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LES APPRENTIS SCOLARISÉS

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LES APPRENTIS SCOLARISÉS Leur mentalité, vue par 5 000 d'entre eux

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Collection « L'Enquête et l'Action »

R. SCHIÉLÉ et A. MONJARDET A v e c l a c o l l a b o r a t i o n d e H . L E C O M T E

LES APPRENTIS SCOLARISÉS Leur mentalité, vue par 5 000 d'entre eux

Préface de M. Debesse

ÉCONOMIE ET HUMANISME LES ÉDITIONS OUVRIÈRES 12, avenue Sœur-Rosalie, Paris (l3e)

Page 5: LES APPRENTIS SCOLARISÉS

La couverture est de

M i c h e l C A B A U D

avec une photographie CHATEAU-WiNDENBERGER

Tous droits réservés pour tous pays

@ 1964 by Les Edit ions Ouvrières, Par is

Impr imé en France Pr in ted in France

Page 6: LES APPRENTIS SCOLARISÉS

PRÉFACE

L'étude psychologique de l'adolescence s'est longtemps limitée surtout aux jeunes gens qui continuaient leurs études en vue du baccalauréat ou d'examens analogues. Ils constituaient alors la seule « adolescence scolaire ». Les apprentis d'industrie et les futurs agriculteurs n'étaient connus qu'à travers des observations frag- mentaires ou des idées communes, plus ou moins stéréotypées : tantôt on les opposait et tantôt on les assimilait, de façon assez arbitraire, aux adolescents scolaires.

Cette situation s'est peu à peu et heureusement modifiée depuis la seconde guerre mondiale, sous l'effet conjugué de plusieurs causes. Deux d'entre elles méritent d'être soulignées. D'une part, le déve- loppement rapide de la psycho-sociologie a permis de montrer l'importance des milieux dans la formation de la personnalité, et elle a fait entrer, dans le domaine des enquêtes précises, toutes sortes de réalités jusque-là très mal explorées, milieux ruraux et milieux urbains, milieux professionnels, milieux populaires, etc. D'autre part, chez nous, la multiplication des centres d'apprentis- sage, devenus aujourd'hui collèges techniques, a scolarisé une partie grandissante des adolescents qui se destinent aux métiers manuels de l'industrie, ce qui a facilité et stimulé, à la fois, les études psychologiques et pédagogiques concernant cette nouvelle clientèle scolaire. En France, des publications concernant les « apprentis manuels » et les milieux ouvriers ont fait leur apparition. Les références nombreuses que l'on trouve dans cet ouvrage, dès le premier chapitre, en sont le meilleur témoignage.

Mais on est encore très loin d'avoir une connaissance psycho- logique suffisante des adolescents apprentis. C'est pourquoi, lorsque R. Schiélé est venu m'entretenir d'une recherche les concernant, je l'ai vivement encouragé à réaliser son projet; j 'ai été très heureux que le C.N.R.S. l'aide dans son étude en lui accordant une conven- tion de travail qui m'a permis de suivre les progrès de son enquête, et il m'est agréable de dire aujourd'hui tout l'intérêt que présente ce livre, qu'il a rédigé en collaboration avec A. Monjardet.

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On peut dire que le besoin d'une psychologie différentielle des adolescents se fait de plus en plus sentir. Dès mes premiers travaux, j'avais eu l'occasion de souligner cette nécessité, si l'on veut éviter le risque de tracer un portrait général, schématique et inexact de l'adolescence, et rendre intelligibles les variations que l'on observe dans les conduites de croissance selon l'âge, le sexe, les milieux, les activités, etc. Ce souci a gagné aujourd'hui la plupart des chercheurs. C'est ainsi qu'en 1960, au Congrès international qui s'est tenu à Bonn et réunissait des milliers de psychologues venus du monde entier, la section groupant les communications concernant la jeunesse avait pris pour titre : Psychologie différentielle de l'adolescence, et l'on n'a pas craint d'y poser cette question audacieuse, bien significative de l'orientation actuelle des esprits : Y a t-il un patron (pattern) unique du développement durant l'adolescence ?

L'un des grands mérites de l'ouvrage que l'on va lire est, à mon sens, de se situer précisément dans cette perspective différen- tielle, et de nous montrer, par une illustration frappante, quelle variété d'intérêts et d'attitudes on découvre à l'intérieur même de ce domaine particulier que représentent les « apprentis scolarisés ». C'est ce que je voudrais souligner brièvement.

Mais auparavant, il est bon, il est juste de signaler d'autres traits qui, d'une façon plus visible, donnent déjà à cette étude son originalité.

Elle part d'une notion courante et complexe à la fois, celle de mentalité, qu'elle envisage comme hypothèse de travail, et qu'elle applique à l'examen psychologique des jeunes apprentis. Par une approche concrète et progressive de cet « esprit collectif », elle en donne une définition provisoire qui, à la fin de l'ouvrage, sera reprise à la lumière des résultats de l'enquête. Les auteurs carac- térisent alors la mentalité des apprentis scolarisés : « comme prin- cipe de permanence et de cohésion, mode de connaissance et forme de sentiment, présente dans le geste comme dans la pensée, dans le langage comme dans l'imaginaire, dans les aspirations comme dans les motivations les plus intimes ». Ils en dégagent, dans leur conclu- sion, un certain nombre de traits significatifs qui montrent au lecteur tout le chemin parcouru depuis le début de la recherche, grâce à un effort tenace d'élucidation et de contrôle.

La méthode employée est très directe : c'est une « enquête- participation ». Quelques apprentis, que l'idée passionnait, ont

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participé en effet à l'élaboration du questionnaire et à sa diffusion auprès de 5 000 apprentis comme eux. On a « donné la parole » aux jeunes en posant des questions simples, où le tutoiement familier était celui de garçons s'adressant à d'autres garçons. Cela n'a pas empêché les auteurs de s'entourer de précautions indispensables, celle, par exemple, d'une pré-enquête à titre d'essai. Dans l'examen du contenu des réponses et dans l'interprétation des résultats, ils ont recouru à une analyse statistique précise et minutieuse. L'ouvrage s'appuie, en outre, sur des lectures abondantes, allant jusqu'aux ouvrages et aux articles les plus récents. Mais l'origine de l'enquête et son déroulement reposent d'abord sur l'expérience éducative acquise au contact quotidien des apprentis scolarisés, et sur une « sympathie active » pour ces garçons. C'est ce qui donne à l'ensemble du livre sa chaleur humaine.

Je veux laisser au lecteur le plaisir de la découverte. Qu'il me soit permis d'attirer simplement l'attention sur l'aspect diffé- rentiel de cette contribution à la psychologie des adolescents. Diffé- rentielle, elle l'est, si l'on peut dire, à plusieurs degrés ou, si l'on préfère, à plusieurs niveaux.

Elle précise tout d'abord, dans l'ensemble de l'adolescence, la forme, le visage de l'adolescence apprentie. On a parlé, autrefois, par analogie avec la puberté physiologique, d'une « puberté sociale », d'une « puberté morale ». En lisant ce livre, on est au contact de ce que l'on peut appeler, selon l'heureuse formule qu'il emploie, une « puberté professionnelle ». L'importance du métier, de l'argent, des loisirs, ces trois thèmes initiaux de l'enquête, est mise en valeur dans cette « mentalité réaliste » de l'apprenti qui a « les pieds sur terre ». Mais combien d'autres perspectives viennent enrichir et nuancer le tableau : qu'il s'agisse des « conditions du logement familial », du « niveau d'aspiration », de « la camaraderie », dessinée en traits vigoureux avant même que s'impose à l'actualité « l'âge des copains » des deux sexes et de la guitare électrique; du désir des voyages, avec au passage la curieuse découverte du « mythe de Tahiti »; de tout « l'univers mental », enfin, de cette jeunesse laborieuse !

Il y a autre chose encore. L'enquête a révélé, à l'intérieur de la psychologie différentielle de l'adolescence apprentie et scolarisée, des différences très intéressantes entre les catégories de réponses. Une évolution soigneusement notée apparaît selon l'âge des sujets,

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c'est-à-dire entre les apprentis de 1re année et ceux de 3e et 4e année : à cela, rien d'étonnant; le mouvement vers la maturité est commun à tous les jeunes, mais il prend ici des formes particulières lorsqu'il s'agit d'une population apprentie. Les différences sont également sensibles selon le métier qu'a choisi d'apprendre l'adolescent : les « portraits » et les « profils psycho-sociologiques » que l'on rencontre le prouvent. Mais c'est surtout selon le niveau des études entreprises que les différences apparaissent le plus nettement. Les jeunes gens qui se préparent en trois ans au Certificat d'aptitude pro- fessionnelle et ceux qui, en quatre ans, vont affronter l'examen plus difficile du Brevet d'enseignement industriel ont, vis-à-vis des mêmes problèmes, des attitudes souvent différentes, sans être tota- lement opposées. CAP, BEI, ces initiales recouvrent deux réalités distinctes. Et ce n'est pas l'un des moindres mérites de cet ouvrage que d'avoir attiré l'attention sur elles.

Certes, si captivante qu'elle soit, cette étude ne prétend pas avoir épuisé le sujet qu'elle aborde. Les auteurs ont conscience de ses insuffisances. Ils sont les premiers à le dire. Ils regrettent d'avoir dû se limiter. En outre, à côté du garçon apprenti, il y a la fille apprentie à étudier. A côté de l'apprenti d'industrie, l'apprenti rural agricole. Et tous ces adolescents dits « manuels » mériteraient une étude comparée avec les adolescents dits « intellectuels », ceux de nos lycées de tous genres, des universités et des « grandes écoles ». Mais le livre nous apporte déjà une riche moisson. Qu'il suscite d'autres recherches qui le recoupent et le complètent, c'est le vœu de chacun. Et ce vœu est lui-même une nouvelle marque d'estime à son égard.

M a u r i c e D E B E S S E ,

Professeur en Sorbonne.

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AVERTISSEMENT

L'étude qui a servi de base au présent ouvrage a commencé par une enquête. Celle-ci a été l'occasion d'une réflexion métho- dologique qui constitue la première partie de ce livre. La substance de ces pages est due à Robert Schiélé qui a préparé et réalisé l'enquête.

A lui se sont joints Hubert Lecomte pour mettre au point et exploiter l'enquête, puis André Monjardet d' « Economie et Humanisme » pour en interpréter les résultats. Cette interpré- tation fait l'objet de la deuxième partie dont la rédaction a été assurée conjointement par R. Schiélé et A. Monjardet.

Afin de permettre une recherche en profondeur, le projet d'un sondage représentatif n'a pas été retenu et l'enquête s'est délibérément limitée à un ensemble d'établissements où une participation active des jeunes pouvait être envisagée. La carte1 de ces établissements permettra au lecteur de les situer et de juger de leur répartition sur le territoire français. Il pourra aussi, dans une certaine mesure, se rendre compte des difficultés que peut présenter l'approche sérieuse d'une « mentalité ». L'uti- lisation de la notion de « mentalité apprentie » comme hypothèse de base de ce travail vise moins à expliquer l'état d'esprit d'un type d'adolescent donné qu'à décrire un ensemble d'attitudes collectives dans le cadre d'une expérience pédagogique. Une telle description réclamerait une connaissance plus approfondie des cas individuels et des milieux de vie respectifs. Il apparaît cependant, après enquête, qu'il est aussi légitime de parler de mentalité apprentie que de mentalité patronale. Le lecteur moins familiarisé avec le monde des apprentis trouvera en annexe2 une note sur les différents niveaux de formation dans l'enseignement technique français avant et après la loi du 6 jan-

(1) Voir p. 79. (2) Voir p. 297.

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vier 1959. (Cette loi n'était pas encore appliquée au moment de l'enquête.)

Le questionnaire d'enquête reproduit intégralement3 et le tableau récapitulatif des réponses4 permettront de voir que nous n'avons malheureusement pas pu, dans ce volume, consi- gner la totalité des résultats auxquels nous sommes parvenus.

A cet égard, nous devons remercier tous ceux qui nous ont aidés pour le dépouillement et l'interprétation de l'enquête : les écoles, les correcteurs, la Compagnie Bull pour l'exploitation mécanographique, les bibliothécaires de l'Institut pédagogique national et de l'I.N.E.D. dont l'obligeance nous a facilité les re- cherches bibliographiques, et surtout le C.N.R.S. dont la conven- tion de travail accordée depuis 1960 à R. Schiélé a fourni une aide et des directives sans lesquelles cette étude n'aurait pu aboutir. Ce dernier remercie, à ce titre, tout particulièrement M. le pro- fesseur Debesse qui a été l'inspirateur et le guide de ce travail, M. Alain Girard qui a permis de préciser la méthode et Mme Isam- bert-Jamati qui a suivi pas à pas l'élaboration des résultats.

Notre ami Thomas Suavet qui a accepté la tâche délicate de révision de cet ouvrage voudra bien trouver également ici l'expression de notre vive gratitude.

Enfin et surtout, comment ne pas être reconnaissant aux cinq jeunes qui, non seulement ont donné largement leur temps, mais ont su communiquer à leurs cinq mille camarades leur enthousiasme pour une recherche dont ils furent les promoteurs.

Puisse cet ouvrage propager fidèlement leur voix.

R. S. et A. M.

(3) En hors-texte. (4) Voir p. 311 et suivantes.

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SOMMAIRE

Page

Liste des abréviations employées dans cet ouvrage .. 14

PREMIÈRE PARTIE. — LA MÉTHODE

1. De l'expérience à l'enquête 17 2. A la découverte d'une mentalité 29 3. Par l'enquête-participation 51

DEUXIÈME PARTIE. — LES RÉSULTATS

Avertissement pour la lecture des statistiques 70 1. Présentation générale de la population faisant

l'objet de l'enquête 71 2. Le cheminement professionnel 87 3. La maturation professionnelle 125 4. La culture professionnelle 137 5. L'adaptation professionnelle 157 6. Travail et argent 171 7. L'univers mental 201 8. Camaraderie et loisirs 247 9. Les apprentis apprécient leurs chances 277 C O N C L U S I O N 2 8 9

A N N E X E S

1. Fac-similé du questionnaire utilisé pour l'enquête h.t- 2. Place des CAP et des BEI dans l'enseignement

technique 297 3. Effectifs de l'enseignement technique 306

Table récapitulative des principaux résultats bruts permettant de retrouver immédiatement dans l'ouvrage leur interprétation circonstanciée . . . . 309

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Abréviations employées dans cet ouvrage

CAP : ensemble des enquêtés préparant un Certificat d'Apti- tude Professionnelle (C.A.P.), soit 3 453 apprentis dont 46 % appartiennent à des établissements confessionnels.

BEI : ensemble des enquêtés préparant un Brevet d'Etudes Industrielles (B.E.I.), soit 1 705 apprentis (les garçons préparant à la fois le C.A.P. et le B.E.I. ont été comptés en BEI). 83 % d'entre eux appartiennent à des établis- sements confessionnels.

Population totale : ensemble des enquêtés, soit 5 158 apprentis.

CCP : apprentis préparant un C.A.P. dans les écoles de la Chambre de Commerce de Paris. Ils sont 1 099 et forment 21,3 % de la population CAP.

3 CAP : 354 apprentis de troisième année de préparation au C.A.P., élèves d'écoles confessionnelles, tous mécaniciens

3 BEI : 345 apprentis de « seconde et de première industrielle » (troisième et quatrième années de préparation au B.E.I.), élèves d'écoles confessionnelles, tous mécaniciens. (Ces deux derniers groupes forment deux « échantillons » homogènes de « fin d'études » ; ils sont respectivement issus des deux populations CAP et BEI.)

Les abréviations suivantes correspondent à un regroupement inspiré du code établi par le groupe d'ethnologie sociale1. Les chiffres entre parenthèses sont ceux du code de l 'I.N.S.E.E. SA : salar iés A : ouvr iers m a n u e l s (6).

SB : salar iés B : p e t i t s salariés n o n manue ls , gens de maison , t r ava i l l eu r s des services, employés de commerce e t d ' a d m i - n i s t r a t i on , a rmée , police, pompie r s (5, 7, 8).

1 2 : i n t e rméd ia i r e s 1 : pe t i t s c o m m e r ç a n t s , a r t i sans , cadres moyens , agen ts t echn iques , i n s t i t u t e u r s (2, 4).

1 2 : i n t e rméd ia i r e s 2 : professions l ibérales, cadres supér ieurs (3).

N A : p o p u l a t i o n n o n ac t ive : ménagères , re t ra i tés , inap tes au t r a v a i l (9).

AA : p o p u l a t i o n ac t ive agricole : pe t i t s exp lo i t an t s agricoles, e x p l o i t a n t s m o y e n s e t gros, salar iés agricoles (0).

(1) Voir P. CHOMBART DE LAUWE : La vie quotidienne des familles ouvrières, C.N.R.S., 1956, annexe 2, p. 256 e t suiv.

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P R E M I È R E P A R T I E

LA MÉTHODE

1. De l'expérience à l'enquête.

2. A la découverte d'une mentalité.

3. Par l'enquête-participation.

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C H A P I T R E P R E M I E R

DE L'EXPÉRIENCE A L'ENQUÊTE

I. — LA GENÈSE DE L'ENQUÊTE

Le 18 novembre 1958, assemblés autour d'un magnétophone, nous écoutions, avec une dizaine d'apprentis, une interview réa- lisée quelques jours auparavant auprès d'un groupe d'élèves d'un collège secondaire de jeunes filles. Le thème avait trait au « rôle de la maman dans notre vie ».

Les garçons avaient justement abordé cette question, entre eux, une semaine auparavant. L'audition de ce témoignage pro- voqua chez les apprentis une vive surprise. Surprise faite, d'abord, d'étonnement, puis, explicitée bientôt, par une série de réflexions très directes :

0 C'est bien des filles... ce que c'est compliqué leurs tournures 1 On est pourtant du même âge ou à peu près ! Nous, c'est plus simple... D'ailleurs, c'est vrai aussi, ça, avec des gars du bacc. Ce n'est pas NOTRE MENTALITÉ !

Une prise de conscience s'amorçait lentement :

Mais, notre mentalité... qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que l'on aime surtout ? De quoi parle-t-on surtout ? A quoi pense-t-on le plus souvent ? Il faudrait chercher ça ensemble!

L'idée d'une étude systématique jaillit de cette circonstance fortuite.

Il faut dire que, depuis quelques années, un contact régulier nous avait permis de suivre un groupe d'élèves d 'un centre d'appren- tissage de la région parisienne. Quatre métiers y étaient repré- sentés : ajustage, menuiserie, montage en chauffage et horti- culture ; quatre genres d'apprentissage, quatre styles de chemi-

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nement professionnel. Ce temps d'observation ne nous avait sans doute pas rendu possible une connaissance approfondie de la mentalité de ces garçons, mais il nous avait singulièrement révélé les formes et les nuances de leur langage, leurs intérêts et leurs aspirations, leurs modes d'affirmation et les divers clivages opé- rés, dans leur esprit, par le milieu familial, les loisirs ou le type même du métier appris.

La mise au point d'une méthode d'approche particulière s'avérait très importante pour définir les attitudes psychologiques et sociales, la forme de culture de ces jeunes, tout en tenant compte des limites de leurs moyens d'expression. Tout un faisceau d'intuitions se précisait ainsi. Il fallait l'analyser, avec les jeunes si possible.

Née d'une expérience pédagogique en milieu technique, et d'une recherche concernant le développement de l'intelligence de l'enfant1, cette première approche de l 'apprenti en école rejoignait les études générales concernant l'adolescence ; mais l'ensemble d'hypothèses psycho-sociologiques qu'elles nous fournissaient, demandait à être confronté à ce type bien particulier d'adolescent qu'est l 'apprenti scolarisé. Pour ce faire, il était indispensable de s'assurer la collaboration des apprentis eux-mêmes. L'originalité de la présente recherche réside précisément en ce que les apprentis furent étroitement associés à la découverte de leur mentalité. Promoteurs de la recherche, ils allaient devenir la cheville ouvrière de l'enquête.

Quels furent les principaux jalons de cette expérience passionnante ?

Après deux mois d'efforts communs, dans un climat d'ému- lation réciproque entre jeunes et éducateurs, un premier canevas d'étude de « la mentalité d 'un apprenti de l'école », était prêt. Schéma sommaire de questionnaire divisé en quatre parties : le métier, avec les problèmes relatifs à l 'adaptation professionnelle, au contenu de l'apprentissage et à l'estimation de l'avenir ; les relations avec la famille, les camarades : garçons et filles ; les loisirs dans leurs formes majeures et leurs liaisons avec l 'argent de poche ; enfin l'idéal saisi à travers quelques attitudes fonda- mentales religieuses et morales. Conçue comme une simple étude d'un milieu scolaire déterminé, cette ébauche se bornait à résumer une série de cercles d'études animés par des apprentis, par cinq d'entre eux surtout qui, à cette époque, étaient en deuxième année d'apprentissage. La personnalité de ces garçons devait for- tement marquer la mise au point et la diffusion de l'enquête. Ce petit groupe en vint bien vite en effet à désirer communiquer

(1) R . SCHIÉLÉ : U é go c e n t r i s m e , s a n a t u r e , s a v a l e u r . C o n t r i b u t i o n à u n e é t u d e s u r l a g e n è s e de l ' i n t e l l i g e n c e chez J e a n P i a g e t . L e t t r e - p r é f a c e d e J . PIAGET, P . A . S . , R o m e , 1957 , 315 p .

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le schéma ainsi élaboré à des c a m a r a d e s a p p r e n t i s d ' a u t r e s écoles. Des éduca t eu r s e x a m i n è r e n t ce p ro j e t et la possibil i té d ' u n sondage fu t envisagée.

Une enquê te pilote eu t alors lieu p e r m e t t a n t de con t rô le r le ques t ionna i re et d ' en mesu re r les lacunes. 408 réponses d ' a p p r e n - tis de fin d ' é tudes , mécanic iens p o u r la p l u p a r t , p r o v e n a n t de 13 écoles si tuées s u r t o u t en province, f u r e n t r e t o u r n é e s ; d e u x groupes de j eunes r e n v o y è r e n t leurs ques t ionna i res rempl i s en les a c c o m p a g n a n t d ' in t e rv iews enregis t rées ; celles-ci a p p o r t a i e n t , ou t r e des encou ragemen t s à mene r l ' enquê t e sur une plus v a s t e échelle, une série de suggest ions e t de r e m a r q u e s sur les ques t ions posées ; p r o p o s a n t comme t i t r e général de l ' enquê t e A nous la parole! , ils e n t e n d a i e n t bien p a r là en faire à la fois u n m o y e n d 'express ion et u n i n s t r u m e n t de conna issance de leur milieu.

Ce pro je t d e v a i t se réaliser au cours de l ' année scolaire 1959- 1960. Le m a t é r i a u de base de l ' enquê t e é t a i t le ques t ionna i re de la p ré -enquê te so igneusemen t modifié en fonc t ion des réponses des jeunes et de l ' é t a t général de la recherche c o n c e r n a n t l ' ado- lescence. Il p o r t a i t sur la p remière page la p h o t o g r a p h i e des cinq app ren t i s qui, depuis plus d ' u n an, a v a i e n t p a r t i c u l i è r e m e n t p rê té leur concours à son é l abora t ion e t par t ic ipé à sa diffusion ; il é t a i t i n t r o d u i t pa r ce t t e i n v i t a t i o n :

Cher camarade, tous les cinq de la même école, on a voulu se connaître. On a discuté et on a imera i t bien savoir si tu penses comme nous. Alors, on te propose ce questionnaire. Tu as la parole 12

Le choix de la p o p u l a t i o n de l ' e n q u ê t e fu t or ienté , selon le conseil de plusieurs spécialistes, p a r le désir de réal iser une a p p r o c h e compréhens ive de la men ta l i t é d ' u n t y p e donné d ' ado lescen t , c 'es t -à-di re une é tude en p r o f o n d e u r d ' u n g roupe de j eunes pré- s e n t a n t les m ê m e s ca rac té r i s t iques ma jeu re s (sexe, âge, app ren - t issage d ' u n m é t i e r manuel ) , mais suf f i samment i m p o r t a n t p o u r fourn i r une base s t a t i s t i que va lable à l ' exp lo i t a t i on et à l ' in te r - p r é t a t i on des résu l ta t s .

Une coord ina t ion pédagog ique é t a i t nécessaire ; les object i fs é t a n t précis et l imités, elle f u t possible. Il s 'agissai t , en somme, d ' a t t e i n d r e en un t e m p s r e s t r e in t une clientèle d ' ado lescen t s de 14 à 18 ans, p r é p a r a n t en mil ieu scolaire un cer t i f ica t d ' a p t i t u d e professionnelle ou un b reve t d ' é t u d e s industrielles3.

L ' e n q u ê t e fu t lancée en m a r s 1960. E n quinze jours , la p resque to t a l i t é des réponses ' ( 8 5 %) f é t a i t % o b t e n u e ; f inalement , su r 5 207 ques t ionna i res v; p résen tés à 51207 garçons, r e p r é s e n t a n t l 'effectif t o t a l de 51 écoles, 5 2 0 6 . : s o n ( r e v e n u s remplis . C'est dire

(2) Voir le fac-similé du questionnaire d'enquête en annexe. (3) Sur la définition de ces diplômes et le; niveau^de formation qu'ils

procurent, voir l'annexe, p. 297.

Page 19: LES APPRENTIS SCOLARISÉS

l ' i n t é r ê t que susc i ta ce t t e recherche . A ces m a t é r i a u x de base s ' a j o u t è r e n t d ' a u t r e s d o c u m e n t s ( in terv iews individuel les e t collec- t ives , en t re t i ens ) , d o n t l 'un , t o t a l e m e n t i m p r é v u au d é p a r t , d e v a i t s ' a v é r e r p a r t i c u l i è r e m e n t p réc ieux p o u r éva lue r l ' a u t h e n t i c i t é des réponses : des feuilles annexes , appelées ensui te p a r nous « t é m o i g n a g e s d ' e s t i m a t i o n », f u r e n t jo in tes l i b r emen t p a r les e n q u ê t é s à leur ques t i onna i r e ; ils y e x p r i m a i e n t s p o n t a n é m e n t leurs r éac t i ons d e v a n t l ' enquê te . D a n s 12 écoles a y a n t fourn i 2 000 réponses envi ron , 772 « t émoignages » o n t été ainsi recueil l is . Nous r ev i end rons avec plus de déta i ls sur ce t t e pa r t i e m é t h o d o - logique qu i c o m m a n d e , p o u r une p a r t i m p o r t a n t e , la va l eu r des r é su l t a t s ob tenus .

C o m m e n t s i tue r ce t te é tude , p a r r a p p o r t à d ' a u t r e s t r a v a u x f rança is récents , su r la j eunesse e t spéc ia lement su r l 'adolescent manue l ?

II. — SITUATION D E L ' E N Q U Ê T E

Le c h a m p des recherches f rança i ses su r la jeunesse , e t spécia- l e m e n t su r l ' adolescence, s ' e s t c o n s i d é r a b l e m e n t enr ichi d u r a n t les v i n g t dern iè res années ; la mise au po in t c o m m e l ' é l abo ra t ion de n o t r e é t u d e a l a r g e m e n t bénéficié de cet a p p o r t .

L ' inf luence des chercheurs amér i ca ins n ' e s t p a s é t r a n g è r e à ce r e n o u v e a u . Soucieux de s i tue r le p h é n o m è n e global de la p u b e r t é p h y s i q u e d a n s le c ad re plus v a s t e d ' u n e m a t u r a t i o n psycho log ique (Pichon4, Gesell5) ou sociale (Bernard6), psycho- logues e t sociologues o n t souligné l ' e m p r e i n t e d u mil ieu famil ia l e t scolaire (Landis7) sur le psych i sme juvéni le , dé t a i l l an t les d ivers m o d e s de son express ion intel lectuel le (Fleming8) ou

(4) E. PiCHON : Le Développement psychologique de l 'enfant et de l'adolescent, Masson, Paris, 1953. Cette vision génétique globale est reprise dans R. HUBERT : L a Croissance mentale, 2 vol., P .U.F . , Paris, 1949. Pour la discussion, voir M. DEBESSE : « La pensée pédagogique de R. H u b e r t », Rev. phil., avril 1952 ; A. FAUVILLE : Eléments de psychologie de l 'enfant et de l'adolescent, Vrin, Paris, 1948, 172 p.

(5) A. GESELL, F. ILL, L. AMES : Youth. The Years from Ten to Sixteen, New York, 1956. Trad. frang. : L'Adolescent de dix a seize ans, P .U.F . , Paris, 1959. Une excellente vision crit ique de cet ouvrage est presentee pa r M.ZEBROW- SKA : « Les facteurs du déve loppement psychique des adolescents », Enfance, sept.-dec. 1958, pp. 303-313.

(6) H. W. BERNARD : Adolescent Development in American Culture, New York, 1957. Dans la meme ligne, voir A. B. HOLLINGSHEAD : Elmtown's Youth : The Impact of Social Classes on Adolescence, New York, 1949 ; F. D. BROOKS : The Psychology of Adolescence, Boston, 1929.

(7) P. H. LANDIS : Adolescence and Youth : The process of maturing, 2e ed., McGrawHill , Londres , 1952, 461 p.

(8) C. M. FLEMING : Adolescence. I t s social psychology, Londres, 1948.

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m a n u e l l e (Crow9) . L ' a d o l e s c e n c e e s t le f r u i t d ' u n e c i v i l i s a t i o n , d ' u n t y p e d e c u l t u r e e t d ' u n e c l a s s e s o c i a l e d o n n é s .

I l n ' y a p a s d ' a d o l e s c e n c e ; il y a d e s a d o l e s c e n t s d e t e l p a y s , d e t e l l e é p o q u e , d e t e l m i l i e u . P o u r c o m p r e n d r e l ' a p p r e n t i o u le l y c é e n f r a n ç a i s , p o i n t n ' e s t d o n c b e s o i n d e r e c o u r i r a u x a c t i v i t é s s c o l a i r e s o u a u x a s p i r a t i o n s p a r t i c u l i è r e s d e l ' a d o l e s c e n t a m é r i c a i n . C o m m e l ' o n t m a i n t e s fo i s r é p é t é , e n t r e l e s a n n é e s 1 9 4 0 e t 1 9 6 0 , les p r o f e s s e u r s D e b e s s e 1 0 e t W a l l o n 11, il s ' a g i t d e « s a i s i r le j e u n e d a n s le c a d r e c o n c r e t d e s a c o n d i t i o n e t d e s o n d e v e n i r ». C ' e s t le

s e n s g é n é r a l d e l ' e f f o r t s c i e n t i f i q u e f r a n ç a i s d ' a p r è s - g u e r r e , m u l - t i p l i a n t e s s a i s e t r e c h e r c h e s p o u r t e n t e r d e d é g a g e r l e s n i v e a u x e s s e n t i e l s d e l a p e r s o n n a l i t é d e l ' a d o l e s c e n t e t m e t t r e e n v a l e u r les t r a i t s d i f f é r e n t i e l s d e s o n d e v e n i r . A t i t r e d ' e x e m p l e , q u e l q u e s d o m i n a n t e s m i s e s e n c a u s e p a r l e s r é s u l t a t s q u e n o u s a v o n s o b t e n u s , p e u v e n t ê t r e c i t é e s .

D a n s le d o m a i n e d e s z o n e s d e l a p e r s o n n a l i t é , l a v i e p s y c h o - l o g i q u e , l a l o g i q u e d e l ' a d o l e s c e n t ( P i a g e t 1 2 ) s o n t é t u d i é e s e n m ê m e t e m p s q u e l e s m a n i f e s t a t i o n s a f f e c t i v e s ( D r F a v e z - B o u t o n n i e r 1 3 ) e t s e x u e l l e s ( D r L e Moal14). D u r a n t l a p é r i o d e d e l ' a d o l e s c e n c e , d e s r e l a t i o n s n o u v e l l e s se n o u e n t a u s e i n d e l a f a m i l l e ( K o s k a s 1 5 ) ,

(9) L. D. CROW : Adolescent Development and Adjustment, New York, 1956, Ces vues s ' ha rmonisen t avec celles de E. HURLOCK : Adolescent Development. New York, 1949 ; A. T. JERSILD : The psychology of Adolescent, New York, 1957.

(10) M. DEBESSE. — Nous nous bornons à quelques articles f o n d a m e n t a u x : « Si tuat ion de l 'adolescence », Revue de métaphysique et de morale, 1941, pp. 118- 133 ; « La psychologie de l 'adolescence dans Emile de J . - J . Rousseau », Bull. de la Fac. des Lettres de Strasbourg, 1946 ; « La crise de l 'adolescence », Confé- rence à l 'Univers i té de Lausanne, Cahiers protestants, 1948 ; « L'adolescence e t les problèmes psychogénét iques », Reçue philosophique, janv . 1951 ; « L 'ado- lescence : une évolution >, Arb. zur Psychol. P à d a g und Heilpiid., t. 12, Fr ibourg, 1956 ; « L'adolescence est-elle une crise ? », Enfance, sept.-déc. 1958, pp. 286- 302.

(11) H. WALLON. — Voir la préface du numéro spécial d 'Enfance, sept.- déc. 1958 e t L'évolution psychologique de l 'enfant. Colin, Paris, 1941.

(12) J . PIAGET : De la logique de l 'enfant à la logique de l'adolescent, P .U .F . , Paris, 1955, 288 p. J . P iaget a repris ces vues dans le Symposium de Genève, en 1955. Voir : Les stades du développement intellectuel de l 'enfant et de l 'ado- lescent, P .U.F. , Paris, 1956, pp. 23-35.

(13) J. FAVEZ-BOUTONNIER : « La crise de l 'adolescent », Psyché, nov. 1946 ; « Vie sent imentale e t sexuelle de l 'adolescente », Ecole des parents, j anvier 1953 ; « L'affectivité de l 'adul te . De l 'adolescence à la ma tu r i t é », Chronique sociale de France, 1954, pp. 465-482.

(14) P. LE MOAL : Pour une authentique éducation sexuelle, Vitte, Lyon- Paris, 2e édit., 1961, 196 p.

(15) R. KOSKAS : « L 'adolescent e t sa famille », Enfance, nO 1, 1949, pp. 68-71. Cette enquête, menée auprès de 250 garçons de 15 à 18 ans, lycéens e t apprentis , se propose de rechercher quels adolescents r épud ien t leurs familles e t pourquoi certains adolescents acceptent ou r e j e t t en t leurs familles.

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avec les adultes, en général (Jenny16), avec les camarades (P.-H. Maucorps") dans le cadre scolaire ou durant les loisirs, au cinéma (R. et B. Zazzo18) ou par les lectures (O. Lévy-Brûhl, J. Hassenforder, Souriau19). L'adolescence est l'âge du choix, e t t r è s p a r t i c u l i è r e m e n t d u c h o i x p r o f e s s i o n n e l ( N a v i l l e 2 0 , L é o n 2 1 ,

Pétin22, Bacher23), sur le plan pratique d'une orientation à donner au jeune (Dr Rousselet24), mais aussi du choix religieux (Guittard25,

(16) J . JENNY : « L e j e u n e h o r s de s a f a m i l l e e t d a n s l a c i t é », E c o l e des

p a r e n t s , j a n v i e r 1 9 6 0 , p . 14 e t s u i v . C e t t e e n q u ê t e p o r t e s u r u n é c h a n t i l l o n de 5 6 j e u n e s ( g a r ç o n s e t fi l les d e 14 à 24 ans ) a p p a r t e n a n t à 43 m é n a g e s de B o r d e a u x e t de P e t i t - C l a m a r t .

(17) P . - H . MAUCORPS : « M a n i f e s t a t i o n s p r i m a i r e s d u c o m p o r t e m e n t c h e z l ' e n f a n t e t l ' a d o l e s c e n t : e x p a n s i v i t é e t p o l a r i s a t i o n », T r a v a i l h u m a i n , j u i l . -

d é c . 1 9 5 5 , p p . 2 5 7 - 3 1 3 , j a n v . - j u i n 1 9 5 7 , p p . 90 e t s u i v .

(18) R . e t B. ZAZZO : « L a j e u n e s s e e t le c i n é m a ", C o u r r i e r , C e n t r e i n t e r - n a t i o n a l de l ' e n f a n c e , a v r i l 1 9 5 8 , p p . 1 8 5 - 1 9 7 ; l es a u t e u r s o n t m e n é u n e e n q u ê t e

e n 1 9 5 5 - 1 9 5 6 a u p r è s d e 15 0 0 0 a d o l e s c e n t s (11 000 à P a r i s , 4 0 0 0 à A m i e n s ) ;

v o i r l e u r s a n a l y s e s d a n s « U n e e n q u ê t e s u r le c i n é m a e t l a l e c t u r e c h e z les a d o l e s c e n t s », E n f a n c e , 1 9 5 7 , no 3, p p . 3 8 9 - 4 1 1 ; « E x p é r i e n c e d u c i n é m a c h e z les a d o l e s c e n t s de m i l i e u x c u l t u r e l s d i f f é r e n t s », J o u r n a l de p s y c h o l o g i e , d é c . 1 9 5 7 .

(19) O. L É v y - B R Ú H L : « L e s a d o l e s c e n t s e t l a l e c t u r e », E n f a n c e , 1957 , n ° 5, p p . 5 6 1 - 5 6 7 . E n q u ê t e p o r t a n t s u r u n c h o i x d e 4 0 0 t i t r e s g r o u p é s e n

23 r u b r i q u e s ; « u n m i l l i e r d e j e u n e s de m i l i e u u r b a i n de 14 -18 a n s » (p. 2 6 4 ) o n t r é p o n d u : d e s l y c é e n s e t d e s a p p r e n t i s . D a n s l a m ê m e l i gne , v o i r les r e c h e r c h e s de J . HASSENFORDER, C e n t r e d ' é t u d e s é c o n o m i q u e s , P a r i s , 1 9 5 7 , e t l ' e x c e l l e n t e é t u d e d ' E . SOURIAU : « L a l e c t u r e c h e z les a d o l e s c e n t s ", E c o l e

des p a r e n t s , n ° 4, f é v r i e r 1 9 5 3 , p p . 3-9. (20) P . NAVILLE : « L a c r i s t a l l i s a t i o n d e l ' i l l u s i o n p r o f e s s i o n n e l l e ", J o u r n a l

de p s y c h . n o r m . et p a t h . , j u i l . - s e p t . 1 9 5 3 , p p . 3 1 6 - 3 4 9 , é t u d e f o n d a m e n t a l e b a s é e s u r u n e e n q u ê t e de 78 q u e s t i o n s e f f e c t u é e a u p r è s d e 23 e n f a n t s d e 14 a n s .

(21) A. LÉON : « L e c h o i x p r o f e s s i o n n e l d e s c a n d i d a t s a u x c e n t r e s d ' a p p r e n -

t i s s a g e )J, B . I . N . O . P . , j u i n 1 9 5 2 , 76 p . ; e n q u ê t e e f f e c t u é e e n j u i n 1 9 5 0 a u p r è s d e 415 c a n d i d a t s a p p a r t e n a n t à 4 c e n t r e s , p o r t a n t s u r 6 m é t i e r s e t c o m p o r t a n t

d e s e n t r e t i e n s (37) r é a l i s é s e n j a n v i e r 1 9 5 1 ; « V a r i a t i o n s de c h o i x p r o f e s s i o n n e l

e n r a p p o r t a v e c l ' e x p é r i e n c e p r a t i q u e d ' u n c e n t r e d ' a p p r e n t i s s a g e », B . I . N . O . P . , V , 1 9 5 3 , p p . 2 0 4 - 2 1 6 ; c e t t e é t u d e p o r t e s u r l ' e x a m e n d e 30 a p p r e n t i s e n 6 é t a p e s .

(22) M. PÉTIN : « U n e é t u d e s u r les c o n d i t i o n s a c t u e l l e s d u t r a v a i l c h e z

les j e u n e s de m o i n s d e 18 a n s ", B . J . N . O . P . , n ° 2, m a r s - a v r i l 1 9 5 4 . (23) F . BACHER : « E t u d e s u r l a s t r u c t u r e de l ' i n f o r m a t i o n a p p o r t é e p a r

l ' e x a m e n d ' o r i e n t a t i o n p r o f e s s i o n n e l l e », B . I . N . O . P . , X I I I , n u m é r o s p é c i a l ,

1 9 5 7 , e n q u ê t e e f f e c t u é e a u p r è s de 132 g a r ç o n s e t 123 fil les de 12 à 17 a n s e t t e n d a n t à m e t t r e e n v a l e u r l ' i n f l u e n c e d e 70 v a r i a b l e s . :

(24) J . ROUSSELET : « E t u d e s u r u n é c h a n t i l l o n de m a i n - d ' œ u v r e j u v é n i l e , m i n i s t è r e d u T r a v a i l , C e n t r e d ' é t u d e s e t de r e c h e r c h e s s u r les c o n d i t i o n s

d ' e m p l o i e t de t r a v a i l d e s j e u n e s , P a r i s ; e n q u ê t e p o r t a n t s u r 1 758 f i l les e t 1 704 g a r ç o n s d e 14 à 18 a n s , p l a c é s e n 1 9 5 4 ; « I n f l u e n c e d e s f a c t e u r s s o c i o -

é c o n o m i q u e s s u r l a m i s e a u t r a v a i l d è s l a fin de l a p é r i o d e d e s c o l a r i t é o b l i g a - t o i r e », E n f a n c e , s e p t . - d é c . 1 9 5 8 , p p . 4 0 7 - 4 1 9 .

(25) L . GUITTARD : L ' é v o l u t i o n r e l i g i e u s e des ado le scen t s , S p e s , P a r i s , 1 9 5 2 , 4 9 2 p . ; c e t t e é t u d e r e p o s e s u r u n e e n q u ê t e e f f e c t u é e e n m i l i e u s e c o n d a i r e à

p a r t i r de t r o i s q u e s t i o n s r e l a t i v e s a u x a t t i t u d e s r e l i g i e u s e s d e s j e u n e s .

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Babin26, Delooz27). Ces options et ajustements peuvent s'effectuer sans heurts, mais des retards, des blocages ou des ruptures peuvent survenir. De nombreuses études ont été consacrées à ces problèmes ; des psychiatres (Pr Heuyer28), des juristes (Chazal29), des édu- cateurs (Joubrel30) se sont attachés à ces drames de l'adolescent inadapté en proposant diverses thérapeutiques et solutions pédagogiques.

Mais lorsque l'on aborde l'étude de l'adolescence dans le cadre de sa condition concrète : garçon ou fille (V. Isambert- Jamati31) par exemple, ou de sa situation : citadin ou rural (R. Bur- det32), scolarisé ou non scolarisé, les travaux nous ont semblé plus dispersés et plus rares. Une illustration peut nous en être fournie par un coup d'œil rapide sur les études concernant le monde de l'adolescence scolarisée.

Certes, d'importantes recherches ont été effectuées sur des élèves de fin d'études de l'enseignement primaire (13-14 ans) : Romier33, par exemple, a étudié le goût professionnel de ces jeunes, Larcebeau34 et Bacquet35, le choix du métier et l'influence de la famille sur ce choix ; Alain Girard, enfin, dans des articles très

(26) P. BABIN : Les jeunes et la foi, éd. du Chalet, Lyon, 1960, 279 p. ; cet te étude se réfère à une enquête menée auprès de 2 000 adolescents : Le Dieu des adolescents, Ed. du Chalet, Lyon, 1963.

(27) P. DELOOZ : « Enquê te sur la foi des collégiens », Nouvelle Revue théologique, déc. 1949. Sur ce point de vue religieux, voir l 'excellente synthèse de bibliographie de L. BARBEY : L'orientation religieuse des adolescents, Ecole, Paris, 1962, 140 p.

(28) G. HEUYER : « Caractères psychologiques de l 'adolescence », Ecole des parents, nO 2, déc. 1952, p. 3 e t suiv.

(29) J. CHAZAL : « Les amitiés de jeunes e t la vie en groupe », Ecole des parents, mai 1958, pp. 15-18 ; « Du conflit familial au conflit avec la société », Ecole des parents, n° 10, oct. 1955.

(30) H. JOUBREL : « Aspects de la jeunesse française en 1959 », annexe à Actualités sociales, n° 12, déc. 1959 ; « Le désarroi des jeunes à l'ère a tomique », Culture humaine, no 10, déc. 1957, pp. 308-311.

(31) V. ISAMBERT-JAMATI : « Educa t ion e t ma tu r i t é sociale dans la France contemporaine », Cahiers internationaux de sociologie, 1961, pp. 129-144.

(32) R. BURDET : « Les jeunes e t l 'exode rural », Economie et Humanisme, mai-juin 1956, pp. 246-254 ; réflexions sur une enquête de la J.A.C. dans l 'Isère e t po r t an t sur plus de 36 000 jeunes.

(33) P. ROMIER : « Goûts professionnels », B . I .N .O.P . , n° 9-10, 1950, pp. 129-141, n° 11-12, 1950, pp. 163-172 ; enquête effectuée à Sain t -Et ienne en 1944-1945 sur 650 enfants en fin d 'é tudes pr imaires (258 garçons de 12-15 ans e t 422 garçons e t filles de 12-15 ans) e t r echerchan t l 'influence du milieu sur le choix e t les mot ivat ions du métier.

(34) S. LARCEBEAU : « Quelques éléments concernant le choix profession- nel de garçons de classes de fin d 'é tudes primaires ),, B . I .N .O .P . , nO 2, 1956, pp. 101-114.

(35) R. BACQUET, A. LÉON, J. CAMBON : « E tude des in teract ions enfants- milieu dans l 'é laborat ion du choix professionnel », B . l .N .O .P . , nO 3, mai-juin 1955, pp. 187-224 ; enquête effectuée en 1953-1954 auprès de 80 jeunes en fin

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remarqués, a mis en valeur l'empreinte du milieu scolaire sur la sélection et l 'orientation des enfants de 10 à 14 ans36.

Mais le milieu prédestiné pour l 'étude de l'adolescent semble avoir été, chez nous, depuis un quart de siècle, la clientèle des lycées, des collèges ou des écoles normales. C'est là que Men- dousse37 et Debesse38 ont recueilli leurs témoignages. Dans le vaste secteur de l'enseignement secondaire, enquêtes et sondages de tous genres se sont multipliés. On recherche les origines socio- professionnelles des enfants (C. Peyre39), les intérêts professionnels de ces jeunes (Derivière40), leurs loisirs préférés (Giraud41). Tel éducateur élabore une synthèse sur l'adolescent, à partir de documents personnels et de témoignages directement fournis par des lycéens sur le problème sexuel (Chambre42) ; tel mouvement confessionnel, en 1957, peut obtenir en moins de trois mois, 5 0 0 0 0 r é p o n s e s à u n q u e s t i o n n a i r e s u r « l ' A v e n i r d e s j e u n e s 4 3 » .

Et, en 1951, A. Girard offre un tableau suggestif des aspirations

d'études primaires, sous forme d'entretiens ; avec également 28 entretiens de parents (janvier 1954).

(36) A. GIRARD : « Orientation et sélection des enfants d'âge scolaire », Population, n° 4, 1954, pp. 597-634, enquête réalisée en 1953 et portant sur 18 331 élèves en fin d'études primaires.

(37) P. MENDOUSSE : L'âme de l'adolescent, Alcan, 1909 ; 5E éd., P.U.F., Paris, 1947.

(38) M. DEBESSE : La crise d'originalité juvénile, P.U.F., Paris, 1948, 3e éd., 328 p.

(39) C. PEYRE : « L'origine sociale des élèves de l'enseignement secondaire en France », Ecole et société, Rivière, Paris, 1958, pp. 6-33 ; « Les enfants des ouvriers dans l'enseignement secondaire «, Recherche sociol., janv. 1957, n° 1.

(40) R. DERIVIÈRE : « Le contrôle des intérêts professionnels dans l'ensei- gnement secondaire », Traçail humain, XVI, 1-2, 1953, pp. 1-31 ; enquête portant sur 461 sujets de 15 à 18 ans (garçons et filles) de l'enseignement classique.

(41) J. GIRAUD : « L'adolescence et le cinéma. Problèmes de méthodo- logie », Information pédagogique, n° 3-5, 1950, pp. 73-78.

(42) P. CHAMBRE : « Ce que les jeunes gens pensent des jeunes filles J, Ecole nouvelle française, nO 75-76, janv.-févr. 1960 ; l'auteur utilise des témoi- gnages portant sur les années 1942-1959 ; Les jeunes devant l'éducation sexuelle (avec le témoignage de centaines d'adolescents), Néret, Paris, 1959, 161 p.

(43) 50 000 jeunes parlent de leur avenir professionnel, éd. de l'Epi, Paris, 1958, 32 p. Cette publication rend compte du référendum lancé par la J.E.C., en février 1957 auprès de 46 199 garçons et 5 184 filles, presque uniquement du secondaire. A rapprocher d'autres enquêtes importantes : « La jeunesse française en 1950 », Action laïque, mai 1950 ; enquête lancée en 1950 portant sur 12 questionnaires (724 questions) ayant trait aux principaux intérêts des jeunes ; 7 000 garçons et filles de 14 à 20 ans ont été atteints ; cette syn- thèse est présentée par M. GOURIN : « Les jeunes choisissent-ils leur métier ? », Bulletin d'information et de documentation professionnelle, n° 147, 1954, pp. 113- 119, enquête effectuée dans l'enseignement libre : 801 élèves du secondaire (de 10 à 16 ans) ont répondu.

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professionnelles de 4 669 élèves de 7 lycées pa r i s i ensu . Auprès de ces jeunes , hab i tué s à l ' ana lyse intel lectuel le , une c o n s u l t a t i o n est r e l a t i v e m e n t aisée ; elle peut , fac i lement , fourn i r une docu- m e n t a t i o n psychologique e t sociologique de g r ande va leur .

Lorsque l 'on passe au m o n d e technique et, p lus par t icu l iè re- m e n t , à la conna issance de l 'adolescent manue l v i v a n t en école ou, d a n s u n cadre plus vas t e , en a r t i s a n a t et dans les en t rep r i ses industr ie l les ou commercia les , les é tudes son t moins nombreuses . L ' a p p r e n t i en a r t i s a n a t est t rès mal c o n n u e ; l ' a p p r e n t i sur « le t a s » e t le j eune ouvr ie r bénéf ic ient des excel lents t r a v a u x de N. de Maupeou-Leplâtre46 qui a recueil l i les t émoignages de 300 (1957) puis de 419 (1958-1960) jeunes , d ' a r t i c l es d 'A. Michel47 e t d ' u n e i m p o r t a n t e d o c u m e n t a t i o n d u Dr Rousse le t su r les « condi t ions d ' emplo i e t de t r ava i l des j eunes » (1954), syn thé t i s ée d a n s l 'Adolescent en apprentissage48.

Mais, où en est la conna issance de l ' app ren t i scolarisé f rançais , élève de l ' ense ignemen t t e c h n i q u e p r é p a r a n t u n C.A.P. ou u n B . E . I . ? Les e n q u ê t e s les plus r e m a r q u é e s des récentes années : 1957 (Perruchot49), 1958 (Giroud50), 1959 (Hourdin51), 1961 (M. de Saint-Pierre52) n ' y f o n t a u c u n e al lusion ; la p o p u l a t i o n

(44) A. GIRARD : « Mobilité sociale e t dimensions de la famille », Popu- lation, janv . -mars 1951, n° 1, pp. 103-124.

(45) A. AUGÉ a fourni une excellente synthèse sur l 'apprent issage en a r t i sana t dans «L'apprentissage e t diverses format ions professionnelles », Ensei- gnement problème social, Semaine sociale de Versailles, 1958, pp. 270 et suiv.

(46) N. DE MAUPEOu-LEPLATRE. — Dans le cadre des t r a v a u x de l ' Ins- t i t u t des Sciences sociales du Travail , citons : « Approche sociologique des jeunes ouvriers », 1958 ; « Le cheminement professionnel des jeunes ouvriers », 1961-1962 (étude de 419 histoires individuelles). T r a v a u x synthét isés dans : « Le jeune ouvrier dans l 'entreprise : une s i tuat ion de minori té », Sociologie du Travail, j anv . -mars 1960, pp. 39-52 ; « Niveau d 'aspirat ion. S t a t u t profes- sionnel e t revenu. E tude sur des jeunes ouvriers parisiens », Sociologie du Travail , j anv . -mars 1962.

(47) A. MICHEL : « Quelques problèmes relatifs à la jeunesse ouvrière », Vers l 'éducation nouvelle, janv.-févr. 1960.

(48) J . ROUSSELET : L'adolescent en apprentissage, P .U.F . , Paris, 1961, 145 p.

(49) H. PERRUCHOT : La France et sa jeunesse, Hachet te , Paris, 1958, 208 p., enquête menée en milieu é tud ian t pr incipalement .

(50) Fr . GIROUD : La nouvelle çague, Gallimard, Paris , 8e éd., 1958, 344 p. Enquê te menée par l ' I .F .O.P . en octobre 1957 : 24 questions ; sur 15 000 réponses, 200 ont été choisies p rovenan t de jeunes de 18 à 30 ans (44 % milieu ouvrier e t 14 % milieu rural).

(51) G. HOURDIN : « La nouvelle vague croit-elle en Dieu ? », Informations catholiques internationales, 15 déc. 1958. Enquê te effectuée par l ' I .F .O.P . auprès de 1 524 jeunes de 18 à 30 ans. Travai l publié au Cerf, Paris, 1960, 132 p.

(52) M. DE SAINT-PIERRE : La nouçelle race, Table Ronde, Paris , 1961, 248 p. Enquê te effectuée en majeure part ie auprès de jeunes, des milieux intellectuels su r tou t (p. 33), en 14 questions.

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étudiée est composée de jeunes adultes appartenant le plus sou- vent à des milieux intellectuels et dont les âges varient de 18 à 30 ans ; l 'enquête de l ' Insti tut français d'opinion publique (I.F.O.P.) elle-même (1963), ne permet pas de dégager un échantillon précis d'adolescents manuels parmi « les 16-24 ans » étudiés63.

Autour des années 1948-1950, cependant, une équipe de chercheurs venus principalement de l ' Inst i tut national d'orien- tation professionnelle (I.N.O.P.) s'est attaquée au problème de l 'apprenti en école, ou à sa sortie de l'école (Cambon54). Le choix professionnel, en tout premier lieu, a bénéficié des pénétrantes études de P. Naville55 et de A. Léon56 ; l 'approche psychotechnique et anthropométrique, en 1954 et 1957, a été éclairée par Ledoux57 et Bacher58. A l'intérieur de groupes restreints, dans la Creuse et dans la région parisienne, l'influence du milieu familial a été déterminée par rapport à l'habileté manuelle (Chouffet59) ou au choix professionnel (Gugenheim60) de l 'apprenti ; en comparaison avec des jeunes lycéens, la mentalité de l'adolescent manuel a été analysée dans le domaine de l'affirmation de la personnalité (B. Zazzo61) ou dans des atti tudes définies ; face, par exemple,

(53) J. DUQUESNE : Les 16-24 ans, Centurion, Paris , 1963, 248 p. Enquê te effectuée pa r l ' I .F .O.P . , fin 1961 sur « un échanti l lon représenta t i f à la fois des milieux sociaux et des diverses régions » (p. 7).

(54) J. CAMBON : « Enquê te sur les activités professionnelles d 'anciens élèves de centres d 'apprent i ssage parisiens », B . I .N .O.P . , XI, numéro spécial, 1956, pp. 1-58. Recherche m o n t r a n t l ' in tégra t ion des apprent i s dans les différents milieux de travail . Sur 2 445 jeunes touchés, 979 ont répondu.

(55) P. NAVILLE : « L'i l lusion professionnelle », Enfance, janv.-févr. 1949, pp. 41-53.

(56) A. LÉON : « Conditions pédagogiques e t sociales de quelques moti- vat ions professionnelles chez l 'adolescent », B . I . N .O.P., nov.-déc. 1954, p. 259 e t suiv.

(57) V. LEI)OUX : « Etude an thropomét r ique , psychométr ique e t sociale d ' un groupe d 'adolescents parisiens », B . I . N .O.P., numéro spécial, 1954, 91 p. L ' a u t e u r étudie 250 appren t i s de 5 centres (3 à Paris) e t me t bien en valeur, en particulier, l 'influence du niveau socio-économique sur la réussite des tests d 'O.P .

(58) F. BACHER : « E tude sur la s t ruc ture de l ' in format ion apportée pa r l ' examen d 'Or ien ta t ion professionnelle », B . I . N .O.P., numéro spécial, 1957, 108 p. ; « Etude de la liaison s ta t is t ique entre deux variables pa r la méthode de l ' in format ion », B . I . N . O . P , 1957, pp. 13-25.

(59) P. F. CHOUFFET : « Le milieu éducat i f e t le développement de l 'habi- leté manuelle chez l 'adolescent », Technique, Art, Science, oct.-nov. 1951. Cette étude réalisée dans un centre du b â t i m e n t de la Creuse, étudie 800 garçons de 14 à 17 ans.

(60) C. GUGENHEIM : « E tude des intérêts professionnels d ' un groupe d ' appren t i s », Traça i l humain, XVIe année, n° 1-2, 1953, pp. 81-89. Cette enquête réalisée dans la région parisienne auprès de 320 apprent is de 14 à 16 ans, s'efforce de dé te rminer l 'influence du milieu familial sur le choix du métier.

(61) B. ZAZZO. — Citons, pa r exemple : « E tude différentielle de l ' image

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à la famille (Koskas), à l'idéal civique et religieux (F. Malley62), aux loisirs ou au « héros » (Teindras et Thireau63). Presque chaque année, des mouvements confessionnels, tels que la J.O.C. (Avenir d e s j e u n e s , 1 9 5 8 ; O r i e n t a t i o n p r o f e s s i o n n e l l e , 1 9 6 0 6 4 e t l a

J . A . C . ( L o i s i r s 6 5 ) o n t l a n c é d e s e n q u ê t e s p a r m i l e s a d o l e s c e n t s e t

a d o l e s c e n t e s , i n v i t a n t c e s j e u n e s à r é f l é c h i r à l e u r s p r o b l è m e s

d e v i e e t r é u n i s s a n t a i n s i u n e d o c u m e n t a t i o n p s y c h o l o g i q u e e t

p é d a g o g i q u e d ' u n e v a l e u r e x c e p t i o n n e l l e .

A c ô t é d e c e s é t u d e s o u e n q u ê t e s , c i t o n s e n c o r e d e u x a p p r o c h e s

o r i g i n a l e s d e l ' a p p r e n t i s c o l a r i s é , p a r t i c u l i è r e m e n t s o u c i e u s e s d e

c e r n e r l e s d o m i n a n t e s à l a f o i s p s y c h o l o g i q u e s e t s o c i o l o g i q u e s

d e c e t y p e d ' a d o l e s c e n t e t q u e n o u s a v o n s u t i l i s é e s . E n 1 9 4 5 , u n e

« E n q u ê t e s u r l ' a d o l e s c e n c e o u v r i è r e » d e P a u l J u i f 8 6 p r é s e n t a i t

u n i n v e n t a i r e s é r i e u x , l ' u n d e s m e i l l e u r s à n o t r e s e n s , d u c o m p o r -

t e m e n t e t d e s a t t i t u d e s d e l ' a p p r e n t i e n é c o l e , e t , e n 1 9 4 8 , u n e

a n a l y s e d e F . C a n o n g e 6 7 o f f r a i t u n t a b l e a u n u a n c é d e s « i n t é r ê t s

e t c u r i o s i t é s » d e t r o i s c e n t s j e u n e s d e t r e i z e c e n t r e s d ' a p p r e n t i s -

s a g e : d e u x r e c h e r c h e s m e n é e s p a r d e u x é d u c a t e u r s q u i t é m o i g n e n t

d ' u n e r a r e c o n n a i s s a n c e d u m i l i e u ; l e u r e x p l o i t a t i o n e s t m a l h e u -

r e u s e m e n t d e m e u r é e t r o p r e s t r e i n t e : l a p r e m i è r e n ' a p a s p u b l i é

t o u s l e s r é s u l t a t s d e s e s « c e n t v i n g t - c i n q m o n o g r a p h i e s » e t l a

s e c o n d e n ' a p a s é t e n d u s o n e x c e l l e n t q u e s t i o n n a i r e à d ' a u t r e s

é c o l e s .

E n 1 9 5 6 , u n s p é c i a l i s t e d e l ' a d o l e s c e n t i n t e l l e c t u e l é c r i v a i t :

« L ' a d o l e s c e n t s c o l a i r e e t l ' a d o l e s c e n t a p p r e n t i r é p o n d e n t à d e s

s i t u a t i o n s d i f f é r e n t e s , r e p r é s e n t a n t d e u x m e n t a l i t é s a s s e z d i s t i n c t e s .

d e s o i c h e z l e s a d o l e s c e n t s », E n f a n c e , s e p t . - d é c . 1 9 5 8 , p p . 3 5 3 - 3 7 8 . U t i l i s a n t

s o n i n t é r e s s a n t e m é t h o d e d ' i n t e r v i e w , l ' a u t e u r é t u d i e 3 7 2 s u j e t s ( a p p r e n t i s

e t l y c é e n s ) e t m o n t r e l e s m o d e s d i v e r s d e l a s t r u c t u r a t i o n d u m o i .

( 6 2 ) F . M A L L E Y : « I m a g e s d e l a n o u v e l l e v a g u e », E c o n o m i e e t H u m a n i s m e ,

j u i l . - a o û t 1 9 5 9 , p p . 6 2 - 7 2 . E t u d e c o m p a r a t i v e s u r d i v e r s s u j e t s ( l a v i e c i v i q u e

n o t a m m e n t ) p o r t a n t s u r 1 3 0 g a r ç o n s d e 1 7 à 1 9 a n s , 7 0 l y c é e n s e t 6 0 é l è v e s

d u t e c h n i q u e .

( 6 3 ) G . T E I N D R A S e t Y . T H I R E A U : L a J e u n e s s e d a n s l a f a m i l l e e t l a s o c i é t é

m o d e r n e . E d i t i o n s s o c i a l e s f r a n ç a i s e s , t o m e s I e t I I , P a r i s , 1 9 6 1 , p p . 3 5 3 - 3 8 1 .

V o i r l ' a n a l y s e d e c e t o u v r a g e d a n s l ' A n n é e s o c i o l o g i q u e , 1 9 6 1 , p p . 4 4 1 - 4 4 5 .

( 6 4 ) V o i r , p a r e x e m p l e , l e n u m é r o s p é c i a l d e J e u n e m e n e u r , d é c . 1 9 5 8 ,

1 2 , a v e n u e S œ u r - R o s a l i e , P a r i s - 1 3 e .

( 6 5 ) J . A . C . : P l e i n f e u s u r n o s l o i s i r s , 4 0 , r u e L a B r u y è r e , P a r i s - 9 e . C e

f a s c i c u l e s y n t h é t i s e l e s r é p o n s e s d e 1 8 0 0 0 j e u n e s r u r a u x a u r e f e r e n d u m

l a n c é p a r l a J . A . C . - J . A . C . F . e n 1 9 5 8 - 1 9 5 9 .

( 6 6 ) P . J U I F : « E n q u ê t e s u r l ' a d o l e s c e n c e o u v r i è r e ", A p p r e n t i s s a g e ,

r e v u e d e s c e n t r e s d ' a p p r e n t i s s a g e , 6 8 , r u e J . - J . - R o u s s e a u , P a r i s - l e r , n o s 2 à

7 , o c t o b r e à a v r i l 1 9 4 5 - 1 9 4 6 .

( 6 7 ) F . C A N O N G E : « I n t é r ê t s e t c u r i o s i t é s d e s é l è v e s d e c e n t r e d ' a p p r e n -

t i s s a g e », E n f a n c e , s e p t . - o c t . 1 9 4 8 , p p . 3 0 4 - 3 1 6 . E n q u ê t e p o r t a n t s u r 3 0 0 é l è v e s

d e 1 3 c e n t r e s d e P a r i s e t u t i l i s a n t u n q u e s t i o n n a i r e ( 3 7 q u e s t i o n s ) r e l a t i f a u x

i n t é r ê t s d e s a p p r e n t i s : m é t i e r , r e l a t i o n s , l o i s i r s , i d é a l .

Page 27: LES APPRENTIS SCOLARISÉS

La psychologie du second est encore bien moins connue que celle du premier. Mais tout porte à croire que la création récente, en France, de nombreux centres d'apprentissage va permettre de mieux étudier les traits psychologiques propres à l'apprenti68. »

Si ce r a p i d e t o u r d ' ho r i zon nous p e r m e t de re lever que lques c o n t r i b u t i o n s t rès in t é re s san tes d a n s l ' é t u d e de l ' adolescence

manue l le , il nous en m o n t r e auss i les n o m b r e u s e s l acunes (secteur r u r a l e t a r t i s a n a t en t re au t res , Duchapt69). U n e œ u v r e i m p o r t a n t e res te à faire. La p résen te é tude se s i tue d a n s c e t t e a p p r o c h e différentiel le de l 'adolescence. Liée à une expér ience définie, d a n s u n cadre d o n t nous avons la descr ip t ion , ce t t e e n q u ê t e s ' appu i e su r des hypothèses e t m e t en œ u v r e une méthode qu ' i l nous f a u t p r é s e n t e r m a i n t e n a n t de façon plus approfond ie .

(68) M. DEBESSE : Psychologie de l 'enfant, Bourrelier, Paris, 1956, p. 71. (69) H. DUCHAPT : « L 'habi le té manuelle chez les jeunes r u r a u x en vue

de leur adap t a t i on à d ' au t res métiers que celui d 'agr icu l teur », Enfance, j anv . - févr. 1959, pp. 49-53.

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C H A P I T R E II

A LA DÉCOUVERTE D'UNE MENTALITÉ

Lorsque, dans le Petit Prince, Saint-Exupéry déclare : « On ne connaît bien que les choses que l'on apprivoise », il rappelle au chercheur, et plus encore peut-être à l'éducateur, que, dans les sciences humaines, une connaissance vraie n'est possible qu'au prix d'un dialogue et d'une approche originale. Cette approche ne s'improvise pas. Elle exige collaboration et confiance de la part du jeune et du groupe qu'il s'agit de connaître, et son « secret », c'est un langage patiemment recherché, adapté, unifié par un thème, et guidé par des idées maîtresses qui lui donnent un style et un visage propres.

La présente étude est entièrement fondée sur un dialogue jailli d'une rencontre : elle s'est développée dans une expérience et s'est organisée autour de quelques hypothèses initiales. Les- quelles ? Comment et pourquoi les avons-nous choisies ? Quelle signification leur avons-nous donnée et quelle utilisation en avons-nous faite ?

Ces données théoriques vont faire l'objet de ce chapitre ; leur importance est majeure, car non seulement elles engagent la structure de cette enquête, mais elles commandent aussi la pré- sentation de sa méthode et l ' interprétation de ses résultats.

Un terme simple et courant, saisi au hasard d'une conver- sation, a constitué l'intuition initiale de ce travail. « C'est notre mentalité qui nous distingue des autres jeunes de notre âge qui font des études. »

Si l'expression semblait saisie par les garçons et permettait immédiatement un dialogue des plus instructifs, une analyse atten- tive du terme lui-même s'imposait à nous. Comment fonder une étude de milieu sur un concept équivoque ou mal défini ?

Le terme de mentalité est, certes, d'usage fréquent tant dans la langue courante que dans le langage scientifique. Nous en

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conna issons l ' u t i l i sa t ion en histoire1, en ethnologie2, en philo- sophie3 et, s u r t o u t , en psychologie de l ' e n f a n t e t de l ' ado lescen t ( t r a v a u x de J . Piaget4 e t de M. Debesse5) ; mais une ce r t a ine rése rve vis-à-vis du c o n t e n u précis de ce concep t semble ex i s te r chez de n o m b r e u x psychologues et sociologues contemporains6 .

(1) Voir, par exemple, les travaux de H.-I. MARROU dans un domaine particulier : l'Histoire de l'éducation dans l'antiquité, Seuil, Paris, 5e éd., 1963, 594 p. où le style d'éducation des Grecs et des Latins reflète la mentalité de ces peuples. Sur cette question : mentalité et histoire, voir aussi G. DUBY : « Histoire des mentalités », pp. 937-969 dans L'histoire et ses méthodes, Pléiade, 1961, Paris.

(2) L. LÉVY-BRÛHL : Les fonctions mentales dans les sociétés primitiçes, Alcan, Paris, 1910. Le concept de mentalité est présenté dans cet ouvrage avec ses caractéristiques de participation, d'affectivité désignant une logique différente de la nôtre. Dans ses célèbres « Carnets », l'auteur, en 1939, corrigea, comme on le sait, sa vision première de la mentalité : « En ce qui concerne le caractère prélogique de la mentalité primitive... je croyais trouver des habi- tudes de pensées différentes des nôtres. Il faut abandonner franchement un parallélisme arbitraire et artificiel. » Les carnets de L. Léçy-Brühl, P.U.F., Paris, 1949, pp. 60-61. G. LÉVI-STRAUSS abandonne ce terme de mentalité primitive : cc Contrairement à l'opinion de Lévy-Brühl, cette pensée procède par les voies de l'entendement, non de l'affectivité ; à l'aide de distinctions et d'oppositions, non par concussion et participation. » La pensée sauçage, Plon, Paris, 1962, p. 355.

(3) Voir spécialement la communication de J. GUITTON au IXe Congrès international de Philosophie, Congrès Descartes (1er au 6 août 1937), Esprit et mentalité. Dans la tradition cartésienne, l'auteur montre l'originalité de l'esprit, le « mens » de Descartes par rapport à la mentalité (pensée sociale). Voir du même auteur : Le temps et l'éternité chez Plotin et saint Augustin, Boivin, Paris, 1933, 397 p. Il déclare : « Nous appelons mentalité cette pensée antérieure à la pensée, cet humus mental où l'idée la plus personnelle doit de force s'enraciner, cette table innée des catégories et des valeurs, en un mot, l'ensemble de ces assomptions implicites, qui nous sont imposées par le milieu, qui règlent nos jugements. » O. c., p. xm.

(4) Une vision d'ensemble sur la mentalité de l'enfant et de l'adolescent est présentée dans De la logique de l'enfant à la logique de l'adolescent, P.U.F., Paris, 1955, 288 p. L'hypothèse d'une mentalité enfantine découverte à partir du langage se manifeste, selon J. PIAGET, par l'égocentrisme. C'est tout d'abord l'égocentrisme logique : l'enfant fait sa vérité (voir Le jugement et le raisonne- ment chez l'enfant, 1925), puis l'égocentrisme ontologique : l'enfant fait sa réalité (voir La représentation du monde chez l'enfant, 1926) ; puis l'égocentrisme moral ; l'enfant fait sa règle (voir Le jugement moral chez l'enfant, 1932) et enfin, l'auteur, revenant au tout premier âge, présente l'égocentrisme sensori-moteur : l'enfant construit son univers (voir La construction du réel chez l'enfant, 1936).

(5) M. DEBESSE spécifie la mentalité de l'adolescent comme « un ensemble d'intérêts, de croyances et d'habitudes de pensée auquel on peut laisser le nom de mentalité », Reçue de philosophie, avril-mai 1952, p. 33. Sur un aspect caractéristique de cette mentalité, voir M. DEBESSE : L'adolescence, P.U.F., Paris 1960, p. 99 et surtout « Situation de l'adolescence ", Revue de métaphysique et de morale, 1941, pp. 164 et 168 ; « L'adolescent » dans Psycho- logie de l'enfant, Bourrelier, Paris, 1956, pp. 71-72.

(6) A titre d'exemple, le terme de mentalité ne figure pas aux index

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P l u t ô t que de p a r t i r d ' une déf ini t ion basée sur une théor ie abs t r a i t e capable de fausser t ous nos résu l ta t s , nous avons préféré obse rver et décrire.

R e s t a n t t rès proche d u milieu que nous voul ions connaî t re , nous avons cherché à saisir son r y t h m e , exploré son relief et, dans une vision de survol , t en t é de repére r que lques « d o m i n a n t e s » de sa conf igura t ion . Cet te ana lyse phénoméno log ique ne p r é t e n d donc à a u c u n e généra l i sa t ion ; l imi tée à une expér ience péda- gogique, elle r eprésen te la visée d ' u n o b s e r v a t e u r sur u n groupe , d a n s des c i rcons tances précises et v o l o n t a i r e m e n t l imitées. Ce t t e visée es t donc part iel le . Mais elle possède ses objectifs, son po in t de vue , son p a n o r a m a qu ' i l est possible de circonscrire. La défi- n i t ion que nous proposerons n ' e s t donc pas ex té r ieure à la recherche, mais engendrée , éclairée, dirigée p a r elle ; selon une r e m a r q u e d ' u n psychologue, elle « t r o u v e t o u t son sens en fonc t ion d ' u n cadre de référence plus ou moins expl ic i te et d ' u n hor izon su r lequel elle se détache7. »

Les « d o m i n a n t e s » qui qua l i f ien t le g roupe observé m é r i t a i e n t u n n o m ; p lus ieurs t e r m e s s 'of f ra ient à no t r e choix8 ; à t i t r e d ' h y p o t h è s e nous avons r e t enu celui de « m e n t a l i t é ».

Ainsi d e u x ques t ions essentielles se posen t à nous :

1. C o m m e n t , d a n s le cadre de ce t t e expér ience, s 'es t pro- g ress ivement dessiné le profil d ' u n e « m e n t a l i t é » a p p r e n t i e ?

2. Su r ce canevas initial , c o m m e n t s 'est é tab l i le quest ionnaire de l ' enquê t e ?

I. — P R E M I E R S T R A I T S O B S E R V É S

C'est à la man iè re d ' u n croquis pris su r le vif, fai t d 'essa is e t de re touches , que se p résen te le visage de n o t r e g roupe d ' a d o -

des ouvrages classiques de psychologie tels que celui de MUNN, Paris, Payot, 1963, 562 p. ou plus récemment de DELAY et PICHOT, Masson, Paris, 1962, 489 p. ou de sociologie (FICHTER : Sociologie, Ed. universitaires, Paris, 1961, 264 p. ; KLINEBERG : Psychologie sociale, P.U.F., Paris, 1959, t. I et II, 656 p.). Le terme n'est pas mentionné dans le dictionnaire de psychologie de PIÉRON ou de sociologie d'E. WILLEMS, Rivière, Paris, 1961. Sur ce point, voir le bon article de G. HAHN : « Le poids des mentalités », Catéchèse, avril 1962, pp. 191- 206.

(7) Intervention du Pr MÛLLER : Les attitudes, Symposium de Bordeaux, 1959, P.U.F., Paris, 1961, p. 175.

(8) Par exemple, des termes de « caractère », de « personne », d' « atti- tudes », de « comportement ou conduite », d' « intérêts » ; sur ces concepts voir les vues du Pr BONNARDEL, et le cours de J. STŒTZEL dans le Bulletin de Psychologie, XIII, pp. 553 et suiv., 659 et suiv. Le terme de « mentalité » est proposé par R. W. EMERSON (1808-1882), en 1856, dans ses English Traits. Voir Selections from Emerson, Hachette, Paris, 1925, 2e éd., 316 p.

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lescents. Le dessin de cet esprit collectif, de cette « mentalité » — comme disent les jeunes eux-mêmes — est moins une ligne harmonieuse et affirmée qu'une suite de traits recueillis au cours d'une conversation, d'une observation, d 'un événement survenu dans la vie d'une école. Des formules-repères, des réflexions, des réactions et des questions ont permis de jalonner progressi- vement la recherche. Nous en indiquerons l'itinéraire avec les hypothèses que nous avons successivement formulées. Certaines concernent le caractère latent de la « mentalité » et ses liens intimes avec l'action ; d'autres précisent sa densité psychologique et spécialement sa teneur intellectuelle et affective ; d'autres enfin rendent compte de ses dimensions génétiques et différentielles.

Notre mentalité, c'est NOTRE ESPRIT SECRET comparé à un autre.

Dès le départ, avant toutes les autres, une dominante s'est imposée : le caractère implicite de la « mentalité » de ces garçons.

Dans l'expérience qui permet l'observation de ce trait, tout se passe comme si l'esprit du groupe d'apprentis au milieu duquel on vit était une réalité secrète, sommeillant dans les individus, les habitant à leur insu et possédant le merveilleux pouvoir de s'éveiller, sous l'effet d'un événement inattendu, au contact de réactions différentes.

Relevons la réflexion spontanée d'un mécanicien de 3e année : « Notre mentalité, c'est notre esprit secret, comparé à un autre .» Une sorte d'inconscient a pu précéder la prise de conscience de cet aspect original du groupe. Ce fait appelle quelques précisions qui ont orienté notre première ébauche du questionnaire. Indi- quons-en les lignes essentielles.

Pour employer une image classique en psychologie, c'est au « croisement de deux regards" », que, dans les circonstances pré- sentes, une « mentalité » se révèle à elle-même.

C'est d'abord la vision d'un univers nouveau qui provoque la réflexion. Dans un premier instant, la « mentalité » se dresse comme une sorte de refus instinctif, inconscient, comme une alerte devant l 'étrangeté d'une rencontre. La présence d'une autre forme de pensée, d 'un autre type de langage et d 'un autre mode de sentiment, d 'un autre genre de réaction devant le même sujet de réflexion ou le même fait permet à l'individu de percevoir globalement l'originalité de ses propres attitudes. Mais ces atti- tudes étaient tout d'abord immergées dans cette sorte de « secret » dont parle J. Guitton à propos de la genèse d'une mentalitélo.

(9) Excel lent résumé de cet aspect dans J. MAISONNEUVE : Psychologie sociale, P .U.F . , Paris , 1962, pp. 18-22.

(10) J. GUITTON : Por t ra i t de Monsieur Pouget, Livre de Poche, 1961, ch. VI : « L ' enve loppemen t e t la menta l i té ».

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Secret « insaisissable » qui, à la manière d'un ridicule, s'évanouit à la moindre critique... car « l'acte par lequel nous prenons cons- cience de notre mentalité est aussi celui par lequel nous échappons à son emprise" », mais secret capable de devenir source et moyen de rencontre, car, « c'est parce qu'elle est implicite que la mentalité a l 'avantage de nous faire entrer de plain-pied en communication avec un groupe plus ou moins étendu dans l'espace et dans le temps12 e.

Précisément, c'est dans une rencontre que l'esprit du groupe peut sortir de sa subjectivité. Selon les ingénieuses remarques de Claparède sur l'éveil de la raison chez l'enfant, c'est la compa- raison qui permet ce réveil : « On se saisit soi-même en se compa- rant. e Une « mentalité » semble ainsi se représenter, en se trouvant confrontée à une autre « mentalité » ; tout comme chez Hegel, la mentalité du maître fait surgir celle de l'esclave et, en éducation, la mentalité adulte fait se dresser devant elle la mentalité d'une génération montante13.

Ainsi, comme l'a montré Mounier14 à propos de la personne, c'est dans l'affrontement que s'enfante une « mentalité ». Mais ce retour sur soi prend son départ dans un inconscient individuel ou collectif.

Du point de vue de la méthode d'enquête, c'est en faisant appel à diverses formes de comparaisons que la prise de conscience du groupe pouvait progressivement s'amorcer. C'est ainsi que, dans l'établissement du questionnaire, le jeu de la comparaison a été jugé comme un instrument de réflexion commode, adapté à ces garçons peu intellectuels ; il a été utilisé dans la formulation des premières questions de l'enquête :

- comparaison des chances avec un élève du secondaire (question 30) ;

— comparaison entre la liberté souhaitée et la liberté vécue (question 50) ;

—■ comparaison entre l'argent disponible et l 'argent dépensé (questions 65 et 66).

Cette existence de la « mentalité » ainsi posée, il est néces- saire d'en déchiffrer le contenu et d'en dégager des constantes.

(11) J. GUITTON : « Espr i t e t menta l i té », Revue Montalembert, numéro spécial, 4-5, 1963.

(12) J. GUITTON : art. cit., p. 341. (13) Sur ce thème du conflit des générat ions e t de l 'opposit ion des men-

talités, voir M. DEBESSE : Ecole des Parents, oct. 1955, p. 30 e t suiv. (14) E. MOUNIER : Le personnalisme, P.U.F. , Paris, 1959, pp. 63-72,

2e éd.

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Notre mentalité, c'est ce qu'on DIT, c'est ce qu'on FAIT.

Pour analyser l'esprit du groupe dont ils se sentent membres, les apprentis ne s'engagent pas dans la voie d'une analyse intellec- tuelle compliquée. Suivant la pente d'un esprit naturellement orienté vers le concret, vers l 'œuvre à réaliser, à estimer, à mesurer, ils se réfèrent aussitôt à l'observation de leurs réactions les plus spontanées.

A la question « Qu'est-ce qui constitue la mentalité d'un apprenti comme nous ? » ils déclarent d'emblée : « C'est ce qu'on dit, c'est ce qu'on fait... nos conversations, notre métier ! » Deux terrains d'observation se trouvent ainsi dégagés : le langage et l'action ; la pensée et l'agir.

Le langage est un révélateur privilégié d'un milieu social. Dans leurs approches du monde ouvrier, S. Weil15, M. Aumont16 ou A. Ancel17 ont bien montré que le langage est « la clé, le revê- tement, l 'âme d'un milieu ». Pour connaître une personne, un groupe, un âge donné, il faut entrer dans la compréhension de sa langue. On saisit ici toute la portée de la remarque d'Alain : « Tous les moyens de l'esprit sont dans le langage, et qui n 'a point réfléchi au langage n'a point réfléchi du tout18. » Comment cette mentalité nous apparaît-elle liée à un mode de langage particulier ? Quelques exemples vont sommairement l'indiquer.

Ce qui caractérise tout d'abord à nos yeux le langage de ces garçons, c'est sa simplicité ; leur vocabulaire limité, conséquence d'une culture primaire, se trouve en contraste évident avec la maturité psychologique qu'ils manifestent, par ailleurs, lors de diverses réactions face au métier, à l'avenir, à l'argent. Cette pauvreté d'expression n'exclut d'ailleurs pas un goût marqué pour la discussion. Lorsque nous entendons cet appel : « Allez, les gars, on va discuter », ce n'est pas une invitation banale. Il s'agit pour ces jeunes d 'un événement sérieux, presque d'une sorte de cérémonial, d'une action commune possédant ses règles et son style propre. Pour ces manuels, discuter, ce n'est point bavarder sans but, jongler avec les mots, afficher cette virtuosité verbale décrite par M. Debesse à propos de l'adolescent intel- lectuel19. Discuter, c'est se rencontrer « entre copains », se regarder, prendre les mesures de ses problèmes, dans un échange loyal et

(15) S. WEIL : L a condition ouvrière, Gall imard, Paris, 1951, su r t ou t pp. 233-261.

(16) M. AUMONT : Femmes en usine, Spes, 1954, Paris , p. 120 e t suiv. (17) A. ANCEL : Cinq ans avec les ouçriers, Témoignages et réflexions.

Centurion, Paris, 1963. Spécialement la péné t ran te analyse sur « le langage ouvrier », pp. 120-152.

(18) ALAIN : Propos su r l 'éducation, P .U.F . , Paris 1961, chapitre LXVI, 11e éd. (19) M. DEBESSE : L'adolescence, P .U.F . , Paris , 1960, pp. 96-98. Dans

une vision plus large du rôle social du langage voir J. STŒTZEL : Psychologie sociale, F lammar ion , Paris, 1963, pp. 192-197.

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franc. Le langage ouvre sur la vie intime. Il fallait en découvrir la clé.

Le reportage auquel nous avons déjà fait allusion nous y aida. A la question posée : « Qu'est pour moi ma maman ? » diverses réponses furent enregistrées qui révèlent une mentalité :

0 Ma mère est venue me voir à l'hôpital, quand j 'ai eu ma grave opération à la jambe; j'étais seul... Elle est venue avec des gâteries. Elle pleurait... elle me caressait. C'était un dimanche, ça me reste!

o Moi, l'autre jour, je lui ai donné ma paye, ma première paye. J'étais fier. Elle ausst !

® La mienne, c'est fou ce qu'elle a fait pour nous! Veuve, elle habile dans un grenier, près des Invalides; on est trois; quand je rentre, on parle, on parle... Je me dépêche d'apprendre un métier pour l'aider !

En somme, une pensée directe, une vision lucide de la réalité ; des souvenirs précis, peut-être mal exprimés, mais vrais. Le témoi- gnage des filles interrogées sur ce même thème se développait, par contre, sur un tout autre mode : perspectives strictement féminines, confidences sentimentales, oppositions parfois farouches à la mère ; digressions psychologiques et citations savantes. Une autre tournure d'esprit !

La réaction première des apprentis était des plus naturelles. « Ce n'est pas notre mentalité ! » Il s'ensuit une constatation importante : deux types de langage peuvent signifier deux formes de « mentalité », représenter deux espèces de tempérament (ici des filles, là des garçons), deux genres de culture (des intellectuels et des manuels), deux modes de sentir, d'aimer, de comprendre un même personnage, deux façons de se situer dans la vie.

En ce sens, l'esprit de ces garçons est capable d'emprunter le vêtement du langage, d'épouser ses tournures, d'adopter ses formules et de s'incarner dans la condition concrète d'un groupe. Et, en retour, ce langage est le signe d'un esprit collectif, le lieu d'une « mentalité ».

Un double corollaire guidait ainsi nos hypothèses. Tout d'abord, le langage des adolescents, constitue une voie privilégiée d'accès à leur psychologie ; il est ce « corps immatériel et véri- table » (Lavelle20) de leur pensée et de leurs sentiments ; nous devions y être attentif. Ensuite, du point de vue méthodologique, il était utile d'amener le groupe à expliciter et à formuler les thèmes favoris de ses conversations, à l'école et hors de l'école. Telle est l'origine des questions 41 et 42, « Je parle de préférence... » : sorte de table d'orientation de l'enquête dans le questionnaire comme dans les interviews.

(20) L. LAVELLE : L a parole et l'écriture, Art isan du livre, Paris, 1942, pp. 93-129.

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Si le langage est un signe important de l'esprit d'un groupe, il n'est pas le seul. Lors des premiers inventaires sur le contenu de la mentalité apprentie, nous avons presque constamment trouvé associés conversation et métier : « Notre mentalité, c'est ce qu'on dit... c'est ce qu'on fait ». Pourquoi ?

Une réflexion d'un menuisier de 3e année — un élève ayant bien en main son métier — s'adressant à un ajusteur, nous est apparue comme étant fort révélatrice :

o Quand même, le métier, pour nous, c'est tout; les « monos » (menuisiers), nous, on cherche la finition, la beauté du bois, le bois ça vit encore... on sent ça sous le ciseau. On crée plus facilement que vous, le fer; vous, c'est plus dur. Et nous, notre atelier, c'est plus intime; vous, c'est plus froid, c'est pas la même ambiance. On se sentirait plus près des « horticos ». Comme eux, c'est l'harmonie qu'on cherche dans le métier.

Ces propos sont à nuancer. Mais, sous l'écorce des mots, n'existe-t-il pas une tournure d'esprit originale, un « état d'esprit » façonné secrètement par l'action ? Le métier, est-ce un appren- tissage abstrait que l'on assimile sans comprendre ? N'y a-t-il pas une sorte de corps à corps, puis, peu à peu, une sorte de dialogue entre l'adolescent et la matière qu'il façonne ? Le jeune semble bien agir sur l 'objet et participer à sa nature dans une sorte d'assimilation vitale ; mais l'objet, en retour, se met à « parler », à se révéler, et la matière informe son esprit, façonne sa « mentalité ». Pour ce menuisier, le métier n'était pas un ensemble d'automatismes aveugles, de savoir-faire mécanique. Il mani- festait la possibilité de réaliser une œuvre, et il devenait le signe d'une intelligence et d 'un amour personnels.

Pour ces garçons, le métier c'est le présent, avec ses fatigues et ses difficultés, ses succès et ses réalisations, et c'est l'avenir : la réussite dans la vie, le gagne-pain, l'argent. Cet argent qui évalue et mesure le travail, cet argent que l'on peut gagner pendant l'apprentissage, qui « nous fait déjà grands », « qui nous rend déjà libres en nous permettant de choisir les loisirs que nous voulons ! » C'est toute une vision du monde qui peut ainsi s'orga- niser et que nous sentons chez ces adolescents. Au centre de leur univers mental, un grand levier : l'action professionnelle, le travail.

Ces faits, recueillis essentiellement à travers le langage, nous ont conduit aux conclusions suivantes. Tout d'abord, le travail, l'action, jouent un rôle capital dans cette psychologie juvénile, non seulement comme objet mais comme moteur de la pensée. Jugement et raisonnement semblent rester très proches des gestes, des attitudes qui les ont engendrés ou qui les nourrissent. Penser, c'est faire quelque chose : travailler, apprendre un métier, d'abord, puis gagner de l'argent, faire une virée avec les copains, aller au cinéma, voir la télévision. Ces types d'action donnent une allure propre à la logique de ces jeunes ; ils portent sur le