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Droit, déontologie et soin Décembre 2006, vol. 6, n° 4 570 L U POUR VOUS Lectures Gilles DEVERS Avocat au Barreau de Lyon Éloge du risque dans le soin psychiatrique Marcel Sassolas, (Dir.), co-auteurs : Raymond Cahn, Valérie Colin, Jorge De Campos Valadares, Gilles Devers, Jean-Marc Elchardus, Claude Finkelstein, François Fleury, Georges Gaillard, Jacques Hochmann, Michel Hock, Alain Le Ninèze, Jacqueline Maqueda, Jean-Pierre Martin, Gilbert Nectoux, Angelo Pug- gioni – François Roustang, Gérard Tixier, Erès, 2006, 212 p. Aujourd’hui, le discours de la plupart des professionnels de la psychiatrie n’est qu’une longue plainte. De toutes parts, s’élèvent des gémissements d’où émergent les termes de malaise, souffrance, crise, désarroi, impasse. Beaucoup de raisons sont invoquées pour justifier cette morosité : la stagnation des bud- gets, l’explosion de la demande, la pénurie des professionnels, la désagrégation du tissu social, les exigences de l’administration, la dilution de la réponse psy, l’apparition de nouvelles pathologies… Certes, chacun de ces facteurs est à prendre en compte, mais peut-on expliquer ce climat par ces seuls éléments objectifs ? À d’autres époques, les conditions matérielles de l’exercice psychia- trique n’étaient pas meilleures ! Ce qui diffère, c’est la perception subjective des soignants, leur manière de réagir devant les limites et les obstacles que la réalité oppose, comme toujours, à leur désir soignant. Devant cette résistance opaque de la réalité, deux attitudes mentales sont possibles : le découragement résigné et plaintif, ou l’affrontement avec ce réel. Mais affronter le réel, c’est prendre des risques, attitude qui n’est plus aujourd’hui culturellement correcte. Le principe de précaution a conquis peu à peu tous les secteurs de notre vie sociale. Cet ouvrage veut faire l’éloge du risque, c’est-à-dire proposer des réflexions sur la signification psychique de cette atti- tude humaine, sur les processus inconscients et conscients qu’elle mobilise, sur sa place dans toute stratégie antidépressive, son utilité subjective et sociale. Il explore ses limites, les effets de sa carence (érosion de toute initiative, disquali- fication de soi, résignation maussade) et les conséquences de ses excès (attitudes héroïques, mise en danger de soi ou des autres). Il constitue une tribune ouverte à ceux qui, dans le paysage grisâtre de la psychiatrie actuelle, prennent le risque

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Droit, déontologie et soin

Décembre 2006, vol. 6, n° 4

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Lectures

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EVERS

Avocat au Barreau de Lyon

Éloge du risque dans le soin psychiatrique

Marcel Sassolas, (Dir.), co-auteurs : Raymond Cahn, Valérie Colin, JorgeDe Campos Valadares, Gilles Devers, Jean-Marc Elchardus, Claude Finkelstein,François Fleury, Georges Gaillard, Jacques Hochmann, Michel Hock, Alain LeNinèze, Jacqueline Maqueda, Jean-Pierre Martin, Gilbert Nectoux, Angelo Pug-gioni – François Roustang, Gérard Tixier, Erès, 2006, 212 p.

Aujourd’hui, le discours de la plupart des professionnels de la psychiatrien’est qu’une longue plainte. De toutes parts, s’élèvent des gémissements d’oùémergent les termes de malaise, souffrance, crise, désarroi, impasse. Beaucoupde raisons sont invoquées pour justifier cette morosité : la stagnation des bud-gets, l’explosion de la demande, la pénurie des professionnels, la désagrégationdu tissu social, les exigences de l’administration, la dilution de la réponse psy,l’apparition de nouvelles pathologies… Certes, chacun de ces facteurs est àprendre en compte, mais peut-on expliquer ce climat par ces seuls élémentsobjectifs ? À d’autres époques, les conditions matérielles de l’exercice psychia-trique n’étaient pas meilleures ! Ce qui diffère, c’est la perception subjective dessoignants, leur manière de réagir devant les limites et les obstacles que la réalitéoppose, comme toujours, à leur désir soignant. Devant cette résistance opaquede la réalité, deux attitudes mentales sont possibles : le découragement résignéet plaintif, ou l’affrontement avec ce réel.

Mais affronter le réel, c’est prendre des risques, attitude qui n’est plusaujourd’hui culturellement correcte. Le principe de précaution a conquis peu àpeu tous les secteurs de notre vie sociale. Cet ouvrage veut faire l’éloge du risque,c’est-à-dire proposer des réflexions sur la signification psychique de cette atti-tude humaine, sur les processus inconscients et conscients qu’elle mobilise, sursa place dans toute stratégie antidépressive, son utilité subjective et sociale. Ilexplore ses limites, les effets de sa carence (érosion de toute initiative, disquali-fication de soi, résignation maussade) et les conséquences de ses excès (attitudeshéroïques, mise en danger de soi ou des autres). Il constitue une tribune ouverteà ceux qui, dans le paysage grisâtre de la psychiatrie actuelle, prennent le risque

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d’innover dans des pratiques différentes, originales, déviantes même, pourautant qu’elles s’appuient sur une réflexion solide et un objectif clairementénoncé.

Gourous, sorciers et savants

Henri Broch, préface de G. Charpak, Odile Jacob, 2006, 211 pages.

Science et charlatanisme, conviction et raison, croyance et confiance : lespratiques médicales sont particulièrement sensibles à ces problématiques, maisla question est générale… et très ancienne. Ce livre vous montre comment par-venir à déjouer les charlatans et marchands d’illusion qui cherchent à vous bernerpour abuser de votre crédulité. L’auteur vous donne des recettes, parmi d’autres,pour tenir des charbons ardents entre vos mains ou conduire la tête encagoulée.Contre l’autorité sectaire des gourous, il défend la pensée scientifique en vousamusant. Soyez miraculeux !

Le droit international, le droit européen et la hiérarchie des normes

Paul Cassia, Terry Olson, PUF, collection Droit et Justice, 2006, 64 pages.

Les lecteurs de

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savent à quel point le droit inter-national, et particulièrement celui de la Convention européenne des droits del’homme marque la vie juridique du quotidien. Le mérite de l’ouvrage de TerryOlsson et Paul Cassia est d’offrir une remarquable synthèse de ce droit interna-tional, et de la manière dont il s’applique en droit interne. Comment s’organisentles rapports entre droit national et droit international, en particulier dans lecadre européen ? En cas de conflit entre normes internes et internationales,laquelle faut-il appliquer ? L’enjeu est fondamental à l’heure où une partie dudroit français trouve son origine dans des normes européennes et cet ouvragedonne quelques éléments clairs pour éclairer ce sujet évolutif.

Au nom de quoi ? – Libre propos

Francine Demichel, Les éditions hospitalières, 2006, 282 p.

Longtemps le droit et la médecine se sont ignorés. Aujourd’hui, leurs rap-ports sont étroits mais contradictoires. Les juristes ne peuvent ignorer que lesprogrès considérables de la science médicale exigent un encadrement juridiquenovateur. Mais celui-ci peut-il faire face seul à cette idéologie rampante quidéborde largement les relations médecin-patient et qui conduit à une médicali-sation de toute la société ? L’essai de Francine Demichel tente de tracer quelquespistes en réponse à cette problématique médicale contemporaine. Francine

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Demichel est professeur de droit public à l’université Paris 8, alternant la pra-tique de responsabilités administratives et de fonctions d’enseignement dans unmaster de droit médical.

Les «

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siècle » français

Ludivine Bantigny, Éditions Ellipses, 2006, 191 p.

Comment comprendre la relation individuelle sans savoir se placer dansun ensemble ? Comment affronter l’immense diversité des personnalités sans unregard sur les grandes évolutions qui structurent la société ? Où trouver les clésde ce décryptage rendu indispensable pour gérer dans la durée la masse des rela-tions avec les patients qui se créent au cours d’une carrière professionnelle.L’ouvrage de Ludivine Bantigny est un précieux recours, pour comprendre cequi fait notre unité et notre diversité.

Le

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siècle aura été marqué par des événements et des changements d’uneintensité que la France n’avait pas connue depuis longtemps. D’abord dominéepar la guerre ou le péril de la guerre, de part en part traversée par les conflitsmondiaux et coloniaux, de la « Grande Guerre » à la guerre d’Algérie, l’histoirerécente de la France paraît à présent pacifiée. Elle s’inscrit désormais dans uneperspective européenne, dont la construction, cependant, se révèle parfois diffi-cile. Cette histoire d’un siècle se décline, fondamentalement, au pluriel. Par-delàl’originalité de la vie politique française, la société, les mœurs, les pratiquesculturelles se sont profondément modifiées. Pareilles mutations, radicales,incitent à parler des «

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siècle » français. Soucieux de s’adresser à un publicd’étudiants découvrant ou redécouvrant cette période, l’ouvrage décrit et expliqueles grands bouleversements qui ont émaillé ce siècle, en variant les échelles eten prenant la mesure des évolutions à court, moyen et long terme. Il aborde lesprincipales problématiques et les débats qui marquent l’écriture de l’histoirecontemporaine aujourd’hui. La bibliographie est aussi une invitation à découvrirles renouvellements actuels de l’historiographie. Ludivine Bantigny, ancienneélève de l’École normale supérieure, agrégée et docteur en histoire, est maîtrede conférences à l’université de Rouen.

La responsabilité des magistrats

Gwenola Kerbaol, PUF, Que sais-je ?, 2006, 96 p.

Cet ouvrage propose une analyse juridique des différents mécanismes deresponsabilité auxquels sont soumis les magistrats de l’ordre judiciaire. Il offreau lecteur une cartographie des débats et différents arguments habituellementavancés et invite à poursuivre la réflexion sur le terrain qui en constitue l’enjeu,la légitimité de l’autorité judiciaire. Un vaste tour d’horizon de ce que l’auteurappelle

« Les limites de la responsabilité personnelle des magistrats, liées à la

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spécificité de leurs fonctions »

: la notion d’acte juridictionnel, la collégialité, lesecret des délibérés, les voies de recours, l’autorité de la chose jugée… De tellesorte, c’est un régime de responsabilité limitée que décrit l’auteur : absorptionde la responsabilité civile personnelle des magistrats par celle de l’État, et étroi-tesse de la responsabilité pénale des magistrats. Ce tableau est équilibré par ladescription de la responsabilité disciplinaire des magistrats, mais l’ouvrage seconclut par la descripion d’un système de responsabilité lacunaire et insuffisant.

Le dossier noir de l’instruction, 30 avocats témoignent

Christine Courrège, Odile Jacob, 2006, 316 p.

Et si Outreau n’était pas un cas unique ? Et si Outreau était l’occasion demettre en lumière les travers nés de la pratique, ou de textes dépassés ? AprèsOutreau, les langues se délient. Ce témoignage de trente avocats fait froid dansle dos sur les méthodes de la justice : garde-à-vue punitives, experts véreux,erreur de jugement défendue bec et ongles par solidarité entre confrères... Bref,le scandale judiciaire, un mal quotidien. Trente avocats, acteurs de la justicepénale en France, racontent quelques-unes de leurs expériences. À eux seuls, ilsreprésentent plus de 800 années d’exercice professionnel, plus de 4 000 plaidoi-ries aux assises, plus de 20 000 instructions... Pourtant ces professionnels onttoujours une foi absolue dans la nécessité de respecter et de faire respecter lajustice et la dignité de la personne humaine.

Un livre-constat et un livre-réquisistoire, mais aussi un beau témoignagesur les capacités des innocents à faire face à l’injuste accusation.