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Le sevrage de la ventilation mécanique en réanimation : un trinôme ? Mechanical ventilation weaning in intensive care unit: A trinomial? Service de réanimation polyvalente, groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, 185, rue Raymond-Losserand, 75014 Paris, France Reçu le 2 novembre 2012 ; reçu sous la forme révisée le 26 février 2013 ; accepté le 23 mars 2013 INTRODUCTION L'admission de patients en réanimation nécessite souvent le recours à une ventilation mécanique invasive (VM). Dès l'intubation il s'avère crucial d'identier le « moment idéal » le patient pourra être séparé du ventilateur puis de la sonde d'intubation. En effet la VM est associée à la survenue de complications d'autant plus que celle-ci est prolongée : Aymeric Le Neindre Céline Araujo François Piton Stéphanie Angeli Cédric Bruel Mots clés Kinésithérapeute Mécanique ventilatoire Protocole multidisciplinaire Sevrage Trinôme Ventilation mécanique Keywords Mechanical ventilation Multidisciplinary protocol Physiotherapist Trinomial Weaning Auteur correspondant. A. Le Neindre, Service de réanimation polyvalente, groupe hospitalier Paris-Saint- Joseph, 185, rue Raymond- Losserand, 75014 Paris, France. Adresse e-mail : aymeric.leneindre@gmail. com (A. Le Neindre) RÉSUMÉ La question du sevrage de la ventilation mécanique se pose dès l'intubation du patient admis en réanimation. Les différentes étapes de ce processus peuvent suivre un protocole de sevrage multidisciplinaire, dont la littérature a montré l'intérêt même si leur efcacité est à modérer au regard des biais présents dans les études. Ces dernières mettent également en exergue un trinôme médecin, inrmière et kinésithérapeute, qui exercent en étroite collaboration et coor- dination. Le kinésithérapeute y occupe ainsi une place à part entière et met à prot son expertise en matière d'évaluation de la mécanique ventilatoire tout au long du sevrage. Dans ce trinôme, l'activité du kinésithérapeute de réanimation francophone s'apparente à celle des thérapeutes respiratoires et physiothérapeutes anglo-saxons. Le kinésithérapeute trouve ainsi une place clairement identiée dans ce trinôme lors du sevrage de la ventilation mécanique. Niveau de preuve. Non adapté. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. SUMMARY The question of mechanical ventilation weaning arises as soon as the patient admitted to the intensive care unit is intubated. The different steps of this process can follow a multidisciplinary weaning protocol, whose literature has shown the interest. However, their effectiveness has to be moderated taking in account the bias present in the studies. Latter also highlight a trinomial physician, physiotherapist, nurse who exercise in close collaboration and coordination. The physiotherapist occupies an important place and makes the best use of his expertise in assessing ventilatory mechanisms throughout the weaning. In this trinomial, the activity of French physiotherapist in ICU is similar to anglo-saxon respiratory therapists and physiothera- pists. The physiotherapist has a clearly identied place in this trinomial during weaning from mechanical ventilation. Level of evidence. Non applicable. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Kinesither Rev 2013;13(143):2229 Savoirs / Contribution originale 22 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2013.03.014

Le sevrage de la ventilation mécanique en réanimation : un trinôme ?

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Page 1: Le sevrage de la ventilation mécanique en réanimation : un trinôme ?

Kinesither Rev 2013;13(143):22–29Savoirs / Contribution originale

Le sevrage de la ventilationmécanique en réanimation : untrinôme ?

Mechanical ventilation weaning in intensive care unit:A trinomial?

Aymeric Le NeindreCéline Araujo

Service de réanimation polyvalente, groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph, 185, rueRaymond-Losserand, 75014 Paris, France

François Piton

Stéphanie AngeliCédric Bruel

Reçu le 2 novembre 2012 ; reçu sous la forme révisée le 26 février 2013 ; accepté le 23 mars2013

Mots clésKinésithérapeuteMécanique ventilatoireProtocolemultidisciplinaireSevrageTrinômeVentilation mécanique

KeywordsMechanical ventilationMultidisciplinary protocolPhysiotherapistTrinomialWeaning

Auteur correspondant.A. Le Neindre,Service de réanimationpolyvalente, groupe

RÉSUMÉLa question du sevrage de la ventilation mécanique se pose dès l'intubation du patient admis enréanimation. Les différentes étapes de ce processus peuvent suivre un protocole de sevragemultidisciplinaire, dont la littérature a montré l'intérêt même si leur efficacité est à modérer auregard des biais présents dans les études. Ces dernières mettent également en exergue untrinôme médecin, infirmière et kinésithérapeute, qui exercent en étroite collaboration et coor-dination. Le kinésithérapeute y occupe ainsi une place à part entière et met à profit son expertiseen matière d'évaluation de la mécanique ventilatoire tout au long du sevrage. Dans ce trinôme,l'activité du kinésithérapeute de réanimation francophone s'apparente à celle des thérapeutesrespiratoires et physiothérapeutes anglo-saxons. Le kinésithérapeute trouve ainsi une placeclairement identifiée dans ce trinôme lors du sevrage de la ventilation mécanique.Niveau de preuve. – Non adapté.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

SUMMARYThe question of mechanical ventilation weaning arises as soon as the patient admitted to theintensive care unit is intubated. The different steps of this process can follow a multidisciplinaryweaning protocol, whose literature has shown the interest. However, their effectiveness has to bemoderated taking in account the bias present in the studies. Latter also highlight a trinomial– physician, physiotherapist, nurse – who exercise in close collaboration and coordination. Thephysiotherapist occupies an important place and makes the best use of his expertise inassessing ventilatory mechanisms throughout the weaning. In this trinomial, the activity ofFrench physiotherapist in ICU is similar to anglo-saxon respiratory therapists and physiothera-pists. The physiotherapist has a clearly identified place in this trinomial during weaning frommechanical ventilation.Level of evidence. – Non applicable.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

INTRODUCTION s'avère crucial d'identifier le « moment idéal »hospitalier Paris-Saint-Joseph, 185, rue Raymond-

Losserand, 75014 Paris,France.Adresse e-mail :aymeric.leneindre@gmail.

L'admission de patients en réanimationnécessite souvent le recours à une ventilationmécanique invasive (VM). Dès l'intubation il

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où le patient pourra être séparé du ventilateurpuis de la sonde d'intubation. En effet la VMest associée à la survenue de complicationsd'autant plus que celle-ci est prolongée :

com (A. Le Neindre)

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2013.03.014

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Kinesither Rev 2013;13(143):22–29 Savoirs / Contribution originale

pneumopathie [1], dysfonction diaphragmatique et augmenta-tion de la mortalité [2]. À l'inverse, les échecs d'extubation sontégalement associés à une surmorbidité et une surmortalitécausés par les réintubations [3]. À l'aspect médical s'ajoutel'impact en terme de santé publique, où le coût d'un séjour enréanimation nécessite de réduire au maximum la duréede ventilation mécanique, la morbidité et la duréed'hospitalisation.

L'identification de ce « moment idéal » constitue leprocessus de sevrage de la VM. Celui-ci consisteraà mener progressivement et précocement le patientde la ventilation mécanique à la ventilation spontanéepuis à l'extubation, de façon sécuritaire afin d'éviter la

réintubation.

Ce sevrage comporte plusieurs étapes [4,5] : recherche dumoment où le sevrage pourra débuter, réduction du supportventilatoire, épreuve de ventilation spontanée (VS) puis extu-bation ou bien, recours à la trachéotomie ou à une ventilationnon invasive post-extubation (Fig. 1). Le sevrage est réussiaprès une interruption de la VM pendant 48 heures. Le pas-sage à ces différentes étapes s'effectue suivant la recherchede critères ou de facteurs prédictifs d'échec ou de réussite.Ainsi Ely et al. [6] ont évoqué une liste de critères objectifs,Brochard, Marelich et al. [7,8] ont décrit un guideline de réduc-tion du support ventilatoire (diminution de l'aide inspiratoire(AI), de la FiO2 et de la pression expiratoire positive (PEP) enmaintenant une fréquence respiratoire < 30 cycles/min, uneSpO2 > 92 % et un volume courant (Vt) > 5 mL/kg) et descritères d'extubation ont été précisés par Hendrix et al. [9](Fig. 1).La formalisation de ce processus constitue un protocole desevrage et concerne les patients intubés depuis plus de48 heures. L'intérêt croissant porté à la recherche et à la miseen place de ces protocoles permet de limiter les variationsliées aux appréciations subjectives, et de fournir une pratiquede soins plus consensuelle, basée sur les preuves.Acteurs de cette démarche, le personnel infirmier et les kinési-thérapeutes sont contributeurs directs de cette prise encharge, en tenant compte de la réflexion de l'ensemble del'équipe soignante [4,5].L'objectif de cet article est de mettre en évidence l'intérêt de lamise en place de protocoles de sevrage multidisciplinaire,d'identifier un trinôme médecin, infirmière et kinésithérapeutedans lequel chacun possède un rôle propre mais interdépen-dant, et de clarifier en particulier le rôle et les compétences dukinésithérapeute au sein de ce trinôme.

UNE INTERVENTION MULTIDISCIPLINAIRE

L'intervention d'une équipe multidisciplinaire dans le sevragede la VM nécessite la mise en place d'un protocole sur lequelvont s'appuyer les différents professionnels.Une récente revue systématique, publiée par Blackwood et al.[10], a évalué l'efficacité d'un protocole de sevrage chez lespatients hospitalisés en analysant la littérature existante. Lesétudes comprenaient un groupe intervention dans lequel unprotocole de sevrage de la VM (au moins les 2 premièresétapes) était mis en place et un groupe contrôle dans lequelle sevrage était guidé par le médecin, sans protocole. La revue

met en évidence une diminution significative de la durée de VM(résultat variant selon le type de soins intensifs), une diminu-tion significative de la durée de sevrage et une diminutionsignificative de la durée de séjour en unité de soins intensifs(USI). Elle ne montre pas de différence quant à la mortalité, ladurée d'hospitalisation, le coût et la survenue d'évènementsindésirables comparés au groupe contrôle. Ils concluent à l'in-térêt de la mise en place de protocole de sevrage, à adapterselon le contexte local de l'USI et à associer au protocole desédation, tout en soulignant les limites des études (hétérogé-néité des études, logistique des services, méthodologie,essais en aveugle impossible etc.).

Concernant les professionnels mettant en œuvre cesprotocoles, il s'agissait soit de l'infirmière et du

thérapeute respiratoire, soit du thérapeute respiratoireseul, soit du médecin seul, soit de ces troisprofessionnels ensemble, soit d'un système

automatisé (algorithme de ventilateur) ou parfois sansprécisions.

White et al., dans leur revue systématique [11], ont tentéd'évaluer plus précisément l'impact d'une intervention multi-disciplinaire dans la conduite de ces protocoles de sevrage surla durée de ventilation mécanique. Les études sélectionnéespossédaient un groupe intervention dans lequel une équipemultidisciplinaire mettait en place et menait le protocole et ungroupe témoin où le sevrage était mené par le médecin seul.Les auteurs mettent en évidence une diminution significativede la durée de VM dans les groupes bénéficiant du protocolede sevrage mené par une équipe multidisciplinaire comparé augroupe contrôle. Les auteurs mettent en lumière plusieurslimitations aux résultats de ces études, semblables à ceuxde Blackwood et al. : contexte local des USI, méthodologie decollectes de données imprécise et incomplète, critères d'inclu-sions et d'exclusions rapportés de façon inconstante, diffé-rence du sevrage du groupe contrôle entre les différents paysd'étude, lien de causalité avec l'équipe multidisciplinaireimpossible.Les auteurs concluent tout de même à une innocuité desprotocoles conduits par une équipe multidisciplinaire, et sou-tiennent une approche basée sur les preuves par les membresde cette équipe.La lecture de ces études permet également d'appréhenderl'organisation du sevrage de la VM dans différents pays :États-Unis, Australie, Royaume-Uni, Brésil, Italie et Allema-gne. Mis à part les études utilisant des algorithmes automa-tisés, trois professions de santé apparaissent de façonrécurrente : le médecin, l'infirmière et le thérapeute respira-toire. Un trinôme autour du sevrage est ainsi identifié [12].

LE TRINÔME MÉDECIN, INFIRMIÈRE ETKINÉSITHÉRAPEUTE

Confronté à cette problématique du sevrage, la présence d'untrinôme formé par le médecin, l'infirmière et le kinésithérapeutese révèle essentielle. En effet, chacun des participants de cetrinôme apporte grâce ses compétences individuelles, uneapproche différente en matière d'évaluation et de prise encharge, et leurs interrelations permettent d'établir un proces-sus de sevrage optimal.

23

Page 3: Le sevrage de la ventilation mécanique en réanimation : un trinôme ?

PREPARATI ON AU SEVRAGE

DEBUT DU SEV RAGE

EPREUVE D E VS

EXTUBATI ON

. Traite ment de la ca use méd ica le

. Arrêt des ca thécolam ines et des vasopres seurs

. Arrêt de la sédat ion

. Pas sage en VS -AI

Rech

erch

e d

es P

ré-

r equis à l’EV

S

↓ Support

Ven

tilato

ire

. Abse nce d ’inotropes et va sopresse urs

. Abse nce de sédation

. Réponse cohérente aux ordres simples

. FiO2 ≤ 50%

. PEP < 5 cm H2O

Pièce en T o u AI sa ns PE P

(6≤AI≤8 cm H2 O), 30 à 120 mn

Rec herche des signes de mauvaise tolér ance :

. FR > 35 / min

. SpO2 < 90%

. Variation de + de 20% de FC ou PAS

. Sueurs, agitation, tr ouble s de

vigilance

OK ECHEC

Trachéot omie

VNI

Figure 1. Les différentes étapes du sevrage de la ventilation mécanique.

A. Le Neindre et al.Savoirs / Contribution originale

Au sein de ce trinôme, le médecin participe à l'optimisationdes capacités du patient pour le sevrage de la VM encommençant par le traitement de la cause médicale ayantmotivée l'intubation et par s'assurer de la stabilité

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hémodynamique. Il veille à l'ajustement de la sédation etde l'analgésie du patient afin d'initier le sevrage, à l'état nutri-tionnel, et diminue progressivement le support ventilatoire enoptimisant l'adaptation du ventilateur au patient. Il contribue

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Kinesither Rev 2013;13(143):22–29 Savoirs / Contribution originale

à la prévention des complications induites par l'intubation quipourraient compromettre le sevrage et l'extubation (œdèmelaryngé, neuromyopathies de réanimation. . .).

Le médecin assume aussi le rôle de coordinateur duprocessus de sevrage en centralisant les informationsfournies par l'infirmière et le kinésithérapeute et en

décidant des moments adéquats pour les étapes clésdu sevrage : initiation, épreuve de VS et extubation.

Il sera aussi le modérateur au sein du trinôme en recherchantles contre-indications à une extubation et donc à une poursuitedu sevrage, en extubant précocement après s'être affranchisde certains critères, ou en ayant recours à une trachéotomie.

À son tour, l'infirmière assume un rôle de surveillancecontinue de l'état du patient.

En effet, elle surveille de façon plus assidue que les autresmembres du trinôme l'état global du patient et plus spécifique-ment la vigilance de celui-ci. Elle ajuste également la sédationet l'analgésie, en suivant un protocole de service et en concer-tation avec le médecin. Avec le kinésithérapeute, elle participeà l'optimisation du confort physique du patient intubé (préven-tion des complications de décubitus par l'installation, soinscutanés. . .), elle recherche les prérequis à l'épreuve de VSet en surveille sa bonne tolérance. Enfin, par l'intermédiaire ducontact privilégié qu'elle entretient avec le patient, elle s'assuredu bien-être psychique de celui-ci.

SEVRVENTIL

Médecin

Kinésithé

1

2

5

6

- Synthèse et con clusi on des évaluations

kinésit hérapiques à chaque éta pe du sevrage

- Validation ou non des requête s sur des rais ons

documenté es

- Transmissi ons des mod ifications thérapeutiques

(ventilation)

- Préparation de l'extubation

- Synthèse et conclusi on des évaluations infir mièr es à

chaque éta pe du sevrage

- Transmissi ons des mod ifications thérapeutiques

(sédation , ventilation)

- Préparation de l'extubation

1

2

3

4

5

6

Figure 2. Représentation schématique du trin

Le kinésithérapeute possède une expertise dansl'évaluation de la mécanique ventilatoire et dans larééducation des capacités motrices nécessaires au

sevrage de la VM.

Ainsi, il participe à l'adaptation du ventilateur au patient et à sasurveillance, en s'assurant d'une mécanique ventilatoire adap-tée. Avec l'infirmière, il recherche les prérequis à l'épreuve deVS (Fig. 1) et assure son bon déroulement. Il évalue etrééduque la tonicité et la motricité globale du patient, la déglu-tition, sa capacité à se désencombrer. Enfin, il participe à larecherche des critères d'extubation (Fig. 1).Les acteurs de ce trinôme s'échangent régulièrement desinformations et s'organisent autour du patient pour mener lesevrage (Fig. 2).

COMPÉTENCES ET RÔLE DUKINÉSITHÉRAPEUTE

Le kinésithérapeute, de par sa formation initiale, sait élaborerun bilan diagnostic kinésithérapique (BDK), c'est-à-dire unprocessus d'analyse des déficiences et incapacités observéeset/ou mesurées. C'est un processus d'évaluation du pronosticfonctionnel, dont les déductions permettent d'établir un pro-gramme de traitement en fonction des besoins constatés et dechoisir les actes de kinésithérapie à mettre en œuvre [13].Cette capacité décisionnelle du kinésithérapeute repose surses compétences dans l'évaluation clinique, paraclinique

- Synthèse et conclusi on des évaluations kinésithérapiques à

chaque éta pe du sevrage

- Transmissions des modifications thérapeutiques (ventilation)

- Préparation de l'extubation

- Prescri t le s modific ation s théra peutiques (s édation,

analgési e, ventilation)

- Synthèse et conclusi on des évaluations IDE à chaque éta pe

du sevrage

AGE ATOI RE

rape ute

Infirmière

4 3

ôme médecin, infirmière, kinésithérapeute.

25

Page 5: Le sevrage de la ventilation mécanique en réanimation : un trinôme ?

A. Le Neindre et al.Savoirs / Contribution originale

(analyse des examens complémentaires) et dans leur syn-thèse pour construire ce BDK. Il met alors en place sa stratégiethérapeutique et la réévalue.Dans le champ cardiorespiratoire, le kinésithérapeute pos-sède une expertise dans l'évaluation de la mécanique venti-latoire [14,15] :� évaluation morphostatique et morphodynamique du sys-tème thoraco-vertébro-abdominal ;

� évaluation des muscles respiratoires (inspirateurs etexpirateurs) ;

� évaluation du fonctionnement de l'appareil thoracopulmo-naire (ventilation, encombrement, obstruction etc.) ;

� évaluation des voies aériennes supérieures (liberté du car-refour aérodigestif).

Ces compétences permettent au kinésithérapeute de partici-per à chaque étape du processus de sevrage de la VM (Fig. 3).Lorsque le patient est intubé et ventilé, le kinésithérapeuteparticipe avec le médecin à l'adaptation du patient au venti-lateur, et ainsi, au confort ventilatoire de celui-ci, ainsi qu'à sasurveillance. En parallèle des soins qu'il prodigue au patient ilrecherchera les prérequis au début du sevrage (état d'éveil,conjointement avec l'infirmière, aptitude au changement demode ventilatoire, etc.) [4,5].

PREPARA TIO N A

DEBUT DU S

EPREUVE

Rech

erch

e d

es P

ré-

requis à l’EV

S

EXTUBA

ECHEC

BPCO . Eval ua�on des m uscl es i nspirateurs

(PImax )

Neu rologique Cen tral . Encom brement b ronchique . Ca pacité de toux . Troub les de l a déglu��on

Neu romu sculaire ou médu laire h aut en voie d e récupé ra�on

. Eval ua�on répétée des m uscles inspirateurs (P Imax et PEmax )

BPCO . Ai de au réglage de l a ven�l a�on

(cyclag e, ges�on de l ’autoPEP) // Médecin

BPCO . Installa �on et surveil lance de l a VNI

TRAC HEO TOMIE Ges�on d e la tr aché otomie . Soi ns, s evrage // infirmière

Figure 3. Rôle du kinésithérapeute dans les différentes étapes du

26

Début du sevrage

Lorsque débute le sevrage, parallèlement à la réduction dusupport ventilatoire auquel il participe, le kinésithérapeutedevra rechercher les prérequis à l'épreuve de VS [4,5] : éva-luation de la tonicité et de la motricité globale (ex. : scoreMRC) ; évaluation de l'encombrement trachéobronchique(ex. : auscultation), de l'efficacité de la toux (ex. : mesuredu débit expiratoire maximal (DEM) à la toux [16]) et recherched'autres critères conjointement avec l'infirmière (SpO2 < 90 %,FiO2 < 50 %, PEP < 5 cmH20) [4].

Épreuve de VS

Suite à la recherche des critères précédents, le trinôme prendla décision de faire l'épreuve de VS. En pratique il existe deuxpossibilités : épreuve sur tube en T (filtre échangeur d'humiditéà l'extrémité de la sonde d'intubation, patient déventilé) oudiminution de l'AI (entre 6 et 8 cmH2O) et PEP à 0, sur unedurée de 30 à 120 minutes. Kinésithérapeute et infirmièresurveilleront la tolérance du patient à l'épreuve (critèresd'échec : agitation, fréquence respiratoire > 35, varia-tion > 0 % de fréquence cardiaque et de la pression artérielle,tirages musculaires) (Fig. 1) [4,5].

U SEVRA GE

EVR AGE

DE VS

↓ Support

Ven

tilato

ire

TION

OK

Pré-requ is a u d ébu t du sevrage . Etat d ’éveil // In firmière . Pass age e n VS -AI // Médecin

Pré-requ is à l’é preuve d e VS . Tonic ité, motr icité . SpO2 > 9 0% av ec Fi O2 < 50 %, PEP < 5

cm H2O // Infirmière . Encom brement tr achéobronchique . Efficacité de l a toux

Surveillance d e la tolérance d e l’é preu ve de VS // Infirmière

. FR > 35

. SpO2 < 90%

. Vari a�on de + de 2 0% de FC ou PAS

. Sueurs, agi ta�on, tr oub les de vig ila nce

. Tirages m usculaires

Reche rche d es critères d’ext uba�on . Efficacité de l a toux . Absence de troub les de l a déglu��on . Tonic ité, motri cité, enco mbreme nt

bronchique . Obstacl e l aryngo -tr achéal

sevrage de la ventilation mécanique (// : conjointement avec).

Page 6: Le sevrage de la ventilation mécanique en réanimation : un trinôme ?

Tableau I. Déficiences des différents systèmes au cours du sevrage de la VM et action du kinésithérapeute [9].

Systèmes Déficiences Action du kinésithérapeute

Charge respiratoire(résistanceet compliance)

Insuffisance des muscles inspirateurs Réentraînement [20]

Travail respiratoire excessif lié à un mauvaisparamétrage ventilatoire

Aide à l'optimisation des réglages (avecle médecin)

Réduction de la compliance thoracopulmonaire(pneumopathie, œdème pulmonaire, atélectasie,cyphoscoliose)

Technique kinésithérapique selonindication (atélectasie etc.) [21,22]

Bronchospasme Aérosol thérapie

Hypersécrétion bronchique Technique de drainage bronchique [22]

Charge cardiaque Dysfonction myocardique (Augmentation de la demandemétabolique, sepsis non contrôlé. . .)

Mobilisation, réhabilitation précoce [22,23]

Diminution progressive du support ventilatoire

Neuromusculaire Neuromyopathie acquise en réanimation (NMAR) Mobilisation, réhabilitation précoce [23]

Dysfonction diaphragmatique Perte de force musculaire du diaphragme (utilisation demode ventilatoire contrôlé)

Réentraînement, prévention en favorisantdes passages en AI (AI) [22,23]

Kinesither Rev 2013;13(143):22–29 Savoirs / Contribution originale

Pré-requis à l'extubation

Après la réussite à l'épreuve de VS, il est nécessaire derechercher les critères d'extubation. Le kinésithérapeuterecherchera des signes prédictifs de troubles de déglutitionpost-extubation [17] (ex. : mobilité cervicale, réflexes nau-séeux malgré un manque de preuve sur leur valeur prédictive),réévaluera la tonicité et la motricité globale, l'encombrementtrachéobronchique et la capacité du patient à se désencom-brer (ex. : DEM à la toux [16]). Il pourra également évaluer laprésence d'obstacle laryngo-trachéale par un test de fuite, entenant compte de la faible sensibilité et spécificité du test [18].

Extubation

L'issue de ce processus d'évaluation permet d'aboutir ou nonà l'extubation. Le médecin pourra s'affranchir de certains cri-tères pour l'extubation ou prolonger la ventilation mécaniquepour des raisons documentées [19]. Dans les suites de l'extu-bation, le kinésithérapeute pourra répondre à certaines compli-cations, tel que l'encombrement bronchique et sesconséquences et poursuivre la réhabilitation précoce dupatient (Tableau I).Certains patients peuvent être sujets à un sevrage plus difficileque prévu [5] : BPCO, patients atteints de cardiopathies,patients atteints de pathologies neurologiques, neuromuscu-laires. Ces patients devront suivre le protocole classique desevrage, mais la recherche de critères spécifiques et adaptésdevra être mise en place (Fig. 3).

Terrain pathologique particulier

Chez les patients atteints de BPCO, le kinésithérapeute éva-luera la force musculaire inspiratoire (pression inspiratoiremaximale [PImax]). En cas d'échec de l'épreuve de VS, ilpourra aider au réglage de la ventilation (AI, PEP, Trigger,Cyclage). En post-extubation, il pourra mettre en place etsurveiller une ventilation non invasive. Chez le patient atteint

de pathologie neurologique centrale, il évaluera plus spécifi-quement la capacité de toux, les troubles de la déglutition.Chez le patient neuromusculaire (ou médullaire haut en voiede récupération), il évaluera de façon répétée les musclesinspirateurs et expirateurs (PImax et PEmax) [8] et l'efficacitéde la toux [16].

Déficiences réversibles au cours du sevrage

Certains patients pourront présenter des difficultés de sevragedu fait de potentielles pathologies réversibles (patient classédans le groupe 2 [sevrage prolongé] selon Brochard [5]). Larecherche systématique et approfondie de ces dernières, parle trinôme multidisciplinaire, au cours du sevrage de la VMpermettra de préciser la cause physiopathologique de cetéchec. Il conviendra alors de proposer des solutions théra-peutiques [5] (Tableau I).Le kinésithérapeute pourra agir, dans le cadre de ses compé-tences, à ces déficiences observées et/ou mesurées et pro-poser une action thérapeutique (Tableau I).

DISCUSSION

La littérature actuelle reconnaît l'intérêt d'un protocole desevrage basé sur les preuves afin de réduire la durée deventilation, la durée de sevrage et la durée d'hospitalisation.Cependant, les biais présents dans ces études sontnombreux et difficilement suppressibles. On les retrouveégalement dans les études évaluant l'intervention multidis-ciplinaire dans un protocole de sevrage, s'y ajoutant ladifficulté d'objectiver le lien de cause à effet. On note toutde même une forte tendance à l'optimisation du sevrage lorsde la mise en place d'un protocole. Ces derniers étant pourla quasi-totalité des études mis en œuvre par une équipemultidisciplinaire.

27

Page 7: Le sevrage de la ventilation mécanique en réanimation : un trinôme ?

Points à retenir

� La ventilation mécanique est associée à denombreuses complications.

� Un protocole multidisciplinaire de sevrage de laventilation mécanique est plus efficace qu'unsevrage mené par un praticien seul.

� Le sevrage est conduit par un trinôme médecin,infirmière et kinésithérapeute.

� Le kinésithérapeute de réanimation possèdeune expertise dans l'évaluation de la mécani-que ventilatoire.

� Il reste au kinésithérapeute la lourde tâche dedémontrer l'efficacité de ses actions derééducation.

A. Le Neindre et al.Savoirs / Contribution originale

Cette équipe multidisciplinaire intervenant dans le sevrage ensoins intensifs de divers pays (États-Unis, Brésil, Royaume-Uni), est composée préférentiellement de trois acteurs[10,11] : le médecin (doctor, physician), l'infirmière (nurse,registered nurse) et le thérapeute respiratoire (respiratory the-rapist, respiratory care practitionner) ou kinésithérapeute (phy-siotherapist). Le thérapeute respiratoire, que l'on retrouve auxÉtats-Unis, Brésil, Royaume-Uni (lieux des études) ou encoreen Allemagne ne trouve pas d'équivalent en France. Même sides différences de statuts, de compétences existent entre le« respiratory therapist », le « respiratory care practitionner »et le « physiotherapist », leur rôle dans le sevrage sembles'approcher de celui du kinésithérapeute francophone en unitéde soins intensifs (réanimation) [15]. Il serait donc intéressantd'évaluer ces protocoles multidisciplinaires au sein d'une orga-nisation de soins intensifs francophone.Ce thérapeute respiratoire ou kinésithérapeute s'inscrit doncdans une équipe multidisciplinaire et plus précisément au seind'un trinôme médecin, kinésithérapeute et infirmière [12].Comme chaque acteur du trinôme, le kinésithérapeute occupeune place à part entière.

À l'instar des services de réanimation francophone oùle kinésithérapeute a su se former, s'investir et mettreen valeur son expertise, la protocolisation du sevragede la VM basée sur les preuves lui permettra d'agir defaçon optimale au sein d'une équipe multidisciplinaire

coordonnée.

Le kinésithérapeute de réanimation possède une expertisedans l'évaluation et la rééducation de la mécanique ventila-toire. Cette expertise ne bénéficie actuellement d'aucunereconnaissance officielle. Seul un référentiel d'aptitudes etde compétences du kinésithérapeute de réanimation, élaborépar Grandet et al., sous l'égide de la Société de kinésithérapiede réanimation (SKR) [15], existe mais n'a qu'une valeurconsultative. À l'heure de la réingénierie des études deMasso-Kinésithérapie, on peut espérer qu'il serve de baseà la reconnaissance d'une pratique « avancée » enkinésithérapie.Les critères d'évaluation de sevrabilité du patient sous ventila-tion mécanique utilisés par le kinésithérapeute sont le fruit derecommandations ou de consensus. Il lui reste cependant lalourde tâche de démontrer ses pratiques de rééducation, qu'ilutilise suite à son évaluation, même si la littérature sur certainsactes conforte leur intérêt.

CONCLUSION

Le sevrage de la ventilation mécanique en réanimationconcerne un trinôme clairement identifié : le médecin, le kiné-sithérapeute et l'infirmière. Un protocole de sevrage semblenécessaire afin de coordonner ce trinôme et de l'orienter versune pratique basée sur les preuves, dans le cadre d'évaluationdes pratiques professionnelles (EPP), faisant appel auxcompétences de chacun de ces acteurs. Le kinésithérapeute,grâce à son expertise dans l'évaluation et la rééducation de lamécanique ventilatoire, occupe ainsi une place à part entièreau sein de ce trinôme.

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Déclaration d'intérêtsLes auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relationavec cet article.

RemerciementsNous tenons à remercier chaleureusement le Pr Benoît Misset, chef deservice de réanimation polyvalente, le Dr Charles Grégoire, chef declinique assistant en réanimation polyvalente, Sandie Brochon, cadrede santé infirmière en réanimation polyvalente, du Groupe HospitalierParis-Saint-Joseph, pour leur relecture attentive et leurs conseilsavisés.

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