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M. le Professeur Julio Barberis Le régime juridique international des eaux souterraines In: Annuaire français de droit international, volume 33, 1987. pp. 129-162. Citer ce document / Cite this document : Barberis Julio. Le régime juridique international des eaux souterraines. In: Annuaire français de droit international, volume 33, 1987. pp. 129-162. doi : 10.3406/afdi.1987.2771 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1987_num_33_1_2771

Le régime juridique international des eaux souterraines

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M. le Professeur Julio Barberis

Le régime juridique international des eaux souterrainesIn: Annuaire français de droit international, volume 33, 1987. pp. 129-162.

Citer ce document / Cite this document :

Barberis Julio. Le régime juridique international des eaux souterraines. In: Annuaire français de droit international, volume 33,1987. pp. 129-162.

doi : 10.3406/afdi.1987.2771

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1987_num_33_1_2771

ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL XXXIII - 1987 - Editions du CNRS, Paris.

LE RÉGIME JURIDIQUE INTERNATIONAL DES EAUX SOUTERRAINES

Julio A. BARBERIS

SOMMAIRE

Première partie : Les eaux souterraines D'après la pratique internationale 1. Introduction 2. Le territoire de l'Etat et le sous-sol 3. La pratique internationale

A) Aquifères propres d'un Etat 4. Servitudes internationales d'utilisation des eaux souterraines 5. Modification d'une frontière internationale en raison des eaux souterraines

B) Aquifères partagés entre Etats 6. La notion de « ressource naturelle partagée » 7. Les eaux souterraines en tant que ressource naturelle partagée 8. Les limites des aquifères partagés — Systèmes hydrologiques internationaux

Deuxième partie : Les normes juridiques applicables aux eaux souterraines partagées 1. Généralités

A) Le droit international général 2. a) Obligation de ne pas causer de préjudice sensible 3. La pollution des eaux souterraines 4. b) Utilisation équitable et raisonnable 5. c) Obligation d'information préalable — Le devoir de négocier

B) Le droit international conventionnel 6. Aquifères soumis à un usage commun 7. Régimes juridiques spéciaux

(*) Julio A. BARBERIS, Professeur à l'Université catholique de Buenos Aitres, Associé de l'Institut de droit international.

Cet article a été rédigé par l'auteur en prenant comme base une étude qu'il a élaborée comme consultant de la F.A.O.

Abréviations employées : B.F.S.P. : British and Foreign State Papers. C.I.J. : Cour Internationale de Justice. C.P.J.I. : Cour permanente de Justice internationale. C.T.S. : Parry, The Consolidated Treaty Series. I.U.W.R. : Internationales Umweltrecht — Multilatérale Vertràge. N.R.J. ."Natural Resources Journal. R.d.C. .-Recueil des Cours de l'Académie de Droit International de La Haye. R.SA. : Recueil des sentences arbitrales. R.T.N. U. : Recueil des traités des Nations Unies. R.T.S.N. : Recueil des traités de la Société des Nations.

130 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

Première partie Les eaux souterraines d'après la pratique internationale

1. Introduction

Dans la nature l'eau suit un cycle communément appelé cycle hydrologique. La découverte de ce phénomène est relativement récente si l'on tient compte des questions que l'homme s'est posé sur le sujet depuis l'antiquité. Pour expliquer l'origine de la pluie, de l'eau des fleuves ou des eaux souterraines il faisait appel à la magie ou à la mythologie. Ce n'est qu'au cours des XVIe et XVIIe siècles que sera résolue l'énigme du mouvement cyclique de l'eau dans la nature.

Chauffée par le soleil l'eau des mers, des fleuves et des lacs s'évapore et passe dans l'atmosphère où ensuite elle se condense avant de se précipiter sous forme de pluie, de neige ou de grêle. Une partie importante tombe dans les océans. Une autre se précipite sur les continents et reste à la surface de la terre, en humidifiant le sol, ou bien elle s'infiltre en formant des courants qui ressortiront à la surface dans des terres plus basses et qui, finalement, iront déboucher dans la mer. L'eau absorbée par la racine des plantes est exhalée par les feuilles et retourne à l'atmosphère. Celle qui est à la surface des mers et des continents s'évapore à nouveau pour recommencer le cycle hydrologique.

L'eau qui pénètre dans le sol, après que celui-ci ait dépassé sa capacité d'absorption, s'infiltre lentement jusqu'à atteindre la nappe phréatique. L'eau souterraine va des endroits ayant un grand potentiel hydraulique à ceux de potentiel moindre et, étant donné que ces derniers coïncident en général avec les zones morphologiquement basses, c'est ici que la décharge se produit. Cette circulation d'eau souterraine obéit aux lois de la pesanteur : l'eau s'infiltre et ensuite elle coule latéralement vers des terres plus basses. Mais il existe un autre courant de l'eau qui va de la nappe phréatique vers la surface, courant dû à la capillarité. L'eau qui monte ainsi peut être absorbée par les plantes à travers leurs racines.

Le processus de charge et de décharge des aquifères, que l'on vient de décrire, peut avoir lieu en totalité dans le territoire d'un Etat lorsqu'aussi bien l'aquifère que sa zone d'alimentation sont situés à l'intérieur des frontières de cet Etat et qu'ils ne sont pas liés hydrologiquement à d'autres aquifères ou à des eaux de surface internationales. La régulation juridique de l'exploitation de ces eaux souterraines est du ressort de la juridiction de l'Etat territorial.

Il existe par contre de nombreux cas où le cycle hydrologique concernant certaines eaux souterraines se déroule sur le territoire de deux ou de plusieurs Etats. Les exemples de ces cas sont très variés. Il peut arriver qu'un aquifère soit traversé par une frontière, une partie de l'aquifère se trouvant ainsi dans un Etat et une autre partie dans l'Etat limitrophe. Il est encore possible que l'aquifère soit situé à l'intérieur des frontières d'un Etat mais qu'il soit hydrologiquement dépendant d'un fleuve international ou d'un aquifère situé dans un autre Etat. Il peut aussi arriver qu'un aquifère qui se trouve dans le territoire d'un Etat ait sa zone d'alimentation dans un autre Etat. Dans tous ces cas il est encore possible que l'activité qui a lieu dans le territoire d'un Etat en ce qui concerne les eaux souterraines ait des conséquences au-delà de ses frontières et modifie l'état naturel de ces mêmes eaux souterraines. Ainsi, l'exploitation excessive d'un aquifère que traverse une frontière faite d'un côté aura des effets sur la partie de l'aquifère

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 131

appartenant à l'Etat voisin. La modification du régime d'un fleuve peut faire changer le niveau de la nappe phréatique dans un territoire étranger. De même, le déboisement, l'imperméabilisation du sol ou le changement artificiel du climat dans la zone de recharge située dans un Etat peuvent avoir des conséquences sur le volume d'eau qui pourra être extrait de l'aquifère dans l'Etat voisin.

Du point de vue du droit international, la question qui se pose est celle de déterminer s'il existe des normes juridiques réglant l'exploitation des eaux souterraines.

Une approche peut-être simpliste du sujet pourrait aboutir à la conclusion qu'une fois que la frontière internationale a été établie et tracée, la compétence territoriale de chaque Etat est parfaitement définie, éliminant ainsi toute possibilité de litige entre eux.

Mais cette conception des frontières est insuffisante car, dans la réalité il existe des ressources naturelles qui passent du territoire d'un Etat dans un autre et que ces Etats ne peuvent pas se partager en posant des bornes frontières. L'utilisation qu'un Etat fait de ces ressources peut avoir des conséquences dans un autre Etat. Par exemple, les poissons d'un fleuve dont le thalweg constitue la frontière entre deux Etats passent constamment d'un pays dans l'autre et si dans l'un de ceux-ci on procède à une exploitation excessive, les conséquences seront subies par l'autre riverain. De même, si dans un lac limitrophe d'un Etat on fait dériver des quantités d'eau importantes, le voisin verra diminuer le volume d'eau dans son propre territoire. Comme nous l'avons vu précédemment, les eaux souterraines constituent elles aussi une source naturelle qui ne peut être divisée entre Etats au moyen de bornes car l'utilisation qui en sera faite d'un côté de la frontière pourra avoir des effets de l'autre côté. Dans tous ces cas la question est posée de régler juridiquement les activités ayant ou pouvant avoir des conséquences au-delà du territoire de l'Etat où elles se déroulent.

2. Le territoire de l'Etat et le sous-sol

L'étude de la réglementation des eaux souterraines pose au juriste une question préalable qui consiste à déterminer jusqu'où s'étend, en profondeur, le territoire d'un Etat.

Jusqu'à présent les pays ont fixé les frontières terrestres qui les séparent, selon les méthodes établies par le droit international. Ce travail de détermination des limites internationales s'est étendu à d'autres domaines au fur et à mesure des progrès de la technologie. Ainsi la question de la limite en altitude de la juridiction d'un Etat dans l'espace aérien a-t-elle commencé à se poser seulement lors de la conquête de l'espace par l'homme, surtout à partir du lancement du premier satellite artificiel (4.X.1957), II en a été de même pour ce qui concerne le droit de la mer. La convention de Genève de 1958 sur le plateau continental autorisait l'extension de la juridiction de l'Etat pour l'exploitation de ses ressources naturelles jusqu'à une profondeur de 200 mètres ou plus, jusqu'à l'endroit où la profondeur des eaux sus-jacentes en permettait l'exploitation. Ensuite, les progrès technologiques ont rendu possible l'exploitation des richesses des fonds marins, en particulier des nodules métalliques. C'est alors que la Convention de Montego Bay (1982) fixa une limite à la juridiction des Etats en ce qui concerne leur plateau continental, limite au-delà de laquelle les fonds marins seraient le « patrimoine commun de l'humanité ». Dans cette évolution du droit international, il faut souligner que les questions sur la limite en altitude pour ce qui est de l'espace aérien, ou sur la limite extérieure

132 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

en ce qui concerne le plateau continental ne se sont posées que lorsque la technologie eût permis à l'homme de conquérir cet espace ou de tirer profit de ces ressources. Ceci s'explique par le fait que le Droit est appelé à résoudre des questions pratiques et non des problèmes théoriques, comme cela aurait été le cas si l'on avait voulu trouver une réponse à ces questions au début du siècle.

Le sous-sol n'a pas fait l'objet d'une attention spéciale de la part du droit des gens. Lorsque dans un traité international l'on établit une frontière entre deux Etats, celle-ci est valable aussi pour le sous-sol, même si le fait n'est pas expressément mentionné. La règle générale est que la ligne frontière s'étend verticalement dans le sous-sol, sauf indication contraire. Les rares traités dont le texte prévoit expressément que la ligne de démarcation est valable aussi pour le sous-sol sont ceux qui ont été souscrits par les Etats de l'Europe de l'est avec leurs voisins (1).

Quant à la question de savoir jusqu'où s'étend dans le sous-sol le territoire d'un Etat, le droit classique répondait avec la formule latine « Cujus est solum, ejus es usque ad coelum et ad inferos ». La doctrine actuelle du droit des gens s'est très peu occupée de ce sujet, peut-être à cause de son manque d'intérêt pratique. Pourtant il est probable que les progrès technologiques rendent possible l'exploitation du sous-sol à de très grandes profondeurs et que la question devienne importante dans les prochaines décades. Il est possible d'imaginer qu'à l'avenir le sous-sol terrestre sera utilisé comme espace, comme source d'énergie et à des fins d'exploitation minière. En tant qu'espace, l'on peut imaginer la construction de grands tunnels de communication. Le sous-sol peut constituer une source d'énergie géothermique et atomique et les grandes profondeurs offrent aussi des ressources minières abondantes.

Aux fins de la présente étude la question qui se pose est celle de déterminer si les eaux souterraines se trouvent, quant à la profondeur, dans le territoire d'un Etat ou bien si elles se situent en-dehors de lui.

Dans la doctrine du droit des gens il existe plusieurs thèses sur l'étendue du territoire d'un Etat en ce qui concerne le sous-sol.

Quelques auteurs soutiennent que le territoire de l'Etat comprend le sous-sol jusqu'au centre de la terre. Etant donné que celle-ci est une sphère, la forme du territoire d'un Etat serait à peu près celle d'un cône inversé dont le sommet se déplacerait au centre de la planète (2).

Une partie de la doctrine considère que le territoire d'un Etat s'étend jusqu'à la profondeur techniquement exploitable par cet Etat (3). C'est-à-dire que plus la technologie de l'Etat en question se développera, plus son territoire s'étendra en profondeur.

(1) Voir, en ce sens : l'art. 4 du traité souscrit entre l'Autriche et la Tchécoslovaquie le 12.XII.1928 (R.T.S.N., vol. CVIII, p. 12); l'art. 1, al. 2, du traité entre la Norvège et l'U.R.S.S. du 29.XII.1949 (R.T.N.U., vol. 83, p. 316); l'art. 2 du traité entre la Pologne et la République Démocratique Allemande du 6.VII.1950 ( R.T.N.U., vol. 319, p. 97); l'art. 1, al. 2, du traité entre l'U.R.S.S. et la Tchécoslovaquie du 30.XI.1956 ( R.T.N.U., vol. 266, p. 244); l'art. 1 du traité entre l'U.R.S.S. et l'Iran du 14.V.1957 ( R.T.N.U., vol. 457, p. 163); l'art. 1 du traité entre l'U.R.S.S. et l'Afghanistan du 18.1.1958 ( R.T.N.U., vol. 321, p. 80); l'art. 1, al. 2 de l'accord entre l'U.R.S.S. et la Finlande du 23.VI.1960 (R.T.N.U., vol. 379, p. 281); l'art. 2 du traité entre 1'U.R.S.S. et la Pologne du 15.11.1961 (R.T.N.U., vol. 420, p. 166); l'art. 2 de l'accord entre la Hongrie et la Roumanie du 13.VI.1963 (R.T.N.U., vol. 576, p. 333) et l'art. 2 du traité entre l'Autriche et la Yougoslavie du 8.IV.1965 (R.T.N.U., vol. 587, p. 170).

(2) FAUCHILLE Traité de Droit International Public, 8e éd., Paris, 1925, 1. 1, deuxième partie, p. 99. SCHOENBORN, « La nature juridique du territoire », R.d.C, 1929-V, pp. 146-147. OPPENHEIM, International Law, seventh éd., edited by H. LAUTERPACHT. London-New York-Toronto, 1948, vol. I, p. 417. GUGGENHEIM, Traité de Droit international public, Genève, 1953, 1. 1, pp. 377-378.

(3) VERDROSS, Volkerrecht, 5e éd., Wien, 1964, p. 274.

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Une troisième thèse estime que le territoire d'un Etat s'étend en profondeur aussi loin que la technologie permet son exploitation effective (4). La différence entre cette conception et la précédente réside en ceci que cette dernière tient compte du degré de développement technologique atteint par l'homme en général à un moment donné, indépendamment de la capacité de l'Etat sus-jacent à l'appliquer.

Ces deux dernières thèses limitent le territoire d'un Etat à la profondeur où la technique, que ce soit celle dont dispose cet Etat ou bien celle atteinte par l'homme en général, permet une exploitation effective. Néanmoins, ceux qui soutiennent ces thèses sont d'accord pour affirmer que c'est seulement l'Etat sus-jacent qui pourra, lorsque la technique le permettra, agrandir son territoire vers des zones plus profondes et non pas des Etats tiers.

Enfin, une quatrième théorie prend en considération la structure géologique du sous-sol. L'écorce terrestre est la partie la plus superficielle de la terre, celle qui s'appuie sur la lithosphère. En 1909 le sismologue yougoslave Mohorovicic découvrit que, dans son pays, à une profondeur d'environ 60 kilomètres, il se produisait un changement dans le structure géologique, lequel coïncidait avec l'endroit où finissait l'écorce terrestre et où commençait la lithosphère. Cette modification a été appelée la discontinuité de Mohorovicic, en hommage à son découvreur, et elle peut être déterminée techniquement avec une certaine précision. Cette discontinuité se trouve à des profondeurs variables selon la structure géologique du continent ou de l'océan en question. Certains juristes considèrent que la juridiction de l'Etat en ce qui concerne le sous-sol devrait s'étendre jusqu'à la discontinuité de Mohorovicic (5). Au-delà de cette profondeur il y aurait des couches sur lesquelles l'Etat sus-jacent exercerait une certaine juridiction jusqu'à une zone qui constituerait le patrimoine commun de l'humanité.

D'après le pratique générale et constante des Etats, les couches où se trouvent les aquifères qui sont actuellement exploités sont sous la juridiction de l'Etat. L'on peut donc affirmer que d'après le droit international en vigueur les eaux souterraines se trouvent dans la zone du sous-sol qui fait partie du territoire de l'Etat.

3. La pratique internationale

Les frontières internationales ont été tracées, pour la plupart, au cours des siècles passés et elles tiennent rarement compte de la situation des eaux souterraines. Il est donc relativement courant qu'une frontière internationale traverse un aquifère. C'est ainsi que des Etats limitrophes se trouvent souvent dans le cas d'avoir à se partager la même ressource. Bien que cela arrive dans de nombreuses frontières internationales, la question n'a pas été toujours prévue dans les traités ni dans d'autres instruments internationaux. Dans certains cas cela est dû à ce que les Etats n'attachent pas d'importance aux éventuels litiges que pourraient soulever les eaux souterraines frontalières. Dans d'autres cas, les Etats voisins peuvent avoir adopté, en ce qui concerne l'utilisation et l'exploitation des eaux souterraines, une pratique déterminée qu'ils considèrent satisfaisante sans toutefois juger utile d'en faire l'objet d'un traité. En tout cas, la pratique des Etats en ce qui concerne l'utilisation des eaux souterraines internationales est un élément important pour en préciser le régime juridisque car elle peut donner lieu à des normes coutumières générales ou particulières.

(4) DAHM, Vôlkerrecht, Stuttgart, 1958, t. I, p. 620. SCHNEIDER, « Staatsgrenzen », Wbrterbuch des Vôlkerrechts, 2e éd., Berlin, 1962, t. III, p. 333.

(5) AVERY, « In Anticipation of Subterrestrial Delimitation », Hastings International and Comparative Law Review, vol. 6, 1982, pp. 80 et 81.

134 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

Les traités internationaux concernant les eaux souterraines ne sont pas nombreux (6). Il est possible de trouver des dispositions sur la matière dans des traités multilatéraux en vigueur dans un continent (7), dans une certaine région (8) ou dans un bassin hydrographique (9) ou bien dans des traités bilatéraux concernant soit les eaux situées à la frontière de deux Etats (10) soit un aquifère déterminé (11).

La jurisprudence constitue un autre élément important pour la connaissance de la pratique internationale. Il n'existe, à l'heure actuelle, aucune décision internationale concernant les eaux souterraines. Il est néamoins possible de trouver des précédents dans des conflits ayant eu lieu entre membres d'un Etat fédéral (12). La jurisprudence établie dans ces affaires est applicable aussi dans l'ordre international car lorsqu'il n'existe pas de norme expresse de droit fédéral applicable à un cas concret, le droit des gens est appliqué subsidiairement (13).

Il existe aussi des résolutions d'organisations internationales et d'institutions scientifiques sur l'utilisation et l'exploitation des eaux souterraines internationales qui constituent un apport significatif pour déterminer quelles sont les normes en vigueur en la matière. Dans cet ordre d'idées il convient de citer en premier lieu le travail accompli par les Nations Unies au moyen des résolutions de son Assemblée Générale et des recommandations des Conférences sur l'environnement (Stockholm, 1972), sur l'eau (Mar del Plata, 1977) et sur la désertification (Nairobi, 1977) (14). La Commission du droit international de l'O.N.U. s'est occupée elle aussi

(6) L'on trouvera un recueil de textes internationaux faisant mention des eaux souterraines dans l'œuvre de TECLAFF-UTTON, International Groundwater Law, Londres-Rome-New- York, 1981, p. 189 ss.

(7) Voir, p. ex., l'art. 5 de la convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles du 15.XI.1968 (I.U.W.R., vol. III, p. 968 : 68/31).

(8) Voir, p. ex., l'art. 4 du Protocole du 17.V.1980 sur la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique (I.U.W.R., vol. V, p. 980: 37/23) et l'art. 2 du Protocole du 22.VII.1983 concernant la protection du Pacifique sud contre la pollution d'origine tellurique (I.U.W.R., vol. V, p. 983 : 54/11).

(9) Voir, p. ex., les arts 4 et 5 du Statut du bassin du lac Tchad du 22.V.1964 (I.U.W.R., vol. III, p. 964 : 38/14 s.).

(10) Voir, p. ex., les arts 1, 2 et 4 du traité du 13.111.1965 entre la République Démocratique Allemande et la Pologne (Gesetzblatt der Deutschen Demokratischen Republik, 1967, Partie I, n° 11, pp. 94 et 95) et l'art. 1 du traité du 22.VI.1981 entre la Hongrie et l'U.R.S.S.

(11) Voir, p. ex., l'accord par échange de notes entre la Suisse et la France des 19.VII.1978 et 11. VIII. 1978, sur la protection, l'utilisation et la recharge artificielle de la nappe souterraine du Genevois (LEJEUNE, Recueil des accords internationaux conclus par les Cantons suisses, Berne-Francfort/M., 1982, p. 200 ss.). Cet accord avait été signé au préalable le 9.VI.1978 entre la Préfecture de la Haute-Savoie et le canton de Genève.

(12) Voir, p. ex., la sentence de la Cour suprême des Etats-Unis d'Amérique du 2.III.1936 dans le conflit opposant les Etats de Washington et de l'Oregon (United States Reports, vol. 297, p. 517 ss.).

(13) Cf. FRIEDRICH, « The Settlement of Disputes between States Concerning Rights to the Waters of Interstate Streams », Iowa Law Review, vol. 32, 1946-47, p. 248. COWLES, International Law as applied between subdivisions of Federations, R.d.C, 1949-1, pp. 669-670. SCHWEBEL, Troisième Rapport sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, Annuaire de la Commission de droit international, 1982, vol. II, première partie, p. 225.

Pour la jurisprudence plus récente, cf. : la sentence du tribunal constitutionnel allemand du 31.VII.1973 (Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts, t. 36, p. 24); la sentence du Tribunal fédéral suisse du 2.VII.1980 sur le col de Nufenen, entre les cantons du Valais et du Ticino (Entscheidungen des Bundesgerichts, t. 106 I b, pp. 159-160) et les avis de la Commission nationale des limites inter-provinciales de l'Argentine des 30.IX.1968 (Buenos Aires-La-Pampa), 14.11.1969 (Formosa-Salta), 14.111.1969 (Salta- Chaco) et 27.V.1969 (Côrdoba-La Pampa).

(14) Quant au rôle des résolutions des organisations internationales en tant que créatrices de coutume, cf. : VERDROSS, « Kann die Generalversammlung der Vereinten Nationen das Vôlkerrecht weiterbilden ? », Zeitschrift fur auslândisches ôffentliches Recht und Vôlkerrecht, 1966, p. 690 ss.; et, du même auteur, « Entstehungsweisen und Geltungsgrund des universellen vôlkerrechtlichen Gewohnheit- srechts », Zeitschrift fur auslândisches ôffentliches Recht und Vôlkerrecht, 1969, p. 648.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 135

des eaux souterraines lorsqu'elle a étudié la question du « droit d'utilisation des cours d'eau internationaux » (15). Quant aux autres organisations internationales, les résolutions sur les eaux souterraines adoptées par l'O.C.D.E. et par les Communautés européennes méritent d'être signalées.

Parmi les institutions scientifiques, nous devons souligner la tâche menée à bien par l'International Law Association. Dans sa 52e Conférence (1966) l'Association approuva les « Règles d'Helsinki ». Depuis lors l'Association a désigné un Comité sur le droit des ressources en eau internationales (Committee on International Water Resources Law), lequel a confié à un Groupe de travail la question des eaux souterraines (16). Ce Groupe s'est réuni à plusieurs reprises, la dernière réunion ayant eu lieu à Vancouver en août 1985. Il approuva à cette occasion un projet qui fut ensuite adopté par la résolution 3/1986 de la 62e Conférence de l'Association (Séoul, août 1986) (17).

Les conventions entre membres d'un Etat fédéral présentent elles aussi un certain intérêt du point de vue du droit international (18). En général, le droit interne est plus avancé que le droit des gens en ce qui concerne la réglementation des eaux souterraines. C'est pour cette raison que les accords souscrits entre Etats membres d'un Etat fédéral peuvent être utiles pour connaître en détail le régime juridique concernant l'exploitation d'un aquifère inter-juridictionnel (19).

Une analyse de la pratique internationale nous permet de faire la distinction entre les aquifères propres d'un Etat et les aquifères partagés.

A) Aquifères propres d'un état

Les aquifères propres d'un Etat sont ceux situés entièrement à l'intérieur de ses frontières, c'est-à-dire qu'aussi bien leur structure que leur zone de recharge sont totalement dans le territoire d'un Etat. L'utilisation et l'exploitation de ces aquifères sont placées, en principe, sous la juridiction de l'Etat dans le territoire duquel ils se trouvent. Leur régulation juridique fait donc partie du droit de cet Etat.

Pourtant quelques traités internationaux font référence aux aquifères propres d'un Etat, principalement en deux circonstances. La première, lorsqu'une servitude d'utilisation des eaux souterraines est établie en faveur d'un Etat voisin. Dans ce cas, un traité international établit pour un aquifère appartenant à un Etat un droit d'utilisation ou d'exploitation en faveur d'un autre Etat. Le deuxième cas se présente

(15) Voir en particulier le Troisième rapport rédigé par Schwebel, rapporteur spécial (Annuaire de la Commission de droit international, 1982, vol. II, première partie, p. 79 ss). Quant au travail de la Commission sur la question des eaux souterraines, voir HAYTON, « The Law of International Aquifers », N.R.J., vol. 22, 1982, p. 80 ss.

(16) Cf. HAYTON, « The Law of International Aquifers », N.R.J., vol. 22, 1982, pp. 73 ss. et 78 ss. (17) International Law Association, Committee on International Water Resources Law, The Law on

International Groundwater Resources (Intermediate Report, rev. 2) by R.D. Hayton (Rapporteur), Vancouver, August 1985. International Law Association, Seoul Conference (1986), Committee on International Water Resources Law, Report of the Committee, p. 8 ss.

(18) Cf. CAPONERA-ALHERITIÈRE, « Principles for International Groundwater Law », Natural Resources Forum, vol. 2, 1978, p. 359 ss., UTTON, « The Development of International Groundwater Law », N.R.J., vol. 22, 1982, p. 104 ss. L'on trouvera dans TECLAFF-UTTON, op. cit., p. 376 ss. un recueil de traités mentionnant les eaux souterraines et conclus entre Etats des Etats-Unis d'Amérique.

(19) Cf. ALHERITIÈRE, « International Co-operation and Inland Waters : The Influence of Federalism », N.R.J., vol. 16, 1976, p. 913. Voir aussi CANO, « Los tratados y convenios entre divisiones politicas de paises fédérales como fuentes del derecho fluvial internacional », Revista Juridica Argentina La Ley, t. 98, p. 775 ss.

136 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

lorsque deux Etats modifient la frontière qui les sépare afin qu'un aquifère appartenant à l'un d'eux se trouve placé aussi dans le territoire du voisin.

4. Servitudes internationales d'utilisation des eaux souterraines

Les populations sont généralement approvisionnées en eau de façon permanente et cet approvisionnement ne varie qu'en des circonstances exceptionnelles telles que le tarissement de la source, la réduction de son débit, sa pollution excessive ou un accroissement des besoins de la population. Dans certains cas il y a eu une modification de la frontière séparant deux Etats qui a laissé d'un côté la population et de l'autre les eaux souterraines qui les approvisionnaient. Ces changements sont généralement dus à de nouveaux traités de frontière signés après une guerre ou à des accords conclus par la métropole vis-à-vis de ses territoires coloniaux. Dans ces cas l'on a cherché à ce que la population affectée continue de s'approvisionner aux sources qui sont passées à l'Etat voisin et, pour ce faire, l'on a parfois établi des servitudes internationales pour l'utilisation des eaux souterraines.

Par exemple, dans l'accord par échange de notes du 18.111.1904 et du 25.IV.1904 entre la Grande-Bretagne et la France sur la frontière séparant la Côte de l'Or du Soudan français, il est établi que les populations situées à proximité de la frontière auront le droit de continuer à utiliser les sources d'eau qu'elles utilisaient auparavant, bien que celles-ci se trouvent désormais de l'autre côté de la nouvelle frontière (20). L'accord par échange de notes des 11 et 15 mai 1905 entre les mêmes pays pour fixer la frontière entre la Côte de l'Or et la Côte-d'Ivoire contient un memorandum où il y a une clause similaire (21). Il en est de même dans l'accord par échange de notes du 19.X.1906 entre la France et la Grande-Bretagne sur la délimitation de leurs possessions depuis le golfe de Guinée jusqu'au Niger (22). Le protocle franco-britannique du 10.1.1924 qui détermine les limites entre l'Afrique Equatoriale française et le Soudan anglo-égyptien octroie à la France le droit de prendre l'eau aux puits de Sendi situés en territoire soudanais (23). Par un accord franco-britannique du 6.II.1925 ces Etats fixèrent la frontière entre le Sénégal et la Gambie dans le village de N'Baien (24). Cet accord donne aux habitants de la zone française de ce village le droit de s'approvisionner en eau dans le puits situé en zone britannique pendant une durée d'un an.

La frontière entre la Turquie et l'Iran offre d'autres exemples qui vont dans le même sens. C'est ainsi que l'article 1 du protocole du 4 (17) novembre 1913, conclu entre la Grande-Bretagne, la Russie, la Perse et la Turquie accorde un droit similaire aux tribus turques qui passent habituellement l'été aux sources de Gadyr et de Lavène, en Iran (25). Dans l'accord turco-persan par échange de notes du

(20) « The villages situated in proximity to the frontier shall retain the right to use... springs and watering places, which they have heretofore used, even in cases which such... springs and watering places are situated within the territory of the one Power, and the village within the territory of the other... » (B.F.S.P., vol. 99, p. 206).

(21) Nations Unies, Textes législatifs et dispositions de traités concernant l'utilisation des fleuves internationaux à des fins autres que la navigation (doc. ST/LEG/SER.B/12), p. 122.

(22) B.F.S.R, vol. 99, p. 229. (23) R.T.S.N., vol. XXVIII, p. 478. Ce protocole fut aprouvé par un accord par échange de notes du

21.1.1924 (R.T.S.N., vol. XXVIII, p. 462 ss). (24) R.T.S.N., vol. XCIII, pp. 32 et 33. Cet accord fut approuvé par la convention du 6.V.1929 (Rf.S.N.,

vol. XCIII, p. 29 ss.). (25) Doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 266.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 137

23.1.1932, concernant la ligne frontière, il est établi que les gardes-frontières des deux pays pourront utiliser certaines sources d'eau situées à proximité, des deux côtés de la ligne de démarcation (26).

Dans le même ordre d'idées, l'article 12 du traité entre la Perse et l'U.R.S.S. du 26.11.1921 établit que la Perse ne s'opposera pas à ce que les citoyens soviétiques, qui se servaient des sources situées dans la vallée du Kelta-Chinar, en Perse, continuent de le faire à l'avenir (27).

En Europe, l'un des exemples les plus anciens de servitudes internationales concernant les eaux souterraines est fourni par l'article 20 du traité entre la Belgique et le Luxembourg du 7.VIII.1843, qui donne aux habitants de Guirsch (Belgique) le droit de se servir de la source luxembourgeoise d'Oberpallen (28). Il est possible de trouver d'autres exemples dans les traités conclus après les deux guerres mondiales. Les dispositions relatives à la frontière germano-belge établies le 6.XI.1922 par une commission de démarcation, en application du traité de Versailles, prescrivent que le gouvernement allemand s'abstiendra d'approfondir les creusements existant dans son territoire ou d'en faire de nouveaux qui pourraient porter préjudice à l'approvisionnement de certaines communes belges en eau souterraine située en territoire allemand (29). Suite au traité de paix de 1947 entre l'Italie et les Puissances alliées, la première signa un accord avec la Yougoslavie le 18.VII.1957 concernant l'approvisionnement en eau de la partie de la commune de Gorizia qui était restée en territoire italien (30). Le traité prévoit que Gorizia sera approvisionnée par la source de Mrzlek (Fontefredda), en Yougoslavie, et les conditions de cette prestation y sont stipulées.

Dans les exemples mentionnés jusqu'ici, il s'agit d'aquifères propres d'un Etat pour lesquels un droit d'utilisation ou d'exploitation est accordé à un Etat voisin. Il s'agit donc d'eaux souterraines propres soumises à une servitude internationale.

5. Modification d'une frontière internationale en raison des eaux souterraines

Dans le but d'éviter la situation qui se présente lorsqu'une population est séparée par une frontière de sa source d'approvisionnement en eau souterraine, les Etats concernés ont été quelquefois d'accord pour modifier cette frontière de façon à ce que les sources se trouvent faire partie du même pays que la population qui s'en sert.

L'accord italo-égyptien du 6.XII.1925 en constitue un exemple (31). L'Italie céda à l'Egypte le puits de Ramla afin de permettre l'approvisionnement en eau potable des populations de Sollum. De même, l'Italie céda une zone entourant ledit puits et une étendue de terrain permettant de relier ce puits au territoire égyptien.

Selon le traité d'Aix-la-Chapelle du 7.XI.1929 entre l'Allemagne et la Belgique, cette dernière permit à l'Allemagne d'effectuer des travaux de prospection d'eau

(26) B.F.S.P., vol. 135, pp. 676 et 677. (27) Doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 374. (28) Doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 535. (29) « Le Gouvernement allemand se porte fort que la ville d'Aix n'approfondira pas les puits existant

à Lichtenbusch et à Schmidthof ni ne modifiera en aucune manière par le creusement de puits nouveaux ou de galeries nouvelles, la situation actuelle de l'approvisionnement en eau des communes belges... » (MABTENS, Nouveau Recueil Général de Traités, 3e Série, 1. 14, p. 872).

(30) L'art. 1 dispose : « La République populaire federative de Yougoslavie continuera à assurer grâce à ses installations de Mrzlek (Fontefredda)... l'alimentation en eau de la partie de la commune de Gorizia qui, aux termes du Traité de paix, est restée à l'Italie ) (doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 866).

(31) B.F.S.P., vol. 133, p. 976 ss.

138 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

souterraine aux sources de Breitenbach (Belgique) pour alimenter la commune allemande de Kalterherberg (32). Le traité prévoit que les résultats de cette prospection seront communiqués au gouvernement belge. Et l'article 67 établit que s'il s'avère que l'exploitation des sources de Breitenbach ne porte pas de préjudice à la Belgique, celle-ci cédera à l'Allemagne la souveraineté sur ces sources.

B) Aquifères partagés entre états

6. La notion de « ressource naturelle partagée »

Du point de vue du droit international il est possible de distinguer trois sortes de ressources naturelles, à savoir : les ressources naturelles propres d'un Etat, les ressources naturelles appartenant à la communauté internationale et les ressources naturelles partagées.

Les ressources naturelles propres de chaque Etat sont celles qui se trouvent entièrement à l'intérieur des frontières d'un Etat comme, par exemple, une forêt, un lac, une mine de soufre ou d'argent. L'exploitation de ces ressourcés est régie par les lois de l'Etat dans le territoire duquel elles se trouvent.

Les ressources appartenant à la communauté internationale se situent en- dehors du territoire des Etats et leur utilisation et exploitation sont réglées par le droit international. La lune (art. 4 du traité du 18.XII.1979) et les fonds marins (art. 137 de la Convention sur le droit de la mer de 1982) constituent des exemples de ces ressources.

En ce qui concerne les ressources naturelles partagées nous sommes en face de deux sortes d'éléments. En premier lieu, nous avons les substances fluides (liquides ou gazeuses) qui passent du territoire d'un Etat dans celui d'un autre ou qui se répandent à travers le territoire de deux ou plusieurs Etats. Une deuxième sorte d'éléments est constituée par les animaux qui émigrent d'un pays dans un autre, ainsi que tous ceux dont l'habitat se situe sur le territoire de plus d'un Etat. Selon ce critère l'atmosphère, les fleuves et les lacs internationaux, les gisements de gaz et de pétrole situés en travers d'une frontière internationale et les animaux que nous venons de citer constituent des ressources naturelles partagées.

Les ressources naturelles partagées sont sous la juridiction exclusive de l'Etat dans le territoire duquel elles se trouvent (33). Mais le droit international établit certaines normes qui doivent être appliquées par les Etats qui se partagent ces ressources naturelles.

Les ressources naturelles partagées sont des substances qui, de par leur nature, ne peuvent être divisées ou partagées au moyen d'une ligne frontière. Une mine de plomb ou d'or située en travers d'une frontière internationale peut être divisée par la démarcation sur le terrain de cette frontière. Mais il n'est pas possible de partager de la même manière un gisement de gaz situé en travers d'une frontière, car un Etat, par un forage exécuté dans son propre territoire, peut extraire le gaz du territoire voisin. De même, le fait de fixer une frontière sur un fleuve limitrophe n'empêche pas les poissons de passer d'un côté à l'autre de cette frontière et la pêche

(32) R.T.S.N., vol. CXXI, p. 328 ss. (33) II convient de souligner cette idée car il y a des Etats qui hésitent à l'accepter parce qu'ils

considèrent que le concept de « ressource naturelle partagée » implique une sorte de condominium ou de co-souveraineté sur la ressource, ce qui est inexact.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 139

abusive pratiquée par un Etat aura certainement des conséquences sur la partie du fleuve appartenant à l'Etat voisin. L'exploitation d'un fleuve soit par la construction d'un barrage destiné à la production d'électricité, soit par dérivation de ses eaux à des fins d'arrosage, peut avoir des conséquences sur la partie du même fleuve située dans le territoire voisin.

Les ressources naturelles partagées qui ont fait l'objet d'une réglementation juridique plus précise sont, sans aucun doute, les fleuves internationaux. Dans des périodes plus récentes l'on a vu se préciser la régulation juridique de la faune, des ressources minérales et de l'atmosphère. Les normes juridiques applicables à chacune de ces ressources sont similaires (34).

L'idée d'établir un régime juridique général pour les ressources naturelles partagées naquit à l'occasion de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement de 1972. Les termes mêmes de « ressources naturelles partagées » sont nouveaux, car auparavant ils n'étaient employés couramment qu'en anglais (« shared resources »). L'on peut affirmer que le concept de « ressource naturelle partagée » commence seulement à être employé avec quelque précision à partir de la résolution 3129 (XXVIII) de l'Assemblée Générale des Nations Unies (35). Pourtant, la similitude des normes juridiques applicables à chacune des ressources partagées permet de conclure qu'il existe des normes de droit international général applicables à elles toutes (36).

7. Les eaux souterraines en tant que ressource naturelle partagée

Une analyse détaillée de la pratique internationale nous montre que les eaux souterraines sont considérées comme faisant partie d'un même cycle avec les eaux de surface.

Nous voyons une première manifestation de cette pratique dans des instruments internationaux qui reconnaissent la dépendance réciproque qui existe entre les eaux de surface et les eaux souterraines, instruments qui établissent des dispositions les concernant.

Cette relation de dépendance a été expressément reconnue dans l'Acte signé le 1.IX.1957 entre la Grèce et la Yougoslavie au sujet du bassin du lac de Dojran. Parmi les études hydrologiques que les deux Parties prévoyaient de faire pour déterminer le régime du lac il y avait l'observation des niveaux des eaux souterraines par rapport aux différents niveaux des eaux de surface (section A, II, d) (37). Plus loin, l'Acte souligne l'intérêt que revêt l'étude du niveau de la nappe phréatique car elle permettra d'obtenir suffisamment de données en ce qui concerne l'influence des eaux souterraines sur le niveau du lac et vice-versa (section B, II, d) (38).

(34) Voir les normes juridiques applicables aux fleuves internationaux, aux ressources minérales partagées, à la faune et à l'atmosphère, in BARBERIS, Los recursos naturales compartidos entre Estado y el Derecho international, Madrid, 1979, pp. 26 ss., 65 ss., 103 ss. et 121 ss.

(35) II est utile de rappeler que l'antécédent immédiat de cette résolution est la Déclaration économique approuvée par la IVe Conférence au Sommet des Pays non-alignés, laquelle emploie les termes « ressources naturelles communes » pour parler des ressources naturelles partagées (IVe Conférence des Chefs d'Etat ou de Gouvernement des Pays non-alignés, Alger, 5-9 septembre 1973, Textes fondamentaux, p. 81). En outre, la même résolution 3129 (XXVIII) mentionne, dans son intitulé et dans l'un des considérants, les « ressources naturelles partagées », mais dans la partie dispositive, elle se réfère aux « ressources naturelles communes ». La recommandation 51 de la Conférence de Stockholm (paragraphe c, viii) parle des « ressources partagées par plusieurs nations ».

(36) BARBERIS, op. cit., p. 150 ss. (37) Doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 814. (38) Doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 816.

140 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

Quelques traités internationaux prévoient l'hypothèse selon laquelle certaines utilisations des eaux souterraines peuvent avoir des conséquences sur les eaux de surface. Nous pouvons citer allant dans ce sens, l'article 1 de la convention entre la Suisse et l'Autriche-Hongrie (30.XII.1982) pour la régularisation du Rhin (39), l'article 29 de l'accord sur les eaux et les barrages limitrophes entre l'Allemagne et le Danemark (10.IV.1922) (40), l'article 10 du traité entre Haïti et la République Dominicaine (20.11.1929) (41), l'article 1 du traité franco-suisse du 16.XI.1962 sur la protection du lac de Genève contre la pollution (42) et l'article 35 du statut du fleuve Uruguay (43).

D'autres traités prévoient l'hypothèse inverse selon laquelle l'exploitation des eaux de surface peut avoir une influence sur les eaux souterraines, tels par exemple la convention entre le royaume de Prusse, celui de Bavière, le Grand-Duché de Baden et celui de Hesse du 21.IV.1906 sur la canalisation du Main (44) et les accords signés entre le Luxembourg et le Land de Rheinland-Pfalz le 25.IV.1950 (45) et le 10.VII.1958 (46) sur l'exploitation hydro-électrique des fleuves Sauer et Our respectivement. On trouve des exemples similaires dans les traités sur le Rhin conclus le 27.X.1956 (47) et le 4.VII.1969 (48) entre la France et l'Allemagne, au sujet des sections comprises entre Bâle et Strasbourg et entre cette ville et Lautenbourg, et dans celui souscrit entre la Finlande et la Suède le 16.IX.1971 (49).

Les organisations internationales ont elles aussi adopté toute une série de recommandations et de résolutions dans lesquelles les eaux souterraines sont considérées comme faisant partie du cycle hydrologique. Il convient de citer en premier lieu la Charte européenne de l'Eau (50). Celle-ci reconaît expressément le cycle de l'eau qui s'accomplit dans la nature et affirme dans son principe XII : « L'eau n'a pas de frontières. C'est une ressource commune qui nécessite une coopération internationale ». Dans le principe XI, il est dit aussi que, « dans les limites d'un bassin, toutes les utilisations des eaux de surface et des eaux profondes sont interdépendantes ».

La recommandation C(78)4(Final) approuvée par l'O.C.D.E. le 5.IV.1978 affirme que l'un des objectifs principaux de la politique sur la gestion de l'eau est de sauvegarder et d'améliorer le cycle hydrologique en général. Et dans la note d'explication de cette recommandation, l'O.C.D.E. dit que les eaux souterraines et de surface forment un système hydrologique aux interactions étroites qui devrait être géré comme une entité unique.

La Commission économique pour l'Europe des Nations Unies a fait des travaux très intéressants au sujet des eaux souterraines, dans lesquels on reconnaît la dépendance réciproque entre celles-ci et les eaux de surface. Ainsi, dans la

(39) B.F.S.R, vol. 84 pp. 690 et 691. (40) R.T.S.N., vol. X, p. 103. (41) R.T.S.N., vol. CV, p. 220. (42) Journal Officiel de la République Française, 22.XI.1963, p. 10 405. (43) Comision administradora del Rio Uruguay, Documentas y antécédentes, Paysandû, 1981, p. 23. (44) Voir l'art. 4, paragraphe 2 {C.T.S., vol. 201, p. 101). (45) Voir l'art. 10 (doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 723). (46) Voir l'Annexe II, paragraphe 4 (doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 734). (47) Voir l'art. 4, al. 2 (Bundesgesetzblatt, 1956, II, p. 1865). (48) Voir l'art. 2, (R.T.N.U., vol. 760, p. 308). (49) Voir l'art. 1 du Chapitre 3 (R.T.N.U., vol. 825, p. 281). (50) Approuvée par l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe dans sa recommandation 493 du

28.IV.1967 et par le Comité des Ministres par résolution 67 du 26.V.1967.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 141

Déclaration de principe sur l'utilisation rationnelle de l'eau, approuvée par la décision C (XXXIX) en 1984, il est fait référence à l'« interrelation étroite » qui existe entre les deux (principe 3, e) (51). De même, dans le projet de principe sur l'utilisation des eaux souterraines préparé par un comité de la C.E.E. en 1985, le principe 3 traite précisément de la gestion intégrée des eaux de surface et des eaux souterraines en raison de l'interdépendance étroite qui existe entre elles (52).

Dans les milieux académiques la dépendance réciproque entre les eaux de surface et les eaux souterraines ainsi que l'existence d'un cycle hydrologique sont aussi largement reconnues. L'International Law Association adopta en 1958, à New York, une résolution dans laquelle l'on reconnaît la nécessité de tenir compte de l'interdépendance de tous les composants d'un bassin et où il est fait expressément référence aux eaux souterraines (53) Cette Association approuva, en 1958, une autre résolution où il est question de l'influence réciproque qui existe entre l'eau, d'une part, et les autres ressources naturelles et les composants de l'environnement, d'autre part (54).

La Conférence de Caracas de 1976 sur le droit et la gestion des eaux (A.I.D.A. II), organisée par l'Association internationale du droit des eaux, pose le concept de cycle hydrologique comme l'un des fondements de ses recommandations. Ainsi, la recommandation n° 1, qui dit : « L'eau doit être considérée selon le critère de l'unité du cycle hydrologique » (55). Dans ce cycle sont comprises, évidemment, les eaux souterraines. La recommandation 16, b, de la Conférence le précise expressément lorsqu'elle conseille d'intégrer « la gestion des eaux souterraines à toutes les autres ressources hydrauliques... » (56).

Ce courant qui considère les eaux de surface et les eaux souterraines comme faisant partie d'un même cycle apparaît aussi dans les traités internationaux, ainsi que dans de nombreuses résolutions et recommandations d'organisations internationales et d'institutions scientifiques qui les englobent dans un concept unique.

Les premières initiatives dans ce sens apparaissent dans les traités conclus par la Yougoslavie et la Pologne avec des pays voisins à partir de 1955.

Les accords signés entre la Yougoslavie et la Hongrie (8.VIII.1955) (57) et entre la Yougoslavie et l'Albanie (5. XII. 1956) (58) s'appuient sur le concept de système hydrique. D'après l'article 1, alinéa 3, des deux traités un système hydrique comprend les cours d'eau (de surface ou souterrains, naturels ou artificiels), les installations, les dispositifs et les travaux susceptibles de modifier, du point de vue hydrologique, les cours d'eau et les installations qui constituent la frontière internationale ou qui la traversent. Cette définition, ainsi que la terminologie utilisée dans les deux traités peuvent soulever quelques critiques. En premier lieu, la définition de système hydrique ne concerne que les seuls cours d'eau souterrains et ne s'applique pas à la plupart des eaux souterraines qui se trouvent dans les aquifères granuleux. En second lieu, le système hydrique n'inclut pas les fleuves

(51) Doc. E/ECE/1084-ECE/WATER/38, p. 25. (52) Doc. WATER/GE.1/R.66, Annexe, p. 1. (53) International Law Association, Report of the Forty-eight Conference held at New York (September

1st to September 7th, 1958), London 1959, p. ix. (54) International Law Association, Report of the Fifty-ninth Conference held at Belgrade (August

17th, 1980, to August 23rd, 1980), London, 1982, p. 4 et 373 ss. (55) Association Internationale du Droit des eaux, Annales Juris Aquarum, Caracas, 1976, vol. II, 1. 1,

p. CCLXXXIV. Voir aussi la recommandation 32 à la page CCLXXXIX du document cité. (56) Association Internationale du Droit des eaux, Annales Juris Aquarum, vol. II, 1. 1, p. CCLXXXVII. (57) Doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 830 ss. (58) Doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 441 ss.

142 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

contigus ni ceux à cours successif entre les pays contractants, ne comprenant que les eaux, les installations, les dispositifs et les travaux capables de modifier ces fleuves. Il faut signaler enfin que les traités limitent l'usage de l'expression système hydrique aux cas où il est en rapport avec une frontière internationale.

Cette terminologie, par trop compliquée, fut abandonnée au profit d'une autre plus simple, telle que nous la trouvons dans le traité conclu ensuite entre la Yougoslavie et la Bulgarie (4.IV.1958) (59). Il y est dit que les questions qu'il règle concernent les fleuves, leurs tributaires et les bassins qui sont contigus ou qui traversent une frontière internationale. L'accord énumère ces questions, parmi lesquelles il mentionne « l'étude et l'utilisation des eaux souterraines ». Le traité ne donne pas la définition de bassin mais de l'énoncé qui en est fait l'on peut déduire que l'on y inclut les eaux souterraines. Ceci est expressément dit dans l'article 1, paragraphe 2, alinéa f) du traité. En outre, dans deux autres alinéas il est question de la reconnaissance géologique et de l'échange de données, de plans et d'informations sur ces eaux.

Les traités conclus par la Pologne avec la Tchécoslovaquie (21.111.1958) (60), l'Union Soviétique (17.VII.1964) (61) et la République Démocratique Allemande (13.111.1965) (62) emploient les termes eaux frontières. Cette notion comprend certaines eaux de surface et souterraines. Quant à ces dernières, ne sont comprises que les eaux traversées par une frontière internationale. Les traités avec la Tchécoslovaquie et la République Démocratique Allemande précisent que sont comprises les eaux souterraines qui coulent du territoire d'un Etat dans l'autre mais seulement en ce qui concerne les endroits où elles traversent la frontière internationale.

Comme nous pouvons le constater d'après les cas analysés jusqu'ici, les traités que nous avons mentionnés prétendent faire entrer dans le même concept les eaux de surface et les eaux souterraines. Ils ont recours pour ce faire à des définitions qui présentent l'inconvénient d'être très compliquées ou trop restreintes, mais qui ont toutefois le mérite de constituer une première initiative en la matière.

Après ces accords, l'appartenance des eaux de surface et des eaux souterraines à un même cycle naturel est exprimée par la notion de bassin. Le premier instrument où ce concept est utilisé est le Statut du lac Tchad (22.V.1964) (63) en l'adaptant à la réalité naturelle et en y incluant aussi bien les eaux de surface que les eaux souterraines. Plus tard, la notion gagne en importance sur le plan académique, lorsqu'elle est admise comme idée fondamentale des Règles d'Helsinki sur l'utilisation des eaux des fleuves internationaux, approuvées par l'International Law Association le 20 août 1966 (64). L'article 2 des Règles d'Helsinki définit le « bassin de drainage international » comme la zone géographique s'étendant sur deux ou plusieurs Etats et déterminée par les limites de l'aire d'alimentation du système des eaux, y compris les eaux de surface et les eaux souterraines, s'écoulant dans une embouchure commune.

(59) R.T.N., vol. 367, p. 104 ss. (60) R.T.N.U., vol. 538, p. 108 ss. (61) R.T.N.U., vol. 552, p. 177 ss. L'U.R.S.S. conclut le 22.VI.1981 un accord avec la Hongrie où le

concept d'eaux frontières est utilisé avec le même sens. (62) Gesetzblatt der Deutschen Demokratischen Republik, 1967, I, n° 11, p. 93 ss. Pour une analyse

des traités conclus par la Pologne, voir RUMMEL-BULSKA, « Der Schutz der Grenzgewâsser im Lichte der bilateralen Vertràge der Volksrepublik Polen », Funftes deutsch-polnisches Juristen-Kolloquium, Baden- Baden, 1981, t. I, p. 81 ss.

(63) I.U.W.R., vol. III, p. 964 : 38/1 ss. (64) Helsinki Rules on the Uses of the Waters of International Rivers, adopted by the International

Law Association at the 52nd Conference held in Helsinki on 20th August, 1966; London, 1967.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 143

Les recommandations 51 à 55 de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement (Stockholm, 1972) se réfèrent aux ressources en eau (65), cette expression comprenant aussi bien les eaux de surface que les eaux souterraines.

La Conférence de Caracas de 1976 sur le droit et la gestion des eaux (A.I.D.A. II) emploie elle aussi dans ses recommandations les termes de ressources en eau. Celles-ci comprennent les eaux de surface et les eaux souterraines, ainsi que le confirme la recommandation 16, b, déjà mentionnée (66). Lorsqu'il s'agit de ressources en eau se trouvant dans le territoire de deux ou plusieurs Etats, la Conférence emploie les expressions « ressources en eau internationales » (67) ou « ressources internationales d'eau » (68).

La Conférence des Nations Unies sur l'eau, réunie à Mar del Plata, Argentine, en mars 1977, emploie les termes génériques ressources en eau et, lorsque celles-ci s'étendent à travers deux ou plusieurs Etats, elle utilise l'expression ressources en eau partagées (69), sans faire de distinction entre les eaux de surface et les eaux souterraines. De même, dans sa résolution VIII il y a une référence au « Plan d'action... en vue de la mise en valeur et de la gestion intégrée des ressources en eau » (70), qui contient des recommandations sur les eaux de surface et les eaux souterraines.

Dans le même ordre d'idées et en prenant comme référence le Plan d'Action de Mar del Plata, la Commission économique pour l'Europe adopta, en 1982, la décision D (XXXVII) sur la coopération internationale concernant les ressources en eau partagées par deux ou plusieurs Etats (71). Les expressions utilisées (ressources en eau partagées, shared water resources) comprennent aussi bien les eaux de surface que les eaux souterraines.

La recommandation C(78)4(Final) de l'O.C.D.E. du 5.IV.1978, déjà citée, concerne les ressources en eau (water resources) et précise que ces termes comprennent les eaux souterraines et les eaux de surface (72).

L'analyse des traités internationaux et des résolutions et recommandations des organisations internationales permet de constater que la pratique internationale reconnaît qu'entre les eaux souterraines et les eaux de surface, lorsqu'elles sont liées hydrologiquement, il s'établit un rapport de dépendance réciproque et elles font toutes deux partie d'un même cycle naturel. La pratique des Etats confirme elle aussi cette idée. Cette façon de concevoir les eaux souterraines nous permet de conclure que, lorsqu'il s'agit d'aquifères internationaux, ceux-ci constituent une ressource naturelle partagée conforme à la définition que nous avons donnée de ce concept (73).

(65) Doc. A/CONF.48/14/Rev.l, p. 19 ss. (66) Voir supra la note 56 de cette Partie I. (67) Recommandation 49 (Association Internationale du Droit des Eaux, Annales Juris Aquarum, vol.

IL t. I, p. CCXCV). (68) Recommandation 52, c (Association Internationale du Droit des Eaux, Annales Juris Aquarum,

vol. II, 1. 1, p. CCXCVI et CCXCVII). (69) Doc. E/CONF.70/29, pp. 51 et 53. (70) Doc. E/CONF.70/29, p. 80 (résolution VIII, par. a). (71) Doc. E/ECE/1084 - ECE/WATER/38, p. 30 ss. (72) « Water resources, both surface (lakes, rivers, estuaires and coastal waters) and underground

should be managed... . (73) Cf. : CANO, « Trends in International Environmental Law with Particular Reference to the

Western Hemisphere », in Académie de Droit International de La Haye — Université des Nations Unies, L'avenir du droit international de l'environnement (Colloque 1984), p. 403.

144 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

Le développement actuel des études dans les milieux académiques confirme cette conclusion car dans ces études l'on part de l'idée que les eaux souterraines internationales sont une ressource en eau partagée. L'International Law Association célébra sa 62e Conférence à Séoul en août 1986 et au cours de celle-ci le professeur Robert Hayton présenta son rapport sur les eaux souterraines (74). L'une des idées fondamentales de ce rapport est précisément que les eaux souterraines internationales constituent une ressource naturelle partagée (75). Dans la même Conférence, l'Association adopta les Règles sur les eaux souterraines internationales où celles-ci font l'objet d'une réglementation en tant que ressources naturelles partagées (76).

Une autre étude qui mérite d'être citée est celle élaborée par le Groupe de travail Ixtapa, étude intitulée « Projet de traité sur l'utilisation des eaux souterraines transfrontières » (77). Du texte des articles de ce projet il ressort que ces eaux souterraines constituent une ressource naturelle partagée.

8. Les limites des aquifères partagés : Systèmes hydrologiques internationaux

Une fois qu'il a été constaté que certains aquifères constituent des ressources en eau partagées entre Etats, il est nécessaire d'en apprécier les limites. Celles-ci sont données par la structure géologique et chaque aquifère constitue une unité. Il est à présent possible de déterminer l'extension et les limites d'un aquifère en faisant des recherches hydro-géologiques ou bien par des moyens géophysiques.

Du point de vue juridique la principale question qui se pose au sujet des limites d'un aquifère est celle de déterminer si les eaux édaphiques, c'est-à-dire celles qui se trouvent dans la zone d'aération, en font partie. La pratique générale des Etats veut que ne soient considérées comme souterraines que les eaux phréatiques, c'est-à-dire celles qui se trouvent dans la zone de saturation (78). Cette pratique est encore confirmée par la directive 80/68/EEC du Conseil des Communautés européennes du 17.XII.1979 sur la protection des eaux souterraines contre la pollution provoquée par certaines substances dangereuses (79). Son article 1, alinéa 2, définit les eaux souterraines comme étant celles qui se trouvent sous la surface du sol dans l'aire de saturation et en contact direct avec le sol ou le sous-sol.

En plus des limites, il faut déterminer quels sont les aquifères et les structures qui constituent une ressource naturelle partagée. Pour le faire, il est utile d'adopter la notion de système, proposée par la Commission du droit international des Nations Unies :

« Un système de cours d'eau est formé d'éléments hydrographiques tels que fleuves et rivières, lacs, canaux, glaciers et eaux souterraines constituant du fait de leur

(74) International Law Association, Seoul Conference (1986), Committee on International Water Resources Law, Report of the Committee, Part II, p. 8 ss. (The Law of International Groundwater Ressources, by Prof. Robert D. Hayton, Rapporteur).

(75) International Law Association, Seoul Conference (1986), Committee on International Water Resources Law, Report of the Committee, Part II, p. 15.

(76) International Law Association, Seoul Conference (1986), Committee on International Water Resources Law, Report of the Committee, Part II, p. 21 ss.

(77) Voir le texte et le commentaire in RODGERS-UTTON, « The Ixtapa Draft Agreement Relaging to the Use of Transboundary Groundwaters », N.R.J., vol. 25, 1985, p. 713 ss.

(78) Cf. International Law Association, Committee on International Water Resources Law, The Law of International Groundwater Resources (Intermediate Report, rev. 2) by R.D. Hayton, Vancouver, August 1985, p. 21.

(79) Officiai Journal of the European Communities, 26.1.1980, n° L 20, p. 44.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 145

relation physique un ensemble unitaire; toute utilisation qui a un effet sur les eaux d'une partie du système peut donc avoir un effet sur les eaux d'une autre partie.

Un « système de cours d'eau international » est un système de cours d'eau dont les éléments sont situés dans deux ou plusieurs Etats.

Dans la mesure où certaines parties de eaux se trouvant dans un Etat ne sont pas affectées par les utilisations des eaux se trouvant dans un autre Etat et n'ont pas d'effet sur ces utilisations, elles ne sont pas considérées comme faisant partie du système de cours d'eau international. Ainsi, c'est uniquement dans la mesure où les utilisations des eaux du système ont un effet les unes sur les autres que le système est international... » (80).

Les termes « système de cours d'eau international » ne sont pas les plus appropriés pour désigner le concept défini plus haut car ils semblent donner une priorité au cours d'eau par rapport aux autres éléments du système tels que les lacs, les glaciers, les eaux souterraines, etc. Il est donc préférable d'utiliser l'expression système hydrologique international. En outre, et on le verra plus loin, le système n'est pas seulement formé par l'eau mais aussi par les structures ou formations par lesquelles elle circule, coule ou est accumulée.

Il résulte de tout ce qui a été dit que les eaux souterraines qui constitutent une ressource naturelle partagée sont celles qui font partie d'un système hydrologique international. Dans cet ordre d'idées il faut distinguer quatre cas principaux où les eaux souterraines font partie d'un système hydrologique international.

i) Le cas le plus simple d'eaux souterraines partagées est celui d'un aquifère circonscrit, traversé par une frontière internationale. Cet aquifère n'est pas relié hydrologiquement à d'autres eaux souterraines ni à des eaux de surface et, par conséquent, il constitue à lui seul une ressource naturelle partagée.

ii) Un autre cas est celui d'un aquifère situé intégralement dans le territoire d'un Etat mais rattaché hydrologiquement à un fleuve international. Ici il faut encore préciser si le fleuve est inffluent ou effluent.

S'il s'agit d'un fleuve influent, c'est-à-dire qu'il sert de recharge à un aquifère, l'utilisation des eaux fluviales faites par l'Etat situé en amont pourrait affecter la recharge dudit aquifère et porter préjudice à l'Etat situé en aval.

S'il s'agit d'un fleuve effluent, c'est-à-dire alimenté par un aquifère, l'exploitation excessive de celui-ci peut faire diminuer le volume des eaux du fleuve.

Dans ces cas, l'aquifère situé intégralement dans le territore d'un Etat ne fera partie d'un système hydrologique international que si son utilisation influe sur les eaux du système.

Hi) Une autre situation peut se présenter lorsqu'un aquifère situé en totalité dans le territoire d'un Etat est rattaché hydrologiquement à un autre aquifère d'un Etat voisin. Le rattachement peut se produire au moyen d'une nappe semi-perméable, par exemple un limon argileux.

Dans ces cas l'eau souterraine passe d'un aquifère dans un autre, dans la mesure où il existe une différence du niveau des eaux entre les deux.

Or, il peut arriver que l'accroissement de l'exploitation de l'un des aquifères ait pour conséquence une augmentation de la différence de la charge hydraulique entre les deux. Ceci aura pour effet un accroissement de l'écoulement de l'eau

(80) Annuaire de la Commission du droit international, 1980, vol. II, deuxième partie, p. 105.

146 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

souterraine vers l'aquifère dont l'exploitation s'est intensifiée et une diminution des réserves de l'autre.

Par contre, si un aquifère qui alimente naturellement un autre est exploité de façon excessive, il peut subir une baisse de son niveau piézométrique et il se peut que le sens de l'écoulement des eaux souterraines d'un aquifère vers l'autre en soit modifié.

iv) II faut enfin considérer le cas des aquifères situés intégralement dans le territoire d'un Etat mais dont l'aire d'alimentation se trouve dans un autre Etat. Ces situations se présentent dans des régions montagneuses, lorsque le divortium aquarum des eaux de surface ne coïncide pas avec celui des eaux souterraines. Une modification de l'aire d'alimentation comme, par exemple, son imperméabilité, peut avoir des conséquences sur l'exploitation de l'aquifère.

Deuxième partie : Les normes juridiques applicables aux eaux souterraines partagées

1. Généralités.

Les normes applicables aux eaux souterraines ont subi une importante évolution par suite du développement des études hydro-géologiques. Dans les premières décades de ce siècle les juristes considéraient que les eaux se comportaient dans le sous- sol de la même façon qu'à la surface et ils acceptaient donc l'existence de cours d'eau souterrains semblables à des rivières, et d'eaux diffuses, similaires à de petits lacs ou à des marais (1). L'état actuel des études scientifiques nous montre que la plupart des eaux souterraines se trouvent dans les aquifères poreux et qu'exceptionnellement, dans certaines régions dont le sol est calcaire, il existe des cours d'eau souterrains semblables à des rivières. De plus, l'écoulement des eaux dans le sous-sol se fait de façon très différente de celle des eaux de surface.

Le développement des connaissances scientifiques a exercé une certaine influence sur le Droit et il est généralement admis de nos jours que les eaux souterraines font partie du cycle hydrologique et constituent une ressource naturelle partagée. Ainsi que nous l'avons vu dans la première Partie, il y a des traités et des résolutions des organisations internationales qui emploient une seule expression (par exemple bassin, ressources en eau), laquelle englobe les eaux souterraines et les eaux de surface. Dans d'autres cas, sans unifier la nomenclature, l'on parle de la même façon des eaux de surface et des eaux souterraines (2).

Il existe à présent en droit international des normes générales applicables aux eaux souterraines partagées entre Etats. Ces normes sont valables pour tous les aquifères partagés sauf s'il existe des dispositions spécifiques applicables à un cas concret. La recommandation 93, b), de la Conférence des Nations Unies sur l'eau (1977) précise en effet qu'en l'absence d'accords bilatéraux ou multilatéraux, les

(1) Cf. POKELA, « Interstate Groundwater Rights : Protecting the Interests of the States », South Dakota Law Review, vol. 20, 1975, p. 643 ss. Parmi les auteurs d'une autre époque, voir NEUMEYER, « Ein Beitrag zum internationalen Wasserrecht », Festschrift fur Georg Cohn zu seinetn siebenzigsten Geburtstage; Zurich, 1915, p. 157-158.

(2) Voir, par exemple, le traité entre l'Italie et la Suisse du 20. IV. 1972 (Revue Générale de Droit International Public, 1975, p. 265 ss.).

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 147

Etats continuent à appliquer les principes de droit international généralement admis en ce qui concerne l'utilisation, la mise en valeur et la gestion des ressources en eau partagées.

A) Le droit international général

2. a) Obligation de ne pas causer de préjudice sensible

Les préjudices qu'un Etat peut porter à un autre concernant un aquifère ont trait à la quantité ou à la qualité de ses eaux ou à sa structure géologique.

En ce qui concerne sa quantité, un aquifère peut se trouver affecté par une exploitation excessive par rapport à sa recharge ou par une modification de ses sources d'alimentation. Cette dernière hypothèse peut se présenter, par exemple, en cas d'altération artificielle du volume des eaux d'un fleuve qui alimente l'aquifère ou de modification du sol dans l'aire de recharge. Certaines modifications, telles que le changement du cours d'une rivière ou le comblement d'un lac, peuvent avoir comme conséquence l'épuisement de l'aquifère.

La détérioration de la qualité des eaux est appelée pollution. Ce mot désigne tout changement nocif dans sa composition ou son contenu, résultant d'un acte humain.

La structure géologique d'un aquifère peut être altérée, par exemple, par des essais nucléaires souterrains effectués par un pays voisin. De même, l'exploitation excessive de certains aquifères profonds peut provoquer un phénomène de subsidence. Ces conséquences peuvent également apparaître si dans un Etat voisin l'on réalise une activité minière par le système d'exploitation avec des affaissements contrôlés.

Selon le droit international général, tout Etat est obligé de ne pas porter préjudice à un autre (3). Ce devoir ne concerne pas seulement les actes effectués directement par les organes d'un Etat dans son territoire, mais il a aussi l'obligation de ne pas permettre que son territoire soit utilisé au préjudice des droits d'autres pays (4).

Cette norme est réaffirmée par le principe 21 de la Déclaration de la Conférence de Stockholm :

« Conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources selon leur politique d'environnement et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l'environnement dans d'autres Etats ou dans des régions ne relevant d'aucune juridiction nationale » (5).

La recommandation 90 de la Conférence de l'O.N.U. sur l'eau souligne la nécessité d'appliquer ce principe aux ressources en eau partagées (6).

En ce qui concerne spécifiquement les eaux souterraines ce principe est cité

(3) R.S.A., vol. II, p. 839; vol. III, p. 1965. (4) C.I.J., Recueil 1949, p. 22. (5) Sur ce principe, voir O.C.D.E., Le devoir et la responsabilité des Etats en matière de pollution

transfrontière (Rapports préparés par le Comité d'Environnement), 1984, doc. n° 24306, pp. 4 et 5. Le principe 21 est invoqué aussi par l'O.C.D.E. dans ses recommandations C(74)224 du 14.XI.1974 et C(78)4(Final) du 5.IV.1978.

(6) Doc. E/CONF.70/29, p. 53.

148 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

dans l'article 3 du traité conclu par la Tchécoslovaquie et la République Démocratique Allemande le 27.11.1974 (7).

Or, dans l'ordre international il a été précisé que le préjudice dont il s'agit doit revêtir une certaine importance et ne pas se borner à une quelconque incommodité. Cette règle s'appuie sur une pratique générale et constante ce qui lui vaut d'être reconnue comme norme coutumière. La doctrine partage elle aussi cette opinion (8).

Sur ce point, la résolution 2995 (XXVII) de l'Assemblée Générale des Nations Unies précise :

« L'Assemblée Générale... souligne que, dans l'exploration, l'exploitation et la mise en valeur de leurs ressources naturelles, les Etats ne doivent pas causer des effets préjudiciables sensibles dans des zones situées au-delà des limites de leur juridiction nationale » (9).

En ce qui concerne les eaux souterraines, quelques traités mentionnent expressément cette règle de ne pas porter de préjudice sensible (10).

La question s'est posée parfois de savoir si un Etat est obligé d'agir d'une façon déterminée afin de modifier un état des choses naturel qui se trouve porter un préjudice sensible à un pays voisin. En d'autres termes, est-ce que le droit international ne fait qu'interdire d'accomplir certains actes qui peuvent porter préjudice à un voisin ou bien oblige-t-il à agir d'une certaine façon. Le cas s'est présenté à l'occasion du litige sur l'infiltration des eaux du Danube. Quand ce fleuve parvient au Jura, une quantité substantielle de ses eaux s'infiltre, à la faveur d'un sol calcaire, et une partie en émerge peu après, se jetant dans l'Aach, petit affluent du Rhin. Cette infiltration se produisait à Baden. Le Wurtemberg, situé en aval, prétendait que Baden avait l'obligation de prendre les mesures nécessaires afin d'empêcher l'infiltration naturelle car celle-ci lui portait un préjudice grave en diminuant sensiblement le débit du Danube. De son côté, Baden soutenait que le droit des gens n'oblige pas un Etat à modifier un état naturel des choses à l'intérieur de son territoire (11).

La question fut tranchée par le Staatzsgerichtshof du Reich le 17/18 juin 1927, par l'application du droit international. Les parties en litige étaient les Lànder de Wurtemberg et de Prusse, d'un côté, et le Land de Baden, de l'autre. Il est dit dans la sentence que le droit des gens ne fait que défendre de porter un préjudice sensible à un autre Etat, c'est-à-dire, défend de causer un dommage dont l'homme serait responsable. Mais un Etat n'est pas obligé de modifier les conditions naturelles du sol au bénéfice d'un autre Etat. S'appuyant sur ces arguments, le Staatsgerichtshof

(7) Sozialistische Landeskultur — Umweltschutz (Herausgegeben von der Akademie fur Staats — und Rechtswissenschaft der DDR und vom Ministerium fur Umweltschutz und Wasserwirtschaft), Berlin, 1978, p. 376.

(8) Voir la pratique et la doctrine citées in BARBERIS, op. cit., p. 28 ss., 66 s., 103 s., 121 ss. et 150 ss. Sur les fleuves internationaux, voir aussi le Troisième Rapport de Schwebel, Annuaire de la Commission du droit international, 1982, vol. II, première partie, p. 112 ss. Cf. aussi LAMMERS, Pollution of International Watercourses, Boston — The Hague — Dordrecht — Lancaster, 1984, p. 384.

Quant à la pratique récente, voir la sentence de la Cour de Rotterdam du 16.XII.1983, Netherlands Yearbook of International Law, 1984, pp. 480 et 481.

(9) Voir aussi les art. 5 et 11 de la convention des pays nordiques sur la protection de l'environnement du 19.11.1974 (I.U.W.R., vol. iv, p. 974 : 14/16 s.) et l'art. 5, al. a, de l'annexe de la recommandation C(74)224 de l'O.C.D.E. du 14.XI.1974.

(10) Voir, par exemple, l'art. 5 du Statut du lac Tchad (I.U.W.R., vol. III, p. 964 : 38/14). (11) Sur cette question, voir LEDERLE, « Die Donauversinkung », Annalen des Deutschen Reichs, 1917,

p. 693 ss.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 149

décida que Baden n'était pas obligé d'empêcher les infiltrations du Danube dans la mesure où celles-ci obéissaient à des causes naturelles (12).

Il résulte de tout ce qui a été dit que le droit international interdit aux Etats de porter un préjudice sensible à un autre Etat. La doctrine actuelle penche pour un élargissement de cette interdiction et tend à y inclure non seulement les cas de préjudice réel sensible mais aussi ceux de risque de dommage comme, par exemple, celui que représenterait l'installation d'une centrale atomique à proximité d'une frontière internationale comportant le danger d'une grave pollution radioactive des aquifères frontaliers (13).

3. La pollution des eaux souterraines.

D'après l'article 9 des Règles d'Helsinki, l'on peut définir la pollution des eaux comme toute modification nocive, due à des activités humaines, dans sa composition, sa teneur ou sa qualité naturelles (14).

Il est intéressant de souligner, dans cette définition, que la pollution est toujours le résultat d'une activité humaine. Ainsi, par exemple, le fait qu'un aquifère soit alimenté par un fleuve qui traîne naturellement une certaine quantité de sels de bore, ce qui fait que les eaux souterraines ne sont pas aptes à l'arrosage, ne constitue pas une pollution. De même, la forte salinité que prennent les eaux souterraines du fait de l'évaporation qui se produit dans certains pays arides, par exemple dans la vallée du Tafilet, dans le sud du Maroc, n'est pas considérée comme la conséquence d'une pollution.

La pollution des eaux souterraines obéit à deux causes fondamentales. La première est l'introduction de substances chimiques ou de micro-organismes dans les aquifères. Les activités humaines pouvant produire ces conséquences sont variées : l'agriculture, l'industrie, l'exploitation minière, les services urbains d'égouts et d'évacuation des eaux.

En agriculture, l'emploi d'herbicides et l'utilisation de quantités excessives de fertilisants peuvent altérer les eaux souterraines. Les pesticides comprennent les herbicides, les fongicides, les insecticides et les rodenticides. Les pesticides organochlorés synthétiques (p. ex. le DDT) et les organophosphorés (p. ex. le Malation) sont les plus employés. Quant aux fertilisants, ils altèrent en général les eaux souterraines par des apports d'azote, lequel apparaît dans l'eau sous forme de nitrates. Dans tous ces cas, la pollution des aquifères se fait par les eaux d'arrosage ou de pluie qui s'infiltrent en entraînant ces substances. Il peut encore arriver que les eaux d'une rivière ou d'un ruisseau contiennent ces éléments en dissolution et aillent ainsi alimenter un aquifère.

Les activités industrielles constituent une autre source importante de pollution des eaux souterraines. Les facteurs dominants en sont les déchets, qu'il s'agisse d'eaux résiduelles, de détritus solides, de fumées ou de gaz. Ceux-ci contiennent d'innombrables substances polluantes : métaux, acides, phénols, cyanures, graisses, résidus organiques, huiles, pétrole, etc. Les eaux résiduelles peuvent être évacuées

(12) Entscheidungen des Reichsgerichts in Zivilsachen, t. 116, annexe, p. 32. (13) Cf. HANDL, « An International Legal Perspective on the Conduct of Abnormally Dangerous

Activities in Frontier Areas : The Case of Nuclear Power Plant Siting », Ecology Law Quarterly, vol. 7, 1978-79, p. 41.

(14) Voir aussi la définition de pollution contenue dans l'art. 4, al. 2, du traité entre la Pologne et l'U.R.S.S. du 17.VII.1964 (R.T.N.U., vol. 552, p. 179-180) et dans l'art. 41 du traité sur le Rio de la Plata (19.XI.1973).

150 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

dans des eaux de surface (fleuves, lacs, ruisseaux, marais) ou dans des terrains bas ou fréquemment inondés. La pollution peut aussi être provoquée par l'acheminement de liquides dans des conduits de drainage ou des canaux, le stockage de matières premières, les fuites ou écoulements de produits industriels provoqués par fissure ou cassure accidentelle ou bien simplement malfaçon des bidons ou tuyaux qui les contiennent, ainsi que par le stockage dans des endroits souterrains. Dans tous ces cas les substances polluantes parviennent à l'aquifère par infiltration. Les eaux de pluie y contribuent lorsqu'elles entraînent des éléments polluants qui se trouvaient en suspension dans l'air (pluies acides) ou en dissolvant des éléments solides qui se trouvaient en surface ou dans le sous-sol. Dans d'autres cas encore, les substances polluantes sont introduites dans un aquifère par perforation ou injection.

L'exploitation minière peut, elle aussi, être cause de pollution des eaux souterraines. Il est certain que l'exploitation d'une mine à ciel ouvert peut favoriser la pollution d'un aquifère en permettant l'accès direct aux nappes souterraines. L'exploitation par dissolution de minéraux solubles dans l'eau, tels que sels, phosphates et borax, est faite par injection d'eau dans le gisement et extraction ultérieure de cette eau avec les sels qui s'y trouvent dissous. La circulation souterraine de ces eaux contenant des produits fortement polluants peut altérer une nappe aquifère. L'utilisation de cavités du sous-sol pour le stockage de gazole, de gaz naturel ou d'autres hydrocarbures peut encore être une source de pollution.

Les services urbains de nettoiement se chargent de l'élimination des eaux usées des villes et des villages, qu'elles proviennent d'usages domestiques (élimination des excrétions, lavage) ou des services publics eux-mêmes (nettoyage des rues, écoulement des eaux pluviales) ou des magasins et industries qui y sont installés. En ce qui concerne la pollution des eaux souterraines, les eaux excrémentielles ont une importance particulière. Elles contiennent des micro-organismes pathogènes tels que des bactéries, des virus, des protozoos et des parasites. Dans les endroits où les services d'égouts n'existent pas, les eaux usées domestiques sont éliminées au moyen des fosses septiques ou fosses d'aisances.

Dans certains pays, les aquifères soumis à une exploitation intensive font l'objet d'une alimentation artificielle. Si l'on ne prend la précaution de se servir, pour ce faire, d'eaux convenablement traitées l'opération peut aussi être cause de pollution.

Au cours des activités que nous avons mentionnées la pollution se produit par introduction d'éléments polluants dans l'aquifère. Elle se fait par infiltration des eaux contenant ces éléments ou par l'injection de ceux-ci dans la nappe aquifère.

La seconde cause de pollution des eaux souterraines réside dans l'exploitation excessive des aquifères. Dans les nappes aquifères côtières, qui sont reliées à la mer ainsi que dans celles reliées par des formations semi-perméables à des nappes d'eau saumâtre, il peut arriver que l'excès d'exploitation ait pour conséquence une pénétration d'eau salée qui rend l'aquifère inutilisable.

Le droit international a commencé récemment à prendre conscience de l'importance que revêt la protection de la qualité des eaux souterraines (15). Jadis l'on cherchait surtout à protéger les eaux fluviales et lacustres, même au détriment de la qualité des eaux souterraines. On peut citer, à titre d'exemple, l'article 6 du traité

(15) Sur ce sujet, voir TECLAFF-TECLAFF, « Transboundary Ground Water Pollution : Survey and Trends in Treaty Law ». N.R.J., vol. 19, 1979, p. 629 ss.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 151

entre la France et la Suisse, du 9.III.1904, qui, réglementant la pêche dans le lac de Genève, dispose :

« II est interdit aux fabriques, usines ou établissements quelconques placés dans le voisinage du lac d'abandonner aux eaux les résidus ou matières nuisibles au poisson. Ces établissements sont tenus d'organiser, à leurs frais, l'écoulement de ces matières dans le sol » (16).

La convention relative à la protection du Rhin contre la pollution par les chlorures (3.XII.1976) adopte elle aussi la solution d'injecter les sels dans le sous-sol pour éviter d'altérer les eaux fluviales. D'après le traité, la France, pays où a lieu la pollution la plus forte à cause de l'exploitation des Mines domaniales de potasse d'Alsace, s'engage à installer des puits d'injection à proximité de Mulhouse afin d'éliminer les sels. La convention établit néanmoins une restriction dans le premier paragraphe de son article 4, qui dispose que le gouvernement français, par initiative propre ou à la demande d'une Partie contractante, pourra interrompre l'opération d'injection s'il est constaté des dommages importants dans l'environnement et particulièrement au niveau de la nappe phréatique (17).

La pollution des eaux souterraines n'est réglementée par aucune convention générale. Il existe, par contre, des traités conclus entre Etats limitrophes contenant des dispositions sur la pollution d'aquifères frontaliers. Des exemples en sont fournis par l'article 3, alinéa 7, du traité entre l'U.R.S.S. et la Pologne, du 17.VII.1964 (18) et par les articles 1 et 8 de l'accord entre la République Démocratique Allemande et la Pologne, du 13. III. 1965 (19).

Il arrive souvent que les traités créent des commissions chargées de la protection des eaux souterraines contre la pollution. Dans certains cas cette tâche est confiée à une commission mixte ou commission des eaux frontalières ayant compétence pour s'occuper de tous les problèmes concernant l'eau comme, par exemple, les commissions créées par les traités conclus par la Yougoslavie avec la Hongrie (8.VIII.1955) (20), avec l'Albanie (5.XII.1956) (21) et avec la Bulgarie (4.IV.1958) (22) et par les traités entre la Finlande et la Suède (16.IX.1971) (23) et entre la Tchécoslovaquie et la République Démocratique Allemande (27.11.1974) (24). Dans d'autres cas pour préserver les eaux contre la pollution, les traités ont institué des commissions spéciales ayant, parmi d'autres fonctions, celle de la protection des eaux souterraines. Néanmoins, ces commissions ne s'occupent des eaux souterraines que dans la mesure nécessaire à la préservation de la qualité des eaux de surface. Parmi ces commissions l'on peut citer celle pour la protection des eaux du lac de Genève contre la pollution, créée par le traité franco-suisse du 16.XI.1962 (25), la commission mixte pour la protection des eaux italo-suisses contre la pollution,

(16) C.T.S., vol. 195, p. 110. (17) I.U.W.R., vol. IV, p. 976 : 90/12. (18) R.T.N.U., vol. 552, p. 179. (19) Gesetzblatt der Deutschen Demokratischen Republik, 1967, Partie I, n° 11, p. 94 et 96. (20) Voir l'art. 4 et le Statut de la Commission (doc. ST/LEG/SER.B/12, p. 832 et 834 ss.). (21) Voir l'art. 4 et l'Annexe I du traité (doc. ST/LEG/SER. B/12, p. 443 et 445 ss.). (22) Voir l'art. 4 et le Statut de la Commission (R.T.N.U., vol. 367, p. 109 et 115 ss.). (23) Voir le Chapitre 2 et l'Annexe 4 du traité (R.T.N.U., vol. 825, p. 277 ss. et 331 ss.). (24) Voir l'art. 13 (Socialistische Landeskultur — Umweltschutz Herausgegeben von der Akademie

fur Staats — und Rechtswissenschaft der DDR und vom Ministerium fur Umweltschutz und Wasserwirt- schaft), p. 378.

(25) Journal Officiel de la République Française, 22.XI.1963, p. 10 405.

152 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

instituée par le traité du 20.IV.1972 entre ces deux pays (26) et la commission internationale pour la protection du Rhin contre la pollution (27).

C'est en Europe que la coopération internationale pour combattre la pollution des eaux souterraines s'est le plus développée. La Charte de l'eau approuvée par le Conseil de l'Europe en 1967 établit dans son principe III la règle générale selon laquelle les eaux de surface et les eaux souterraines doivent être préservées contre la pollution. Le Conseil des Communautés européennes a arrêté lui aussi plusieurs directives visant la protection de la qualité des eaux souterraines (28). Parmi elles, méritent d'être citées la directive 75/439/CEE du 16.VI.75 sur le rejet des résidus d'huiles minérales et de synthèse (29), la directive 78/176/CEE du 25.11.1978 sur les résidus industriels du dioxyde de titane (30) et la directive 80/68/CEE du 17.XH.1979 sur la protection des eaux souterraines contre la pollution due à certaines substances dangereuses (31). La Commission économique pour l'Europe approuva en 1980, dans sa décision B (XXXV) une déclaration de principe sur la prévention de la pollution des eaux (32). Le principe 13 concerne en particulier la pollution des ressources en eau partagées. Mais le document le plus achevé sur le sujet de cette étude est, sans aucun doute, le projet de principes sur l'utilisation des eaux souterraines préparé par un comité de ladite Commission en 1985 (33). Ce projet touche tous les aspects essentiels de la pollution des aquifères : pénétration d'eau de mer dans les aquifères côtiers (principe 4), alimentation artificielle (principe 5), emmagasinage de chaleur dans les nappes phréatiques (principe 6), déversement d'eaux usées (principe 7), pollution provoquée par l'agriculture et par l'activité minière (principes 8 et 9), pollution radioactive (principe 12), etc.

En ce qui concerne le continent américain, il n'est possible de trouver qu'une seule recommandation adressée par la Conférence spécialisée sur les ressources naturelles renouvelables (Mar del Plata, Argentine, octobre 1965) aux Etats membres de 1'O.E.A. pour qu'ils prennent des mesures visant à éviter « la pollution des stocks d'eau potable » (34).

L'O.C.D.E. s'est occupée, elle aussi, de la pollution de l'eau et l'on doit souligner tout particulièrement la recommandation C(74)224 du 14 novembre 1974 et les études sur la pollution transfrontière (35).

Sur le plan mondial, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement approuva une Déclaration et de nombreuses recommandations sur le sujet. Le principe 6 de la Déclaration sur l'environnement dit notamment :

« Les rejets de matières toxiques ou d'autres matières et les dégagements de chaleur en des quantités ou sous des concentrations telles que l'environnement ne puisse plus en neutraliser les effets doivent être interrompus de façon à éviter que les

(26) Revue Générale de Droit International Public, 1975, p. 265. (27) Art. 7, al. 2, du traité du 3.XII.1976 concernant la protection du Rhin contre la pollution par les

substances chimiques (I.U.W.R., vol. IV, p. 976 : 89/21 s.). (28) Voir sur ce sujet SCHEUR, « Aktuelle Problème der Durchfùhrung der EG-Gewâsserschutzrich-

tlinien in den Mitgliedstaaten der Gemeinschaft », Zeitschrift fur Umweltpolitik, 1982, p. 65 ss. (29) Officiai Journal of the European Communities, 25.VII.1975, n° L 194, p. 23 ss. (30) Official Journal of the European Communities, 25.11.1978, n° L 54, p. 19 ss. (31) Official Journal of the European Communities, 26.1.1980, n° L 20, p. 43 ss. (32) Doc. E/ECE/1084-ECE/WATER/38, p. 17 ss. (33) Doc. WATER/GE.1/R.66 Annexe. (34) Conferencia especializada interamericana para tratar problemas relationados con la conservaciôn

de recursos naturales renovables del Continente, Mar del Plata, 18 al. 22 de octubre de 1965. Informe final, doc. OEA/Ser.C/VI-9-2 (espanôl), p. 23.

(35) Sur ce sujet, voir O.C.D.E., Aspects juridiques de la pollution trans frontière, Paris, 1977.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 153

écosystèmes ne subissent des dommages graves ou irréversibles. La lutte légitime des peuples de tous les pays contre la pollution doit être encouragée ».

La recommandation 51 dit que les Etats doivent considérer que « l'objectif fondamental de toute activité en matière d'utilisation et de mise en valeur de ressources en eau du point de vue de l'environnement est d'assurer la meilleure utilisation de l'eau et d'éviter la pollution de l'eau dans chaque pays ». La Conférence adopta aussi seize recommandations sur la pollution en général (36).

La Conférence mondiale sur l'eau (1977) enjoignait aux pays et aux organisations internationales d'appliquer la recommandation 51 de Stockholm (37). Elle approuva aussi plusieurs recommandations sur la pollution des ressources en eau, parmi lesquelles quelques-unes concernent expressément les eaux souterraines (38).

Ainsi qu'il a été dit précédemment il n'existe, dans l'ordre international, aucune convention générale qui réglemente expressément la pollution des eaux souterraines. Il n'existe pas non plus, en droit international général, de norme coutumière spécifique sur cette matière.

Il résulte de nos recherches que le droit des gens ne contient pas de norme spécifique concernant la pollution des eaux souterraines internationales. La norme juridique exposée dans un paragraphe précédent sur l'obligation de ne pas porter préjudice sensible est applicable à la pollution car celle-ci constitue une façon particulière de porter préjudice.

4. b) Utilisation équitable et raisonnable

Un Etat, à l'intérieur de ses frontières, peut utiliser les eaux souterraines dans la mesure où il ne cause pas de préjudice sensible à un autre Etat. Cette norme coutumière se réfère au comportement d'un Etat à l'égard de ses voisins, lorsqu'il tire un profit de ces eaux. L'autre norme fondamentale, dans l'exploitation des ressources naturelles partagées, est celle de leur utilisation équitable et raisonnable, idée qui s'exprime généralement par les termes equitable utilization ou equitable apportionment. Il s'agit d'une règle aujourd'hui largement reconnue qui fait partie du droit international général (39).

La notion d'utilisation équitable et raisonnable en matière d'aquifères internationaux doit être considéréde de deux points de vue, à savoir : pour ce qui est de l'exploitation en elle-même et pour ce qui concerne la distribution entre les Etats des bénéfices de cette exploitation. En d'autres termes, l'exploitation qui sera faite des eaux souterraines doit être raisonnable et équitable, ainsi également que doit l'être la distribution des bénéfices obtenus.

Au cours des dernières décades la demande de plus en plus forte d'eaux souterraines et les conséquences nuisibles qu'a entraînée l'exploitation excessive de quelques aquifères ont amené les Etats à prendre conscience de la nécessité d'en réglementer la consommation et d'adapter leur utilisation à des fins déterminées. En ce sens, ce qui est raisonnable dans l'exploitation d'un aquifère est, en premier

(36) Recommandations 70 à 85 (doc. A/CONF.48/14/Rev.l, p. 22. (37) Recommandations 36 a) et 37 iii) (doc. E/CONF.70/29, pp. 25 et 27). (38) Voir, p. ex., la recommandation 39 a) et 39 o) (doc. E/CONF.70/29, pp. 28 et 29). (39) Voir la pratique et la doctrine sur cette norme sur l'utilisation des diverses ressources naturelles

partagées in BARBERIS, op. cit., p. 35 ss., 68 ss., 104 ss., 131 ss., et 154 ss., et sur les fleuves internationaux voir aussi le Troisième Rapport de SCHWEBEL, Annuaire de la Commission du droit international, 1982, vol. II, première partie, p. 91 ss.

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lieu, de préserver la ressource par l'adéquation du régime d'utilisation au rythme de sa recharge. De même l'usage raisonnable doit tenir compte, pour la régulation de l'exploitation, par exemple, d'utiliser principalement un aquifère pour alimenter des fontaines ornementales ou pour maintenir de petits lacs destinés à des sports nautiques au détriment des populations qui en ont besoin pour s'approvisionner en eau potable.

La règle générale d'utilisation raisonnable est énoncée dans le principe 2 de la Déclaration de la Conférence de Stockholm :

« Les ressources naturelles du globe, y compris l'air, l'eau, la terre, la flore et la faune, et particulièrement les échantillons représentatifs des écosystèmes naturels, doivent être préservés dans l'intérêt des générations présentes et à venir par une planification ou une gestion attentive selon que de besoin ».

La recommandation 51, c, v, concerne, elle aussi, l'« utilisation rationnelle... des ressources en eau ».

La convention africaine sur la conservation de la nature et de ses ressources (1968), parmi lesquelles figurent les eaux souterraines, se donne parmi ses objectifs celui de l'« utilisation rationnelle » de ces ressources (40). Parmi les traités bilatéraux où il est question des eaux souterraines, celui qui a été conclu entre la République Démocratique Allemande et la Tchécoslovaquie (1974) dispose dans son article 6 certaines mesures visant à l'utilisation rationnelle (rationelle Nutzung) des eaux frontalières (41).

Mais le document le plus complet sur le sujet qui nous occupe est, sans aucun doute, la Déclaration de principe sur l'utilisation rationnelle de l'eau approuvée par la décision C (XXXIX) de la Commission économique pour l'Europe en 1984 (42).

La rationalité dans l'exploitation d'une ressource consiste aussi à la mener de façon à en tirer un profit maximum. L'obtention du meilleur rendement dans l'exploitation d'une ressource est appelé optimisation. L'article 3 de la Charte des droits et des devoirs économiques des Etats (résolution 3281 -XXIX) la mentionne expressément (43). Parmi les traités bilatéraux concernant les eaux souterraines l'on peut citer l'accord entre la République Démocratique Allemande et la Pologne (1965) qui contient une prescription sur ce sujet (44).

La répartition des avantages entre les pays qui partagent un aquifère doit, elle aussi, être équitable et raisonnable. Cette répartition doit être faite de sorte que chacun d'eux puisse satisfaire le maximum de ses besoins avec un minimum ou une absence totale de dommages. Il ne s'agit pas ici de distribuer les avantages avec une équité mathématique entre les pays qui partagent la ressource, mais de le faire selon les besoins de chaque Etat.

Dans l'application de la règle d'utilisation équitable il faut tenir compte de l'ensemble des avantages et des inconvénients qu'une exploitation apporte à chaque pays. Il peut ainsi arriver que, dans un cas déterminé, l'on décide en faveur de l'exploitation d'un aquifère qui donne des bénéfices sensibles à plusieurs Etats pour

(40) I.U.W.R., vol. III, p. 968 : 68/28. (41) Sozialistische Landeskultur — Umweltschutz, Berlin, 1978, p. 376. (42) Doc. E/ECE/1084-ECE/WATER/38, p. 22 ss. Le principe 3, e), mentionne expressément les eaux

souterraines. (43) « Dans l'exploitation des ressources naturelles communes à deux ou à plusieurs pays, chaque

Etat doit coopérer... afin d'assurer l'exploitation optimale de ces ressources... ». (44) Voir l'art. 3, paragraphe 2 (Gesetzblatt der Deutschen Demokratischen Republik, 1967, Partie I, n° 11, p. 95).

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ce qui est de l'approvisionnement en eau pour la population et le bétail, mais qui cause un préjudice sensible à l'arrosage d'une certaine contrée située dans l'un de ces Etats. Le bénéfice ou le préjudice ne peuvent être évalués séparément, pour chaque utilisation de l'eau, mais dans leur ensemble et pour cela il faudra prendre en considération des facteurs non seulement économiques mais aussi sociaux et culturels, tels que l'éducation de la population, ses habitudes, son mode de vie, sa propre échelle de valeurs.

La Conférence de Stockholm sur l'environnement mentionne la règle de l'utilisation équitable dans sa recommandation 51, b, iii), qui dit que « les avantages nets résultant d'activités menées dans des régions hydrologiques communes à plusieurs pays doivent ère répartis équitablement entre les pays en cause » :

Pour sa part, la Conférence mondiale sur l'eau ratifia cette règle dans sa recommandation 91 :

« En ce qui concerne l'utilisation, la gestion et la mise en valeur des ressources en eau partagées, les politiques nationales devraient tenir compte du droit qu'a chaque Etat partageant ces ressources à les utiliser équitablement pour promouvoir des liens de solidarité et de coopération » (45).

Pour une répartition équitable dans le cas des aquifères partagés, il faut surtout tenir compte du volume de l'aquifère situé dans chaque Etat. Lorsque deux pays partagent un aquifère il semble équitable que le volume que chaque Etat puisse en extraire soit proportionnel à la partie de l'aquifère située dans son territoire. Cette règle est généralement appliquée pour l'exploitation des ressources minérales partagées, telles que les gisements de gaz ou de pétrole situés des deux côtés d'une frontière internationale (46).

Parmi les accords spécifiques sur les eaux souterraines qui appliquent la règle de l'utilisation équitable et raisonnable, il faut citer le traité du 9.VI.1978 entre le canton de Genève et la Haute-Savoie sur la nappe phréatique du Genevois (47). Ce traité crée une Commission d'exploitation de l'aquifère laquelle a pour fonction celle de proposer un programme annuel d'utilisation de la nappe souterraine tenant compte des besoins des différents usagers (art. 2, alinéa 2). L'article 10 dispose aussi qu'afin d'en assurer une exploitation rationnelle chaque usager ou groupe d'usagers doit faire savoir à la Commission, au début de chaque année, le volume d'eau qu'il se propose d'extraire de l'aquifère.

5. c) Obligation d'information préalable — Le devoir de négocier.

Nous avons déjà dit que les normes qui régissent l'utilisation des eaux souterraines internationales sont celles de ne pas causer de préjudice sensible et celle de l'utilisation équitable et raisonnable. Il s'agit de deux normes coutumières générales qui régissent le fond de la question. Or, pour qu'un Etat soit à même de déterminer si une exploitation ou un ouvrage projeté par un pays voisin va lui porter un préjudice sensible ou bien s'il implique une utilisation équitable et raisonnable de la ressource, il doit connaître son projet. Pour cela, les Etats ont généralement recours au procédé qui consiste à communiquer à l'autre Etat le projet d'utilisation

(45) Doc. E/CONF.70/29, p. 53. (46) Voir, p. ex., l'art. 5, al. 1, du traité entre l'Autriche et la Tchécoslovaquie du 23.1.1960 sur

l'exploitation du gisement de Vysokâ-Zwerndorf; l'art. 2, al. 2, du traité entre l'Allemagne et le Danemark sur le plateau continental de la mer du Nord (28.1.1971); les art. 43 et 71 du traité sur le Rio de la Plata (19.XI.1973) et l'art. 32 du Statut du fleuve Uruguay (26.11.1975).

(47) LEJEUNE, op. cit., p. 200 ss.

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ainsi que les données nécessaires pour que celui-ci puisse juger des effets de cette utilisation.

Ce procédé de communication d'un projet comporte tout d'abord une notification que doit faire l'Etat qui se propose d'utiliser les eaux souterraines. La notification doit être faite par un organe d'État, même dans le cas où le projet d'exploitation de la ressource appartient à une entreprise privée. Quant au contenu de la notification, il doit préciser toutes les données techniques nécessaires pour que les autres pays puissent mesurer les effets que l'utilisation aura dans leur territoire. La notification doit ère faite suffisamment à l'avance de manière à permettre aux Etats intéressés de calculer les effets de l'exploitation avant que celle-ci ne commence de les communiquer à l'Etat qui effectue la notification. Celle-ci doit être adressée aux autorités nationales étrangères et non pas à des particuliers, même si les conséquences éventuelles devaient retomber sur ces derniers.

En second lieu, les Etats intéressés ont la faculté de faire parvenir au pays qui se propose d'utiliser la ressource les objections qu'ils auraient à formuler et les raisons scientifiques et techniques qui puissent prouver à ce pays qu'il leur portera un préjudice sensible ou que l'utilisation de la ressource n'est pas raisonnable. Les Etats ayant été notifiés peuvent constater pendant la mise en œuvre de l'utilisation en territoire étranger si celle-ci est conforme au projet qui a été communiqué.

Le procédé qui vient d'être décrit a pour objet de faire connaître préalablement à d'autres pays un projet déterminé, mais non pas celui de demander leur consentement (48).

La communication des projets d'utilisation est généralement pratiquée par les Etats qui partagent une ressource naturelle (49) et elle est considérée comme une norme coutumière (50) ou comme « un principe généralement reconnu du droit international de l'environnement » (51).

La règle de l'information préalable fut reconnue par la recommandation 51, b), i) de la Conférence de Stockholm sur l'environnement (1972) qui dit :

« Les Etats conviendront que, lorsqu'ils envisagent d'importantes activités faisant intervenir des ressources en eau et qu'elles risquent d'avoir des effets notables sur l'environnement dans un autre pays, ce dernier doit en être avisé assez longtemps à l'avance ».

Cette même année la question fut aussi considérée par l'Assemblée Générale des Nations Unies dans ses résolutions 2995 (XXVII) et 2996 (XXVII). Ensuite, le sujet de l'information préalable fut examiné par la IVe Conférence au Sommet des Pays non-alignés qui s'est tenue à Alger du 5 au 9 septembre 1973 et il en est question dans le paragraphe XII de la déclaration économique de cette Conférence (52).

(48) Cf. UTTON, International Environmental Law and Consultation Mechanisms », Columbia Journal of Transnational Law, 1973, p. 64.

(49) Voir la pratique internationale in BARBERIS, op. cit., p. 45 ss., 72 ss., 108 ss., 136 ss. et 156 ss. (50) Cf. O.N.U., Gestion des ressources en eau internationales : aspects institutionnels et juridiques,

1975 (doc. ST/ESA/5), p. 50 et 51. JIMENEZ DE ARECHAGA, « International Law in the Past Third of a Century », R.d.C, 1978-1, p. 198. KlRGIS, Prior Consultation in International Law, Charlottesville (U.S.A.), 1983, p. 86 et 128 ss.

(51) LAMMERS, « The Present State of Research Carried Out by the English-speaking Section of the Centre for Studies and Research », in Académie de Droit International de La Haye — Centre d'étude et de recherche du droit international et de relations internationales. La pollution transfrontière et le droit international, 1985, p. 110. En p. 109 cet auteur donne de nombreux exemples de la pratique internationale.

(52) IVe Conférence des Chefs d'Etat ou de Gouvernement des Pays non-alignés, Alger, 5-9 septembre 1973, Textes fondamentaux, p. 81.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 157

L'Assemblée Générale de l'O.N.U. s'est encore occupée de l'information préalable en 1973 et en 1974, lorsqu'elle approuva les recommandations 3129 (XXVIII) et 3281 (XXIX). Cette dernière est appelée Charte des droits et des devoirs économiques des Etats et son article 3 prescrit :

« Dans l'exploitation des ressources naturelles communes à deux ou à plusieurs pays, chaque Etat doit coopérer sur la base d'un système d'information et de consultation préalables afin d'assurer l'exploitation optimale de ces ressources sans porter préjudice aux intérêts légitimes des autres Etats ».

Les résolutions 2995 (XXVII), 2996 (XXVII), 3129 (XXVIII) et 3218 (XXIX) constituent un apport considérable de l'Assemblée Générale à la consolidation du principe de l'information et de la consultation préalables. Ces résolutions ont exprimé, dans un langage de plus en plus clair et précis, la nécessité de l'information et de la consultation préalables entre les Etats qui se partagent une ressource naturelle.

Parallèlement à l'O.N.U., l'O.C.D.E. a examiné la question de l'information et de la consultation préalables dans l'exploitation des ressources naturelles partagées. Le 14 novembre 1974 le Conseil de l'O.C.D.E. approuva la recommandation C(74)224 dont l'intitulé E de l'Annexe concerne ce sujet (53). Cette recommandation fut complétée plus tard par le Conseil de cette organisation, dans ses recommandations C (77) 28 (Final) du 17 mai 1977 et C(78)77(Final) du 21 septembre 1978.

Toujours sur la question de l'information préalable, la Conférence mondiale sur l'eau approuva la recommandation 86, g) dont voici le texte :

« En l'absense d'accord sur la façon d'utiliser les ressources en eau partagées, les pays qui partagent ces ressources devraient échanger des renseignements pertinents sur lesquels la gestion desdites ressources pourrait être fondée à l'avenir, de manière à éviter des dégâts prévisibles ».

Dans les traités bilatéraux où il est question des eaux souterraines il est possible de trouver des exemples précis où il est fait expressément mention de l'obligation des Etats de s'informer mutuellement sur des utilisations susceptibles de comporter un préjudice sensible. Dans cet ordre d'idées il convient de citer la clause 6 de l'Acte n° 242 de la Commission internationale des frontières et des eaux, approuvée par les Etats-Unis d'Amérique et le Mexique le 30 août 1973, dont le texte est le suivant :

« With the objective of avoiding future problems, the United States and Mexico shall consult with each other prior undertaking any new development of either the surface or the groundwaters resources, or undertaking substantial modification of present developments, in its own territory in the border area that might adversely affect the other country » (54).

Un autre accord intéressant sur le sujet est celui conclu entre l'Autriche et la Tchécoslovaquie sur les installations nucléaires, le 18.XI.1982 (55). Ce traité établit un système d'échange d'information et de consultation préalables sur l'installation et l'exploitation de centrales nucléaires dans des zones proches de la frontière (56).

(53) Pour une analyse de cette recommandation, voir SEIDL-HOHENVELDERN, « La pollution transfrontière et la recommandation C(74)224 de l'O.C.D.E. », Ternis, n° 33-36, 1973-1974, p. 273 ss.

(54) O.E.A., Rios y lagos internationales (Utilizaciôn para fines agrïcolas e industriales) (doc. OEA/SER.I/VI-CJI-75 rev. 2, Suplemento 1), p. 39.

(55) Voir le texte in Ôsterreichische Zeitschrift fur ôffentliches Recht und Vôlkerrecht, vol. 34, 1983-84, p. 424 ss.

(56) L'article 1, al. c), du traité définit l'« installation nucléaire proche de la frontière commune » comme étant celle qui, à la suite d'une événement imprévu, peut porter préjudice à la population de l'autre Partie contractante.

158 LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES

Dans ce système il est stipulé un échange de données sur mesurage de la radioactivité de certaines substances déterminées. Parmi celles-ci, l'air, l'eau de surface, les fruits de la terre et l'eau potable (Trinkwasser). Dans la mesure où l'eau potable provient des eaux souterraines celles-ci sont comprises dans le programme d'échanges d'information et de consultation.

Quant aux traités régionaux qui établissent expressément la consultation préalable en matière d'utilisation des eaux souterraines, l'on peut mentionner l'article 5, alinéa 2, de la convention africaine sur la conservation de la nature et de ses ressources (57) et l'article 5 du statut du lac Tchad (58).

Si, à la suite de l'échange d'information et de consultation, il survenait une controverse entre l'Etat qui se propose d'utiliser l'aquifère partagé et l'Etat qui en subirait éventuellement des dommages, les deux Etats doivent essayer de parvenir à un accord par la voie diplomatique. Dans le cas du lac Lanoux le tribunal arbitral considéra qu'il existait une norme coutumière faisant obligation de négocier aux Etats intéressés (59). L'obligation mentionnée ici ne comporte pas nécessairement celle de parvenir à un accord, mais celle d'entamer une négociation (60). Cette obligation de négocier a été considérée par la Cour Internationale de Justice comme un principe qui est à la base de toutes les relations internationales et qui a un caractère fondamental (61).

Dans le cas précis qui nous occupe l'obligation de négocier implique celle de commencer véritablement une négociation et de la poursuivre de bonne foi. Les Parties intéressées doivent entreprendre une négociation réelle et ne pas se borner à un simple échange de notes ou à une conversation dans le but de respecter les apparences d'une formalité. La négociation n'est pas sujette à des conditions formelles : elle peut se faire par des réunions entre fonctionnaires spécialisés des deux gouvernements, par des échanges des projets successifs entre représentants diplomatiques des deux pays, etc. Les Etats doivent se comporter de façon telle que la négociation ait un sens et ce n'est pas le cas lorsqu'une Partie se borne à réitérer sa position sans même considérer la possibilité de la modifier (62). En outre, la négociation doit être menée de bonne foi (63) et il en est fait expressément mention dans la sentence sur le lac Lanoux déjà citée (64). Cette décision arbitrale indique aussi que l'obligation de négocier n'est pas respectée lorsque l'une des Parties rompt les conversations sans motif valable, ou leur impose des délais anormaux ou bien

(57) I.U.W.R., vol. III, p. 968 : 68/31. (58) I.U.W.R., vol. III, p. 964 : 38/14 s. (59) R.SA., vol. XII, p. 308. Cf. aussi BOURNE, « Procedure in the Development of International

Drainage Basins : The Duty to Consult and to Negotiate », Annuaire Canadien de Droit International, 1972, p. 219.

(60) « ... l'engagement de négocier n'implique pas celui de s'entendre » (C.P.J.I., Série A/B, n° 42, p. 116). Ce précédent est invoqué in C.I.J., Recueil 1982, p. 144 (opinion dissidente de Gros).

(61) Cf. CM., Recueil 1969, p. 47. Voir aussi CM., Recueil 1973, p. 45 (opinion dissidente de Padilla Nervo) : « The obligation to negotiate is a principle of general international law ».

(62) Cf. CM., Recueil 1969, p. 47; sentence du 26.I.1972 du tribunal arbitral de l'accord sur les dettes extérieures allemandes, dans le litige entre la Grèce et l'Allemagne (Schiedsgerichtshof und Gemischte Kommission fur das Abkommen ùber deutsche Auslandsschulden, Entscheidungen und Gutachten, 1970/72, p. 48. Cf. aussi HAHN, « Das pactum de negotiando als Vôlkerrechtliche Entscheidungs norm », Ausser- wirtschaftsdienst des Betriebs-Berates, 1972, p. 489.

(63) Cf. BOURNE, op. cit., Annuaire Canadien de Droit international, 1972, p. 224 et 225. MARION, « La notion de 'pactum de contrahendo' dans la jurisprudence internationale », Revue Générale de Droit International Public, 1974, p. 385.

(64) R.S.A., vol. XII, p. 315.

LES EAUX SOUTERRAINES INTERNATIONALES 159

ne respecte pas la procédure prévue ou encore refuse systématiquement de prendre en considération les propositions ou les intérêts de l'autre Partie (65).

L'accord auquel peuvent parvenir les Parties intéressées au bout d'une négociation peut concerner soit le fond de la question, soit seulement une méthode ou un moyen de résoudre définitivement la controverse (66).

B) Le droit international Conventionnel

II existe un certain nombre de cas où les aquifères sont sujets à un régime juridique créé par l'accord des Etats dans le territoire desquels ils sont situés. Tout d'abord, quelques traités instituent pour certains aquifères un régime d'usage commun. Dans d'autres cas, les traités stipulent un statut spécial.

6. Aquifères soumis à un usage commun

En droit international il faut distinguer les cas où les Etats exercent en commun la souveraineté sur un territoire déterminé des cas où deux Etats n'exercent en commun que son usage ou son exploitation. Le premier cas est généralement connu sous le nom de « condominium », tandis que dans le second, on peut parler d'un « usage commun » international (67).

Dans les traités des frontières soumis depuis le xvmc siècle jusqu'à nos jours, il est possible de trouver des dispositions concernant les eaux souterraines situées dans les zones frontalières. Afin de faciliter l'utilisation de ces eaux aux populations frontalières, il est fréquent que l'on soit d'accord pour faire coïncider la frontière avec une fontaine ou une source et que les deux Etats limitrophes puissent faire un usage commun de ces eaux.

L'on peut citer en exemple l'article 2 du traité des frontières entre la France et l'Espagne, du 27 août 1785, lequel, en fixant la ligne de démarcation entre Val Carlos et le Quinto Real, précise :

« ... mais comme cette ligne de démarcation suit en plusieurs endroits le cours des eaux et la direction des chemins, et qu'elle traverse quelques fontaines, ainsi qu'il constatera par les procès-verbaux de l'apposition des bornes, il a été convenu que toutes les eaux et les fontaines qui sont sur la ligne, seront communes entre les frontaliers des deux nations, soit pour leur propre usage, soit pour celui de leurs troupeaux... ) (68).

Il est question d'une situation similaire dans le traité entre l'Italie et la Suisse, du 5 octobre 1861, sur la détermination de la frontière entre la Lombardie et le

(65) R.S.A., vol. XII, p. 307. Les précédents invoqués par le tribunal sont la décision du Président Coolidge du 4.III. 1925 dans le cas de Tacna et Arica et l'avis consultatif de la Cour permanente de Justice internationale du 15.X.1931, sur le trafic ferroviaire entre la Lituanie et la Pologne.

(66) Sur cette question, voir CHAUHAN, Settlement of International Water Law Disputes in International Drainage Basins, Berlin, 1981, p. 321 ss.

(67) Au sujet de cette distinction, cf. : VERDROSS, « Staatsgebiet, Staatengemeinschaftsgebiet und Staatengebiet », Niemeyers Zeitschrift fur internationales Recht, vol. 37, 1927, p. 301 ss. VERDROSS-SlMMA, Universelles Vôlkerrecht, 3e éd., Berlin, 1984, p. 661. BARDONNET analyse un cas similaire qui n'a pas de rapport avec les eaux souterraines et il distingue aussi le « condominium territorial » du « condominium pour l'exploitation » d'un gisement (« Les frontières terrestres et la relativité de leur tracé », R.d.C, 1976- V, p. 143). Voir aussi dans le même sens l'opinion du Département politique fédéral suisse du 30.IV.1952 (Annuaire suisse de droit international, 1953, p. 245).

(68) C.T.S., vol. 49, p. 320.

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canton du Tessin. Dans la zone de Val Rovina, la ligne de démarcation passe par la fontaine de Trevigno et par un petit bâtiment annexe.

Le traité dispose à ce sujet : « ... Si è stabilito che la fontana di Trevigno sia di uso comune ai pastori dei due

Stati, e libero in ogni circostanza il transita dall'Alpe di questo nome alla fontana ed all'annesso casello » (69).

De même, l'article 28 du traité de frontières entre l'Espagne et le Portugal (29.IX.1864) prévoit ce qui suit :

« En atenciôn a que la linea international signe en varias partes el curso de las aguas y la direcciôn de los caminos y toca en algunas fuentes, se convienne en que las aguas, caminos y fuentes que se hallen en aquel caso sean de uso comûn para los pueblos de ambos Reinos... ) (70).

Un autre exemple est fourni par le traité entre la France et la Grande-Bretagne, par échange de notes des 2 et 9 février 1888 sur les limites de la Somalie, qui prescrit :

« Les Protectorats exercés ou à exercer par la France et la Grande-Bretagne seront séparés par une ligne droite partant d'un point de la côte situé en face des puits d'Hadou et dirigée sur Abassouën en passant à travers lesdits puits... Il est expressément convenu que l'usage des puits d'Hadou sera commun aux deux parties... » (71).

Le protocole franco-britannique du 10.1.1924, qui fixe les limites entre l'Afrique équatoriale française et le Soudan anglo-égyptien, fait passer la ligne de démarcation par plusieurs puits, lesquels sont déclarés d'usage commun pour les tribus riveraines habitant des deux côtés de la frontière (72).

Le 11 décembre 1953 l'Albanie et la Yougoslavie signèrent un protocole afin de réglementer l'usage des eaux situées en zone frontalière (73). L'article 1, alinéa a, concerne une source située précisément sur la ligne de démarcation et dispose que les eaux pourront être utilisées aussi bien par les habitants de Gorozup (Yougoslavie) que par ceux de Pogaj (Albanie). Cette utilisation doit être faite pendant la journée, mais pas de façon continue par chaque village. Le protocole prescrit aussi que lorsque les habitants du village de l'un des pays seront en train d'utiliser l'eau de la source le garde-frontière de l'autre pays devra empêcher que d'autres personnes s'approchent de celle-ci.

Dans ces exemples, la frontière internationale est une ligne clairement déterminée dans chaque cas. Mais il existe aussi une ressource naturelle soumise à l'usage commun. Cela ne signifie pas que le territoire soit soumis à un condominium. La communauté ne joue que pour ce qui concerne l'utilisation et l'exploitation de l'eau souterraine mais chaque Etat continue d'exercer sa juridiction à l'intérieur de ses frontières à toutes autres fins. Dans l'hypothèse où l'aquifère viendrait à s'épuiser, l'usage commun disparaîtrait et ne resterait en vigueur que la ligne frontière.

(69) C.T.S., vol. 124, p. 371. (70) C.T.S., vol. 129, p. 439. (71) B.F.S.P., vol. 83, p. 673. (72) Le protocole déclare d'usage commun les puits de Bouessa, Diabelout, Tiré et Bahai (R.T.S.N.,

vol. XXVIII, p. 474-475, 476 et 477). Le protocole fut approuvé par l'accord par échange de notes mentionné supra, note 23 de la I're Partie de cette étude.

(73) Voir le texte in Medunarodni Ugovori Federativne Narodne Republike Jugoslavije, 1955, n° 28.

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7. Régimes juridiques spéciaux

Parmi les régimes juridiques sur des aquifères déterminés, les plus connus sont ceux qui régissent les eaux souterraines entre le Mexique et les Etats-Unis d'Amérique et la nappe souterraine du Genevois, entre la France et la Suisse.

La question des eaux souterraines entre le Mexique et les Etats-Unis d'Amérique a fait l'objet de nombreuses études dans les milieux techniques et juridiques (74). Le sujet a été l'objet d'une certaine régulation juridique dans l'Acte n° 242 de la Commission internationale des frontières et des eaux (International Boundary and Water Commission) du 30 août 1973, approuvé par un accord par échange de notes datées du même jour entre les deux Etats (75).

L'Acte ne contient qu'une réglementation juridique provisoire, car le point 5 précise qu'un accord concernant les eaux souterraines entre les deux pays est en cours de conclusion. L'Acte précise qu'à la frontière Arizona-Sonora, à proximité de San Luis, et dans une frange large de huit kilomètres dans le territoire de chaque Etat, l'extraction annuelle d'eau souterraine ne devra pas dépasser 197 358 000 mètres cubes. L'Acte institue aussi un système de consultation préalable pour l'installation de nouveaux dispositifs d'extraction ou pour la modification substantielle de ceux déjà en place pouvant porter un préjudice dans le territoire de l'Etat voisin.

La convention pour la protection, l'utilisation et la ré-alimentation de la nappe souterraine du Genevois fut conclue le 9 juin 1978 entre le canton de Genève et la Préfecture de la Haute-Savoie. Cette convention fut confirmée par la suite par un accord par échange de notes du 19.VII.1978 et du 11.VIII.1978 entre la France et la Suisse (76).

Le traité crée une Commission d'exploitation de la nappe souterraine composée de six membres, trois pour chaque Partie. Deux des trois délégués doivent être des techniciens spécialistes dans les problèmes de l'eau.

La Commission a des fonctions diverses dont la principale consiste à proposer le plan annuel d'utilisation de l'aquifère. En outre, la Commission propose des

(74) Voir, entre autres, BURMAN-CORNISH, « Needed : A Ground-Water Treaty between the United States and Mexico », N.R.J., vol. 15, 1975, p. 385 ss. DAY, « Urban Water Management of an International River : The Case of El Paso-Juarez », N.R.J., vol. 15, 1975, p. 453 ss. CLARK, « Institutional Alternatives for Managing Groundwater Resources : Notes for a Proposal », N.RJ., vol. 18, 1978, p. 153 ss. DAY, « International Aquifer Management : The Hueco Bolson on the Rio Grande River », N.R.J., vol. 10, 1970, p. 163 ss. HAYTON, « Institutional Alternatives for Mexico-U.S. Groundwater Management », N.R.J., vol. 18, 1978, p. 201 ss. UlTON, « International Groundwater Management : The Case of the U.S.-Mexican Frontier », Nebraska Law Review, vol. 57, n° 3, 1978, p. 633 ss. MUMME, « The U.S.-Mexican Conflict Over Trans- boundary Groundwaters : Some Institutional and Political Considerations », Case Western Reserve Journal of International Law, Vol. 12, 1980, p. 505 ss. CHARBENEAU, « Groundwater Resources of the Texas Rio Grande Basin, N.R.J., vol. 22, 1982, p. 957 ss. ElBENSCHUTZ, « Recursos geotérmicos en la frontera noroccidental », N.R.J., vol. 22, 1982, p. 991 ss. HENRY-MORTON, « Transboundary Geothermal Resources of Texas and Mexico », N.RJ., vol. 22, 1982, p. 973 ss. RlNCON VALDES, « Aguas subterrâneas en la region de Ciudad Juârez-El Paso », N.R.J., vol. 22, 1982, p. 939 ss. SEPULVEDA, « Los recursos hidrâulicos en la zona fronteriza México-Estados Unidos. Perspectiva de la problemâtica hacia el aflo 2000 — Algunas recomenda- ciones », N.R.J., vol. 22, 1982, p. 1 081 ss. UlTON, « An Assessment of the Management of U.S.-Mexican Water Resources : Anticipating the Year 2000 », N.RJ., vol. 22, 1982, p. 1 093 ss. VICTORIA MASCORRO, « Esperiencia en el manejo de recursos de agua compartidos entre Mexico y Estados Unidos : Problemas, oportunidades y recomendaciones para el futuro », N.R.J., vol. 22, 1982, p. 1 119 ss. UTTON, « La adminis- traciôn internacional de aguas subterrâneas : el caso de la region fronteriza México-Estados Unidos », Boletin Mexicano de Derecho Comparado, année XVI, n° 47 (mai-août 1983), p. 545, ss.

(75) Voir ces textes dans le doc. OEA/Ser.I/VI-CJI 75 rev. 2, Supplément 1, p. 35 ss. (76) Voir les textes de ces documents in LEJEUNE, op. cit., p. 200 ss.

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mesures pour la protection des eaux souterraines contre la pollution; elle est tenue de donner son approbation technique aux nouvelles installations d'extraction d'eau ainsi qu'à la modification de celles déjà en place. La Commission est chargée de la vérification du coût de construction de la station d'alimentation artificielle de l'aquifère et de son exploitation.

La Commission tient l'inventaire complet de toutes les installations publiques et privées établies dans les deux pays pour extraire l'eau de l'aquifère. Chaque installation doit en outre être munie d'un compteur permettant de connaître la quantité d'eau prélevée par chaque usager.

La station de recharge artificielle de la nappe souterraine est installée par le canton de Genève et elle lui appartient en toute propriété. La participation française aux frais de recharge artificielle de l'aquifère est déterminée en tenant compte de la quantité d'eau extraite par les usagers français et par l'apport naturel de recharge de l'aquifère à partir du territoire français.

La Convention prévoit aussi un système d'analyse de la qualité de l'eau extraite ainsi que de l'eau injectée pour la recharge de l'aquifère.

Comme on peut le constater, la Commission dispose d'un système de contrôle qui lui permet de connaître avec certitude le degré d'exploitation de l'aquifère et d'élaborer en conséquence un plan d'utilisation rationnelle qui tienne compte des besoins des usagers (77).

(77) Pour un commentaire de cette convention, voir WlTMER, Grenznachbarliche Zusammenarbeit, Zurich, 1979, p. 134 ss.