Upload
others
View
2
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
L’EPIC face au droit de l’Union
Européenne
Rapport de recherche de Master 1 Droit public
Rédigé par Aloïs Navarro
Sous la direction de Monsieur le professeur François Lichère
Année scolaire 2012-2013
Sommaire
Liste des abréviations utiles…………………………………………………… 4
Introduction……………………………………………………………………. 5
Première partie : L’Etablissement public industriel et commercial : un statut juridique
tributaire du rigorisme de la Commission………………………………………………. 9
Chapitre I : Les freins au développement des EPIC pesant dans la conduite des
affaires ……………………………………………………………………………………… 10
Section 1 : le principe de spécialité, symbole de la lourdeur d’un EPIC mal
adapté à la réalité des affaires…………………………………………………………….. 11
Section 2 : l’insaisissabilité des biens, protection extrayant l’EPIC des voies
d’exécution du droit commun …………………………………………………………….. 14
Chapitre II : L’EPIC bénéficiaire d’une garantie implicite illimitée de l’Etat
constitutive d’une aide d’Etat ……………………………………………………….. 17
Section 1 : Le droit communautaire des aides publiques et les établissements
publics …………………………………………………………………………... 18
Section 2 : une conception large de la notion d’aide d’Etat appliquée aux EPIC 21
Seconde partie L’attitude conciliatrice des pouvoirs publics français face à la
contestation communautaire de l’EPIC …………………………………………… 25
Chapitre I : La contestation de l’existence d’une garantie implicite illimitée….... 26
Section 1 : L’inexistence d’une quelconque garantie illimitée accordée aux EPIC
selon la jurisprudence administrative française………………………………… 26
Section 2 : La nécessaire autorisation expresse légale pour toute garantie de
l’Etat depuis la LOLF ………………………………………………………….. 28
Chapitre II : La privatisation, une réponse apportée pouvant se révéler insuffisante 31
Section 1 : la privatisation du statut comme réponse privilégiée par les autorités
française. ………………………………………………………………………… 32
Section 2 : L'efficacité relative de la solution de transformation des
Etablissements publics industriels et commerciaux en sociétés……………… 34
Liste des abréviations
AJDA : actualité juridique de droit administratif
art. : article
Cass. Cour de cassation
CE : Conseil d’État
CC : Conseil constitutionnel
Cass. : Cour de cassation :
CJCE : Cour de justice des Communautés européennes
CEDH : Cour européenne des droits de l'homme
CJUE : Cour de justice de l'Union européenne
EDF Electricité de France
EPIC Etablissement public industriel et commercial
JO : Journal officiel de la République française
LNE : Laboratoire national de métrologie et d’essais
LO : loi organique
LOLF : Loi organique relative aux lois de finances
LPA : Les petites affiches
n. : note
Ord. : Ordonnance
QPC : question prioritaire de constitutionnalité
R. : Recueil Dalloz
RDP : Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger
RFDA : Revue française de droit administratif
TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’union européenne
TUE : Tribunal de l’Union Européenne
Introduction
L’établissement public industriel et commercial évoque souvent, avec un parfum
suranné, « un trésor historique de l’âge d’or de l’économie administrée ». 1 Or, l’économie
administrée, c’est-à-dire sans concurrence, apparaît désormais comme dépassée par la
prédominance de l’économie de marché. Ainsi, dans la perspective actuelle, l’EPIC ne serait
plus adapté aux nouvelles contraintes de l’économie.
Définir l’EPIC conduit à se heurter aux analyses diverses des commentateurs
autorisés, souvent motivés par des éléments non uniquement juridiques, mais inclus dans un
contexte économique. Cependant, Roland Drago le définissait comme un « établissement de
nature interventionniste »2. La notion d’opérateur public à caractère interventionniste n’est
d’ailleurs pas une spécificité française. D’autres pays d’Europe comme l’Italie possédaient ses
« ente pubblico economico » telles que ENI ou Enel, ou l’Espagne ses « entidad pública
empresarial ». L’EPIC n’est qu’une des formes de l’établissement public, définit par le doyen
Georges Vedel à partir de quatre principes : la personnalité morale, l’autonomie financière, un
objet industriel et commercial et un mode de gestion proche de celui des entreprises privées,
une tutelle plus ou moins forte l’Etat ou de personnes publiques. Ainsi, l’Etat, autorité
régalienne par excellence, devient parfois acteur sur un marché économique.
Cependant, l’idée de confier la gestion des services publics industriels et commerciaux (SPIC)
à des établissements publics à caractère interventionnistes n’est qu’une des facettes possibles
choisies. En effet, jusqu’en 1991 les PTT ( Postes, télégraphes, et téléphones) étaient gérées
par l’administration publique de l’Etat.
En somme, l’établissement public à caractère industriel et commercial correspond à un des
visages juridiques que peut revêtir le phénomène d’intervention de l’Etat dans l’économie.
1 Plessix B. « l’établissement public industriel et commercial au cœur des mutations du droit administratif », JCP
A,2007, n°13, p.35. 2 Drago R. La crise de la notion d’établissement public, thèse, Pedone, 1950
L’intervention étatique par des établissements publics puise ses origines au
XIXème siècle notamment portée par un socialisme naissant, et des théories mettant l’Etat au
centre de l’économie. Jusqu’alors, c’était à l’autorité administrative qu’il revenait la tâche
d’assurer l’exécution des services au moyen de la régie3
Ainsi, l’intervention concernait le secteur industriel dans un objectif non de rentabilité, mais
dans l’intérêt général, ou encore prenait la forme d’entreprise dont la gestion des moyens de
productions était assurée par une entité publique (en excluant parfois les capitalistes) et enfin,
d’entreprises agissant comme d’autres entités privées, dans un but recherche des bénéfices.
Puis, une cassure se produisit au moment et après la Grande Guerre, accentuant l’influence de
la gestion privée dans les grands offices nationaux (office de l’azote, office du Niger, caisse
nationale du crédit agricole …).
Le décret du 15 décembre 1934 concernant les règles de comptabilité des établissements
industriels ou commerciaux de l'Etat permet la création d’un régime général commun aux
établissements industriels et commerciaux de l’Etat.
Ce fut ensuite le temps des sociétés d’économie mixte, telle que la SNCF. Puis, la période
successive à la deuxième guerre mondiale fut celle de l’affermissement et de la consolidation
des établissements publics à caractère interventionniste. Depuis 1986, nous vivons une
période de déclin de ce mode d’intervention.
En effet, on assiste à un désengagement progressif de l’Etat dans les secteurs
concurrentiels. D’un côté, le champ application du droit de la concurrence a cru, ce qui s‘est
traduit par une focalisation de l’action économique de la puissance publique sur des domaines
restreints tels que l’énergie ou les transports.
Sous les coups de boutoirs successifs ou de concerts de la mondialisation, financière et
marchande, du droit de la concurrence, et du droit communautaire, notamment des aides
d’Etat, le nombre d’opérateurs publics s’est considérablement réduit4. Ainsi, le nombre
3 Jacques CHEVALLIER, La place de l'établissement public en droit administratif.
4 « A la fois clé de voûte de notre système économique et social et incarnation du droit public, du colbertisme
des grands projets industriels et technologiques, nos grands établissements publics nationaux sont tout
particulièrement mis en question par les règles de concurrence, la dérégulation, le libre-échange du Grand
Marché » Rapport De l’ENA, 1997, Services publics comparés en Europe
d’entreprises contrôlées par l’Etat est passé d’environ 3500 en 1986 à presque 1500 en l’an
2000, chute de même ampleur en ce qui concerne le nombre de salariés (2.35 millions à 1.1
durant le même intervalle). Concernant le poids dans l’économie, en 1986, la valeur ajoutée
des entreprises publiques dans le PIB hors activité financière s’élevait à 25% contre 11.5% en
20005. En comptabilisant les activités financières, la part de l’emploi public par rapport à
l’emploi salarié total est passée de 10.5% en 1985 à 3.4% en 20106
Il convient donc de s’interroger sur les facteurs et les raisons de cette évolution.
Cette irrémédiable chute de l’EPIC, de plus en plus métamorphosé en société de
droit privé, est un fait considérable. En effet, TDF (télédiffusion française) fut transformée en
SA en 1987, SEITA (Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes) en
1980, France Télécom en 1996, l’ADIT (Agence pour la diffusion de l'information
technologique) devenue SA en 2003, GDF et EDF en 2004, Aéroport de paris en 2005, et
dorénavant la Poste depuis 2010. Les éléments favorisant le déclin des EPIC sont les critiques
fréquemment adressées sur les fonctions de direction, la tutelle de l’autorité publique et enfin
la pression du droit de l’Union Européenne sur les décisions de l’Etat actionnaire.
Cette disparition programmée de l’EPIC est corroborée par l’attitude de la
Commission européenne. En effet, depuis quelques années (début des années 2000), la
commission considère que le statut d’EPIC rendrait impossible l’application des procédures
de redressement et de faillites, ce qui s’apparenterait à une garantie « illimitée dans sa
couverture, dans le temps, et dans son montant » et constituerait une aide d’Etat7. Suite à une
série de lettres des autorités européennes, enjoignant la France de supprimer cette garantie (
EDF, LNE, la Poste), l’actualité récente reste vigoureuse, comme en témoigne la décision du
Tribunal de l’Union Européenne (TUE) du 20 septembre 20128 dans laquelle le TUE rejette le
recours formé par la France contre la décision de la Commission européenne relative à la
garantie susvisée concernant la Poste. De ce fait, c’est la première fois que l’existence de cette 5 « 1985-2000 : quinze années de mutation du secteur public d’entreprises Hervé Loiseau, division Synthèse des
statistiques d’entreprises », Insee N° 860 – Juillet 2002.
6 Répertoire des entreprises contrôlées majoritairement par l'État en 2011, Insee Résultats N° 63 Economie -
décembre 2012
7 Communication de la commission du 11 mars 2000 sur l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides
d'État sous forme de garanties 8 TUE, 20 septembre 2012, République française c/ Commission européenne, aff T-154/10
garantie est affirmée par un juge européen, fut-il de première instance. La SNCF est
également concernée par cette procédure. Le 11 février 2010, fut adressée par la commission
à la France une information lui demandant de mettre fin à la garantie implicite illimitée. Les
conséquences de l’arrêt du TUE pourraient donc jaillir sur le statut d’EPIC de l’opérateur
ferroviaire ainsi que sur la RATP, ou RFF. Ainsi, le journal « le Monde », citant un
fonctionnaire européen, confirme que l’analyse est valable pour le statut d’EPIC en général, et
ne constitue pas un cas spécifique à la Poste9.
L’ouverture à la concurrence croissante de marché, impulsé par le droit de l’UE, conduit-t-elle
à la condamnation à mort de l’EPIC par les autorités européennes ?
Pour ce faire, nous verrons d’abord que l’avenir de l’EPIC est incertain au regard de l’attitude
des autorités communautaires (Partie 1), puis que les autorités françaises ont parfois
anticipées, et choisies une solution qui ne résout peut-être pas tous les problèmes : la
privatisation (partie 2).
9 « Mais à Bruxelles, on ne cachait pas que la décision risquait de faire jurisprudence. "L'analyse vaut pour le
statut d'EPIC en général, affirme un fonctionnaire européen. On peut en tirer la conclusion que cette approche
peut être transposée à d'autres cas." Le statut de la SNCF et de la RATP en question, Le Monde 21.09.2012.
Première partie
L’Etablissement public industriel et
commercial : un statut juridique tributaire
du rigorisme de la Commission
Suite à l’ouverture croissante de pans entiers de l’économie à la concurrence, la
commission fut amenée à scruter notamment les aides publiques éventuelles liées à la
disparition de certains monopoles d’Etat. En effet, les seuls EPIC concernés sont ceux
agissant sur un marché concurrentiel car la qualification d’Aide d’Etat ne recouvre que les
activités susceptibles d’affecter les échanges10
(Chapitre 2). Cependant, l’une des principales
justifications apportées par la commission au soutien de l’existence d’une garantie implicite
illimitée est l’impossibilité de recourir aux voies d’exécution de droit commun pour les EPIC
ainsi que le principe de spécialité. (chapitre 1).
Chapitre I : Les freins au développement des EPIC pesant dans la
conduite des affaires
Le statut d’EPIC essuie souvent les critiques de la doctrine quant à ses lourdeurs intrinsèques.
Donné comme parangon de cette inadaptation à la réalité des affaires, le principe de spécialité
est souvent décrié (section 1). De plus, le principe d’insaisissabilité des biens des personnes
publiques a pu donner du grain à moudre à la fois aux détracteurs de l’EPIC mais aussi à la
commission européenne ( section 2).
10 Par exemple le cas de la SNCF, Projet de la Commission européenne du 21 déc. 2007 sur les aides d'état aux
entreprises ferroviaires, IP/07/1990.
Section 1 : le principe de spécialité, symbole de la lourdeur d’un
EPIC mal adapté à la réalité des affaires.
Il est souvent invoqué pour justifier l’inadaptation de l’EPIC à la réalité des
affaires et au marché concurrentiel, le principe de spécialité des établissements publics. Il
ferait ainsi obstacle au développement économique des EPIC. La commission de Bruxelles,
dans sa communication relative à EDF rappelle d’ailleurs l’existence de ce principe11
, tout en
constant que la jurisprudence française a eu une appréciation large, voire laxiste du principe12
.
Il s’explique par le fait que l’EPIC restant attachés juridiquement à l’Etat, poursuit également
un but d’intérêt général et non de rentabilité.
Le principe de spécialité transcende tous les établissements publics. Il fut consacré
comme principe général du droit par le Conseil d’Etat13
, et a pu être évoqué pour la RATP
( Régie autonome des transports parisiens) (CE, 29 décembre 1999, n° 185970), l’EDF (Avis
du Conseil d'Etat 7 Juillet 1994) en ce qui concerne le traitement des déchets, l'ingénierie, de
l'éclairage public, de la télésurveillance, de la domotique, des réseaux câblés ou de la
cartographie, ou GDF (« de l'exercice par l'établissement GDF ou par une de ses filiales
directes ou indirectes, d'activité du secteur concurrentiel dans le domaine de la vente de
chaleur, du génie thermique et climatique, de l'exploitation d'installations thermiques, du
traitement des ordures ménagères, et de la cartographie »)
11
la Commission aurait dû procéder à une appréciation globale des prérogatives et des sujétions des EPIC, et
non se contenter de mettre en valeur certains privilèges. Les EPIC sont en effet soumis à certaines contraintes
statutaires, telles que le principe de spécialité et l’interdiction des clauses compromissoires, qui les
désavantagent par rapport aux sociétés commerciales. En outre, la Commission ne tient pas compte des
obligations de service public qui pèsent sur EDF 12
La Commission constate néanmoins que ce principe de spécialité n’a pas fait obstacle à une certaine
diversification des activités d’EDF 13 CE, Sect., 4 mars 1938, Consorts le Clerc, R. p. 229
Il impose aux établissements publics de ne posséder que des compétences d’attribution qui
sont énumérées dans leur statut. Pour les EPIC, cela concerne l’objet du service, les
ressources, les modalités de fonctionnement14
.
Conformément au principe du parallélisme des formes, pour changer de domaine
d’intervention, une loi (ou parfois un règlement) est nécessaire.
Mais, l’attitude du juge fut parfois conciliante. Certains diront même que le
principe de spécialité a perdu toute signification en raison de la jurisprudence du juge
administratif. Ainsi, V. Fouache fait remarquer que " la jurisprudence révèle que les juges ont
toujours eu une conception extensive du principe de spécialité"15
et qu’il est « difficile de
soutenir que les établissements publics industriels et commerciaux ont une sphère d'activités
fondamentalement différente de celle des sociétés anonymes, malgré le principe de spécialité
qui les définit ».
Cependant, le principe de spécialité n’est pourtant pas vidé de sa substance. Le cas d’EDF est
frappant. Les lourdeurs imposées par le principe de spécialité ressortent notamment de l’arrêt
de 1994 du Tribunal administratif de Paris qui a jugé que l’EDF ne pouvait réaliser des
activités d’ingénieries contraires à son activité principale16
Le Conseil d’Etat a participé à ce
mouvement d’explicitation en rappelant que le principe de spécialité s’appliquait même en cas
de filialisation de l’entreprise, aux filiales acquises par l’EDF17
. Cette dernière ne peut donc
contourner le principe, poussant le législateur à voter une loi privatisant le statut des deux
sociétés en 2004 et adoptant ainsi un objet social plus large, ayant trait aux missions de
service public classiques d’EDF et à une disposition balai à la tournure assez générale.
Comme le montre Martine Lombard, toutes les activités semblent être appréhendées par ce
nouveau dispositif.
14 CE Union syndicale des industries aéronautiques 16/11/1956 15
V. Fouache, Etablissement public et société commerciale. Le devenir de l'établissement public industriel et
commercial, thèse, Paris II, 2006 p377 16
TA Paris 25 mai 1994, Chambre syndicale des sociétés d'études techniques et d'ingénierie 17
CE 11 juillet 2001, Syndicat CGT de la société Clemessy
Néanmoins, si le Conseil d’Etat fait en sorte de ne pas interpréter de manière trop
restrictive le principe de spécialité, c’est dans le but de ne pas réduire trop considérablement
le champ d’intervention des EPIC18
. De fait, il a reconnu la possibilité pour les EPIC
d’exercer des activités annexes19
.
Le principe de spécialité cède le pas lorsque deux conditions sont remplies : l’activité
nouvelle souhaitée doit être un complément normal de la mission statutaire principal de
l’EPIC sans être pour autant une activité indispensable. Puis dans un avis du 12 juillet 1992 de
la section travaux publics, l’activité doit être d’intérêt général et un intérêt direct pour
l’amélioration des conditions d’exercice de l’activité principale comme « son adaptation à
l'évolution technologique, aux impératifs d'une bonne gestion des intérêts confiés à
l'établissement, en développant le savoir-faire de ses personnels et la valorisation de ses
compétences ».
Mais il semble toutefois nécessaire de modifier la loi de nationalisation de 1946 obligeant les
EPIC à rester dans le cadre de leur activité originelle sans trop s’en écarter. Pour la RATP, le
législateur a dû adopter une loi le 14 décembre 2002 pour autoriser la RATP « à exploiter des
réseaux de transport de voyageurs hors de la région parisienne »20
.
Ce qui conduit à une certaine rigidité. Il peut résulter une incertitude et insécurité juridique
quant à la licéité d’une activité qui n’aurait pas été approuvée légalement ou
réglementairement. (le juge pourrait annuler tous les actes pris pour cette activité, ce qui
conduit à des lourdeurs dilatoires de la procédure qui semble mal appropriée au besoin
d’adaptation rapide de l’environnement économique moderne).
L’avantage d’une société anonyme étant par ailleurs que ce sont les actionnaires (en
l’occurrence principalement l’Etat pour EDF) qui peuvent procéder à la modification de
l’objet social, permettant ainsi plus de souplesse.
Une autre rigidité est celle de l’impossibilité de recourir à l’arbitrage, moyen pourtant courant
dans le domaine des affaires (CE 13 décembre 1957, Société nationale de vente des surplus),
même si certaines dérogations sont octroyées).
18
avis du 7 juillet 1994 relatif à la diversification des activités d'EDF et GDF 19
CE 18 Décembre 1959 Sieur Delansorme Et Autres 20
Conseil d’Etat – Rapport d’étude sur les établissements publics de 2009
Section 2 : L’insaisissabilité des biens, protection extrayant
l’EPIC des voies d’exécution de droit commun ?
La déduction de l’impossibilité d’exercer des voies d’exécution de droit commun
sur les EPIC provient du fait de l’existence spécifique du principe d’insaisissabilité des biens
des personnes publiques. La Commission a d’abord justifié l’existence de cette garantie
illimitée par le fait que le statut d’EPIC octroie à l’opérateur public concerné un avantage
puisque ses biens sont insaisissables, ce qui fait obstacle à toute procédure de faillite ou
d’insolvabilité. Elle tire ce principe d’insaisissabilité des biens des personnes publiques de
l’article L 2311-1 du code général de la propriété des personnes civiles. Il s’agit en réalité
d’un principe général du droit consacré par l’arrêt rendu en 1987, « Bureau de recherches
géologiques et minières (BRGM) c/ Sté Llyod continental » par la Cour de cassation.21
Ainsi,
les établissements publics semblent s’affranchir des règles relatives aux voies d’exécution de
droit commun comme ce fut établit par l’arrêt TC 1899 Consorts Ducornot c/ association
syndical du canal de Gignac.
Cependant, la jurisprudence française a pu envisager la possibilité de recourir aux
voies d’exécution de droit commun pour EPIC. En effet, la Cour d’appel de Paris a pu juger le
11 juillet 1984 que le refus de la SNCF de procéder au paiement des cotisations d’assurance
garantie des salariés au motif qu’elle ne pouvait pas faire faillite car elle disposait d’une
garantie de l’Etat était infondé. La SNCF anciennement SA, venait d’être transformée en
EPIC par une loi en 1982. La Cour d’appel a estimé que du fait que la SNCF n’était pas
soumise aux règles de comptabilité publique, elle pouvait faire l’objet d’une saisie-arrêt.
(qui est une procédure permettant à un créancier de faire pratiquer par un huissier de justice
une saisie des comptes bancaires de son débiteur et d’obtenir le paiement des sommes qui lui
sont dues). On pouvait donc conclure à une absence de spécificité des EPIC par rapport aux
sociétés de droit privé. Cependant, la Cour d’appel a rajouté que les EPIC non soumis aux
21
Cass 1re civ. 21 décembre 1987 Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) c/ Sté Llyod
continental n° 86-14167
règles de comptabilité publique pouvaient faire objet d’une saisi-arrêt si cela n’entravait pas,
en raison des biens saisis, la continuité du service public. La limite est donc celle du principe
à valeur constitutionnelle de continuité du service public.
Cette analyse fut par la suite cassée par la juridiction suprême de l’ordre judiciaire.
La Cour de cassation rappelle donc le principe d’insaisissabilité des biens des personnes
publiques qui est un principe général du droit dans l’arrêt « BRGM » précité.
La Cour de cassation accorde donc une prime à l’analyse se fondant sur une distinction
statutaire entre EPIC et opérateur privé, au détriment de celle de la Cour d’appel de Paris
notamment, s’intéressant à l’affectation des biens en cause et son caractère nécessaire à la
continuité du service public.
Les biens étant insaisissables, les voies d’exécution de droit commun semblent ne
pas s’appliquer. C’est ce qu’il ressort des décisions de la Commission notamment celle
concernant EDF de 200322
, qui, dans son point 65 lie principe d’insaisissabilité et non-
soumission aux procédures de faillite ou d’insolvabilité aux personnes publiques
(« l’inapplicabilité de la procédure de faillite ou d’insolvabilité aux personnes publiques est
un corolaire du principe d’insaisissabilité de leurs biens, l’obligation de l’Etat de répondre de
leurs dettes en cas de défaillance découle du même principe »)23
La commission retient
d’ailleurs une conception large du principe d’insaisissabilité.
L’établissement public industriel et commercial bénéficie, au sens de la
Commission, d’une triple « protection » qui comprend l’insubordination aux voies
d’exécution de droit commun, mais aussi la non-soumission aux procédures de sauvegarde, de
redressement ou de liquidation judiciaire des articles L620 du code commerce, et enfin la non-
compensation entre les dettes et les créances. En effet, les dispositions relatives aux mesures
de sauvegarde et de liquidation judiciaire (respectivement articles L620-2 et L640-1 du code
22
Décision du 16 décembre 2003 relative aux aides d’État accordées par la France à EDF et au secteur des
industries électriques et gazières (JO 2005, L 49, p. 9) 23 point 65 de la décision et point 11 « L’inapplicabilité des procédures d’insolvabilité et de faillite aux personnes
morales de droit public découle du principe général d'insaisissabilité des biens des personnes publiques reconnu
par la jurisprudence française depuis la fin du XIXe siècle »
de commerce) issues de la loi du 25 janvier 1985 ne s’appliquent pas expressément aux
personnes publiques24
. Ainsi, les Etablissements publics, qui ne sont pas expressément
mentionnés dans cet article, ont été écartés du champ d’application des dispositions relatives
aux entreprises en difficulté, n’étant pas vu comme des « commerçants ».
C’est donc l’insaisissabilité des biens qui oblige l’Etat à se porter garant. Ceci constitue une
extension du principe original.
Par ailleurs, A .Delion rappelle que l’EPIC étant un démembrement d’une
collectivité publique, l’Etat serait alors le seul garant possible au cas où ses créanciers se
retourneraient contre l’EPIC, puisqu’aucune procédure de redressement n’est applicable25
.
En effet, en cas d’insolvabilité du concessionnaire d’une collectivité publique, cette dernière
engage sa responsabilité envers les tiers.
La Commission s’appuie également sur la loi 16 juillet 198026
qui prévoit des dispositions
spécifiques relatives aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des
jugements par les personnes morales de droit public. En cas de défaillance d’un établissement
public, le créancier peut saisir le juge compétent aux fins de demander la condamnation de la
personne publique au paiement de la somme d’argent dont le montant sera fixé par la
décision. Cependant, lorsqu’une personne publique est effectivement enjoint à payer ces
sommes mais que le délai de mandatement ou d’ordonnancement est dépassé, l’autorité de
tutelle (le plus souvent le préfet) procède au mandatement d’office lorsque des crédits
suffisants sont inscrits au budget.
Ce mécanisme ne s’apparente nullement à une obligation pour l’autorité de tutelle de payer
les sommes sur le budget de l’Etat27
. En somme, l’autorité de tutelle doit procéder à la
24
Article L620-2 : « La procédure de sauvegarde est applicable à toute personne exerçant une activité
commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité
professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire
ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé » 25 DELION, « Les garanties d’État et leur évolution », RJEP/CJEG, 2004, n° 613, p. 417 26
Loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution
des jugements par les personnes morales de droit public 27
C. Landais et F.Lenica, le pouvoir de substitution du préfet en cas d’inexécution de la chose jugée par les
collectivités territoriales, AJDA 2006
création, au sein du budget de la collectivité publique (et non de l’Etat), les recettes
nécessaires au règlement d’une dette.
Quel serait l’intérêt d’avoir ces dispositions alors qu’on pourrait selon commission
directement demander à l’Etat les sommes ?
Cette démarche fut au surplus critiquée par Martine Lombard, ou le professeur Gaudemet, y
voyant, dans cette disposition, un inconvénient puisque l’établissement en cause ne peut
recourir aux mécanismes de sûreté du droit commun facilitant l’octroi de crédit.
De plus, la non-application de l’article L620-2 relatif à la sauvegarde excluant les personnes
publiques n’est pas tout à fait une faveur faite, car les EPIC pourraient demander la cessation
des poursuites de ses créanciers en pareil cas ce qui est visiblement impossible en raison du
principe général d’insaisissabilité des biens. Le bénéfice d’un avantage est donc sujet à
caution.
Chapitre II : L’EPIC bénéficiaire d’une garantie implicite
illimitée de l’Etat constitutive d’une aide d’Etat
La commission a recours à la notion d’aide d’Etat pour scruter les comportements
éventuellement anticoncurrentiels des opérateurs publics sur un marché donné. Il faut donc
rappeler quels en sont les principes et les fondements (section 1). Enfin, la commission
conclue à l’existence d’une aide d’Etat consécutive à la garantie dont bonifieraient les EPIC
(section 2).
Section 1 : Le droit communautaire des aides publiques et les
établissements publics
Plusieurs dispositions des traités européens peuvent être citées à l’appui d’une
argumentation relative à l’évolution des EPIC en sociétés. On retrouve en premier lieu
l’article 345 TFUE qui stipule un principe de neutralité des traités sur le régime de propriété
des Etats membres28
. Puis, les articles 107 et 108 du TFUE relatifs aux aides d’Etat, et enfin,
l’article 106 §2 du TFUE relatif aux entreprises chargées de la gestion des services d’intérêt
économique général (SIEG) qui pose une exception générale (qui renvoie à une certaine
conception française du service public) puisque les SIEG sous soumis aux règles de la
concurrence « dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à
l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».
Le droit de l’UE ne fait aucune distinction entre entreprise sous forme de société et
établissement public soumettant les deux formes statutaires aux mêmes règles (c’est ce qu’il
ressort de la directive 2006/111/CE de la Commission du 16 novembre 2006 relative à la
transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques
ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises)
La jurisprudence de la CJCE a une conception large de la notion d’entreprise puisqu’elle
considère que toute entité exerçant une activité économique est considérée comme une
entreprise quel que soit son statut juridique ou son mode de financement29
. Et ce même si la
structure ne bénéficie pas de la personnalité morale. De manière générale, la Commission
entend par activité économique toute « activité avec but lucratif ou non, qui implique des
échanges économiques ».
La jurisprudence européenne distingue de ce fait les activités économiques et non
économiques, et extrait les activités sociales fondées sur le principe de solidarité du champ du
28
« les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres» 29
CJCE Höfner et Elser 23 avril 1991 aff C-41/90
droit de la concurrence30
, tout comme les missions de polices ou les activités mettant en
œuvre des prérogatives de puissance publique31
.
Il reste que l’entreprise publique est définie comme « une structure bénéficiant
d’une autonomie, ayant une activité économique et soumise à l’influence prépondérante d’une
personne publique » 32
ce qui constitue une conception large.
Il existe néanmoins des SIEG, qui peuvent être amenés à être extraits des règles de
concurrence. Plusieurs conditions cumulatives sont exigées pour constituer un SIEG. Il
recouvre des activités du secteur marchand remplissant des missions d’intérêt général et donc
soumises à des obligations de service public33
. De plus, la dite mission doit afficher des
particularités propres, différentes de celles d’opérateurs privés34
, la CJUE les analyses de
manière in concreto comme des obligations particulières mises à la charge de l’opérateur par
l’Etat. De plus, un acte exprès de l’autorité publique doit avoir investi l’opérateur de cette
mission35
. Enfin, la Cour réalise un test de nécessité de la mesure de protection et de
proportionnalité entre l’objectif poursuivi et la mesure prise. Les autorités publiques peuvent
imposer à un opérateur des obligations de service public. Il arrive que le droit de l’UE
organise des exceptions quant aux éventuelles compensations qui peuvent résulter de la perte
potentielle due aux obligations de service public que l’Etat ou les collectivités territoriales
viendraient à accorder en participant au financement du service, ce qui peut être contraire au
principe de libre concurrence.
Cependant, comme nous l’avons vu, ces dérogations sont rares et la règle est la soumission
des établissements publics aux mêmes règles que les opérateurs privés sur un marché
concurrentiel.
30
CJCE,23 février 1993, Poucet et Pistre 31
CJUE 29 avril 2010, Commission c/ Allemagne, C-160/08. 32
S.Nicinsky, Droit public des affaires, p 323), 33
Communication sur les SIEG, JOCE n°C 17, 19 janvier 2001, page 4 34
CJCE 10 février 2000, Deutsche Post aff. C-147 35
CJCE 21 mars 1974 BRT, aff. 127/73
Ainsi, les opérateurs publics sont aussi soumis au droit des aides d’Etat. C’est
l’article 107,1 du TFUE qui définit la notion d’aide d’Etat. Le droit de l’UE n’envisage une
aide que si elle bénéficie à opérateur économique et si elle est dépourvue de contrepartie.
Un important arrêt a posé les quatre éléments qui constituent d’une aide d’Etat36
. La mesure
doit être d’origine étatique, procurer un avantage au bénéficiaire, être susceptible d’affecter
les échanges entre les Etats membres, et de fausser concurrence.
Le droit de l’UE ne tient aucun compte de la forme ou des objectifs des mesures dans le cadre
des régimes d’aides d’Etat. Les seules choses prises en compte notamment par la Cour de
justice de l’UE sont l’origine de la mesure et l’effet de la mesure.
Premièrement, la mesure doit donc employer des ressources étatiques et être imputable à
l’Etat37
. Dans l’arrêt CJCE 2001 Prussen Electra, la cours estime que l’origine étatique de
l’aide au sens article 107 TFUE doit être interprétée comme signifiant que l’avantage accordé
a dû représenter un cout pour l’Etat.
Deuxièmement, elle doit être imputable à l’Etat. C’est ce qui ressort de l’arrêt de la CJCE
2004 Pearl BV. Ainsi, sont inclues les aides délivrées par des organismes agissant sous
l’influence de l’Etat, même s’il n’y a pas d’instruction de l’Etat. De plus, une manifestation de
volonté doit s’exprimer au moment de la délivrance de l’aide.
Troisièmement, elle doit procurer un avantage économique au bénéficiaire de la mesure. Ceci
recouvre deux caractéristiques. D’abord la mesure doit être dépourvue de contrepartie, ensuite
elle doit constituer un avantage anormal (ce qui s’apprécie au regard de la sélectivité de
l’aide38
( La Cour rappelle par ailleurs qu’elle s’attache davantage aux effets de la mesure
qu’aux techniques utilisées).
En outre, elle doit affecter les échanges entre Etats membres. Il suffit de démontrer que l’aide
pourrait avoir des effets sur les échanges intracommunautaires, pour que le critère soit
rempli39
. Pour les EPIC, seuls ceux agissant sur un marché en concurrence sont affectés,
puisque les autres n’entrent pas en concurrence avec des opérateurs établis dans d’autres Etats
membres.
36
CJCE 1990 Belgique contre commission. 37
CJCE 2002 République Française contre commission, stardust 38
CJCE 2002 République Française contre commission, stardust 39
CJCE 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze, C-222/04
Enfin, la mesure ne doit pas restreindre la concurrence, ce qui s’analysait auparavant comme
une condition quasi-automatique, mais la Cour s’est livrée à un véritable contrôle dans l’arrêt
Chronopost de 200840
et s’assure que la mesure contestée ne change pas la structure du
marché en cause, et qu’elle n’affecte pas la situation des opérateurs concurrents déjà présents
sur le marché.
Ainsi, « toutes les interventions capitalistiques de l'Etat tombent sous le coup de la
qualification d'aide d'Etat. La Cour a jugé que "l'intervention des pouvoirs publics dans le
capital d'une entreprise, sous quelque forme que ce soit, peut constituer une aide étatique
lorsque les conditions visées à l'ex-article 92 du Traité sont remplies" »41
.
Section 2 : une conception large de la notion d’aide d’Etat
appliquée aux EPIC
La Commission européenne a également exigé la suppression de la garantie dont
bénéficiaient les établissements bancaires allemands en vertu d'un principe général du droit
allemand42
. Ce régime a effectivement disparu en 2004.
La commission procède par une demande formelle pour supprimer la garantie
implicite vue comme une aide d’Etat, ce qui est le plus souvent contesté par les autorités
françaises qui forment des recours juridiques. Mais, au final, les pouvoirs publics français
40
CJCE 1er
juillet 2008 Chronopost , C-341/06 41
CJCE 21 mars 1991, Italie c/ Commission, C-305/89 42
Comm. CE, déc. 27 mars 2002, aide n° E 10/2000, Allemagne, garantie d'État en faveur des établissements
publics de crédit : JOCE n° C 150, 22 juin 2002, p. 7
accepte la transformation de l’EPIC en société de droit privé. Par exemple en ce qui concerne
la Poste, elle a procédé à une recommandation en 2006 pour mettre fin garantie avant 2008 au
motif que l’état pourrait être tenu responsable en dernier ressort de ses droits et obligations.
Le 11 février 2010 : la commission demande à la France mettre fin garantie implicite illimitée
dont bénéficierait la SNCF et qui serait constitutive d’une aide d’Etat en raison du statut
d’EPIC de la SNCF43
. Du fait de sa forme juridique, elle bénéficie d’une garantie implicite,
qui est incompatible avec les traités et notamment avec la politique d’aide d’Etat (article 107
TFUE).
Ainsi, ce n’est pas le seul EPIC contesté du fait de l’existence d’une garantie implicite.
Une conception quasi déterministe de la causalité conduit la commission à s’intéresser à tous
les EPIC. Elle est amenée à appliquer les raisonnements précédemment énoncés en
appréhende tous les EPIC44
La garantie implicite qui découle du statut d’EPIC provient en réalité d’une notion extensive
de la définition d’aides publiques. En effet, la CJCE a dû interpréter les articles du TFUE, et
en a, bien souvent, étendu la notion à des champs jusqu’alors non touchés. De plus, la
commission interprète de manière large le principe d’insaisissabilité des biens des personnes
publiques.
La commission entend la définition d’aides publique d’une manière large. Comme
nous l’avons rappelé, l’article 107 TFUE pose le principe de l’interdiction d’aides d’Etat.
Pour le cas particulier que nous étudions (c’est-à-dire l’application de la notion d’aide d’Etat
aux EPIC), la Commission a apporté une interprétation spécifique de l’application de la
politique d’aides d’Etat constitutives d’une garantie implicite.
Dans un premier temps, dans sa communication de 2000, elle rappelle principe de neutralité
de l’article 345 du TFUE45
. Dans cette même communication, elle affirme que les garanties
43
SNCF Rapport d'information n° 55 (2010-2011) de M. Francis GRIGNON, fait au nom de la commission de
l'économie, déposé le 20 octobre 2010 44
« la Commission a pris cette décision avec l'intention délibérée d'obliger la France à aligner le statut de cette
entreprise, un statut d'EPIC, sur celui du droit commun des sociétés commerciales » H. Courivaud, Droit de
la concurrence et entreprises publiques. L'adaptation des entreprises publiques françaises à un environnement
concurrentiel mondialisé : J.Cl. Concurrence-Consommation, Fasc. 122, n° 51)
qui accordent des conditions de crédit plus favorables pour les entreprises dont le statut exclu
les procédures de faillite, d’insolvabilité ou une couverture des pertes par l’Etat, sont
constitutives d’une aide publique. (« les garanties illimitées, par opposition aux garanties
limitées dans leur montant et/ou dans le temps: la Commission estime que constituent
également une aide sous forme de garantie les conditions de crédit plus favorables obtenues
par les entreprises dont le statut légal exclut la possibilité d'une procédure de faillite ou
d'insolvabilité ou prévoit explicitement une garantie, de l'État ou une couverture des pertes par
l'État » ) La commission a de nouveau fournie une interprétation en 2008 de ce qu’elle
entendait par garantie implicite constitutive d’une aide d’Etat46
. Cette fois-ci, elle précise son
raisonnement en distinguant garanties illimitées, et limitées tout en renouvelant l’apport de la
précédente communication.
Ainsi, les garanties limitées, c’est-à-dire celles qui sont suffisamment définies dans le temps
et dans leur montant, ne sont pas constitutives d’une aide d’Etat, contrairement aux garanties
illimitées.
La commission indique par ailleurs que l’effectivité de la mise en œuvre en pratique de cette
garantie n’est pas nécessaire pour que la qualification d’aide d’Etat soit remplie, l’existence
théorique de cette garantie suffit à caractériser l’aide d’Etat et non pas un paiement effectif.
Enfin, la commission établit un lien entre le statut de l’opérateur public EPIC et l’aide d’Etat,
car du fait de son statut, l’opérateur bénéficierait d’une garantie implicite illimitée.47
Le statut d’EPIC suffit, selon la commission, à ce que l’Etat se porte garant en toute
hypothèse de la défaillance de l’entreprise puisque la forme juridique de l’opérateur interdit
toute procédure de faillite.
Cependant, la notion d’aide publique appréhende de plus en plus de situations. En effet, les
secteurs soumis à la concurrence étant croissant, la politique communautaire d’aide d’Etat
s’adresse donc à de plus en plus d’EPIC. Tel est le cas par exemple pour le secteur du
transport ferroviaire, ouvert à la concurrence pour le fret depuis 2006, pour le transport
45
2000/C 71/07, Communication de la Commission sur l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides
d'État sous forme de garanties 46
Communication de la Commission sur l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d'État
sous forme de garanties (2008/C 155/02) 47
Comm. CE, déc., 16 déc. 2003, relatif aux aides d'État accordées par la France à EDF : JOUE n° L
49, 22 févr. 2005, p. 9, pt 58 : la garantie existe « au moment où la garantie est offerte, c'est-à-dire
dans l'acte de création d'EDF sous la forme juridique d'établissement public industriel et commercial »
international depuis 2009, et pour les lignes nationales d’ici 201948
. Ainsi, les entreprises qui
bénéficient garantie illimitée devront être modifiées comme la SNCF, montrant que c’est le
statut des anciens monopoles publics qui pose problème.
Le Tribunal de l’UE, suite à un recours de la France à l’encontre de la décision du
26 janvier 2010 de la commission, a rendu le 20 septembre 201249
un arrêt confirmant pour
l’essentiel l’attitude empruntée par la Commission de Bruxelles. Entre temps, la Poste avait
changé de statut par la loi du 9 février 2010, devant ainsi société anonyme.
Le tribunal rappelle au préalable les conditions qui caractérisent un aide d’Etat, comme pour
les précédentes décisions. Il faut donc une intervention de l’Etat ou au moyen de ressources
de l’Etat susceptibles d’affecter les échanges intra-communautaires, accordant un avantage à
son bénéficiaire et menaçant de fausser la concurrence.
Il faut souligner que l’arrêt insiste peu sur le caractère effectif du transfert de ressources
nécessaire à la qualification d’aide d’Etat. En effet, la garantie illimitée n’étant que
potentielle, il aurait pu être décidé, comme cela le fut pour France Télécom, que
l’engagement de l’Etat n’était pas assez « précis, inconditionnel et ferme »50
. Mais les
autorités françaises n’avaient pas invoqué ce point face à la commission.
Cet arrêt marque un tournant, puisque c’est la première fois que la justice communautaire
reconnait l’existence de la garantie implicite illimitée.
48
Transport ferroviaire, en route pour la concurrence, euractiv.fr, 01/02/2013 49
aff T-154/10, France c/ Commission 50
TUE 21 mai 2010, aff. T425/04 France c/ Commission
Seconde partie
L’attitude conciliatrice des pouvoirs
publics français face à la contestation
communautaire de l’EPIC
Les autorités françaises ont accueilli les demandes de la Commission souvent en
contestant devant la justice communautaire les arguments de Bruxelles. Ainsi, certains
commentateurs autorisés ont pu montrer que la garantie litigieuse n’existait pas en droit ou en
fait dans l’ordre juridique interne (Chapitre I). La politique de la commission en matière
d’aide publique conduit évidemment à une incitation à renoncer à la propriété publique. La
pratique de la privatisation reste de la compétence des Etats, mais elle est encouragée et la
manière dont l’Etat privatise reste sous la surveillance de du droit UE51
(Chapitre II).
Chapitre I : La contestation de l’existence d’une garantie implicite
illimitée
La doctrine a pu émettre des réticences à l’égard de l’existence juridique réelle de la garantie
implicite dénoncée par les autorités communautaires, arguant de son inexistence en droit
français (section 1), et d’un garde-fou nouvellement établi : l’autorisation préalable des
garanties par la LOLF (section 2).
Section 1 : L’inexistence d’une quelconque garantie illimitée
accordée aux EPIC selon la jurisprudence administrative française
Le raisonnement de la commission a pu être contesté de par ses faiblesses. En effet,
51
M. Karpenschif, La privatisation des entreprises publiques : une pratique encouragée sous surveillance
communautaire : RFD adm. 2002, p. 95.
l’existence de la garantie ne provient que du statut d’EPIC et fait reposer son argumentation
sur une note de 1995 relative à l’examen du projet de loi relatif à l’action de l’Etat dans les
plans de redressement du Crédit Lyonnais et du Comptoir des Entrepreneurs créant un
établissement public pour supporter la charge financière, dans lequel figurait le fait qu’un
EPIC bénéficiait de la garantie d’Etat en raison même de son statut, plaçant ainsi l’EPIC dans
une situation plus intéressante que les autres opérateurs de droit privé. Il ne s’agit pas d’un
avis mais simplement d’une note au gouvernement.
La Commission a cependant fait évoluer son argumentation en déduisant la garantie de la
non-soumission des EPIC aux procédures de redressement ou de liquidation judiciaire, et
donc de faire faillite, favorisant l’établissement dans ses engagements.
La Commission ne semble pas peser le pour et le contre, et ne prend en compte que les
arguments plus favorables à son idéologie.
Le professeur Gaudemet montre que les établissements publics ne sont pas placés dans une
situation plus favorable que les opérateurs privés52
. En effet, les entreprises privées peuvent,
comme nous l’avons montré, présenter un certain nombre d’handicaps conférés par leur statut,
vus par d’autres comme des avantages.
Par ailleurs, la jurisprudence française semble nier l’existence d’une garantie telle que
dénoncée par les autorités de l’Union.
La jurisprudence du Conseil d’Etat a par le passé expressément nié le fait pour l’Etat de
devoir subvenir aux obligations des établissements publics.
On peut en effet savoir si une obligation est réelle et effective, si l’on peut s’en prévaloir et
obtenir son exécution par le juge.
Dans l’arrêt d’assemblée CE 1938 Société de l’hotêl d’albe et autres, le Conseil d’Etat a
donné raison au refus du ministre des travaux publics de subvenir aux obligations et dettes de
l’établissement public concerné. Et de rappeler la possibilité pour le ministre, en tant que chef
de l’administration, de procéder à l’inscription d’office des crédits au budget de
l’établissement ou à l’ordonnancement des sommes, mais pas à une garantie ni payer les
dettes sur le budget de l’Etat.
Le Conseil d’Etat n’a pas remis en cause cette jurisprudence. Le rapport sur crédit lyonnais du
conseil d’Etat de 1995 était remis dans sa formation administrative, et non contentieuse.
52
Les entreprises publiques à l'épreuve du droit public : Mélanges Roland Drago, 1996, p. 259
De plus dans l’arrêt de 2005 Société fermière de Compoloro et autres, le Conseil d’Etat
refuse de mettre à la charge de l’Etat des dettes des personnes publiques à l’égard de sociétés
alors qu’elles avaient été rendues exécutoires par décision de justice. Il est donc impossible de
transférer la dette d’une collectivité publique locale à l’Etat.
Par ailleurs, il semble que le droit positif interne français subordonne la garantie à une
autorisation législative expresse.
Section 2 : La nécessaire autorisation expresse légale pour toute
garantie de l’Etat depuis la LOLF
Les conditions d’attribution des garanties par l’Etat pour les personnes morales de droit public
ne sont pas si différentes que celles prévues pour les personnes morales de droit privé.
L’un des grands principes de l’octroi de garantie est l’autorisation expresse préalable étant
donné que cela peut avoir de lourdes conséquences sur la situation du débiteur de la garantie
en cas d’appel en garantie (article R 225-28 code de commerce).
Ce principe s’applique également aux garanties accordées à l’Etat. En effet, depuis la Loi
organique relative aux lois de finances du 1er
aout 2001 ( LO 2001-692), il est fait référence à
l’article 34 aux garanties de l’Etat, qui doivent être autorisées, et le régime fixé par la loi de
finance de l’année.
Ainsi, une garantie de l’Etat doit être expressément autorisée, ce qui entache l’argument du
caractère implicite.
Il ne s’agit pas d’un engagement de moindre importance, puisque l’existence d’une telle
garantie requiert un vote législatif et une inscription dans la loi de finance, puisqu’elle peut
prendre des proportions considérables.
On retrouve d’ailleurs des traces de ce principe d’autorisation législative dans une loi du 23
décembre 1946 ( Loi 46-2914) relative l’ouverture de crédits provisoires applicables aux
dépenses du budget ordinaire pour le premier trimestre de l’exercice 1947 « qu’en vertu de la
loi ».
Ce principe est fortement renforcé par l’appui de l’article 61 de la LOLF qui impose une
comptabilisation de toutes les garanties de l’Etat qui n’auraient pas été expressément
autorisées par une disposition législative.
De plus, l’Etat a pu par le passé accorder une garantie à un opérateur public (en l’occurrence
la Poste) par voie d’arrêté.
On peut donc discuter raisonnablement l’existence en droit d’une garantie qui n’aurait pas été
expressément prévue par une disposition législative.
L’argumentaire de la commission revient à passer outre cette exigence d’autorisation légale
de la LOLF en considérant que le statut d’EPIC contient intrinsèquement un mécanisme de
garantie implicite. L’Etat serait comme déchargé de cette obligation légale. Il faut par ailleurs
rappeler que dans les tourments de la crise des banques publiques au tournant du XXème
siècle, l’Etat a été amené à accorder aux acteurs du secteur financier des garanties. Il s’agissait
à l’époque de sauver entre autres le Crédit Lyonnais, le Crédit Foncier de France, et le
Comptoir des entrepreneurs. Or, la Cour des comptes, dans son rapport sur L’intervention de
l’Etat dans la crise du secteur financier de 2000, avait recommandé l’obligation de
l’autorisation législative de toutes les garanties au motif que « la prolifération d’engagements
écrits voire oraux (cas du Crédit foncier de France) d’une validité juridique douteuse n’est pas
satisfaisante », ce qui fut fait pour le biais de l’article 34 de la LOLF en 2001. Avant
l’introduction de cette loi organique, seules les garanties d’emprunt devaient respecter ce
principe, ce qui conduisit la Cour des comptes à préconiser la nullité des garanties accordées
par l’Etat en cas de non-respect.
La Commission fonde une partie de son raisonnement sur le fait que l’insaisissabilité des
biens de l’EPIC entraine un avantage puisque les créanciers ne peuvent faire de saisie-arrêt, et
que l’Etat est le seul recours, ce qui, in fine, conduit à des notes plus favorables et des
conditions d’emprunts meilleures.
Il semble incontestable que les EPIC ont bénéficié ou continuent de bénéficier de notations
favorables, et que parmi les entreprises publiques, elles demeurent mieux notées que les celles
à statut privé.
D’ailleurs, les agences n’hésitent pas à citer comme raison de cette notation favorable, la
garante illimitée de l’Etat que confère le statut d’EPIC53
.
Il est vrai que les EPIC ont généralement bénéficié de notations favorables allant jusqu’au
triple de A de S&P. Cependant, comme le rappelle la défense d’EDF, (lorsque la Commission
avait demandé la suppression de la garantie d’Etat d’EDF qui conférait un avantage dont des
notations plus favorables), la première dégradation d’EDF par S&D datait de l’annonce de
l’ouverture à la concurrence du marché électrique en 1996. Ce qui semble donner corps aux
arguments selon lesquels le statut d’EPIC et plus particulièrement la garantie de l’Etat octroie
des notations plus favorables.
Or, Aéroport de Paris, qui depuis la loi no 2005-357 est une société anonyme, bénéficiait
d’une notation A+54
, alors que les biens affectés au service public aéroportuaire sont
insaisissables en vertu de l’article L251-3 du code de l’aviation civile, ce qui aurait dû
conduire l’agence à mieux noter l’entreprise, puisqu’elle continuait de bénéficier d’une
garantie illimitée liée au principe d’insaisissabilité. Il semble que l’insaisissabilité des biens
affectés en l’espèce n’ait soit aucune conséquence sur les taux d’emprunts, soit démontre que
l’argumentation de la commission est contestable puisqu’une société anonyme ne peut
raisonnablement bénéficier d’une garantie d’Etat.
De même que la poste en 2006 a connu également une dégradation de sa note, ( AA+), sans
changer de statut, montrant ainsi que le statut ne serait pas le seul facteur qui influencerait la
viabilité de l’entreprise.
Récemment, et dans le sillage de la notation de la France, l’agence Moody's a dégradé
plusieurs entreprises publiques, comme la SNCF et le gestionnaire des réseaux RFF, ou la
Régie autonome des transports parisiens (RATP) qui sont dorénavant notés respectivement
Aa2, Aa1, Aa155
Enfin, les sources de la commission sont peu fondées : elles prennent comme appui les
53
« Jusqu’à présent, Fitch considérait que le statut d’EPIC impliquait une garantie implicite de solvabilité de la
part de l’Etat et qui, associée au système d’accès direct aux avances du Trésor, justifiait un alignement de la note
de l’EPIC avec celle de l’Etat français. Le contexte a néanmoins changé récemment. L’accès aux avances du
Trésor n’est plus automatique (depuis l’introduction de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)), ce
qui peut sensiblement retarder le soutien de l’Etat en cas de besoin. En effet, les mécanismes d’aide de l’Etat ne
pourraient désormais être activés que si les besoins de liquidité étaient conformes aux règles européennes de
concurrence. Toutefois, l’obligation statutaire faite à l’Etat d’assumer in fine les engagements des EPIC
demeure. La RATP et la SNCF sont de plus en plus engagées sur les marchés ouverts à la concurrence. Fitch
devra donc vérifier dans quelle mesure le soutien éventuel de l’Etat serait restreint par les textes européens. »
Source : Fitch Ratings, communiqué de presse, 18/04/08 54
soit qualité moyenne supérieure chez Fitch 55
http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20121121trib000732388/moody-s-degradations-en-chaine-
d-entreprises-publiques-eads-est-preserve.html
rapports des agences de notation, qui elles-mêmes reprennent l’argumentation de la
Commission.
Chapitre II : La privatisation : réponse apportée pouvant se
révéler insuffisante.
Les autorités françaises ont finalement cédé aux injonctions bruxelloises en supprimant,
non pas la garantie, mais le statut d’EPIC des opérateurs publics incriminés (Section 1).
Toutefois, cette solution en apparence sage, pourrait s’avérer inefficace (Section 2).
Section 1 : la privatisation du statut comme réponse privilégiée par
les autorités française.
Les conséquences de l’action de la Commission envers l’EPIC sont, en premier
lieu, une réponse conciliante des autorités françaises.
En effet, ainsi que le rappelait le Professeur Plessix, « si le droit administratif enseigne la forte
présence des établissements publics dans notre histoire nationale, le droit communautaire
apprend celle de leur fragilité dans une économie européenne et mondialisée soumise, dans
les faits, à la compétitivité des entreprises et, en droit, au principe d'une égale concurrence »56
Mais droit communautaire en est-il la seule cause ? N’y a-t-il pas un consentement des
politiques internes ?
Déjà en 1990, le rapport sur les entreprises publiques du Haut Conseil du secteur public,
préconisait trois solutions pour choisir entre la forme d’Etablissement public et sociétaire : le
niveau d’influence que l’Etat voulait exercer sur la nouvelle entité en considération de
l’importance du service public, le choix du statut juridique de droit privé pour les activités
réalisables sur un marché soumis aux règles de la concurrence, et la transformation ou non des
EPIC déjà existants selon les deux premiers critères.
Le choix adopté par les autorités françaises face aux pressions du droit
communautaire sur le statut d’EPIC fut celui de la privatisation du statut, aboutissant même
parfois à la privatisation du capital. En effet, la décision du 16 décembre 2003 de la
Commission, dans laquelle elle enjoint les autorités françaises à supprimer les garanties
illimitées de l’Etat, n’a fait l’objet d’aucune contestation, mais d’une loi du 9 aout 2004,
changeant le statut d’EDF et GDF. Le gouvernement avait d’ailleurs annoncé que ce
changement statutaire était nécessaire comme étant contraint par le droit de l’UE, fondant
d’ailleurs une partie de son argumentation sur celle suivie par la Commission.
Ce qui conduisit à des privatisations du statut, puis parfois à des privatisations du capital.
Pour retracer un bref historique : l'ERAP a transféré ses actifs à Elf Aquitaine et le service des
poudres fut transformé en société commerciale dans les années soixante-dix ; Télévision de
France (TDF) est transformé en société anonyme en 1986 ; de même que la Société
d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) et la Caisse nationale des marchés
de l'Etat (CNME) en 1980, la Caisse d'aide à l'équipement en 1987 (devenue Crédit local de
France), l'Imprimerie nationale (anciennement budget annexe) en 1993. Les transformations
56
B. Plessix, Établissements publics : J-Cl. Administratif, Fasc. 135, n° 5
les plus célèbres restant celles de France Télécom en 1996, Electricité de France (EDF) et Gaz
de France (GDF) en 2004, et, enfin, Aéroports de Paris en 2005, la poste 2010.
Cependant, la privatisation du statut juridique est notion protéiforme qui cache plusieurs sens.
La confusion est souvent savamment entretenue sur l’expression de privatisation des
personnes publiques. Il peut s’agir de transférer l’exécution d’un service public auparavant
effectué par un établissement public à une délégataire privé, (ce qui correspond à la
privatisation de l’article 34 de la Constitution), c’est-à-dire le transfert de la propriété d’une
entreprise du secteur public au secteur privé, et/ou à la modification du statut juridique vers
un statut de droit privé.
Il ne faut donc pas confondre privatisation du capital, et privatisation du statut. En effet, dans
le second cas, l’opérateur demeure public au sens du droit de l’UE, puisque le capital reste en
totalité ou majoritairement dans les mains de l’Etat57
La privatisation est donc une des formes de la transformation des EPIC. En effet, on peut
différencier deux procédures de sociétalisation58
:
- La première où on supprime du statut d’EPIC, puis on transfert ses biens, droit et
obligations à une nouvelle entité de droit privé comme pour France Télécom (loi n°96-
660 du 26 juillet 1996) devenue société droit privé.
- Ou alors, un changement de forme juridique sans création d’une nouvelle personne
morale comme ce fut le cas pour EDF GDF59
, ou ADP60
.
57
La Poste est une SA, mais est 100% détenue par Etat). 58
B. Plessix, Etablissement public. Notion. Création. Contrôle, J.-Cl. Adm. Fasc. 135, 2007. V. également,
Conseil d'Etat, Les établissements publics, transformation et suppression, 59
La loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et
gazières : qui opère un changement de statut, EDF et GDF devenant des sociétés de droit privé détenus à plus de
70% par l’Etat, n’étant plus lié par le principe de spécialité
« La transformation en sociétés d'Electricité de France et de Gaz de France n'emporte ni création de personnes
morales nouvelles, ni cessation d'activité. Les biens, droits, obligations, contrats et autorisations de toute nature
des sociétés Electricité de France et Gaz de France, en France et hors de France, sont ceux de chacun des
établissements publics au moment de la transformation de leur forme juridique »
60
Loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports : article 1 « L'établissement public Aéroports de Paris
est transformé en société anonyme. Cette transformation n'emporte ni création d'une personne morale nouvelle,
ni conséquence sur le régime juridique auquel sont soumis les personnels » ou la Poste LOI n° 2010-123 du 9
février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.
Cependant, le choix adopté par les autorités français peut être discutable et est d’ailleurs
discuté.
Section 2 : L'efficacité relative de la solution de transformation des
Etablissements publics industriels et commerciaux en sociétés
Le professeur Martine Lombard se montre plutôt sceptique face à l’attitude choisie par
les autorités internes. Elle souligne que la privatisation a parfois été du seul fait du
gouvernement français, comme pour EDF61
Par ailleurs, le cas d’ADP est parlant. Martine lombard rappelle que le législateur ne
s’était pas interrogé sur l’opportunité d’une transformation en société, mais a focalisé son
attention sur l’intérêt de conserver le statut d’EPIC pour ADP, alors même que la loi attribue à
la nouvelle société ADP des pouvoirs, notamment pour l’Etat de refuser la cession de tout
ouvrage ou domaine indispensable à l’exécution des missions de service public, ou encore le
fait que les ouvrages affectés au service public aéroportuaire et mis à la disposition d’ADP
restent des ouvrages publics. Ainsi, le législateur adapte la transformation en société de
l’EPIC, en fonction des contraintes du service public, exposant de ce fait l’insuffisance de la
privatisation du statut, qu’il faut aménager. De même, on pourrait s’attarder sur le cas du
personnel, certaines transformations ayant maintenu le statut de fonctionnaire d’une partie du
personnel dans les nouvelles sociétés de droit privé.
De manière téléologique, la privatisation du statut recherchée par les autorités
françaises présente les aspects d’une volonté finale de privatisation du capital à plus ou moins
long terme. En effet pour économie en réseau comme le secteur de l’énergie, l’ouverture à la
concurrence opérée par droit de l’UE n’implique qu’une distinction entre opérations de
61
LOMBARD (M), Statut d’établissement public, service public et aide d’Etat, AJDA
2012, p 2313.
fournitures et de transport d’électricité ou gaz, sans s’intéresser au statut juridique du
transporteur. Ainsi, l’entreprise Réseau de transport d’électricité est une Société Anonyme
(SA) depuis 2005 : ce qui est un choix délibéré des autorités françaises. De même pour ADP
en 2005. Des analyses ont pu montrer que les buts recherchés par les autorités auraient pu être
assurés tout aussi bien par ADP en tant qu’EPIC. Mais les autorités ont pensé que le statut
d’EPIC était dépassé, plus adapté et que son maintien n’était que purement idéologique. En
1985, le Conseil d’état évoquait les motifs du choix entre EPIC et société. Il s’agissait pour
l’essentiel de raisons négatives ou par hasard, selon un concours de circonstances.
La jurisprudence communautaire a pu par le passé rappeler les répercutions d’une
sociétalisation d’un établissement public62
. En effet, un changement de statut en société
implique que l’opérateur doit être soumis aux règles de mise en concurrence lors de la
concession de service public car le principe de spécialité est supprimé et donc le champ
d’intervention élargi.
Pour le cas de GDF, le conseil constitutionnel, après avoir rappelé le principe de l’alinéa 9 du
préambule de la constitution de 194663
, a néanmoins considéré que la transformation de GDF
en société ne faisait pas obstacle à la préservation de la nature de service public de son
activité64
avant de permettre au législateur de renoncer à sa préservation et de privatiser une
fraction du capital de GDF65
Le changement de statut de l’EPIC ne résout pas tous les problèmes puisque l’étau sur ressert
sur la propriété publique dans son ensemble.
62 CJCE, 13 octobre 2005, affaire C-458/03, Parking Brixen GmbH
63 « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou
d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». 64
Décision CC n°2004-501 DC du 5 aout 2004 65
CC décision n°2006-543 DC du 30 novembre 2006
La doctrine a pu analyser la récente décision du Tribunal de L’UE, comme une
intention de remettre en cause, non pas seulement le statut d’EPIC, mais le service public lui-
même66
Martine Lombard pense elle que la décision récente du TUE n’est qu’une simple reprise et
validation des arguments de la commission fondés sur le statut d’EPIC qui conférerait une
garantie implicite illimitée de l’Etat.
En analysant de plus près les différentes expertises échangées entre les français et les juristes
de la commission outre-Quiévrain, on s’aperçoit que le débat a laissé de côté la qualification
d’aide d’Etat, pour se concentrer sur l’existence de la garantie implicite. Ainsi, il n’a que très
peu été question d’argumenter en faveur ou non de l’application du droit des aides d’Etat à la
garantie.
Pour éviter une propagation de la solution à tous les EPIC exerçant une activité sur un marché
concurrentiel, les experts français se sont focalisés sur l’existence même de la garantie lors de
cette affaire concernant la Poste.
Il est intéressant de noter que, contrairement à la commission, la TUE a estimé que la
transformation de la Poste en Société Anonyme ne clôturait pas le débat.
Dans cette décision du TUE, le premier argument invoqué par les autorités françaises était
relatif à l’arrêt déjà évoqué, (Société de l’hôtel d’Albe rendu par le Conseil d’Etat le 1er
avril
1938), au terme duquel l’autorité de tutelle n’avait pas à s’acquitter des dettes de ses
établissements publics, que le TUE balaye d’un revers de main en arguant du fait qu’une
garantie n’est pas expressément exclue pour les EPIC.
En outre, le Tribunal donne raison à la Commission en ce qui concerne la note du Conseil
d’Etat reprise dans le rapport annuel de 1995, puisqu’il estime que, même si elle ne constitue
qu’un des éléments concrets, elle qui indique clairement « que la garantie de l’Etat à cet
établissement découlera sans disposition législative explicite, de la nature même de
l’établissement public » (§71).
Cependant, le Tribunal se montre moins laudateur envers l’analyse du Conseil d’Etat quand
celui affirme en 2009 dans son rapport d’étude sur les établissements publics, que l’existence
d’une telle garantie est très contestable.
66
Lombard (M), Statut d’établissement public, service public et aide d’Etat, AJDA 2012, p 2313.
De surcroît, l’argument sus-évoqué d’une obligation d’autorisation législative depuis l’entrée
en vigueur de la LOLF, n’est pas plus accepté par le TUE qui signale ici que les garanties
contractées avant l’adoption de la loi organique ne deviennent pas explicitement caduques.
Par ailleurs, la France avait avancé comme argument que les mesures prises pour assurer le
droit des créanciers des EPIC lors de certaines transformations statutaires, montraient sans
équivoque l’inexistence de la garantie dénoncée, ce à quoi le Tribunal répond une nouvelle
fois, que cela n’exclut pas de manière expresse l’existence d’une garantie en ce qui concerne
la Poste.
On voit bien ici que, contrairement aux analyses de la Commission, focalisées sur
l’impossibilité de soumettre les EPIC aux procédures de redressement et liquidation
judiciaires, synonyme de garantie de l’Etat et donc d’une aide publique, le plan d’attaque des
juristes français est novateur.
Quant à la loi du 16 juillet 1980 évoquée plus tôt, le TUE, reprenant l’analyse classique de la
Commission, donne sa version de l’affaire Société fermière de Compoloro et autre67
. Il
conclut de l’arrêt que lorsque le préfet ne procède pas à l’ordonnancement en refusant « de
faire supporter par l’EPIC les créances en cause », l’autorité de tutelle se place dans une
position susceptible de mettre en cause sa responsabilité.
Cependant, conformément à la loi et rappelant ainsi l’arrêt de la Cour d’appel de paris de
1984 évoqué, l’autorité ne peut procéder à la vente des biens nécessaires à la continuité du
service public (§98).
Le professeur Martine Lombard en déduit que le Tribunal s’attaque non plus au
statut d’EPIC, mais aux missions de service public dont il est investi puisque la garantie
illimitée, si l’on suit le dernier argument du Tribunal, découlerait de ce que l’autorité de
tutelle doit respecter le principe à valeur constitution de continuité du service public. Le fait
pour un Etablissement public d’avoir à sa charge un service public conduirait à un avantage
constitutif d’une aide d’Etat.
Ainsi, la privatisation du statut de la Poste ne fera pas obstacle à l’application du principe de
continuité du service public, et donc la garantie, selon l’argument du TUE, sera toujours
valable.
Les pouvoirs publics français ont exercé un recours contre cette décision auprès de la CJUE.
Cependant, le débat et les arguments risquent de ressurgirent en ce qui concerne la SNCF.
67
CE, Sect., 18 novembre 2005, Société fermière de Campoloro et autre, n° 271298
C’est donc la nature de la propriété publique qui est en cause au détriment du
principe de neutralité de l‘article 345 TFUE évoqué plus haut permettant aux autorités
nationales de décider librement de la gestion de leur propriété publique ainsi que dans leur
organisation.
Cependant, le principe de neutralité détourné et concurrencé par d’autres dispositions.
Ainsi, au regard des seuls traités, un capitalisme d’Etat c’est-à-dire un système
économique dans lequel l’État contrôle une part essentielle, voire totale, du capital, de
l’industrie, des entreprises semble tout à fait possible, grâce à cet article 345 TFUE, tout
comme les nationalisations. Cependant, ce principe a dû être concilié avec la libéralisation de
certaines activités jusqu’ici soumises à un monopole public, et donc avec l’application de
règles de concurrence.
Ainsi, en ce qui concerne les EPIC : la volonté de la Commission et désormais du TUE de
détourner le principe de neutralité semble manifeste. En effet, vouloir mettre fin à un statut,
forme juridique de l’intervention économique et manifestation de la propriété publique de
l’Etat, paraît contraire au principe de l’article 345 TFUE.
Par conséquent, il se pose la question de l’issue finale d’entreprises publiques
vouées à devenir des opérateurs à capitaux majoritairement privés, montrant un
désengagement progressif de l’Etat dans l’économie. Une note de l’INSEE montrait déjà la
baisse de la part du secteur public dans les secteurs associés à des missions de service public,
c’est-à-dire dans des domaines tels que la télécommunication, l’énergie ou les transports
(donc ceux intéressant principalement les EPIC). En effet, de 1986 à 2000, le taux effectif de
salariés est passé de 100% à 93% dans les postes et télécommunications, de 80% à 68% dans
le secteur de l’énergie et de 50% à 34% dans le secteur des transports.
Ceci témoigne d’un désengagement de l’Etat dans le secteur marchand corroborant l’analyse
faite de la privatisation des EPIC comme aboutissement logique68
.
68
H.Loiseau, 1985-2000 : quinze années de mutation du secteur public d’entreprises, N° 860 - JUILLET 2002,
INSEE
Au total, ce n’est pas tant la formule de l’établissement public qui se voit remise en question
par les évolutions du droit en matière économique, que, plus largement, la légitimité de
l’opérateur public, quelle que soit sa forme juridique
Bibliographie
Décisions juridiques :
Communication de la Commission sur l'application des articles 87 et 88 du traité CE
aux aides d'État sous forme de garanties (2008/C 155/02)
Communication de la Commission sur l'application des articles 87 et 88 du traité
CE aux aides d'État sous forme de garanties JO C 71 du 11.3.2000, p. 14–18
Ouvrages généraux :
CHEROT (J-Y), Droit public économique, Paris, Economica, 2ème éd., 2007.
DECOCQ (A), DECOCQ (G), Droit de la concurrence : droit interne et droit de
l’Union
Européenne, Paris LGDJ, 3ème éd., 2008 ;
DONY (M), Contrôle des aides d’Etat, Bruxelles, éd. Université de Bruxelles, 2007 ;
NICINSKI (S), Droit public des affaires, Montchrestien, 2011,
SIRINELLI (J), Les transformations du droit administratif par le droit communautaire
: une contribution à l'étude du droit administratif européen, thèse, Paris 2, 2009 ;
Articles de revues juridiques :
BARTHELEMY (C), La garantie implicite, gratuite et illimitée de l’Etat aux
établissements publics : mythe ou réalité ?, RJEP/CJEG, 2004, p 423 ;
BAILLEUL (D), Vers la fin de l’EPIC ? A propos de la transformation des EPIC en
société, RJEP, n° 629, 2006, p 105 ;
COSSALTER (P), Les EPIC face au droit de la concurrence, JCP A, 2009, n° 38 pp.
2221 s. ;
COURIVAUX (H), Droit de la concurrence et entreprises publiques, J-Cl
Concurrence- Consommation, fasc. 121 et 122, octobre 2009 ;
DELAUNAY (B), Les limites de la neutralité de l’article 295 CE à l’égard du régime
de propriété dans les Etats membres, RJEP, octobre 2009, p 3 ;
DELION (A), Les garanties d’Etat et leur évolution, RJEP, 2004, p 417 ;
DELION (A), De l’Etat tuteur à l’Etat actionnaire, RFAP, 2007, p 537 ;
KARPENSCHIF (M), La privatisation des entreprises publiques : une pratique
encouragée sous surveillance communautaire, RFDA, 2002, p 95 ;
KARPENSCHIF (M), Les Epic dans tous leurs états, JCP A, 2009, n°31, 2197
LOMBARD (M), L'établissement public industriel et commercial est-il condamné ?,
AJDA 2006, p 79 ;
LOMBARD (M), L’impact du droit communautaire sur les entreprises publiques, in
AUBY (J-B), DUTUEIL DE LA ROCHERE (J), ss dir, Droit administratif européen ;
Bruylant, 2009, p 906 ;