2
6 © Masson, Paris, 2006 Ann Pathol 2006 ; 26 : 6-7 Éditorial Accepté pour publication le 30 mars 2006 Tirés à part : P. Rochaix, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected] Le pathologiste, le tissu et le fixateur… personne n’est parfait Of pathologists, tissues and fixatives Philippe Rochaix Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Institut Claudius Regaud, 31052 Toulouse Cedex. E nombre des nouvelles thérapies anticancéreuses en cours de dévelop- pement clinique est énorme (figure 1). Ces traitements sont supposés effica- ces, peu toxiques et ciblés mais seuls les tests cliniques permettront de confirmer ces espoirs. En revanche, on sait déjà qu’ils seront onéreux et leur prescription devra être réservée aux patients potentiellement répondeurs. Ainsi, la prédiction de la réponse thé- rapeutique sera une étape clef de la prescription de ces médicaments. Les pathologistes, en détectant la présence de la cible, savent déjà convenablement prédire l’efficacité des premières théra- pies ciblées comme les inhibiteurs du récepteur des oestrogènes, le Glivec™ ou l’Herceptine™. Cependant, l’arrivée des inhibiteurs de l’EGFr a considéra- blement compliqué la situation [1]. En effet, dans ce cas, il n’y a pas de lien direct entre l’expression de la cible par les cellules tumorales et l’efficacité thérapeutique. Les techniques de FISH [2] voire de séquençage de gènes semblent avoir un certain intérêt dans ce cas de figure et leur maîtrise par les pathologistes sera probablement indis- pensable à moyen terme. Si l’aspect technique peut légitimement en effrayer certains, il suffit de se rappeler que l’immunohistochimie, aujourd’hui auto- matisée et accessible à tous, avait sus- cité les mêmes inquiétudes il y a vingt ans. En revanche, la qualité des tissus inclus dans nos blocs de paraffine et/ ou dans nos tumorothèques pourrait être un facteur limitant rédhibitoire. L’optimisation de leur qualité nécessite de bien connaître les mécanismes impliqués dans les altérations tissulai- res lors des étapes de la fixation et de la congélation. On ne saurait donc trop recommander la lecture de l’excellent article de F Plénat et coll. publié ce mois ci dans les Annales de Pathologie [3]. La fixation, mais aussi de façon surprenante la congélation, y compris dans l’azote liquide, y apparaissent comme génératrices de modifications moléculaires et d’importants artéfacts. La perfection n’est décidément pas de ce monde ! Cependant, la perfection de la qualité des tissus est-elle un objectif sanitaire et nous concerne-t-elle réellement ? Elle est certainement importante pour la recherche fondamentale et clinique, mais elle n’est actuellement pas indis- pensable à une bonne prise en charge médicale des patients. De plus, pour l’immense majorité des structures médicochirurgicales, le simple délai d’acheminement des pièces chirurgi- cales est incompatible avec tout espoir de perfection. L’idéal pour le patholo- giste est donc de trouver un équilibre entre la qualité, la faisabilité et l’acces- sibilité à ces techniques, applicable à l’ensemble des patients. Plusieurs approches se développent telles que les réseaux de tumorothèques, les machines de déshydratation extrême ou de nouveaux fixateurs sans formol et non toxiques (RCL2, FineFix, HOPE…). D’autres techniques de conservation verront peut-être le jour bientôt (lyo- philisation…). Ces différentes techni- ques ne seront vraisemblablement pas concurrentes mais plutôt complémen- taires et permettront la réalisation fia- ble et reproductible de techniques diagnostiques actuellement difficiles ou peu reproductibles sur tissus fixés [4-7]. Nous avons su éliminer l’acide picrique pour accéder à la FISH, nous devrons certainement apprendre à optimiser encore la conservation des tissus en fonction de leur type, de L

Le pathologiste, le tissu et le fixateur… personne n’est parfait

Embed Size (px)

Citation preview

6

© M a s s o n , P a r i s , 2 0 0 6

A n n P a t h o l 2 0 0 6 ; 2 6 : 6 - 7

Éditorial

Accepté pour publication le 30 mars 2006

Tirés à part :

P. Rochaix, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected]

Le pathologiste, le tissu et le fixateur… personne n’est parfait

Of pathologists, tissues and fixatives

Philippe Rochaix

Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Institut Claudius Regaud, 31052 Toulouse Cedex.

E

nombre des nouvelles thérapiesanticancéreuses en cours de dévelop-

pement clinique est énorme

(figure 1)

.Ces traitements sont supposés effica-ces, peu toxiques et ciblés mais seulsles tests cliniques permettront deconfirmer ces espoirs. En revanche, onsait déjà qu’ils seront onéreux et leurprescription devra être réservée auxpatients potentiellement répondeurs.Ainsi, la prédiction de la réponse thé-rapeutique sera une étape clef de laprescription de ces médicaments. Lespathologistes, en détectant la présencede la cible, savent déjà convenablementprédire l’efficacité des premières théra-pies ciblées comme les inhibiteurs durécepteur des oestrogènes, le Glivec™ou l’Herceptine™. Cependant, l’arrivéedes inhibiteurs de l’EGFr a considéra-blement compliqué la situation [1]. Eneffet, dans ce cas, il n’y a pas de liendirect entre l’expression de la cible parles cellules tumorales et l’efficacitéthérapeutique. Les techniques de FISH[2] voire de séquençage de gènessemblent avoir un certain intérêt dansce cas de figure et leur maîtrise par lespathologistes sera probablement indis-pensable à moyen terme. Si l’aspecttechnique peut légitimement en effrayercertains, il suffit de se rappeler quel’immunohistochimie, aujourd’hui auto-matisée et accessible à tous, avait sus-cité les mêmes inquiétudes il y a vingtans. En revanche, la qualité des tissusinclus dans nos blocs de paraffine et/ou dans nos tumorothèques pourraitêtre un facteur limitant rédhibitoire.L’optimisation de leur qualité nécessitede bien connaître les mécanismesimpliqués dans les altérations tissulai-res lors des étapes de la fixation et dela congélation. On ne saurait donc troprecommander la lecture de l’excellent

article de F Plénat et coll. publié cemois ci dans les Annales de Pathologie[3]. La fixation, mais aussi de façonsurprenante la congélation, y comprisdans l’azote liquide, y apparaissentcomme génératrices de modificationsmoléculaires et d’importants artéfacts.La perfection n’est décidément pas dece monde !Cependant, la perfection de la qualitédes tissus est-elle un objectif sanitaireet nous concerne-t-elle réellement ?Elle est certainement importante pourla recherche fondamentale et clinique,mais elle n’est actuellement pas indis-pensable à une bonne prise en chargemédicale des patients. De plus, pourl’immense majorité des structuresmédicochirurgicales, le simple délaid’acheminement des pièces chirurgi-cales est incompatible avec tout espoirde perfection. L’idéal pour le patholo-giste est donc de trouver un équilibreentre la qualité, la faisabilité et l’acces-sibilité à ces techniques, applicable àl’ensemble des patients. Plusieursapproches se développent telles queles réseaux de tumorothèques, lesmachines de déshydratation extrêmeou de nouveaux fixateurs sans formolet non toxiques (RCL2, FineFix, HOPE…).D’autres techniques de conservationverront peut-être le jour bientôt (lyo-philisation…). Ces différentes techni-ques ne seront vraisemblablement pasconcurrentes mais plutôt complémen-taires et permettront la réalisation fia-ble et reproductible de techniquesdiagnostiques actuellement difficilesou peu reproductibles sur tissus fixés[4

-7]

. Nous avons su éliminer l’acidepicrique pour accéder à la FISH, nousdevrons certainement apprendre àoptimiser encore la conservation destissus en fonction de leur type, de

L

Le pathologiste et le fixateur

7

leur pathologie, de leur qualité initiale afind’apporter les informations pertinentes per-mettant de prescrire le traitement le mieuxadapté.Décidément, personne n’est parfait… alorsessayons d’être simplement meilleurs, voireexcellents !

Références

[1] Penault-Llorca F, Sabourin JC. Le pathologiste etREGF en 2004 : je t’aime, moi non plus.

Ann Pathol

2004 ;

24

: 416-26.[2] Denoux Y, Arnould L, Fiche M, Lannes B, Couturier

J, Vincent-Salomon A

et al.

Recherche de l’amplifica-

tion du gène HER2 : la CISH est-elle une alternativeà la technique FISH ?

Ann Pathol

2003 ;

23

: 617-22.[3] Plénat F, Montagne K, Weinbreck N, Corby S,

Champigneulle J, Antunes L

et al.

Les conséquencesmoléculaires de la fixation et de l’inclusion : exempledes acides nucléiques et des protéines.

Ann Pathol

2006 ;

26

: 8-21.[4] Akbari M, Hansen MD, Halgunset J, Skorpen F, Kro-

kan HE. Low copy number DNA template can renderpolymerase chain reaction error prone in a sequence-dependent manner.

J Mol Diagn

2005;

7

: 36-9.[5] Hofreiter M, Jaenicke V, Serre D, Haeseler Av A,

Paabo S. DNA sequences from multiple amplificationsreveal artifacts induced by cytosine deamination inancient DNA.

Nucleic Acids Res

2001;

29

: 4793-9.[6] Williams C, Ponten F, Moberg C, Soderkvist P, Uhlen

M, Ponten J

et al.

A high frequency of sequence alte-rations is due to formalin fixation of archival specimens.

Am J Pathol

1999;

155

: 1467-71.

FIG. 1. — Exemple de la voie de transmission du signal de l’EGFr, liste non exhaustive des molécules en phase de développement clinique en 2005. Toutes les étapes clefs de la transmission du signal sont visées et plus de vingt molécules sont en développement. Il en est de même pour toutes les grandes voies de signalisation impliquées en cancérogenèse. Plus de 100 inhibiteurs de tyrosine kinase sont en essai clinique chez l’homme en 2006.

FIG. 1. — Example of EGF-R signalling pathways, with a non exhaustive list of therapeutic molecules under development in 2005. All the key steps of signal transduction are targeted: more then 20 molecules are being developed. The same is true for all the major signalling pathways involved in carcinogenesis. More than 100 tyrosine kinase inhibitors are in clinical trials in 2006.