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LES DUCS DE

NORMANDIE

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SUR LA NORMANDIE

Histoire de la Normandie (France-Empire), avec Jean-Robert RAGACHE.

Thulé, le soleil retrouvé des Hyperboréens (Robert Laffont). Pêcheurs du Cotentin (Heimdal).

Les Vikings, rois des tempêtes (Versoix, Genève).

Les dieux maudits, récits de mythologie nordique (Copernic).

Vikings en Normandie (Copernic), avec Georges BERNAGE et Paul FICHET.

La saga de Godefroy le Boiteux (Copernic). Histoire secrète de la Normandie (Albin Michel).

Drieu parmi nous (La Table Ronde)

Dans la collection « Destins » dirigée par Guy Devautour. déjà parus : Vercors, haut lieu de France de Pierre Tanant Jehanne d'Arc d'Emmanuel Bourassin Les Cathares d'Emmanuel Bourassin La Bataille de la Marne de Louis Delpérier Les Ducs de Bourgogne d'Emmanuel Bourassin

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J E A N M A B I R E

LES DUCS DE

NORMANDIE

CHARLES-LA VAUZELLE PARIS-LIMOGES

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A la mémoire de Guillaume Adelin, petit-fils du Conquérant, héritier du duché de Normandie et du royaume d'Angleterre, péri en mer à l'âge de 17 ans, à bord de la « Blanche-Nef », le 25 novembre 1120, sur la roche de Quilleboeuf, au large de Barfleur en Cotentin. Mort sans avoir pu donner la mesure de sa vertu et de notre rêve.

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ACTE I

LES ROLLONIDES

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R O L F L E M A R C H E U R

9 1 1 - 9 3 1

Une statue identique se trouve à Alesund, en Norvège, et à Rouen, en Normandie. Elle représente, dans le style « Belle Epoque » des premières années de notre siècle, le même personnage. Les Scandinaves le nom- ment Ganger Hrôlf, ce que l 'on peut traduire par Rolf le Marcheur. Les Français en ont fait Rollon et parfois même Raoul. Il s'agit du premier duc de la Normandie, du « Père fondateur » d'une lignée qui devait, pendant près de trois siècles, imposer sa loi à cette terre.

Une douzaine de souverains, à la suite de Rolf, porteront le titre de « duc de Normandie ». Tous n'en seront pas dignes, mais ils n'en resteront pas moins, devant l'Histoire, les mainteneurs et les symboles de cette aventure normande qui devait tant marquer l 'Europe occidentale de son dynamisme et de sa lucidité.

Des Vikings aux Plantagenêts, ces ducs allaient inven- ter une forme moderne de l'Etat, d 'autant plus singulière qu'elle devait s'épanouir sur les deux rives

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La proue du navire viking d'Oseberg, une des richesses archéologiques du musée naval d'Oslo en Norvège. Comparant cette embarcation à un serpent de mer, les anciens Scandinaves lui donnaient le nom de « Snekkar ». Les Normands ont gardé ce terme dans leur vocabulaire et en ont fait « esnèque ». Collection Jean Mabire.

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de la Manche, ce bras de mer qui fut pour eux la plus familière des routes, leur compagne quotidienne depuis les âges tumultueux où leurs pères avaient emprunté le « chemin des mouettes », chanté par les sagas scandinaves.

De tous les aventuriers surgis du monde nordique, avec son décor de batailles et de brumes, le plus farouche était sans doute ce Rolf, surnommé le Marcheur, parce que, disait-on, il était si grand qu'aucun cheval ne pouvait le porter.

Fils d'un chef norvégien, le « jarl » Ragnwald d'Ale- sund qui avait reçu du roi Harald à la Belle Chevelure la mission de tenir en son nom les Orcades et les Shetland, Rolf menait une vie de Viking errant, à la tête d'une petite bande de coureurs de mers avides de pillages. Sa réputation le précédait. On le savait ombrageux et querelleur. Non seulement lui et ses hommes lançaient leurs raids sur les côtes franques mais, revenus au pays, continuaient à se conduire en Vikings. Ils en firent tant qu'ils furent bannis de Norvège. Il leur restait à découvrir une nouvelle proie.

La réputation de Rolf attira vers lui tous ceux qui acceptaient mal l'autorité d'un roi unique et préfé- raient choisir leur chef. Rapidement, le Banni allait se retrouver à la tête d'une véritable flotte. Rolf ne cherchait plus maintenant quelque terre à piller, il voulait un pays où s'établir. Il passa un hiver en Angleterre, puis aborda sur l'île de Walcherem dans l'archipel de Zélande.

Rainier, comte de Hainaut et Rabode, comte de Frise, essayèrent de chasser ces Vikings.

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En vain. Les Scandinaves s'enhardissaient à chaque expédition et finirent par piller Condé-sur-Escaut et son abbaye. Puis ils passèrent d'un estuaire à l'autre et s'engouffrèrent dans la Seine. Leurs bateaux aux voiles carrées remontaient à l'aviron les méandres du grand fleuve même par vent contraire.

Les habitants de Rouen, au lieu de combattre les Vikings demandèrent à Rolf de les prendre sous sa protection. L'évêque Witon fut chargé de négocier cette singulière supplique. Rolf ne pouvait qu'accepter. Il devenait ainsi le maître de cette ville que ses compatriotes nommaient Rudhaborg. Depuis des années, Norvégiens et Danois s'établissaient dans ce pays où ils se considéraient comme chez eux. Le temps de la colonisation allait succéder au temps du pillage. Le roi des Francs, Charles le Simple, n'y pouvait rien. Les Vikings possédaient la force.

Le souverain qui régnait à Paris avait bien essayé d envoyer Ragnold, duc de France, pour chasser les nouveaux maîtres du pays, mais une courte bataille, à Pont-de-l'Arche, vit le triomphe de Rolf. Les Vikings profitèrent de leur victoire pour lancer un raid sur \lelun. Ragnold revint à la charge avec une nouvelle armée. Le sort des armes lui fut, une fois encore, contraire et il y laissa la vie.

Désormais, les Scandinaves régnaient à Rudhaborg — sans partage. Rolf soumettait, l'une après l'autre, les petites bandes d'émigrants à son autorité et chaque saison voyait des Norvégiens et des Danois, de plus en plus nombreux, s'installer dans ce pays qui com- mençait à être nommé la Normandie, c'est-à-dire le pays des Normands, des hommes du Nord.

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Rolf considérait déjà déjà comme sienne cette région du pays franc. Mais la vallée de la Seine ne suffisait plus à son ambition. Il étendit son pouvoir vers l'ouest, franchit la Risle, puis l'Orne et arriva devant Bayeux. La ville fut prise d'assaut par les Vikings en l'an 900. Le comte Béranger, qui la commandait, avait été tué à la tête des guerriers francs. Rolf décida d'épouser sa fille Popa, non pas selon l'usage chrétien, mais more danico, comme disent les chroniqueurs, c'est-à- dire en la reconnaissant comme sa concubine officielle. L'union du Viking Rolf et de la Franque Popa marquait, d'une manière définitive, le désir du fils du jarl d'Alesund de s'enraciner dans le pays qu'il avait conquis.

Une dizaine d'années plus tard, à Saint-Clair-sur- Epte, en 911, au cours d'une entrevue mémorable, à mi-chemin de Rouen et de Paris, le roi de France, Charles le Simple, reconnaissait au chef scandinave la propriété de ce qu'il possédait déjà...

Rolf, que les Français appelaient Rollon, âgé de plus de cinquante ans, avait un beau passé d'aventurier derrière lui.

Le roi de France accordait à ses Vikings de Normandie un droit de pillage sur le duché de Bretagne. Charles le Simple espérait ainsi créer un lien de vassalité, mais son interlocuteur restait bien décidé à n'en faire qu'à sa tête. On le vit bien lors de la cérémonie de l'hommage. Si ce n'est qu'une légende, elle n'en paraît pas moins fort significative de l'esprit qui animait alors les chefs vikings.

Rolf aurait dû s'agenouiller devant le roi, mettre ses mains dans les siennes, et même lui baiser les pieds.

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Le Château-Gaillard. Afin de barrer au Roi de France la route de Rouen par la vallée de la Seine, Richard-Cœur-de-Lion, duc de Normandie et roi d'Angleterre décide, en 1197, de construire une solide forteresse sur la falaise qui domine le fleuve près des Andelys. Collection Jean Mabire.

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Le retour à Londres, après la traversée Anvers- Sandwich. fut triomphal. Richard fut couronné une seconde fois roi d'Angleterre dans l' église de Winches- ter. Mais sa plus grande hâte, semblait-il, restait d exercer à nouveau son pouvoir de duc de Normandie.

Il débarqua à Barfleur, en compagnie de sa mère Aliénor. Le premier personnage que tous deux décou- vrirent fut Jean Sans Terre. En présence de leur mère, les deux frères feignirent de se réconcilier.

La seule chose qui importait au Cœur de Lion était de chasser Philippe Auguste de toutes les terres qui ne lui appartenaient pas. Il guerroya en Normandie, en Touraine, en Poitou, en Angoumois. Partout les Anglo-Normands écrasèrent les Français. Richard par- vint même à s emparer des archives de la Couronne ! L' Eglise finit par imposer une trêve et un arrangement entre les deux souverains fut conclu à Louviers en 1196.

L'année suivante, Richard Cœur de Lion fit édifier la forteresse de Château-Gaillard qui domine Les Andelys. C était verrouiller la Normandie contre toute agression française. Cette citadelle, une des plus formidables de son époque, fut construite en moins d une année et Richard s exclama en la voyant ache- vée :

— Qu' elle est belle ma fille d'un an !

Le Plantagenêt s'en fut ensuite attaquer les Français sur leur territoire. Une bataille rangée eut lieu aussi sur la rivière qui marquait, depuis Rolf le Marcheur, la frontière entre la Normandie et la France. Philippe Auguste manqua de s' y nover. Le Cœur de Lion en

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rit beaucoup et se vanta, dans une lettre, « d'avoir forcé le roi de France à boire les eaux de l'Epte ».

Ce fut alors qu'un paysan de Châlus, dans le Limousin, découvrit un trésor. Son seigneur Vidomar s'en empara et refusa de le remettre à Richard son suzerain. Le duc-roi considéra ce geste comme une insulte et se précipita pour mettre le siège devant le château de Châlus, refusant tout compromis. « La place sera prise d'assaut. Il ne sera pas dit que je suis venu ici pour rien. » Richard mena lui-même l'attaque. Le 26 mars 1199, un archer limousin parvint à lui décocher une flèche qui le blessa à l'épaule. La plaie s'envenima et le duc de Normandie, roi d'Angleterre, mourut de la gangrène le 6 avril 1199, dans sa quarante-deuxième année, après un règne de dix ans où il n'avait passé que six mois sur la Grande Ile. Le Plantagenêt ordonna, avant de succomber, que son corps reposa à Fontevrault et que son cœur soit donné à sa bonne ville de Rouen, en témoignage d'estime pour le courage et la fidélité montrés par les Rouennais, au temps où les Français de Philippe Auguste assiégeaient leur cité.

Troubadour et chevalier, le duc-roi Richard devait, dix ans après sa mort, recevoir à jamais le surnom de Cœur de Lion. Le plus sympathique des Plantage- nêt, avait réussi un exploit : même son imprudence fut considérée en Normandie comme une vertu !

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JEAN SANS TERRE

1199 - 1204

Richard, duc de Normandie et roi d'Angleterre, frappé à mort lors de cet assaut livré pour une querelle minuscule, à qui revenait l'héritage Plantagenêt ?

Deux hommes pouvaient y prétendre. L'un était Jean Sans Terre, qui ne méritait en rien de recueillir la si lourde succession. Le second n'était qu'un enfant, son neveu Arthur, fils posthume de Geoffroy comte de Bretagne, l'aîné de Richard et de Jean. Ce prétendant avait pour lui les seigneurs de la plupart des posses- sions continentales, à commencer par la Bretagne bien entendu. Il comptait aussi des partisans dans le Maine, en Anjou et en Touraine, dans les régions les plus francisées de l'empire Plantagenêt.

Le roi de France Philippe Auguste, ne pouvait rester neutre en cette compétition. D'observateur, il allait vite devenir arbitre, littéralement hanté par ce besoin vital pour la monarchie capétienne de disloquer l'em- pire Plantagenêt. Il connaissait bien Jean Sans Terre et en mesurait toutes les faiblesses.

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Celui qui allait devenir le dernier duc de la Normandie indépendante réunissait tous les défauts de son frère Richard, sans en avoir aucune des qualités. Il se montrait irrésolu et inconstant, tantôt survolté et tantôt indolent, passant de l'excitation à l'abattement, au gré de ses humeurs capricieuses. Sans courage physique, mais intelligent et cultivé, il faisait pourtant illusion à première vue. Faute d'être un chevalier, il aurait pu faire un bon politique, s'il avait montré plus de tenacité et une vision plus claire de sa tâche. Mais il semblait écrasé sous le poids de l'empire.

Jean Sans Terre n'était finalement chez lui nulle part. Ni en Angleterre, ni en Normandie, ni en Aquitaine. Profondément déséquilibré, il revendiquait le pouvoir pour ensuite le porter comme un fardeau et s'en débarrasser à la première difficulté.

Jean Sans Terre mêlait avec imprudence sa vie privée et sa vie publique. Divorcé d'Isabelle de Gloucester. il se mit en tête d'épouser Isabelle d'Angoulême qui n'avait pas quatorze ans. Or celle-ci se trouvait déjà promise à un Lusignan. La rivalité dégénéra en querelle et la querelle en conflit. Jean confisqua fiefs et châteaux de la famille.

Ravi, Philippe Auguste souffla sur le feu. tout en recevant fort amicalement Jean et sa jeune épouse à Paris en 1201. Se croyant encouragé, le duc-roi se lança dans une expédition en Poitou contre les Lusi- gnan. Le roi de France fit alors volte-face et somma Jean Sans Terre de comparaître devant la Cour. En arrière-plan, on devinait le projet royal de confiscation

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des territoires continentaux des Plantagenêts. Un texte de l'époque est rélévateur :

« La Cour de France, s'étant réunie, juge que le roi d'Angleterre doit être privé de toutes les terres que, jusqu'ici, lui et ses ancêtres ont tenues du roi de France, pour la raison que, depuis longtemps, ils ont négligé de faire tous les services dus pour ces terres et ne veulent presque en rien obtempérer aux invita- tions de leur seigneur. »

Jean fut donc condamné par défaut. Pire encore : Philippe Auguste arma lui-même chevalier le jeune Arthur de Bretagne et l'envoya en Poitou combattre aux côtés des Lusignan. Le jeune homme alla assiéger la place-forte de Mirebeau, défendue par sa propre grand-mère, l'indomptable Aliénor d'Aquitaine, alors âgée de près de quatre-vingts ans.

En même temps, Philippe Auguste franchissait la frontière normande et s'emparait d'Eu et d'Aumale. Pour commencer. Devant Château-Gaillard, il se voyait contraint de temporiser. La « fille d'un an » n'allait pas se laisser prendre aisément.

Jean Sans Terre réussit à venir à bout des Lusignan et à capturer son neveu Arthur de Bretagne. Il l' emmena à Falaise puis à Rouen, où il le tint prisonnier. Au début de l'année 1203, le duc-roi en personne, selon certains témoins, se fit livrer le jeune captif. l' emmena sur une barque au milieu de la Seine, l'égorgea et jeta son cadavre dans le fleuve.

Ce crime allait peser lourd dans le destin de la Normandie. L'assassinat d'Arthur par son oncle fut

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plus tard invoqué comme prétexte par Philippe Auguste, pour déposséder le roi d'Angleterre de ses domaines continentaux.

En attendant, il n'était pas question de justice, mais de guerre. Tout devait se jouer au Château-Gaillard. La forteresse ne cessait de défier le roi de France. Il avait dit naguère : « Je la prendrai, ses murs fussent- ils de fer ! » et s'était alors attiré cette fière réponse de Richard : « Je la garderai, ses murs fussent-ils de beurre ! ». Mais le Cœur de Lion disparu, son frère indigne n'avait ni le courage ni la volonté de se battre.

Dès l'automne 1203, Château-Gaillard se trouvait totalement investi par les Français. Roger de Lasci, son défenseur, s'était juré de résister jusqu'à la mort, avec une poignée de Normands fidèles. Les assiégeants ne trouvaient aucune faille. Philippe Auguste multi- pliait les assauts, perdait du monde sans résultat et s'impatientait. Ce que la force ne pouvait lui donner, la ruse allait la lui offrir. Une colonne d'assaut réussit, le 6 mars 1204, à pénétrer dans le donjon en passant par... les latrines. Les cent quatre-vingts défenseurs qui entouraient encore Roger de Lasci furent, comme leur chef, impitoyablement massacrés.

Château-Gaillard tombé entre les mains des Français, c'était la vallée de la Seine et, par-delà, toute la Normandie qui s'ouvrait aux armées de Philippe Auguste. Aucune bataille n'avait été plus décisive que cette réduction du Château-Gaillard.

Philippe Auguste, sans grande difficulté, réussit à prendre Falaise, Caen, Avranches. Il restait encore

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Rouen, investie et désespérée. Les autorités de la capitale normande parvinrent à envoyer une délégation à Londres pour demander le secours de Jean Sans Terre, réfugié sur la Grande Ile. Le duc-roi jouait aux échecs. Il ne consentit même pas à interrompre sa partie et fit dire aux assiégés de « faire pour le mieux ».

La capitulation devenait inévitable. Elle eut lieu le 24 juin 1204. Cette fois, le roi de France était maître de la capitale normande.

Dans toute la Normandie, finalement soumise, beau- coup de seigneurs devaient choisir l'exil sur la Grande Ile. Mais le peuple restait sur cette terre désormais sans duc. Car Philippe Auguste, s'il maintenait le titre de duc de Normandie, ne l'attribuait à personne.

Jean Sans Terre n'était plus que le roi d'Angleterre. Tous les biens qu'il possédait, en tant que duc de Normandie, se trouvaient confisqués par la Couronne de France.

Quand le Plantagenêt mourut en 1216. cela faisait une douzaine d'années qu'il n'était plus rien pour les Normands.

L'idée même qu'il put exister un duc de Normandie, garant de l'intégrité et de l'indépendance de l'Etat normand, se trouvait interdite depuis le triste prin-

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temps de 1204 (1). Il n'en restait qu'un symbole : le Château-Gaillard, cet avant-poste, désormais inutile, où Richard Cœur de Lion avait vécu son rêve grandiose d'un empire tout autant insulaire que continental. dont les flots gris de la Manche auraient été le trait d'union.

(1) Le titre de « duc de Normandie », sans aucune signification autre que symbolique, f u t p a r la suite attribué en 1465 à Charles, frère de Louis XI. Cela n'empêcha certes p a s le roi de France, quatre ans plus tard, de faire briser à Rouen, le 9 novembre 1469, l 'anneau ducal. symbole de la liberté normande. Le second prince à por ter ce titre fu t l'infortuné dauphin, emprisonné au Temple sous la Révolution et à qui sera donné le titre posthume de Louis XV II, après sa mort probable en 1795. Ni l'un ni l 'autre de ces « ducs de Normandie » n'avaient le moindre

rapport avec le duché qui fu t naguère tenu p a r les poignes énergiques et fécondes de Rolf le Marcheur, de Guillaume le Conquérant et de Richard Cœur de Lion.

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Dépôt légal : mars 1987 I.S.B.N. n° 2-7025-0151-6.

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