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SAM Paper Series 15 (2001) Systèmes Agraires de Montagne Le rôle de l'Etat dans les dynamiques agraires de la commune de Duc Van, province de Bac Kan, Vietnam Vincent Gevraise ft, Jean-Christophe Castella a, b, Pham Hung Manh ft, Dang Dinh Quang ft a Systèmes Agraires de Montagne (SAM) Programme, Vietnam Agricultural Science lnstitute (VASl), Thanh Tri, Ha Noi, Viet Nam b Institut de Recherche pour le Développement (!RD), 213 rue Lofayette, 75480 Paris Cedex 10, France, and International Rice Research Institute (IRRI), DAPD 7777, Metro Manila; Philippines Résumé Cette étude, menée sur la commune de Duc Van, contribue à la connaissance de la diversité des systèmes agraires. Elle s'insère dans le projet Systèmes Agraires de Montagne (SAM). Sur la base d'une centaine d'enquêtes d'exploitations agricoles, nous avons pu reconstituer leurs trajectoires historiques et identifier les grands systèmes de production. L'accès au foncier, les mouvements de population et le dynamisme individuel sont les trois principaux critères de différenciation retenus.Néanmoins, l'Etat et ses décisions politiques ont fortement influencé ces critères, ce qui en fait le principal moteur des dynamiques agraires. La succession d'événements historiques: conflit avec la Chine, projet dirrigation, création d'une ferme d'Etat et leur recouvrement géographique ont provoqué dimportants mouvements de population. En proposant de nouvelles opportunités de revenus pour les ménages agricoles, l'Etat participe à la différenciation sociale. Un à un, ces évènements, liés aux décisions étatiques, ont remodelé les rapports sociaux de production. Parallèlement, l'agriculteur est au centre de réseaux de communication et sphères de décision qui se complexifient rapidement. Il lui faut s'adapter à un environnement nouveau: l'économie de marché. Après vingt ans de dirigisme institutionnel, il se retrouve libre de ses choix. Par conséquent, au-delà des innovations techniques, il nous faut proposer de nouveaux modes d'organisation pour lesquels les relations entre l'Etat et le paysan doivent être redéfinies. Des outils d'aide à la décision doivent être mis à disposition des agriculteurs, aussi bien pour répondre à leurs problèmes agronomiques qu'économiques. Le Vietnam a réussi son intégration dans le marché intemational, il faut aujourd'hui s'attacher à assurer la compatibilité entre les évolutions macro-économiques inéluctables et la durabilité micro-économique de la production agricole familiale dans les zones marginales de montagne, 1. Introduction Dès la première impression, Duc Van et une grande partie du district de Ngan Son, se distingue du reste de la province de Bac Kan par la présence de montagnes pelées. Cette particularité géographique a influencé l'évolution historique de la zone, lui conférant une seconde caractéristique: la mainmise de l'Etat sur son développement. En effet, la collectivisation agricole, tout d'abord sous la forme de coopératives puis par la création d'une Ferme d'Etat spécialisée dans l'élevage, a tenté de valoriser cette tendance naturelle, assimilant ce couvert herbacé à autant de pâturages. Finalement ces projets ne sont pas arrivés à leurs fms et, au-delà des disfonctionnements institutionnels, on peut se demander si cet apparent avantage n'est pas un leurre .., A travers l'exemple de ces différentes politiques de soutien au développement de l'élevage, nous pouvons caractériser l'influence de l'évolution de la gouvernance sur les systèmes de production et sur la différenciation sociale. Pour cela, nous avons sélectionné deux hameaux dont le degré d'interrelations avec l'Etat a connu des niveaux forts différents. La comparaison de ces deux sites met en avant des systèmes de production dont

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SAM Paper Series 15 (2001)

SystèmesAgraires deMontagne

Le rôle de l'Etat dans les dynamiques agrairesde la commune de Duc Van, province de Bac Kan, Vietnam

Vincent Gevraise ft, Jean-Christophe Castella a, b,

Pham Hung Manh ft, Dang Dinh Quang ft

a Systèmes Agraires de Montagne (SAM) Programme,Vietnam Agricultural Science lnstitute (VASl), Thanh Tri, Ha Noi, Viet Nam

b Institut de Recherche pour le Développement (!RD), 213 rue Lofayette, 75480 Paris Cedex 10, France, andInternational Rice Research Institute (IRRI), DAPD 7777, Metro Manila; Philippines

RésuméCette étude, menée sur la commune de Duc Van, contribue à la connaissance de la diversité des systèmes agraires.Elle s'insère dans le projet Systèmes Agraires de Montagne (SAM). Sur la base d'une centaine d'enquêtesd'exploitations agricoles, nous avons pu reconstituer leurs trajectoires historiques et identifier les grands systèmesde production. L'accès au foncier, les mouvements de population et le dynamisme individuel sont les troisprincipaux critères de différenciation retenus.Néanmoins, l'Etat et ses décisions politiques ont fortement influencéces critères, ce qui en fait le principal moteur des dynamiques agraires. La succession d'événements historiques:conflit avec la Chine, projet dirrigation, création d'une ferme d'Etat et leur recouvrement géographique ontprovoqué dimportants mouvements de population. En proposant de nouvelles opportunités de revenus pour lesménages agricoles, l'Etat participe à la différenciation sociale. Un à un, ces évènements, liés aux décisionsétatiques, ont remodelé les rapports sociaux de production. Parallèlement, l'agriculteur est au centre de réseaux decommunication et sphères de décision qui se complexifient rapidement. Il lui faut s'adapter à un environnementnouveau: l'économie de marché. Après vingt ans de dirigisme institutionnel, il se retrouve libre de ses choix. Parconséquent, au-delà des innovations techniques, il nous faut proposer de nouveaux modes d'organisation pourlesquels les relations entre l'Etat et le paysan doivent être redéfinies. Des outils d'aide à la décision doivent être misà disposition des agriculteurs, aussi bien pour répondre à leurs problèmes agronomiques qu'économiques. LeVietnam a réussi son intégration dans le marché intemational, il faut aujourd'hui s'attacher à assurer lacompatibilité entre les évolutions macro-économiques inéluctables et la durabilité micro-économique de laproduction agricole familiale dans les zones marginales de montagne,

1. Introduction

Dès la première impression, Duc Van et unegrande partie du district de Ngan Son, sedistingue du reste de la province de Bac Kan parla présence de montagnes pelées. Cetteparticularité géographique a influencé l'évolutionhistorique de la zone, lui conférant une secondecaractéristique: la mainmise de l'Etat sur sondéveloppement. En effet, la collectivisationagricole, tout d'abord sous la forme decoopératives puis par la création d'une Fermed'Etat spécialisée dans l'élevage, a tenté devaloriser cette tendance naturelle, assimilant ce

couvert herbacé à autant de pâturages.Finalement ces projetsne sont pas arrivés à leursfms et, au-delà des disfonctionnementsinstitutionnels, on peut se demander si cetapparent avantage n'est pas un leurre ..,

A travers l'exemple de ces différentes politiquesde soutien au développement de l'élevage, nouspouvons caractériser l'influence de l'évolutionde la gouvernance sur les systèmes de productionet sur la différenciation sociale. Pour cela, nousavons sélectionné deux hameaux dont le degréd'interrelations avec l'Etat a connu des niveauxforts différents. La comparaison de ces deux sitesmet en avant des systèmes de production dont

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2 Le rôle de l'EIai dans les dynamiques agraires

l'évolution suit celle de la gouvernance, quin'ont pas eu la possibilités de saisir certainesopportunités; et d'autres qui, plus libre de leurschoix et plus proches des réalités économiquesont pu le faire.

Ces enquêtes sont la base du diagnostic agraire etplus précisément de la typologie des systémes deproduction. Les résultats étant finalementextrapolés à l'ensemble du district selon unedémarche ascendante.

2. Méthode

Il s'agit dans un premier temps de la sélectionraisonnée du site d'étude selon une démarchedescendante de l'échelle du district à celle duhameau (Figure 1). Dans cette optique, ilapparaît essentiel d'avoir une vision globale dudistrict. Ce zonage s'effectue en deux étapes. Enpremier lieu il s'agit d'effectuer un "tour deplaine" suffisamment large pour avoir en tête lesgrands types de paysages (types de bas-fonds,relief, réseau hydrographique, etc.), afin dedégager les principaux modes d'exploitation dumilieu et de les "cartographier". Ce travail basésur une lecture et une analyse des paysages, surdes entretiens rapides avec les responsables etpersonnes ressources des différentes communesvisitées, sur un recueil d'informationssecondaires va permettre de découper le districten zones différenciées selon certains critères(grands ensembles paysagers, compositionethnique, systèmes de culture et d'élevage). Dansun second temps il nous faut effectuer un choixraisonné de la commune afin que les résultatsissus du diagnostic puissent être étendus àl'ensemble des autres communes. 11 lui faudradonc être "représentative" de l'ensemble descommunes du district: intégrer dans une largemesure la diversité des grands systèmes relevés àl'échelle du district. La sélection des hameauxd'étude est réalisée dans ce même souci dereprésentativité.

Sources

CartesPkotoa IléricnnOliPhotuS s..tellilell

DISTRICT

Ebtrcticns rapidesIlhef de communes

Entrc:liell avec lesresponslIbl • des

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Figure 1 : méthodologie de l'étude

Activités

Sélectionde la

Déterminationdes hameaux

d'étude

Diagnosticsag"'ires

- Carted'occupation

des sols- E>o.-tension alacommUlle

Le site d'étude étant sélectionné, une premièreapproche de l'histoire agraire de la zone estréalisée par le biais d'enquêtes socio-historiqueauprès de personnes ressources (chefs de village,personnes âgées... ).

Eofill, il s'agit de réaliser les enquêtes«systèmes agraires» selon les concepts del'agriculture comparée (Mazoyer, Roudart).Chaque enquête se décompose comme suit:

L historique de l'exploitation familiale;

2. structure foncière et familiale;

3. système de culture et d'éleva-ge (calendrierde travail, matériel, productions végétales etanimales, consommations intermédiaires,autres charges) ;

4. perspectives d'avenir.

3. Caractérisation de la diversité etanalyse des processus dedifférenciation

3. J De l'échelle du district à celle duhameau

Un district divisé en trois ensembles agro­écologiques.

Situé au Nord-Est de la province de Bac Kan,Ngan Son se distingue par une importantediversité écologique En effet, deux grandesunités paysagères se distinguent: Lille foretsecondaire plus ou moins dégradée selon lapratique de l'abattis-brulis, et des montagnes« pelées », recouvertes d'une sorte de savane

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V Gevraise, J.e. Castella, Pham Hung Manh, Dang Dinh Quang / SAM Paper Series 15 (2001) 3

herbacée. En relation avec cette diversité, onpeut observer différents systémes de production,ce qui nous pennet de découper le district entrois grandes entités. Enfin, la compositionethnique, sans être un factem déterminant, vientcompléter ce premier découpage.

Graphique 1 : données météorologiques.

Diagramme ombre·thermique 1999300 30

250 25C

200 20 PréCipita

m tionsm 150 15 -+-Tempéra

100 10 tUres

50 5

0 012345 6789101112

Mois

Variabilité inter-aDDueUe des précipitatiollS

5000 -,-----

4000 +-----....-iII..------j

E 3000 ·+-----:JI-IIHII------1

E 2000 +----n­

1000

o -j1AJ'r-,uu,

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12mois

Somce : bureau agricole de Ngan Son.

A. Forêt secondaire et riz un cycleGéographiquement, on trouve cescaractéristiques dans une partie centre Ouest deNgan Son. La cultille du riz occupe les bas­fonds. Comme pom le reste du district, cesystème de culture est principalement complétépar la culture du mais, manioc et patate doucesm les pentes, destinés à l'alimentation porcine.Egalement en conformité avec l'ensemble dudistrict, le système d'élevage s'organise autourd'un atelier porcin (race locale ou croisée,engraissement principalement); de l'élevagebubalin de traction et de l'élevage bovin dans unbut commercial. Comme sm l'ensemble dudistrict, l'ethnie montagnarde « Tay», occupantles bas fonds, est majoritaire. On trouve ensuiteles « Nung » pUiS de façon bien momsimportante, les Dao, les H'Mong, les Hoa et lesKinh.B. Forêt secondaire et riz deux cyclesEn raison d'une pluviométrie plus importante, lapartie Ouest du district a pu développer unsystème de culture basé sm deux cycles de riz

dans les bas-fonds Complété par les mêmescultures de pentes et le même système d'élevage,ce système peut être qualifié de classique auniveau de la province. Pom ce qui est de ladémographie, cette partie du district se distinguepar une proportion plus importante de H'Mong.

C. Savane herbacée et tabacCe couvert herbacé, constituant autant depâturages, est la principale particularité de cettedivision qUi bénéficie donc d'une sorted'avantage comparatif pom l'élevage_Néanmoins, on peut remettre en cause la qualitéfomragère de cette herbe rase.

Outre cette particularité liée à l'élevage, cettepartie du district se signale par la cultille dutabac. Comme nous le verrons plus loin, cetteculture, initiée par l'Etat, est un élémentimportant de la différenciation des exploitations_

Critères de sélection de la commune de DucVan

A l'issue du tour de plaine, Duc Van présentedes caractéristiques justifiant de son choix entant que commune d'étude. Comme le montre lacarte d'occupation des sols de 1998, les deuxensembles paysagers du district sont présents surla commune. Il est donc possible d'y étudier lesopportunités offertes en terme d'élevage par lecouvert herbacé.

Les systèmes de culture et d'élevage sontreprésentatifs du district. La présence du tabac yest particulièrement intéressante. Si elle n'est pasprésente sur l'ensemble du district, elle en estnéanmoins la principale spécificité vis à vis de laprovmce.

La composition ethnique correspond à celle dudistrict avec prééminence du groupe ethniqueTay-Nung et forte présence de Dao_

Deux hameaux aux caractéristiquescontrastées: Ban Trang et Phieng Nhuong.

A la suite des enquêtes réalisées aux différenteséchelles (cf. «méthodologie »), les donnéescollectées sont analysées et nous apportent unebonne connaissance:

).> des trajectoires historiques;

).> des systèmes de production en place avecl'étendue des différentes cultures pratiquéesdans chaque hameau, les rendements de rizet de mais ainsi que les différents cheptels(bubalins, bovins, porc).

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4 Le rôle de l'Elal dans les dynamiques agraires

a) Ban Trang: au cœur des montagnes pelées

Au mveau géographique, Ban Trang estlargement couvert par les montagnes pelées,symbole du potentiel du district en termed'élevage. Il est donc possible d'y examiner dansquelle mesure le système actuel profite de cetavantage.

Ce hameau présente également l'avantage pournotre étude d'être très majoritairement peuplépar les Tay et les Nung. Ces deux ethnies, trèsproches l'une de l'autre par leurs coutumes etracines linguistiques, sont également majoritairesau niveau du district.

Les systèmes de culture sont représentatifs de lacommune, et par extension, du district:

~ mise en valeur des bas-fonds par la culturedu riz un cycle;

~ mise en valeur des pentes par la culture dumaïs, de la patate douce et du manioc,destinées à l'alimentation des porcs;

~ spécialisation de certaines exploitations dansl'arboriculture fruitière.

Le passage par le système collectiviste s'estopéré de la même manière que sur l'ensemble dela commune:

Figure 2 : le bas fond à Ban Trang

~ création de la coopérative en 1960 ;

~ collectivisation de l'ensemble des terresrizicoles, exception faite d'une surfaceproportionnelle au nombre de bouches ànourrir attribuée de façon privée et quicorrespondait aux 5 % de rizières à usageprive prévus par l'état;

~ collectivisation de la totalité du cheptelbubalin et bovin ;

~ système privé d'élevage de porcs et decultures de pentes associées;

~ première redistribution des terres en 1985selon le nombre de bouches à nourrir etdeuxième distribution suivant l'héritage desterres des ancêtres en 1988. Cette dernièredistribution marque la tin des coopératives.

b) Phieng Nhuong :un système basé sur le tabac

Ce deuxième hameau est un bon complément àBan Trang pour ce qui est du système agraire dela commune. Habité par l'ethnie Dao, il permetl'étude de cette population localisée plus haut surles pentes. La culture du tabac, culture de rente eten tant que tel élément important du systèmeagraire de la commune et du nord du district, estpratiquée par les habitants des hautes terres maisaussi et surtout par les Dao descendus et ayant euaccès aux rizières du bas-fond. EnfIn, le hameaun'a pas connu de coopérative.

Zone d'habitation

Culture en terrasses (maïs)

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ConclusionAprès avoir parcouru le district de Ngan Son,nous avons identifié trois ensembles agro­écologiques : une partie Ouest caractérisée pardes conditions météorologiques favorables à undeuxième cycle de riz ; une partie centre-Ouestrecouverte de forêts dégradées et pratiquant laculture de riz un cycle; et une partie Est misantsur l'élevage (surfaces pâturables) et le tabac. Enaccord avec les préoccupations du district enterme de développement agricole fondé surl'élevage, nous avons choisi la partie Est.

Continuant notre démarche descendante, lacommune de Duc Van a été sélectionnée.Occupée en partie par les montagnes pelées, elleoffre un bon potentiel en terme d'élevage. Vientensuite le choix des hameaux, zone de réalisationdes enquêtes « système agraire ». Lesdynamiques historiques, les systèmes de cultureet d'élevage ainsi que la composition ethniquesont les quatre facteurs qui nous ont permis lasélection de Ban Trang et Phieng Nhuong. Cesdeux hameaux renètent la diversité agro­écologique de la commune et, par leur rapportdifférent à l'Etat, mettent en valeur lesconséquences de ses décisions sur le systèmeagraire

3.2. Diversité des trajectoires historiques

A partir de l'étude des deux hameaux, nouscherchons à caractériser les moteurs desdynamiques agraires. Parmi ceux-ci, le rôle del'Etat est apparu comme déterminant.L'évolution de la gouvernance a entraîné desmouvements de population (modifiant alorsl'accès au foncier) et a crée l'apport de revenusextérieurs à l'exploitation familiale (salaires,retraites). Les projets étatiques concernantl'agriculture et la forêt ont également procuré denouvelles sources de revenus (tabac,replantations forestières)

1 1980-87

1 1987-91

Départ pourBan Khau

Alimentation...._IJf}~ Ban Khau

Nouveauxarrivants

Un hameau sous l'emprise des politiquesgouvernementales

La collectivisa/ionLe système coopératif est instauré en ]96 1.L'ensemble des rizières et des terres de pente estcollectivisé. La récolte est redistribuée selon "lespoints de travail", c'est à dire la participation dechacun aux travaux sur les terres collectives. Lescheptels bovins et bubalins sont collectivisés,seul l'élevage porcin reste privé.

La guerre contre la Chine e/ la cons/rue/ion dulacEn 1979, cette guerre provoque une doublemigration: la population chinoise de Ban Khau(un hameau proche de Ban Trang) fuit son terroir; deux fermes d'Etat proche du front s'établissent(avec leurs ouvriers), sur les riziéres laisséeslibre à Ban Khau et profitent des pâturages deBan Trang. A cette époque, le ministère del'agriculture décide la construction d'un lac à BanTrang afin d'irriguer les rizières de la fermed'Etat de Ban Khau, situées en contrebas. Celaprovoque la submersion des rizières de Ban

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6 Le rôle de l'Etat dans les dynamiques agraires

Trang dont les habitants. 26 familles sont alorsdépossédées de leurs terres rizicoles ; ellesrejoignent les ouvriers de la FetTIle d'Etat à BanKhau.

Fin de la guerre et retour des chinoisLe conflit sino-vietnamien se termine en 1981 etaprès négociations, les deux gouvernementsprennent la décision de rendr~ les tet:es. auxChinois. Ainsi, en 1987, les habItants ChinOIS deBan Khan "d'avant conflit" revieIlllent etrécupèrent leurs rizières. Le retour a Ban Trangs'impose donc aux occupants "provison:es" deBan Khau : ceux déplacés par la submersIOn desrizières et ceux arrivé avec les deux fermesd'Etat. Mais un double problème se pose : lesrizières sont submergées par le lac et le nombrede famille revenant à cette époque est supérieur acelui déplacé quelques années auparavant

Drainage du lacLorsque les chinois revieIlllent, ils récupèrentleurs rizières en biens propres. La ferme d'Etatn'a donc plus d'activité à Ban Khau et se déplacevers Ban Trang où l'élevage devient sa seuleactivité. Mais la fetTIle n'arrive pas toute seule,ses ouvriers la suivent. Les anciens habitants deBan Trang peuvent se réinstaller sur leur ancienterroir (dépourvu de rizières). Les autresoccupent une nouvelle zone d'habitation, le longdu deuxième cours d'eau d'alimentation du lac.Rapidement les habitants originaires d~ .~an

trang cherchent à récupérer leurs nzI~es

submergées ; le service agricole de la prOVIncedécide en 1991 de drainer le lac.

Conséquences en terme de pression foncièreet de sécurité alimentaire

Lorsque les habitants "provisoires" de Ban Khauretrouvent leur terroir à Ban Trang, la fermed'Etat offre des facilités pour l'installation (untiers du capital de construction de la maison),pour la conduite de l'élevage (participation à laconstruction des étables), des allégements decharges sociales... mais le problème des rizièresdemeure. S'ouvre alors une première période(1987-91) de forte intensification des brfilis pourles uns et d'extensification pour les autres. Eneffet, la production de riz ne pouvant satisfaireles besoins alimentaires, les habitants originairesde Ban Trang intensifient leurs anciens brûlis etles ouvriers arrivés avec la fetTIle d'Etat enouvrent de nouveaux.

Comme nous l'avons vu précédemment, suite audrainage du lac, les habitants originaires de BanTrang récupèrent leurs surfaces rizicoles. Reste

le problème des nouveaux arrivants. Deuxsolutions ont été adoptées:

~ D'une part, le salaire issu du travail pour laferme d'Etat petTIlet l'achat de rizières. Cesrizières sont elles-mêmes libérées de deuxfaçons. Soit certaines familles originaires deBan Trang ont hérité d'une trop grandesurface par rapport au nombre d'actifs etdans ce cas, elles ont décidé d'en vendre unepartie. Soit d'autres familles ont décidé demigrer dans le Sud du Vietnam.

~ D'autre part, ils se sont lancés dans unprocessus d'aménagement de terrasses.

Entre ces deux options, l'achat représente lemoyen le plus fréquemment utilisé afm d'obtenirdes terres. Les achats ont commencé dès 1985,ce qui correspond à la première redistribution desterres (contrat 100) qui reposait sur le nombre debouches à nourrir. Cependant, ils sont restésassez limités jusqu'en 1991. Le drainage du lac àcette date a pennis de diminuer le recours auxbrûlis. Cette diminution a continué jusqu'en1997, date à laquelle toutes les familles ont puobtenir des rizières. Aujourd'hui, le marchéfoncier est saturé, on ne trouve plus de terre àvendre. Dans ce processus d'accès à la terre, ilfaut noter la distribution des terres de pente àpartir de 1993, thème exposé dans le pointsuivant.

La figure 3 représente le mode de couverture desbesoins alimentaires selon les périodeshistoriques présentées ci-dessus. Il fautconsidérer l'axe des ordonnées comme unegamme de variation entre des valeursqualitatives, aucun ratio ne pouvant réellementen dOIlller la mesure. La première période (1961­70) correspond à l'introduction des engraisminéraux par la coopérative. Ensuite laproduction de riz par habitant stagneprincipalement en raison de problèmes demotivation des producteurs (ils ne sont pasmaître de leurs choix et n'ont pas intérêt àintensifier). La première distribution du foncierpermet d'améliorer la production grâce à unemeilleure motivation des producteurs. Lapression sur les brûlis augmente lors du retourdes ouvriers de la ferme d'état de Ban Khau.Cette tendance s'infléchit par les achats derizières et les aménagements de terrasses. Vers1997 tout le monde possède des surfacesrizic~les et peut intensifier la production grâceaux nouvelles semences (effort de vulgarisationdu district).

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Satisfaction desbesoins alimentaires

100%Achat de- riz

ou vcrturo osr les brulis

Figure 3 : Evolution de la pression foncière

Conséquence sur l'évolution du cheptel

Les ouvriers de la ferme d'Etat ont pu constituerun cheptel plus rapidement que les autres. Eneffet, leur rôle était de conduire le troupeau dontils avaient la charge. Pour cela ils étaientrémunérés et pouvaient conserver une part (50%) des naissances de l'armée De plus, la retraiteallouée suite à cette période leur a perrmsd'acheter des bovins supplémentaires.

Les projets de replantation forestière

L'Etat vietnamien a décidé en 1993 de distribuerles terres de forêt ou à « vocation forestière ».Plusieurs projets gouvernementauxd'accompagnement de ces mesures légales ontété mis en place.

Il s'agit tout d'abord du projet 327, composé dedeux volets. En premier lieu ce projet s'insèredans la loi foncière de 1993. Lors de ladistribution, deux cas sont possibles. Soit lasurface distribuée est recouverte de forêtnaturelle et dans ce cas, le paysan reçoit 42.000VND par ha et par an pour l'entretien. Soit lasurface est en friche et dans ce cas le paysan doitreplanter Il reçoit 1.100.000 VND/ha pour lapremière année ; 300.000 la deuxième et latroisième ; puis 47.000 de la quatrième a lahuitième année, période de protection. Endeuxième lieu, les terres restant en possession del'état. Le bureau forestier de la province décidedes surfaces à replanter. Ensuite le responsabledu bureau forestier du district décide des espéces

et passe un contrat avec un paysan volontaire, ouplutôt répondant à l'incitation (mêmerémunération que pour la replantation duparagraphe précédent).

Le Programme Alimentaire Mondial (PAM)intervient également dans la replantationforestière. Contrairement au projet 327 quirémunère les paysans en dong, il accorde unesubvention en riz blanc: 300 kg par hectarereplanté la première armée, 100 kg la deuxièmeet 100 kg la troisième. Ces quantités représententrespectivement 960000 et 320.000 dongs. Lesplantations sont allouées aux paysans pour 50ans dans le cadre de la nouvelle loi foncière. Enplus de cette subvention, le programme procureun deuxième avantage pour les paysans. En effet,ils pourront à terme tirer un revenu del'exploitation des arbres (sève ou bois d'œuvre)Sur le district, le PAM intervient depuis 1997.L'espéce replantée est le Xa Moc (pin). Leprincipal écueil à ce programme est laconcurrence qu'il engendre avec les cultures depentes et les pâturages. Même si, lors de ladélimitation des parcelles à replanter, les chefsde villages et les chefs d'exploitation ont étéconcertés, les plantations participent à lasaturation du foncier. Comme nous l'avons vuplus haut, il n'existe plus de rizières à vendre àBan Trang et les capacités d'aménagement ontété utilisées. A cela vient donc s'ajouter cesplantations qui limitent l' extensification descultures sur les terres de pente. Par la même, lessurfaces pâturables sontlirnitées. La délimitationdes surfaces de replantation forestière, en accord

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8 Le rôle de l'Elal dans les dynamiques agraires

avec les chefs de village ont atténué cetteconcurrence mais n'a pas pu satisfaire tout lemonde Il est en effet difficile de préserver despâturages accessibles à tous et capable de fmunirsuffisamment de ressources fourragères sur lelong terme. Les buffles et les bœufs peuventpénétrer les plantations au bout de la deuxièmeannée, mais qu'en sera-t-il lorsque les arbresauront atteins leur taille adulte et que le couvertherbacé aura disparu ?

L'opportunisme dans une relative stabilitépolitique

« arrangements» entre familles: d'un côté unefamille dont la fille hérite et de l'autre, unefamille qui, ayant trop de garçon ou pas assez deterre, veut éviter la fragmentation. Dans la figue4, une telle situation pourrait se rencontrer, sinous imaginions une famille D avec seulementune fille. Elle pourrait alors hériter des terres enson nom, se marier avec un des fils de la familleC, ce qui éviterait la fragmentation du terroir decette demière famille

Famille BDepuis l'amvée de ses habitants (dèbut du 19eme

siècle), ce hameau a connu peu de transformationdes modes d'exploitation de l'écosystème.N'ayant pas été collectivisé le moded'appropriation des terres se limite à l'héritage.La différenciation sociale est doncprincipalement basée sur la possession originellede la famille et sur la taille de la descendance desgénérations successives. L'héritage constituedonc une première stratégie fonciére. En cas denon accès par ce mode, une deuxiéme stratégieest adoptée: la migration. Enfin, nous verronscomment le dynamisme de chacun peut pallierles insuffisances de terre.

a) L'accès au foncier par héritage.Le foncier n'a donc été l'objet d'aucuneredistribution à quelque époque que se soit. Lemarché foncier étant inexistant, l'héritage estresté le seul mode d'appropriation des terres aucours de l'histoire. Le terroir Dao étant limité etles possibilités d'aménagement épuisées, il leur afallu mettre en place certaines stratégies afin deprévenir une parcellisation trop importante quirendrait la surface cultivable par famille tropfaible.

Famille A

Fils 0D Fille

Figure 4 : Système de partage des terres

b) Les migrations.

Terroir familial

La figure 4 représente ces différentes stratégies.Les situations représentées sont hypothétiquesmais permettent de couvrir l'ensemble dessituations rencontrées. Dans le schéma classiqued'héritage, les fils se partagent la surfaceparentale et les filles partent vivre sur les terresreçues par leur mari. Mais cette situation n'estpas systématique.

Il y a d'abord le cas où la famille n'a pas degarçon: c'est la fille qui hérite et les enfantsprendront le nom de la mère afin que les terresne changent pas de lignage. Sur notre échantillond'enquête dans le village Dao, quatre famillesont agi ainsi. C'est un procédé qui s'appliqueégalement lorsque le mari ne possède pas deterre. On peut donc supposer certains

Vouloir éviter cette fragmentation des terres peutse traduire par une autre réaction: le départ d'unou plusieurs garçon. La première destination estle Sud du pays. C'est le cas pour trois familles àPhieng Nhuong.

L'autre possibilité est la descente dans le basfond. Les populations Dao de Phieng Nhuongayant aménagé elles-mêmes des rizières enterrasse à leur arrivée (1910), elles se sontrapidement sédentarisées. Néarunoins, entre1959 et 1977, des familles Dao ont eul'opportunité d'acquérir des rizières dans le fondde vallée ce qui leur a procuré un "échappatoire"face au manque de rizières. Quelques famillessont alors "descendues" des plus hautes zonesd'habitation et ont eu accès aux riziéres de bas

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V. Gevraise, Je. Castella, Pham HungManh, DangDinh Quang/SAMPaperSeries 15 (2001) 9

fond grâce aux ventes pratiquées par les Tay. Cesventes ont plusieurs origines :

• soit suite à un départ dans le Sud du pays;

• soit suite à la décollectivisation, la famille seretrouve avec une surface trop importante ;

• soit la famille hérite de superficies tropéloignées de l'habitation.

Ces Dao se sont alors concentrés dans une seulezone d'habitation (Pia Ma), rattachée au hameaude Phieng Nhuong. Il faut noter que la fondationde ce village est récente puisque l'arrivée de lapremière famille date de 1959. Ils ont développédes systèmes de production proches de ceux desTay voisins et ont profité de la culture du tabac.Ils sont arrivés à l'époque de collectivisation etont dû acheter des rizières ce qui constitue unesorte de droit d'entrer dans la coopérative. Mêmesi leur mode de vie correspond à celui des Tay,Pia Ma est uniquement habité de Dao et,« administrativement », cette zone est intégrée àPhieng Nhuong. L'entraide est pratiquée entreles familles de Pia Ma.

c) La capacité à saisir les opportunités.

La migration ne peut à elle seule pallier lesinsuffisances de terres provoquées par 1'héritage.Certains, grâce à une capacité supérieure à saisirles opportunités (esprit d'initiative, maind'œuvre disponible) ont pu s'adapter.

Nous trouvons tout d'abord le cas de ces Dao quiont su prendre l'initiative de la descente vers lesbas fond, au bon moment, au moment où lesrizières étaient "abordables", c'est à dire libre et,d'après témoignages, à "prix assez bas parrapport à aujourd'hui". Même si pour certains, àla base de cette décision, on trouve l'incitation del'Etat à la descente dans le bas fond et à laparticipation à la coopérative (par le biais de lapolitique de sédentarisation), encore fallait-ilpouvoir y répondre.

L'incitation à la sédentarisation pratiquée parl'Etat depuis 1968 ne peut-être sans conséquencesur le système agraire. Cependant, d'après lesDao de Pia Ma il y a juste eu "un appel" maisrien de très concret. Effectivement, leur descentene correspond pas à une date précise et on nepeut trouver dans leur migration dans les basfond, de périodes plus intense que d'autres. Deplus, le premier arrivant, fondateur du village, estdescendu en 1959 donc avant la politique desédentarisation

=> La réponse à l'attribution des terres depente.

Une bonne partie de ces programmesfonctionnant sur le volontariat, les premiers quis'y sont investis, ceux qui ont dépassé la peur dela taxe... ont pu en retirer un avantage et unrevenu non négligeable.

Mm de lancer le processus, les chefs de villageet les fonctionnaires du bureau agricole se sontrendus chez les exploitants dans le but d'exposerles intérêts de la redistribution. Dans lespremières années, l'enthousiasme des paysansn'a pas été au rendez-vous. Personne ne voulaitde ces terres, principalement à cause de la peurd'éventuelles futures taxes. Les fonctionnaires sesont donc de nouveau rendus dans les villagespour expliquer l'intérêt des agriculteurs àparticiper au programme et se sont appuyés surquelques personnes influentes du village, lesincitant à accepter de larges superficies afin de"montrer l'exemple". C'est ainsi qu'a PhiengNhuong, on peut trouver une personne possédant98 ha de foret, une autre 46 ha...

=> La diversification à travers le tabac etl'arboriculture fiuitière

Comme nous le verrons dans la partie 2, l'Etatest à l'origine de l'introduction du tabac sur ledistrict. Néanmoins, les ménages qui ontrépondus au double appel du marché et de l'Etatont pu engager un processus d'accumulationgrâce à l'intensification des rizières. De plus, larémunération liée à la culture du tabac dépendfortement de la capacité de chacun à conduireune culture nécessitant l'acquisition de tout unbagage technique, en particulier l'utilisationd'engrais minéraux ainsi que les techniques deséchage.

L'arboriculture fruitière est une autre forme dediversification. Là encore, les ménages les plusopportunistes (l'initiative étant ici uniquementprivée), ont pu bénéficier des conditions demarché les plus favorables. Aujourd'hui, lamajorité des exploitations a planté des arbresfruitiers et les possibilités de commercialisationse restreignent d'année en année.

Environnement socio-économique

a) L'entraide, base de l'organisation sociale

L'entraide est pratiquée dans tous les hameauxvisités. On pourrais le défmir comme un échangede force de travail, pour l'activité agricole ou

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10 Le rôle de l'Etat dans les dynamiques agraires

non, sans recherche d'llll équilibre exact entre letemps de travail dOlmé et le temps de travailreçu. Son but principal est de pallier les périodesde pointe.

En premier lieu, l'entraide est pratiquée pour lariziculture et plus particulièrement lors dulabour, du hersage et du repiquage. Les famillesparticipantes sont celles faisant partie d'llllemême zone d'habitation. Pour lllle familledonnée, les membres des autres familles serendent sur l'exploitation pour chacune desopérations précitées et ceci jusqu'à leur fm. Mmde rembourser, la personne aidée se rendra surl'exploitation de chacune des familles aidant,jusqu'à la fm des travaux. La surface travaillée etle temps que cela implique ne sont donc pasréellement pris en compte; « pas réellement»car le repas effectué à la fm de la période detravail sera d'autant plus important que la famillepossède une grande surface de rizière, donc quele travail aura été long.

En deuxième lieu, il s'agit du prêt de matériel.Le plus souvent cela concerne le pulvérisateurqui se transforme en bien collectif. Pour lesfamilles, ce prêt peut aller jusqu'à la houe ou lacharrue. Ce type d'aide se fait sansremboursement. Les familles ne possédant pas debuffle peuvent empfllllter à un autre membre dela famille ou du hameau. Cette fois, il peut yavoir remboursement (gardiennage).

b) Elargissement de la notion d'organisationsociale

Cet élargissement est apparu intéressant lors dela sélection des hameaux. Ban Tac avait alorsattiré notre attention. Ce hameau, très proche deBan Trang en terme de peuplement et de surfacede rizière possède llll niveau de vie visiblementplus élevé (construction, équipement...).Soumettant cette observation aux population desdeux hameaux, l'explication avancée est lameilleure qualité des sols qui permet notammentla culture du tabac.

Cependant, avec l'approfondissement de cettequestion, un autre type de réponse est apparue:« les gens de Ban Tac sont plus entreprenants, ilexiste chez eux lllle petite concurrence». Cet étatd'esprit est à replacer dans le temps. Leshabitants de Ban Tac ont découvert très tôt lanotion de culture de rente avec l'arrivée du tabac,encouragé par la coopérative. Dès cette époque,ils ont pus retirer llll revenu monétaire importantde l'activité agricole et n'ont alors pas hésité àsaisir les opportllllités au cours du temps.

La propagation de l'innovation est plus efficaceet plus rapide à Ban Tac. Ce hameau n'a pasconnu les soubresauts historiques de Ban Trang.L'organisation sociale est restée familiale et cen'est pas tant l'existence d'lllle « petiteconcurrence» que celle de l'existence d'unréseau d'information étroit, non bouleversé par letemps, qui peut expliquer le dynamisme de BanTac. Les économistes ne considèrent-ils pasl'accès à l'information comme lllle conditiondominante de l'intégration au marché? Ainsi,l'information circule rapidement au sein duhameau de Ban Tac et la réussite de l'llll peutrapidement être mis à profit de l'autre, de mêmepour les échecs. L'organisation sociale, basée surdes réseaux familiaux établis de longue date,permet de faire profiter tous les habitants desexpériences des uns et des autres.

Cette observation à Ban Tac est valable à PhiengNhuong en ce qui concerne l'arboriculturefruitière. Bien avant les habitants de Ban Trang,ceux de Phieng Nhuong ont été intéressés par ledéveloppement des arbres fruitiers et leursdébouchés commerciaux. Ainsi, aujourd'hui,alors que bon nombre des exploitations dePhieng Nhuong tire un revenu monétaire de leurspêchers et pruniers, les agriculteurs de BanTrang ne font que planter et seront confrontés àla saturation du marché quand leurs arbresdonneront des fruits.

Nous sommes donc en présence de troishameaux dont l'organisation sociale a évolué defaçon différente. Pour Ban Tac et PhiengNhuong, l'évolution est linéaire et ne connaît pasde changement brusque. Au contraire, Ban Tranga été l'objet de nombreux bouleversements dusen grande partie à des décisions étatiques. Cetteévolution différentielle n'est pas sansconséquences sur l'organisation sociale et doncsur les dynamiques agraires. Elle conditionne lacapacité actuelle des exploitants à saisir ou nonles opportunités.

Conclusion

A travers l'exemple de l'élevage et desdifférentes politiques de soutien dont il abénéficié, nous pouvons constater lesinterférences crées par l'Etat dans le processusde capitalisation. Alors que le schéma classiquepour Phieng Nhuong, est lllle premièreaccumulation (notamment par l'arboriculturefruitière) puis capitalisation dans l'élevage; àBan Trang, la constitution d'llll cheptel grâce à laferme d'Etat a accéléré ce processus.

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V. Gevraise, J.e. Cas/ella, Pham Hung Manh, Dang Dinh Quang / SAM PaperSeries 15 (2001) Il

Niveau de capital~~

TYPE A

TYPEETYPED

)Faible surface, peu de buffle

Village Dao E Opportunité du tabac ):Surface importante -"~----------------------i.~

Partage des ~s, des buffles

Village Tay-NungNouveaux arrivants )

-f Surface importante )~ Coopérative ---I.~ Redistribution Surface moye=e -----I.~

Surface faible ---~.~

TYPED~

TYPEC~

TYPEBTYPE A..

1900 1961 1988TYPE A : La surface par actif est très faible. La famille ne possède pas de buffle.TYPE B : Système en transition.TYPE C . Surfaces importantes. En cours de diversification.TYPE D . Diversification et développement de l'élevage bovin.TYPE E : Intensification des rizières.

..2000

Figure 5 : differenciation sociale et systèmes de production

Ban Tran!!

EnvironnementStJdoéconomique

······················~T··:;:T..·········· .~ ~

Exploitation famiIW.e

n......lIp:

'1ndé1lM:acvillllli lIlUI troppt.dcIÏ'1IIlII1cmllltillll

Phieng Nhuon~

et

La sphère « enviro=ement socio-économique»englobe l'exploitation familiale. A l'intérieur decette sphère, l'Etat est l'acteur principal. Sesdécisions et projets inhibent en grande partiel'initiative paysa=e. Les remaniementsfonciers, à l'origine desquels on retrouve cesmême décisions et projets sont le critère dedifférenciation décisifs entre les types A, B, C.La constitution du cheptel suite à laparticipation à la ferme d'Etat permet d'intégrerle type D. Enfin, les retraites et les revenusissus des replantations forestières participentégalement à la différenciation sociale.

Tout en étant en co=exlOn avec sonenviro=ement soclo-éconolll1que, la sphèretàmiliale est détachée. La différenciation s'opèreà l'intérieur de l'exploitation familiale et dépenddes décisions de celle-ci On peut en effet parlerde développement endogène en ce qui concerne lefoncier. La culture du tabac, élément important dedifférenciation sociale correspond à la réponse dudouble appel du marché et de l'Etat. Ladiversification à travers les fruits et légumes estissue de l'initiative paysa=e.

Figure 6: Articulation entre sphères de décision, au niveau du hameau

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12 Le rôle de l'EIai dans les dynamiques agraires

Sur ces deux hameaux, nous retrouvons troiscritères communs dans la différenciationsociale: l'accès aux rizières, les mouvements depopulation et la capacité de chacun à saisir lesopportunités. Cependant ces mécanismes sontplus ou moins faussés par l'Etat qui change lesrègles. A Ban Trang, l'accès aux rizières a étébloqué par le projet d'irrigation puis guidé par laredistribution post coopératives; alors qu'àPhhieng Nbuong, il découle d'un système basèsur l'héritage établie de longue date. Alors qu'àBan Trang, les populations ont été déplacèesselon l'ambition de l'Etat à consacrer la zone àtelle ou telle activité, les habitants de PhiengNbuong sont les initiateurs de leurs propresmigrations. Enfin, la capacité individuelle àengager son propre développement a été d'uncôté étouffé par le dirigisme étatique, alors qued'un autre côté elle a pu s'exprimer par le biaisd'une plus grande diversification.

4. Diversité actuelle des systèmes deproduction

4.1. Deux éléments particuliers à lacommune: l'élevage bovin et letabac.

Un avantage comparatif pour l'élevage.

Celui-ci correspond en grande partie à laprésence dans le paysage de ces montagnespelées, constituant autant de pâturages.Néanmoins, on peut remettre en cause la qualitéfourragère de cette herbe rase.

L'élevage est depuis plusieurs années lapréoccupation majeure du district pour ledéveloppement de l'agriculture dans la partie Est.Les agriculteurs ont pu, par la succession desprojets et l'implantation de la ferme d'Etatspécialisée dans l'élevage, acquérir une certaineexpérience dans la conduite des troupeaux.Néanmoins, d'importants problèmes persistent,liés aux hivers rudes de la région. En effet, sientre novembre et décembre les températuresmoyennes se situent entre 10 et 20 degrés, enrevanche les minimales peuvent descendre sousles 10 degrés et se situer aux environ de 5 degrésen janvier et février. Les ressources fourragèresviennent alors à manquer et le froid pcutprovoquer la mort d'une partie du cheptel.

La figure 7 montre l'évolution des cheptelsbovins et bubalins. Après une forte augmentation

de 1991 à 1993, le nombre de bumes régressejusqu'en 1999 pour retrouver son niveau dudébut de la décennie. De nombreuses maladiess'abattent fréquemment sur le cheptel, ce quipeut expliquer ce point d'infléchissement.Surtout que le nombre de bœufs connaîtégalement une diminution à cette période.Cependant, on peut se demander si la taille ducheptel bovin n'arrive pas, à cette époque, à unpoint de saturation par rapport aux pâturagesdisponible?

L'évolution différentielle entre les bumes et lesbovins s'explique par deux objectifs différents.Alors que les buffles sont presque exclusivementconsacrés au travail du sol, les bovins sont élevésdans un but commercial.

1800016000 .14000 . ./ ........~ --12000 . _._---

100008000 .. -_._.--~ .

60004000 ..------2000 .

0 !-----r--"T"~-T

1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999

1--Buffles - Bœufs 1

Figure 7 : Evolution des cheptels bovin etbubalin

Le tabac.

La culture du tabac occupe également les bas­fonds Elle a été introduite sur le district en 1971.Ban Khau a été le premier hameau à la pratiquerce qui, en plus de la présence du marché,explique son niveau de richesse supérieur. Dansles années suivantes, elle s'est répandue pouroccuper aujourd'hui toute la partie Est dudistrict: Duc Van, Bang Van, Thuong Quang,Thuong An et Van Tung

Dans les années de collectivisation, c'est lacoopérative qUi a orgarusé la filière enfournissant les intrants, en récupérant laproduction et en rémunérant en dong. Ensuite laculture s'est répandue grâce aux avantagesqu'elle offre au producteur: sécurité del'écoulement et la mise en valeur des terres derizières par un cycle de printemps. Ces deuxpoints sont fortement liés dans la décision des

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Figure 8 : Fonctionnements des systèmes deproduction

__-l''~ Force de travail~ Flux de marchandises

.............~ Flux monétaires

Systèmed'élevage

Systèmede

culture

Afin de remédier à cette période de soudure, lemari part travailler à l'extérieur plusieurs moisde l'année. Cela permet à la famille d'acheter duriz. Pour la commune, la principale opportunitéd'emploi est la mine d'or.

Rizières c::J,...-__---, 14-..io.l-~~~--+ Buffles

Jardin­verger

Pentes

Les interactions agriculture-élevage résidentdans le transfert de fertilité des pâturages vers lesrizières, par le biais des déjections animales, etdans la constitution de l'alimentation porcine parles cultures de pente.Les revenus extérieurs sont composés des aidesde l'Etat (dont retraites) et des salaires extra­agricolesAu-delà des rizières, le manque généralisé deterre caractérise ce système de production. Laproduction rizicole ne permet pasl'autosuffisance et la période de souduremoyenne est de 5 mois (jusqu'à 9 mois).

Les blocages sont nombreux. Il s'agit toutd'abord de l'absence de buffle qui participeégalement à la faible capacité de financement dela famille. En effet, malgré les facilitésd'emprunt accordées par la « banque despauvres », l'accès au crédit est corrélé à lapossibilité d'hypothèque. Sans buffle et avec unesurface réduite ces familles ne peuventemprunter.

4.2. Typologie des systèmes deproduction

Dans ce schéma classique de fonctionnement, laforce de travail se répartie entre le systèmed'élevage et de culture, la traction animale étantutilisée pour le travail du sol. Alors que le tempsde travail concernant ]' élevage (gardiennage,alimentation) est pris en charge par les enfants etles personnes âgées, les actifs se consacrentprincipalement au travail sur les rizières.

Actuellement, la culture du tabac est fortementencadrée par la compagnie d'Etat « Vinataba ».Tout d'abord, elle organise la filière. Celaprésente l'avantage d'assurer un débouché pourla production malS rend les producteursdépendant de la compagnie qui fixe les prixcomme bon lui semble. Ce sujet a créé de fortestensions entre Vinataba et les producteurs lors dela vente de la production 99. Si les prix sont fixésà l'avance, les acheteurs peuvent jouer sur lejugement de la qualité des feuilles, critère derémunération. Ainsi de la deuxième ou troisièmeclasse en 1998, on passe à la quatrième oucinquième classe: le prix moyen se trouvedivisés par près de 2. La réaction des exploitantsne s'est pas faite attendre: sur l'ensemble descommunes, on passe de 80 % à 10 % des foyerscultivant le tabac.

paysans de cultiver le tabac. Alther (2000) décritl'arrivée du tabac à Van Tung de la sorte: « Thecommon opinion in the village has not beenready for a second crop and most farmers didn'tseem to want one. In late 1997 villagers wereinformed by staff of the tobacco company andagricultural extension staff, that they would havethe chance to increase their income considerablyby growing tobacco. The village leaders wereinvolved at fIfSt and then a few farmers ofanother part of the distnct who have growntobacco on a trial basis in the previous year andhad been able to sell it to a high price, toldfarmers of their e)(perience. Farmers were luredwith promises of high priees and a packagecompiled by the company which seemedfavourable to them. Since the village leadershave been convinced of the positive impact ofthe project to their personal wealth, the projectcould be started »

Vinataba foumit également le « paquettechnologique» nécessaire. Pour s'assurer queces engrais soit bien utilisés pour le tabac, lacompagnie rembourse le prix des engrais àl'achat de la production.

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14 Le rôle de l'Elal dans les dynamiques agraires

Le rapport SAUIUfA et le niveau de capitalétant identique que pour le type C, ce sont desqualités individuelles (expérience de la fermed'Etat, capacité à saisir les opportunités qui ontguidé les exploitations vers ce système). Cetélevage vient achever un processusd'accumulation issu (en dehors des revenusextérieurs) de la diversification des exploitations.C'est effectivement ici que l'on trouve lespremières exploitations à avoir planté des arbresfruitiers. Ils profitent aujourd'hui d'un marché oùl'offre est encore limitée. Ces exploitantsvendent également des légumes du jardinpotager: choux et choux-fleurs principalement.

Grâce à des surfaces de pente supérieures auType A, les familles de ce type peuvent passer àl'élevage des porcs de race croisée et cultiver lesoja pour la vente ou l'autoconsommation.Comme pour le type A, les revenus issus desreplantations forestières permettent l'achat de rizpendant la période de soudure (deux mois etdemi en moyenne). En revanche, on ne trouvepas ici de salaire extérieur mais plutôt uneretraite qui complète le revenu familial.

Deux types de famille se retrouvent dans cesystème:

• les exploitations Dao ayant conservé lecapital (terres et buffles) au fil deshéritages;

• les nouveaux arrivants à Ban Trang qui ontsu profiter de leurs revenus el avantagespour investir dans un élevage.

Dans ce deuxiéme type, nous trouvons leshabitants de Ban Trang ayant reçu une surfacemoyenne de rizière par héritage. L'obtention(héritage ou achat) d'un ou deux buffles est lesymbole de ce début de capitalisation.

Ce système comprend les familles originaires deBan Trang ayant reçu des surfaces importantesde rizière et de pente ainsi que les nouveauxarrivants (anciens ouvriers de la Ferme d'Etat)qui ont acheté et/ou aménagé d'importantessurfaces. Ces achats ont pour origine le salaireperçu à l'époque de la Ferme d'Etat puis laretraite. L'acquisition des buffles se fait par lesmêmes processus' l'héritage et l'achat.

L'élevage de porc représente encore la part laplus importante dans le revenu agricole issu de lavente.Les retraites représentent une part importante durevenu familial, ceci pour l'ensemble desfamilles.

Systèmed'élevage

Systèmed'élevage

Systèmed'élevage

r-·_..···_·1"' __._._.1

r Buffies

1.......--~1_

Penles

Jardin­verger

Jardin­verger

Rizières

Rizières

Système de~u1ture

Systèmede ~ulture

Systèmede ~ulture

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V Gevraise, J.e. Cas/el/a, Pham Hung Manh, Dang Dinh Quang / SAM PaperSeries 15 (2001) 15

Uniquement les familles de Phieng Nbuong ontdéveloppé ce système, aussI bien cellesdescendues dans le bas fond que celles exploitantles zones plus élevées sur les pentes. Troisfacteurs détenninent le passage dans ce Type: lasuperficie de rizière, la main d'œuvre et lenombre de buffle. D'après les personnesenquêtées, c'est la qualité des sols qui empêche

les habitants de Ban Trang de développer laculture du tabac.

L'intensification des nzières recouvre deuxaspects:

• un rendement de riz élevé;

• la culture du tabac qui équivaut à undeuxième cycle.

Système deculture

SOOO.fj

2000.

UiOO.

Systèmed'élevage

Système deculture

§.o

Systèmed'élevage

Buffles

Bovins

SAUIlJTA

Figure 9 : Aire d'existence des systèmes de production

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16 Le rôle de l'Etat dans les dynamiques agraires

Tableau 1 : Données quantitatives par type de production

En bung., En milliers de dongs par bung. Pour les terres de pente, il s'agit de la valorisation des cultures de pente (maïs,

manioc, patate douce) par la vente de porc.J Soja + Tabac + Fruits + Légumes .• Part du revenu extérieur dans le revenu familial.

TYPE Nbre Rizières Terres de pente Vente Capital productif 0/0 Revenu

bouches productions

à nourrjr Surface' Productivité' Surface Productivité Végétales' Amortissement Nb buffles Extérieur·

mm 3 0.7 640 0.3 0 30

A MOY 4 1.8 925 0.9 1408 0 120 0 30

max 6 2.7 1300 1.6 4267 284

mm 2 1 400 0.8 157 95 1

8 MOY 4.7 3.5 840 2.7 493 0 144 1.6 50

max 7 6 1920 4.2 925 220 3

mm 4 1.8 640 2 0 0 95 1

C MOY 6.3 4.4 976 2.9 465 370 280 2.5 40

max 13 9 1600 7.9 1500 2024 575 6

mm 4 1 822 0.7 0 0 100 1

D MOY 5 4.5 1270 2.8 534 820 300 3.4 40

max 8 9.8 1728 7 2429 3000 600 6

mm 4 2.7 640 1 368 200 137 2

E MOY 6.8 5.5 1405 2.2 651 576 330 3.3 20

max 10 12 1504 3.8 1231 1510 692 7,

4.3. Conclusion: quels critères dedifférenciation?

Au terme de l'étude des trajectoires historiqueset de la situation actuelle des systèmes deproduction, nous avons pus dégager 5 grandstypes d'exploitation (A à E). La figure 12 montrela position de chacun de ces types selon la valeurajoutée nette par actif et la surface agricole utilepar actif. Il s'agit là d'une modélisation surlaquelle ne figurent pas tous les points(exploitation) mais les regroupent en ensembleshomogènes. Après présentation de cettetypologie aux autorités du district, nous avons puavoir confirmation de sa représentativité de laréalité. Cette représentation met en relief lesfacteurs de blocage et les évolutions potentiellespour chaque type. Nous retiendrons trois facteursde différenciation:

L'accès au foncier.

Les surfaces cultivables étant réduites(conditions de relief), la SAD est un critère

déterminant dans la différenciation desexploitations. C'est ce critère qui distingue leplus fortement les types A, B et C. Le tableau 3reflète les inégalités: les surfaces de rizière sontmultipliées par 2 entre le type A et le type B, etpar 1.25 entre B et C.

En raison du manque de terre, les exploitationsdes types A et B ne peuvent atteindrel'autosuffisance alimentaire. Elles doiventconsacrer tout ou partie de leurs ressourcesfmancières clans l'achat de riz. La plupart d'entreelles ne peut atteindre le seuil de renouvellementce qui inhibe toute possibilité d'accumulation.En revanche, les types C à E possèdent dessurfaces plus importantes (héritage, achat ouaménagement), elles ont pu entamer ce processusd'accumulation et capitaliser.

Pour les exploitations manquant de terre, lapremière solution réside clans l'intensification.On peut noter sur la figure 12 et le tableau 3 quele type A atteint déjà un niveau d'intensificationélevé. Cependant cela correspond plus à la faible

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smface qu'à une réelle intensification. En effet,la main d'oeuvre disponible se concentre sm unesurface limitée ce qui permet d'atteindre uneforte productivité par bung mais les gains sur lerevenu total sont faibles.

Le rôle de l'Etal.

Les décisions étatiques influent sur lesdynamiques agraires de deux maniéres : l'apportde revenus et les déplacements de population. 11s'agit tout d'abord des retraites (Ferme d'Etat) etplus récenunent des replantations forestiéres.L'apport de ces revenus dans le revenu familialentraîne une différenciation entre les systémes deproduction mais aussi entre les exploitationsd'un même type. La part du revenu extériemdans le revenu familial est la plus élevée pom letype B (50 %). Mais en valem absolue, ce sontles types C et D qui en profitent le plus. Il fautnoter que le type qui atteint le plus haut niveaude capital (E) est également celui dont la part desrevenus extérieurs dans le revenu total est la plusfaible (20 %)

Nous avons vu dans la partie historique commentles décisions politiques ont entraîné desmouvements de population, pertlITbantl'organisa tion sociale et ainsi inf1uencer lesdynamiques agraires. C'est particuliérement vraipom ce qui est de la Ferme d'Etat dont lesanciens ouvriers sont auj omd'hui dans deuxtypes bien précis: C ou D.

Le dynamisme individuel.

Troisiéme critère de différenciation, il prend uneimportance croissante avec l'instauration del'économie de marché. Les agriculteurs sont librede lem choix et les premiers à saisir lesopportunités (replantations forestières, arbresfruitiers ... ) sont aujomd'hui les mieux placés enterme de revenu. Ils ont pu diversifier lemsproductions et leurs sources de revenu,accumuler et capitaliser clans l'élevage pourirJtégrer le Type D

5. Conclusion générale

Un corps de règles en évolution rapide

La figme 10 représente les grandesévolutions de l'environnement décisionneldes agriculteurs.

Au début des années 60, l'Etat met en placeun grand projet de collectivisation del'agriculture. C'est un véritablebouleversement de l'activité agricole et de lavie rurale en général: les terres sontentièrement collectivisées et l'agricultemperd tout pouvoir de décision au profit del'Etat via les coopératives (à l'échellevillageoise).

Prise de décision

Production

Système collectiviste Economie de marché

Figure la: Evolution des relations entre sphères de décision

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18 Le rôle de l'Etat dans les dynamiques agraires

Parallèlement, d'autres décisions ont étéprises, venant compléter la volontécentralisatrice. Il s'agit de la politique desédentarisation et de la création de Fermesd'Etat. Nous l'avons vu, ces décisions ontprovoqué de nombreux déplacements depopulation, ont modifié l'organisationsociale et l'exploitation du milieu. Ce modede gouvernance très centralisé de l'Etatinhibe alors en grande partie l'initiativeprivée.

Lorsque les années 80 débutent, le systèmecoopératif est en crise et l'Etat vietnamienlance une série de règlements allant toujoursplus vers une dé-régulation et l'économie demarché. Les deux points cruciaux de cesmesures sont la redistribution foncière et laliberté du choix des productions. Après 20ans de dirigisme coopératif, les agriculteurssont à nouveau soumis à de nouvelles règles.L'Etat se désengage et les agriculteurs sontintégrés à des échelles de décisions élargies.Ils sont englobés dans le marché national quiest lui-même en relation croissante avec lemarché international. Les flux demarchandises se multiplient et lesinterrelations entre les différentes sphèresguident la prise de décision.

Dans ce contexte, l'Etat n'est plus dans uneoptique dirigiste. A la fm des coopératives,les services agricoles et forestiers ont étécréés dans chaque district. Ils ontprincipalement pour rôle de diffuser lesinnovations agricoles. Ils sont également lecadre des redistributions foncières et desprojets de replantations forestières. Ils ontdonc une influence non négligeable quiexplique les ré-interprétations locales desprogrammes nationaux. Le projet PAM estun bon exemple des décalages entre unprogramme gouvernemental et les réalités deson application sur le terrain. A Duc Van,les autorités tout comme les paysansconsidèrent plus ce projet comme une aidesociale qu'un réel projet de replantation.

On note un décalage entre le discoursofficiel autour de l'allocation des terres, etles surfaces réellement attribuées. En effetlors de notre étude un foyer sur trois nepossédait pas de titre d'attribution.

L'adaptation des paysans.

Cette évolution de la gouvernance placel'exploitant dans la situation quasipermanente de calage entre ses décisions etcelles des sphères supérieures de décision.

Aujourd'hui, nous sommes dans un contexted'économie de marché dans lequel lesexploitants entrent avec plus ou moins dedynamisme. D'un coté ceux qui font preuved'initiative en diversifiant leurs activitésagricoles ou non agricoles (bœufs, fruits,soja; artisanat, petit commerce etc.). D'unautre côté, ceux qui suivent le mouvement,en profitant des prêts bancaires sans avoir deréel projet d'investissement. Or lefonctionnement de la banque s'appuie surdes critères et des organisations reconnuespar l'Etat. Pour les deux volets de la Banqued'Etat (banque rurale et banque despauvres), trois régions sont défmies et untaux d'intérêt différent pour chacune d'entreelles. La définition du taux d'intérêt estétablie tous les ans par le «Comité desethnies et de la montagne». Il se base surdes critères qualitatifs tel que le niveaud'infrastructure de transport, le niveaud'éducation. En outre, l'accès à la banquedes pauvres nécessite deux conditions:

• l'adhésion à une association(association des femmes ou desagriculteurs)

• faire partie des familles «pauvres»selon les critères du bureau desinvalides.

L'obtention du crédit au taux le plusfavorable est donc soumis à certainesconditions, d'autant plus que la banqueexamine le projet d'investissement dudemandeur. Il lui faut justifier de possibilitésd'hypothèque. Pour cela, la banque se fie au« livret rouge» (titre de propriété) et auxbiens propres de l'exploitant. Par cettesélection, les plus démunis se retrouventexclus du crédit et s' installent durablementdans une spirale de pauvreté. Cela expliqueque certains préfèrent avoir recours au prêtentre membre de la même famille.

Perspectives d'évolution du rôle de l'Etat.

Dans ce nouveau contexte, le paysanmanque d'expérience, de références. Il nesait pas où va mener telle ou telle décision,

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tel ou tel choix de production. TI est doncsouhaitable de renforcer les liens entre lesdifférentes sphères de décision.

Les connexions entre l'exploitant et l'Etatdoivent être consolidées. Pour cela, on peuts'appuyer sur des structures existantes. Ils'agit tout d'abord des associationsd'agriculteurs. Elles peuvent devenir un lieud'échange entre les interlocuteurs afm defaciliter la circulation de l'information d'unefaçon descente et la connaissance dessituations individuelles de façon ascendante.Dans le premier cas, il s'agit, pour lesservices de l'Etat d'apporter aux exploitantsune connaissance du marché qu'ils nepeuvent avoir à leur niveau. Cela doitpermettre d'éviter les saturations du marchépar une offre « gonflée» par des effets de

mode. L'exemple des arbres fruitiers estrévélateur à ce point de vue. Après la chutedu prix des abricots à Cho Don (autredistrict de la province de Bac Kan), le prixdes prunes et des pêches à Ngan Sondiminue d'année en année et il est de plus enplus difficile d'écouler la production.

Dans le cas de la démarche ascendante, ils'agit de faire remonter les inquiétudes etpréoccupations des agriculteurs, et deconnaître les réalités individuelles afmd'adapter les innovations. Lors des enquêtes,des incertitudes quant à l'avenir desreplantations ont fréquemment étésoulevées. Quelles seront les possibilitésd'exploitation de ces arbres une fois à lataille adulte?

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Gevraise V., Castella Jean-Christophe, Pham Hung Manh,

Dang Dinh Quang (2001)

Le rôle de l'Etat dans les dynamiques agraires de la commune

de Duc Van, province de Bac Kan, Vietnam

Hanoï : VASI, 19 p. (SAM Paper Series)