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57 06/08 HARD & SOFT I l y a 30 ans ont été introduites en Europe et aux Etats-Unis des techniques de gestion et de management appelées Juste- à-Temps et Qualité Totale. Ces approches reposaient sur la «phi- losophie» mise en œuvre chez le constructeur automobile japo- nais Toyota. Elles avaient la double propriété d’apporter des résultats incroyablement plus performants que ceux de ses homologues occidentaux, mais également de reposer sur des manières de penser un peu déroutantes. Cet «Esprit Toyota» 1 a été diffusé dans les années 90 avec succès par des auteurs améri- cains 2 sous les termes de Lean Manufacturing (littéralement production mince) ou de Toyota Way. Les succès éclatants de Toyota, devenu premier cons- tructeur mondial, expliquent l’intérêt des dirigeants pour ces méthodes. Qu’est ce que le Lean Office? L’idée première est de se mettre à considérer un centre adminis- tratif comme une «usine» à produire des factures, des contrats, des services, par exemple. Au premier abord 3 , ce parallèle peut paraître à la fois étrange et déroutant, mais, après réflexion, il se révèle souvent très pertinent. S’ouvre alors, pour le diri- geant qui accepte ce parallèle, de nouvelles voies pour améliorer la performance administrative. En effet, cela fait plus d’un siècle que de nombreux auteurs ont réfléchi, testé et publié sur l’a- mélioration des méthodes de gestion industrielle. On peut en faire fi, les jugeant inapplicables au secteur tertiaire. Nous pen- sons, au contraire, qu’en s’inspi- rant de leurs travaux, en les transposant astucieusement, il est alors possible de gagner plu- sieurs décennies sur les démar- ches d’amélioration du secteur administratif. Quitte à aller s’inspirer de méthodes éprouvées, autant aller chercher les meilleures recettes, en particulier celles de Toyota. D’où l’apparition – encore timide – dans la littérature de management du terme de «Lean Office» pour parler de la transposition et de l’application de la philosophie et des pratiques Toyota (Lean Manufacturing) au monde des services adminis- tratifs (Office). Jusqu’à 70% d’activités sans valeur ajoutée pour le client L’une des principales particulari- tés de l’approche Toyota est de prendre l’élimination des gaspillages comme angle d’at- taque privilégié d’une démarche de performance. Nous essaie- rons donc d’évaluer rapidement ce que représentent ces gaspilla- ges au secteur tertiaire, en nous appuyant sur le cas d’un service de comptabilité fournisseur. Cet exemple présente l’avantage de faciliter l’acceptation du paral- lèle «usine-bureau». Nous som- mes en présence de tâches répé- titives et quotidiennes. On «fabrique» des autorisations de payer les fournisseurs. Un indi- cateur d’efficacité de l’activité est le paiement en temps et en heure de ces derniers, conformé- ment aux conditions contractuel- les. Les praticiens savent que la première cause de non qualité est le nombre de factures non conformes à la commande, cel- les qui ne «s’accrochent pas» du premier coup. Dans des secteurs aussi variés que l’industrie, la distribution ou l’administration, nous constatons un taux de 20% de «pas bon du premier coup». Ce taux peut sembler modeste : E X E M P LAIRE. Transposer les meilleures démarches de gestion industrielle aux pratiques administratives permet de faire des économies insoupçonnées. Cet article illustre l’originalité et la puissance de certaines approches. Le Lean Office : pour améliorer la performance administrative Un article proposé par Hortis SA Objectif Eliminer tout ce qui est gaspillage et n’amène pas de valeur ajoutée.

Lean Office - michel.baldellon.com · HARD&SOFT 5 8 0 6 / 0 8 4 factures sur 5 passant la pre-mière fois. Certes! Mais une facture qui n’est pas rapprochée immédiate-ment va

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● HARD & SOFT

Il y a 30 ans ont été introduitesen Europe et aux Etats-Unisdes techniques de gestion et

de management appelées Juste-à - Temps et Qualité Totale. Cesapproches reposaient sur la «phi-losophie» mise en œuvre chez leconstructeur automobile japo-nais Toyota. Elles avaient ladouble propriété d’apporter desrésultats incroyablement plusperformants que ceux de seshomologues occidentaux, maiségalement de reposer sur desmanières de penser un peud é r o u t a n t e s .

Cet «Esprit To y o t a »1 a étéd i ffusé dans les années 90 avecsuccès par des auteurs améri-c a i n s2 sous les termes de LeanManufacturing (littéralementproduction mince) ou de To y o t aWa y. Les succès éclatants deToyota, devenu premier cons-

tructeur mondial, expliquentl’intérêt des dirigeants pour cesm é t h o d e s .

Qu’est ce quele Lean Off i c e ?

L’idée première est de se mettreà considérer un centre adminis-tratif comme une «usine» àproduire des factures, descontrats, des services, parexemple. Au premier abord3, c eparallèle peut paraître à la foisétrange et déroutant, mais, aprèsréflexion, il se révèle souventtrès pertinent.

S’ouvre alors, pour le diri-geant qui accepte ce parallèle, denouvelles voies pour améliorerla performance administrative.En effet, cela fait plus d’un siècleque de nombreux auteurs ontréfléchi, testé et publié sur l’a-mélioration des méthodes degestion industrielle. On peut enfaire fi, les jugeant inapplicablesau secteur tertiaire. Nous pen-sons, au contraire, qu’en s’inspi-rant de leurs travaux, en lestransposant astucieusement, ilest alors possible de gagner plu-sieurs décennies sur les démar-ches d’amélioration du secteura d m i n i s t r a t i f .

Quitte à aller s’inspirer deméthodes éprouvées, autant allerchercher les meilleures recettes,en particulier celles de To y o t a .D’où l’apparition – encoretimide – dans la littérature demanagement du terme de «LeanO ffice» pour parler de la

transposition et de l’applicationde la philosophie et des pratiquesToyota (Lean Manufacturing)au monde des services adminis-tratifs (Off i c e ) .

Ju s q u’à 70% d’ a c t i v i t é ssans valeur ajoutéepour le client

L’une des principales particulari-tés de l’approche Toyota est deprendre l’élimination desgaspillages comme angle d’at-taque privilégié d’une démarchede performance. Nous essaie-rons donc d’évaluer rapidementce que représentent ces gaspilla-ges au secteur tertiaire, en nousappuyant sur le cas d’un servicede comptabilité fournisseur. Cetexemple présente l’avantage defaciliter l’acceptation du paral-lèle «usine-bureau». Nous som-mes en présence de tâches répé-titives et quotidiennes. On«fabrique» des autorisations depayer les fournisseurs. Un indi-cateur d’efficacité de l’activitéest le paiement en temps et enheure de ces derniers, conformé-ment aux conditions contractuel-les. Les praticiens savent que lapremière cause de non qualité estle nombre de factures nonconformes à la commande, cel-les qui ne «s’accrochent pas» dupremier coup. Dans des secteursaussi variés que l’industrie, ladistribution ou l’administration,nous constatons un taux de 20%de «pas bon du premier coup».Ce taux peut sembler modeste :

E X E M P LAIRE. Transposer les meilleures démarches de gestionindustrielle aux pratiques administratives permet de faire deséconomies insoupçonnées. Cet article illustre l’originalité et lapuissance de certaines appro c h e s .

Le Lean Office : pour améliorerla performance administrative

Un article proposé par Hortis SA

Objectif Eliminer tout ce quiest gaspillage et n’amène pasde valeur ajoutée.

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4 factures sur 5 passant la pre-mière fois.

Certes! Mais une facture quin’est pas rapprochée immédiate-ment va demander des «retou-ches» : il va falloir contacter desinterlocuteurs internes (ache-teurs, fonctions), puis externes,réessayer la saisie… Une tellefacture «coûte» en énergie aumoins 10 fois celle d’une facture«bonne du premier coup». Sup-posons qu’une facture «bonnedu premier coup» consomme 1unité d’énergie (2 à 3 minutesd’un comptable, par exemple).On montre que pour traiter 100factures, il faut dépenser uneé n e rgie totale de 280 : 80 factu-res bonnes «pesant» 1 chacune(soit 80) et 20 «pas bonnes dupremier coup» pesant 10 cha-cune (soit 200). Sur ce total de280, les retouches représententdonc 200. Comme 200/280 estproche de 70%, c’est ainsi plusde 2/3 de l’énergie du service quidisparaît dans cette forme parti-culière de gaspillage qu’est lar e t o u c h e !

Au sens du Lean, est gas-pillage toute activité qui n’a-joute pas de valeur ajoutée per-çue par le client final, et pourlaquelle il n’accepterait pas depayer un supplément. Lesattentes, les ressaisies dans unsystème informatique d’un do-cument papier issu d’un autresystème informatique, le tri desfactures par comptable, lesretouches, sont autant de gas-pillages. Que faire de ce «malnécessaire»?

Ecoutons Shingo à propos dus t o c k : «Vous l’avez considérécomme nécessaire et vous l’a-vez gardé. Nous l’avons consi-déré comme un mal, et avonscherché à l’éliminer. »

Potentiellement, ce sont doncplus de 2/3 des activités de cettecomptabilité qui sont redé-ployables vers un meilleur ser-vice client et/ou vers des capa-cités de «production» supplé-mentaires. Et bien plus si l’onprend en compte les autres for-mes de gaspillages. C’est l’unedes meilleures réponses qu’un

pays d’Europe occidentalepuisse apporter aux tentationsde délocalisation vers des payslow cost.

Plus de 95% du tempsde traitement d’un dossierest de l’ a t t e n t e

Une autre des caractéristiques dela philosophie Lean est de privi-légier la réactivité (ou l’Agilité)comme la meilleure méthoded’amélioration de la perfor-mance. Pourtant, l’impressiongénérale est que peu de progrèsrestent à faire dans ce domaine,tant l’informatisation a progressédans les entreprises. Nous pen-sons au contraire que les progrèspotentiels sont énormes, mêmechez celles équipées d’ERP.

Regardons sur notre exempleles temps opératoires nécessairespour ouvrir une facture, latransporter au comptable, l’enre-gistrer et la classer. Nous évo-quions plus haut un ordre d’idéede 2 à 3 minutes. Or nous cons-tatons souvent des temps «récep-tion – archivage» de l’ordre de lasemaine. Ce qui signifie quemême dans le meilleur des cas,les temps opératoires représen-tent souvent moins de 5% dutemps total, pour ne pas dire 1%.Nous laissons au lecteur le soinde faire cet exercice pour l’ob-tention d’une carte d’identité oud’un prêt bancaire. C’est donc unpotentiel d’Agilité de 1 à 20 qu’ilserait possible d’envisager.

Bien sûr, la réactivité ne sedécrète pas en quelques minu-tes, ni ne s’obtient en faisant tra-vailler les opérateurs 20 foisplus vite. Etre Agile suppose uneprise de conscience puis unapprentissage. Même si, commele dit modestement TaiichiOhno, «tout ce que nous faisons,c’est de surveiller le temps quis’écoule, depuis le moment oùle client nous passe commande,jusqu’à celui où nous encaissonsl ’ a rgent. Et nous réduisons cetemps en éliminant tout ce quiest gaspillage et n’apporte pasde valeur ajoutée.»

La suppression des gaspilla-ges produit un double effet ver-

tueux et simultané : la réduc-tion des cycles (donc l’Agilité :potentiellement de 1 à 20) et laréduction des coûts (potentiel-lement de 3 à 1). C’est déjà toutl’intérêt d’une approche Leanque de permettre de poser un teld i a g n o s t i c .

Les outils du Lean Off i c eLa présentation détaillée desoutils utilisés pour atteindre lesrésultats visés n’entre pas dansle cadre de cet article. Ils sontmultiples (management visuel,Pareto, diagramme de causes àe ffets, outils de résolutions deproblèmes, PDCA…) et por-tent dans la littérature des nomspas toujours évocateurs pour leprofane (5S, Hoshin, Kaisen,Ishikawa, QRQC…). Ces outilssont toujours simples et de bonsens. Ils sont parfois originaux,souvent astucieux et quelquesfois bien connus… sous unautre nom.

Nous pensons que les termi-nologies japonaises ou anglai-ses sont à éviter dans lesconversations courantes avecles opérationnels : elles eff r a i e n tplus qu’autre chose; elles peu-vent par contre être utiles dansles conversations d’experts.

Tous ces outils sont des sup-ports méthodologiques pourgarantir aux clients une qualitéirréprochable de la prestationlivrée, avec des gaspillages –donc des coûts – réduits auminimum. Le «Lean» est plusun état d’esprit qu’un recueil derecettes «magiques».

La performance ne s’achètepas toute faite comme un pro-duit manufacturé. Elle est laconséquence de l’applicationsystématique de ces pratiques etcontinue dans le temps.

Lean Office etsystème d’ i n f o rm a t i o n :une synergie inattendue

Les directeurs des systèmesd’information peuvent s’inté-resser à double titre à ces appro-ches. En premier, la suppressiondes gaspillages et la simplifica-tion qui en découle est une

excellente manière de réduire lacomplexité des projets informa-tiques, donc leurs coûts et leursdélais. En second, et afin d’ac-corder les cycles «business»(en semaines) et informatique(en semestres), ils devront met-tre en place des pratiques A g i l e sde développement d’applica-tions. Etre livré de 60% desfonctionnalités sous 1 mois estle rêve et le besoin de bien desutilisateurs. Ce sera le thème duprochain article. ●

Michel Ba l d e l l o n ,d i recteur Bu s i n e s s

Consulting, Ho rtis SA

1 Taiichi Ohno, L’esprit Toyo t a.Masson, Paris, 1989.

2 En particulier Womak, Joneset Liker

3 Excellent article sur le sujetde C. Chabiron et G. Beauvallet: h t t p : / / l e a n . e n s t . f r / w i k i / p u b /L e a n / L e s P u b l i c a t i o n s /L e m u d a s o u s l a m o q u e t t e . p d f

Ho rtis SAHortis est une entre p r i s esuisse romande de conseil enmanagement et en systèmesd’information. Comme le ré-sume son credo de l’Agilité àla performance, elle s’est faitune spécialité d’aider sesclients à améliorer leurs résul-tats en s’ a p p ropriant des pra-tiques Agiles. En forte cro i s-sance, l’expertise Lean d’ Ho r-tis va des domaines «métier»à ceux du déve l o p p e m e n ti n f o r m a t i q u e .

w w w. h o r t i s . c h