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Colloque sur « La concurrence des organisations régionales en Afrique », organisé par les universités Montesquieu - Bordeaux IV et Cheikh Anta DIOP de Dakar, Bordeaux, 28 septembre 2009 LES CONFLITS ENTRE NORMES COMMUNAUTAIRES : ASPECTS POSITIFS ET PROSPECTIFS Filiga Michel SAWADOGO, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur titulaire, Université de Ouagadougou 1

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Colloque sur « La concurrence des organisations régionales en

Afrique », organisé par les universités Montesquieu - Bordeaux IV

et Cheikh Anta DIOP de Dakar,

Bordeaux, 28 septembre 2009

LES CONFLITS ENTRE NORMES

COMMUNAUTAIRES : ASPECTS POSITIFS ET

PROSPECTIFS

Filiga Michel SAWADOGO,Agrégé des Facultés de Droit,

Professeur titulaire,Université de Ouagadougou

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Introduction

Première Partie : Les conflits existants et leurs solutions

A- Les conflits entre normes UEMOA et OHADA

1) Les conflits en matière de droits comptables et de compensation2) Le conflit entre la « règle du zéro heure » et sa négation

B- Les conflits entre normes UEMOA et CEDEAO

1) Le conflit relatif à la ‘‘bonne pratique’’ en matière d’exportation 2) Les autres conflits de normes

Deuxième Partie : Les solutions générales aux conflits de normes

A- Les solutions préventives : la suppression des conflits potentiels

1) La bonne et stricte application des traités par les organes compétents2) L’option de la rationalisation comme solution

B- Les solutions curatives : la gestion des conflits

1) Le recours aux règles usuelles d’interprétation2) Les autres solutions

Conclusion

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Introduction

L’un des phénomènes majeurs des temps actuels, particulièrement enAfrique, est la multiplicité, dans un même espace, d’organisations d’intégrationdont les compétences se chevauchent avec une tendance à lajuridictionnalisation desdits processus d’intégration susceptible de débouchersur des conflits de compétence.

Quatre organisations retiennent particulièrement l’attention : l’UnionEconomique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), la CommunautéEconomique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), la CommunautéEconomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Organisationpour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), chacune deces organisations étant dotée d’une cour de justice. Aux quatre organisationssuscitées, on peut ajouter la Communauté Economique pour l’Afrique (CEA),l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), la ConférenceInterafricaine des Marchés de l’Assurance (CIMA) et la ConférenceInterafricaine de Prévoyance Sociale (CIPRES). Les conflits de compétence etsurtout de normes sont susceptibles de se poser du fait de l’existence denombreuses organisations pouvant produire des normes susceptibles d’entrer enconflit. En effet, ces organisations potentiellement peuvent être amenées, pourla réalisation de leurs objectifs, à adopter des normes plus ou moins liées audroit des affaires ou au droit économique1. Si chaque organisation légifère àpartir de ses compétences explicites (celles reconnues dans son texte institutif ouconstitutif) ou surtout implicites (les compétences ou les réglementationsnécessaires pour atteindre les objectifs poursuivis), pratiquement, tout le droitéconomique ou le droit des affaires dans ses aspects de droit public surtout maisaussi de droit privé peut être embrassé, même si certains traités prévoient leprincipe de l’« édiction minimale »2. Or, bon nombre d’Etats sont membres deplusieurs de ces organisations3. Mais il faut noter que certaines organisations1 Voy. dans ce sens Joseph Issa-Sayegh, « L’ordre juridique OHADA », Communication au colloqueARPEJE, ERSUMA, Porto-Novo, 3-5 juin 2004, ohada.com, Ohadata D-04-02, p. 5. 2 Voy. par exemple l’article 4, e), qui dispose : « Sans préjudice des objectifs définis dans le Traité del'UMOA, l'Union poursuit, dans les conditions établies par le présent Traité, la réalisation des objectifsci-après :

…e) harmoniser, dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les

législations des Etats membres et particulièrement le régime de la fiscalité ». 3 Sur ce point, M. Abdallah Benhamou relève avec justesse : « il est inutile de mentionner le fait qu’enAfrique quatorze pays seulement ne sont membres que d’un seul groupement ; seize paysappartiennent à trois groupements et plus ; deux pays (Burkina Faso et Mali) appartiennent à sixgroupements et le Niger est membre de sept groupements régionaux ». Voy. Abdallah Benhamou,« Les mutations du régionalisme dans les pays en développement », Revue Africaine de DroitInternational Comparé, n°4, Tome 8, 1996, p. 900. Voy. également CNUCED, Questions relatives àl’intégration régionale en Afrique, TD/B/39 (2)/ 11 février 1993.

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comme la CIPRES, la CIMA, l’OAPI… n’ont pas de cour de justice propre, sibien que la bonne application de leurs normes relève directement etexclusivement des juridictions nationales des Etats membres ou parties à leurstraités constitutifs.

Les réflexions au cours de la présente rencontre doivent concernerégalement les conflits de compétence entre les juridictions communautaires.Toutefois, les conflits de juridictions peuvent être suscités par les conflits denormes. Surtout, les conflits de juridictions perdraient une grande partie de leurintérêt s’ils ne recouvraient pas des conflits de normes. En effet, si les normes àappliquer sont les mêmes, quelle que soit la juridiction saisie, on devrait aboutirà la même solution, en supposant que la juridiction saisie se prononce demanière avisée, indépendante et impartiale. Par ailleurs, les conflits de normesintéressent hautement les juges et les juridictions puisqu’il leur revient de lestrancher si les législateurs concernés n’interviennent pas pour les régler. Il enrésulte que les conflits de normes semblent a priori mériter de retenir plusl’attention que les conflits de juridictions qui sont cependant réels4.

Les conflits potentiels de normes entre l’OHADA et l’UEMOA, ou avecsa sœur jumelle qu’est la CEMAC5, que nous allons aborder à titre principal,ainsi qu’avec la CEDEAO sont potentiellement nombreux et déjà significatifssur le plan pratique.

Il faut souligner d’emblée que les normes communautaires ont uneposition supra législative vis-à-vis des droits nationaux, peut-être même supraconstitutionnelle, si bien qu’il n’y a pas de conflit possible avec ceux-ci : il ne sepose que la question de la portée abrogatoire des droits communautaires6.

La place des normes CEDEAO, OHADA, UEMOA et CEMAC est doncsupra législative. « En raison de leur triple identité de caractère [applicabilitéimmédiate, effet direct et primauté], les règles communautaires de l’U.E.M.O.A.et les règles uniformes de l’O.H.A.D.A. se présentent dans les ordres juridiquesdes Etats membres avec un titre identique ou avec une égale vocation à régir lessituations qui entrent dans leur champ d’application respectif. C’est à ce niveauque se manifeste pleinement la possibilité d’incompatibilité entre les deuxprocessus d’intégration. […]. En l’absence de toute idée de hiérarchie entre droitcommunautaire et droit uniforme et en raison du titre prééminent que chacun de

4 Cf. article 10, f), du Protocole additionnel (A/SP.1/01/05) du 19 janvier 2005 portant amendement duprotocole (A/P.1/7 /91) relatif à la Cour de Justice de la Communauté.5 Nous considérons que les problèmes se posent grosso modo dans les mêmes termes avec la CEMAC.6 Il est certain que si le juge national se trouve devant un cas de contrariété entre une normecommunautaire et une norme nationale ou interne, il a le devoir de faire prévaloir la première. C’est ceque formule en termes exprès la Cour de Justice de l’UEMOA dans son avis du 18 mars 2003. Pourelle, « le juge national, en présence d’une contrariété entre le droit communautaire et une règle de droitinterne, devra faire prévaloir le premier sur la seconde en appliquant l’un et en écartant l’autre » (Avisn° 001/2003 du 18 mars 2003 sur demande d’avis de la Commission de l’UEMOA relative à lacréation d’une cour des comptes au Mali). La norme ainsi évincée subsiste-t-elle ou est-elle abrogée ?

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ses droits tient du système qui l’établit, le problème de leur incompatibilitédébouche sur un conflit inextricable »7 ou presque8.

Dans le même sens, depuis l’adoption du Protocole A/SP.1/06/06 du 14juin 2006 portant amendement du traité révisé de la CEDEAO, la nouvellenomenclature des normes CEDEAO est identique à celle de l’UEMOA puisqueselon le nouvel article 9, alinéa 1er, du Traité, « les actes de la Communauté sontdénommés Actes additionnels, Règlements, Directives, Décisions,Recommandations et Avis »9. En outre, ces nouvelles catégories de sources dudroit CEDEAO présentent les mêmes caractéristiques que celles de l’UEMOA10.

Or la place des autres normes du droit international, dont le nombre s’estaccru ces dernières années et probablement continuera de s’accroître, estégalement supra législative. Au plan interne, la disposition constitutionnelle quiaccorde une place supérieure aux normes internationales ne distingue pas entredroit international conventionnel général et droit international communautaire.Que décider alors en cas de conflit, d’une part, entre un acte de droitcommunautaire dérivé et l’une de ces normes internationales et, d’autre part,entre une norme OHADA et une norme UEMOA ou CEMAC ou CEDEAO ?11

Dans une approche générale, étant donné que les normes du droitinternational apparaissent variées, il faut se demander si les risques de conflitsont sérieux et si la probabilité de leur survenance paraît forte, avant de dégagerquelques pistes de solutions.

En fait, les conflits entre normes de droit international semblent rares, dumoins ceux qui sont connus de la justice et qui sont rapportés dans les revues.En « règle générale, ce conflit étant considéré comme équivalent au conflit entrenormes de droit interne, il est tranché selon les règles usuelles (lex superior, lexposterior, hiérarchie des valeurs, moindre grief, proportionnalité etharmonisation des intérêts en présence) quand on n’aboutit pas à uneinterprétation qui réussisse à harmoniser les normes »12. On peut penser qu’il y a

7 Demba Boubacar BA, « Le problème de la compatibilité entre l’UEMOA et l’OHADA », in Lalibéralisation de l’économie dans le cadre de l’intégration régionale : le cas de l’UEMOA, sous ladirection de Pierre MEYER, Publication du CEEI, n°3, Ouagadougou, Imprimerie Presses Africaines,2001, p. 176.8 Tout s’y passe comme si subitement il surgissait sur un terrain de football deux arbitres de champ ousur un navire deux capitaines dotés des mêmes prérogatives en vertu desquelles le capitaine est, aprèsDieu, le seul maître à bord !9 Article 42 du Traité de l’UEMOA.10 Cf. articles 9, al. 3, 4, 5, 6, 7 du Traité CEDEAO révisé et 43 du Traité UEMOA.11 Voy. sur cette question les actes du Colloque international de l’Association Ouest-Africaine desHautes Juridictions Francophones (AOA-HJF) sur le thème « L’application du droit international dansl’ordre juridique interne des Etats francophones ouest africains », Ouagadougou, 24-26 juin 2003 etnotre communication sur le thème « L’application du droit international dans les ordres juridiquesinternes des Etats francophones ouest africains : le cas des actes uniformes de l’OHADA » (encollaboration avec Luc Marius Ibriga).12 Da Cruz Rodrigues, « Rapport général du 6e congrès de l’Association Internationale des HautesJuridictions Administratives » sur « L’application du droit international par le juge administratif »,Lisbonne, 20-22 avril 1998, dactylographié, p. 21.

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lieu de tenir compte également du caractère universel ou non de la conventionou du traité, du nombre effectif de signataires et surtout des membres ayantratifié le traité. M. Carreau affirme la hiérarchie suivante : la supériorité du droituniversel sur le droit international régional (ou communautaire), la supérioritéde ce dernier sur le droit d’origine bilatérale et, enfin, la supériorité de la charteconstitutive des organisations internationales ou régionales sur leurs droitsdérivés13.

En droit comparé européen, la notion de spécificité du droitcommunautaire14 fait penser que celui-ci est au-dessus du droit conventionnelgénéral, ce qui peut sembler discutable, surtout s’il s’agit d’une convention àvocation universelle. A titre de droit comparé, l’on relève que l’Unioneuropéenne conclut elle-même des accords commerciaux, des accordsd’association ou des accords de coopération et, au sein de ses normes, M.Richard Ghevontian, à la lumière de la jurisprudence de la CJCE, dégage lahiérarchie suivante :

- au sommet se situe le droit primaire (traités fondateurs et traitésd’adhésion) ;

- ensuite viennent les principes généraux du droit ;- puis suivent les accords internationaux conclus par l’Union européenne ;- enfin vient le droit dérivé, avec dans l’ordre les mesures d’ordre général

(règlements et directives) et les mesures d’exécution15.Le conflit entre normes internationales, contrairement à ce que laisse

présager une première approche, est une réalité. L’opinion de M. GhislaineAlberton16, qui traite des relations normatives entre bloc de conventionnalité etbloc de constitutionnalité, est éclairante : le conflit est durable puisqu’il estrésolu en faveur du droit du juge saisi qui peut être un juge national ou un jugecommunautaire ou un juge chargé de l’application d’une convention. L’auteurpropose l’abandon de la thèse de la hiérarchie normative pour celle del’harmonie normative caractérisée par l’interprétation conciliatrice et l’égaliténormative des normes concernées.

Dans l’approche du conflit entre normes communautaires, on peutcommencer par faire le parallèle avec les conflits qui ont surgi entre normesconstitutionnelles et normes internationales, ce qui peut laisser penser quechaque juge communautaire saisi en cas de conflit de normes aura tendance àfaire triompher celles de sa communauté.

13 Dominique Carreau, Droit international, Paris, Les cours de droit, 1984, p. 88 à 103.14 On peut sans forcer les traits faire le parallèle avec les droits communautaires UEMOA et CEMACqui s’inspirent très largement de celui de l’Union européenne.15 Richard Ghevontian, Droit communautaire, Sirey, 2e éd., 2004, p. 100.16 Ghislaine Alberton, « De l’indispensable intégration du bloc de conventionnalité au bloc deconstitutionnalité ? », Revue française de droit administratif, n° 2, mars-avril 2005, p. 249 et s.

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Selon M. Alberton17, entre normes constitutionnelles et normesinternationales, donc entre bloc de constitutionnalité et bloc de conventionnalité,le risque de conflit est inévitable et il serait irréaliste de vouloir encore l’ignorer.Ce risque est d’autant plus réel que tout ordre juridique ne peut aujourd’hui seconcevoir qu’au pluriel et les conflits sont d’autant plus aigus que chaque ordrejuridique dispose de son propre juge pour les arbitrer. En présence d’un conflitentre deux règles relevant d’ordres juridiques distincts, il s’avère d’autant plusdélicat de déterminer laquelle des deux doit primer qu’une question préalable etdéterminante demeure sans réponse : où trouver la règle de résolution duconflit ? Il n’est nullement surprenant que, confronté à ce type de problème,chacun des juges concernés ait spontanément et logiquement fait prévaloirsa propre norme fondamentale, parce qu’étant celle qui assure l’unité dusystème juridique dont il est le garant, celle dont il tire en outre sonexistence et sa légitimité.

Ainsi la Cour internationale de justice estime qu’ « un Etat ne sauraitinvoquer vis-à-vis d’un autre Etat sa propre Constitution pour se soustraire auxobligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur ».Pour la Cour européenne des droits de l’homme, la solution est tout aussi claireet réside dans l’affirmation selon laquelle « la Convention ne fait aucunedistinction quant au type de norme en cause et ne soustrait aucune partie de lajuridiction des Etats membres à son empire ». Pour la Cour de justice desCommunautés européennes, il ne saurait en aller différemment parce qu’ « issud’une source autonome, le droit du Traité ne pourrait, en raison de sa naturespécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’ilsoit sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause labase juridique de la Communauté elle-même »18. C’est également la mêmeposition qu’adopte la Cour de Justice de l’UEMOA dans son avis n° 001/2003du 18 mars 2003 quand il affirme : « La primauté bénéficie à toutes les normescommunautaires, primaires comme dérivées, immédiatement applicables ou non,et s’exerce à l’encontre de toutes les normes nationales administratives,législatives, juridictionnelles et, même, constitutionnelles parce que l’ordrejuridique communautaire l’emporte dans son intégralité sur les ordres juridiquesnationaux. Les Etats ont le devoir de veiller à ce qu’une norme de droit national,incompatible avec une norme de droit communautaire qui répond auxengagements qu’ils ont pris, ne puisse pas être valablement opposée à celle-ci.Cette obligation est le corollaire de la supériorité de la norme communautairesur la norme interne. Ainsi le juge national, en présence d’une contrariété entrele droit communautaire et une règle de droit interne, devra faire prévaloir lepremier sur la seconde en appliquant l’un et en écartant l’autre ».

17 Ghislaine Alberton, De l’indispensable intégration du bloc de conventionnalité au bloc deconstitutionnalité ?, Revue française de droit administratif, n° 2, mars-avril 2005, p. 257.18 Voy. dans ce sens Ghislaine Alberton, op. cit, p. 257.

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Par définition, cette tendance à privilégier son droit de référence estégalement celle des juridictions nationales, chacune d’entre elles étantlogiquement tentée de s’en remettre à la norme suprême - la constitution - qui,au niveau interne, est censée détenir la clé de règlement d’un tel conflit.

Tout cela montre qu’il est probable que chacune des courscommunautaires, en présence d’un conflit entre une norme secrétée par sacommunauté et une norme émanant d’une autre communauté, aura tendance àfaire prévaloir systématiquement la première au détriment de la seconde.

Pour progresser dans l’examen de la question du conflit entre normescommunautaires, il convient d’adopter deux démarches successives : unepremière qui consiste à aborder les conflits existants ou manifestés en esquissantdes solutions (I), puis une seconde, plus générale, qui tente de dégager demanière abstraite des solutions pouvant tarir les conflits ou permettre de traiterceux qui, malgré tout, vont se manifester (II).

Première Partie : Les conflits existants et leurs solutions

Les exemples ci-dessous seront abordés en analysant le conflit de normespuis en tentant de dégager une solution qui se veut rationnelle. Ils concernentd’abord les conflits entre normes UEMOA et OHADA, ensuite les conflits entrenormes UEMOA et CEDEAO.

A- Les conflits entre normes UEMOA et OHADA

Plusieurs exemples peuvent être fournis à cet égard, sans prétendre àl’exhaustivité. Ils ont trait aux conflits entre droits comptables et à lacompensation ainsi qu’à la « règle du zéro heure ».

1) Les conflits en matière de droits comptables et de compensation

Ces deux questions seront successivement abordées. S’agissant des droits comptables, un tel conflit existe entre, d’une part,

l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités desentreprises sises dans les Etats parties au Traité relatif à l’harmonisation du droitdes affaires en Afrique (AUOHC), adopté à Yaoundé le 24 mars 2000,couramment appelé acte uniforme relatif au droit comptable et, d’autre part, lerèglement n°04/CM/UEMOA du 20 décembre 1996 portant adoption d’unréférentiel comptable commun au sein de l’UEMOA, dénommé SystèmeComptable Ouest Africain (SYSCOA). Ce conflit n’a plus une grande portéepratique puisque le règlement instituant le SYCOA a été modifié par le

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règlement n° 07/2001/CM/UEMOA du 20 septembre 200119 pour prendre encompte les modifications qu’impliquait l’Acte uniforme de l’OHADA, si bienque, au fond, ce sont substantiellement les mêmes règles qui sont applicablesdans les deux systèmes comptables.

Néanmoins, il est permis de penser qu’il aurait été préférable que les Etatsconcernés appliquent le même droit comptable, à savoir celui de l’OHADA, quiregroupe 16 Etats dont tous les 8 Etats de l’UEMOA20, quitte à ce quel’UEMOA et la BCEAO complètent ce dispositif par un ensemble de règlespropres ayant trait à la centrale des bilans, aux incidents de paiements, à laprofession comptable, etc. Ce ne serait qu’une juste application du principe dudegré de généralité. Si les Etats membres de l’UEMOA avaient voulu s’ysoustraire, ils auraient dû s’opposer, en son temps, à l’adoption de l’Acteuniforme sur le droit comptable en faisant usage des dispositions de l’article 8

du traité OHADA.Quant à l’admission de la compensation et son rejet, l’on observe aussi

une divergence entre l’OHADA et l’UEMOA sur la question de la compensation: alors que l’OHADA admet la compensation dans l’article 30, alinéa 2, del’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées derecouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE), l’UEMOA la proscrit àtravers sa directive n° 06/97/CM/UEMOA du 16 décembre 1997 portantrèglement général sur la comptabilité publique.

L’article 30, alinéa 2, de l’AUPSRVE consacre la possibilité decompensation des « dettes certaines, liquides et exigibles des personnes moralesde droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et lamission… avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dontquiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité ».

L’article 53 de la directive UEMOA est libellé comme suit :

19 Une autre modification a été opérée par le règlement n° 06/2004/CM/UEMOA du 17 septembre2004, qui touche le Chapitre 8 du Règlement n° 04/96/CM/UEMOA du 20 décembre 1996.20 La convention de Vienne sur le droit des traités fournit un éclairage sur la question. En effet, sonarticle 30 est ainsi libellé :

« 1. Sous réserve des dispositions de l'article 103 de la Charte des Nations Unies, les droits etobligations des Etats parties à des traités successifs portant sur la même matière sont déterminésconformément aux paragraphes suivants.

…3. Lorsque toutes les parties au traité antérieur sont également parties au traité postérieur, sans

que le traité antérieur ait pris fin ou que son application ait été suspendue en vertu de l'article 59, letraité antérieur ne s'applique que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles dutraité postérieur.4. Lorsque les parties au traité antérieur ne sont pas toutes parties au traité postérieur : a) dans les relations entre les Etats parties aux deux traités, la règle applicable est celle qui est énoncéeau paragraphe 3 ;

b) dans les relations entre un Etat partie aux deux traités et un Etat partie à l'un de ces traitésseulement, le traité auquel les deux Etats sont parties régit leurs droits et obligations réciproques ».

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« Les redevables de l’Etat et des autres organismes publics ne peuventopposer la compensation légale dans le cas où ils se trouvent dans le mêmetemps créanciers de l’Etat ou d’organismes publics.

Dans la même situation, préalablement à tout paiement, le comptablepublic doit opérer la compensation légale entre les dettes et les créancesassignées sur sa caisse ».

La compensation est ainsi refusée lorsqu’elle profite à une personneprivée qui l’invoque mais elle joue en faveur des personnes publiques et lecomptable public est tenu de l’invoquer.

Classiquement, ce régime juridique privilégié de la non-compensation secaractérisait également par l’absence d’application aux personnes publiques dessaisies et voies d’exécution en raison de l’immunité d’exécution des personnespubliques21 mais aussi des voies d’exécution indirectes telles que l’astreinte22 etla compensation. Mais l’évolution récente tend à apporter des atténuations oudes dérogations à ces principes, notamment en matière fiscale en ce quiconcerne la compensation23.

On pourrait, en tenant compte du sens de l’évolution, faire prévaloir larègle admettant la compensation comme favorisant les affaires et ledéveloppement économique. Il s’agirait d’une conception finaliste de la règle dedroit allant dans le sens des exigences minimales de justice : il n’est pas normalqu’une personne qui vous doit non seulement ne s’exécute pas mais puisse, enplus, vous obliger à vous exécuter.

L’éclairage du droit comparé montre que, dans le cas de la France oùl’immunité d’exécution ne joue pas pour les entreprises publiques revêtant uneforme de droit privé, les textes en vigueur ont organisé des procédures etmécanismes variées afin que les créanciers des personnes morales de droitpublic puissent être désintéressés dans des délais raisonnables. On peut se rallierà l’opinion d’auteurs célèbres pour qui, « autant on doit finalement admettre queles voies d’exécution du droit commun ne peuvent être diligentées contre elle[l’administration publique ou, de manière générale, la personne morale de droitpublic], autant on ne peut admettre qu’elle n’honore pas ses engagements »24.

21 L’immunité d’exécution est traitée par l’article 30 de l’acte uniforme portant organisation desprocédures simplifiées et des voies d’exécution en rapport avec la compensation. La question connaîtune certaine actualité depuis un arrêt de la CCJA de 2005. Voy. à ce sujet notre article sur « Laquestion de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droitOHADA (A propos de l’arrêt de la CCJA du 7 juillet 2005, affaire Aziablévi YOVO et autres contreSociété TOGO TELECOM) », Revue (belge) de droit international et de droit comparé, n° 2007/4, p.512-554. 22 Loïc Philip, Finances publiques, Cujas, 3e éd., 1989, n° 576.23 Jean-Claude Martinez, Pierre Di Malta, Droit budgétaire, Litec, 3e éd., 1999, n° 786. Les auteursécrivent que, « dans des hypothèses particulières, le créancier est autorisé à opposer lacompensation à une personne publique. Il en est ainsi en matière fiscale en vertu de l’article L. 80du Livre des procédures fiscales ».24 M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudenceadministrative, Dalloz, 15e éd., 2005, p. 671.

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En recourant à l’éclairage du droit comparé français, l’on note, dans lesens de la facilitation du paiement des créanciers de personnes publiques,l’existence :

- de la procédure d’inscription d’office, admise depuis longtemps avantmême qu’un texte ne la consacre25 ;

- la loi du 16 juillet 1980 (art. 911-9 du Code des juridictionsadministratives), qui permet au Conseil d’Etat de prononcer des astreintes26 et àtoute personne d’obtenir paiement des sommes d’argent qu’une personnepublique a été condamnée à lui payer, sous des conditions qui sont, entre autres,que la décision juridictionnelle soit passée en force de chose jugée et fixe elle-même le montant de la somme due, qu’il s’agisse de la décision d’unejuridiction judiciaire ou de celle d’une juridiction administrative ; la personnepublique doit s’exécuter dans les quatre mois en procédant à l’ordonnancementou au mandatement de la somme due, sinon le justiciable peut saisir lecomptable public d’une demande de paiement si c’est l’Etat qui est débiteur, oul’autorité de contrôle s’il s’agit d’une collectivité publique ou d’un établissementpublic27.

A cela s’ajoute la possibilité de donner une certaine publicité au refus del’administration d’ordonnancer une dépense publique régulière en soumettant lecas à la Commission du rapport et des études du Conseil d’Etat ou en saisissantle Médiateur ou ses représentants28.

C’est là un condensé des principes admis en France. Les Etats africains ne sont certainement pas insensibles à cette évolution

qui va dans le sens du renforcement de l’Etat de droit, du respect des obligationspesant sur les personnes publiques et, finalement, de la promotion desinvestissements et des entreprises que promeuvent les communautés. A titred’exemple, au Tchad, une loi de 1998 dispose que :

« Lorsque l’Administration est condamnée au paiement d’une sommedéterminée, elle est tenue de procéder à son mandatement dans les quatre (4)mois qui suivent la date où l’arrêt est devenu définitif.

Dans le cas contraire, le Comptable concerné, au vu de la grosse del’arrêt, en assure l’exécution d’office »29.

25 CE, 20 novembre 1908, Chambre de commerce de Rennes, Rec. 941 ; Sirey 1910, 3.12, note M.Hauriou.26 Le justiciable a « la possibilité de solliciter du juge administratif le prononcé d’une astreinte contretoute administration ou établissement public qui n’exécute pas proprio motu une décision rendue parune juridiction administrative » [Serge Guinchard et Tony Moussa (ouvrage collectif sous la directionde), Droit et pratique des voies d’exécution (juge de l’exécution, astreintes, expulsion, saisiesconservatoires, sûretés judiciaires, saisie - vente, saisie - attribution, saisie - appréhension, avis à tiersdétenteur, pensions alimentaires, saisie - contrefaçon, saisie immobilière, Alsace - Lorraine,distribution des deniers, mesures d’exécution contre l’Etat), 2004-2005, Dalloz Action, Dalloz, 2004,n° 152.11].27 Voy. dans ce sens Grands arrêts, op. cit., p. 671.28 Jean-Claude Martinez, Pierre Di Malta, op. cit., n° 786.

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D’une manière générale, la question de l’exécution des décisions dejustice, que ce soit contre des particuliers, des entreprises ou contrel’administration, retient l’attention des justiciables ces dernières années etl’administration du Trésor semble déployer des trésors d’ingéniosité pouraméliorer le paiement de la dette publique intérieure.

Au regard de cette évolution, et pour aller dans le sens du futur, il semblepréférable de consacrer la règle de l’admission de la compensation en faisantappel à une analyse finaliste.

Un autre conflit est relatif à la règle « du zéro heure ».

2) Le conflit entre la « règle du zéro heure » et sa négation

Il y a également un conflit de normes entre l’article 52 de l’Acte uniformede l’OHADA portant organisation des procédures collectives d’apurement dupassif (AUPC) et les articles 6 et 7 du règlement n° 15/2002/CM/UEMOA du 19septembre 20002 relatif aux systèmes de paiement dans les Etats membres del’UEMOA 30, de même que les articles 266 à 268 du règlement n°02/03/CEMAC/UMAC/CM du 4 avril 2003 relatif aux systèmes, moyens etincidents de paiement dans les Etats de la CEMAC.

Au titre de sa signification, la règle implique que le jugement quiprononce le redressement judiciaire ou la liquidation des biens produit ses effetsà partir de sa date, y compris à l’égard des tiers et avant qu’il ait été procédé à sapublicité. Le jugement d’ouverture entraîne, selon le cas, l’assistance ou ledessaisissement du débiteur en état de cessation des paiements. C’est ce quiressort des articles 52 et 53 de l’AUPC. En particulier, en cas de liquidation desbiens, le débiteur est dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biensprésents et de ceux qu’il peut acquérir à quelque titre que ce soit, sous peined’inopposabilité de tels actes, sauf s’il s’agit d’actes conservatoires. Toutcomme en France où existe une semblable formule31, il faut décider que lejugement prend effet dès la première heure du jour où il est rendu32, de sorte quel’hypothèque inscrite le même jour par un créancier est inopposable à la massedes créanciers33. C’est d’ailleurs dans ce sens que se prononçait la Cour de

29 Loi organique n° 006/PR/98 du 7 août 1998 portant organisation et fonctionnement de la Coursuprême (art. 102 se situant parmi les dispositions relatives à la Chambre administrative). La même loipoursuit :

« En cas de refus de l’Administration d’exécuter un arrêt de la Chambre Administrative dansun délai de six (6) mois révolus, le Président de la Chambre en informe par écrit le Président de laCour Suprême qui saisit le Procureur Général lequel adresse un rapport au Ministre intéressé avecampliation au Président de la République » (article 103). 30 Bulletin officiel de l’UEMOA, n° 28 de 2002, édition spéciale.31 Article L. 641-9-I, alinéa 1, du Code de commerce. Voy., pour la législation antérieure, le décret du21 avril 1988, article 14, alinéa 2.32 Philippe Delebecque et Michel Germain, Traité de droit commercial de Ripert et Roblot, LGDJ,tome 2, 16e éd., 2000, n° 2909.33 Com., 12 novembre 1979, Gazette du Palais, 1980, 1, Somm., p. 139.

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cassation française avant 196034. C’est la fameuse règle du « zéro heure » quientraîne une légère rétroactivité du jugement d’ouverture de la procédurecollective mais dont les conséquences ne sont pas nécessairement bénignes.

La « règle du zéro heure » présente des avantages et desinconvénients.

Dans le droit commun des procédures collectives, la « règle du zéroheure » présente l’avantage de supprimer toutes les difficultés ayant trait à ladétermination du moment précis du prononcé et du début des effets de ladécision d’ouverture. Cela permet de rendre inopposables à la masse des actesfaits dans la journée du prononcé de la décision d’ouverture, lesquels ont defortes chances d’être teintés de fraude émanant du débiteur aux abois ou de sescréanciers. Ce faisant, la règle favorise le sauvetage de l’entreprise et l’égalité detraitement des créanciers. Ainsi, il a été décidé en France que le défaut depublication d’un jugement de redressement judiciaire n’a pas d’incidence surl’interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement, c’est-à-dire tout paiement fait après la première heure du jour de son prononcé35. Endéfinitive, le dessaisissement se produit de manière plus précoce avec la « règledu zéro heure ».

Toutefois, la « règle du zéro heure » n’a pas que des avantages. Ellecomporte même des inconvénients manifestes dans le cadre des paiementsinterbancaires. Ainsi, selon les principes fondamentaux pour les systèmes depaiement d’importance systémique, la règle « du zéro heure » a pour effetd’invalider toutes les transactions effectuées par le participant en faillite dès ledébut (« zéro heure ») du jour de mise en faillite (ou d’un événementcomparable). Dans un système de paiement à règlement brut en temps réel, lesconséquences pourraient être la révocation des paiements qui apparaissaient déjàréglés et que l’on pensait définitifs. Dans un système à règlement net différé,une telle règle pourrait entraîner l’annulation de la compensation de toutes lestransactions. Cela impliquerait de recalculer toutes les positions nettes etpourrait provoquer de profondes modifications des soldes des participants. Dansles deux cas, des répercussions systémiques pourraient s’ensuivre. Le risquesystémique est, par exemple, celui que l’incapacité d’un participant au systèmefinancier à remplir ses obligations entraîne, pour les autres institutionsfinancières, l’impossibilité de s’acquitter en temps voulu de leurs propresobligations36. C’est, en d’autres termes, le risque de faillites en chaîne ou, tout aumoins, de perturbation grave d’un système huilé.

34 Com., 10 avril 1957, Gaz. Pal, 1957.2.64.35 C. Humann, note sous Cour d’appel de Rennes, 19 septembre 1999, Crédit industriel de Normandiecontre Maître Lize, ès qualité, JCP Entreprise et Affaires, n° 40, 16 novembre 2000, 1812-1814.36 Comité sur les systèmes de paiement et de règlement, Principes fondamentaux pour les systèmes depaiement d’importance systémique, Rapport de janvier 2001 du Groupe de travail sur les principes etpratiques applicables aux systèmes de paiement, travaux menés sous l’égide de la Banque desrèglements internationaux, encadré 1.

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C’est pour cela que l’exposé des motifs du règlement UEMOA du 19septembre 2002 souligne que la sécurité des systèmes de paiement « implique lareconnaissance de l’irrévocabilité des transactions qui y ont été effectuées àpartir d’un certain moment ».

La dérogation est apportée par les articles 6 et 7 du règlement del’UEMOA qui ont des équivalents dans le règlement de la CEMAC du 4 avril2003 (art. 266, 267 et 268), les deux règlements puisant leur source dans le droitcomparé et la pratique internationale37.

Selon l’article 6 : « Nonobstant toute disposition contraire, les ordres detransferts introduits dans un système de paiements interbancaires conformémentaux règles de fonctionnement dudit système sont opposables aux tiers et à lamasse et ne peuvent être annulés jusqu’à l’expiration du jour où est rendu lejugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou deliquidation des biens à l’encontre d’un participant, même motif pris qu’estintervenu ce jugement.

Ces dispositions sont également applicables aux ordres de transfertdevenus irrévocables. Le moment auquel un ordre de transfert devientirrévocable dans le système est défini par les règles de fonctionnement duditsystème ».

Quant à l’article 7, il dispose que : « Nonobstant toute dispositioncontraire, la compensation effectuée en chambre de compensation ou à un Pointd’Accès à la Compensation dans le respect des règles de fonctionnement dusystème de paiement interbancaire concerné est opposable aux tiers et à la masseet ne peut être annulée au seul motif que serait intervenu un jugementd’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation desbiens à l’encontre d’un participant audit système ».

C’est dire que dans les conditions définies par les articles 6 et 7 durèglement UEMOA, il est impérativement dérogé à la règle du « zéro heure », cequi est de nature à sécuriser les systèmes de paiement. En effet, les paiementsrégulièrement effectués ne peuvent être remis en cause rétroactivement. Bienplus, ceux qui sont effectués dans la journée du prononcé du jugement sontvalables. Il en est de même de la compensation régulièrement effectuée.

Comment concilier ces dispositions ? Tout simplement en considérantl’une comme la règle et l’autre comme l’exception, comme nous y invitent lerèglement de l’UEMOA et celui de la CEMAC : ainsi, la règle générale serait

37 Du fait des inconvénients de la règle du « zéro heure », le Groupe de travail sur les principes etpratiques applicables aux systèmes de paiement, fonctionnant au sein du Comité sur les systèmes depaiement et de règlement sous l’égide de la Banque des règlements internationaux, a préconisé sonabandon par les Etats qui la reconnaissent. Par la suite, l’Union européenne l’a circonscrite dans ladirective 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 1998 concernant le caractèredéfinitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres. EnFrance, cette directive a été incorporée par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 qui a modifié la loibancaire du 24 janvier 1984 dans son article 93-1 devenu l’article L. 330-1 du Code monétaire etfinancier.

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celle de l’OHADA qui entraîne que le « zéro heure » reste en vigueur dans tousles domaines à titre de principe et l’exception serait constituée par lesdispositions des règlements UEMOA et CEMAC qui l’écartent dans lesdomaines qu’ils visent. On peut invoquer à l’appui d’une telle solution lacompétence de l’UEMOA-BCEAO ou de la CEMAC-BEAC en matièremonétaire et bancaire, ou faire appel au critère de spécificité qui entraînel’application de la maxime ‘‘specialia generalibus derogant’’ qui veut que leslois spéciales dérogent aux lois qui ont une portée générale ou subsistent malgrécelles-ci. Une telle approche ne nous paraît pas déraisonnable. Il en résulteraitainsi une certaine coordination permettant à chaque règle d’avoir un domained’application. Mais cela ne permet pas de savoir dans quel sens se prononcerontla Cour de l’UEMOA, celle de la CEMAC et la CCJA de l’OHADA 38.

Peut-être qu’une implication de la BCEAO et de la BEAC dans leprocessus d’adoption de l’AUPC aurait permis d’insérer directement ladérogation dans l’Acte uniforme39.

Au-delà de la relation UEMOA-OHADA, force est de constater que lesconflits de normes existent également entre l’UEMOA et la CEDEAO.

B- Les conflits entre normes UEMOA et CEDEAO

A cet égard, un exemple a pu être relevé, qui a trait à l’admission et aurejet de la libre pratique40 en matière de réexportation. Toutefois, il est possibled’en relever d’autres.

1) Le conflit relatif à la ‘‘libre pratique’’ en ma tière de réexportation

C’est l’un des principaux exemples de conflits que l’on peut relever entreles normes des deux organisations41. On a l’impression, peut-être inexacte, queles conflits sont plus rares parce que la CEDEAO a moins légiféré quel’UEMOA et que sa réglementation est moins tatillonne et moins d’application

38 Il y a moins de mystère pour la Cour de Justice de l’UEMOA dans la mesure où le règlement lui-même considère la règle UEMOA comme une dérogation. Il n’en est pas de même de la CCJA qui,peut-être, ne s’attend pas à ce qu’une autre organisation vienne limiter la portée des règles uniformes.39 Mais peut-être que les travaux au sein du Comité de Bâle sur les systèmes de paiement n’étaient passuffisamment avancés au moment de l’adoption de l’acte uniforme sur les procédures collectives.40 Il y a libre pratique dans un processus d’intégration quand l’espace communautaire est considérécomme un seul et même espace douanier pour les produits tiers ayant acquitté le tarif extérieurcommun (TEC) du fait de l’abolition des frontières internes. Ce faisant, un produit tiers ayant acquittéle TEC doit pouvoir circuler librement sans avoir à supporter de taxation de porte lors dufranchissement d’une frontière interne. 41 Luc Marius IBRIGA, La cohabitation UEMOA- CEDEAO-OHADA : conflits de compétences –conflits de normes, Communication au colloque sur la mise en cohérence des processus d’intégrationéconomique et juridique (OHADA-UEMOA-CEDEAO), Ouagadougou, 8-10 janvier 2007,dactylographiée, p. 10.

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directe (ce n’est plus le cas depuis le Protocole A/SP.1/06/06) que celle del’UEMOA, surtout si l’on se situe dans un Etat membre de l’UEMOA.

Le juge national, appelé à trancher les conflits de normes constate desdistorsions entre les schémas matériels UEMOA et CEDEAO (dissymétrie dansles rythmes de désarmement et alourdissement de la charge fiscale supportée parles particuliers).

En la matière, la question de la réexportation, c’est-à-dire l’exportationd’un Etat membre dans un autre Etat membre de marchandises préalablementimportées d’un pays tiers, est symptomatique des difficultés qui ne manquerontpas de surgir pour les particuliers du fait de la non concordance des systèmesUEMOA et CEDEAO42. En effet, dans la CEDEAO, l’article 45 du Traité réviséde 1993 dispose : « Lorsque des droits de douane ont été imposés et perçus surdes marchandises importées d’un pays tiers par un Etat membre, la réexportationde ces marchandises vers un autre Etat membre est réglementée par lesdispositions du protocole relatif à la réexportation des marchandises au sein dela Communauté »43. L’article 2 dudit protocole préconise la solution suivante encas de réexportation : « Lorsque les marchandises, importées d’un pays tiersdans un Etat membre de la Communauté ont acquitté les droits de douane danscet Etat, désigné dans le présent paragraphe ‘‘Etat de recouvrement’’, sonttransférées dans un autre Etat membre de la Communauté, désigné dans leprésent paragraphe ‘‘Etat de consommation’’, les dispositions suivantes serontappliquées :

a) l’Etat de recouvrement prélève une redevance administrative de 0,5%de la valeur CAF sur chaque lot de marchandises réexporté ;

b) l’Etat de recouvrement rembourse à l’importateur établi sur sonterritoire la totalité des droits perçus sur ces marchandises ; les coûts tels que lavaleur CAF, les frais portuaires, le fret, etc. imputables à l’importation doiventêtre inclus dans le prix facturé à l’importateur de l’Etat de consommation ;

c) l’Etat de consommation impose et perçoit les droits payables sur cesmarchandises ».

L’exemple ci-après permet de mesurer les conséquences des divergencesde réglementation entre l’UEMOA et la CEDEAO en matière de réexportation.« Une entreprise d’importation de matériel informatique de nationalité togolaiseimporte des ordinateurs au Togo et acquitte des droits de douane pour le comptedu fisc togolais. Par la suite, ces ordinateurs sont expédiés sur le Burkina Fasopour y être vendus. Selon le droit positif CEDEAO, l’entreprise importatricedoit se faire rembourser par le fisc togolais les droits acquittés, ce dernier nepouvant retenir qu’une redevance administrative de 0,5% puisqu’elle aura à

42 Les développements sur cette question reprennent les analyses de M. Y. Batchassi sur « Le Schémad’intégration de la CEDEAO », CEEI, document dactylographié, 1999, p. 109-110.43 Le Protocole relatif à la réexportation dans la CEDEAO des marchandises importées de pays tiers aété adopté le 5 novembre 1976. Cf. Rec. PCD, p. 98.

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supporter les droits de douane au Burkina Faso »44. L’application d’une telledisposition vise à éviter la double imposition et à permettre l’exercice de la librepratique45. Malheureusement, et malgré l’existence d’un Tarif ExtérieurCommun (TEC), ce mécanisme n’est pas prévu par l’UEMOA qui, d’ailleurs,exclut pour l’heure la libre pratique. En effet, un produit tiers mis à laconsommation dans un Etat membre A, et qui a donc acquitté le TEC, est ànouveau assujetti au TEC lors de sa réexportation dans un Etat membre B46.Ceci revient à faire supporter audit produit une double imposition, toutes chosesqui sont contraires aux dispositions de l’article 40 § 5 du Traité CEDEAO quidispose que « les Etats membres s’engagent à éviter la double imposition descitoyens de la Communauté et se prêter mutuellement assistance pour luttercontre la fraude fiscale internationale ». C’est dire qu’en cas de réexportationdans l’UEMOA, l’importateur initial ou ‘‘l’importateur-réexportateur’’ subit unetaxation, puis l’importateur final est taxé à son tour, tout cela étant supporté parle consommateur final qui se trouvera doublement taxé, à moins que les partiesne revendiquent la disposition de la CEDEAO en la matière47.

La solution que l’on peut préconiser est bien sûr celle de la CEDEAO :elle est plus conforme aux objectifs poursuivis par les deux communautés. Deplus, l’UEMOA existe parce qu’elle est censée être plus avancée dans leprocessus d’intégration. Par ailleurs, la CEDEAO comportant plus de membres,ses normes devraient l’emporter sur celles de l’UEMOA en cas de conflit. Maisla solution devra être appliquée avec la rigueur nécessaire pour éviter la fraude.

Il convient de relever plus succinctement l’existence d’autres conflits denormes entre ces deux organisations.

2) Les autres conflits de normes

Sans faire d’efforts particuliers, on peut noter les exemples ci-après.En premier lieu, l’on relève, en matière de libre circulation des biens,

une contradiction ayant trait à la notion de produit originaire industriel .S’agissant de la CEDEAO, il ressort de son droit positif actuel48 que les

produits originaires de la Communauté sont des marchandises :

44 Y. Batchassi, op.cit., p. 109.45 C’est-à-dire la création d’une aire commerciale unique se substituant aux aires nationales qu’ellefusionne. La fiscalité de porte applicable en l’espèce l’est dans les mêmes conditions que si l’on étaiten présence d’un seul et même Etat. Ce faisant, les produits ne doivent en aucune manière êtreassujettis à une double imposition.46 C’est dire que malgré l’établissement du TEC, l’UEMOA ne constitue pas encore une zonecommerciale unique.47 Y. Batchassi, op. cit., p. 110.48 Il s’agit du protocole du 5 novembre 1976 relatif à la définition de la notion de produits originairesdes Etats membres de la CEDEAO et ses différents protocoles additionnels modificatifs :

- protocole A/SP.1/5/79 du 29 mai 1979 portant amendement du texte français du protocolerelatif à la définition de la notion de produits originaires des Etats membres, J.O. vol.1, Rec. PCD,p.70 ;

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- entièrement obtenues dans un pays membre (les matières premières toutcomme tout le processus de fabrication émanent d’un Etat membre) ;

- obtenues à partir de matières premières d’origine communautaire dont lavaleur est égale ou supérieure à 40% du coût total des matières premières misesen œuvre ou dont la quantité est égale ou supérieure à 60% de l’ensemble desmatières premières utilisées ;

- obtenues à partir de matières premières d’origine étrangère ouindéterminée dont la valeur CAF ne dépasse pas 60% du coût total des matièrespremières utilisées ;

- obtenues à partir de matières premières d’origine étrangère ouindéterminée ayant reçu, dans le processus de fabrication, une valeur ajoutéed’au moins 35% du prix de revient ex-usine hors taxe du produit fini.

Du côté de l’UEMOA, la règle d’origine des produits industriels a étédéterminée par l’acte additionnel n° 04/96 du 10 mai 199649. Par règle d’origine,il faut entendre le critère de reconnaissance à un produit de la qualification deproduit originaire. Aux termes de l’article 7 de l’acte additionnel n° 04/96, sontconsidérés comme produits industriels originaires :

- les produits industriels dans la fabrication desquels sont incorporées desmatières premières communautaires représentant en quantité au moins 60% del’ensemble des matières premières utilisées ;

- les produits industriels obtenus à partir des matières premières importéesdes pays tiers ou dans la fabrication desquels les matières premièrescommunautaires utilisées représentent en quantité moins de 60% de l’ensembledes matières premières mises en œuvre, lorsque la valeur ajoutée est au moinségale à 40% du prix de revient ex-usine, hors taxe de ces produits.

La contradiction ou le conflit découle de la différence entre les tauxd’ouvraison exigés pour qu’un produit soit considéré comme originaire de laCommunauté : 40% dans l’UEMOA et 35% dans la CEDEAO. Ce faisant, desproduits ayant 35% de taux d’ouvraison pourraient se voir refuser la qualité deproduit originaire si les services des douanes appliquent le droit UEMOA etignorent le droit CEDEAO.

Sur ce point, au regard des réalités économiques mondiales, il semblepréférable d’opter pour la règle la plus souple, c’est-à-dire celle de la CEDEAO.D’ailleurs, le problème a été résolu par le Protocole additionnel n° III- 2001 du

- protocole A/SP.2/5/79 du 29 mai 1979 portant amendement du protocole relatif à ladéfinition de la notion de produits originaires des Etats membres, idem, p.71 ;

- protocole A/SP.3/5/80 du 28 mai 1980 portant modification de l’article 8 du texte français duprotocole relatif à la définition de la notion de produits originaires des Etats membres, J.O. vol.2, Rec.PCD, p.73 ;

- protocole A/SP.4/5/81du 29 mai 1981 modifiant l’article 2 du protocole relatif à la définitionde la notion de produits originaires des Etats membres, J.O. vol.3, Rec. PCD, p.7549 Acte additionnel instituant un régime préférentiel transitoire des échanges au sein de l’UEMOA etson mode de financement. Il reprend une distinction qui avait cours sous l’empire de la défunteCEAO.

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19 décembre 2001 instituant les règles d’origine des produits de l’UEMOA quiretient également une distinction tripartite mais quelque peu originale et qui faitétat d’un taux d’ouvraison de 30%50. Il en résulte que c’est maintenant laCEDEAO qui est plus exigeante.

En second lieu, en matière de libre circulation des personnes, lesconditions de jouissance de cette liberté et du droit d’établissement par lespersonnes physiques ne sont pas exactement les mêmes dans les deuxorganisations.

S’agissant de la CEDEAO, les bénéficiaires des droits d’entrée, derésidence et d’établissement doivent être « citoyens de la Communauté ». Auxtermes de l’article 1er du Protocole A/P. 3/5/82 du 29 mai 1982 portant code dela citoyenneté de la Communauté signé à Cotonou51 est citoyen de laCommunauté :

« - toute personne qui, par descendance, a la nationalité d’un Etatmembre et qui ne jouit pas de la nationalité d’un Etat non-membre de laCommunauté ;

- toute personne qui a la nationalité d’un Etat membre par le lieu denaissance et dont l’un ou l’autre des parents est citoyen de la Communauté, àcondition que cette personne, ayant atteint l’âge de 21 ans, opte pour lanationalité de cet Etat membre ;

- toute personne naturalisée d’un Etat membre qui renonce expressémentà la nationalité d’un Etat non-membre ».

En substance, la citoyenneté CEDEAO exclut la ‘‘bipatridie’’ ou la‘‘pluripatridie’’ lorsqu’elles mettent en cause la nationalité d’un Etat non-membre. En revanche, la ‘‘bipatridie’’ ou la ‘‘pluripatridie’’ sont acceptéeslorsqu’elles concernent les nationalités des Etats membres de la CEDEAO. Pourprendre un exemple concret, un Togolo-Burkinabè est citoyen CEDEAO tandisqu’un Belgo-Burkinabè ne l’est pas. Si ce Belge voulait jouir de la citoyennetéCEDEAO, il doit au préalable renoncer à sa nationalité belge. Cette conception,très restrictive de la notion de citoyen communautaire retenue par la CEDEAOne tient pas compte de la réalité actuelle. Dans un monde où les hommes sont deplus en plus mobiles et les mariages internationaux de plus en plus fréquents,cette restriction apparaît fortement critiquable.

Du côté de l’UEMOA, le principe de la libre circulation des personnes estformellement posé aux articles 91 et 92 du traité.

Aux termes de l’article 91, cette liberté implique : « - l’abolition entre les ressortissants des Etats membres de toute

discrimination fondée sur la nationalité, en ce qui concerne la recherche etl’exercice d’un emploi, à l’exception des emplois dans la fonction publique ;

50 Voy. pour plus de développements F. M. Sawadogo et S. Dembélé, Précis du droit fiscal burkinabè,Presses africaines, Ouagadougou, 2004, n° 584 et s.51 J.O., vol. 4, Rec. PCD, p. 15.

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- le droit de se déplacer et de séjourner sur le territoire de l’ensemble desEtats membres ;

- le droit de continuer à résider dans un Etat membre après y avoir exercéun emploi ».

L’article 92, 1), poursuit : « les ressortissants d’un Etat membrebénéficient du droit d’établissement à l’intérieur de l’Union » et l’article 93affirme que « les ressortissants de chaque Etat membre peuvent fournir desprestations de service dans un autre Etat membre dans les mêmes conditions quecelles que cet Etat impose à ses propres ressortissants ».

La contradiction, finalement, réside dans le fait que la jouissance de lalibre circulation des personnes et celle du droit d’établissement sontconditionnées à la possession du statut de citoyen de la Communauté dans laCEDAO alors que, dans l’UEMOA, la condition est d’en être ressortissant.Ainsi, un ressortissant d’un pays de l’UEMOA peut se voir refuser le libre accèsau territoire d’un Etat de la CEDEAO non membre de l’UEMOA parce qu’il aen plus la nationalité d’un Etat non membre de la CEDEAO.

En troisième lieu, l’on peut signaler, pour finir sur ce point, lapotentialité d’un conflit de normes dans le domaine des technologies del’information et de la communication (TIC). En effet, chacune desorganisations, d’abord l’UEMOA, surtout au cours de l’année 200652, ensuite laCEDEAO, principalement en 200753, a abondamment légiféré dans ce domaine.On peut a priori penser qu’il n’y aura pas beaucoup de contradictions dans la

52 Au titre de l’UEMOA, on note les directives ci-après :- la Directive n° 01/2006/CM/UEMOA du 23 mars 2006 relative à l’harmonisation des

politiques de contrôle et de régulation du secteur des télécommunications ; - la Directive n° 02/2006/CM/UEMOA du 23 mars 2006 relative à l’harmonisation des

régimes applicables aux opérateurs de réseaux et fournisseurs de services ; - la Directive n° 03/2006/CM/UEMOA du 23 mars 2006 relative à l’interconnexion des

réseaux et services de télécommunications ; - la Directive n° 04/2006/CM/UEMOA du 23 mars 2006 relative au service universel et aux

obligations de performance du réseau ; - la Directive n° 05/2006/CM/UEMOA du 23 mars 2006 relative à l’harmonisation de la

tarification des services de télécommunications. 53 Voy. au titre de la CEDEAO :

- l’Acte Additionnel A/SA 1/01/07 de la CEDEAO du 19 janvier 2007 relatif àl’harmonisation des politiques et du cadre réglementaire du secteur des technologies de l’informationet de la communication (TIC) ;

- l’Acte Additionnel A/SA 2/01/07 de la CEDEAO du 19 janvier 2007 relatif à l’accès et àl’interconnexion des réseaux et services du secteur des TIC ;

- l’Acte Additionnel A/SA 3/01/07 de la CEDEAO du 19 janvier 2007 relatif au régimejuridique applicable aux opérateurs et fournisseurs de services ;

- l’Acte Additionnel A/SA 4/01/07 de la CEDEAO du 19 janvier 2007 relatif à la gestion de lanumérotation ;

- l’Acte Additionnel A/SA/ 5/01/07 de la CEDEAO du 19 janvier 2007 relatif à la gestion duspectre des fréquences radioélectriques ;

- l’Acte Additionnel A/SA 6/01/07 de la CEDEAO du 19 janvier 2007 relatif à l’accèsuniversel / service universel.

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mesure où la CEDEAO a dû s’appuyer sur le travail réalisé par l’UEMOA54

mais tout conflit n’est pas exclu en raison de l’envergure de la législation sur lesTIC dans les deux organisations. Pour les solutions aux conflits éventuels, onpourrait invoquer en faveur des règles de la CEDEAO la postériorité et le faitque cette organisation comprend tous les Etats membres de l’UEMOA.

Les exemples ci-dessus montrent que le conflit de normes n’est pas unesimple hypothèse d’école. Le conflit est une réalité et les solutions qui s’offrentproduisent des effets souvent diamétralement opposés et ont donc une portéepratique certaine.

Il convient d’aborder cette fois-ci la question des solutions des conflitsd’une manière plus générale et abstraite.

Deuxième Partie : Les solutions générales aux conflits de normes

Trouver des solutions aux conflits de normes n’est pas chose aisée dans lamesure où chacune des organisations a dû prendre en compte un certain nombrede facteurs pour élaborer ses normes. De plus, il n’est pas certain quel’unanimité se fasse sur la pertinence de telle ou telle solution qui pourrait êtreproposée. C’est dire donc que ce sont de simples suggestions qui serontformulées.

A cet égard, les solutions ci-dessous, qui ne sont pas exhaustives, peuventêtre regroupées selon qu’elles tendent à prévenir les conflits ou qu’elles essaientde trouver un traitement adéquat aux conflits nés.

A- Les solutions préventives : la suppression des conflits potentiels

Les solutions préventives, qui tendent à supprimer la possibilité deconflits, sont préférables, quand il en existe, à celles qui consistent à les traiter.Ne dit-on pas que mieux vaut prévenir que guérir ?

La principale de ces solutions nous semble résider dans la bonne et stricteapplication des traités existants par les organes compétents. Mais il en existed’autres.

1) La bonne et stricte application des traités par les organescompétents

54 On signalera qu’une étude, sous l’égide de la Commission Économique des Nations Unies pourl’Afrique, de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest et de l’UnionÉconomique et Monétaire Ouest Africaine a été réalisée sur l’ « Harmonisation du cadre juridique desTIC dans les Etats d’Afrique de l’ouest (UEMOA-CEDEAO), Propositions de lignes directrices » enjuillet 2007 par le Pr Abdoullah Cissé.

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Elle est de nature à contribuer efficacement à l’élimination dans l’œuf desgermes de conflit.

Chacun des traités concernés par l’étude a été adopté en n’ignorant pasl’existence d’autres traités. C’est pourquoi on trouve dans les traités en vigueurdes dispositions qui invitent à la coopération avec les autres organisationsrégionales ou sous-régionales existantes et entre les Etats membres afin d’éviterles contradictions mais, apparemment, on n’accorde pas jusqu’à présent toutel’attention nécessaire à de telles dispositions. A ce titre, certaines dispositionsdes traités de l’UEMOA, de la CEDEAO et de l’OHADA méritent d’êtresignalées.

En premier lieu, l’on peut noter les articles 13, 14 et 60, alinéa 2, duTraité de l’UEMOA .

Selon l’article 13 du Traité, « l’Union établit toute coopération utile avecles organisations régionales ou sous-régionales existantes. Elle peut faire appel àl’aide technique ou financière de tout Etat qui l’accepte ou d’organisationsinternationales, dans la mesure où cette aide est compatible avec les objectifsdéfinis par le présent Traité.

Des accords de coopération et d’assistance peuvent être conclus avec desEtats tiers ou des organisations internationales, selon les modalités prévues àl’article 84 du présent Traité ».

Même s’il n’est pas fait état de coordination des législations, il estprobable qu’une franche coopération ou collaboration entre les organisations nepeut éviter d’aborder ces questions.

Quant à l’article 14, il prévoit que « dès l'entrée en vigueur du présentTraité, les Etats membres se concertent au sein du Conseil afin de prendre toutesmesures destinées à éliminer les incompatibilités ou les doubles emplois entre ledroit et les compétences de l’Union, d’une part, et les conventions conclues parun ou plusieurs membres, d’autre part, en particulier celles instituant desorganisations économiques internationales spécialisées ».

Enfin, l’article 60, alinéa 2, affirme que « ... la conférence tient comptedes progrès réalisés en matière de rapprochement des législations des Etats de larégion, dans le cadre d’organismes poursuivant les mêmes objectifs quel’Union ». On a presque l’impression que le Traité de l’UEMOA vise ici laCEDEAO, l’OHADA, la CIPRES, la CIMA, l’OAPI, etc.

Sur ce plan, les choses sont moins nettes au niveau des traités de laCEDEAO et de l’OHADA.

Ainsi, en second lieu, et relativement à la CEDEAO, on note que, dansle même ordre d’idée, l’article 5, alinéa 1er, du Traité dispose que « les Etatsmembres s’engagent […] en particulier à prendre toutes mesures requisespour harmoniser leurs stratégies et politiques et à s’abstenir d’entreprendretoute action susceptible d’en compromettre la réalisation ». L’harmonisation des« stratégies et politiques » des Etats membres peut inclure celle des législationsdes organisations dont ils sont parties prenantes.

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Enfin, en troisième lieu et s’agissant du Traité de l’OHADA , on peut,en le sollicitant fortement, considérer qu’il va dans le sens d’éviter lescontradictions entre normes communautaires lorsqu’il retient l’exigence del’unanimité des représentants des Etats présents et votants pour l’adoption desactes uniformes (article 8). En effet, les Etats qui sont déjà engagés par desaccords ou textes présentant des contradictions avec les dispositions d’un projetd’acte uniforme devraient, selon toute logique, s’opposer à son adoption jusqu’àce que la ou les dispositions contraires soient supprimées ou réécrites. On noteégalement que le Traité de l’OHADA est largement ouvert à l’adhésion de toutEtat membre de l’Union africaine.

C’est dire qu’une stricte et pleine application des dispositions suscitéesaurait permis d’éviter bon nombre d’écueils que nous connaissons aujourd’hui etpeuvent éliminer bon nombre de ceux qui seraient à venir.

Dans le sens de l’élimination des risques de conflits, d’autres solutionspeuvent être dégagées qui tournent autour l’idée de la rationalisation desprocessus d’intégration.

2) L’option de la rationalisation comme solution

Sans aucune prétention à l’exhaustivité, l’option de la rationalisation peutemprunter diverses voies pour sa réalisation : d’abord, celle de la concertation,de la coordination et du dialogue entre organisations d’intégration ; ensuite cellede la spécialisation des organisations ; enfin celle de la suppression desorganisations faisant doublon.

La nécessité de la concertation, de la coordination et du dialogueentre organisations d’intégration découle assez largement des dispositions ci-dessus évoquées des traités, en particulier du Traité de l’UEMOA qui semble leplus disert en la matière. C’est cette concertation qui semble mise en œuvredepuis 2001 entre, d’une part, l’UEMOA et l’OHADA et, d’autre part, laCEMAC et l’OHADA. Elle prend la forme de l’invitation de l’autre organisationlors des réunions où sont examinées les questions devant conduire à l’adoptionde normes. Une concertation existe aussi entre l’UEMOA et la CEDEAO dansplusieurs domaines, par exemple, dans le cadre des Programmes IndicatifsRégionaux (PIR), dans celui des négociations sur les Accords de PartenariatEconomique ainsi que dans le domaine des technologies de l’information et dela communication. On peut également signaler, dans le même ordre d’idée, lasignature le 21 décembre 2006 d’un Protocole d’Accord de Coopération entre laCEDEAO et le CILSS. Il ne reste plus qu’à souhaiter que la coopération ou laconcertation soit complète, sincère et efficace. Il va de soi que de telles actionspeuvent être entreprises même si les traités étaient muets sur la question.

Une autre solution réside dans une certaine spécialisation desorganisations55. 55 Voy. dans ce sens :

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A ce titre, l’OHADA pourrait connaître, non seulement des matièrescitées à l’article 2 de son Traité constitutif, mais également de l’ensemble dudroit privé des affaires tandis que l’UEMOA et la CEMAC se cantonneraient audroit public des affaires ou droit public économique (affaires monétaires etbancaires, intégration des marchés, concurrence à l’exclusion de la concurrencedéloyale, réglementations appelant la présence d’une forte administration pourson application dont les politiques communes…). Un principe de répartitionpourrait être que toutes les questions susceptibles d’être traitées avec la mêmeprofondeur par l’OHADA, l’UEMOA et la CEMAC soient prioritairementconfiées à la première en raison de ce qu’elle regroupe l’ensemble des membresdes deux autres organisations.

Relativement aux matières faisant déjà l’objet d’une législation uniforme,comme les assurances avec le Code CIMA, la propriété intellectuelle avecl’Accord de Bangui révisé en dernier lieu en 1999, la sécurité sociale avec laCIPRES, le droit bancaire et les instruments de paiement par l’UEMOA-BCEAO et la CEMAC-BEAC, l’OHADA doit observer une attitude deprudence et d’attentisme et n’envisager d’intervenir qu’à la demande desorganismes intéressés.

Il reste cependant comme facteur limitant en ce qui concerne le champd’intervention des actes uniformes l’épineuse question de la CCJA qui seraitsubmergée par les saisines si le nombre de matières régies par le droit uniformeOHADA devait continuer d’augmenter.

La CEDEAO pourrait recevoir le volet politique, notamment la sécurité,la prévention et la gestion des conflits ainsi que les questions de droits del’homme où l’on note une activité juridictionnelle remarquable de sa Cour dejustice. Mais, bien entendu, on ne peut exclure de sa compétence les questionsdont peut connaître l’UEMOA sinon elle cesserait d’être une organisationd’intégration économique. A cet égard, un principe d’action serait que lesquestions susceptibles d’être réglées avec le même degré de profondeur par lesdeux organisations soient prioritairement confiées à la CEDEAO qui regroupetous les Etats de l’UEMOA.

La suppression des organisations faisant doublon est une solutionradicale et plus efficace quant à l’atteinte de l’objectif poursuivi. Elle peuts’indiquer le jour où l’intégration au sein de la CEDEAO atteindra le niveau decelle réalisée par l’UEMOA, ce qui est encore loin d’être le cas. Un auteurrelève que « l’existence de nombreuses organisations en Afrique de l’Ouestpoursuivant les mêmes objectifs a entraîné une duplication des efforts et ungaspillage des ressources qui auraient pu servir au développement de la sous-

- Ramata Fofana, Conflits de compétence : coopération judiciaire et approche de solutions,Document de synthèse de la rencontre interjuridictionnelle des Cours de Justice de la CEDEAO, del’OHADA, de l’UEMOA et de la CEMAC, Cotonou, 19-23 mai 2008, p. 85.

- Luc Marius Ibriga, communication au colloque IDC du 3 au 6 novembre 2007 àOuagadougou.

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région ouest africaine »56, d’où l’idée de la fusion-absorption de certainesorganisations, ce qui implique des décisions difficiles de la part des Etatsd’autant que, comme le souligne Charles Rousseau : « A beaucoup d’égards, leproblème de la contrariété des règles conventionnelles est encore largementdominé par des facteurs d’ordre politique et son règlement est fonction desprogrès du sentiment du droit chez les Etats contractants »57. Sur le planpratique, l’on perçoit surtout la possible absorption de l’UEMOA par laCEDEAO lorsque cette dernière aura atteint un degré d’intégration équivalent àcelui de la première. Des projets existent dans ce sens, notamment celui tendantà terme à l’adoption d’une monnaie commune. Cette solution seraitl’aboutissement de la spécialisation.

Mais quels que soient les efforts déployés à les prévenir, il est probablequ’il demeura des conflits de normes dans le fonctionnement des organisationsd’intégration régionale ou sous régionale rendant utile le recours à des solutionscuratives.

B- Les solutions curatives : la gestion des conflits

L’utilité d’envisager ces solutions part de l’idée qu’il n’est pas évident,malgré la bonne volonté dont pourraient faire montre les responsables desorganisations concernées dans le respect de l’esprit et du texte des traités,d’éviter toute contradiction. Même au sein de l’Etat où le législateur est censéêtre le même, les contradictions de normes ne sont pas rares. Le recours àcertaines techniques juridiques peut être de nature à les juguler, voire à les« assécher », dont le recours aux règles ou techniques usuelles d’interprétation.

1) Le recours aux règles usuelles d’interprétation

Dans une première hypothèse, le conflit paraît aisé à résoudre lorsque lanorme est adoptée sous la forme d’une loi uniforme par les parlementsnationaux, comme c’était souvent le cas avec l’Union Monétaire OuestAfricaine (UMOA) instituée par le Traité du 14 novembre 197358. Ainsi, aucours des années 1996-1997, une loi uniforme sur les instruments de paiement aété adoptée par chacun des parlements des Etats membres59 et depuis fin 2008 -début 2009, une nouvelle loi portant réglementation bancaire est en cours

56 Ramata Fofana, op. cit., p. 84.57 Charles Rousseau, Droit international public, Paris, 11ème édition, Dalloz, 1987, p. 55.58 Le Traité de l’UEMOA maintient en vigueur le Traité de l’UMOA à titre transitoire. Il estvaguement prévu qu’« en temps opportun, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernementadoptera un Traité fusionnant le Traité de l’UMOA et le présent Traité ».59 Voy. à titre d’exemple la loi burkinabè n° 037-97-AN du 17 décembre 1997 portant loi uniforme surles instruments de paiement dans l’UMOA : chèque, carte de paiement, lettre de change, billet à ordre(JOBF, n° 10 du 5 mars 1998).

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d’adoption par chacun des parlements des 8 Etats membres de l’UEMOA60. Leslois uniformes restant au rang de normes de droit interne, « ce sont les actesuniformes (ou le règlement de l’UEMOA) qui prévaudront en vertu de leursupériorité sur les lois internes. Le fait qu’elles aient été promulguées enapplication d’un traité ne pourrait changer leur nature juridique »61. Mais peut-être qu’une telle approche est purement formaliste et de ce fait susceptible d’êtrecontestée.

Une seconde hypothèse concerne le cas où le conflit oppose uneréglementation générale, par exemple le droit des sociétés de l’OHADA, à uneréglementation spéciale, comme les dispositions du Code CIMA régissant lescompagnies d’assurance ou celles de l’UMOA ou de la Banque Centrale deEtats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) concernant les sociétés de banque. Dansun tel cas de figure, on peut considérer que les régimes spéciaux dérogent aurégime général et donc prévalent sur celui-ci en application de la maxime latinespecialia generalibus derogant, qui veut que les lois spéciales dérogent aux loisgénérales. C’est dans ce sens d’ailleurs que se prononce l’article 916 de l’Acteuniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et dugroupement d’intérêt économique lorsqu’il dispose que :

« Le présent Acte uniforme n’abroge pas les dispositions législativesauxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un régime particulier.

Les clauses des statuts de ces sociétés, conformes aux dispositionsabrogées par le présent Acte uniforme mais contraires aux dispositions duprésent Acte uniforme et non prévues par le régime particulier desdites sociétés,seront mises en harmonie avec le présent Acte uniforme dans les conditionsprévues à l’article 908 du présent Acte uniforme ».

C’est dire que la question n’est pas seulement résolue par le recours à lahiérarchie des normes juridiques, qui aurait conduit à écarter les règles spéciales,sous forme de lois nationales dans le cas de la réglementation bancaire, au profitde l’acte uniforme de l’OHADA. Le Professeur Issa-Sayegh en déduit que « lesrégimes spéciaux dérogent au droit commun mais uniquement dans les limitesétroites de ces régimes spéciaux et pour l’objet précis des dispositionsdérogatoires considérées. Il convient donc, dans le cas des régimes spéciaux, detracer les limites de ces règles avec précision (point de départ et point final deleur application). En pareil cas, la CCJA de l’OHADA comme la Cour de justicede l’UEMOA ou de la CEMAC seront probablement appelées à donner, chacunede son côté, leur interprétation de la portée dérogatoire de la règle ou du régime

60 Voy. à titre d’exemple la loi n°058-2008/AN du 20 novembre 2008 portant réglementation bancaire

au Burkina Faso, promulguée par le décret n° 2008-825/PRES 23 décembre 2008, JO n°02 du 8janvier 2009.61 Djibril Abarchi, « La supranationalité de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit desaffaires (OHADA) », Revue burkinabè de droit, n° 37, deuxième semestre 2000, p. 26.

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spécial ; mais si leurs décisions ou avis sont contraires, il n’est prévu aucunejuridiction tierce ou procédure spéciale pour les départager »62.

Les conflits de normes pourraient concerner des réglementations ourégimes de droit commun. Dans ce cas, il n’y a pas a priori de solution. Lesconflits de ce genre ont plus de chances de se présenter en pratique entre unenorme de l’OHADA et une norme de l’UEMOA ou de la CEMAC63.

D’autres solutions de règlement des conflits existent ou peuvent êtreenvisagées.

2) Les autres solutionsElles sont relatives à la question préjudicielle ainsi qu’aux interprétations

conciliatrices et la prise en compte de l’évolution souhaitable.Le recours à la question préjudicielle est une solution possible de

gestion des conflits de normes.La question préjudicielle est pour le moment une solution qui permet la

coopération et la collaboration entre juridiction communautaire et juridictionsnationales, comme c’est le cas dans l’UEMOA64, la CEMAC65, la CEDEAO66 etdans l’Union européenne67, où les juridictions nationales peuvent ou doivent,selon le cas, poser la question préjudicielle au juge communautaire afind’obtenir de ce dernier l’interprétation correcte à appliquer au jugement del’affaire dont elles sont saisies. Mais une coopération par cette technique entrejuridictions communautaires n’est pas prévue et ne semble pas possible enl’absence d’un traité dans ce sens. C’est ce qu’a affirmé avec force la Cour deJustice de l’UEMOA dans son avis n° 001/200068, dossier n° 6-99 du 2 février2000 relatif au projet de code communautaire des investissements. Dans cetavis, la Haute juridiction a observé que la CCJA « ne peut saisir la Cour dejustice de l’UEMOA en renvoi préjudiciel parce qu’elle n’est pas une juridictionnationale » et qu’en outre l’interprétation par la Cour de justice de l’UEMOAdes actes uniformes de l’OHADA porterait atteinte à « l’exclusivité de la Cour

62 L’ordre juridique OHADA, article précité, p. 8. La question se pose de délimiter avec précisionl’objet des normes spéciales et leur étendue. Il est probable que des interprétations divergentespuissent se faire jour.63 Pour une étude fouillée portant sur la question, voy. Demba Boubacar BA, « Le problème de lacompatibilité entre l’UEMOA et l’OHADA », in Meyer Pierre (dir.), La libéralisation de l’économiedans le cadre de l’intégration régionale : le cas de l’UEMOA, Publication du CEEI, n° 3,Ouagadougou, Imprimerie Presses africaines, 2001, p. 165.64 Article 12 du Protocole additionnel n°1 et 15, al. 6, du règlement de procédure.65 Article 17 de la Convention régissant la Cour de Justice de la CEMAC.66 Article 10, f), du Protocole additionnel (A/SP.1/01/05) du 19 janvier 2005 portant amendement duprotocole (A/P.1/7 /91) relatif a la Cour de Justice de la Communauté.67 Article 177 du traité CE.68 Cour de justice de l’UEMOA, Recueil des textes fondamentaux et de jurisprudence de la Cour,Ouagadougou, 2008, p. 229.

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commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA dans l’application etl’interprétation des actes uniformes prévue par l’article 14 du Traité… »69.

Sur ce terrain, on ne peut que préconiser la coopération entre juridictionscommunautaires, laquelle pourrait permettre de dégager les règles essentiellesd’un traité ou d’un accord à conclure par les organes compétents descommunautés intéressées.

Les interprétations conciliatrices et la prise en compte de l’évolutionsouhaitable doivent inspirer l’action des juridictions communautaires etnationales. On peut considérer que les solutions qui ont été proposées plus haut àpropos de la « règle du zéro heure », qui d’ailleurs s’y prêtait bien, de lacompensation et de la réexportation mettent en œuvre les interprétationsconciliatrices ou s’appuient sur la prise en compte de l’évolution souhaitable.

Les juridictions saisies pourraient recourir à la théorie des compétencesimplicites en procédant à une interprétation téléologique afin de contribuer àaccélérer l’évolution souhaitée. Elles pourraient aussi s’appuyer sur la théorie del’effet utile qui a conduit la Cour de Justice des Communautés européennes àconclure à l’applicabilité immédiate des règlements puis des directives de laCommunauté européenne, actuelle Union européenne.

Dans cette direction, il faut mentionner, pour terminer, l’opinion d’unauteur qui souhaite l’abandon de la thèse de la hiérarchie normative et prônel’adoption de la thèse de l’harmonie normative. S’appuyant sur certainesdécisions de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat français, l’auteur relèveque ces Hautes juridictions procèdent à une interprétation conciliatrice desnormes concernées aboutissant à une égalité normative des normes concernées70.Dans un sens voisin, des auteurs suggèrent que « soient mis en place, en droitbelge, des mécanismes permettant une intégration la plus harmonieuse possibledes ordres juridiques en cause. La nécessité pour tout traité d’obtenirl’assentiment législatif pour produire effet en droit interne est déjà l’occasiond’un contrôle préventif systématique opéré par la section de législation duConseil d’Etat »71.

Conclusion

69 Pour des développements sur cette question, voy. Dorothé Sossa, Les concurrences de compétencesentre les hautes juridictions communautaires de l’Afrique de l’Ouest et du Centre : réalités etapproches de solutions, communication, in Document de synthèse de la Deuxième Rencontre interjuridictionnelle entre les Cours communautaires de la CEDEAO, de l’OHADA, de la CEMAC et del’UEMOA, Bamako, Mali, 9-13 février 2009, p. 41-42.70 Ghislaine Alberton, « De l’indispensable intégration du bloc de conventionnalité au bloc deconstitutionnalité ? », Revue française de droit administratif, n° 2, mars-avril 2005, p. 249 et s.71 Ph. Brouwers et H. Simonar, « Le conflit entre la constitution et le droit international conventionneldans la jurisprudence de la Cour d’arbitrage », Cahiers, 1994, p. 21.

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Les conflits de normes entre organisations d’intégration, spécialement laCEDEAO, l’OHADA, la CEMAC et l’UEMOA, constituent une réalité aveclaquelle il faut vivre, comme l’ont bien montré les exemples abordés qui ne sontnullement exhaustifs. On a, en effet, noté des conflits de normes d’une part entrel’UEMOA et l’OHADA relativement aux droits comptables, à la compensationde dettes réciproques de personnes publiques et de personnes privées ainsi qu’àla règle dite du « zéro heure », d’autre part entre l’UEMOA et la CEDEAO,notamment sur l’acceptation ou non de la bonne pratique qui, en substance, viseà éviter la double-imposition du consommateur communautaire. De plus,d’autres conflits pourraient émerger plus tard, si bien que la question est loind’être purement théorique.

Mais la situation n’est pas dramatique puisque certaines solutions existentqui permettent de prévenir les conflits. On rappelle à cet égard qu’il estsouhaitable que s’instaure entre les quatre organisations, mais aussi avecd’autres organisations comme la CIPRES, l’OAPI et la CIMA, une coopérationétroite et une information mutuelle, de nature à réduire les risques de conflits,comme cela semble déjà amorcé depuis quelques années. D’autres solutionsfaisant surtout appel aux cours communautaires permettent de les traiter. Lenouveau climat instauré par les « rencontres inter juridictionnelles » initiées parla Cour de justice de l’UEMOA y est favorable72.

Les conflits ne sont pas un mal en soi d’autant qu’il est permis de penserque le risque de conflits, tel qu’il se présente à l’heure actuelle, est moinsdangereux que celui de léthargie ou d’immobilisme, qui découlerait de l’absencede ces organisations ou de leur inaction au plan de l’élaboration des normes.

Pour finir, il y a lieu de rappeler que les droits communautaires, pouratteindre les nobles objectifs poursuivis, doivent être mis en œuvre aussi bien demanière non contentieuse que contentieuse, donc être positivement effectifs.Comme on a coutume de le dire, les textes juridiques ne valent que ce que valentles hommes chargés de les mettre en œuvre. Il faut espérer que tous ceux quisont concernés par la diffusion et l’application des droits communautaires vont yinvestir les énergies nécessaires car, comme l’a écrit un auteur de façon imagée,les textes juridiques sont comme des vins de noble extraction dont nul ne saits’ils vieilliront bien. Il est permis d’espérer que les droits communautaires,primaires comme dérivés, ainsi que les cours y afférentes vieilliront bien.

72 La première rencontre s’est tenue à Cotonou du 19 au 23 mai 2008 et la seconde du 8 au 13 février2009.

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