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UNIVERSITE MONTESQUIEU - BORDEAUX IV ECOLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41) DOCTORAT en DROIT Marie Cresp LE TEMPS JURIDIQUE EN DROIT PRIVE, ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE. Thèse dirigée par M. Jean HAUSER, Professeur Soutenue le 23 novembre 2010 MEMBRES DU JURY M. Nicolas MOLFESSIS Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II, rapporteur. M. Rémy LIBCHABER, Professeur à l’Université Sorbonne Paris I, rapporteur. Mme Claudie LAVAUD Professeur à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux III. M. Jean HAUSER, Professeur à l’Université Montesquieu - Bordeaux IV, directeur de la recherche. M. Guillaume WICKER, Professeur à l’Université Montesquieu - Bordeaux IV.

le temps juridique en droit prive, essai d'une theorie generale

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    UNIVERSITE MONTESQUIEU - BORDEAUX IV

    ECOLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)

    DOCTORAT en DROIT

    Marie Cresp

    LLEE TTEEMMPPSS JJUURRIIDDIIQQUUEE EENN DDRROOIITT PPRRIIVVEE,, EESSSSAAII DDUUNNEE TTHHEEOORRIIEE GGEENNEERRAALLEE..

    Thse dirige par M. Jean HAUSER, Professeur

    Soutenue le 23 novembre 2010

    MEMBRES DU JURY M. Nicolas MOLFESSIS Professeur lUniversit Panthon-Assas Paris II, rapporteur. M. Rmy LIBCHABER, Professeur lUniversit Sorbonne Paris I, rapporteur. Mme Claudie LAVAUD Professeur lUniversit Michel de Montaigne Bordeaux III. M. Jean HAUSER, Professeur lUniversit Montesquieu - Bordeaux IV, directeur de la recherche. M. Guillaume WICKER, Professeur lUniversit Montesquieu - Bordeaux IV.

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    Le temps juridique en droit priv, essai dune thorie gnrale. Rsum : Ltude des rapports du temps et du droit priv, mene dans une perspective juridique, consiste laborer une thorie gnrale du temps juridique, c'est--dire dfinir les caractristiques et les fonctions de la dimension temporelle juridique. Le temps juridique correspond soit au milieu temporel dans lequel se succdent les situations juridiques, soit lespace temporel qui compose les situations juridiques. Comportant un double aspect, lun relevant de lordre, et lautre de la dure, le temps juridique est une notion unitaire correspondant une seule et unique dimension. Le Droit doit construire sa propre dimension temporelle sil veut atteindre la multitude des finalits quil poursuit. Lexistence conceptuelle du temps juridique se fonde sur deux principes philosophiques complmentaires : celui de lautonomie du Droit par rapport aux faits et celui de la soumission du Droit aux faits. Lexistence substantielle du temps juridique se fonde sur deux techniques, la chronologie et la chronomtrie, c'est--dire la science de lordre des dates et la science de la mesure de la dure. La justification de lexistence du temps juridique permet alors dtudier ses caractristiques, qui ne concernent que lespace temporel juridique, c'est--dire la dure du temps juridique, lexclusion du milieu temporel juridique, contenant unique dans lequel les situations juridiques se succdent selon le mme ordre. En revanche, lespace temporel juridique comporte une pluralit de caractristiques, lanalyse du droit positif faisant apparatre que la dure du temps juridique peut tre illimite ou limite, dtermine ou indtermine. La construction dune thorie gnrale du temps juridique permet ainsi daffiner la connaissance portant sur cette dimension juridique particulire. Legal time in private law, attempt of a general theory. Summary: The study of the relation between time and private law, conducted in a juridical perspective, is to develop a general theory of legal time, that is to say to define the characteristics and functions of the temporal dimension of law. Legal time corresponds either to the temporal environment in which succeed each other legal situations, either to the temporal space that makes up legal situations. Featuring a dual aspect, one under the order and the other within the duration, legal time is a concept that responds to a single dimension. Law must build its own temporal dimension in order to reach the multiplicity of aims it pursues. The existence of a conceptual legal time is based on two complementary philosophical principles: that the autonomy of Law to the facts and the submission of Law to the facts. The existence of a substantial legal time is based on two techniques, chronology and chronometry, that is to say science of the order of dates and science of duration measurement. The justification for the existence of legal time allows then the study of its characteristics, only referring to the legal space of time, that is to say the duration of legal time, ruling out temporal environment of law in which legal situations always follow one another in an identical order. However, legal space of time has a plurality of characteristics, the analysis of positive law showing that the duration of time can be unlimited or limited, definite or indefinite. The elaboration of a general theory of legal time allows then an improvement of the knowledge of this specific legal dimension. Mots-cls : Temps. Date. Report. Anticipation. Rtroactivit. Dure. Suspension. Interruption. Prorogation. Dure illimite. Perptuit. Dure limite. Dure dtermine. Dure indtermine. Keywords : Time. Date. Report. Anticipation. Retroactivity. Duration. Suspension. Adjournment. Extension. Indefinite period. Perpetuity. Limited period. Definite duration. Indefinite duration. Laboratoire de rattachement : Institut Europen de Droit Civil et Pnal (I.E.D.C.P.)

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    Remerciements

    Je remercie le Professeur Jean Hauser pour mavoir offert ce sujet dune infinie richesse qui lui tient tant cur, le Professeur Guillaume Wicker pour sa gnrosit, ses qualits humaines et intellectuelles, le Professeur Bernard Saintourens pour son accueil au sein du CERDAC, ma famille et mes amis pour leur soutien fidle et constant. Enfin, je suis gr tous ceux qui, de prs ou de loin, ont rendu ce travail possible.

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    Premire partie. Les fondements du temps juridique Titre 1. Les fondements philosophiques du temps juridique. Chapitre I- Lautonomie du droit par rapport aux faits, fondement de lexistence abstraite du temps juridique. Chapitre II- La soumission du droit par rapport aux faits, fondement de lexistence concrte du temps juridique. Titre 2. Les fondements techniques du temps juridique. Chapitre I- La chronologie juridique, fondement technique du temps juridique. Chapitre II- La chronomtrie juridique, fondement technique du temps juridique.

    Deuxime partie. Les caractristiques du temps juridique. Titre 1. La dure illimite du temps juridique. Chapitre I- La dure objectivement illimite du temps juridique. Chapitre II- La dure subjectivement illimite du temps juridique. Titre 2. La dure limite du temps juridique. Chapitre I- La dure limite dtermine du temps juridique. Chapitre II- La dure limite indtermine du temps juridique.

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    INTRODUCTION Charles Pguy, Porche de la deuxime vertu, Cest la petite esprance qui na lair de rien du tout, elle est

    compatissante, elle veut du bien indissolublement moi et tous. Cest desprer qui est difficile, et le facile, la pente, est de dsesprer, et cest la grande tentation Par celle qui recommence toujours et qui promet toujours, qui garantit tout. Qui garantit demain aujourdhui et ce soir, et ce midi, ce matin, Et la vie la vie, et lternit mme au temps.

    A- Lobjet dune thorie gnrale du temps et du droit priv.

    1. La construction dune thorie gnrale du temps juridique en droit priv. Mene dans

    une perspective juridique et positive, ltude portant sur le temps et le droit priv a pour but

    danalyser le ou les liens qui existent entre le temps et le droit priv et den tablir la structure

    gnrale. Autrement dit, cette recherche vise laborer une thorie gnrale1 des rapports du

    temps et du droit priv et, plus particulirement, construire une thorie gnrale du temps

    juridique en droit priv.

    2. La circonscription de ltude au droit priv. Pour des raisons de faisabilit, lanalyse

    des rapports du droit et du temps ne porte pas sur lensemble des matires juridiques mais

    uniquement sur lensemble des rgles de Droit qui gouvernent les rapports des particuliers

    entre eux c'est--dire lensemble des rgles de droit priv2. Le droit priv comprend le droit civil

    (le droit des obligations, le droit des biens, le droit des personnes, le droit personnel et

    1 Thorie gnrale entendue comme disposition gnrale applicable au mme objet , (en loccurrence le temps), mais aussi comme approche savante et non positive du droit ; voir Gnral, sens 1, G. CORNU, Vocabulaire juridique de lassociation H. CAPITANT, PUF, Quadrige, 8me d., Paris, 2008, p. 441, Par opposition spcial ou particulier, commun tous les lments dun ensemble. Ex. : thorie gnrale des contrats, ensemble des rgles communes tous les contrats (par opp. au droit spcial un chacun des contrats) ; dispositions gnrales applicables tout jugement (NCPC a. 430 s.) ; voir E. SAVAUX, Thorie gnrale du contrat, mythe ou ralit, prface de J.-L. Aubert, LGDJ, Bdp, tome 264, Paris, 1997, Introduction, p. IX et suivantes. 2 Droit priv, G. CORNU, Vocabulaire juridique de lassociation H. CAPITANT, PUF, Quadrige, 8me d., Paris, 2008, Droit priv, p. 723, Ensemble des rgles de Droit qui gouvernent les rapport des particuliers entre eux : Droit civil, commercial, Droit social (en partie) , Fondamental, Droit priv fondamental, G.CORNU, Vocabulaire juridique de lassociation H. CAPITANT, Paris, PUF, Quadrige, 8me d., 2008, p. 417, Fonds des rgles essentielles communes lensemble des branches du droit priv (droit civil patrimonial ou extra-patrimonial, droit commercial, etc.). .

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    patrimonial de la famille), le droit des affaires (le droit commercial, le droit des socits, le droit

    des entreprises en difficults, le droit de la proprit intellectuelle et artistique, le droit des

    assurances), le droit de la procdure civile et pnale, le droit international priv mais aussi le

    droit pnal3 et le droit des relations de travail4 qui comprend le droit du travail et le droit de la

    scurit sociale5.

    Si le droit public est en principe6 exclu du champ de la prsente tude, il demeure tout fait

    possible de ltendre cette matire7, la thorie gnrale des rapports du temps entre le droit

    priv ntant finalement quune application particulire de la thorie gnrale du temps et du

    droit.

    3. La justification de ltude du temps et du droit priv, entendue comme ltude du

    temps juridique en droit priv. Le rapport8 existant entre le droit priv et le temps pourrait

    tre analys dans deux perspectives diffrentes : lune intellectuelle et abstraite, c'est--dire

    philosophique, lautre matrielle et concrte, c'est--dire technique. Dans une perspective

    intellectuelle et abstraite, ltude des rapports entre le temps et le droit priv consiste

    3 Mme si le droit pnal entretient des liens troits avec le droit public, et mme sil est souvent considr comme un droit autonome, il est ici considr comme faisant partie du droit priv, en ce quil entretient des liens troits avec ce dernier ; dans ce sens voir P. CONTE, P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pnal gnral, 7me d., Dalloz, Paris, 2004, n31, Il se rapproche du droit public, dans la mesure o il tend dfinir les relations entre lEtat et les particuliers. Mais il entretient des liens trs troits avec le droit priv : latteinte lintrt gnral que postule une infraction, suppose la plupart du temps la lsion dun intrt purement priv (). La victime joue pour cette raison un rle important dans le procs pnal (). Enfin, et surtout, le droit pnal, libral, est garant des liberts individuelles (). ; voir aussi B. BOULOC, Droit pnal gnral, 21me d., Dalloz, Prcis, Paris, 2009, n31, F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pnal gnral, 16me d., Economica, Paris, 2009, n34 et suivants. 4 Mme si le droit du travail entretient des liens troits avec le droit public, en ce quil prvoit lintervention de nombreuses personnes de droit public, il sera considr, linstar du droit pnal, comme faisant partie du droit priv, en ce quil rgit principalement des relations entre personnes prives, voir J. PELISSIER, A. SUPIOT, A. JEAMMAUD, Droit du travail, 24me d., Dalloz, Prcis, Paris, 2008, n35, A. MAZEAUD, Droit du travail, 6me d., Montchrtien, Paris, 2008, n26 et suivants. 5 Par ailleurs, si le droit fiscal est rattach au droit public, les liens quil entretient avec le droit priv, dans ce sens, F. DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, thse Dijon, LGDJ, 1997, n31, 32, 42 ; la vocation gnraliste de la recherche mene, rendent possible le recours des illustrations fiscalistes des rapports du droit et du temps. 6 Il pourra cependant y tre ponctuellement fait rfrence, le droit public pouvant constituer une rserve dillustrations du temps juridique, comme par exemple dans le cas des concessions funraires perptuit, voir infra n 285 ; voir infra n 382, pour la coutume, infra n 406 pour la rvision pour imprvision. 7 Ainsi par exemple, la question du dure du droit de proprit, dite perptuelle, mais qui est en ralit ternelle ou objectivement perptuelle, concerne tout aussi bien le droit priv que le droit public ; dans ce sens, C. POURQUIER, Proprit et perptuit. Essai sur la dure du droit de proprit, thse, PU Aix-Marseille, 2000, n36. 8 Rapport, sens II, 1, in Le nouveau Petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p. 2120, Lien, relation qui existe entre plusieurs objets distincts et que lesprit constate. .

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    comparer les caractres de ces deux entits telles quelles sont penses9. Dans une perspective

    concrte, ltude des rapports entre le temps et le droit priv vise dterminer les liens de

    dpendance et dinfluence rciproques entre ces deux entits telles quelles existent10.

    Dans la premire perspective, c'est--dire dans une comparaison intellectuelle du droit priv

    et du temps, lanalyse consisterait dterminer les diffrents types de relation existant entre la

    notion de temps et la notion de droit priv. Ainsi, on aurait pu rechercher lexistence de

    relations danalogie entre dun ct, le temps compris comme la donne interne ou externe

    rythmant la vie de lhomme et, de lautre, le Droit dfini comme lensemble de rgles cres par

    lhomme dans le but de le faire vivre avec ses pairs11. En effet, au-del de leurs diffrences

    fondamentales, un certain nombre de ressemblances peut tre tabli. Lun comme lautre sont

    des proccupations essentielles de lhomme. Le temps comme le Droit entretiennent une

    relation indissociable avec la vie de lhomme. Toutes les notions temporelles que sont la mort,

    la vie, lge, la jeunesse, la vieillesse, le pass, le prsent, le futur tmoignent du lien

    fondamental entre le temps et la condition humaine qui est intrinsquement lie au temps12 .

    Et si le temps est ce qui permet lhomme dexister en tant quindividu, le Droit quant lui

    permet lhomme dexister en tant quanimal social. Il lui permet de construire et de faire

    fonctionner une socit sans laquelle lhomme ne peut exister. Composantes essentielles de

    lindividu et de la socit, le temps et le Droit ont par ailleurs tous deux une force

    contraignante et normative : le temps et le droit sont des pouvoirs qui dominent lhomme 13. Il y a

    bien videmment la loi du Droit constitue de lensemble des rgles de droit. Mais il y a aussi la

    loi du temps14 qui dcoule de lordre naturel des choses et qui est caractris par son

    coulement permanent et irrversible15.

    Cependant, il convient dexclure cette perspective abstraite danalyse des rapports du temps

    et du droit priv. En effet, alors que la prsente tude est mene sous lanalyse du droit positif 9 Relation, sens II, A, 1, in Le nouveau Petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p. 2174-2175, Caractre de deux ou plusieurs objets de pense en tant quils sont englobs dans un mme acte intellectuel. , sens II, A, 2, Caractre de deux ou plusieurs choses entre lesquelles existent un lien. . 10 Relation, sens II, B, in Le nouveau Petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p. 2175, Lien de dpendance ou dinfluence rciproques (entre des personnes). . 11 Droit, sens 1, a, G. CORNU, Vocabulaire juridique de lassociation H. CAPITANT, PUF, Quadrige, 8me d., Paris, 2008, p. 333, Ensemble de rgles de conduite socialement dictes et sanctionnes, qui simposent aux membres de la socit. . 12 F. CHENET, Le temps, Temps cosmique, Temps vcu, Armand Colin, Paris, 2000, p. 9. 13 P. MALAURIE, Lhomme, le temps et le droit, la prescription civile , in Etudes offertes au Professeur Philippe Malinvaud, Litec, Paris, 2007, p. 393. 14 F. CHENET, Le temps, Temps cosmique, Temps vcu, Armand Colin, Paris, 2000, p. 9, Le temps scande notre vie, il est la loi de la vie et de la mort , Le temps est la premire loi et la forme ncessaire de la conscience . 15 Voir infra n 74.

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    une telle optique aurait conduit une recherche au contenu philosophique. Or, si la pense

    philosophique constitue la base de la prsente tude, si elle en est un fondement ncessaire, elle

    nen constitue toutefois pas lobjet16. Par consquent, seule la seconde grille de lecture des

    rapports du temps et du droit priv doit tre analyse.

    Dans cette seconde perspective, cest--dire dans une analyse concrte des rapports du temps

    et du droit priv, ltude visant llaboration dune thorie gnrale des rapports existant entre

    le temps et le droit priv revient dterminer les liens de dpendance et dinfluence

    rciproques entre ces deux entits telles quelles existent17 et non telles quelles sont penses.

    Conformment cette perspective, la construction dune thorie gnrale des rapports du

    temps et du droit priv consiste laborer une thorie gnrale du temps juridique en droit

    priv. En effet, si le temps est une ralit qui existe indpendamment et en dehors du Droit18, le

    Droit est une ralit qui est construite dont le contenu, objet de la rgle de droit, est lui aussi

    construit19. Par consquent, cette perspective danalyse des rapports entre le droit priv et le

    temps conduit laborer une thorie gnrale du temps juridique, c'est--dire des rapports entre

    le Droit priv et le temps qui existe lintrieur de la sphre juridique en tant quobjet de la

    rgle de droit20.

    16 Voir infra n 20 et suivants. 17 Toutefois, la dfinition de ce que sont le temps et le droit priv se fonde sur une rflexion ou une pense philosophique, cette pense ou cette rflexion philosophique ne constituant pas lobjet mais la base de ltude, voir infra n 20. 18 Voir infra n 22 et suivants, infra n 75. 19 Voir infra n 62, n 63 et n 65 pour reconnaissance variable de lexistence du temps juridique. 20 O. PFERSMANN, Temporalit et conditionnalit des systmes juridiques , RRJ, 1994-1, p.226, Une norme juridique ne peut exister que dans le temps, mais elle peut galement avoir le temps pour objet. , L. SAENKO, Le temps en droit pnal des affaires, thse, sous la direction de Bernard BOULOC, Universit Panthon-Sorbonne, Paris, 2008, n177, Inscrits dans la rgle de droit, ces repres manifestent le temps mathmatique en donnant naissance un temps nouveau, un temps humain : le temps juridique. ; contra, F. COLONNA DISTRIA, Temps et concepts en droit des obligations, Essai danalyse mthodologique, thse, Aix-Marseille III, 2009, n8, le temps apparat plus comme une entrave que comme une aide. Lexclure des explications doctrinales permettrait de leur confrer une plus grande cohrence et une plus grande efficacit. , n82, le temps nappartiendrait pas la sphre des concepts juridiques ces derniers semblent exempts de tout lment temporel , n83, le temps est une dimension des faits, et non des concepts juridiques. , n99, le temps nappartient pas lordre des concepts mais lordre des faits que les concepts ont vocation rgir : les concepts peuvent donc tre dfinis sans avoir recours lide de temps. ; lide dfendue par la prsente thse est fondamentalement oppose cette dernire, puisquil sagit de dmontrer que le temps est un objet de la rgle de droit, une notion ou un concept juridique, qui caractrise toutes rgle, situation, notion ou prrogative juridique ; voir aussi C. CASEAU-ROCHE, Les obligations post-contractuelles, thse, Paris I, 2001, n209, Le temps, sans tre un lment juridique, va jouer un rle prpondrant ; J. DEPREZ, La rtroactivit des actes juridiques, thse, Rennes, 1953, n40, Le temps nest pas un lment juridique, mais un facteur chronologique. Mais il apparat tout de suite aux yeux les moins avertis quil peut revtir, dans son contact avec la rgle de droit, une signification juridique particulire. Cette signification peut varier selon que le facteur temps est envisag sous lun ou lautre de ses aspects, savoir le moment et la dure. Dans tous les cas o se pose un problme juridique de date, le temps est envisag dans son aspect de moment. (). A linverse de la date, qui nest quun moment dans le temps, la dure se prsente sous la forme dune priode. .

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    Plus prcisment, la construction dune thorie gnrale du temps juridique doit analyser le

    temps juridique la fois dans une perspective notionnelle et dans une perspective

    fonctionnelle. La thorie gnrale du temps juridique en droit priv revient dfinir la notion

    juridique de temps et en analyser les fonctions. Le temps juridique tant la fois une fin et un

    moyen au service du droit priv21, la construction dune thorie gnrale du temps juridique en

    cette matire tend rpondre deux questions : ltre et la fonction du temps juridique en

    droit priv. Dans une perspective notionnelle, la thorie gnrale du temps juridique tente de

    dfinir ce quest le temps juridique, objet de la rgle de droit. Dans une perspective

    fonctionnelle, la thorie gnrale du temps juridique tente de dfinir ce quoi sert le temps

    juridique, moyen de la rgle de droit.

    4. La dfinition du temps juridique. La construction dune thorie gnrale du temps

    juridique doit tout dabord analyser le temps juridique dans une perspective notionnelle. Dans

    cette perspective, llaboration dune thorie gnrale tente didentifier le contenu du temps

    juridique comme objet de la rgle de droit. Le temps juridique en tant que dimension

    temporelle juridique dsigne soit un milieu organis dans lequel les situations juridiques22 se

    succdent, soit un espace mesur avec lequel les situations juridiques se droulent. En effet,

    ltude des multiples utilisations du terme temps fait apparatre une dualit23 de temps

    21 S. AMRANI-MEKKI, Le temps et le procs civil, thse, Dalloz, Nouvelle bibliothque de thses, Paris, 2002, n7, p. 11, Le temps est la fois un instrument et un objectif, un moyen et une fin en soi . 22 Les rgles juridiques sont dfinies comme les rgles gnrales et abstraites qui gouvernent les relations juridiques au sein de la socit, et les situations juridiques, subjectives ou objectives, sont dfinies comme les situations individuelles et concrtes dans lesquelles peuvent se trouver places les personnes les unes vis--vis des autres, sur la base des rgles juridiques ; voir P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, Philosophie du Droit, Paris, 1963, p. 2 ; les situations juridiques objectives dsignent celles dont le contenu est dtermin par la loi, et les situations juridiques subjectives celles dont le contenu est dtermin par la volont des parties ; I. NAJJAR, Le droit doption, contribution ltude du droit potestatif et de lacte unilatral, thse, prface P. Raynaud, LGDJ, Bdp, tome 85, 1967, p.32, la situation juridique est une situation qui peut tre dcrite avec exactitude et qui est juridique parce quil en dcoule des effets reconnus par la loi ou la convention. ; voir galement H. MOTULSKY, Principes dune ralisation mthodique du droit priv, La thorie des lments gnrateurs des droits subjectifs, Dalloz, Bibliothque Dalloz, Paris, 2002, qui dfinit la situation juridique comme la mise en relation de la vie sociale avec la rgle de Droit, n79, p. 76. 23 Dj dans ce sens, P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, n11, p. 15, P. VOIRIN, sous Civ.20 mars 1929, D.P. 1929, I.13 Aussi le mot temps reoit-il dans la terminologie juridique deux sens distincts. Il est synonyme tantt de date, poque ou instant, et tantt de dure : il sagit alors, suivant lexpression de larticle 704, dun espace de temps ; J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, 4me d., Dalloz, Les mthodes du droit, Paris, 2004, p. 134 : la notion de temps dans le droit est double et renvoie la chronologie et la chronomtrie ; A. ETIENNEY, La dure de la prestation : essais sur le temps dans lobligation, thse, prface T. Revt, LGDJ, Bdp, tome 475, Paris, 2008, n7 ; S. TORCK, La date de naissance des crances en droit civil , LPA nov. 2004, n224, p. 13, qui distingue le temps chronomtrique du temps chronologique ; C. CASEAU-ROCHE, Les obligations post-contractuelles, thse, Paris I, 2001, n209, le temps

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    juridiques24. En Droit comme ailleurs, il faut crire le temps au pluriel 25. En outre, la dimension

    temporelle juridique correspond soit un milieu temporel dans lequel le droit se situe, soit

    un espace temporel qui le compose. Les situations juridiques sont localises et organises dans

    le temps juridique chronologique qui en est une caractristique externe. Les situations

    juridiques sont mesures et composes dune dure du temps juridique chronomtrique qui en

    est une caractristique interne.

    Il existe donc deux types de temps juridique : le temps juridique chronologique qui

    correspond lorganisation du temps juridique26 et le temps juridique chronomtrique qui

    correspond la dure du temps juridique27. Pourtant, au-del de cette dualit, le temps

    juridique nest pas une notion duale mais une notion unitaire. Son unit rside dans le fait

    quil constitue une dimension et, plus prcisment, la dimension temporelle juridique28.

    5. Les fonctions du temps juridique. La construction dune thorie gnrale du temps

    juridique doit ensuite analyser le temps juridique dans une perspective fonctionnelle. Dans ce

    contexte, llaboration dune thorie gnrale du temps juridique tente didentifier le rle29 du

    doit tre envisag dans son aspect de moment, le moment tant la date de naissance, le point de dpart (de la priode postcontractuelle). Le temps doit ensuite tre envisag dans son aspect de dure, c'est--dire quil faut mesurer la priode. . 24 Voir par exemple les articles 895 du Code civil, Le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps o il nexistera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits quil peut rvoquer. , article 1115 du Code civil, Un contrat ne peut plus tre attaqu pour cause de violence, si, depuis que la violence a cess, ce contrat a t approuv soit expressment, soit tacitement, soit en laissant passer le temps de la restitution fix par la loi. , article 2219 du Code civil, La prescription extinctive est un mode dextinction dun droit rsultant de linaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. , article 2264 du Code civil, Le possesseur actuel qui prouve avoir possd anciennement, est prsum avoir possd dans le temps intermdiaire, sauf la preuve contraire. . 25 Temporalit juridique, in Dictionnaire encyclopdique de thorie et de sociologie du droit, 2me d., corrige et augmente sous la direction de A.-J. ARNAUD, LGDJ, Paris, 1993, p. 608. 26 Chronologie, sens 2, in Le nouveau Petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p. 430, Succession (des vnements) dans le temps. ; voir aussi P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, n12, Parfois, le temps nintervient que pour marquer lordre respectif de deux actes ou vnements, caractriser une antriorit. La notion de temps napparat ici quavec son contenu le plus rduit, ce que lon a appel un ordre de lavant et de laprs. . 27 Chronomtre, in Le nouveau Petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p. 430, du grec khronos, temps, et metron, mesure ; Chronomtrie, sens 1, in Le nouveau Petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p. 430, Science de la mesure du temps. ; Dure, sens 1, in Le nouveau Petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p. 794, Espace de temps qui scoule par rapport un phnomne, entre deux limites observes (dbut et fin). ; voir J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, 4me d., Dalloz, Les mthodes du droit, Paris, 2004, n117. 28 Selon F. TERRE, Une synthse , in Le droit et le futur, IIIe colloque de lAssociation franaise de philosophie du droit, PUF, Paris, 1985, p. 2, la rflexion sur lunit ou la diversit des temps juridiques arrive la conclusion de la diversit des temps juridiques la piste conduisant la dcouverte dune spcificit du temps juridique qui serait justement, prcisment la spcificit du juridique ; le temps juridique est une grandeur juridique, fondamentalement distincte de la grandeur temporelle quest le temps extra-juridique. 29 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 2.

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  • 15

    temps juridique comme moyen ou instrument au service de la rgle de droit. Il apparat que le

    temps juridique est une dimension juridique rpondant des multiples fonctions dont lutilit

    est variable30.

    6. Le temps juridique, une notion indpendante de ses fonctions. Le temps juridique est

    un outil mis au service de nombreuses finalits. Toutefois, sa dfinition a une cohrence

    propre, son contenu est autonome et distinct de ses finalits. Autrement dit, le temps juridique

    est un concept de type notionnel et non fonctionnel31.

    La temporalit juridique est certes instrumentale dans le sens o le temps juridique na pas

    dintrt pour lui-mme mais uniquement pour ce quil apporte au systme juridique. Pour

    autant, le temps juridique nest pas une notion fonctionnelle. Lunit de la notion de temps

    juridique ne provient pas de ses fonctions mais de ses critres objectifs de dfinition, c'est--dire

    des critres qui sont logiquement et abstraitement dfinis. Le temps juridique pouvant tre

    dfini de faon cohrente et indpendante par rapport son utilisation ainsi que par rapport

    son utilit ; il est par consquent une notion de type conceptuel et non fonctionnel.

    Par consquent, lanalyse fonctionnelle du temps juridique ne permet pas de dfinir la

    notion de temps juridique car elle nidentifie pas les lments constitutifs de cet objet juridique

    particulier. Elle ne permet pas de connatre le contenu et la substance de cette notion juridique.

    Elle constitue cependant une dimension ncessaire et essentielle de la thorie gnrale du

    temps juridique. En effet, lanalyse fonctionnelle du temps juridique aide comprendre cette

    dimension juridique temporelle de la faon la plus complte, la plus prcise et la plus

    pertinente possible en permettant de mesurer lenjeu, lintrt et la porte de la dimension

    temporelle juridique. Autrement dit, lanalyse fonctionnelle ne constitue pas lobjet essentiel

    dune thorie gnrale du temps juridique. Cependant, en mettant en perspective le temps

    juridique elle en constitue une dimension complmentaire et ncessaire bien que secondaire.

    30 Voir infra n 16, 138, 141, 284, 304, 353, 354. 31 G. VEDEL, La juridiction comptente pour prvenir, faire cesser ou rparer la voie de fait administrative , JCP 1950, I, 851, n4, les notions conceptuelles peuvent recevoir une dfinition selon les critres logiques et habituels et leur contenu est abstraitement dtermin une fois pour toute. (). Lutilisation de ces notions dpend de leur contenu ; le contenu ne dpend pas de lutilisation. Les notions fonctionnelles, au contraire, sont diffremment construites. Elles procdent directement dune fonction qui leur confre seule une vritable unit. ; voir aussi J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, 4me d., Dalloz, Les mthodes du droit, Paris, 2004, n184, La dfinition dun concept juridique doit en dcrire la substance et en rvler les critres distinctifs. Ainsi, elle doit identifier les lments constitutifs du concept envisag et caractriser les relations qui les unissent. ; voir par exemple infra n 200 pour la notion de fait gnrateur qui reste une notion de type conceptuel et non fonctionnel malgr la pluralit de fonctions auxquelles il rpond et malgr la pluralit de ses dfinitions pour une seule et unique situation juridique.

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  • 16

    B- La complexit dune thorie gnrale du temps juridique en droit priv.

    7. Les deux ordres de difficults de la construction dune thorie gnrale du temps

    juridique en droit priv. Entreprise tout aussi utile que difficile32, ltude des rapports

    entretenus par le temps et le droit priv est limage de la nature paradoxale du temps33. Mene

    dans une perspective juridique, la construction dune thorie gnrale du temps juridique est

    la fois surprenante en ce quelle est tablie partir dune notion factuelle trangre au Droit et

    incontournable en ce quelle porte sur le temps, composante inhrente la nature humaine.

    Deux causes dterminent la complexit de ltude des rapports du temps juridique. La

    premire cause, dordre qualitatif, est relative au contenu des notions qui en sont lobjet. La

    seconde, dordre quantitatif, est relative lampleur de la tche accomplir.

    8. Les causes quantitatives de la construction complexe dune thorie gnrale du temps

    juridique en droit priv. La complexit de la recherche visant llaboration dune thorie

    gnrale du temps juridique en droit priv provient tout dabord des notions elles-mmes et,

    plus particulirement, de celle de temps34, notion nigmatique35 et embarrassante. Au-del de la

    perception ou de lintuition36, qui peut vritablement donner une dfinition prcise du temps ?

    Dj Saint Augustin exprimait ce dsarmement de lhomme face linsaisissabilit du temps :

    Quest ce donc que le temps ? Qui en saurait donner facilement une brve explication ? Qui pourrait le

    saisir, ne serait-ce quen pense, pour en dire un mot ? Et pourtant quelle vocation plus familire et plus

    classique dans la conversation que celle du temps ? Nous le comprenons bien quand nous en parlons ; nous

    le comprenons aussi, en entendant autrui en parler. Quest ce donc que le temps ? Si personne ne me le

    32 Pour une illustration de la difficult des sujets mettant le Droit en relation avec un autre objet (le Droit et), voir B. BEIGNIER, Lhonneur et le droit, thse, prface J. Foyer, LGDJ, Bdp, tome 234, Paris, 1995, p. 19. 33 Voire mme de sa nature ambigu, P. MALAURIE, P. MORVAN, Introduction gnrale, 2me d., Paris, Defrnois, 2005, n10, J. ATTALI, Histoires du temps, Paris, Fayard, 1982, p. 9, P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 49 et suivantes. 34 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 5 ; M. CHEMILLIER-GENDREAU, Le rle du temps dans la formation du droit international, d. Pdone, coll. Cours et travaux / Institut des hautes tudes internationales de Paris, Paris, 1987, p. 8 et suivantes. 35 F. CHENET, Le temps, Temps cosmique, Temps vcu, Armand Colin, Paris, 2000, p. 10, Une des nigmes les plus insondables pour lhomme qui essaye de comprendre sa propre existence est prcisment celle de la nature du temps. . 36 F. CHENET, Le temps, Temps cosmique, Temps vcu, Armand Colin, Paris, 2000, p. 11.

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  • 17

    demande, je le sais. Si quelquun pose la question et que je veuille lexpliquer, je ne le sais plus. 37. Et si le

    temps nest pas une notion facile cerner, il nen va pas diffremment de celle de Droit dont la

    dfinition nest pas aise38 et qui, dans une certaine mesure, peut galement tre qualifie de

    notion mystrieuse39. Sans parler de la controverse relative la notion de droit subjectif, la

    notion de Droit objectif est elle seule suffisamment obscurcie par les diffrentes ides de

    rgles, de sanction, de justice, dquit et dutilit qui la sous-tendent et qui peuvent lui tre

    assignes40.

    Cette premire difficult dordre conceptuel aurait pu tre rsolue par la transposition en

    Droit, de lide de Pascal selon laquelle il est non seulement impossible de dfinir le temps mais

    galement inutile de le faire, la perception intuitive du temps tant suffisante : Qui le pourra

    dfinir (=le temps)? Et pourquoi lentreprendre, puisque tous les hommes conoivent ce quon veut dire en

    parlant de temps sans quon le dsigne davantage ? 41. Pourtant, telle ne sera pas la solution retenue

    car si lobjectif primordial de cette tude nest pas de savoir ce que sont le temps et le droit

    priv, leur identification en est nanmoins le pralable indispensable. Par consquent, ce

    premier problme sera plus dpass que rsolu42. Lobjectif de la prsente tude ntant pas de

    chercher dfinir le temps et le Droit43 mais dtudier leurs rapports, les dfinitions

    communment admises de ces notions seront considres comme constituant un point de

    dpart satisfaisant44. Ces dfinitions communment admises ne mettent pas fin aux

    controverses prcdemment voques mais elles constituent nanmoins une base convenable

    une tude visant analyser les rapports du temps et du droit priv et, plus exactement,

    construire la thorie gnrale du temps juridique en droit priv.

    37 SAINT AUGUSTIN, Les confessions, (vers 400), Livre XI,, XIV, trad. P. Cambronne, in uvres, t. I, la Pliade, p. 1040-1041, in C. ETRILLARD, Le temps dans linvestigation pnale, Paris, LHarmattan, 2004, p. 11. 38 Voir par exemple, F. TERRE, R. SEVE, Droit , in Vocabulaire fondamental du droit, Sirey, Archives de philosophie du droit ; 35, Paris, 1990, p. 43 et suivantes. 39 P. MALAURIE, P. MORVAN, Introduction gnrale, 3me d., Paris, Defrnois, 2009, n13. 40 Voir par exemple, L. MERLAND, Recherche sur le provisoire en droit priv, thse, prface J. MESTRE, PUAM, coll. Institut de droit des affaires, Aix-en-Provence, 2001, n10. 41 PASCAL, De lesprit gomtrique (1657), in Encyclopdie Universalis, p. 364, mais aussi in, uvres compltes, t. II, La Pliade, p.159, in C. ETRILLARD, Le temps dans linvestigation pnale, Paris, LHarmattan, 2004, p. 11. 42 Mme si, de ce quun but est insaisissable, il nest pas invitable de conclure quon ne doit pas au moins chercher latteindre , J. HAUSER, Temps et libert dans la thorie gnrale de lacte juridique , in Religion, socit, politique, Mlanges Jacques Ellul, PUF, Paris, 1983, p. 507. 43 Voir cependant pour la dfinition du temps extra-juridique, infra n 22 et suivants. 44 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 6, le droit doit sappuyer largement sur les ides courantes , limage traditionnelle et familire du temps () conserve une valeur de base fondamentale ; il ne sera question dans cette tude du temps, quen tant que concept simplificateur, aux contours vagues, le temps , tandis quon est plong dans un paysage temporel extrmement riche et diffrenci. , M. SERRE, Le temps, de lunivers lintime , in Philosophie magasine, 2008, n21, p. 49.

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  • 18

    9. Les causes qualitatives de la construction complexe dune thorie gnrale du temps

    juridique en droit priv. La complexit de la recherche visant llaboration dune thorie

    gnrale du temps juridique provient ensuite de ltendue des termes du sujet. En effet, si lon

    dpasse ce premier embarras relatif la dfinition mme des objets de lanalyse, lampleur de la

    tche accomplir semble tre le second obstacle empchant la construction de toute recherche

    synthtique intgrant lensemble des rapports du Droit et du temps. Contrairement la

    premire, cette seconde difficult ne sera pas dpasse mais vritablement rsolue non pas en

    dressant une liste exhaustive de toutes les manifestations de ces rapports mais en dgageant

    leurs caractristiques gnrales. Celles-ci seront ensuite illustres par des exemples clairants.

    C- La ncessit dune thorie gnrale du temps juridique en droit priv.

    10. Lintrt de la construction dune thorie gnrale du temps juridique en droit priv.

    Construire une thorie gnrale du temps juridique prsente un trs grand nombre dintrts45

    pour le systme juridique dans son ensemble et pour le droit priv en particulier46. Elaborant

    un systme de pense gnral et cohrent47, toute thorie gnrale est utile et ce, quel quen soit

    lobjet. Plus spcialement ici, la construction dune thorie gnrale du temps juridique

    prsente un attrait compte tenu de limportance de la dimension temporelle juridique lgard

    des rgles48, prrogatives49, notions50 et situations juridiques51. De surcrot, une telle entreprise

    se justifie dautant plus quelle na pas de prcdent dans la recherche scientifique52.

    45 Voir par exemple A. ETIENNEY, La dure de la prestation : essais sur le temps dans lobligation, thse, prface T. Revt, LGDJ, Bdp, tome 475, Paris, 2008, n12 et suivants. 46 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 2 ; cet intrt existant pour toute thorie gnrale, et non pas seulement celle du temps juridique. 47 J.-L. BERGEL, Mthodologie juridique, 2001, PUF, Paris, n180, Le droit ne peut consister en une simple juxtaposition de rgles disparates. Faute de pouvoir en rattacher les diffrents lments un ensemble cohrent, il comporterait invitablement de telles contradictions quil serait incomprhensible () . 48 Rgle, sens 1, G.CORNU, Vocabulaire juridique de lassociation H. CAPITANT, PUF, Quadrige, Paris, 8me d., 2008, p. 774, Rgle de droit ; dsigne toute norme juridiquement obligatoire (normalement assortie de la contrainte tatique), quels que soient sa source (rgle lgale, coutumire), son degr de gnralit (rgle gnrale, spciale), sa porte (rgle absolue, rigide, souple, etc.) ; en ce sens, lexception aussi est une rgle. . 49 Prrogative, sens 3, G.CORNU, Vocabulaire juridique de lassociation H. CAPITANT, PUF, Quadrige, Paris, 8me d., 2008, p. 695, En un sens neutre, terme gnrique englobant tout droit subjectif, tout pouvoir de droit, toute facult dagir fonde en droit, lexclusion dune matrise de pur fait. . 50 Notion, sens B, in Le nouveau petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p.1745, Objet abstrait de connaissance ; Concept, sens 1, in Le nouveau petit Robert de la langue franaise 2008, d. 2007, Paris, p. 499,

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    Ds lors, la construction dune thorie gnrale du temps juridique est ncessaire tout

    dabord parce que le temps juridique est une dimension essentielle du systme juridique (1), et

    ensuite parce quil est une notion insuffisamment connue et reconnue (2).

    1) Le temps juridique, une dimension essentielle du droit.

    11. Le temps juridique, un instrument53 essentiel aux finalits multiples et dune

    importance fluctuante. Le systme juridique doit dfinir sa dimension temporelle54 tout

    comme il doit dfinir sa dimension spatiale55. De la sorte, le temps juridique permet au Droit

    de raliser sa finalit premire, savoir celle dorganiser de faon harmonieuse et pacifique les

    rapports entre les reprsentants dune mme socit. Cette fonction gnrale cache une

    pluralit de fins particulires. En outre, elle occulte le degr dutilit variable de lutilisation de

    la dimension temporelle juridique.

    reprsentation mentale, gnrale et abstraite dun objet ; J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, 4me d., Dalloz, coll. Les mthodes du droit, Paris, 2004, n181 et suivants ; voir aussi I. NAJJAR, Le droit doption, contribution ltude du droit potestatif et de lacte unilatral, thse, prface P. Raynaud, LGDJ, Bdp, tome 85, 1967, et not. n30, La notion de situation juridique () indique tout simplement, au sens propre du mot, une situation qui peut tre dcrite avec exactitude et qui est juridique parce quil en dcoule des effets reconnus par la loi ou la convention. . 51 Pour la dfinition des situations juridiques, voir supra n 4. 52 J. HAUSER, Objectivisme et subjectivisme dans lacte juridique. Contribution la thorie gnrale de lacte juridique, LGDJ, Bdp, tome 117, Paris, 1971, n81, p. 124. F. OST, Les multiples temps du droit , in Le droit et le futur, IIIe colloque de lAssociation franaise de philosophie du droit, PUF, Paris, 1985, p. 115, La thorie des rapports qui se nouent entre le droit et le temps restent sans doute faire., lauteur soulignant les lacunes dceles au triple niveau de la dogmatique juridique, de la thorie et de la philosophie du droit. ; p. 116 qui affirme la ncessit de llaboration dune thorie du temps juridique ; voir toutefois, infra n 17, et notamment la pense de P. Hbraud. 53 A titre dexemple, voir dans ce sens, P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 11, propos de linstant comme instrument au service du Droit, voir aussi p. 48 et suivantes, propos de lutilisation plus gnrale du temps par le droit, le temps intervenant comme lment actif pour modeler les institutions juridiques ; voir galement lancien article 2219 du Code civil, dans sa rdaction antrieure la loi n2008-561 du 17 juin 2008, La prescription est un moyen dacqurir ou de se librer par un certain laps de temps, et sous les conditions dtermines par la loi. ; voir larticle 2219 du Code civil dans sa rdaction en vigueur, La prescription extinctive est un mode dextinction dun droit rsultant de linaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. ; voir enfin, Temps, in Dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de D. ALLAND, S. RIALS, Paris, Quadrige, Lamy-PUF, 1re d., Paris, 2003, p. 1474, qui parle d instrumentalisation du temps ; il convient cependant de diffrencier cette utilisation du temps juridique, qui consiste assigner une finalit au temps juridique, de linstrumentalisation du temps juridique, qui consiste utiliser le temps juridique dans une finalit autre que celle lui ayant t initialement assigne ; voir infra n 238, n 406. 54 O. PFERSMANN, Temporalit et conditionnalit des systmes juridiques , RRJ, 1994-1, p. 226, un systme normatif peut donc et doit assigner chaque norme un indice temporel. . 55 Voir par exemple, F. TERRE, Proximit, espace, espace-temps , in Etudes offertes au Professeur Philippe Malinvaud, Litec, Paris, 2007, p. 587.

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  • 20

    Les multiples finalits auxquelles le temps juridique rpond (a) font chos au degr

    fluctuant de son utilit (b). Cependant, malgr les degrs divers dutilit que prsente

    lutilisation du temps juridique, celui-ci demeure une dimension essentielle du Droit compte

    tenu du nombre de finalits particulires qui lui sont assignes ainsi que de son importance

    gnrale et globale en Droit.

    a) Les finalits multiples du temps juridique.

    12. Les nombreuses finalits du temps juridique. Le temps juridique ou, plus prcisment,

    tel ou tel type de temps juridique56 est utilis pour servir une multitude de finalits. En outre, le

    temps juridique sert la fois la technique et la politique juridiques57. Par ailleurs, il rpond

    une finalit particulire, savoir celle de grer le rapport du Droit au temps extra-juridique.

    13. Le temps juridique, un instrument au service de la politique juridique. Le temps

    juridique a t et reste encore un enjeu du pouvoir politique. Sa dfinition a dailleurs t un

    enjeu de souverainet lintrieur de chaque nation mais aussi dans leurs rapports entre elles58.

    Sur le plan national, il a t un vecteur dunification et de lacisation. Tout comme ladoption

    dun systme de mesure mtrique, ladoption dun systme de mesure temporel59 unique a

    permis de raliser lunit nationale. Ladoption dun tel systme a ensuite t un facteur de

    lacisation par la mise en place dun nouveau calendrier60 mis au service des intrts de la

    Rvolution. En effet, si avant la Rvolution de 1789, lalmanach parisien avait t utilis pour

    asseoir le pouvoir du roi61, un autre calendrier a t ensuite mis au service de la Rvolution

    franaise. Le calendrier rvolutionnaire a ainsi eu pour objectif de faire disparatre linfluence et

    56 Voir par exemple dans ce sens, J. HAUSER, Des filiations la filiation , RJPF 2005, sept., n9, p. 6 et suivantes, et not. p. 11, il nest pas interdit de jouer sur le temps , en fonction de lobjectif poursuivi par le systme juridique. 57 G. WICKER, Les fictions juridiques, Contribution lanalyse de lacte juridique, thse Perpignan, prface de J. Amiel-Donat, LGDJ, Bdp, tome 253, Paris, 1997, n2 et suivants, toute rgle juridique soulve deux interrogations par leur nature absolument distinctes : celle de son opportunit et celle de sa rectitude logique au regard de la construction juridique gnrale ; les finalits que recherche le temps juridique sont politiques lorsquil a pour but dassurer lorientation opportune du droit, et elles sont techniques lorsquil a pour but dassurer la cohrence rationnelle du droit. 58 P. COURDEC, Le calendrier, Que-sais-je ?, PUF, Paris, 1986, p. 77, lensemble des pays nont dailleurs pas adhr au calendrier grgorien. 59 Voir infra n 170 pour la dfinition des techniques de mesure de la dure du temps juridique. 60 Voir infra n 96 61 B. de MONTCLOS, Almanachs parisiens au temps du Roi-Soleil ou la prise du temps par le pouvoir , in Les calendriers, Leurs enjeux dans lespace et dans le temps, p. 267.

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  • 21

    la symbolique de la royaut et de ses valeurs62. De mme, la lutte contre la dure illimite63 dans

    le Code civil de 1804 se fondait notamment64 sur une volont de lutte et de rejet de lAncien

    rgime et de ses valeurs65. En effet, la dure illimite tait une temporalit permettant aux

    valeurs sociales et conomiques de lAncien Rgime de se maintenir. Or, la perptuit des

    clauses dinalinabilit ou des substitutions fidicommissaires66 ne faisait pas bon mnage avec

    la Rvolution et ses nouvelles ides de circulation des richesses, dgalit et de libert. Deux

    cents ans aprs ladoption du Code civil, un changement de politique juridique est venu

    modifier lutilisation du temps juridique. A prsent, lenjeu politique majeur nest plus de lutter

    contre une ternit restauratrice des privilges mais de favoriser la stabilit et la prennit de

    lentreprise67. Cela a conduit un changement dans lutilisation de dures juridiques la faveur

    dun certain retour des longues dures. A linverse, deux cents ans aprs ladoption du Code

    civil, le maintien de certains objectifs correspond lutilisation constante dune mme

    temporalit juridique. Par exemple, la dfense constante de la lacit correspond la

    conservation de la rgle de lantriorit du mariage civil par rapport au mariage religieux. Cette

    chronologie peut aussi tre analyse comme traduisant la prminence et lindpendance du

    pouvoir et du droit lacs lgard du pouvoir et Du droit religieux.

    Le temps juridique est galement un moyen mis au service dides politiques telles que le

    progrs ou la stabilit. Lide de progrs implique ainsi que le changement, par exemple apport

    par une nouvelle loi, soit considr comme constitutif dune avance par rapport au droit

    antrieur. Cette recherche du progrs est alors poursuivie au moyen de lapplication immdiate

    de la loi dans le temps qui exprime lide selon laquelle la loi nouvelle est prsume meilleure

    que la loi ancienne.

    62 R. HERMON-BELOT, Le calendrier rvolutionnaire , in Les calendriers, Leurs enjeux dans lespace et dans le temps, Colloque de Cerisy, Somogy ditions dart, Paris, 2002, sous la direction de J. LE GOFF, J. LEFORT, P. MANE, p. 281 ; voir aussi P. COUDERC, Le calendrier, Que-sais-je ?, PUF, Paris, 1986, p. 75. 63 Pour la dfinition de la dure illimite, voir infra n 255. 64 Dautres raisons justifiant la prohibition des engagements perptuels, voir infra n 259. 65 Dans ce sens, F. RIZZIO, Regards sur la prohibition des engagements perptuels , Dr. et pat. 2000 n78, janv., p. 60 ; P. MALAURIE, Les libralits graduelles et rsiduelles , Defrnois 2006, p. 1803, linalinabilit et linsaisissabilit des biens pendant des gnrations et des gnrations, obstacle toute circulation des biens et des richesses, taient le moyen dassurer la prennit des privilges ; Temps, in Dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de D. ALLAND, S. RIALS, Paris, Quadrige, Lamy-PUF, 1re d., Paris, 2003, p. 1470, afin dviter la reproduction de ce schma social et conomique, les foyers dternit sont touchs avec ladoption du Code civil. 66 M. NICOD, Le rveil des libralits substitutives : les libralits graduelles et rsiduelles du Code civil, A propos de la loi du 23 juin 2006 , Dr. fam., nov. 2006, p. 14. 67 Voir propos de la rforme de 2006 des successions et des libralits, R. LE GUIDEC, La loi du 23 juin 2006 portant rforme des successions et des libralits. , JCP d. G, 2006, I 160, M. NICOD, Le rveil des libralits substitutives : les libralits graduelles et rsiduelles du Code civil , Dr. F. 2006, nov., n45, p. 14.

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  • 22

    Le recours au temps juridique dans un but politique68 trouve de nombreuses autres

    illustrations69, notamment en droit de la famille. Plus prcisment, la dure limite du temps

    juridique est un facteur dorientation de la politique familiale. Elle traduit par exemple en

    termes juridiques la conception politique du mariage. Imposer un dlai de deux ans pour

    changer de rgime matrimonial70 ou pour caractriser une altration dfinitive du lien

    conjugal71 traduit une certaine conception du mariage vhicule par la dure du temps

    juridique72. La dure limite quantitativement dtermine73 compose dannes peut galement

    tre utilise afin dempcher une fraude au mariage74. Cest notamment la raison pour laquelle

    lacquisition de la nationalit ne peut se faire quaprs quatre annes de mariage75. Lutilisation

    de la dure limite quantitativement dtermine du temps juridique au service de la politique

    juridique familiale ne se cantonne pas cette composante de la famille quest le couple mari,

    mais se vrifie aussi au sein de la filiation. Lancien dlai daction en recherche de paternit

    dont la dure tait de deux ans avait pour but de protger la famille lgitime car sans interdire

    le principe de ltablissement de la filiation paternelle naturelle, la brivet de la dure de 68 S. AMRANI-MEKKI, Le temps et le procs civil, thse, Dalloz, Nouvelle bibliothque de thses, Paris, 2002, n2, Toutes ces manifestations du temps dans le droit sont rvlatrices dune utilisation, dune manipulation, du temps des fins de politique juridique. . 69 Voir par exemple, la dure du droit de proprit, infra n 289, de lusufruit, infra n 335, 336, la dure de la clause dinalinabilit insre dans une donation, infra n 339 , la dure du commodat, infra n 411, la dure des situations juridiques provisoires, infra n 406. 70 Article 1397 alina 1 du Code civil, Aprs deux annes dapplication du rgime matrimonial, les poux peuvent convenir, dans lintrt de la famille, de le modifier, ou mme den changer entirement, par acte notari. A peine de nullit, lacte notari contient la liquidation du rgime matrimonial modifi si elle est ncessaire. . 71 Caractrise par la cessation de la communaut de vie entre les poux rsultant de leur vie spare depuis plus de deux ans, voir article 238 alina 1 du Code civil, Laltration dfinitive du lien conjugal rsulte de la cessation de la communaut de vie entre les poux, lorsquils vivent spars depuis deux ans lors de lassignation en divorce. . 72 Cette fonction nest pas lapanage de la dure du temps juridique, mais peut galement tre assigne lordre du temps juridique ; voir par exemple larticle 1442 du Code civil qui donne aux dates de dissolution de la communaut cites par larticle 1441, une valeur imprative ( Il ne peut y avoir lieu la continuation de la communaut, malgr toutes conventions contraires. ) ; voir galement larticle 1395 du Code civil pour un ordre chronologique valeur imprative entre le contrat de mariage et la clbration du mariage ltat civil, Les conventions matrimoniales doivent tre rdiges avant la clbration et ne peuvent prendre effet quau jour de cette clbration. ; pour lordre chronologique des situations juridiques, voir infra n 130. 73 Pour la notion et les illustrations de la dure limite quantitativement dtermine, voir infra n 350 et suivants. 74 Fraude la loi, G. CORNU, Vocabulaire juridique de lassociation H. CAPITANT, PUF, Quadrige, 8me d., Paris, 2008, p. 430, Acte rgulier en soi (ou en tout cas non sanctionn dinefficacit) accompli dans lintention dluder une loi imprative ou prohibitive et qui, pour cette raison, est frapp dinefficacit par la jurisprudence ou par la loi. () . 75 Article 21-2 alina 1 du Code civil, L'tranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalit franaise peut, aprs un dlai de quatre ans compter du mariage, acqurir la nationalit franaise par dclaration condition qu' la date de cette dclaration la communaut de vie tant affective que matrielle n'ait pas cess entre les poux depuis le mariage et que le conjoint franais ait conserv sa nationalit. , alina 2, Le dlai de communaut de vie est port cinq ans lorsque l'tranger, au moment de la dclaration, soit ne justifie pas avoir rsid de manire ininterrompue et rgulire pendant au moins trois ans en France compter du mariage, soit n'est pas en mesure d'apporter la preuve que son conjoint franais a t inscrit pendant la dure de leur communaut de vie l'tranger au registre des Franais tablis hors de France. En outre, le mariage clbr l'tranger doit avoir fait l'objet d'une transcription pralable sur les registres de l'tat civil franais. .

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  • 23

    laction permettait de restreindre ltablissement de la paternit76. Aujourdhui, la dure limite

    quantitativement dtermine du temps juridique est mise au service du principe dgalit et de

    non discrimination entre les filiations. En effet, cette nouvelle finalit a conduit une

    harmonisation de la dure des dlais en droit de la filiation77 tout comme le besoin de scurit

    juridique a conduit une rduction de la dure des dlais de prescription en droit commun78.

    14. Le temps juridique, un instrument au service de la technique juridique. Si le temps

    juridique est mis au service de la politique juridique, il sert galement la cohrence, la

    rationalit, la logique et la technique juridique79.

    Tout dabord, le temps juridique est au service de la dfinition cohrente de la notion de

    Droit. Le Droit ayant pour fonction de faire vivre harmonieusement les hommes dans une

    mme socit, le temps juridique est le moyen de mettre en uvre cette fonction. Le systme

    juridique ne pourrait parvenir rgir harmonieusement les rapports des individus dans une

    mme socit sans que sa dimension temporelle soit dfinie, c'est--dire sans quelle soit

    mesure et organise. Le temps tant un lien social80, une dimension essentielle et concrte81 de

    la vie des hommes, ces derniers ont, pour pouvoir vivre ensemble, besoin de dfinir le milieu

    temporel dans lequel ils vivent et de lui donner des repres objectifs et partags par tous. Le

    temps juridique est le moyen pour le Droit de remplir cette fonction essentielle, ddifier une

    76 J. HAUSER, Le temps en droit de la filiation , in Mlanges en lhonneur de Monsieur le Professeur Rainer Frank, Verlag fr Standesamtswesen, Berlin, 2008, p. 211 et suivantes. 77 Voir J. HAUSER, Des filiations la filiation , RJPF 2005, sept., n9, p. 7 et suivantes, et not. p. 10, La paix des familles, clipses, de 1912, qui avait survcu en 1972 et 1993, et que Savatier trouvait dj bien tonnante, est enfin du pass ! , p. 11, Cest dans les dlais que gisent le centre de la rforme et le pari sur la socit familiale. La biologie et les moyens de conservation des preuves (actes, tmoins, etc.) nous donnent lternit. Au temps subi, que lhomme a disciplin, il convient de substituer la dure raisonnable. La scurit juridique doit, un moment ou un autre, cder devant la revendication tardive (). ; F. GRANET-LAMBRECHTS, J. HAUSER, Le nouveau droit de la filiation , D. 2006, chron., p. 17 et suivantes, et not. p. 22, la dure du dlai de prescription de droit commun des actions relatives la filiation est rduite de trente dix ans ; article 321 du Code civil, Sauf lorsquelles sont enfermes par la loi dans un autre dlai, les actions relatives la filiation se prescrivent par dix ans compter du jour o la personne a t prive de ltat quelle rclame, ou a commenc jouir de ltat qui lui est contest. A lgard de cet enfant, ce dlai est suspendu pendant sa minorit. 78 Voir par exemple, P. MALAURIE, La rforme de la prescription civile , JCP d. G, 2009, I 134, S. AMRANI-MEKKI, Libert, simplicit, efficacit, la nouvelle devise de la prescription ? A propos de la loi du 17 juin 2006 , JCP d. G, 2008, I 160, C. BRENNER, H. LECUYER, La rforme de la prescription , JCP d. E, 2009, 1169. 79 A linverse, la technique juridique est aussi mise au service du temps juridique ; voir par exemple le report en arrire de la date qui est une technique de mise en uvre de la rtroactiviit, infra n 150, les restitutions qui sont une technique de mise en uvre de la rtroactivit de lannulation, voir infra n 166. 80 F. CHENET, Le temps, Temps cosmique, Temps vcu, Armand Colin, Paris, 2000, p. 25, citant Bachelard. 81 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 2.

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  • 24

    reprsentation du monde sur laquelle les hommes puissent se retrouver, sentir et agir ensemble 82. Il est

    une institution sociale, une instance rgulatrice des vnements sociaux 83 que le Droit utilise pour

    mieux matriser lactivit humaine 84. Le Droit a besoin dun cadre85 temporel commun et partag

    par tous, cadre dans lequel la vie juridique va pouvoir se drouler86. Pour cette raison, le langage

    juridique temporel ne doit faire lobjet daucune hsitation ou contradiction87. La mission

    essentielle du Droit tant de faire vivre harmonieusement les hommes dans une mme socit,

    elle requiert une action construite et rflchie sur cette dimension dans laquelle la rgle de droit

    sinscrit. Le Droit organise le temps factuel et le transforme en un environnement

    juridiquement organis, lisible et prvisible88. Ainsi, afin de remplir sa mission, il se doit de

    dfinir le temps, de lorganiser et de le mesurer, de lui donner une existence unitaire et

    univoque. Or, un tel objectif ne peut se faire sans la construction et la dfinition dun temps

    juridique.

    Ensuite, le temps juridique est mis au service de la cohrence des notions, rgles,

    prrogatives ou situations juridiques. Par exemple, la dure limite du dmembrement de

    proprit89 tout comme la dure indtermine de lindivision90 constituent des moyens de

    traduire en termes de technique juridique la conception politique du droit de proprit91.

    82 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 6, lauteur citant J. Ellul, in Archives de Philosophie, 1963, p. 28 et suivantes, H. BERGSON, La pense et le mouvant, essais et confrences, Paris, d. Quadrige, 1938, p. 4 ; dans le mme sens, J. FLOUR, J.-L. AUBERT, Introduction au droit civil et thmes fondamentaux, 13me d., Sirey, Paris, 2010, n103 la rgle de droit et donc la loi, est destine organiser la vie sociale et tablir des rapports harmonieux et stable entre ceux qui laniment . 83 N. ELIAS, Du Temps, Fayard, Paris, 1996, p. 52, p. 215. 84 F. OST, Les multiples temps du droit , in Le droit et le futur, IIIe colloque de lAssociation franaise de philosophie du droit, PUF, Paris, 1985, p. 144. 85 Temps, in Dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de D. ALLAND, S. RIALS, Paris, Quadrige, Lamy-PUF, 1re d., Paris, 2003, p. 1472. 86 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 8. 87 Le caractre imprcis de la construction ou de la dfinition du temps juridique trouve encore de nombreuses illustrations comme avec les notions de provisoire, de perptuit, dternit, de rtroactivit, etc. 88 Temps, in Dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de D. ALLAND, S. RIALS, Paris, Quadrige, Lamy-PUF, 1re d., Paris, 2003, p. 1472-1473, Si loffice du droit est bien de fixer des cadres lintrieur desquels les relations entre les hommes, il est naturel que le droit tablisse des certitudes sur le droulement du temps. , voir aussi P. COUDERC, Le calendrier, Que-sais-je ?, PUF, Paris, 1986, p. 25, propos de la rforme du calendrier par Jules Csar, pour mettre fin lintercalation abusive des mois intercalaires en raison de la corruption, crant des incertitudes et instabilit temporelles. 89 Voir infra n 336. 90 Voir infra n 414. 91 Voir infra n 289.

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  • 25

    Enfin, le temps juridique est mis au service du fonctionnement de la technique juridique.

    Par exemple, la dfinition de la date de naissance des droits et situations juridiques est la

    premire et ncessaire tape pour qualifier et caractriser leur existence92.

    15. Le temps juridique, un instrument au service de la gestion ou de la domination du

    temps extra-juridique. La gestion, voire la domination du rapport du Droit au temps extra-

    juridique, c'est--dire au temps tel quil existe en dehors et indpendamment du Droit,

    constitue une des finalits essentielles du temps juridique93. Au moyen du temps juridique,

    lhomme na eu de cesse de dominer le temps extra-juridique, cette volont tant mme

    considre comme enracine dans la nature humaine 94. Parmi les divers et nombreux objectifs

    assigns au temps juridique, son utilisation au service de cette finalit a dailleurs t celle qui a

    t le plus frquemment souligne. Le Droit en gnral et le temps juridique plus

    particulirement sont dailleurs considrs comme la plus gigantesque entreprise de domination du

    temps jamais tente par lhomme 95. Tout ordre juridique peut aussi tre analys comme un dfi

    au temps, la fois comme un effort de conservation96 et comme une tentative danticipation et

    de prvision97.

    Selon que le systme juridique cherche nier ou plus modestement grer le temps extra-

    juridique, la politique juridique temporelle colore la notion juridique de temps juridique de

    92 Pour la notion de date, voit infra n 94, sa dtermination ntant pas toujours aise et ce pour des raisons diverses : soit parce que sa identification dans la ralit temporelle extra-juridique est difficile, voir infra n 107, soit parce que sa dtermination dans la ralit juridique est complexe, comme pour ce quil en est des situations juridiques imparfaites, voir infra n 92. 93 Elle est une des finalits essentielle de lhomme, voir par exemple, F. CHENET, Le temps, Temps cosmique, Temps vcu, Armand Colin, Paris, 2000, p. 214, qui oppose le temps maturateur au temps dvoreur , p. 216, propos de la lutte contre le temps, lorsque ce dernier est peru comme tant destructeur ; mais le temps est aussi conu comme librateur ; ces deux aspects ne faisant que traduire le caractre paradoxal du temps qui en constitue lessence, voir infra n 57et suivants. 94 P. MALAURIE, Les libralits graduelles et rsiduelles , Defrnois 2006, p. 1801. 95 J. HAUSER, Temps et libert dans la thorie gnrale de lacte juridique , in Religion, socit, politique, Mlanges Jacques ELLUL, PUF, Paris, 1983, p. 507. 96 J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, 4me d., Dalloz, Les mthodes du droit, Paris, 2004, p. 119. 97 Dans ce sens, voir par exemple, S. JEUSSEAUME, Le droit administratif et le temps, thse, Paris X, 2002, p. 54 et suivantes, LEtat de droit : un instrument de prvisibilit , p. 99 et suivantes, Le contrat, acte de prvision. ; voir aussi, Le droit et le futur, IIIe colloque de lAssociation franaise de philosophie du droit, PUF, Paris, 1985.

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  • 26

    nuances particulires98. La politique du temps 99 est donc fonction de la reprsentation qui est

    faite du temps extra-juridique et de la caractristique qui lui est attache100.

    Lorsque la ralit temporelle extra-juridique est perue comme destructrice, le systme

    juridique tente d escamoter les effets du temps 101. Il cherche dpasser le contexte temporel

    dans lequel il se situe, de transgresser ses frontires et de nier ses effets. Dans ces hypothses, le

    temps juridique est considr comme fondamentalement diffrent du temps factuel. Il peut

    alors sembler constituer une fiction matrielle102. En effet, lorsque le temps extra-juridique est

    conu comme dominateur et destructeur et que le temps juridique est utilis pour le nier et le

    dpasser, il sera par consquent fondamentalement diffrent de ce dernier. Tel est par exemple

    le cas de la dure illimite qui a pour but de lutter contre lexistence mortelle de lhomme103 et

    98 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 6 99 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 10. 100 Voir infra n 58, pour le caractre paradoxal du temps, n 74, pour lanalyse du temps extra-juridique comme une ralit relevant de la nature des choses. 101 H. BERGSON, La pense et le mouvant, essais et confrences, d. Quadrige, Paris, 1938, p. 4. 102 Il faut distinguer la fiction matrielle, qui rsulte dun dcalage entre le contenu de la rgle de droit et le contenu de la ralit factuelle, de la fiction juridique, qui rsulte dune incohrence entre le contenu dune rgle de droit par rapport la logique densemble des autres rgles de droit ; voir G. WICKER, Les fictions juridiques, Contribution lanalyse de lacte juridique, thse Perpignan, prface de J. Amiel-Donat, LGDJ, Bdp, tome 253, Paris, 1997, n2, toute rgle juridique soulve deux interrogations par leur nature absolument distinctes : celle de son opportunit et celle de sa rectitude logique au regard de la construction juridique gnrale. Il sensuit que le jugement de valeur dont dpend la qualification de fiction rpond ncessairement lune de ces deux interrogations lexclusion de lautre. Et la dduction simpose quil existe, non pas une, mais deux catgories de fictions que par convention nous nommerons les fictions-rgles et les fictions juridiques. , n2-1, En matire de fiction rgle, il sagit dapprcier lopportunit de la rgle en recherchant si elle constitue une exacte reprsentation de la ralit matrielle ou si la solution quelle retient ne contrevient pas aux donnes matrielles, morales ou conomiques. Cela signifie que la qualification de fiction suppose ici que la rgle soit juge contraire, ou du moins inadquate, la ralit matrielle. , n2.2, La fiction juridique traduit un jugement port, non plus sur la rgle elle-mme, mais sur les rapports quelle entretient avec lensemble des autres rgles. Il sagit dapprcier, non sa conformit la rgle matrielle, mais sa compatibilit avec la ralit juridique. Cependant, dans la mesure o pour lobservateur extrieur la fiction juridique elle-mme fait partie intgrante du droit, et donc dune ralit juridique autrement dfinie , il faut retenir comme ralit juridique de rfrence celle issue de la construction juridique labore partir des concepts communment reus. Cest dire que constitue une fiction juridique, toute solution de droit compromettant la cohrence du systme juridique tel quil est mis en forme techniquement par la dfinition dun ensemble de concepts juridiques et des relations qui les unissent. Aussi, les concepts juridiques reprsentant la matire lmentaire de la ralit juridique, cest par rapport eux que doit se dfinir la fiction juridique. ; J. HAUSER, Temps et libert dans la thorie gnrale de lacte juridique , in Religion, socit, politique, Mlanges Jacques ELLUL, PUF, Paris, 1983, p. 503, Pour le juriste, le temps apparat plutt comme un lment naturellement destructeur, compliquant, quil convient de matriser en ramenant autant que possible la dure linstant ft-ce au prix de fictions nombreuses ; M. BLOCH, Le temps collectif , Philosophie magasine, 2008, n21, p. 44, Pour casser cette reprsentation dun processus irrversible, toutes les socits mettent en uvre des rituels qui crent une temporalit contrefactuelle ; F. CHENET, Le temps, Temps cosmique, Temps vcu, Armand Colin, Paris, 2000, p.10, p. 94, la temporalit est un destin pour le sujet qui atteste sa passivit , p. 80, citant Hegel in Prcis de lEncyclopdie des sciences philosophiques, les choses de la nature seule sont, par suite, soumises au temps en tant quelles sont finies; le vrai, au contraire, lide, lEsprit, est ternel . 103 Voir par exemple infra n 260, et infra n 309 pour la dure objectivement illimite du droit moral sur une uvre ; voir infra n 74, pour la perception du temps extra-juridique tantt comme librateur, tantt comme dominateur.

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  • 27

    qui est alors souvent considre comme un temps juridique fictif104. Tel est galement le cas de

    la suspension de lcoulement de la dure du temps juridique105 ou bien de la dure juridique

    illimite. Dans tous ces exemples, le temps juridique dont le vol peut la fois tre suspendu et

    sans fin semble constituer une fiction matrielle. En effet, le temps tel quil existe en dehors du

    Droit ne peut pas vritablement tre suspendu tout comme lternit ne semble pas relever du

    monde des hommes.

    A linverse, lorsque la ralit temporelle extra-juridique est perue comme constructrice, le

    systme juridique vise plus modestement en grer les effets. En ce que le temps juridique nest

    plus utilis pour nier mais simplement encadrer le temps extra-juridique, il nest plus aussi

    original lgard de cette ralit temporelle non juridique. Tel est par exemple le cas des dures

    juridiques limites et, plus gnralement, des dures limites dtermines106 ou indtermines107

    du temps juridique108.

    Cependant, la qualification du temps juridique en tant que fiction matrielle doit tre

    nuance et relativise. Tout dabord parce que la notion de temps telle quelle est dfinie dans

    les faits est plurale109. Ensuite parce que le temps juridique, quel que soit son degr

    doriginalit, constitue toujours une fiction matrielle dans la mesure o il est par principe

    distinct du temps extra-juridique110.

    b)- Limportance fluctuante du temps juridique.

    16. Limportance variable du temps juridique, un instrument essentiel, secondaire ou

    indiffrent. Si les finalits assignes au temps juridique sont varies, le degr dimportance de

    son utilisation nen est pas moins variable : le temps juridique est tantt un instrument

    essentiel au service de la rgle de droit, tantt un instrument complmentaire ou secondaire111.

    104 Voir infra n 256, 278, 326 105 Pour la notion de suspension de lcoulement de la dure du temps juridique, voir infra n 217 et suivants. 106 Voir infra n 347 et suivants. 107 Voir infra n 385 et suivants. 108 S. AMRANI-MEKKI, Le temps et le procs civil, thse, Dalloz, Nouvelle bibliothque de thses, Paris, 2002, n2, n26, La rglementation du temps de laction a pour objectif, tout dabord, dinciter les parties agir. La recevabilit de laction en justice dpend du respect de certains dlais. , n27, La rglementation du temps de laction sert donc aussi viter linstrumentalisation de la justice. Linterruption des dlais par lexercice de laction en justice en est le reflet. . 109 Voir infra n 22 et suivants. 110 Voir infra n 63, n 66, n 67. 111 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 17 ; dans certains cas, le temps est un lment des essentiels de la situation

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  • 28

    Dans dautres cas enfin, il est parfois mme une dimension indiffrente voire neutre en ce sens

    quil nentre pas en ligne de compte pour la dfinition des rgles, prrogatives, notions et

    situations juridiques.

    Dans certaines hypothses, le temps juridique est un instrument essentiel au service du

    Droit et des droits112. Dune manire gnrale, il est un instrument fondamental pour le Droit

    car il permet de dfinir, dorganiser et de mesurer la dimension temporelle dans laquelle le

    systme juridique se situe. A titre particulier, le temps juridique est un outil majeur au service

    des droits en ce quil leur donne toute leur dimension politique ou technique. Tel est par

    exemple lhypothse de la dure objectivement illimite113 qui caractrise le droit de proprit114

    et qui est le moyen technique de confrer ce droit sa conception politique de droit absolu.

    Dans dautres cas, le temps juridique est un instrument secondaire au service du Droit ou

    des droits. Il nest alors quun lment parmi dautres permettant datteindre une certaine

    finalit. Mme sil joue un rle important dans un faisceau dindices , le temps juridique nest ni

    exclusif, ni dterminant 115. A titre dillustration, si la prohibition de la dure juridique illimite a

    pour but de protger la libert individuelle, cette finalit peut galement tre atteinte par une

    limitation rationae loci, par exemple dune clause de non concurrence116.

    Dans dautres cas encore, il apparat que le temps juridique est un lment neutre,

    indiffrent, voire insuffisant. Tel est le cas lorsque leffet qui lui est attach ne lui est pas

    inhrent. Le plus souvent, le temps juridique produit un effet non pas en raison de sa nature

    propre en tant quespace temporel organis ou mesur mais en raison de sa dfinition

    hermneutique c'est--dire de la signification ou de leffet attach pendant ou lissue de son

    coulement. Tel est par exemple le cas des dlais en gnral117 et notamment du dlai de

    prescription118. En dehors du type mme de dure utilise pour caractriser et dfinir un droit,

    le temps juridique nu ne produit pas deffet. Son caractre indiffrent trouve une autre juridique , dans dautres, p. 23, le critre temporal nest ni exclusif, ni dterminant, mais il joue un rle important dans un faisceau dindices. . 112 Voir par exemple, S. MERCOLI, La rtroactivit dans le droit des contrats, thse, PUAM, coll. Institut de droit des affaires, Aix-en-Provence, 2001, n2, La notion de temps, si essentielle la matire juridique ; voir par exemple infra n 79 et n 90 et suivants. 113 Pour la notion de dure objectivement illimite, voir infra n 264 et suivants. 114 Pour lanalyse de la dure objectivement illimite comme caractristique du droit de proprit voir infra n 286 et suivants. 115 P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 23. 116 I. PETEL-TEYSSIE, Louage douvrage et dindustrie, Contrat de travail : gnralits, Prohibition de lengagement perptuel , J-Class., art. 1780, fasc.B, 1991, n33. 117 Voir infra n 353. 118 Voir infra n 354.

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    illustration au sein de la jurisprudence relative la clause rsolutoire dans le bail commercial.

    Dans un arrt du 19 mars 2008, la 3me chambre civile de la cour de cassation a en effet rappel

    que le seul coulement du temps ne peut caractriser un acte manifestant sans quivoque la volont de

    renoncer se prvaloir des effets de la clause rsolutoire 119. En effet, si le bailleur peut tacitement

    renoncer au bnfice dune clause de rsiliation de plein droit, cette renonciation ne se prsume pas et doit

    rsulter dactes qui limpliquent ncessairement et qui, accomplis volontairement et en connaissance de

    cause, manifestent de faon non quivoque lintention de renoncer de leur auteur. 120 .

    Toutefois, bien que dune importance fluctuante, le temps juridique est un instrument

    essentiel au Droit et aux droits compte tenu du nombre vari de finalits quil poursuit et de la

    ncessit gnrale davoir une dimension temporelle juridique organise.

    2) Le temps juridique, une dimension mal connue.

    17. Le besoin de connaissance du temps juridique. La construction dune thorie gnrale

    du temps juridique est ncessaire parce que novatrice. Bien quayant fait ces dernires annes

    lobjet dun certain engouement, les rapports entre le temps et le droit priv nont encore

    jamais t analyss en vue de llaboration dune thorie gnrale. Le temps juridique, c'est--

    dire le temps comme objet de la rgle de droit, na pas t tudi en tant que tel et de faon

    globale. Autrement dit, la thorie gnrale du temps juridique nayant jamais t vritablement

    et intgralement labore, elle savre donc ncessaire.

    A lexception de quelques tudes121, le temps na pas fait lobjet dune rflexion densemble

    par les juristes. Pour la science juridique, le temps nest que depuis peu un objet dtude en

    soi 122. Et si les tudes relatives au temps se sont rcemment multiplies, elles restent

    119 Civ. 3me, 19 mars 2008, n07-11194, RTD com. 2009, p. 815, obs. J. Monger, F. Kendrian ; jurisprudence constante : si le bailleur peut tacitement renoncer au bnfice dune clause de rsiliation de plein droit, cette renonciation ne se prsume pas et doit rsulter dactes qui limpliquent ncessairement et qui, accomplis volontairement et en connaissance de cause, manifestent de faon non quivoque lintention de renoncer de leur auteur. , Com. 18 novembre 1965, Bull. civ. III, n587. 120 Com. 18 novembre 1965, Bull. civ. III, n587. 121 Voir P. HEBRAUD, Observations sur la notion du temps dans le droit civil , in Etudes offertes Pierre Kayser, t. II, PUAM, Aix-en-Provence, 1979, p. 158, C. GAVALDA, Le temps et le droit , Etudes offertes Barthlemy MERCADAL, F. Lefebvre, Levallois-Perret, 2002, p. 23, F. MECHRI, Voyage dans lespace du temps juridique , Mlanges en l'honneur de Denis TALLON : d'ici, d'ailleurs, harmonisation et dynamique du droit, Socit de lgislation compare, Paris, 1999, p. 427. 122 J.-C. HALLOUIN, Lanticipation. Contribution ltude de la formation des situations juridiques, thse, Poitiers, 1979, p. VI, J. AZEMA, La dure des contrats successifs, thse, Prface R. Nelson, LGDJ, Bdp, tome 102, Paris, 1969, p. 1,

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    nanmoins partielles soit parce quelles concernent une matire juridique en particulier123, soit

    parce quelles traitent dune certaine conception du temps124. Par consquent, bien que le droit

    soit familier plus dun titre de la temporalit 125, il ne matrise pas encore totalement le temps

    juridique, une notion riche et complexe encore mconnue. Par exemple, la date dune situation

    juridique, information pourtant essentielle afin de permettre au droit de produire certains

    effets, nest pas toujours connue ou dfinie126. Pour ces raisons, la construction dune thorie

    gnrale du temps juridique en droit priv est ncessaire.

    n1, le temps napparat pas au juriste comme au philosophe. Pour ce dernier (le philosophe), le temps et la dure sont en eux-mmes objets de rflexion et de recherche, pour le juriste, sil demeure une donne essentielle, le temps ne peut tre quun lment dont il doit analyser les rapports avec le droit. . 123 Voir par exemple, S. AMRANI-MEKKI, Le temps et le procs civil, thse, Dalloz, Nouvelle bibliothque de thses, Paris, 2002, J.-P. ANGOENNAH-ESSYNGONE Le facteur temps en droit international priv, thse, sous la direction de Annie BOTTIAU, Lille II, ANRT, Lille, 2003, E. CHEVREAU, Le temps et le droit : la rponse de Rome : lapproche du droit priv, thse, prface M. Humbert, Paris II, De Boccard, Paris., 2002, F. COLONNA DISTRIA, Temps et concepts en droit des obligations, Essai danalyse mthodologique, thse, Aix-Marseille III, 2009, C. ETRILLARD, Le temps dans linvestigation pnale, thse Paris, 2003, LHarmattan, Paris, 2004, S. JEUSSEAUME, Le droit administratif et le temps, thse, Paris X, 2002, L. SAENKO, Le temps en droit pnal des affaires, thse, sous la direction de Bernard BOULOC, Universit Panthon-Sorbonne, Paris, 2008 ; D. BARANGER, Temps et constitution , Rev. Droits, 2000, p. 45, A. BRIMO, Rflexions sur le temps dans la thorie gnrale du droit et de lEtat , in Mlanges offerts Pierre HBRAUD, PU, Toulouse, 1981, p. 147, M. DAGOT, Le temps et la publicit foncire , Mlanges offerts Pierre HBRAUD, PU, Toulouse, 1981, p. 219, J. GAUDEMET, Le temps de lhistorien des institutions , in Lavenir du droit, Mlanges en hommage Franois TERR, Dalloz, Paris, 1999, p. 95, H. GAUDIN, Le temps et le droit communautaire, Remarques introductives autour du droit positif , in Les dynamiques du droit europen en dbut de sicle : tudes en l'honneur de Jean-Claude GAUTRON, d. Pdone, Paris, 2004, p. 349, J. HAUSER, Temps et libert dans la thorie gnrale de lacte juridique , in Religion, socit, politique, Mlanges Jacques ELLUL, PUF, Paris, 1983, p. 503, J. HAUSER, La famille, le temps, la dure , in Annales de droit de Louvain, vol. 59, n 1-2, 1999, p. 185, J. HAUSER, Le temps en droit de la filiation , in Etudes Rayner Franck, G.PAISANT, Essai sur le temps dans les contrats de consommation , in Etudes offertes au Doyen Philippe SIMLER, Lexis-Nexis, Dalloz, Paris, 2006, p.637, G. RAOUL-CORMEIL, La part du temps dans le droit de la filiation , LPA 2007, n132, p.7, P. SERLOOTEN, Le temps et le droit fiscal , RTD com. 1997, p. 177. 124 Voir par exemple, S. GUTIERREZ, Le temps dans les proprits intellectuelles : contribution ltude du droit des crations, thse, prface M. Vivant, Litec, Paris, 2004, qui traite du temp