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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 1 L E R EGARD L IBRE Journal d’opinion réalisé par des étudiants depuis 2014 Juillet 2016 | N° 18 | www.leregardlibre.com 02 | L’éditorial 03 | Littérature : « Rhino- céros » ou le totalitarisme 06 | Philosophie : Qu’est- ce qu’une œuvre musicale ? 09 | Dossier spécial Euro 2016 : Hymne suisse, comme un malentendu – Shaqiri, chat qui pleure 13 | Musique : Une chanson anti-hippies 14 | Politique : Uber vs Taxis, une concurrence déloyale ? 15 | Forum : La tolérance, ce n’est pas tout accepter 20 | Citations Notre dossier spécial « Euro 2016 » – Pages 12 à 15 Le Regard Libre défend une société libérale, humaniste et républicaine et a comme principal objectif de promouvoir la culture et le débat d’idées. Nous sortons un numéro au début de chaque mois. Pour vous abonner à nos éditions papier (100.- CHF / an), veuillez nous envoyer un courriel à l’adresse [email protected]. Suivez votre journal mensuel sur notre page Facebook Visitez le site Web du Regard Libre www.leregardlibre.com https://cdn.rt.com/french/images/2016.06/article/5767d1cac36188a3758b45b6.jpg

LE REGARD LIBRE · ment, si la partition de « La Bohème » était détruite, cela voudrait dire que cette chanson d’Aznavour serait dé-truite : cela est absurde

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 1

LE REGARD LIBRE Journal d’opinion réalisé par des étudiants depuis 2014  

Juillet 2016 | N° 18 | www.leregardlibre.com

 

02 | L’éditorial

03 | Littérature : « Rhino-céros » ou le totalitarisme

06 | Philosophie : Qu’est-ce qu’une œuvre musicale ?

09 | Dossier spécial Euro 2016 : Hymne suisse, comme un malentendu – Shaqiri, chat qui pleure

13 | Musique : Une chanson anti-hippies

14 | Politique : Uber vs Taxis, une concurrence déloyale ?

15 | Forum : La tolérance, ce n’est pas tout accepter

20 | Citations

Notre dossier spécial « Euro 2016 » – Pages 12 à 15

Le Regard Libre défend une société libérale, humaniste et républicaine et a comme principal objectif de promouvoir la culture et le débat d’idées. Nous sortons un numéro au début de chaque mois. Pour vous abonner à nos éditions papier (100.- CHF / an), veuillez nous envoyer un courriel à l’adresse [email protected]. Suivez votre journal mensuel sur notre page Facebook

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02 L’ÉDITORIAL  

 

JONAS FOLLONIER – Rédacteur en chef  

Le vote rationnel Écrire à l’auteur : [email protected]

Le 5 juin dernier, le peuple suisse s’est notamment prononcé contre l’instauration d’un revenu de base inconditionnel et pour la réforme de la loi sur l’asile. Osons le dire : ce vote est rationnel. Quoi ? Serait-il rationnel parce qu’il correspond à mes opinions ? J’aurais envie de dire que oui, mais on m’a reproché un ton un peu trop provocateur dans mes précédents éditoriaux. Expliquons donc la rationalité de ce vote autrement.

Ce vote est rationnel, tout d’abord, car il suit l’avis des spécialistes, que ce soit les économistes concernant le revenu de base universel ou les juristes concernant l’asile. Se fier plutôt aux professionnels et aux savants qu’à ses émotions ou à ses convictions abitraires, telle devrait être l’attitude de tout un chacun.

Ce vote est rationnel, ensuite, parce qu’il vise le bien commun, et non pas le bien d’un groupe particulier. Certaines directions mènent au bien commun, d’autres non. Il y a donc une certaine vérité même en politique. Selon Aristote, il s’agit d’une vérité pratique car elle se dit du contingent (ce qui peut ne pas être), et non d’une vérité théorique, qui, elle, se dit du nécessaire (ce qui ne peut pas ne pas être). C’est la notion de choix.

Ce vote est rationnel, enfin, car il s’est fait sur la base de moult débats démocratiques. Le RBI, typique-ment, a suscité de multiples discus-sions dans les mé-dias et la probléma-tique s’est large-ment répandue hors de nos frontières. Ce bouillonnement poli-tique est très positif car il permet aux ci-toyens de peser le pour et le contre et donc de ne pas ju-ger selon la lubie d’un instant, mais selon le juste milieu.

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03 LITTÉRATURE  

 

LORIS S. MUSUMECI – Promenades théâtrales (5/6)  

« Rhinocéros » ou le totalitarisme

« BERENGER. […] Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! Rideau »

Certaines pièces de théâtre expriment quelque chose de tellement fort, violent ou dur, qu’elles laissent le spectateur abasourdi, collé au siège, ne sachant que dire, que faire, hésitant entre le rire ou la larme. Le Rhinocéros d’Eugène Ionesco incarne justement ce type de théâtre, aussi la lecture seule de la pièce suffit-elle pour rester muet de stupeur et hurlant à la révolte.

L’histoire est ambiancée dans une typique petite ville de province. Le début est calme, paisible, il sent le pastis sur une terrasse ensoleillée. Midi approche, les compagnons Jean et Bérenger apparaissent sur scène chacun de leur côté pour prendre un verre au café proche de l’épicerie. On entend, par dessus la discussion des deux ainsi que des autres habitants du quartier, le silence estival de la chaleur qui craquèle le sol immobile et sec. Lorsque soudain, s’impose à l’ouïe de plus en plus fort le bruit dévastateur d’un animal qui semble être toujours plus près ; le tout accompagné d’un long barrissement. Un rhinocéros !

Les discussions se lèvent mais rien ne semble trop dérangeant, si ce n’est l’absurdité de la situation et des propos qui y sont tenus notamment par le vieux monsieur ou le logicien qui se trouvent sur la place. C’est au tour à un deuxième rhinocéros de passer ensuite. Sans véritablement se poser la question de la présence de ces bêtes en ville, on débat sur le nombre de cornes du premier et du second ou encore sur leur provenance géographique : Afrique ou Asie ? La pièce continue à peu près sur le même ton, bien qu’elle perde progressivement son côté comique au profit du dramatique, voire du tragique.

Peu à peu, tous les personnages se bestialisent en rhinocéros, sauf Bérenger, lui qui est simple, décalé, un peu idiot, un raté en somme. Des plus raffinés aux plus pédants, aux plus moralisateurs, aux plus autoritaires, aux plus tolérants, tous y passent. Seul Bérenger, « le dernier homme », est placé face à la question de l’absurde : vaut-il encore la peine de vivre ? Même seul ? – Suite p. 4

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04 LITTÉRATURE  

Rhinocéros s’explique aussi par son contexte historique. Eugène Ionesco écrit sa pièce en 1959, dans un après-guerre encore bien marqué par les dictatures. Nazisme allemand, fascisme italien, communisme soviétique ou encore Garde de Fer roumaine, que l’auteur a connu de par son origine roumaine justement, tous sont « rhinocérisants ». Le dramaturge dénonce ici le totalitarisme et prévient son implantation. Le totalitarisme est contagieux. Il rend insensible et inhumainement dur, telle la peau d’un rhinocéros.

Tout est militarisé dans un régime de ce type : le rhinocéros porte le costume du guerrier par excellence, en effet il est armé de cornes, protégé de cuirasses et d’un teint gris-vert. L’innocence apparente est également de la partie : on banalise le mal, on se dit que tout va bien, on se laisse gentiment dérober sa liberté, on suit toutefois le mouvement, on est alors ensemble car personne ne voudrait résister seul comme Bérenger. Ce dernier évoque d’ailleurs l’innocence liée à la bêtise lorsque le digne instituteur Botard cède aussi à la métamorphose : « Eh bien, réflexion faite, le coup de tête de Botard ne m’étonne pas. Sa fermeté n’était qu’apparente. Ce qui ne l’empêche pas, bien sûr, d’être ou d’avoir été un brave homme. Les braves hommes font les braves rhinocéros. Hélas ! C’est parce qu’ils sont de bonne foi, on peut les duper. »

Le totalitarisme était et demeure agressif, insensible, inhumain, aliénant, culpabilisant, mais surtout il détruit la personne en violant son intimité, j’ai nommé sa conscience.

Ecrire à l’auteur : [email protected]

© http://www.images-booknode.com/book_cover/421/full/rhinoceros-420940.jpg

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05 PHOTOGRAPHIE  

Premier souvenir d’Auvergne (Loris S. Musumeci)

Second souvenir d’Auvergne (Loris S. Musumeci)

Retrouvez nos articles, nos dessins de presse et bien plus sur www.leregardlibre.com

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06 PHILOSOPHIE  

Un article de JONAS FOLLONIER

Qu’est-ce qu’une œuvre musicale ?

La philosophie, telle que nous l’entendons ici, aime poser des questions et y apporter des réponses rationnelles. De nombreuses questions philosophiques commencent par « Qu’est-ce que… ? ». Dans ce genre d’entreprises, il s’agit de chercher le genre de réalité que possède la chose que nous étudions, de faire une ontologie. Le présent article vise à proposer une ontologie de l’œuvre d’art, et plus spécifiquement de l’œuvre musicale.

Nombreuses sont les théories proposant une ontologie de l’œuvre d’art. La pre-mière d’entre elles, la plus primaire di-rions-nous avec retenue, est la théorie physicaliste. Celle-ci identifie l’œuvre d’art à un objet possédant des propriétés physiques. Essayons de penser comme les physicalistes. Deux objets physiques s’offrent alors à nous pour décrire la réa-lité d’une œuvre musicale : ou bien celle-ci est identique à une partition, ou bien elle est identique à une interprétation.

Prenons la première hypothèse et voyons les problèmes qu’elle pose. Première-ment, si la partition de « La Bohème » était détruite, cela voudrait dire que cette chanson d’Aznavour serait dé-truite : cela est absurde. Deuxièmement, une œuvre musicale s’écoute, tandis qu’une partition se lit. Ensuite, à quelle partition faudrait-il identifier une œuvre musicale pour laquelle il en existe plu-sieurs ? Si c’est à son manuscrit, cela im-pliquerait que les personnes qui ont eu la chance de voir le mansucrit con-

naissent mieux l’œuvre en question que les autres. Une telle possibilité est in-vraisemblable.

Quant à la seconde hypothèse, selon la-quelle l’œuvre musicale serait identique à son interprétation, elle est tout aussi problématique. En effet, une œuvre mu-sicale aurait une existence intermit-tente : « Papaoutai » existerait quand Stromae la chante et cesserait d’exister entre les différentes interprétations. De plus, la théorie n’arrive pas expliquer le fait qu’on puisse aimer les Quatre sai-sons de Vivaldi et ne pas aimer une exé-cution de cette œuvre. Enfin, force est de constater qu’une interpétation peut être plus ou moins fidèle à son œuvre ; elle ne peut donc pas être cette œuvre.

Cette théorie comporte beaucoup de dé-fauts irrémédiables et il est donc tout à fait convenable de la rejeter. Examinons une théorie radicalement opposée qui propose d’identifier l’œuvre d’art (et donc aussi l’œuvre musicale) à une autre sorte d’objet : un objet mental. – Suite p. 7

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07 PHILOSOPHIE  

La théorie idéaliste postule qu’une œuvre consiste en une entité se trouvant dans notre esprit. Elle serait donc quel-que chose de privé et non de public. Croce, un idéaliste italien, définit l’œuvre d’art comme étant une « intui-tion lyrique », c’est-à-dire une expé-rience psychologique faite à la fois d’images et d’émotions. L’artiste aurait lui-même cette intuition lyrique et son travail reviendrait à produire un support matériel capable de nous faire ressentir à notre tour cette intuition lyrique.

Or si cette théorie était vraie, il y aurait autant d’œuvres musicales que de per-sonnes qui en font l’expérience. Il existe-rait donc des millions de « L’hymne à l’amour ». Quelle façon curieuse d’envi-sager les choses ! De même, nous retom-berions sur le problème de l’existence in-termittente que nous avons rencontré avec le physicalisme : l’œuvre commen-cerait à exister plusieurs fois. Bien d’autres raisons nous poussent à rejeter l’idéalisme : il est par exemple difficile d’accepter qu’une œuvre ne serait pas perceptible par nos sens, mais seulement par notre esprit, quand on sait que déjà l’étymologie du mot « esthétique » ren-voie à la perception sensible (aesthesis).

Il est donc temps de nous engouffrer dans une troisième voie, celle de Woll-heim et de sa distinction entre « types » et « particuliers ». Selon lui, une œuvre musicale serait un type et ses interpré-tations des particuliers. « La voix du Crooner » de Francis Cabrel comme type et les inteprétations de cette chanson comme particuliers auront des proprié-

tés communes (p. ex. le fait de commen-cer en do) ; il y aura en outre des pro-priétés propres au type (p. ex. le fait d’être composé par Francis Cabrel) et des propriétés propres aux particuliers (p. ex. le fait d’être interprété à l’Arena de Genève le 18 mars 2016 à 20h00).

Wolterstorff apporte à cette théorie une modification pertinente. Ce dernier re-marque qu’un type ne peut avoir de pro-priétés physiques, comme le fait de com-mencer en do, car un type est une entité abstraite. Par conséquent, le vrai sens de « commencer en do » en parlant de l’œuvre est : « être telle qu’aucune chose ne peut être une interprétation correcte de cette œuvre sans commencer en do ». De plus, Wolterstorff ajoute une caracté-ristique essentielle à l’œuvre musicale qui la distingue ainsi des autres œuvres d’art : la norme (concrétisée par la parti-tion), qui détermine une séquence so-nore. Cela permet de dire que l’interpré-tation d’une œuvre doit nécessairement se faire après la composition de celle-ci.

Nous arrivons ici face à une situation in-trigante. Une séquence sonore est un ob-jet mathématisable ; or un objet mathé-matisable existe de toute éternité. On n’a pas créé le nombre pi, on l’a décou-vert. Il semblerait que de la même ma-nière, un compositeur ne crée pas une séquence sonore, mais la découvre. Le-vinson est un philosophe qui ne supporte pas cette conclusion. C’est pourquoi dans son article « What a Musical Work Is » datant de 1991, il va défendre le fait qu’une œuvre musicale ne peut pas exis-ter avant qu’on la compose. – Suite p. 8

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08 PHILOSOPHIE  

Il va ajouter à la théorie de Wolterstorff la condition selon laquelle les propriétés esthétiques d’une œuvre musicale dé-pendent du contexte historique de sa création (le caractère avant-gardiste d’un morceau, par exemple, est intime-ment lié à l’époque à laquelle il a été composé). De même, l’instrumentation prévue est jugée par Levinson comme étant essentielle à l’œuvre. Pour satis-faire la condition selon laquelle une œuvre ne doit pas exister avant qu’on la compose, Levinson va définir l’œuvre musicale comme une relation triadique entre un artiste, une structure sonore et instrumentale et un moment donné du temps. Ainsi, quand un artiste compose une œuvre, il n’invente pas une struc-ture sonore et instrumentale : il la fixe dans le temps.

Le philosophe britannique Jerrold Levinson en mars 2007

Certains événements dans l’histoire de la musique laissent penser que Levinson a touché par sa nouvelle définition à une réalité profonde et qui nous mène dans

des domaines de compréhension se si-tuant à la limite du divin et de l’inexpli-cable. C’est le cas, par exemple, du con-texte de création du chef d’œuvre « Goodbye Marylou ». La mélodie de ce titre issu de l’album Kâma-Sutrâ, conçu par Polnareff alors qu’il commençait à devenir aveugle, est construite sur une harmonie qui n’avait été utilisée sur au-cune chanson auparavant. Polnareff a eu l’occasion de raconter à plusieurs re-prises que ce titre lui a été insufflé d’ail-leurs ; qu’il a découvert en 1988 quelque chose qui n’existait pas encore mais qui néanmoins n’était pas de lui… Le chan-teur écrit dans son autobiographie : « Il y a des musiques qui m’ont été dictées. Quand je les écoute, je sais que ce n’est pas moi qui les ai faites, même si j’en suis le compositeur. Elles ne sont de personne d’autre, elles n’existaient pas avant que je les compose, mais je sais qu’elles ne sont pas de moi. J’évoquais déjà cet étrange phéno-mène en 1972 dans une interview à A bout portant, au sujet de "Qui a tué grand-maman". Elle a été dictée. C’est vrai que je l’ai écrite pour Lucien Morisse dont le sui-cide m’avait beaucoup affecté. Je l’ai vérifié encore des années plus tard quand j’ai composé « Goodbye Marylou ». […] Quand j’ai écouté ce truc-là, j’avais l’impres-sion que c’était quelqu’un d’autre qui l’avait écrit. J’avais même peur d’avoir éventuelle-ment copié quelqu’un ou écouté quelque chose pendant que je dormais. C’était comme si une force supérieure m’avait dicté la mélo-die. Parce qu’elle n’appartenait à aucun sys-tème harmonique que je connaissais. »

Écrire à l’auteur : [email protected]

© https://www.amherst.edu/system/files/styles/original/private/media/0523/Levinson-2.jpg?itok=fPWw-BRm

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09 EURO 2016  

 

Une analyse de NICOLAS JUTZET Hymne suisse, comme un malentendu

La polémique est chronique, elle refait surface à chacune des sorties de l’équipe de Suis-se de football. Et qui dit grand événement, type Euro 2016 en France, dit polémique am-plifiée. Une partie des médias et des spectateurs gémissent quand ils découvrent qu’une majorité des joueurs de notre chère « nati » ne chantent pas le Cantique suisse. Traîtres à la nation, mercenaires déconnectés de la réalité, tels sont les reproches formulés par ces patriotes du dimanche. Les sélectionnés rétorquent que l’attachement à un pays ne se limite pas à un futile hymne national. Rien ne semble pouvoir unir les deux camps.

La question de l’hymne national est pourtant intéressante. Celui-ci en dit souvent beaucoup sur l’histoire de son pays et son évolution. Prenez La Marseillaise, le chant de la Révolu-tion française, celui d’une population se battant pour sa liberté qui semble aujourd’hui totalement dépassé et même obscène quand il est chanté par les représentants d’un Etat pro-vidence obèse ou par son peuple qui a depuis longtemps oublié ce qu’était la liberté, et dont les seuls combats con-sistent à demander plus d'Etat. On est loin de l’esprit initial.

En Suisse, jusqu’à la fin du XIXème siècle, aucun hymne officiel n’existait. L’une des expli-cations pourrait venir du fait que, contrairement à nos voisins, notre unification n’est pas le résultat d’une guerre sanglante (Sonderbund, moins de cent morts) et qu’elle n’a pas eu besoin d’un quelconque chant de combattant. Le premier hymne suisse, Ô Monts indépendants, composé par Johann Rudolf Wyss en 1811, sur la musique de God Save the Queen, est aujourd’hui tombé dans un anonymat total. Ses paroles, bien plus perti-nentes à mes yeux que celles de la version actuelle, méritent pourtant d’êtres rappelées :

Suite p. 10

Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple (1830)

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10 EURO 2016  

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O monts indépen-dants,

Nous voulons nous unir,

Gardons avec fier-té Tu soutins nos aïeux,

Répétez nos ac-cents,

Nous voulons tous mourir

L’arbre au Grütli planté

Tu nous rendras comme eux,

Nos libres chants. Pour te servir. La liberté! Victorieux!

A toi patrie, O notre mère! Que d’âge en âge, Vers toi s'élance

Suisse chérie, De nous sois fière, Malgré l’orage, Notre espérance,

Le sang, la vie Sous ta bannière Cet héritage La délivrance

De tes enfants. Tous vont partir. Soit respecté. Viendra des cieux.

Pour mettre un terme à la confusion entre Ô Monts indépendants et l'hymne anglais, sur décision du Conseil fédéral, le Cantique suisse est introduit définitivement en avril 1981, vingt ans après son intronisation provisoire. Malgré de nombreuses tentatives, il n’a plus évolué depuis. Jugé dépassé par certains, il souffre d’un manque de considération ; très peu de citoyens connaissant l’entier des paroles. Une partie en ignore même le rythme. Même les essais de réformes ne rencontrent que peu d'intérêt.

On voit donc que les polémiques qui accompagnent l’EURO 2016 sont artificielles. Une solution serait de mettre un terme à cette mascarade qui, hormis susciter des polé-miques en réveillant les plus vils sentiments, ne sert à rien. Supprimons ce chant des hymnes juste avant les matchs. Cela nous éviterait une flopée d’articles outranciers, et surtout la vue de beaufs qui beuglent à tue-tête en dégoulinant de bière.

Ecrire à l’auteur : [email protected]

Vous êtes étudiant(e) et intéressé(e) à écrire un article dans notre journal ? Envoyez-nous un courriel à [email protected] pour avoir la possiblité d’écrire dans une prochaine édition !

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 11

11 EURO 2016  

 

Une pensée de SÉBASTIEN OREILLER Shaqiri, chat qui pleure

Cet article sera à l’image d’un match de foot : une causerie sans vrai début ni fin, à match nul, écrite à l’intention des bons supporteurs, ceux qui sont agressifs, détruisent des cités entières à coups de violence et de bière ; les supporteurs, donc, que l’on préfère voir chez son voisin plutôt que chez soi. Voltaire constate que le Sénat romain déversait le peuple sur les pays étrangers plutôt que sur lui-même. Il en va de même pour le foot-ball, qui canalise toutes les frustrations, la haine quotidienne, que le match permet au supporteur d’exprimer en se substituant au guerrier du gazon vert, avec force invectives et cris de jouissance. Et pendant ce temps, le chat pleure. Il pleure parce qu’il est tout seul. A l’image de ces affiches que l’on trouve placardées partout en Suisse, prétendant « échanger mari contre bon soins ». Je ne sais pas exactement de quoi il en retourne ; je soupçonne qu’il s’agisse d’une publicité pour un site de rencontres adultérines. L’avenir nous le dira peut-être.

Enfin, le chat est seul, la femme aussi, les enfants également. Est-ce donc là l’effet soli-daire du football ? Je le pense. Si les peuples ont les dieux qu’ils méritent, ils ont égale-ment les sports qu’ils méritent et, à plus juste titre, les équipes qu’ils méritent. Appa-remment, ce monsieur Shaqiri (ou peut-être s’agit-il d’un autre, je ne sais pas), serait prêt à quitter notre équipe nationale. Qu’il fasse donc, nous ne sommes pas en train de revivre Marignan. Ou peut-être que si, en fait. Il est étonnant de voir à quel point le foot-ball cristallise les antagonismes séculaires, à coups d’hymnes nationaux, de présidents sur place, et d’agressivités à l’égard des autres supporteurs. Le sport adoucirait donc les mœurs. En tous cas, il contient les tensions dans un cadre codifié, et donne un – Suite p. 12

 

© https://www.esr.ch/media/esr/image/0/simple_main/net_euro_560x174px.jpg

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 12

 

12 EURO 2016  

exutoire à la vindicte populaire, tout en nourrissant les cheiks du Qatar. Ce qui est d’autant plus étonnant quand la plupart des joueurs ne sont pas forcément représentatifs du pays qu’ils défendent. L’important n’est donc pas là : on ne sait pas pourquoi on déteste l’autre, on le déteste c’est tout, on le déteste un bon coup, on klaxonne, on s’endort content et on fait de beaux rêves.

J’ai dit que le sport contient les tensions dans un cadre codifié. Il serait donc inquiétant de voir ces tensions s’exacerber, non seulement dans l’enceinte du stade de foot, mais en-core dans ce que l’on nomme les « fan zones ». Etrangement, ce sont les Russes et les An-glais qui se sont révélés problématiques durant cet Euro. Symbole des agitations qui se-couent ces deux pays ? A l’heure du Brexit, savourons au moins cette consolation amère que les Anglais ne devraient plus poser de problèmes à l’avenir. Peut-être même n’y au-ra-t-il plus d’Euro du tout. En revanche, l’on veillera à se tenir à l’écart des matchs An-gleterre-Pays de Galles, Angleterre-Ecosse ou Angleterre-Irlande.

Que le chat rie ou que le chat pleure, que Shaqiri gagne ou que Shaqiri perde, me diriez-vous à juste titre, cela importe finalement assez peu, c’est le caprice d’une Europe en paix, et d’Européens qui peuvent encore se payer pareils divertissements. En fin de compte, espérons que le chat continue de pleurer parce qu’il est tout seul à la maison, ou tout seul sur le paillasson, plutôt qu’il ne pleure parce que qu’il crève de faim ou que son maître est parti à la guerre.

Ecrire à l’auteur : [email protected]

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Le Regard Libre Le Burkli 83 / 2019 Chambrelien (Suisse)

 

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 13

 

13 MUSIQUE  

 

JONAS FOLLONIER – La richesse de la chanson française (6/6)  

Une chanson anti-hippies

Pour le dernier volet de « La richesse de la chanson française », nous allons nous intéres-ser à une chanson de Johnny Hallyday. Plongeons-nous dans le contexte de 1966, une année importante car elle constitue pour moi le début de la période musicale la plus im-pressionnante de la chanson française du XXe siècle : 1966-1968.

En effet, c’est en l’espace de ces trois ans que vont éclore les titres les plus paradigma-tiques de la nouvelle génération de chanteurs : « La Poupée qui fait non », « Love me, please love me », « L’Amour avec toi » et « Le Bal des Laze » de Michel Polnareff ; « Les play-boys » et « Il est cinq heures, Paris s’éveille » de Jacques Dutronc ; « La Javanaise » et « Bonnie and Clyde » de Serge Gainsbourg ; « Noir c’est noir » de Johnny Hallyday.

Or en 1966, ce dernier sort la chanson « Cheveux longs et idées courtes » dans l’album La génération perdue. Cette dernière a un destinataire précis : le chanteur barbu Antoine. Celui-ci, la même année, sort son premier succès : « Les Elucubrations d’Antoine ». Dans l’un de ses couplets, Antoine présente Johnny comme étant une idole démodée : « Tout devrait changer tout le temps / Le monde serait plus amusant / On verrait des avions dans les couloirs du métro / Et Johnny Hallyday en cage à Medrano. »

Cependant, Johnny, qui n’est pas aussi idiot que sa marionnette dans Les Guignols, va répliquer avec l’aide de son parolier Gilles Thibaut. « Cheveux longs et idées courtes » ré-pond directement à Antoine : « Si les mots suffisaient pour tout réaliser / Assis sur son derrière avec les bras croisés / Je sais que dans une cage je serais enfermé / Mais c'est une autre histoire que de m'y faire entrer / Car il ne suffit pas d'avoir les cheveux longs. »

Plus généralement, la chanson s’en prend aux hippies, que l’idole des jeunes n’appréciait guère : « Si monsieur Kennedy / Aujourd'hui revenait / Ou si monsieur Gandhi / Soudain ressuscitait / Ils seraient étonnés / Quand on leur apprendrait / Que pour changer le monde / Il suffit de chanter [...] Et surtout, avant tout / D'avoir les cheveux longs. » A l’issue de ce feuilleton, il ne vous reste plus, chers lecteurs, qu’à écouter ce bel exemple de chanson désengagée, assis sur votre canapé à côté de votre lecteur vinyle, en bal(l)ade dans notre bel été avec vos écouteurs, ou encore sur les ondes pratiques de YouTube. Site musical : www.jonasfollonier.com Écrire à l’auteur : [email protected]

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 14

 

14 POLITIQUE  

 

La parole à notre invité du mois, VINCENT F. PICKERT

Uber vs Taxis, une con-currence déloyale ?

Avec les interdictions d'Uber dans plusieurs régions, comme l'Espagne, le Nevada et l'Inde, les manifestations anti-Uber à Paris ou encore des débats au Conseil de Ville de Toronto, la tension monte autour du géant californien. En effet, le service alternatif aux taxis classiques inquiète : n'importe qui peut, à faible coût et en quelques clics, profiter ou offrir des services de taxi. Pour le service Uber Pop, celui qui crée le plus de polé-mique, nul besoin de licence, de formation ou de certification : une inscription sur l'application suffit.

Malheureusement, cette technologie de rupture souffre de son caractère innovant. Les syndicats de taxis, les politiciens et les citoyens accusent Uber, respectivement, de con-currence déloyale, de non respect des lois et de destruction des traditions – à Londres, par exemple, avec les fameux "Cabs". Dans un esprit conservateur et de justice, le servi-ce de "sharing economy" se voit interdire l'accès dans de plus en plus de parties du globe.

Ces politiques de "régularisation" ne violent pas seulement le principe de liberté écono-mique : elles sont tout simplement inutiles. Alors que le service se proposait de faire con-currence à un vieux monopole des taxis, devenu inefficace et sans volonté d'amélioration de l'offre, la multinationale fait face à des syndicats inflexibles, préférant se tourner vers l'interdiction plutôt que revoir leur modèle commercial. Ces interdictions sont approu-vées par des politiciens qui cèdent à la pression desdits syndicats et qui souhaitent faus-sement suivre la volonté publique.

Quelles solutions, en dehors de celle de la députée socialiste au Grand Conseil Genevois Salima Moyard, préconisant l'introduction d'une taxe, qui finance elle-même un fonds commun de subvention pour les taxis desservant les régions délaissées (solution digne d'une économie planifiée) ? La libéralisation. Ou plutôt, l’abolition totale de quelque règle, privilège ou permis que ce soit. En autorisant Uber à opérer où il le souhaite, en supprimant les privilèges des taxis (emprunt des lignes de bus par exemple) ou encore en arrêtant avec les coûteuses licences que doivent s'astreindre les taxis pour fonctionner, nous créerons une véritable concurrence dans un marché libre, avec une offre axée sur le consommateur (et donc le public) et non sur la sauvegarde d'intêrets personnels.

Vincent F. Pickert étudie au Lycée Jean-Piaget à Neuchâtel. Il exerce la fonction de conseiller général à la commune de Saint-Blaise et fait partie du comité de Pro Swissmetro.

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 15

 

15 FORUM  

Une réflexion de JONAS FOLLONIER

La tolérance, ce n’est pas tout accepter

Dans la philosophie politique, une question mérite qu’on y attache toute notre attention, vu les situations inédites auxquelles sont confrontées nos sociétés occidentales actuelles. Un grand changement est survenu ces dernières décennies. Il ne s’agit pas de la technologie, vieille comme le monde, ni des bousculements écologiques, eux aussi vieux comme le monde. Non, je veux parler du politiquement correct – et ne vous dites pas à ce stade que vous avez affaire aux propos d’un extrémiste de droite un peu simplet ; les lignes que vous lisez émanent d’un libéral.

Le politiquement correct est apparu à la suite de la Seconde Guerre mondiale. L’intelligentsia européenne, qui voulait se racheter du passé colonial, esclavagiste, impérialiste et raciste de l’Europe et qui ne pouvait plus trouver refuge dans le marxisme car il avait également montré son horrible visage, se tourna vers une idéologie qui était alors l’invention de quelques penseurs mais qui désormais fait presque l’unanimité : celle consistant à dire qu’il faut respecter toutes les croyances et tous les modes de vie. L’axiome sous-jacent est que toutes les civilisations sont égales.

Or à mesure que cette pensée expiatoire s’est répandue dans les universités européennes et américaines, l’Occident a également connu une hausse progressive de l’immigration, un brassage des cultures et des ethnies ainsi que l’apparition du terrorisme. Nous sommes aujourd’hui à un point de l’Histoire où nous devons avouer une chose importante : le politiquement correct n’est pas une bonne solution. Il est même un danger dans la mesure où, comme le montre Alain Finkielkraut dans son essai avant-gardiste La défaite de la pensée (1987), il renvoie chaque individu à sa culture et a donc comme effet de séparer encore plus les différentes communautés et d’attiser les tensions.

La toute-puissance du politiquement correct a aussi pu être possible grâce au procès des Lumières entamé par Horkheimer et Adorno. Les camps de concentration, l’antisémi-tisme, le racisme, tout cela, nous disent-ils, est un résultat de la philosophie de la raison – bref, des Lumières. Or ce procès est faux. Qui pourrait soutenir que les théories eugénistes d’un Hitler aient quoi que ce soit de rationnel ? Est-ce la rationalité des philo-sophes allemands, ou plutôt le ressentiment d’un pays meurtri par la première guerre, qui est la principale responsable d’Auschwitz ? Le ressentiment, bien sûr. – Suite p. 16

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 16

16 FORUM  

Je fais partie de ceux qui ne voient pas les Lumières comme une étape parmi d’autres dans le suprématisme matchiste et raciste de l’Europe, ni comme une révolution qui, en détruisant toutes formes d’autorité, nous a fait perdre les valeurs les plus importantes telles que la hiérarchie, la religion ou encore la tradition. Non, les Lumières constituent une époque bénie de la philosophie occidentale durant laquelle les concepts les plus importants pour nos Etats modernes ont été énoncés : la liberté, la laïcité, la culture, l’universalité ou encore la justice.

Et il est temps de rappeler que la notion de tolérance s’est justement élaborée dans la philosophie du XVIIIe siècle. John Locke est l’un des penseurs à l’avoir théorisée. Nous allons ici nous cantonner à son disciple français : Voltaire. Dans son traité, François-Marie Arouet (c’est son vrai nom), fait reposer la tolérance sur le principe suivant : « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ». Les croyants doivent tolérer les non-croyants, c’est-à-dire accepter qu’autrui pense différement. L’Etat, quant à lui, doit tolérer les différentes religions, c’est-à-dire accepter qu’elles habitent sur son territoire.

Le philosophe français François-Marie Arouet, dit Voltaire

Or selon Voltaire, il existe des situations où l’Etat doit être intolérant : il s’agit des cas où certaines personnes, par fanatisme, portent atteinte à l’harmonie de la société. Qui est fanatique n’est pas tolérable. La tolérance, ça se mérite. Ainsi, nous voyons bien que Voltaire pose des limites pertinentes à la tolérance. Et quoique ce dernier n’ait jamais imaginé le genre d’affaires que nous vivons actuellement, sa pensée permet de nous questionner sur la marge de tolérance que nous devons avoir pour des revendications telles que le port du voile islamique en classe ou le refus d’étudier des œuvres jugées immorales telles que Madame Bovary, symbole du génie littéraire français. – Suite p. 17

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 17

17 FORUM  

De plus, comme le montre de façon admirable le philosophe israëlo-suisse Carlo Strenger dans son ouvrage récent Le mépris civilisé, la tolérance des Lumières avait comme prin-cipal but de libérer l’être humain de l’autorité arbitraire de l’Eglise et d’instaurer le droit à la critique, placée au-dessus de toute répression. Il s’ensuit que le politiquement cor-rect, en remplaçant l’esprit critique par l’esprit relativiste du « tout se vaut » et en trans-formant la critique universelle par le respect universel, se situe en fait à l’opposé des Lumières et de leur humanisme, bien qu’ils s’en revendiquent pour paraître éclairés.

Le psychologue et philosophe actuel Carlo Strenger

Ainsi, il conviendrait qu’à la place du respect inconditionnel envers toutes les formes de croyances et de modes de vie, nous rétablissions la tolérance de Voltaire et de ses col-lègues libre-penseurs. En effet, il est de notre droit et même de notre devoir, pour faire face aux événements qui s’imposent à nous, de mépriser certaines croyances si nous les jugeons irrationnelles, nuisantes ou tout simplement aberrantes. Et ce, à condition que nous fassions la distinction qu’établissaient les Lumières entre l’homme et ses croyances : il faut toujours respecter un homme, quel qu’il soit, mais il est permis de s’interroger sur ses croyances.    Ecrire à l’auteur : [email protected]

Jonas Follonier sera l’invité d’Anne Laure Gannac pour son émission « Philo in Vivo » sur la radio RTS La 1ère le 14 juillet 2016 de 11h00 à 11h30. Il sera interviewé en direct sur Voltaire et les limites de la tolérance.

 

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 18

18 DESSINS DE PRESSE  

 

L’actualité vue par ELIAS JUTZET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 19

 

19 DESSINS DE PRESSE  

L’actualité vue par LUCAS HAUSSENER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le Regard Libre | Juillet 2016 | N° 18 20

« Le discours identitaire […] refuse l’universalisme. Il est même frappant de voir à quel point la revendication de la différence qui constitue une identité particulière l’emporte sur toute considération de ce qui nous est commun et de ce qu’on partage. Pour cette frange de la population, l’identité est très liée au fait religieux qui impose le séparatisme. »  

Elisabeth Badinter « Qui me consolera ?

– Moi seule, a dit l’étude ;

J’ai des secrets nombreux pour ranimer tes jours.

– Les livres ont dès lors peuplé ma solitude,

Et j’appris que tout pleure, et je pleurai toujours. »

Marceline Desbordes-Valmore

« Il faut se représenter l’en-semble des grandes métaphy-siques dans l’histoire et dans la mémoire de l’humanité, l’en-semble des grandes philoso-phies, seules dignes de grand nom de métaphysiques et de philosophies, comme l’ensemble des grands peuples et des grandes races, en un mot comme l’ensemble des grandes cultures : comme un peuple de langages, comme un concert de voix qui souvent concertent et quelquefois dissonent, qui ré-sonnent toujours. »

Charles Péguy

20 CITATIONS  

« La barbarie n’est pas la préhistoire de l’humanité mais l’ombre fidèle qui accompagne chacun de ses pas. »

Alain Finkielkraut

« L’objectivité […] Cette pas-sion désintéressée, inconnue en dehors de la civilisation occidentale pour l’intégrité intellectuelle à tout prix. »

Hannah Arendt