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Lecture de MAUPRAT

de George Sand

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Michèle HECQUET

Lecture de MAUPRAT

de George Sand

PRESSES UNIVERSITAIRES DE LILLE

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© Presses Universitaires de Lille ISBN 2-85939-378-1

Livre imprimé en France

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M A U P R A T

ENTRE CONTE E T ROMAN

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p ARU en 1937, Mauprat est un des premiers romans de mariage heureux que Sand ait écrit ; c'est aussi un

roman de cape et d 'épée qui fut vite très populaire, et dont l'efficacité narrative peut toujours être vérifiée auprès de jeunes auditoires. Ce bonheur du récit, nous en cherche- rons la première explication dans la situation particulière de la narration de Sand, entre conte et roman.

Sand donnait à ce roman, à ses romans, le nom de conte ; on peut voir là l'effet de sa modestie à l'égard de son œuvre. On peut y lire aussi une mise en question du privilège de la forme écrite sur la forme orale ; de la narration savante, élaborée dans la solitude pour un lec- teur solitaire, sur un mode de récit lié à la présence d'un auditoire, qu'il suppose et constitue à la fois comme com- munauté. Pour le conte, forme orale, performance et réception sont contemporaines ; aussi est-il moins œuvre qu'action ; en tout domaine la « forme arrêtée » paraissait à Sand l'interruption plutôt que la fin de l'incessante créati- vité, pour laquelle elle ne trouve que des métaphores d'artisane 1

Pourtant Sand, qui inscrivait sa méditation narrative dans les débats les plus actuels, et la concevait comme la recherche d'un sens plutôt que comme la transmission d'une sagesse, doit être définie comme romancière. Peut- être cernera-t-on mieux sa poétique narrative en la con-

1. — « Ce ne sont pas comme vous le pensez les travaux de l'esprit qui me fatiguent ; j'y suis tellement habituée à présent que j'écris avec autant de facilité que je ferais un ourlet ». Correspondance, t. II, p. 136-6 ; Lettre 516 du 13 août 1832 à Emile Regnault. En 1840 « La poésie n'a pas le droit de filer sa toile dans le vide ». Correspondance, t. VI, p. 136 ; Lettre 2113 au docteur Ange Guépin, vers le 20 septembre 1840.

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frontant à l'analyse du conteur donnée par Benjamin, dans un article qui est aussi une discussion de la théorie du roman de Lukacs 2

Ce conte-ci met en scène une narration orale : c'est aussi le cas, à la même époque, de bien des romans de Balzac. Mais tandis que chez lui tout concourt à la plus grande intensité dramatique : ruptures de ton, surprises, organisa- tion concertée de l'attente, implication d'un des auditeurs dans l'histoire contée, différences de réactions des audi- teurs — dans Mauprat la fluidité et la continuité de la voix narrative l'emportent sur l'intensité et la variété des péripé- ties et emportent le lecteur. Et les auditeurs presqu'invisi- bles, sont silencieux, tout à l'enchantement de l'histoire, absorbant le récit et s'y absorbant.

Bien que le conte soit suspendu à une question : « Y a-t-il en nous des penchants invicibles... ? 3 son application, sa saisie critique par les auditeurs internes sont renvoyées en dehors de sa sphère. C'est suggérer qu'il sera prétexte à méditation et rêverie intérieures plutôt que base de discus- sion ; les auditeurs sont vacants, vides d'activité et déten- dus ; ils se laissent guider et envahir par la parole du conte ; ils n'apportent nulle maîtrise, nulle certitude de l'excellence de leurs valeurs et ainsi n'ont pas perdu « le don de prêter l'oreille » 4 Si l'un d'eux est interpellé « petit jeune homme » n'est-ce pas pour signifier l'esprit d'enfance et une merveilleuse réceptivité aux histoires extraordi- naires ? Face à l'impérieux narrateur dont l'autorité s'ap- puie aussi bien sur sa terrible réputation — son passé — que sur sa mort prochaine, leur rôle est de pure passivité.

«Qui écoute une histoire forme société avec qui la raconte » 5 écrit Benjamin. Quelle étrange société que celle du vieux Mauprat et des deux jeunes chasseurs. L'un d'en- tre eux, jamais désigné autrement que comme « mon ami »

2. — Walter Benjamin « Le narrateur » in Poésie et Révolution. Denoël 1971, pp. 139-169. Traduction de Maurice de Gandillac. Ici p. 149. 3. — Mauprat, p. 44. 4. — « Le narrateur », p. 149. 5. — Ibid, p. 159.

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par l'auteur, est à peine une ombre ; et le « dernier des Mauprat » met à se raconter au « petit jeune homme » l'empressement d'un personnage de Dostoievsky, alors même qu'il manifeste encore la sauvagerie qui l'a isolé. Motivation insuffisante ? Défaut d'un roman trop rapide- ment écrit ?

Le récit de Mauprat n'est pas une leçon. Pourtant ni le vieil homme ni son destinataire ne racontent sans raison. S'agit-il comme dans le roman de transmettre ici « le sens d'une vie », la recherche de ce sens ? Ou « la morale de l'histoire » ? En posant cette seconde question, Mauprat penche vers le conte. Mais entre savoir et croire la distance est maintenue et il faut situer ailleurs que dans la brève injonction « Ne croyez pas à la fatalité » 7 la raison d'être du récit.

Ce récit, plus que leçon, est le seul legs qu'il puisse transmettre 8 ; le fait du récit est réparation, au seuil de la mort, d'un lien rompu avec la chaîne des vivants. Pourquoi cette soudaineté à se confier ? La survenue du petit jeune homme ressuscite — et d'abord en lui faisant prendre acte de sa perte — le regard par lequel il jouissait de sa victoire sur lui-même :

Hélas ! Je ferais si je l'osais un grand reproche à la Provi- dence : c'est de m'avoir mesuré la vie aussi courte qu'aux autres humains. Quand pour se transformer de loup en homme, il faut une lutte de quarante ou cinquante ans, il faudrait vivre cent ans par-delà pour jouir de sa victoire. Mais à quoi cela pourrait-il me servir ? ajouta-t-il avec un accent de tristesse. La fée qui m'a transformé n'est plus là

6. — Ibid, p. 158: « Sens de la vie », « morale de l'histoire»: ces deux mots d'ordre qui opposent roman et narration permettent de définir leur parfaite distinction, les statuts historiques de ces deux formes d'art ». 7. — Mauprat, p. 313. 8. — « Le narrateur», p. 157 : «Comme l'a noté Pascal, personne ne meurt si pauvre qu'il ne laisse après lui quelque héritage. Il laisse aussi des souvenirs, mais qui ne trouvent pas toujours de légataire. Le roman- cier recueille la succession... ».

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pour jouir de son ouvrage. Bah ! Il est bien temps d'en finir ! 9

Ce récit testamentaire s'adresse au lieu d'où Mauprat se voyait ; le narrataire tombé dans l'antre de Mauprat, ce narrataire derrière qui le vieillard voit se profiler une « génération efféminée » 10 pourrait bien figurer Edmée de Mauprat, comme lui mince silhouette effrayée auprès des flammes du foyer. S'il décide de lui raconter son histoire, c'est qu'il peut ranimer en lui l'être en qui reposait le sentiment de sa valeur et l'unité de ses pulsions contradic- toires. S'adressant à quelqu'un dont le métier est de recher- cher la mesure humaine des récits qu'il lui est donné de capter (« Je sais votre caractère et votre profession : vous êtes observateur et n a r r a t e u r » ) il restaure son attache avec celle qui lui enseigna le respect d'autrui, les pouvoirs du langage, de la raison et de la patience, il retrouve la voie vers cette commune mesure...

Le ton de Bernard de Mauprat entre pour beaucoup dans le pouvoir de persuasion du récit ; un ton n'est peut- être que l'intuition d'une relation de langage ; un caractère que ces paroles possèdent au plus haut point est d'être intimement adressées ; mais une parole intimement adres- sée n'est pas toujours une parole singulièrement, particuliè- rement adressée ; Mauprat parle moins à son destinataire, qu'à cet autre que le hasard lui envoie, à cet Autre de la commune mesure. Et l'agressivité du narrateur envers son auditoire, qui affleure çà et là comme dans le conte fantas- tique, vient de ce que celui-ci n'est pas la seconde personne devant qui il a vécu.

G. Sand a su donner à son narrateur un langage, ton de voix et vocabulaire en même temps, qui semblent venus du XVIII siècle ; une langue légèrement archaïsante accentue le coloris d'Ancien Régime répandu sur tout le conte. Cer- taines expressions, alors soulignées de l'italique sont la

9. — Mauprat, p. 33. 10. — Ibid, p. 34. 11. — Ibid, p. 34.

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mémoire de manières de faire (de se vêtir, de se coiffer) ou de dire surannées (p. 172 : « ses longs cheveux bouclés en repentir sur ses épaules» — ou un mot de caste p. 188: « une éducation sortable à ma qualité » ; ou des mots de paysan : p. 50 « Les yeux... de Patience grossissaient dans sa tête »). Mais, comme l'a fait remarquer M.Gilot 12 les mots- clés de la réflexion sur l'émancipation et donc la volonté de modernité portent également la marque des années 1770; les mots-valeurs ne sont pas, eux, soulignés : « enthou- siasme », « rêverie », « énergie », « concentration », « organi- sation » ; ils manifestent l'attache de Sand aux Lumières, la complicité du narrateur et de l'auteur, l'intime appropria- tion de la langue des Lumières ; comme Bernard, en effet Sand doit une part essentielle de son éducation à une femme née vers le milieu du XVIII siècle, « nourrie de Voltaire et de Rousseau » ; dans Histoire de ma vie, elle dit sa reconnaissance envers une femme dont les connais- sances étaient si vastes, le jugement si sûr, le langage si simple et si élevé à la fois « que sa conversation était le meilleur des livres ».

L'intimation de Mauprat au petit jeune homme s'accom- pagne d'une distance à l'égard de lui-même qui n'est cepen- dant ni rejet ni condamnation — malgré de sévères et brefs jugements en ce sens — mais acceptation de sa vie passée comme d'un mystère ; là encore, la perspective fait songer au regard d'étrangement que posent sur eux-mêmes bien des personnages de Dostoievsky ; contrairement à eux, Mauprat porte en lui les critères de son jugement moral et il n'attend d'absolution de personne ; mais il ne saurait se condamner ni s'absoudre. Qui cependant à le lire ne res- sent que cette parole, imprononçable sans destinataire, est sa délivrance ?

A travers ses zones d'ombre et ses clartés, le conte maintient à la fois, dans un phrasé limpide et aérien et

12. — Michel Gilot, « La présence du XVIII siècle dans Mauprat ». Pré- sence de G. Sand, n° 23.

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Bibliographie

Œuvres de Sand

— Mauprat, éd., de référence Garnier Flammarion, 1969. Présentation de Cl. Sicard.

— Les Lettres d'un voyageur, éd., Garnier-Flammarion 1971. Présentation de H. Bonnet.

— Les lettres à Marcie, éd., M. Levy S. d.

— Histoire de ma vie, Œuvres autobiographiques, Pléiade, 1970, 2 vol. Présentation de G. Lubin.

— Correspondance, éd., G. Lubin Garnier, 4 premiers volumes.

Biographies

WLADIMIR KARÉNINE George Sand, sa vie et ses œuvres. Paris. Plon Nourrit 1899-1926. 4 volumes, en particulier t. 2.

P. SALOMON G. Sand rééd. S.E.D.E.S. C.D.U. 1986.

JOSEPH BARRY G. Sand ou le scandale de la liberté, traduction Seuil, 1982.

Ouvrages lus p a r Sand

— Le Tasse, la Jérusalem délivrée.

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— H. D'Urfé, l'Astrée. — Œ u v r e s de Rousseau.

LOECKX D., Sens et signification dans Mauprat, Mémoire de maîtrise dirigé par P. Reboul, Université de Lille III, 1982.

SICARD Cl., « La genèse de Maupra t », Revue d'Histoire littéraire de la France, 1968, n° 5. Préface de J.P. Lacassagne à Mauprat, éd., Folio, 1981.

MOZET N., « Du bon usage de la lettre de rup tu re » in Revue des sciences humaines, 1985, n° 195, n° spécial, Lettres d'écrivains.

Dans la revue Présence de G. Sand, plusieurs articles ont été consa- crés à Mauprat, n o t a m m e n t : n° 8 Yves Chastagnaret : « Mauprat ou du bon usage de l 'Emile » — n° 23 Michel Gilot : « La pré- sence du XVIII siècle dans Mauprat» — n°26 Simone Vierne: « Mauprat à l'Université de Grenoble ».

BOZON-SCALZITTI Y., « Mauprat ou la belle et la bête », Nineteenth- century French studies, vol. X, n° 1 et 2, 1981-82.

BACHELARD GASTON, La Poétique de l'espace, P.U.F., 1957. BENJAMIN WALTER, « Le na r r a t eu r » in Poésie et Révolution, t raduc-

tion Maurice de Gandillac, Denoël 1971. DUBOIS C.-G., Le baroque, profondeurs de l 'apparence, Larousse 1973. EHRMANN J., Un paradis désespéré; l'Astrée P.U.F., 1963. FUMAROLI MARC, « Nous serons guéris, si nous le voulons », Classi-

cisme français et maladie de l'âme. Le Débat n° 29, mars 84. MOLINIÉ G., Du roman grec au roman baroque, un ar t ma jeu r du

genre narra t i f sous Louis XIII. Service des publications de Tou- louse le Mirail, 1982.

THOMSON PATRICIA G. Sand and the Victorians, Mac Millan 1977.