n° 86-12) régissant les partenariats public-privé 28,- est en cours d’adoption, l’exposé des motifs de ce texte, explique les arguments derrière ce choix : « Le recours au Partenariat Public-Privé permet de bénéficier des capacités d’innovation du secteur privé et de garantir contractuellement l’effectivité des services, leurs fournitures dans les délais et avec la qualité requise et leurs paiements partiellement ou totalement par les autorités publiques en fonction des critères de performance prédéfinis. »29 Aussi, le Royaume a-t-il déjà recouru à ce type de montage juridico-financier pour la réalisation de 11 grands projets, et ce depuis 1997, pour une enveloppe globale de 67 milliards de DH30

Cette première tentative d’encadrement légal de l’activité des partenariats public-privé matérialisée avec un texte embryonnaire31 qui devait en déterminer le schéma général, les principes de base, ainsi que les obligations des parties. On voit bien le mimétisme juridique du législateur marocain qui s’inspire largement en cela de la méthode de son homologue français, qui pour permettre le développement des partenariats public-privé, a choisi de créer un nouveau contrat administratif dédié spécialement à ce genre d’opérations. « En agissant de la sorte, les pouvoirs publics ont fait l’économie d’une réflexion d’ensemble sur les réformes que supposerait, en droit français, la mise en œuvre d’une véritable politique générale de partenariats public-privé à la manière de la Private Finance Initiative britannique.32 »

Cette réflexion est un exercice, d’autant plus nécessaire et aurait pu être méritoire au Maroc, quand on sait l’importance qu’accorde Sa Majesté le Roi à la réalisation de grands projets structurants, aux réformes juridiques et institutionnelles devant les accompagner33, et surtout à l’identification « des alternatives de financement susceptibles d'imprimer une forte impulsion aux stratégies sectorielles et développer les mécanismes de contractualisation et de partenariat public-privé dans le but d'optimiser les investissements.34 »

Toutefois, ne nous attacherons pas à étudier la problématique des financements alternatifs des grands projets d’infrastructure et des services publics au Maroc, une telle perspective déborderait largement sur le cadre limité de cette contribution, nous ne pencherons pas non plus sur les mécanismes de fonctionnement de certaines formes de montages juridico-28 Qui a déjà été « révisé », vu les erreurs flagrantes que comportait un premier projet de loi -  Pour définir l’équilibre du contrat, l’article abordant le partage des risques renvoyait à l’article 14 qui traitait les modalités de rémunération, n’évoquant à aucun moment la question d’équilibre. L’avant-projet de loi était, en effet, flou, vague et peu précis29 Secrétariat Général du Gouvernement, texte du projet de loi n° 86-12, présenté par le ministère de l’Economie et des Finances, Direction des Entreprises Publiques et de la Privatisation.30 Partenariat Public-Privé, Une première étape pour le projet de loi, in L’Economiste n° 3939 du 28 Décembre 201231 Le projet de loi marocain qui s’inspire pour ne pas dire qui reprend les grandes lignes et la terminologie de l’ordonnance française du 17 Juin 2004, comporte, comme celle-ci 29 articles qui sont, toutefois, plus succincts et ne s’intègrent pas comme l’ordonnance française dans un texte plus global qui est le code des Collectivités territoriales.32 E. Muller, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, L’Harmattan, 2012, p. 3033Sa Majesté le Roi soulignait ainsi dans son discours du 30 juillet 2012, à l'occasion de la fête du Trône que  : «Le marasme économique que connaît le monde depuis 2008, et les changements qu'il a entrainés dans les relations internationales du fait de la mondialisation, ainsi que les mutations sociales et politiques qui sont à l'œuvre dans notre environnement régional, sont autant de facteurs qui nous incitent à poursuivre les réformes, et nous confortent dans notre conviction quant à la pertinence des choix socio-économiques qui sont les nôtres depuis longtemps. Ces choix nous ont permis de lancer de grands chantiers de nature à renforcer les infrastructures et les équipements de base dont a besoin notre pays, et ce, dans le cadre de stratégies sectorielles qui ont été mises au point selon des paramètres efficients, afin de concrétiser les objectifs escomptés.»34 Note de présentation du projet de loi de finances pour l’année 2013, http://www.finances.gov.ma. Consulté le 19-12-2013

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financiers complexes scellant un rapport entre des personnes morales de droit public et des acteurs de droit privé, et pouvant être apparentées à des partenariats public-privé. La finalité de ce papier est bien plus modeste, elle vise à brosser un tableau synthétique de deux aspects : le premier concerne l’adoption d’un cadre législatif favorable au développement des partenariats public-privé et le second s’intéresse au support contractuel de ceux-ci. Afin de répondre ultimement, à cette double question de nous nous proposons d’apporter un éclairage à travers les deux parties qui suivent. PREMIERE PARTIE- LA CONSTRUCTION D’UN CADRE REGLEMENTAIRE ADEQUAT(OU L’ELABORATION D’UN REGIME JUIRDIQUE COMMUN)

Un cadre législatif et réglementaire spécifique aux partenariats public-privé est de nature à favoriser la clarté et la sécurité du système sous tendant ces opérations, qui sont des conditions nécessaires à la réussite d'un programme de partenariat public-privé (PPP). L'existence d'une loi sur les PPP, même si elle n’est pas en soi un pré-requis indispensable 35, peut contribuer à rendre un pays attrayant pour les investisseurs en ce qu’elle enrichit ou clarifie le cadre législatif applicable aux partenariats public-privé. Cela permet également d’éviter d’avoir à s'appuyer sur le droit commun qui ne traite pas des spécificités et n’est pas destiné à résoudre les problèmes juridiques propres aux partenariats public-privé.

Sur le plan économique, investisseurs et bailleurs de fonds chercheront légitimement à être « rassurés par l’existence d’une loi applicable à leurs contrats qui leur procure une protection adaptée et par là, la possibilité de régler les litiges de façon impartiale et efficace.36 »

Au demeurant, pour ce genre d’opérations, le Maroc s’est contenté jusqu’à maintenant du cadre législatif général puisé d’une part, des règles générales de droit commun et d’autre part, de celles applicables à la gestion déléguée des services publics que représente la loi du 14 février 200637 et aux conditions et formes de passation des marchés de l'Etat fixées par un décret de 200738, ainsi qu’à un certain nombre de lois régissant des domaines comme l’eau39, les ports40.

Or, une loi qui traite spécifiquement des partenariats public-privé permet d’éviter d’avoir à s'appuyer sur l'interprétation incertaine de lois régissant la commande publique pour les

35 Notons à cet égard qu’au Royaume-Uni, par exemple, l'absence de loi spécifique n'a pas entraîné une absence de cadre structuré pour les PPP, car la jurisprudence et les manuels – notamment les dispositions contractuelles et les commentaires de la Standardisation of PFI Contracts (standardisation des contrats de PPP) version 4, ouSoPC4 – donnent aux pouvoirs adjudicateurs des indications détaillées et constituent un point de référence pour les soumissionnaires et les contractants. Mais nous pensons que cela est dû principalement à la particularité de la tradition juridique de la Common Law, législation à composantes non écrites. Le système juridique marocain lui est d’inspiration française où la règle écrite constitue une composante essentielle. 36 « Étude sur les cadres juridique et financier des PPP dans les pays partenaires méditerranéens. », Volume 1 – Une approche régionale, FEMIP, Facilité Euro-méditerranéenne d’Investissement, p.4137 Dahir n° 1-06-15 du 14 février 2006 portant promulgation de la loi n° 54-05 relative à la gestion déléguée des services publics38 Décret n° 2-06-388 du 5 février 2007 fixant les conditions et les formes de passation des marchés de l'Etat ainsi que certaines règles relatives à leur gestion et à leur contrôle. Bulletin Officiel n° 5518 du 19 avril 2007.39 Loi n° 10-95 sur l’eau, adoptée le 15 juillet 1995.40 Dahir n° 1-05-146 du 23 novembre 2005 portant promulgation de la loi n° 15-02 relative aux ports et portant création de l'Agence nationale des ports et de la Société d'exploitation des ports.

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marchés d’équipements en général ou les marchés de biens et services. L’existence d’une multiplicité de lois régissant le domaine est de nature à exacerber l’incertitude juridique. Ce que le législateur cherchait justement à éviter. Puisqu’il ne serait pas toujours aisé de distinguer quelle loi doit s'appliquer à un projet particulier et cela peut créer des difficultés au fur et à mesure du déroulement des programmes de partenariats public-privé.

Comme il est souligné précédemment, l’adoption d’un cadre législatif écrit n’est ni un gage garantissant la sécurité des opérations de partenariat ni une condition préalable à leur réussite, elle faciliterait, tout au moins, leur développement grâce « aux signaux » qu’elle enverrait au monde des investisseurs et autres opérateurs économiques, reçus comme une indication de la volonté politique de l’Etat de s'intéresser aux partenariats public-privé, et une mesure d’incitation et de soutien au cadre politique plus général de l’activité des partenariats.

Une législation sur les partenariats public-privé peut favoriser grandement leur développement si  elle incluait des dispositions claires et complètes et fournissait des orientations législatives globales sur les questions principales. Et se prononce, de surcroit, entre autres, sur les obligations des collectivités publiques en matière de faisabilité et de consultations, les procédures de commande publique, les questions à aborder dans les clauses contractuelles, les paiements, le cadre institutionnel et la durée des projets. Une législation de base sur les partenariats public-privé se doit d’être étayée par des textes d’application (règlements ou décrets d'application pour traiter des détails, par exemple). Les textes d’application doivent être mis en œuvre rapidement pour éviter incertitudes et décrochages et être régulièrement révisés pour que l'évolution des conditions de marché soit prise en compte41.

Il convient d’analyser l’état des lieux actuel au Maroc (Section1) avant d’examiner les conditions nécessaires à la mise en ordre d’un cadre juridique adéquat des opérations de partenariats public-privé (Section 2).

Section 1 : Etat des lieux actuel et approches comparées

Paragraphe I- Etat des lieux

Un projet de texte de loi portant le numéro 86-12 préparé par la Direction des Entreprises publiques et de la Privatisation (DEPP). Que contient ce projet de loi ? L’économie générale de ce texte est organisée autour de quelques grands principes, inspirés des expériences considérées comme réussies par les rédacteurs en la matière et répondant aux préoccupations à la fois de l’administration publique que des opérateurs privés.

Ce projet de loi a été adopté en conseil du gouvernement du 27 décembre 2012. Le texte, présenté par le ministre de l'Economie et des finances, comme ayant pour objet de mettre en place un cadre juridique unifié et incitatif du partenariat public- privé, renforcer les conditions de la concurrence, améliorer le climat des affaires et répondre aux besoins des investisseurs en vue d'offrir des prestations et des infrastructures socio-économiques de qualité et à moindre coût, sous la responsabilité de l'Etat. 41 « Étude sur les cadres juridique et financier des PPP dans les pays partenaires méditerranéens. », op.cit, p.41

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Toujours selon les rédacteurs du projet de loi, celui-ci devrait prévoir également le partage des risques se rapportant aux services entre les secteurs public et privé, de manière à répondre dans les plus brefs délais aux attentes croissantes de la société en matière de prestations publiques et surmonter le problème de l'insuffisance des ressources financières disponibles. De même, le recours à ce type de partenariat devrait permettre de tirer avantage du potentiel d'innovation du secteur privé et de garantir des prestations selon des formules contractuelles, à fournir dans les délais raisonnables et à bas coût, moyennent rémunération payée entièrement ou partiellement par les pouvoirs publics. Aussi, a-t-on attribué à cette mouture la possibilité de contribuer à l'amélioration de la pratique de contrôle des prestations fournies par les administrations publiques à travers le caractère obligatoire du contrôle et de la vérification des contrats de partenariat, notamment les conditions et les dispositions de leur élaboration

Le projet précité, particulièrement attendu, prévoit un régime juridique de contrats globaux par lesquels l’administration pourrait confier à des opérateurs économiques privés la conduite de projets complexes sans déléguer la gestion de service public. La durée de ces contrats de partenariat à été fixée entre 5 ans (durée minimale) à 30 ans (durée maximale) de façon à différencier les contrats de partenariat des modalités de conclusion des marchés publics. Ce plafond de 30 ans pourrait être porté à 50 ans selon la nature du projet, aux fins notamment d'assurer au mieux l'opération de cession des investissements réalisés, au profit du partenaire privé.

Le projet de loi sur les PPP, commence par définir dans son premier article le contrat de partenariat public-privé, comme étant  « un contrat administratif, de durée déterminée, par lequel une personne publique confie à un partenaire privé la responsabilité de réaliser une mission globale de conception, de financement de tout ou partie, de construction ou de réhabilitation de maintenance et/ou d’exploitation d’un ouvrage ou infrastructure nécessaire à la fourniture d’un service public. »

Cette première définition s’inspire clairement de l’article 1er de l’ordonnance française n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, qui est, elle, beaucoup plus complète et couvre toutes les éventuelles interventions du partenaire privé, et inclut même dans son énumération des opération concernées celles portant sur des « bien immatériels », la personne publique pourrait être l’Etat ou un établissement public de l’Etat.

Soulignons ici notre désaccord par rapport à l’approche des rédacteurs du texte marocain, étant donné, qu’ils ont choisi dans le premier article de parler d’ « une personne publique », afin, vraisemblablement de ne pas citer tous les intervenants de droit public qui pourraient passer des contrats de partenariat, mais, acculés à définir cette « personne publique », ont cité : «  l’Etat, les établissements publics de l’Etat et les entreprises publiques ». Cette omission est regrettable puisqu’elle ignore la distinction entre l’établissement public qu’il soit à caractère administratif ou industriel ou commercial (EPIC), et les collectivités territoriales qui ne sont pas inclues dans cette énumération.

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Il serait souhaitable que le texte de loi inclue les collectivités territoriales, régions, préfectures et provinces, et communes, d’autant plus que la nouvelle constitution de 201142, a émancipé leurs conseils respectifs d’une tutelle étatique qui était trop contraignante visant une décentralisation plus affirmée.

Ensuite, le projet de loi, érige comme principe fondamental des PPP la règle de l’évaluation préalable et parait même en faire un élément décisif de distinction avec les autres formes de conventions de gestion déléguée de service public. Cette règle consiste pour la personne publique à exprimer clairement son besoin, à présenter une analyse complète comparative des autres formes possibles de réalisation du projet pour justifier le recours au PPP. Cette analyse doit respecter certains impératifs : tenir compte de la complexité du projet, son coût global, le partage des risques, le niveau de performance attendu, la satisfaction des usagers, et le développement durable.

Le projet de loi nous apprend que les conditions et les modalités de l’évaluation préalable seront fixées par un texte réglementaire.

Les principes auxquels sont soumis les contrats de PPP sont : la liberté d’accès, l’égalité de traitement, l’objectivité, la concurrence, la transparence, et le respect des règles de bonne gouvernance. On comprend facilement que le souci de l’administration serait non seulement de trouver le partenaire privé capable de mener à bien la mission de service public tout en assurant son efficience et sa rentabilité, mais aussi que la passation des marchés de partenariat soit entourée de certaines précautions juridiques et étiques, en conformité essentiellement avec les principes susmentionnés.

En ce qui a trait au mode de passation des contrats de partenariats, le projet de loi prévoit limitativement trois modalités à savoir : le dialogue compétitif, l’appel d’offres, et la procédure négociée.

Le dialogue compétitif est « une procédure qui permet à la personne publique, sur la base d’un programme fonctionnel établi par elle, et suite à un avis de publicité, d’engager des discussions avec des candidats en vue d’identifier la ou les solutions susceptibles de répondre à ses besoins »43

Dans le droit des marchés publics on considère cette procédure comme s’appliquant «  uniquement dans les secteurs classiques. Dans les secteurs spéciaux en effet, la procédure négociée est un des modes normaux de d’attribution du marché de sorte que le besoin d’une procédure spécifique, mêlant certaines particularités de l’appel d’offres et de la procédure négociée ne se justifiait pas. »44

Il s’agit là d’une nouvelle procédure de passation de marchés publics, puisque le décret de 5 février 2007 fixant les conditions et les formes de passation des marchés de l'Etat45 ne la 42 En effet, la constitution de juillet 2011 dans son article 138 dispose que désormais : « les présidents des Conseils régionaux et les présidents des autres collectivités territoriales exécutent les délibérations et décisions de ces Conseils. » 43 Article 5, 2ème alinéa du projet de loi 86-12 précité44 Patrick Thiel et Virginie Dor, le nouveau régime des marchés publics: principales innovations introduites par les lois des 15 et 16 juin 2006, Editions Kluwer, 2007, p. 13045 Décret n° 2-06-388 du 16 moharrem 1428 (5 février 2007) fixant les conditions et les formes de passation des marchés de l'Etat ainsi que certaines règles relatives à leur gestion et à leur contrôle.

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connait pas, il se contentait dans son article 16 d’énumérer les trois types de passation classiques, à savoir : l’appel d'offres ; le concours ; la procédure négociée. On a pu justifier l’introduction d’une telle procédure par le constat que les anciennes procédures n’offraient pas une flexibilité suffisante en cas de projets particulièrement complexes ne pouvant pas faire l’objet d’une procédure négociée. A l’exception des cas limitativement énumérés de procédure négociée, la réglementation relative aux marchés publics ne permettait pas aux acteurs de bénéficier des avantages de la liberté contractuelle46. Le Conseil d’Etat français avait noté à cet effet que : «  c’est un peu comme si on faisait expier aux décideurs publics le péché originel supposé d’une incapacité à négocier, voire d’une malhonnêteté foncière.»47

Les rédacteurs du projet de loi marocain, avaient certainement voulu, à l’instar de leurs compères européens « contourner » les directives des modes de passation classiques, pour répondre particulièrement à une double préoccupation : premièrement, aux attentes des personnes publiques dans certains domaines de pointe, où elles connaissaient leurs besoins mais ignoraient à l’avance la meilleure solution pour les satisfaire. Et deuxièmement, l’administration qui réalise des projets exceptionnellement complexes, peut sans qu’elle fasse l’objet d’aucune remontrance, être dans l’impossibilité objective de définir les moyens à même de satisfaire ses besoins, ou d’évaluer ce que le marché peut offrir en termes de solutions techniques ou de montages juridico-financiers novateurs. Dans de telles situations qu’on rencontre dans les projet d’envergure portant sur la réalisation d’importantes infrastructures, de transport multimodal, de grands réseaux informatiques et de télécommunication ayant tous un besoin important de financement intégré, complexe et structuré et dont le montage juridique ne peut être fixé en amont. La négociation directe entre acheteurs publics et fournisseurs privés s’avère alors nécessaire.

Les rédacteurs du projet de loi marocain, ont ouvert le dialogue compétitif sur tous les points. La personne publique peut de cette manière, dans le règlement de consultation, réduire le nombre de candidats par étapes successives et continuer le dialogue sur la base d'une liste restreinte. Au terme des discussions, la personne publique invitera les candidats à remettre leur offre finale sur la base de la ou des solution(s) arrêtée(s) au cours du dialogue. La ou les solution (s) doivent être traduite dans le cahier des charges accompagnant le règlement de consultation.

Les deux autres modes de passation prévus pour les partenariats, ne présentent pas de nouveauté, il s’agit de l’appel d’offres et de la procédure négociée. Les deux étaient déjà, comme nous l’avions souligné, prévus par le décret de 5 février 2007 fixant les conditions et les formes de passation des marchés de l'Etat.

L’appel d’offres est une procédure par laquelle, la personne publique choisit, suite à un appel public à la concurrence, l'offre économiquement la plus avantageuse. En effet, après remises des offres finales des candidats, la personne publique peut demander des clarifications, des précisions, des compléments ou des perfectionnements concernant les offres déposées par les candidats ainsi que la confirmation de certains engagements, notamment financiers, qui y figurent. Cependant ces demandes ne peuvent avoir pour effet de modifier des éléments fondamentaux de l'offre ou des caractéristiques essentielles du contrat dont la variation est susceptible de fausser la concurrence ou d'avoir un effet discriminatoire.48

Bulletin Officiel n° 5518 du 19 avril 200746 Patrick Thiel et Virginie Dor, le nouveau régime des marchés publics, op.cit. idem.47 Rapport Collectivités publiques et concurrence, EDCE, n° 53, Doc. Fr., 2002.48 Article 6 du projet de loi.

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Quant à la procédure négociée, il s’agit pour l’administration publique de procéder à la négociation des conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques. Un contrat de Partenariat Public-Privé peut être passé, par voie de procédure négociée dans les cas suivants:

• Le service ne peut être réalisé ou exploité, pour des considérations techniques ou juridiques, que par un seul opérateur privé ;• L'urgence résultant d'événements imprévisibles pour la personne publique;• Les raisons de défense nationale ou de sécurité publique.

Les mêmes règles présidant à l’attribution des marchés publics classiques sont suivies également pour les partenariats, à savoir l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères arrêtés préalablement. Cela signifie que le règlement d'appel à la concurrence mentionne les critères économiques et qualitatifs à retenir pour évaluer les offres. Ces critères doivent être objectifs, non discriminatoires, ayant un rapport avec l'objet du contrat de Partenariat Public-Privé et portent, notamment, sur la capacité de réalisation des objectifs de performance, le coût global de l'offre, les exigences du développement durable, le caractère technique innovant de l'offre et, le cas échéant, les mesures prises pour la préférence en faveur de l'entreprise nationale dans les conditions fixées par voie réglementaire.

L’originalité du texte réside dans l’obligation de l’adjudicateur public d’informer dans un délai déterminé les autres candidats du rejet de leurs offres (article 8), il aurait été souhaitable que la loi l’oblige également à souligner les critères suivis pour la sélection du candidat ayant remporté le marché et des raisons spécifiques justifiant le rejet de ceux éconduits.

Une nouveauté phare du projet de loi sur les partenariats se rapporte à ce que le texte appelle « l’offre spontanée », ainsi, « la personne publique peut être saisie d'un projet d'idées innovantes sur le plan technique, économique ou financier, par un opérateur privé dit « porteur d'idée »49 en vue de le réaliser dans le cadre d'un contrat de partenariat Public-Privé. »

Cette disposition s’est inspiré de l’article 10 de l’ordonnance française précitée n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat qui dispose que : « Lorsque la personne publique est saisie d'un projet par une entreprise ou un groupement d'entreprises et qu'elle envisage d'y donner suite en concluant un contrat de partenariat, elle conduit la procédure de passation dans les conditions prévues par les articles 2 à 9 de la présente ordonnance.Dès lors qu'il ne se trouve dans aucun des cas d'exclusion mentionnés à l'article 4 et qu'il dispose des capacités techniques, professionnelles et financières appropriées, l'auteur du projet est admis à participer aux procédures prévues à l'article 7 de la présente ordonnance. La communication à la personne publique d'une idée innovante, qui serait suivie du lancement d'une procédure de contrat de partenariat, peut donner lieu au versement d'une prime forfaitaire. »

Une offre spontanée consiste à saisir une personne publique d’un projet de contrat de partenariat en vue de réaliser un investissement qui doit être le support de l’exercice de sa ou ses missions de service public.50 Cette offre spontanée peut être, soit « classique », c’est-à-dire une offre visant à la réalisation d’un investissement en CP ne présentant aucun caractère

49 Article 9 du projet de loi.50 Mission d’appui aux partenariats public-privé, Note numéro MAPPP/12-6. France.

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innovant en termes de fonctionnalités techniques ou économiques, soit « innovante », c’est-à-dire une offre visant à la réalisation d’une opération présentant des fonctionnalités nouvelles, des services nouveaux ou des innovations techniques au niveau d’un marché ou d’un secteur donné, il peut s’agir par exemples de projets innovants dans le domaine de l’éclairage, de la génération d’électricité ou de réseaux de télécommunication, etc.

La procédure de l’offre spontanée au Maroc est originale aussi bien en droit qu’en pratique. En droit marocain des contrats, l’on sait que généralement lors des négociations précontractuelles, ou des pourparlers les parties ne sont pas tenues l’une envers l’autre à la conclusion du contrat définitif à moins qu’il y ait signature d’un protocole d’accord comportant des obligations réciproques prégnantes, et que les négociations soient arrivées à un stade avancé ayant justifié pour l’une des parties de commencer à acquérir un matériel onéreux ou des machines en vue de commencer l’exploitation. L’article 26 du Dahir des Obligations et des Contrats est explicite à cet égard : « la proposition est révocable, tant que le contrat n'est point parfait par l'acceptation ou le commencement d'exécution entrepris par l'autre partie. ».

En fait, on assiste à ce stade des pourparlers, à une confrontation entre deux principes fondamentaux du droit des contrats, en l’occurrence la liberté de négociation et celui de bonne foi en vertu de l’article 231 du D.O.C : « tout engagement doit être exécuté de bonne foi, et oblige, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l'usage ou l'équité donnent à l'obligation d'après sa nature ». De plus, celui qui abuse de son droit de négocier librement et fait preuve de malhonnêteté, engage sa responsabilité quasi-délictuelle (article77 du D.O.C et 1382 du Code civil français).

Toutefois, si la détermination du caractère abusif de la rupture intempestive des pourparlers ne pose pas de problème, se prononcer sur le caractère indemnisable du préjudice causé à celui qui se voit écarter des négociations sans motif valable. En fait, la jurisprudence française notamment a pendant longtemps exprimé des divergences notables, en voulant répondre à ce questionnement, une divergence qui opposait la troisième chambre de la Cour de cassation qui avait admis la réparation de la perte d’une chance de matérialiser la convention prévue et la chambre commerciale pour qui la perte d’une chance ne peut être indemnisée. Toutefois, dans un arrêt rendu le 28 juin 200651, la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est finalement ralliée à la position de la chambre commerciale.

L’offre spontanée prévue dans le cadre d’une opération de partenariat dépasse tout ce débat, puisque premièrement elle peut être rejetée sans que l’adjudicateur public n’encourt aucune responsabilité vis-à-vis du porteur d'idée concerné.(article9) et deuxièmement parce qu’elle serait rémunérée, « Dans le cas où le porteur d'idée n'est pas retenu en tant qu'attributaire, à l'issue de la procédure du dialogue compétitif ou de l'appel d'offres, la personne publique peut lui verser une prime forfaitaire. »

Dans le cas où la personne publique décide de donner suite à l'offre spontanée, elle procède à la réalisation de l'évaluation préalable mentionnée précédemment et lance la procédure du dialogue compétitif ou de la procédure d'appel d'offres.

51 Arrêt n° 793 du 28 juin 2006, Cour de cassation - Troisième chambre civile, société Antineas SARL contre société civile immobilière Longson SCI et autres

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L’originalité de la procédure de l’offre spontanée ne doit pas cacher ses risques pour l’administration adjudicatrice. En effet, celle-ci serait appelée à verser une indemnité ou prime forfaitaire au porteur d’idée innovante même au cas où elle ne lui attribue pas le projet, ce qui pourrait inciter des candidats peu vertueux à multiplier des offres spontanées, sans valeur ajoutée, en ne visant par là que la prime forfaitaire. Il en découle que l’administration doit faire preuve de vigilance et se faire accompagner, tant que faire se peut, par un conseiller juridique, afin de traiter de manière préventive tous les risques liés à ce genre de procédure.

Paragraphe II- Approches comparées

Il est un fait certain qu’aujourd’hui l’intérêt du droit comparé n’est plus à démontrer. Instrument de compréhension et sans doute de coopération internationale, cette matière tend « à éclairer les juristes sur le rôle et la signification du droit »52. Il permet également aux juristes d’envisager l’amélioration de leurs droits internes et surtout de faciliter une harmonisation de ceux-ci en isolant leurs points d’accord et d’achoppement sur certaines questions telle la validité, la nullité, la vie et la fin du contrat.

Par ailleurs, la tradition juridique d'un pays a un impact sur sa façon de mettre en place une loi spécifique pour les PPP. Deux grandes approches principales sont suivies A) mise en place d'une législation spécifique aux PPP (privilégiée dans les pays de droit civil) ; et B) réglementation individuelle des PPP par contrat (privilégiée en pays de droit coutumier comme le montre l'expérience du Royaume-Uni). Il s’agit de la tradition civiliste française et de celle anglo-saxonne de la Common law

A- Tradition juridique civiliste

C’est le système juridique appelé romano-germanique ou continental que l’on oppose généralement au système anglo-saxon. Il s’agit de législation se référant à la règle juridique écrite de droit civil par opposition au droit coutumier.

Les juridictions de droit civil s'appuient sur des lois écrites et les projets de PPP sur des règles de droit explicite. Les dispositions contractuelles conclues par le pouvoir adjudicateur et le partenaire privé ainsi que l'interprétation qui en est faite proviendront de la législation (par opposition, par exemple, au principe de droit coutumier selon lequel l'intention des parties au contrat a la priorité en matière d'interprétation des dispositions contractuelles)53.

Toutefois, s’agissant du cadre législatif régissant les PPP, cette approche comparative est moins rigoureuse, puisque quelque soit le système juridique auquel adhère le pays, droit coutumier ou droit civil, tout dépend de la volonté gouvernementale à orienter l’investissement dans un sens ou dans un autre. Le Royaume-Uni, par exemple, suit l'approche du droit coutumier et n'a pas de loi spécifique globale sur les PPP. Le pays a cependant une législation qui concerne les projets de type PPP et (ou) les personnes publiques passant des contrats de PPP. Dans le même sens en France, «  l’existence d'une règlementation spécifique sur les PPP n'empêche pas les contrats d'être aussi précis que

52 David et Jauffret-Spinosi, les grands systèmes de droit contemporains, Dalloz, 10ème éd., n° 13 p.1353 « Étude sur les cadres juridique et financier des PPP dans les pays partenaires méditerranéens. », op.cit, p.42

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possible, de façon à réduire au maximum le recours aux tribunaux pour combler des lacunes, ce qui pourrait être source d’incertitude. 54»

En ce qui a trait aux contrats de partenariats, le modèle français, peut être considéré comme un archétype juridique, dans la mesure où il a combiné des règles de droit privé à des règles de droit public afin d’alléger les contraintes qu’imposaient la législation sur les marchés publics et permettre ainsi à l’administration un recours fréquent et commode à des techniques modernes de partenariat dans la réalisation d’infrastructures d’accueil, que ce soit dans le domaine hospitalier, universitaire, industriel, ou autre.

La seule critique que l’on a pu faire à ce système réside dans l’inexistence ou le manque de mesures permettant le suivi et le contrôle de l’exploitation sur de longues périodes exposant les matériaux et les appareils installés par le prestataire privé à l’usure du temps ou à la détérioration due à des usages non conformes, ce qui a posé avec acuité le problème de la maintenance des équipements. C’est pour cela que l’ordonnance de 2004 a porté une attention particulière à ce genre de problème, et a prévu la clause liée à « l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages » comme clause obligatoire. Et les contrats reprennent ce point avec plusieurs détails comme obligation à la charge du partenaire privé.

B- Tradition juridique de Common Law

Avant de traiter du contrat particulier de partenariat qui nous intéresse ici, soulignons que la notion de contrat même et le fondement de sa force obligatoire en droit anglais et en droit américain, sont largement façonnés par l’histoire du droit anglais car, comme le note le un auteur : « l’histoire du droit anglais en matière de contrat permet seule de comprendre […] la notion même de contrat »55. Or, cette histoire est également celle du droit américain des contrats (tout au moins jusqu’à la fin du XVIIIème siècle)56.

La common law, et le droit des contrats qui s’y soumet, s’est développée à la lumière et conformément à la procédure. La maxime remedies precede rights exprime bien cette idée : pour pouvoir obtenir la sanction de ces droits, la partie devait se trouver dans l’un des cas types pour lesquels une procédure avait été instituée et sanctionnée par un precedent. Elle devait solliciter un writ du Chancelier afin de pouvoir introduire une action devant les tribunaux du Roi, qui administraient la common law.

A l’origine les contrats n’intéressent guère les Cours Royales. Ainsi, au XIIème siècle les conventions privées ne sont pas, de façon générale, sanctionnées dans les cours du Roi. D’ailleurs, les writs existants à l’époque ne concernent les contrats que de manière indirecte. L’exécution du contrat pouvait être obtenue en raison de l’accomplissement d’une certaine prestation6, d’une formalité particulière. L’exécution du contrat, dans tous ces cas, n’est pas fondée sur l’idée selon laquelle les engagements pris doivent être tenus (pacta sunt servanda).

Si l’on revenait aux contrats de partenariats, les juridictions de droit coutumier ou de Common Law ont une approche moins normative que les juridictions de droit civil. L'absence de loi spécifique ne signifie pas nécessairement qu'il n'existe pas de cadre structuré pour les PPP. Réglementer les projets par les contrats offre une latitude et une flexibilité propices à l'innovation contractuelle et financière. Cette approche permet en outre la mise au point et la 54 Op.cit. Idem.55 David et Pugsley, les contrats en droit anglais, LGDJ 1985, p. 1856 David et Jauffret-Spinosi, les grands systèmes de droit contemporains. Op.cit. idem

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diffusion de bonnes pratiques par la rédaction de clauses contractuelles standards communes aux projets de PPP similaires.

En pratique, la différence entre approches est moins rigoureuse, quel que soit le système juridique auquel adhère le pays, droit coutumier ou droit civil. Le Royaume-Uni, par exemple, suit l'approche du droit coutumier et n'a pas de loi spécifique globale sur les PPP. Le pays a cependant une législation qui concerne les projets de type PPP et (ou) les personnes publiques passant des contrats de PPP. De même, en France, l’existence d'une règlementation spécifique sur les PPP n'empêche pas les contrats d'être aussi précis que possible, de façon à réduire au maximum le recours aux tribunaux pour combler des lacunes, ce qui pourrait être source d’incertitude.

En définitive, le contrat de partenariat en droit anglo-saxon ne déroge pas aux principes généraux du droit contractuel dans la Common law, c'est-à-dire au lieu de se soumettre à des lois écrites édictant des règles précises, il a plutôt tendance à encadrer légèrement par les précédents tous les nouveaux contrats de partenariat qui sont autant d’actes juridiques sui generis , à travers les modèles de la « Private Finance Initiatives », ce qui signifie que tout projet donne lieu à une convention spécifique de Partenariat.

Section 2 : Conditions de l’élaboration d’un cadre juridique adéquat

Comme nous l’avons souligné précédemment, l’existence d’un cadre législatif et réglementaire n’est pas une garantie pour la réussite des opération de PPP, mais il reste toutefois un pré requis important vis-à-vis des investisseurs potentiels et des bailleurs de fonds qui les renseigne sur la volonté politique de l’Etat d’entourer cette activité de la plus haute sollicitude.

Dans ce contexte d’incitation des investissement étrangers, le Maroc a annoncé à l’occasion de la réunion du comité national chargé du climat des affaires en date du 22 mai 2012 qu’il mènera un projet important concernant principalement une révision des textes réglementant l’investissement dans ses dimensions relatives à la promotion  du Maroc en tant que destination pour l’investissement, à l’accueil des investisseurs, à l’accompagnement des projets, ainsi qu’aux avantages et facilités accordés aux investisseurs.

Ce projet comprend dans son pendant juridique : la révision de la loi cadre n° 18-95 portant charte de l’investissement, cette révision vise à regrouper en un seul texte les dispositions relatives aux avantages et facilités accordés aux investisseurs dans le cadre contractuel, proposer un régime d’avantage horizontal unifié et des régimes sectoriels et régionaux complémentaires, tenant en compte les spécificités sectorielles et régionales. tout en prévoyant la possibilité d’accorder des avantages supplémentaires aux projets présentant un caractère exceptionnel par le montant de l’investissement ou par le nombre des emplois à créer.

Ce projet vise également l’élaboration du décret organisant la procédure de traitement des dossiers d’investissements faisant l’objet de conventions avec le gouvernement. Ce décret devrait organiser les conditions d’accès au cadre contractuel des projets, la procédure de présentation des dossiers d’investissement, de leur traitement et d’adoption des conventions d’investissement.  Une attention particulière est portée aux organes de gouvernance aux

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niveaux régional et central au suivi des projets d’investissement objet des conventions et aux procédures d’octroi des avantages et facilités.

Dans ce cadre, l'adoption d’une législation spécifique sur les PPP démontre l'engagement politique à promouvoir des programmes de PPP ou des projets en PPP, aussi une législation sur les PPP peut-elle faire avancer leur développement si elle inclut des dispositions claires et complètes et fournit des orientations législatives globales sur les questions centrales.

Or, l'expérience a pu démontrer que, là où existent des directives à l'intention des soumissionnaires, ainsi que des contrats standards, une loi spécifique aux PPP n'est pas une condition préalable au développement des PPP.

Une loi encadrant les PPP au Maroc devrait tout d’abord garantir le respect scrupuleux des principes constitutionnels déjà mentionnés, relatifs notamment, à la liberté et à l’égalité des citoyens dans l’accès service public et au contrôle de la qualité que doit assurer l’administration, elle doit également favoriser l’application des principes de libre concurrence déjà proclamés par le texte réglementant les marchés publics.

DEUXIEME PARTIE- LES CONDITIONS D’UN CONTRAT DE PARTENARIAT PUBLC-PRIVE EQUILIBRE

Les contrats de partenariats-public-privé peuvent correspondre à des formes plus ou moins variées selon des montages contractuels plus ou moins complexes. C’est ainsi que selon les cas, du côté du droit commun de la commande publique, des formules contractuelles innovantes, censées mieux répondre aux contraintes actuelles des personnes publiques, ont été créées (en France, par exemple, la pratique a crée les Baux Emphytéotiques Administratifs BEA, les Baux Emphytéotiques Hospitaliers BEH, les Autorisations d’Occupation Temporaire du domaine public et Location avec Option d’Achat (AOT-LOA), Build Operate Transfer (BOT).)

Quelque soit l’opérateur dans la transaction de partenariat : sponsors, investisseurs, établissements de crédit, celle-ci est largement conditionnée par un certain nombre de principes fondamentaux liés aux structures de financement sur projet, en l’occurrence, la propriété des biens immobiliers utilisés, le contrôle de la réalisation, de la mise en exploitation et des performances de l’activité, les assurances, la rétribution des bailleurs de fonds, le cas échéant, les risques liés à l’exécution du contrat de partenariat. Nous nous contenterons dans ce bref rappel d’en examiner les notions essentielles.

De manière générale, le montage de type financement sur projet reconnaît la participation et les intérêts de toutes les parties au projet, notamment la personne publique, la société de projet, les promoteurs, les sous-traitants et les bailleurs de fonds.

Dans ce schéma, la notion de répartition des risques est importante car, la structure du projet comprend habituellement des accords directs entre la personne publique contractante et les bailleurs de fonds, des droits de substitution pour les créanciers (par exemple pour remplacer l’opérateur si nécessaire), une garantie par cession de créances liées au projet, ainsi que les documents essentiels relatifs au projet et à la structure de financement. Les principes régissant la répartition des risques entre les parties publique et privée dépendent largement de la

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législation régissant l’opération et du pays du projet en question, bien que l’on puisse observer certains principes communs de base. Ceux-ci sont façonnés et ajustés par les conseillers des intervenants dans le contrat de Partenariats-public-privé : en l’occurrence, la Contracting Authority, les Sponsors, le Construction Contractor, l’Operator, et le Senior Lender, le cas échéant.

Dans cette perspective, la mission des conseillers est d’une importance capitale, elle est à la fois juridique, technique, et financière, en plus du travail des assureurs et experts sectoriels, tels qu’analystes de trafic ou demande, et analystes ressources (ex. : combustibles, éolien, électricité, transport, etc.). Cette mission se rapporte respectivement, si l’on s’en tient à l’aspect juridique du conseil : pour l’Authority Adviser , son conseiller juridique généralement un avocat supervise et accompagne l’ensemble des négociations et procède à la rédaction de tous les documents juridiques qui matérialisent l’entente des parties : Memorandum of Understanding (MOU), Protocole d’accord, Project Agreement, etc. De plus, il se doit de mettre en œuvre toutes les procédures de création de la société porteuse du projet, joint-venture ainsi que les autres sociétés de sous-traitance ou de prestation de service.

Le conseiller juridique de la collectivité publique ( Contracting Authority Adviser) prendra un soin particulier dans le choix de la forme de la société de projet, et privilégiera la création de ce qu’on appelle « une société de cantonnement », puisque cette méthode ne permet pas seulement de limiter l’exposition aux risques des contractants et promoteurs privés, grâce au cantonnement, l’actif et le passif de la société de projet sont dissociés de la personne publique et des promoteurs, mais aussi dans l’intérêt de la personne publique, la société de projet est constituée dans le but exclusif de limiter les possibilités de recours des créanciers (en cas d’échec du projet) sur les actifs et les terrains qui appartiennent la plupart du temps au domaine de l’Etat. Aussi, pour la personne publique,  « le cantonnement de la société de projet constitue-t-il un avantage majeur des PPP par rapport aux marchés publics classiques et permet de mener à bien des marchés à forte intensité capitalistique, les risques financiers liés aux dépassements de coûts, aux retards d’exécution et aux mauvaises performances d’exploitation étant essentiellement transférés au partenaire privé. 57»

Le conseil juridique des investisseurs, Sponsors, se bornera lui à représenter les intérêts de ces derniers, mais aussi, par la suite, de la société porteuse du projet, il participe non seulement à l’élaboration de l’ensemble des documents juridiques déjà mentionnés qui prévoient, à l’initiative de la collectivité publique, les obligations et les devoirs des parties, mais s’occupe de réaliser également les Equity Subordinater Loans, « Prêts subordonnés aux capitaux propres », ainsi que les étapes subséquentes de la création de la société de projet ou de la joint venture.

L’avocat du Construction Contractor, l’entrepreneur chargé de la construction, s’occupera de rédiger un Construction contrat. Et le conseil juridique de l’opérateur lorsqu’il est différent de l’investisseur, se charge, quant à lui, d’élaborer un contrat d’exploitation (Operating agreement) ainsi que des étapes de création et de mise en marche de l’exploitation sur le plan juridique, dont l’obtention des autorisations administratives, urbanistiques, de propriété intellectuelle, de change, etc.

57 Les Contrats de Partenariat, Principes et méthodes, Document élaboré par le MINEFI, www.ppp.minefi.gouv.fr, consulté le 19-12-2013

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En définitive, le rôle du conseiller juridique intervenant dans une opération de PPP est extrêmement sensible, et consiste en général à effectuer l’analyse la plus exhaustive et la lecture la plus détaillée possiblement des risques liés au projet. Chaque événement potentiel pouvant empêcher le projet de répondre aux attentes initiales doit être identifié et quantifié, tant en ce qui concerne sa probabilité de survenance (fréquente ou rare, par exemple) que son incidence financière s'il survient (variant de mineure à catastrophique). Les risques identifiés58 peuvent alors être répartis contractuellement entre la société de projet et ses contreparties contractuelles (personne publique, sous-traitants, actionnaires) ou prévus dans le plan financier de la société de projet. Ou par des procédés assurantiels permettant de faire prendre en charge des risques par des assureurs et réassureurs. Cette affectation des risques est régie par des dispositions spécifiques des contrats de projet ou, dans certains cas, par le droit général59.

Or, à ce niveau, il faudrait distinguer la notion de risque de celle de l’imprévision qui est prévue par le droit positif marocain, et qui permet la révision du contrat. Ainsi, le problème se pose lorsque l'exécution des obligations qui naissent du contrat se trouve modifiée, ou grandement alourdie par des circonstances postérieurs à la conclusion du contrat, ces circonstances rendent l'exécution de l'une des parties plus onéreuse, ces circonstances sont dues à une dévaluation de droit de la monnaie, à une hausse des prix (la construction d'un barrage entraîne une augmentation des prix et donc un bouleversement des prévisions initiales).

En doctrine, cette question a soulevé un débat. Deux thèses se sont confrontées l’une à l’autre. Les auteurs qui sont pour la révision pour imprévision se basent sur des théories juridiques (l'enrichissement sans cause, la lésion, Rébus Sic Stantibus « si les choses restent à l'état »), il s'agit de justifier la révision pour imprévision par la volonté des parties, en effet en vertu d'une clause tacite selon laquelle l'engagement donné par les parties est subordonné par le maintien des circonstances existantes au moment de la conclusion du contrat, et par conséquent, toute modification postérieure à la conclusion du contrat doit systématiquement autoriser soit la révision soit la résiliation.

Leurs adversaires invoquent à l’appui de leur thèse, la force obligatoire du contrat, le risque inflationniste, et la sécurité du commerce juridique.

Le droit marocain admet la révision pour imprévision dans certains cas, en effet le DOC ne traite pas spécialement la révision pour imprévision. Les juges marocains utilisent l'article 230 relatif à la force obligatoire des conventions, pour opposer une fin de non recevoir aux demandes de révision pour imprévision, hormis les cas autorisés par la loi ou par une clause contractuelle. En effet, les décisions et les arrêts consultés justifient tous que le caractère

58 Le risque est un événement incertain mais prévisible. Il est l’une des deux formes d’aléas. Il correspond aux situations prévues par les parties, auxquelles il faut ajouter les situations qu’elles auraient dû normalement prévoir, mais il exclut les aléas imprévisibles.59 Bien qu’elle soit souvent ignorée à l’heure actuelle, la distinction du risque et de l’imprévision peut être déduite de l’arrêt du Conseil d’État Français du 30 mars 1916, Gaz de Bordeaux et des conclusions Chardenet. Le risque va jusqu’au maximum de l’amplitude des variations dont la prévision était possible au moment de contracter. L’imprévision est au-delà de ce maximum, au-delà des prévisions : elle est cet aléa qui, déjouant tous les calculs, dépasse certainement les limites extrêmes des majorations ayant pu être envisagées par les parties lors de la passation du contrat. Le risque s’arrête là où l’imprévision commence. Le maximum prévisible constitue la frontière entre les deux. Le prix-limite est le plafond du risque et le seuil de l’imprévision. Le risque marque ainsi la limite entre les situations contractuelles et les situations extracontractuelles. L’imprévision n’est pas un risque mais l’imprévision permet de définir le risque en creux.

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onéreux  ne peut être invoqué par le débiteur pour se délier de ces obligations, il reste tenu de supporter les conséquences de l'évolution des circonstances économiques. Les rédacteurs du DOC excluent la révision du contrat sauf si la loi l’autorise (article 243 du DOC), ou si les parties elles mêmes ont pris le soin d’insérer une clause spécifique à l’imprévision (l’exemple typique est la clause d'échelle mobile qui prévoit la variation automatique en fonction de plusieurs indices, exemple un contrat ayant pour objet la construction d’une autoroute, il est de commun accord prévu que le prix initialement convenu sera automatiquement revu en fonction des prix des matières premières).

Section 1ère : les caractéristiques propres aux contrats de partenariats public-privé

De prime abord, notons que les contrats de Partenariat Public-Privé passés par l'Etat sont approuvés par décret, les contrats de Partenariat Public-Privé passés par les établissements publics de l'Etat sont approuvés par leur conseil d'administration et validés par les autorités de tutelle, les contrats passés par les entreprises publiques sont approuvés conformément à leurs statuts. Le contrat de Partenariat Public-Privé approuvé est notifié à l'attributaire avant tout commencement de l'exécution. (Article 10 du projet).

Cela dénote la volonté des pouvoirs publics de contrôler les opérations de délégation de services publics aux partenaires privés, il en découle également que le législateur vise à assurer à l’Etat et aux organismes de contrôle public un certain droit de regard sur les opérations de partenariat puisqu’avant de recevoir l’aval de l’administration centrale, les pouvoirs adjudicateurs doivent obtenir l’approbation technique de l’organe chargé des PPP ou de la structure équivalente. Dans la plupart des cas, un accord de haut niveau des comités gouvernementaux placés sous l'autorité du Chef du gouvernement et représentés dans les ministères de tutelle est également requis.

Dans ce schéma le ministère des finances joue un rôle déterminant dans l’approbation des projets et les pouvoirs adjudicateurs doivent lui soumettre des modèles économiques convaincants. Des modèles exhaustifs, détaillés et bien argumentés inciteront le ministère des finances à approuver le projet en toute confiance et lui permettront d’en évaluer précisément les conséquences futures pour les finances nationales60.

Outre l’obligation de l’approbation du contrat de partenariat, et de publication d’un extrait (article 10 et 11), le projet de loi prévoit un clausier-type et des mentions obligatoires devant figurer dans le dit contrat. Ainsi dans le Titre III intitulé Clauses du contrat, on peut lire dans l’article 12 que le contrat fixant les droits et obligations des parties comporte nécessairement les clauses suivantes :

1. la désignation des parties contractantes ;2. l'objet du contrat de Partenariat Public-Privé ;3. la durée du contrat de Partenariat Public-Privé;4. les objectifs de performance assignés au partenaire privé ;5. les modalités de financement ;6. les modalités de rémunération ;7. le partage des risques entre les parties ;60 « Étude sur les cadres juridique et financier des PPP dans les pays partenaires méditerranéens. », op.cit, p.37

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8. le personnel;9. l'équilibre du contrat de Partenariat Public-Privé en cas d'imprévision ou de force majeure ;10. les modalités de contrôle de l'exécution du contrat Partenariat Public-Privé;11. les pénalités en cas de non respect des clauses du contrat de Partenariat Public-Privé;12. les conditions de sous-traitance ;13. la substitution ;14. la cession ;15. les conditions de modification du contrat de Partenariat Public-Privé ;16. le régime juridique des biens ;17. les sûretés et garanties ;18. les assurances que le partenaire privé doit contracter ;19. la modalité de règlement des litiges ;20. les conditions de résiliation ;21. la date de la mise en œuvre du contrat de Partenariat Public-Privé.

La question qui se pose dès lors est celle de savoir le sort d’un contrat de Partenariat qui ne comporterait pas l’ensemble de ses clauses ? Serait-il valide ? Serait-il incomplet ? Est-il annulable en justice ?

En la matière, le principe en droit marocain comme en droit français est le respect scrupuleux du « consensualisme », institué par le fameux article 230 du D.O.C « Les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi » ce qui signifie que les obligations légales que créent les parties réciproquement les tiennent sans qu’il y ait besoin d’autres formabilités particulaires, sauf dans les cas où la loi exige un formalisme élaboré ou impose un cérémonial déterminé.

Pour répondre à ces questions il faudrait se référer à la fois au droit commun que représentent les dispositions du D.O.C applicables aux contrats et celles spécifiques applicables au contrat nommé du PPP en tant que tel. De ce dernier texte, et vu le caractère obligatoire que semble vouloir donner le texte à ses clauses, qui seront considérées comme des conditions de formes « nécessaires », il y a lieu de penser que le contrat de partenariat qui ne s’y soumet pas peut être frappé de nullité relative, c'est-à-dire une nullité susceptible de confirmation. (Article 311 du D.O.C). Ce ne sont là que des conditions de forme, et non pas des éléments substantiels du contrat, leur omission ne ferait qu’handicaper la convention des partie et non pas l’annihiler;

En tout état de cause, il est conseillé que partenaires publics et privés prévoit contractuellement une « atténuation du risque financier de nullité du contrat de partenariat par l’engagement indemnitaire de la partie publique »61. Une telle clause pourrait en effet permettre au(x) partenaire(s) privé(s) retenu(s) d’être assurés d’une indemnisation en cas de nullité du CP ce qui semble utile dans la mesure où les montants investis en amont et le gain manqué peuvent être importants62.

Sur un autre plan, le texte du projet de loi sur les partenariats ajoute qu’il devrait y avoir un certain nombre de principes fondamentaux qui façonnent le contrat de partenariat, à savoir : le partage des risques, et l’équilibre du contrat.

61 D.Bandet, L.Vandomme, L’atténuation du risque financier de nullité du CP par l’engagement indemnitaire de la partie publique : AJDA, 2006, p.354.62 Yves Pons et Sébastien Thouvenot, Comment prévenir et régler les conflits dans le cadre d'une contrat de partenariat ? in. Cahiers de droit de l'entreprise n° 4; juillet-aout 2006

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Le partage des risques :

Ce principe est important car le contrat de partenariat public-privé connait l’intervention de plusieurs partenaires, notamment la personne publique, la société de projet, les promoteurs, les sous-traitants et les bailleurs de fonds. Aussi, la structure du projet comprend -elle habituellement des accords directs entre la personne publique contractante et les bailleurs de fonds, des droits de substitution pour les créanciers (par exemple pour remplacer l’opérateur si nécessaire), une garantie par cession de créances liées au projet, ainsi que les documents essentiels relatifs au projet et à la structure de financement. Les principes régissant la répartition des risques entre les parties publique et privée dépendent grandement de l’environnement juridique des affaires, de la nature du projet, des enjeux nationaux d’investissement, et de la disponibilité des capitaux de financement, et partant, de la négociation entre les parties.

C’est pour cela qu’il faut se référer au schéma que nous avons exposé précédemment afin d’opérer une répartition optimale des risques entre l’ensemble des stakeholders dans l’opération de partenariat.

Le projet de loi, quant à lui, dispose dans l’article 16, que : « Le contrat de Partenariat Public-Privé fixe les conditions dans lesquelles est établi le partage des risques entre la personne publique et le partenaire privé y compris ceux résultant de l'imprévision et de la force majeure, dans le respect de l'équilibre dudit contrat tel que défini à l'article 17 », de surcroît, les risques liés aux différentes phases du projet doivent être identifiés et décomposés. Ils sont pris en charge par la partie jugée capable de les supporter de manière à minimiser leurs coûts en prenant en considération l'intérêt général et les caractéristiques du projet. 

L’équilibre du contrat.

C’est une notion fondamentale du partenariat public privé, elle concerne la survie même du contrat, elle est prévue par l’article 17 du projet de loi qui dispose que : « Le contrat de Partenariat Public-Privé détermine les conditions dans lesquelles le Partenaire Privé a droit au maintien de l'équilibre du contrat en cas de survenance d'événements imprévus ou en cas de force majeure. »

On comprend l’importance de cette notion pour une opération de PPP dès lors qu’il s’agit d’un contrat administratif conclu entre la puissance publique et un partenaire privé. De cette notion découle d’autres principes comme celui de « la rémunération raisonnable »63 et de « rémunération équitable »64. Pour les auteurs ayant étudié ces principes, ces derniers sont intimement liés à la notion d’équilibre financier du contrat. Mais cette notion n’est pas nouvellement créée en théorie générale du droit des marchés publics ou en droit marocain, elle s’appliquait déjà aux concessions classiques et par extension aux contrats administratifs, cette garantie constitue l’un des termes de l’équation financière du contrat, dont l’altération, par suite soit de l’administration concédante soit d’une autre autorité publique, soit d’événements économiques  donne au concessionnaire «  le droit de demander soit un réajustement du tarif, soit un complément de rémunération sous forme d’indemnité.65

63 G. Gèze, Théorie générale des contrats de l’administration, 3è Edition t. 2, 1936, p. 58064 G. Pequignot, Théorie générale du contrat administratif, Paris Pédonte, 1945, p. 44865 G. Gèze, Théorie générale des contrats de l’administration, op.cit. p. 580

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Cette particularité ou, osons le qualificatif, originalité du contrat administratif le distingue, sur le plan juridique du contrat entre particuliers, par le fait que son régime permet de sauvegarder « les exigences impérieuses et primordiales du service public tout en assurant toujours au cocontractant une rémunération équitable.»66

Ce principe constitue un cadre de référence dans le cadre du rétablissement de l’équilibre financier rompu dans le contrat de partenariat, qu’il s’agisse de renégocier une clause financière, de compenser les dommages résultant d’un cas de force majeur ou d’un « fait du prince », ou de quantifier une indemnité d’imprévision. En contrepartie des pouvoirs exorbitants de la puissance publique, l’importance est donnée ici à la protection des intérêts du partenaire privé et à par ce truchement la continuité et la viabilité des prestations de service public.

On pourrait conclure également, que le principe de l’équilibre financier et son corollaire la juste rémunération ou rémunération raisonnable vise aussi de garantir une certaine rentabilité de l’investissement réalisé par le cocontractant privé, il sert aussi à limiter dans une certaine mesure le profit qu’il pourra en tirer puisqu’on parle de rémunération « raisonnable ».

Développée dans le cadre des concessions classiques, cette notion pourrait s’avérer en effet-, dépassée dans le cadre des partenariats publics privés, « en raison de l’effacement de leur frontière avec les activités économiques privées. Dans l’économie de marché, « la juste » rémunération n’est-elle pas celle qui résulte des mécanismes des prix sur les marchés ?»67

Mais la situation n’est pas aussi simple qu’il paraît, et comme il s’agit in fine, d’un service public, les aides et subventions de l’Etat doivent souvent faire l’objet d’un contrôle ne devant pas se solder par l’accumulation de profits important à la partie privée en contrepartie d’une prestation de service qui laisse à désirer. Donc, des raisons éminemment politico-économiques plaident pour le maintien du principe de l’équilibre du contrat et de la rémunération raisonnable du partenaire privé.

Section 2- les conditions d’un contrat de partenariat équilibré

Il faut rappeler à ce niveau trois observations essentielles : premièrement, le contrat de partenariat doit permettre un meilleur respect des délais et des coûts par le recours à un mode de gestion privé dont la qualité est contractualisée et financièrement sanctionnée. Il se doit alors de passer par un partage équilibré des risques et des responsabilités entre partenaires public et privé comme nous venons de le voir.

Deuxièmement, le contrat de partenariat ne doit pas être conçu comme un outil visant à s’affranchir des contraintes budgétaires ou à contourner la réglementation des marchés publics: l’évaluation préalable prévue par l’ordonnance est au contraire la garante de l’exigence de transparence et de responsabilisation.

Et enfin, le contrat de partenariat n’entraîne pas de dessaisissement au profit de la personne privée : il permet à la personne publique de conserver la maîtrise du service public et les fonctions d’expertise, tout en confiant la gestion de certaines tâches d’exécution et

66 . Pequignot, Théorie générale du contrat administratif, op.cit. 44867 E. Muller, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, L’Harmattan, 2012, p. 551

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d’exploitation de l’activité en question aux entreprises dans le cadre d’un contrat dont les résultats sont régulièrement évalués.

On pourrait ainsi insister sur un certain nombre de points que l’on qualifierait de conditions du succès, il s’agit de :

- L’utilité socio-économique du projet qui doit constituer un préalable.- Le surcoût lié au montage et à la structuration financière doit être plus que compensé

par les gains que permet l’économie globale du contrat dans le temps.- Les gains attendus en termes de coûts et de délai impliquent un changement d’attitude

des acheteurs publics : faire faire, au lieu de faire, et imposer des obligations de résultat sur le service acheté, au lieu de s’en tenir à des obligations de moyens.

Quelques propositions pour un contrat de partenariat public-privé équilibré :

L’expérience a démontré qu’un contrat de partenariat public-privé peut être réussi si certains de ses aspects sont bien traités, notamment : les études préalables et le choix du mode de gestion du service collectif, le dossier d’appel d’offres et le contrat, les données techniques et commerciales du service, la partage des risques, la tarification, les investissements, les engagements du délégataire, et le contrôle et la régulation de la délégation de service public.

1- Les études préalables

En ce qui a trait aux études préalables et au choix du mode de gestion du service collectif, il faut souligner qu’il est d’une extrême importance que la collectivité avant de recourir à des partenaires privés pour la prestation d’un service public donné, doit procéder au préalable à l’établissement d’un diagnostic exhaustif de la situation du service qui doit déterminer notamment les points forts et les points faibles du service et d’identifier précisément les besoins d’investissement futurs et les coût directs et indirects de la gestion d’un tel service.

Le recours à un cabinet spécialisé et l’élaboration d’un schéma directeur et un programme d’investissement chiffré sur le moyen et le long terme serait particulièrement conseillé dans ce genre de situation.

En aval de cette étude, la collectivité devrait être en mesure d’abord de savoir si elle peut elle-même mettre en œuvre le service en question dans les meilleures conditions, ensuite, justifier le recours à un partenaire privé, et enfin procéder à l’examen de l’ensemble des formes de partenariats possibles en mettant en avant les avantages, les inconvénients et les risques liés à chaque forme68, l’option du partenariat public-privé ne serait adoptée qu’en cas de nécessité d’investissement massif ou de besoins importants en infrastructures très lourdes.

Le dossier d’appel d’offres et le contrat de partenariat, gagnent à être établis par une équipe pluridisciplinaire composés d’avocats spécialisés, et d’experts couvrants les domaines techniques, financiers et juridiques liés à l’activité en question. Les documents de l’appel d’offre et le contrat doivent être aussi complets que possible et prévoir toutes les situations qui pourraient se produire au cours de l’exécution du contrat et préciser les solutions alternatives.68 Ainsi par exemple le contrat d’affermage (contrat par lequel le contractant s'engage à gérer un service public, à ses risques et périls, contre une rémunération versée par les usagers) serait mieux adapté, si l’Etat ou la collectivité peut se procurer les moyens d’investir, ou si des possibilités d’augmentations tarifaires sur les usagers sont envisagées sans risques importants

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L’avocat-conseiller devrait s’assurer que l’ensemble des objectifs actés dans le contrat sont précis et mesurables dans le temps, et les engagements et les risques pris par chacune des parties sont clairement fixés et compris par elles. Pour ce faire, il est parfois « salutaire » surtout pour l’Etat ou la collectivité publique dans ce genre d’opération de faire appel au conseil et à l’accompagnement des meilleurs juristes, bien que cela semble à priori dispendieux, car cela pourrait éviter bien de mauvaises surprises et des contrats bancals dont la collectivité paierait les frais, même après le départ du partenaire privé défaillant, plusieurs années, voire plusieurs décennies plus tard.

2- Les données techniques et commerciales du service

Lorsqu’on établit le dossier d’appel d’offres, on y introduit entre autres, les caractéristiques du service concerné ainsi que les performances constatées et celles devant être satisfaites dans le futur par le partenaire privé. Ces éléments constituent la base de l’établissement de l’offre des soumissionnaires. Or on constate dans certains cas, qu’une fois que le contrat est conclu et que le service commence à être géré par le nouveau gestionnaire, que celui-ci remet en cause certaines données en signalant, à tord ou à raison, que celles qui ont servi à l’établissement de son offre diffèrent de la réalité69.

Afin d’éviter ce genre de situations, il est ainsi fortement conseillé de procéder préalablement au lancement de l’appel d’offre à un audit technique et financier de l’activité par un cabinet d’experts indépendants, tout en s’assurant que les partenaires privés ont pris connaissance des données essentielles de l’activité telles qu’elles ressortent de l’audit, et les acceptent à leurs risque et péril, après en avoir vérifier la véracité sur le plan technique, financier et comptable.

Le fait de ne pas procéder de la sorte fait courir le risque des faux départs et des et distorsions entre les objectifs prévisionnels et les performances atteintes.

3- Le partage des risques 

Même si nous l’avions déjà évoqué, rappelons brièvement que ce partage doit être fait de manière équitable, le risque devrait être assumé par celui qui est en mesure d’en supporter la charge, l’exemple type est que les incidences découlant des décisions publiques de l’Etat et du fait du prince doivent être assumées par la collectivité publique, tandis que les risques résultant du cours normal de l’activité sont supportés par le partenaire privé en partie ou totalement.

4- La tarification 

C’est un élément des plus sensibles du contrat de partenariat public-privé pace qu’il peut avoir des incidences politiques et sociales très importantes, car il ne faut pas oublier que l’on est dans le domaine des services publics et des prestations que la collectivité assure au profit citoyens. Souvent ces impératifs d’intérêt public sont confrontés aux intérêts d’un investisseur étranger plutôt animé avant tout par des considérations lucratives. Si la tarification n’est pas bien maîtrisée, il peut en découler une insatisfaction des usagers, des menaces de troubles à

69 Mehdi Berradi, L’expérience de la ville de Casablanca, in Partenaiat-public-privé, sous la direction d’Ali Sedjari, L’Harmattan, GRET, 2005, p. 463

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l’ordre public, et immanquablement un recours contentieux de l’investisseur, au cas où il ne reçoit pas les bénéfices financiers attendus, contre l’Etat ou la collectivité adjudicatrice70.

5- Les engagements du partenaire privé :

Les engagements du partenaire privé se doivent d’être mesurables, quantifiables et clairement mentionnés au contrat, selon des critères convenus de commun accord. On doit, aussi, dans le contrat prévoir clairement les mesures juridiques à prendre au cas où certains engagements ne seraient pas honorés. D’aucuns diraient que ces dispositions, sont évidentes, mais la réalité démontre qu’elles ne sont pas toujours observées. En effet, certains contrats comportent un certain nombre de clauses ambigües ou confuses et qui prêtent le flanc aux interprétations des partenaires privés et la possibilité de les interpréter en leurs faveurs afin d’échapper à leurs engagements.

6- Contrôle et régulation du partenariat-public-privé :

Comme pour les contrats classiques de gestion déléguée lorsque la gestion d’un service public est confiée à un opérateur privé, on se doit s’établir un contrôle efficace des activités en questions, ce contrôle doit en plus d’être renforcé lorsque le partenaire privé gestionnaire se trouve en état de monopole. Dans une telle situation le contrôle a pour but de préserver les intérêts de la collectivité et des usagers du service, de s’assurer que le coût des prestations ne soit pas surévalué et d’éviter toutes les dérives pouvant résulter de la situation de monopole. Le contrôle doit être exercé par une équipe pluridisciplinaire composée de cadres compétents dans les domaines juridique, technique et financier. Il doit être possible de faire appel dans certains cas à des consultants externes71.

Le contrat, notamment en situation de monopole, doit préciser clairement que le déléguant, par le biais de cette structure de contrôle et de régulation, doit pouvoir accéder à tout moment à toutes les sources d’informations techniques et financières en rapport avec le service72.

Et comme dans le contrat classique de délégation de service public, la collectivité reste la garante de la continuité, la performance et la satisfaction des usagers liés au service public concerné. Il paraît dès lors légitime qu’elle en contrôle la viabilité à travers le contrôle de l’investissement et le respect des engagements du partenaire privé.

7- Règlement des différends 

70 Pour exemple de cette situation prenons le cas d’un investisseur nord-américain, entreprise de construction, qui conclut un contrat de concession avec le gouvernement vénézuélien. La concession vise à la reconstruction d’une autoroute et d’un viaduc qui relient le port principal du pays et l’aéroport international à la capitale Caracas. Après la phase de construction, la concession prévoit l’exploitation pendant trente ans. Il s’agit d’un contrat classique BOT – build, operate, transfer. La construction doit être partiellement financée par les péages encaissés par le concessionnaire, lesquels doivent être progressivement augmentés. Le contrat contient une clause d’arbitrage CIRDI. L’investisseur crée une société locale et prend possession de l’autoroute existante, alors que le gouvernement annonce l’augmentation des péages. C’est là que les choses se gâtent. L’annonce provoque un véritable soulèvement populaire ; des camionneurs bloquent l’accès à l’autoroute et ainsi tout l’approvisionnement de la capitale. Le gouvernement fait appel à la garde nationale, qui observe les évènements sans intervenir. Après trois jours de paralysie, le gouvernement bat en retraite, renonce à augmenter les péages, et tout rentre dans l’ordre. En apparence seulement, car les travaux ne démarrent pas. L’investisseur attend des temps meilleurs. Ne les voyant pas venir, il perd patience et dépose une requête d’arbitrage71 Mehdi Berradi, L’expérience de la ville de Casablanca, in Partenariat-public-privé, op.cit. p. 47472 Op.cit.idem.

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L’un des éléments les plus problématiques de la convention de PPP est le règlement des différends entre collectivité publique et partenaire privé. Le partenariat est soit une opération de grande envergure participant à un transfert de technologie, soit une réalisation d’infrastructure soit, des opérations d’investissement dans des secteurs nécessitant la mobilisation de capitaux importants.

Avant qu'un conflit éclate, il faut que les partenaires, et particulièrement le partenaire public se donnent les moyens, tout d'abord de la prévenir en amont, mais aussi d'encadrer par les clauses du contrat les éventuels débordement de son cocontractant. Pour la prévention, il sied d'imaginer la détermination et l'observation de bonnes pratiques et ce dès la procédure d'évaluation préalable, pour les clauses du contrat de partenariat, on peut imaginer l'inclusion de clauses de "Rendez-vous" ou de "Rencontre" obligeant les partenaires à se réunir pour faire le point sur l'état d'avancement du partenariat au regard des critères prédétérminés et des objectifs attendus.

Il paraît également nécessaire, pour la personne publique d’intégrer dans le CP des clauses relatives aux solutions à apporter en cas d’incidents extérieurs aux parties afin de ne pas laisser s’envenimer des situations souvent propres à créer du contentieux entre les partenaires si un arrangement n’est pas rapidement trouvé73.

Quoi qu'il en soit, les partenaires doivent prévoir la possibilité de survenance d’un litige comme un risque inhérent à toute activité, pour son règlement ils se doivent d’envisager un moyen susceptible de le solutionner : soit le mode étatique que représentent les tribunaux, soit le mode « privé » de l’arbitrage.

Conformément au projet de loi sur les partenariats, le contrat pourrait prévoir une procédure de conciliation préalablement à tout recours arbitral ou judiciaire (article 27). Dans le cas de recours à la procédure arbitrale le projet de loi spécifie qu’il est nécessaire dans ce cas que le texte du contrat précise le tribunal arbitral qui en serait chargé.

Toutefois, le projet de loi n’impose pas le recours à un type spécifique des modes de règlement des différends, il laisse la latitude aux contractants de prévoir de recourir à des procédures de conciliation, d’arbitrage ou judiciaires sans privilégier un moyen par rapport à l’autre. Par contre, l’article 3 énumérant les clauses obligatoires énonce les modalités de règlement des différends comme mention indispensable, sans, encore une fois, donner la priorité aux procédures arbitrales ou de conciliation.

L’ordonnance française74, elle, évoque aussi dans son article 11 les moyens de règlement des différends, mais tout en insistant sur les modes préventifs et l’application de l’arbitrage : «  (…) modalités de prévention et de règlement des litiges et aux conditions dans lesquelles il peut, le cas échéant, être fait recours à l'arbitrage, avec application de la loi française.»

Le législateur marocain gagnerait à proposer un schéma de règlement des différends favorisant le recours à l’arbitrage conformément aux dispositions du Code de procédure civile (article 306 et suivants). L’interdiction qui existait du recours à l’arbitrage pour les actes

73 Yves Pons et Sébastien Thouvenot, Comment prévenir et régler les conflits dans le cadre d'une contrat de partenariat ? in. Cahiers de droit de l'entreprise n° 4; juillet-aout 2006, p.4874 Ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat.

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impliquant une personne morale de droit public, par l’article 310 a été abrogée et remplacée par l'article 1er de la loi n° 08-05 promulguée par le dahir n° 1-07-169 du 30 novembre 200775.

Même si cet article prévoit  que : « Les litiges relatifs aux actes unilatéraux de l'Etat, des collectivités locales ou autres organismes dotés de prérogatives de puissance publique ne peuvent faire l'objet d'arbitrage. », il ajoute que : « Toutefois, les contestations pécuniaires qui en résultent peuvent faire l'objet d'un compromis d'arbitrage à l'exception de celles concernant l'application d'une loi fiscale. »

Par ailleurs, le même article dispose que : «  Nonobstant les dispositions du 2e alinéa de l'article 317 ci-dessous, les litiges relatifs aux contrats conclus par l'Etat ou les collectivités locales peuvent faire l'objet d'une convention d'arbitrage dans le respect des dispositions relatives au contrôle ou à la tutelle prévus par la législation ou la réglementation en vigueur sur les actes concernés. La compétence pour statuer sur la demande de l'exequatur de la sentence arbitrale rendue dans le cadre du présent article revient à la juridiction administrative dans le ressort de laquelle la sentence sera exécutée ou au tribunal administratif de Rabat, lorsque la sentence arbitrale concerne l'ensemble du territoire national. »

La nouvelle loi sur les PPP se doit de donner la priorité à l’application du droit marocain tout en privilégiant le recours à des tribunaux arbitraux internationaux afin de contrebalancer l’obligation d’exécution des traités bilatéraux d’investissement, due à la suprématie du droit international, et favoriser la défense des intérêts nationaux quand ils s’opposent aux intérêts privés des investisseurs étrangers.

Il ne faut pas perdre de vue qu’auparavant, pour favoriser le développement des pays non industrialisés, il s’est avéré nécessaire de créer des conditions-cadre afin que les capitaux étrangers affluent. Il fallait promouvoir les investissements et, pour cela, donner confiance aux investisseurs et sécuriser leurs apports. Dans ce but, on peut bien sûr accorder des garanties contractuelles ou financières. Toutefois, quand celles-ci échouent, le litige devient inévitable. Pour sécuriser réellement l’investissement, il faut encore mettre à disposition un mécanisme fiable de règlement des différends.

Le recours aux tribunaux étatiques n’étant pas satisfaisant. A tort ou avec raison, l’investisseur étranger craindra la partialité des tribunaux de l’Etat-hôte. Quant à ceux de l’Etat de l’investisseur, le gouvernement-hôte souverain ne souhaitera pas se soumettre à la juridiction d’un autre Etat.

La justice étatique étant écartée, reste l’arbitrage. On pourrait concevoir un arbitrage local dans le pays-hôte, mais, dira-t-on, il n’offrirait pas la sécurité requise. On se tournera alors très naturellement vers l’arbitrage international.

Mieux encore, on peut concevoir un arbitrage réellement international, détaché de tout droit national comme de toute juridiction nationale. C’est cette idée d’un arbitrage réellement international qui a inspiré la Convention CIRDI conclue en 1965, entrée en vigueur en 1966. À ce jour, 154 Etats l’ont signée, 140 l’ont ratifiée, parmi lesquels on trouve le Maroc.

75 B.O. n° 5584 du 6 décembre 2007

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