30
161-191 Distribution électronique Cairn pour Verdier © Verdier. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Les chemins de fer de Madagascar (1901-1936) Une modernisation manquée Jean Frémigacci Les objectifs et les moyens : motivations et financement de l’entreprise [*] 1 L’âge des chemins de fer à Madagascar risque fort d’avoir été bref. De 1901, qui vit l’ouverture du premier chantier, à 1936, un embryon de réseau de quelque 860 kilomètres fut constitué. Mais, en 2001 sur les 4 lignes qui le composaient, seul le FCE (Fianarantsoa-Côte-Est, 163 km) était encore animé par un modeste convoi quotidien, alors même que le problème des transports était plus aigu que jamais. Depuis, le TCE (Tananarive-Côte-Est, 369 km) a repris du service pour l’acheminement de pondéreux, les hydrocarbures principalement. Mais la tentative de remise en service du TA (Tananarive-Antsirabe, 158 km) s’est soldée par un déraillement de bien mauvais augure. Dans le contexte politique et idéologique actuel qui privilégie la privatisation de toutes les activités économiques, l’avenir des chemins de fer malgaches est plus qu’incertain. 2 Or incriminer la mauvaise gestion des Républiques successives depuis 1960 n’est pas une explication suffisante. Car une analyse remontant aux origines de ces voies ferrées fait apparaître clairement que l’entreprise a été dès l’origine mal pensée et encore plus mal exécutée. Le calcul économique resta déficient, ce qui rendait illusoires les espérances de développement, elles-mêmes obérées par de sévères contraintes, qu’il s’agisse des conditions de financement, du parasitisme d’intérêts particuliers ou d’effets pervers source de blocage économique. Et surtout, la réalisation fut menée au prix d’un coût social et humain très élevé, qui éclaire notamment les origines de l’insurrection de 1947 dont les chemins de fer furent les axes et la cible, et au-delà, l’hostilité des populations à une modernité toujours perçue comme oppressive.

Les chemins de fer de Madagascar (1901-1936) · Depuis, le TCE (Tananarive-Côte-Est, 369 km) a repris du service pour ... Or incriminer la mauvaise gestion des Républiques successives

Embed Size (px)

Citation preview

161-191

Distribution électronique Cairn pour Verdier © Verdier. Tous droitsréservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit del’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement outotalement le présent article, de le stocker dans une banque de donnéesou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelquemanière que ce soit.

Les chemins de fer de Madagascar (1901-1936)Une modernisation manquée

Jean Frémigacci 

Les objectifs et les moyens : motivations et financement del’entreprise

[*]

1L’âge des chemins de fer à Madagascar risque fort d’avoir été bref. De 1901, qui vitl’ouverture du premier chantier, à 1936, un embryon de réseau de quelque 860kilomètres fut constitué. Mais, en 2001 sur les 4 lignes qui le composaient, seul leFCE (Fianarantsoa-Côte-Est, 163 km) était encore animé par un modeste convoiquotidien, alors même que le problème des transports était plus aigu que jamais.Depuis, le TCE (Tananarive-Côte-Est, 369 km) a repris du service pourl’acheminement de pondéreux, les hydrocarbures principalement. Mais la tentativede remise en service du TA (Tananarive-Antsirabe, 158 km) s’est soldée par undéraillement de bien mauvais augure. Dans le contexte politique et idéologiqueactuel qui privilégie la privatisation de toutes les activités économiques, l’avenir deschemins de fer malgaches est plus qu’incertain.

2Or incriminer la mauvaise gestion des Républiques successives depuis 1960 n’estpas une explication suffisante. Car une analyse remontant aux origines de ces voiesferrées fait apparaître clairement que l’entreprise a été dès l’origine mal pensée etencore plus mal exécutée. Le calcul économique resta déficient, ce qui rendaitillusoires les espérances de développement, elles-mêmes obérées par de sévèrescontraintes, qu’il s’agisse des conditions de financement, du parasitisme d’intérêtsparticuliers ou d’effets pervers source de blocage économique. Et surtout, laréalisation fut menée au prix d’un coût social et humain très élevé, qui éclairenotamment les origines de l’insurrection de 1947 dont les chemins de fer furent lesaxes et la cible, et au-delà, l’hostilité des populations à une modernité toujoursperçue comme oppressive.

Illustration 1 - Carte extraite de Madagascar (Encyclopédie de l’empirefrançais), 1947, t. II, p. 137

3Parmi les justifications données à la construction des chemins de fer à Madagascar,on est frappé par le caractère très vague et la faible place des argumentséconomiques. L’idée, en quelque sorte, allait de soi et de pair avec celle del’immense richesse supposée du pays, et avec le projet de colonisation de lanouvelle conquête. Pour Gallieni, le projet de relier Tananarive à la côte « date del’époque même où fut décidée l’expédition de Madagascar  ». Le chemin de fer« constituera par excellence un instrument de civilisation  ». Le général seretranchait derrière l’une de ses idées simples, mais fausses et infirmées parl’histoire : tout comme l’impôt était « moralisateur », le chemin de fer était« civilisateur ». Il devait créer l’activité économique ex nihilo tout comme lesdécrets du Journal officiel devaient susciter le progrès social des colonisés.

[1]

[2]

4Un tel discours était en fait l’expression d’une vision géopolitique constitutive dumodèle politico-militaire de l’expansion coloniale française : d’abord, s’installer aucœur de l’espace convoité et de là, rayonner vers sa périphérie. À Madagascar, cettevision s’appuyait sur un rêve tenace, mais trompeur, celui de développer unecolonisation de peuplement blanc sur les Hautes-Terres où, selon Gallieni en 1905,« l’activité économique était appelée à prendre son maximum d’intensité   ». Dansl’immédiat, il s’agissait de garantir la sécurité de la domination française sur l’île enassurant à Tananarive une liaison solide avec la mer. Parmi les considérationséconomiques qui habillaient cette priorité, il est un argument qui vaut d’être cité inextenso :

[3]

5« […] L’achèvement de cette entreprise ouvrira à l’Imerina un débouché aussiindispensable à sa prospérité qu’à celle du reste de l’île. Autour de Tananarivevit un groupement d’un million d’individus au caractère industrieux, à l’espritéveillé et âpres au gain que la nature a placés dans un isolement opposé à leurdésir d’expansion. Dans ce noyau de population, nous trouverons les meilleursauxiliaires du développement économique et social de la région littorale… lejour où les Hova pourront se rendre aisément hors de l’Imerina  ».[4]

6Ainsi, Gallieni fut le premier à considérer que sa « politique des races » anti-merinan’était qu’un discours de circonstance. Dans les faits, il prit la succession des roisconquérants merina du siècle précédent.

7Les justifications économiques étaient plus évidentes dans le cas des deux lignessuivantes, construites comme prolongement du TCE achevé en 1913, le Tananarive-Antsirabe (TA) et le Moramanga-Lac Alaotra (MLA, 168 km). Mais, tout commepour le TCE, leur rentabilité et leur avenir furent grevés par leur conception commeaxes d’exportation. Dès le départ, le chef de province de Tananarive estimait ainsiqu’un autre tracé du TA, « un peu plus coûteux, mais traversant des régions plusriches et de population plus dense », aurait mieux stimulé l’économie régionale etles échanges intérieurs   . D’autre part, la réalisation de ces voies se fondait[5]

toujours sur la prévision erronée d’une future colonisation de peuplement blanc,espoir irréaliste qui faisait tomber le chef de province d’Antsirabe dans l’illusionlyrique   . C’est sur la base de rapports provinciaux largement fantaisistes, danslesquels le rêve masquait la réalité, que les autorités supérieures prirent la décisionde construire le TA. Le MLA, de son côté, ne pouvait se justifier qu’à la conditionque l’on entreprenne la mise en valeur, exigeant de grands travaux d’hydrauliqueagricole, de la cuvette de l’Alaotra. Or l’insuffisance des investissements et lesconditions humaines déplorables de l’entreprise bloquèrent celle-ci pendant toutela période coloniale, voire tout le XXe siècle.

[6]

8Quant au Fianarantsoa-Côte est (163 km), réalisé entre 1927 et 1936, il fit figure,avant même son achèvement, d’erreur économique préfigurant les « éléphantsblancs » de la décolonisation. Les illusions d’avant 1914 sur « ces riches régionsinfiniment plus intéressantes que l’aride Imerina   », et sur les perspectives riantesd’un peuplement blanc du Betsileo, s’étaient évanouies. Mais il fallait tenir unevieille promesse faite aux colons du Betsileo en crise, meneurs en 1911 d’une frondedes provinces périphériques contre la concentration des dépenses d’équipement auprofit de l’Imerina : le poumon devant sauver les Hautes-Terres méridionales del’asphyxie ne pouvait être, selon les colons, qu’un chemin de fer de Fianarantsoa àla côte   , qui obtint d’être déclaré prioritaire à la conférence économique de 1919 àTananarive, puis qui fut inscrit au « programme des grands travaux à entreprendresur une période de 15 ans   » et au plan Sarraut de 1921  .

[7]

[8]

[9] [10]

9Or tout cela reposait sur une erreur d’analyse économique. Le qualificatif de« Chemin de fer du riz », d’abord abusivement donné par Gallieni au TCE  , futensuite accolé, avec tout aussi peu de justifications, au FCE : c’était ne pas voir queles excédents apparents de riz sur les Hautes-Terres, très médiocres en volume, nepouvaient être dégagés que par une lourde fiscalité imposant une sous-consommation paysanne, et ne pouvaient être exportables que dans descirconstances exceptionnelles (guerre, inflation galopante en France). Pour fairebonne mesure, Gallieni rêvait en annonçant l’exportation de productions quin’existaient pas encore, et n’existeront jamais comme la soie, l’une de sesobsessions   . En fait, la crise de la colonisation sur les Hautes-Terres dans lesannées 1903-1914 était bien moins imputable au problème des transports qu’à lamédiocrité de l’ordre économique colonial lui-même.

[11]

[12]

10L’erreur commise avec le FCE était, de plus, beaucoup moins excusable en 1930qu’en 1910, car entre-temps les transports routiers avaient ailleurs réalisé desprogrès montrant que c’était vers eux qu’il fallait s’orienter. Mais à Madagascar, onne faisait pas la comparaison entre le rail et la route moderne, mais entre le rail etla (mauvaise) route coloniale, simple piste ouverte à coup de prestataires. Tout

comme la « route de l’Est » Tananarive-Mahatsara ouverte en 1900, une telle routeexistait entre Fianarantsoa et Mananjary depuis les années 1900, souventimpraticable. Avec l’effort de guerre, l’administration y organisa en 1917 un servicede messagerie par charrettes à bœufs qui, en 1919, disposait de 131 charrettes et698 bœufs, jugés plus économiques que l’auto  ! En 1925, on envisagea la mise enservice de camions, mais on y renonça devant l’état de la route et l’on maintint lechoix du chemin de fer fait quinze ans auparavant. Nous touchons ici un autreproblème, l’incroyable lenteur avec laquelle les réalisations aboutirent, en sortequ’elles vinrent toujours trop tard. Pour en rendre compte, il faut examiner lesconditions de financement des projets et leurs conséquences.

[13]

11Au départ, le ministère aurait voulu mettre en œuvre une solution « àl’américaine », en rémunérant des compagnies privées chargées de construire etexploiter les chemins de fer par l’octroi de vastes concessions de terres et de forêts.Mais cette formule n’attira que des spéculateurs dont nous évoquerons plus loin lerôle néfaste. L’État colonial dut donc, comme en Afrique, se faire le maître d’œuvredu réseau et la mission d’études du colonel Roques en 1897 évalua le coût d’un TCEà 80 millions. Les recettes budgétaires locales n’atteignant pas encore 20 millionsen 1900, l’entreprise ne pouvait être réalisée que sur emprunt. Une loi du 14 avril1900 autorisa la colonie à emprunter 60 millions, sur lesquels 48 furent affectés àla construction du TCE, soit, pour les 270 km prévus, un coût estimé de 177 000francs au kilomètre. Ce qui, de l’aveu de Gallieni « était notoirement trop peu dansun pays offrant les difficultés de travaux, de moyens d’exécution et de recrutementde main-d’œuvre qu’on allait rencontrer à Madagascar  ». Mais il était difficile dedemander plus à un parlement frileux qui, au même moment, votait la célèbre loidu 13 avril 1900 qui, sous couvert d’accorder l’autonomie financière aux colonies,les contraignait à une gestion rigoureuse dégageant des excédents annuelsaccumulés dans une caisse de réserve, de façon à garantir qu’elles n’auraient pas àsolliciter l’aide de la métropole.

[14]

12Cela n’empêcha bien sûr pas que, mécomptes et mauvaises surprises aidant, ondébouchât sur des dépenses bien plus élevées que prévu. Les travaux menés sousGallieni, de 1901 à 1905, mirent en place 120 km de voies pour un coût de 34millions, soit les trois-quarts du budget prévisionnel total. Dans son rapport sur leschemins de fer coloniaux, Bourrat, député des Pyrénées orientales, constatait que leprix de revient kilométrique (285 000 francs) dépassait tout ce que l’on avait vujusque-là outremer. Il fallut donc solliciter une rallonge d’emprunt de 15 millions,accordée en mars 1905. Il n’était guère possible de faire autrement, car le tronçoninauguré par Gallieni le 31 octobre 1904, Brickaville-Fanovana (102 km), était laportion centrale du TCE, et fut raillé comme « le seul chemin de fer ne partant

d’aucun endroit et n’aboutissant nulle part ». Les difficultés les plus graves étaientcependant surmontées et Augagneur, le successeur de Gallieni put faire arriver lerail à Tananarive en 1909. Mais le Parlement, échaudé, refusa tout nouvel empruntjusqu’en 1931.

13C’est donc sur ses ressources propres que la colonie dut construire le troisièmetronçon du TCE, Brickaville-Tamatave (98 km), achevé en mars 1913, ce quipermettait enfin à la ligne d’arriver dans un port. Les excédents budgétaires et lacaisse de réserve financèrent de même les deux chemins de fer suivants, leTananarive-Antsirabe (158 km) et le Moramanga-Lac Alaotra (168 km), construitsentre 1911 et 1923.

14Ces problèmes financiers n’entraînèrent pas seulement des retards deconstruction ; ils eurent aussi un impact majeur sur les solutions adoptées et leurexécution. Et en premier lieu, sur le choix des tracés retenus.

15Pour le TCE, le tracé qui aurait eu la plus grande pertinence économique remontaitla vallée du Mangoro jusqu’au seuil dominant la cuvette de l’Alaotra, puisdescendait sur la côte par la vallée de l’Ivondro (cf. annexe I). Il était le plus long(près de 500 kilomètres) mais aurait évité la construction ultérieure du MLA.Surtout, il aurait mis la côte à moins de 200 km de la seule région des Hautes-Terres, l’Alaotra, qui avait un gros potentiel agricole (rizicole surtout) pouvant, unefois mis en valeur, alimenter une exportation. À ce tracé, on en préféra un autre,débouchant à Brickaville (illustration 2). Le TCE était ramené à 270 km mais letrajet Brickaville-Tamatave devait se faire par la voie d’eau, en suivant les lagunesreliées par le canal des Pangalanes alors en construction qui devait rapidement serévéler un travail de Sisyphe. Les inconvénients de la formule apparurent tout desuite avec les retards que subit l’approvisionnement des chantiers du TCE dès leurouverture en 1901. Le prolongement du rail jusqu’à un port s’imposa donc. Unprojet initial (cf. annexe I) l’avait d’ailleurs prévu, suivant un tracé qui desservait larégion la plus peuplée du pays betsimisaraka central. Mais là encore, la recherchedu moindre coût engendra une erreur économique. Après bien des tergiversations(en 1906, Augagneur voulait encore éviter Tamatave, une « erreur économique »selon lui), on opta pour la solution facile d’une voie établie sur le cordon littoralsablonneux entre l’océan et les lagunes, jusqu’à Tamatave. Mais ce dernier tronçontraversait sur près de 100 kilomètres une zone sans intérêt économique. On putregretter très vite l’abandon du tracé initial qui lui, traversait ce qui allait devenir la« zone des graphites » lorsque ce minerai connut un boom en… 1913. L’erreur ainsicommise se solda par une charge de portage, pour les populations, aussi lourdequ’absurde, qui culmina en 1916-1917, quand on mobilisa un total de quelque 110000 hommes, réquisitionnés pour acheminer le minerai jusqu’à la côte, ce qui mit

Illustration 2 - Ce croquis, extrait de l’ouvrage de Gallieni, Neuf ans àMadagascar (1908, p. 152) fait apparaître les deux grands obstacles à

franchir : le gradin forestier betsimisaraka et l’escarpement oriental del’Imerina.

la région au bord de la famine en 1918.

16Le cas du FCE, deux décennies plus tard, devait présenter un problème analogue àcelui du TCE. Contre les colons qui réclamaient une ligne Fianarantsoa-Mananjary(208 km), le gouvernement local opta pour Fianarantsoa-Manakara (163 km). Dansce dernier cas, les contraintes imposées par la métropole furent la source de retardsdémesurés tant pour la prise de décision que pour la réalisation du projet.

17Une disposition du 5 avril 1897 avait soumis toute construction de chemin de fer àMadagascar, même sur ressources locales, à l’autorisation d’une loi. Cette mesureavait déjà suscité des protestations véhémentes dans la presse de Tananarive lorsdu lancement du TA : transmis en 1911 par la colonie, le projet passa tout 1912 auministère (qui imposa un fractionnement des travaux en quatre tronçons exigeantchacun un décret) puis dans les commissions parlementaires des colonies et dubudget, la loi d’autorisation étant finalement votée le 31 décembre 1912. Le contrôlede Paris était aussi un facteur de surcoûts importants pour la colonie, la loiimposant l’achat en France de tout le matériel, fixe et roulant, de tous les matériauxde construction à importer, et leur acheminement sous pavillon français. Désireuxde s’affranchir d’une nouvelle procédure, le gouvernement local trouva une astucepour le MLA : il fut déclaré comme… tramway, et lancé dans la plus grandediscrétion.

18Tout ceci n’était rien à côté des retards à répétition que subit le FCE. Le projet,

différé par la guerre et les retards d’achèvement du TA et du MLA, fut relancé à laconférence économique de janvier 1919, puis au congrès économique de 1920 àTananarive. Dans l’euphorie de la victoire, on vit les choses en grand. Le FCE futainsi intégré à un plan de développement des voies de communication qui prévoyaitégalement une ligne Antsirabe-Fianarantsoa (230 km) qui aurait unifié le réseaumalgache. Dans le « programme de grands travaux à entreprendre sur une périodede 15 ans   » de 1920, évalué à 300 millions de façon assez sommaire, 185 devaientaller aux chemins de fer (dont 45 pour un « chemin de fer du Betsileo »Fianarantsoa-Mananjary)… et 20 seulement pour les routes. Transmis à Paris, ceprogramme fut incorporé au fameux « plan Sarraut » de 1921 dont on sait qu’il nedépassa pas le stade de thème des discours parlementaires et dominicaux du grandrhéteur de la parole coloniale de l’entre-deux-guerres.

[15]

19Dès 1922, le ministère demandait à la colonie de lui soumettre un projetcorrespondant à un emprunt non plus de 300 millions, mais de 50 seulement, cequi était ridicule si l’on se rappelle que le franc avait déjà perdu les 4/5e de savaleur de 1914.

20Après l’échec d’un nouveau projet en 1924, le gouverneur général Olivier, grâce àl’appui personnel de Gaston Doumergue dont il avait été un proche collaborateurau ministère des Colonies, et à l’exceptionnelle prospérité des années 1924-1926,put obtenir le décret du 15 septembre 1926 l’autorisant à créer un budget spécialdes grands travaux, alimenté par les ressources locales et, providentiellement, pardes prestations allemandes en nature, fournies au titre du plan Dawes de 1924 pourun montant de 54 millions : les travaux du FCE, sur le tracé Fianarantsoa-Manakara enfin adopté, purent être lancés. Madagascar mit ensuite à profit la brèvepériode durant laquelle le capital français s’y intéressa, et la stabilisation Poincaréqui fit chuter les taux d’intérêt : un nouveau projet d’emprunt fut présenté à Parisen 1928, avec un nouveau plan de grands travaux de 662 millions, incluant unfinancement du FCE pour 130 millions. Il fallut attendre la grande loi du 22 février1931 (qui concernait aussi les colonies d’Afrique et l’Indochine) pour queMadagascar se voie enfin accorder un emprunt de 700 millions, dont la premièretranche de 240 millions, débloquée en mai 1931, tira la colonie d’un mauvais pas.Car en 1930 les travaux du FCE n’avaient pu être poursuivis que grâce à une avancede 50 millions de la toute jeune Banque de Madagascar… Et tout comme le TCE, leFCE devait être mené à bien avec un énorme dépassement de son coût prévisionnelsur lequel nous reviendrons. Mais pour comprendre ces dérives financières du TCEet du FCE, comme le contrôle apparemment satisfaisant des dépenses du TA et duMLA, il faut se pencher sur les conditions de fonctionnement des travaux publicscoloniaux, et plus particulièrement sur les modalités de leur recours massif au

Le recours au travail forcé : Gallieni et la ligneTananarive-Côte-Est

travail forcé.

21Un rapprochement s’impose : tout comme jadis la canne à sucre avait développél’esclavage, la construction des chemins de fer à Madagascar a poussé à l’essor desdifférentes formes du travail forcé. C’est à Gallieni que l’on doit d’avoir, entre 1896et 1905, jeté les bases d’un système suffisamment efficace et discret pour d’unepart, susciter de nombreux émules en Afrique noire, et d’autre part, permettre desoutenir que le travail forcé n’avait eu qu’une importance mineure, voire qu’iln’avait pas existé…

22Cette pratique, à Madagascar, ne doit pas sa mise en place au chemin de fer, maisau portage et aux travaux routiers. La monarchie merina avait reposé surl’esclavage et, pour les hommes libres, sur le fanompoana, la corvée. L’abolition dupremier après l’annexion du pays en août 1896 eut pour résultat d’alourdir laseconde, ressuscitée sous le nom de prestations. Tel est l’objet de l’arrêté du 21octobre 1896 : tout Malgache mâle de 16 à 60 ans doit 50 jours de prestations àl’État. Un autre arrêté, du 27 décembre 1896, vint compléter le précédent : toutMalgache doit justifier d’une profession. Dans le cas contraire, il est réputévagabond, délit sanctionné d’une peine de travail forcé. Cette réglementation, unpeu adoucie en 1898 – les prestations furent ramenées à 30 jours – livra àl’administration et à l’armée la masse de porteurs dont elles avaient besoin, et lestravailleurs pour la construction de la « route de l’est » Tananarive-Mahatsara et dela « route de l’ouest » Tananarive-Maevatanana, ouvertes en 1900.

23L’année 1900 marque en apparence un changement complet de politique. Sous lapression de Paris qui lui rappelle les grands principes de la France libératrice, etafin de réagir contre les abus des colons qui avaient trouvé une main-d’œuvre à boncompte avec les fuyards des chantiers publics, Gallieni se convertit à un libéralismecontrôlé. Une série de textes vient ainsi réglementer les contrats de travail, fixer unsalaire minimum, organiser des offices du travail chargés de surveiller le bonfonctionnement de ce marché libéralisé. Enfin, un arrêté du 31 décembre 1900supprima les prestations : il était accompagné d’instructions constituant le plusvigoureux plaidoyer contre le travail forcé formulé à l’époque coloniale. Corollairede cette libération du travail, la taxe personnelle, première ressource fiscale, futfortement relevée. Dans la zone II, qui incluait les Hautes-Terres et la côte Estcentrale (la zone I concernait la seule ville de Tananarive), elle fut portée de 5 à 20francs. De 1900 à 1902, les recettes du budget passèrent de 19,5 à 25,6 millions, soit

un bond en avant très supérieur aux 2,46 millions de l’annuité de remboursementde l’emprunt de 60 millions évoqué plus haut.

24C’est donc dans un contexte libéral que le chemin de fer fut lancé en 1901. Il sembleque Gallieni ait vraiment cru que sa réforme de 1900 amènerait « une révolutiondans la vie politique et économique de l’île   ». Il pensa sans doute que, à côté del’impôt moralisateur multiplié par quatre, les Malgaches seraient égalementstimulés par des salaires multipliés par deux. Le chemin de fer offrait en effet dessalaires allant de 1 franc par jour aux manœuvres à 3,50 francs pour les ouvriersd’art, à une époque où les colons payaient leurs manafos (manœuvres) 12,50 francspar mois. Le général crut aussi que le chemin de fer serait « une véritable écoled’apprentissage   », et le substitut d’un enseignement technique inexistant. Sur cesbases, le tronçon Brickaville-Mangoro (180 km) fut divisé en 11 lots, mis enadjudication à l’entreprise privée.

[16]

[17]

25Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. L’adjudicataire du premier lotdevait recruter 1 500 travailleurs. Il n’y parvint pas et le marché fut résilié dèsoctobre 1901. Quant au second lot, ses adjudicataires devaient employer une main-d’œuvre étrangère de maçons italiens, de coolies chinois et indiens importés àgrands frais. D’où une catastrophe sanitaire et financière qui, du moins, fitcomprendre au pouvoir qu’il ne pouvait compter que sur les Malgaches, et qu’il luifallait poursuivre les travaux en régie. Et puisque la main-d’œuvre ne voulait pasvenir d’elle-même, on irait la chercher.

26La première pièce du système de contrainte qui se met en place en 1901-1902 est uncode de l’indigénat, importé du Sénégal et promulgué par arrêté du 1er décembre1901. Les nouvelles difficultés de la rentrée fiscale rendaient son adoption urgente,mais nombre d’infractions qu’il énumérait pouvaient, en en forçant le sens, nous leverrons, servir de base à la réquisition de travailleurs.

27Ce code, surtout, allait s’articuler étroitement avec la seconde pièce du système : ledécret du 9 mars 1902 organisant la mise en tutelle du fokonolona, la communautévillageoise des Hautes-Terres soumise au principe de la responsabilité collective.Désormais, les travaux les plus divers pouvaient être mis à sa charge, ce quirevenait, sans le dire, à rétablir les prestations. Leur non-exécution exposait auxsanctions du code de l’indigénat. Enfin, l’article 18 du décret, qui prévoyait lapossibilité pour le fokonolona de passer des conventions avec l’administration pourl’exécution de travaux publics, avait un bel avenir devant lui.

28Cependant, s’il permit de lever d’emblée les contingents des Hautes-Terres pour lechemin de fer, le décret de 1902 ne fut rendu applicable sur la côte est, où lefokonolona n’existait pas, qu’à la fin de 1904. D’où la mise en œuvre d’une

troisième arme, que ne réglementa aucun texte, mais qui est un discours, celui de la« persuasion administrative ». Gallieni en fournit le modèle dans ses instructionsdu 17 octobre 1902   et un résumé dans son rapport de 1905.[18]

29« […] Les chefs de circonscription furent invités à répandre dans le public lanouvelle des travaux projetés, à en faire ressortir l’importance, à montrer lesavantages qui devaient en résulter pour la prospérité de la Grande Île et de seshabitants […]. Il fallait donc introduire dans l’esprit des indigènes une idéenouvelle, vaincre son apathie native […]. Cette collaboration effective àl’œuvre commune de l’action administrative et du service technique asolutionné le problème de la façon la plus heureuse   . »[19]

30Au sens étroit du terme, la « persuasion » signifie que, si l’administrateur est à lahauteur de ses devoirs de chef, il exercera sur ses administrés un ascendant, une« contrainte morale » qui les convaincra de suivre ses conseils énoncés lors deskabary (harangue du pouvoir) tenus pendant les tournées. En un sens plus large,c’est la langue de bois administrative qui relie tous les acteurs, du ministre à Parisau mpiadidy (chef de quartier) de fokonolona. Tout le monde comprend : lesconseils du chef blanc sont des ordres. Et sur le terrain, la contrainte est transféréeau niveau des relations entre colonisés. La hiérarchie européenne peut toujoursprétendre qu’elle a été mal comprise, ce qui n’évite pas pour autant, en cas de crisegrave, que n’importe quel échelon puisse être traité en bouc émissaire.

31C’est dans ce cadre qu’il faut replacer la solution apportée par Gallieni au problèmede la main-d’œuvre du chemin de fer. Les instructions du 17 octobre 1902 fixent lecontingent de « travailleurs volontaires » que devront fournir les 9 districts du paysbetsimisaraka : 5 000 hommes par mois du 1er octobre au 1er avril. Pour l’autresemestre, le relais devra être assuré par les Hautes-Terres centrales, période(abusivement) réputée être la morte-saison des travaux agricoles. L’administrationterritoriale fit preuve d’un zèle exemplaire, surtout en pays betsimisaraka. De 2 000hommes en janvier 1902, le nombre de travailleurs fournis au chemin de fer bondità une moyenne mensuelle de 10 000 ou plus à partir d’octobre 1902. En 1903,109550 hommes furent mobilisés, dont 34800 dans le seul dernier trimestre. Leschantiers reçurent même beaucoup plus de main-d’œuvre qu’ils n’en avaientdemandé. Mais à quel prix ! Indiquons dès maintenant deux conséquences anti-économiques du système. Dans son rapport de 1905, Gallieni se plaint du « faiblerendement de la main-d’œuvre malgache due à l’apathie naturelle et au manque depratique des indigènes  ». La faible productivité de ces travailleurs forcésexplique largement l’épuisement rapide des crédits de l’emprunt. D’autant que,cette main-d’œuvre étant abondante, on chercha à améliorer sans nécessité le profil

[20]

L’apogée du travail forcé (1916-1923)

de la voie, au prix de terrassements supplémentaires considérables. Les Malgachesn’avaient pas fini de payer le prix de travaux publics confiés au génie militaire.

32De 1906 à 1914, les Malgaches bénéficièrent cependant d’un intermède relatif. Pourle TCE, le plus dur avait été fait et les conditions se firent moins rudes pour sonachèvement. Sous le socialiste Augagneur (1905-1910) et le libéral Picquié (1910-1914), la persuasion administrative put se faire moins insistante. Un marché dutravail libre, surtout sur les Hautes-Terres, était en effet en voie de constitution. Lademande de main-d’œuvre faiblit avec la crise d’une petite colonisation que lepouvoir n’est plus disposé à aider comme sous Gallieni. L’offre, au contraire,s’accroît mécaniquement, surtout en temps de crise comme en 1907-1908, enraison d’une pression fiscale toujours très lourde, qui a pour effet de dégrader lessalaires. À Antsirabe en 1911-1912, ils ne dépassent pas 0,40 franc par jour pour unmanœuvre. En Imerina, la main-d’œuvre est excédentaire et une partie doits’expatrier. Quand les chantiers du Tananarive-Antsirabe s’ouvrent en 1912, lesalaire de 1 franc par jour attire les anciens esclaves qui y voient une possibilitéd’échapper aux notables locaux qui les retenaient jusque-là en payant pour eux les23 francs annuels de taxe personnelle et d’AMI  .[21]

33Comment l’évolution ainsi amorcée a-t-elle pu s’inverser complètement ? Avec laguerre, la société coloniale a trouvé l’occasion d’exprimer ses tendances profondes.La colonie tombe alors sous la domination d’une oligarchie incompétente et avide,au sein de laquelle fonctionnaires des travaux publics et colons-entrepreneurstiennent une place particulière, sous la houlette du gouverneur qui domine lapériode 1914-1924, Hubert Garbit, ancien chef du cabinet militaire d’Augagneur,puis directeur des finances sous Picquié.

34Depuis le passage d’Augagneur qui l’a peuplé de sa clientèle, le service des Travauxpublics offre le spectacle d’une administration qui s’occupe beaucoup plus depolitique que de questions techniques. C’est particulièrement le cas de sondirecteur de 1906 à 1923, l’ex-capitaine du génie Girod. Le projet de TA qu’ilprésente en 1911 reprenait, en l’aggravant, une erreur relevée sur le TCE. Le Comitédes travaux publics des colonies, à Paris, le rejeta en raison de son irréalisme etd’une sous-estimation des dépenses de 35 à 50 % due au fait qu’il prévoyait « desterrassements considérables avec des hauteurs de tranchée qui dépassent 20mètres, et des remblais qui cubent plus de 200 000 m3 […] ; erreur manifeste, letracé est entièrement à refaire   », concluait l’inspecteur général du ministère.Mais avec l’appui d’Augagneur, alors ministre des travaux publics dans le cabinet

[22]

Caillaux, et de Maurice Viollette, président de la commission du budget, Girodréussit à faire passer son projet. Outre la charge énorme qui allait peser sur lestravailleurs malgaches, ambitions excessives et déficiences des études entraînerontla résiliation de 5 des 15 lots du chantier, au profit des entrepreneurs quidémontrèrent que les travaux imposés excédaient largement le cahier des charges.Là encore, la colonie dut prendre une partie du chantier en régie. Or le service de laconstruction du TA est confié à un ancien garde de milice promu conducteur puisingénieur des travaux publics malgré son incompétence notoire. Il s’agissait duvénérable de la loge maçonnique de Tananarive, « La France australe », dontAugagneur, Garbit, Girod, étaient membres… Il faudra attendre une inspection descolonies en 1922 pour mettre au jour une incroyable gabegie et d’innombrablesirrégularités dans le service du TA  . Mais grâce à une opportune loi d’amnistied’avril 1921, le responsable échappe au conseil d’enquête et, contraint de quitterMadagascar, trouve à se recaser en AEF où le nouveau gouverneur, qui n’est autrequ’Augagneur, le réclame pour le Congo-Océan qui vient d’être lancé.Incompétence et corruption expliquent en bonne part le gros retard dans la mise enservice du TA : prévue à l’origine pour 1916, elle ne fut effective qu’en octobre 1923.

[23]

35Certes, entre-temps, il y eut la guerre, dont le premier effet fut de déclencher unecrise de main-d’œuvre : le boom des exportations crée une relative abondancemonétaire et la paysannerie des Hautes-Terres, qui fournit aussi l’essentiel des 42000 « volontaires » pour la France, n’a plus besoin de se salarier. Mais nulle part,ni sur le TA, ni sur le MLA, les chantiers ne furent interrompus. Au contraire,Garbit, technocrate féru de « mise en valeur » par le développement des voies decommunication, et intérimaire à la recherche d’une titularisation, pousse lestravaux avec énergie, même si des pénuries accroissent encore la charge de travailsur les chantiers : tunnels creusés à la barre à mine faute d’explosifs, viaducs de ladeuxième section du TA en moellons taillés à la main faute de ciment et despécialistes du béton… Mais administration et colons sont pour une fois d’accord :face aux sacrifices de la métropole, il faut exiger plus de travail des Malgaches.« Nous sommes en guerre, et si nos camarades se battent au front avec le fusil,nous, nous combattons ici avec l’angady », proclame fièrement le chef de provincede Moramanga chargé d’alimenter le MLA en travailleurs   : déclaration quimontre bien que l’effort de guerre ne s’accompagne d’aucune modernisation desméthodes de travail mais consiste seulement à mobiliser un maximum d’hommestravaillant avec leur outillage de paysans.

[24]

36Il se trouve que, de 1913 à 1917, Madagascar connaît un boom du graphite dontseule la pénurie de main-d’œuvre limite l’essor. Invoquant l’intérêt supérieur de ladéfense nationale, Garbit prend l’arrêté du 7 avril 1916 qui permet à

l’administration d’imposer aux indigènes des provinces minières des prestations detrente jours rémunérées. Telle est l’origine des Telo polo andro (« les 30 jours »),théoriquement abolis fin 1916 sur la demande de Paris, mais en fait maintenus etgénéralisés comme base du recrutement forcé de la main-d’œuvre aussi bienpublique que privée après 1916. Le pouvoir se donnait une apparence de légalité endésignant les travailleurs forcés comme des « prestataires » ou des « prestatairespayés » dans une pratique qui semblait être un retour aux 30 jours de Gallieni de1898-1900, mais qui n’était en fait qu’une réquisition pure et simple.

37Pour le MLA, ce fut une contrainte « brutale et sans réplique   ». Tout au long desannées 1917 à 1920, nous voyons le chef de province de Moramanga, aiguillonnépar le gouverneur-général, relancer le zèle de ses chefs de district, qui doiventchaque mois reprendre leur besogne de négrier, pendant que l’ingénieur chargé duchantier, lui, ne cesse de se plaindre du manque de travailleurs, en raison du grandnombre de fuyards   . Contre ceux-ci, on fait jouer l’article du code de l’indigénatsanctionnant le « refus d’obéir aux réquisitions faites en cas d’accident, tumulte,naufrage, inondation, incendie ou autre calamité… ». En 1922, un inspecteur descolonies ironisera devant cette application du code, illégale selon lui « à moins decomprendre les corvées rétribuées dans la catégorie des autres calamités, ce qui, enraison des habitudes existantes, pourrait du point de vue indigène, correspondre àquelque chose de réel  ». Et comme toujours, la dialectique de la contrainte et dela résistance entraîne un alourdissement du système. En avril 1920, dans laprovince d’Antsirabe, il est décidé que les « prestataires payés » resteront 2 moissur les chantiers. Aussitôt, suivant le témoignage d’un pasteur français, en pleinemoisson, « une immense rafle de la population masculine » est organisée pour leTA. Les villages sont cernés de nuit par la garde indigène et au petit matin, on metla main sur « l’ilote récalcitrant   ». Sur les 14 000 hommes adultes que compte laprovince, 5 000 sont réquisitionnés entre le 1er avril et le 23 septembre 1920, et lenouveau chef de la province, en octobre, estime qu’elle est à bout.

[25]

[26]

[27]

[28]

38Une nouvelle pratique est alors développée : utiliser l’article 18 du décret de mars1902 sur les conventions pouvant être passées avec les fokonolona : le grandavantage de la méthode était de transférer l’exercice de la contrainte dans lesrelations entre Malgaches. Mais elle surestimait la cohésion sociale des fokonolonaet l’emprise des notables sur la masse de la population. Au bout de quelques mois,les travailleurs désertent à nouveau en masse, malgré les punitions collectivesprévues par l’article 25. « Leur fatigue est telle qu’ils sont contents d’être mis enprison  », avoue le chef de province d’Antsirabe.[29]

39D’où un troisième expédient, pour le MLA comme pour le TA : l’application de lalégislation du travail d’août 1920 sur les contrats de travail, théoriquement libérale,

et qui permettait d’aller recruter plus loin pour un temps plus long. Sur cette base,le zélé chef de province d’Ambositra (nord-Betsileo) donne des ordres qui ont lemérite de la clarté : « Il faut, sans que j’aie besoin d’insister outre mesure, que 250hommes s’engagent pendant un an pour éviter le retour à la corvée ancienne […]. Sivous ne trouvez pas de volontaires, entendez-vous avec les fokonolona et que lesfokonolona s’arrangent entre eux   . »[30]

40Le bilan de l’application de cette législation dans la province de Moramanga victimedu MLA est tout aussi clair : les contrats de travail ne sont que des contrats forcés,les commissions du travail font du salaire minimum prévu un salaire maximumdérisoire, et les conseils d’arbitrage créés en 1921 ne sont que des « machines àcondamner les indigènes   ».[31]

41Laissons de côté l’aspect humain de la question pour ne considérer que lesconséquences économiques immédiates du réseau de contraintes mis en place. Lapremière est le blocage du développement d’un marché du travail en raison del’avilissement des salaires réels. Nominalement, de 1914 à 1920, ils font moins quedoubler, alors que la hausse des prix va du triple au décuple. Un manœuvre duVakinankaratra qui gagnait 0,60 à 0,80 franc par jour en gagne 1,25 en 1920. Maisil doit payer son riz 0,80 francs le kilo au lieu de 0,25 et son lamba (toge) de coton20 à 25 francs au lieu de 2,5   .[32]

42Et ce sont là les salaires « libres ». La réquisition peut les faire tomber beaucoupplus bas avec le forfait global fixé dans le cas des contrats de fokonolona passés autitre de l’article 18 du décret de 1902. L’oligarchie coloniale peut alors réaliser sonrêve : obtenir, comme sa devancière merina du XIXe siècle, d’exploiter une main-d’œuvre quasi gratuite. Sur le chantier du TA en 1922, l’entrepreneur du 15e lot, unami du gouverneur général il est vrai, paie à un fokonolona 900 francs pour desterrassements qui ont retenu 75 hommes pendant 50 jours : la journée de travailtombe à 24 centimes. Or ce travail est facturé à l’administration 2 268 francs, soitpour l’entrepreneur une marge de 150 %. D’où l’effarement d’un inspecteur descolonies devant le parasitisme « d’un intermédiaire dont le rôle est tropsensiblement réduit pour motiver un aussi fort prélèvement sur le prix du travailpayé par l’administration  ». Car l’outillage, angady (bêches) et sobika (paniers)a été fourni par les travailleurs eux-mêmes. Or, aussi extraordinaire que celaparaisse, un tel système, une fois mis en place, interdit toute mécanisation, quiserait obligatoirement plus coûteuse. Le directeur des Travaux publics, Girod, vajusqu’à théoriser l’hérésie économique en affirmant qu’ « il ne faut pas laissers’établir de légendes et laisser croire qu’il n’y a qu’à augmenter le machinisme àMadagascar pour régler la question de la main-d’œuvre ». Concasseurs, excavateurset pelles à vapeur ne sont pas rentables et « les terrassements des routes et

[33]

Illustration 3 - Le TCE en 1903 dans la vallée de la Vohitra (d’après Ladépêche Coloniale, 1, janvier 1903, p. 13). Photo officielle qui montre unchantier normal, et non la foule des travailleurs forcés munis d’angady

(bêche malgache) et de soubiques (sobika, panier en vannerie).

La ligne Fianarantsoa-Côte Est et le Smotig

l’infrastructure des voies de communications continueront donc en général à êtreexécutés avec la pelle et la pioche   ».[34]

43Et finalement, heureuse surprise, les coûts de revient sont si bien abaissés que lesnouveaux chemins de fer reviennent moins cher que prévu. Incompétence, gabegieet corruption n’empêchent pas le TA de ne coûter que 16,215 millions de francs/orau lieu des 18,452 millions prévus en juillet 1914   . Depuis Gallieni, le systèmeavait sensiblement progressé en efficacité, sinon technique, du moinsadministrative et politique.

[35]

44« Je crois que dans la masse de Travaux publics en tout genre qui se sont exécutésen France depuis un siècle, on trouverait difficilement un cas qui puisse êtrecomparé au FCE », écrivait l’inspecteur général des Ponts et chaussées Boisnier,dépêché de France un peu tard en 1932  . À défaut de l’être sur le terrain, le FCEfut donc bien dans le prolongement de ses prédécesseurs par les errements en toutgenre qui présidèrent à son lancement et à son exécution. La différence principaleétait que, cette fois, le travail forcé ne vint pas réduire les coûts comme pour le TAet le MLA, mais au contraire les gonfler. Car dans le souci de faire du social   , on

[36]

[37]

opta avec le SMOTIG pour un travail forcé à visage humain qui devait se révéler fortonéreux pour les finances coloniales.

45Faute d’ingénieur civil, on chargea en 1920 un capitaine du génie qui avait travailléau TCE, Forgeot, flanqué de deux lieutenants, d’étudier un projet Fianarantsoa-Manakara. Girod réussit à le soumettre à Paris en 1923, et il reçut l’approbation duministre, A. Sarraut, en février 1924. Mais le service technique local fut incapablede mener à bien sur le terrain les études de détail nécessaires (profils en long, entravers, etc.). Elles n’étaient pas achevées en août 1927 quand les travauxcommencèrent… alors qu’on avait procédé l’année précédente à l’adjudication duchantier, remportée par un consortium franco-belge. Pour sa défense, le directeurdes travaux publics, lui-même ingénieur des mines, avança qu’il avait brusquél’adjudication dans l’espoir d’obtenir les moyens nécessaires à l’achèvement desétudes. Les difficultés furent de plus aggravées par le choix d’un tracé« électrique ». Faute de bois en quantité suffisante sur le parcours, on avait en effetpensé électrifier la ligne grâce à l’aménagement des chutes du Faraony. Le caractèreirréaliste du projet n’apparut qu’en 1931, laissant alors la colonie avec le problèmede rampes trop fortes pour une exploitation économique de la voie par la traction àvapeur. D’où les terrassements supplémentaires pour limiter les pentes à 35mm/m. De l’avis de Boisnier en 1932, l’insuffisance des études avait généré unsurcoût de 75 % du prix de revient initialement prévu. Mais, pour faire bonnemesure, la colonie fut incapable de réaliser la part de travail qui lui incombait. Lamalchance s’en mêlant, avec un cyclone dévastateur en avril 1927, le port deManakara n’était pas ouvert quand deux cargos allemands chargés de matériel seprésentèrent. Il fallut dédommager les armateurs. La tentative d’approvisionnerManakara par Mananjary et le canal des Pangalanes échoua devant l’obstacle duseuil de Loholoka. Les routes d’accès aux chantiers, tout comme la lignetélégraphique prévue, ne furent pas prêtes à temps. Il fallut recourir au portage etaux tsimandoa (coursiers pédestres). Et la main-d’œuvre promise auxadjudicataires n’était toujours pas rassemblée à la date prévue pour le début destravaux le 1er juin 1927. D’où une cascade d’avenants au contrat initial. Au bord dela faillite, le consortium demanda en août 1930 la résiliation du marché, maispoursuivit les travaux dans l’espoir de recevoir les rallonges demandées. La missionBoisnier de 1932 conclut à la responsabilité de la colonie dans la gestion d’unchantier qui, adjugé pour 125 millions, dut être réévalué à 232 millions pourl’adjudicataire, pour en coûter au total environ 360…

46Dans la mémoire malgache, le FCE est resté fort justement associé au SMOTIG, leservice de la main-d’œuvre pour les travaux d’intérêt général, créé par le décret du3 juin 1926, comme solution au problème de la main-d’œuvre au moment où la

colonie créait un budget des grands travaux. De 1927 à 1937, 50 000 jeunesMalgaches environ, non retenus par l’armée, effectuèrent un séjour de deux ans(trois au début) dans des camps, employés à des travaux d’infrastructure.Cependant, le souvenir vivace du SMOTIG comme symbole du travail forcé colonialtraduit une distorsion entre mémoire et histoire. Car il n’a été en réalité qu’uneforme atténuée des pratiques antérieures beaucoup plus lourdes pour lespopulations   .[38]

47Cette distorsion résulte, entre autres, de la vigoureuse campagne de presse desnationalistes malgaches contre « L’esclavage déguisé […] de miaramilam-potaka,c’est-à-dire de soldats de la boue, de l’humiliation, de la misère ! », suivant l’AuroreMalgache du 13 février 1931. Dénonçant le « bluff » officiel (6 mars 1931), cejournal dresse un tableau très sombre des camps où les « pionniers » sont entassés« comme des sardines dans une boîte » (15 juillet 1932), recevant « une maigrepitance » et un trousseau de « vêtements de cérémonie » (9 décembre 1932), leurtenue de travail étant en fait l’akanjobe en rabane, « le même accoutrement quecelui qu’on avait l’habitude de donner aux esclaves sous le régime hova ». Les« crimes du SMOTIG » sont l’objet d’une série d’articles en 1931. Sur les chantiers,coups, humiliations et accidents du travail seraient incessants, et le seul percementdes tunnels aurait causé 1 200 morts en 1931… Tout cela était aussi exagéré quel’optimisme officiel qui voyait dans le SMOTIG une entreprise éducative assurant laformation de nombreux spécialistes avec un rendement excellent de la maind’œuvre et une faible mortalité prouvant que l’on pouvait « relever le niveauphysique de toute une race   ». Les colons surenchérissent : pour le Tamatave,« les camps du SMOTIG sont de véritables organisations de culture physique où desoi-disant travailleurs sont en quelque sorte à l’engraissement et font beaucoupplus de lard que de terrassements » (12 novembre 1928).

[39]

48L’enquête historique aboutit à des conclusions plus mesurées. Le FCE n’a pas étéun autre Congo-Océan. Le SMOTIG, compromis entre libéralisme et contrainte,s’est traduit par un prélèvement démographique limité, de 10 à 20 % d’une classed’âge environ. Mais ce prélèvement fut très inégal, car on ne retint que les conscritsdes régions touchées par les grands travaux : en 1929, un seul appelé à Diego-Suarez (sur 518) mais 630 sur 670 à Fianarantsoa, 473 sur 495 à Manakara. Leseffectifs des camps ont évolué de 2 798 au début de 1928 à 16 023 (dont 975engagés volontaires) en 1932, avant de tomber à 1 912 au début de 1936. LeSMOTIG était en fait en voie d’extinction quand le Front populaire le supprima en1937.

49De 1927 à 1934, les pionniers fournirent 17,595 millions de journées de travail dont69 % pour les chemins de fer : 10,419 millions (59 %) sur le FCE et 1,776 million sur

Le bilan financier et économique

le TCE (entretien et travaux de bûcherons). Le pouvoir chercha à faire du SMOTIGsa vitrine sociale. Un fort encadrement médical, la consigne de faire gagner dupoids aux recrues, se traduisirent par une mortalité basse pour l’époque. En 1928-1930, elle varie entre 0,75 et 0,9 %, comparable à celle des militaires européens àMadagascar (0,76 % en 1927) et deux fois plus faible que celle des jeunes Malgachesretenus pour le service militaire (1,89 %). On peut s’expliquer ainsi le faible taux dedésertions… et le coût élevé de l’expérience. La journée de pionnier en effet (9,80francs en 1928, 9,65 francs en 1929) coûta toujours plus cher que son prix decession au consortium (4 francs), lui-même plus élevé que les salaires du marchélibre (2,5 à 3 francs). D’où un déficit du service estimé, pour les années 1927 à 1933,à 31 millions suivant une enquête de 1934, soit un dixième des recettes d’une annéebudgétaire. Ce bilan montrait que lorsqu’un pouvoir colonial essayait de couvrir les« coûts de l’homme » (F. Perroux), ses entreprises cessaient d’être rentables. Oncomprend le déclin du SMOTIG après 1932. Avec la crise gonflant l’offre de main-d’œuvre, les entrepreneurs préférèrent, pour les derniers grands travaux (port deMajunga, etc.) recourir au travail libre. Il reste que, à côté de son relatif aspect« social », le SMOTIG continua à illustrer des données traditionnelles de lasituation coloniale. Nombre de critiques des nationalistes étaient en bonne partiefondées, sur les conditions de travail surtout, marquées par trop d’accidents, dus àun encadrement incompétent, et par des mauvais traitements de la part des petitschefs. Les ambitions en matière de formation professionnelle furent loin de seréaliser, toujours à cause de la médiocrité d’un encadrement d’anciens sous-officiers et de colons pauvres. En résumé, le SMOTIG a été la mobilisation detravailleurs qui sont restés faiblement qualifiés, très médiocrement logés ethabillés, nourris au plus juste coût, mais convenablement soignés, avec unencadrement très coûteux et de faible qualité. Accepté avec résignation par sesassujettis, le SMOTIG a suscité des passions qui s’expliquent plus par l’évolution dumouvement national malgache que par les données objectives de l’institution.

50La priorité donnée aux chemins de fer a, au total, absorbé des disponibilitésfinancières considérables eu égard aux possibilités de la colonie. Le TCE a coûté 70millions de francs-or, soit environ trois ans des recettes budgétaires des années1905-1908, le TA a absorbé un semestre de recettes d’avant 1914, et le MLA quatremois. Le FCE, enfin, avec son coût de 360 millions, est revenu à un an et demi dubudget de 1927. Cette concentration des moyens sur une entreprise a eu pourpremier effet d’accentuer fortement la déflation chronique des économiesprovinciales, qui tourne périodiquement à la famine monétaire.

51Certes, cet effet a été limité par le financement sur emprunt du TCE et du FCE. Etsur ce plan, la colonie a fait une bonne affaire à long terme grâce à l’inflation.L’emprunt de 60 millions sur 60 ans de 1900 voit ses annuités fondre des 4/5 envaleur réelle entre 1914 et 1924. L’emprunt de 1931, après avoir donné lieu à delourdes échéances entre 1934 et 1936, voit sa valeur réelle chuter de moitié en 1936-1938, puis s’évanouir avec la dégringolade du franc ensuite. Mais l’inflationimportée n’a pas toujours joué dans un sens favorable. En 1920, la colonie consacreles réserves péniblement accumulées depuis 1914 à l’achat au prix fort de matérielferroviaire pour équiper le TA et le MLA et se retrouve ensuite en situation critiquedans la crise déflationniste de 1921-1922.

52Le lot ordinaire des provinces reste une situation de déflation sévère, parce queTananarive cherche en permanence à gonfler la caisse de réserve en vue des futursgrands travaux, dont les chemins de fer forment l’essentiel. Toutes les provincesversent donc au budget colonial beaucoup plus qu’elles n’en reçoivent. D’où lesdoléances incessantes de leurs chefs : « Jusqu’ici, on a demandé en hommes et enargent tout ce qu’elle pouvait donner à la province et elle n’a obtenu en échangerien de ce qui intéresse sa vitalité et son avenir », écrit l’administrateur de Fénérivedès 1904  . En 1907, la province de Vatomandry signale qu’elle a versé, presquesans contrepartie, plus de 8 millions au budget en dix ans, et son chef se demande« si le ressort financier surprenant dont elle a fait preuve jusqu’ici, dans desconditions aussi anormales, n’est pas près de se rompre   ». Les doléances sontparticulièrement vives sous Picquié, de 1911 à 1914. La plupart des rapportsprovinciaux annuels soulignent l’insuffisance des crédits concernant la santé – lesprovinces ne récupèrent même pas le montant de la taxe d’assistance médicalequ’elles versent au budget –, l’enseignement ou les travaux publics. Pour financerles chemins de fer, on reporta la charge des travaux routiers sur les prestations,dont on pouvait dresser un bilan très négatif dans les années 1920. Cetteinstitution, confiée à des administrateurs sans moyens et sans compétencestechniques, a été incapable de créer le réseau de routes secondaires permanentesqui auraient élargi le bassin économique du FCE et du TCE. C’est ainsi qu’uneprovince de colonisation dense comme celle de Vatomandry, jusqu’à la SecondeGuerre mondiale, souffrit de l’inachèvement tant de ses voies de pénétration dansla zone caféière de l’arrière-pays que d’une liaison routière avec la zone du cheminde fer. La collecte du café par portage humain y est encore une pratique courante,comme ailleurs sur le gradin intermédiaire, dans les années 1930, notamment depart et d’autre du FCE entre Tolongoina et Sahasinaka.

[40]

[41]

53Par ailleurs, le transfert des espèces monétaires vers le centre entraîne un freinagedes échanges marchands que l’on prétend développer, et une tendance permanente

à la baisse des salaires et des prix locaux. À Vatomandry, en 1910, l’argent est rareet les transactions « ne donnent lieu qu’à un très faible mouvement denuméraire   ». Le blocage économique est accentué par la lourde insuffisance duréseau routier, qui fait de chaque province une entité aussi repliée sur elle-mêmeque les provinces françaises sous l’Ancien Régime.

[42]

54Pour sortir d’une telle situation, il eût fallu que les chemins de fer dégagent aumoins une rentabilité satisfaisante et exercent l’effet d’entraînement économiqueattendu. Déception : après avoir coûté quelque 70 millions, le TCE n’affiche en 1910qu’une rentabilité de 1 %, ne couvrant que le quart de l’annuité, et ne payant mêmepas les intérêts de l’emprunt de 1900. Même si, nominalement, grâce à l’inflation,cette rentabilité dépasse 4 % en 1920, on retrouve, en francs-or, le taux de 1 %. Cetaux monte à 2 % lors du pic de conjoncture de 1924-1925 grâce au complément detrafic fourni par le TA et le MLA entrés en service  . Mais il décline ensuite. Orcette rentabilité médiocre n’est nullement liée à l’octroi de tarifs de faveur : leschambres de commerce ne cessent de se plaindre de leur niveau trop élevé, commepour le fret maritime. Le coût du transport, dans les années 1930, rend à peu prèsinexportables les produits agricoles des Hautes-Terres, les « produits pauvres »comme on disait alors. En 1934, le riz d’Indochine arrive sur la côte Est moins cherque celui de l’Imerina ou du Betsileo… en attendant que, à une époque plus récente,le riz ne circule à nouveau sur le TCE et le FCE, mais à la montée cette fois, ce queGallieni n’avait certes pas prévu. Pour l’économiste René Gendarme, le niveau tropélevé des tarifs de chemin de fer figurait dans les années 1950 au nombre deshandicaps économiques majeurs de Madagascar : en 1958, le transport d’une tonnede ciment de Tamatave à Antsirabe (521 km) coûtait plus cher que sonacheminement de Marseille à Tamatave, lui-même d’un coût jugé exorbitant  . Lefond du problème est que les chemins de fer n’eurent qu’un faible effet destimulation sur les régions traversées. On peut le lire sur la courbe du trafic duTA  : le maximum, en particulier à l’exportation, fut atteint dès la première annéede fonctionnement ! Pour l’ensemble TCE/TA/MLA, le trafic marchandises estmême inférieur en 1935 à celui de 1923  . Le FCE, en 1957, transportait moins dela moitié du tonnage fixé en 1925 comme objectif à atteindre au bout de 10 ansd’exploitation  .

[43]

[44]

[45]

[46]

[47]

55Or ces données ne reflètent pas une stagnation économique de Madagascar : l’île aen fait a connu une réelle croissance dans les années 1930. Mais celle-ci ne s’est pasproduite dans la zone des chemins de fer. On peut s’en faire une idée en analysantles exportations de la colonie en 1938 : des quatre produits qui en fournissent lamoitié, le café (31,7 %), la vanille (9 %), le girofle (4,4 %) et le sucre (4,4 %), aucunne vient des Hautes-Terres et ne doit son exportation au chemin de fer. Et il en est

Le bilan social et politique

de même pour les produits secondaires comme les pois du Cap, le raphia, le mica.Le riz, qu’on avait accolé au TCE, puis au FCE, ne fournissait que 2 % desexportations, livrées surtout par la région de Marovoay, dépourvue de voies ferrées.Sur celles-ci, comme le montre les courbes du TA, le trafic se faisait de plus en plusà l’importation, pour l’approvisionnement des foyers urbains des Hautes-Terres,Tananarive en premier lieu.

56La faiblesse de la mise en valeur de la zone des chemins de fer souligne le caractèrepeu capitaliste et investisseur d’une colonisation qui laissa se développer descomportements spéculateurs et prédateurs. Pour l’illustrer, nous évoqueronsbrièvement l’exemple de deux compagnies dont l’histoire est restée dans l’ombre, laCompagnie coloniale et la société La Grande île.

57Sur la base de conventions passées en 1897 et 1898 avec le ministère des Coloniespour l’étude du futur chemin de fer TCE – conventions qui ne reçurent qu’unsemblant d’application et que le ministère considéra très vite comme caduques –,ces deux sociétés, grâce à leurs relations politiques en France, obtinrent, par unesérie de décrets de 1902 à 1906, à titre de « compensation » pour des dépensesminimes ou fictives, d’énormes concessions forestières de part et d’autre du TCE.Renforcées par un troisième larron, la Compagnie foncière et minière, elles purentalors développer une véritable économie de pillage pendant des décennies. En1930, on estimait que les 2/3 des forêts de la province de Moramanga avaientdisparu en moins de 30 ans   . Mieux encore, exploitant abusivement une clausedes décrets de concession, les deux sociétés revendiquèrent les terrains entourant lagare de Tananarive, et grâce à un procès interminable, bloquèrent ledéveloppement urbain de l’actuelle ville basse jusque vers 1925   .

[48]

[49]

58Croire que le chemin de fer avait par lui-même la vertu d’enclencher un essoréconomique était une naïveté. Les chemins de fer de Madagascar témoignentd’abord de l’erreur de choix économiques découlant d’un primat du politique, etensuite, du caractère rentier et parasitaire de la société coloniale.

59Le bilan le plus difficile à mesurer, mais assurément le plus lourd, est d’ordrehumain. Il s’agit de l’impact que la construction des chemins de fer a exercé sur lessociétés locales.

60L’impact démographique reste en fait problématique. La relation entre chemin defer et diffusion du paludisme est encore considérée comme une évidence, attestéepar le fort taux de malades parmi les travailleurs du TCE. D’où le lien vite établi

avec la meurtrière épidémie qui emporta près de 10 % de la population deTananarive en 1906. Mais l’étude d’un chercheur malgache   montre que cettevision est peut-être superficielle. Car le chemin de fer a eu aussi le mérite d’arrêterla circulation des quelque 50 000 porteurs qui reliaient l’Imerina à la côte en 1900,et surtout, il apparaît que l’épidémie de tazo (fièvre), qui avait déjà frappé l’Imerinaen 1878, a cheminé d’Ouest en Est entre 1900 et 1906, et non comme on s’yattendrait, de la côte Est vers les Hautes-Terres.

[50]

61Plus redoutables pour les sociétés autochtones ont été les prélèvements d’hommespar le travail forcé. Dès octobre 1902, les colons de Vatomandry et Mahanoros’alarment de ce qu’Augagneur devait appeler une « concurrence désastreuse ».Leurs deux districts en effet doivent, suivant les instructions du 17 octobre 1902,fournir 38 % des « volontaires » pour le TCE alors qu’ils n’ont que 20 % de lapopulation de la zone de recrutement betsimisaraka. Pour répondre à la crise demain-d’œuvre des plantations, Gallieni ne trouve d’autre remède que d’étendre auxcolons le bénéfice de la « persuasion » administrative et d’alourdir la charge desautres circonscriptions, avec pour résultat le cri d’alarme que lance en avril 1904 lechef de province de Fenerive, qui mérite d’être détaillé. « Vous avez fixé », écrit-il àGallieni, « à 1500 le chiffre de travailleurs volontaires (sic) à fournir par laprovince » qui ne compte que 9000 hommes mobilisables. « Il nous faut donc, entoute saison et sans tenir compte des travaux des champs, arracher à leur familletous les mois 1500 hommes pour les diriger très loin de chez eux » afin de lesemployer « à des travaux dont ils n’ont pas l’habitude et dont ils ne comprennentpas le but », exposés aux coups et aux mauvais traitements « de Sénégalais dont labrutalité acquiert tous les jours une réputation plus sinistre »… Le résultat est que« le chemin de fer est devenu un épouvantail […]. Leur devise : […] tout plutôt quele chemin de fer ». Comme la menace de la réquisition pèse spécialement sur lesretardataires de l’impôt, « tous ceux qui ont pu se libérer immédiatement l’ont faiten vendant à des prix dérisoires tout ce qu’ils avaient sous la main, bétail, riz etvolailles ». Et les conséquences sont graves : « cessation à peu près complète detout commerce et de toute culture, tendance plus marquée que jamais à se déroberà l’autorité par la fuite, et sur nombre de points, exode général vers la forêt… J’ai laconviction que sous peu, s’il n’y est pas remédié, je n’aurai plus à administrer qu’undésert   ».[51]

62Dans un rapport au ministre du 29 janvier 1906, le successeur de Gallieni,Augagneur, dresse le tableau accablant d’une population en voied’appauvrissement… :

63« La cause la plus puissante de cette pauvreté provient de l’impossibilité où

l’indigène a été mis souvent de travailler pour lui-même et d’acquérir desressources. La misère a été déterminée par les réquisitions de travailleursdestinés à la construction de la route de l’est, du chemin de fer ensuite… Lamisère s’est installée par l’absence des travailleurs… Les réquisitions detravailleurs ont été une calamité publique » (souligné par Augagneur)  .[52]

64Dès 1904-1906, donc, tout est dit. Mais la dénonciation d’une erreur n’exclutnullement qu’on y retombe. Avec quelques variantes, nous pourrions faire lesmêmes observations avec le MLA en 1917-1922. Ainsi, le 12 août 1918, le chef dedistrict d’Ambatondrazaka demande grâce pour ses administrés : « L’effortdemandé aux Sihanaka et obtenu a été considérable, mais il ne faut pas en abuser,car eux aussi ont leurs bœufs à surveiller et leurs cultures à développer… » Déjà,« ils commencent à se retirer sur les pâturages et surtout dans les districts voisins[…]. Si l’on continue, le vide s’accentuera de plus en plus   ». Le gouverneurgénéral ayant demandé des sanctions contre le chef de district qui n’avait pas fournison contingent de « prestataires payés », la rancœur chronique des administrateursde brousse contre la capitale ne put qu’en être renforcée. Quant aux Sihanaka, leurmouvement de fuite vaut à ces riziculteurs paisibles d’être déclarés pasteursnomades par leur chef de province en 1921-1922. En conséquence, on peutdistribuer aux colons leurs terres de l’Alaotra, que le chemin de fer vient devaloriser. Les abus sont tels que l’inspection des colonies en 1923 s’interroge :comment a-t-on échappé à une révolte ? Présentant le rapport sur la main-d’œuvredans la province de Moramanga, l’inspecteur général Henry prononce un jugementqui, pour l’historien, est sans appel :

[53]

65« La multiplicité des graves abus qui s’y trouvent démontrés […] estsimplement lamentable pour le bon renom de la colonisation française. Il afallu toute la douceur, la passivité des Sihanakas et des Hovas pour que lerégime instauré et rigoureusement appliqué dans la province de Moramangapar M. M. Sainjon et Ferjus [respectivement chef de province de Moramangaet chef de district d’Ambatondrazaka], et qui n’est qu’un succédané de la traite[…] n’ait pas amené les plus graves incidents. Je crois avoir une connaissancesuffisante de nos gouvernements généraux pour pouvoir écrire que nulle partailleurs, ni en Indochine, ni en AOF, ni en AEF, de telles exactions ne seraientpossibles. Au Tonkin, en Annam, au Laos, la rébellion ne tarderait guère. EnAOF, ce serait soit la révolte, soit l’exode en masse vers les colonies étrangèresvoisines. Au Gabon-Congo, on aurait aussi très vite la révolte chez quelquespeuplades énergiques […] mais ce serait plutôt l’abandon des villages […] ! »

[54]

66De même, la désorganisation de la vie rurale dans le Vakinankaratra, lors destravaux du TA   , est longuement décrite par le pasteur Parrot : « Le paysanmalgache répète… on ne cesse de nous accuser de paresse, et nous nedemanderions pas mieux que de travailler tranquillement à nos rizières et dedévelopper nos cultures, mais on ne cesse de nous empêcher de le faire !… » Quandon constate les dégâts du TCE, du TA et du MLA, on se dit que, sur le FCE, leSMOTIG a été un moindre mal en ne touchant que des jeunes non encoreenracinés. Mais partout la population a perçu le chemin de fer comme une formed’agression par l’étranger. Comment aurait-il pu en être autrement ? Les trains ontété un des lieux d’actualisation du racisme colonial  . En 1959, René Dumontrelève que, sur le bas-FCE, les habitants ne comprennent pas qu’on leur demandede payer le plein tarif sur un chemin de fer qu’ils ont construit  . Et là aussi, lesterres proches de la voie ferrée ont été concédées à un colon honni, député puissénateur de Madagascar après 1945… Il n’est donc guère surprenant que leschemins de fer se soient retrouvés au cœur de l’insurrection de 1947, dont les deuxgrands foyers de départ ont été Moramanga et le bas-FCE. La chaîne de causalité,ici, est cependant beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, et invoquer la mémoired’un mécontentement serait superficiel. En fait, un premier facteur découle de laréalisation de la prédiction de Gallieni en 1905 sur une expansion merina le longdes voies ferrées. C’est en effet l’établissement d’une petite bourgeoisie lettrée decommerçants, planteurs et fonctionnaires merina dans la région de Moramanga, etle long du FCE qui a fourni les premiers cadres de l’insurrection. Mais un secondfacteur a eu plus d’importance encore : la fuite devant la réquisition a érigé legradin intermédiaire entre les Hautes-Terres et la côte en zone-refuge à laquelle lespopulations rétives, betsimisaraka surtout, se sont adaptées par un processusd’atomisation sociale et une quasi-sacralisation du tavy, la culture itinérante surbrûlis, fondement de la liberté de petits groupes vivant dans un isolement propiceau tsaho, la rumeur. Dans ce milieu, en 1946-1947, toutes les conditions étaientréunies pour que se diffuse, de proche en proche, une immense jacquerie.

[55]

[56]

[57]

67Le TCE a été l’axe du secteur nord de l’insurrection, dont la carte se superpose àpeu près avec la zone de recrutement des « volontaires » délimitée dans lesinstructions du 17 octobre 1902. Et la dimension de lutte des classes que revêtit lemouvement à l’ouest de Moramanga, dans l’angle formé par le TCE et le MLA, n’estpas sans rappeler que la réquisition, ici, avait pesé sur les groupes dominés et lesplus pauvres de la société locale, envoyés au chemin de fer par la connivence desnotables et des fonctionnaires subalternes   . Plus au Nord, dans l’Alaotra, unadministrateur dynamique, en 1957-1958, s’efforce de promouvoir des actions dedéveloppement et termine son séjour sur le constat amer d’un échec pour luiincompréhensible   . Il devait ignorer l’histoire du MLA et la manière dont un de

[58]

[59]

Carte extraite de l’Atlas du Guide de l’immigrant à Madagascar, Paris,A. Colin, 1899.

ses prédécesseurs, en 1920-1922, avait répandu l’effroi dans toute la région, créanthostilité latente et méfiance incoercible.

68Les Malgaches ne se battirent pas pour sauver leurs chemins de fer. Avec le temps,pourtant, le train évoluait dans les mentalités, vers une « nationalisation » donttémoigne, entre autres, la participation de nombreux cheminots à l’insurrection de1947, ou la réorientation du trafic vers les échanges intérieurs. Paradoxe ? C’estpeut-être aujourd’hui que le TCE et ses annexes pourraient le mieux se justifier.Deux raisons, selon nous, militent en faveur d’une telle opinion : d’une part, unrenversement des données économiques est en cours à Madagascar, et ce sontdésormais les Hautes-Terres qui, grâce à une industrialisation tournée versl’exportation, sont le foyer le plus dynamique de l’île : il sera de plus en plusdifficile, à l’avenir, de faire dépendre son ravitaillement et ses échanges extérieursd’une route difficile parcourue par une noria de poids lourds. D’autre part, dans unpays qui souffre d’une balance commerciale chroniquement déficitaire, obéréenotamment par le poids des importations d’hydrocarbures et de véhicules, le vieuxchemin de fer qui a coûté si cher à mettre en place serait probablement l’un desmoyens de desserrer une contrainte extérieure étouffante.

69Tracés du TCE étudiés.

70I. Par les vallées du Mangoro et de l’Ivondro

71II. Par Moramanga et la vallée de la Vohitra (tracé retenu)

72II bis. Par l’intérieur du pays betsimisaraka

73II ter. Par la côte (tracé retenu)

DUMONT R., Évolution des campagnes malgaches, Tananarive, Imprimerie officielle, 1959.

FERRET J., Les Cendres du Manengouba, Paris, L’Harmattan, 2001.

FRÉMIGACCI J., « Mise en valeur coloniale et travail forcé : la construction du chemin de ferTananarive-Antsirabe (1911-1923) », Omaly sy Anio (Tananarive), n° 1-2, 1975, p. 75-137.

FRÉMIGACCI J., « La forêt de Madagascar en situation coloniale, une économie de la délinquance »,in M. CHASTANET (dir.), Plantes et paysages d’Afrique, Paris, Karthala, 1998, p. 411-439.

GALLIENI J., Neuf ans à Madagascar, Paris, Hachette, 1908.

GENDARME R., L’Économie de Madagascar, Paris, éditions Cujas, 1963.

GUERNIER E., Encyclopédie coloniale et maritime. Madagascar-Réunion, tome II, Paris, 1947.

OLIVIER M., Six ans de politique sociale à Madagascar, Paris, Payot, 1931.

RAMANDIMBILAHATRA R., Paludisme et contact colonial à Madagascar, Tananarive, mémoire demaîtrise, 1980.

RICHARD C., Le Chemin de fer Fianarantsoa-Côte-Est, diplôme d’études supérieures, Paris, 1962.

SARRAUT A., La mise en valeur des colonies françaises, Paris, 1923.

[*] Jean FRÉMIGACCI est maître de conférences à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne (Centre d’étudedes mondes africains).

[1] Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimeriedes Journaux officiels, 1905, p. 62.

[2] Ibid., p. 64

[3] J. GALLIENI (1908 : 48).

[4] Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimeriedes Journaux officiels, 1905, p. 64.

[5] J. FRÉMIGACCI (1975 : 85).

[6] Ibid, p. 79.

[7] ARM (Archives de la République malgache), série Chambres de commerce, dossier n° 13, Fianarantsoa,PV du 22/04/1910.

[8] Ibid., PV du 25/09/1911.

[9] Bulletin économique de Madagascar, 1er trimestre 1921, p. 40-61, note de Girod, directeur des Travauxpublics.

[10] A. SARRAUT (1923).

[11] J. GALLIENI (1908 : 289). Le général avoue s’inspirer de son maître Faidherbe, qui avait appelé de Dakar-Saint-Louis « Le chemin de fer de l’arachide ». En fait, la comparaison n’a pas de sens. Commentmettre sur le même plan une culture vivrière, le riz, et une culture de rente, l’arachide, alors que, desurcroît, les conditions géographiques, physiques et humaines sont absolument différentes auSénégal et à Madagascar ?

[12] Ibid.

[13] CAOM, Aix-en-Provence, fonds du contrôle, 749-751, mission Nores, Madagascar 1919-1920. Rapportde l’inspecteur Leconte sur les messageries par charrettes à bœufs.

[14] J. GALLIENI (1908 : 159-160).

[15] Voir supra, note 9.

[16] Instructions du 31/12/1900.

[17] Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimeriedes Journaux officiels, 1905, p. 62.

[18] Journal officiel de Madagascar (J. O. M.), 22/10/1902, p. 82-87.

[19] Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimeriedes Journaux officiels, 1905, p. 63.

[20] Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimeriedes Journaux officiels, 1905, p. 62. Cette « apathie naturelle » exprime en réalité la résistance passivedes Malgaches.

[21] J. FRÉMIGACCI (1975 : 83, 96-97). Le paradoxe apparent – une baisse des salaires qui accroît l’offre demain-d’œuvre – montre que l’économie coloniale n’obéit pas à la logique de la théorie libérale. Dans le

cadre colonial, si les salaires baissent, le Malgache devra allonger la durée de son engagement pourpayer l’impôt « moralisateur ». On devine les conclusions qu’en tirent les colons… En fait, on a ici uncas d’application de la théorie de Tchayanov sur les comportements des paysanneries dominées.

[22] J. FRÉMIGACCI (1975).

[23] Ibid., p. 118.

[24] ARM D 152 Travaux publics. Le chef de province de Moramanga au G. G., 3 juin 1918. Angady : bêchemalgache.

[25] CAOM, Aix-en-Provence, fonds du contrôle, mission Henri, Madagascar 1921-1923, rapport n° 48 sur lamain-d’œuvre dans la province de Moramanga.

[26] ARM D 364, correspondance du MLA 1916-1922.

[27] CAOM, fonds du contrôle, 754, Madagascar, mission Henri, 1921-1923, rapport cit. n° 48, p. 18.

[28] ARM D 364 ; « Mémoire présenté à M. le colonel Garbit, gouverneur général de Madagascar, sur lesabus dont la population malgache est victime dans la province du Vakinankaratra », 10/11/1920.

[29] J. FRÉMIGACCI (1975 : 113).

[30] Ibid., p. 114.

[31] CAOM, Mission Henri…, rapport cité n° 48.

[32] CAOM, Madagascar, IID 50, province d’Antsirabe (Vakinankaratra), Rapport économique (R. E.), 1920.

[33] CAOM, fonds du contrôle, 754, mission Henri 1921-1923, rapport n° 49 sur la main-d’œuvre dans laprovince du Vakinankaratra.

[34] BEM 1921, 1er trimestre, note de Girod citée supra.

[35] J. FRÉMIGACCI (1975 : 123).

[36] C. RICHARD (1962).

[37] M. OLIVIER (1931 : 97-132).

[38] Nous résumons ici les points essentiels d’une recherche personnelle sur le SMOTIG, qui donnera lieuà une publication ultérieure.

[39] M. OLIVIER (1931 : 128).

[40] ARM J143 (ancien classement). Lettre de Faucon, chef de province de Fénérive, à Gallieni, 28/04/1904.

[41] ARM, série Chambres de commerce, n° 43 (Vatomandry). Le chef de province Marcoz au gouverneurgénéral, 29/07/1907.

[42] CAOM, Aix-en-Provence, Madagascar II D 220, province de Vatomandry, rapport économique (R. E.),1910.

[43] Calculs établis à partir de la série des budgets annexes des chemins de fer, ARM série budgets.

[44] R. GENDARME (1963 : 97-98).

[45] Cf. annexe II.

Durant le premier tiers du xxe siècle, un embryon de réseau ferré voit le jour àMadagascar, reliant les Hautes-Terres à la côte. Répondant à une volontépolitique fondée sur les projections des colons et de l’administration, cetteentreprise révèle, de sa conception à sa réalisation, une profonde indifférence àl’égard des logiques économiques et des impératifs techniques. Cette faillites’accompagne en outre, de profondes répercussions sociales, dues au recoursmassif, quoique dissimulé, au travail forcé.

During the first third of the XXth century, an embryonic railway network was builtin Madagascar, linking the Highlands to the coast. Responding only to a politicalwill based on projections emanating from the settlers and the administration, thisenterprise gave little heed to either economical logic or to technical constraints.Because of massive, though hidden, use of forced labour, this misconceived projectled to deep social consequences.

[46] E. GUERNIER (1947 : 143).

[47] C. RICHARD, op. cit., p. 81.

[48] J. FRÉMIGACCI (1998).

[49] ARM, série Compagnies et sociétés, dossier n° 6, société La Grande Île.

[50] R. RAMANDIMBILAHATRA (1980).

[51] Cf. supra note 40, lettre de Faucon, chef de province de Fénérive, à Gallieni, 28/04/1904.

[52] CAOM, IV D27, rapport au ministre, 1906.

[53] ARM D364. Demande de travailleurs 1918-1945. Correspondance du MLA 1916-1922.

[54] CAOM, Mission Henri 1921-1923, rapport cité note 48, présentation par l’Inspecteur général.

[55] J. FRÉMIGACCI (1975 : 125-129).

[56] ARM, chambres de commerce, dossier n° 25 (Moramanga). PV du 14/06/1922 : demande de ségrégationentre voyageurs.

[57] R. DUMONT (1959 : 79).

[58] CAOM, Mission Henri. Rapport cité n° 48, p. 17 : sur 16000 contribuables du district de Moramanga, 3500, toujours les mêmes, sont envoyés sur les chantiers.

[59] J. FERRET (2001 : 211-262). Le district d’Ambatondrazaka fut le seul district rural de l’île à voter non auréférendum de septembre 1958 sur l’adhésion à la Communauté, ce que De Gaulle ne manqua pas defaire remarquer à son malheureux administrateur.