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DISCOURS DE CLOTURE ET DISCUSSION Author(s): Georges Balandier Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 39, LES CLASSES SOCIALES DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI (suite) (Juillet-décembre 1965), pp. 217-235 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689777 . Accessed: 16/06/2014 17:33 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.21 on Mon, 16 Jun 2014 17:33:09 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES SOCIALES DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI (suite) || DISCOURS DE CLOTURE ET DISCUSSION

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DISCOURS DE CLOTURE ET DISCUSSIONAuthor(s): Georges BalandierSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 39, LES CLASSESSOCIALES DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI (suite) (Juillet-décembre 1965), pp. 217-235Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689777 .

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DISCOURS DE CLOTURE ET DISCUSSION

par Georges Balandier

II convient maintenant de mettre en évidence les conclusions majeures résultant de nos séances de travail, sans courir le risque de rouvrir le débat dans toute son ampleur et de reprendre les faits dans toute leur diversité. Sans avoir aussi l'ambition d'effec- tuer la synthèse d'informations et de réflexions qui furent riches, foisonnantes, et quelque peu dramatisées à certains moments. Il me semble qu'en cette séance, destinée à clore nos discussions consacrées au problème précis de la dynamique des classes sociales et de leur situation présente, il serait prudent de fixer quelques règles de conduite. Nous devrions éviter certains thèmes qui relèvent mal d'une argumentation publique, même s'ils présentent un grand intérêt théorique et méthodologique. Et notamment tout ce qui est relatif à la définition de la notion de classe. Nous pourrions disserter pendant des heures sans pour autant aboutir à une solution qui nous satisfasse tous ; sans même parvenir à éliminer les interprétations fautives ou trop « tolérantes ». Il m'apparaît, d'un autre côté, qu'il serait nécessaire de limiter cette discussion finale à un nombre restreint de questions. Et je vous suggère de retenir les thèmes qui apparaissent comme les plus directement liés à l'actualité. Je m'explique immédiate- ment sur ce point pour éliminer les malentendus. J'ai en vue les faits et les problèmes les plus révélateurs de la dynamique des classes sociales dans le monde du xxe siècle.

A cet égard, je voudrais faire une première remarque qui m'est venue à l'esprit en consultant les notes prises au cours de ces riches journées. Notre colloque, lorsqu'on le considère à distance, un peu comme un anthropologue regarde un phéno- mène « exotique », se situe sous le signe du paradoxe. Envisageant les classes sociales dans la société d'aujourd'hui - c'est son intitulé - il s'est déroulé de telle manière qu'il met surtout en évidence la rude épreuve subie par les structures de classes ;

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épreuve, pour ces structures, dans toutes les sociétés de ce temps ; épreuve, surtout, dans les sociétés industrielles capitalistes. On a évoqué, avec des nuances variables, l'existence d'une classe ouvrière en partie démobilisée, la présence dans nombre de sociétés industrielles capitalistes d'un prolétariat étranger, si bien que les prolétaires sont les « autres » et que la révolution est abandonnée à ces gens du dehors. On a admis, au moins implicitement, que l'idée de révolution est en exil ; ce qui explique peut-être que certains des jeunes Européens (de l'Occident de l'Europe), pourtant ouverts à la conscience de classe, trouvent hors des frontières nationales des affinités qu'ils ne rencontrent pas au sein de leur propre pays. Je pense en particulier aux adhésions formulées à l'égard des pays révolutionnaires du Tiers Monde.

Le même type d'incertitude semble se manifester quand il s'agit des sociétés socialistes nouvelles. Et je retrouve ici le propos du Pr Szczepanski qui a insisté sur le fait, qu'en Pologne, se maintiennent encore des structures sociales mouvantes et floues. Il a fort bien manifesté la coexistence des couches sociales, des fragments de classes sociales anciennes et des différenciations nouvelles résultant de l'option socialiste de la Pologne d'après- guerre. Un problème encore plus neuf est celui des sociétés en voie de développement. On se trouve, en ce cas, en présence d'une situation originale qui tient, il est banal de le dire, au retard économique et notamment à l'absence ou à la faiblesse de l'industrie, mais aussi au caractère particulier des civilisations que portent la plupart des pays du Tiers Monde. Ceci étant dit, qui révèle, d'une manière un peu caricaturale dont je m'excuse, nos difficultés face aux questions à l'ordre du jour, il me semble qu'on ne saurait pour autant dresser l'acte de décès des classes sociales. La réalité qu'elles représentent se modifie, mais elle n'est pas pour autant abolie. Et je crois que nous aurons à retrouver cette donnée fondamentale à l'occasion de la dis- cussion. Une telle observation m'incite à porter l'attention sur les modifications qui sont en cours, ou sur les aspects nouveaux apparus durant les dernières décennies, en ce qui concerne la problématique des classes. Si vous acceptez cette suggestion, nous pourrions limiter notre débat à trois grandes rubriques. Je les formulerai d'une manière qui peut déconcerter, mais je n'impose pas mon vocabulaire en la circonstance. Je suggère plutôt un ordre d'argumentation. La première rubrique aurait pour intitulé : Classes sociales et mutations. Il s'agirait ici - nous l'avons remarqué à divers moments durant ces journées - , de considérer les classes face aux mutations techniques, économiques et culturelles qui opèrent dans les sociétés industrielles et cela

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quel que soit le régime de ces dernières. Nos travaux ont porté très largement sur cette question. On a envisagé les changements de la propriété dans les sociétés industrielles capitalistes, le rôle croissant des « managers » et des technocrates. On a mis en évidence les incidences générales du progrès technique, les conséquences sociales multiples qui résultent de la modifi- cation des rapports entre villes et campagnes. On a évoqué le combat d'arrière-garde que mènent les paysanneries qui se sentent menacées par un progrès technique et économique qui, en fait, les élimine progressivement. Je ne veux pas dresser une liste plus complète, ce ne sont que des rappels qui peuvent servir de jalons guidant le cheminement de la discussion. Je tiens cependant à introduire une remarque supplémentaire. Hors des anciennes coupures qui séparent et opposent les classes, une nouvelle coupure s'accentue, une coupure qui est intérieure aux classes elles-mêmes. C'est celle qui différencie ceux que j'appel- lerai les « organisateurs de l'avenir » et ceux que je qualifierai de « gestionnaires du passé » ; pour reprendre une formule qui nous est plus familière, les nouveaux progressistes et les nou- veaux conservateurs. Ils se retrouvent dans toutes les classes, dans tous les partis, sous tous les régimes. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas commode d'entrer de plain-pied dans un temps aussi turbulent que le nôtre. A une époque où tout est remis en question - nos convictions, nos habitudes, nos cadres matériels, nos structures institutionnelles - , il n'est pas facile de prendre un pari sur l'avenir et d'accepter les bouleversements complets que ce pari implique.

La deuxième rubrique proposée à vos réflexions pourrait être intitulée : Les classes sociales et le pluralisme. Toute société est de quelque manière hétérogène, soit en raison de son histoire qui fait qu'elle comporte des structures multiples renvoyant à des moments différents de cette histoire, soit en raison de ses différenciations présentes. Parce qu'elle est hétérogène, toute société doit assurer la coexistence d'éléments plus ou moins compatibles. Je voudrais me faire mieux entendre en examinant sommairement deux exemples. Il faut en revenir, pour illustrer ce caractère hétérogène qui tient à l'histoire, au rapport du Pr Szczepanski. Ce dernier a montré comment, dans la Pologne nouvelle qui a su construire avec une volonté et une rationalité maintenues une structure économique et sociale moderne, sub- sistent néanmoins des éléments provenant d'un état très ancien de la société polonaise et des éléments des classes qui caracté- risaient la société antérieure à la révolution. J'évoquerai comme exemple du second type, c'est-à-dire d'une hétérogénéité récem- ment constituée, les sociétés décolonisées que l'on dit « plu-

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rales » : celles où vivent ensemble des entités ethniques, cultu- relles ou linguistiques bien distinctes ; celles où les frontières de l'inégalité recoupent les frontières à l'instant suggérées. Dans des cas comme ceux-ci, la dynamique des classes sociales se trouve en quelque sorte en concurrence avec d'autres dyna- mismes sociaux qui peuvent ou la voiler, ou la freiner. Il me semblerait important, dans le sens d'une sociologie des classes appréhendant ces dernières sous la multiplicité de formes qu'elles présentent aujourd'hui, d'étudier d'une manière systé- matique les conjonctures qui apparaissent comme les plus favo- rables ou les plus défavorables à l'expression des rapports de classes. A divers moments, dans plusieurs des communications présentées au cours du colloque, on a insisté sur le fait que les classes manifestent mieux leur réalité et leurs dynamismes dans certaines circonstances que dans d'autres.

C'est à une recherche de cet ordre qu'il faudrait lier un problème envisagé durant la dernière journée, celui qui est relatif aux rapports complexes intervenant entre classes sociales et conscience nationale. Il est peu douteux que le nationalisme, tel qu'il a prévalu notamment dans les pays luttant pour leur indépendance, tel qu'il prévaut encore dans les pays du Tiers Monde, constitue un facteur puissant qui peut retarder l'appa- rition ou contenir l'expression des antagonismes de classes. Nous avons souligné cet aspect lorsque nous avons examiné la situation des pays d'Afrique et celle d'autres « nations prolétaires ».

La troisième rubrique s'imposant à notre attention pourrait avoir pour titre : Les classes sociales et la diffusion généralisée de la civilisation industrielle. C'est ici au cas particulier des sociétés en voie de développement que je voudrais revenir, en insistant sur leurs traits spécifiques. On a souligné, à diverses reprises, la faiblesse fréquente des classes au sens habituel du terme, leur caractère potentiel ou inachevé au sein de ces sociétés. Cette affirmation, partiellement vérifiée, doit être nuancée ; elle est surtout une incitation à effectuer les études comparatives qui font encore défaut. Un fait domine cependant : l'ambition de nombreux dirigeants du Tiers Monde d'édifier une société moderne de forme originale qui ferait l'économie de la lutte des classes ; la pensée politique des leaders de l'Afrique, en parti- culier, s'accorde sur ce point. Ces utopies vont-elles se réaliser ? Le doute s'impose. Quoi qu'il en soit, il convient de ne pas négliger, dans nos appréciations, cette volonté de construire des systèmes sociaux inédits, des structures sociales qui soient d'une nature autre que celles connues jusqu'alors.

Sur cette constatation, je m'efforcerai de conclure. Est-ce qu'une exigence, comme celle qui vient d'être rapportée, annonce

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la mort prochaine des classes ? A notre insu, avons-nous, durant cette semaine d'étude, procédé à un inventaire qui a d'ores et déjà le caractère d'un acte de décès ? Pour livrer ici mon senti- ment, je ne le pense pas ; quelles que soient les modifications profondes qui aiïectent les structures de classes dans les divers pays du monde actuel. En fait, cette lutte des classes dont a été tissée l'histoire selon Marx et Engels se poursuit ; et elle se poursuivra encore longtemps, tant qu'il subsistera dans toute société humaine une part d'iniquité. Quels que soient les langages que le sociologue retient, une donnée demeure permanente : dès l'instant où les hommes luttent pour éliminer le secteur d'injustice que les systèmes sociaux comportent tous encore, ils agissent dans le sens de la vieille lutte des classes. Voilà les remarques, trop schématiques, que je tenais à vous proposer comme point de départ. Je n'ai guère eu le temps d'exploiter la richesse de nos matériaux et de nos débats, j'ai simplement voulu suggérer un ordre de préoccupations pour la discussion. Il est maintenant urgent de laisser la place à la contestation.

M. Casanova. - Notre président a bien présenté les pro- blèmes les plus importants examinés durant cette semaine. Si on avait tenu cette conférence, il y a quelques années, on aurait remarqué beaucoup plus de différences entre les points de vue des participants qui se trouvent ici. En effet, il est sur- prenant de constater que les professeurs qui viennent des pays socialistes, ceux qui viennent du Tiers Monde, comme ceux qui viennent d'Europe ont une large part de pensée commune, une base commune. Il semble donc que nous sommes tous sur le bon chemin, ou que nous nous trompons en même temps. Ce qui paraît beaucoup plus improbable. Or, M. Balandier nous suggère de discuter certains thèmes. Il demande si nous n'avons pas rédigé un acte de décès des classes sociales. Ce serait une erreur d'en venir à cette conclusion extrême. Il y a peut-être effacement d'une catégorie sociologique qui a son histoire propre : la notion de classe sociale, née au xixe siècle, à l'époque de Marx, qui était souvent implicite dans ce colloque quand nous parlions des classes. Les « catégories » ont une histoire à elles, une histoire objective qui se développe avant que nous en ayons une nette conscience. Le vrai problème est ailleurs. Il y a toujours une iniquité principale, une exploitation principale ; au xixe siècle, cette iniquité s'exprimait d'une façon très simple dans les rapports entre travailleurs et bourgeois. Nous avons pensé, pendant une longue période, que cette sorte d'exploi- tation était le seul problème de l'iniquité. Nous découvrons maintenant que les problèmes sont moins simples, en consé-

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quence des changements affectant les classes sociales en Europe et dans les pays hautement évolués.

L'iniquité s'est déplacée, elle n'a pas disparu. Elle s'est transférée au plan international, et depuis très longtemps. On a observé que le colonialisme a été une forme nouvelle d'exploitation et d'iniquité. C'est là une structure qui dépasse les frontières nationales, qui est devenue la structure fonda- mentale de l'histoire de l'iniquité. Je crois qu'il nous faut reviser notre concept de classe sociale en juxtaposant les deux iniquités majeures, les deux sortes d'exploitation ; en reconsidérant le problème tant du point de vue international que du point de vue interne.

Le problème se présente avec acuité dans les pays où existe le pluralisme, dans les sociétés plurales où les communautés indigènes ont des moyens politiques et juridiques beaucoup plus faibles que ceux détenus par les groupes dominant la société nationale. Là, on découvre le colonialisme interne : l'exploitation exercée par des minorités non nationales est le fait fondamental. Enfin, je crois qu'il est très important de savoir que nous ne pensons plus que la diffusion de la civilisation industrielle soit une espèce d'imitation irrationnelle de la culture européenne. Nous avons la certitude que l'état des relations entre sociétés et économies inégales impose aux pays démunis de s'industria- liser. Je crois que nous assistons à la fin de l'idéologie de l'indus- trialisation comme idéologie. Un fait objectif la remplace : le besoin de s'industrialiser. Si nous pensons que les classes sociales ne sont que l'une des formes historiques prises par l'exploitation, qu'il existe une structure beaucoup plus permanente dans laquelle elles se situent, nous serons arrivés à une nouvelle approche des classes sociales sans avoir proclamé leur décès.

M. Balandier. - Je remercie le Pr Casanova de son inter- vention. Il est allé dans l'un des sens que j'avais suggérés. Il a montré comment ce fait moderne - l'insurrection de toute une série de nations opprimées - a donné un sens différent, un style nouveau aux rapports de classes et aux conflits de classes.

M. P. De Bie. - Monsieur le Président, vous nous avez invités à considérer le problème des sociétés en mutation. Ce qui est fort frappant, lorsqu'on se reporte aux différents exposés de ce colloque, c'est le phénomène de résistance au changement. Les stratifications sociales de nos propres sociétés offrent très sou- vent cette résistance, que les changements proviennent des innovations ou des progrès techniques, qu'ils proviennent des variations d'idéologies ou qu'ils soient induits par la planifi-

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cation, qu'ils opèrent à un moment de l'histoire ou qu'ils soient introduits de façon assez brusque. Je veux donner deux ou trois exemples très brefs.

Grâce aux communications du Pr Mandié et du Pr Szcze- panski, à propos de la Pologne et de la Yougoslavie, nous avons une bonne image de ces phénomènes de survivance. Nous notons la survie d'anciennes classes qui, malgré les nouveaux cadres juridiques et la planification économique, tâchent de garder les positions acquises. Il suffît d'évoquer la situation particulière des paysans en Pologne et en Yougoslavie. Nous voyons des anciennes classes qui n'avaient pas de position privilégiée dans la société pré-révolutionnaire en Pologne et qui, dans le nouvel État, se mettent à s'enrichir. Ce n'est certes pas une fraction importante de la population. C'est au moins une survivance qui persiste dans une société modifiée ; sans mettre la plani- fication en échec, elle en ralentit la réalisation.

De même, autre type d'exemple, nous voyons dans les sociétés plurales du Tiers Monde, dans la société canadienne dont a parlé M. Falardeau, dans la société belge, des cas de « résistance », sous la forme d'échelles de valeurs diverses qui se maintiennent et coexistent plus ou moins bien. Certaines sociétés connaissent, à un même moment de l'histoire, une double échelle de valeurs : l'une tient compte des réalités de la vie contemporaine, des réalités industrielles, des réalités économiques ; l'autre se fonde sur le passé et entretient les comportements spécifiques des divers groupes ethniques et culturels que la nation associe. Sur un plan plus limité, dans le cas de la classe ouvrière, nous consta- tons aussi ce phénomène du maintien de certaines catégories d'ouvriers de type ancien à côté de catégories nouvelles. Le phénomène frappant est que, pour la plupart des gens, et c'est un facteur supplémentaire de résistance, ce qui existe est ce qui existait depuis toujours. L'image de la classe ouvrière réelle en est faussée. C'est là un facteur de résistance aux changements ; on ne prend pas immédiatement conscience des changements qui se glissent dans les structures sociales. En écoutant l'exposé de M. Dumont, j'ai pensé qu'il reste des analyses passionnantes à faire en ce domaine ; surtout si l'on veut examiner la transfor- mation des classes en rapport avec la transformation des idéologies. Je vous accorde qu'on peut considérer la transformation des classes en relation avec les transformations techniques. On l'a fait. Mais les idéologies offrent également un thème fort inté- ressant. Pour reprendre une communication sur laquelle on n'est pas revenu - celle consacrée aux classes moyennes et aux médecins en Belgique - , il est frappant de voir que des classes anciennes recourent sans le savoir à des idéologies nouvelles et

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qu'elles creusent inconsciemment leur propre tombeau ; elles s'accrochent sans le savoir à des modèles nouveaux, qui vont précipiter leur situation, cependant qu'elles paraissent tradition- nellement bien établies dans la société. Je crois qu'il y a là une série de thèmes intéressants ; il est important d'étudier les facultés de résistance que les sociétés offrent aux changements, en fonction de toute une série de facteurs.

M. Balandier. - Je remercie M. P. De Bie de son intervention et je tiens, comme lui, à souligner cet aspect essentiel des survi- vances. Je le remercie aussi d'avoir mentionné ce que j'avais négligé dans mon propos ce soir, ce qui ne signifie pas que je le néglige dans ma réflexion et dans ma recherche, le domaine des idéologies. Associant son thème des survivances et celui des idéologies, il me paraîtrait intéressant d'étudier ce que j'appellerai les « idéologies de l'avenir ». Elles s'élaborent en plusieurs pays. Il est un groupe qui s'est constitué, voici quelques années, à Paris, sous l'impulsion de l'un de nos collègues philosophes maintenant disparu, le regretté Gaston Berger. Ce groupe a mis au point une méthode d'analyse « prospective », s'est donné pour bui la recherche des tendances et des événements qui sont les plus capables d'orienter l'avenir. Il a déterminé avec succès un nouveau type d'attitude. Ce groupe rassemble essentiellement des hommes qui appartiennent soit au milieu des gestionnaires, soit au milieu des entreprises, auxquels s'ajoutent quelques universitaires. Le commun dénominateur est la volonté d'antici- pation, la reconnaissance du fait qu'il faut préparer dès aujour- d'hui la société, la culture et l'économie qui seront celles des décennies à venir. Il en a résulté une exigence qui s'est diffusée au sein de milieux sociaux très divers, y compris les syndi- cats ; et qui répond à certaines des questions formulées par M. P. De Bie.

M. Condominas. - Je voudrais simplement m'en tenir à un problème qui n'a pas été suffisamment traité en examinant la prise de conscience des classes. C'est celui de la réaction affective vis-à-vis de l'attitude de « l'autre ». Je pense notamment au refus du mépris qui peut être un véritable ciment, comme on l'a vu dans les guerres de décolonisation. Je crois que, l'ayant vécu moi-même au Viêt-nam durant une période, ce sentiment joue un rôle social considérable. Je pense notamment aux monta- gnards vietnamiens ; pour eux, c'est une prise de conscience qui est née le jour où ils ont réagi au mépris. Et alors, ils ont cherché à se regrouper, à agir, bien que leur réaction ait risqué de débou- cher sur le néant. Ils n'ont pas vu l'aboutissement lointain ; la

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seule chose qu'ils ont retenue, c'est le refus. Lorsque nous consi- dérons le problème de la lutte des classes, ou de la prise de conscience de classes, il est capital d'envisager cet aspect affectif. Même s'il paraît difficile de le saisir.

Enfin, c'est la simple opinion d'un homme de terrain.

M. Balandier. - Je remercie M. Condominas qui nous rappelle que la revendication de dignité est aussi bien celle des classes opprimées que celle des nations opprimées. Les deux aspects ont d'ailleurs été envisagés, au cours de ces journées, à différentes reprises.

M. Duvignaud. - Si nous parlons des classes sociales, il n'est pas mauvais de partir d'une idée très simple, d'une remise en question de ce mot. Or, ce qui s'impose d'abord, c'est la limitation de la portée opératoire du concept de classe sociale. Si nous pensons aux pays du Tiers Monde, il apparaît assez clairement que la définition classique de Marx ne convient point : on se trouve en présence de groupes multiples, de communautés traditionnelles, de groupes partiels pluralistes ; en bref, de struc- tures très hétérogènes. Il semble que, dans ces conditions, on doive parler bien plus concrètement des solidarités fondamentales qui lient les hommes, c'est-à-dire des liens familiaux, des liens religieux, des utopies et des croyances, des différents niveaux d'attachement. Ce sont les sphères d'existence, si difficiles à repérer, qui importent en ce cas. Aussi sommes-nous conduits à utiliser le concept de classes sociales pour la seule société indus- trielle. Le terme de classe, je m'excuse d'avoir à rappeler Marx, ne convient parfaitement que pour la phase de développement capitaliste des sociétés industrielles.

Le deuxième point sur lequel je veux intervenir est celui-ci : au xixe siècle, à l'époque où il définit les classes sociales, Marx commet une erreur bien sympathique et facile à comprendre, liée à son prophétisme ou plus exactement, soyons sociologue avec Marx et marxiste avec lui, à sa place d'intellectuel solitaire dans la société. Marx attribue une valeur charismatique à une classe particulière, la classe ouvrière. Il fait de cette dernière une classe privilégiée et il la divinise. Les événements ont démenti cette conviction : aucune classe ne peut jouer toute seule un rôle charismatique. En tout cas, la classe ouvrière ne l'a jamais joué. Deuxièmement, toute classe peut, à un moment donné, revendiquer un changement de structure globale. Bien souvent même, il s'agit d'une élite d'intellectuels : dans les pays du Tiers Monde, en Hongrie, ce ne sont pas les seules classes ouvrières qui ont exprimé la nécessité d'une transfor-

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mation ; le mouvement de contestation naît à partir des groupes d'intellectuels. Par une sorte d'ironie, ce sont souvent les privi- légiés qui lancent la première attaque contre les structures sociales établies, quitte ensuite à être débordés.

Le troisième point sur lequel je veux intervenir est celui-ci. Depuis quelques années, l'Europe a découvert ses limites ; plus exactement, ce que l'Europe avait pensé jusqu'ici comme universel est devenu idéologie, c'est-à-dire pensée partielle. Cette limitation s'applique au concept de classe sociale. Les misères du Tiers Monde, qui représente actuellement l'univers existentiel le plus actif, font de celui-ci un ensemble à fort potentiel révolutionnaire d'où surgiront peut-être des valeurs nouvelles, cela exige des concepts et des modes d'analyses nou- veaux. L'on m'avait reproché, à la fin d'une intervention, un terme que je reprends ici : si la réalité considérée est une réalité irrationnelle, il faudra trouver des concepts non ration- nels. Ce n'est pas là une proclamation d'irrationalisme ; cette affirmation suppose au contraire que la réalité se découvre toujours plus infinie, et que l'esprit se doit de tenter de maîtriser une réalité qu'il n'a pas encore embrassée. Or, le Tiers Monde offre à l'esprit un champ d'investigation énorme que les systèmes de pensée européens sont loin d'avoir parcouru. Un mot pour finir.

Cette effervescence qui agite les structures sociales, cette révolution permanente qui agite toute société même la plus endormie, même la moins apparemment vivante, même la plus bureaucratisée, ce mouvement interne qui peut prendre n'importe quelle forme et qui peut transformer toutes les structures, tout cela s'exprime aujourd'hui sous des aspects qui ne cadrent peut-être pas avec la rationalité européenne et qui appellent de notre part des modes d'interprétation et des concepts opératoires inédits.

M. Balandier. - Je remercie M. Duvignaud de son inter- vention pathétique et de son incitation à construire une socio- logie d'une nature « autre ». Je le remercie surtout d'avoir insisté sur le fait que les pays du Tiers Monde, c'est-à-dire les deux tiers de l'humanité, ne représentent pas simplement un défi en matière d'action politique et économique, mais aussi un défi à nos imaginations en fait d'action scientifique. Il nous est recommandé, et j'adhère volontiers à cette suggestion, de conce- voir une sociologie qui soit d'application plus générale. Après tout, notre sociologie s'est construite en un temps limité et en un petit « canton » du monde sur lequel elle a expérimenté ses découvertes. Nous aurons la possibilité de reprendre ce débat,

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puisque la prochaine réunion de l'Association sera consacrée à la sociologie de la « construction nationale » dans les États nouveaux.

M. Gazeneuve. - Mon propos se rapportera au second des thèmes suggérés par notre président et plus spécialement même au sous-thème intitulé : Classes sociales el conscience nationale ; je m'y référerai cependant d'une façon marginale, plutôt du point de vue de l'anthropologie culturelle que de la sociologie. Je fais d'avance mon autocritique. Mon point de départ est suggéré par la théorie de la personnalité de base. La personnalité de base, en somme, c'est ce qui fait qu'un Français est français, qu'un Espagnol est espagnol. On peut se demander dans quelle mesure les classes sociales permettent une plus ou moins grande participation à cette personnalité de base. Ce n'est pas le problème du nationalisme qui est ici soulevé ; mais il n'est pas impossible que le nationalisme soit en rapport avec cette participation culturelle à la personnalité de base - à ce qui fait qu'on appar- tient culturellement à une nation. Il m'a semblé, d'après les nombreuses interventions entendues au cours de ce colloque, qu'il y a des seuils à cette participation : un seuil inférieur et un seuil supérieur.

Pour ce qui est du seuil supérieur, j'ai été frappé par ce qui a été dit au sujet de l'Allemagne, à propos de cette classe supé- rieure (que j'appellerai bourgeoisie supérieure) qui se retire non seulement de la scène politique mais qui ne fournit même plus de modèles culturels. Les conférenciers qui ont parlé de l'Amé- rique latine ont mis en évidence le fait que les classes dirigeantes, dans ces pays, étaient surtout en relation avec un certain milieu international, non seulement au point de vue économique mais aussi, je suppose, au point de vue des façons de vivre et des modèles culturels. Et M. P. De Bie, à propos des problèmes flamands, a également souligné que la participation à l'éveil de la nationalité se réalisait à retardement au sein des classes élevées, alors qu'elle commençait par d'autres classes et proba- blement par les classes moyennes. Il y aurait peut-être là un seuil supérieur au-delà duquel il n'y a plus participation véritable d'une certaine classe à ce qui fait l'essentiel de la culture d'une nation.

Quant au seuil inférieur, il m'a été suggéré par les interven- tions concernant l'Amérique latine. Elles ont confirmé l'impres- sion assez forte qu'avait produite sur moi la lecture d'un livre à grand succès : l'ouvrage d'Oscar Lewis intitulé La famille Sanchez. Dans cette étude, due à un anthropologue, nous est rapportée une sorte d'autobiographie, enregistrée sur magné- tophone, d'une famille très pauvre d'un faubourg de Mexico.

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CAHIERS INTERN. DE SOCIOLOGIE 15*

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La conclusion que l'auteur tire de ses recherches, c'est qu'il y a dans ces faubourgs des grandes villes, en particulier à Mexico, une certaine classe (qu'il appelle la classe pauvre) qui n'appar- tient pas à la classe rurale, qui a été arrachée à cette dernière, et qui vit en marge des cités. C'est en somme l'écume de la vague d'urbanisation. L'idée d'Oscar Lewis, c'est qu'il y a une culture des pauvres qui , araît extrêmement semblable dans toutes les cités. Il est probable que dans tous les faubourgs des grandes villes, même en Europe, on trouve cette classe qui a ses modèles culturels à elle, qui vit en marge des lois, qui n'est pas en révolte contre la société mais qui n'y participe pas, qui ne connaît pas les règles de la société. Elle constitue elle-même un milieu socio- logique ; elle est formée de gens qui ont pour règle le culte de la violence, le mépris des règles établies, qui se détachent de la vie politique car ils considèrent que tous les partis politiques n'ont aucune importance. Il est possible que nous assistions à la formation, en marge des grandes cités, comme déchet de l'indus- trialisation, d'une sorte de classe pauvre qui a sa culture propre et qui ne participe pas du tout à la personnalité de base de la nation. Je pense donc qu'il y a, en haut et en bas de l'échelle, des groupes sociaux qu'on peut appeler des classes, qui seront de plus en plus perçus comme conformes au type traditionnel de la classe, et qui échappent en fait à la participation à la conscience nationale.

M. Balandier. - Je remercie M. Cazeneuve d'avoir évoqué devant nous ce qu'on pourrait appeler les « classes en exil », en exil parce que l'histoire les a déjà emportées ou parce qu'elles ne sont pas encore insérées dans le système social et culturel général.

M. Goldmann. - En présence de ces analyses concrètes, je ne parlerai que de méthodologie. J'ai l'impression, à la fin de ces débats, qu'il y a deux tendances contre lesquelles je voudrais mettre en garde. La première serait, étant donné l'importance de la tradition culturelle que représente pour nous tous la pensée marxiste, les idées de classe et de conscience de classe, de sauve- garder d tout prix, à travers une évolution concrète et ses muta- tions, ces concepts en modifiant entièrement leur contenu. Si la situation est nouvelle, on continuera néanmoins à parler de classes et on appellera les conflits actuels luttes des classes, en disant que la classe a une signification différente de celle qu'elle avait rigoureusement chez Marx. L'autre tendance serait de dire qu'on ne peut appliquer la camisole de force de la terminologie à toute une série de conflits actuellement au premier plan, à

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toute une série de tensions vitales qui dominent le monde moderne, et de jeter par-dessus bord le concept de classe. Je crois que ces deux tendances sont dangereuses si nous voulons avoir une sociologie très rigoureuse.

Voyons tout d'abord ce qu'est le concept de classe sociale, élaboré avec certaines ambiguïtés par Marx, avec une précision beaucoup plus rigoureuse dans le cas de la conscience de classe par Lukacs. La classe est pour Marx et pour Lukacs - on les honore ensemble - le groupe social qui crée en certains moments, étant donné ses rapports avec les relations de production, les conditions de son intervention consciente dans l'histoire pour réaliser un idéal de l'homme et organiser l'ensemble des relations entre les hommes. De toute évidence, dans cette perspective, il y a eu deux classes par excellence : le prolétariat et la bour- geoisie. Dans des sociétés qui avaient plus ou moins réglé leurs conflits nationaux, et où le problème de l'organisation se posait d'une manière urgente, ces groupes ont été les premiers à avoir formulé des modèles ayant des visées universelles.

Des mutations se sont produites, pour des raisons que je n'ai pas le temps d'analyser ici, d'une part dans les sociétés industrielles où le capitalisme organisé s'est développé, d'autre part dans les sociétés en voie de développement. Dans ces dernières, deux processus sont devenus essentiels : la décoloni- sation des anciennes colonies ; le développement nouveau des pays qui étaient déjà politiquement libérés, mais où les phéno- mènes de néo-colonialisme, analysés par mon ami Casanova, passent au premier plan. Ces problèmes obéissent à des raisons très différentes s'il s'agit des sociétés industrielles avancées ou des autres ; néanmoins, ils font qu'aujourd'hui les grandes tensions, les grandes injustices et les problèmes existentiels les plus urgents, sont autres que des conflits de classes. C'est pour- quoi, si nous voulons analyser notre société et les problèmes d'aujourd'hui, il est important de forger des concepts nouveaux. Il faut créer ces concepts lors de chaque analyse concrète ; on ne gagnerait rien à essayer de conduire l'étude de ces problèmes à l'aide de concepts qui ne leur sont pas adéquats.

La même remarque s'impose à propos des nouvelles sociétés socialistes qui exigent des concepts nouveaux d'analyse. Je crois qu'on est le plus fidèle au marxisme si on essaie non pas de s'en tenir à une règle imposée, mais si on tente (c'était l'essentiel de la pensée marxiste) de dégager des structures et de former des concepts qui permettent de saisir la réalité concrète. Ceci dit, je ne crois pas que les classes sociales, c'est-à-dire des groupes dont la réalité est plus ou moins actualisée, plus ou moins virtua- lisée dans chaque cas, mais qui peuvent déterminer l'avenir en

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ce moment même où le problème de l'organisation de la société se repose, vont disparaître. La question des classes sociales va de nouveau passer au premier plan. La classe sociale reste au centre de l'analyse sociologique.

Nos débats ont tous montré l'existence de ces groupes qui se demandent quel est l'idéal de l'homme - et non seulement sous les formes traditionnelles - et qui agissent dans les conflits actuels avec plus ou moins d'intensité.

Deux mots encore : si nous analysons les sociétés d'aujour- d'hui, l'univers d'aujourd'hui, chaque pays est une réalité concrète et il faut l'étudier en tant que tel. Il existe tout de même des situations régionales et trois d'entre elles peuvent se dégager avec certitude. L'une est celle dont j'ai parlé dans mon exposé, celle qui équivaut à la société occidentale. L'autre est celle des pays de l'Amérique latine et des pays qui viennent d'être décolonisés ; là, l'ancien schéma d'un territoire national qui se crée, à l'intérieur duquel des problèmes de rapports entre classes peuvent se poser garde sa validité. Le troisième type de situation est illustré par les sociétés socialistes.

S'il s'agit du monde occidental et des sociétés industrielles avancées, il se peut que la possibilité de la lutte des classes et l'actualisation des classes soient bloquées. Il se peut qu'une société technocratique (c'est le seul endroit où ce danger existe), qu'une société technocratique de consommation naisse. Une société dans laquelle l'histoire se fera avec un grand groupe passif, qui accepte, et un autre groupe ayant la charge des prospectives d'économie sociale. Il se peut que la contestation qui se posait le problème du visage à donner à l'homme et qui s'exprimait dans toute la vie spirituelle, religieuse, littéraire et autre, soit en danger. Mais, là aussi, des forces existent en sens contraire et le sociologue qui ne peut jamais être en dehors de la société, doit prendre position et voir dans quel sens ces forces s'orientent.

M. Balandier. - Je remercie M. Goldmann. Ses leçons de méthodologie sont toujours bien accueillies. Il a raison de nous rappeler à notre devoir de conformité aux enseignements du réel, de déférence ou de piété, selon les options, à l'enseignement de Marx. Il est prudent, par ailleurs, en nous incitant à faire cette recherche opératoire qu'imposent les formes nouvelles de la société et de l'histoire des hommes.

M. Naraghi. - Monsieur le Président, je voudrais d'abord m'associer à votre interprétation et souligner l'importance de ce que M. Duvignaud vient de dire du concept de classe

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sociale dans le cas des pays du Tiers Monde. Pour vous faire un aveu, je dois vous dire que lorsque j'écoute un sociologue occidental parler des classes sociales, je ressens un certain malaise. Son propos ne me semble pas s'appliquer aux sociétés qui me sont familières. Je m'explique, en considérant deux exemples. Nous avons eu en Iran, en 1906, une révolution estimée bourgeoise en termes de classes sociales qui a duré deux ans, une révolution qui a bouleversé le pays et a instauré un régime de monarchie institutionnelle. Lorsque j'ai voulu effectuer des recherches sur l'origine de cette révolution, j'ai été très embarrassé. Je voulais, comme beaucoup de sociologues, rechercher les classes sociales et notamment les classes bour- geoises ; je n'en ai pas trouvé. Il y avait d'autres raisons au mouvement. Un deuxième exemple : lorsque le gouvernement iranien fut embarrassé par le fonctionnement des municipalités, j'ai demandé d'effectuer une recherche afin de trouver une for- mule de gestion municipale. J'ai poussé l'analyse. J'ai examiné le cas des pays d'Europe et je me suis aperçu que nous avions copié, pendant 40 ans ou 50 ans, les législations européennes sur les municipalités. Cette imitation n'a pas du tout donné de résultats. Pourquoi ? Parce que les villes européennes furent pendant des siècles un rempart des bourgeois contre les féodaux. Dans un sens, la gestion des villes était dans les mains des bourgeois qui défendaient leur prestige et leurs biens matériels contre le prestige et contre la puissance de la féodalité. Que peut-il se passer lorsqu'on transfère des schémas de gestion qui ont cet arrière-plan sociologique (une classe bourgeoise enra- cinée) dans un pays où les villes sont composées essentiellement de propriétaires, de commerçants, de gens qui n'ont pas du tout cette conscience de classe bourgeoise ? Chaque fois qu'il y a un conseil municipal, il y a une lutte d'intérêts et, au bout de quelques mois, le conseil se dissout automatiquement. J'ai donc proposé - bien que ça puisse paraître très réactionnaire à un Européen - , la suppression du conseil municipal. J'ai demandé d'en finir avec cette démagogie parce que toute l'activité de la municipalité dépendait d'un conseil qui ne pouvait jamais exister. On a dû gérer la ville comme on gère d'autres secteurs du pays, en recourant à une forme intermédiaire de conseil, avec des gens d'office, des élus, etc.

Deux éléments changent l'explication en termes de classes dans le cas du Tiers Monde : le nationalisme et un autre facteur, qu'on n'a pas abordé encore, le facteur démographique. Lorsque des millions d'enfants qui, autrefois, n'arrivaient pas à l'âge adulte y parviennent, ils posent des problèmes qui bouleversent et débordent les structures des classes sociales. Je prie mes

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collègues européens, au moins en ce qui concerne les pays du Tiers Monde, d'être prudents en appliquant la notion de classe sociale.

Je me permets d'ajouter une remarque, à propos de l'inter- vention pathétique de M. Duvignaud. Elle concerne la socio- logie du Tiers Monde et surtout le rôle du sociologue en ce cas. C'est une chose assez étrange que le sociologue du Tiers Monde soit appelé à jouer un rôle que le sociologue occidental n'a pu jouer jusqu'à maintenant. Pourquoi ? Parce que ce dernier opère dans des pays qui disposent de structures et de traditions très enracinées. Le sociologue accomplit son travail de labora- toire ou de cabinet, écrit en tant que philosophe, mais cela importe peu parce que le pays continue avec son parlement, ses partis et son administration, etc. Tandis que dans les pays en cours de développement, le régime le plus autoritaire n'est même pas sûr de son programme, de ses principes et de sa marche. Il est prêt à demander les conseils des sociologues, parce qu'il se cherche. Le sociologue sort donc de son cabinet de réflexions plus ou moins philosophiques, il est appelé à observer l'action et à porter un jugement de valeur. Il doit opérer en deux temps : d'abord l'analyse de la réalité, ensuite le jugement de valeur en fonction de l'évolution et des idéaux de son pays. C'est un élément qui fait qu'on ne peut comparer la situation de la sociologie des pays du Tiers Monde avec celle des pays industrialisés.

M. Balandier. - Je remercie M. Naraghi, et tout d'abord d'avoir associé l'effervescence démographique à l'effervescence des classes. Il y a effectivement, entre l'une et l'autre, une relation que nous avons négligée au cours des débats. Je le remercie aussi de nous avoir incités, nous sociologues occidentaux, à une certaine modestie. Il nous a donné le goût d'une terre idéale où le sociologue sort de son cabinet, enquête et enseigne les gouvernements. Celui-ci semble alors devenir le constructeur rationnel et respecté de la société future. Mais n'est-il pas plus souvent le constructeur obscur qui attend dans les prisons que la société future puisse se faire ?

M. Weiller. - Je me sens un devoir d'intervenir en tant qu'économiste, parce que l'économie permet peut-être de média- tiser certaines choses. J'ai remarqué deux interventions très différentes de M. Naraghi. Pour lui répondre, je veux insister sur la nécessité de l'économique. Évidemment, tout est très compliqué aujourd'hui ; l'économique a des aspects inter- nationaux qui masquent les aspects nationaux et inversement - ce qui crée quelquefois des conflits. Hier ou avant-hier, Monsieur Naraghi, vous avez dit quelque chose qui me rappelait

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une histoire européenne. On apprenait, à une époque, qu'à un moment, en Angleterre, les landlords avaient permis une révo- lution agricole qui avait précédé la révolution industrielle. En fait, que s'est-il passé ? Il y a eu un processus économique qui a permis à ces propriétaires fonciers de jouer un rôle industriel, si je ne me trompe. Je simplifie très vite pour en venir à la réalité iranienne. Nous faisons dans un pays - oublions que c'est l'Iran - une réforme agraire. Nous donnons des indemnités aux propriétaires dépossédés et nous leur disons que ces capitaux sont attribués non pour faire de la thésaurisation, mais pour effectuer obligatoirement des investissements dans l'industrie. Il m'a semblé que vous aviez en vue un schéma de cette sorte. En tant qu'économiste, je suis très heureux de venir parmi les sociologues pour saisir une réalité aussi concrète. J'aimerais voir reprendre ces schémas du développement parce qu'ils montrent certains encadrements de la pensée sociologique qui seraient d'usage plus étendu. On ne sait pourquoi certains effets d'entraî- nement ne se produisent pas, pourquoi il y a des effets de blocage dès qu'on recourt au langage des classes sociales que ce soit au Venezuela, au Mexique ou ailleurs. Que ce soit même en Yougos- lavie d'où je reviens. Nous voyons ces choses-là vivre. Il me semble que si nous reprenons le schéma intéressant que nous a proposé notre collègue iranien, nous saisissons des problèmes vécus où l'économiste retrouve des préoccupations qui furent, et qui sont encore, des préoccupations européennes.

M. Balandier. - Je remercie mon collègue Jean Weiller, tout en trouvant que sa modestie d'économiste est beaucoup trop grande. Nous avons quelquefois, nous sociologues, le désir d'accéder à la sécurité que paraît connaître de temps à autre l'économiste. Les humilités sont réciproques.

Mlle de Queiroz. - Nous qui représentons ici les pays du Tiers Monde, nous avons été tellement mis en vedette dans ce colloque que nous ne sommes pas loin de nous considérer comme le sel du monde. C'est à propos de ce qu'ont dit M. Duvignaud et M. Goldmann que je tiens à apporter le témoignage brésilien. Au Brésil, nous sommes en ce moment dans une position très incommode ; pour beaucoup de raisons et surtout parce que nous pouvons reconnaître d'une façon nette la formation d'une bour- geoisie selon le modèle classique élaboré par Marx. Mais il nous manque jusqu'à maintenant un prolétariat qui puisse être défini de la même façon. Si les remarques de Duvignaud s'appliquent à ce manque d'existence d'une classe prolétarienne, d'autre part, les remarques de Goldmann s'appliquent à la formation de la

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classe bourgeoise. J'insiste sur ce point, alors que mon collègue Casanova a affirmé que le concept de Marx s'appliquait surtout aux sociétés du xixe siècle. Cette situation pose des problèmes de méthodologie difficiles. Le Brésil reste toujours un pays ambigu. J'aimerais rappeler qu'il y aurait peut-être une utilité à recourir à la typologie de Max Weber.

Max Weber a distingué plusieurs types de sociétés stratifiées selon lesquels on peut classer les sociétés réelles. Je crois qu'en ce moment, nous pourrions ajouter aux types de Max Weber deux autres types : l'un formé par les sociétés du Tiers Monde, l'autre, par les nouvelles sociétés socialistes. Nous aurions à définir une typologie sociale qui s'appliquerait plus ou moins à chacun des cas particuliers et qui nous donnerait les moyens de les étudier dans le présent. Voilà ce que je pouvais dire d'après ce que je connais de mon pays.

M. Balandier. - On m'a soumis à rude épreuve, alors permettez-moi non pas de tirer une péroraison pathétique, mais de résumer sans prétentions ce qui a été dit. Je voudrais, pour mettre un terme à ce débat, reprendre un des propos de M. Naraghi. Il nous a laissé entendre que les sociologues des pays européens et d'Amérique du Nord paraissent éprouver une sorte de malaise dès l'instant où il s'agit des classes sociales, de leur appréciation aujourd'hui, du rôle qu'elles peuvent jouer dans l'interprétation des sociétés présentes et de l'histoire à venir. Il me semble que ce « malaise » est le signe d'une modestie scien- tifique beaucoup plus que la preuve d'une difficulté insurmon- table ou d'une réticence... de classe. Pourquoi cette incertitude et cette modestie ? Parce que nous avons le sentiment que les sociétés qui tombent aujourd'hui sous notre regard se sont singulièrement diversifiées et transformées en très peu de temps.

Elles se sont modifiées tout d'abord sous l'action du progrès technique. Nombre des remarques faites, à propos des sociétés industrielles néo-capitalistes, concernent l'incidence du progrès technique et de l'irruption de l'économie de consommation massive, les modifications qui en résultent dans l'ordre des rapports de classes. On a noté l'affaiblissement de la conscience de classe, la mise au frigidaire en quelque sorte de la vigueur révolutionnaire ; tout au moins pour un temps, car l'histoire n'est pas encore écrite. Le deuxième ensemble de faits, qui nous conduit à tempérer nos affirmations et à modifier nos démarches, c'est la construction de sociétés d'un ordre tout à fait nouveau, qui se consolident et se multiplient, les sociétés des pays socialistes. Nous savons d'évidence qu'à leur propos il convient de modifier une sociologie qui n'avait guère été faite pour elles, jusqu'à une

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DISCOURS DE CLOTURE

date récente. Et puis, en troisième lieu, il y a cette arrivée massive sur la scène de l'histoire des peuples du Tiers Monde. Nous avons le sentiment que certaines de nos démarches sont appropriées, s'il s'agit de leurs problèmes, mais nous connaissons mieux, grâce à eux, les limitations que comportent nos méthodes et nos théories. Je reviendrai ici sur une observation formulée au départ : il me semble que ce sont les sociétés du Tiers Monde qui nous incitent le plus à faire œuvre d'imagination sociologique, à remettre en discussion nos résultats et nos concepts. Et ce défi est fort salutaire.

Maintenant, un dernier mot à propos des classes sociales qui ne sont pas aussi mortes qu'on a pu le laisser croire à certains moments de nos discussions, sans doute par une sorte d'emporte- ment du discours. Notre sociologie continuera à considérer ce qui est l'essence même du système des classes sociales, tant qu'elle sera sensibilisée à ce que Jacques Berque appelait, dans l'une de ses interventions, la misère. A quoi j'ajouterai l'iniquité qui induit l'exigence de dignité. Notre sociologie sera d'autant mieux armée qu'elle éliminera vigoureusement les confusions conceptuelles, qu'elle saura ne pas assimiler les classes sociales à ce qu'elles ne sont pas : strates, professions, groupes de diri- geants, etc. Nous pourrons, demain, donner une sorte d'achève- ment à ces débats en entendant les exposés de G. Gurvitch et de G. Goriely qui doivent commémorer l'anniversaire de la mort de Proudhon (1). Nous retrouverons alors une philosophie des classes et une philosophie de la misère, ce sera la meilleure conclusion qu'on puisse apporter à nos débats. Je vous remercie de votre patience et je vous rends votre autodétermination.

Faculté des Lettres el Sciences Humaines de Paris.

(1) Note de la Direction. - Ces discours ont été sacrifiés faute de place dans ce volume XXXIX des Cahiers. Celui de Georges Gurvitch est déve- loppé en un livre paru dans la Collection « Philosophes » (P. U. F.) sous le titre: Proudhon. Sa vie. Son œuvre.

De plus, nous sommes obligés, faute de place, de reporter au prochain volume les communications de MM. Henri Desroche (Problèmes de développement et associalionnismes coopératifs) et Georges Condominas (Classes sociales et restructuration des groupes tribaux au Sud-Viôlnam)f ce dont nous nous excusons vivement auprès de leurs auteurs.

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