25
L'ÉVOLUTION DU SYSTÈME DES CLASSES AU MEXIQUE Author(s): Pablo Gonzalez-Casanova Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 39, LES CLASSES SOCIALES DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI (suite) (Juillet-décembre 1965), pp. 113-136 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689772 . Accessed: 12/06/2014 16:19 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES SOCIALES DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI (suite) || L'ÉVOLUTION DU SYSTÈME DES CLASSES AU MEXIQUE

Embed Size (px)

Citation preview

L'ÉVOLUTION DU SYSTÈME DES CLASSES AU MEXIQUEAuthor(s): Pablo Gonzalez-CasanovaSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 39, LES CLASSESSOCIALES DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI (suite) (Juillet-décembre 1965), pp. 113-136Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689772 .

Accessed: 12/06/2014 16:19

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access toCahiers Internationaux de Sociologie.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

VIL - AMÉRIQUE LATINE

L'ÉVOLUTION DU SYSTÈME DES CLASSES AU MEXIQUE

par Pablo Gonzalez-Casanova

I. Le problème. - C'est un lieu commun de dire que ni les généralisations de Marx sur les classes sociales du capitalisme classique, ni les généralisations d'auteurs plus récents tenant compte des étapes plus proches et des « tiers mondes » ne donnent entière satisfaction. En effet, ce qu'on devrait rechercher, ce sont des hypothèses qui permettraient d'analyser la structure et la dynamique des diverses classes sociales dans les différents types de structures globales. Ainsi, le but de ce travail est d'ana- lyser la structure du Mexique et les expériences qu'il a vécues afin d'étudier les facteurs principaux qui déterminent le compor- tement sui generis de ses classes sociales, distinctes du modèle marxiste de conscience de classe et d'action politique de classe.

Il est bien connu que la lexicologie marxiste présente deux concepts diffé- rents de la classe sociale qui se réfèrent, l'un au phénomène de la classe en soi, basé sur la structure de l'exploitation de certains groupes humains par d'autres, l'autre à la classe pour soi, basé sur le phénomène de la prise de conscience de cette situation structurale et sur l'organisation politique qui en découle. Au premier concept correspond la définition de la classe sociale offerte par Marx : « Quand des millions de familles vivent dans des conditions écono- miques qui séparent leur genre de vie, leurs intérêts et leur éducation de ceux des autres classes, et qui les opposent à celles-ci, elles constituent une classe. » Lénine précise encore davantage cette définition marxiste de la classe sociale : « Les classes sont des groupes de personnes, l'un de ces groupes s'appropriant le travail des autres, suivant la place qu'ils occupent respectivement dans un système économique défini. » - L'autre concept marxiste de la classe sociale correspond à la transformation de ces intérêts objectifs en phénomène de cons- cience de classe, d'action politique de classe. Dans ce domaine, Marx est plus exigeant. Il signale les conditions à remplir pour que le groupe social puisse constituer une classe : « Quand il y a seulement un contact local (entre les groupes qui présentent un niveau social semblable) - écrit-il - quand l'iden- tité de leurs intérêts ne produit pas une communauté, une association nationale, une organisation politique, ces groupes ne constituent pas une classe, parce qu'ils sont incapables de défendre leurs intérêts de classe. »

Ceci dit, la littérature marxiste elle-même précise une série de limitations au phénomène politique de la classe sociale. Lénine montre que dans les pays sous-développés, coloniaux et semi-coloniaux, existe « le devoir national de faire face à l'impérialisme » qui empêche l'établissement de « l'unité de classe ». De nombreux auteurs marxistes signalent également cette limitation à l'inté-

- 113 - CAHIERS INTERN. DE SOCIOLOGIE 8

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

gration d'un système de classes dans les pays sous-développés et coloniaux. Cette limitation n'empêche cependant pas les mouvements marxistes, dans ces pays, de présenter de grandes différences quant à la primauté de la lutte nationale ou de la lutte des classes et de conserver la tendance permanente à appliquer les généralisations que Marx a conçues (à partir de la France et de l'Angleterre du milieu du xixe siècle) à des structures sociales et politiques distinctes.

L'hypothèse que nous essaierons de formuler à ce propos est la suivante : dans une société comme celle que présente le Mexique, il n'existe pas de classe laborieuse qui possède une conscience de classe « en transformant ses intérêts objectifs (de classe) en intérêt dont elle soit consciente », ce qui l'amènerait à une action organisée fondée sur les dichotomies caractéristiques du concept politique de classe propre à la société industrielle, telle que l'a connue Marx, et qui a donné lieu à la formation des grands syndicats et des partis politiques des travailleurs. Nous essaierons, en fonction d'une société comme celle du Mexique, de préciser les obstacles spécifiques de caractère structural à cause desquels les classes laborieuses ne gardent qu'un « contact local », n'arrivant pas à réaliser leur identité d'intérêt face à la « bourgeoisie ».

II. La structure cT inégalités et les couches sociales. - La structure sociale du Mexique présente de grandes inégalités et il convient, afin de l'analyser, d'établir en premier lieu une stratification dichotomique en couches assez lâches qui nous permettent de distinguer, dans la population, ceux qui possèdent de ceux qui ne possèdent pas, ceux qui ne participent pas au développement du pays de ceux qui y participent, ne serait-ce que d'une manière élémentaire.

Selon le recensement de 1960, la population analphabète de 6 ans ou plus constitue 38 % de ce groupe d'âge, soit 10 600 000 habitants, et la population composée d'individus sachant lire et écrire en constitue 62%, soit 17 400 000; la population de 6 à 14 ans qui ne reçoit aucune éducation est de 37 % (3 100 000 habitants), et celle qui en reçoit une est de 63 % (5 400 000 habitants) ; la population qui ne porte pas de souliers s'élève à 12 700 000, soit 38 % de la population de 1 an et au-dessus, et celle qui en porte, 62 % (21 millions) ; la population de 1 an ou plus, qui ne mange ni viande, ni poisson, ni lait, ni œuf est de 24 % (8 100 000) et celle qui mange un de ces aliments ou davantage est de 76 % (25 600 000).

Par ailleurs, le Mexique est une société multiple, culturelle- ment hétérogène, où subsistent des groupes humains qui n'ont pas part à la culture nationale. Dans ce domaine se rencontre un échelonnement assez flou qui peut être déterminé à l'aide de différents indices. En 1960, la population indigène qui ne parle

- 114 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

qu'une seule langue forme 4 % des habitants de 5 ans ou plus ; la population indigène parlant une ou deux langues forme 6 % de ce groupe d'âge. En additionnant les deux chiffres, nous arrivons au total de 3 millions, soit 10 % de la population de 5 ans ou plus. Ces trois millions constituent ce que les anthro- pologues appellent le problème indigène. Mais le langage est un indice insuffisant pour évaluer les dimensions du phénomène. En prenant d'autres indices - techniques de travail, coutumes, conscience d'appartenir à une communauté distincte du reste de la nation - certains anthropologues considèrent que le pro- blème indigène s'étend à une population de 7 000 000 habitants. A la limite, le nombre de ceux qui ne participent pas à la culture nationale s'élève à 10 600 000 habitants d'un an ou plus (31 % du total), correspondant à ceux qui ne mangent pas de pain de blé, mais des tortillas ou pain de maïs. Bien qu'il s'agisse d'un univers partiellement privé de culture propre, le fait de ne pas manger de pain de blé correspond à une prédominance du complexe rural ou indigène.

Ces données signalent ainsi l'existence d'un Mexique qui participe au développement et à la culture de la nation, et d'un autre Mexique qui reste en marge de cette participation.

Ceci dit, à côté de cette division dichotomique que présente la société selon la présence ou l'absence des attributs les plus élémentaires du développement, existe la possibilité jusqu'ici insuffisamment étudiée, de diviser la population en couches ou niveaux économiques bas, moyen et élevé, en utilisant le recen- sement de 1960. Cette possibilité, à travers tous les indices utilisés, nous révèle que les classes moyenne et haute, constituent une proportion minime de la population totale. Si l'on classe la population suivant le nombre de pièces des habitations où elle vit (1), nous rencontrons les résultats suivants :

Pourcentage du nombre Habitations de d'occupants*

1 pièce 51,2 2 pièces 25,2 3 pièces 10,2 4 pièces 5,2 5 pièces 2,5 6 pièces 1 ,5 7 pièces et plus 4,2

100,0 En reclassant la population en couches à intervalles plus larges, nous

obtenons : 51 ,2 % dans les habitations d'une pièce ; 35,4 % dans des habitations de 2 à 3 pièces, et seulement 13,4 % dans des habitations de 4 pièces ou plus.

(1) Le nombre total d'occupants en 1960 s'élève à 34 923 129.

115

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

D'autres caractéristiques de l'habitation permettent de diviser la population de la manière suivante :

a) Habitations sans tout-à-1'égout 71,5 % avec tout-à-1'égout 28,5 -

100,0 b) Habitations sans adduction d'eau dans

l'habitation ni dans le bâtiment . . . 68,4 % adduction d'eau hors de l'habitation

mais dans le bâtiment 8,5 - adduction d'eau dans l'habitation 23,1 -

100,0 c) Habitations sans salle de bains 79,5 % avec salle de bains à eau courante . . . 20,5 -

100,0 d) Habitations sans radio ni télévision 64,6 % avec radio seulement 6,7 - avec radio et télévision 6,7 -

100,0

Ces indices correspondent à des types différents de niveaux de vie. Dans certains cas, ils correspondent à des nécessités de base, comme le tout-à-1'égout ; dans d'autres cas, à des niveaux de vie en rapport avec l'urbanisation et l'industrialisation du pays, comme le service d'adduction d'eau dans l'habitation, la salle de bains avec l'eau chaude courante, le gaz ou l'électricité ; dans d'autres cas, ils révèlent plutôt des niveaux de vie relativement élevés à l'intérieur de la société urbaine et industrielle, comme le fait de posséder en même temps radio et télévision. Quel que soit le cas, le pourcentage de la population qui possède un niveau de vie et des habitudes de consommation propres à la société urbaine et industrielle est très bas, et plus bas encore celui qui possède les habitudes de consommation propres aux classes moyenne et haute.

D'accord avec les indices antérieurement cités, la population des classes moyenne et haute s'établirait comme suit :

Population des classes haute et moyenne Maximum Minimum

Adduction d'eau 31,6 % Adduction d'eau dans l'ha- bitation 23,1 %

Tout-à-1'égout 28,5 - Avec salle de bains à eau

courante 20,5 - Utilisation de pétrole, gaz Utilisation de gaz ou d'élec-

ou électricité 33,2 - tricité 15,5 - Avec radio ou télévision Avec radio et (ou) télé-

ou les deux 35,4 - vision 6,7 - Avec radio seulement 28,7 - Trois pièces ou plus 83,6 - Quatre pièces ou plus 13,4 -

- 116 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

A partir des nécessités de base, en fonction du niveau de vie, qui permettent de distinguer la population participante de la population en marge, celle-ci oscille entre 24 % et 35 % du total : à partir de normes plus strictes, elle est de 13 % à 23 % ; et à partir de normes qui correspondent aux classes moyennes inférieures et aux classes hautes, comme le fait de posséder à la fois radio et télévision, elle ne parvient qu'à 6,7 % du total. Malheureusement, beaucoup de ces normes sont des indices de l'urbanisation et de l'industrialisation, et les recensements ne permettent pas d'effectuer une analyse multiple, où l'on puisse percevoir le comportement par occupation ou groupe de revenu, par population urbaine et rurale, phénomène que nous soulignerons comme étant la base d'une enquête réalisée récemment.

Un autre indice de la stratification sociale que nous ren- controns dans le recensement de I960, est celui qui correspond aux niveaux d'éducation que présente la population, et par lequel nous pouvons conventionnellement identifier les classes basse, haute et moyenne avec l'éducation primaire, secondaire et supérieure.

Si l'on classe la population de 6 ans et plus suivant les niveaux d'étude atteints, nous nous trouvons face aux couches suivantes :

Pourcentage a) Niveaux d'étude du total de la population

atteints de 6 ans et plus Néant 43,7 De 1 à 3 31,1 De 4 à 6 19,6 De 7 à 9 3,5 De 10 à 12 1,3 De 13 à 15 0,4 De 16 au-dessus 0,4

100,0

Ces proportions sont évidemment affectées par les groupes d'âge, le sexe, l'amplitude des services éducatifs, et le caractère rural ou urbain de la popula- tion. Le groupe le plus affecté est précisément celui qui reçoit « l'éducation secondaire » (1) et supérieure : les enfants de moins de 13 ans ne peuvent pas recevoir ce type d'enseignement : les femmes ne la reçoivent pas dans la même proportion que les hommes ; la proportion d'habitants ayant reçu une éducation moyenne et supérieure est plus élevée actuellement que par le passé, et plus élevée également dans les villes que dans les campagnes. Les regroupements établis par le recensement nous permettent d'éliminer certains de ces facteurs.

b) Reclassement de la population en couches plus lâches en fonction des niveaux d'enseignement :

Néant 43,7 Enseignement primaire 50,7 Enseignement secondaire* 4,8 Enseignement supérieur 0,8

100,0

( 1 ) Dans le système éducatif mexicain, la période de 7 à 9 ans correspond aux études secondaires ; et celle de 10 à 12 ans aux études appelées préparatoires.

117

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

c) Ajustant notre base du point de vue de Tage et choisissant la population de 30 ans et plus, suivant les années d'études nous avons :

Néant 45,2 Enseignement primaire 48,3 Enseignement secondaire* 4,3 Enseignement supérieur 1,4

100,0

Dans ce dernier cas, le pourcentage d'individus ayant une « éducation supérieure » (de 0,8 % à 1,4 %) augmente, parce que ne rentre plus en ligne de compte la population des mineurs ; au contraire diminue le nombre de ceux qui présentent études primaires et secondaires, parce qu'il s'agit d'une population qui a vécu son âge scolaire au moment où les services éducatifs étaient proportionnellement moindres. Malheureusement, le recensement ne différencie pas la population de 30 ans et plus de celle de 25 à 30 ans, et nous ne pouvons pas éliminer la cause d'erreur présentée par ce facteur.

Nous pouvons encore ajuster notre base en nous limitant à la population masculine de 30 ans et plus, suivant les années d'études, et nous avons :

Néant 40,6 Études primaires 52,8 Études secondaires 4,5 Études supérieures 2,1

100,0

Quel que soit le cas, les classes moyenne et haute n'attei- gnent pas plus de 6,6 % de la population correspondante, et la classe haute, dans son pourcentage maximum, avec l'indice études 2 %.

D'autre part, si l'on classe la population économique active en fonction de la position dans l'emploi, on se trouve face aux couches suivantes.

a) De 8 à 11 ans, travaillant pour un salaire 0,7 Aidant la famille, sans rétribution 1 ,0 Ouvriers 50,5 Travaillant à leur compte 33,9 Employés 13,1 Patrons 0,8

Parmi ces catégories considérées par le recensement du ministère de la Population, il en est une qui est particulièrement ambiguë, en ce qu'elle englobe des couches normalement distinctes, la catégorie de ceux qui « travaillent à leur compte » et où se rencontrent les « sous-employés », les « marginaux », en passant par « les petits fermiers » et les petits propriétaires, jusqu'aux artisans

- 118 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

et aux petits producteurs urbains ; une partie de ceux-ci correspond ainsi au prolétariat et même au « lumpen-prolétariat », et l'autre à la classe moyenne. De la même façon, la catégorie dite des « employés » inclut les hauts fonction- naires, et se subdiviserait en classes moyenne et haute. En tout cas, le pour- centage d'employés et de patrons est très bas, surtout ces derniers. Au total, ils ne constituent pas plus de 14 % de la population active.

b) La classe haute du pays, suivant l'indice de l'emploi, atteint un maximum de 1,3 % - si l'on considère comme patrons des hommes de 35 ans et plus - face à la popu- lation masculine économiquement active, de ce même groupe d'âge.

c) Dans ce dernier cas, les recensements permettent de différencier les emplois, en fonction de l'activité dans les secteurs de l'économie ; et dans chacun, nous rencontrons des pourcen- tages distincts pour les employés et les patrons.

Acliviiés primaires Aclivilés secondaires Aclivités tertiaires

Employés 0,43 11,55 39,85 Patrons 0,32 1,30 1,32 Autres 99,25 87, 1 5 58,83

Total 100,00 . 100,00 100,00

Des données antérieures, nous pouvons déduire que, si le pourcentage des employés est 27 fois plus grand dans les activités secondaires et 93 fois plus grand dans les activités tertiaires que dans les primaires, le pourcentage de patrons est seulement 4 fois plus grand, tant dans les activités secondaires que dans les tertiaires. La classe haute, suivant l'indice emploi (patrons), présente comme maximum 1,3 % si l'on prend comme base celle des activités secondaires et tertiaires.

d) Maintenant, si l'on cherche à déterminer le pourcentage de la classe patronale et dirigeante selon la base la plus favorable à son estimation : les activités secondaires et tertiaires, et selon l'indice également le plus favorable, nous arrivons au fait que du total de la population économiquement active, tournée vers les activités secondaires et tertiaires, 1,83 % correspond au personnel de cadre (soit 95 132 sur un total de 5 187 086). - Aux données antérieures, il convient d'en ajouter deux autres qui aident à déterminer les couches moyenne et haute. Le pour- centage des familles qui possèdent : a) une automobile parti- culière (7,1 %) ; b) un téléphone résidentiel (2,2 %). Ceci dit, il faut noter qu'aussi bien les automobiles que les téléphones sont des indicateurs étroitement associés à la vie urbaine ; à la campagne, seule la haute classe les utilise, et il y a des cas où des membres de la haute classe n'ont pas de téléphone en raison

- 119 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

de Téloignement ou de l'isolement de leur résidence. Et malheu- reusement il est impossible de distinguer, parmi ceux qui ont téléphone ou automobile, la part qui revient à la population urbaine et celle qui revient à la population rurale.

Au point de vue des revenus, la Direction d'Échantillonnage du Secrétariat à l'Industrie et au Commerce a publié les résultats d'une enquête réalisée en 1961-1962. Ces données permettent de stratifier la population de la manière suivante :

a) Niveau de revenu mensuel par personne active

(1961-1962) (en pesos)* Pourcentage

Jusqu'à 300 41,5 De 301 à 500 26,1 De 501 à 750 12,5 De 751 à 1 000 9,5 De 1 001 à 2 000 7,5 Au-dessus de 2 000 2,9

100,0

b) En reclassant la population par revenu familial et avec des inter- valles permettant de distinguer des groupes de revenus relativement plus élevés, nous avons :

Niveau de revenu mensuel familial

(en pesos) (61-62) (1) Pourcentage

Jusqu'à 300 22,5 De 301 à 500 23,4 De 501 à 1 000 27,8 De 1 001 à 3 000 22,7 Plus de 3 000 3,6

100,0

Si les revenus mensuels familiaux présentent une distribution plus équitable que les revenus mensuels par personne active, ceci s'explique par le fait que dans une même famille existent plusieurs personnes économiquement actives, ce que l'on ren- contre plus fréquemment dans les groupes de faible revenu. Ces données présentant de sérieux inconvénients vis-à-vis de la différenciation entre classes moyenne et haute. D'un côté l'intervalle maximum, dans le cas des personnes qui travaillent, correspond au groupe de pesos 2 000 et plus mensuels, et celui des familles de pesos 3 000 et plus. Par ailleurs le P. N.B. (Produit National Brut) en 1962 a été de 145 milliards, le nombre de personnes économiquement actives de 10 750 000 et le nombre

(1) Le dollar équivaut à 12,50 pesos mexicains.

120 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

de familles de 6 740 000 (1961-1962) ; le revenu moyen annuel par personne active a donc été de p. 14 500, le revenu mensuel de p. 1 208,33 ; le revenu annuel moyen par famille a été de p. 21,513 et le revenu mensuel de p. 2 094,16. La distribution du revenu est à ce point défectueuse que la moyenne par personne active est de p. 361,9 et il est nécessaire d'atteindre G 90 pour arriver à p. 1 303,31 ; en ce qui concerne le revenu familial, la moyenne est de p. 21,513 et il est nécessaire d'atteindre G 90 pour arriver à p. 1 303,31. Dans ces conditions seulement, un peu plus de 10 % du total des personnes économiquement actives ont des revenus supérieurs à la moyenne ; et seule- ment 15 % des familles ont un revenu supérieur au revenu familial moyen.

Les hautes classes sont particulièrement difficiles à détecter. Normalement, on laisse des intervalles ouverts pour les groupes de hauts revenus et pour les refus de réponses. De même, la dissimulation des hauts revenus rend particulièrement difficile la distinction de ce groupe par la voie du revenu personnel ou familial. Néanmoins, si l'on pense à d'autres indices, et au fait que la distribution à l'intérieur des couches supérieures est hautement inégale, les groupes des revenus personnels de p. 10 000 et plus qui correspondraient à la classe moyenne haute, et de p. 20 000 et plus qui correspondraient à la classe haute, constituent très certainement un pourcentage assez bas de la population, sans aucun doute inférieur à 1,3 % du total de la force économiquement active, et à environ 100 000 familles.

Les différences antérieures s'accentuent quand nous classons la population suivant son caractère rural ou urbain. Dans les recensements mexicains, on considère comme urbaine la population qui vit dans des localités de 2 500 habi- tants et plus, et comme rurale la population qui vit dans des localités de moins de 2 500 habitants. Bien que cette limite paraisse arbitraire, la vérité est que l'on rencontre de hauts coefficients de corrélation entre la population considérée comme rurale et la population marginale, et entre la population urbaine et la population participante, comme nous l'avons montré plus haut.

a) Ceci dit, acceptant la limite de 2 500 habitants par localité, 49 % de la population est rurale et 51 % urbaine. Mais si l'on prend la limite internationale qui divise la population rurale de l'urbaine, nous obtenons comme résultat que 70,4 % de la population vit dans des localités de moins de 20 000 habitants et seulement 29,6 % vit dans des localités de plus de 20 000 habitants.

b) Ces différences sont particulièrement aiguës si l'on considère le fait que 22,8 % de la population vit dans des localités de moins de 500 habitants ; 35 % dans des localités de moins de 1 000 habitants, et à l'autre extrémité, 18,6 % dans des localités de plus de 100 000 habitants, et seulement 12 % dans des localités de plus de 500 000 habitants, avec les conséquences que ces faits impliquent vis-à-vis des niveaux de vie de la population urbaine et rurale, car dans les pays sous-développés, ces différences s'accentuent. Une première confirmation de ce qui vient d'être dit réside dans le fait qu'au Mexique le revenu per capita pour le secteur rural en 1960 a été de p. 1 500 contre p. 6300

- 121 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

pour le secteur urbain. Par ailleurs, les groupes de faible revenu occupent une proportion beaucoup plus élevée de la population rurale que de la population urbaine, alors que c'est le contraire pour les groupes de revenu moyen et élevé. Ces différences sont les suivantes, en prenant la limite de 2 500 habitants par localité pour distinguer la population urbaine de la population rurale.

Pourcentage

Rurale Urbaine

a) Revenus mensuels par personne active (1961-1962) (en pesos)

Jusqu'à 300 65,3 20,6 De 301 à 500 21,7 30,0 De 501 à 750 6,3 17,9 De 751 à 1 000 3,9 14,4 De 1 001 à 2 000 2,5 12,0 Plus de 2 000 0,3 5,1

100,0 100,0

b) Revenus mensuels par famille (1961-1962) (en pesos)

Jusqu'à 300 39,9 6,6 De 301 à 500 28,4 19,0 De 501 à 1 000 21,2 33,8 De 1 001 à 3 000 10,0 34,3 Plus de 3 000 0,5 6,3

100,0 100,0

II est évident que dans les deux cas existe la plus inégale distribution du revenu entre la population rurale et la population urbaine. Dans la population rurale, seulement 10,5 % des familles ont plus de p. 1 000 (80 dollars) de revenu mensuel, alors que dans la population urbaine, ce groupe de revenus forme 40,6 % du total des familles. Et s'il est vrai que le coût de la vie est plus élevé dans les villes, en revanche plusieurs phénomènes nous révèlent que non seulement le pourcentage de la population de revenus moyens et élevés est plus faible à la campagne qu'à la ville, mais encore que les niveaux de vie sont plus bas pour les mêmes groupes de revenus. En ce qui concerne l'éducation des personnes économiquement actives (1961-1962), nous rencontrons les faits suivants : a) Dans la couche de p. 300 ou moins, 89,4 % de la population rurale de ce groupe n'ont que de 0 à 3 années d'études, alors que nous rencontrons le chiffre de 47,5 % pour la population urbaine, b) Dans le groupe rural de p. 301 à 500, 98 % ont seulement accompli des études primaires, alors que dans le groupe urbain correspondant, nous trouvons 86,6 % ;

- 122 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

le reste ayant accompli études secondaires et supérieures. c) Dans le groupe rural de p. 501 à 750, 90,7 % ont seulement leurs études primaires, contre 76,6 % du groupe urbain corres- pondant, d) Dans le groupe rural de p. 751 à 1 000, 90,0 % ont fait seulement leurs études primaires, contre 62,7 % du groupe urbain correspondant, e) Dans le groupe rural de p. 1 001 à 2 000, 72 % ont seulement leurs études primaires, contre 47,9 % du groupe urbain correspondant, f) Enfin, dans le groupe rural de plus de p. 2 000, 53,3 % ont seulement leurs études primaires, contre 26,6 % du groupe urbain correspondant, g) Le même phénomène se répète pour les études secondaires et supérieures. A revenu égal, la proportion de ceux qui ont accompli études secondaires ou supérieures est plus basse pour la population rurale que pour la population urbaine. Pour la couche de p. 1 001 à 2 000, la population rurale ayant étudié de 7 à 11 ans est de 20,4 % contre 30,9 % pour la population urbaine : la partie rurale de ce groupe de revenus ayant étudié 12 ans ou plus est de 7,6 % contre 21,2 % pour la partie urbaine. Dans le groupe de plus de p. 2 000, la partie rurale ayant étudié de 7 à 11 ans est de 25 % contre 36 % pour la partie urbaine ; la partie rurale ayant étudié 12 ans ou plus est de 21,6 % contre 37,4 % pour la partie urbaine. A la campagne, le fait d'appartenir au groupe de revenus élevés et de ne posséder qu'une éducation primaire est commun à la moitié de cette couche de la population ; à la ville, 73,4 % du groupe de hauts revenus ont accompli des études secondaires ou supérieures, h) Ces mêmes différences entre population urbaine et rurale ressortent en prenant les groupes d'études, indépendamment du revenu.

Population rurale et urbaine suivant les années d'études accomplies (1961-1962)

Années d'études accomplies Rurale Urbaine

0 à 3 81,2 29,4 4 à 6 16,3 45,5 7 à 9 1,9 14,8

10 à 11 0,2 2,9 12 et plus (V* 7¿

Total 100,0 100,0

2,5 % de la population rurale ont accompli des études secondaires et supérieures contre 25,1 % pour la population urbaine.

- 123 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

A propos des caractéristiques des habitations, nous nous trouvons face à un phénomène similaire. Pour chaque groupe de revenus égaux, se rencontre à la campagne un pourcentage inférieur de personnes vivant dans des habitations pourvues de tout-à-1'égout, d'adduction d'eau parti- culière, d'électricité.

a) Population urbaine et rurale répartie suivant les revenus et les services de loul-à-V égout dans Vhabitation (1961-1962)

Habitations Revenus mensuels suivant service de tout-à-1'égout

(en pesos) Rurale Urbaine

Jusqu'à 300 0,8 63,3 De 301 à 500 4,0 64,2 De 501 à 1 000 8,1 75,6 De 1 001 à 3 000 18,4 86,0 Plus de 3 000 65,5 94,6

Total 4,7 76,3

Pour que dans la population rurale une couche de population possède dans son habitation le tout-à-1'égout dans une proportion de plus de 50 %, il est nécessaire d'atteindre le groupe de revenus de plus de p. 3 000 ; alors que dans la population urbaine, plus de 50 % des habitations possèdent un service de tout-à-1'égout depuis les couches les plus basses.

b) Population rurale et urbaine répartie suivant les revenus et les services particuliers d'adduction d'eau dans Vhabitation (1961-1962)

Habitations avec adduction d'eau (Pourcentage Revenus mensuels de chaque grOupe de revenus)

(en pesos) Rurale Urbaine

Jusqu'à 300 25,7 44,3 De 301 à 500 32,8 57,3 De 501 à 1 000 45,9 71,1 De 1 001 à 3 000 65,3 84,5 Plus de 3 000 83,8 94,5

Total 34,8 71,1

Pour qu'une couche de la population rurale possède une installation d'eau courante dans son habitation dans une proportion de plus de 50 %, il est nécessaire d'atteindre le groupe de revenus de plus de p. 1 000 : alors que dans la population urbaine, nous rencontrons le même service à partir du groupe de plus de p. 301.

- 124 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

c) Population rurale et urbaine suivant les revenus et les services d'électricité dans Vhabitation (1961-1962)

Habitations possédant l'électricité Revenus mensuels

(en pesos) Rurale Urbaine (pourcentage) (pourcentage)

Jusqu'à 300 20,3 75,7 De 301 à 501 21,7 81,7 De 501 à 1 000 36,8 90,6 De 1 001 à 3 000 53,2 95,6 Plus de 3 000 89,2 98,5

26,7 89,4

Dans le cas de l'électricité, ces différences s'accentuent encore davantage, et c'est normal ; alors que toutes les couches urbaines possèdent la lumière électrique en proportion supérieure à 75 %, dans la population rurale, seulement les groupes dotés des plus hauts revenus dépassent cette proportion.

Des données antérieures, on peut déduire que si le revenu moyen au Mexique est très bas, si les classes moyennes et hautes occupent une proportion très réduite des couches sociales, ces différences s'accentuent particulièrement à la campagne, où le revenu est plus bas et les classes moyennes et hautes encore moins nombreuses qu'à la ville ; la distribution du revenu est encore moins équitable, les niveaux de vie plus bas. Et ces différences sont à tel point remarquables que les indices, dont nous nous servons pour distinguer parmi les classes urbaines les hautes et les moyennes, ne servent plus pour distinguer à la campagne les couches moyennes et hautes des couches basses, comme c'est le cas par exemple de l'éducation moyenne et supé- rieure ; et les indices qui ne suffisent pas à distinguer des classes basses les couches moyennes et hautes à la ville, sont par contre suffisants pour la distinction de ces mêmes classes à la campagne comme par exemple l'adduction d'eau, le tout-à-1'égout, la lumière électrique, qui sont plus caractéristiques des groupes de hauts revenus à la campagne qu'à la ville. D'autre part, le développement régional du Mexique est profondément inégal, fait également caractéristique de tout pays sous-développé. Aux différences qui s'observent dans l'espace social s'ajoutent les différences entre les régions et les États. En 1960, un tiers de la population du pays possédait plus des 3 /4 de l'industrie. Ces différences dans l'industrialisation, ici comme ailleurs, sont en rapport avec les différences de niveau de vie. Alors que dans le District Fédéral et dans les États du Nord, la population atteint un niveau de vie supérieur à celui de la moyenne nationale,

- 125 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

dans des proportions qui vont de 35 % à 100 %, Chiapas, Oaxaca, Guerrero, Tlaxcala, Hidalgo, Guanajuato, San Luis, Zacatecas ont, au contraire, des niveaux de vie inférieurs de 2/3 à la moyenne nationale. Les différences entre régions et États sont de plus du double en ce qui concerne la mortalité, de plus du double pour l'analphabétisme ; elles atteignent presque le quadruple pour le rapport professeur-élève, presque le quadruple également pour l'adduction d'eau courante, presque le quintuple pour le salaire minimum, plus du quadruple pour la consommation de sucre. La différence du Produit National Brut per capila entre les zones plus riches et les dix États les plus pauvres est de p. 6 500 en 1960. Enfin, les groupes de revenus faibles occupent une proportion plus grande dans les états plus sous-développés, et les classes moyennes sont proportionnellement plus réduites au fur et à mesure que les États s'appauvrissent ; de hauts coefficients de corrélation existent entre le développement des entités fédéra tives et les classes moyennes (1).

Toutes ces différences peuvent être perçues d'une manière gloBale à travers des calculs généraux sur la distribution du revenu national. Suivant la dernière étude comparative qui existe sur ce sujet, la part correspondant au secteur Travail, vers la moitié de ce siècle, est de 49 % du total du revenu national en France, 59 % au Canada, 59 % en Suisse, 65 % aux États-Unis, 67 % en Angleterre. Pour la même époque, le secteur du Travail reçoit au Mexique 24 % du revenu national, chiffre qui doit ne se comparer aux précédents qu'avec réserve pour n'avoir pas été établi à ces fins, mais qui révèle l'ordre de grandeur des différences. En 1960, la part correspondant au secteur du Travail s'est élevée à 31,2 % du revenu national (y compris les prestations aux travailleurs urbains), proportion très inférieure à celle de n'importe quel pays développé et très inégalement distribué dans le secteur même.

III. L'absence relative d'une politique de classe et d'une conscience de classe. - La structure du Mexique - hautement inégale et différenciée - ferait penser que le modèle marxiste devrait nécessairement surgir au sein du pays, avec les phéno- mènes de conscience de classe et d'action politique de classe qui constituent le noyau de cette explication du capitalisme clas- sique. Néanmoins, tout autre est la réalité. Le gros du prolétariat mexicain se groupe en partis et en syndicats gouvernementaux : les partis et les syndicats non gouvernementaux ont une force

(1) Pablo Gonzalez-Casanova, Una definición cuantitativa de desarrollo (Trabajo inédito).

126

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

très réduite, et peuvent être difficilement considérés comme des organisations politiques de classe (ou avec conscience de classe).

Commençons par le problème de la structure politique. Il est très difficile ou impossible de mesurer la force du parti gouverne- mental vis-à-vis des autres partis, en prenant comme base le nombre d'affiliés. Le parti gouvernemental possède une affi- liation de type collectif, et les partis d'opposition, ou bien ne tiennent pas registre de leurs effectifs, ou bien gardent secrètes les données statistiques dont ils disposent. Dans ces conditions, le chemin qui nous reste pour analyser la situation des partis est l'élection des représentants et le vote. Depuis 1929, année où s'est fondé le parti gouvernemental, celui-ci n'a jamais perdu une seule élection présidentielle, ni une élection de gouverneur, ni une élection de sénateur. Pendant cette période, le parti a élevé au pouvoir six présidents, presque 200 gouverneurs et 282 sénateurs. Quant aux députés, de 1929 à 1940, la totalité appartenait au parti gouvernemental. Depuis 1940, les partis d'opposition sont arrivés à obtenir jusqu'à 4 % des sièges.

Depuis les dernières élections présidentielles antérieures à la révolution - celle de 1910 jusqu'aux dernières élections prési- dentielles de la période révolutionnaire, celle de 1958 - l'oppo- sition n'est pas arrivée à obtenir plus de 25 % des voix et ceci une seule fois en 1952. Normalement le candidat, ou les candidats, de l'opposition, dans leur ensemble, n'arrivent pas à obtenir l'enregistrement de plus de 10 % du total des votes. Et bien qu'il existe des phénomènes tels que « le vote collectif » et des fraudes électorales de divers types, les votes effectifs favorisent clairement le parti gouvernemental. C'est un fait qu'au Mexique s'est formé, depuis 1929, un système de parti prédominant. Il n'existe pas de système classique de partis alternant dans l'exercice du pouvoir, ni même de parti des masses laborieuses. Ces masses laborieuses, organisées politiquement, sont dans leur immense majorité contrôlées par les organisations gouverne- mentales, et sous une forme ou sous une autre, suivent avec complaisance le système gouvernemental d'organisation. Bien que les partis de l'opposition et leurs chefs prétendent que tant dans ce cas que dans celui du syndicalisme, les masses des travailleurs sont maniées d'en haut, une étude plus profonde et objective du problème révèle surtout l'accord du travailleur avec les organisations gouvernementales, ou son conformisme et son scepticisme quant à la création d'organisations indépen- dantes qui suivraient une politique distincte et même opposée à celle du gouvernement. D'autre part, le syndicalisme - comme force politique nationale - présente les multiples caractéristiques

- 127 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

d'une structure soumise à la politique du gouvernement, en particulier à la politique du chef de l'exécutif. D'abord, les deux tiers des travailleurs syndicalisés appartiennent à une organi- sation gouvernementale (la Confédération des Travailleurs Mexi- cains), étroitement liée au parti officiel à travers le secteur ouvrier du parti, et liée au gouvernement en la personne de ses chefs. D'autres syndicats, non affiliés à cette centrale, possèdent également d'étroites relations avec le parti et le gouvernement. Les dirigeants, dans un cas comme dans l'autre, parviennent à obtenir la concession d'un nombre considérable de charges politiques ou administratives. Par exemple, durant la légis- lature de 1952-1955, il y avait 35 deputations ouvrières, dont 19 relevaient de la grande centrale gouvernementale et le reste d'autres syndicats et centrales pro-gouvernementaux (Cheminots, Mineurs, C.R.O.C., C.R.O.M., C.G.T.). Le lien entre ces leaders et le gouvernement dure depuis plusieurs décennies ; ce sont, soit des députés, soit des sénateurs.

Pendant la période constitutionnelle de la Révolution mexicaine (1918- 1962), on compte au moins 52 sièges occupés par les sénateurs du secteur ouvrier (33 de 1940 à 1961), et plus de 250 occupés par les députés du même secteur (150 depuis 1940). Une étude de leurs interventions à la Chambre ou au Sénat pourrait difficilement révéler le poids et l'attitude caractéristique des repré- sentants d'un mouvement ouvrier indépendant.

Un indice de la dépendance du syndicalisme mexicain vis-à- vis du gouvernement, et en particulier vis-à-vis du type ou du sens de la politique présidentielle, est sans aucun doute celui des grèves. En effet, si l'on observe dans ses grandes lignes la quantité de grèves et de grévistes qui surgissent dans les différents régimes présidentiels, on constate que c'est lorsque gouvernent des présidents connus pour leur politique ouvrière et populaire, qu'il y a le plus gran'd nombre de grèves et de grévistes comme si les dirigeants syndicaux et les ouvriers se sentaient protégés ou même encouragés par la force présidentielle. C'est exactement l'inverse qui se produit quand les présidents montrent une politique générale moins radicale, ou d'alliance plus ouverte avec les secteurs patronaux, nationaux et étrangers. Nous voyons ainsi que pendant le mandat du président Obregon (1920-1924) - qui compta parmi ses partisans les « Bataillons Rouges » et les leaders ouvriers - la moyenne annuelle de grèves s'est élevée à 197, et que pendant la période conservatrice de Galles et du Maximato Calliste (1925-1934), la moyenne descend à 41 pour remonter - avec le gouvernement agraire et ouvrier de Lázaro Cárdenas (1934-1940) - à 478. Plus tard, la moyenne est de 387 sans le gouvernement modéré d'Avila Camacho, de 108 avec Alemán - sous le régime duquel la distribution du revenu

- 128 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

est défavorable au secteur Travail - de 248 avec Ruiz Cortinez, dont la politique est surtout réformiste. Pour le nombre de grévistes, leur moyenne annuelle est de 64 000 (Obregon) ; 4 000 (Galles et Maximato) ; 61 000 (Cárdenas) ; 56 000 (Avila Camacho) ; 19 000 (Alemán) ; 25 000 (Ruiz Cortines).

Le mouvement ouvrier suit la politique de l'exécutif, et se protège par la force de l'exécutif : le nombre de grèves et de grévistes augmente quand la politique du président est radicale ou réformiste, et diminue dans le cas contraire. Il existe en gros 3 exceptions à cette tendance. Les grèves de 33 révèlent le mécontentement du mouvement ouvrier devant la politique conservatrice et anti-ouvrière du Maximato, les grèves de 43-44 à l'époque d'Avila Camacho, par lesquelles le mouvement ouvrier prétendait démontrer sa force, ignorée du nouveau gou- vernement, et les grèves de 58, durant lesquelles un secteur du mouvement ouvrier, télégraphistes, cheminots, électriciens, etc., lutte pour récupérer son indépendance et améliorer le caractère représentatif de son organisation. Les effets de ces manifestations sont distincts. Les grèves de 33, jointes à d'autres facteurs, influent sur la politique populaire et agraire du gouvernement Cardenas, et les organisations ouvrières sont un des appuis les plus importants du gouvernement dans sa politique d'expro- priation des biens nationaux et étrangers, y compris l'expro- priation pétrolière. Les grèves de 44 donnent lieu à une répression considérable, et comme elles coïncident, par ailleurs, avec l'apogée économique du pays et les courbes les plus hautes de développement qu'ait présentées le Mexique, les masses ouvrières s'accommodent de la situation et acceptent les nouvelles condi- tions de vie. Les grèves de 58 permettent au mouvement ouvrier qui y participe d'atteindre quelques succès partiels, politiques et économiques, quand la tactique des nouveaux dirigeants coïncide avec l'esprit de conciliation et de négociation caracté- ristiques des syndicats modernes et trade-unionistes. Dans le cas contraire surviennent simultanément la répression des leaders et des travailleurs qui n'acceptent pas la conciliation et la négo- ciation et une politique gouvernementale d'augmentation des salaires et de prestations aux travailleurs « rebelles », politique de prestations qui, en outre, va quelquefois au-delà des récla- mations des leaders déchus. Grâce à cette politique, le gros de la masse accepte les conditions économiques et politiques qu'on lui fixe. Le mécontentement ne se canalise pas en organisations ouvrières révolutionnaires, ni par les caractéristiques des masses, ni par la politique gouvernementale de concessions dans le domaine économique et de résistance dans le domaine politique. Le mécontentement reste réduit à un radicalisme purement

- 129 - CAHIERS INTERN. DE SOCIOLOGIE 9

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

verbal et à quelques manifestations émotionnelles. Le prolé- tariat est réformiste et même conformiste ; il suit et même appuie la politique gouvernementale sans que surgisse aucun symptôme d'apparition de masses ouvrières organisées, de carac- tère révolutionnaire, et moins encore de naissance de centrales et de partis ouvriers d'idéologie et d'organisation radicales, et semblables au modèle classique marxiste.

Conclusion. - La première explication de cette situation est qu'elle se manifeste à l'intérieur d'une structure différente du capitalisme classique, et face à une culture politique également distincte, donnant ainsi lieu à un capitalisme qui, au point de vue économique, ressemblerait au stade originel du capitalisme euro- péen, mais qui, au point de vue politique, doit tenir compte des connaissances et de la culture politique du capitalisme contem- porain, qui a découvert une série de réponses non seulement idéologiques mais encore structurales au développement d'une société de classes au sens politique du terme. Ainsi, croyons-nous que l'explication la plus plausible du phénomène doit se recher- cher dans des facteurs structuraux plus que dans des facteurs idéologiques et psychologiques d'aliénation, ou dans des facteurs purement politiques de maniement et de force.

Il est vrai que la croissance soutenue ne suffît pas, par elle- même, à effacer la conscience de classe et la politique de classe : durant le développement classique du capitalisme, cette crois- sance a bien eu lieu, mais le mouvement de population auquel elle a donné lieu (des champs à la ville, de l'agriculture à l'indus- trie) n'a pas coïncidé avec le type d'avancement dans l'échelle de la société et des niveaux de vie auquel ce mouvement corres- pond aujourd'hui dans les pays hautement développés, et qui est particulièrement accusé dans les pays en voie de développe- ment, ou le passage du champ à la ville, de l'agriculture à l'in- dustrie, et, en général, où les différents mouvements de popu- lation signifient un avancement considérable du niveau de vie de la population mobile, ou mobilisée.

Commençons par étudier dans quelle mesure le développe- ment, la mobilité et la mobilisation des masses peuvent coïncider avec des phénomènes de conformisme, d'acceptation, de modé- ration, en faisant porter notre analyse à propos du développement du Mexique sur ce que l'on pourrait appeler le facteur espérance, c'est-à-dire l'idée que l'individu peut se sauver individuellement, qu'il peut résoudre ses problèmes personnels et familiaux en suivant les voies que lui trace le propre développement du pays sans modifications substantielles ni attitudes radicales, sinon tout au plus avec une attitude réformiste.

Le développement du Mexique suppose une gigantesque - 130 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

redistribution de la richesse et en particulier de la propriété agricole. Les gouvernements révolutionnaires répartissent 43 mil- lions d'hectares entre 2 200 000 chefs de famille. Petits proprié- taires ou petits fermiers, ces paysans sont propriétaires de leur terre, et bien que leur niveau de vie soit d'habitude très bas, en général ils possèdent la mentalité du propriétaire et la fonction stabilisatrice qui lui correspond. Dans le pays, 54 % des chefs de famille sont propriétaires des habitations où ils vivent, à la campagne 70 % sont propriétaires de leurs habitations, et en ville 38 % (recensement de 1960). A la campagne, la propor- tion des propriétaires augmente au fur et à mesure que diminue le revenu familial, suivant une enquête de 1961-1962, et parmi la population urbaine, se rencontre une proportion considérable de propriétaires jusque parmi les familles de plus bas revenus (46 % du groupe de revenus mensuels de moins de 300 pesos sont propriétaires). Dans ce cas, le fait d'être propriétaire de son habitation, même dans des conditions de vie très pauvres, réalise une fonction stabilisatrice qui n'existait pas avant la révolution.

Le développement du pays provoque une émigration cons- tante de la population rurale vers les centres urbains, ou l'appa- rition de nouveaux centres urbains, avec la signification et les répercussions que ce changement signifie vis-à-vis des niveaux de vie. La proportion de la population rurale diminue progres- sivement - de 80 % en 1910 à 49 % en 1960 - cependant qu'augmente d'une façon corrélative la population urbaine. Le déplacement de la population rurale vers les cités s'observe également à cause de l'accroissement du nombre de centres de plus de 10 000 habitants, qui, en 1940, constituent 22 % de la population totale et, en 1960, 38 %. Pendant cette période, les centres de plus de 10 000 habitants grandissent selon un taux annuel de 5,7 % contre 2,4 % de la population globale. De grands groupes de paysans espèrent se sauver en emigrant vers les villes, car les différences de revenu et de niveau de vie entre la ville et la campagne constituent un alléchant passage d'un statut inférieur à un statut supérieur. D'autres voient comment leur propre milieu rural s'urbanise. Dans les deux cas, la société urbaine en elle-même efface beaucoup de différences de classe ; une quantité de biens et de services, qui, dans la vie rurale, sont l'exclusive des groupements de hauts revenus, se distribuent dans la vie urbaine aux différents groupes de la population : lumière électrique, eau, tout-à-1'égout, poste de radio, éducation.

La mobilisation de la population est un fait peut-être encore plus important, car elle constitue, en une génération, un passage de la vie marginale de « celui qui n'a rien » à la vie de « celui qui possède », de celui qui, à un faible niveau, mais un niveau

- 131 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

important pour la vie de l'homme, participe au développement. Le taux annuel d'accroissement de la population scolarisée de 11 ans et plus, est de 8,3 pour la période qui va de 1930 à 1960 ; le taux annuel d'accroissement de la population qui mange du pain de blé est de 6,3 (1940-1950) ; de 1,6 (1940-1950) et 9,5 (1950-1960) pour la population qui utilise des chaussures ; de 4,3 et 7,8 durant ces décennies respectives pour la population qui reçoit une éducation scolaire ; de 3,2 et de 1,7 respectivement pour la population bilingue.

D'un autre côté, le développement du pays provoque de grands mouvements à travers les couches sociales. Ces mouve- ments dépendent : a) du processus de redistribution de la richesse et de la terre ; b) du processus d'expropriation des biens étrangers ; c) de la constitution d'un secteur public qui arrive à presque 50 % des investissements territoriaux annuels ; d) des processus d'industrialisation ; e) du processus d'urbanisation ; f) du processus de politique sociale dans le domaine des travaux publics, des salaires, du fisc, de l'éducation ; g) des changements dans les habitudes de consommation (sociale et personnelle) qui dérivent de ce processus ; h) des processus de politique sociale dans le domaine de la mobilisation de la population, de sa mobilité, des prestations et des salaires différentiels pour les classes travailleuses.

Suivant les calculs de Cline, partiellement basés sur d'autres calculs antérieurs de Iturriaga, entre 1895 et 1960, la classe haute passe de 1,5 % à 6,5 % du total ; la moyenne passe de 7,8 % à 33,5 %, la basse de 90,7 % à 60,0 %. Cline souligne, depuis 1940, l'apparition d'une couche ou d'une classe « de transition » qui va en augmentant depuis les niveaux les plus bas jusqu'à la classe moyenne, et qui constitue selon lui 6,5 % en 1940 et 20,0 % en 1960 du total de la population. Dans un autre regroupement peut-être moins optimiste, mais plus près de la réalité, Gonzalez Cosio calcule qu'entre 1900 et 1960 la haute classe reste presque sans changement (la proportion reste presque identique : 0,6 % et 0,5 % respectivement), la classe moyenne double (8,3-17,1), et la classe basse diminue de 91,1 à 82,4. Dans un nouveau type de regroupement, basé sur le revenu, Ifigenia Navarre te calcule que de 1950 à 1957, la classe basse diminue de 70 à 65 %, la classe moyenne passe de 18 à 19 %, la classe aisée de 7 à 11 %, et la classe riche reste stable : 5 %.

Toutes les données pourtant incertaines suggèrent un fait caractéristique du développement économique, qui s'accentue encore davantage avec les révolutions sociales, telles que celle qui a eu lieu au Mexique : la mobilité verticale des couches infé-

- 132 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

rieures vers les couches supérieures, l'avancement d'une classe à une autre, réalisé par de vastes noyaux de population, phéno- mène qui s'ajoute à l'élévation des niveaux de vie, provoqués par le développement et surtout l'énorme augmentation de la population participant à ce développement. De même, ce pro- cessus de mobilité sociale et de mobilisation stimule l'espérance d'amélioration individuelle, l'orgueil d'être admis à la parti- cipation au développement national, l'esprit de réforme dans les limites du chemin que la nation s'est tracé, et en même temps la naissance de la conscience de classe et de la politique de classe des travailleurs.

De plus, le développement comme accroissement de la pro- duction s'effectue au Mexique par des mesures politiques de répar- tition et d'expropriation de la richesse, et cela vient s'ajouter au fait que cette redistribution s'effectue automatiquement, grâce à l'urbanisation et à l'industrialisation. La vision politique et sociale de développement s'oriente dans le même sens, ce qui n'existait pas dans le modèle politique du capitalisme classique. Dans le cas du Mexique, ce développement se perçoit dans les formes concrètes qu'offrent les processus de mobilisation, de mobilité et de différenciation de la classe ouvrière, modèle qui s'ajuste politiquement à l'intégration des habitants à une « pleine citoyenneté », comme dirait Maréchal. Cette politique accentue les différences des travailleurs entre eux, alors que la précédente accentue les ressemblances entre les travailleurs participants et les autres classes participantes.

Les différences parmi les travailleurs sont sûrement plus grandes que celles existant entre un employé et un travailleur. Au point qu'il est fréquent que les travailleurs « en col bleu » gagnent plusieurs fois le salaire des travailleurs « en col blanc ». Les différences existent surtout entre les travailleurs marginaux et les travailleurs participants. Les travailleurs sont participants dans la mesure où ils s'urbanisent et où ils travaillent dans les industries et les services. C'est à eux que vont les meilleurs salaires et les prestations. Mais à l'intérieur de ce même secteur participant, il existe des différences notables de salaires et de prestations. L'Institut Mexicain de la Sécurité Sociale, avec les avantages qu'il représente, comprend 21,4 % de la force de travail (1960) et englobe les travailleurs de plus de 90 000 entre- prises industrielles, commerciales, de transport et de service. Il a commencé récemment à s'étendre vers les groupes de tra- vailleurs et les centres de production agricoles les plus avancés. Entre 1957 et 1961, un peu plus de 167 000 personnes employées dans ce genre d'établissement se sont incorporées chaque année au régime de la Sécurité Sociale. Le revenu moyen des travailleurs

- 133 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

assurés est plus du double du salaire minimum national, et il y a des branches industrielles où ce salaire représente le triple ou le quadruple du salaire minimum.

Toutes ces différences jouent en deux sens : a) en premier lieu, le fait d'être un travailleur n'a pas de signification générale, ne correspond pas à une catégorie générale ; les divisions entre les groupes à l'intérieur de la classe ouvrière sont plus importantes que les divisions entre la classe ouvrière et les autres classes. En tout cas, quand les travailleurs participants, qualifiés et spécialisés, parlent de lutte de classe et manient habilement le combat syndical, ils obtiennent de meilleures prestations, de meilleurs salaires et oublient le concept général de classe ; b) en second lieu, le développement du pays a permis, comme nous Pavons vu, une promotion des régions, des secteurs et des branches industrielles où le travail est moins rémunéré, vers les régions et les branches où il l'est davantage, et les taux rapides d'industrialisation ont donné lieu à une mobilité verticale très grande, où sont apparus les travailleurs qualifiés et en de nombreux cas les travailleurs spécialisés. Si l'on y ajoute la politique de prestations, de salaires et de traitements diffé- rentiels suivant le niveau de participation culturelle et politique des travailleurs, on voit s'intégrer une explication générale des facteurs qui ont œuvré contre l'existence d'une « conscience de classe » et d'une « action politique de classe » dans le secteur travail. - Par ailleurs, à la conscience d'appartenir au secteur participant du pays, d'avoir franchi « le mur de la ville », d'être un citoyen à part entière, ou en voie de le devenir, s'ajoute la conscience d'appartenir au groupe dominant, gouvernant, supé- rieur, face à la population marginale, face à ceux qu'on tend, sinon à mépriser, pour le moins à ignorer, du fait de leur isole- ment de la vie nationale.

Il s'agit là de deux phénomènes caractéristiques de la struc- ture globale, qui évidemment influent sur la conscience des groupes participants et sur leurs idéologies politiques. Chez les groupes participants de la classe ouvrière, parmi ses proclama- tions, ses manifestes, ses discours, ses revues, on peut remarquer des références constantes à 1' « unité nationale », à la « conscience nationale », identification des problèmes de la classe avec ceux de la Nation et de l'État, identification de la « conscience de classe » avec les « idéaux de la Révolution », éloges des natio- nalisations et des attitudes indépendantes du gouvernement mexicain face aux grandes puissances, éloges des mesures sociales du gouvernement en faveur des travailleurs : prestations, gra- tifications, livres de classe gratuits pour les enfants des tra- vailleurs, etc. Quand s'utilisent la terminologie et la rhétorique

- 134 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES CLASSES AU MEXIQUE

marxiste - héritage culturel de l'étape radicale de la révolution passée - on dit que la lutte de classe doit se baser sur les prin- cipes de la révolution mexicaine, on fait l'éloge simultané de « la lutte de classe » et de la révolution mexicaine, l'éloge du capitalisme face au féodalisme, la critique de l'impérialisme, l'éloge du syndicalisme comme facteur anti-impérialiste, la critique de la bourgeoisie pro-impérialiste (mettant à part la bourgeoisie nationale), la demande que l'État ne soit pas un État de classe, l'éloge du président pour ses actions et ses atti- tudes révolutionnaires, l'appui qu'il offre aux travailleurs - aug- mentation de salaires, répartition de bénéfices, prestations, ou pour ses mesures nationalistes - l'éloge du gouvernement et la critique des capitalistes ; on porte des accusations contre les « capitalistes » en tant qu'ennemis du gouvernement et de la classe ouvrière, on affirme que la « classe exploitée » est avec le gouvernement, que le meilleur instrument pour la lutte de la classe ouvrière est le P.R.I, (parti gouvernemental), et que le but final de la classe ouvrière est « d'en finir avec la bourgeoisie pro-impérialiste ». Au Mexique, la classe ouvrière ne paraît pas avoir conscience du problème de la population marginale ; rhétoriquement, on parle des « exploités », des « travailleurs », de l'unité avec les paysans, etc., mais ces luttes concrètes limitées aux organisations gouvernementales du secteur participant n'opè- rent qu'en faveur du secteur ouvrier participant, laissant isolé le secteur marginal tant du point de vue politique que du point de vue de l'organisation politique. Le problème des marginaux et la conscience de ce problème, y compris le problème indigène, correspondent à la conscience politique et morale de la classe dirigeante.

Au point de vue politique, la classe dirigeante a plus ou moins clairement conscience qu'il est nécessaire de continuer à absorber les marginaux pour maintenir la stabilité politique du pays, et depuis l'époque à laquelle démissionna Porfirio Diaz pour « l'amour de l'élévation du prolétariat marginal », époque durant laquelle les paysans insurgés de Zapata s'approchaient de la capitale, la classe dirigeante est consciente que l'union politique du prolétariat participant et marginal est un élément de trouble et d'explosion, que du reste elle attaque avec la plus grande efficacité. Ainsi le problème de la population marginale, qui constitue plus ou moins 60 % de la population du pays, est un problème dont a conscience la population dirigeante, et il en est de même du problème indigène. Du point de vue moral, ce sont les intellectuels et les fonctionnaires de la classe diri- geante qui se sont préoccupés de rechercher l'envergure et la solution de ces problèmes. Pour leur part, les groupes radicaux,

- 135 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

PABLO GONZALEZ-CASANOVA

imbus d'idéologie marxiste avec des attitudes de dépendance intellectuelle et d'imitation automatique des modèles marxistes, quand ils ne reconnaissent pas de primauté à la lutte nationale face à la lutte de classes, essaient de forcer la réalité jusqu'à trouver une « lutte de classes » imaginée qui corresponde au modèle marxiste, et expliquent le manque de conscience de classe au moyen de l'expédient consistant à dire que la classe ouvrière se trouve aliénée, sans considérer les différences struc- turales entre le secteur marginal et le secteur participant, comme la forme dynamique la plus caractéristique de la structure sociale du Mexique. Aux considérations présentées ci-dessus s'ajoute encore une autre constatation qui mérite d'être soulignée et qui va à l'encontre de l'existence au Mexique d'un système de classes suivant le modèle marxiste. En effet, le providentialisme et le paternalisme, caractéristiques de la société traditionnelle, paraissent posséder une plus grande vitalité dans les sociétés en voie d'industrialisation et d'urbanisation, quand, comme dans le cas du Mexique, se dessine une politique sociale en faveur des classes travailleuses qui recherchent l'équilibre entre le pro- cessus de mobilisation et de mobilité, en offrant des droits et des prestations plus importants aux individus et aux groupes, à mesure que ceux-ci acquièrent, par leur participation, les carac- téristiques culturelles propres à une société industrielle avancée... Évidemment, lorsque cette phase est atteinte, tout paternalisme disparaît, mais dans un pays en transition, comme le Mexique, le paternalisme et le providentialisme s'ajoutent à la « conscience nationale » pour effacer la « conscience de classe non prétendue, mais réelle ».

Dans la mesure où le pays maintiendra des taux élevés de développement et de mobilisation et où continuera la politique de mobilisation équilibrée, la sécurité politique et économique du système actuel a les plus grandes chances de durer. Dans ce cas, probablement, la structure sociale du Mexique ira en s'appro- chant de plus en plus de celle d'une société néo-capitaliste sans être passée pour autant par le stade classique du capitalisme. Cependant, dès maintenant se perçoit dans la société mexicaine le mélange sui generis de sous-développement et de néo-capitalisme.

Université de Mexico, Direction de V Institut de Sciences politiques.

- 136 -

This content downloaded from 91.229.229.49 on Thu, 12 Jun 2014 16:19:02 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions