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JOLY-ANNE RICARD
LE ROI FACE A SES SUJETS REVOLTESL'égalité devant le pardon dans la France de Henri IV
(1589-1598)
Mémoire présentéà la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en histoirepour l'obtention du grade de maître es arts (M. A.)
DEPARTEMENT D'HISTOIREFACULTÉ DES LETTRES
UNIVERSITÉ LAVALQUÉBEC
2007
' Joly-Anne Ricard, 2007
Résumé
Devant des paysans soulevés, les rois de l'époque moderne n'agirent généralement
pas comme des tyrans sanguinaires qui sortaient les armes au moindre prétexte. Au
contraire, les princes modernes firent preuve de douceur et de clémence envers leur peuple
puisqu'ils attachèrent beaucoup de valeur à ces vertus que l'on disait royales. Dans la
France de Henri IV, à la fin des guerres de Religion, l'utilisation de la clémence face aux
révoltes des Croquants du Sud-Ouest fut indéniable, bien qu'elle ne fût pas la seule
méthode employée par le roi pour enrayer ces soulèvements. La faiblesse de l'institution
monarchique et l'éloignement de la région touchée forcèrent le roi à négocier les méthodes
de règlement avec les autorités locales et la noblesse des provinces. Malgré une certaine
répression, les paysans n'en ont pas moins reçu un traitement comparable à celui offert aux
nobles qui se sont révoltés dans le cadre des guerres de Religion.
Avant-propos
Je souhaite tout d'abord exprimer ma gratitude envers mon directeur de maîtrise,
Michel De Waele, pour son aide, ses idées et ses encouragements. Grâce à lui, j 'ai eu la
chance de vivre des expériences universitaires extrêmement intéressantes et profitables. Je
désire aussi remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour le
soutien financier qui m'a permis de mener à bien ce projet. Je suis également extrêmement
reconnaissante envers mes parents, qui ont toujours cru en moi, et envers ma sœur, pour son
aide. J'offre finalement ma plus profonde gratitude à Daniel, pour tout...
Table des matières
Résumé IIAvant-propos IIIIntroduction 1
Une question de définitions 3Un survol historiographique 5Les sources : possibilités et limites 8
Chapitre I : Guerres civiles et réconciliation nationale 14
1. Les guerres de Religion 14
A. Les guerres de Religion et le difficile avènement d'un roi 14A.1 Les guerres de Religion (1562-1598) : un survol 14A.2 La Sainte Ligue 18A.3 La difficile accession au trône du premier Bourbon 20
2. La fin des guerres civiles et la réconciliation nationale 23
A. L'image d'un roi 23A.1 Le roi guerrier 23A.2 Le roi clément 26A.3 Le roi catholique 27
B. Vers la paix 29B.l La négociation des ralliements des villes et des chefs ligueurs 29B.2 De la guerre fratricide à la guerre contre l'étranger 31B.3 Le dernier des édits de réconciliation 33
Chapitre 2 : La douceur 37
1. La clémence et les rois 37
A. L'importance de la clémence 38A.1 Un prince à l'image des rois antiques : les raisons philosophiques de laclémence 38A.2 Un prince à l'image de Dieu : les raisons religieuses de la clémence 40
B. Des révoltes réglées pacifiquement 42B.l Henri VIII et les révoltes populaires 43B.2 Philippe IV et les révoltes populaires 45
2. Henri IV, le petit peuple et la noblesse 46
A. Henri IV et le petit peuple 47A.1 Un roi empathique 47
A.2 Henri IV, père du peuple 49A.3 La protection du petit peuple comme vertu royale 51
B. Henri IV face aux révoltes des grands et des villes 54B.l Achat, pardon et oubli 54B.2 La justification des révoltes 58
Chapitre 3 : Les Croquants : une étude de cas 61
1. Paysans et révoltes 61
A. Un temps de révoltes 61A.l Les révoltes en Europe de l'Ouest 62A.2 Les révoltes en France 64A.3 Les révoltes dans le Sud-Ouest de la France 65
B. Les motifs des révoltes du Sud-Ouest 68B.l Le Sud-Ouest dans les guerres de Religion 68B.2 Les impacts économiques des guerres de Religion 70
2. Les autorités et les révoltes 73
A. L'apaisement 74A.1 Un appel à la clémence 74A.2 Pardon, oubli et justification 80
B. La force 82B.l Une porte ouverte à l'usage de la force 83B.2 L'utilisation de la force 86
C. Les autorités locales, la noblesse et le gouvernement 90Cl Angoisse et pression de la noblesse 91C.2 L'État et les autorités locales 97C.3 Les paysans comme polluants sociaux 103
Conclusion 106
Annexe I : L'Aquitaine 110Annexe II : La France au cours des guerres de Religion 111Annexe III : Chronologie des révoltes des Croquants 112Annexe IV : Le protestantisme en France au XVIe siècle 116
Bibliographie 117I. Sources manuscrites 117II. Sources imprimées 117III. Sources secondes 118
Introduction
Le 26 mai 1594, dans une missive destinée au roi de France Henri IV, Henri de
Bourdeille implorait son souverain de lui apporter son aide pour soulager sa province du
mal qui l'affligeait. « Je reconoys ma barbe fort jeune pour pouvoir promptement remédier
et croys qu'ung plus vieux capitaine y trouveroit beaucoup d'affaires et empeschement &
continueray ce pendant de tout mon possible ramener ce pais en son debvoir », écrivait
Bourdeille, en songeant qu'il n'était pas la meilleure personne pour faire face à la
situation1. Au moment d'écrire ces lignes, peut-être regrettait-il l'obtention, moins de deux
ans plus tôt, de sa charge de gouverneur et sénéchal du Périgord. Sa lettre, empreinte d'une
inquiétude certaine, fut écrite au moment où le royaume se trouvait plongé, et ce, depuis
plus de 30 ans, dans un horrible conflit civil, celui des guerres de Religion. Toutefois,
malgré l'ampleur du problème, les appréhensions du vicomte de Bourdeille ne concernaient
pas les guerres civiles ce jour-là, mais plutôt les soulèvements des paysans qui, ayant pris
naissance au Limousin, embrasaient maintenant le pays de Périgord ainsi que les provinces
circonvoisines2. Le petit peuple soulevé, connu sous le sobriquet de Croquant3, parlait
maintenant ouvertement, selon le gouverneur, d'exterminer et de ruiner la noblesse.
Bourdeille suppliait le roi de mettre rapidement fin à ce qu'on appelait à cette époque les
« émotions du peuple ».
Le royaume de France fut sporadiquement touché par de telles révoltes au cours de
l'époque moderne, et tout particulièrement à la fin des guerres de Religion, ces conflits
civils qui accablèrent le pays de 1562 à 1598. La paysannerie fut durement touchée par ces
affrontements, issus des querelles des grands et de la confrontation de deux religions, dont
elle fut la première et principale victime. Au cours de ces années de guerre, le quotidien des
paysans fut lourdement perturbé et ponctué de divers traumatismes, dont le passage des
troupes de soldats sur le plat pays, qui était toujours accompagné de nombreuses exactions.
Les conséquences économiques de ces conflits, ajoutées aux pressions fiscales déjà subies
1 Bibliothèque nationale de France (ci-après BN), Manuscrits français (ci-après Ms. fr.) 23194, fol. 165.2 Le soulèvement des Croquants toucha le Poitou, le Saintonge, l'Angoumois, la Marche, l'Agenais, leQuercy, et tout particulièrement le Limousin et le Périgord. (J. H. M. Salmon, Society in Crisis: France in theSixteenth Century, London, E. Benn, 1975, p. 282. )3 L'origine de ce sobriquet, qui signifie paysan révolté, sera expliquée dans le troisième chapitre.
par les paysans, furent également catastrophiques pour la population. Ce sont dans ces
circonstances, dans ce climat d'angoisse inéluctable, que les paysans se résolurent à prendre
les armes en cette fin de XVIe siècle. Ils se révoltèrent en divers endroits du royaume, en
Normandie, en Bretagne et surtout dans le Sud-Ouest du pays, contre les grands nobles
qu'ils accusèrent de ne vouloir défendre que leurs propres intérêts en délaissant les
anciennes valeurs nobiliaires qui devaient les amener à protéger les paysans. Les révoltes
populaires se manifestèrent par des prises d'armes, par l'attaque de châteaux, ainsi que par
le pillage et le saccage de terres.
Ces soulèvements populaires s'inscrivaient dans un contexte beaucoup plus large,
celui de l'éclosion de révoltes paysannes à travers toute l'Europe de l'Ouest au cours de la
même période. En raison de la construction des États, qui fut accompagnée des inévitables
innovations fiscales, des révoltes éclatèrent un peu partout sur le continent, bien qu'elles
aient toutes eu leur propre spécificité . Ainsi, outre la France , l'Angleterre , l'Espagne et
la Suisse8, parmi tant d'autres, virent naître leurs propres mouvements de contestations
populaires. L'observation de ce phénomène, en Europe, nous amène à nous interroger sur
les mesures adoptées par les gouvernements pour répondre à ces crises et pour y mettre un
terme. Face aux révoltes populaires, les rois ont-ils spontanément eu recours à la force en
Europe de l'Ouest au cours de l'Ancien Régime ? Il semble que les autorités n'employaient
4 Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds : les soulèvements paysans en France du XVf au XIXe siècle,Paris, Gallimard : Julliard, 1974, p. 13.5 La première révolte paysanne de l'ère moderne en France eut lieu en 1548 en Aquitaine et fut notammentsuivie des révoltes des Croquants en 1594, en 1624, en 1636-37 et en 1707. À ce sujet, voir entre autresRoland Mousnier, Fureurs paysannes : les paysans dans les révoltes duXVlT siècle (France, Russie, Chine),Paris, Calmann-Lévy, 1967; Yves-Marie Bercé, Histoire des Croquants : études des soulèvements populairesau XVIf siècle dans le Sud-Ouest de la France, Genève, Librairie Droz, 1974 et Bercé, Croquants et nu-pieds, op. cit.6 Notamment avec le Pèlerinage de la grâce en 1536-1537. Voir entre autres R. W. Hoyle, The Pilgrimage ofGrâce and the Politics ofthe 1530s, Oxford; New York, Oxford University Press, 2001 ; Geoffrey Moorhouse,The Pilgrimage of Grâce: The Rébellion That Shook Henry VIH's Throne, London, Weidenfeld & Nicolson,2002; Ethan H. Shagan, Popular Politics and the English Reformation, Cambridge; New York, CambridgeUniversity Press, 2003.7 Notamment en Catalogne en 1640. Voir à ce sujet John Huxtable Elliott, The Revolt ofthe Catalans: A StudyIn the Décline of Spain (1598-1640), Cambridge; New York, Cambridge University Press, 1984 et HenryKamen, « A Forgotten Insurrection ofthe 17th Century: The Catalan Peasant Rising of 1688 », Journal ofModem History, 49 (1971).8 Notamment dans les vallées en 1653. Voir entre autres Gtinther Franz, Geschichte des deutschenBauernstandes vom frùhen Mittelalter bis zum 19. Jahrhundert, Stuttgart, Ulmer, 1976. (Tiré de HuguesNeveux, Les révoltes paysannes en Europe (XlVe-XVIIe siècle), Paris, A. Michel, 1997, p. 195.)
pas la force de façon systématique et irréfléchie pour mettre fin aux soulèvements de la
paysannerie, et qu'elles traitaient celle-ci de la même façon que les nobles.
Pour vérifier cette affirmation, la démonstration suivante se penchera sur le cas
précis d'un royaume touché par les révoltes populaires en Europe, soit de celui de Henri IV
en France. La période étudiée s'étendra de l'avènement du premier Bourbon, en 1589, à la
proclamation de l'édit de Nantes, en 1598, événement qui mit théoriquement fin aux
guerres de Religion. Nous allons voir que Henri IV n'eut pas spontanément recours à la
force pour mettre fin aux révoltes populaires et qu'il n'agit pas bien différemment envers
les paysans qu'envers les nobles. Afin d'illustrer notre propos, nous étudierons les révoltes
qui se sont déroulées dans le Sud-Ouest de la France de 1593 à 1595, en portant une
attention particulière au Limousin, province qui lança le mouvement de contestation, et au
Périgord, territoire où l'on observa l'agitation la plus importante pendant la période. Plus
précisément, la région du Sud-Ouest de la France, dont il est question dans ce mémoire,
couvre environ le quart du pays et est désignée sous le terme d'Aquitaine : elle s'étend de la
Loire aux Pyrénées et de l'Atlantique aux Cévennes9.
Une question de définitions
Une grande confusion terminologique règne chez les historiens de l'époque
moderne en ce qui a trait aux conflits. Citons seulement Liliane Crété qui, dans
l'introduction de son livre Les Camisards, emploie cinq termes différents pour qualifier
cette révolte10. Elle valse donc sans scrupule entre les mots guerre, guérilla, révolte,
rébellion et insurrection, comme s'ils étaient interchangeables et servaient à décrire une
seule et même réalité. Même Yves-Marie Bercé, qui a abondamment étudié les révoltes
populaires en France, qualifie parfois ces conflits de « guerres paysannes », faisant fi des
différences majeures qui distinguent les révoltes des guerres . Consciente des problèmes
terminologiques concernant la période, Annie Jourdan, dans son livre La Révolution, une
exception française?', met justement en garde le lecteur contre l'incertitude entourant le mot
révolution, que l'on confond souvent avec révolte, rébellion, insurrection, sédition,
9 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 1. Voir la carte en annexe I.10 Liliane Crété, Les Camisards, Paris, Perrin, 2001.1 ' Bercé, Croquants et nu-pieds, op. cit. et Bercé, Révoltes et révolutions, op. cit.
soulèvement, bouleversement et tourmente - des termes qui sont pourtant bien loin d'être
des synonymes12. Devant une telle confusion, il nous semble nécessaire de bien définir les
termes de base qui sont utilisés dans ce mémoire.
Dans la démonstration qui suit, lorsqu'il est question d'une révolte populaire, l'on
réfère à la définition qu'en donne Yves-Marie Bercé, c'est-à-dire qu'il s'agit de la
formation d'une troupe populaire armée qui réunit en son sein des participants venus de
plusieurs communautés d'habitat et qui se maintient sur pied pendant plus d'un jour13.
L'utilisation du qualificatif populaire pour désigner la révolte indique que les artisans et les
paysans en constituent les principaux protagonistes14. Ajoutons également que les révoltes
sont en général rapidement matées par les gouvernements qui ont recours, pour ce faire, aux
« procédures normales de sécurité interne » qui peuvent varier selon l'endroit et l'époque15.
Soulignons aussi que la révolte se distingue de l'émeute en ce que celle-ci se définit comme
une violence collective localisée ayant une durée limitée16. La rébellion, quant à elle, définit
une réalité beaucoup plus large puisqu'elle englobe à la fois « toute la gamme des
désordres, délictueux et non délictueux, depuis le bref incident local jusqu'au mouvement
de plus grande amplitude17». Pour clarifier plus amplement le propos, dissocions également
la révolte de la révolution, une violence politique plus extrême qui mène à une rupture.
Cette dernière implique la désagrégation d'une société qui sort transformée par des
événements violents. Selon Christopher Hill, les gens qui prennent part à une révolution ont
la nette sensation d'être témoins de changements d'une importance capitale dans
l'évolution de leur monde18. Contrairement à la révolution, la révolte ne remet que
passagèrement en cause l'ordre social et les institutions, lorsqu'elle le fait19.
12 Annie Jourdan, La Révolution, une exception française?', Paris, Flammarion, 2004, p. 282.13 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 674.14 Ibid., p. 2.15 Burns H. Weston, Richard A. Falk et Anthony A. D'Amato, International Law and World Order: AProblem-Oriented Coursebook, St. Paul, West pub. Co., 1990, p. 857.16 Julius R. Ruff, Violence in Early Modem Europe, New York, Cambridge University Press, 2001, p. 184.17 Jean Nicolas, La rébellion française : mouvements populaires et conscience sociale : 1661-1789, Paris,Éditions du Seuil, 2002, p. 21.18 Christopher Hill, « A Bourgeois Révolution? », dans Three British Révolutions, 1641, 1688, 1776,Princeton, Princeton University Press, 1980, p. 111 et 132.19 Michel Vovelle, « Révolte et révolution » dans Révolte et société, Actes du IVe colloque d'Histoire auprésent, Paris, Histoire au présent/Publications de la Sorbonne, 1989, p. 26.
Finalement, traçons également les frontières de la guerre et de la guerre civile. Une
guerre est « un conflit violent entre des groupes organisés20 ». Selon Jean-Pierre Derriennic,
« les guerres civiles sont des conflits violents qui opposent entre eux des concitoyens, alors
que les soldats des guerres interétatiques sont des étrangers les uns pour les autres21 ». Les
guerres civiles s'articulent généralement autour d'idéologies, de parties aux visions
irréconciliables qui amènent à une polarisation de la société. Pour les gens qui y prennent
part, la victoire du clan ennemi signifierait la fin de tout ce qui fait que la vie mérite d'être
vécue22. Dans le cadre de cette étude, nous nous retrouvons donc dans la France de Henri
IV aux prises non seulement avec des guerres civiles, mais avec les révoltes paysannes qui
en découlent. Voyons maintenant comment les historiens ont abordé ce sujet.
Un survol historiographique
Avant les travaux entrepris par le Soviétique Boris Porchnev, qui fut le premier à se
pencher sérieusement sur le sujet, peu d'historiens se sont intéressés aux révoltes populaires
survenues en France à l'époque moderne. Ses publications, dans les années 1960, ont
soulevé un véritable débat historiographique qui a laissé sa marque. Appliquant un schéma
d'explication marxiste, Porchnev voulut démontrer que les révoltes qui touchèrent la France
au cours de la première moitié du XVIIe siècle étaient en fait des soulèvements anti-fiscaux
et anti-féodaux qui visaient directement un État au service des classes dominantes, soit du
clergé et de la noblesse23. Son plus grand détracteur, le Français Roland Mousnier, a au
contraire relevé une solidarité entre les membres des différents groupes sociaux qui étaient
liés par des relations mutuelles de protection et de service24. Il soutint que les élites locales
avaient pris part aux révoltes en réaction à la croissance de l'État qui devenait de plus en
plus centralisateur. Porchnev et Mousnier, comme d'autres, ne firent donc pas de ces
soulèvements la principale finalité de leur recherche, cherchant davantage à se servir
accessoirement du sujet pour confirmer ou infirmer des interprétations ou des théories25.
Jean-Pierre Derriennic, Les guerres civiles, Paris, Presses de Sciences Po, 2001, p. 13.20
21 Ibid.22 Ibid., p. 27.23 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris, S.E.V.P.E.N., 1963.24 Mousnier, op. cit.25 Neveux, op. cit., p. 19.
6
Dans leur cas, il s'agissait de comprendre si les révoltes populaires témoignaient de la
présence d'une société de classes ou d'une société d'ordres.
Les historiens qui ont par la suite abordé la question des révoltes populaires en
France ont davantage cherché à comprendre les raisons du déclenchement de ces conflits, et
la façon dont ils se sont déroulés, plutôt que de s'attarder à leur dénouement. Dans les
années 1970, les historiens Yves-Marie Bercé , René Pillorget et Madeleine Foisil
entreprirent des études régionales sur des soulèvements qui émergèrent en France, mais
s'attardèrent somme toute assez peu aux méthodes de règlement de conflits. Par ailleurs,
outre Bercé, qui s'est particulièrement intéressé aux révoltes populaires sous Henri IV,
notamment celles des Croquants, peu d'historiens ont étudié les soulèvements populaires
qui sont survenus pendant le règne du Béarnais. Bercé a avant tout cherché à décrire les
actions qui ont eu lieu pendant ces révoltes et à pénétrer les pensées des acteurs et des chefs
de ces soulèvements, sans étudier leur issue. De plus, même les études portant sur les
révoltes populaires qui éclatèrent au cours du règne de Louis XIII ont eu tendance à
évacuer la question des solutions apportées par le gouvernement pour mettre un terme aux
conflits29. La façon dont Henri IV a clos ces révoltes n'a donc fait l'objet d'aucune étude
spécifique.
Bercé note un tournant important dans l'histoire des soulèvements populaires en
France, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Antérieurement, selon lui, la répression
des révoltes restait en général limitée : les paysans qui étaient attaqués n'étaient que ceux
qui étaient pris les armes à la main et les quelques pendaisons qui étaient ordonnées ne
servaient qu'à montrer l'exemple30. Des lettres d'abolition suivaient fréquemment,
quelques mois plus tard, afin de glorifier la bonté et la clémence des rois, mais ces dernières
résultaient également de l'incapacité des souverains à faire exécuter leurs ordres31. Après
1661, à partir du règne personnel de Louis XIV, qui commença à la mort de Mazarin,
26 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit.27 René Pillorget, Les mouvements insurrectionnels de Provence entre 1596 et 1715, Paris, A. Pedone, 1975.28 Madeleine Foisil, La révolte des nu-pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, Presses universitaires deFrance, 1970.!9 Voir notamment Bercé, Histoire des Croquant, op. cit.; Bercé, Croquants et nu-pieds, op. cit.; Mousnier,op. cit. et Porchnev, op. cit.30 Bercé, Croquants et nu-pieds, op. cit., p. 52.31 Ibid.
l'application de la justice devint plus rigoureuse dans le royaume et la répression fut
beaucoup plus fréquente dans cet État qui se dirigeait résolument vers l'absolutisme. Quant
à Christian Jouhaud, il place plutôt le virage à la fin de la Fronde, s'accordant quand même
avec Bercé sur le fait qu'un changement important eut lieu au cours du règne du Roi-
Soleil . Même si elle fut généralement plus soutenue à partir de Louis XIV, la répression
des révoltes populaires ne devint pas systématique sous son gouvernement - la révolte des
Camisards en 1702 se régla davantage par l'amnistie que par la force33. Toutefois, avant
son règne, les soulèvements populaires profitaient habituellement à la paysannerie puisqu'à
la suite des révoltes, les rois renonçaient souvent aux impôts, considérés comme injustes,
qui avaient mis le feu aux poudres. Ces soulèvements servaient en quelque sorte de dernier
recours aux paysans pour faire entendre leurs revendications, après les doléances des États,
les recommandations des grands seigneurs et l'envoi de députés en cour34.
Howard Brown, dans une large étude portant sur l'utilisation de la force et de la
violence dans ce type de conflits en France, divise les années 1594 à 1871 en six périodes.
La première étape, qu'il appelle celle des Croquants, couvre la période 1594 à 1640 et est
caractérisée par les efforts de l'État pour acquérir plus de pouvoir sur le plan local. Comme
la centralisation de l'État n'en était qu'à ses débuts à cette époque, la monarchie n'avait
d'autres choix que de négocier avec les élites locales dans le choix des mesures à prendre
pour mettre fin à des conflits, ce qui avait comme conséquence de minimiser la répression
et l'aurait ainsi empêchée de verser dans la violence domestique - ce que Brown appelle la
Domestic State Violence^. L'historien insiste sur l'importance de faire la distinction entre
l'usage de la force, auquel le gouvernement a légitimement recours, et l'utilisation de la
violence domestique, qui représente en fait un recours excessif à la répression. Même s'il
est difficile de quantifier et de qualifier l'usage de la force, il est généralement admis
qu'une certaine utilisation de celle-ci par l'État peut être nécessaire pour préserver l'ordre
32 Christian Jouhaud, « Révoltes et contestations d'Ancien Régime », dans Histoire de France : Les conflits,Paris, Éditions du Seuil, 2000, p. 61.33 Ruff, op. cit., p. 212 et Maurice Pezet, L'épopée des Camisards : Languedoc, Vivarais, Cévennes, Paris,Seghers, 1978, p. 157.34 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p.680.'5 Howard G. Brown, « Domestic State Violence: Repression From the Croquants to the Commune », TheHistorical Journal, 42 (1999), p. 600.
8
social dans certaines circonstances36. Comme Bercé et Jouhaud, Brown note un
changement dans l'attitude de la monarchie par rapport aux révoltes populaires pendant le
règne de Louis XIV, dès la fin de la Fronde. Entre 1639 et 1675, Brown qualifie la
répression utilisée par la monarchie de violence domestique puisqu'il juge qu'elle dépassa
largement le simple usage de la force. Nous verrons que cette théorie est confirmée par les
résultats obtenus dans ce mémoire. Toutefois, à l'opposé de la pensée de Bercé, selon qui
c'est la faiblesse des rois qui empêcha ces derniers d'avoir recours à une plus grande
répression, nous verrons que son usage aurait été en fait moins important chez Henri IV s'il
avait exercé un plus grand contrôle sur les autorités locales.
Les sources : possibilités et limites
Les historiens des révoltes populaires de la France de Henri IV ont eu recours à
différents types de sources pour répondre à leurs problématiques, parmi lesquels les
correspondances et les histoires contemporaines occupent une place centrale. La
correspondance du premier Bourbon, qui couvre la période 1589 à 1598, constitue
d'ailleurs la principale source du corpus utilisé pour mener à bien ce mémoire puisqu'elle
offre des informations indispensables concernant les décisions politiques prises par le
gouvernement de Henri IV. Ces lettres ont été réunies dans un recueil édité par Jules Berger
de Xivrey entre 1843 et 187637. Comme elles sont tirées d'un recueil et qu'il ne s'agit donc
pas de documents originaux, le travail de classification, de recherche et de transcription a
été laissé à l'éditeur. Des questions peuvent donc se poser sur la crédibilité du recueil et sur
l'authenticité des documents qui y sont présentés. Le travail de rassemblement des lettres,
qui proviennent de différents fonds d'archives, a été fait de façon très rigoureuse par de
Xivrey : chaque lettre répertoriée a été comparée avec l'original lorsqu'il s'agissait d'une
copie et avec la copie lorsqu'il s'agissait d'un original38. Tous les textes sur lesquels on a
eu le moindre doute ont été écartés de la publication. De plus, le style tout à fait particulier
de Henri IV et de ses secrétaires, tout comme l'originalité de l'orthographe et de l'écriture
du roi, ont constitué des indices quasi irréfutables pour confirmer l'authenticité des lettres.
Le travail de transcription a également été supervisé avec soin. De plus, plusieurs historiens
36 Ibid., p. 597-598.37 Jules Berger de Xivrey, Recueil de lettres missives de Henri IV, Paris, Imprimerie royale, 1843-1860.38 Eugène Yung, Henri IV, écrivain, Paris, Treuttel et Wurtz, 1855, p. 40-41.
reconnus39 n'hésitent pas à utiliser ce recueil de documents et reconnaissent la véracité de
son contenu. Les lettres du premier Bourbon constituent des documents privilégiés pour
connaître l'homme et ses décisions. Elles permettent de comprendre de l'intérieur les
décisions gouvernementales entourant les guerres civiles et les révoltes populaires. En ce
sens, elles sont très révélatrices des agissements du roi, des instructions qu'il a données et
de ses motivations.
Reconnu pour ses qualités d'épistolier, Henri IV aurait signé environ 7 000 lettres
au cours de sa vie40. Il serait donc utopique de croire qu'il a rédigé lui-même tous ces
textes. D'ailleurs, plusieurs lettres attribuées à Henri IV sont contresignées par ses
secrétaires d'État et n'auraient donc été ni écrites ni dictées par le roi, sans quoi une
seconde signature n'apparaîtrait pas au bas du document41. Malgré cette limite des sources,
il est indéniable que ces lettres restent le reflet de la volonté royale. D'abord, parce que le
premier Bourbon n'a jamais laissé à personne d'autres le soin d'apposer sa signature sur les
lettres envoyées en son nom, pas même à son secrétaire de la main chargé d'imiter son
écriture42. Plus important encore, ces documents l'engageaient personnellement. De plus,
plusieurs lettres concernant les révoltes populaires ont pour objet l'envoi de conseillers
royaux ou de commissionnaires chargés de remplir des tâches précises au nom du roi. Cela
confirme donc que Henri IV était pleinement conscient du contenu de ces lettres,
notamment lorsque l'on tient compte de l'importance de son implication personnelle dans
les affaires de son royaume. Outre la correspondance de Henri IV, les Archives historiques
du département de la Gironde ont publié plusieurs lettres et rapports concernant les
Croquants, notamment des missives destinées au roi de la part du parlement de Bordeaux et
du gouverneur de Guyenne. Ces lettres ont permis de comprendre comment les autorités
locales percevaient le conflit et ont permis l'analyse de quelques échanges entre le roi et ses
agents.
39Notamment Jean-Pierre Babelon - qui a publié, en 1989, une excellente biographie sur Henri IV -, Yves-Marie Bercé, J. H. M. Salmon et bien d'autres.40 Michel Magnien, « Henri IV épistolier », Revue de Pau et du Béarn, 16 (1989), p. 27.41 Yung, op. cit., p. 85.42 Ibid., p. 57.
10
Bien sûr, le recueil utilisé dans le cadre de ce mémoire ne rassemble pas toutes les
lettres jamais écrites par Henri IV, ce qui constituerait une tâche quasi impossible à
accomplir - plusieurs missives n'ont sans doute pas traversé les siècles, certaines, dont
l'authenticité est mise en doute, ont été écartées des publications et d'autres peuvent être
perdues dans certains fonds d'archives. Toutefois, ce recueil contient un nombre suffisant
de lettres pour obtenir un excellent portrait des volontés politiques en ce qui a trait aux
guerres civiles et aux révoltes populaires.
En plus des lettres et des documents officiels, des écrits d'historiens de l'époque
furent analysés, afin notamment de bénéficier d'un regard extérieur et d'une perspective
plus large dans le temps, ainsi que pour vérifier si les instructions du roi que l'on retrouve
dans les lettres ont bel et bien été exécutées. Nous avons retenu quatre d'entre eux. Notre
choix s'est arrêté sur le chroniqueur et les historiens les plus pertinents et les plus crédibles
en ce qui concerne le sujet étudié. En raison de l'importance de l'appartenance religieuse,
des sources provenant d'historiens catholiques et protestants ont été retenues. Malgré le
souci d'objectivité de ces intervenants, il reste que la question religieuse, en plein cœur des
guerres civiles, ne peut pas être ignorée pour bien aborder les sources.
Tout d'abord, les écrits de Jacques-Auguste de Thou (1553-1617) furent analysés.
Ce magistrat catholique, qui fut président du parlement de Paris, a écrit une Histoire
universelle couvrant la période de 1543 à 160743. L'œuvre de de Thou, qui était attaché à la
cause royaliste, s'appuie sur une solide documentation et un respect des faits44. L'Histoire
universelle, grandement utilisée par les historiens, est un incontournable de l'étude des
guerres de Religion. L'œuvre de Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630) a également
retenu notre attention. L'historien a laissé une importante œuvre littéraire et historique, et
est considéré comme l'un des plus grands écrivains français de son époque. De religion
calviniste, il a combattu aux côtés de Henri de Navarre - le futur Henri IV -, ce qui fit de
43 Jacques-Auguste de Thou, Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou, depuis 1543. jusqu'en 1607,Londres, 1734 .44 Jean-Maurice Bizière et Pierre Vayssière, Histoire et historiens : Antiquité, Moyen Âge, France moderne etcontemporaine, Paris, Hachette, 1995, p. 91. L'impartialité de de Thou est toutefois questionnée dans RobertDescimon, « Penser librement son intolérance : le président Jacques-Auguste de Thou (1553-1617) et l'épîtredédicatoire des Historiae sui temporis (1604) », dans La liberté de pensée. Hommage à Maurice Laugaa,Poitiers, La licorne, 2002.
I l
lui un témoin privilégié de l'histoire guerrière, tout comme de l'histoire politique. Malgré
ses croyances, d'Aubigné a écrit une histoire qui se veut objective et qui est basée sur une
documentation imposante45. Il s'agit également d'une œuvre indispensable à l'étude de la
période46.
La Chronologie novenaire de Pierre-Victor Palma Cayet (1525-1610) fut également
mise à profit pour mener à bien ce projet47. Ministre réformé attaché au service de Madame
- Catherine de Bourdon, sœur de Henri IV -, Palma Cayet a abjuré le protestantisme en
1595 8. À la suite de sa conversion, il est devenu chronologue-historien du roi. Pour réaliser
ses chroniques, il s'est servi de documents officiels, d'écrits politiques de contemporains,
de discours et de procès-verbaux des conférences tenues entre les royalistes et les
ligueurs49. Palma Cayet offre ainsi un ouvrage situé à mi-chemin entre le journalisme et
l'histoire contemporaine. Reconnu comme l'un des meilleurs esprits de son époque, le
chroniqueur Jean Tarde (1561/62-1636) a également retenu notre attention. Tarde était à la
fois géographe, mathématicien, astronome, théologien et historien50. Écrites à partir de
1616, Les Chroniques de Jean Tarde relatent l'histoire du diocèse de Sarlat, dans le
Périgord, depuis ses origines jusqu'aux premières années du XVIIe siècle51. Ces chroniques
représentent le premier ouvrage jamais écrit sur l'histoire du Sarladais52. Les écrits de
Tarde ont une importance toute particulière puisqu'il traite d'une région où les révoltes
populaires ont éclaté. Il fut témoin des événements et offre donc une perspective
indispensable à ce mémoire.
45 Judith Sproxton, « Perspect ive of War in the Writing of Agrippa d'Aubigné », Journal ofEuropean Studies,1 5 ( 1 9 8 5 ) , p . 131.46 Théodore Agrippa d'Aubigné, Histoire universelle, éd. par le baron de Ruble, Paris, Librairie Renouard H.Laurens suce, 1886.
Pierre-Victor Palma Cayet, Chronologie novenaire, contenant l'histoire de la guerre sous le règne du trèschrétien roy de France et de Navarre Henry IV, et les choses les plus mémorables advenues par tout lemonde, depuis le commencement de son règne, l'an 1589, jusques à la paix faicte à Vervins en 1598, entre samajesté très chrétienne et le roy catholique des Espagnes Philippe II, Paris, Petitot, 1608, livre 5-6, p. 231.48 Myriam Yardeni, « Ésotérisme et histoire dans l'œuvre de Palma Cayet », Revue de l'histoire des religions,198 (1981), p. 290.49Ibid., p. 304-308.50 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 258 .51 Jean Tarde, Les chroniques de Jean Tarde, chanoine théologal et vicaire général de Sarlat, contenantl'histoire religieuse et politique de la ville et du diocèse de Sarlat, depuis les origines jusqu'aux premièresannées duXVIf s . , éd. par le v i comte Gaston de Gérard et Gabriel Tarde Paris, H. Oudin, 1887.52 Albert Dujarr ic-Descombes , « Recherches sur les historiens du Périgord au X V I I e s ièc le », Bulletin de lasociété historique et archéologique du Périgord, T. 9 (1882), p. 380.
12
Afin de bien aborder les sources provenant de ces historiens et chroniqueur, il fut
primordial de tenir compte du fait qu'ils ont pris part aux événements et qu'ils ont vécu
pendant cette période troublée par les guerres de Religion. Malgré une volonté certaine
d'objectivité, il reste que le fait d'être impliqués et touchés par des événements rend les
contemporains nécessairement subjectifs. Cependant, cette proximité face aux événements
fait d'eux des témoins privilégiés dont le legs est essentiel pour comprendre le passé, pour
peu que l'on envisage les sources de façon avisée. Ces historiens et chroniqueur
provenaient tous d'ordres privilégiés de la société, ce qui n'a pas permis d'obtenir une
version paysanne des événements. Toutefois, cette limite ne semble pas dramatique puisque
le travail vise à comprendre la vision gouvernementale, celle des paysans ayant déjà fait
l'objet d'études53. Finalement, la crédibilité de ces sources réside dans la possibilité que
nous avons eue de les comparer entre elles, ce qui a permis d'établir certaines certitudes
tout comme d'émettre certaines réserves.
La correspondance de Henri IV et les histoires contemporaines, bien qu'elles aient
été maintes fois utilisées, offrent donc des témoignages indispensables. Il est évident
qu'avec un objet historique comme Henri IV, qui a fait couler énormément d'encre depuis
son règne jusqu'à nos jours, il est pratiquement impossible de mettre la main sur des
sources n'ayant jamais été exploitées. L'originalité du sujet du mémoire ne réside donc pas
dans le choix des sources, mais plutôt dans le choix d'un questionnement nouveau pour les
aborder.
La méthode retenue pour mener à bien ce travail est une analyse herméneutique des
sources que nous venons d'identifier. Elle ne laisse aucune place à l'analyse quantitative
qui a été jugée inutile pour répondre à la problématique qui nous intéresse. À titre
d'exemple, le calcul de la fréquence d'utilisation de certains mots clés qui sont répétés dans
les lettres ne serait en rien révélateur puisqu'il n'aiderait pas à saisir la portée des
informations contenues, ni leur signification. De plus, l'absence d'un mot ou son
occurrence unique peut être aussi éloquente que la récurrence d'un autre. Ainsi, nous avons
plutôt jugé de l'intérêt et de la valeur d'un thème présent dans les écrits plutôt que de sa
fréquence. Cette analyse est également comparative, ce qui veut dire que nous avons
53 Notamment celle de Bercé, Histoire des Croquants, op. cit.
13
cherché la présence ou l'absence d'un même type de discours au sujet des méthodes de
règlement des révoltes populaires et des guerres civiles. L'analyse qualitative est d'ailleurs
la méthode privilégiée par les historiens des guerres de Religion et des révoltes populaires
en France : elle est donc éprouvée et a montré toute sa pertinence.
La démonstration comprendra trois parties. La première sera consacrée à une mise
en contexte, qui expliquera comment les soulèvements des Croquants sont issus des guerres
de Religion, et retracera les grandes lignes des conflits. Le deuxième chapitre abordera la
question de la clémence, une vertu royale très valorisée à l'époque, ce qui incitait les
monarques, dont Henri IV, à en faire preuve face aux soulèvements du petit peuple.
Finalement, la dernière partie traitera tout particulièrement du règlement des révoltes
populaires dans le Sud-Ouest du royaume de France à la fin des guerres de Religion. Nous
verrons que la clémence, bien que son utilisation fût indéniable, ne fut pas la seule méthode
employée par le roi pour enrayer les révoltes, mais que les paysans n'en ont pas moins reçu
un traitement comparable à celui offert aux nobles dans le cadre des guerres de Religion.
Chapitre I : Guerres civiles et réconciliation nationale
On ne peut étudier les révoltes des Croquants sans comprendre le contexte dans
lequel elles sont survenues, puisque ces soulèvements populaires sont totalement
indissociables des guerres de Religion qui ont embrasé la France au cours de la deuxième
moitié du XVIe siècle. Ce sont les nombreuses difficultés engendrées par plus de 30 années
de guerres civiles qui ont amené la paysannerie à se soulever dans le Sud-Ouest du
royaume. Afin de comparer les actions entreprises par le Béarnais pour éteindre les révoltes
populaires avec celles utilisées pour enrayer les guerres civiles, l'étude des méthodes de
règlement dans ce conflit est également cruciale.
1. Les guerres de Religion
De 1562 à 1598, le royaume de France fut frappé par plusieurs épisodes de guerres
civiles, des guerres de Religion dont l'enjeu - le salut des âmes - était crucial. Les
fondements même de la société de l'époque et de l'institution monarchique étaient remis en
question par ces querelles religieuses, mais aussi politiques et sociales, qui eurent des
répercussions terribles sur les populations.
A. Les guerres de Religion et le difficile avènement d'un roi
L'existence de conflits religieux dans le royaume de France à la fin du XVIe siècle
plaça Henri de Navarre, alors protestant, dans une position très difficile. Faisons d'abord un
bref survol des événements marquants des guerres de Religion, puis nous nous pencherons
sur la Ligue régénérée de 1584, mise en place pour faire échec à l'éventuelle arrivée au
pouvoir d'un roi protestant54. Finalement, nous évoquerons la situation délicate qui
caractérisa l'avènement du premier Bourbon.
A.1 Les guerres de Religion (1562-1598) : un survol
L'Europe du XVIe siècle fut fortement ébranlée par l'arrivée des nouvelles idées
religieuses. Influencée par les 95 thèses de Martin Luther en 1517, une partie du continent
54 La première Ligue catholique fut fondée en 1576 dans le but de préserver la religion catholique dans leroyaume. Elle fut régénérée en 1584 et fut par la suite connue sous le nom de Sainte Ligue.
15
rompit même avec Rome. La propagation de la Réforme protestante vint, dans un monde
fermé aux différences, compromettre une solidarité et une unité religieuse chères aux yeux
des contemporains. La France, bien que fortement catholique, ne fut pas épargnée par les
idées protestantes qui se répandirent dans le royaume, notamment grâce à la doctrine
proposée par le Français Jean Calvin. Pour Denis Crouzet, la déchirure que connut l'Église
dans le royaume de France à partir de 1525 résulta de la grande angoisse eschatologique
des fidèles55. Dans les années 1555-1560, les conversions se multiplièrent en France alors
que Calvin mit sur pied une offensive visant particulièrement à attirer à sa religion les
membres des grandes familles du royaume - notamment Louis de Condé et Antoine de
Bourbon56. Cela entraîna la conversion de leurs clients à travers leurs liens de fidélité. La
paysannerie fut toutefois en général moins attirée par la Réforme protestante57.
Préoccupé par les avancées du protestantisme dans son royaume et aux prises avec
un manque d'argent, Henri II mettait abruptement fin à la guerre avec l'Espagne le 3 avril
1559 par le traité de Cateau-Cambrésis, abandonnant ainsi toute visée française en Italie58.
Avec le retour de la paix dans le royaume, le roi souhaitait désormais travailler à
l'élimination de l'hérésie en France. Cependant, il n'eut pas le temps de mener à bien son
projet puisqu'il mourut accidentellement lors d'un tournoi le 10 juin. En 1562, alors régente
de son fils mineur Charles IX, Catherine de Médicis tenta d'établir une politique de
concorde entre catholiques et protestants en promulguant l'édit de Janvier, une disposition
législative qui autorisait pour la première fois le culte protestant en France - il n'était
toutefois toléré que dans les faubourgs des villes. Néanmoins, même si elle avait été
instaurée dans un but opposé, cette politique déclencha les guerres civiles puisqu'elle
remettait en cause les fondements même de la société, soit la base de la sacralité royale, de
la puissance ecclésiastique et de l'organisation sociale59. Cela provoqua donc la fureur des
catholiques. Le royaume de France entra donc officiellement dans un des épisodes les plus
'5 Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu : La violence au temps des troubles de religion (vers 1525 - vers1610), Paris, Champ Val lon , 1990 .56 Robert Kingdon, Geneva and the Corning ofthe Wars of Religion in France, 1555-1563, Genève, Droz,1956.57 Lucien Bély, « Les guerres de Religion », Revue des sciences morales & politiques, 149 (1994), p. 73.58 Denis Crouzet, La nuit de la Saint-Barthélémy : un rêve perdu de la Renaissance, Paris, Fayard, 1994, p.22.59 Bély, loc. cit., p. 70.
16
sombres de son histoire le 1er mars 1562, au moment où François de Lorraine, duc de
Guise, et son escorte massacrèrent des protestants à Vassy, sous prétexte qu'un prêche avait
été prononcé à l'intérieur des murs. Sans le savoir, le duc venait d'enclencher l'engrenage
d'un horrible conflit civil qui allait durer 35 années. Ainsi, entre 1562 et 1598, allaient se
succéder huit guerres civiles, qui furent entrecoupées par des paix éphémères, jusqu'à ce
que l'édit de Nantes y mette théoriquement fin en 1598.
Un des événements les plus marquants et les plus horribles de ces guerres fut sans
contredit le massacre de la Saint-Barthélémy qui survint à un moment où les tensions
religieuses étaient en recrudescence. Le 22 août 1572, l'attentat manqué contre le protestant
Gaspard de Coligny, le conseiller de Charles IX, fut le premier pas d'une escalade de
violence qui mena au massacre de milliers de protestants à travers tout le royaume. À Paris,
de nombreux huguenots étaient réunis pour participer aux festivités entourant le mariage de
Henri de Navarre et de Marguerite de Valois. Cette alliance, qui devait à l'origine
symboliser une reconnaissance de la division religieuse en France, tourna bien vite au
drame60. L'attentat contre Coligny - qu'il ait été commandé par la famille des Guise ou par
Catherine de Médicis - amena de vives tensions dans la capitale. Catherine de Médicis et
Charles IX, lors d'une réunion du conseil le 23 août, s'inquiétaient d'une rumeur non
fondée voulant que les protestants préparaient une attaque contre les catholiques. À l'issue
de la réunion, Catherine et son fils donnèrent ordre d'assassiner, de façon coordonnée, des
chefs protestants présents dans la capitale. Ainsi, le 24 août 1572, jour de la Saint-
Barthélémy, aux premières heures du matin, deux à trois douzaines de chefs huguenots
furent tués. Bien que Catherine et son fils n'aient pas autorisé un massacre généralisé des
huguenots, on ne peut nier leur responsabilité dans les événements qui suivirent. Une vague
de violence populaire spontanée, dirigée contre les protestants, éclata pendant les jours
suivants dans Paris. Ce mouvement se répandit également dans les provinces et y perdura
jusqu'en octobre. En tout, 5000 huguenots perdirent la vie dans les massacres de la Saint-
Barthélémy61. Ainsi, à la fin des tueries, le mouvement protestant avait perdu plusieurs de
ses chefs. De nombreuses abjurations, dont celle de Henri de Navarre, et plusieurs
immigrations firent également suite aux événements. Le mouvement protestant sortit très
60 Bély, loc. cit., p. 71.Holt, op. cit., p. 94.
17
affaibli et changé par cette difficile épreuve : il était maintenant en guerre ouverte contre la
Couronne qui avait commandé les assassinats qui, bien qu'involontairement, menèrent aux
massacres généralisés dans la capitale et en province . Les guerres civiles, à leurs débuts,
opposèrent donc les catholiques aux protestants, mais le conflit se transforma. Les cruels
massacres de la Saint-Barthélémy marquèrent une prise de conscience chez certains
catholiques qui, ébranlés par ces actes, furent disposés à une plus grande tolérance, ce qui
entraîna une scission dans le clan catholique63. Désormais, l'on trouvait d'un côté les
catholiques zélés, ardents défenseurs de la religion unique, et les politiques, des catholiques
modérés prêts à accepter une coexistence, du moins temporaire, avec les huguenots, afin
d'assurer le retour de la paix dans le royaume64. De ce fait, le conflit qui avait opposé les
huguenots et les catholiques était maintenant centré principalement autour des querelles
entre catholiques.
Les historiens sont divisés lorsqu'il s'agit de déterminer les causes des guerres de
Religion en France. Plusieurs ont cru que la religion ne fut qu'un prétexte à la poursuite de
ces guerres qui cachaient plutôt des dissensions politiques, dynastiques, sociales ou des
luttes de pouvoir65. Plusieurs historiens - marxistes ou non - ont également soutenu que les
guerres civiles furent engendrées par des tensions socio-économiques et des luttes de
classe66. Robert Descimon a notamment fait de la défense des privilèges urbains le moteur
de la Ligue, qui croyait que la monarchie mettait en péril les droits et les libertés des
villes67. Contrairement à ce que des chroniqueurs du XVIe siècle et des générations
d'historiens ont prétendu, la tendance actuelle, basée sur plusieurs ouvrages marquants
publiés dans les années 1590, voit la religion - en tant que culture - comme l'un des
62lbid.,v. 95.63 Ariette Jouanna et al, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, R. Laffont, 1998, p. 5.64 Ils affirmaient également la souveraineté indivisible du roi et la distinction entre l'État et la religion. (Ibid.,p. 1210.)65 Voir notamment James Westfall Thompson, The Wars of Religion in France, 1559-1576: The Huguenots,Catherine de Medici, Philip II, New York, F. Ungar Pub. Co., 1957 [1909]; Lucien Romier, Les originespolitiques des guerres de religion, d'après des documents originaux inédits, Genève, Slatkine Reprints, 1974[1913] et Jean-Hippolyte Mariéjol, La Réforme, la Ligue, l'édit de Nantes, 1559-1598, Paris, Tallandier, 1983[1904].66 Henri Drouot, Mayenne et la Bourgogne : étude sur la Ligue (1587-1596), Dijon, Bernigaud, 1937;Georges Livet, Les guerres de religion (1559-1598), Que sais-je?, Paris, Presses universitaires de France,1966; Henry Heller, Iron and Blood: Civil Wars In Sixteenth Century France, Montréal, McGill-Queen'sUniversity Press, 1991.67 Robert Descimon, Qui étaient les Seize? : mythes et réalités de la Ligue parisienne (1585-1594), Paris,Fédération Paris et Ile de France, 1983.
principaux facteurs qui menèrent à ces guerres. Denis Crouzet dans Les guerriers de Dieu :
la violence au temps des troubles de religion (vers 1525- 1610), Michael Wolfe dans The
Conversion of Henri IV: Politics, Power, and Religious Beliefin Early Modem France et
Mark Holt dans The French Wars of Religion, 1562-1629, ont montré de façon
convaincante l'importance du rôle joué par la religion dans les guerres civiles françaises.
D'ailleurs, déjà en 1975, John Hearsey McMillan Salmon, dans Society in Crisis: France in
the Sixteenth Century, avait placé la religion au centre de ces guerres, malgré le titre qu'il a
choisi de donner à son livre. Holt se situe, selon ses propres dires, dans la continuation de
l'œuvre de Lucien Febvre qui a révélé l'existence d'une culture religieuse, estimant que les
causes religieuses des guerres ne doivent pas être entendues au sens d'un corps de
croyances, mais bien au sens d'un corps de croyants, mettant l'accent sur le côté social de
la religion, plutôt que sur l'aspect théologique68. Cela signifie que les protestants et les
catholiques se voyaient mutuellement comme une menace à leur propre orthodoxie, bref
comme des polluants sociaux. Somme toute, il est sans doute impossible de déterminer une
cause unique au déclenchement des guerres de Religion qui peut s'expliquer par une
combinaison de tous ces facteurs. Voyons maintenant comment la Ligue régénérée alimenta
les guerres civiles.
A.2 La Sainte Ligue
L'année 1584 marqua le début d'une nouvelle étape dans les guerres de Religion.
Alors que le frère de Henri III, le duc d'Anjou, rendait l'âme sans laisser d'enfants, Henri
de Navarre, chef du parti protestant et cousin du roi, devint l'héritier présomptif du trône.
Seule la naissance d'un éventuel fils de Henri III aurait pu lui ravir sa position. La rumeur
voulant que le couple royal soit stérile, la possibilité de voir monter un huguenot à la tête du
royaume de France parut de ce fait très réelle et provoqua la panique chez les catholiques
qui craignirent une victoire définitive du protestantisme en France. Les Guises, membres
d'une grande famille nobiliaire très attachée au catholicisme, remirent ainsi sur pied la
Ligue, née pour la première fois en 1576 en réaction à la paix de Monsieur qui fut jugée
trop clémente envers les protestants. Cette nouvelle Ligue visait à faire obstacle à une
éventuelle montée sur le trône de Henri de Navarre, afin d'éviter que le royaume ne tombe
; Holt, op. cit., p. 2.
19
entre les mains d'un hérétique. Il s'agissait d'une « union prophétique et mystique », dont
les membres se présentaient comme des « guerriers de Dieu », selon les termes de Denis
Crouzet69.
La Ligue était en fait composée de deux branches. D'abord, la ligue des princes,
composée des Guise, de leurs clients, ainsi que de nobles ralliés à leur cause, était
concentrée dans le Nord et l'Est du royaume70. Les aristocrates de la Ligue bénéficiaient
d'une puissance militaire appréciable ainsi que de l'aide financière de l'Espagne. En 1584,
les Guise signèrent avec le cardinal Charles de Bourbon - oncle de Henri de Navarre - et le
roi d'Espagne le traité de Joinville, visant l'abolition du protestantisme en France. Le traité
désignait le cardinal de Bourbon comme successeur du trône, en sa qualité de prince
catholique ayant le lien familial le plus direct avec le roi. L'entente consacrait également
l'aide financière de l'Espagne ultracatholique de Philippe II envers la Ligue, lui assurant
ainsi une influence sur les décisions politiques71. Parallèlement à cette ligue des princes,
naquit à Paris une ligue roturière à la fin de l'année 1584. Cette deuxième branche, la ligue
parisienne, faction urbaine plus radicale, fut composée de notables et de magistrats. Une
cellule des principaux militants qui s'assemblaient régulièrement forma le conseil des
Seize, d'après les seize quartiers de Paris. Les membres de la ligue parisienne étaient aussi
grandement dégoûtés par le possible avènement d'un roi huguenot . Les deux factions de
la Ligue étaient fortement liées, mais agissaient de façon indépendante, bien que le duc de
Guise jouissait d'une grande influence à Paris.
Une importante page d'histoire des guerres de Religion fut écrite le 12 mai 1588,
lorsqu'une conjonction d'événements - celle de l'incompréhension populaire face aux
agissements du roi par rapport à l'hérésie, l'insatisfaction quant aux excès de la fiscalité, le
mécontentement des membres du parlement de Paris, les pressions de l'Espagne et les
frustrations des Guise - fit éclater la hargne des Parisiens73. La menace provoquée par
l'entrée du duc de Guise dans la capitale à la suite du départ du duc d'Épernon, allié du roi,
69 Crouzet, Les guerriers de Dieu, op. cit.70Holt, op. cit., p. 122.71 Ibid.72 Jouanna et ai, op. cit., p. 316.73 Ibid., p. 329.
20
poussa Henri III à y faire entrer des régiments de gardes suisses et français. Les Parisiens y
virent une violation de leurs privilèges ainsi qu'une preuve de la tyrannie royale et ils
craignirent pour la vie du duc de Guise et de ses partisans74. Ils érigèrent donc des
barricades pour empêcher l'entrée des troupes royales. Redoutant d'être fait prisonnier dans
sa capitale, Henri III s'enfuit de Paris avec son gouvernement, alors que le duc de Guise
prit possession de la ville. Avec la journée des barricades, les Parisiens avaient bien montré
leur pouvoir : ils avaient chassé le roi de sa capitale - ce dernier n'eut d'ailleurs plus
l'occasion d'y remettre les pieds avant sa mort qui mettra Henri IV au pouvoir.
A.3 La difficile accession au trône du premier Bourbon
Le 1er août 1589, alors que Henri III mourrait assassiné d'un coup de poignard
assené par le jacobin Jacques Clément, Henri IV héritait d'une France démantelée et
déchirée de toute part. L'on imagine aisément, en plein cœur des guerres de Religion, que
l'avènement de ce huguenot à la tête du royaume Très-Chrétien n'allait qu'exacerber les
tensions déjà en place. De ce fait, la plupart des sujets catholiques du royaume - ils
représentaient près de 90% de la population - refusèrent de reconnaître leur nouveau roi à
la mort du dernier Valois. Le monarque ne contrôlait d'ailleurs qu'un sixième de son
royaume, et les principales villes de celui-ci - hormis Bordeaux - refusaient de reconnaître
cet hérétique relaps comme leur souverain légitime. Certaines provinces étaient entièrement
aux mains des ligueurs : la Bourgogne, la Bretagne, la Normandie et la Champagne. De
cette façon, le Béarnais se retrouva dans une position très précaire au début de son règne. Il
lui était même impossible d'entrer dans la capitale qui était toujours aux mains de la Ligue
- il ne mit les pieds à Paris qu'en mars 1594.
Normalement, à la mort du roi, son successeur obtenait immédiatement le droit de
régner, selon la Loi salique, en raison du lien de sang provenant du côté de la lignée mâle
qui les unissait. Or, la légitimité du règne de Henri IV fut contestée, non en raison des 21
degrés de cousinage75 qui séparaient le Béarnais de Henri III - Henri IV était bel et bien
l'aîné des Bourbon, la seule branche royale encore existante -, mais bien en raison de sa
74 Jouanna et ai, op. cit., p. 337.75 II s'agit du nombre de générations séparant Henri de Navarre de Saint Louis.
21
religion. En décidant de réclamer son droit sur le trône de France malgré sa confession,
Henri IV se mettait dans une position illégitime aux yeux de la majorité76. De plus, en tant
que protestant, le premier Bourbon ne pouvait bénéficier, au début de son règne, des
symboles servant à sacraliser le pouvoir - notamment l'importante cérémonie du sacre -, ce
qui aurait pu contribuer à asseoir davantage son autorité77.
Avant de rendre l'âme, Henri III avait fait promettre à ses conseillers et ses
capitaines d'accepter Henri de Navarre comme son successeur légitime, malgré sa religion.
Toutefois, au lendemain de la mort du roi, plusieurs nobles de l'armée royale refusèrent
d'honorer leur serment et réclamèrent la conversion du Béarnais. Mais pour Henri IV, une
abjuration hâtive aurait signifié la perte de ses appuis huguenots et de ses alliés au moment
où, confronté à un fort clan ennemi, il en avait désespérément besoin. Le premier Bourbon
opta donc pour un compromis dans sa déclaration du 4 août 1589, en s'engageant à
conserver le royaume dans la religion catholique et à se soumettre aux décisions d'un
concile général dans les prochains six mois en ce qui avait trait à sa foi personnelle. Selon
cette même déclaration, le roi accorda aux catholiques le droit de préserver leurs charges et
leurs honneurs et, aux protestants, le droit de garder les villes en leur possession - toutefois,
les places conquises ou réduites retombaient dans le giron catholique. En échange, les
nobles devaient promettre de servir fidèlement le roi : Henri IV concluait ainsi un véritable
contrat avec sa noblesse . Celle-ci n'adhéra cependant pas complètement à ce contrat, pas
plus que la bourgeoisie, et l'armée du roi en fut considérablement réduite. Certains nobles
retournèrent dans leur gouvernement, les autres se tournèrent vers la Ligue. Même des
huguenots, comme Claude de La Trémoïlle, duc de Thouars, se retirèrent de l'armée,
dégoûtés de voir leur chef promettre le maintien de la religion catholique dans le
royaume79.
76 Annette Finley-Croswhite, Henry IV and the Towns: The Pursuit of Legitimacy in French Urban Society,1589-1610, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 2.77 Michel De Waele, « Clémence royale et fidélités françaises à la fin des Guerres de religion », HistoricalReflections/Reflexions historiques, 24 (1998), p. 231.7 8 Miche l De Wae le , « Henri IV, pol i t ic ien ou monarchomaque? Les contrats de fidélité entre le roi et lesFrançais », dans Le Traité de Vervins, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2 0 0 0 , p. 117; Jean-Pierre Babelon, Henri IV, Paris, Fayard, 1982 , p. 4 5 6 ; Janine Garrisson, Henry IV, Paris, Édit ions du Seuil ,1984, p. 149.79 Garrisson, op. cit., p. 150.
22
Henri IV faisait également face à un obstacle de plus lorsqu'il prit le pouvoir, celui
de la faiblesse de l'institution monarchique qui avait connu 30 années de règnes difficiles.
La mort de Henri II, en 1559, qui porta successivement ses trois jeunes fils sur le trône,
affaiblit considérablement le pouvoir royal80. Le règne de François II, qui lui succéda
brièvement avant de mourir 18 mois plus tard emporté par la tuberculose, fut marqué par
l'agitation des grands. Le gouvernement de son frère cadet Charles IX, qui partagea le
pouvoir avec Catherine de Médicis, sa mère, puisqu'il n'était âgé que de 10 ans au moment
de son accession au trône en 1560, ne fut guère mieux. Cette période où la régente se
retrouva à la tête de l'État fut caractéristique des règnes féminins à l'époque moderne et fut
donc entachée par des difficultés découlant de la présence d'une femme au pouvoir, qui
était jugée contraire à l'ordre de la nature81. Quant à Henri III, qui monta sur le trône en
1575, son impopularité, notamment à cause de ses nombreux mignons, se transforma en
une haine et un mépris général à son égard. De surcroît, les règnes de François 1er et de
Henri II, sans être faibles, provoquèrent, par leur volonté de renforcement du pouvoir royal,
des réactions de la part des juristes et des théoriciens qui profitèrent de l'occasion pour
réclamer le retour à une monarchie mixte, où le rôle des princes et des États généraux serait
plus grand. Lorsque Henri IV arriva au pouvoir, l'image de la monarchie se portait donc
très mal et il devait lui redonner de la crédibilité.
Somme toute, les guerres de Religion, qui opposèrent à leurs débuts les catholiques
aux protestants, se transformèrent en conflits principalement centrés autour de l'hostilité
des catholiques entre eux. La renaissance de la Ligue en 1584, composée des catholiques
zélés, visa à empêcher Henri de Navarre de prendre le pouvoir. Hérétique relaps à la tête
d'une institution monarchique en déclin, Henri IV prit le pouvoir dans un contexte qui
aurait difficilement pu être pire. Le premier Bourbon ne se laissa pourtant pas abattre
puisqu'il mena à bien une politique qui lui permit de mettre fin aux guerres et de
reconquérir son royaume.
80 Bély, loc. cit., p. 11.81 Simone Bertière, Les reines de France au temps des Valois, Paris, Éditions de Fallois, 1994, p. 63 et FannyCosandey, La reine de France : symbole et pouvoir, XV-XVllf siècle, Paris, Gallimard, 2000.
23
2. La fin des guerres civiles et la réconciliation nationale
Henri IV faisait donc face à un défi important au moment de son avènement : mettre
un terme à des conflits civils qui minaient le royaume depuis bientôt 30 ans. Pour ce faire,
il appliqua une politique de réconciliation nationale complexe, constituée d'une série de
mesures qui, mises ensemble et échelonnées sur un peu plus de dix années, parvinrent à
faire cesser ces guerres fratricides82. Tout d'abord, nous verrons que dès le début de son
règne, et ce, jusqu'à sa conversion en 1593, Henri IV s'appliqua à la construction de son
image royale afin de réussir à s'imposer comme souverain. Puis, nous verrons qu'ayant
obtenu une plus grande reconnaissance de ses sujets, Henri IV put poser des gestes concrets
pour mettre en place sa politique de réconciliation nationale visant à enrayer les guerres
civiles et à réconcilier ses sujet entre eux.
A. L'image d'un roi
Premier roi de la dynastie des Bourbon, Henri IV était très peu connu de ses sujets
au moment de son accession au trône. Il devait donc travailler à forger une image positive
de sa personne, une image royale qui lui permettrait d'être reconnu par la majorité comme
le souverain désigné par Dieu. Nous verrons tout d'abord que le tempérament de guerrier
du roi, qui l'amena à obtenir quelques victoires militaires dès le début de son règne,
contribua à renforcer son autorité. Puis, nous constaterons que, bien plus que les succès
militaires en eux-mêmes, c'est en lui permettant d'exercer son droit de grâce - privilège des
souverains - que ces victoires consolidèrent son autorité et aidèrent ainsi à la pacification
du royaume. Finalement, nous découvrirons que sa conversion au catholicisme fut une
étape charnière dans sa quête de reconnaissance de ses sujets puisqu'elle fit de lui un roi
catholique, donc légitime, particulièrement après l'absolution pontificale.
A.1 Le roi guerrier
Le tempérament de guerrier de Henri IV, s'il n'était pas inné, fut acquis dès sa
jeunesse. À l'âge de 15 ans, Henri de Navarre était déjà à la tête d'une petite armée que sa
82 Les éléments de cette politique, qui seront expliqués dans cette partie, sont tirés de De Waele, « Clémenceroyale et fidélités françaises », loc. cit.
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mère lui avait confiée pour aller pacifier la basse Navarre. Le Béarnais apprit donc à se
battre très jeune et ses qualités de guerrier lui furent utiles tout au long de sa vie. Plus
souvent qu'à son tour, il se retrouva sur le champ de bataille. Il fut le premier roi de France
depuis François Ier à oser s'exposer sur la ligne de front des bataillons et fut d'ailleurs le
dernier à s'y risquer83. Loin d'avoir « l'élégance nonchalante » de ses prédécesseurs, le
premier Bourbon aimait la guerre et se sentait à l'aise en combat84.
Henri IV misa d'ailleurs sur ces qualités pour se rallier les grands nobles. Arrivant
sur le trône de France au moment où la monarchie connaissait un discrédit, il voulut
marquer le retour des forces ancestrales. Afin de magnifier sa personne, le souverain
commanda des portraits et des gravures le représentant en différents personnages tirés de la
mythologie grecque ou encore l'associant aux plus grandes figures de l'histoire, tels
Alexandre, César et Charlemagne85. En commandant des œuvres qui l'illustraient vêtu
noblement et portant des accessoires de guerre, le premier Bourbon glorifiait ses qualités de
grand militaire et de grand noble, rappelant à ceux qui se rebellaient contre lui qu'ils
partageaient les mêmes valeurs qu'eux86. Dès 1592, Henri IV fut illustré en Hercule, ce
héros et demi-dieu à qui l'on attribuait la somme de toutes les vertus ainsi qu'une
impressionnante force physique, afin de symboliser la victoire d'un souverain juste sur ses
sujets rebelles87. Puis, l'image de l'Hercule gaulois88, une figure mythique de la Gaule tirée
de la littérature classique, fit également son apparition dans les représentations du roi89.
L'Hercule gaulois, en plus de sa force physique, était reconnu pour ses qualités
intellectuelles. L'association de Henri IV avec ce personnage lui attribuait des qualités de
protecteur du peuple et de grand militaire, ce qui le positionnait en ligne droite avec la
tradition française.
83 Edmund H. Dickerman et Anita M. Walker, « The Choice of Hercules: Henry IV as Hero », The HistoricalJournal, 39 (Juin 1996), p. 321 .84 Babelon, op. cit., p. 485 .85 Corrado Vivanti, « Henry IV, the Gallic Hercules », Journal ofthe Warburg and Courtauld lnstitutes, 30(1967), p. 182.86 Katherine B. Crawford, « The Politics of Promiscuity: Masculinity and Heroic Représentation at the Courtof Henry IV », French Historical Studies, 26 (2003) , p. 230 .87 Vivanti, loc. cit., p. 183-184.'8 L'Hercule gaulois est tiré des écrits du philosophe grec Lucien qui assimile Hercule, lui-même associé àHermès ou à Mercure, au dieu celte Ogmius. (Ariette Jouanna, La France de la Renaissance : histoire etdictionnaire, Paris, R. Laffont, 2 0 0 1 , p. 872.)8" Vivanti, loc. cit., p. 185.
25
Les qualités de guerrier du nouveau roi de France l'amenèrent à remporter assez tôt
des victoires militaires qui contribuèrent à créer son image royale et, subséquemment, à
pacifier son royaume. Dès septembre 1589, Henri IV remporta une bataille à Arques contre
la Ligue, malgré un important désavantage numérique de ses forces. En mars 1590, à Ivry,
avec des troupes encore une fois moins nombreuses, l'armée royale démontra sa puissance
en obtenant un autre succès. Le Béarnais ne tarda pas à associer ses réussites militaires à la
volonté divine, arguant que seul un miracle avait pu permettre à son lieutenant Curton de
mettre en déroute les ligueurs à Issoire le jour même de sa victoire à Ivry90. Sans tarder,
Henri IV fit répandre la nouvelle de sa victoire en émettant des communiqués officiels.
Dans une circulaire adressée aux maires et aux jurats de Bordeaux, Henri IV évoquait
notamment le côté sacré de sa victoire qui prouvait, selon lui, que Dieu était du côté des
royalistes:
Ayant pieu à Dieu nous donner la victoire sur nos ennemys en une bataille quenous leur avons donnée prés le village de Ivry, XIIII de ce moys, nous avonsbien voulu par ceste [lettre] vous faire part de ceste bonne et heureuse nouvelle,pour vous exhorter premièrement en rendre grâces à Dieu, à qui seul en est lagloire, ayant, par plusieurs effects particuliers et admirables, tesmoigné en cesteoccasion qu'il est tousjours protecteur des bonnes causes et ennemy desmauvaises, et avec les actions de grâces y joindre vos dévotes prières, à ce qu'illuy plaise continuer sa bénédiction sur nostre labeur jusqu'à la perfection denostre desseing, qui n'est que la paix et union universelle de tous nos subjectzet la tranquillité en tout ce Royaume91.
La construction de son image de guerrier et ses succès militaires remportés dès le
début de son règne assurèrent au roi une certaine autorité. Cependant, à eux seuls, ils ne
pouvaient suffire à le faire reconnaître comme souverain légitime aux yeux des Français.
Ses exploits lui donnèrent toutefois l'occasion d'agir en monarque en se prévalant de son
droit de grâce, un privilège réservé aux seuls souverains. Les succès militaires lui permirent
donc d'offrir, en tant que roi, sa clémence à ses ennemis92.
90Babelon, op.cit., p. 487.9I« A nos très chers et bien aimez les maires et jurats de nostre ville de Bordeaux », 18 mars 1590, dans deXivrey, op. cit., T. 3, p. 172.92 De Waele, « Clémence royale et fidélités françaises », loc. cit., p. 231 ; Michel De Waele, « Image de force,perception de faiblesse : La clémence d'Henri IV», Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme,17(1993), p. 53.
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A.2 Le roi clément
Petit à petit, Henri IV travailla à la pacification de son royaume en mettant en
application une politique complexe. La clémence, dont nous reparlerons davantage au
deuxième chapitre, était au centre de cette politique de règlement de conflits. Pour Henri
IV, dont l'autorité était loin d'être acquise, il était important de trouver les moyens
d'attacher ses sujets à sa personne. Plutôt que d'opter pour la punition, le roi alla à
l'encontre de certaines règles publiques et choisit d'offrir son pardon aux rebelles, faisant
d'eux ses obligés93. L'ingéniosité du recours à la clémence résidait dans le fait que
l'individu qui recevait le pardon royal se savait redevable au roi, sur les plans politique et
moral, et se sentait donc forcé de le servir fidèlement94. Comme le pardon ne pouvait être
offert que par une personne qui se trouvait en position d'autorité, il consolidait par la même
occasion le pouvoir du roi qui décidait de l'exercer. De surcroît, la personne qui recevait le
pardon royal devait se repentir publiquement en passant à travers un rituel d'humiliation -
notamment demander humblement le pardon, se présenter sans arme et tête nu devant le
souverain et s'agenouiller devant lui - ce qui renforçait la supériorité et l'autorité royales95.
Depuis le XVIe siècle, le droit de grâce n'était en effet réservé qu'au souverain : le fait de
l'utiliser confortait donc la légitimité de Henri IV. Ainsi, le Béarnais commença à offrir son
pardon dès 1589, même si certains de ses conseillers croyaient que cette façon de faire
pouvait également être perçue comme un signe de faiblesse parce qu'elle impliquait un
mépris de la justice et une certaine « rémunération de la révolte »96. La clémence faisait
partie d'un processus de dons et de contre-dons - dont nous reparlerons en partie B - qui
revenait pour le monarque à acheter la fidélité de ses adversaires, en l'occurrence les
ligueurs. Mais sans le « saut périlleux » que fit le roi en juillet 1593, il est fort à parier que
sa clémence n'aurait pas engendré les mêmes résultats.
13 De Waele, « Clémence royale et fidélités françaises », loc. cit., p. 234.14 Ibid.>5Ibid.'6 De Waele, « Image de force, perception de faiblesse », loc. cit., p. 54.
27
A.3 Le roi catholique
Henri IV savait que le catholicisme était la religion de ses prédécesseurs, celle des
traditions et des symboles monarchiques de la France, celle du pouvoir personnel et la seule
qui lui permettrait de devenir véritablement le roi97. Le 25 juillet 1593, à Saint-Denis, Henri
IV abjura donc le calvinisme pour embrasser définitivement la foi catholique. Bien qu'il se
soit converti avant tout dans un but essentiellement politique, celui de mettre fin aux
guerres civiles et de rétablir l'autorité monarchique , il ne faut pas conclure que le
Béarnais ne fut pas un être sincèrement religieux" - les nombreuses références à Dieu
présentes dans sa correspondance en sont des preuves. Né dans la religion catholique, il
pratiqua, au cours de son existence, les deux religions à tour de rôle. Enfant, il se tourna
vers la Réforme, à l'instar de sa mère, puis revint sous le giron catholique, selon la volonté
de son père, avant de retourner au calvinisme après la mort de ce dernier. Ses nombreuses
conversions avaient fait de lui un homme qui, bien que religieux, accordait peu
d'importance aux subtilités des dogmes100. Toutefois, il importe peu de savoir si Henri IV
était sincère au moment de sa conversion, l'enjeu fut plutôt la perception qu'en eurent les
catholiques et les ligueurs101. Même si en se convertissant le roi anéantissait le principal
argument de révolte des membres de la Ligue, ce geste ne provoqua pas de grands
mouvements de ralliement, justement en raison des doutes que cela soulevait sur sa loyauté.
Après s'être converti religieusement, Henri IV exigeait en quelque sorte une conversion
politique de la part des ligueurs.
En reniant le protestantisme, Henri IV posait un acte de rédemption public et privé
qui redonnait à la royauté son caractère sacré et l'éloignait de l'hérésie102. Conséquemment,
à la suite de sa conversion, Henri IV pouvait enfin bénéficier des symboles de la
monarchie, si importants aux yeux des contemporains puisqu'un souverain ne pouvait
devenir un monarque légitime sans l'onction du sacre. Puisque Reims - la citée du sacre -
97 Babelon, op. cit., p. 555.98Holt, op. cit., p. 153.39 Babelon, op. cit., p. 553-554; Salmon, op. cit., p. 258 et Ronald S. Love, « The Symbiosis of Religion andPolitics: Reassessing the Final Conversion of Henri IV », Historical Reflectionsi'Reflexions historiques, 21(1995), p. 29.100 Salmon, op. cit., p. 258 .101 Michael Wolfe, The Conversion of Henri IV: Politics, Power, and Religious Belief in Early ModemFrance, Cambridge, Mass . : Harvard University Press, 1993 .102 Ibid, p. 309.
28
était toujours aux mains des ligueurs, Henri IV se fit sacrer à Chartres, le 27 février 1594.
L'huile sainte utilisée par les rois depuis Clovis étant à Reims, elle fut remplacée par une
autre huile miraculeuse, celle de Saint-Martin, dont l'ancienneté, selon les royalistes,
dépassait la première103. Après le sacre vint également la guérison des écrouelles, le 10
avril 1594, un acte qui confirmait le sacerdoce divin du roi.
Si les catholiques modérés n'eurent pas de difficulté à reconnaître Henri IV à la
suite de sa conversion, la Ligue continua à tenir tête au roi, tout comme l'Espagne qui était
bien décidée à continuer la guerre. Pour amener son peuple à croire en sa bonne foi,
anéantir le principal cheval de bataille de la Ligue et de l'Espagne, Henri IV n'avait qu'une
solution : il devait obtenir l'absolution pontificale qui prouverait la sincérité de sa
conversion. Ce sont les réticences des chefs ligueurs devant cette démarche qui en
convainquirent plusieurs, dont le marquis de Vitry, gouverneur de Meaux, que ces derniers
ne combattaient que pour leurs intérêts personnels, et non plus pour la défense de leur
religion104. Craignant les représailles de l'Espagne, le pape Clément VIII tarda avant de
lever l'excommunication qui pesait sur le roi de France. Ce n'est que le 17 septembre 1595
que la cérémonie d'absolution eut lieu à Rome, assenant un dur coup aux prétentions de
l'Espagne de Philippe II. « Le Pape m'a aussy receu en l'Eglise, et recogneu pour tel que je
suis, ce qui a grandement servy à faire poser les armes à ceulx qui se servoient du refus
qu'il me faisoit », écrivait Henri IV à François Savary de Brèves, ambassadeur à
Constantinople, quelques mois après sa conversion . L'absolution pontificale, qui entraîna
notamment, quelques mois plus tard, le ralliement de Charles de Lorraine, duc de Mayenne
et chef nominal de la Ligue, pava la voie à la pacification totale du royaume.
En se donnant une image royale, celle d'un roi guerrier, clément et catholique, Henri
IV s'appropria en quelque sorte sa légitimité. Ses victoires militaires, signes de force, lui
permirent de faire preuve de clémence envers ses ennemis, un droit réservé aux seuls
souverains. Le Béarnais montra ainsi qu'il était bien le roi. En se faisant catholique, il
épousait maintenant la religion de la majorité. Sa conversion suivie de son sacre à Chartres
103 Babelon, op. cit., p. 578.!04 Michel De Waele, « La reddition de Meaux et la fin des guerres de Religion en France », Bulletin de laSociété littéraire et historique de la Brie, 50 (1995), p. 33.105 « A M. de Brève », 17 novembre 1595, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 452.
29
et de l'absolution pontificale contribuèrent grandement à paver le chemin de la pacification
du royaume de France. Toutefois, ces mesures ne furent pas suffisantes. Le roi dut
également aller au-delà des apparences et poser des gestes concrets pour vaincre ses
ennemis.
B. Vers la paix
Henri IV réussit, de 1589 à 1593, à renforcer son autorité en se construisant une
image souveraine développée autour de l'Hercule gaulois qui le représentait comme un
grand militaire et un grand noble. Cependant, la paix était encore loin d'être garantie dans
le royaume. Pour y arriver, nous verrons que le Béarnais commença, dès la fin de l'année
1593, à négocier le ralliement de plus en plus de villes et de chefs ligueurs au camp
royaliste, grâce aux ententes qu'il conclut avec eux. Puis, en engageant le pays dans une
guerre contre l'Espagne, le roi obligea les protestants, les catholiques zélés et les modérés à
oublier leurs dissensions et à s'unir contre un ennemi commun. Cette guerre permit aussi au
roi de s'assurer que ni les protestants ni les catholiques ne puissent solliciter l'aide
étrangère pour reprendre les guerres civiles. Puis, il proclama l'édit de Nantes, un édit de
réconciliation qui mit fin aux guerres civiles en France.
B.l La négociation des ralliements des villes et des chefs ligueurs
S'il voulait gagner le pari de diriger véritablement la France, Henri IV devait
trouver une façon de multiplier les adhésions au camp royaliste. Le premier Bourbon
chercha donc, à l'opposé de ses prédécesseurs Charles IX et Henri III, à se rallier une à une
les villes et un à un les individus, à l'aide d'ententes personnalisées106. Les édits de
réconciliation englobant l'ensemble des sujets et des villes du royaume avaient plus que
prouvé leur manque d'efficacité107. Dans une lettre adressée à Maximilien de Béthume,
marquis de Rosny, en mars 1594, Henri IV expliquait d'ailleurs une partie de cette
stratégie :
106 De Waele, « Henri IV, politicien ou monarchomaque? », loc. cit., p. 124.107 L'édit de Nantes s'appliqua toutefois à l'ensemble du royaume, mais son succès résida dans le fait qu'ilfaisait suite à ces ententes plus personnelles que le roi établit avec les villes et les individus.
Ne vous souvient-il plus des conseils que vous m'avés tant de fois donnez,m'alléguant pour exemple celuy d'un certain duc de Milan au roy Louisunziesme, au temps de la guerre nommée du Bien public, qui estoit de séparerpar interests particuliers tous ceulx qui estoient liguez contre luy soubs desprétextes generaulx; qui est ce que je veux essayer de faire maintenant, aimantbeaucoup mieux qu'il m'en couste deux fois autant en traictant séparément avecchaque particulier, que de parvenir à mesme effects par le moyen d'un traitégênerai faict avec un seul chef (comme vous sçaviés bien des gens qui me levouloient ainsy persuader), qui peust par ce moyen entretenir tousjours un partyformé dans mon Estât108.
Les ralliements que Henri IV réussit à obtenir, ceux des villes comme ceux des
chefs ligueurs, ne furent donc pas désintéressés, comme l'écrivait le roi dans cette lettre.
C'est plutôt en échange de privilèges divers, énoncés dans des ententes contractuelles, que
des villes ligueuses et des individus se rallièrent au roi de décembre 1593 à mars 1598. De
véritables contrats de fidélité qui unissaient le Béarnais à ses anciens ennemis furent
signés : en échange du pardon royal et de la promesse que le roi resterait catholique, les
ligueurs acceptaient de reconnaître Henri IV comme leur souverain109. Ces contrats
assuraient également aux villes de conserver leurs libertés et leurs privilèges, alors qu'ils
accordaient aux individus des sommes d'argent ainsi que le respect de leurs offices et de
leurs bénéfices. Cette mesure adoptée par Henri IV correspondait à la pensée politique du
XVIe siècle, issue de l'univers médiéval, voulant qu'un souverain ait reçu de son peuple un
contrat pour lui permettre de le gouverner110.
Les villes qui rentraient dans le giron royaliste réclamaient généralement dans leur
contrat de fidélité la protection sur leur territoire de la religion catholique et des
ecclésiastiques. Ainsi, les habitants de Meaux, qui fut la première ville ligueuse à se rendre
au parti royaliste en décembre 1593, réclamèrent en échange de leur ralliement
l'interdiction de la pratique du protestantisme dans la ville111. De plus, ces contrats
présentaient fréquemment des clauses concernant la défense des cités contre les réformés,
tout comme d'autres justifiant la prise d'armes des ligueurs.
108 « A M. de R o s n y », 8 mars 1594 , dans de Xivrey , op. cit., T. 4, p. 110.109 Miche l De Wae le , « L e s p laces de sûreté cathol iques , ou l'édit de Nantes c o m m e victoire de la Ligue »,dans L'édit de Nantes. Sûreté et éducation, Actes du Colloque de Montauban (14-17 octobre 1998), 1999, p.44 et De Waele, « Henri IV, politicien ou monarchomaque? », loc. cit., p. 118.110 Ibid.ni De Waele, « Les places de sûreté catholiques », loc. cit., p. 46.
31
Henri IV savait bien que la reconquête de son royaume passait d'abord et avant tout
par la reprise de la capitale, où aucun roi n'avait pu mettre les pieds depuis six ans. Le 22
mars 1594, après avoir promis à Brissac, gouverneur de Paris pour Mayenne, le bâton de
maréchal et plus d'un million et demi de livres, Henri IV et ses troupes entrèrent dans cette
ville. À la nouvelle du retour de Paris dans le camp royaliste, de nombreuses villes
emboîtèrent le pas, non sans réclamer leur part du gâteau. Les ligueurs commençaient donc
à comprendre les avantages financiers et les privilèges qui découlaient d'une
reconnaissance royale, si bien qu'à la fin de 1594, la majorité des grandes villes du Nord
s'étaient ralliées. Le roi acheta également, et ce, à grands frais, bon nombre de chefs
ligueurs en leur offrant l'oubli des fautes passées. En mars 1594, le sieur de Villars,
gouverneur de Rouen, rendait Rouen, Le Havre, Harfleur, Montivilliers, Pont-Audemer et
Verneuil contre deux millions de livres et la charge d'amiral de France112. Le jeune duc de
Guise céda la Champagne - dont la cité royale Reims - en novembre 1594 contre le
gouvernement de Provence et près de quatre millions de livres à partager avec sa mère et
son frère Joinville. Les coûts engendrés par ces méthodes attirèrent de nombreuses
critiques, notamment parce que certains jugeaient qu'elles récompensaient outrageusement
ceux qui avaient désobéi au roi113.
Cependant, une partie de la Bourgogne restait fidèle à Mayenne, quelques villes
ligueuses de Bretagne étaient toujours sous l'influence du duc de Mercoeur, tandis que
certaines villes indépendantes, telle que Marseille, continuaient de défier seules l'autorité
royale114. Le roi devait maintenant trouver un autre moyen pour amener les derniers
ligueurs à se rendre et rétablir la paix dans le royaume.
B.2 De la guerre fratricide à la guerre contre l'étranger
À la fin de l'année 1594, malgré la conversion du roi, son entrée dans Paris et le
ralliement de nombreuses villes, les guerres civiles ne semblaient pas vouloir s'éteindre
complètement dans le royaume. Henri IV ne disposait pas des moyens lui permettant de
112 Palma Cayet, op. cit., livre 5-6, p. 231.13 De Waele, « Image de force », loc. cit., p. 54.
114 Holt, op.cit., p. 161 et Wolfgang Kaiser, Marseille au temps des troubles (1559-1596). Morphologiesociale et luttes de factions, Paris, Édition de l'EHESS, 1992.
32
mener un combat sur plusieurs fronts contre la Ligue, qui était soutenue par les efforts
constants de l'Espagne. Le 17 janvier 1595, la perspective du conflit changea grandement
puisque le roi le fit passer de guerre civile à guerre de libération du territoire contre
l'étranger : l'Espagne. En déclarant la guerre à Philippe II, roi catholique, le premier
Bourbon montrait que ses ennemis ne pouvaient davantage se prévaloir du prétexte
religieux pour se battre contre lui, il portait le conflit en territoire espagnol et il prouvait
aux huguenots qu'il n'entendait pas fléchir devant le souverain d'Espagne, malgré sa
récente conversion au catholicisme115. Henri IV avait vu juste. La présence d'un ennemi
commun sut unir les Français, les catholiques - les zélés comme les modérés - et les
protestants.
Le 5 juin 1595, le Béarnais remporta une importante victoire à Fontaine-Française,
ce qui provoqua un enthousiasme général dans le royaume116. Cela n'empêcha toutefois pas
les Espagnols d'accumuler des succès militaires, notamment lors de la prise d'Amiens que
les Français reprirent tout de même à la fin de la guerre. Cependant, malgré les succès
militaires et l'aide reçue de son gendre le duc de Savoie, Philippe II n'arriva pas à vaincre
le royaume de France. L'absolution pontificale de Henri IV, les difficultés financières, la
défaite de sa flotte à Cadix et le triomphe de la république des Pays-Bas lui firent mal : il
dut ainsi dire adieu à son rêve de construction d'une grande puissance européenne117. En
janvier 1598, le roi d'Espagne se rendait. Le Traité de Vervins mit fin à cette guerre le 2
mai suivant.
La guerre contre l'Espagne fut très importante pour la pacification du royaume,
notamment parce qu'elle permit aux catholiques et aux protestants de s'unir contre un
même ennemi. En affrontant l'Espagne et en réussissant à conclure un « traité honorable »
avec l'ennemi, le premier Bourbon empêcha en quelque sorte les catholiques et les
protestants de chercher de l'aide étrangère pour poursuivre les guerres civiles - les
catholiques n'avaient plus rien à attendre de l'Espagne et les protestants durent se
soumettre au roi puisqu'ils ne pouvaient trouver d'alliés pour se révolter contre un
115 Babelon, op. cit., p. 608.ueIbid.,p. 610.117 Ibid., p. 623 et Edward Tenace, « A Strategy of Reactions: The Armadas of 1596 and 1597 and the SpanishStruggle for European Hegemony », The English Historical Review, 478 (2003).
33
souverain qui n'avait plus rien à craindre de l'Espagne et qui était reconnu par la majorité
de ses sujets118. De plus, en faisant la guerre à Philippe II, Henri IV avait agi exactement
comme les huguenots le désiraient, en s'attaquant à leur ennemi de toujours, et leur avait
ainsi fait perdre leurs justifications de révolte119.
B.3 Le dernier des édits de réconciliation
A la fin des guerres de Religion, ce sont les catholiques qui s'opposèrent au
gouvernement de Henri IV. Afin de reconquérir son royaume, le roi se concentra donc
presque entièrement à plaire à ses sujets catholiques, particulièrement aux membres de la
Ligue. Les protestants, qui s'étaient d'ailleurs ralliés à lui, se sentirent de ce fait délaissés et
leur angoisse quant au sort de leur religion grandissait à mesure que le roi se ralliait la
Ligue. De 1594 à 1597, les assemblées protestantes devinrent beaucoup plus politisées et
plus revendicatrices à l'égard du roi, le menaçant d'en venir à des insurrections armées120.
Même si la guerre contre l'Espagne avait plu aux protestants puisqu'elle s'attaqua à leur
ennemi juré, Henri IV tenta un plus grand rapprochement avec eux en faisant la paix de
Nantes.
Bien qu'elle ait été un « non-événement121» pour les contemporains, la
proclamation de l'édit de Nantes le 13 avril 1598 mit théoriquement fin aux guerres de
Religion en France. Nantes fut le dernier d'une série d'édits de réconciliation desquels il fut
fortement inspiré. Même si par cet édit le roi désirait tendre la main aux huguenots, il ne
pouvait s'aliéner les catholiques, particulièrement les anciens ligueurs nouvellement
revenus dans le camp royaliste, en accordant trop de privilèges à ses anciens
coreligionnaires. Bien loin d'être un édit de tolérance12 , la paix de Nantes n'affirma pas
118 Béatrice Nicollier, « Édit de Nantes et Traité de Vervins : une simultanéité fortuite? », Bulletin de laSociété de l'Histoire du Protestantisme Français, 144 (1998).U9lbid.,p. 152.120Holt, op. cit., p. 162.121 Selon le terme de Christin (Olivier Christin, « L'édit de Nantes : une relecture aujourd'hui », dans L'Édit deNantes : un compromis réussi : Une paix des religions en Dauphiné-Vivarais et en Europe, (Colloque,Montélimar, château des Adhémar, 17et 18 avril 1998), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1999.)122 À ce sujet,voir Mario Turchetti, « Concorde ou tolérance de 1562 à 1598 », Revue historique, 556 (1985).Turchetti considère l'édit de Nantes comme un édit de concorde, plutôt que de tolérance, puisque la notion deconcorde concerne l'unité de la foi et vise la réunification religieuse, en l'occurrence au sein de l'Églisecatholique. La tolérance implique plutôt une coexistence des deux religions, donc une rupture de l'unitéreligieuse, à l'opposé de ce qui est visé par l'édit.
l'égalité des religions. En fait, l'acte concéda en quelque sorte la victoire aux catholiques
puisqu'il obligea les protestants à une coexistence avec les catholiques sans que ces
derniers ne soient obligés d'en faire autant123. En fait, l'édit en appelait à une acceptation
momentanée de la présence de la minorité protestante dans le royaume, en attendant sa
pleine intégration au sein du catholicisme d'État124. Conséquemment, l'édit visait une
coexistence religieuse temporaire qui accordait une liberté de conscience, et non une liberté
de culte, en espérant que le célèbre adage de Guillaume Postel, « une foi, une loi, un roi »,
définisse de nouveau le royaume.
Afin d'assurer la paix en France, Henri IV accorda toutefois plusieurs concessions
aux protestants. Ainsi, l'édit de Nantes, « perpétuel et irrévocable », était composé de 92
articles généraux, de 56 articles secrets - concernant des villes et des individus exemptés
des articles généraux - et de deux brevets. Les brevets, contrairement aux articles généraux
et secrets - qui ne pouvaient être annulés que par un autre édit entériné par le parlement -,
pouvaient être retirés à tout moment, selon la volonté du roi, et prenait automatiquement fin
à sa mort. Malgré une pleine liberté de conscience, l'édit permettait une liberté de culte
limitée aux seuls endroits contrôlés par les huguenots en août 1597 ainsi que dans les
maisons privées des nobles et dans les villes où le culte était permis dans les précédents
édits. Les huguenots pouvaient également, sous le régime de l'édit, être admis dans les
écoles, les collèges et les universités ainsi qu'obtenir des charges publiques. De plus, grâce
à la création de chambres de justice mi-partie catholique et protestante, leur survie était
assurée. Les articles secrets permettaient entre autres aux protestants de jouir d'un
représentant politique officiel à la cour du roi. Les deux plus grandes concessions offertes
par Henri IV aux huguenots se trouvaient dans les brevets. Elles avaient été émises sous
cette forme pour éviter que le parlement ne rebute à les enregistrer. Il s'agissait d'un
subside annuel de 45 000 écus pour payer les salaires des pasteurs huguenots, ce qui allait
rendre les protestants moins amers face à leur obligation de payer la dîme. De plus, les
décrets autorisaient une forte présence militaire huguenote dans 200 villes du royaume,
dont la moitié, désignée villes fortifiées, bénéficierait de troupes payées par la Couronne.
123 De Wae le , « Les places de sûreté cathol iques », loc. cit., p. 3 9 .124 Bernard Cottret, « Pourquoi l'édit de Nantes a-t-il réussi? », dans Coexister dans l'intolérance : l'édit deNantes (1598), Genève, Labor et Fides, 1998, p. 447.
35
Ainsi, Henri IV dut faire d'importantes concessions pour acheter la paix avec ses anciens
coreligionnaires. Bien sûr, permettre aux huguenots de garder une force militaire ne pouvait
enchanter le roi puisque cela remettait en cause son autorité, mais il concédait ainsi
d'importants privilèges aux nobles huguenots afin qu'ils acceptent de poser les armes125.
Finalement, l'édit ne donna totalement satisfaction ni aux catholiques, qui
trouvaient que les huguenots obtenaient trop de droits, ni aux protestants, qui aspiraient à
plus. Malgré tout, le fragile équilibre que Henri IV sut créer avec cet édit eut le mérite
d'inciter les deux clans à cesser la guerre126. Si bien que Nantes marqua théoriquement la
fin des guerres de Religion puisque la paix civile fut assurée jusqu'à la mort de Henri IV en
1610, année où les guerres fratricides reprirent de plus belle pour se terminer définitivement
en 1629, avec l'édit de Grâce d'Alais127.
Fort de ses succès militaires lui permettant d'offrir sa clémence et de sa récente
conversion au catholicisme, Henri IV put continuer la pacification de son royaume en
ralliant plusieurs villes à sa cause, dès la fin de l'année 1593, en promettant de demeurer
toujours fidèle au catholicisme et d'oublier toutes les fautes commises à son égard par ses
ennemis d'hier. Il put par la suite tenter d'unir ses sujets, catholiques comme protestants, à
une cause commune en canalisant les violences contre un ennemi commun : l'Espagne.
Puis, en proclamant l'édit de Nantes, un édit de réconciliation s'appliquant à l'ensemble du
royaume, le roi permettait une certaine coexistence entre les deux confessions dans le
royaume de France, sans pour autant consentir à une égalité des religions. Il parvint, en ne
contentant ni indisposant personne, à créer un équilibre précaire qui allait réussir à faire
taire les canons. La politique de pacification de Henri IV ne s'est toutefois pas conclue avec
la paix de Nantes. La naissance d'un dauphin en septembre 1601 - le premier à venir au
monde en 80 ans - garantissait en quelque sorte que les troubles ne reprendraient pas dans
l25Holt, op. cit., p. 166.mIbid.,p. 172.127 Notons toutefois que la dernière guerre (1620-1629) revêtit un caractère différent et ne constituait donc pasle simple prolongement des guerres civiles précédentes. En effet, elle ne remit pas en cause la coexistence dedeux religions dans le royaume comme lors des guerres du XVIe siècle, mais elle mit en doute la survie desprivilèges politiques obtenus par les protestants en 1598. (Jouanna et al., Histoire et dictionnaire, op. cit., p.3.)
36
le royaume au moment de la succession. Elle assurait la continuité de la dynastie des
Bourbon et donc le maintien de la paix civile.
Le royaume de France, au moment où éclatèrent les révoltes des Croquants du Sud-
Ouest, était donc aux prises avec d'importants conflits civils qui furent à l'origine des
mécontentements paysans. Dans le prochain chapitre, nous verrons que les princes de
l'époque moderne ne réagissaient pas spontanément avec violence pour enrayer de tels
conflits. En fait, la clémence occupait une place centrale dans le gouvernement des
monarques, et tout particulièrement chez Henri IV, qui avait souvent recours à la douceur.
Chapitre 2 : La douceur
« Douceur : Qualité des choses qui n'ont point d'acidité, qui n'ont rien qui pique le
goust, ou les autres sens », dit le dictionnaire de Furetière au sujet de ce nom, en ajoutant
qu'il « se dit fïgurément en choses morales128». Les rois de l'époque moderne n'avaient
précisément pas d'animosité envers leurs sujets et ne se présentèrent pas comme des tyrans
sanguinaires qui sortaient les armes au moindre prétexte. On peut même dire qu'ils faisaient
en général preuve de douceur face aux révoltes. Les gouvernements de l'époque moderne
avaient d'ailleurs la conviction que la clémence était l'une des plus grandes qualités que
pouvait posséder un souverain et qu'elle contribuait à maintenir les royaumes en paix. Dans
ce chapitre, nous verrons d'abord toute l'importance accordée à la clémence par les princes
à l'époque moderne, tant envers la noblesse qu'envers la paysannerie. Puis, nous
constaterons à quel point la douceur était présente dans les écrits de Henri IV lorsqu'il
traitait du petit peuple, ce qui montre qu'il avait un préjugé favorable envers lui.
Finalement, nous verrons que le premier Bourbon agit avec douceur envers les nobles qui
se sont révoltés contre lui dans le cadre des guerres civiles, ce qui permettra un point de
comparaison lorsque nous nous pencherons sur le règlement des révoltes populaires dans le
troisième chapitre.
1. La clémence et les rois
Les princes de l'Ancien Régime ne mirent pas uniquement fin aux conflits auxquels
ils faisaient face par la violence ou les punitions. Au contraire, la clémence occupait une
place de choix dans l'art de gouverner des monarques. Même en Angleterre au cours du
règne des Tudor, qui furent pourtant reconnus pour leur cruauté, l'utilisation de la clémence
ne fut pas inhabituelle129. Nous verrons que ce recours à la douceur était très valorisé chez
les princes, notamment pour des raisons philosophiques et religieuses. Afin de prouver que
la clémence n'était pas uniquement destinée aux mieux nantis, nous verrons deux cas
spécifiques, dans les royaumes d'Angleterre et d'Espagne, où des monarques l'utilisèrent
envers leur peuple.
128 Antoine Furetière, Le dictionnaire universel d'Antoine Furetière, Paris, Robert, 1978 [1690].129 Krista J. Kesselring, Mercy and Authority in the Tudor State, Cambridge, Cambridge University Press,2003, p. 184.
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A. L'importance de la clémence
La clémence, cette vertu politique ancienne, fut donc très prisée par les princes au
cours de l'époque moderne, afin de mettre fin à des conflits. Elle fut mise à l'honneur par la
redécouverte des textes de l'Antiquité, qui en prônaient l'usage, et par les valeurs
chrétiennes, qui la mettaient également en valeur.
Â.1 Un prince à l'image des rois antiques : les raisons philosophiques de la clémence
La Renaissance fut caractérisée par un retour aux textes anciens, par un engouement
des auteurs de l'époque pour l'Antiquité gréco-romaine. Les humanistes du XVIe siècle
furent donc fortement influencés par les écrits antiques, notamment par les traités
politiques, dont plusieurs accordaient une place prépondérante à l'utilisation de la clémence
par les gouvernements. Afin de tirer les fondements de leur pensée sur l'art de gouverner,
plusieurs auteurs modernes se basèrent notamment sur l'œuvre de Sénèque, De Clementia,
destinée à conseiller Néron sur les façons de diriger son empire. Plusieurs historiens de
l'Antiquité, tels Tite-Live, Suétone et Tacite, dont les écrits connurent une certaine
popularité à la Renaissance, ont également prôné la clémence, une vertu fondamentale
selon l'idéologie politique de la Rome antique130. Influencée par les textes anciens, la
majorité des auteurs de l'Ancien Régime, Machiavel et son oeuvre Le Prince faisant figure
d'exception, glorifiait la clémence chez les rois131.
Dans leurs façons de gouverner, les monarques furent donc influencés par ce
courant de pensée, tant dans leurs discours que dans leurs actes. Dans une lettre datée du 22
mars 1598 adressée à François Savary de Brèves, ambassadeur de France à Constantinople,
Henri IV vantait d'ailleurs les bienfaits de la clémence qu'il jugeait être un élément
essentiel dans l'art de diriger un royaume en Europe de l'Ouest, contrairement à ce qui était
fait en Orient : « Par delà, ils se font craindre, et obeïr par la rigueur de la justice; je prends
plaisir de ranger chascun à son debvoir par les effects de ma bonté et de clémence : de quoy
130 Michel De Waele et Johanne Biron, « L'Hercule gaulois et le glaive spirituel », dans Le recours àl'écriture : polémique et conciliation du XVe siècle au XVIIe siècle, Saint-Étienne, Publications de l'Universitéde Saint-Étienne, 2000, p. 213.131 Ibid., p. 216.
39
je me suis si bien trouvé jusques à présent, que je me puis lasser d'en user »132. Influencée
par la propagation des mêmes idées, Elisabeth Ire d'Angleterre écrivait à un de ses députés,
en 1601, que la clémence détenait une place aussi importante dans l'autorité suprême que la
justice et la sévérité133.
Les textes modernes, basés sur les écrits de l'Antiquité, prônaient l'idée que la
clémence représentait l'une des qualités essentielles d'un bon et sage prince, et qu'il était
en fait du devoir du souverain d'y avoir recours134. Ces textes, qui servaient de références
et, en quelque sorte, d'idéaux à atteindre pour les princes, semblaient ne faire aucune
distinction entre le recours à la douceur envers la paysannerie et son usage envers la
noblesse, en prônant simplement son utilisation générale envers tous les membres de la
société. De ce fait, rien ne laissait présumer que les monarques percevaient l'usage de la
clémence envers les gens de la campagne comme quelque chose de moins nécessaire ou de
moins admirable que son recours envers les membres du second ordre.
L'utilisation de la clémence chez les rois ne répondait toutefois pas qu'à une simple
volonté de bien faire. En fait, la clémence présentait des avantages importants puisqu'elle
contribuait à assurer la paix et la tranquillité aux monarques et à leur peuple. Elle renforçait
également l'autorité du souverain, particulièrement si elle était accompagnée de quelques
démonstrations de force. Si un monarque ne pouvait prouver sa puissance avant d'utiliser la
clémence, il donnait plutôt une impression de faiblesse.
L'importance de l'usage de la clémence par les princes à l'époque moderne se
reflétait également dans le théâtre. Dans Fuente Ovejuna, œuvre composée entre 1611 et
1618, Lope de Vega présentait le roi don Ferdinand comme un prince juste et clément qui
pardonnait aux paysans de Fuente Ovejuna - une petite ville de la province de Cordoue -
de s'être révoltés contre leur seigneur. « Quelque grave qu'ait été le crime, comme il n'est
pas possible d'en connaître légalement les auteurs, je suis forcé de le pardonner », affirmait
132 « A M. de Brèves », 22 mars 1598, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 938.133 Kesselring, op. cit., p. 197.134 lbid., p. 20.
40
le roi135. Fondé sur un événement historique attesté, le récit montre que le recours à la
clémence envers la paysannerie à cette époque n'était pas inhabituel. Le fait que Lope de
Vega, un homme dévoué à la monarchie espagnole, ait choisi de terminer son récit par une
scène où le roi offre son pardon aux paysans est très éloquent. Cela prouve que la clémence
et la magnanimité étaient perçues comme des traits de caractère admirables chez les
princes, même si elles étaient exercées envers de simples paysans.
A.2 Un prince à l'image de Dieu : les raisons religieuses de la clémence
En revenant aux sources du savoir, les érudits du XVIe siècle se penchèrent
notamment sur les textes bibliques. Outre les raisons philosophiques d'une propension à la
clémence chez les princes, les humanistes de la Renaissance voyaient dans la sagesse des
textes religieux anciens une source d'inspiration pour adopter un style de vie plus moral et
plus chrétien136. À cette époque, l'on croyait que les rois étaient choisis par Dieu pour
gouverner leur royaume et exécuter la volonté divine. En France, le sacre conférait au roi
un caractère semi-sacerdotal qui lui octroyait une responsabilité spirituelle envers ses
sujets. Sans faire de lui une divinité, ce devoir faisait du souverain un être à part: qui se
devait d'être très inspiré par le Tout-Puissant137. Puisque les souverains présentaient Dieu
comme source et modèle de leur autorité, ils devaient se montrer à son image dans leur
façon d'utiliser la justice et la clémence138. Cela était d'autant plus vrai que la supériorité
sociale des nobles se justifiait par le fait qu'ils protégeaient le petit peuple. De ce fait, le roi,
le plus grand parmi les nobles, devait faire preuve de clémence envers autrui.
Les valeurs chrétiennes transmises par la religion influençaient donc l'art de
gouverner des princes. Puisque le Christ représentait la bonté, la miséricorde, le pardon et
la charité, on ne pouvait que valoriser l'usage de ces vertus chez les souverains. Dans The
135 Lope de Vega, Fuente ovejuna, Paris, Flammarion, 1992 [1619], p. 177. Pour des exemples de clémencechez les princes dans le théâtre anglais et français, voir notamment La tempête de William Shakespeare etCinna de Pierre Corneille.136 J. Russell Major, The Age ofthe Renaissance and Reformation: A Short History, Philadelphia, Lippincott,1970, p. 172.137 Alain Guéry, « Le roi est Dieu, le roi est Dieu », dans L'État ou le roi : les fondations de la modernitémonarchique en France (XlV-XVIf siècles), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 1996, p.28.138 Edmund Dudley et Dorothy Margaret Brodie , The Tree of Commonwealth: A Treatise Written by EdmundDvdley, Cambridge, University Press, 1948 , p. 6 1 , tiré de Kesselring, op. cit., p. 2 0 1 .
41
Book named the Governor, l'humaniste anglais Thomas Elyot affirmait qu'il souhaitait que
les princes soient conscients de l'origine divine de leur pouvoir et qu'ils réalisent qu'ils
avaient eux aussi besoin de la clémence de Dieu. Elyot présentait d'ailleurs la clémence
comme une vertu inestimable, conseillant aux dirigeants de prendre exemple sur les plus
nobles empereurs, tels Auguste et César, qui en avaient fait usage139. Pour justifier son
recours à la clémence, Henri IV faisait précisément référence à ses qualités de roi chrétien
et de souverain choisi par Dieu. Dans une lettre adressée aux villes d'Arras, de Mons, de
Lille et de Douai, en décembre 1594, le premier Bourbon écrivit :
[...] c'est l'honneur et le debvoir d'un prince généreux et vraiment chrestienque d'espargner le sang humain et d'empescher de tout son pouvoirl'oppression de l'innocent. C'est pourquoy Dieu, nous ayant faict naistre de laplus illustre, magnanime et chrestienne race de la terre, tout ainsy que les Roysnos prédécesseurs ont excelles en vertu et pieté par dessus tous aultres, nousdesirons aussy, les imitans, coronner nos actions et notre reigne de pareillegloire140.
En Angleterre, Edmund Dudley, conseiller du roi Henri VII, abondait dans le même sens en
soutenant qu'un excès de compassion affaiblissait la justice, mais qu'un prince avisé et
chrétien devait en montrer trop, plutôt que d'en être avare1 .
La clémence était perçue comme une vertu glorieuse à l'époque puisqu'elle était la
qualité d'un roi qui détenait l'autorité absolue, et utile parce qu'elle accordait au roi les
avantages de diriger une population aimante et heureuse142. Dans De Clementia, ouvrage
écrit vers l'an 55, Sénèque faisait l'apologie de la clémence chez les princes, une vertu qu'il
définissait comme « le contrôle de soi quand on exerce son pouvoir de vengeance, ou la
douceur d'un supérieur envers un inférieur dans l'établissement des peines143». Au même
titre que Dieu encourageait les pêcheurs à s'améliorer, la clémence d'un souverain pouvait
servir à remettre ses sujets sur le droit chemin144. Le pardon, que Sénèque définissait
139 Thomas Elyot, The Book Named the Governor, 1531, Menston Scolar Press, 1970 [1531], fol. 124 à 129.140 « Aux villes d'Arras, de Mons, de Lille et de Douai; A Messrs de la chambre d'Artois, prevost, eschevinset habitans de la ville d'Arras », 17 décembre 1594, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 280.141 Kesselring, op. cit., p. 201.142 Andrew Shifflett, « Kings, Poets, and the Power of Forgiveness, 1642-1660 », English LiteraryRenaissance, 33 (2003), p. 90.143 Sénèque, De la clémence, Paris, Nouvelle édition, Belles lettres, 2005, Livre II, III, 1.144 Kesselring, op. cit., p. 201.
42
comme « la remise d'une peine méritée 145», était indissociable de l'enseignement du Christ
puisqu'il était l'un des concepts centraux de la Chrétienté . Aux yeux des contemporains,
pour qui le christianisme faisait partie intégrante de la vie quotidienne, le pardon avait donc
une grande valeur147. Les souverains devaient être miséricordieux, à l'image du Créateur.
Le pardon était également représentatif de la puissance des souverains en raison du
cérémonial qui l'entourait puisque l'acte n'était pas laissé au hasard. Selon le rituel public,
au moment de recevoir le pardon du prince, le pardonné devait montrer sa soumission au
roi et s'humilier en reconnaissant ses torts et en se repentant, ce qui contribuait au
renforcement de l'image royale148. Présent dans les textes sacrés, le repentir faisait
également partie de l'approche chrétienne du pardon et avait l'avantage de permettre au roi
de démontrer sa supériorité en tant que personne qui gracie son prochain149.
Les princes avaient non seulement des modèles qui les incitaient à faire preuve de
douceur envers leurs sujets, peu importe l'ordre auquel ils appartenaient, mais en plus les
avantages qui y étaient associés étaient également considérables. La clémence rehaussait
leur puissance, faisant d'eux des êtres d'une morale exemplaire et les assimilant à Dieu.
Tout donc semblait destiner les princes de l'Ancien Régime à en faire usage envers tous et
sans parcimonie.
B. Des révoltes réglées pacifiquement
La violence et les punitions ne furent pas les seuls moyens de mettre fin aux révoltes
populaires en Europe moderne; il est faux de croire que la clémence n'était réservée qu'à la
noblesse. En fait, le recours à la clémence envers la paysannerie, même s'il n'était pas
toujours exempt de quelques démonstrations de force ou de quelconques sanctions, n'était
pas un phénomène anormal. L'utilisation de la clémence par Henri VIII en Angleterre, un
roi pourtant reconnu pour ses réactions extrêmes face aux trahisons et aux révoltes, en
constitue un exemple éloquent. Le même constat peut être fait en ce qui a trait aux révoltes
145 Sénèque, op. cit., Livre II, V, 1.146 Peter Digeser, Political Forgiveness, Ithaca, Cornell University Press, 2001, p. 13.147 Nous différencierons également le pardon de l'oubli dans la partie 2 B de ce chapitre.148 De Waele, « Clémence royale et fidélités françaises », loc. cit., p. 236.149 De Waele et Biron, loc. cit., p. 215.
43
populaires qui frappèrent l'Espagne de Philippe IV puisque celui-ci eut également recours à
la clémence pour mettre fin aux conflits.
B.l Henri VIII et les révoltes populaires
Pendant le règne des Tudor en Angleterre150, les souverains eurent souvent recours à
la clémence pour mettre un terme aux révoltes populaires, et ce, dans le but de maintenir
l'ordre social151. Malgré une vaste historiographie portant sur les rébellions et les révoltes
populaires à l'époque moderne en Angleterre, l'utilisation de la clémence, notamment du
pardon, une pratique pourtant commune à l'époque dans ce type de conflits, a peu intéressé
les historiens, qui ont plutôt étudié les causes de ces soulèvements152. Pourtant, la clémence
était fréquemment utilisée, en général en combinaison avec certaines démonstrations de
force, renonciation de menaces ou l'imposition de punitions. Même si Henri VIII a souvent
été perçu comme un roi impitoyable, il apparaît que ce souverain a plus souvent émis des
menaces et manifesté sa colère qu'il n'a agi de façon cruelle envers le petit peuple15 .
D'ailleurs, malgré sa réputation de roi sanguinaire, relativement peu de personnes furent
exécutées sous son règne, qui s'étendit de 1509 à 1547.
La façon dont Henri VIII mit fin au Pèlerinage de la grâce, cette série de révoltes
populaires au cours desquelles plus de 50 000 personnes se soulevèrent, est très évocatrice.
Ces soulèvements eurent lieu de la fin de l'année 1536 au début l'année 1537, et
s'étendirent du Lincolnshire au nord de l'Angleterre154. Bien qu'il s'agissait de révoltes
populaires, des membres de la petite noblesse se joignirent aux gens du peuple pour
150 Pour voir un autre exemple de c lémence utilisée par un souverain en Angleterre (en l 'occurrence MarieTudor), voir Kenneth Bartlet, « The Polit ics of Pardon: The case of Sir John Cheke, 1556 », Cahiersd'histoire, 16,2(1997).151 Kesselring, Mercy andAuthority, op. cit., p. 163.152 Notons s implement quelques titres : Edward Thompson, « The Moral E c o n o m y of the Engl ish Crown inthe Eighteenth Century », Past & Présent, 50 (1971); Paul Slack, Rébellion, Popular Protest, and the SocialOrder in Early Modem England, Cambridge; New York, Cambridge University Press, 1984; Roger B.Manning, Village Revolts: Social Protest and Popular Disturbances in England, 1509-1640, OxfordOxfordshire; New York, Clarendon Press; Oxford University Press, 1988; Alison D. Wall, Power and Protestin England, 1525-1640, Londres; New York, Arnold; Oxford University Press, 2000 et Andy Wood, Riot,Rébellion and Popular Politics in Early Modem England, New York, Palgrave, 2002.153 Steven G. Ellis, « Henry VIII, Rébel l ion and the Rule of Law », The Historical Journal, 24 (1981) , p. 5 1 3 .154 M. L. Bush, The Pilgrimage of Grâce: A Study ofthe Rebel Armies ofOctober 1536, Manchester; NewYork, Manchester University Press; St. Martin's Press, 1996, p. 376.
44
s'opposer à la dissolution des monastères et aux innovations religieuses dans le royaume155.
L'analyse des réponses gouvernementales apportées à ces conflits montre que l'utilisation
de la clémence, bien qu'accompagnée par des démonstrations de force ou encore par de
simples menaces, fut cruciale dans le règlement de ces révoltes populaires, et ce, dès le
début du conflit.
En ce qui a trait aux révoltes qui se déroulèrent au Lincolnshire, Henri VIII, bien
qu'il ait fait plusieurs menaces et n'ait accordé aucune concession, offrit son pardon à tous
les révoltés en novembre 1536, excluant toutefois ceux qui avaient été emprisonnés. Au
même moment, le peuple prit les armes au Yorkshire, avec à sa tête le capitaine Robert
Aske. Lorsqu'ils présentèrent leurs requêtes au roi, les révoltés demandèrent à leur
souverain de leur offrir son pardon. Le roi leur accorda, en excluant toutefois les dix
dirigeants de la révolte. À la fin octobre, les représentants du peuple furent autorisés à
présenter au roi cinq articles de doléance et une requête demandant le pardon complet pour
tous les révoltés156. Lorsqu'il accorda son pardon en novembre, le roi précisa qu'il décidait
de pardonner aux révoltés parce que ceux-ci avaient agi ainsi par ignorance, et qu'il
prévoyait remédier à leurs maux157. En échange, le roi demanda qu'on lui livre les chefs de
la révolte, soit une dizaine d'hommes. Certains révoltés refusèrent toutefois cette entente
puisqu'ils désiraient que le pardon soit accordé à tous, sans exception. Les négociations
entre les deux parties furent difficiles. À la fin du conflit, Norfolk, le lieutenant du roi,
accorda le pardon aux rebelles au nom du souverain et leur promit, tel qu'ils le
demandaient, une rencontre avec le parlement. Henri VIII respecta ces deux promesses,
même s'il avait d'abord souhaité l'exécution de quelques-uns des chefs afin de montrer
l'exemple158. Norfolk avait également promis aux rebelles de restaurer les monastères ou, à
tout le moins, d'en faire la demande au roi. Henri VIII n'alla toutefois pas jusqu'à souscrire
à cette demande. Dans le Nord, Norfolk accorda des concessions aux rebelles : des
délégations furent reçues à la cour et un pardon fut proclamé. Le roi alla même jusqu'à
155 Une variété de revendications politiques et sociales figuraient également parmi les causes des révoltes.(Kesselring, Mercy andAuthority, op. cit., p. 166.)}56Ibid.,p. 170.]51Ibid, p. 171.158 Ibid, p. 174.
45
accorder des postes importants au sein du gouvernement régional à certains des anciens
rebelles159.
Afin que le pardon royal soit accordé et profite au souverain en montrant sa
puissance et sa magnanimité, il était nécessaire que les révoltés subissent une humiliation.
Ainsi, malgré un refus d'être qualifiés de rebelles à l'autorité du roi, les pèlerins, pour
profiter du pardon royal, durent admettre qu'ils avaient été déloyaux envers leur souverain,
même si certains refusèrent catégoriquement de le faire. Bien que la majorité des pèlerins
se soumirent publiquement au roi, on peut dire qu'ils réussirent à exiger de lui son pardon,
plutôt que de lui laisser l'offrir gracieusement à eux en cadeau160. Cependant, le roi put
contrôler la façon dont la population reçut la nouvelle, afin que ce geste soit interprété
comme une démonstration de l'autorité royale plutôt que comme un acte de faiblesse.
Ainsi, selon les textes officiels, le roi avait offert son pardon aux pèlerins seulement à la
suite de leur humble demande. Le roi fit donc preuve de clémence, mais s'assura de
pouvoir tirer profit de ce geste en consolidant son autorité.
B.2 Philippe IV et les révoltes populaires
En Espagne, au XVIIe siècle, Philippe IV, roi de 1621 à 1665, utilisa également la
clémence pour mettre fin à ce type de révoltes161. Au cours de la décennie 1630, la Castille
connut des années très difficiles et le petit peuple était submergé sous les charges fiscales.
Une révolte du sel éclata donc en 1631 en Biscaye. Il s'agissait non seulement d'une révolte
anti-fiscale, mais d'un soulèvement visant la défense des fors et de l'usage administratif de
la langue basque162. Le souverain mit fin au mécontentement du peuple en levant la taxe sur
le sel. En 1634, lors de la soumission de Bilbao, la capitale rebellée, seuls quelques
meneurs furent exécutés.
159 Ellis, loc. cit., p. 530.160 Kesselring, Mercy andAuthority, op. cit., p. 175.161 Notons que sous le règne de Philippe II, l'Espagne utilisa également la clémence pour mettre fin auxconflits qui secouèrent ses possessions aux Pays-Bas entre 1566 et 1578. À ce sujet, voir Michel De Waele,«Un modèle de clémence : le duc D'albe lieutenant-gouverneur des Pays Bas, 1567-1573 », Cahiersd'histoire, 16 (1996).162 Christian Hermann et Jacques Marcadé, Les royaumes ibériques au XVIf siècle, Paris, Sedes, 2000, p. 90.
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Même si les difficultés économiques furent récurrentes en Europe au XVIIe siècle,
la situation fut particulièrement pénible dans le sud de l'Espagne dans les décennies 1640 et
1650. Une série de révoltes éclata alors dans cette région. La révolte de Séville et de ses
régions, qui débuta en mai 1652, fut le plus important de ces soulèvements. Le peuple se
révolta non seulement en raison du prix élevé du pain, mais également en raison de la
décroissance de la valeur du vellôn - une monnaie en cuivre avec laquelle la plupart des
travailleurs étaient payés - par rapport à la monnaie en argent. Les autorités municipales
accédèrent à leurs demandes et promirent un pardon général, et ce, sans même obtenir
préalablement la promesse que les rebelles allaient poser les armes . Le pardon royal fut
effectivement accordé en juin. Cinquante personnes furent tout de même arrêtées, mais
seulement dix d'entre elles furent exécutées.
Le roi et ses conseillers usèrent de douceur face à ces révoltes, principalement parce
qu'ils savaient que les plaintes du peuple étaient fondées et parce qu'ils ne disposaient pas
des moyens nécessaires pour assurer un contrôle constant sur le petit peuple164. La
répression fut donc très limitée dans la série de révoltes qui eut lieu dans le sud du
royaume. Toutefois, le roi ne punit pas davantage les autorités municipales, pourtant
corrompues et malhonnêtes, qui avaient été à l'origine de ces révoltes. Voyons maintenant
comment Henri IV agissait face aux paysans et aux nobles.
2. Henri IV, le petit peuple et la noblesse
Envers la roture comme envers la noblesse, Henri IV fit preuve de douceur au cours
de son règne. Nous verrons d'abord comment le premier Bourbon porta une attention toute
particulière au petit peuple, un soin et un attachement qui étaient omniprésents dans sa
correspondance, montrant qu'il lui accordait une considération certaine. Puis, nous
découvrirons que Henri IV agit également avec une douceur et une clémence extrêmes
envers les nobles qui s'étaient révoltés contre lui dans le cadre des guerres de Religion.
163 Claude Larquié, « Popular Uprising in Spain in the Mid-Seventeenth Century », Renaissance and ModemStudies, 26 (1982), p. 103.]MIbid.,p. 105.
47
A. Henri IV et le petit peuple
La légende a fait du premier Bourbon le « bon roi Henri », le père du peuple, le
souverain tolérant et bon vivant, le roi de « la poule au pot ». Bien que la propagande et le
temps aient sans aucun doute contribué à idéaliser l'image de Henri IV, le représentant
comme un souverain très près de son peuple, rien ne permet de penser que ces qualités ne
furent que de pures inventions. Sans être un roi idyllique, Henri IV a ressenti pour son
peuple un attachement certain. Sa correspondance regorge d'ailleurs de commentaires sur
ses préoccupations pour le sort de ses sujets. On y décèle une certaine empathie pour le
petit peuple, un sentiment paternel envers lui et une valorisation du rôle des souverains
comme protecteurs du peuple. Ces éléments montrent, dans une certaine mesure, que le roi
avait un préjugé favorable envers ses sujets, ce qui ne semblait pas le prédisposer à utiliser
la violence envers eux de façon irréfléchie et automatique, bien au contraire.
A.l Un roi empathique
La correspondance du premier Bourbon fait état de l'empathie certaine qu'éprouvait
le roi pour le petit peuple. Les références au bien-être de ses sujets abondent dans ses
lettres, quels que soient les destinataires, dévoilant qu'au-delà d'un désir de bien paraître et
de se présenter comme un bon roi, se cachait une réelle volonté d'améliorer le sort de son
peuple et une véritable amitié pour lui. «Nous souffrons en nostre ame une douleur
extresme », écrivait Henri IV dans une lettre circulaire le 25 juillet 1596, exprimant ses
sentiments face aux misères dont la paysannerie était affligée en raison des guerres
civiles165. Il ajouta :
D'un costé il ne nous est loisible d'abandonner la conservation de nostre Estât;d'aultre part, nous ne pouvons qu'avec un sanglant et incroyable regret oyr lesjustes plaintes de nostre pauvre peuple, sans y apporter le remède convenable àla charge et dignité de laquelle il a pieu à Dieu de nous élever166.
165 Nous parlerons plus en détail des impacts des guerres civiles sur les populations locales dans le troisièmechapitre.166 « A nostre amé et féal conseiller, maistre des requestes ordinaires de nostre hostel et prevost des rnarchansde nostre bonne ville de Paris, Mr Martin Langlois », 25 juillet 1596, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 620.
Lorsqu'il écrivit une missive à son sénéchal et gouverneur de Périgord, Henri de
Bourdeille, pour l'informer de la reddition de la Bastille le 31 mars 1594, Henri IV se
réjouit avant tout du peu de préjudice qui avait été fait au peuple, démontrant une fois de
plus son souci pour le sort de ses sujets. Il écrivit :
Sur quoy mon espérance, par sa bonté, n'a esté vaine, car le chasteau de laBastille, qui est la place forte de ceste dicte ville [Paris] et qui avoit tenu pourles ennemis depuis la reddition d'icelle, se rendit dimanche dernier, sans qu'ilayt esté tiré un seul coup de canon; de sorte que la dicte ville est entièrementréduicte, avec ce bonheur que ce a esté sans excès ny violence faicte auxhabitants d'icelle167.
Dans son Histoire universelle, l'historien Jacques-Auguste de Thou retranscrivit
certaines allocutions officielles prononcées par le roi. Il reconstitua notamment la réponse
faite par le premier Bourbon au discours de Gaspard de Schomberg, comte de Nanteuil, qui
voulait persuader Henri IV de faire la paix dans son royaume en 1593. Selon de Thou, le roi
aurait interrompu le discours du comte pour affirmer qu'il avait lui aussi toujours désiré la
paix. Il aurait ajouté :
Les motifs qui m'engagent à désirer la paix, ne sont pas la crainte desconspirations, ni l'incertitude des événemens, qui dans la guerre trompent lesespérances les mieux fondées; mais l'amour de ma patrie, & la misère de mespeuples, qui gémissent sous le poids accablant d'une guerre si funeste, & que jevoudrais finir, au pris de tout mon sang168.
Ainsi, même s'il ne s'agit probablement pas des paroles exactes prononcées par le roi, cet
extrait montre une fois de plus l'indéniable compassion de Henri IV à l'égard de la
paysannerie, qu'il savait souffrir des guerres civiles. Tout porte à croire que le Béarnais
éprouvait une amitié sincère pour le petit peuple, qu'il connaissait d'ailleurs fort bien pour
avoir parcouru le royaume à cheval, couchant souvent dans des cabanes et s'asseyant à la
table du paysan169. « Qui s'en prend à mon peuple, s'en prend à moi », disait d'ailleurs
Henri de Navarre en 1580170.
167 « A Monsr de Bourdei l le », 31 mars 1594 , dans de Xivrey , op. cit., T. 4, p. 130.168 De Thou, op. cit., T. 11 , p. 6 8 2 - 6 8 3 .169 J. Nouai l lac , « Henri IV et les Croquants du L imous in : la mi s s ion de l' intendant B o i s s i s e », Bulletinhistorique et philologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, (1912), p. 327.170 Tiré de Babelon, op.cit., p. 776.
49
A.2 Henri IV, père du peuple
Henri IV a porté un intérêt certain aux individus et a souvent fait preuve d'une
grande sollicitude envers autrui, ce qui faisait de lui un roi proche de son peuple171. Sa
correspondance est d'ailleurs truffée de passages évoquant les sentiments paternels
qu'éprouvait Henri IV pour ses sujets. Les Six livres de la république de Jean Bodin, œuvre
selon laquelle une république devait être gouvernée par un roi comme une famille devait
être dirigée par un père, amena une nouvelle donne dans la pensée politique moderne et ne
fut pas étrangère à l'apparition, à partir de 1576, d'un nouveau vocabulaire axé sur la figure
paternelle dans les textes royaux. Dès son avènement, la figure paternelle devint un thème
central dans les traités promulgués par Henri IV, donnant au roi une image de père
bienveillant qui apporte la paix, la sécurité et la sérénité au sein de sa famille172. Le
Béarnais tenait à se présenter sous les traits d'un père, référant au petit peuple comme à ses
enfants, à l'image de Louis XII qui s'était vu décerner le titre de père du peuple en 1506.
Dans une lettre écrite de la main du roi, datée du 15 avril 1596 et adressée à
Maximilien de Béthune, seigneur de Rosny, Henri IV démontrait ses sentiments paternels
en évoquant son désir de soulager le petit peuple des oppressions qu'il subissait et des
charges fiscales dont il était incommodé :
[...] lorsque je veulx entreprendre quelque chose digne d'un généreux courageet de ma naissance et qualité, à desseing d'élever mon honneur, ma gloire et mafortune et celle de toute la France au suprême degré que je suis me suistousjours proposé, qui est de rétablir ce Royaume en sa plus grande amplitudeet magnifique splendeur, soulager mes pauvres peuples que j'aime comme meschers enfants (Dieu ne m'en ayant point jusques à présent donné d'aultres) detant de tailles, subsides, foules et oppressions dont ils me font journellement desplaintes [...]173.
Le 16 juin 1594, s'adressant aux habitants de la ville de Poitiers qui venaient de lui
accorder leur allégeance, Henri IV faisait référence à eux comme à ses enfants :
171 Ibid., p 443.172 Michel De Waele , « La fin des guerres de Rel ig ion et l 'exclusion des f emmes de la v ie politiquefrançaise », French Historical Studies, 29 (2006), p. 223-224.173 « A M. de Rosny », 15 avril 1596, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 564.
50
[..] Rendu certain de vos bonnes intentions et nous les avons receues, comme unbon père embrasse cordialement ses enfans, lorsque rentrans dans leur debvoirils lui donnent occassion d'oublier les offenses qu'ils luy peuvent avoir faictes,vous asseurant que m'en donnant vostre desclaration et nous en rendant leseffects , comme nous croyons que vous ne voudrés user d'aulcune intermissionou retard, non seulement que nous ne voulons aulcunement nous souvenir de cequ'y s'est passé cy-devant, mais que vous recevrés de nous tout ce qui sera pourle bien, commodité et avantage de vostre ville, tout le plus favorable traitementqu'il sera possible174.
Dans une lettre adressée au seigneur de Buzenval, en janvier 1595, alors qu'il se
remettait d'une blessure à la bouche infligée par un Jésuite, Henri IV nota qu'il aimait
davantage son peuple que sa propre personne, se montrant, à l'image d'un père, prêt à
donner sa vie pour ses enfants. « [...] Grande l'alegresse que le peuple a monstrée de ma
convalescence; dont j 'ay receu plus de consolation que du mal coup qui m'a esté donné,
tant j'affectionne mes subjects et prise peu ma vie, qui est du tout desdiée au salut des
aultres175 », écrivit le premier Bourbon.
Cette image du père ne se retrouvait pas dans les écrits du roi par pur hasard puisque
le souverain et son entourage s'en servaient consciemment à des fins de propagande, pour
rehausser l'image royale. Malgré tout, rien ne prouve qu'il ne s'agisse que d'une simple
rhétorique; l'affection que le roi éprouvait pour ses sujets, qu'il pouvait d'ailleurs bien
considérer comme ses enfants, confirmait sa sincère bienveillance envers eux. Le fait que
les membres du parlement de Bordeaux aient interpellé le roi en insistant sur son affection
paternelle pour son peuple afin d'obtenir des baisses d'impôts démontre qu'ils présumaient
qu'il s'agissait d'une corde sensible pour le roi ou encore qu'ils croyaient fermement à
l'importance de ce lien entre un souverain et son peuple. Dans un cas comme dans l'autre,
on peut comprendre que cette relation était valorisée, bien vue et considérée comme
importante aux yeux du souverain et de son administration, tout comme la protection du
petit peuple.
174 « A la ville de Poictiers », 16 juin 1594, dans Ibid., T. 4, p. 169.175 « A Ms de Buzenval », 5 janvier 1595, dans Ibid., T. 4, p. 296.
51
A.3 La protection du petit peuple comme vertu royale
Au même titre que la magnanimité, la volonté de protection du petit peuple
apparaissait comme une qualité indispensable chez un bon prince à la Renaissance. Comme
le thème de l'affection paternelle du roi pour ses sujets, celui de la protection du petit
peuple comme vertu royale était récurant dans la correspondance de Henri IV, tant dans ses
propres écrits que dans ceux de ses correspondants. Ainsi, dans une lettre adressée au roi de
la part du parlement de Bordeaux le 22 mars 1591, le parlement faisait référence à la
bienveillance envers le peuple comme l'une des grandes vertus royales :
Entre les autres grandes et royales vertus, Sire, qui ornent vostre sceptre, nouscroyons que la bienveillance et le soing que vous avez des afflictions de vostrepeuple n'est pas la dernière, qui nous faict espérer que très volontiez vousinclinerez de tout vostre pouvoir à le descharger et à luy faire sentir les fruictzde vostre souveraineté en cassant et supprimant telles nouvelles affermes etreceptes, et esteignant et abolissant pour jamais, s'il est possible, tellesnouvelles impositions, très pernicieuses engeances de ceste guerre, ou bien lesretranchant le plus que le temps et la nécessité vous le pourra permetre .
Cet extrait montre l'importance qu'occupe la protection royale du petit peuple dans l'esprit
des membres du parlement, qui jugent bon de le mentionner dans leur lettre à Henri IV. Il
peut aussi refléter la valeur que le roi lui-même y attachait puisque les membres du
parlement pouvaient aussi chercher à plaire au souverain en affirmant que la protection du
petit peuple était une grande vertu royale.
Dans une lettre adressée aux villes d'Arras, de Mons, de Lille et de Douai en
décembre 1594, le roi faisait également référence à la protection de son peuple, qu'il savait
remise en question par les guerres de Religion qui déchiraient le royaume. Ainsi, un mois
jour pour jour avant sa déclaration de guerre contre l'Espagne, Henri IV écrivit à ces villes
pour les préparer à cette entrée en guerre et leur affirmait son désir de protéger son peuple :
[...] chacun sçait qu'il [Philippe II] a continué à fomenter ouvertementl'obstination de nos rebelles, s'emparer de nos places, rançonner nos bonsubjects, préparer et assembler de toute parts des forces et armes pour entrer denouveau en nostre Royaume, et pour nostre seule considération assaillir,incommoder, ruiner la ville de Cambray et le pays de Cambresis, exerçant
176 lbid., p. 569.
52
contre nous, nos amys, serviteurs et subjects, tous aultres actes d'ennemydéclaré : quoy voyans, comme nous ne pouvons ny voulons plus longuementmanquer à la protection que nous debvons à nos dicts subjects et à nous-mesmes, nous avons délibéré aussy de repousser les injures et offenses quenous en recevons, par les mesmes voyes et moyens que l'on y employé177.
Ce rôle de protecteur endossé par le roi s'avéra d'autant plus important dans le
contexte des guerres civiles, alors que l'on remettait sérieusement en question l'utilité de la
noblesse178. Les membres du second ordre possédaient deux fonctions communément
reconnues qui furent soudainement remises en question à la fin du XVIe siècle : celle de
défenseur du royaume et celle de modèle d'un idéal humain de vaillance pouvant servir
d'exemple aux inférieurs179. Les guerres de Religion entraînèrent donc une sorte de crise
identitaire de la noblesse, autant en ce qui a trait à sa définition qu'à sa place dans la
société, qui la fit en quelque sorte passer de « protectrice naturelle » du peuple à
prédatrice180. Il faut comprendre que les violences commises par bon nombre de membres
du second ordre au cours des guerres civiles minèrent leur crédibilité181, eux qui se devaient
pourtant d'être des défenseurs du troisième ordre. Cela attira de nombreuses critiques de
pamphlétaires qui n'hésitèrent pas à assimiler les nobles à des tyrans et à prouver qu'ils
n'avaient plus le monopole de la fonction militaire - les roturiers avaient bien exposé leur
capacité à se battre au cours des guerres civiles. Ces réflexions remirent en doute les
fondements même de l'ordre social puisque que toute la hiérarchie s'organisait
traditionnellement selon les qualités considérées comme nobles qui devaient être acquises
héréditairement. Soudainement, les hommes avaient un droit de regard sur les rangs et les
privilèges accordés à chaque ordre social, alors que l'on croyait auparavant à une société
177 « A u x villes d'Arras, de Mons, de Lille et de Douai; A Messrs de la chambre d'Artois, prevost, eschevinset habitans de la ville d'Arras », 17 décembre 1594, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 2 8 2 .178 Ariette Jouanna, « Le thème de l'utilité publique dans la polémique anti-nobiliaire en France dans ladeuxième moitié du X V I e siècle », dans Théorie et pratique politiques à la Renaissance, Paris, Librairiephilosophique J. Vrin, 1977.i79Ibid.,p. 288.180 Joël Cornette, « Crise des valeurs et recomposition sociale au temps d'Henri IV : ou le modèle du parfaitgentilhomme des champs », dans Le second ordre : l'idéal nobiliaire : hommage à Ellery Schalk, Paris,Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 1999, p. 280.181 Sur les violences commises envers le peuple par des troupes commandées par des gentilshommes, voirnotamment Michel Cassan, Le temps des guerres de religion : le cas du Limousin (vers 1530-vers 1630),Paris, Publisud, 1996, plus particulièrement le chapitre 7 : « Le temps de la guerre ».182 Voir notamment le Dialogue d'entre le Maheustre et le Manant, oeuvre probable de Morin de Cromé.
53
ordonnée selon les desseins de Dieu183. Dans ce contexte, le devoir du roi quant à la
protection du petit peuple devenait encore plus crucial. Il devait, en sa qualité de plus grand
noble du royaume, se dissocier, dans l'esprit de la population, des exactions commises par
certains membres de son ordre. Puis, il pouvait en quelque sorte se présenter comme
substitut et devenir lui-même le protecteur du peuple.
Le 22 décembre 1593, dans une missive envoyée aux consuls et aux habitants de
Toulon, le roi fit part de son intention d'envoyer un de ses conseillers en Provence pour en
savoir davantage sur les émotions du peuple. Le souverain demanda aux habitants de lui
rester fidèle et leur déclara qu'il ferait sa part pour pourvoir « au soing qu'un bon prince
doibt avoir du repos et soulagement de ses subjects184». Dans une lettre envoyée au grand
duc de Toscane le 30 juin 1595, le premier Bourbon écrivit : « Mon cousin, la plus belle
qualité que puisse avoir un prince c'est de faire rendre justice à ceulx qui la lui demandent,
et empescher l'oppression des innocens185 ». Ainsi, la correspondance du roi reflétait, à tout
le moins en discours, la volonté de veiller au bien-être du petit peuple et de le protéger, tout
comme elle illustrait bien l'importance pour Henri IV d'être perçu comme un souverain
bon et vertueux.
Comment donc, à la lecture de ces lettres remplies d'empathie à l'égard de la
paysannerie, étalant l'affection paternelle du souverain pour ses sujets et glorifiant son
devoir de protection envers eux, peut-on croire que le recours à la violence contre le peuple
semblait automatique pour Henri IV? Bien qu'il s'agissait avant tout de paroles et de
discours, et non d'actes concrets, cela traduit tout de même une volonté de bien faire et une
conscience certaine de la souffrance et des besoins de ses sujets. Sans doute, cela illustre
également l'importance chez les grands d'être dirigés par un souverain qui démontrait des
qualités humaines et de la douceur envers le petit peuple. Il reste maintenant à voir en quoi
ces attitudes et ces discours sur le peuple différaient de ceux concernant les nobles.
183 Jouanna, « Le thème de l'utilité publ ique », loc. cit., p. 287 .184 « A nos chers et bien amés les consuls et habi tans de nostre ville de Thoulon », 22 décembre 1593, dans deXivrey, op. cit., T. 8, p. 503 .185 « A mon cousin le grand duc de Toscane », 30 juin 1595, dans Ibid, T. 4, p. 381.
54
B. Henri IV face aux révoltes des grands et des villes
Afin de mieux comprendre les agissements du premier Bourbon face aux paysans,
que nous verrons au troisième chapitre, observons d'abord comment le roi réagissait face à
la noblesse et aux villes. Henri IV fit évidemment preuve de douceur envers elles, et ce,
même si elles furent à l'origine des guerres civiles. En fait, sa clémence ne sembla
connaître aucune limite envers les grands nobles qui s'étaient révoltés contre lui puisqu'il
acheta la paix avec eux en leur accordant pardon et oubli. Il alla également jusqu'à justifier
leurs soulèvements.
B.l Achat, pardon et oubli
La Renaissance en France connut l'émergence d'un nouveau féodalisme basé sur les
liens de clientèle186. Dans ce nouveau monde, les échanges de cadeaux et les
démonstrations publiques d'affection et de loyauté devinrent essentiels, et allèrent jusqu'à
cimenter les relations politiques et sociales, particulièrement entre le roi et sa noblesse .
Même si le second ordre garda beaucoup de pouvoir au sein de ce système, les rois ne
furent pas impuissants pour autant. Quittant leur statut médiéval de grands seigneurs, ils
devinrent les plus grands patrons du royaume. Les souverains devaient donc gouverner
avec la coopération de leurs clients. Pour ce faire, ils faisaient appel au processus de dons et
de contre-dons - que l'on pourrait aussi qualifier de patronage188. Selon ce principe, le
souverain offrait aux grands nobles et aux villes des avantages et des concessions,
notamment un soutien matériel et une protection, en échange de leur fidélité et de leur
reconnaissance de son autorité. Ainsi, plutôt que de punir les nobles et les villes révoltés
contre lui, Henri IV acheta la paix avec eux et fit preuve d'une magnanimité extraordinaire
à leur égard afin de les rallier à lui. Dans une lettre datée du 4 août 1594 adressée à Jean-
Louis de Nogaret, duc d'Épernon, le roi écrivait qu'il comptait proposer à Charles de
186 J. Russell Major, « The Crown and the Aristocracy in Renaissance France », The American HistoricalReview, 69 (Avril 1964), p. 635. Le mot clientèle, dans ce contexte, peut être défini comme une relationvolontaire basée sur un échange réciproque entre des participants de statuts sociaux différents. (SharonKettering, « Clientage During the French Wars of Religion », Sixteenth Century Journal, 20 (1989), p. 223.)187 Jay M. Smith, «"Our Sovereign's Gaze": Kings, Nobles, and State Formation in Seventeenth-CenturyFrance», French Historical Studies, 18 (1993), p. 399.188 Sharon Kettering, « Gift-Giving and Patronage in Early Modem France », French History, 2 (Juin 1988),p. 131.
55
Lorraine, duc de Mayenne et chef nominal de la Ligue de 1589 à 1596, une paix impossible
à refuser : « Pour cela je ne m'en leurre pas davantage et ne laisse de proposer la paix au
dict duc de Mayenne, à si bonnes conditions que, s'il n'est du tout abandonné au desespoir,
il y a grande apparence qu'il les acceptera189.» Dans une lettre adressée au connétable de
France, en mars 1598, Henri IV se réjouit de la reddition du chef ligueur Philippe-
Emmanuel de Lorraine, duc de Mercoeur, qui acceptait de céder son gouvernement de
Bretagne. Mais cette reddition ne s'était pas faite gratuitement. Henri IV accorda plusieurs
largesses à Mercoeur - il alla notamment jusqu'à proposer de marier la fille de Mercoeur à
son fils légitimé César de Vendôme, issu de sa relation avec Gabrielle d'Estrée - et en était
bien conscient :
Ceste resolution [celle de se rendre au camp royaliste] et la prudence dont il ausé m'ont esté fort agréable : aussi que je l'ay traicté si favorablement, qu'il agrande occasion de se contenter, comme vous pourrés voir par mon edict quej'envoyé à mon Parlement pour estre veriffié. Vous verres, par aultre depeschede laquelle le sr du Belloy [Antoine de Belloy, gentilhomme ordinaire de lachambre du roi] est chargé, les conditions advantageuses que je luy ayaccordées. A quoy je n'ay regret, puisque par ce moyen tout ma province deBretagne est reduicte en mon obéissance 90.
Ainsi, malgré les trahisons et les guerres, le roi accorda de nombreuses faveurs à ceux qui,
la veille, avaient été ses pires ennemis. Ces extraits de lettre montrent qu'il était d'ailleurs
bien conscient de la démesure de sa générosité envers ceux qui s'étaient révoltés contre lui,
mais qu'il croyait qu'il s'agissait de la meilleure façon de régler les conflits.
En plus des cadeaux, Henri IV offrit, à l'image du Christ nous l'avons vu, son
pardon à ses ennemis. Le pardon politique avait l'avantage d'accroître la réputation de
générosité des souverains qui en usaient, de servir la paix et permettait au roi de s'assurer
que les pardonnes contractaient une dette envers lui191. De plus, le pardon s'inscrivait bien
dans une politique de réconciliation, en réglant les dettes passées afin qu'elles ne hantent
pas l'avenir, favorisant ainsi la restauration de la confiance mutuelle et de la civilité .
189 « A mon cousin le duc D'Espemon », 4 août 1594, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 200.190 « Au connétable », 20 mars 1598, dans Ibid, T. 4, p. 934 .191 Digeser, op. cit., p. 12.192 Peter Digeser, Political Forgiveness, Ithaca, Comell University Press, 2001, p. 33.
56
Face aux nobles et aux villes qui s'étaient révoltés, le Béarnais alla beaucoup plus
loin que le simple pardon. Plus indulgent encore, il offrit l'oubli. Aussi contradictoire que
cela puisse paraître, le pardon est en fait bien près de la condamnation puisque ces deux
actions impliquent la reconnaissance qu'une faute a été commise193. Là où l'oubli suppose
d'effacer les souvenirs douloureux et les éléments de discorde, le pardon implique plutôt de
se remémorer le mal fait et de le comprendre194. Dès 1589, et plus particulièrement en 1593
avec sa conversion au catholicisme, Henri IV lança son programme d'amnistie visant la
réconciliation de ses sujets, ce qui impliquait la légitimation de l'oubliance. En demandant
à ses sujets catholiques d'oublier son passé d'hérétique, il semblait essentiel pour le roi
d'offrir aux grands nobles et aux villes qui s'étaient révoltés contre lui d'oublier leurs
séditions, qui découlaient d'ailleurs en grande partie de son passé protestant195.
Des priorités stratégiques déterminaient ceux qui allaient recevoir le pardon ou
encore l'oubli de la part du roi196. Les principaux bénéficiaires de l'oubli furent
évidemment les grands nobles qui étaient pourtant à l'origine du déclenchement des
guerres. Ainsi, lorsqu'il céda la Champagne en novembre 1594, le jeune Charles de
Lorraine, duc de Guise, bien qu'il ait joué un rôle clé dans les guerres civiles, reçut
l'amnistie du roi, en plus d'obtenir le gouvernement de la Provence et 400 000 écus :
Par ceste acte [l'accord conclu entre le roi et le duc de Guise], le Roi déclaraitqu'il renoit ses bonnes grâces au Duc & à ses frères, en faveur de l'honneurqu'ils avoient de lui appartenir, & accordoit une amnistie générale de tout lepassé, tant à eux, qu'à ceux qui avoient porté les armes à leur service dedans &dehors le Royaume, en Italie & en Espagne197.
Le 21 août 1594, le premier Bourbon s'adressa au maire et aux habitants de Poitiers
pour leur faire part de sa joie face à la reddition de la ville. « II faut maintenant que vous
vous reconciliés tous les uns avec les aultres, sans aulcun ressentiment de ce qui s'est
193 Joram Graf Haber, Forgiveness, Savage, Rowman & Littlefield Publishers, 1991, p. 59-60, tiré de Digeser,op. cit., p. 11 .194 Digeser, op. cit., p. 11.195 Michael Wol fe , « A m n e s t y and Oubl iance at the end of the French Wars of Re l ig ion », Cahiers d'histoire,16 (1997), p. 49.196 Ibid., p. 59.197 De Thou, op. cit., T. 12, p.300.
.57
passé », écrivit Henri IV, leur offrant l'oubli de leurs fautes198. De même, dans des lettres
patentes en forme d'édit sur la réduction du sieur de Baron du Pesché et de la ville de
Chasteau-Thierry enregistrées au parlement en septembre 1594, le premier Bourbon
écrivit :
Nous ont requis de mettre en oubly toutes offenses passées, & les admettre aunombre de noz très humbles & fidelles subjets, protestant de ne jamaisabandonner nostre protection, de renoncer à ceux qui les en ont malicieusementretirez, & de vivre & mourir en la cognoissance & deffence de nostreauthorité. En quoy ils se sont monstrez prompts? faciles, & nous ont encorestrouvez plus disposez à les recevoir & mettre en oubly tout ce que la malice dutemps à permis nostre préjudice, & les caresser & embrasser avec la douceur &clémence que peut rechercher un enfant de son père irrité & offencé de sonimpudence : mais néantmoins aussi jaloux de son bien & repos, comme du sien
199
propre .
Henri IV offrit l'oubli des fautes aux villes et aux particuliers dans le but que l'on ne ravive
pas les plaies et les douleurs du passé et que l'on puisse ainsi mettre fin aux guerres civiles.
Pourtant, paradoxalement, le roi joignait fréquemment aux édits de réconciliation une liste
de tous les actes répréhensibles commis par les villes ou les individus qui se ralliaient à lui.
C'est ce qu'il fit entre autres dans son édit de réconciliation de la ville d'Orléans puisqu'on
y retrouve une longue énumération des gestes déplorables qui avaient été faits :
Voulons aussi que la mémoire de tout ce qui s'est passé en ladicte ville & au-dedans du gouvernement d'icelle, depuis le commencement desdits presenstroubles jusques à présent demeure esteinte & assoupie, tant en la prise desarmes, forcement de la Citadelle, & autres villes, chasteaux, ponts, forteresses& maisons, desmolitions & demantellemens d'iceux, prise de deniers desreceptes générales & particulières, & des gabelles & vente de sel, & toutesautres impositions, & levées de deniers faictes tant en ladicte ville & Eslectiond'Orléans, qu'en toute la généralité, traictes & impositions foraines mises surles denrées & marchandises, vivres, fontes d'artillerie & boulets, confections depouldre & salpestre, prinse de tentes, pelles, hoyaux, sacs de toille, & autresmenus equippages servans à l'artillerie, & autres munitions de guerre,parctiques & mêmes de gens de guerre, prise d'argenterie, vente de biensmeubles, bois taillis, haute sufstaye par des particuliers, ou autrement, amendes,butins, levée & conduite de gens de guerre, rençons, actes d'hostilité, &
198 « Aux maire et habitans de Poitiers », 21 août 1594, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 209.199 « Lettres patentes en forme d'Edict, sur la Réduction du sieur Baron du Pesché, & de la ville de Chasteau-Thierry, au service de sa Majesté. », dans Recueil des edicts et articles accordez par le Roy Henry MI. pourla reunion de ses subiects (Paris, 1606), fol. 51.
généralement toutes autres choses, qui ont esté faites, gérées & negotiees, enquelque sorte & manière que ce soit, en public & en particulier, tant par lesEcclésiastiques, le sieur de la Chartres leur Gouverneurs, la levée àChasteauneuf des deniers par pancarte, qu'il a faict levé & recevoir, lesThresoriers de France, Eslvez des eslections de ladicte généralité, les Maire &Echvevins de ladicte ville & plat pays, pour raison de ce que dessus, que parcertains particuliers d'icelle envoyez par commandement du Duc de Mayenne,en quelque lieu, & pour quelque effect que ce puisse estre, dedans & dehors leRoyaume, sans qu'il en puisse à l'advenir estre faict aucune poursuitte &recherche en quelque sorte & manière que ce soit200.
La présence, dans un édit de réconciliation prônant l'oubli des fautes passées, d'une liste
aussi exhaustive des fautes commises ne peut être liée au hasard ou à la négligence. Cette
énumération visait sans aucun doute à mettre en relief la bonté et la clémence d'un roi prêt
à oublier toutes les offenses, aussi nombreuses soient-elles. Le premier Bourbon interdit
également à ses magistrats de faire des enquêtes sur le sujet, s'assurant ainsi qu'aucune
accusation ne soit portée et donc que personne ne soit reconnu coupable.
Là où le pardon serait venu accuser ou condamner, l'oubli venait effacer tous les
torts. Toutefois, éliminer des éléments du passé dans le but d'alléger l'histoire, même
lorsque l'on vise la réconciliation, comporte plusieurs risques201. Ce genre de pratique peut
notamment donner l'impression que le mal qui a été fait n'a pas été pris au sérieux. Le
Béarnais pardonna aux ligueurs, mais en leur offrant l'oubli par la même occasion, il leur
enleva toute responsabilité dans le conflit. Le refus de reconnaître des coupables à un
conflit ayant causé tant de souffrance dans le royaume pendant plus de 30 ans explique que
l'on ait par la suite tenté d'en trouver, en rejetant la responsabilité de ces horreurs sur les
mauvaises personnes.
B.2 La justification des révoltes
En plus de pardonner et, souvent, d'oublier les trahisons commises par les grands et
les villes, Henri IV justifia et excusa leur prise d'armes. Il faut tout de même comprendre
qu'à l'époque, l'insurrection armée était admise avec une certaine indulgence chez la
noblesse. Les grands nobles qui se révoltaient avaient le sentiment - ou encore feignaient
200 « Edict du roy sur la réduction de la ville d'Orléans en son obeyssance. », dans Ibid, fol. 9.201 Digeser, op. cit., p. 12.
59
de l'avoir - d'obéir à un devoir envers eux-mêmes et envers le peuple : il s'agissait du
« devoir de révolte », selon le terme d'Ariette Jouana202. Plus le rang des nobles était élevé,
plus l'on se devait d'être tolérant envers leurs soulèvements. Ainsi, les ducs de Guise, de
Mayenne et de Montmorency possédaient, grâce à leur puissance féodale, ce droit à
l'insurrection . En raison de ce droit implicite à la révolte et en raison de sa conversion
tardive au catholicisme - qui donnait en quelque sorte raison aux grands nobles de s'être
insurgés pour protéger leur religion -, Henri IV pouvait difficilement condamner
entièrement les gestes des grandes nobles. Ainsi, dans un édit de réconciliation concernant
la reddition du duc de Mercoeur, promulgué le 26 mars 1598, Henri IV écrivait ceci pour
excuser le ligueur revenu dans le camp royaliste :
[...] Nostre trescher & bien aimé Cousin le Duc de Mercoeur qui s'est trouvé sidisposé à nous rendre l'obéissance qu'il doit ensemble ceux qui estoient enarmes avec luy, que nous avons occasion d'estre contens & satisfaitsd'approuver le zèle qu'ils nous ont remonstré avoir eu en la Religion, &d'excuser à nostre Cousin de ce qu'il est demeuré si long temps en armes aprèsnostre reconciliation à nostre Sainct Père [...]204.
En plus d'excuser les nobles révoltés en faisant valoir leur volonté honorable de
préservation de la religion catholique en priorisant l'intérêt du royaume avant toute chose,
Henri IV reportait également la responsabilité des insurrections sur l'Espagne. Philippe II
avait effectivement soutenu les efforts de la Ligue, mais le fait de lui faire porter tout le
blâme était plus facile pour Henri IV que de reconnaître l'implication de sa haute noblesse
avec qui, après tout, il désirait se réconcilier. Cela avait de plus l'avantage de justifier la
guerre qu'il allait mener contre l'Espagne. Dans le préambule de l'édit sur la reddition de la
ville de Troyes, promulgué le 30 avril 1594, Henri IV prit ainsi la défense des ligueurs qui
s'étaient élevés contre lui, prétextant la mauvaise influence étrangère, celle de l'Espagne :
Le bon zèle que les François ont de tout temps porté à l'honneur de Dieu, & àce qui estoit de son service par-dessus toutes autres nations, nous ont fortpatiemment faict supporter & excuser la rébellion à laquelle ont esté portezplusieurs de noz subjects par divers artifices de nos ennemis, & l'appréhension,
202 Ariette Jouanna, Le devoir de révolte : la noblesse française et la gestation de l'État moderne (1559-1661),Paris, Fayard, 1989.203 Babelon, op. cit., p. 444.204 « Edict du Roy sur les articles accordez a Monsieur le Duc de Mercoeur, pour la Réduction, & des Villesde Nantes, & autres de la Bretagne, en l'obéissance de la Majesté. », dans Recueil des edicts, op. cit., fol. 129.
60
que dés le commencement de nostre advenement à la Couronne de France onleur avoit donnée de nostre establissement au préjudice de la ReligionCatholique, Apostolique & Romaine, à cause de la profession contraire, quenous en faisions lors, aussi nous ont il fait paroistre qu'aussi tost que lesoccassions de leur crainte ont esté ostees, & que par la grâce de Dieu ils n'ontveu avec eux joincts & réunis en une mesme Eglise, qu'ils n'avoient jamaispesé de se séparer de l'obéissance légitime & natuerelle qu'ils nousdoivent[...]205.
Dans l'édit sur la réduction de Saint-Malo, promulgué le 5 décembre 1594, Henri IV jeta
encore une fois le blâme sur les Espagnols, qu'il désignait comme les ennemis, qui avaient
selon lui influencé les ligueurs et les avaient éloignés de son autorité. Le souverain
s'efforçait donc de leur enlever les torts pour faciliter leur reddition et la réconciliation :
Le mesme rayon de ce Soleil Divin & tout-puissant, [...] a deffillé les yeux denos subjeccts offusquez d'infinis artifices & faux prétexte, avec lesquels nosennemis ne se sont contentez de les retirer de l'obeyssance du deffunct Roynostre tres-honoré sieur & frère dernier decedé, que Dieu absolue, mais aussiont tasché de leur interdire du tout la nostre & les en esloigner, afin de parvenirplus commodément au dessus de leurs ambitieuses prétentions206.
En leur pardonnant leurs fautes ou en leur offrant l'oubli, puis en justifiant leur prise
d'armes, Henri IV agit non seulement avec douceur et clémence, mais avec une grande
indulgence envers ceux qui l'avaient trahi.
Somme toute, il serait faux de dire que la douceur du premier Bourbon ne fut
réservée qu'au second ordre. Les princes de l'Ancien Régime accordèrent une importance
cruciale à la clémence, envers le peuple comme envers la noblesse, une tendance à laquelle
Henri IV n'échappa pas. De plus, la lecture de la correspondance du Béarnais montre son
indéniable préoccupation pour le sort de ses sujets et sa véritable affection envers eux.
Nous avons vu que les nobles et les villes, à la suite de leurs révoltes, obtinrent un
traitement extrêmement doux et clément de la part du roi. Nous verrons maintenant, dans le
troisième chapitre, si le premier Bourbon agit de façon aussi clémente envers les paysans
qui se révoltèrent dans le Sud-Ouest du royaume à partir de 1593.
205 « Edict et déclaration du roy sur la réduction de la ville de Troyes, sous son obéissance. », dans Ibid, fol.32.206 «Edict du Roy, sur la réduction de la ville et Chasteau de S. Malo, en l'obéissance de sa Majesté. », dansIbid., fol. 75 et 76.
61
Chapitre 3 : Les Croquants : une étude de cas
Les révoltes qui eurent lieu dans le Sud-Ouest du royaume de France à la fin des
guerres de Religion constituent de bons exemples de soulèvements populaires qui ne furent
pas réglés de façon expéditive par un simple recours à la répression. En fait, le roi, les
autorités locales et la noblesse de province durent ensemble négocier les façons d'apaiser
ces conflits, prouvant que l'usage de la force ne fut pas la seule voie envisagée et utilisée.
Nous effectuerons d'abord un survol des révoltes paysannes à l'époque moderne en Europe
afin de bien comprendre le contexte de ces soulèvements. Puis, nous verrons les méthodes
qui furent prises par les différents protagonistes pour mettre fin à ces émotions populaires.
1. Paysans et révoltes
Afin de bien saisir les soulèvements des Croquants qui survinrent à la fin des
guerres de Religion, il est essentiel de comprendre qu'ils s'inscrivirent dans un mouvement
plus global : celui d'une vague de révoltes populaires qui enflamma toute l'Europe de
l'Ouest. Avant d'étudier la façon dont on a mis fin à ces soulèvements, il est également
primordial de connaître les motifs qui ont poussé les paysans à se révolter et les
circonstances dans lesquelles ces conflits surgirent.
A. Un temps de révoltes
La fin du Moyen Âge et la première moitié de l'époque moderne furent des périodes
particulièrement propices à l'éclosion de révoltes à travers l'Europe occidentale. Nous
verrons d'abord comment ces soulèvements, dans lesquels s'inscrivent les révoltes des
premiers Croquants dans le Sud-Ouest de la France, touchèrent toute cette partie du
continent. Ensuite, nous observerons de plus près les agitations qui se déroulèrent en France
pour finalement étudier plus en détail le déroulement de ces révoltes dans le Sud-Ouest du
royaume.
62
A.l Les révoltes en Europe de l'Ouest
Du XIVe au XVIIe siècle, les paysans de l'Europe de l'Ouest connurent une
importante période d'agitations au cours de laquelle des révoltes populaires éclatèrent en
grand nombre dans cette région du globe. Ces soulèvements paysans furent toutefois d'une
intensité et d'une fréquence plus importantes au cours des XVIe et XVIIe siècles207. Le
Pèlerinage de la grâce en Angleterre en 1536-1537, la révolte de la Catalogne en 1640, la
révolte de Naples en 1647, la guerre des paysans suisses en 1653 et la révolte des Lustucrus
du Boulonnais en 1662 ne constituent que quelques exemples de soulèvements populaires
qui se déclenchèrent au cours de la période en Europe occidentale. Bien loin de viser, à
l'image des mouvements révolutionnaires, une modification radicale de la société, ces
soulèvements naquirent souvent, au contraire, d'un désir de conservation des traditions et
des pratiques établies dans la société. Ces agitations paysannes s'expliquèrent donc
généralement par une résistance aux bouleversements majeurs que le continent connut
pendant cette période, particulièrement sur le plan politique. Au cours de ces siècles, la
plupart des États de l'Europe de l'Ouest accrurent leur centralisation et rationalisèrent leur
administration, ce qui occasionna plusieurs changements dans la société. L'expansion des
États se traduisit notamment par un affaiblissement des autonomies locales dont les origines
remontaient souvent à l'époque médiévale. Ainsi, le développement des États modernes
entraîna la disparition des privilèges de lieux et de personnes, ainsi que des particularismes
et des libertés issus du Moyen Âge208. Le développement des États eut également un impact
important sur le plan fiscal puisque les prélèvements d'impôts devinrent des mesures
permanentes, et non plus des règles exceptionnelles mises en place pour répondre à des
besoins précis. Qui plus est, avec les guerres engendrées par cette montée des États, tous les
pays de l'Europe de l'Ouest durent augmenter leurs taxations, et ce, à un moment où la
collecte des taxes devint de plus en plus efficace grâce à une meilleure centralisation de
l'administration, ce qui contribua à augmenter le fardeau fiscal des paysans209. La poursuite
de guerres eut également des conséquences sur les paysans puisqu'elles supposaient
207 Michael A. Mullett, Popular Culture and Popular Protest in Late Médiéval and Early Modem Europe,London; N e w York, Croom Helm, 1987, p. 1.208 Bercé , Révoltes et révolutions, op. cit., p. 189.209 Edgar Kiser et April Linton, « The Hinges of History: State-Making and Revolt in Early Modem France »,American Sociological Review, 67 (Décembre, 2002), p. 892.
63
souvent le logement des troupes, qui fut d'ailleurs à l'origine d'un grand nombre de prises
d'armes populaires au cours de la période210. Les XVIe et XVIIe siècles connurent
également leur lot de difficultés économiques. Les travaux d'Emmanuel Le Roy Ladurie
ont montré qu'un refroidissement de longue durée, un petit âge glaciaire, débuta en Europe
à partir de la dernière décennie du XVIe siècle, causant des baisses de récolte et un
bouleversement de l'économie paysanne211. De surcroît, l'Europe fut touchée par une
longue période d'inflation, par une dépression économique, par des crises de subsistance et
par des épidémies, une série d'épreuves qui, sans être des causes directes des révoltes,
envenimèrent les conditions de vie déjà pénibles des paysans et contribuèrent à alimenter le
mécontentement qui mena à certains soulèvements populaires212.
La majorité des révoltes qui se produisirent en Europe occidentale au cours de cette
période ne réussirent pas à faire changer les choses, bien que certains soulèvements furent
suivis d'une amélioration incontestable de la qualité de vie des paysans. Néanmoins,
certains de ces progrès étaient inévitables et seraient survenus avec ou sans ces révoltes,
particulièrement lorsqu'ils étaient reliés aux facteurs économiques et démographiques. Ces
améliorations de l'existence paysanne pouvaient également être associées à une prise de
conscience de la part des seigneurs et des gouvernements des limites où l'on pouvait
pousser le petit peuple .
Au cours du dernier siècle de l'époque moderne, les révoltes populaires diminuèrent
considérablement, surtout grâce à la croissance de la monopolisation de la force par l'État -
l'expansion des forces militaires prêtes à combattre les révoltés y était pour quelque chose -
et à la bureaucratisation - qui amena progressivement l'élimination des causes des
soulèvements paysans214. La révolution agricole, amenant une plus grande productivité,
créa également de meilleures conditions de vie pour les gens de la campagne, qui
ressentirent de moins en moins le besoin de prendre les armes.
210 Bercé, Révoltes et révolutions, op. cit., p. 189.211 Emmanuel Le Roy Ladurie, « Climat et récoltes », Annales : économies, sociétés, civilisations, 15 (1960).212 Perez Zagorin, Rebels and Rulers, 1500-1660, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, vol. 1, p.139.213' Mullett, op. cit., p. 3.214Ruff, op. cit., p. 213.
64
A.2 Les révoltes en France
La France fut le pays de l'Europe de l'Ouest qui connut le plus grand nombre de
soulèvements paysans au cours de l'Ancien Régime215. Les grandes révoltes populaires qui
ébranlèrent le royaume coïncidèrent avec les guerres menées à l'intérieur et à l'extérieur du
territoire. Les guerres italiennes, les guerres de Religion et la guerre de Trente ans furent
toutes ponctuées de révoltes paysannes importantes puisque ces périodes de conflits
correspondaient aux moments où l'État augmentait son emprise sur les provinces et mettait
en branle ses innovations fiscales216. Parmi les quatre siècles d'agitations paysannes qui
touchèrent l'Europe occidentale, le royaume de France traversa une période plus difficile,
où les soulèvements populaires s'intensifièrent. Aussi, de 1580 à 1640, le royaume connut
une période de révoltes endémiques et récurrentes au cours de laquelle les membres du
troisième ordre subirent et combattirent les agressions des seigneurs, des aristocrates et de
l'État, qui étaient notamment aux prises avec les guerres de Religion217. Ces soulèvements
résultèrent entre autres des agressions subies par les paysans ainsi que des avancées fiscales
relatives au développement de l'État et furent exacerbés par les détériorations climatiques
et la croissance démographique. La polarisation de plus en plus grande de la société entre
une minorité de gens prospères et une majorité de gens pauvres, à partir du début du XVIe
siècle, s'accentua au début du XVIIe siècle et créa des conflits autour de la taxation toujours
plus grande qui retombait sur les plus démunis218.
Parmi les révoltes anti-fiscales qui frappèrent la France, celle des Croquants de 1637
fut la plus dangereuse et la plus célèbre, alors que près de 30 000 paysans armés se
rassemblèrent à Périgueux au mois de mai219. Les paysans baissèrent les armes le 1er juin de
la même année, après la bataille de La Sauvetat au cours de laquelle un millier d'entre eux
périrent. Des révoltes de gravité comparable continuèrent à éclore au cours du XVIIe siècle,
entre autres avec les Nu-Pieds de Normandie en 1637, les Sabotiers de Sologne en 1658 et
215 Zagorin, op. cit., vol . 1, p. 214 .216 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 678.2 1 7 Mulle t t , op. cit., p. 4.218 Robin Briggs, Communities of Belief: Cultural and Social Tensions in Early Modem France, Oxford,Oxford University Press, 1989 , p. 109.219 Bercé, Révoltes et révolutions, op. cit., p. 192.
65
les Lustucrus du Boulonnais en 1662, des révoltes qui visaient, selon Bercé, à défendre les
privilèges provinciaux.
La façon dont les rois mirent fin aux révoltes populaires à l'époque moderne en
France connut, nous l'avons vu en introduction, un tournant majeur avec l'arrivée de Louis
XIV sur le trône, alors que la répression s'intensifia. D'ailleurs, à partir de 1707, vers la fin
du règne du Roi-Soleil, les révoltes paysannes disparurent pendant trois quarts de siècle en
France, en raison d'une panoplie de facteurs parmi lesquels on compte l'omniprésence
d'une armée, l'existence d'une administration executive, la dislocation de la personnalité
communale, l'affaiblissement des pouvoirs locaux et municipaux, ainsi que
l'individualisme agraire et l'embellie économique220.
A.3 Les révoltes dans le Sud-Ouest de la France
Le Sud-Ouest du royaume de France fut particulièrement touché par les
mouvements insurrectionnels - qui furent plus radicaux qu'ailleurs - notamment en raison
de son caractère excentré. En 1548, la révolte des provinces aquitaines contre l'introduction
de la gabelle - l'impôt sur le sel - marqua le début d'une série de révoltes populaires qui
touchèrent particulièrement cette région221. Au cours du règne de Henri IV, que l'on
considère comme une période relativement paisible pour la paysannerie, plusieurs révoltes
éclatèrent dans tout le royaume à la fin du XVIe siècle en raison de la lassitude paysanne
face aux guerres de Religion. Ainsi, de 1589 à 1597, en Comminges, en Velay, en
Bourgogne avec les Bonnets rouges, en Normandie et en Perche avec les Gauthiers, et en
Bretagne, des mouvements d'agitations paysannes se mirent en branle222. Mais ce fut
cependant le Sud-Ouest qui connut les plus fortes contestations populaires du règne du
premier Bourbon avec les soulèvements des premiers Croquants. Il s'agit d'une série de
révoltes qui éclatèrent en 1593 dans la vicomte de Turenne - le plus grand fief de
l'Aquitaine situé dans le Sud-Ouest de l'Auvergne - et qui s'étendirent par la suite en
Limousin, en Périgord, en Marche, en Quercy, en Agenais, en Angoumois et en
220 Bercé, Croquants et nu-pieds, op. cit., p. 57.221 Yves-Marie Bercé dénombre de 450 à 500 révoltes en Aquitaine entre 1590 à 1715.222 •Bercé, Croquants et nu-pieds, op. cit., p. 49.
66
Saintonge - soit presque toute l'Aquitaine - pour prendre fin en 1595223. Les révoltés, qui
prirent le nom de Tard-Avisés parce qu'ils avaient hésité à prendre les armes, étaient
affublés par dérision du sobriquet de Croquants, qui fut par la suite repris pour différentes
révoltes - celles du Quercy en 1624, de l'Angoumois en 1636, du Périgord et du Quercy en
1637, de la Gascogne de 1639 à 1643, du Rouergue en 1643 et finalement du Limousin en
1650224. Il est difficile de connaître l'origine de ce surnom, mais selon le chroniqueur
Palma Cayet, il s'agirait du mot que les paysans utilisaient pour désigner les gentilshommes
guerriers qui ne demandaient qu'à « croquer le peuple »225. Le sobriquet aurait ensuite été
repris pour désigner, par raillerie, les paysans révoltés. Selon d'Aubigné, écrivain
protestant, et Tarde, chroniqueur des révoltes périgourdines, il viendrait plutôt du fait que
les premières révoltes seraient nées dans la paroisse de Croc, en Limousin . Selon Bercé,
le terme pourrait également tirer ses origines du mot croc - bâton habituel du paysan qui
servait à se battre ou à rassembler les bêtes - et pourrait donc désigner un paysan armé d'un
bâton227. Le dictionnaire de Furetière définissait d'ailleurs ainsi le mot croquant : « Gueux,
misérable qui n'a aucuns biens, qui en temps de guerre n'a pour toutes armes qu'unTTC
croc . » On peut toutefois s'entendre pour dire qu'il s'agissait d'un nom injurieux dont on
se servait pour désigner les paysans révoltés, particulièrement lorsque les soulèvements
survenaient dans le Sud-Ouest de la France.
Les révoltes des premiers Croquants, même si elles s'étendirent sur trois années,
furent intermittentes. Il s'agissait en fait de plusieurs prises dlarmes d'une durée limitée.
Sans connaître la date exacte du premier soulèvement, nous savons qu'il éclata sans doute à
la fin de l'année 1593, selon les premières traces laissées dans les archives229. Le 31
décembre 1593, le parlement de Bordeaux rendait un premier arrêt contre les Croquants
et, le 22 janvier 1594, le conseil entendit les remontrances du trésorier de France en la
généralité de Limoges au sujet de soulèvements populaires, ce qui nous indique que les
23 Voir les cartes des annexes I et IL224 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 639.225 Palma Cayet, op. cit., livre 5-6, p. 2 2 2 .226 D'Aubigné , op. cit., p. 3 2 5 et Tarde, op. cit.227 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 643.228 Furetière, op. cit.
2 9 U n e chronologie des événements se retrouve en annexe III.230 Voir « Lettre du procureur général du parlement de Bordeaux à Henri IV », 18 avril 1594, dans A. H.Gironde, T. 14 (1873), p. 308.
67
révoltes commencèrent au plus tard en décembre 1593 . Le nombre de personnes
impliquées dans chaque soulèvement variait d'une révolte à l'autre. Ainsi, 2 000 personnes
s'assemblèrent à St-Yrieix et St-Léonard, en Limousin, en mai 1594, de 7 000 à 8 000
paysans se rassemblèrent dans la forêt d'Abzac, près de Limeuil, le 23 avril 1594 et 12 000
paysans se rendirent à Dognon, en Limousin, au début de l'année 1594232. Le plus
important attroupement eut toutefois lieu à La Boule, près de Bergerac, en Périgord, le 31
mai 1594 et attira de 20 000 à 40 000 paysans périgourdins233. De l'automne 1593 à
l'automne 1595, au moins 21 assemblées paysannes eurent lieu dans le Sud-Ouest, soit 13
en Périgord, six en Limousin et deux en Agenais234. Le noyau des soulèvements se situa en
Limousin et en Périgord. La structure de l'organisation des révoltes fut semblable à toutes
celles qui suivirent puisqu'elles recoururent aux mêmes procédés : la succession des
assemblées, des convocations de proche en proche, la rédaction de manifestes envoyés dans
chaque châtellenie, l'enrôlement de paysans et la sommation des villes235. Voilà comment
Jean Tarde décrivait le déroulement des assemblées des Croquants et la façon dont les
révoltes se répandaient d'une ville à l'autre :
En leurs premières assemblées, ilz se promettoient fidélité les uns aux autres etprochassoient de faire déclairer le plus de parroisses qu'ilz pouvoient et, pourcet effet, escrivoint des letres contenant leurs griefz, et les envoyoint de bourgen bourg et de ville en ville. Chasque parroisse, après s'estre déclairée, faisoitune companie, eslizoit son capitaire, son lieutenant et autres membres,provoyoit d'avoir une enseigne et un tambour et, allant aux assemblées,marchoient en ordre de bataille, le tambour bâtant et l'enseigne déployée236.
Toutefois, le passage des révoltes d'une province à l'autre était toujours difficile, même si
dans ce cas-ci, elles s'étendirent à plusieurs provinces. Les révoltes s'estompèrent au cours
des mois de septembre et d'octobre 1595. Voyons maintenant les facteurs qui amenèrent les
paysans à sortir de leur quotidien pour prendre les armes.
231 Nouail lac, loc. cit., p. 324 . Voir aussi « Lettre du procureur général de Bordeaux à Henri IV », 18 avril1594, dans A. H. Gironde, T. 14 (1873) , p. 308.2 3 2 Hol t , op. cit., p. 157.
î3 Jean Tarde estimait qu'ils étaient 20 0 0 0 (Tarde, op. cit., p. 326) , alors que Palma Cayet en comptait35 000 à 40 000 (Palma Cayet, op. cit., p. 229) .234 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 264.235 Ibid., p. 292 .236 Jean Tarde, op. cit., p. 325.
68
B. Les motifs des révoltes du Sud-Ouest
Pour bien saisir le déroulement des révoltes et la façon dont on y a mis fin, il faut
tout d'abord en comprendre les raisons. Nous verrons en premier lieu comment la situation
unique de la région amena le Sud-Ouest du royaume à être particulièrement touché par les
guerres de Religion. Puis, nous observerons les impacts économiques qu'eurent ces guerres
civiles sur la paysannerie.
B.l Le Sud-Ouest dans les guerres de Religion
De tout temps, les guerres ont causé bien des peines aux populations locales qui
furent souvent les premières et principales victimes de ces conflits. Dans le cas des guerres
de Religion en France, puisque la majorité des combats se déroulèrent sur le territoire
national, certaines régions habitées devinrent des champs de bataille, d'autres, des lieux de
passage ou de logement des garnisons. La population paysanne fut ainsi durement ébranlée
par les événements. Si les guerres ne touchèrent pas la totalité du pays et qu'elles ne
sévirent pas sans interruption, la région du Sud-Ouest fut particulièrement éprouvée
puisqu'elle fut le théâtre de nombreuses batailles et que des milliers de troupes passèrent
sur le territoire au cours des 30 années précédant les révoltes237. En fait, tout le Sud du
royaume subit de graves destructions et fut beaucoup plus touché que le Nord de la France,
du moins avant 1585238. Il faut dire que le protestantisme connut, dès 1559, une percée
exceptionnelle dans le Midi, bien que l'on compta des adeptes de la Réforme dans tout le
royaume239. La France méridionale représenta un terreau fertile pour le protestantisme en
raison de son éloignement du centre et de son anti-cléricalisme, mais également en raison
des affinités entre la doctrine de Calvin et les mœurs et la culture du Sud °. La religion
réformée y occupa donc une position de domination qui rendit son déracinement très
difficile. Si bien que peu de villes du Sud furent touchées par la vague de défection qui
suivit les massacres de la Saint-Barthélémy dans le Nord du royaume241. On décela même,
237 Holt, op. cit., p. 154.38 Jouanna et al, Histoire et dictionnaire, op. cit., p. 416.
239 Voir la carte en annexe IV.240 Janine Garrisson- Estebe, Protestants du midi 1559-1598, Toulouse, Privât, 1980, p. 335 .241 Philip Conner, Huguenot Heartland : Montauban and Southern French Calvinism During the Wars ofReligion, Aldershot, Ashgate, 2002, p. 4.
69
dans le Midi, un croissant protestant qui s'étendait de La Rochelle à la Dauphinée et où les
trois quarts de la population huguenote de la France résidaient après la proclamation de
l'édit de Nantes en 1598242. Janine Garrisson y vit d'ailleurs la création d'un État calviniste
du Sud qui opéra pendant 40 ans, suggérant que les protestants de la région méridionale
fonctionnèrent de façon indépendante du reste du royaume au cours du XVIe siècle243.
À partir de l'assassinat du duc de Guise en décembre 1588, les ligueurs gagnèrent
également du terrain en Guyenne, mais ne réussirent toutefois pas à s'allier la capitale,
Bordeaux, qui demeura fidèle au roi244. En mai 1589, la ville de Périgueux se déclara pour
la Ligue, ce que firent également les Agenais au mois de juin. Agen devint alors la capitale
de la Ligue dans la province, le parlement et le bureau des finances de Guyenne y furent
même transférés par le duc de Mayenne245. Sarlat ne suivit toutefois pas la tendance et resta
neutre jusqu'au 7 mars 1591, alors que le seigneur de Mompezat fit tomber la ville aux
mains de la Ligue246. Des villes importantes furent assiégées - comme St-Yrieix et Tulle,
en Limousin - mais furent en général plus épargnées que le plat pays. En 1589, la Ligue
comme le parti royaliste avaient tous deux établi leurs places de sûreté dans les provinces
aquitaines. L'équilibre des forces entre les deux parties engendra une certaine lassitude des
partisans247. À partir des années 1590, des trêves locales, de durée variant de quelques mois
à un an, étaient régulièrement conclues par les gentilshommes et les magistrats des deux
factions afin de mener à bien les labours, la moisson ou les vendanges. Le général de
Matignon, le gouverneur royaliste de Guyenne, conduit tout de même de nombreuses
batailles contre la noblesse ligueuse le long de la vallée du Dordogne pendant la décennie•lin
1590 . Malgré cela, plusieurs seigneurs se réfugièrent temporairement dans leur forteresse
pour en ressortir une fois le danger écarté et reprendre leur pillage des campagnes.
242 Mark Greengrass, France in the Age of Henri IV: The Strugglefor Stability, Londres, Longman, 1984, p.43-44 et Conner, op. cit., p. 4.243 Garrisson- Estebe, op. cit.244 F. Gebel in , « Le gouvernement du maréchal de Mat ignon en G u y e n n e pendant les premières années durègne de Henri IV (1589-1594) », Revue historique de Bordeaux et du Département de la Gironde (1909), p.356.245 Ibid., p. 359.246 Jean Tarde, op. cit.247 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 257.248 Salmon, op. cit., p. 2 8 4 .
70
À la nouvelle de l'abjuration de Henri IV en juillet 1593, l'espoir se fit sentir dans
les provinces aquitaines : les villes royalistes célébrèrent en allumant des feux de joie, alors
que des villes ligueuses commencèrent tranquillement à se rallier au cours des mois qui
suivirent. Périgueux reconnut l'autorité de Henri IV le 7 avril 1594, suivi de Sarlat deux
jours plus tard. Le maréchal de Monluc, sénéchal d'Agenais, se rallia le 20 avril, et le
Quercy fit de même quelques jours plus tard. Bientôt, il ne resta plus en Guyenne que
quelques irréductibles : le baron de Gimel, chef de la Ligue en Bas-Limousin, et le marquis
de Villars, lieutenant général de la Ligue en Guyenne249.
Le Sud-Ouest du royaume, en raison notamment de sa forte allégeance au
protestantisme, additionnée d'une importante présence ligueuse, fut particulièrement touché
par les guerres de Religion. Les populations subirent donc de nombreuses épreuves pendant
plus de 30 ans, ce qui les poussa, entre autres, à la révolte. Il faut dire que les impacts
économiques de ces guerres pesèrent également bien lourd sur la paysannerie.
B.2 Les impacts économiques des guerres de Religion
En 1590, à la suite de près de 30 ans de guerre, les conséquences économiques du
conflit furent particulièrement catastrophiques. Le royaume de France était en ruine, la
famine était généralisée et la population avait décliné, atteignant un des creux les plus
importants des XVIe et XVIIe siècles250. Les épidémies de peste, pendant la décennie 1580
et de 1596 à 1598 , furent particulièrement virulentes, comme le prouve d'ailleurs les
occurrences de ce sujet dans les Mémoires de Jean Burel. « La peste nous a assortis,
écrivait-il, non seulle, mays accompaignée de la cherté ou famine252. » La révolte des
Croquants coïncida d'ailleurs avec une crise aiguë de subsistance qui toucha toute l'Europe,
en raison du froid et des pluies abondantes qui sévirent en cette décennie 1590, qui fut la
plus froide du XVIe siècle253. Du reste, les pires années de famine eurent lieu de 1594 à
1597, années qui correspondent aux soulèvements des Croquants. Le passage des gens de
249 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 2 5 7 .250 Babelon, op. cit., p. 770.251 Jouanna et al, op. cit., p. 426.'2 Mémoires de Jean Burel : Journal d'un bourgeois du Puy à l'époque des guerres de religion, édition
préparée par A. Chastaing, Saint-Vidal, 1983, p. 105.253 Zagorin, op. cit., vol. 1, p. 125.
71
guerre et le logement des troupes sur le territoire figurèrent parmi les épreuves les plus
odieuses subies par les populations locales au cours des guerres de Religion. Pour le petit
peuple, cela impliquait de subir les diverses exactions de la soldatesque. Aussi, pillages,
incendies, confiscations, viols de femmes et d'enfants et non-respect des trêves faisaient
partie du lot de malheurs associés aux passages des garnisons dans sa communauté. Un
extrait d'une lettre du parlement de Bordeaux, adressée à Henri IV, décrit très bien le genre
d'abus que connurent les paysans :
Nostre Souverain Seigneur, nous avons, par nos précédentes, représenté à V. M.Testât de ceste vostre province, affligée non seulement des continuelleshostillités des ennemyz, mais des desordres et oppressions de ceulx qui disentvous obeyr, et spécialement des gens de guerre, qui, au lieu de vivre avecdiscipline, repousser la violence et protéger vostre peuple, luy servent de fléau,font ordinairement mestier de le rançonner, espuisent la substance des églises,pillent le bestailh du labouraige et mettent vostre peuple au pain querant;commettent toute espèce d'actes comme rapts, meurtres, saccaigements,desmolitions et des cruautés inouyes [...]254.
Dans son Histoire universelle, Jacques-Auguste de Thou faisait également état des
tourments de la paysannerie face aux passages des gens de guerre :
Cette même année [1594] il y eut en Guyenne des troubles beaucoup plusdangereux; l'occasion de ces mouvemens, fut que les habitans de cette Provinceayant extrêmement souffert dans les dernières guerres, & souffrant encore desravages qu'y faisoient les soldats, qui commettoient impunément toutes sortesde crimes, le desespoirt fit prendre les armes aux payisans du Périgord, duLimousin & du Poitou255.
Les inconduites de la noblesse en ce temps de guerres civiles contribuèrent
également à semer les germes de la révolte et amenèrent les paysans, catholiques comme
protestants, à s'unir pour un retour au régime seigneurial traditionnel, dénué d'exactions.
Les gouverneurs ligueurs en Limousin et en Périgord terrorisaient notamment les paysans
de leurs provinces, en stationnant leurs troupes dans les villages, en saisissant des
propriétés et en exigeant des droits seigneuriaux excessifs256. En Bas-Limousin par
exemple, le baron de Gimel, qui avait une garnison qui ne comptait que 30 cuirassiers et
254 «Lettre du Parlement de Bordeaux au roi », 27 janvier 1592, dans A. H. Gironde, T. 10 (1868), p. 575.255 De Thou, op. cit., T. 12, p. 172.256 Salmon, op. cit., p. 156.
72
100 arquebusiers, aurait levé annuellement sur la province d'importantes sommes d'argents
et commis bon nombre d'excès envers la population257. Ces litanies d'abus furent d'ailleurs
corroborées par Jean Tardes qui écrivit dans ses chroniques : « Hz [les Croquants] se
plaignoint de ce que les gentilzhomes les contraignoit par emprisonnement de payer la rante
au double et triple de ce qu'ilz debvoint, et, après avoir payé, ne vouloint bailler quittance
et, en tout et par tout, les traitoint en qualité d'esclaves . »
Une croissance abusive des impôts envenima également la vie paysanne,
particulièrement avec la présence des tailles militaires. Les chefs du parti royaliste comme
ceux de la Ligue levaient chacun des impositions auprès des habitants des territoires qu'ils
contrôlaient259. Par exemple, en Agenais et en Quercy, le comte de Montpézat levait les
tailles pour la Ligue, alors que Jean-Biaise de Monluc recevait les tailles pour le roi : les
communautés furent donc condamnées à les payer deux fois °. Dans une lettre circulaire
datée du 27 mars 1594, les Croquants du Périgord s'adressèrent aux habitants de Limeuil
pour les convoquer à une assemblée. Ils y décrivirent les horreurs qu'ils avaient vécues,
dénonçant les abus de tailles qui s'ajoutaient à leurs nombreux malheurs :
Le plat pays, ruiné entièrement par un grand nombre de brigands, mesmes lespaouvres laboureurs qui, apprès avoir souffert par tant de fois les logis des gensd'armes d'ung et d'autre party qui les ont réduits à la faim, forcé femmes etfilles, prins leurs bœufs par plusieurs fois et fait délaisser les terres incultes,mais encore en on faict mourir de fain une infinité dans les prisons, pour nepouvoir payer les grandes tailles et subcides que l'ung et l'autre party les ontcontrainctz de payer261.
De même, un passage d'une lettre du parlement de Bordeaux, adressée au roi et datée du
7 février 1591, dressait un portrait plutôt sombre de la situation qui prévalait dans la
province de Guyenne. Cette lettre, comme plusieurs autres du même type qui furent
envoyées au roi, démontre que les paysans supportèrent beaucoup d'épreuves pendant une
longue période avant d'en venir à prendre les armes. Ainsi, près de deux ans avant le
257
258Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 279.Tarde, op. cit., p. 325.
259 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 280.260Ibid.,p. 281.261 « Lettre circulaire du Tiers-Etat de Périgord aux habitans de Limeuil, portant convocation à une assembléeà Château-Missier », 27 mars 1594, dans BN, Ms. Fr. 23194, p. 373, éd. G de Gérard et G. Tarde, 1887, p.395, tiré de Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 701.
73
déclenchement des révoltes des Croquants, le parlement lançait un appel à l'aide au roi,
redoutant déjà que le mal subi par les gens de la campagne puisse avoir des conséquences
fâcheuses :
Par ce moyen [sur les levées de deniers dont beaucoup abusent], voz subjectz,accablés de levées et impositions, n'ont moyen de se sustenter, et les forces quisont à la campaigne achèvent de ruyner ce pays, de sorte que les entiersvillaiges en sont désolez, et si Dieu ne la grâce à V. M. d'y apporter ung reposle pays s'en va désert, le peuple en desespoir, et ne trouvera aulcun moyen poursoubstenir les fraiz de la guerre ny mesmes pour sa défense et conservation .
Ainsi, aux prises avec une montée étatique remettant en cause le monde tel qu'elles
le connaissaient, les populations de l'Europe de l'Ouest s'agitèrent fortement du XIVe au
XVIIe siècle. La France connut d'ailleurs les pires de ces révoltes, dont celles des Croquants
dans le Sud-Ouest du royaume, qui fut entre autres causées par la pénible situation vécue
par la région au cours des guerres de Religion, ainsi que par les impacts économiques de
ces conflits. Voyons maintenant comment le gouvernement de Henri IV réagit à ces
soulèvements.
2. Les autorités et les révoltes
Le règlement de soulèvements paysans, surtout lorsque ceux-ci survenaient loin du
centre, impliquait la collaboration de plusieurs acteurs dont certains, résidant sur place,
étaient plus directement touchés par les conflits. La simple présence de négociations entre
ces différents protagonistes sur les actions à entreprendre pour apaiser les révoltes des
Croquants montre que l'usage de la force par les autorités n'était ni systématique ni
irréfléchi. Et puisque les différentes personnes impliquées durent négocier ensemble les
méthodes utilisées pour enrayer les révoltes, il est impossible de comprendre la fin de ces
conflits en ne se penchant que sur les actions gouvernementales. Nous verrons donc, en
premier lieu, les mesures d'apaisement mises en place par Henri IV pour tenter d'éteindre
les agitations paysannes, puis, nous observerons comment la force fut également employée,
particulièrement par les élites locales, pour résorber les conflits. Finalement, nous porterons
262 « Lettre du Parlement de Bordeaux au roi Henri IV », 7 février 1591, dans A. H. Gironde, T. 10 (1868), p.565.
74
notre attention sur l'interaction des trois groupes d'influence sur les actions entreprises pour
régler les révoltes : le gouvernement, les élites locales et la noblesse de province.
A. L'apaisement
Même si les historiens ont longtemps cru que la force était l'unique méthode utilisée
par Henri IV pour faire face aux révoltes paysannes, le premier Bourbon n'eut pas comme
premier réflexe d'y mettre fin dans la violence, sans se poser davantage de questions sur les
méthodes à utiliser pour remédier à la situation. En fait, ses premières réactions furent
empreintes de clémence à l'égard de son petit peuple. Ainsi, dans sa correspondance, le roi
enjoignit les autorités en place à faire preuve de douceur envers les paysans révoltés. De
plus, à l'instar de ce qu'il avait fait avec les nobles impliqués dans les guerres civiles, Henri
IV justifia les révoltes populaires, pardonna aux paysans et leur offrit l'oubli. Le roi opta
donc, en premier lieu, pour une politique d'apaisement plutôt que d'ordonner bêtement un
écrasement des soulèvements par la répression.
A.1 Un appel à la clémence
Fidèles à ses discours, aux valeurs défendues par son gouvernement, les premières
réponses de Henri IV aux soulèvements croquants furent empreintes de clémence,
d'empathie et de compréhension. Dès le début de l'année 1594, le roi montra une certaine
sympathie pour les Croquants puisque, en février 1594, environ quatre mois après le
déclenchement des révoltes, Henri IV annonça l'envoi, en Limousin et dans les provinces
voisines où des soulèvements avaient eu lieu, de son conseiller d'Etat Jean de Thumery,
seigneur de Boissise, afin de recevoir les plaintes des paysans . Le rôle de Boissise
consistait en une mission résolument pacifique et conciliatrice264. Les gouverneurs avaient
par ailleurs reçu l'ordre de communiquer avec lui et de l'assister.
Dans la lettre que le roi adressa à Bourdeille au sujet des révoltes des Croquants le
11 mars 1594 - la première missive du roi traitant du sujet qui a pu être retracée dans les
archives -, Henri IV annonça l'arrivée de son conseiller en Limousin, en Périgord et en
63 « A Monsr de Boudeille », 11 mars 1594, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 111.264 Nouaillac, loc. cit., p. 329.
75
Saintonge avec la « charge et commission d'ouïr les plainctes et doléances des peuples
soublevez265 ». Dans cette missive, le roi montrait une ouverture certaine au dialogue et une
propension à la clémence envers les paysans révoltés : « Je désire, s'il est possible, que ce
remuement et desordre se compose par la douceur et que les dicts soulevez se
recongnoissent et posent les armes, en quoy je vous recommande d'apporter tout ce qui
despendra de vous, et de croire le dicts sr de Boissize en ce qu'il vous fera entendre de ma
part comme vous feriez à moy-mesme266. » Le message général transmis dans cette lettre en
fut un de douceur, incitant les autorités en place à renoncer à l'utilisation de la force contre
les paysans.
Au cours d'une assemblée tenue le 23 avril 1594 dans la forêt d'Abzac, en
Périgord267, les Croquants s'entendirent sur un certain nombre de revendications à présenter
au roi et élirent des députés qui allèrent les transmettre au conseil de Paris. Bourdeille en fit
mention dans sa lettre du 8 mai 1594, missive à laquelle le roi répondit le 30 juin en
indiquant que le conseil, qui avait entendu les députés du 23 au 27 mai, avait pris une
résolution et leur accorda notamment des décharges d'impôts et la promesse de les libérer
des gens de guerre268. Au moment de l'arrivée des demandes au conseil, le roi était déjà
parti pour la Picardie. Dans la première lettre qu'il adressa à Bourdeille le 11 mai 1594, le
roi expliquait qu'il avait demandé à son conseil d'entendre les plaintes des paysans, dont il
avait d'ailleurs été informé269. Il avait également laissé à son conseil des instructions à cet
égard et était bien décidé à poursuivre sa politique d'apaisement. Les représentants des
Croquants demandèrent au conseil que les nobles qui avaient opprimé les paysans, ayant
fait prisonniers certains d'entre eux dans les châteaux pour les torturer et pour obtenir une
rançon, soient traduits en justice. Ils revendiquèrent également une élimination de la
corruption des receveurs, la suppression des offices inutiles et la réduction des tailles .
Toutes ces demandes furent accordées aux paysans le 27 mai 1594. Le roi fit d'ailleurs
mention de la remise des arrérages de tailles dans sa lettre à Bourdeille : « Les arrérages des
décimes seront remis et accordez aux dicts ecclésiastiques, et ceulx des tailles pour les
265
266 Ibid.« A Monsr de Boudeille », 11 mars 1594, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 111.
Les détails de cette assemblée sont bien décrits par Palma Cayet, op. cit., livre 5-6, p. 223 à 229.268 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 260.269 « A Monsr de Boudeille », 11 mai 1594 - Ire, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 154.270 La discussion suivante est basée sur Salmon, op. cit., p. 286.
76
années passées, à quoy vostre tesmoignage leur a servy. J'estime qu'ils s'en retourneront
contens de moy, et je le seray d'eulx s'ils accomplissent ce qu'ils promettent271. » Le roi,
satisfait de ses gestes d'apaisement, s'attendait donc à ce que les paysans reçoivent ses
concessions avec contentement. Les Croquants avaient également demandé l'élection d'un
syndic qui servirait de tribune pour promouvoir les droits des paysans et la permission de
rester armés contre les ennemis du roi. Ces deux requêtes ne furent toutefois pas entérinées
par le conseil puisqu'elles furent sans doute jugées trop audacieuses par le roi. Cependant, à
l'image de ce qu'il avait fait pour les nobles et fidèle à ses discours sur la clémence, le
premier Bourbon promit son pardon aux Croquants, en échange de quoi ils devaient poser
les armes avant le 25 juin 1594272.
Dans une assemblée tenue le 12 juin suivant à Limeuil, les Croquants du Périgord
qui s'étaient fait entendre au conseil royal firent part aux autres de l'accueil favorable qu'ils
avaient reçu des représentants du roi. Toutefois, avant de cesser les révoltes, les paysans
souhaitaient que les requêtes contre la noblesse soient effectivement mises en application.
L'assemblée élut des députés pour réclamer la punition de plusieurs seigneurs, dont certains
avaient signé un manifeste de la noblesse. Ce faisant, les paysans refusaient d'adhérer à la
politique de réconciliation nationale du premier Bourbon, qui comprenait l'oubli des fautes
passées. Les révoltés demandaient à être pardonnes pour leurs gestes, mais espéraient la
punition de leurs oppresseurs, refusant ainsi le processus de dons et de contre-dons. À la fin
du mois de juin, Bourdeille invita les députés des paysans à une rencontre à Montignac
avec les membres de la noblesse et des représentants de Périgueux, de Sarlat, de Bergerac
et d'autres villes. Il réitéra le désir du roi de mettre fin aux troubles et de remettre les
arrérages de tailles, mais seulement quelques Croquants acceptèrent de baisser les armes.
D'autres assemblées paysannes eurent donc lieu en juillet et en septembre, sans toutefois
que d'autres attaques fussent lancées273.
271 « A Monsr de Boudeille », 11 mai 1594 - Ire, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 154.272 Tarde, op. cit., p. 326.273 Salmon, op. cit., p. 288.
77
Les révoltes des Croquants du Périgord ne cessèrent pourtant pas. En février 1595,
les États de Périgord s'assemblèrent à Périgeux et les Croquants y émirent d'autres
demandes, qui furent signées par 47 paroisses situées entre la Dordogne et le Lot274 :
[...] les Croquans, soubz le nom du « Tiers Estât du plats pays », se plaignentpar leur advocat du peu de debvoir que faisoit les ecclésiastiques et du mauvaistraitement qu'ilz recevoient de la noblesse, demandent un scindic, pour estrecomme un tribun du peuple, aux fins de les conserver en leurs libertés etprivilèges, que les tailles soyent remises en Testât qu'elles estaient avant lesguerres, que les nobles, qui avoint achepté les biens des roturiers pendant laguerre, fussent condamnés à payer la quote de la taille que tel bien payoitparavant, que les esleuz fussent supprimés et les tailles quotifiées par le juge-mage, qu'il soit deffendu de prindre le titre de noble à toutes persones exceptécelles qui sont issus d'ancienne noblesse, que ces évocations dont usent lesnobles, tant au parlement que conseil du roy, soyent cassées, comme plainesd'injustice, et que toutes nouvelles taxes soyent abolies275.
Ces requêtes complétaient celles présentées l'année précédente au roi et montrent que les
Croquants étaient consciemment engagés dans une lutte contre la noblesse, sans toutefois
qu'il y ait eu une volonté de refonte des structures sociales .
Les États de Périgord refusèrent d'accéder aux demandes des Croquants. En mars,
un chef des Croquants de Périgord, Antoine de La Saigne, notaire de la Douze, organisa le
siège de Périgeux afin de forcer les autorités à la négociation. Il insista encore une fois sur
l'impossibilité de faire la paix à moins qu'un syndic ne soit établi. Devant l'intransigeance
du maire de Périgueux et ayant peut-être été mis au courant de la puissante armée
assemblée par Bourdeille sous les ordres de Matignon, il montra une certaine ouverture au
règlement et offrit de payer les restes des tailles dues pour 1594, si la levée de 1595 pouvait
être baissée du quart277. Des articles de paix furent par la suite signés et envoyés au
gouverneur de Périgord. Toutefois, les consuls et le maire de Périgueux se retirèrent de leur
rôle de médiateur. Laissés à eux-mêmes, les nobles de l'armée de Bourdeille et les chefs
des paysans furent de plus en plus suspicieux les uns envers les autres et des escarmouches
reprirent entre les deux parties.
274 Ibid, p. 290-291.275 Tarde, op. cit., p. 327.276 Salmon, op. cit., p. 290.211 Ibid., ^. 291.
Du reste, les Croquants subirent peu de représailles de la part des autorités locales à
la fin des révoltes. Un des chefs paysans, nommé Boissonade, obtint la permission de se
retirer à Bordeaux. Les arrérages de tailles des années 1589 à 1593 furent levés, des
déclarations du roi confirmèrent en 1596 et 1600 les remises d'impôts consenties en 1594 à
la demande des députés des provinces. Les tailles furent également réduites en partie pour
les quatre années suivantes. En Limousin, les abus dans l'administration fiscale furent mis à
jour à la suite d'une enquête menée en 1598 et un édit royal, défendant les droits des
paysans, fut promulgué en mai 1595, bien que rien ne prouve que cela ait été fait en
réponse aux doléances du petit peuple278. Néanmoins, les paysans n'atteignirent pas leur
objectif premier : celui d'élire un officier pour se protéger des seigneurs.
En Limousin, Boissise fît finalement son arrivée vers la mi-juillet 1594. Au début
août, une assemblée fut convoquée à Brive par Abel de Pierre de Buffière, seigneur de
Chambaret et gouverneur du Limousin, à l'initiative du conseiller d'État et à l'image de
celle que Bourdeille avait tenue à Montignac. Elle visait à faire part aux Croquants des
concessions qui leur étaient offertes par le roi. Les délégués des villes et les Croquants
s'accordèrent pour désigner le baron de Gimel, le chef de la Ligue en Bas-Limousin,
comme le principal oppresseur de la région279. Ne réussissant pas à les convaincre de se
désarmer, Boissise autorisa l'assaut des Croquants au château du baron de Gimel, qui tenait
encore pour la Ligue. Il fit part au roi de sa décision :
[...] Monsr de Chamberet a esté d'une commune vois instamment requis de lapart de ce peuple, d'assiéger le chasteau de Gimel, qui est à la vérité cause detout le mal et désordre de ceste province, ayant cest garnison exercé plus decruautés, exactions et pilleries qu'il ne s'en peut dire ; de toutes lesquelles ilsuffira pour le présent que Vre Maté sache qu'elle lève tous les ans sur ce paiscinquante mil escus, sans les rançons et autres infinis excès, par lesquels cepeuple a esté enfin réduit au désespoir, estimant tout autre décharge que V. M.leur pourrait acorder inutile, s'il n'est premièrement délivré d'un si cruelennemi280.
Dans cette même lettre, Boissise demanda au roi de lui donner son avis sur cette
entreprise et, s'il l'acceptait, de commander à Henri de La Tour, duc de Bouillon, et à Anne
278 Nouaillac, loc. cit., p. 227-230.279 Salmon, op. cit., p. 289.280 « Lettre de Jean de Thumery à Henri IV », 8 août 1594, tiré de Nouaillac, loc. cit., p.343.
79
de Levis, duc de Ventadour, de lui livrer des canons afin de lui permettre d'assiéger le
château. Même si Boissise avait réalisé les vœux des Croquants du Limousin, cette attaque
était très avantageuse pour les royalistes, surtout parce qu'avec l'aide des paysans, ils
pouvaient prendre une forteresse ligueuse. De plus, le gouvernement s'assurait ainsi que les
Croquants allaient rendre les armes sans avoir à recourir à la force. Cela avait également
l'avantage de permettre ensuite au roi de leur demander de payer la taille : « Je voi toutes
choses faciles en ce pais pour le service de V. M. S'il pait à Dieu favoriser la réduction de
ceste place, autrement ce peuple ne mettra les armes bas que par force, et sera V. M.
dificilement secourue des tailles du bas-limosin . » Le roi accéda donc à la demande de
Boissise, reprenant son rôle de protecteur du petit peuple contre les oppressions de la
noblesse, mais peut-être également parce qu'il fut séduit par les avantages qu'il en
retirerait. La prise de Gimel, répondant aux vœux de Croquants du Limousin, fut la partie
principale de l'œuvre de pacification de Boissise . Le siège fut toutefois coûteux, pénible
et long : le baron se rendit dans la nuit de Noël 1594, après quatre mois de résistance, et fit
sa réconciliation avec Henri IV283. Malgré la prise de Gimel, les excès des seigneurs se
poursuivirent en Limousin, notamment parce que les amis du baron tinrent la campagne au
cours de l'année 1595 et reprirent même le château en novembre, ce qui raviva le
mécontentement des paysans.
En plus d'autoriser l'attaque de Gimel, le roi offrit d'autres concessions aux
Croquants du Limousin. Le 27 octobre 1594, dans un arrêt, le roi accorda aux habitants une
remise de la moitié des restes des tailles pour l'année 1593 :
Le Roy aiant cy devant sur les plainctes qu'il avoit receues des grandes chargeset levées de deniers qui se faisoient sur ses subjectz du plat pays de la généralitéde Limoges envoyé sur les lieux le sr de Boissize, conr en son conseil d'Estâtavec charge entre autres choses de les faire tenir en surséance pour le paiementde ce qu'ils peuvent debvoir à S. M. de reste des tailles et crues de l'annéedernière 1593 jusques à ce que par elle aultrement en fust ordonnée et voullantmaintenant qu'elle est plus particulièrement informée de la pauvreté etimpuissance de son peuple pourveoir à sa descharge et soulaigement aultant ou
281 Ibid.282 Nouaillac, loc. cit., p. 333.
83 Ibid., p. 332 et « Lettres patentes d'abolition obtenues par le sieur de Gimel et de ceulx qui l'ont suyvyavecq les articles cy attachées », Abbeville, juin 1596, Archives départementales de la Gironde, 1B16, fol.281 à285.
plus que la nécessité de ses affaires les peult permettre, S. M. estant en sonconseil a libérallement octroyé et remis à sesditz subjects habitans du plat paisde la généralité de Lymoges la moityé de ce que luy peuvent debvoir de restedes tailles et crues de l'année deraière[...]284.
En résumé, comme il le fit avec les nobles, Henri IV fit au départ preuve de
clémence envers les paysans révoltés, afin de les inciter à revenir au calme. Ses lettres
destinées aux autorités en place réclamaient un traitement doux pour les paysans. L'envoi
de son conseiller d'État dans le Sud-Ouest pour entendre les plaintes, la remise des
arrérages de tailles, l'autorisation de l'attaque du château de Gimel en Limousin et les
promesses de pardon furent autant de concessions qui montrent que le recours à la force ne
fut pas systématique et irréfléchi lorsque vint le temps pour Henri IV de mettre fin aux
soulèvements paysans. Il n'y avait pas, donc, de corrélation entre soulèvement populaire et
utilisation systématique de la force sous le gouvernement de Henri IV. D'autant plus que le
roi, comme avec les nobles, alla encore plus loin en pardonnant, en oubliant et en justifiant
les révoltes paysannes.
A.2 Pardon, oubli et justification
Nous avons vu que le premier Bourbon légitima les soulèvements des membres du
second ordre en soutenant qu'ils avaient agi dans le noble but de préserver la religion
catholique et qu'ils s'étaient, à ce sujet, laissé malencontreusement influencer par
l'Espagne. Dans la deuxième lettre qu'il adressa à Bourdeille le 11 mai 1594, Henri IV
écrivit qu'il attribuait les révoltes populaires aux impositions élevées et aux excès de
violence de la soldatesque à l'égard des paysans, reconnaissant la justesse de leurs griefs :
Monsr de Bourdeille, J'ay eu advis du sr de Chambaret d'une grandesoulevation de peuple que s'est faicte en Lymosin, soubs prétexte desexcessives impositions que l'on leur faict porter et des excès des gens de guerre.Je ne doubte poinct qu'ils n'ayent sur ce quelque subject de se plaindre [.. . ] 2 8 5 .
Non seulement le roi estimait que les paysans soulevés avaient de bonnes raisons de se
plaindre, mais il l'avouait publiquement. Pierre de l'Estoile rapporta dans son Journal,
284 « Arrêt du 27 octobre 1594 accordant aux habitants du plat pays de Limousin remise de la moitié des restesdes tailles pour l'année 1593 », BN, Ms. Fr. 18159, fol. 391, tiré de Nouaillac, loc. cit., p. 348.285 « A Monsr de Boudeille », 11 mai 1594 - Ile, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 155.
parmi les événements qu'il jugea marquant en juin 1594, cette réplique éloquente du
premier Bourbon sur les Croquants, qui, selon lui, en voulaient surtout aux gouverneurs et
aux trésoriers :«[ . . . ] jurant son ventre saint-gris, écrivit l'Estoile, et gossant à sa manière
accoutumée que s'il n'eut point esté ce qu'il estoit, et qu'il eut eu un peu plus de loisir, il se
fut fait volontiers Crocan286. » La célèbre boutade, bien qu'elle fût lancée à la blague,
justifiait la prise d'armes des paysans puisqu'elle démontrait encore une fois que le roi
endossait la validité de leurs plaintes.
Le 17 octobre 1596, Henri IV écrivait à Rosny qu'il était bien conscient des
difficultés vécues par les gens de la campagne : « Je sçay bien que mon peuple est très
pauvre, de sorte qu'il luy est difficile qu'il paye sa taille entièrement comme il faisoit
devant la guerre . » Cette lettre, bien que postérieure aux événements, montre que le roi
comprenait et excusait les difficultés qu'avaient éprouvées les paysans à régler les tailles au
cours des guerres civiles. De même, dans un arrêt du conseil d'État émis le 30 novembre
1596, le roi justifia les soulèvements populaires. Comme il l'avait fait en prenant la défense
des nobles qui s'étaient élevés contre lui, en imputant la faute à la mauvaise influence
espagnole, Henri IV soutint que les paysans avaient eux aussi été victimes d'imposture.
Dans cet arrêt, le conseil d'État excusait les révoltes des paysans, contre qui certains
nobles, avec à leur tête Bourdeille, s'étaient assemblés :
Et d'autre part, le peuple appréhendant sa ruyne des assemblées faictes parlesdictes seigneurs et gentilzhommes, et, d'ailleurs séduict par certainesimpostures qui se mesloient entre eulx, auroient de toutes partz dudict païs prinsles armes et se seroient mis aux champs contre l'auctorité de Sadicte Majesté etdudict sénéchal, si bien qu'ilz estoient à d'autres foys venus au combat commeà guerre ouverte, tant en focement de bourgs et places qu'en plaine campagne[••.]288-
Dans ce même arrêt du conseil d'État, le premier Bourbon alla jusqu'à offrir l'oubli
aux paysans qui s'étaient révoltés dans le Sud-Ouest du royaume, précisément comme il
l'avait fait pour les villes et les nobles :
286 Pierre de L'Estoile, Journal pour le règne de Henri IV, Paris, Gallimard, 1948 , T. 6, p. 2 1 5 .287 « A M de Rosny », 17 octobre 1596, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 6 5 0 .288« Arrêt du Consei l d'État », 30 novembre 1596, dans Bulletin de la société historique et archéologique duPérigord, T. 32 (1905), p. 380.
Le Roy en son Conseil, voulant que la mémoire des choses passées demeureensevelye et réduire son peuple par doulceur et clémence à l'obéissance qu'illuy doit, ayant esgard à ladicte requeste, a ordonné et ordonne que toutes lespoursuictes criminelles et recherches que son procureur général et autresparticulliers pourraient faire pour raison desdictz soubzlèvemens, assemblées,portz d'armes et excès commis par voye d'hostillité, demeureront estainctes,abollyes et assopies, faict deffenses à sondict procureur général, ses subsitutz età tous particulliers en faire cy-après recherche, et à sa court de Parlement et àtous autres ses juges et officiers d'en prendre congnoissance sur peyne denullité de toutes proceddures et de tous despens, dommages et intérestz28 .
Tel qu'inscrit dans les préambules des édits de réconciliation qui mettaient fin aux révoltes
des villes et des nobles, Henri IV énuméra, dans sa promesse d'oubli, les actes
répréhensibles commis par les Croquants, essentiellement afin de faire valoir sa
magnanimité.
Dans cet arrêt, le conseil déplora également le fait que des poursuites criminelles
aient été intentées contre des Croquants qui avaient pris part à la bataille de St-Crépin, en
Périgord, à la fin du mois d'août 1595. Le conseil, selon l'avis du maréchal de Matignon,
avait donc suspendu les poursuites et expédié des lettres d'abolition en août 1595, avant
même que les assemblées paysannes ne cessent.
Somme toute, la clémence et la douceur firent indéniablement partie des réponses
apportées par Henri IV aux révoltes populaires, et ce, dès les débuts des conflits. À l'image
de ce qu'il fit pour les nobles dans le cadre des guerres de Religion, le premier Bourbon
accorda plusieurs concessions aux paysans révoltés et ordonna qu'on les traite avec
douceur. Il leur octroya son pardon, justifia leurs prises d'armes et leur offrit même l'oubli.
Toutefois, même s'ils bénéficièrent sans contredit de clémence, ils durent également subir
la répression.
B. La force
Malgré tous ses sincères appels à la clémence, Henri IV laissa toujours planer, dans
les instructions qu'il envoya à ses agents et aux autorités locales, le spectre d'un recours à
la force. Nous verrons d'abord de quelle façon, tout en prêchant la douceur, le Béarnais
289/ta/., p. 381.
incita ou à tout le moins n'empêcha pas l'usage de la force. Puis, nous étudierons comment
ces allusions à l'utilisation de la répression permirent aux autorités locales d'en faire usage
sans contrevenir directement aux ordres royaux.
B.l Une porte ouverte à l'usage de la force
Dès les premières lettres qu'il écrivit concernant les solutions à apporter pour
enrayer les révoltes des Croquants, Henri IV, malgré des invitations à la clémence, laissa la
porte ouverte à l'usage de la force. Dans une lettre datée du 11 mars 1594, le roi écrivit :
« Je désire, s'il est possible, que ce remuement et desordre se compose par la douceur. » En
ajoutant l'incise « s'il est possible », le premier Bourbon sous-entendait que le recours à la
force n'était pas totalement exclu et laissait par la même occasion aux autorités locales le
soin de juger elles-mêmes de la limite à franchir entre la possibilité et l'impossibilité de
faire preuve de clémence. Cette frontière, le roi devait pourtant la savoir facile à traverser
aux yeux des élites locales. De plus, même si le roi promit en mars l'envoi de son conseiller
d'État pour entendre les doléances des paysans, des lettres ultérieures montrent que ce
dernier tarda à se rendre dans les provinces touchées par les soulèvements. Dans une lettre
datée du 25 juin 1594 et adressée au roi, le président d'Affis mentionna l'éventuelle arrivée
de Boissise qui devait se faire pour le 25 du mois prochain, soit en juillet290. Dans une
missive datée du 20 juillet, Chambaret signala l'arrivée récente de Boissise, confirmant
donc que ce dernier ne fit son entrée dans la région qu'au cours du mois de juillet 15942 .
Donc, plusieurs mois s'écoulèrent entre la promesse de l'envoi de Boissise et son arrivée292,
retardant la mise en œuvre des mesures d'apaisement et laissant aux Croquants quelques
mois de plus pour laisser croître leur mécontentement.
Dans la deuxième lettre que le premier Bourbon envoya à Bourdeille concernant les
révoltes populaires dans le Sud-Ouest du royaume - selon ce qui a été retracé dans les
archives -, le roi faisait déjà beaucoup plus clairement référence à la possibilité d'utiliser la
290 « Lettre de M. de Merville, grand sénéchal de Guyenne, à Henri IV », 25 juin 1594, dans A. H. Gironde, T.14(1873), p. 312.291 « Lettre de Chamberet au roi », 20 juillet 1594, dans Nouaillac, loc. cit., p. 341.292 Mentionnons que l'arrivée de Boissise fut tardive, même si l'on tient compte du piètre état des routes etdes dangers qu'il y avait à y circuler. À ce sujet, voir notamment Salmon, op. cit., p. 285 et Nouaillac, loc.cit., p. 329.
force pour mettre fin aux soulèvements. La missive, datée du 11 mai 1594, spécifiait que le
roi avait demandé à Chambaret de se préparer à riposter par la force aux révoltes paysannes
et demandait à Bourdeille de l'assister dans cette tâche pour « rompre et desarmer » les
Croquants :
Mais parce qu'il pourroit estre que cela [l'envoi du conseiller pour entendreleurs plaintes] ne les arresteroit pas, et que, auparavant qu'il y peust arriver, ilsvouldroient entreprendre quelque chose, n'y ayant rien de périlleux pour monservice que les endurer et les y continuer, j'écris présentement au sr deChambaret, mon lieuctenant gênerai en la dicte province, de se mettre encampagne avec ce qu'il pourra assembler de forces pour, en ce cas, les rompreet desarmer, pour ce que j'entends qu'ils sont en si grand nombre et ont jà faictcommunication et intelligence avec les provinces voisines293.
Le même jour, le roi adressa une lettre à Henri de Noailles, lieutenant général en Haute
Auvergne, pour lui faire part de l'envoi de Boissise dans la région : « Je désire, s'il est
possible, composer doucement les esmotions des peuples qui se sont élevées par delà; car
d'y user de force et sévérité, je vois bien qu'il ne m'en sçauroit arriver que perte et
dommage294. » Prêchant une fois de plus pour la clémence, le Béarnais affirmait envoyer
son conseiller pour « pourvoir par les formes de justice, afin qu'ils [les Croquants] n'ayent
plus de subjet ou prétexte de se la vouloir administrer eux-mesmes avec les armes en la
main ». Toutefois, il demanda à Noailles de se préparer également à l'utilisation de la force
et élabora sur la stratégie à suivre :
Je vous pris apporter tout ce qui dépendra de vous pour ayder à les [les armes]leur [les Croquants] faire mettre bas de leur bon gré; mais où ils en feroientrefus et se voudraient opiniastrer en leur soulèvement, je désire que vous et tousmes aultres bons serviteurs des dictes provinces, vous prépariez et bandiezensemble, pour vous y opposer et empescher que ce commencement ne passeen une révolte et rébellion formée, ce que j 'ay donné charge au dict sieur deBoissize de vous représenter plus particulièrement de ma part295.
Dans cette lettre, l'on voit également poindre chez le roi de l'inquiétude mêlée à un
certain agacement. Le premier Bourbon croyait vraisemblablement que les paysans avaient
des griefs valables les poussant au mécontentement, mais cela ne l'empêchait pas d'être
93 « A Monsr de Boudeille », 11 mai 1594, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 155.294 « A Monsr de Noailles », 11 mai 1594, dans lbid., T. 8, p. 518.295 Ibid
85
contrarié que l'on désobéisse à son autorité :«[ . . . ] la forme qu'ils y tiennent est pleine de
désobéissance et d'une périlleuse conséquence; estans à présumer qu'ils sont en cela
soubstenus de quelqu'un, à très mauvaise intention; et pour ce que ce mal n'est pas à
négliger, et qu'il y a desjà apparence qu'il devient contagieux aux aultres provinces, j 'ay
résolu de despecher par delà le sr de Boissize, conseiller en mon conseil d'Estat [...]296 ».
De même, dans une lettre envoyée au seigneur de Cheze le 31 mai 1594, l'informant de la
venue de Boissise en Saintonge, Henri IV évoqua en premier lieu l'utilisation de la
douceur, mais en vint vite à suggérer l'usage de la force et du châtiment :
[...] j 'ay donné charge au sr de Boissize, conseiller en mon conseil d'Estat, des'y transporter, et tascher à leur [les Croquants] faire poser les armes par lavoye de douceur; à quoy je seray bien aise qu'il les trouve disposer d'obéir,mais où ils persisteroient en leur entreprise, j'entends qu'ils soient reprimez parla force et chastiment; à quoy étant très requise l'assistance de tous mes bonsserviteurs, mesme de la noblesse, en laquelle consiste principallement force dedict pays, et qui est principallement interressee dans ceste révolte, je n'ayvoullu perdre l'occasion du retour du Sr de St-Sévier par delà, sans les exhorteret admonester de se préparer pour ceste occasion et se rendre prés le sr deMassez, mon lieutenant gênerai en la province, lorsqu'il fera sçavoir qu'il en
297
sera tems .
Quelques jours plus tard, le roi demanda à Bourdeille de venir en aide à Boissise, s'il
devenait nécessaire d'en venir à la force :
Je luy ay donné particulière charge et commission de pourveoir au faict despeuples soubslevez par delà, ainsy que vous verres par mon aultre lettre cy-enclose, suivant laquelle je vous pris faire faire commandement à ceulx qui sesont esmeus en vostre seneschaussée de mettre les armes bas et reprendre leurvaccations accoustumées, les entretenant aux meilleurs propos que vouspourrés, et en bonne espérance qu'il sera pourveu à leur soullagement et cejusques à l'arrivée de mon dict cousin ; vous préparant ce pendant à ce que s'ilest nécessaire d'y procéder par force, d'y assister mon dict cousin de tout vostre
• 298
pouvoir .
Le 30 juin 1594, le premier Bourbon écrivit de nouveau à Bourdeille sur les révoltes
populaires. Prônant d'abord une fois de plus la douceur, il fut toutefois plus précis dans ses
instructions advenant le besoin de recourir à la force, recommandant au gouverneur de
296 lbid.297 « A Monsr de la Cheze », 31 mai 1594, dans, lbid, T. 4, p. 164.298 « A Monsr de Bourdeille », 10 juin 1594, dans lbid., T. 4, p. 167.
Périgord de prendre contact avec ses collègues des autres provinces pour préparer la
riposte :
Je luy [sieur de Boissise] ordonne de pourveoir à ce que ce desordre se terminepar la douceur, s'il est possible; mais où il fauldroit venir à la force et auxarmes, il est nécessaire que tous ceulx qui ont le commandement des provincescirconvoisines soyent de bonne intelligence ensemble et prompts à s'entre-assister; ce que je veulx recommander pour vostre regard299.
Même s'il prenait bien soin d'accompagner toutes ses lettres d'appels à la clémence,
Henri IV n'a jamais complètement exclu la possibilité d'en venir à la répression. Si l'on
compare cette façon de faire avec celle utilisée pour mettre fin aux guerres civiles, on
observe de grandes similitudes. En fait, pendant qu'ils négociaient la reddition des nobles et
des villes, Henri IV les combattait jusqu'à leur retour officiel à l'obéissance. Comme les
Croquants avait refusé, nous l'avons vu, une première proposition royale, il était normal
pour le Béarnais de faire preuve d'une certaine hostilité envers eux, jusqu'à ce qu'ils
l'acceptent. Toutefois, l'utilisation de la force n'était pas systématique ni irréfléchie
puisque de réels efforts de clémence furent faits, mais le recours à la répression ne fut
jamais écarté, montrant donc que la force constituait tout de même la voie facile pour
mettre fin aux soulèvements populaires. Malheureusement pour les Croquants, l'usage de la
répression ne resta pas qu'une simple menace puisque les paysans durent y faire face,
malgré tous les efforts de douceur demandés par le roi.
B.2 L'utilisation de la force
Dès le début des révoltes, malgré les appels à la clémence et l'envoi de Boissise
pour tenter de régler la question de façon pacifique, les gouverneurs de Limousin, de la
Marche, du Périgord et de la Haute Auvergne n'attendirent pas l'arrivée du conseiller - qui,
nous l'avons vu, tarda à se faire - pour réagir300. Dès avril 1594, en Saintonge, en
Angoumois et en Marche, les gouverneurs royaux Malicorne (Poitou), Masses (Saintonge
et Angoumois) et d'Albain (Marche) réussirent à disperser pacifiquement les paysans
révoltés. De Thou consigna d'ailleurs ce fait dans son Histoire universelle :
299 « A Monsr de Bourdeille », 30 juin 1594, dans Ibid., T. 4, p. 184.300 Babelon, op. cit., p. 774.
87
[...] Jean de Sourches de Malicornes, Gouverneur de Poitou, & après lui Jeande Chateigner sieur d'Abin, [...] les trouvant dispersez dans la Province, lesdéfit en plusieurs occasions, & leur ayant ensuite fait espérer un traitement plusfavorable de la part du Roi, les engagea par la voye de la négociation à mettrebas les armes301.
Ces révoltes étaient toutefois mineures comparativement à celles qui se déroulèrent en
Limousin et en Périgord. À la fin mai 1594, Bourdeille écrivit au roi pour lui dire qu'il
assemblait une armée de nobles pour mettre fin aux révoltes. Le 11 mai 1594, nous l'avons
vu, le roi ordonna à Chambaret de se préparer à utiliser la force en cas de besoin, ce que le
gouverneur ne tarda pas à faire. En juin 1594, les Croquants du Bas-Limousin allèrent
enjoindre les villes du haut pays de se rallier à eux. Chambaret se mit donc en campagne
avec 200 soldats et gentilshommes et marcha sur un attroupement de Croquants dans le
bourg de Bujaleuf, en Limousin302. Le capitaine de la paroisse fut pendu sur les ordres du
gouverneur et quelques granges furent brûlées. Toutefois, au moment où d'autres troupes
de Croquants approchèrent sur le territoire, Chambaret dut battre en retraite et demanda aux
consuls de Saint-Léonard de conclure une trêve.
Le 24 juin suivant, jour de la Saint-Jean, apparaît comme une journée noire pour les
Croquants du Limousin puisque Chambaret entreprit, cette fois avec des membres de la
noblesse - dont les troupes d'Albain en Marche et de Messillac en Haute Auvergne -, de
mettre fin aux révoltes par la force. Les troupes des gentilshommes barrèrent le chemin aux
Croquants qui se dirigeaient vers Limoges. Une bataille, au cours de laquelle près de 2 000
paysans furent massacrés, eut ainsi lieu près du village de Pousses303. Un chroniqueur
anonyme consigna d'ailleurs le récit de cette bataille et en relata toute la violence :
[...] à ce que l'on disoit, 5 à 6000 croquants, lesquels ils [Chambaret et lanoblesse] chargèrent si furieusement qu'ils furent en un moment rompus et misen route et en un tel désordre qu'il en demeura sur la place plus de 1000, sanscompter grand nombre de blessés et prisonniers, et firent pendre quelques chefs.Et fut faite ladite exécution la vigile de saint Jean-Baptiste de l'an 1594 : chosepitoyable à voir et à ouyr raconter la misère de tant de pauvres veuves etorphelins ; et le pays, à quatre ou cinq lieues à la ronde presque, fut dépeuplé delaboureurs, et par ce moyen demeura inculte. Ladite exécution faire ledit sieur
301 De Thou, op. cit., T. 12, p. 72-73.302 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 260.303 Nouaillac, loc. cit., p. 330.
de Chambaret et le sieur de Saint-Germain firent contraindre tous ceux d'entourde Limoges, Saint-Léonard et du Boignon de rendre les armes et les porter auditLimoges et au Doignon, et dès lors ne se parla plus de Croquants304.
Cet extrait prouve que la force fut bel et bien utilisée par les autorités en place, et non par le
roi, pour mettre fin aux révoltes. Bien qu'elle ne fût pas directement ordonnée par le roi, on
ne peut nier la responsabilité de ce dernier puisque ses lettres laissaient tout de même une
grande liberté d'interprétation aux autorités locales, ce qui leur permettait d'user de force
contre les paysans sans avoir l'impression d'aller à l'encontre de la volonté royale.
Toutefois, même si cette bataille fit peur aux Croquants, elle ne mit pas fin aux assemblées
paysannes.
Le 6 juillet 1594, Chambaret, Masses, le marquis de La Vauguyon et Rochechouart
se réunirent à Chabanais, en Limousin. À la suite de la conférence, Masses écrivit au roi
pour lui faire part de son intention de se mettre en campagne contre les Croquants et lui
indiquer que, selon lui, la répression constituait la seule solution possible pour résorber ces
révoltes et qu'il était donc contraint d'y recourir :
Sire, j 'ay faict entendre cy devant a vostre Majesté le danger qu'il y avoit quese peuple qui s'est esleve en ce gouvernemens ne pourrait estre ramené al'obeyssance qu'il luy doibt que par la force. Cella est parveneu jusques aumespris des ordonnances et commandemens de vostre majesté & de sesofficiers Ce qui m'a constraint de me mettre aux champs avec la noblesse dupays et autres forces que j 'ay peu assembler [.. . ]3 0 5 .
Une lettre du parlement de Bordeaux à Henri IV, datée du 21 juillet 1594, prouve que
Masses en vint effectivement à recourir à la force contre les Croquants en Saintonge, tout
comme Chambaret l'avait fait avant lui en Limousin. Un peu plus d'une centaine des 2 000
paysans assemblés furent tués pendant la bataille :
Aussi du cousté de Sainctonge, le sieur de Massez nous a escript avoir estécontrainct venir à la force contre une assemblée de ce peuple, en nombre dedeux mil hommes, dont sept à huict vingz furent tuez sur la place, et aulcunzdes chefz puniz par justice. Il est grandement à regreter (nostre souverainSeigneur) que voz subjectz se perdent en ceste sorte et que leur rage et fureur
304 Chronique dite de l'anonyme de Saint-Léonard, éd. A. Leroux, Chartes, chroniques et mémoriaux,Limoges, 1886, p. 272, tiré de Bercé, Croquants et nu-pieds, op. cit., p. 60-61.M5BN, Ms. Fr. 21194, fol. 202.
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les précipite à leur ruyne, quelques remonstrances qu'on leur puisse faire de secontenir et s'adresser à V. M., sur leurs doléances, laquelle auroit pitié d'eulx etleur pourvoiroit du soulaigement qu'elle trouverait juste et raisonnable306.
Dans sa Chronologie novenaire, Palma Cayet prit soin de noter que la force fut
utilisée par Chambaret en Limousin, par Masses en Angoumois et par Bourdeille en
Périgord pour mettre fin aux révoltes :
[...] le sieur de Chambaret, gouverneur du roi, assembla la noblesse; leur [lesCroquants] courut sus, et les desfit. Le bruit de ce souslevement estant venu enAngoulmois, plusieurs communes s'esleverent aussi ; mais le sieur du Masset,lieutenant pour le roi en ce pays là en l'absence de M. d'Espernon, assisté desgentilhommes du pays, les écarta tous, et les fit retirer chacun chez soy. EnPérigord, ce fut où le souslevement fut plus grand, car ils s'unirent avecd'autres communautez de Gascongne et de Quercy, qui se rassemblèrentplusieurs fois, bien que le sieur vicomte de Bourdeille, gouverneur pour le roiau Périgord, en chargea et desfit à diverses fois quelques troupes307.
Tout porte à croire que le roi envoya également le maréchal de Matignon dans le
Sud-Ouest avec la permission d'en venir à la répression pour mettre fin aux soulèvements
populaires. Une lettre du grand sénéchal de Guyenne, adressée à Henri IV le 25 juin 1594,
est assez éloquente à ce sujet. Elle révèle que des lettres patentes ordonnèrent la
convocation de la noblesse de Guyenne. À la suite de ces assemblées, la noblesse se tint
prête à riposter par la force aux révoltes, n'attendant plus que l'instruction officielle du roi
pour défaire les Croquants. Dans cette missive, le grand sénéchal répéta également les
instructions qu'il avait reçues de Henri IV. Il mentionna d'abord que le premier Bourbon
lui demanda d'assurer les paysans de sa bonté et de sa clémence et de leur promettre « le
solaigement des daces et aultres impositions qui leur sont mises sus et dont ilz se
plaignent308 ». Toutefois, il précisa également que le roi lui avait fait part de l'envoi du
maréchal de Matignon dans le but de mater les révoltes par la force : « l'oposite advenant,
le châtiment de la rigueur suivra le maléfice, et que à ses fins Vostredicte Magesté avoit
congédié M. le mareschal de Matignon pour se randre en sa charge le vingt-cinquiesme du
prochain, que je ne faillisse de tenir des forces prestes à son arrivée pour estre employés la
306 « Lettre du parlement de Bordeaux à Henri IV », 21 juillet 1594, dans A. H. Gironde, T. 14 (1873), p. 317.307 Palma Cayet, op cit, p. 223.308 « Lettre de M. de Merville, grand sénéchal de Guyenne, à Henri IV », 25 juin 1594, dans A. H. Gironde, T.14(1873), p. 312.
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part où le subject Pappelleroit309. » II ajouta également : « je bailhay assigantion à toute
ladicte noblesse, subjecte au banc et arrier banc de madicte charge, de se randre en ceste
dicte ville, au vingt-deuxiesme du prochain, avecq armes et chevaulx, affin que s'il y
eschoit occasion à l'arrivée dudict sieur mareschal, il y treuve des forces prestes pour s'en
servir310. »
Au mois d'août 1595, Bourdeille et son armée, composée d'une centaine de
gentilhommes et de 800 hommes de pied, entreprirent de disperser les Croquants aux
combats de Negrondes (le 19 août), de St-Crépin-d'Auberoche (les 24 et 25 août) et de
Condat-sur-Vézère (le 4 septembre). À la suite de ces événements, l'enthousiasme des
Croquants de Périgord commença à s'essouffler et les forces se débandèrent. Il est difficile
de déterminer si c'est l'usage de la force contre eux, l'utilisation de la clémence ou
l'inévitable évanescence des émotions paysannes à cette époque qui étouffa les révoltes en
Périgord - en fait, il s'agit sans doute d'une combinaison de ces facteurs. En Limousin, les
révoltes s'estompèrent totalement à la fin de l'année 1595. On ne connaît pas le rôle que
jouèrent les actes d'apaisement de Boissise dans cet essoufflement311. En fait, la fin des
révoltes en Limousin résultat sans doute, comme dans le cas des révoltes de Périgord, de
l'utilisation de la clémence et de la force, ainsi que du caractère éphémère des
soulèvements à cette époque.
C. Les autorités locales, la noblesse et le gouvernement
Élément central dans la compréhension des actions royales entreprises pour
neutraliser les révoltes populaires dans le Sud-Ouest du royaume, la présence des autorités
locales influença grandement le choix des mesures. Ne disposant pas d'un pouvoir central
assez fort pour ignorer les désirs des nobles en place, le roi dut composer avec leur
présence et leurs désirs. Nous verrons que les révoltes paysannes créèrent un climat de peur
chez les nobles, ce qui les incita à recourir à la force. Puis, nous observerons comment
l'État et les autorités locales durent négocier les méthodes de règlement de conflits.
Finalement, nous verrons que la perception qu'avaient les nobles des paysans, celle de
309 ibid.3]0Ibid.,p. 313.311 Nouaillac, loc. cit., p. 334.
91
véritables polluants sociaux, joua également un rôle dans les mesures entreprises par le
gouvernement et les autorités locales pour mettre fin aux révoltes.
Cl Angoisse et pression de la noblesse
Généralement, les agitations populaires furent perçues comme des événements
banals puisqu'elles inspiraient de l'indifférence ou de la pitié à l'égard des paysans, plutôt
que de la peur312. D'ailleurs, puisque rares étaient les soulèvements de la paysannerie qui
semblaient dignes d'attention, ces événements avaient peu de chances d'être rapportés dans
les chroniques ou les récits historiques. Toutefois, les révoltes qui embrasèrent le Sud-
Ouest du pays à la fin des guerres de Religion suscitèrent l'intérêt de plusieurs chroniqueurs
et historiens, ce qui confirme que ces mouvements frappèrent tout particulièrement leur
imaginaire et celui de leurs contemporains. Pour les gens qui tenaient à l'ordre établi, les
révoltes éveillaient parfois une obsession des foules et une crainte du renversement des
hiérarchies313. Les sources - c'est-à-dire les lettres, les chroniques, les histoires et les
témoignages - démontrent que cette peur fut bien présente chez la noblesse de l'Aquitaine
qui redouta, à partir d'avril 1594 et jusqu'à la fin des conflits, que les paysans s'en prennent
à elle. Ainsi, le 26 mai 1594, Bourdeille, avec quelques exagérations, écrivit au roi : « [..]
ils [les Croquants] sont plus de cent mille hommes esleves parmie desquels parle
ouvertement de ruiner et exterminer la noblesse tellement que toute ceste sencée est infectée
de ce mal pour auquel remédier je me suys mis aux champs avec ma compagnie ayant au
paravant adverty la noblesse de perigord et pryes de m'assister [.. . ] 3 1 4 . »
Aggrippa d'Aubigné, dans son Histoire universelle, semblait également céder à la
panique lorsqu'il crut bon d'écrire que les Croquants souhaitaient s'attaquer à tous les
nobles : « La veue de leurs forces les amena bientost aux insolences et leur fit faire trop de
sorte d'ennemis; car, n'en ayant voulu du commencement qu'aux maltautiers et officiers du
roi, ils monstrèrent inimitié aux gouverneurs des places, aux soldats des garnisons et enfin à
tous leurs gentilshommes, lesquels, sans cela, pour le sentiment des subsides, se rendoyent
312 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 661.313 Jean Delumeau, La peur en Occident (XIV-XVIIF siècles) : une cité assiégée, Paris, Fayard, 1978, p.189.314 BN, Ms.fr. 23194, fol. 165.
92
leurs partisans315. » La tenue de tels propos signifie que le second ordre se sentit réellement
menacé par les soulèvements paysans. Jacques-Auguste de Thou, dans le peu de pages qu'il
consacra à ces soulèvements dans son Histoire universelle, qualifia les Croquants de
« peuples d'un naturel féroce » et perçut aussi les actions des paysans comme des menaces
à la noblesse :
Enfin ils déclarèrent la guerre aux Gouverneurs des villes & châteaux, dont ilsse plaignoient d'avoir été indignement maltraitez : ils refusèrent de payer lesimpôts aux Receveurs des droits du Roi; & à l'exemple des Gauthiers, que leduc Montpensier avoit exterminez quatre ans auparavant, aux environs deFalaise, ils s'emparèrent des défilez, & se postèrent dans les chemins ce cespayis, dont ils connoissoient la situation. Formidables316 à la Noblesse desenvirons, ils firent par tout de si cruels ravages, qu'ils se firent donner le nomde Crocquans317.
De même, le grand sénéchal de Guyenne, dans une lettre envoyée à Henri IV en juin 1594,
écrivit qu'il ne connaissait pas la « mutation des voluntés de ce peuple qui est variable
comme le vent318 ». L'imprévisibilité des émotions populaires était effectivement une des
grandes sources d'angoisse des nobles. La peur de certains les amena donc à réclamer du
premier Bourbon un recours à la répression contre les paysans afin de calmer les révoltes.
Le président d'Affis, dans une missive adressée au roi le 8 juillet 1594, prônait
explicitement l'usage de la force contre les Croquants :
Sire, la pouvreté de ces peuples y est très grande et digne de la comiseration deV. M., et neantmoings leurs eslevations de très pernicieuse conséquence, etcomme l'insolence croyt parmy eux, la doulceur sans la force y pourra estreinutile, et nous ne scavons si le mal pourra attendre l'arrivée de M. le mareschalde Matignon. Mais cependant vostre court de parlement faict tout ce qu'ellepeult par ses arrestz et excite le debvoir de ceux qui ont le commandemnet desarmes, affin qu'ilz s'employent à réprimer ces mouvements, en attendant cequ'il plaira à V. M. d'y ordonner319.
315 D'Aubigné, op. cit., T. 9, p. 120.316 Formidable signifie ici : « Qui fait peur, qui est à redouter ». (Furetière, op. cit.)317 De Thou, op. cit., T. 12, p. 72-73.318 « Lettre de M. de Merville, grand sénéchal de Guyenne, à Henri IV », 25 juin 1594, dans A. H. Gironde, T.14 (1873), p. 313.319 « Lettre du président d'Affis à Henri IV », 8 juillet 1594, dans A. H. Gironde, T. 14 (1873), p. 316.
Le parlement de Bordeaux, après avoir rendu cinq arrêts en quatre mois - ces arrêts sont
datés du 31 décembre 1593, du 10 et du 23 mars, du 2 et du 18 avril 1594 - constata
l'inefficacité de ces mesures et réclama du roi un usage de la force :
[...] je crainz que s'il n'y est pas autrement pourveu par ceux qui ont les forcesen main, il en adviendra de pernicieux accidentz. Je n'ay voulu faillir pour mondebvoir d'en donner ad vis à V. M., afin qu'il luy plaise d'y faire pourveoirselon qu'elle en jugera la conséquence. Vostredicte court ne peult en cestendroit autre chose que de bailler des arretz et enjoindre à ceux quy ont lecommandement des armes en icelles senneschaucées de les faire observer etexécuter320.
Une indéniable crainte des émotions populaires se reflétait également chez Jean
Tarde qui attribuait aux Croquants des aspirations anti-nobiliaires. C'est d'ailleurs sur cette
note qu'il débuta son récit des soulèvements paysans en Guyenne : « Ceste année, les
paysans du Périgord se révoltent contre la noblesse . » Quelques pages plus loin, il
ajoutait : « Ceste année, les vignes des gentilzhommes furent mal cultivées, car ce peuple
mutiné non seulement refusa ce service à la noblesse mais encore de plus empêchoit avec
grandes menasses les serviteurs domestiques des chasteaux d'y travailler322. » En plus
d'être évocateur des appréhensions de la noblesse envers les paysans, les Chroniques de
Tarde démontrent que le mépris était également bien présent chez les nobles puisque le
chroniqueur accusait les Croquants de s'être amusés à battre le tambour au lieu de semer les
terres, et d'en subir maintenant les conséquences :
Ez moy d'apvril, may et juin, la diserte fut grande en Périgord. Le quarton defroment se vendoit cinq livres. Ceste cherté provenoit du peu de monstre quefaisoit la prochaine récolte à cause que les Croquans, s'estans amusés l'annéeprécédente à leurs assemblées et à rouller de lieu à autre avec leurs enseignes ettambours, n'avoient pas semé les terres. Plusieurs d'entre eux, qui avoientvendu le soc et la hache pour achepter des armes, sont constraintz de revendreces armes pour avoir du pain. Toutefoys, après avoir recueilli un peu de bled,ilz firent bruire le tambour comme au paravant323.
Malgré tout, plusieurs membres de la noblesse, des officiers royaux et des
magistrats municipaux furent en accord avec les plaintes des paysans et manifestèrent leur
320 « Lettre du parlement de Bordeaux à Henri IV », 18 avril 1594 , dans A. H. Gironde, T. 14 (1873 ) , p. 308 .321 Tarde, op. cit., p. 324 .322 Ibid., p. 328 .323 Ibid., p. 328.
94
désarroi au roi face aux malheurs des paysans. Le grand sénéchal de Guyenne, dans une
lettre adressée à Henri IV le 25 juin 1594, demandait le « solaigement des daces et aultres
impositions », montrant donc qu'il croyait que les griefs des paysans étaient justifiés324. De
même, le parlement de Bordeaux écrivait en juillet 1594 : « II est très besoing (nostre
souverain Seigneur) d'entendre leurs plainctes et veu les foules et surcharges qu'ilz ont.
souffert pendant les troubles, leur donner de l'alegement avec la tranquilité que le pays
commanse de recouvrer325. » Le thème de protection du petit peuple fit donc aussi partie du
discours des autorités provinciales qui reconnurent les difficultés et les injustices vécues par
les paysans. Cela prouve que les préoccupations nobiliaires pour le sort des paysans, même
sur le plan local, n'étaient pas aussi extraordinaires qu'on aurait pu le croire. Toutefois,
malgré un appui certain aux revendications paysannes, la noblesse réagissait avec peur aux
soulèvements du plat pays et en vint à oublier sa sympathie envers les griefs paysans .
Ce sont ces angoisses profondes, cette peur de la subversion, qui poussèrent les
nobles, tant les chefs ligueurs, les royalistes que les huguenots, à s'unir pour former une
ligue contre les paysans. Il y avait donc un grand décalage entre la vision du roi et celle de
ses représentants locaux. Bourdeille, qui avait d'abord vu en ces paysans révoltés des alliés
utiles dans la lutte contre les ligueurs locaux, se ravisa rapidement327. Dès juin 1594, des
dizaines de gentilshommes se joignirent à lui et le pressèrent de mettre fin aux
soulèvements populaires. Pour eux, le refus des paysans de payer les tailles et les dîmes
revenait à remettre en question l'autorité royale328. Un syndicat de la noblesse, dirigé par le
ligueur Jean-Guy de Beynac, seigneur de Tayac, fut formé et plusieurs gentilshommes du
Salardais signèrent une convention à ce sujet en juillet 1594. Cette ligue de la noblesse
avait eu, dès les premières révoltes, l'intention de lever une armée contre les Croquants.
Toutefois, le maréchal de Matignon les empêcha d'agir tout de suite. Même s'ils se dirent
324 « Lettre de M. de Mervi l le , grand sénéchal de Guyenne , à Henri IV », 25 ju in 1594 , dans A. H. Gironde, T.14(1873), p. 312.325 « Lettre du parlement de Bordeaux à Henri IV », 21 jui l let 1594 , dans A. H. Gironde., T. 14 ( 1 8 7 3 ) , p. 3 1 7 .326 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 283.327 Br iggs , op. cit., p. 111 .328 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 284.
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prêts à suivre ses ordres, les nobles agirent avec beaucoup d'indépendance329. Les articles
de leur ligue constituent par ailleurs de bons témoignages de leur perception du conflit :
Etant chose certaine et cognue à ung chacung que les peoples du Limousin,Périgord, Quercy et Agenois se sont élevés contre tout le droit divin et humain;Lesquels ont voulu renverser leur religion, ne payant pas les dixmes ordonnéesdès le commencement du monde pour le service de Dieu; Qu'ils se sont renduscriminels de lèze majesté pour ne vouloir payer les tailles; Qu'ils ont voulurenverser la monarchie et établir une démocratie à l'exemple des Suisses, qu'ilsont conspiré contre nos vies et se sont voulus ôter de la subjection en laquelleDieu les a ordonnés330.
Toutefois, ces angoisses de la noblesse ne s'avérèrent pas. Les paysans avaient
certes développé une animosité envers certains seigneurs dont les abus avaient fait des
victimes, mais ils ne voulurent en aucun cas s'en prendre à la noblesse toute entière et,
encore moins, remettre en question la hiérarchie sociale. Les réactions des nobles furent
donc démesurées par rapport aux dangers réels, même si les révoltes visèrent effectivement
quelques-uns des comportements de la noblesse influente des provinces331. Un certain
sentiment anti-nobiliaire ressort pourtant des sources, laissant croire qu'il exista bel et bien
ou, à tout le moins, qu'il parut possible à un bon nombre de gentilshommes332. Il faut dire
que la remise en question de l'utilité de la noblesse d'épée fut l'un des thèmes dominants de
la littérature politique de la deuxième moitié du XVIe siècle, ce qui n'avait rien pour
rassurer la noblesse333. L'extrait d'une lettre circulaire des Croquants, datée du 2 juin 1594,
dans laquelle ces derniers enjoignirent les paysans de la Guyenne à se rallier à eux pour
mettre fin aux abus, prouve toutefois qu'ils ne s'élevèrent pas contre l'autorité royale et
qu'ils ne désirèrent pas l'abolition de la noblesse, tenant bien au contraire au maintien des
ordres :
Prostestant devant Dieu que le but de noz intentions n'est aultres, que nousrecognoissons nostre Roy nous estre donné de Dieu et que de droit divin,naturel et humain, la couronne de France luy appartient et qu'il nous fault vivreet mourir pour son service, que les ordres de PEsglise, de la noblesse et de la
329 Salmon, op. cit., p. 2 8 8 .330 Jean-Jacques Escande, Histoire de Périgord, Paris Editions A et J. Picard & cie. , 1957, p. 3 4 6 - 3 4 7 , tiré deSalmon, op. cit., p. 288.331 Briggs, op. cit., p. 114.
32 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 286.333 Jouanna, « Le thème de l'utilité publique », loc. cit., p. 287.
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justice doibvent estre maintenus, que sans iceulx l'Estat ne peult subsister, qu'ilfaut rendre à sa Majesté toute recognoissance, obéissance et service et aulxdictsordres qui est deu, chascun en son endroitct. Vous asseurant qu'il y a en ce paysgrand nombre de seigneurs et gentilzhommes sans reproche, très affectionnnezau service de sa Majesté et à nostre consevation, qui nous ont juré et promistoute assistance contre lesdicts voleurs, inventeurs de subsides, leurs faulteurs etadhérens et tous aultres perturbateurs du repos public et qui nous tiendront lamain à une si bonne et si saincte occasion, croyans que pareillement tous lesseigneurs et gentilshommes sans reproches des provines Angoumoys et dePoictou, où nous acheminons présentement, soyent accompagnez d'une mesmevolonté et affection et qu'ilz tiendront la main à ce que la tirannie ne soyt àl'advenir exercée sur eulx et leur subjects334.
Par ailleurs, le sentiment anti-nobiliaire n'apparaît pas du tout chez Palma Cayet,
qui fut pourtant, selon Bercé, le chroniqueur le mieux informé sur les révoltes du Sud-
Ouest335. Ajoutons également que l'envoi de députés au roi par les Croquants afin de faire
part de leurs revendications n'est pas le genre d'actes qu'aurait entrepris un groupe anti-
monarchique voulant renverser les hiérarchies sociales. C'est donc dire que les paysans
n'eurent pas l'intention de bouleverser l'ordre établi, de remettre en question l'autorité du
roi, ni même d'attaquer tous les gentilshommes, sans exception. De plus, il apparaît que les
Croquants en avaient beaucoup plus contre les villes336, auxquelles ils reprochaient
particulièrement de ne pas respecter les trêves des seigneurs, d'avoir une tendance à
l'inertie, bien à l'abri derrière leurs remparts, et de faire trop souvent des compromis avec
les rebelles337.
Malgré un désir sincère d'apaiser les révoltes à l'aide de la douceur, Henri IV dut
faire face à l'angoisse des nobles du Sud-Ouest. Loin d'agir par pure méchanceté ou par
indifférence face au sort des paysans, la noblesse jugea que la répression était le seul moyen
de mettre fin à ces soulèvements qu'elle croyait subversifs. La profonde angoisse ressentit
par la noblesse la poussa à réclamer du roi un usage de la force et l'amena à former, dans le
Salardais, sa propre ligue contre les Croquants. Devant ces pressions des nobles, le roi
334 B N , Dupuy 744 , éd. G. de Gérard et G. de Tarde, 1887, p. 399 , tiré de Bercé, Histoire des Croquants, op.cit., p . 707.335 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 288.336Jbid.,p. 293.
37 Corrado Vivanti, Guerre civile et paix religieuse dans la France d'Henri IV, Paris, Desjonquères, 2006, p.23-24.
pouvait difficilement aller jusqu'au bout de sa politique d'apaisement et dut négocier les
méthodes de règlement avec les autorités locales.
C.2 L'État et les autorités locales
Avec cette angoisse grandissante qui les assaillait, les nobles ressentirent l'urgence
d'utiliser la force pour enrayer le plus rapidement possible les soulèvements paysans. Dans
ce contexte, le roi n'avait pas de réelle emprise sur les autorités locales et ne disposait pas
d'une autorité assez forte, dans ses provinces éloignées, pour imposer aux nobles l'usage de
la clémence envers les paysans révoltés. Le premier Bourbon fut donc réduit à négocier des
méthodes de règlement de conflits avec eux et ainsi permis un certain usage de la force
contre les paysans.
Observons d'abord de plus près les autorités locales en place dans le Sud-Ouest du
royaume. Le gouverneur de Périgord, Henri de Bourdeille, possédait certains pouvoirs,
mais devait s'en remettre aux décisions du lieutenant général en Guyenne lorsqu'il faisait
face à certaines situations, notamment à des révoltes populaires. Pourvu de la lieutenance
générale de la Guyenne sous le règne de Henri III, la charge du maréchal de Matignon fut
confirmée par Henri IV en juillet 1590. Matignon devait en théorie dépendre du
commandement du prince de Condé, mais celui-ci étant âgé de 2 ans seulement, le
maréchal devint le véritable gouverneur de Guyenne . Bourdeille se retrouvait donc sous
l'autorité de Matignon - ce qu'il ne l'empêcha pas d'entretenir une correspondance avec le
roi au sujet des révoltes -, dont les ordres découlaient du roi. Dans la Despeche baillée au
sieur de Bourdeille pour commander en Périgord, datée du 9 novembre 1593, le roi
ordonna à Bourdeille de suivre les instructions de Matignon :
Se comportera avec le sieur mareschal de Matignon avec l'honneur et respectqui appartient à sa qualité et à la charge qu'il a de lieutenant général de saMajesté au gouvernement de toute la Guyenne, tenant bonne intelligence avecluy pour le faict de sa charge, et observant ce qu'il luy pourra ordonner pour lebien du service de sa Majesté en icelle, d'autant qu'il y pourrait avoir deschoses qui ne donneraient le loisir d'attendre les volontéz et commandement desa Majesté et que, à ceste occasion, elle se repose sur la conduitte et prévoyance
338 Gebelin, loc. cit., p. 353-354.
dudict sieur mareschal de tout ce qui concerne le gouvernement de la Guyenneen général339.
Cet extrait montre également que le maréchal devait généralement suivre les ordres du roi,
mais qu'il devait parfois s'en remettre à ses propres décisions lorsque l'urgence de la
situation le commandait, et qu'il jouissait donc d'une certaine indépendance. Au début
d'août 1595, Henri IV écrivit de nouveau à Bourdeille pour l'informer de l'envoi
d'instructions au maréchal de Matignon sur les mesures à prendre face aux révoltes des
Croquants. Il réitéra son désir que Bourdeille s'en tienne aux décisions de Matignon :
« Conduisez-vous selon son advis », nota-t-il340. Peu de marge de manœuvre était donc
laissée, en théorie, au gouverneur et sénéchal de Périgord qui disposait par ailleurs de
moyens limités. Bourdeille dut ainsi demander l'aide de Matignon, le 8 mai 1594, pour
rassembler une armée afin de défendre sa sénéchaussée. « Monsieur, rapporta-t-il, je suis
réduict en extrême peyne, tant par l'extrême nécessité de moyens en laquelle je suis plongé,
que par l'extrême importance de l'eslévation du peuple de ce pays, vous asseurant que, sans
la défectuosité de moyens en laquelle je suis, ceste eslévation ne seroit advenue341. »
Bourdeille disposait donc, a priori, de peu de liberté pour répondre à des conflits comme
les révoltes des Croquants de Périgord.
Néanmoins, comme les émotions populaires provoquèrent des angoisses chez les
gentilshommes, une ligue de la noblesse, nous l'avons vu, fut créée en juillet 1594 dans le
but de venir en aide à Bourdeille et de lui permettre d'assembler des forces pour mater les
soulèvements. Cette ligue des nobles n'attendit pas les ordres du roi ou de Matignon pour
agir, même si elle aurait dû s'en tenir à leurs ordres. Même si le maréchal tenta de protéger
les Croquants en dissuadant Bourdeille et ses disciples de se mettre en campagne, ces
derniers se rassemblèrent et dispersèrent les paysans après la récolte de 1594, lorsque les
assemblées des Croquants reprirent342. Même après les attaques de Bourdeille, le maréchal
339 Bibliothèque de l'Arsenal, Ms. N° 4019, Recueil Conrart, T. 4, tiré de Tarde, op. cit., p. 393.340 « A Monsr de Bourdeille », 3 août 1595, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 388.341 BN, Ms Fr. 2374, p. 162, tiré de Tarde, op.cit., p. 400.342 Briggs, op. cit., p. 113.
99
continua à défendre les Croquants, en empêchant les représailles et en leur obtenant un
pardon343.
Les actions qui furent entreprises par le maréchal découlaient en majeure partie des
instructions du roi, alors que celles de Bourdeille étaient en partie dictées par la noblesse
locale. Malgré une réelle volonté de régler le conflit dans la clémence, le roi et ses agents
ne pouvaient se permettre de déplaire aux autorités locales, vivement indisposées par ces
révoltes. Ainsi, on accorda peut-être plus de liberté aux nobles - dont certains ne l'oublions
pas étaient récemment revenus dans le giron royaliste - par peur qu'ils la prennent eux-
mêmes, ou encore dans le but de s'assurer de conserver leur allégeance et de les en
récompenser. Le roi laissa donc les nobles utiliser la force contre les révoltés, mais dans
une certaine mesure seulement. Certains actes répressifs furent condamnés par le
gouvernement et par son représentant, Matignon. Par exemple, en octobre 1595, Jean de
Vivonne, marquis de Pisani, entreprit une promenade militaire avec des forces locales pour
mettre fin aux soulèvements populaires près d'Agen. Le maréchal de Matignon reprocha au
marquis d'avoir levé des forces locales, condamnant la sévérité de ses actions. Un pardon
royal, reconnaissant la justesse des griefs ayant mené les paysans aux soulèvements, blâma
les actions de Pisani, les condamna et affirma que ce dernier était allé à rencontre de
l'autorité royale344. De même, en août 1595, lorsque Bourdeille attaqua des Croquants, son
geste fut également blâmé par le maréchal de Matignon : « Les lettres d'abolition expédiées
par le Conseil la [l'attaque de Bourdeille] représentèrent comme le fruit d'une erreur de
jugement sur le caractère des assemblées et comme une offense à l'autorité du roi345. » Le
maréchal avait ainsi condamné les actions entreprises par Bourdeille et lui avait d'ailleurs
dépêché un gentilhomme, dès l'annonce de sa campagne, afin de lui ordonner de renvoyer
les forces qu'il avait assemblées346. Aucune procédure ne fut entreprise contre les paysans
qui avaient été arrêtés et le comte d'Ambleville interdit que l'on pende les capitaines qui
furent pris à Condat-sur-Vezère347. De même, les syndics des paroisses et les colonels des
343 Ibid.,p. 114.344 Brown, loc. cit., p. 601. Les sources utilisées par l'auteur pour arriver à cette conclusion n'ont toutefois puêtre retracées.345 Bercé, Histoire des Croquants, op. cit., p. 288.346 M. A. de Roumejoux, « Livre noir de Périgueux », Bulletin de la société historique et archéologique duPérigord, T. 11 (1884), p. 491.347 Ibid.
100
régiments ne furent pas poursuivis. L'arrêt du 30 novembre empêcha également les
gentilshommes ligueurs d'aller de l'avant avec les plaintes qu'ils avaient déposées au
parlement de Bordeaux au sujet de vols dont ils avaient été victimes de la part de certains
Croquants348. Cela montre que les autorités supérieures n'étaient pas directement à l'origine
de l'utilisation de la force, même si elles l'avaient parfois suggérée, et que, bien souvent,
elles n'approuvèrent pas de tels gestes.
Cependant, le roi consentit tout de même à certaines occasions au recours à la force
puisque l'on retrouve dans sa correspondance des mots de félicitations à l'égard des
autorités en place qui en avaient fait usage. Ainsi, le 4 décembre 1595, le roi écrivit à
Bourdeille :
Au demeurant, vous avés bien faict de vous estre conduict par l'advis de moncousin le mareschal de Matignon, à coupper chemin aux desseing de cespeuples qui s'estaient armez et eslevez contre mon auctorité en mon dict paysde Guyenne, et auray bien agréable qu'en toutes occasions, vous exécutiez cequ'il vous fera entendre de ma part et pour le bien de mon service, que je vousrecommande [...]349.
Le 20 décembre 1595, Henri IV remercia De Nouailles d'avoir utilisé la force contre les
Croquants à Tulle, en Limousin :
Vous m'aves faict service très a propos et agréable de vous estre jecte de maville de Tulle avec vos amys, pour défendre les habitans d'icelle de l'injure deces nouveaux révoltez qui troublent mon pays de Limosin, comme m'a escriptle sieur de Boissize, et l'ay aussy apprins par l'une de vos lettres. Je vous enremercie et prie de persévérer au besoin que mon service et le pays en ont, et jele recognoistray quand l'occasion s'en présentera350.
La force fut donc utilisée pour mettre fin aux révoltes populaires du Sud-Ouest à la fin des
guerres de Religion. Elle fut, dans certains cas, directement commandée par le roi; parfois,
elle ne fut que discrètement encouragée par lui; à d'autres moments, elle fut carrément
condamnée par lui. Une chose est certaine : il y eut bel et bien des réflexions sur les façons
de procéder et la force ne fut pas bêtement utilisée comme si elle était le seul recours
possible pour mettre fin à des révoltes, même si elles étaient populaires. D'ailleurs, comme
348 Ibid.349 « A Monsr de Bourdeille », 4 décembre 1595, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 472.350 « A Monsr de Nouailles », 20 décembre 1595, dans Ibid., p. 481.
101
avec les nobles dans le cadre des guerres civiles, la répression resta un moyen envisageable
tout au long des révoltes, même si le premier Bourbon prêcha l'usage de la clémence avant
toute chose.
Étant éloigné et ayant fort à faire pour mettre fin aux guerres civiles, Henri IV
n'avait d'autres choix que de négocier les méthodes de règlement de conflits avec les
autorités locales qui, elles, effrayées par la menace de subversion, étaient enclines à la
répression. Ainsi, une grande liberté d'appréciation fut laissée aux intendants et aux
gouverneurs en place, chacun ayant sa conception personnelle sur sa mission : « Le
gouvernement agissait donc d'une manière très pragmatique, tenait compte des rapports de
force locaux, laissait souvent la bride sur le cou à ses agents351. »
On peut également supposer qu'une part d'impuissance empêcha le roi d'aller plus
loin dans sa politique d'apaisement envers les Croquants. Après tout, Henri IV avait
beaucoup à faire en ce temps de guerre et la misère vécue par ses paysans était généralisée,
ce dont le premier Bourbon était d'ailleurs bien conscient. Dans une lettre adressée à
Malicorne en mars 1595, Henri IV faisait état de ces réflexions :
[...] ceste calamité publique [la misère paysanne] est maintenant si communeen mon Royaume qu'elle est quasy tournée comme une habitude partout, dontje porte un extrême et incroyable regret; et d'autant qu'il est malaisé deremédier, selon mon désir, aux afflictions des provinces si esloingnées de lavostre, ne pouvant vacquer à toutes choses, si ce n'est que ceux qui ont chargeet commandement de moi en mes dictes provinces entreprennent la protectionde mon peuple, chose pour quoy je commenceray ceste lettre pour vous prierd'en avoir soing et y apporter les meilleurs et plus salutaires remèdes qu'il voussera possible, selon la fiance que j 'ay en vous352.
Le roi avouait donc dans cette missive s'en remettre aux élites locales pour remédier aux
conflits se déroulant dans ses provinces éloignées. Bien qu'il appelait ces derniers à faire
preuve de douceur, il était conscient de la portée tout de même limitée de son message.
Il semble qu'un autre élément eut un impact dans le jeu de pouvoir qui se déroula
entre le gouvernement et les autorités locales. Selon Vivanti, le roi retarda volontairement
351 Jouhaud, loc. cit., p. 57.52 « A Monsr de Malicorne », vers la fin mars 1595, dans de Xivrey, op. cit., T. 4, p. 727.
102
l'envoi de son conseiller d'État en Périgord afin que les Croquants continuent de terroriser
la noblesse ligueuse et qu'ils favorisent ainsi son ralliement. La monarchie tira donc
intentionnellement profit de ces soulèvements qui amenèrent la noblesse ligueuse à
réclamer une intervention du pouvoir central353. Par ailleurs, dans la lettre qu'il adressa au
roi le 26 mai 1594, Bourdeille exposa cette stratégie à son souverain: «De vos
commandements d'empescher les oppressions qu'ils en recepvoyent en imitant ceux du
Lymouzin premiers eslevés Aquoy j 'ay temporisé354 avec les gentilhomme nos serviteurs
d'autant que ceste ouverture rapportait advantage a nostre service & crainte a nos ennemis
& croys que cella a de beaucoup advancé la recognoissance de leur debvoir355. » Le
gouverneur de Périgord réalisa donc pleinement l'aide apportée par les Croquants aux
ralliements ligueurs et le fait de retarder l'utilisation de la force a donc servi le roi qui avait,
au-delà d'une volonté de bien faire, un avantage à tirer de la clémence. Que l'envoi de
Boissise ait été volontairement repoussé ou pas, il reste que la lenteur de la mise en œuvre
de quelconque politique d'apaisement engendra effectivement le ralliement de nombreux
ligueurs apeurés. La noblesse préféra l'autorité royale à l'anarchie sociale, et mit de côté
ses revendications pour se rallier au roi356. Ainsi, au début de juillet 1594, le parlement de
Bordeaux laissait savoir au roi que la Ligue avait beaucoup reculé dans la région : « Ceste
bonne nouvelle ja par nous envoyée et divulgée par tout et en espérons beaucoup du fruict
pour l'advansement de vostre service en la Guyenne, laquelle desja presque toute remise, et
n'estait les élévations populaires, elle jouirait de quelque repos357.»
Le message de clémence prôné par Henri IV réussit tout de même à modérer la
répression infligée aux Croquants. Comme l'État était toujours en construction et que le
gouvernement était loin de posséder une emprise complète sur ses provinces, et à plus forte
raison lorsqu'elles étaient éloignées de la région parisienne, le roi n'avait d'autres choix
que de négocier les méthodes de règlement de conflits avec les élites locales, qui
possédaient d'ailleurs des forces indépendantes du roi. Comme les révoltes engendrèrent de
profondes angoisses chez les nobles, qui eurent peur pour leur vie et pour la conservation
353 Vivanti, Guerre civile et paix religieuse, op. cit., p. 32.354 Temporiser signifie différer, reculer. (Furetière, op. cit.)3 5 5 B N , M s . Fr. 23194 , fol. 165.356 Salmon, op. cit., p. 291 .357 « Lettre du Parlement de Bordeaux à Henri IV », 3 juilllet 1594, dans A. H. Gironde, T. 14 (1873) , p. 315.
103
des hiérarchies, il eut été bien difficile pour le gouvernement d'empêcher complètement
l'utilisation de la force.
Salmon estime qu'au cours des nombreuses révoltes qui prirent naissance en France
à l'époque moderne, le juste équilibre entre les pouvoirs royaux et ceux des autoritésTCO
locales contribua à réduire la répression subie par les révoltés . On a également affirmé
que la prise en charge de l'État signifiait une hausse du recours à la violence359. Cependant,
en ce qui a trait aux révoltes qui retiennent notre attention dans ce travail, il semble que ce
fut l'effet inverse. La négociation du règlement des conflits entre les autorités locales et le
gouvernement contribua à augmenter l'utilisation de la force. Il semble que le roi dut mettre
un frein à sa politique d'apaisement en raison des réactions des élites en place. Cette
utilisation de la force pour mettre fin aux révoltes ne fut donc pas systématique et
irréfléchie aux yeux du roi puisqu'elle découlait en grande partie de son incapacité à
exercer une emprise complète sur la noblesse de province et sur les autorités locales. Il faut
dire que l'utilisation de la répression contre les paysans put contribuer en quelque sorte à
soulager les nobles et à les décharger de leurs responsabilités dans les horreurs commises
au cours des guerres de Religion.
C.3 Les paysans comme polluants sociaux
La décision des autorités locales de s'en prendre aux paysans fut essentiellement
dictée par la peur, mais fut également liée à un besoin de trouver des coupables pour les
malheurs qui sévissaient dans le royaume, dans le contexte de ces expériences
traumatisantes que furent les guerres civiles.
Plusieurs études ont montré les moyens qui ont été pris pour remettre de l'ordre
dans le royaume à la fin des guerres civiles, spécialement en se débarrassant de ce que
l'anthropologue Mary Douglas a qualifié de polluants sociaux360. En fait, dès le XVIe siècle,
les hommes politiques français ont eu tendance à imputer les malheurs du royaume à
35*Ibid, p. 6 0 1 .359 Salmon, op. cit.360 Mary Douglas, De la souillure : essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, La Découverte &Syros, 2001 (1967).
104
certaines catégories de personnes, soit les roturiers, les étrangers et les femmes, qui
devinrent les trois polluants majeurs accusés d'être responsables du sort de la France361.
Michel De Waele a expliqué comment les femmes impliquées en politique ont été
utilisées comme boucs émissaires pendant et après les guerres de Religion et comment,
dans le cadre de la politique de réconciliation nationale de Henri IV, on a voulu les écarter
de la vie politique française . De son côté, Robert Descimon a montré comment les
royalistes ont tenté d'associer les membres de la Ligue à des gens du petit peuple, afin de
les discréditer363. Cette propension qu'avaient les hommes politiques à se décharger de
leurs responsabilités dans les horreurs des guerres sur ceux qui n'étaient pas nobles,
français ou masculins à la suite des troubles de religion en France peut expliquer, en partie,
le recours à la répression contre la paysannerie lors des révoltes populaires. En effet, il
apparaissait plus facile pour le roi de laisser les nobles se défouler sur le petit peuple, qui
avait le grand défaut d'être roturier, que d'aller à l'encontre de leur volonté et de leur désir
de vengeance.
En plus de servir d'exutoire parce qu'ils n'étaient pas nobles, on a tenté injustement
d'associer les paysans à des étrangers, pour rendre les actes qu'ils avaient commis encore
plus condamnables. On a donc tenté de les assimiler à des étrangers, en l'occurrence à des
Suisses, dans le but de mieux pouvoir rejeter la faute sur eux. Ainsi, Bourdeille, dans une
lettre adressée au roi le 26 mai 1594, faisait remarquer avec inquiétude que les Croquants
avaient « desployées des tambours qu'ilz baptent la plus part a la souyse »364. Plus encore,
dans les articles de la ligue de la noblesse contre les paysans soulevés dans le Sud-Ouest,
on précisa que les Croquants avaient voulu « renverser la monarchie et établir une
démocratie à l'exemple des Suisses » 365. « Aucuns populaires, écrivit La Noue, se
plaignant de l'arrogance de la noblesse les voudraient traiter à la façon de Suisse. Encore,
361 Michel De Waele, « La fin des guerres de Religion et l'exclusion des femmes de la vie politiquefrançaise », French Historical Studies, 29 (2006).362 Ibid, p. 204.363 Descimon, op. cit., p. 31-32.364BN, Ms. Fr. 23194, fol. 165.365 Jean-Jacques Escande, Histoire de Périgord, Paris Editions A et J. Picard & cie., 1957, p. 346-347, tiré deSalmon, op. cit., p. 288.
105
que les Suisses n'ayent pas fait tout ce que ceux-là pensent366. » Ainsi, plusieurs membres
de la noblesse et des autorités locales crurent - ou voulurent croire - que les Croquants
avaient pris exemple sur les Cantons suisses. L'expression « à la mode de Suisse » était, il
faut le dire, très fréquente à cette époque. Elle était souvent employée pour montrer la
noirceur d'un adversaire qu'on accusait de projeter une révolte à la mode suisse367. Qu'ils
aient réellement cru à ces accusations ou non a peu d'importance puisque ces témoignages
montrent que les nobles, consciemment ou pas, ont voulu voir dans les actes de ces
roturiers la malencontreuse influence étrangère.
Donc, malgré tous les efforts de clémence et les concessions accordées par le roi,
qui montrent que l'usage de la force pour éteindre les révoltes des Croquants n'était pas
systématique et irréfléchi sous le gouvernement de Henri IV, la répression fut utilisée. Ce
recours découlait en grande partie de l'incapacité du roi à contrôler entièrement les
autorités locales, particulièrement lorsqu'elles étaient loin du centre. Le roi fut donc
contraint de négocier les méthodes de règlement de conflits avec elles. La noblesse de
province, qui fut terrorisée par les soulèvements, réclama un usage de la force contre le
petit peuple et y participa activement, entre autres parce qu'elle percevait les paysans
comme des polluants sociaux.
366 La Noue , Discours politique et militaires, éd. F. E. Sutcliffe, tiré de Bercé, Histoire des Croquants, op. cit.,p. 287.367 Ibid.
Conclusion
II est très facile de se laisser berner par nos préjugés et de croire que les rois de
l'époque moderne n'avaient aucune considération pour le petit peuple, qu'ils ménageaient
leurs efforts pour lui venir en aide et qu'ils étaient avares de concessions lorsque venait le
temps de régler un soulèvement. Dans ce mémoire, nous avons vu que, au contraire, les
princes de l'Ancien Régime accordèrent une grande importance à la clémence, remise à
l'honneur grâce à l'étude des textes anciens qui caractérisa la Renaissance ainsi qu'en
raison du poids de la religion, qui incitait les rois à mettre en pratique leurs valeurs
chrétiennes. D'ailleurs, les discours entourant le recours de la clémence chez les princes
n'ont jamais fait de distinction entre son usage envers les nobles et envers les paysans,
exhortant à son utilisation envers tous. Cette vertu faisait de ceux qui y avaient recours des
rois modèles. Nous avons vu que certains rois de l'époque moderne, comme Henri VIII
d'Angleterre - même si la mémoire populaire n'en garde sans doute pas une image de
clémence - et Philippe IV d'Espagne, ont cru bon de régler certaines révoltes populaires de
façon pacifique, ce qui prouve que l'utilisation de la violence n'était pas la seule solution
possible pour enrayer des conflits mettant en scène des paysans, encore moins pour un roi
comme Henri IV, reconnu pour sa clémence. Ce monarque démontra d'ailleurs, dans sa
correspondance, une grande empathie, un sentiment paternel et une volonté de protection
envers le petit peuple. Le Béarnais fit également preuve d'une grande magnanimité envers
la noblesse, si bien qu'il pardonna et même oublia les fautes qu'elle commit lors des
guerres de Religion. La très grande clémence dont il fit usage envers les nobles, qui
impliqua que les coupables du terrible conflit civil restèrent impunis, fit en sorte que l'on
chercha par la suite des responsables pour porter le poids de la culpabilité. Cette haine, ce
mépris, ce besoin de diriger sa colère vers des individus afin de se libérer des atrocités
commises pendant cette période peu glorieuse de l'histoire de France retombèrent donc sur
la paysannerie, plus facilement condamnable que la noblesse.
Prouvant une fois de plus qu'on ne réglait pas les révoltes par une répression
systématique au cours de l'Ancien Régime et que les mesures à prendre dans ce type de
conflit n'étaient pas envisagées avec légèreté, Henri IV offrit plusieurs concessions aux
Croquants qui s'étaient révoltés dans le Sud-Ouest du royaume à la fin des guerres de
107
Religion et recommanda à la noblesse de province et aux autorités locales un usage de la
clémence envers eux. Cependant, le recours à la force ne fut jamais écarté dans les
instructions que le roi envoya aux autorités locales, non en raison d'une volonté d'usage de
la répression, mais plutôt parce que le monarque savait qu'il ne disposait pas des moyens
nécessaires pour exiger la douceur des autorités locales et encore moins des nobles de
province, en raison notamment de leur éloignement du centre et de la faiblesse de l'autorité
royale. De plus, aux prises avec les guerres de Religion, Henri IV se trouvait dans une
position difficile et ne pouvait se permettre de s'aliéner une partie de la noblesse du Sud-
Ouest. Les nobles, qui furent à l'origine d'une utilisation de la force envers le petit peuple,
n'agirent toutefois pas ainsi parce qu'ils croyaient que la répression était le seul moyen de
régler les soulèvements populaires, pas plus qu'il ne s'agissait d'un simple désir de
violence envers eux. C'est plutôt parce qu'ils furent terrorisés par ces révoltes et crurent -
ou laissèrent croire - que la hiérarchie sociale était en danger qu'ils recoururent à cette
méthode. Nous pouvons affirmer que l'usage de la répression n'était pas plus systématique
et irréfléchi aux yeux des nobles qu'aux yeux de la monarchie, mais découlait bel et bien
d'une angoisse profonde face à ce qu'ils percevaient comme une menace de subversion.
Le déroulement du règlement des soulèvements étudiés montre que le roi fit des
efforts sincères et posa des gestes concrets afin de régler les révoltes des Croquants dans la
douceur. Malgré tout, cela nous amène à nuancer la légende henricienne. « Dans la
mémoire des Français, écrit Jean-Pierre Babelon, Henri IV ne semble avoir connu aucune
disgrâce368 ». Cela montre à quel point l'historiographie a transmis une vision idéalisée de
Henri IV, dont l'image positive fut amplifiée par le règne moins glorieux de son
prédécesseur et les troubles de la régence de Marie de Médicis après sa mort. Sans nier son
apport et ses réussites, et sans remettre en question le fait qu'il ait fait preuve, beaucoup
plus que d'autres rois, de clémence dans certaines situations, peut-on vraiment voir Henri
IV comme un roi exemplaire envers le petit peuple? Il semble que non, puisque le Béarnais,
malgré son désir d'utiliser la clémence - une vertu divine à ces yeux -, malgré ses
premières intentions de régler le conflit de façon pacifique, malgré sa pleine conscience des
problèmes vécus par la paysannerie, a laissé les autorités en place utiliser la force - et en a
368 Babelon, op. cit., p. 7.
108
même parfois ordonné lui-même l'usage - pour mettre fin aux révoltes populaires.
Toutefois, force est de constater que le premier Bourbon ne traita pas les paysans de façon
bien différente des nobles. Le roi n'hésita pas à accorder de grandes concessions à la
noblesse qui s'était rebellée contre lui afin de lui plaire, notamment avec l'abjuration de sa
religion. Néanmoins, le roi exigea d'elle en échange une reconnaissance de son autorité et
surtout un oubli des fautes passées afin de favoriser une réconciliation nationale. Ce n'est
que lorsque cette dernière accepta les termes de ce processus de dons et de contre-dons que
le roi cessa ses combats contre elle. Le roi utilisa donc la force contre la noblesse.
D'ailleurs, la plupart de la répression que le roi ordonna contre les paysans eut lieu après
que celle-ci ait décliné une entente qui consistait notamment à mettre en place une politique
d'oubli. Les paysans tenant absolument à faire punir les nobles dont ils avaient subi les
foudres, le roi ne put accepter de faire la paix avec eux. Si Henri IV a préféré en venir à la
répression envers ces paysans, c'est qu'il avait beaucoup plus à perdre à mécontenter la
noblesse, qui lui causait tant de difficultés dans le cadre des guerres de Religion, que les
paysans. Toutefois, il faut comprendre que l'État, qui n'en était encore qu'à ses premiers
balbutiements au XVIe siècle, n'avait pas les moyens de contrôler complètement les
autorités locales. Devant composer avec ces limites, Henri IV, même s'il avait ardemment
désiré qu'un traitement doux et clément soit la seule façon de réagir à ce conflit, n'aurait pu
le mettre en application. Le premier Bourbon était par ailleurs bien conscient des limites de
son autorité sur la noblesse locale. Donc, sans faire de lui un modèle, sa réputation de roi
clément semble justifiée, du moins quand on ne tombe pas dans la légende et l'idéalisme.
L'étude des révoltes des Croquants semble confirmer la théorie de Bercé, Jouhaud
et Brown selon laquelle la répression des soulèvements populaires était plutôt modérée, en
France, avant le règne du Roi-Soleil. Henri IV fit bel et bien usage de la force pour calmer
les révoltes des Croquants, mais cette utilisation fut tout de même tempérée et combinée
avec l'offre de concessions et des gestes d'apaisement. Cependant, contrairement à ce qu'a
affirmé Bercé au sujet des règnes précédant celui de Louis XIV369, le recours plus
important à la clémence plutôt qu'à la répression chez le Béarnais ne découle pas
uniquement de son manque d'autorité sur ses provinces. Au contraire, Henri IV avait une
369 Bercé, op. cit., p. 52.
109
volonté d'aller plus loin dans sa politique d'apaisement. Sous son gouvernement, pendant
les révoltes des Croquants, il semble donc que l'usage de la clémence aurait été plus grand
s'il n'avait pas eu à négocier les méthodes de règlement de conflits avec la noblesse de
province et les autorités locales. En fait, il semble que c'est l'incapacité d'imposer une
pleine autorité sur les élites locales, Péloignement du centre et la présence de guerres
civiles, dans lesquelles les nobles étaient fortement impliquées, qui amenèrent le premier
Bourbon à faire une entorse à sa politique d'apaisement pour permettre, et même exiger,
une certaine utilisation de la répression envers les paysans révoltés.
Il reste beaucoup à faire pour comprendre comment fonctionnaient véritablement les
méthodes de règlement des révoltes populaires sous les gouvernements de l'Ancien Régime
puisque la fin de ce genre de soulèvements fut très peu étudiée. Comme chez Henri IV,
existait-il chez les autres monarques qui firent face à ce genre de conflits des raisons
semblables qui les poussèrent à la répression ou encore, au contraire, des incitatifs à l'usage
de la clémence? La façon dont on mit fin aux guerres civiles a-t-elle eu une répercussion
sur les méthodes utilisées pour calmer les révoltes populaires? Est-il possible pour un
monarque faisant face à deux types de conflits, impliquant des membres d'ordres sociaux
différents, d'y mettre fin de la même façon?
Annexe I : L'Aquitaine
P O I T O U-«Mthn
SDmilit
(Source : J. H. M. Salmon, Society in Crisis : France in the Sixteenth Century London EBenn, 1975 p. 283.)
Annexe II : La France au cours des guerres de Religion
Peronne
Rouen
Vincennes Chalons^ ^sur-Marne
Etampes. ^y-s^S<, Fontainebleau «Sens \ "
BRITTANYRennes
Châtellerault.• .BERRYChateauroux
DAUPHrangs
AvignonPROVENCE
*Aix-en-Provence
(Source : Mack P. Holt, The French Wars of Religion, 1562-1629, Cambridge, CambridgeUniversity Press, 1995, p. 155.)
Annexe III : Chronologie des révoltes des Croquants
Année 1593
Décembre
31 déc.
Les révoltes se déclenchent dans la vicomte de Turenne et s'étendentensuite en Limousin, en Périgord, en Marche, en Quercy, enAgoumois et en Saintonge.
Le parlement de Bordeaux rend un premier arrêt contre lesCroquants. (Première trace du conflit dans les archives.)
Année 1594
Janvier
22 janv.
Mars
10 mars
11 mars
23 mars
Avril
2 avril
18 avril
23 avril
Près de 12 000 paysans s'assemblent à Dognon, en Limousin.
Le conseil entend les remontrances du trésorier de France en lagénéralité de Limoges au sujet des soulèvements populaires.
Le parlement de Bordeaux rend un deuxième arrêt contre lesCroquants.
Henri IV annonce l'envoi de son conseiller d'État Boissise enLimousin, en Périgord et en Saintonge pour entendre les doléancesdes Croquants.
Le parlement de Bordeaux rend un troisième arrêt contre lesCroquants.
Un quatrième arrêt contre les Croquants est rendu par le parlement deBordeaux.
Le parlement de Bordeaux rend un cinquième arrêt contre lesCroquants.
Une assemblée de 7000 à 8000 Croquants se tient à Abzac. On ydécide de l'envoi de députés au roi.
113
Mai
11 mai
Près de 2 000 Croquants s'assemblent à Saint-Yrieix et Saint-Léonard.
Le roi ordonne à Bourdeille de se préparer à mettre fin ausoulèvement avec la force.
Du 23 au27 mai
31 mai
Les représentants des Croquants se font entendre au conseil du roi.On accède à la plupart de leurs requêtes.
De 20 000 à 40 000 paysans s'assemblent à La Boule, près deBergerac, en Périgord. Il s'agit du plus important attroupement de cesrévoltes.
Juin
Juillet
Le roi promet un pardon aux Croquants s'ils posent les armes avantle 25 juin.
Chambaret se met en campagne contre les Croquants et marche surun attroupement dans le bourg de Bujaleuf, en Limousin.
9 juin Chambaret bat en retraite en raison de la faiblesse de ses forces ets'en remet au consul de Saint-Léonard pour conclure une trêve avecles Croquants.
12 juin Les Croquants tiennent une assemblée à Limeuil.
24 juin Les troupes des Croquants sont écrasées dans le village de Pousse,près de Saint-Priest-Ligoure, en Limousin. Près de 2 000 d'entre euxsont tués par les troupes de Chambaret ayant reçu le renfort desgouverneurs d'Auvergne et de la Marche.
Masses rompt une assemblée de 2 000 Croquants en Saintonge. Plusde 100 périssent.
Une ligue de la noblesse est formée pour venir en aide à Bourdeillecontre les Croquants dans le Salardais.
Boissise arrive en Limousin. Il ne réussit pas à désarmer les paysans,mais autorise leur assaut au château du baron de Gimel, un noble dela Ligue.
Octobre
27 oct.
114
Le roi accorde aux Croquants du Limousin une remise de la moitiédes restes des tailles de l'année 1593.
25 déc. Le baron de Gimel se rend, après quatre mois de siège.
Année 1595
Février
Mars
Mai
Juillet
Août et septembre
Les Croquants de Périgord se soulèvent une nouvelle fois.
Ils soumettent des demandes, qui sont refusées, aux États provinciauxde Périgueux.
L'enthousiasme des paysans commence à s'essouffler.
Un édit royal défendant les droits des paysans est promulgué.
Reprise des assemblées paysannes près de Périgueux.
Bourdeille, avec l'aide de gentilhommes et d'hommes de pied,disperse les Croquants aux combats de :
19 août24 et 25 août4 sep.
Negrondes;St-Crépin-d'Auberoche;Condat-sur-Vézère.
Octobre
Ces gestes seront par la suite condamnés par Matignon.
Les révoltes s'estompent graduellement.
Le marquis de Pisani rétablit l'ordre en Saintonge et en Angoumois àla suite d'une promenade militaire. Ces gestes seront condamnés parle roi
115
Année 1596
Novembre
Le roi confirme les remises d'impôts.
30 nov. Un arrêt du Conseil du roi est émis pour que cessent les poursuitescontre les Croquants. Le document justifie également les prisesd'armes paysannes.
Annexe IV : Le protestantisme en France au XVI siècle
Les guerres de religion
0 100 kmI i ESPAGNE
Mer Méditerranée
IZone d'influence de la Ligue catholique
Zone d'influence protestante
Possessions espagnoles
it Massacre ou bataille
• Traité ou édit
(Source : Georges Delobbe, Atlas historique : Trois millénaires en Europe et en France,Mouans-Sartoux, 2001, p. 32.)
Bibliographie
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