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le premier chapitre de ce roman très particulier
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Dessin de la spirale : Delbouys-Broka Caroline
Couverture: Pierre Houssa
Livredit B and D production s.p.r.l.
Belgium
© Serge France 2012 Tous droits réservés
Chapitre 1
Bruxelles-Belgique. Lundi 17 septembre 2012 8 h
Il sonne huit heures à sa montre. D'une rigueur quasi
militaire, Alain Tier entre dans son bureau de l'avenue
Henri Hollevoet à Bruxelles. Sur la porte, fixée par quatre
vis dorées, une plaque de plastique blanc frappée des
lettres noires : « Détective privé ». Il a fallu que la vie soit
assassine avec cet homme de cinquante et un ans pour que
le médecin devienne chasseur de renseignements au
service des autres. Le crâne rasé comme la barbe chaque
matin, il arbore, toute l'année, un teint hâlé. Adepte de
randonnée pédestre. Il se déplace avec une allure de
boxeur. Les yeux bleus observent avec intérêts et
intelligence. Les rides, profondes, révèlent les vestiges de
sa grande douleur. Il s'empresse de consulter ses messages
électroniques, espérant qu'une des sociétés sollicitées par
la publicité qu'il rédige périodiquement réclame ses
services. Il repère une ligne dont l'expéditeur s'annonce
notaire. Il aime travailler pour cette corporation, qui paie
rubis sur l'ongle. L'ordre lancé par la pression sur la souris
reliée à l'ordinateur fait apparaître le texte.
« Monsieur Tier,
Exécuteurs testamentaires de Madame Marie Pasque, notre
étude est mandatée par un codicille à ses volontés afin de
vous proposer d'enquêter sur la disparition de sa fille
Amélie. Vous trouverez ci-joint une photographie qu'il
nous est demandé de vous adresser avec notre missive.
Restant à votre disposition. S. Jaspar Notaire à Nîmes ».
Positionnant le curseur sur l’icône de l'image attachée, il
clique sur le bouton gauche du dispositif de pointage pour
la décompresser. Pixels après pixels, la photo se
reconstitue sur l'écran. Troublé, il scrute le visage de l'ange
blond assis sur un banc. Alors qu'il le découvre, la
sensation d'une faiblesse née dans une zone entre le
sternum et le nombril le submerge. Devant la ressemblance
il pense que son esprit se joue de lui. Sa main droite saisit
la photographie encadrée, posée sur la table de teck à côté
de l'ordinateur. La comparaison ne fait qu'ajouter à son
désarroi. Le même visage ovale, les mêmes yeux coquins
et la même moue aux lèvres, l'identique coiffure en casque
d'or. Mais là où la similitude ébranle le plus sa raison, c'est
dans la manière particulière de se croiser les doigts ;
entrelacés, mais tendus. Il lâche le cadre de bois qui heurte
le plan de travail et fend la vitre, jusque-là garante de
l'intégrité de ses évocations. L'émotion devient trop forte
pour le quinquagénaire, la respiration hoquetante annonce
des larmes. Il ne souhaite pas les empêcher, elles l'aideront
à laver la peine qui ressurgit. Son fils disparu est assis sur
ce banc au côté d'un étranger. Il croit rêver. Incapable de
quitter les yeux de son enfant, qu'il sait de couleur noisette.
Il cherche une explication sensée. Le cœur frappe avec
force, augmentant la pression sanguine qui cogne dans son
cerveau. Le visage s'échauffe, s’inonde de sueur. Il doit
calmer le processus qui va l'amener à l'accident. Il se lève.
D'un mouvement sec, il écrase sa misère de ses poings sur
le plan de travail trop rigide pour les ménager. La douleur
physique se joint aux autres ; il endure ces semaines de
l'année deux mille trois qui ont fait suite à la disparition de
sa famille. Robert son fils et Yolande sa femme. Il est
devenu fou à cette époque. Abandonnant son cabinet pour
retrouver les êtres aimés. Sa quête a duré un an, le temps
d'épuiser ses réserves et l'argent de la vente de sa maison.
Quand il s'est retrouvé démuni, il a ouvert ce bureau
d'investigations. Chaque enquête qu'on lui confie lui
permet de fouiner avec l'espoir de découvrir le début d'une
explication. Il pensait avoir fouillé tous les aspects de cet
enlèvement. Ils projetaient de se rejoindre, un samedi de
juillet, à la fête foraine de Bruxelles. Il est resté deux
heures à attendre, s’efforçant de contacter Yolande sur son
portable dont le répondeur répétait, empruntant sa voix
douce, de lui laisser un message. Les heures, les jours et
les semaines n'étaient rien de plus que des successions de
calvaires. Les démarches, les sollicitations, les
supplications, les prières meublaient les heures de ses
journées, les interrogations en égrainaient les minutes. Sa
femme virtuelle annonçant qu'elle se ferait un plaisir de
rappeler s’il enregistrait sa requête a été remplacée par une
autre, artificielle, qui disait le numéro non attribué. Il
forme encore cette suite de chiffres, qui comme un code
les relie. Il n'est pas un soir qu'il s'endorme, quand il y
arrive, sans penser à eux. Il a atteint un apaisement qui lui
convient, emprunt d'une scène de son imagination. Robert
joue sur une plage de sable blanc. Yolande, belle dans son
maillot noir dessinant si bien ses formes, s'avance dans les
vagues. Émergeant de l'eau, il les surprend. Mimant un
gorille agressif. Son fils aimait ce simulacre et lui donnait
le change dans ce rituel. Accourant, grognant, il les effraie.
Les fuyards crient et rient. Ralentissant pour profiter du
plaisir d'être saisi par les bras d'un tendre grand singe.
Cette image d'une famille enlacée représente la limite qui
le sépare de la démence. Le tableau vient de se déchirer,
remplacé par un autre sur lequel un individu pose un
regard concupiscent, osant porter la main sur la chair de sa
chair. S'immortalisant sur un instantané sans âge, puisque
ne pouvant exister.
Nîmes-France. Mardi 18 septembre 2012 13 h 30
L'homme de loi français avait accepté de déroger à ses
règles pour le recevoir sans attendre. La courte
conversation téléphonique d'hier les avait accordés sur
l'urgence de la situation. Après une heure trente de vol, un
taxi a amené le détective jusqu'à l'étude du notaire Jaspar,
rue du Cirque Romain. Il est accueilli par un individu assez
âgé, petit, au dos voûté et au visage gris à la mine austère
que sa profession impose. Ils s'installent dans un bureau
aux murs couverts de rangements en bois de noyer. Il y
règne une odeur de cire. Maître Jaspar, lui ayant lu les
dernières volontés de feue Marie Pasque, qui tiennent en
ce seul fait qu'elle lègue ses avoirs à Amélie, se lance dans
le détail de la procédure. Alain n'a pas placé le moindre
mot.
− La fortune de la famille Pasque se qualifie
d'importante. Il vous suffit de savoir qu'elle s’évalue au
jour le jour en fonction de l’évolution des bourses. Je suis
autorisé à vous dire que le testament prévoyait que les
biens iraient à une association humanitaire, la S.A.E.T.M.
(Société d'aide aux enfants du tiers monde). Marie Pasque
était engagée dans cette belle œuvre, en quelque sorte, une
compensation à la perte de sa propre fille. Elle a ajouté ce
codicille le 7 juin de cette année en y adjoignant une
enveloppe cachetée et une lettre à votre attention ; le pli
scellé fut ouvert lors de l'exécution de l'acte, il y a
quelques jours, pour y découvrir la photo annexée en copie
numérisée au courrier électronique que vous avez reçu.
L'écrit de Marie Pasque et l'original de l'instantané avec
son fils sont déposés sur la longue table brillante autour de
laquelle ils s'étaient installés, face à face, pour leur réunion
improvisée.
− Je dois vous confier ces trousseaux de clés. Le
premier vous permettra de prendre possession, pour vos
séjours dans notre ville, de l'habitation au 17, chemin des
Dixmes. J'ai prévenu Madame Laruelle de votre éventuel
passage ; elle est chargée de la surveillance et de l'entretien
de la propriété. Informez-la au numéro repris sur cette
étiquette.
Attaché à l'anneau le badge métallique porte une suite de
chiffres martelés dans la masse.
− Finalement les codes d'accès pour l'alarme de la villa
et la clé d'un coffre à la S.N.B, Swiss National Bank que
vous trouverez avenue Feuchères pas loin des arènes. Il
faut que je vous parle de cette opération financière.
Le débit du discours du Nîmois ne laisse aucune place à
l'interruption. Il s'énonce sur le même ton monocorde que
lors de la lecture de l'acte lui-même, et, bien qu'il ne
consulte pas de documents depuis le début de l'entrevue,
son regard n'a jamais croisé celui de son visiteur.
− Vos papiers confirment votre nationalité française.
Votre mère, feue Madame Tier, était la demi-sœur de Marie
Pasque, ce qui nous a permis de préparer le dossier pour
finaliser la part de l'héritage que vous octroie votre tante.
Transaction dont l'exécution est liée à votre accord pour la
mission de recherche d'Amélie Pasque. Votre présence
établit votre volonté.
Alain se saisit de la feuille que lui tend une main noueuse.
Quelques lignes attestent son engagement. Il y dépose sa
signature et replace l’écrit sur la table devant lui. Tête
baissée, le notaire avance le bras, faisant disparaître la
preuve dans une farde au dos vert foncé. Alain est toujours
perturbé par les événements, ce qui le rend plus passif qu'il
ne le devrait. Les derniers mots concernant une tante dont
il ne connaît pas l'existence auraient dû appeler à des
précisions, mais le débat a son meneur, lequel manifeste
l'intention d'arriver à ses fins au plus vite.
− Il fallait que notre chère disparue ait une belle
confiance en vous pour avoir élaboré ce scénario,
Monsieur Tier. Vous possédez, dès à présent, un montant
d'un million six cent mille euros transféré, à l'instant, à la
S.N.B.. Demain à l'ouverture, vous vous rendrez au siège
de l'Avenue Feuchères, vous demanderez EstelleThierry.
Elle est habilitée pour régulariser votre compte.
Il a utilisé une tablette tactile pour effectuer le transfert en
ligne. La situation n'arrange pas le malaise du nouveau
millionnaire. La prémonition de Marie Pasque était fondée
sur le désespoir affiché par le fils de sa sœur à la perte de
sa famille. Elle ne s'est pas trompée, son neveu prépare
mentalement les projets qu'il mettra à exécution. Seuls les
moyens lui manquaient.
− Ceci clôt mon mandat. Je me tiens à votre
disposition pour les questions que vous souhaiteriez me
poser. Sachez cependant que je ne répondrai qu'à celles qui
correspondent à mon devoir d'officier public.
Alain, dont le crâne rasé brille, reste abasourdi. Les deux
hommes se jaugent avec respect ; le notaire le regarde
maintenant. La gorge du Franco-Belge est nouée, il ne
pense pas s'essayer à sortir un son. D'une carafe verte
coule un liquide coloré dans le verre que lui propose son
hôte.
− Une menthe à l'eau vous désaltérera. Buvez !
Il s'exécute, puis se décide.
− Vous avez bien parlé d'un million six cent mille
euros ?
− Exact.
Sèche, comme un couperet de guillotine, la réponse
n'appelle aucun commentaire.
− Connaissez-vous le lien de parenté des deux
femmes ; ma mère et ma... tante ?
− J'en sais ce que l'état civil a entériné. Christiane Tier
et Marie Pasque étaient enfants de la même mère, Élise
Guard.
Il n'a pas consulté son dossier pour répondre. Tier
comprend qu'il n'en obtiendra pas plus. Il se lève pour
prendre congé.
− Un taxi vous attend devant l'étude, je vous souhaite
un agréable séjour dans notre belle ville.
À l'évidence, il veut se débarrasser de son visiteur. Lui
serrant la main, il l’entraîne vers la sortie. Alain a le temps
de ramasser les papiers, les trousseaux, la lettre et la
photographie avant de se laisser emporter jusqu'au pas de
la porte devant lequel une voiture blanche est stationnée.
Sur la route de la villa de Marie Pasque, il décachette
l'enveloppe.
« Cher Alain, cher neveu
Tu viens d'apprendre ma filiation avec ta mère.
Bien que ne nous connaissant pas, un autre point commun,
comme tu le liras, nous rapproche. Je n'ai pas souhaité te
rencontrer avant, suite à un stupide malentendu avec ta
mère. J'ai appris que tu ne ressembles pas à ton père. Les
Laugray furent ignobles. Récemment, c'est sur la
recommandation de Marcel Latuire qui craignait que tu
interviennes impulsivement dans son enquête que je me
suis abstenue de t'approcher. Comme toi avec ton fils, je le
sais, je n'ai jamais cessé de chercher ma petite Amélie
enlevée à douze ans. Le détective Latuire a trouvé la photo
qu'on vient de te remettre chez un certain Laperoux, avocat
à Liège en Belgique. Je suis convaincue que ce document
assure ton engagement dans la recherche de nos enfants.
Remplace-moi dans ma croisade. Mon instinct de mère
sent Amélie vivante, garde espoir pour Robert. Pourquoi
sommes-nous si liés ? Regarde la photo ! La personne
assise sur le banc à droite de Robert se nomme Mathieu
Perez, mon second mari ; il est mort en 2004 dans un
accident d'avion au Maroc. Le détective Latuire te dira ce
que cette photographie lui a appris. Pour ma part, je reste
perplexe quant à sa théorie qui envisagerait une telle
monstruosité. Le sentiment d'être suivie ne me quitte pas
depuis des semaines. Latuire a tenté, sans succès, de le
confirmer. Peut-être me suis-je fait des idées ? L'hypothèse
d'une telle machination m'effraye. Afin que ceci ne soit pas
perdu, je me décide à t'écrire. Tu as, je crois, intérêt à
coopérer avec Monsieur Latuire que j’emploie depuis un
an, mais tu en décideras. Fais preuve d'une grande
prudence. Ne compte que sur toi. Je sens que nos enfants
ont besoin de nous. Nos espoirs reposent sur toi seul. Que
Dieu te bénisse ! Ta tante Marie »
Alain n'avait pas remarqué le ralentissement du véhicule. Il
est surpris quand le chauffeur le quitte. Claquant la portière
derrière lui, il disparaît dans un sentier longeant une haie
de lauriers. La rue qui mène à la villa accuse une pente
sévère. Le chemin de Dixmes se situe dans le haut de la
ville. Le quidam qui l'attendait pour le transporter le lui
avait précisé. Décontenancé, enfermé à l'arrière de la
Renault, serrures bloquées, il aperçoit, déboulant du haut
de la chaussée, un camion-citerne qui arrive droit sur lui.
Du coude, il tente de briser la vitre à droite, sans résultat si
ce n'est une violente douleur irradiant dans le bras.
Paniqué, il constate que le poids lourd progresse trop vite
sur une trajectoire rectiligne. Que fout ce chauffeur de
merde ? Il se glisse par-dessus les sièges. Manœuvre
impossible pour cette masse d'un mètre quatre-vingt-cinq
et ses quatre-vingts kilos. Il se demandera comment son
corps a su s'adapter pour se contorsionner, entre ces étroits
espaces. Tête dans les pédales, il s'écroule dans l'habitacle,
se redresse, réalise qu'il est capable de remarquer que
personne ne conduit le seize tonnes. Il ouvre la portière de
gauche, s'éjecte à plat ventre, roule sur le bitume. Il se
relève, s'élance, trébuche, ne chute pas. Le stress ne le
paralyse pas, au contraire il le dope. Il s'engage dans le
même sentier de terre. Il fonce se mettre à l'abri. Il est
convaincu que la citerne est pleine, le camion ne tanguait
pas. Derrière, le bruit de tôle froissée précède de peu
l'explosion. Il avait franchi une quinzaine de mètres. Le
souffle chaud accompagnant l'assourdissant vacarme le
projette dans la haie, qui l'enveloppe de ramilles et de leurs
longues feuilles vertes. Des branches cèdent sous la
pression de son corps, écorchant la peau, déchirant les
tissus. Une odeur de brûlé l'entoure. Il ne reconnaît pas
celle des chairs carbonisées qu'il a souvent ressentie dans
ses stages d'urgentiste, ça le rassure. L'explosion du liquide
a disséminé à la ronde des laves de feu comme autant de
risques potentiels. Engoncé dans l'arbuste, il se démène
pour le traverser. Sa survie dépend de sa hargne à se faire
un passage au travers de cette barrière végétale. Des doigts
se présentent à lui, il les empoigne. Une douleur dans le
ventre le fait hurler. La traction amie se relâche. Alain se
dégage de la tige qui lui perce la paroi abdominale. Se
positionnant de côté, il repart de l'avant, tiraillé par deux
mains. La chaleur semble s'estomper. Une deuxième
déflagration l'ébranle. Le réservoir de la limousine. Il se
hisse, suspendu aux bras secourables qui sont aidés de
deux autres. Il ne voit pas ces gens courageux qui bravent
les flammes pour lui venir en aide. Il les sent le sortir du
buisson, le traîner sur l'herbe. Il ne peut que tenter de se
relever. Sur les genoux puis glissant à plat ventre, on
l'emporte sur du carrelage pour le balancer dans une
piscine. Il coule, la fraîcheur du bain contraste avec l'air
chaud qui l'entourait. Aussitôt remonté, ils le maintiennent,
tête hors de l'eau. Il entend :
− Putain, on l'a échappé belle !
L’intrépide sauveteur serre sa femme contre lui continuant
à soutenir son protégé. Le ciel est assombri par une fumée
noire. Des sirènes retentissent de toutes parts. Des cris
anxieux sont suivis par d'autres de joie. Les flammes
diminuent d'intensité. Des morceaux de tôles froissées
encombrent la pelouse à quelques mètres du bassin. À
gauche sur une longueur de plusieurs mètres la haie se
consume. Le couple libérant Alain s'embrasse. L'épreuve
vient de renforcer leur amour, ils en savourent le bonheur.
Quelques heures après l'accident, Alain, dont les blessures
et les brûlures sont pansées, est assis avec les Fieuroles
sous leur patio à l'arrière de la maison. Les jeunes Français
débordent d'attentions pour leur miraculé. René avait
assisté à la scène depuis le début. Il terminait de tailler
quelques fleurs, quand il a entendu la voiture blanche
s'arrêter devant sa propriété. Il a aperçu quelqu'un en sortir
pour s'étaler sur le sol. Dans son champ de vision est
apparu l'avant du bolide fantôme. Son premier souci, en se
reculant, a été de chercher à localiser Lucie, sa femme. Ne
la voyant pas, il s'est couché sur le gazon, précédant
l'impact. Après la première explosion, il s'est enquis,
rejoint par Lucie, de l'état de l'étranger. Il l'a repéré derrière
les arbustes de la haie. Sans la moindre hésitation, il lui a
porté assistance.
− Le chauffeur du camion a déclaré qu'il avait fait
halte pour satisfaire un besoin naturel. Il n'aurait pas serré
les freins suffisamment, dit René.
Le chemin de Dixmes avait été plus encombré que le
périphérique parisien aux heures de pointe. Les flammes
avaient été aperçues de partout dans la ville, ce qui avait
attiré une foule de curieux canalisée, avec difficulté, par la
police. Sollicité par les gentillesses de ses hôtes, Alain
n'avait pas fait le point. Il a tout perdu dans cet accident.
Le plongeon n'a pas arrangé son téléphone portable. Les
documents, la lettre, la photographie restés dans la voiture
ont subi le sort que la chance lui a évité. Se tâtant, il touche
les reliefs que les clés provoquent dans la poche de son
jeans. Il se souvient de la dame qui l'attend à la villa
Pasque. Elle aura entendu comme le quartier. Quel est son
nom ?
− René, me permettez-vous de téléphoner ?
Il montre l’état de son portable au propriétaire des lieux
qui revient sur la terrasse deux boissons à la main. Les
rires après une tension aussi forte se contrôlent mal. Il
répond, imitant Bourvil dans une de ses
immortelles répliques :
− Évidemment, il fonctionnera moins bien maintenant.
Déposant les verres sur la table, il lui propose d'utiliser le
sien. Alain le remercie, forme le numéro de la plaquette
d'identification du porte-clés. La tonalité d'appel ne s'est
pas fait entendre qu'une voix féminine anxieuse résonne :
− Alain ?
− Oui ?
− Alain Tier, vous êtes vivant ?
− Oui, rassurez-vous, je...
− Taisez-vous et écoutez-moi !
L'ordre claque.
− Vous êtes en danger. Nous le sommes tous. Je ne
peux pas vous voir sans prendre de grands risques.
Elle ne se moque pas de lui.
− Ce qui vous est arrivé n'est pas un accident croyez-
moi. Marie avait prévu que vous seriez repéré, elle doit
vous avoir prévenu dans sa lettre.
− Oui.
− Faites attention à ce que je vais dire. Le numéro que
vous utilisez ne sera plus accessible après cette
conversation. Demandez de quoi écrire et mettez-vous à
l'écart. Toute personne en possession d'informations vous
concernant risque la mort.
− René, auriez-vous un papier et un crayon pour moi ?
− Je vous apporte ça !
Le propriétaire entre dans la maison. La voix féminine
reprend claire et cassante.
− Vous voilà seul, ne vous fiez à personne. Rendez-
vous invisible. Vous devez changer de vie. Ne retournez
pas à Bruxelles, ni chez Marie. Trouvez un endroit pour
vous faire oublier. Ils doivent penser que vous avez eu peur
et que vous avez fui.
− Qui « ils » ?
− Notez !
René lui remet le bloc et la pointe bic.
− Je vous écoute !
− Inscrivez, mémorisez et détruisez. Dans huit jours
vous appellerez le 31 885 627. Servez-vous d'un téléphone
fixe public chaque fois que vous contacterez un numéro
qu'on vous aura communiqué. Ne parlez de rien à la police,
ni à qui que ce soit. Avez-vous les moyens de tenir
quelques jours ?
− Je retournerai chez le notaire pour...
− Vous n'avez rien compris ? Marie vous imaginait
plus futé. D'où pensez-vous qu'ils ont appris votre entrée
dans le cirque ? Besoin d’argent ?
− Je peux vivre une semaine si c'est la question.
− Très bien, n'employez qu'une fois votre carte de
banque dans la région ; on avisera pour la suite.
La respiration de sa correspondante meuble pendant
quelques secondes le silence. Elle reprend :
− Vous utilisez le portable de quelqu'un ?
− Oui !
− Conseillez-lui de changer de numéro.
− Comment lui annoncer ça ?
− Débrouillez-vous et ne traînez pas dans le coin.
Il sent qu'elle a terminé, il voudrait plus d'informations. Il
hésite, il ne sait pas par quel bout commencer. Tout va trop
vite pour lui.
− Alain !
− Oui.
− Nous croyons Robert en vie. Malheureusement, rien
de nouveau concernant Amélie. Courage et prudence.
La tonalité indique que la communication est coupée.
L'invraisemblance de ce qu'il vient d'apprendre l'a tétanisé.
Robert, son fils, vit ? Il rappelle son interlocutrice. Après
trois sonneries, une voix anonyme déclare :
− Le numéro que vous avez composé n'est plus
attribué. Veuillez consulter notre annuaire au...
Alain raccroche. Son visage, entaillé, couvert de
sparadraps et d’agrafes, rayonne de joie. Il exulte. René le
constate et gaiement lui demande :
− Une bonne nouvelle ?
Se remémorant la mise en garde de son contact, il répond :
− Oui, ma tante est morte !
Tournant le dos à ses bienfaiteurs, il marche vers la
barrière. Passant à proximité de la piscine, il y jette le
cellulaire. Il entre dans la foule nombreuse autour des
carcasses d'où se dégagent de la chaleur et une puanteur de