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 LE STUPIDE XIX e SIÈCLE

Léon Daudet - Le Stupide XIXe Siècle, Expose Des Insanités Meurtrières Qui Se Sont Abattues Sur La France Depuis 130 ANS, 1789-1919

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Léon Daudet (1867-1942) entreprend dans cet ouvrage, écrit en 1922, un inventaire des idées fausses et même « meurtrières » qui ont dominé le XIXe siècle. Il souligne le désaveu que l’expérience leur a apporté. D’une plume vigoureuse, il s’en prend aux personnages qui les ont incarnées, maniant tour à tour la polémique et l’ironie. Il déboulonne un grand nombre d’idoles politiques, littéraires, philosophiques. On peut être en désaccord avec certains de ses jugements sur les hommes, ils contiennent toujours une bonne part de vérité.

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  • LE STUPIDE

    XIX e SICLE

  • DU MME AUTEURA LA NOUVELLE 1

  • LON DAUDETde l'Acadmie Goncourt

    LE STUPIDE

    XIX" SICLEEXPOS DES INSANITS MEURTRIERES

    QUI SE SONT ABATTUES

    SUR LA FRANCE DEPUIS l3o ANS

    KWE3

    PARIS

    NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE3, PLACE DU PANTHON, 3

  • JUSTIFICATION DES DITIONSET TIRAGES

    La premire dition de cet ouvrage a t faite :

    i5 exemplaires sur Japon imprial, numrots de i xv.

    5o exemplaires sur Hollande, numrots de xvi lxv.

    3oo exemplaires sur Verg pur fil Lafuma, numrots dei 3oo.

    aooo exemplaires sur Vlin Alfa teint des papeteriesOuthenin Chalandre, numrots de 3oi 2.3oo.

    La deuxime dition a t faite n.ooo exemplaires en

    juin 1932.

    Le prsent exemplaire, portant corrections aux pages k

    19, 79 et 86 appartient la troisime dition, dont le bon tirer 5.5oo exemplaires a t donn le 20 juin 1922.

    Copyright igaa by, Socit Franaise d'dition et de Librairie,Proprietor of Nouvelle Librairie Nationale.

    Tous droits de traduction) de reproduction et d'adaptationrservs pour tous paya.

  • A LA

    haute et fire memoire

    du Comte Eugne de Lur Saluces

    exil de frange

    en chatiment de sa clairvoyance

    L. D.

  • LE STUPIDE XIXe

    SICLE

    AVANT-PROPOS

    EN MANIERE D'INTRODUCTION

    N dans le dernier tiers du dix-neuvime sicleet ml, par la clbrit paternelle, Terreur triom-

    phante de ses tendances politiques, scientifiques et

    littraires, j'ai longuement particip cette erreur,

    jusqu'environ ma vingtime anne. Alors, sousdiverses influences, notamment sous le choc desscandales retentissants du rgime, puis de la grandeaffaire juive, et des rflexions qui s'ensuivirent, levoile pour moi se dchira. Je reconnus que les idescourantes de nos milieux taient meurtrires, qu'ellesdevaient mener une nation l'affaissement et la

    mort, et que baptises dans le charnier des guerresdu premier Empire, elles mourraient sans doutedans un autre charnier pire. Les quelques exposs

  • 8 LE STUPIDE XIXe SICLE.

    qui vont suivre sont ainsi plus une constatation

    qu'une dmonstration. On en excusera la formevolontairement pre, rude et sans mnagement. Cequi a fait la force dtestable de l'esprit rvolution-

    naire, et sa suprmatie, depuis cent trente ans, c'estla faiblesse de l'esprit ractionnaire, rabougri, dviet affadi en libralisme. Les abrutis, souvent gran-diloquents et quelquefois du plus beau talent ora-toire et littraire, allant jusqu'au gnie verbal (casde Victor Hugo par exemple), qui menaient l'assautcontre le bon sens et la vrit religieuse et poli-tique, ne mnageaient, eux, rien ni personne. Ilsse ruaient l'insanit avec une sorte d'allgresse etde dfi, entranant derrire eux ces stagnants, quiont peur des mots et de leur ombre, peur de leurscontradicteurs, peur d'eux-mmes. Ils appelaient la rescousse la foule anonyme et ignorante, cetteplbe intellectuelle qu'il ne faut pas confondre avecle peuple, et qui n'a t, au cours de l'histoire, quela lie irrite de la nation. Il n'est rien de plus sage,ni de plus raisonnable, que le peuple franais dansses familles, ses besoins, son labeur et ses remarquesproverbiales. Il n'est rien de plus dlirant que cette

    plbe comiciale, infeste d'trangers, errante et

    vagulaire, mal dfinie, qui va des assaillants de laBastille aux politiciens rpublicains de la dernirefourne. Conglomrat baroque et terrible (baroqueen ses lments, terrible en ses rsultats), qui mleet juxtapose le juriste sans entrailles et born, aumdicastre de chef-lieu, au ploutocrate de carrefour,au souteneur mal repenti, la fille publique tra-

  • AVANT-PROPOS EN MANIRE D'iNTRODUCTION. 9

    vestie en monsieur. Jamais, mme au temps d'Aris-tophane ou de Juvnal, jamais pareille matire nes'est offerte au satirique, avec une semblable pro-fusion, un tel foisonnement d'ignares, de tton-

    nants, d'infatus, de foireux et de fols. Nous ver-rons les noms mesure, car je n'ai nulle intentionde les celer.

    C'est, je crois, le philosophe catalan Balms, Idfenseur illustre et clair du catholicisme, qui I

    exprima, le plus justement, cette ide qu'il importe, ipour nuire rellement une doctrine pernicieuse,de s'en prendre ceux qui la propagent. Rien de I

    plus juste. Les polmiques ad principia ont leurautorit et leur prix. Mais elles ne deviennent per-cutantes qu'en s'incarnant, en devenant polmiquesad personas, du moins quant aux vivants. Vous

    compliquez la tche , s'crient les paresseux et lestimides. Pour vous peut-tre, qui vous contentezd'un semblant de lutte et de fausses victoires acad-

    miques. Nous la simplifions, au contraire, pourceux qui veulent des rsultats tangibles, positifs,solides. En voici un exemple et rcent :

    Pendant de longues annes, des historiens, des

    thologiens, des hommes politiques de droite ou ducentre (j'emploie dessein le jargon parlementaire,parce qu'il correspond des visages) se sont atta-

    qus la maonnerie, qui est l'instrument lectoraldu peuple juif en subsistance chez les Franais.D'excellents ouvrages ont paru sur ce sujet. La

    maonnerie, dvoile ou non, ne s'en portait pasplus mal, quand, l'automne de 190/j, un dput

  • IO LE BTUPIBB XIXe 8IE0LE.

    patriote courageux et jusqu' la mort, du nom deGabriel Syveton, fit clater le scandale des fiches

    de dlation et souffleta, en pleine sance, le chefdes mouchards (et du mme coup les auxiliaires etrenseigneurs de l'Allemagne), autrement dit leministre de la Guerre gnral Andr. Cet acte porta la maonnerie un coup terrible, dont elle ne s'est

    pas releve, dont elle ne se relvera peut-tre pas.Or, le soir mme de cet vnement, d'une impor-tance historique, j'eus la stupeur d'entendre dsa-vouer ce glorieux et malheureux Syveton (monancien condisciple de Louis-le-Grand) , par presquetous ses amis et partisans, qui lui reprochaient cebeau soufflet comme impolitique... Impolitique!...Alors qu'il passait en efficacit tous les discours ettous les articles, concentrant en un moment, surune blme face de chair et d'os, l'indignation accu-mule par la clbre, trop clbre compagnie desfrres mouchards. Pendant toute la journe quisuivit, je chapitrai ce sujet, son domicile,

    passage Landrieu, puis dans la rue, Edouard Dru-mont, auteur de la France juive, de ce grand pilorinominal, si puissant et majestueux, tout anim d'unbruissement dantesque. Mais, Drumont tant

    dput, d'ailleurs assez muet, et participant laconvention gnrale, dplorait la gifle vengeresse ; Ah! mon ami, tout de mme, le gnral Andr asoixante-cinq ans sonns ! Cet argument me

    paraissait niais, piteux ; je le dis Drumont, quej'aimais et admirais de toutes mes forces, et nousfaillmes nous disputer.

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE D*INTRODUCTION. II

    N'allez pas en conclure, au moins, que je pr-conise la violence (posthume ou non), vis--vis despenseurs ou crivains pernicieux, qui ouvrirent et

    peuplrent les charniers du premier Empire, de laCommune, des deux guerres franco-allemandes de

    1870 et de iqi4. Je prconise plus simplementl'examen

    critique, ferme et dru, puis le dboulon-

    nage des idoles de la rvolution et de la dmocratieau xixe sicle. Mais pour que cette indispensableopration ait lieu, il faut d'abord que les gens aient

    remarqu le lien de ces idoles (lien de cause effet),aux maux qu'ils engendrrent. C'est un premierpoint, et sans doute le plus malais obtenir.En eflet, le sens de la responsabilit personnelle

    s'est fortement dprim au xixe

    sicle, alors quetout le long du moyen ge, et encore au xvi

    eet au

    xvne sicle, il tait si vigoureux. Le fatalisme et ledterminisme en sont le tmoignage, qui fontcroire aux hommes, et notamment nos compa-triotes, que les maux subis et soufferts, dans ledomaine des choses d'Etat notamment, tiennent,non de mauvaises institutions et une mauvaise

    politique, non au mrissement des erreurs et lche-ts, mais des ncessits lointaines et inluctables,comme la rotation de la terre, ou la succession dessaisons L'affaissement de l'esprit dductif est une

    caractristique du xixesicle, en mme temps que

    sa timidit psychologique. Les crivains prtendussceptiques (un Renan, par exemple), n'osent pasaller jusqu'au bout de leur raisonnement, ni mmed'un raisonnement quelconque, de peur d'y ren-

  • 12 LE STUPIDE XIXe SICLE.

    contrer la personne divine, ou son reflet dans laconscience humaine, qui est la responsabilitdirecte. Lus de ce point de vue, ces philosophessans philosophie (car il n'aime point pour de bonla sagesse, celui qui s'arrte en chemin), ces hsi-tants, effrays et abouliques, excitent un rire d'une

    qualit suprieure. Je vous recommande la corres-pondance falote de Renan et de Berthelot. L'espritborn, fanatique et but de Berthelot (ds qu'il sortde ses oignons, c'est--dire de la chimie, de la cha-leur et des explosifs) voudrait en vain entraner le

    souple Renan dans des voies introspectives, dontRenan, ancien clerc, flaire le danger et devant

    lesquelles il rencle. Claude Bernard aussi est bien

    inquiet, le cher homme, quand, au del du foie etde son sucre, du cerveau et del distinction desnerfs sensibles et des nerfs moteurs, il aperoit unesorte de lueur, qui n'est pas de pure phosphores-cence. Vite, il se dtourne et s'enfuit. Il n'est

    presque pas d'esprit prtendu libre, en cette

    poque si profondment timide, chez qui ne seremarque, plus ou moins dissimule, tacite ou arro-gante, cette panique du divin. Les thologiensn'avaient pas les mmes transes, certes, vis--vis del'incrdulit, et ils vous l'empoignaient hardiment.

    La mconnaissance des effets, dans leurs rapportsavec les causes, m'objecte quelqu'un, c'est absur-dit, plus que stupidit. Sans doute, mais, dans lefait d'tre absurde, il subsiste une possibilit, unenotion d'nergie. Au lieu que le xix

    esicle se complat

    dans ses insanits. Etymologiquement, stupet :

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE D'iNTRODUCTION. l3

    il demeure l, au mme point, immuable, bat etrjoui, comme un ne assis dans une mare ; et ils'admire et il se mire, et il convie les passants le

    clbrer et l'admirer. Lisez l'Avenir de la science

    de Renan, dj nomm, qu'il appelait son enc-phalite et trouvait manifestement un bouquinrare et hardi, et qui nous apparat aujourd'huicomme une prud'homie sans nom. Lisez la bur-

    lesque correspondance du bon Flaubert, boule de

    jardin, o apparaissent, grandies en tous sens, toutesles sottises et niaiseries de son poque. Le plusdrle, c'est qu'il crut condenser sottises et niaiseriesdans Bouvard et Pcuchet, morne recueil des fan-taisies de deux imbciles, alors que sa correspon-dance est un compendium beaucoup plus srieux(et donc beaucoup plus comique), de noponcifsautrement dangereux. Flaubert tait trop ouvert la sonorit des mots pour ne passe griser du roman-tisme, lequel est lui-mme l'exaltation des partiesbasses de l'humanit, aux dpens de la divine rai-son. J'ai vu, jadis, dans un jardin, un massif deroses admirables, et d'un coloris surprenant, dontle parfum grisant tait contrari et troubl par uneautre odeur indtermine. Le propritaire de laroseraie se demandait s'il y avait, l derrire,

    quelque bte creve. Non de btes puantes, maisd'une fosse d'aisance, jadis opulente, puis dserteet dont subsistait le fade souvenir. L m'apparutl'image du romantisme, qu'inaugur la lyre de Renet qui, finalement, s'incarne en Zola. Toute redon-dance verbale aboutit l'instinct.

  • U LB STUMDH XIX* SI&GLS.

    L'infatuation du xrx* sicle en gnral (et quidpasse mme celle des encyclopdistes de la fin duxvma sicle, dont elle est issue), m'apparat commeun legs de la Rforme et un panouissement del'individualisme. On la trouve aussi bien dans lesacadmies, qui se dpouillent de leur substance etabandonnent le labeur, et mme la politesse intellec-tuelle, pour le dcorum, que dans les cnacleslittraires. Seule y chappe une savoureuse bohmede lettres, d'arts ou de science, mconnue par lescontemporains, et qui sauvera la cause de l'origi-nalit. Le poncif est de tous les temps, mais celui

    qui s'tend de i83o 1900, sous des dguisementssuccessifs, avec une mme candeur, est un poncifdoctrinaire et pompier, d'une fibre, d'une qualitunique, car il prtend l'innovation, la singula-rit, la hardiesse.En voulez-vous quelques spcimens, rsums en

    quelques propositions? Il n'y a que l'embarras duchoix, et cent devises de nant (dont chacune pour-rait servir d'pigraphe un chapitre du prsentouvrage) rsument cent annes de discours, discus-sions, palabres, pomes, romans, journaux, cri-tiques et considrations philosophiques, dont lefatras remplirait dix bibliothques de la contenancede celle d'Alexandrie. Car tout le monde prtendplus ou moins crire, rsumer, juger, expliquerson propre caractre ou celui d'autrui, ou librerses humeurs, o amliorer la Constitution. Le

    bavardage n'est pas seulement sur la langue ; il estdans la plume, o des potesses, volontairement

  • AVANT-PROPOS BN MANliRS d'iNTRODUGTIOH, l5

    hagardes, improvises et cheveles, dlaient endouze mille vers, de moins en moins sincres, leurssouvenirs d'enfance et l'veil de leur pubert, odes prosateurs, d'ailleurs bien dous, racontent, en

    cinquante tomes, leurs navigations et escales endivers pays, jointes la crainte qu'ils ont de lamort. Ah! cette mort, comme on la redoute, dansle clan des lacs et des sceptiques, des belliqueuxngateurs de l'ternit et de son Juge ! Gomme elleproccupe et embringue tous ceux qui devraientpourtant se moquer d'elle, puisqu'elle est, leurs

    yeux, nant, et que le nant abolit la souffrance,ainsi que tout souvenir de l'tre, ainsi que toute

    proccupation I .. . Hlas! je mourrai, je dispara-trai, il ne restera plus rien de mon beau corps nide mon esprit si subtil, ni de ma sagesse, ni de mesbondissements, ni de ma folie, ni de mon lyrisme,ni de ma gloire, ni de mes lauriers! Hlas ! non,d'aprs vos doctrines mmes, rien ne restera,monsieur, madame. N'est-ce pas une chosepouvantable ? Mon Dieu non, c'est chose ordi-naire et courante en matrialisme, et dont il faut,ds la naissance, prendre votre parti. Comparez cette pusillanimit devant l'inluctable, cette chairde poule, ces frmissements, l'impavidit des

    gens du xvr% du xvne

    ,mme du xvm* sicle, o

    aristocrates et bourgeois regardrent avec des yeuxcalmes la guillotine et haussrent les paules devantleurs bourreaux. Cette charrette d'enfants, hurleurset chevels, qui parcourt les avenues du roman-tisme franais, en ameutant et terrifiant les

  • 16 LE STUPID XIX* SICLE.

    badauds, l'aide de phrases sonores et de rimes

    alternes, est quelque chose de dgotant et quirend honteux. Le manque de tenue devant laGamarde est le pire de tous, et l'acceptation del'inluctable devrait s'enseigner de bonne heureaux enfants, avec la faon de lire et de manger.

    Quiconque meurt meurt douleur.Celui qui perd vent et haleine,Le fiel lui tombe sur son cur,*Puis sue, Dieu sait quelle sueur !

    dit sobrement Franois Villon..., et il court d'autres exercices. Est-il sottise plus grande que de

    passer le bref temps de la vie conjecturer etlamenter la mort, et n'y a-t-il pas plutt une curio-

    sit, attenante ce moment de passage, que nousdevrions cultiver en nous? Puis aprs pareillesguerres, semblables holocaustes et le peuplementde tant de cimetires, de fosss et de champsconvertis en cimetires, quelle surpurilit ridicule

    que cette plainte, que cette inquitude, que cette

    angoisse! En vrit, il est temps de fermer le vocerodu cercueil qui vient et de chercher d'autres sujetsd'lgie que celui de notre propre anantissement.

    Depuis quelque temps, je juge un pote (hors deson rythme et de son lan) la faon dont il prendbien la mort. Tel Mistral, dans les Olivades, conjec-turant avec srnit son tombeau et l'vanouisse-ment progressif de sa gloire. Qu'il s'estime heu-

    reux, celui qui n'est pas mort d'une balle au front,obscurment, de 191/4 1918, et qui peut encore

    manger la soupe baudelairienne, au ooin du feu,

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE d'NTRODUCTON. 17

    le soir, auprs d'une me aime Qu'elle s'estimeheureuse, celle qui n'a pas d vendre son corpspour gagner son propre pain et qui a lit, canap,mari, enfants, voire belle-mre, entourage de mdi-sants et de calomniateurs ! Tout cela vaut mieuxque la terre froide et prmature, ou que le sourire

    pernicieux de l'entremetteuse.Revenons donc nos poncifs, ou plutt quel

    ques-uns d'entre eux :

    i Le xixe sicle est le sicle de la science.2 Le xixe sicle est le sicle du progrs.3 Le xixe sicle est le sicle de la dmocratie,

    qui est progrs et progrs continu.4 Les tnbres du moyen ge.5 La Rvolution est sainte et elle a mancip le

    peuple franais.6 La dmocratie, c'est la paix. Si tu veux la

    paix, prpare la paix.7 L'avenir est la science. La Science est tou-

    jours bienfaisante.8 L'instruction laque, c'est l'mancipation du

    peuple.9 La religion est la fille de la peur.io Ce sont les Etats qui se battent. Les peuples

    sont toujours prts s'accorder,ii Il faut remplacer l'tude du latin et du grec,

    qui est devenue inutile, par celle des langues vi-vantes, qui est utile.

    12 Les relations de peuple peuple vont sanscesse en s'amliorant. Nous courons aux tats-Unisd'Europe.

    LK 9TUPIOE XIX* SICLE. 2

  • 18 LE STUPIDE XIX SIECLE.

    i3 La science n'a ni frontires, ni patrie.i4 Le peuple a soif d'galit.i5 Nous sommes l'aube d'une re nouvelle de

    fraternit et de justice.i6 La proprit, c'est le vol. Le capital, c'est

    la guerre.

    17 Toutes les religions se valent, du moment

    qu'on admet le divin.18 Dieu n'existe que dans et par la conscience

    humaine. Cette conscience cre Dieu un peu pluschaque jour.

    19 L'volution est la loi de l'univers.20 Les hommes naissent naturellement bons.

    C'est la socit qui les pervertit.2i Il n'y a que des vrits relatives, la vrit

    absolue n'existe pas.22 Toutes les opinions sont bonnes et valables,

    du moment que l'on est sincre.Je m'arrte ces vingt-deux neries, auxquelles

    il serait ais de donner une suite, mais qui tiennentun rang majeur par les innombrables calembre-daines du xixe sicle, parmi ce que j'appellerai sesidoles. Idoles sur chacune desquelles on pourraitmettre un ou plusieurs noms. Nous aurons ample-ment l'occasion d'y revenir et de discerner, souschacune d'elle, dans son socle, la timidit et l'outre-cuidance dont nous venons de parler. Essayonsauparavant de situer le xix

    6sicle en France, quant

    ces vastes mouvements de l'esprit humain, com-

    parables des lames de fond, qui dferlent, au

    cours de l'histoire, sur les socits, et dont l'origine

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE D INTRODUCTION. 1$

    demeure obscure, comme celle des grandes confla-

    grations, invasions ou tueries o elles atterrissentet qui en paraissent les chocs en retour.

    Le moyen ge franais est domin, quant l'es-

    prit, par l'incomparable scolastique dont nous

    commenons peine retrouver les linaments

    et par saint Thomas d'Aquin; quant la pierre,par les cathdrales; quant au mouvement, par les

    Croisades, dont l'aboutissement est Jeanne d'Arc.Car la vierge hroque est issue de cet immensefrisson fidle.

    Puis vient la Renaissance, personnifie chez nous

    par ces trois noms : Franois Ier

    (avec sa prodi-gieuse couronne d'artistes, de potes, d'rudits),Rabelais, Montaigne et ce qui s'ensuivit. Si cette

    poque nous est mieux connue que le moyen ge,elle est loin cependant de nous avoir livr sessecrets et sa filiation. Car la rvlation d'Aristote

    par saint Thomas n'est-elle pas l'origine de laRenaissance ?

    Maintenant voici la Rforme, avec Luther, Cal-vin, l'assombrissement de l'esprit europen par la

    ngation du miracle, finalement la dification del'instinct et de la convoitise brute. De la Rformesortent Rousseau Genve et Kant Kcenigsberg.Ce dernier branle la raison occidentale par cetteexhaustion de la ralit qui s'appelle le criticismetranscendantal, et en niant l'adquation de la chose l'esprit, du monde extrieur au monde intrieur.A la Rforme succde la Rvolution franaise,

    directement inspire de Rousseau, puis de l'Ency-

  • 90 LB STUPIDB XIX* SICLE.

    clopdie. C'est la fin du xviii* sicle et aussi l'au-rore sanglante du xix

    6. Examinons ce dernier, en-

    fant et jeune homme (1806 i8i5), puis adulte(18A8), puis vieillissant (1870), puis moribond

    (1900 191 4). Car il faut tenir compte du dca-lage de quelques annes, entre la morne et fatale

    Exposition de 1900 et la grande guerre, comme du

    dcalage des dbuts, entre le Directoire et l'assiettede l'Empire. Les sicles ont, comme les gens, une

    part de continuit hrditaire et une part d'origina-lit, un moi et un soi: Je renvoie, pour cette dmons-tration, VHrdo et au Monde des Images.

    Quelle est la part du moyen ge, dans l'esprit etle corps du xix" sicle franais P Entirement nulle.Le xixe sicle court aprs une philosophie de la

    connaissance, c'est--dire aprs une mtaphysique,sans la trouver. Car le kantisme est l'ennemi de laconnaissance, puisqu'il en nie le mcanisme essen-tiel (adquatio rei et intellectus). Le xix

    esicle n'a

    pas d'architecture, ce qui est le signe d'une pau-vret la cime de l'esprit, et aussi d'un profonddsaccord social entre le matre d'oeuvres et l'arti-san. Le xix sicle n'a pas de mouvement, dans lesens que je donne ce mot, en parlant des Croi-sades et de Jeanne d'Arc. Il n'a que de la tuerie.Nous dirons pourquoi. Bonaparte est une sorte de

    parodie sacrilge des Croisades. Il reprsente laCroisade pour rien.

    Quelle est la part de la Renaissance, dans l'espritet le corps du xix

    esicle franais? Presque nulle.

    L'ignorance s'y rpand largement par la dmocratie,

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE D*INTRODUCTION. ai

    et elle gagne jusqu'au corps enseignant, par le pro-grs de la mtaphysique allemande ; si bien que le

    primaire finit par y influencer le suprieur; ce quiest le grand ,signe de toute dchance. Lorsque lebas commande au haut, la hirarchie des choseset des gens est renverse. Mon presque estmotiv par quelques rudits et penseurs (notam-ment un Fustel de Goulanges, un Quicherat, un

    Longnon, un Luchaire), hritiers de l'esprit sublime

    qui remonta aux causes, tout le long du xviesicle,

    par la frquentation des anciens ; et aussi par quel-ques peintres (cole de Fontainebleau) et sculpteurs(Rude, Puget, Carpeaux, Rodin) anims du feu deRome et d'Athnes.

    Quelle est la part de la Rforme, mle sa fille

    sanglante la Rvolution, dans l'esprit et le corpsdu xix sicle franais? Considrable. Bien mieux,totale. Je comparerai ce bloc de l'erreur, rformeet rvolutionnaire, un immense quartier de roc,plac l'entre du xix* sicle franais et qui en

    intercepte la lumire, rduisant ses habitants auttonnement intellectuel. Qu'est-ce en effet que leromantisme, sinon la Rvolution en littrature, quite la pense sa discipline et au verbe sa richesseavec sa prcision. Car le clinquant n'est pas de l'oret Boileau l'a joliment dit.

    Oui, mais il y a l la Science (avec un grand S);et le xixe sicle a pour lui le laboratoire et l'usine,ces deux instruments de tout progrs.

    Ici je demande au lecteur de me faire crdit jus-qu'aprs la lecture du chapitre o nous examine-

  • aa LE BTUPIDE XIXe SIECLE.

    rons, ultrieurement, d'abord la timidit de l'espritscientifique (drivation lui-mme de l'esprit et de

    l'imagination potiques) au xixe

    sicle, la fragilitd'une partie de sa science, aussi phmre en ses

    hypothses, que ces insectes qui closentct meurenttout ensemble la surface des tangs, et la nocivitde l'autre. Il ne s'agit nullement ici de proclamerla faillite, ou la banqueroute de la science, commele fit ce fol de Brunetire, dans ses inconsistantstravaux de hriss dogmatique, contradictoire etbien pensant. Il ne s'agit pas non plus de bouderles quelques avantages stables et positifs, qui sontsortis de l'effervescence scientifique entre 1860 et

    191 4. Mais il s'agit de voir l'envers de la mdailleet le retournement du laboratoire et de l'usine (sousl'influence de l'insanit politique) contre cette hu-manit qu'ils taient censs avoir porte, l'un et

    l'autre, au plus haut point de perfection.Car la science vraie (qui dpasse le laboratoire

    et l'usine), ne date pas d'hier, et c'est ce dont lesnains et rabougris de l'esprit, qui encombrent lesavenues et passages du xix

    esicle, n'ont pas l'air

    de se douter.Le calcul, le haut calcul, et les lois astrono-

    miques qu'il exprime, taient connus des Egyptiens,dont les monuments prsument aussi d'extraordi-naires connaissances mcaniques. Mais qui dit con-naissances mcaniques dit connaissances physiqueset biologiques. L'embaumement des corps en estla preuve. Aussitt que l'esprit humain s'branledans le sens de la conception du mouvement et des

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE d'NTRODUCTION. 23

    modalits du mouvement, il s'branle simultan-ment dans la catgorie de la vie anime.La navigation voiles est une science.La fabrication du pain est une science, et qui

    implique une connaissance approfondie de la fer-mentation et de ses vertus, bien avant Pasteur.

    La fabrication du vin est une science. Mmeremarque quant aux ferments.

    Pas plus que les proverbes, chansons, ou l-

    gendes populaires, ces dcouvertes ne furent l'u-vre d'une collectivit. Elles nous vinrent d'hommesde gnie, dont les noms et les autres travaux sont

    perdus et oublis. De mme pour la taille des m-taux, le tissage des vtements, les textes lgislatifs,les routes et conduites d'eau, et autres connais-

    sances, devenues essentielles et consubstantielles l'existence civilise. Or, aucune des dcouvertes,dont le xixe sicle est si vaniteux, n'a ce caractrede prennit et de consubstantialit. On sent quela science de l'lectricit pourrait s'teindre et dis-

    paratre, par un court-circuit intellectuel, comme

    l'lectricit elle-mme. La chimie actuelle, en voiede transformation, se dbat, comme une agonisante,dans les hypothses atomiques, et dans celles con-cernant l'ther, qui elles mmes s'effondrent de touscts. Le sol de la bactriologie pastorienne est

    lzard, et les cuisiniers des divers srums et virus,devenus plus ou moins inoprants, se demandentsi les microbes s'habitueraient leurs mthodes

    d'attaque. Bref, il apparat que la stabilit desdcouvertes est inversement proportionnelle leur

  • a4 LE STUP1DE XIXe SICLE.

    nombre et leur vitesse, et que, l comme ailleurs,la nature (aussi bien nature que naturante, commedit Spinoza) exige du temps et des dlais, la faondu mauvais dbiteur.

    Or, la prcipitation est une caractristique duxixe sicle, au mme titre que la timidit etTinfa-tuation; et cette hte, si prjudiciable aux travauxde l'esprit, comme ceux du corps, augmentergulirement de la cinquantime la cent-quator-zime anne de ce personnage sculaire. Puisquenous admettons que le xx

    6sicle commence en ra-

    lit la formidable raction de la premire bataille dela Marne. Cette prcipitation a eu un bon ct, en

    s'objectivant et en donnant les chemins de fer, lesbateaux vapeur, les diverses tlgraphies, les

    automobiles, les tlphones et tous les multiplica-teurs de la vitesse. Elle a eu, mentalement, sonmauvais ct, en donnant comme rsolus, oufort avancs, des problmes encore dans l'uf,comme parfaites et immuables des institutions d-testables et des erreurs grossires, comme immor-telles des rputations usurpes. La fabrication desfausses gloires est une industrie de ce temps mo-rose, et dont tmoignent suffisamment les vainesstatues qui peuplent nos carrefours et les sotsnoms donns nos rues.

    Qu'est-ce que la prcipitation? C'est d'abord la

    perte du rythme intrieur, qui permet d'approcher,dans tous les domaines, la vrit et la beaut. C'est,ensuite, un manque de vues gnrales. C'est, enfin,un effet de l'infatuation.

  • AVANT-PROPOS EN MANIRE d'INTRODUCTION. a5

    Il y a un rythme intrieur, qui prside auxatteintes des motions comme aux mouvements dela raison. 11 est trs sensible dans la musique, dansla sonate comme dans la symphonie, et aussi dansle dveloppement psychologique de l'enfant, depuisle moment o il commence parler, jusqu' celuio il se met conjoindre des concepts. Mais aucunsicle, autant que celui qui nous occupe, n'a m-connu l'enfant : sa prcoce sagesse et lucidit versla septime anne, sa dviation imaginative ult-

    rieure, vers la douzime anne, par l'veil de l'ins-tinct sexuel. Les thologiens et les psychologues du

    moyen ge et de la Renaissance ont connu et dcritce rythme intrieur, duquel dpend toute la lo-

    gique, la mystrieuse et puissante logique. La

    Piforme, en rduisant la perspective de l'esprit et

    sapant la foi, a appauvri et embrouill ce rythmeintrieur, que la Rvolution et ses laudateurs et

    disciples libraux ont compltement obscurci. Lamconnaissance de ce rythme intrieur est un dessolides piliers de la btise. C'est ce rythme int-rieur qui donne, la parole et aux crits, leur por-te, aux personnalits leur poids et leur ampleur,

    la posie claire, sa force magique. Le gnie d'unRonsard consiste librer, exprimer ce rythmeintrieur, et son harmonieuse cadence palpitecomme l'me universelle des choses. De mme chezLonard de Vinci, lequel invente comme il respire,et toujours dans le sens de la beaut.

    Le manque de vues gnrales est un traverscommun bon nombre de savants du xix# sicle,

  • a6 LE STUPIDE XIXe SIECLE.

    la plupart des historiens et, au plus romantiquede tous, Michelet. Ils les remplacent par des aspi-rations, ce qui n'est pas la mme chose, ou par desprophties, ce qui est ridicule. Le type de la vision

    historique d'ensemble est fourni par le Discours surl'histoire universelle de Bossuet, plac sur un pro-montoire intellectuel d'o l'on distingue les causes,leurs mouvements sinueux, leurs affluents, leursembouchures, comme un trac de fleuve lumineux.Cet ouvrage incomparable montre comment le sens

    prcis du divin tel que le dveloppe le catholi-cisme claire et renforce le diagnostic des dter-minantes humaines. Il est une preuve vivante dela faiblesse et du vague de l'hrsie protestante,mre elle-mme d'une critique rudimentaire etincertaine. Rapprochez du Discours sur l'histoireuniverselle la rverie de Michelet, la platituded'Henri Martin, ou l'honnte controverse des

    Thierry, et mesurez la hauteur de la faille, en ce

    domaine, du xvne au xixe ! Elle est peu prs demme taille que celle de Molire Augier ou Dumasfils et de Descartes Ravaisson ou Cousin.

    C'est que l'esprit rformateur, ou rousseauiste, ourvolutionnaire (c'est tout un), prsume lui-mmecette erreur foncire et meurtrire des ides gn-rales qui consiste croire qu'on innove sanscontinuer. Tout novateur vritable est un continua-teur. Nihil innovatur nisi quod traditum est. L'ide

    que l'humanit rompt la file et repart du pied gau-che, un moment donn, sur un point de la plante,est purile. Nous retrouvons en elle l'infantution.

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE ^INTRODUCTION. *7

    J'ai approch, dans ma jeunesse, mais avec des

    yeux dj exercs grce l'ducation paternelle un type complet des meilleures qualits scienti-

    fiques de son temps, mais aussi de cette infatuationcaractrise : le professeur Charcot. Il n'tait

    aucune des vingt-deux idoles numres plus haut,qu'il n'adort respectueusement, avec quelquesautres, en s'admirant lui-mme de les adorer. Ce>mdecin de haute envergure, et, par certain ct,gnial, raisonnait, comme un produit de l'cole dusoir, des choses de la politique et de la religion. Il

    croyait que la Rvolution franaise, avait mancipl'humanit, que les mystres de la religion catho-

    lique sont des sottises, bonnes pour les vieilles

    femmes, que Gambetta avait un cerveau et que ladmocratie est un rgime normal, sous lequel peutvivre, durer et prosprer un grand pays. Je ris

    quelquefois, de bon cur, en me rappelant cer-tains propos tenus par ce savant, aurol, de son

    vivant, d'une autorit telle et si tyrannique quepersonne n'osait le contredire. Par contre, il se d-clarait plein de vnration pour le bouddhisme

    (voir travaux, aujourd'hui bien dsuets, d'EugneBurnouf), lequel semble une confusion sans nomde toutes les vases runies de la sociologie et de la

    morale, brasses entre l'Orient et l'Occident aucours des ges, et dont la misre intellectuelle estsaisissante. Imaginez un Charcot au xvi

    e ou au

    xvne sicle. Contenu, brid, sur les points essen-

    tiels, par les disciplines mentales, l'humanisme etl'humilit conscutive et bienfaisante de ces temps

  • a8 LE 8TUPIDE XIX* SIECLE.

    vigoureux, il et t une imagination universelle-ment forte. C'est l'infatuation de son sicle qui l'aborn et aflaibli, quant aux sommets .(religion,politique) de l'esprit humain.La prtendue mancipation de l'esprit franais

    au xix6 sicle (telle qu'elle s'enseigne encore lisible-ment dans nos facults et nos coles) est, au con-

    traire, un asservissement aux pires poncifs, mat-rialistes, ou libraux, ou rvolutionnaires. Et surce terrain, comme c'est la politique qui juge lesdoctrines humaines en dernier ressort, de mmeque c'est elle qui les met en mouvement, je vousdirai : comparez le trait de Westphalie (i848) la

    paix de Versailles (1919). Mesurez, si vous le

    pouvez, la chute des parties, dites souveraines, de

    l'intelligence politique franaise, de la premire deces deux dates la seconde ; mesurez l'affaissementde la sagesse et le recul psychologique !

    Mais, ds le 3i juillet 191 4 (o finit, en ralit,le xix* sicle, dans le charroi de l'artillerie alle-mande, issue de Kant et de Fichte, autant que deBismarck et de Moltke) la stupidit politique, quicaractrise ces cent. et quelques annes, ou minutes,ou secondes, apparat en clair, dans une mesuremilitaire inoue : le recul initial de 10 kilomtres,

    impos aux armes franaises par le gouvernementfranais, suggr lui-mme par les socialistes fran-ais, lesquels taient influencs par les socialistes

    allemands, lesquels obissaient leur empereur.D'une part, le plan de combat de notre tat-major(le premier du monde, comme on l'a vu, et de

  • VANT-PROPOi IN MANIERE 'INTRODUCTION. 0

    beaucoup) comportait l'offensive sur tous les points.De l'autre, l'humanitarisme homicide, la modechez les Anglo-Saxons et chez nous depuis 1900,comportait, aux yeux du rgime rpublicain, lancessit d'une preuve de non-agressivit. Cette

    preuve de non-agressivit, ce recul de 10 kilomtres,sur toute la ligne frontire, renversait le plan denotre tat-major. Elle nous mettait en tat d'inf-riorit immdiate et manifeste, stratgique et tac-

    tique. Elle affolait nos liaisons et paralysait nos

    troupes de couverture. Elle nous valut la triple d-faite de Morhange, Dieuze et Gharleroi. Elle amoral'invasion et l'occupation allemandes. Elle aurait punous coter la vie nationale. Il n'est pas indiffrent,on le voit, d'admettre telle ou telle doctrine poli-tique, de subir telle ou telle institution,- relie cette doctrine. Nos vingt-deux idoles veulent du

    sang.Je mets en fait qu' aucune poque de notre

    histoire une semblable insanit n'et t possible,ni tolre. Elle fut tolre, parce que le gnralis-sime des armes

    . franaises, Joffre, croyait que,mme en temps de guerre, l'autorit militaire doits'incliner devant les politiciens. Le gnralissimeJoffre et vainqueur de la Marne croyait cela (qui estabsurde et funeste) parce que la presse rpubli-caine et ses matres rpublicains le rptaient depuissa jeunesse. Il eut bien la force de vaincre l'Alie-magne, dans de pires conditions que celles oCharles Martel vainquit les Sarrasins Poitiers. Iln'eut pas la force de secouer les prjugs dmocra-

  • 3o LE STUPIDE XIX* SIECLE.

    tiques, qui lui avaient t inculqus de bonne heureet au milieu desquels il avait grandi et gagn ses

    grades.Le Credo en vingt-deux points qu'on a lu plus

    haut (et qui rappelle l'hilarante guerre faite l'admirable Syllabus, du pape Pie IX, par tous les

    ignorants et ignares diplms de ces quarante der-nires annes) avait, avant les travaux de Maurras,

    acquis une telle force qu'il s'tait impos, mme ses adversaires. Gomment cela? Par la presse quoti-dienne grand tirage et trs bon march, tombeaux mains de l'oligarchie politicienne, qualifie,chez nous, de dmocratie. Nous tudierons le m-canisme de cette servitude. Rarement un espritose tre ce qu'il est , a dit Boleau. Tout le secret

    de cette influence de l'imprim quotidien consiste,en Rpublique, augmenter encore la timidit men-

    tale, refouler le sens commun, par le credo rvo-

    lutionnaire du progrs indfini et de la science

    toujours bienfaisante. C'est dire que le rle de la

    presse, arme deux tranchants, dans la difusiondes insanits au xixe sicle, a t et est demeurconsidrable, et d'autant plus nocif qu'on avance

    de i83o 1900 et au del. Nous tudierons ce

    processus en dtail; mais, ds maintenant, il fautse demander pourquoi cela? Le schma de cetteservitude nouvelle de l'esprit public vis--vis de

    l'imprim quotidien est le suivant :Le xixe sicle a t le sicle par excellence de la

    banque et de la finance, donc le sicle juif. Car le

    peuple juif a, en cette matire, une formidable

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE D'iNTRODUCTlON. 3l

    avance sur le peuple franais et sa position interna-

    tionale lui permet le jeu de Bourse coup sr.La finance internationale a compris l'importance

    nouvelle de la presse, notamment en France; etelle s'est, par divers moyens, saisie de la presse

    grand tirage, dite d'information. C'est cette ma-nuvre que tentaient de s'opposer les fameuses et

    prvoyantes ordonnances de Charles X, qui ame-nrent la rvolution de i83o.

    Devant cette manuvre, essentiellement plouto-cratique, o c'est l'argent qui commande lapense et aiguille l'opinion publique, a t tendu lerideau des institutions et thses dmocratiques. La

    presse, dite dmocratique, dveloppe et imposel'absurde et meurtrier credo en vingt-deux points.Nous le retrouvons chaque jour, ce credo tir

    quelques millions d'exemplaires. C'est de cette

    presse, ainsi que de l'aveuglement criminel des

    politiciens franais, notamment partir de 1900 etdu cabinet Waldeck Rousseau, qu'est issue l'impr-paration la guerre et que, si l'on n'y met bonordre, sortira encore la guerre de demain.En fait, et depuis de longues annes, les Fran-

    ais du xixe sicle prolong jusqu'en 191 4, se sontlaiss mener, comme des moutons l'abattoir, parune oligarchie financire smite, masque en gou-vernement du peuple par le peuple. Une telle

    duperie n'tait possible que dans Faflaissement etl'intimidation des lites, que / dans la disparitiondes corps sociaux, uvre de la Rvolution franaise,de 1789 1793. A ces cinq annes de guerre

  • 3a LE 1TUPIDB XIXe SIECLE.

    civile correspondent exactement, cent vingt ans

    plus tard, les cinq annes de guerre exhaustive de

    191 4 1918. Jamais leon n'a t plus manifeste,

    plus vidente, plus saisissante, plus palpable, plustangible. Mais peu d'intresss s'en doutent encore l'heure o j'cris, cause du voile de l'imprim.La presse franaise grand tirage ne sert point

    divulguer ; ^elle sert cacher, celer, dissimuler,et aussi, aux heures critiques, fourvoyer.

    Tout ceci se rsume en quatre mots : l'Etat contrela nation. Qu'on y prenne garde : c'a t de touttemps la formule de la dsagrgation, puis de la

    disparition des peuples. Le juif pouvantable,Alfred Naquet, qui s'y connaissait, annonait ironi-

    quement aux Franais, ds 191 2, que le rle deleur pays tait d'tre crucifi, comme Jsus-Christ,

    pour le salut de l'univers. Tel est le sort que l'onnous propose aujourd'hui. Est-ce dire qu'il n'yait pas eu, dans le courant de ce sicle xix

    e,des

    hommes perspicaces, des hommes de grand talentet des hommes de bonne volont? Ce serait uneforte injustice que de le prtendre. Mais les hommesperspicaces n'eurent pas, en gnrai, l'audition deleurs contemporains. Mais les hommes de grandtalent employrent ce talent des lamentationsinutiles ou nuisibles (cas de Chateaubriand) ou des prdictions et prdications insenses (cas de

    Hugo, le vaticinateur rebours). Quant auxhommes de bonne volont, ils ne firent pas portercelle-ci sur le point o elle eut t efficace. C'estune question de savoir si les hroques mission-

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE p'iNTRODUCTION, 53

    nairescatholiques, qui sont dans Tordre du

    mouvement l'honneur de la France la drivedu xixe sicle, n'auraient pas obtenu un rsultatbeaucoup plus important, du point de vue spirituelet pratique, en vanglisant leurs compatriotes, la

    faon du grand Ozanam par exemple. C'est au fondce que craignait l'tat ploutocratique (car la foiest l'antidote de l'argent); d'o les perscutionsque l'on sait. Ce domaine sacr n'est pas le mienet je m'interdis d'y pntrer. Nanmoins, la vieterrestre tant un combat (et plus encore dans le

    spirituel qu'ailleurs), j'estime qu'il vaut mieuxporter un coup au centre et au bulbe qu' la pri-phrie et aux annexes. Comment vangliseront lesmissionnaires, quand leur recrutement en Francesera tari par un Etat qui tarit tout ?

    L'obscurcissement des vues gnrales tient,selon moi, au remplacement de la croyance, et del'ambiance de la croyance, par la crdulit. Com-parez un sceptique un sceptique, et le grand nomdu xvie sicle dans cet ordre, qui est Montaigne, augrand nom du xixe sicle en France, qui est Renan.Quelle richesse, quelle surabondance, chez le pre-mier, et, dans la ligne de discussions ou de remar-

    ques, qu'il a finalement choisie, quelle assurance !Car la faon de discuter de Montaigne s'inspireencore de la scolastique et puise son sujet avant deconclure, mme quand elle conclut qu'elle ne con-clut pas. Sur chaque point, Montaigne fait le tourde l'homme, en gnral, puis de la question rap-porte l'homme, puis des rfrences de la sagesse

    LB Sl'UPIDE XIX' 81CIE. O

  • 34 LE STUPIDE XIX* SIECLE.

    antique. Renan se contente d'numrer, avec la

    grce ironique qui lui est propre, deux ou trois

    points de vue assez flexibles, de constater leur d-

    saccord, puis de s'en tirer par une esquive. Vous

    chercheriez en vain, chez Renan, une direction

    originale, en dehors de son travail d'rosion,

    une direction positive quant aux grands sujets quimaintiennent la civilisation : l'enseignement parexemple; ou l'accord d'une forte morale et de la

    mobilit des murs ; ou la constitution de la

    famille; ou la rgle de l'Etat. Dans un de ses meil-

    leurs ouvrages, la Rforme intellectuelle et morale,que de flottements et, chez cet hsitant, que d'affir-

    mations hasardes, que de bvues! Tel ce passageo il dclare qu'un peuple barbare n'aura jamaisd'artillerie. Tel cet autre o il affirme qu'un offi-cier lev par les jsuites (ce qui devait tre, qua-rante-cinq ans plus tard, le cas de Foch) ne battra

    jamais un officier allemand de grade gal. Au con-traire, lisez chez Montaigne le chapitre de la res-semblance des enfants aux pres, qui traite de

    l'hrdit, de faon plus complte et approfondiequ'aucun auteur du xix* sicle. Si je comparais lesvues gnrales une fort, plante de toutes sortesd'essences d'arbres,je dirais que l'esprit du xix

    esicle

    reprsente un appauvrissement des deux tiers surla fort du xvr sicle, et de plus d'un tiers et demisur celle du xvn* sicle. Avec Renan, un des plusgrands remueurs d'ides gnrales, est, sans con-

    tredit, Auguste Comte. A ct de parties lzardes notamment dans l'chelle et hirarchie des con-

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE D'iNTRODUCTION. 35

    naissances il y a des plans qui tiennent assez

    bien, pour toute la partie non spirituelle, car lafaiblesse augmente mesure que mens agitt davan-

    tage molem, et sa fermeture la haute psychologie,qui touche forcment la thodice, est totale.Mais qu'est-ce que Comte ct de Descartes, dusolide Descartes du Discours de la mthode et dupote si original des tourbillons 1 Car je parle icinon du

    reliquat indestructible de l'imaginationphilosophique, reliquat forcment rduit, mimechez les plus grands, mais de l'intensit, de lavarit de cette imagination. Les tourbillons ne sont

    pas plus vrais en fait que les atomes de Lucrce ;mais la fantaisie en est plus vaste et allchante quele systme tage de Comte, avec ses mathmati-

    ques au rez-de-chausse, et sa thologie au sixime,dans les chambres de bonne, comme on l'a faitobserver.

    La rarfaction et l'obscurcissement des vues

    gnrales expliquent le peu de rsistance qu'a ren-contr le culte aberrant des vingt-deux idoles

    exposes plus haut. Au lieu de dresser immdiate-ment contre elles les faciles marteaux, critiques et

    philosophiques, qui les eussent brises, ceux quiauraient pu et d manuvrer ces marteaux ont (aitdes concessions, de forme et de fond, ces idoles.Ils ont feint de croire leur nouveaut, leur int-rt, leur fascination, leur excellence. Ou bienils les ont combattues, sentimentalement, sensi-

    blement, alors qu'il fallait les combattre ration-nellement, les extirper, et cela ds le dbut. Elles

  • 16 LIS ftfUPIDI XIX* SIGLH,

    ont ainsi fait leur chemin tragique ; les immolations

    qui en sont rsultes dpassent tous les sacrificesde Moloch et de Baal. J'cris ce livre avec laconfiance qu'en dpit de ses imperfections, son

    alarme incitera des hommes jeunes, ardents, sainset cultivs, ayant le sens de la patrie, et l'usage,avec l'amour, de sa forte langue, lutter, comme

    nous le faisons l'Action franaise, contre ces

    erreurs matresses de massacres. Mourir avec les

    yeux ouverts sur la raison pour laquelle on meurtest un avant-got de l'immortalit. La mort, en

    ilote, les yeux ferms sur les causes, sur les Mresde Gthe et la gense de sa mort, est un tombeaudouble et piteux. Je n'cris pas seulement pour les

    victimes, virtuelles ou prsentes, de ces erreurs,mais aussi pour leurs pres et mres. Les pres,mes contemporains, ont besoin d'tre dsengourdiset instruits. Ils ont trop cru la stabilit du mal, son non-parachvement par le pire. Les mres,ayant davantage gard l'habitude de l'oraison (quiest la toilette quotidienne de l'esprit), ont peut-treplus de clairvoyance. Mais elles craignent, en allant

    jusqu'au bout de cette clairvoyance, de se mler dece qui ne les regarde pas. Or, la sauvegarde deleurs enfants les regarde ; et celle-ci serait dfiniti-

    vement compromise, si la prolongation des idolesamenait demain un nouveau massacre.

    Car les rvolutions et les guerres, et en gnralles maux humains, dcoulent naturellement deserreurs des hommes. Erreurs des esprits, erreursdes tissus, erreurs hrditaires, erreurs des grou-

  • AVANT-PROPOS IN MANIRl D'INTRODUCTION, &7

    pes, erreurs nationales, erreurs politiques, erreurs

    morales, qu'on aurait pu redresser, rectifier, ridi-

    culiser, anantir, sur tel ou tel point, avant qu'ellesdevinssent meurtrires, de mme qu'on peut cor-riger l'hrdit et qu'on le pourra

    j'en ai la cer-titude de plus en plus. Ce qu'on appelle la des-tine physiologique n'est souvent qu'une mauvaise

    hygine. Ce qu'on appelle la destine psychologiquen'est souvent qu'une mauvaise ducation. Ce qu'onappelle la fatalit n'est le plus souvent qu'incurie

    politique et lgret, S'il est une leon que l'ge

    apporte celui qui lit et rflchit, c'est que les

    possibilits de l'homme, dans le bien, sont infinies ;alors que ses possibilits dans le vice et dans le

    mal sont assez courtes ; c'est que sa responsabilitest entire et reste entire.

    Le jour o vous jugez que cette responsabilitn'est plus entire, la loi et ses sanctions s'croulent

    et avec elles la famille, et bientt l'tat. Comme onle voit dans le divorce (chute de la loi divine ethumaine du mariage) o la prtendue librationdes conjoints aboutit la servitude et l'cartle-ment de l'enfant. Comme on le voit dans la mollerpression des crimes, inculque aux magistratsdbiles par la fausse thorie des impulsions irrsis-tibles. L'homme qui n'est pas compltement dment

    peut toujours rsister victorieusement une impul-sion; mais toute la philosophie rgnante duxixe sicle lui enseigne

    -

    n'y pas rsister. Cette

    philosophie ne cesse de lui rpter, depuis cent ans,

    que tous ses actes et son inertie elle-mme, sont

  • 38 LE STUPIDB XIXe SIECLE.

    commands et inluctables ; que ses nerfs, ses ins-tincts n'ont pas de frein ni de contrepoids ; et il afini par le croire. La notion de la rsistance moraleet intellectuelle, jusqu'au 5 septembre 1914, sem-blait plus que compromise cbez nous. Les septjours de la victoire de la Marne ont donn unbranlement en sens contraire, et prouv, sur tousles points, l'efficacit de cette rsistance. Il importeque le bienfait intrieur n'en soit pas perdu.

    Ceci pos, nous allons examiner successivementla stupidit foncire et bate du xixe sicle :

    i Dans son esprit et ses manifestations poli-tiques. Il faut bien commencer par l, car la poli-tique est la grande commande. Les pays vivent etmeurent de la politique. Ils s'abaissent par la poli-tique, ils se relvent par elle. Elle est le lien ou le

    poison de la cit. On peut dire de l'absence debonne politique ce que le dicton provenal dit del'absence de pain au couvert : La table tombe ;

    2 Dans son esprit et ses manifestations litt-raires, notamment en ce qui concerne le roman-tisme et ses applications la vie publique ;

    3 Dans certaines de ses doctrines philosophiques.Celles-ci aussi ont leur importance, et nous yjoindrons, chemin faisant, l'avilissement systma-tique de l'enseignement tous ses degrs ;

    4 Dans la lgislation, la famille, les murs, lesacadmies et les arts ; c'est--dire dans l'existenceen socit, et en ce qui concerne la disparition pro-gressive d'une socit polie ;

    5 Dans sonesprit scientifique ; notamment en ce

  • AVANT-PROPOS EN MANIERE D'iNTRODUCTION. 3g

    qui concerne le dogme du dterminisme et celui del'volution.

    La toile se lve sur une comdie tragique. Jen'ose promettre au spectateur qu'il ne regrettera passon attention. Mais je lui certifie (sans crainte deme tromper) que la ruine de ces principes faux,qui seront mes principaux acteurs et bouffons noirs,est la condition de son propre salut et de celui du

    peuple franais.

  • CHAPITRE PREMIER

    STUPIDIT DE L'ESPRIT POLITIQUE AU XIXe SICLE FRAN-AIS. RVOLUTION ET LIBERALI8ME. LA PRESSEET SON ROLE.

    La politique, c'est le grand art : ars magna. Ona propos d'elle, au cours des ges, bien des dfi-nitions. Son rle est de garantir la cit (et par con-

    squent le langage, et tout ce qui en dcoule)contre les dislocations intrieures, rsultant desluttes civiles et religieuses, et contre les agressionsvenant du dehors. Elle est la fois la philosophieet l'action de l'Etat. Une politique qui aboutit l'branlement national, aux luttes intestines et la

    guerre, qui fait le malheur du pays, sa ruine, ledeuil des familles, l'anantissement des groupessociaux, professionnels ou provinciaux, est doncune mauvaise politique, une politique dangereuseet fatale. Sauf le court intervalle de la Restauration

    (qui remplit le programme de son nom) la poli-tique de l'Etat franais, au xix

    esicle, a t une

    politique excrable, puisque son premier flot a

  • STUPIDIT DB L'ESPRIT POLITIQUE, 4*

    abouti aux guerres inutiles du premier Empire et larvolution de i83o ; son second flot la rvolu-tion de i848 et la guerre de 1 870-1 871 ; sontroisime flot la guerre europenne de 191 4. Cy,cinq invasions, en 1792 (le sicle commence enralit en 1789) en i8i4, en i8i5, en 1870-1871et en 191 4 (date laquelle finit en ralit le sicle).Si les choses devaient continuer de ce train-l, unenfant de sept ans, concevant les Telations de cause effet, pourrait annoncer coup sr, la fin du

    pays pour l'an 201 4- J'entends, par la fin d'un

    pays, son passage sans raction sous une domina-tion trangre, et le renoncement son langage. Il

    y a dix ans, une pareille hypothse aurait faithausser les paules. Il n'en est plus de mme au-jourd'hui.

    L'affaissement politique, au xixesicle, quand on

    !

    regarde les choses de plus prs, tient plus encore aulibralisme (qui est la branche femelle de la R-

    forme) qu' la Rvolution proprement dite, qui enest la branche mle. Napolon I

    er, Napolon III,

    puis Gambetta, puis Ferry, puis Waldeck-Rous-seau, marquent la pente de la dgringolade, quisuivit la rupture de la politique monarchique tra-ditionnelle ou mieux, de la politique vritable, dela politique de vie et de dure, cdant la poli-tique de ruine et de mort. Cette dernire masque,bien entendu, 'sous les mots pompeux de libert,humanit, galit, fraternit, paix universelle, etc..

    L'antiphrase est la rgle au xix6sicle, oratoire par

    excellence, comme tel condamn au retournement

  • 4a LE STUPIDE XIXe SICLE.

    de la pense par la parole, et tout le long duquelles Furies portrent le nom d'Eumnides, ou deBienveillantes.

    Napolon Ierou, si vous prfrez, Bonaparte, est

    la combinaison, parties gales, d'un soldat de

    gnie, d'un aberrant et d'un disciple perdu deRousseau, c'est--dire d'un imbcile (imbecillis,faible d'esprit). La lecture du Mmorial, qu'il dicta

    Sainte-Hlne, est trs caractristique ce point devue. Les pages consacres l'art militaire donnent

    l'impression de la scurit, de la certitude. Elles

    respirent le plus solide bon sens. Celles consacresaux motifs de guerre (que l'imprial causeur et tbien embarrass de prciser) sont d'une purilitdconcertante. Celles consacres aux institutions,aux travaux des jurisconsultes, etc.. apparaissentcomme d'une rare niaiserie et d'une outrecuidance

    qui appartient au style de l'poque. Bonaparte ysemble un personnage de Rabelais, un Picrocboleralis. La chose est encore plus sensible chezl'historien contemporain fanatico-maboul FrdricMasson, qui grossit les insanits de son idole

    Bonaparte, la faon d'une boule de jardin. Les

    ouvrages de Masson, de l'Acadmie franaise,constituent, par leur exactitude mme, mle delatrie napolonarde, le plus redoutable des rqui-sitoires. Je n'ai pas connu Bonaparte, autrement

    que dans les propos de Roederer (qui rendent jus-qu'au son de sa voix), mais j'ai bien connu FrdricMasson, hargneux et falot, avec sa grosse tte sanscervelle, ses moustaches retombantes, sa voussure

  • STUPIDIT DE L'ESPRIT POLITIQUE. 43

    dorsale, ses humeurs pittoresques de mauvais chien,son incomprhension totale et envieuse de la

    grandeur vraie, et sa curieuse comprhension decertaines tares et de certains maux. Il a crit, dansson style affreux de cantonnier ramasseur de

    crottin, quelques fortes pages de son Sainte-Hlne,

    parce que l, il reniflait le malheur. De mme, propos de la mauvaise conduite des surs de Bona-

    parte, il fait, tant comiquement mysogyne, d'amu-santes rflexions sur la beaut corporelle antiquede cette famille et, de l, sur son sens du clan. Mais,d'une faon gnrale, il est l'historien qui enfouit la

    gloire sous le fratas. C'est aussi la ptarade, sur

    l'pope vaine et terrible, d'un homme qui a tropmang de documents.

    Tout a t dit, et trop bien dit pour y revenir,contre le code napolonien, le partage forc et lestextes insanes auxquels nous devons la dpopula-tion subsquente de la France, avec la pulvrisationrvolutionnaire des provinces et des mtiers. Ce nefut point perversit chez l'Empereur, mais biensottise et infirmit d'esprit. Il bousculait ses juris-consultes raisonnables et non serviles, comme il

    bousculait Talleyrand, s'imaginant, le pauvre type,faire le bonheur de ses peuples . C'est qu'iltenait de son ducation roussiste (aggrave par lesmditations solitaires d'une imagination sans frein)cette conviction qu'il faut faire neuf et table rasedes prdcesseurs, la rvolution ayant apport aumonde tonn, mais rcalcitrant, l'vangile destemps nouveaux. Cela, jusqu' l'extrmit des terres

  • 44 LE 8TUPIDE XXX* SICLE.

    habites : Mon imagination est morte Saint-Jean-d'Acre. En outre, Napolon I" possdait cedon de fascination, tenant l'allure, la voix, la

    corporit et aussi l'irradiation nerveuse qui, ren-dant la rsistance d'autrui difficile, ne laisse plussubsister, comme obstacles, que les chocs en retourde la ralit meurtrie et irrite. Il y a deux sortesd'obstacles pour l'homme d'action : ceux quiviennent des gens; ceux qui viennent des choses.

    Ayant surmont les premiers, au point d'carter delui les assassins promis tout grand acteur de la

    politique, il succomba devant les seconds. Waterloone fut que la somme de ses infirmits politiques,surmontant son gnie militaire, et je pense que ni

    Wellington, ni B.lcher n'y furent pour rien.Notons en passant, que Balzac (chez qui l'histo-

    rien illumine parfois, et parfois obscurcit et alour-dit le grand- romancier) semble avoir eu la visiondu prodigieux imbcile que fut Bonaparte. Il n'osa

    pas la formuler nettement, parce qu'elle tait encore

    trop proche de son objet, mais il en nota les rper-cussions. Il fallut attendre Masson pour avoir lesdimensions de cette sottise, arme comme aucuneautre ne le fut sans doute ici-bas. Heureusement

    que la nature ne joue pas souvent de pareillesfarces aux hommes, par le canal de l'hrdit. Sanscela, le genre humain (faute de combattants) finiraiten mme temps que le combat.

    Bonaparte n'a pas t seulement funeste laFrance par lui-mme ; mais encore par tous ceux

    qui, dans tous les domaines, se sont efforcs de

  • STUPIDITE DH i/bSPKIT P0UT1QUE. 5

    l'imiter et de faire, de leur action, la sur de leur

    rve, rvolutionnaire ou libral. Mon pre disait

    que les deux grands ples de la pense au xixe

    avaient t Napolon et Hamlet, le frntique et

    l'aboulique, celui qui se dcide et tranche toutle temps, et celui qui ne se dcide jamais. MaisAlphonse Daudet disait cela en admirant tout

    Bonaparte. Alors que, de ses dcisions, les militairesseules taient admirables, et les autres d'une rare et

    tragique infirmit. On pourrait mettre sur sa tombeaux Invalides : il a gaspill le patrimoine franais.Un pareil conqurant est un flau et pire assur-ment que la Terreur. Parce que la Terreur est un

    objet de rpulsion historique, au lieu que beaucoupde personnes soupirent encore : Ah ! Napolon ! Rien ne s'oublie plus vite que le dluge de sang, etla

    rapidit de l'oubli est proportionnelle aux dimen-sions de l'hcatombe ; pourquoi cela ? Parce quel'esprit humain chasse naturellement l'image dudeuil et du charnier. On n'aurait pas imagin leJour des Morts, si l'on n'oubliait pas les morts

    presque tous les jours, surtout quand leur trpasfut collectif et violent.

    Sole d'assembles et de clubs, de bavardage etde sang, et lasse de cette lgislation frntique,vaine et contradictoire, qui est le fruit du rgimedes assembles, la France se donna la dictature

    napolonienne, puis au plbiscite qui en dcoule,en deux crises de courte dure. L'hybridit mmede la constitution impriale (semi-hrditaire, semi-

    plbiscitaire) la faisait osciller entre la rvolution,

  • 46 LB STUPIDB XIX* SIECLE.

    fille de la Rforme, et. la raction. Administrative-ment, les Napolon renchrirent sur la centralisa-tion Louis XIV (qui avait failli amener des malheursvers la fin du rgne tincelant), mais ils la prati-qurent sans mesure, sur un pays arbitrairement

    dcoup en dpartements et appauvri par une longuesuite de guerres. Leur administration compltaainsi, par le nivellement, le saccage affreux de lanuit du h aot. L'abolition des coutumes locales etdes privilges fdratifs et corporatifs, le mcanismeinhumain qui en rsulta, firent plus et pire pourla dpopulation (en dehors mme du pernicieuxrgime successoral) que n'avaient lait les hca-tombes. Les tais ramifis dans toute la nation, et

    qui la soutenaient sculairement, les droits, devoirset chartes des communes et des mtiers, s'crou-lrent parmi les acclamations conjointes des lib-raux (qui voyaient l l'mancipation de l'individu

    divinis) et des autoritaires forcens, qui s'bahis-saient d'un grand pays rduit ainsi en domesticit.De ces deux stupidits, clbres l'envi commeune suite de la dclaration des Droits de l'Homme,sortit le pire des maux sociaux, et contre lequel la

    monarchie traditionnelle avait toujours prementlutt : l'effondrement de la justice par la servilitdes magistrats. Dpendant uniquement du pouvoircentral, malgr le principe hypocrite de l'inamovibi-lit, commands au doigt et l'il et gourmandessecrtement par ce pouvoir, d'un bout l'autre duterritoire, privs des appuis locaux, de la surveil-lance locale, qu'assure la dcentralisation, ces magis-

  • 8TUPIDIT DE L.'ESPRIT POLITIQUE. 47

    trats eussent t des hros, s'ils avaient rsist la

    complaisance politique, qui est la gangrne de leurhaute et redoutable profession. Ils s'croulrent,entranant avec eux le grand intrt social dont ilsavaient la garde, et fournissant ainsi l'espritrvolutionnaire son principal et son plus dangereuxargument.

    Car ce sont les mauvais magistrats qui font les

    peuples enrags.Un ministre de la Rpublique, fort intelligent et

    bon juriste et qui a fait ses preuves pendant la

    guerre, me disait rcemment : C'est curieux, plusles magistrats sont levs dans la hirarchie judi-ciaire et plus ils sont dociles quant au pouvoir cen-tral. Rien n'gale la servilit de la Cour de cas-sation. La chose est facile comprendre, d'aprsce que nous venons d'crire. Les magistrats del'ordre le plus lev, les magistrats de la forme

    pure et du Droit en quelque sorte mtaphysique,sont aussi les plus centraliss de tous. Ils sont au

    sommet d'une pyramide, sans communication avecles vivants, dont ils dbattent les intrts. Bien

    qu'ils n'aient plus grand'chose attendre de l'Etat,la revanche du rel sur l'irrel les pousse subirsecrtement, docilement, les suggestions et impul-sions de cet Etat, et c'est ainsi que le summum justend devenir la summa injuria. On l'a vu aumoment de l'affaire Dreyfus, o les juifs, devenusmatres de l'Etat, se sont trouvs, du mme coup,les matres de la Cour suprme, et Font amene l'acte inou (et historiquement sans prcdent) de

  • 49 LU 8TUPIDE XIXe BCLBv

    l'altration volontaire de l'article 445 du Code deProcdure criminelle.

    Cet acte, qui s'est produit prcisment la findu xixe sicle (et, en vertu du dcalage susdit, l'aube du xxe) est ainsi une consquence du lenttravail de dlitement judiciaire qui succda lacentralisation jacobine et napolonienne. De la jus-tice de paix la Cour de cassation, la justice iradsormais en diminuant, jusqu' devenir imper-ceptible. Elle est ancillaire quant l'tat; et l'tat

    napolonien, dictatorial ou libral est un Etat fol,livr lui-mme, sans contrepoids, mille lois plusabsolu que la monarchie de ce nom, laquelle tait absolue uniquement quant l'intrt national,dont elle se montrait la jalouse gardienne.

    Je mets en fait qu'un prsident du Conseil de la

    Rpublique, dans la constitution actuelle, qui sait

    jouer de l'inertie, de l'incurie, de l'ignorance ou dela servilit de sa double majorit la Chambre etau Snat, est aussi absolu que le plus absolu dessouverains (et sans prsenter aucune garantie sou-

    veraine) dans l'exercice de son phmre pouvoir.Il peut plonger le pays dans un abme de maux,sans avoir aucun rglement de comptes ultrieurs redouter. Il peut ne rien faire, alors que, pourconjurer un pril imminent, il faudrait faire quel-que chose. Il joint l'omnipotence l'irresponsabi-lit. Tel est l'aboutissement de quelques centainesde beaux discours, prononcs par de grands libraux de 1789 1914. A mes yeux, je vous ledis franchement, il n'est grand libral qui ne

  • STUPIDIT DE L'ESPRIT POLITIQUE. 4g

    soit un grand ne, et d'autant plus grand qu'il est

    plus libral. Qu'est-ce en effet que le libralisme, sice n'est la recherche, thorique et pratique, et fina-lement l'acceptation d'une moyenne entre le meil-leur et le pire, entre l'excellent et l'excrable, entre

    le vrai et le faux, entre le raisonnable et l'absurde ?Le libral est un homme qui rvre le Bon Dieu,

    mais qui respecte le diable. Il aspire l'ordre et ilflatte l'anarchie. Gela, dans tous les domaines,notamment l'intellectuel et le politique. Il va doncs'efforcer de trouver une formule qui concilie unterme et l'autre. D'o la notion du centre dans lesassembles, du raisonnable centre, qui tient labalance gale entre les extrmes et dfend la pro-prit et la famille avec la religion, par exemple,en souscrivant d'avance tous les assauts passs,prsents et futurs, donns la proprit, la familleet la religion. Il y a l, la fois l'indice d'unefaiblesse mentale et le signe d'un tempramentcraintif. Le modle en fut Emile Ollivier, qui menala France l'abme en 1 870-1 871, mais continua,

    malgr l'vidence, penser qu'il avait eu raison, et

    publia sur l'Empire libral je ne sais combien devolumes pour le dmontrer. Cela aussi est trsdix-neuvime sicle. On a vu, toutes les poques,des hommes d'Etat, des politiciens, se tromperlourdement. Mais ceux issus de ce suffrage uni-

    versel, qu'inventa chez nous le xix sicle, gardenttoujours l'esprance secrte qu'ils remonteront lecourant, et qu'ils dmontreront victorieusement

    que le noir est blanc, et qu'il fait nuit en pleinTE 8TIMDK XIX* SICLE. 4

  • 5o LE STUPIDE XIX* 0IECI.E.

    midi. Ils puisent une confiance invincible dansl'incohrence qui les a ports au pouvoir, puisbriss.

    J'ai connu, frquent et mme aim, de fameuxlibraux. Je me suis toujours demand en quelleinconsistante mie de pain tait construit leur dbilecerveau. Depuis que je suis dput et que j'ai vufonctionner de prs ce rgime absurde d'assemble,o prend forme oratoire le libralisme, ma pitipour un tel tat d'esprit s'est encore accrue. Alors

    que la force de l'tre humain est dans l'affirmationet la certitude, toutes les facults du libral sonttendues vers l'quivoque et l'aboulie. Imagine-t-onrien de plus comique que des parlementaires qui serclament encore, en 1920 (!) de la charte primedes Droits de l'Homme et du Citoyen et de la dicta-ture du Tiers, de 1790 1793, et qui tonnent, et

    s'indignent, et vocifrent contre la rvolution russede Lnine et la dictature du proltariat ! Quellesavoureuse inconsquence ! Mais la tribune, commele papier, et peut-tre encore mieux que le papier,supporte tout, pourvu que celui qui l'occupe ait uncertain ton et un certain ron-ron.

    Le libralisme, c'est l'individualisme, doncl'anarchie dulcore. Il aboutit, en fait, la finance, la pire et la plus dure des tyrannies : celle del'or. Inutile d'insister sur le mcanisme par lequelil annihile toute originalit de pense, puisqu'il netable jamais que sur des moyennes. Quand on letraque dans ses inconsquences, son suprme refugeest dans l'abstention. J'ai remarqu l'espce de

  • . STUPIDT^ DE l'eSPRIT POLITIQUE. 5l

    gourmandise avec laquelle, au Parlement, le Centres'abstient. Gourmandise analogue celle avec

    laquelle tout librai, ou haut fonctionnaire, ou haut

    prsident de conseil d'administration, ou prsidentde la Rpublique, dmissionne ds que les affairesse gtent et que la responsabilit se dessine. Assu-mer une

    responsabilit, c'est accepter une initiative.Le libral n'accepte jamais une initiative, et le findu fin consiste, pour lui, se ranger l'avis de soncontradicteur, en lui disant : Je vous laisse la

    responsabilit de mon acceptation,... ou de madfaite. En dernier ressort, aux yeux du libral,c'est le plus violent ou le plus nombreux qui araison. C'est pourquoi il n'y a lieu de tenir compteni des restrictions, ni des avis de ce fuyard perp-tuel.

    Je n'ignore pas en crivant ceci que le xixesicle

    a statufi un nombre considrable de libraux,considrs comme minents. Ces nes bts ont

    peupl les Acadmies, devenues, par l'affadissementdes ides et l'affaissement des caractres, le sanc-tuaire de ces grotesques idoles. Ce sont eux qui ont

    pouss toutes les portes par lesquelles est entre laRyolution. Une fois qu'elle eut occup le bureau

    (comme on dit en style lectoral), la grande etsuprme habilet des libraux consista crier auxrvolutionnaires : Nous sommes plus avancs quevous. Allons donc, pas possible I C'est commecela. Nous allons bien voir; tes-vous pourl'expulsion des moines? Attendez, il faut dis-

    tinguer les moines qui ne font pas de politique de

  • 5a LE STUPIDE XIX* SIECLE.

    oeux qui font de la politique. Nous n'avons pas

    le temps d'attendre. Vous avez cinq minutes pourrpondre. Etes-vous pour l'expulsion des moines? Eh bien 1 puisqu'elle est un fait accompli, oui,nous sommes pour l'expulsion des moines.

    Et

    des bonnes surs ? Oh ! oh ! des femmes , y pen sez-vous, et des femmes gnreuses et dvoues quisoignent les pauvres malades gratis !

    Ce n'est pasde cela qu'il s'agit. On n'a pas le droit, quand onest libral, de montrer une cornette un mourant.

    Etes-vous, oui ou non, pour les bonnes surs?

    Eh bienl voici notre suprme concession, et dontvous goterez et apprcierez l'importance : nous

    vous abandonnons les bonnes surs. Mais, pourle coup, laissez-nous les curs, condition qu'ilssoient dmocrates. Et comment s'assurera-t-on

    qu'ils le sont ? Non et non ! Il nous faut encorela peau des curs.

    Ainsi continue la conversation. Il est bien dom-

    mage qu'aucun Molire ne se soit lev pour portraic-turer le dmocrate et, comme l'on dit en argot de

    cimetire, ses concessions perptuit. C'est un

    personnage comicotragique, inhrent au xix sicle,nourri de ses bourdes et illusions, fier de cettenourriture et convaincu qu'elle dpasse en excel-

    lence, le pain matriel et mystique, le pain des

    meuniers, comme le pain des anges. Que dis-je !Le libral domine le xixe sicle. Il en est l'enseigneet l'orgueil. Ce triomphe seul, s'il n'en tait d'au-

    tres, suffirait stigmatiser une poque. Ce n'est

    point la rue rvolutionnaire, c'est le salon libral

  • STUPIDITE DE i/eSPUT POLITIQUE, 53

    qui est l'aube des meutes et septembrisades.Car sur le terrain social, comme sur le terrain

    conomique et politique, les mfaits du libralismesont innombrables, d'autant plus pernicieux qu'ilstiennent l'erreur des bonntes gens. C'est ainsi

    que, dans les assembles dites bonnes, lues sousle signe de la patrie et de la famille, les honntes

    gens font rapidement le lit des coquins.Vous distinguerez d'emble le libral la crainte

    qu'il a d'tre tax de ractionnaire. Est-il rien de

    plus beau, de plus net, de plus harmonieux, de plusefficace aussi, je vous le demande, que de s'affirmeren raction contre la sottise et le mal, ceux-ci

    eussent-ils pour eux le nombre et la force P Com-ment le corps humain sort-il de la maladie? Parlaraction. C'est cette raction que cherche le mde-cin hardi et intelligent, tant que les sources de lavie ne sont point taries, tant que le grand ressortn'est pas bris.. En clinique, l'absence de raction,c'est la mort. Il en est de mme en politique.L'objection fameuse du libral contre la riposte auxassauts dmocratiques et rvolutionnaires est tirede la comparaison dite fluviale : On ne fait pasqu'un fleuve remonte sa source. Partant de l,aucun vice ne sera jamais enray, ni aucun flauarrt, ni aucune diathse combattue, ni aucuneinvasion repousse. Il est affreux de songer que,par la stupidit et la complexit de l'ambiance, detels et si pauvres arguments ont contrebaltu etannihil de 1790 191 4, le3 efforts de tant debraves gens ! Ah ! les dfenseurs de l'ordre, de Tau-

  • 54 LE 8TUPIDE XIX* SIECLE.

    torit, de la sagesse politique au xix* sicle, comme

    il faut les plaindre et les honorer 1 Tous ont eu,

    plus ou moins, le sort de l'hroque FranoisSuleau, des Actes des Aptres, dchir par les tri-

    coteuses, au 10 aot, sur la terrasse des Feuillants.

    Un libral vous dira : Aussi, quelle n'tait pasl'imprudence de ce Suleau ! Il n'avait qu' resterchez lui, ou qu' hurler avec les louves.

    Ce sont les libraux qui, ce mme dix aot,conseillrent au malheureux Louis XYI de ne pasouvrir le feu sur la canaille, qui envahissait le ch-

    teau, avec l'histoire de France, et allait dchaner,sur notre beau pays, des torrents de sang et de

    fange ; chaque fois qu'il y eut une gaffe persuaderou accomplir, ils taient l; avec leurs mmesraisonnements insanes et leurs mmes tempramentsde froussards. Comme livreurs de places fortes etdsorganisateurs de garnisons, je vous les recom-mande. D'ailleurs s'il y a des ractionnaires diff-rents d'intentions et de principes, il n'y a qu'unlibral, toujours le mme, strotyp, inducable etincorrigible, attendu qu'il ne sait pas et ne veut passavoir que le poulet sort de l'uf, le bl du grainet la catastrophe sociale de la mauvaise organisa-tion politique, de l'acphalie.

    Machiavel a pass au xix8sicle, et chez les libraux,

    pour un homme d'une immoralit eQrayante, parcequ'il a dit : (( Attention, ne mnagez jamais unennemi public, ni priv. Si vous le mnagez, lui, lemoment venu, l'occasion favorable trouve, ne vous

    mnagera pas .Votre gnrosit ridicule fait le malheur

  • STUPIDIT DE L'ESPRIT POLITIQUE. 55

    de votre pays, ou de votre famille. r> Mais ce n'estl qu'un axiome de bon sens, de mme que c'en estun autre, du mme penseur et guide, de ne jamaisfaire de vaines menaces, non suivies d'excution.Louis XVI, qui a ouvert le xix

    esicle, en lui lais-

    sant sa tte comme otage, Nicolas II de Russie quil'a ferm, dans des circonstances presque sembla-

    bles, ont eu tort de ne pas couter Machiavel,d'couter les voix stupides du libralisme meurtrier.Le matre qui ose tre le matre, et parler et agir en

    matre, pargne au monde des millions de cadavres ;et l'attitude timidement dfensive, qui a toujours!t celle du libralisme, n'a jamais produit rien de \bon.

    Le libralisme c'est la Rformette, et c'est aussila genevoiserie de Jean-Jacques, mise la portedes curs de livre et des raisons draisonnantes.

    Que nous dit la Raison? Qu'il faut ragir. C'estla vie et c'est le salut. Mais qu'il faut ragir fond,et persister dans la voie de la raction choisie, si

    l'on veut aboutir quelque chose. Cela, c'est

    l'nergie politique, qui complte la dtermination

    politique, et assure infailliblement son succs.

    Presque tout le long du xixesicle (sauf pendant la

    Restauration) c'est la draison politique qui a tenula corde et discrdit la raction. Pourquoi cela?Parce que le libralisme avait empoisonn les hom-mes d'ordre et mis l'autorit lgitime en dfiancecontre son propre droit.

    L'esprit rvolutionnaire (rendons-lui cette justice)a senti cela. Il a su remarquablement profiter de la

  • 56 LE STUPIDE XIXe SIECLE.

    reculade chronique des libraux et persuader mme quelques ractionnaires que la raction ne devait

    plus s'avouer, que le mot mme en tait pjoratif.Qu'est-ce qrie la raction? C'est la tradition mili-

    tante, le Bon sens et l'exprience en armes et refou-lant l'insanit rvolutionnaire. Car le terme mmede gouvernement rvolutionnaire est absurde,comme la chose qu'il reprsente. La rvolution estun cataclysme voulu. Le gouvernement, c'est l'orga-nisation politique qui, dans l'Etat, assure l'ordre.On n'assure pas l'ordre au bnfice d'un cata-clysme... moins qu'on ne soit un libral. Donc

    l'esprit rvolutionnaire a lui aussi sa tradition,comme le Diable a son Enfer, et elle tient en quel-ques aphorismes, auxquels la plus bte des pressesbourgeoises (et dont la btise a gal celle de son

    sicle) a fait un sort tourdissant.

    Aphorisme n i : la proprit, c'est le vol. C'estle poncif proudhonien, qui a le numro 16 dans lanomenclature de notre introduction. La rfutationen est simple : la proprit c'est le champ o repo-sent les anctres et le toit qui abrite les laboureurset cultivateurs de ce champ. Il n'est rien de pluslgitime, ni mme de plus auguste, que la proprit;et ce droit de proprit fait partie du droit primor-dial du sdentaire, comme de celui du nomadefix. Le mot de Pascal : ce coin est moi, disent leshommes, ces pauvres enfants,... et voil l'origine dela proprit, est parfaitement jansniste et faux.L'arbitraire de la proprit n'existe pas. La pro-prit, c'est le moule du corps mort et l'abri du

  • STUPIDIT DE L ESPRIT POLITIQUE. 67

    corps vivant, l'un joignant l'autre . On a honted'exposer un principe aussi lmentaire. C'est

    l'expropriation qui est le vol. Or toute rvolutionaboutit, en fait, une expropriation, donc un vol

    appuy sur des meurtres.A quoi les libraux me rpondent, timidement,

    par la parole de leurs orateurs et de leurs penseursde nant : Il y a du vrai, mais c'est exagr. La

    proprit n'est pas tant le vol que cela. Elle l'est un

    peu seulement. C'est merveille qu'au cours dusicle, avec une si pitre dfense, ait t maintenule principe fondamental del proprit. Entendons-nous : maintenu, quant l'individu. La propritcollective et associationnelle a t combattue etfinalement annihile chez nous. C'est mme unjuriste rpublicain (c'est--dire rvolutionnaire), lefuneste Waldeck-Rousseau, qui a confisqu les biensde mainmorte, par lesquels s'tablissent, en dehorsde l'hritage, la continuit del proprit collectiveet son inalinabilit. Waldeck-Rousseau est le typedu juriste spoliateur, au fanatisme froid, form l'cole du xixe sicle. C'est ce qu'on appelle u*n grandlibral. 11 est un exemple saisissant du ravage opr,dans les cerveaux, par le libralisme et le jurismeromantique partir de i85o; et d'autant plus saisis-sant qu'il tait, dans le priv, un parfait galanthomme et assez cultiv.

    Aphorisme rvolutionnaire n 2 : la famille,c'est le hasard de la rencontre. Il y a famille, sanscur ni maire, ds que deux tres de sexes diff-rents, couchant ensemble, font un enfant. Cette

  • 58 LE STUPIDB XIXe SICLE.

    assimilation de la famille animale et de la famillehumaine tait au fond du Contrat Social de l'alin

    Jean-Jacques Rousseau. Sa fortune, depuis cent ans,est lie la conception de l'animalit humaine etde l'origine animale de l'homme, bourde immense,,

    que nous retrouverons. En fait, la diffrence del'homme le plus humble au plus relev des animauxest cent fois plus considrable que celte de ce mmeanimal au ver de terre ou l'toile de mer.L'abme n'est pas seulement dans le langage arti-cul et la mmoire hrditaire, renforce de la m-moire individuelle (voir le Monde des Images et

    YHrdo). Il est aussi dans le sentiment religieux.Il est aussi dans la raison. Tout indique, ou voque,ou postule, dans l'homme, une cration particulireet non l'aboutissement d'une srie.

    Incapable de concevoir mme un tel renverse-ment des neries (par dbilit mentale) la modedu sicle, le libralisme a rpondu : Sans douteil y a, la base de la famille, le hasard de la ren-

    contre, mais tout de mme pas tant que cela. Pour* un libral, reconnatre et proclamer l'impor-tance et l'indissolubilit du sacrement de mariage,c'est fournir des armes aux ennemis de la reli-

    gion. Tout libral respecte l'union libre et considrele divorce, d'abord comme un mal ncessaire, puis,comme un presque bien lgitimement acquis. Toutcomme le rvolutionnaire, le libral ne voit, dansle divorce, que les conjoints. Il ne voit pas l'enfant,c'est--dire l'avenir immdiat. Le dchirement del'enfant par le divorce lui importe peu. Les juifs

  • STUPIDIT DE L'ESPRIT POLITIQUE. 69

    lui ont appris en rire, tout en n'usant, pour euxet leurs enfants, du couteau du divorce qu'avec une.extrme parcimonie.

    Si la famille a rsist comme elle l'a fait, en

    France, aux assauts de l'insanit philosophique, delaJ facilit verbale et de l'ignominie politique de larvolution au xrxe sicle, c'est sa constitutionterrienne et agricole qu'elle le doit. La puissancede vue d'un Le Play, sa divination, sont remar-

    quables. La proprit terrienne est le corps de la

    famille, comme le sacrement du mariage en estl'me. Entre le sol cultiv, agraire, et la famille, il

    y a un fameux concordat. Alors que, pour la Rvo-lution et pour le libralisme, la famille c'est uneroulotte de bohmiens.

    Troisime aphorisme : La Patrie, c'est la grandeillusion meurtrire, c'est la mangeuse d'hommes. Cette formule est au fond du pacifisme romantique,consquence naturelle des guerres pour rien du

    premier Empire. Les guerres pour rien correspon-dirent elles-mmes au principe de la nation arme,de l'appel aux armes de tous les citoyens valides,dict par la Convention. C'est une des plus grandesleons de l'histoire que le sicle de l'humanitarismeet du pacifisme thorique ait t aussi celui de l'en-rlement universel, et des plus atroces boucheries

    que le monde ait jamais connues. Ainsi l'image dela Patrie, qui est une image de conjonction, pourla dfense commune et les intrts communs, deshommes de mme langage et de mmes aspirations,a-t-elle pu tre travestie, par ses adversaires de

  • 60 LE STUPID XIXe SIBCLE.

    mauvaise foi, en une image de Baal et de Moloch.Sur ce point aussi, la dfense du libralisme, bien

    que facile, a t extrmement faible. Ou plutt, ilne s'est pas dfendu. Du moment qu'il s'inclinaitdevant le ftiche rvolutionnaire, qui ble la paixuniverselle avec les pieds dans le sang, il devaits'incliner devant le coup de faux priodique, donn travers des gnrations, devant ces mobilisations,o le grand-pre se bat aux cts du petit-fils. Mons-truosit qu'avait su viter la sage monarchie fran-aise, dans sa volont de toujours raison garder .C'est que la paix est le chef-d'uvre de la politique.Mais comment comprendraient-ils cela, les amateurset doctrinaires de la guerre civile en permanence ?On voit aujourd'hui o nous a conduits le prin-

    cipe rvolutionnaire-csarien, d'aprs lequel il

    appartenait la France de dcrter la libert aumonde ! Je ne me rappelle pas sans effroi la salle manger de Hugo, Guernesey, o une statue de laSainte Vierge, tenant dans ses bras l'Enfant Divin,tait orne des vers suivants du matre d'erreurs :

    Le peuple est petit, mais il sera grand,Dans tes bras sacrs, mre fconde,

    Libert sainte au pas conqurant,Tu portes l'enfant qui porte le monde !

    Tout le romantisme politique est l : une parodiesacrilge des Evangiles, avec, comme aboutisse-ment, le massacre. Mais, entre les deux, quel fluxde paroles et de dclarations retentissantes, justeciel, que de tribunes dresses, que d'orateurs vains!

  • STUPIDIT DE L'ESPRIT POLITIQUE. 6l

    Mirabeau, Danton, Hugo, Gambetta, Jaurs, souf-flant la mort tour de rle et de tous leurs pou-mons, en rclamant la fraternit universelle, tel estle schma de cette poque trange et qui donne son historien un frisson de colre et de dgot.

    Notons-le ici : alors que la Renaissance, en exal-

    tant l'art et la vraie science, la Connaissance en

    gnral par le commerce des anciens, donnait un

    prix infini la vie humaine, la personne (qu'il nefaut pas confondre avec l'individu) y tait honoreen raison mme des uvres belles et utiles dont onla savait capable. Elle tait releve et garantie parle suffrage professionnel des connaisseurs et des

    pairs. Au lieu que, dans la conception rformiste,encyclopdiste et rvolutionnaire, si les droits lgauxet sociaux de l'individu sont exalts, au dtrimentde la communaut, le sacrifice de la personne aunombre et au suffrage universel devient la rglecourante; il est quasi divinis. La vision du trou-

    peau l'emporte sur la vision de la personne, la vision

    de la Convention et de Bonaparte sur celle de Fran-

    ois Ier

    et de l'humanisme.A quoi le libral : Evidemment, l'ide de patrie

    est une ide reviser. Triple crtin, du moment

    que tu la revises, tu l'abandonnes, de mme quecelui qui revise sa prire abandonne du mme coupsa foi!

    C'est ainsi que nous arrivons au quatrime etvirulent aphorisme rvolutionnaire, d'aprs lequelle catholicisme et la religion en gnral font obsta-

    cle l'mancipation humaine, en accoutumant le

  • 6a LK BTUPIDB XIX* 8ICLB.

    citoyen subir. Mais quand donc le libral a-t-ilsu rpondre que le catholicisme enseigne, au con-

    traire, ne pas subir le mal, sous sa triple formede l'ignorance, de l'oppression et du dsordre?N'est-il pas, ce catholicisme, le matre et le guide decette mancipation intrieure, de cette libert dedtermination, qui est la seule libert permise etconcevable ici-bas, en ce qu'elle chappe la chanedes vnements, comme au contrle de la collecti-vit, comme la tyrannie des tissus organiques !Ce sont l vrits courantes, que la thologie ensei-

    gnait, et qui, des couvents, au cours des ges,diffusaient travers la culture franaise. Les clercs

    les transmettaient aux lacs, qui les rpandaient leur tour. C'tait cela, le clricalisme, dont le seulnom est aujourd'hui encore, aprs cent trente ansd'abrutissement mthodique, un objet d'horreur etdeterreur pour le libral.Nous pouvons, cette fois, jeter un regard d'en-

    semble sur cette obnubilation politique, d'o pleutle sang des hommes infortuns du xixe sicle. Ceregard traversera les groupes sociaux, si nous divi-

    sons ceux-ci en ouvriers, bourgeois et paysans.Avant la Rvolution, il y avait en France des

    artisans. Aprs la Rvolution, et de plus en plus, il

    y a eu et il y a en France des ouvriers d'industrie,dont l'ensemble constitue ce terme affreux, couram-ment employ par les dupeurs du peuple et politi-ciens de la dmocratie : le proltariat. Les artisans,en se groupant, constituaient les corporations, dontde'nombreux travaux d'histoire politique et sociale,

  • STUPIDIT DE L'ESPRIT POLITIQUE. M

    ceux notamment du marquis de la Tour du Pin,ont montr le rle bienfaisant dans l'architecturenationale, et les heureux rsultats quant la paixintrieure et quant au perfectionnement profes-sionnel. La rupture rvolutionnaire des corpora-tions a cr le proltariat, vritable servage dmo-

    cratique, o la masse des travailleurs, ayant troquses droits et liberts relles pour le drisoire bulletin

    de vote au suffrage universel, se trouve transformeen machine propulser des politiciens. Rgulire-ment ces politiciens, aprs s'tre hisss sur les

    paules des travailleurs, jusqu'aux sommets dupouvoir politique, rejettent et renient, une fois

    nantis, ceux auxquels ils doivent leur ascension et

    leur accession : c'est ainsi que le rengat ajoute l'amertume de la catgorie sociale, dont il prten-dait vouloir le bonheur et par qui il a fait sa for-tune. Il est remarquable qu'aprs cinquante ansd'une mascarade aussi rudimentaire que sclrate,la masse ouvrire ne se soit pas encore avise del'norme farce dont elle est la victime et continue

    fabriquer, la douzaine, des Viviani et des Briand,eux-mmes capts, puis commands, par les matresde l'or et de la Bourse. L'affaissement intellectuel

    de la classe ouvrire au xix sicle a gal celui dela bourgeoisie, ce qui n'est pas peu dire.

    Les syndicats ont t, vers la fin de ce mmexixe sicle, une rsurrection btarde des corpora-tions, sans l'ampleur et l'ingnieuse organisation de

    celles-ci, o employeurs et employs discutaient etdbattaient leurs intrts, l'abri de toute ingrence

  • 64 LE STUPIDE XIX* SIECLE.

    politique. Tels quels, ces syndicats eurent d'abord

    contre eux les libraux, partisans acharns de l'in-dividualisme esclavageur (puisqu'il est clair qu'unouvrier isol est sans recours devant son patron).Ces libraux entranrent avec eux de nombreuxconservateurs, ignorants des instructions politiquessi sages du comte de Ghambord, et aux yeux inclair-

    voyants de qui la dsorganisation du monde destravailleurs tait une condition de scurit sociale,alors qu'elle est prcisment le contraire. Pas plusque les ouvriers ne comprenaient leur vritableintrt, qui est de dvelopper le syndicalisme jus-qu'au corporatisme (excusez le vilain mot, pour labelle chose) intgral et complet, les conservateursne comprenaient le leur, qui est de faire au travailmanuel sa place aussi large et puissante que pos-sible dans les assises de la Socit, de lui assurer le

    bien-tre, la libre expression de ses dsirs, de ses

    responsabilits, la possession et la gestion de sescaisses et de ses ressources, le droit d'acqurir et

    dlguer, etc.. Alors que les rpublicains et les

    jacobins, contraints de donner un os ronger auxtravailleurs dont ils sollicitaient les suffrages, leurcontestaient et contestaient leurs syndicats le droit

    de proprit et de transmission de proprit (celaen raison des grands principes rvolutionnaires), leslibraux et un trop grand nombre de conservateursentraient